Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 10 septembre 2010

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Laffineur

. Réforme des retraites

Discussion des articles (suite)

Article 5

M. Jean-Luc Préel

Mme Marisol Touraine

Rappel au règlement

M. Jean-François Copé

M. Jean-Marc Ayrault

M. Jean-François Copé

M. Jean-Marc Ayrault

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

M. le président

Mme Marisol Touraine

M. Éric Woerth, ministre du travail

Mme Marie-George Buffet

Article 5 (suite)

Mme Cécile Dumoulin

M. Jean-Pierre Nicolas

M. Christian Vanneste

M. Jacques Domergue

M. Marc Dolez

M. Dominique Dord

M. le président

M. Gaëtan Gorce

M. Alain Vidalies

M. Christophe Sirugue

Mme Marie-Françoise Clergeau

M. Jean Mallot

M. Michel Issindou

Mme Gisèle Biémouret

Mme Danièle Hoffman-Rispal

M. Michel Ménard

Mme Marietta Karamanli

Mme Élisabeth Guigou

Mme Marie-George Buffet

M. François de Rugy

M. Yves Nicolin

Mme Martine Pinville

M. Roland Muzeau

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Réforme des retraites

Suite de la discussion, après engagement de la discussion accélérée, d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant réforme des retraites (nos 2760, 2770, 2768, 2767).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de onze heures dix-sept pour le groupe UMP, de treize heures trente-quatre…

M. Roland Muzeau. Et combien de secondes ?

M. le président. …pour le groupe SRC, de trois heures trente-trois pour le groupe GDR, de quatre heures trente-six pour le groupe Nouveau Centre et de vingt-quatre minutes pour les députés non inscrits.

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles, s’arrêtant à l’article 5.

Article 5

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 5.

La parole est à M. Jean-Luc Préel.

M. Jean-Luc Préel. Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, monsieur le secrétaire d’État chargé de la fonction publique, mes chers collègues, l’article 5 est le pivot de ce projet de loi, puisqu’il en comporte la mesure essentielle : le relèvement de deux ans de l’âge légal d’ouverture des droits à pension, ce relèvement entraînant logiquement le report de deux années des autres bornes d’âge.

En effet, si nous voulons sauvegarder notre régime de retraite par répartition, il nous faut tenir compte des données démographiques, que je rappelle brièvement, bien que chacun les connaisse.

Parmi ces facteurs fondamentaux, qui ne sont pas contestables, il convient de mentionner tout d’abord le papy boom. À partir de 1945, les naissances furent au nombre de 800 000 par an, contre 450 000 les années précédentes, et ces générations nombreuses arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. En outre, la durée de vie, le plus souvent d’ailleurs en bonne santé, a augmenté d’environ un trimestre par an. C’est une très bonne chose, mais elle a pour conséquence un allongement de la durée de versement de la prestation retraite.

Je le répète, ces données démographiques, que nous connaissons tous, ne sont pas contestables ; elles ne sont d’ailleurs pas contestées. Les futurs retraités qui partiront en 2020, 2030 ou 2050 sont déjà nés.

Si nous sommes attachés à la retraite par répartition et que nous ne souhaitons pas une étatisation des retraites, nous devons apporter une réponse démographique à ce problème. Il est donc logique de relever progressivement l’âge auquel il est possible de demander la liquidation de sa retraite. Au reste, dans tous les pays européens, l’âge de départ à la retraite est plus tardif qu’en France.

Cette augmentation ne sera pas brutale, mais progressive, puisqu’elle sera de quatre mois par an à partir du 1er juillet 2011, pour atteindre soixante-deux ans en 2018. Pourtant, beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment que, brutalement, ils vont devoir travailler deux ans de plus. Il conviendrait donc, monsieur le ministre, de faire des efforts de communication sur le sujet, afin de bien expliquer la progressivité de cette mesure. Quant aux régimes spéciaux, ils bénéficient d’un report, puisque l’augmentation ne débutera qu’en 2017, soit six ans plus tard. Ce report, lié à la réforme précédente, est également difficilement compréhensible par nos concitoyens.

Le report de l’âge légal de départ à la retraite permettra d’économiser 19 milliards, lesquels contribueront, pour une part importante aux 48 milliards nécessaires au financement de notre régime de retraite. Il reste à trouver les financements complémentaires, ce qui n’est pas simple. Pour notre part, nous proposons non seulement des prélèvements sur les stock-options et les retraites chapeau, mais aussi et surtout une augmentation de la CSG, ce qui permettrait de financer des avancées sociales.

Par ailleurs, ce report nécessite de prendre en compte les carrières longues, c’est-à-dire la situation de ceux qui ont commencé à travailler tôt. Monsieur le ministre, pourquoi demander à ces personnes de cotiser huit trimestres supplémentaires ? Est-ce indispensable ? Est-ce juste ? Ce problème devrait, du reste, être résolu par l’instauration d’une retraite à points ou de comptes notionnels.

Le report d’âge nécessite également d’améliorer l’employabilité des seniors, même si la situation des 55-59 ans montre que notre pays se situe dans la moyenne européenne, puisque le taux d’employabilité de cette tranche d’âge est de 56 %. Des avancées sont prévues dans le texte afin d’améliorer l’employabilité des seniors, notamment l’aide à l’embauche, le développement du tutorat et l’application de pénalités aux entreprises qui ne joueraient pas le jeu.

Le report d’âge exige, en outre, d’apporter une réponse claire au problème de la pénibilité, qu’il convient de définir, de prévenir tout au long de la carrière et de réparer. Francis Vercamer vous fera donc des propositions concernant l’observatoire de la pénibilité, sa définition, sa prévention et sa réparation.

Le Nouveau Centre approuve le principe du report d’âge, à condition de prendre en compte notamment l’employabilité des seniors et la pénibilité. Prolonger de deux ans l’âge de départ à la retraite implique de repousser également les autres bornes d’âge.

Enfin, je rappelle que le parti socialiste se bat contre cette mesure, pourtant évidente.

M. Michel Issindou. Il a raison !

M. Jean-Luc Préel. Il s’engage ainsi à l’annuler si, par hasard, il revenait au pouvoir.

M. Jean Mallot. Par bonheur !

M. Christian Vanneste. Un malheur n’arrive jamais seul !

M. Jean-Luc Préel. Je suis persuadé, monsieur Mallot, que vous n’en ferez rien. Aujourd’hui, vous ne demandez pas que l’on revienne sur les réformes précédentes, contre lesquelles vous vous êtes pourtant battus. Je n’entends personne réclamer, par exemple, le retour aux trente-sept années et demie de cotisation.

M. Jean-Marc Ayrault. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Luc Préel. Si ! (« Mais non ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez tort !

M. Jean-Luc Préel. Monsieur Ayrault, vous vous êtes battus contre les réformes précédentes, que vous n’avez pas votées. Pourtant, aujourd’hui, vous les approuvez. Demain, si vous revenez au pouvoir, vous ferez de même : vous ne reviendrez pas sur cette réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine. Avec l’article 5, nous abordons le cœur de la réforme. Les socialistes sont clairement opposés au relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans. Pour nous, cette mesure est non seulement injuste, mais totalement inadaptée à la réalité sociale et économique de notre pays.

Le Gouvernement souligne que nous avons à faire face à un défi démographique, auquel on ne peut apporter qu’une réponse démographique. Pourtant, hier, le ministre nous a expliqué à plusieurs reprises que la véritable explication de la réforme qui nous est présentée est, non pas le défi démographique, mais la crise…

M. Jean Mallot. Et voilà !

Mme Marisol Touraine. …laquelle, en creusant le déficit, justifie l’improvisation d’un nouveau rendez-vous, alors que nous ne devions nous retrouver qu’en 2012.

Au reste, les données démographiques étaient connues en 2003,…

Mme Valérie Rosso-Debord. En 1983 aussi !

Mme Marisol Touraine. …au moment où François Fillon a présenté sa réforme, qui avait précisément pour objectif de résoudre entièrement le problème démographique à l’horizon 2020. Or, non ce seulement ce problème n’est pas résolu, mais il est demeuré identique à ce qu’il était il y a quelques années. Le déficit est ainsi de même nature qu’il y a sept ou huit ans, sans qu’on puisse l’imputer à la crise. Ce n’est pas nous qui le disons, monsieur le ministre : les chiffres sont têtus et ils démontrent que votre politique n’a abouti à aucun résultat, puisque le déficit a commencé à se creuser en 2005. Quant aux rapports de la Cour des comptes, ils soulignent que le déficit actuel n’est dû que pour un tiers aux effets de la crise. Votre logique, qui consiste à fonder l’ensemble de la réforme sur une approche démographique, est donc totalement inadaptée.

Par ailleurs, vous ne prenez pas en compte l’évolution sociale de notre pays. En effet, ce qui est en jeu, c’est la possibilité de partir à la retraite à soixante ans pour des hommes et des femmes qui, parce qu’ils ont commencé à travailler jeunes ou ont été formés à leur métier par l’apprentissage, ont, dès aujourd’hui, un nombre de trimestres largement suffisant pour pouvoir prétendre bénéficier de leurs droits sans avoir à prolonger leur activité deux années de plus. Ce sont ces hommes et ces femmes que nous voulons défendre, car ils ont besoin d’une protection, et cette protection, c’est le rempart que constitue la possibilité de partir à la retraite à soixante ans. L’âge légal actuel est le bouclier social des plus modestes, de ceux qui ont commencé à travailler jeunes !

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Il y a le dispositif des carrières longues !

Mme Marisol Touraine. Le dispositif des carrières longues ne répond pas à ce défi. Dans trente ou quarante ans, la situation aura évolué, bien entendu, mais, actuellement, environ 300 000 personnes partent chaque année à la retraite à soixante ans en ayant entre une et deux années de cotisation de plus que ce qui leur est nécessaire pour faire valoir leurs droits à pension.

Ces 300 000 personnes vont être directement impactées par votre réforme ; elles en seront les victimes directes. Aujourd’hui, elles disposent de l’ensemble des trimestres nécessaires pour faire valoir leurs droits à la retraite, mais à ces personnes qui ont déjà travaillé quarante et un, quarante-deux, quarante-trois ans, on va dire qu’il faut aller au-delà.

Mme Catherine Coutelle. Exactement !

M. Pascal Terrasse. C’est évident !

Mme Marisol Touraine. Au salarié qui a commencé à travailler à dix-huit ans, vous allez demander d’accomplir quarante-quatre annuités de cotisations pour pouvoir partir à la retraite, alors que pour celui qui a commencé à travailler à vingt-deux ans, votre réforme ne va rien changer : il ne pourra pas partir à soixante ans, en tout cas pas sans décote, ce qui fait que son plan de vie ne sera en rien modifié.

Mme Catherine Coutelle. C’est idéologique !

Mme Marisol Touraine. Ce que vous êtes en train de faire, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, c’est d’instaurer la redistribution à l’envers. Avec votre réforme, ce sont les ouvriers et les employés qui, demain, vont payer pour que les cadres supérieurs puissent continuer à prendre leur retraite de façon inchangée.

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est faux !

Mme Marisol Touraine. Et puis, il est un facteur social que l’on ne peut ignorer totalement, même s’il est heureusement minoritaire : dans notre pays, des hommes et des femmes, atteignant l’âge de soixante ans sans avoir une durée de cotisation suffisante, préfèrent partir avec une décote, car ils sont trop usés par le travail.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Un amendement va régler cette question !

Mme Marisol Touraine. Selon les statistiques de la CNAV, environ 7 % de Français préfèrent partir à soixante ans, même avec une décote, parce qu’ils sont fatigués, usés, et ne se sentent pas les moyens de poursuivre une activité professionnelle jusqu’à soixante-cinq ans.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais il y a un amendement !

Mme Marisol Touraine. Le troisième point que je veux évoquer est celui du chômage.

Nous avons beau vous poser cette question sur tous les tons, nous n’avons toujours pas obtenu de réponse satisfaisante. Ce n’est pas parce que vous avez décidé, d’un claquement de doigts, qu’à compter du 1er janvier de l’année prochaine, on ne pourra plus prendre sa retraite à soixante ans, mais seulement à partir de soixante-deux ans, que tous ceux qui sont au chômage après cinquante-cinq ans vont trouver un emploi ! En fait, vous allez transférer les déficits de la CNAV vers l’assurance chômage : au lieu de payer des retraités, vous allez payer des chômeurs.

Mme Élisabeth Guigou. Exactement !

Mme Marisol Touraine. Et ce phénomène est loin d’être marginal dans notre pays.

Premièrement, le taux de chômage des plus de cinquante-cinq ans est, on le sait, l’un des plus élevés d’Europe…

M. Denis Jacquat, rapporteur. Non ! Pas entre cinquante-cinq et soixante ans !

Mme Marisol Touraine. …puisque plus de 60 % des personnes en âge de travailler ne travaillent pas.

Deuxièmement, je veux attirer votre attention sur le décalage qui existe aujourd’hui entre l’âge moyen auquel les Français quittent le marché du travail et l’âge moyen auquel ils liquident leur pension. C’est en moyenne à cinquante-huit ans et demi que les Français se retrouvent sortis de l’emploi. Pour bénéficier de leur retraite à taux plein, ils doivent attendre en moyenne l’âge de soixante et un ans et demi. Entre cinquante-huit ans et demi et soixante et un ans et demi, que se passe-t-il ? Ils sont au chômage !

Mme Élisabeth Guigou. Eh oui ! D’abord au chômage, puis au RSA !

Mme Marisol Touraine. À toutes ces personnes, vous allez dire qu’elles vont rester au chômage et que, quand leurs droits seront épuisés, elles toucheront l’ASS et finiront au RSA avant de pouvoir bénéficier d’une retraite sans décote.

Mme Valérie Rosso-Debord. Non, une mesure est prévue !

Mme Marisol Touraine. Je vais conclure, laissant le soin à mes collègues de revenir sur ces éléments en établissant des comparaisons avec ce qui se fait dans les autres pays.

Votre système est le plus injuste que l’on puisse imaginer, car les références d’âge, par définition, pèsent sur les plus modestes,…

M. Denis Jacquat, rapporteur. C’est faux !

Mme Valérie Rosso-Debord. Même sur France 2, ils ont dit que c’était faux !

Mme Marisol Touraine. …sur ceux qui ont commencé à travailler jeunes. Ce que nous voulons, c’est un bouclier social pour les catégories populaires et les petites classes moyennes. Nous ne voulons pas d’un système anti-redistributif, anti-solidaire, aboutissant, une fois de plus, à ce que les plus modestes soient obligés de payer pour ceux qui ont eu des carrières plus faciles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-François Copé. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Jean-François Copé. Monsieur le président, la matinée va être consacrée à débattre du relèvement de l’âge légal de la retraite, ce qui est légitime et important, puisqu’il s’agit de l’un des points clés de la réforme que nous examinons.

Je veux donc rebondir sur les propos de Mme Touraine et livrer quelques réflexions à notre assemblée.

Mme Catherine Coutelle. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Jean-François Copé. Premièrement, je voudrais que l’on en termine avec l’idée portée par le groupe socialiste …

M. Alain Néri. Ce n’est pas un rappel au règlement, monsieur le président !

M. Jean-François Copé. …et selon laquelle nous faisons cette réforme en raison de la crise économique, ce qui est tout à fait inexact. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Nous venons de vous écouter, mes chers collègues de gauche, maintenant il serait bien que vous en fassiez autant ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Copé s’exprimer !

M. Jean-François Copé. En réalité, la crise financière exige que l’on accélère la mise en oeuvre de cette réforme, pour une raison simple : c’est qu’à la réalité démographique que nous connaissons s’est ajoutée une impasse financière aggravée par la crise économique et financière.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Très juste !

M. Jean-François Copé. Ce n’est pas un hasard si tous les autres pays d’Europe ont réformé leur système de retraite en relevant l’âge légal, même si, en France, le groupe socialiste s’obstine à vouloir nous convaincre que la France est une île miraculeusement préservée de la crise mondiale !

Mme Valérie Rosso-Debord. Très juste !

M. Jean-François Copé. Ma deuxième remarque porte davantage sur le fond du débat.

Hier soir, nous avons entendu, à la télévision, Ségolène Royal nous expliquer sans rire que si – par malheur – la gauche devait un jour revenir au pouvoir en France, la première décision qu’elle prendrait serait de revenir à l’âge légal de soixante ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est un scandale !

M. Jean-François Copé. Applaudir dans l’anonymat, messieurs les députés socialistes, est beaucoup plus facile que de venir exprimer sa position au micro ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.) Il va pourtant bien falloir qu’à gauche, chacun prenne ses responsabilités par rapport à l’affirmation de Mme Royal.

Il n’a ainsi échappé à personne que Martine Aubry a refusé de venir débattre de ce sujet à la télévision avec François Fillon. (Approbations sur les bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.) Elle a même purement et simplement refusé de venir à la télévision, comme si la question de l’âge légal de la retraite posait, tout à coup, un problème au chef du parti socialiste ! On a l’impression que, après avoir admis, dans un accès de sincérité, que la réforme des retraites commanderait sans doute de porter l’âge légal à soixante-deux ou soixante-trois ans – comme elle l’a bel et bien dit à la radio –, elle a été reprise en main par le bureau politique du parti socialiste : pas question de dire une chose aussi moderne ; nous en restons aux soixante ans ! Mme Aubry s’est donc rétractée et, depuis, plus de nouvelles !

J’ai débattu lundi soir à la télévision avec M. Moscovici, mais je n’ai jamais réussi, malgré trois tentatives, à lui faire dire que les socialistes avaient l’intention de ramener l’âge légal à soixante ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Sur quel article du règlement ce rappel au règlement est-il fondé ?

M. Jean-François Copé. Ségolène Royal, elle, fait tomber le masque en affirmant que si la gauche revient au pouvoir, elle ramènera l’âge légal de la retraite à soixante ans !

M. Alain Néri. Il y a vraiment deux poids, deux mesures dans cette assemblée, monsieur le président !

M. Jean-François Copé. Vous arrive-t-il de voyager en Europe et dans le monde, pour voir ce qui s’y passe ? Tous les pays européens ont relevé l’âge légal, car il n’y a aucun autre moyen d’assurer le financement du système de retraite pour demain, pour nos enfants !

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-François Copé. Je demande donc que le groupe socialiste soit enfin clair et lisible, au lieu de maintenir l’ambiguïté sur le sujet : si vous reveniez un jour au pouvoir, rétabliriez-vous l’âge légal à soixante ans, avec une baisse massive du niveau des pensions, c’est bien cela que vous dissimulez derrière votre masque ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

L’ambiguïté de vos propos – notamment ceux que vient de tenir Marisol Touraine – ne doit tromper personne : si, par malheur, la gauche devait revenir au pouvoir en France (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Alain Néri. Elle reviendra, ne vous inquiétez pas !

M. Jean-François Copé. …elle ramènerait l’âge légal à soixante ans en diminuant le niveau de pension des Français. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) À cela, nous nous opposons formellement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Je répète donc solennellement, comme l’ont affirmé le Président de la République, le Premier ministre et le ministre du travail : si nous relevons l’âge légal de la retraite à soixante-deux ans, c’est parce que c’est la seule manière d’assurer le financement du régime tout en préservant le niveau des pensions. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe GDR.)

Mme Marie-George Buffet. Il y a d’autres solutions financières.

M. Jean-François Copé. Pour nous, il s’agit d’un sujet vital, et si j’insiste avec force, c’est afin que chacun comprenne notre projet politique pour la France. Si nous avons fait le choix politique de relever l’âge légal de la retraite, en mesurant parfaitement les inquiétudes, les interrogations, voire les mécontentements que cela peut légitimement susciter, c’est parce que nous n’avons aucun autre choix. (« Si ! Si ! » sur les bancs du groupe GDR.)

M. Roland Muzeau. Vous êtes un réactionnaire !

M. Jean-François Copé. Il est beaucoup plus facile, comme l’a fait la majorité socialiste en son temps, de ramener l’âge de la retraite de soixante-cinq à soixante ans, beaucoup plus facile d’offrir une demi-journée de congés payés gratuits, avec les 35 heures, sans se soucier de la manière dont les générations futures le paieront ! C’est ça, la différence entre vous et nous ! (Approbations sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Si je vous le dis, c’est parce que je pense que, à ce stade du débat, chaque Française et chaque Français doit savoir que dans cet hémicycle, où nous avons vocation à décider d’une réforme majeure pour le pays, il y a une majorité qui assume ses responsabilités, même si cela doit se traduire par des inquiétudes et des mécontentements. Les Français qui ne manifestent pas le disent à leur manière : il n’y a malheureusement aucun autre choix pour sauver le régime des retraites. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

C’est pourquoi, tout au long de cette matinée, je vous demanderai, monsieur Ayrault, à vous et à l’ensemble de vos amis socialistes et communistes, de nous dire clairement, en français et avec des mots que tout le monde comprenne, que votre intention est bien de revenir à soixante ans…

M. Alain Néri. Bien sûr !

M. Jean-François Copé. …en diminuant le niveau des pensions des Français. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ainsi, chacun sera parfaitement éclairé sur les enjeux de cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Vous et moi connaissons le règlement, monsieur le président. J’indique donc simplement que je vais m’exprimer, comme vient de le faire M. Copé.

Je ne suis pas du tout gêné par votre question, monsieur Copé, et il n’est nullement besoin d’employer un ton d’une telle virulence, dans le dessein d’effrayer tout le monde. Je suis vos déclarations depuis un certain temps – j’ai même cité vos propos hier.

M. Dominique Dord. C’est gentil de votre part !

Mme Valérie Rosso-Debord. Pas sûr !

M. Jean-Marc Ayrault. Il y a quelques années, juste avant 1982, la gauche a fait accomplir, avec François Mitterrand, un bond social considérable à notre pays, en instaurant le droit à partir à la retraite à soixante ans.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Un grand bond en arrière !

M. Jean-Marc Ayrault. Si l’on revient un peu plus en arrière, juste avant 1981, certains de vos amis – peut-être vous-même étiez-vous trop jeune à l’époque – prédisaient les pires horreurs pour le pays si jamais François Mitterrand devenait Président de la République.

Mme Valérie Rosso-Debord. On les a eues !

M. Jean-Marc Ayrault. Les chars russes allaient entrer dans Paris ; vous vous en souvenez sans doute, même si vous faites mine, aujourd’hui, d’avoir oublié. Vous continuez cependant à tenir un discours dans le même registre, en affirmant que si, par malheur, la gauche revenait à la tête du pays, ce serait la ruine de la France. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. Eh oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Copé, réfléchissez-vous un instant à ce que vous dites sans cesse depuis quelques jours ? Avez-vous oublié que depuis votre arrivée au pouvoir, en particulier depuis 2007, les déficits publics n’ont jamais été aussi élevés ? Que jamais la dette de la France n’a été aussi importante ? Est-ce la gauche qui nous a mis dans cette situation, ou est-ce vous ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. Ce n’est pas la question ! Répondez à la question !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez la mémoire courte, et oubliez un peu vite que la situation préoccupante que nous connaissons, si elle peut être imputée pour partie à la crise, est essentiellement de votre responsabilité.

Mme Valérie Rosso-Debord. Ce n’est pas la question !

Mme Catherine Coutelle. Mais si, c’est la question !

M. Jean-Marc Ayrault. Cette situation résulte des choix de politique budgétaire et fiscale que vous avez faits depuis 2007, le paquet fiscal et les mesures complémentaires que vous avez imposés ayant eu pour effet d’appauvrir les recettes de l’État et de créer encore plus d’injustice,…

M. Richard Mallié. Arrêtez, tout le monde sait que c’est structurel !

M. Jean-Marc Ayrault. …le symbole de cette injustice étant le bouclier fiscal, auquel vous ne voulez toucher à aucun prix. C’est cela, la réalité de votre politique : une politique qui pénalise la France et n’a aucune ambition en matière d’emploi.

Or chacun sait très bien qu’au cœur de l’avenir de notre système de protection sociale et de notre système de retraite, la question de l’emploi est essentielle pour permettre aux gens de vivre dignement, mais aussi pour que les comptes sociaux soient alimentés par les cotisations et les impôts que payent les personnes qui ont un emploi.

Telle est la réalité de la France aujourd’hui, une réalité dont vous avez la responsabilité, même si vous voudriez nous le faire oublier par l’invective et la caricature.

M. Richard Mallié. Nous avons hérité de la situation !

M. Jean-Marc Ayrault. Que répétons-nous depuis le début de l’examen de ce projet de loi à l’Assemblée nationale ? Que vous avez la mémoire courte. Vous oubliez la réforme de 2003, qui a diagnostiqué, à juste titre, un problème démographique pour l’avenir du système de retraite.

M. Yves Bur. Maintenant vous la revendiquez !

M. Jean-Marc Ayrault. D’ailleurs les travaux du COR établissent régulièrement le diagnostic de la situation.

Les décisions qui ont été prises en 2003 s’appliquent et vous continuer de s’appliquer. Vous faites semblant d’oublier que le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier de sa retraite à taux plein ne cesse de progresser ; il atteindra 166 trimestres en 2020, c’est-à-dire quarante et une annuités et demi.

Est-ce que nous contestons le problème démographique ? Non, nous acceptons ce diagnostic – que certains peut-être contestent –, parce que nous prenons nos responsabilités. Aujourd’hui cependant, parce que vous n’avez pas tout réglé – les déficits demeurent et sont sans doute liés aux hypothèses que vous aviez avancées en 2003, bien qu’ils soient évidemment accentués par la crise –, vous voulez de nouveau faire payer aux seuls salariés la facture de ces difficultés. Cela, nous ne pouvons pas l’accepter.

Je rappelle que votre projet de loi de réforme des retraites fait porter la charge financière à 95 % sur les salariés et à 5 % seulement sur les revenus financiers. Cela constitue une injustice évidente.

Au-delà vous faites preuve d’un très grand cynisme et d’une très grande hypocrisie.

M. Jean-François Copé. Et vous, d’une très grande langue de bois ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault. D’abord, si vous étiez un peu rigoureux, vous analyseriez plus sérieusement les propositions des socialistes.

M. Yves Bur. Parlez-nous donc de la retraite à la carte !

M. Jean-Marc Ayrault. Je rappelle que nous proposons – et c’est un engagement que nous prenons si nous revenons au pouvoir en 2012 – que les personnes qui souhaitent et peuvent partir à soixante ans retrouvent ce droit que vous voulez leur supprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nous proposons aussi la retraite à la carte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Bur. C’est la retraite pour les plus riches !

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est tout sauf la retraite par répartition !

M. Jean-Marc Ayrault. Il est un autre engagement que nous prenons, et que je tiens à rappeler ici.

Comme tout se tient, nous sommes opposés à l’autre mesure d’âge de votre projet, sur laquelle le Premier ministre a dit qu’il ne bougerait pas. Nous reviendrons donc aussi sur l’âge auquel on peut bénéficier de sa retraite à taux plein, que vous voulez faire passer de soixante-cinq à soixante-sept ans.

Par ailleurs, vous êtes d’un cynisme absolu – ce qui est peut-être d’ailleurs le cas d’autres gouvernements en Europe, mais pas tous – parce ce que vous savez très bien que certaines personnes, du fait de leurs conditions de travail, ne pourront pas attendre soixante-sept ans pour bénéficier d’une retraite, même petite, à taux plein. Cela est vrai des ouvriers et de ceux qui ont eu des carrières hachées. Je pense notamment aux femmes, mais pas seulement, car il y a aussi ceux qui ont été longtemps au chômage et qui ont retrouvé du travail, mais avec de petits salaires, sans oublier les personnes en situation précaire, nombreuses dans notre pays. Tous ceux-là ont bien compris de quoi il retournait, et c’est aussi pour cela qu’ils sont allés manifester massivement mardi.

Tel est le calcul cynique que vous avez fait.

De plus vous contestez nos hypothèses de retour au travail des seniors, en soulignant que nous sommes irréalistes !

Mme Valérie Rosso-Debord. Même Le Monde le dit !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous comptez sur le fait que ces personnes partiront plus tôt avec une décote, c’est-à-dire avec une retraite encore plus faible que ce qu’elles peuvent percevoir aujourd’hui…

M. Yves Bur. Ce serait ça, la retraite à la carte !

M. Jean-Marc Ayrault. …pour réduire une partie des problèmes financiers de notre système de retraite.

Marisol Touraine a bien expliqué ce qu’il faut penser du passage de soixante à soixante-deux ans, mais je tiens à insister sur ce sujet à votre intention, monsieur Copé, mais aussi pour que l’on soit compris au-delà des bancs de l’Assemblée nationale.

Oui, il faut garder le droit de partir à soixante ans, sinon cela empêcherait ceux qui auront suffisamment d’années de cotisation de partir à soixante ans. Vous leur direz qu’ils n’ont plus le choix, car il faut sauver le système de retraite par répartition, et qu’ils devront donc travailler deux ans de plus. Or qui sont ces personnes ? Ce sont souvent des ouvriers, des personnes qui travaillent dur, qui ont besoin de partir plus tôt, et pour lesquelles d’ailleurs les dispositifs concernant la pénibilité devraient être améliorés.

Elles seront les premières victimes de votre réforme, et vous voulez nous faire croire que c’est pour eux que vous la faites ? Ce sont justement ces hommes et ces femmes qui travaillent dur que vous êtes en train d’accabler davantage ! Telle est la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-François Copé. Mais ce n’est pas la réponse à ma question !

M. Jean-Marc Ayrault. Alors, puisqu’il y a cette crise – au demeurant scandaleuse et choquante – du système capitaliste financier, il faut trouver des solutions. Mais croyez-vous que l’on doive les mettre en œuvre uniquement sur le dos des salariés ? Nous répondons par la négative : il est indispensable de dégager des ressources nouvelles, et c’est ce que nous proposons dans notre projet. Celui-ci a sa cohérence et il s’inscrit dans la durée, puisqu’il est financé jusqu’en 2025, alors qu’avec le vôtre – le Premier ministre l’a confirmé – il faudra un nouveau rendez-vous en 2018. Ce dernier sera d’ailleurs d’autant plus nécessaire que vous réalisez une opération honteuse : le siphonage du fonds de réserve (Approbations sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Rosso-Debord. Ce n’est pas vrai !

M. Yves Bur. C’est la vache sacrée des socialistes !

M. Jean-Marc Ayrault. …que nous avons mis en place et que vous avez refusé d’abonder, alors qu’il avait été précisément créé pour faire face au pic démographique de 2020. De plus, il concerne au premier chef la retraite des plus jeunes, ceux qui aujourd’hui doutent et se disent qu’ils n’auront pas de retraite.

M. Pascal Terrasse. C’est un hold-up sur les générations futures !

M. Jean-Marc Ayrault. Avez-vous été attentifs à ce qui se dit depuis plusieurs mois dans la rue lors des manifestations ? Avez-vous écouté les propos tenus par les personnes interrogées dans le reportage précédant l’émission d’hier soir ? N’avez-vous pas été frappés par le pessimisme, en particulier celui des jeunes et des femmes ? Cela correspond à la réalité qu’ils vivent, en particulier les femmes, qui espèrent une retraite correcte alors que l’on sait que leurs pensions sont en moyenne de 900 euros à peine, contre 1 300 euros pour les hommes. On voit bien qu’il y a là une injustice centrale dans notre société. Quant aux jeunes, ils ne croient pas un mot de ce que vous leur racontez ; ils pensent qu’ils n’auront pas de retraite.

Sur l’affaire du fonds de réserve, on a bien vu hier soir que le Premier ministre était dans l’embarras.

M. Pascal Terrasse. Il était incompréhensible !

M. Jean-Marc Ayrault. On ne pouvait pas croire un instant à ce qu’il racontait. C’est un hold-up pur et simple que de pénaliser ainsi les générations les plus jeunes de notre société.

M. Christian Eckert. Aux voleurs ! Rendez l’argent !

M. Dominique Dord. Arrêtez, c’est vous les sapeurs Camember !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous n’avons donc pas peur de vos propos, monsieur Copé. Nous assumons pleinement ce qui a été dit hier soir, parce que nous avons un projet cohérent, différent du vôtre. Ce projet, si nous le mettions en œuvre, sauverait le système de retraite par répartition. Surtout, il est juste et équitable, ce qui n’est pas le cas du vôtre.

Ce matin, nous abordons bien, en effet, avec l’article 5 et les suivants, la question centrale. Deux projets sont en présence, et la bataille va continuer, projet contre projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Jean-François Copé. Monsieur Ayrault, vous avez parlé de tout, mais vous n’avez pas répondu à la question que j’ai posée.

M. François de Rugy. Vous devriez ouvrir vos oreilles !

M. Jean-François Copé. J’ai demandé si vous confirmiez la formule utilisée hier soir à la télévision par Ségolène Royal, selon laquelle, si la gauche revenait au pouvoir un jour, elle ferait passer à nouveau l’âge légal de soixante-deux à soixante ans,…

M. Jean-Marc Ayrault. Je l’ai dit !

M. Jean-François Copé. …quitte à diminuer les pensions (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

J’attendais de vous une seule phrase. Je voulais que vous, président du groupe SRC, reconnaissiez simplement, pour que les Français le sachent que si la gauche accédait au pouvoir, nous reviendrions à l’âge légal de soixante ans, au mépris du financement des retraites pour l’avenir des Français. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Copé, m’avez-vous écouté ou bien étiez-vous dans vos notes ? J’ai dit clairement que nous assumions les engagements pris hier soir sur le droit de partir à soixante ans,…

M. Yves Bur. Et de baisser le niveau des retraites !

M. Jean-Marc Ayrault. …et qu’en 2012, si nous étions au pouvoir, nous le rétablirions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. À ce stade du débat, je tiens à intervenir pour souligner que, comme le président du groupe UMP, je ne crois pas que vous reviendrez sur les propositions que nous faisons, c'est-à-dire notamment sur le recul de l’âge légal de départ en retraite. Si vous le faisiez, ce serait au prix d’une baisse massive des pensions (Approbations sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Pascal Terrasse. C’est la liberté de choix !

Mme Valérie Rosso-Debord. Dites plutôt la liberté de gagner moins!

M. Éric Woerth, ministre du travail. …comme Jean-François Copé l’a dit clairement, parce qu’il n’y aura pas d’autre solution.

Vous avez, sur le sujet des retraites, systématiquement une réforme de retard. On l’a très bien montré : vous êtes d’accord en 2010 avec la réforme de 2003…

M. Pascal Terrasse. Non, absolument pas !

M. Éric Woerth, ministre du travail. …et vous serez d’accord avec la réforme d’aujourd’hui lorsque l’on reparlera, dans un rendez-vous ultérieur, de l’évolution des retraites ; car on en parlera encore souvent dans la société française. Telle est la réalité.

La retraite choisie, c’est la petite pension subie.

M. Alain Néri. Allez dire ça aux agriculteurs !

M. Éric Woerth, ministre du travail. C’est ainsi que les choses se passeront, monsieur Ayrault.

Par ailleurs, la crise a accéléré les difficultés de financement des retraites. Avec elle, nous avons malheureusement pris vingt ans d’avance dans le déficit des retraites et elle pose des questions structurelles. C’est évidemment pour cela que lier la question démographique à celle des recettes revient à faire la réforme que nous proposons. Il s’agit tout simplement d’un principe de responsabilité.

Enfin je veux souligner qu’il ne faut pas confondre le régime de retraite et les systèmes sociaux. Si l’on confond tout, on ne comprend plus rien à la manière d’organiser les prestations sociales en France.

Vous avez raison, monsieur Ayrault : les personnes qui sont aujourd’hui au chômage et attendaient l’âge de la retraite posent problème. Je vous rejoins sur ce point. Nous allons donc développer le régime de l’allocation équivalent retraite, l’AER, (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) pour faire en sorte que personne ne se retrouve sans solution. Le Premier ministre l’a annoncé hier et nous l’avons dit en commission, après en avoir discuté sur l’initiative de Valérie Rosso-Debord.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Très juste !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Nous allons évidemment prolonger un certain nombre de systèmes sociaux, mais on ne peut pas considérer uniquement que, parce qu’il y a du chômage en France, il faut que les gens partent de plus en plus tôt pour libérer des postes pour les jeunes. Ce serait une politique inimaginable, signifiant que l’on ne croit pas à la possibilité de réduire le chômage et à la capacité de la France à retrouver son niveau économique.

M. Jean Mallot. Vous avez montré de quoi vous êtes capables en la matière !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Ce sont les politiques de l’emploi qui doivent lutter contre le chômage. Or celle que nous menons commence à avoir des résultats. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La retraite n’est pas une solution pour l’emploi. Allez-vous donc faire partir les gens à quarante ans ?

De la même façon, il ne faut pas confondre les systèmes sociaux – dont notre pays s’est doté et dont nous pouvons être fiers – et la retraite.

M. Alain Néri. Il ne faut pas confondre non plus Bettencourt et Billancourt !

M. Éric Woerth, ministre du travail. La retraite est un autre type de droit. Faisons bien la différence entre les deux.

Bref, vous ne reviendrez pas sur cette réforme.

M. Alain Néri. Nous y reviendrons, mais vous serez parti avant !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Si vous le faites, ce sont les Français qui le paieront par une diminution drastique du niveau des retraites. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, pour la clarté des débats, j’ai laissé la parole aux présidents de groupe qui voulaient s’exprimer en plus des orateurs inscrits sur l’article, lesquels sont déjà très nombreux.

M. François Bayrou. J’espère que ce sera décompté du temps global !

M. Pascal Terrasse. Laissez le président présider !

M. le président. Les présidents de groupe ont un temps de parole particulier, mon cher collègue.

Je vais encore accorder la parole à deux orateurs pour des rappels au règlement, après quoi nous reviendrons aux prises de parole sur l’article, sinon nous n’allons pas nous en sortir ! (Sourires.)

La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine. Oui, monsieur Copé, votre réforme est injuste ; donc nous reviendrons dessus. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Vautrin. Comment ?

Mme Marisol Touraine. Non, monsieur Copé, votre réforme n’est pas financée ; nous reviendrons dessus si nous sommes à nouveau au pouvoir.

Les choses sont parfaitement claires, et elles le sont d’autant plus que, quel que soit le gouvernement en 2012, il se trouvera confronté à une réalité bien différente de celle que vous présentez aux Français.

M. Pascal Terrasse. Voilà la vérité !

Mme Marisol Touraine. En effet, votre réforme n’en est pas une. Elle ne garantit absolument pas le rétablissement des comptes ; elle ne garantit absolument pas que les Français pourront toucher une retraite dans les prochaines années ; elle n’envoie pas aux jeunes générations un signal leur disant qu’elles peuvent compter sur la solidarité et sur le régime de retraite par répartition.

Pour toutes ces raisons, monsieur Copé, n’essayez pas d’enfoncer un coin entre je ne sais quelles tendances différentes au sein de notre groupe. Ne prétendez pas nous faire dire des choses que nous aurions du mal à assumer, car nous assumons parfaitement : votre réforme est mauvaise ; elle n’est pas acceptable socialement ; elle n’est pas tenable financièrement ; elle devra donc être entièrement revue en 2012 si la gauche arrive au pouvoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Bur. Avec des intérêts ! Cela va coûter cher !

Mme Marisol Touraine. Monsieur Copé, puisque vous posez beaucoup de questions, je veux à mon tour vous interroger : comment se fait-il, si ce n’est pas la crise qui explique votre réforme, que Nicolas Sarkozy ait pris des engagements à ce point clairs et fermes devant les Français en 2007, et qu’il les ait répétés en 2008 face au MEDEF et à Mme Parisot ?

M. Pascal Terrasse. C’est une girouette !

Mme Marisol Touraine. Comment se fait-il qu’il ait dit qu’il ne reviendrait pas sur l’âge légal de départ en retraite à soixante ans parce que c’était une conquête sociale qu’il avait même prétendu un jour avoir votée, ce qui relève évidemment du fantasme le plus complet ?

Mme Catherine Coutelle. Absolument !

M. Pascal Terrasse. Voilà, encore un mensonge !

M. Christophe Caresche. C’est lui qui trahit les Français !

M. Daniel Vaillant. C’est comme pour le mur de Berlin, qu’il est censé avoir vu tomber !

Mme Marisol Touraine. Comment se fait-il donc que M. Sarkozy revienne aujourd’hui sur les engagements pris, si la donne démographique s’impose tellement à nous ? Elle n’a pourtant pas changé depuis 2007 et depuis 2008, mais cela n’a pas empêché M. Nicolas Sarkozy de prendre ces engagements.

M. Pascal Terrasse. C’est un menteur !

Mme Marisol Touraine. La vérité, c’est que Nicolas Sarkozy a dupé les Français : il a menti au peuple français, qui lui a rappelé ses engagements dans la rue l’autre jour. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais non !

Mme Marisol Touraine. La vérité, c’est que vous continuez à proposer une réforme fondée sur le mensonge, sur l’hypocrisie, sur la duperie. Les Français vont très vite se rendre compte que ce que vous leur proposez n’est qu’un feu de paille ; ils le savent déjà d’ailleurs, et ils sont dans la rue pour montrer qu’ils attendent d’autres réponses : la vérité et le respect des engagements.

À l’évidence, la vérité n’est pas dans votre camp. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Huyghe. Calmez-vous, la crise cardiaque vous guette !

M. Denis Jacquat, rapporteur. « Mensonge », vous ne connaissez que ce mot.

M. le président. Je rappelle que les temps de parole des orateurs sont décomptés.

La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Je ne peux pas laisser tenir de tels propos sur le Président de la République ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sarkozy est le Président de la République française, et le Président de la République française est confronté à un déficit de 30 milliards d’euros sur les retraites !

Mme Marie-Françoise Clergeau. A-t-il, oui ou non, pris ces engagements ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Si vous voulez que les retraites des Français ne soient plus payées, il suffit de le dire. Si vous considérez qu’il ne faut rien faire sur les retraites, il suffit de le dire. Si vous considérez que l’immobilisme est la seule solution, il suffit de le dire. Si vous pensez que les jeunes devront supporter les charges que vous ne voulez pas faire payer par les actifs d’aujourd’hui, il suffit de le dire.

Mme Claude Greff. Oui, c’est cela qu’ils veulent !

M. Pascal Terrasse. Justement, parlons des jeunes générations !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Votre attitude n’est pas responsable. Votre attitude n’est pas digne des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

M. Daniel Vaillant. Inutile de donner des leçons !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Je ne vois pas pourquoi alors que les dirigeants allemands, les dirigeants espagnols, les dirigeants anglais, les dirigeants suédois sont à la hauteur de leurs responsabilités dans le domaine des retraites, les dirigeants français, c’est-à-dire le Président de la République et le Gouvernement, ne prendraient pas leurs responsabilités.

Regardez les choses en face ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Claude Greff. Ils ne peuvent pas, ils sont socialistes !

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas à choisir entre l’immobilisme et votre réforme. Une réforme progressiste des retraites est possible.

Mme Valérie Rosso-Debord. Une réforme communiste !

M. Jacques Domergue. Avez-vous entendu ce qu’a dit Castro ?

Mme Marie-George Buffet. Oui, nous sommes aux côtés des salariés en lutte contre vos mesures, et nous irons jusqu’au bout en prenant l’engagement de revenir à la retraite à soixante ans à taux plein avec des pensions permettant de vivre, si, demain, la gauche est au pouvoir.

Votre réforme est injuste parce qu’elle frappe les plus démunis, les femmes aux carrières hachées, les ouvriers. Elle est injuste parce qu’une nouvelle fois, vous répartissez la richesse produite par le travail au profit de ceux qui ont le plus, vers les dividendes des actionnaires. Cette réforme est un véritable racket du monde du travail.

Nous reviendrons à la retraite à soixante ans à taux plein car il existe d’autres solutions. Je refuse cette partie de ping-pong entre l’UMP et le parti socialiste, et je demande qu’on discute de la proposition de loi des députés communistes et du Parti de gauche, qui offre une alternative de financement.

Mme Valérie Rosso-Debord. Eh bien discutons enfin des amendements !

Mme Marie-George Buffet. Nous proposons de faire cotiser les revenus financiers. Vous parlez, monsieur le ministre, d’un déficit de 30 milliards ; mais en faisant cotiser les revenus financiers à un taux de 9,9 %, on ferait entrer 30 milliards dans les caisses de retraite !

Nous proposons, pour les entreprises, des cotisations intelligentes, afin de favoriser celles qui développent l’emploi stable.

Nous proposons une véritable bataille pour l’emploi.

Arrêtez de répéter qu’il n’y a pas d’autre solution que votre réforme. Les députés communistes et du Parti de gauche en proposent : acceptez d’en débattre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Article 5 (suite)

M. le président. Nous en revenons aux inscrits sur l’article.

La parole est à Mme Cécile Dumoulin.

Mme Cécile Dumoulin. L’article 5 est bien l’article clé de cette réforme : cela a été dit et ce sera répété. Il constitue le point de divergence majeur entre la droite et la gauche, entre le réalisme et la démagogie.

Le principe du recul de l’âge de départ à la retraite n’a jamais fait débat dans notre majorité, la seule variable d’ajustement pouvant être le nombre d’années, même si l’allongement de la durée de cotisation a été envisagé.

En fait, il n’y avait pas d’autre choix.

L’augmentation du taux de cotisation a été écartée car cela constituerait un facteur de charges supplémentaires sur les entreprises, donc un frein à l’emploi et une perte de compétitivité, ce qui irait à l’encontre de toute la politique menée par notre gouvernement depuis plusieurs années.

M. Pascal Terrasse. Politique dont on voit chaque jour les résultats !

Mme Cécile Dumoulin. L’hypothèse d’une diminution des pensions n’a jamais été envisagée non plus car elle est inenvisageable.

Quant à la quatrième option, que vous vous plaisez à rappeler, qui consisterait à élargir la base des recettes et qui serait censée rapporter 31 milliards d’euros, notre collègue Charles de Courson a brillamment démontré il y a deux jours combien elle manque de réalisme et d’efficacité.

Le choix du recul de l’âge de départ à la retraite a été fait par quasiment tous les pays. Je sais qu’on aime parler de l’exception française, mais on ne peut pas être le seul pays à s’arc-bouter sur l’âge symbolique de soixante ans, glorieux héritage d’un passé révolu. Refuser la réalité et laisser croire aux Français qu’on peut garantir les retraites en partant à soixante ans est une attitude irresponsable inspirée par une idéologie archaïque.

Gouverner, c’est prévoir ; c’est prendre des décisions qui nous engagent pour l’avenir. Les Français méritent un discours de vérité et ne doivent pas se laisser berner par les leurres et séduire par les sirènes socialistes.

Les seules réformes responsables des retraites ont été menées par la droite cela a été dit et ce sera répété. Il y a eu en 2003 l’augmentation des annuités de cotisation et le dispositif « carrières longues » et, en 2008, la réforme des régimes spéciaux.

D’après M. Ayrault, vous avez accepté la réforme de 2003. Que ne l’avez-vous votée en 2003 ! Vous ne voterez sans doute pas celle-ci non plus mais vous reviendrez encore sur cette décision dans quelques années.

On peut d’ailleurs légitimement s’interroger sur le point de savoir si la retraite à soixante ans votée en 1982 et qui a été vécue comme une avancée sociale, était une décision visionnaire. Les dirigeants connaissaient les données sur l’allongement de la durée de la vie et les prévisions pour les années à venir. Je vous rappelle qu’entre 1960 et 2010, l’espérance de vie a progressé de douze ans.

M. Roland Muzeau. C’est le progrès ! Vous voudriez une nouvelle canicule pour tuer les vieux ?

Mme Cécile Dumoulin. On ne peut pas dire que travailler aujourd’hui est plus difficile qu’hier : on travaille moins, les conditions de travail se sont améliorées, grâce d’ailleurs au partenariat entre les syndicats et les entreprises. Les propositions de cette réforme, notamment sur la santé au travail, vont d’ailleurs dans le bon sens.

Mme Marie-George Buffet. Vous voulez transformer la retraite en invalidité !

Mme Cécile Dumoulin. Le dispositif « carrières longues » est essentiel, car, quand on rentre tôt dans le monde du travail, il est tout à fait légitime de partir plus tôt, d’autant que les métiers exercés avec une faible qualification sont souvent des métiers manuels, donc les plus difficiles.

Gouverner, c’est prévoir.

M. Michel Ménard. Nicolas Sarkozy ne prévoyait pas ces problèmes, il y a trois ans ?

Mme Cécile Dumoulin. Gouverner, c’est donc prendre des décisions responsables. Nous sommes, au groupe UMP, très attachés à la retraite par répartition, qui permet une véritable solidarité.

M. Roland Muzeau. Vous êtes surtout très attachés au capital !

Mme Cécile Dumoulin. Néanmoins la solidarité entre générations, entre actifs et retraités, ne doit pas s’exercer en faisant peser un déficit financier trop important sur les générations futures.

Mme Marie-Hélène Amiable. Vive les fonds de pension !

Mme Cécile Dumoulin. On a souvent entendu parler de droit à la retraite. Les droits sont certes important. Cependant, j’aimerais entendre ici parler de devoirs : devoir de vérité, devoirs vis-à-vis des générations futures, même s’il en coûte.

Mme Marie-Hélène Amiable. Commencez par leur donner du boulot !

Mme Cécile Dumoulin. Notre réforme garantit un équilibre financier des retraites jusqu’en 2018.

Oui, gouverner, c’est prévoir ; l’obstination et l’entêtement de la gauche à refuser la réalité démographique et financière lui font perdre toute crédibilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Desallangre. La vérité, c’est que vous ne sollicitez jamais les riches !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas.

M. Jean-Pierre Nicolas. À l’évidence, cet article 5 est au cœur de la réforme de notre système de retraite. Sans cette réforme, avec les déficits annoncés – sur lesquels je ne reviens pas –, le système par répartition tel que nous le connaissons, notamment le niveau des pensions, serait menacé. Je souscris donc tout à fait aux propos de Jean-François Copé.

Notre pays a entamé le relèvement de la durée d’activité avec la réforme de 2003 pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie. Dans ce cadre, la durée de cotisation sera de quarante et un ans en 2012 et devrait être de quarante et un ans et demi en 2020, ou un peu plus peut-être. Malgré tout cette augmentation de la durée de cotisation ne permettrait pas de garantir la pérennité financière de notre système de retraite.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, vous avez dû choisir entre deux options : accroître encore la durée des cotisations – une solution pénalisante pour nos concitoyens entrés tardivement dans la vie active à la suite d’études longues, comme notre excellent collègue Dominique Dord l’a très bien montré hier après-midi – ou bien relever l’âge légal de départ à la retraite.

Vous avez choisi la seconde option. C’est un choix pertinent parce qu’il est raisonnable : il conduit à un effort partagé par l’ensemble des Français, avec un aménagement pour ceux qui ont été particulièrement marqués par leur vie professionnelle.

Ce choix est d’autant plus pertinent que notre pays se caractérise par l’un des âges légaux les plus bas d’Europe et que l’augmentation de la durée d’activité se fera de manière progressive tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

Toutefois – et c’est le sens d’un amendement que je défendrai – le recul de l’âge légal de départ à la retraite pourrait ne pas s’appliquer aux assurés qui atteindront l’âge de soixante ans à partir du second semestre 2011 et qui auront épuisés leurs droits à l’allocation chômage qu’ils perçoivent actuellement avant la date initialement prévue de perception de leur pension de retraite. Reculer de quatre mois la date de jouissance de leur retraite entraînera une modification de leurs anticipations particulièrement dommageable : certains ont bien compris que, dans le système actuel, ils pourraient se trouver un ou deux mois sans aucun revenu ; mais avec six mois sans revenus, la donne change complètement.

L’application de l’allocation équivalent retraite à ces situations a été évoquée en commission, mais cela nécessite à mon sens une adaptation, afin que cette allocation couvre effectivement le montant de l’allocation chômage en cours jusqu’à la date effective de l’entrée en vigueur de la retraite.

M. Alain Vidalies. Combien cela coûterait-il ?

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Cet article est évidemment essentiel, puisqu’il fixe le moment de l’ouverture du droit à la retraite. Cette mesure est inévitable et logique, en raison de l’accroissement de l’espérance de vie. Elle doit bien sûr être rendue plus équitable en proportion de la durée de la vie active – ce sont les carrières longues – et de la pénibilité des métiers, avec les difficultés soulignées hier par Jean Leonetti.

Il s’agit de la cinquième révision de notre système. Ces petits pas commencés en 1993, étaient rendus nécessaires par l’économie et la démographie. Ces avancées auront été d’autant plus appréciables qu’elles se sont opposées à l’immobilisme démagogique et irresponsable de la gauche au pouvoir.

La France n’est pas une île dans l’océan de la compétitivité.

M. Jean Mallot. C’est sûr que nous ne sommes pas les Seychelles !

M. Christian Vanneste. L’absurdité du mensonge proféré hier par Mme Royal met l’accent sur un mot que M. Ayrault a employé tout à l’heure : le cynisme. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Quel cynisme démagogique quand vous prétendez que vous modifieriez à nouveau l’âge de départ pour revenir à soixante ans ! En effet, vous savez très bien que les problèmes d’aujourd’hui sont dus au chômage et à la crise. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Mallot. C’est votre crise, et surtout vos déficits !

Mme Marie-Hélène Amiable. Et votre chômage !

M. Christian Vanneste. En alourdissant les charges qui pèsent sur l’économie, vous augmenterez le chômage et vous ne réglerez pas le problème des retraites. Vous le savez bien ; alors cessez de mentir !

M. Michel Ménard. Vous êtes tellement mal à l’aise avec votre réforme que vous rejetez tout sur les socialistes !

M. Christian Vanneste. Cependant, chacun sait aussi que cette nouvelle loi, précipitée par la crise, ne règlera pas le problème à long terme mais seulement pour la décennie qui vient. C’est pourquoi on peut formuler un regret : plutôt qu’une nouvelle réforme paramétrique, il aurait été nettement préférable de procéder – en prenant le temps, en faisant preuve de responsabilité par-delà l’opposition entre la droite et la gauche – à une réforme systémique.

Ainsi que M. le Premier ministre l’a souligné hier soir : il n’y a pas de loi définitive.

M. Alain Néri. Vous avez raison ; c’est d’ailleurs pour cela que nous allons abroger celle-ci !

M. Christian Vanneste. Notre système doit être adapté en permanence. Il est très clair que ce que nous votons aujourd’hui répond à un problème conjoncturel ; ce n’est pas une solution définitive.

Or il existe un pays qui a répondu au problème posé par le Premier ministre de la nécessité d’une adaptation permanente : c’est la Suède. Les Suédois ont en effet mis en place, avec l’accord de cinq partis sur sept, une réforme dite « des comptes notionnels », qui a le mérite précisément de faire passer au second plan le problème de l’âge pour mettre en avant la question essentielle de l’espérance de vie.

Le système suédois fait appel très majoritairement à la répartition – 16 points de prélèvement – et marginalement à la capitalisation : 2,5 points. Il est surtout caractérisé par la liberté et la responsabilité qui sont offertes aux travailleurs.

M. Jean Mallot. Et une baisse des pensions !

M. Christian Vanneste. Ceux-ci peuvent opérer un véritable choix. Régulièrement informés par les lettres orange qu’Yves Bur nous a montrées hier, leur décision se prend en fonction du nombre d’années travaillées et cotisées, qui augmente le capital virtuel dont ils disposent, et de l’espérance de vie, qui, de manière inverse, fait varier le coefficient de conversion.

M. Alain Néri. L’espérance de vie est très inégale entre les Français !

M. Christian Vanneste. Des contributions publiques permettent en outre d’augmenter le capital virtuel par exemple pour les années consacrées à l’éducation des jeunes enfants ou aux études.

Nous aurions pu, sur la base d’une telle réforme structurelle, introduire des variables liées à l’investissement familial et associatif, comme j’ai vainement essayé de le faire hier. Ces variables auraient agi sur le capital virtuel tandis que d’autres, axées sur la pénibilité, par métier par exemple, auraient concerné le coefficient de conversion.

Je crains que nos successeurs, qu’ils soient de gauche ou de droite, doivent, comme l’a dit le Premier ministre hier, remettre l’ouvrage sur le métier.

M. Alain Néri. Vous avez déjà admis que vous auriez des successeurs ? C’est bien !

M. Christian Vanneste. Cette loi est nécessaire, elle n’est pas définitive, c’est une évidence.

M. le président. La parole est à M. Jacques Domergue.

M. Jacques Domergue. Avec l’article 5, nous sommes au cœur même de la réforme, puisqu’il propose le recul à soixante-deux ans de l’âge légal de départ à la retraite.

Quels sont les objectifs fixés par le Gouvernement ?

D’abord, nous devons sauver le régime par répartition. Cela impose certaines règles. J’ai cru comprendre que, sur les bancs en face, on ne parlait pratiquement plus de régime par répartition. On entend surtout parler de régime à la carte.

Mme Marie-Hélène Amiable. Vous voulez le liquider le régime par répartition !

M. Jacques Domergue. Ensuite, nous devons agir de manière progressive et indolore.

M. Alain Néri. Indolore pour qui ?

M. Jacques Domergue. La montée en charge progressive de la réforme permettra aux Français de passer à soixante-deux ans sans baisse réelle du pouvoir d’achat.

M. Roland Muzeau. Ils ne vont même pas s’en rendre compte, c’est génial ! Vous prenez les Français pour des abrutis ?

M. Jacques Domergue. Enfin, le système doit pouvoir évoluer.

La réforme du régime de retraite par répartition à la française est avant tout un problème démographique. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jacques Desallangre. Mais non !

M. Jacques Domergue. Nous l’avons déjà dit, mais nous devons le répéter parce que vous avez du mal à le comprendre.

M. Jacques Desallangre. Ce n’est qu’une donnée de problème !

M. Jacques Domergue. Je ne reprendrai pas la démonstration pédagogique que les différents ministres ont faite ici et le Premier ministre hier sur France 2, ni les trois paramètres d’équilibre du système. Les Français ont compris, j’aimerais que vous l’admettiez une bonne fois pour toutes.

M. Michel Issindou. Ils ont bien compris : ils sont dans la rue !

M. Jacques Domergue. Ils ont compris que quand on vit plus longtemps et, surtout, quand on bénéficie plus longtemps de la période de retraite, il est normal de travailler plus longtemps.

M. Jean-Claude Sandrier. Qui a inventé cette formule ?

M. Jacques Domergue. Si on n’augmente pas la durée de cotisation, comme vous voulez le faire, il faut diminuer les pensions. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marie-Hélène Amiable. Elles ont déjà diminué de 20 % !

M. Jacques Domergue. C’est tellement évident que tous les Français l’ont compris.

Quand on passe, en quelques dizaines d’années de 4 cotisants pour un actif à 1,8 – et probablement à 1,2 dans les dix ans qui viennent –, inévitablement le système devient déficitaire, car il est déséquilibré. Il n’existe donc pas 36 000 solutions.

M. Alain Néri. On peut prendre sur les paris en ligne !

M. Jacques Domergue. Soit on ponctionne dans la poche des Français et on diminue leur pouvoir d’achat, soit on étrangle, comme vous voulez le faire, les retraités et on diminue les pensions. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marie-Hélène Amiable. Prenez dans la poche du capital !

M. Jacques Domergue. C’est une équation à trois variables, ce n’est pas une histoire de sorcières.

M. Jacques Desallangre. Non, vous en oubliez une !

M. Jacques Domergue. Et la crise, que vient-elle faire là-dedans, me direz-vous, puisque vous mettez tout sur le dos de la crise ? (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Mallot. C’est vous qui vous en servez d’argument !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. M. Woerth l’a fait hier !

M. Jacques Domergue. La crise n’est en fait qu’un révélateur et un accélérateur du déséquilibre. L’augmentation du chômage entraîne une réduction du nombre de cotisants. C’est de la mécanique et les Français sont champions en mathématiques, vous devriez le comprendre. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Je suis heureux, en tant que parlementaire, d’avoir entendu le Gouvernement et le Président de la République réaffirmer qu’on ne reviendrait pas sur le passage à soixante-deux ans. Il y va de la crédibilité tant du Gouvernement que de la réforme. (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Vous avez peur des agences de notation, c’est ça !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, vous aurez la parole chacun à votre tour. Seul M. Domergue l’a actuellement.

M. Jacques Domergue. Je veux aussi revenir sur les arguments développés par le parti socialiste tout au long des débats.

M. Jacques Desallangre. Défendez plutôt votre projet, il en a besoin !

M. Jacques Domergue. Permettez que je les commente.

J’ai encore en mémoire ce moment de bravoure où votre président de groupe, Jean-Marc Ayrault – je suis désolé qu’il soit parti (Exclamations sur les bancs du groupe SRC -)

M. Pascal Terrasse. Il va revenir !

M. Gaëtan Gorce. Où est passé le vôtre ?

M. Jacques Domergue. …découvrait devant nous, ici même, avec un plaisir non dissimulé, que le parti socialiste avait un projet. Quand lee Premier ministre a parlé de projet du parti socialiste, il s’est exclamé, en se pinçant presque : « Eh ! les gars, on a un projet ; le parti socialiste a un projet ! » (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Marc Dolez. Qu’est-ce que c’est que ce guignol ?

M. Roland Muzeau. Vous ferez moins le malin dans votre circonscription !

M. Jacques Domergue. Ce projet, il est grand temps d’en parler.

Charles de Courson la démonté. Il ne s’agit en fait que d’un décompte fiscal qui a pour seul objectif de ponctionner les poches des Français. Oui, ces 25 milliards d’euros que vous voudriez prendre dans la poche des Français, ils feraient mal au pays, surtout parce que vous ne réformez pas le système.

M. Alain Vidalies. Il y a une erreur dans la donne !

M. Jacques Domergue. De manière totalement incompréhensible, seuls contre tous au monde, vous défendez encore la retraite à soixante ans. Regardez ce qui se passe autour de vous : tous les pays ont modifié la durée de cotisation et l’âge légal de départ à la retraite. Alors que l’on parle de soixante-deux, soixante-trois, soixante-sept, voire de soixante-huit, dans certains pays, en France, parce qu’il existe des acquis sociaux sur lesquels on ne peut pas revenir, on devrait continuer à imaginer que l’on va continuer à partir à soixante ans. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce blocage idéologique des soixante ans et vos références incessantes au passé sont de mauvais augure pour un parti qui veut se positionner comme une alternative crédible pour 2012. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Cela vous obsède !

M. Jacques Domergue. Oui, chers collègues socialistes, vous êtes bloqués sur les soixante ans et, comme l’a annoncé Ségolène Royal hier à la télévision, vous rétabliriez cet âge si vous revenez aux affaires. Eh bien, je vous le dis, c’est votre crédibilité qui est mise en jeu. Aucun Français ne vous croit. Avec votre vision passéiste de l’avenir, vous vous comportez comme une vieille mobylette qui est obligée de pétarader pour se faire entendre parce qu’elle ne peut plus avancer, bloquée qu’elle est à 60 kilomètres heure ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Dino Cinieri. Très bien !

Mme Marie-Hélène Amiable. C’est vous, le passé !

M. Jacques Domergue. Chers amis, vous avez des problèmes avec les chiffres : en 2001, c’était pour les trente-cinq heures, en 2010, c’est avec les soixante ans pour l’age de départ à la retraite. Si je peux me permettre de vous donner un conseil, méfiez-vous de 2012 ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Le débat qui nous occupe est d’une extrême gravité et je crois qu’il mériterait davantage de sérénité entre nous pour que chacun puisse, dans cet hémicycle, prendre ses responsabilités par rapport à l’extraordinaire régression sociale qui nous est aujourd’hui proposée par le Gouvernement et par sa majorité.

Avec cet article 5, il ne s’agit en effet ni plus ni moins que de remettre en cause cette grande conquête sociale obtenue en 1982, après un siècle de lutte du mouvement ouvrier, un acquis chèrement payé, une ligne de partage en quelque sorte entre le travail et le capital, une ligne de partage que certains n’ont jamais acceptée, une ligne de partage que certains n’ont eu de cesse de remettre en cause, un vœu du patronat que vous souhaitez exaucer aujourd’hui.

Cet article 5 est au cœur même de l’injustice et de la régression qui caractérisent votre projet : injustice pour les travailleurs qui ont commencé à travailler tôt, quarante-quatre ans de cotisations pour ceux qui ont commencé à travailler à dix-huit ans ; injustice pour ceux qui ont effectué les métiers les plus durs ; injustice pour près de la moitié des salariés qui, entre cinquante-cinq ans et soixante ans, sont sans emploi ; injustice pour les deux tiers des travailleurs qui sont déjà hors emploi quand ils atteignent soixante ans et qui devront attendre deux ans de plus pour sortir de l’insécurité, du chômage et du RSA ; injustice qui va conduire à la paupérisation de nombreux retraités, parce que la réforme se traduira par une nouvelle baisse des pensions, après la diminution de 15 à 20 % déjà intervenue depuis les réformes de 1993 et de 2003.

Le débat que nous avons est éclairant. Il est particulièrement flagrant que le déséquilibre démographique mis en avant n’est qu’un prétexte. Nos retraites ne sont pas menacées par l’allongement de l’espérance de vie ; elles sont menacées par la persistance du chômage de masse, par le développement de l’emploi précaire, par la stagnation des salaires et par le partage inéquitable des richesses produites.

M. Jacques Desallangre. Très juste !

M. Marc Dolez. En fait, le choix proposé aujourd’hui par le Gouvernement, par le Président de la République, correspond à une demande pressante et insistante depuis trois décennies du patronat et va dans le sens de la recommandation extrêmement claire de l’Union européenne telle qu’elle est fixée dans le Livre vert paru le 7 juillet dernier : c’est le choix de faire payer la crise aux salariés, en quelque sorte de les faire payer une troisième fois : une première fois avec l’effondrement de l’emploi, une deuxième fois avec la stagnation des salaires et ce sera la troisième fois avec le recul de l’âge de départ à la retraite.

M. Jacques Desallangre. Excellent !

M. Marc Dolez. Pour ce qui nous concerne, députés communistes, républicains et du Parti de gauche, nous sommes parfaitement clairs sur le sujet. Je tiens à l’affirmer après les échanges un peu surréalistes que j’ai entendus en début de matinée : nous sommes pour le maintien à soixante ans à taux plein pour tous, avec un taux de remplacement de 75 % et pas une seule retraite inférieure au SMIC.

Cela signifie bien évidemment – sinon le droit à la retraite à soixante ans n’est qu’un droit virtuel proclamé sans aucune réalité concrète – deux choses : premièrement, que nous sommes contre tout allongement de la durée de cotisations parce que accepter un allongement de la durée de cotisation revient de fait à remettre en cause la retraite à soixante ans ; deuxièmement, qu’il faut trouver les financements permettant de garantir ce droit.

C’est tout le sens de la proposition de loi déposée par les députés communistes et du Parti de gauche dont vient de parler Marie-George Buffet. Cette proposition de loi garantir le financement de la retraite à soixante ans à taux plein et pour tous, et nous n’aurons de cesse de demander sa mise en débat. Elle est la preuve que les députés communistes et du Parti de gauche ont un projet à porter dans cet hémicycle mais aussi devant l’opinion, dans les mobilisations fortes qui se sont exprimées ces derniers jours, un projet qui donne l’indispensable perspective politique au mouvement social qui est en train de se développer dans le pays.

Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche sont particulièrement déterminés à s’opposer à votre projet de régression sociale, pour obtenir le plus rapidement possible le retrait de votre texte et travailler à créer les conditions politiques qui permettront de proposer, le moment venu, une véritable alternative pour mettre en œuvre un projet de rupture avec la politique qui est la vôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord. Tous les orateurs l’ont souligné : nous voici, avec l’articles 5, au cœur du débat.

Première remarque : nous ne serions pas là aujourd’hui, à débattre tous ensemble de ce sujet s’il n’y avait pas eu Mitterrand 1982. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. C’est la démocratie ! Respectez le vote des Français !

M. Dominique Dord. Nous ne serions pas là non plus sans doute si le Président de la République de l’époque avait eu la main un peu moins lourde, s’il s’était contenté d’avancer l’âge de départ à la retraite de soixante-cinq ans à soixante-deux ans.

Nous sommes donc là pour des raisons qui remontent à bientôt trente ans.

En la matière se posent des questions qui ont été abordées par les uns et les autres.

Les députés de gauche ont notamment avancé l’argument selon lequel le Président de la République n’avait pas annoncé une telle réforme et que, jusqu’en 2008, c’est-à-dire avant la crise, il ne s’était pas engagé sur ce point devant les Français. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Au fond, cela rejoint le débat que nous avons par ailleurs sur la nature conjoncturelle ou structurelle, démographique du problème.

En fait, il y a un peu des deux, et je ne suis pas sûr que cela mérite que l’on passe des heures sur ce sujet. En effet ce problème est à la fois conjoncturel, dans la mesure où il est lié aux effets de la crise, et structurel puisque le COR nous dit que les déficits seront très importants en 2030-2050 ce qui prouve bien que l’on ne peut s’en tenir au seul aspect conjoncturel.

Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une faute politique ou une faute contre la France que de s’engager aujourd’hui dans cette réforme. En effet, qu’il soit conjoncturel ou structurel, ce déficit s’additionne aux autres et ne rien faire aujourd’hui au prétexte que l’on ne se serait pas engagé sur le sujet devant les Français en 2007 serait exposer notre pays à une crise plus importante encore.

En outre, vous devriez plutôt vous réjouir, mesdames, messieurs les députés de gauche, que le Président de la République prenne ce sujet à bras-le-corps, car ce n’est pas le plus populaire qui soit ! Il est sans doute plus facile de l’aborder en étant dans l’opposition qu’en étant dans la majorité.

Vous nous dites par ailleurs, et c’est assez pénible à entendre, que cette réforme est d’une grande injustice. M. Ayrault a même parlé de cynisme.

M. François de Rugy. La preuve !

M. Dominique Dord. Vous mettez en avant notamment les conséquences que cette réforme aura pour les ouvriers de France.

M. Alain Néri. Eh oui !

M. Dominique Dord. Vous avez plusieurs fois cité sept catégories professionnelles. À cela, nous vous répondons : « carrières longues » ! En effet il n’existe pas un seul ouvrier en France qui ne sera pas concerné par ce dispositif. Le procès que vous nous faites sur l’injustice du report de l’âge légal est donc d’autant plus injuste que nous élargissons encore le dispositif « carrières longues » dont je rappelle pour la énième fois que vous ne l’avez pas souhaité lorsqu’il est venu en discussion devant le Parlement, il y a quelques années. Si nous pouvions éviter de nous faire mutuellement des procès d’intention, ce serait formidable.

Je vous demande simplement, comme l’a fait M. le ministre, de réfléchir. La vraie injustice n’est-ce pas plutôt la retraite à la carte que propose le groupe socialiste sans préciser qu’elle serait à taux plein, comme l’a judicieusement souligné le groupe GDR ? Là il y aurait une vraie injustice, parce que les socialistes vont nous refaire le coup des 35 heures !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Absolument !

M. Dominique Dord. Les 35 heures ont été très favorables aux cadres qui avaient de bons salaires. Ceux qui en ont payé la facture, ce sont les ouvriers que vous prétendez défendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

De même si vous ne garantissez pas le taux plein, ce sont à nouveau les ouvriers qui paieront le coût de la retraite à soixante ans. Réfléchissez-y !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Exactement !

M. Dominique Dord. Je ne reviendrai pas sur les propos un peu surréalistes de M. Ayrault, qui est venu en pointillés faire une petite intervention sur le siphonage du FRR et qui est reparti. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Il n’est intervenu que pour répondre à M. Copé !

M. Michel Ménard. Et M. Copé ! Il vient cinq minutes et il repart !

M. Dominique Dord. J’ai eu l’occasion de répondre hier sur ce point en tant que président du conseil de surveillance du fonds de solidarité vieillesse. Je vous ai fait alors remarquer que vous étiez les sapeurs Camember du déficit public. Vous prétendez avoir constitué un tas d’argent avec le FRR, alors que je constate année après année les déficits abyssaux que laisse ce système. Le FRR est une provision virtuelle qui ne permet même pas de couvrir les déficits actuels du système. Je considère donc que l’on aurait déjà dû depuis très longtemps le remettre dans le circuit pour éponger les déficits des autres fonds.

M. Jean Mallot. Au voleur !

M. Dominique Dord. Je ne reviens pas non plus sur la question surréaliste consistant à demander aux socialistes s’ils reviendront sur la mesure lorsqu’ils arriveront au pouvoir. D’abord, parce que c’est un raisonnement par l’absurde, personne ne pouvant imaginer une seconde qu’ils reviendront au pouvoir à court terme. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ensuite, parce que, de toute façon, ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent, et nous aussi : nous ne saurons si c’est vrai que le jour lointain où ils reviendront.

En revanche il est un aspect plus intéressant sur lequel je veux insister.

Même si je ne suis pas d’accord avec mes collègues du groupe GDR, je rends grâce à ce qu’ils disent et qui est complètement différent de ce que dit le groupe socialiste. Les interventions de M. Dolez, que je respecte infiniment, et de Mme Buffet un peu plus tôt, ont été très claires et elles s’adressaient au moins autant à leurs alliés du parti socialiste qu’au gouvernement actuel de la France. L’article 5 est la cristallisation de vos divergences.

En effet, dans sa logique, le groupe GDR dit : « Nous, c’est soixante ans à taux plein. Pas touche aux cotisations ! » Et il ajoute qu’il faudra trouver des ressources ailleurs. Or chacun sait où il veut les prendre…

M. Alain Vidalies. Chez Mme Bettencourt !

M. Dominique Dord. …puisqu’il préconise de taxer davantage et massivement le capital. C’est un raisonnement qui a sa logique et que je respecte, même si je pense qu’il nous sort du système par répartition – c’est un point que je livre à votre réflexion – et qu’il disqualifie la France sur le plan économique.

M. Jacques Desallangre. C’est la solidarité !

M. Dominique Dord. Le groupe socialiste ne dit pas ça du tout, et c’est ce qui est très intéressant ! Lui, il a la réforme un peu honteuse en prévoyant que si on va laisser soixante ans, cela sera un âge à la carte auquel on pourra prendre sa retraite si on le veut ! À cet égard je répète, chers collègues socialistes, que cela fait le jeu des riches, de ceux qui pourront prendre leur retraite à soixante ans. (Approbations sur les bancs du groupe UMP.) Ce serait une injustice énorme pour les plus fragiles, les plus faibles. Les députés du groupe GDR l’ont très bien compris et l’ont astucieusement relevé.

Ce n’est donc pas du tout le même projet que vous nous proposez, ce qui ajoutera d’ailleurs un peu de piment sur la tartine le jour où vous reviendrez au pouvoir puisqu’il faudra alors choisir lequel du projet socialiste ou du projet communiste devra figurer dans la plate-forme commune. Cela promet d’être intéressant !

Il existe un deuxième champ de divergence entre vous sur ce sujet.

Le groupe socialiste dit accepter l’augmentation de la durée de cotisation, après l’avoir combattue d’ailleurs, ce que rejette le groupe GDR. Ses membres l’ont répété, notamment Mme Billard hier, et je leur en rends grâce. Au moins, vous, chers collègues GDR, vous êtes cohérents. Vous voulez qu’on ne touche à rien, même pas à la durée de cotisation, ce qui n’est pas l’avis des socialistes, bien au contraire. Le parti socialiste accepte cette augmentation, en passant rapidement sur cette disposition qu’ils ont tellement combattue pendant des années.

Aujourd’hui, chers collègues socialistes, vous êtes devant vos propres contradictions. En fait, et cela a été très bien souligné par le groupe GDR, vous savez que l’augmentation de la durée de cotisation sera inefficace à court et moyen terme puisque le COR précise qu’elle sera inefficace jusqu’en 2030.

Par ailleurs, Mme Touraine a souligné, avec un cynisme extraordinaire, que cela était scandaleux. Alors que, aujourd’hui, avec un âge légal de départ à la retraite à soixante ans, les Français partent à cinquante-huit ans et demi et ne touchent véritablement leur retraite à taux plein qu’à soixante et un ans, il leur faudra attendre encore un peu plus avec notre réforme. Or il y a un paradoxe : au moment même où vous déclarez cela, vous faites, des trémolos dans la voix, un plaidoyer pour l’emploi des seniors. Or, dans tous les pays d’Europe, sans exception, plus l’âge de départ légal à la retraite est élevé, plus l’âge effectif de départ, donc le taux d’emploi des seniors, est fort.

M. Alain Vidalies. C’est pitoyable ! Fixez donc l’âge de la retraite à quatre-vingt-dix ans !

M. Dominique Dord. Vous ne pouvez pas verser des larmes de crocodiles sur l’emploi des seniors et, dans le même temps, refuser le principal outil qui permet de le développer, à savoir le recul de l’âge légal de départ en retraite ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Pour conclure, il ne nous a pas échappé que ce que nous faisons n’est pas populaire. Vous prétendez que nous sommes déconnectés de la France réelle, mais je vous assure que c’est faux.

M. Alain Vidalies. Vous avez menti aux Français !

M. Dominique Dord. Franchement, si nous pouvions nous passer de cette réforme, je serais le plus heureux des hommes ! Cela fait des années que l’on vend à nos compatriotes la société du loisir, le temps libre, le temps choisi, et nous on leur demande de travailler deux ans de plus. Cela ne nous fait pas plaisir et si nous le faisons c’est que nous avons quelques bonnes raisons pour cela. Nos compatriotes le comprennent d’ailleurs, car ils ne sont pas fous. Nous sommes en effet dans la majorité et soutenons le Gouvernement de la France qui est là d’abord pour gouverner, pour prendre les décisions qui sont bonnes pour notre pays. En l’occurrence, nous avons le sentiment de faire quelque chose de juste parce que cette réforme est assortie du dispositif « carrières longues » et de celui relatif à la pénibilité.

Nous avons aussi le sentiment de faire quelque chose d’efficace pour le régime par répartition, parce qu’il ne sert à rien de développer sans cesse des thèses sur ce régime et, à travers cette réforme, de le passer par pertes et profits !

Cette réforme sera également efficace pour l’emploi des seniors, ce qui n’est pas la moindre des choses ! Elle sera efficace tout simplement pour la France,…

M. Alain Néri. Elle sera surtout efficace pour le premier cercle des amis de M. Woerth !

M. Dominique Dord. …parce qu’elle sera efficace pour la signature de la France. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous seriez bien les premiers à dénoncer avec véhémence l’abaissement de la signature de la France si par malheur cela devait un jour se produire ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Vidalies. Ce serait grave pour les amis du premier cercle !

M. le président. Laissez parler M. Dord !

M. Dominique Dord. Là encore vous n’êtes pas cohérents ! Si vous ne voulez pas que la signature de la France soit dévalorisée, alors oui il faut prendre des mesures qui ne sont pas forcément très populaires mais que nous assumons, que nous revendiquons et dont nous sommes fiers pour notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, je reçois des remarques des uns et des autres au motif que l’ordre des orateurs ne correspond pas à celui figurant sur la feuille jaune. Si tel est le cas, c’est parce que les groupes me donnent des noms qui remplacent les inscrits qui ne sont pas là. Il n’y a pas d’autre raison à ce changement. Je tiens le dire.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. J’ai écouté M. Dord avec attention, peut-être plus d’ailleurs que ne le méritait son propos enflammé.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Ah non ! Il était très bien !

M. Gaëtan Gorce. Sur un sujet de cette importance, nous pourrions éviter, des deux côtés, certaines outrances.

Nous discutons de l’avenir de notre système de retraite. Celui-ci a fait l’objet de nombreux débats, non pas en 1993, mais en 2003 – c’était un débat approfondi – et au début de ce quinquennat. Nous en reparlons donc aujourd’hui. Vous prétendez depuis le début de cette discussion avoir le mérite de mener cette réforme des retraites, alors que nous n’aurions rien fait et vous ne cessez de nous reprocher notre supposée inaction par rapport aux initiatives que vous auriez prises.

Or la question qu’il faut se poser est celle de savoir pourquoi nous devons à nouveau débattre d’une réforme des retraites et pourquoi, par conséquent, nous ne pouvons pas reconnaître le mérite que vous vous attribuez.

La première raison tient au fait que si nous débattons à nouveau de cette question des retraites c’est que la situation financière de nos régimes s’est encore profondément dégradée, au-delà de ce qui avait été annoncé. Or, si cette dégradation est sans doute liée à la crise, elle vous est aussi très largement imputable. Si l’on veut éviter les polémiques pour s’en tenir à l’évolution des déficits de nos comptes sociaux comment ne pas voir en effet que le creusement de ces déficits, y compris pour le système des retraites, avant commencé à s’opérer avant que la crise n’intervienne ? Vous ne méritez donc pas de félicitations particulières.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et les trente-cinq heures ?

M. Gaëtan Gorce. Puisque l’on parle de courage, il fallait les supprimer, ce que vous n’avez jamais eu le courage de faire.

La deuxième raison pour laquelle nous ne pouvons pas soutenir la démarche que vous avez engagée, c’est qu’elle introduit un changement de nature par rapport à la réforme de 2003. Vous dites que nous l’avons intégrée, et que nous ferons la même chose de celle que nous examinons aujourd’hui.

Or si, en 2003, vous avez travaillé sur la notion d’un allongement de la durée de cotisation, ce que nous acceptons aujourd’hui comme une base de travail normale au regard de la situation de nos finances sociales et des retraites, maintenant, vous ne proposez pas un nouvel allongement de la durée de cotisation, ni même de continuer à s’appuyer sur ce mécanisme. Vous changez totalement de principe en proposant de modifier l’âge légal de départ à la retraite. Vous utilisez un autre paramètre ; c’est donc une réforme d’une autre nature qui nous est proposée. Il est par conséquent normal qu’à notre tour, nous nous y opposions.

Pourquoi avez-vous choisi de changer de méthode ?

Ce changement explique la difficulté dans laquelle est placé le Président de la République. Initialement, vous ne l’aviez pas envisagé. Il avait d’ailleurs déclaré qu’il ne toucherait pas à la retraite à soixante ans. Faisons-lui le crédit, même si c’est parfois difficile, d’avoir été sincère. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Ce qui était alors envisagé était simplement la poursuite de la réforme de M. Fillon, mais vous vous êtes trouvés, sous la pression des faits et de votre mauvaise gestion, dans la situation de devoir introduire une nouvelle disposition, et de faire rentrer rapidement de l’argent. À cet égard, M. Dord a été clair : vous avez besoin de récupérer rapidement les 10 milliards que vous attendez du passage de soixante à soixante-deux ans.

Selon vous ce passage ne fait que rapprocher l’âge légal de l’âge réel de liquidation qui est de soixante et un an et demi. C’est vrai, mais le problème est que cet âge de liquidation est très postérieur à l’âge réel de cessation d’activité : il y a trois ans d’écart qu’il faut bien assumer. C’est le système d’assurance-chômage qui devra le faire, ou un système spécifique d’allocation, ou les collectivités locales au travers des mécanismes liés au RSA. Ce dispositif n’est pas chiffré, et, pour assurer la crédibilité de votre réforme il conviendrait de chiffrer combien coûtera aux finances publiques et aux finances locales, le fait que ce qui est aujourd’hui assumé pour partie par le régime de retraites devra être supporté par le système d’assurance-chômage, ou par les collectivités locales.

Ces éléments doivent être examinés si l’on veut travailler sérieusement. C'est la raison pour laquelle nous refusons cette élévation de l’âge légal du départ en retraite, parce qu’elle introduit une injustice, parce qu’elle ne garantit pas d’efficacité financière, et parce qu’elle rompt le mécanisme sur lequel le consensus pouvait s’établir qui était celui de l’allongement de la durée de cotisation.

Ce sujet vous préoccupe, et préoccupait tout à l’heure M. Copé. Il reviendra sans doute dans l’hémicycle au moment où nous aborderons la question des polypensionnés, puisqu’il est lui-même polyactif. J’imagine qu’il a dû quitter l’Assemblée appelé par ses autres obligations professionnelles. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Vanneste. Ce n’est pas le débat !

M. Gaëtan Gorce. Au contraire, je pense que cela pose une vraie question d’éthique : peut-on être président de groupe, maire d’une collectivité et, en même temps, travailler dans un cabinet d’avocat ? Cela aussi, c’est un problème de déontologie par rapport à notre assemblée, et je le dirais devant M. Copé de la même manière s’il était là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Surtout si l’on fait la comparaison des revenus que rapporte chacune de ces activités. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Les donneurs de leçons, il faut parfois les rappeler à leurs propres obligations morales. Moi, je peux vous présenter ma feuille d’impôts, elle ne présente pas de problèmes.

M. Georges Tron, secrétaire d’État. La sienne non plus !

M. Gaëtan Gorce. Non, mais je pense qu’elle n’est pas du même montant.

M. le président. Si vous voulez bien en revenir au sujet.

M. Dominique Dord. Ne soyez pas jaloux !

Mme Claude Greff. Parlons de ceux qui cumulent une présidence de région, des mandats locaux et leurs indemnités de députés !

M. Gaëtan Gorce. Pensez-vous que la rigueur, ce n’est que pour les plus modestes ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. C’est honteux !

M. Gaëtan Gorce. Monsieur Woerth, vous avez raison de vous émouvoir. Quand on gagne des centaines de milliers d’euros, on peut effectivement parler plus librement de ceux qui ont des difficultés.

Je reviens sur le fond du sujet.

Mme Claude Greff. Vous n’auriez jamais dû vous en écarter. Parlez-nous de M. Ayrault !

M. Gaëtan Gorce. Vous nous avez souvent posé la question du retour aux soixante ans. Nous avons raison de soulever ce problème, et d’affirmer que nous y reviendrons, mais il convient d’ajouter que ce sera difficile. En effet, il est un élément qui n’est jamais évoqué, ou seulement en filigrane, alors que ce débat est, d’une certaine manière, l’arbre qui cache la forêt de notre endettement public et de nos déficits.

En tant que représentant de la nation dans cet hémicycle, comme chacun d’entre vous, soucieux de son intérêt, je ne comprends pas que nous puissions discuter de cette question de l’âge de départ à la retraite et de l’état des comptes de notre système de retraites sans évoquer la situation –dramatique, comment la qualifier autrement ? – de nos comptes sociaux.

M. François de Rugy. Catastrophique !

M. Gaëtan Gorce. Le Premier ministre parlait de faillite à une certaine époque. Nous ne sommes naturellement pas en faillite, car nous avons une économie et un État capables de mobiliser des ressources, mais nous sommes dans une situation financière catastrophique qui ne laisse à aucun gouvernement de véritable marge de manœuvre.

Un rapporteur du Sénat, qui n’appartient pas à l’opposition, a dit qu’il faudrait au moins 100 milliards d’euros pour assurer demain l’équilibre approximatif de nos comptes publics, et retrouver quelques marges de manœuvre. Qui évoque cette question dans cet hémicycle ? Et pourquoi ne traitez vous pas de la question du retour à l’équilibre du système de retraites, que votre réforme ne garantit pas ? Pas plus que vous n’évoquez la dégradation de la situation des comptes de la sécurité sociale liée à l’assurance-maladie, les besoins de financement en matière de dépendance, et la nécessité de ramener nos déficits publics à hauteur des 3 % exigés, non seulement par l’Union européenne, mais simplement par la sagesse, parce que notre budget n’en peut plus de devoir rembourser des annuités de dette qui absorbent la totalité du produit de notre impôt sur le revenu, et qui vont nous coûter demain de plus en plus cher.

Si vous avez observé la situation sur les marchés financiers, vous aurez remarqué que, ces derniers jours, notre taux de base a augmenté de 0,6 point, ce qui représente un coût supplémentaire de remboursement de la dette de 1,8 milliard d’euros cette année. Cela signifie qu’au moment où nous cherchons des recettes pour assurer l’équilibre de notre système de retraites, par le simple jeu des déficits et de l’endettement que vous laissez filer, nous avons déjà perdu 1,8 milliard d’euros, que nous allons faire payer à nos concitoyens les plus modestes, faute de prendre les dispositions appropriées.

Si nous n’introduisons pas dans ce débat ces enjeux et cette réalité, alors nous ne sommes ni les uns ni les autres à la hauteur de notre responsabilité. Il est clair que vous souhaitez éviter ce sujet. Vous avez d’ailleurs concentré les regards et les projecteurs sur la question des retraites, justement parce que vous ne voulez pas aborder la réalité de la situation financière dans laquelle vous nous avez placés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Très juste !

M. Gaëtan Gorce. Si nous voulons être en situation d’apporter des solutions, nous devrons élargir progressivement notre réflexion à l’ensemble des questions que je viens d’évoquer. Cela signifie que nous ne pourrons utiliser l’augmentation des cotisations qu’une seule fois, que nous ne pourrons utiliser l’augmentation des impôts qu’une seule fois, sauf à mettre en danger le pouvoir d’achat de nos concitoyens et la compétitivité de nos entreprises.

Voilà le vrai débat qui nous est posé ! Comment faire en sorte que ce pays cesse cette chute dramatique qui menace nos emplois et nos entreprises, et à laquelle la majorité, qui en porte la principale responsabilité, se montre incapable d’apporter de véritables réponses ? Tels sont les sujets que notre assemblée devrait débattre aujourd’hui, plutôt que de savoir si François Mitterrand avait raison de faire voter la retraite à soixante ans en 1981.

Je suis fier d’appartenir à une formation politique qui, en 1981, a décidé de mettre en place une telle réforme. Elle correspondait, à l’époque où elle a été votée, à une exigence d’humanité et à une exigence sociale évidente, lorsque l’on regarde quelle était l’espérance de vie des travailleurs. Vous avez tenté de contourner cette mesure en 1975, en prenant des dispositions pour les travailleurs manuels confrontés à des difficultés de travail, transportant des matières lourdes, ou soumis au travail posté. Vous avez choisi des mesures de contournement alors que nous avions pris une mesure de justice.

La raison pour laquelle vous voulez vous attaquer aux soixante ans, ce n’est pas simplement parce que cela rapportera 9,7 milliards d’euros dans quelques années. On le sent également lorsque vous parlez des trente-cinq heures : cela correspond à une démarche qui n’est pas seulement économique ou sociale, mais qui est également idéologique. Chaque fois que la gauche a laissé dans le paysage social un marqueur fort au titre de la solidarité, vous n’avez de cesse de vouloir l’abattre.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais non !

M. Gaëtan Gorce. Comme vous avez voulu abattre les trente-cinq heures, vous voulez abattre les soixante ans. Il est vrai que l’âge légal aura de moins en moins d’importance au fur et à mesure que la durée de cotisation exigée augmentera. Toutefois, il constitue non seulement un symbole, pas un totem ou un tabou, mais également une protection pour tous ceux pour lesquels aucune solution convenable n’aura été trouvée en matière de pénibilité, et par rapport à des carrières longues et difficiles.

Mme Catherine Génisson. Et par rapport aux femmes !

M. Gaëtan Gorce. Tant que cette solution n’aura pas été traitée, les soixante ans continueront à défendre les plus modestes, et nous aurons eu raison de faire voter en 1981 cette réforme et de la défendre aujourd’hui au nom d’une vision de la société fondée sur la solidarité, et pas simplement sur l’idée qu’il faudrait mettre de côté les déficits et les masquer en laissant les gens se débrouiller avec des réalités de plus en plus difficiles.

En effet, derrière les réformes que vous avez mises en place, il y a inéluctablement la baisse du niveau des pensions, sujet qui n’est jamais discuté alors qu’il devrait être la clef d’une réforme des retraites, car la baisse du niveau des pensions pousse au recours à l’assurance privée, à la mise en place d’une individualisation des retraites au détriment de la solidarité. C’est encore une rupture de notre pacte social que nous ne pouvons pas accepter.

Mme Catherine Génisson. C’est la capitalisation !

M. Gaëtan Gorce. Comprenez que nous nous battons dans cet hémicycle, non pas pour polémiquer ou refuser une réforme, mais pour démontrer que cette réforme-là n’est pas la bonne. Nous ne demandons pas son retrait, nous voulons la suspension de ce processus, pour qu’une vraie discussion puisse s’engager avec l’opposition et les partenaires sociaux afin de trouver des solutions.

Oui, il y a un problème des retraites et, plus globalement, de nos comptes sociaux et de nos déficits. Cependant ce n’est pas de cette manière, par l’affrontement et l’initiative unilatérale, en mettant les gens dans la rue, en obligeant la gauche à se mobiliser dans l’hémicycle comme elle le fait, que vous apporterez des réponses. Ce ne sera qu’un pis-aller. Or ce n’est pas de pis-aller dont nous avons besoin, mais de solutions de fond, car c’est l’avenir économique et social de notre pays dans cette décennie qui est en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Le président du groupe UMP est venu ce matin faire une déclaration, avant de nous quitter immédiatement. Il s’y étonnait de l’absence de la première secrétaire du Parti socialiste au cours du débat sur France 2.

Puisque tout doit être dit, il m’appartient d’affirmer que ce gouvernement ne débat pas. Le Premier ministre n’accepte pas de débattre avec la première secrétaire du Parti socialiste. Dans ce pays si moderne dont vous parlez, le Gouvernement n’accepte pas la confrontation. Quel archaïsme que cette succession de monologues qui a été imposée hier soir ! Tel a été le cas parce que M. Fillon n’a pas voulu débattre. Il n’a pas non plus voulu débattre avec les responsables syndicaux, tout comme il n’y a pas eu de concertation préalable à la réforme. Voilà la réalité de ce qui s’est passé, et M. Copé ne peut pas venir ce matin travestir la réalité à ce point.

Je dois quand même lui indiquer que j’ai apprécié sa prestation, parce que j’ai retrouvé le Copé qui était dans l’opposition, un peu véhément. Probablement est-il en train de se mettre dans l’état d’esprit correspondant. (Rires sur les bancs du groupe SRC.) C’est une forme de préparation intéressante, et l’on voit bien que vous êtes peu à peu en train de vous inscrire dans cette démarche.

Le choix que vous avez fait, et qui se traduit principalement dans cette proposition de report des bornes d’âge, vous amène à utiliser des arguments d’une absence de rigueur totale sur le plan intellectuel. Je vais y revenir. Notre collègue M. Dord nous les a sortis deux fois, hier soir et aujourd’hui, tellement sa propre imagination doit l’étonner.

Il est vrai que M. Copé est entré dans le débat en nous disant que nous, la gauche, les socialistes, ne sommes capables que d’annoncer les bonnes nouvelles. C’est tellement plus facile, nous dit-il, d’indiquer aux gens qu’ils vont travailler cinq ans de moins. C’est tellement plus facile de leur dire qu’ils vont travailler cinq heures de moins par semaine. Ainsi l’UMP et la droite feraient le sale boulot alors que nous serions dans la facilité.

M. Dominique Dord. C’est vrai !

M. Alain Vidalies. Je vais donc reprendre l’argumentation en changeant simplement les bénéficiaires.

C’est tellement plus facile d’accorder le bouclier fiscal aux riches, que de leur dire qu’il faut payer des impôts ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) .)

C’est tellement plus facile de dire aux restaurateurs que l’on va gaspiller 4 milliards pour assurer le clientélisme électoral, alors que nous avons des problèmes de déficit public ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Ça, c’est envoyé !

Mme Catherine Coutelle. Et la niche Copé !

M. Alain Vidalies. Je pourrais multiplier les exemples.

Mme Bérengère Poletti. Et combien donne-t-on aux entreprises pour les 35 heures ?

C’est tellement plus facile de gaspiller douze milliards pour que les grands groupes du CAC 40, grâce à l’amendement Copé, fassent des économies sur les plus-values de cession de leurs filiales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Dominique Dord. Ça fait quarante électeurs !

M. Alain Vidalies. Douze milliards dépensés en deux ans, soit l’équivalent du déficit de la branche maladie !

M. Michel Issindou. C’est scandaleux.

M. Alain Vidalies. C’est tellement plus facile de faire des cadeaux aux riches. Et je pourrais continuer. Il y a là une absence de rigueur intellectuelle. Mais vous avez fait des choix, aujourd’hui il faut les assumer.

En 2003 déjà, vous nous aviez dit que vous alliez faire une réforme définitive : c’étaient les mêmes mots, et en partie les mêmes acteurs qu’aujourd’hui. Relire la discussion générale de cette époque est cruel, y compris pour vous, monsieur Dord : on faisait preuve de courage, on allait régler la question définitivement pour 2020 !

M. Dominique Dord. Pas définitivement.

M. Alain Vidalies. En effet, votre formule exacte était « régler à 100 % » !  (Rires sur les bancs du groupe SRC.) Non seulement vous n’avez pas réglé les problèmes à 100 %, ni même à 50 %, mais à la place de l’équilibre promis, nous avons un déficit.

Ce que vous proposiez alors pour retrouver l’équilibre, c’était de mener une politique économique dont la réussite permettrait de transformer les montants consacrés aux cotisation d’assurance chômage en cotisations aux caisses de retraite. Cela n’a pas fonctionné, pour deux raisons.

D’abord, votre politique économique a échoué, et cela avant la crise.

Mme Élisabeth Guigou. La crise a bon dos !

M. Alain Vidalies. Les transferts prévus n’ont donc pas eu lieu en 2004, 2005 et 2006, donc bien avant la crise,…

Mme Élisabeth Guigou. Bien avant !

M. Alain Vidalies.… en raison, je le répète, de l’échec de votre politique économique.

Ensuite la crise est venue aggraver la situation. En présentant la réforme de 2003, le Premier ministre a commencé par annoncer que, selon le COR, le déficit des régimes de retraite atteindrait 43 milliards en 2020. Il en donnait pour explication la démographie. Aujourd’hui, malgré les mesures prises en 2003, il y a toujours 43 milliards de déficit, mais ce ne sont pas les mêmes milliards, si je puis dire : ce déficit vient de la situation de l’emploi, de l’échec de votre politique et de la crise.

Mme Élisabeth Guigou. Bien sûr, c’est l’augmentation du chômage.

M. Alain Vidalies. Comment trouver une solution au problème ? Pour cela, vous faites des choix inacceptables.

D’abord, vous détournez les ressources du fonds de réserve des retraites. La question démographique va se poser en effet, à cause du contraste entre les générations successives, mais à partir de 2020. Or nous ne disposerons plus du fonds de réserve, puisque vous le dépensez par anticipation : vous dilapidez la future retraite des jeunes.

Mme Élisabeth Guigou. C’est scandaleux.

M. Alain Vidalies. Ensuite, vous décidez de faire des économies immédiates en reculant les limites d’âge. Nous vous avons dit combien c’était injuste socialement de passer de soixante à soixante-deux ans et de soixante-cinq à soixante-sept ans. Dès lors que, à cinquante-huit ans, 40 % des gens seulement ont encore un emploi, cela a-t-il un sens de porter l’âge de la retraite à soixante-deux ans ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Le problème ne vous a pas échappé : que vont devenir les 60 % qui restent ?

M. Alain Néri. Des chômeurs !

Mme Marie-Hélène Amiable. Passer au RSA.

M. Alain Vidalies. Ce seront des chômeurs, indemnisés, pour la durée pendant laquelle ils ont droit de l’être. Comme le plafond pour la durée d’indemnisation est lié à la durée d’activité, augmenter l’âge de départ de deux ans fait que la quasi-totalité d’entre eux vont se trouver en fin de droits.

M. Alain Néri. Eh oui !

M. Alain Vidalies. Vous le savez parfaitement. Mais jusqu’à présent, vous n’aviez pas de solution. Or hier soir le Premier ministre a dit – et M. Woerth l’a fait ce matin avec plus de précision – que pour ce million de personnes – plusieurs millions peut-être – qui vont se trouver dans cette situation, vous alliez recréer une indemnité d’attente de la retraite entre soixante et soixante-deux ans. Cela a été négocié où, par qui, comment, et qui va payer ? Personne ne le sait. C’est une invention surgie au cours du débat.

Mais n’est-ce pas faire une politique de Gribouille que d’annoncer des économies sur les retraites en augmentant les dépenses d’indemnisation du chômage ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Exactement !

M. Alain Vidalies. Cela n’a strictement aucun sens. Mais comme vous êtes confrontés à la réalité du problème, vous inventez ce moyen, dont les partenaires sociaux n’ont jamais entendu parler d’ailleurs.

Comme démarche intellectuelle, c’est atterrant : ayant échoué dans votre politique de 2003 puisque vous n’êtes pas en mesure, à cause de la crise, de transférer une partie des cotisations d’allocation chômage sur le financement des retraites, vous augmentez maintenant les dépenses pour le chômage. Où est la logique ? C’est une politique de Gribouille qui va mener directement à l’échec. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et ceux qui en pâtiront, ce sont les gens les plus en difficulté.

Monsieur Dord, vous répétez sans cesse qu’il n’y a qu’une réforme possible et que les socialistes se trompent. Mais franchement, vous connaissez le dossier. Vous savez bien qu’actuellement, 90 % des gens qui partent à la retraite à soixante ans ont la totalité de leurs trimestres, qu’ils ont acquis dans le cadre en vigueur. Sur les 700 000 personnes concernées, 300 000 ont même deux ans de cotisations supplémentaires par rapport à ce qui est exigé.

M. Denis Jacquat, rapporteur. C’est bien, vous avez lu mon rapport.

M. Alain Vidalies. Lorsque le parti socialiste dit qu’il conservera la retraite à soixante ans, avec les mêmes exigences de durée de cotisation, cela correspond à la réalité que traduisent les chiffres figurant dans le rapport, à l’inverse de ce que vous avez dit. Les seuls qui ne seront pas touchés sont les ouvriers, qui ont commencé à travailler tôt. Ceux qui ont commencé à travailler tard devront peut-être travailler un peu plus longtemps, mais cela nous paraît logique. De toute façon, actuellement ceux-là font déjà liquider leur retraite à soixante et un ou soixante-deux ans.

Mme Catherine Coutelle. Et les femmes ?

M. Alain Vidalies. Ce que nous proposons, c’est un système dans lequel, parce que nous ferons de la pénibilité un élément central de la réforme, les ouvriers, qui sont ceux qui méritent le plus notre attention, à cause de la difficulté de leur vie professionnelle et d’une moindre espérance de vie, pourront partir à soixante ans à taux plein. Quand on a la responsabilité du social, on ne se comporte pas comme un trésorier de l’UMP, qui s’occupe surtout des amis du Fouquet’s et de ceux qui bénéficient de votre politique économique.

M. Dominique Dord. C’est facile ! Mais on vous pardonne.

M. Alain Vidalies. Votre réforme de la retraite est à la hauteur de votre politique fiscale. Mais les Français ont compris qu’une autre politique, une autre réforme sont possibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Élisabeth Guigou. Voilà quelques vérités bien senties et bien formulées.

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. L’article 5, qui porte l’âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, est un des éléments clé de votre réforme. Depuis le début de la discussion, vous nous avez expliqué que vous aviez étudié toutes les possibilités pour résoudre le problème financier auquel nous sommes confrontés, et que cette mesure était la seule qui vous paraissait juste et pérenne.

Mais si l’on regarde de près les réalités financières, il s’agit là d’une fausse bonne idée.

D’abord, c’est une fausse bonne idée car elle ne règle en rien le problème financier : vous allez en fait transformer un jeune retraité en un vieux chômeur. Vous transférez donc simplement les difficultés financières des caisses de retraite à celles de l’UNEDIC. Actuellement, six Français sur dix ne sont plus actifs quand ils partent à la retraite. Que croyez-vous que va entraîner le report de l’âge légal de départ de soixante à soixante-deux ans ? L’aggravation de la situation financière de l’UNEDIC. Ce n’est donc vraiment pas une réponse satisfaisante au problème à traiter.

En second lieu, c’est une fausse bonne idée car la mesure est profondément injuste pour ceux qui ont commencé à travailler jeune et qui devront cotiser plus longtemps sans pour autant améliorer leur pension. Plus de 50 % des affiliés de la CNAV qui partent en retraite ont au moins un trimestre de cotisation en plus de la durée exigée, sans que cela leur donne de droit supplémentaire. Cette situation injuste, votre mesure va la rendre plus injuste encore. Vous avez bien prévu un dispositif en faveur des carrières longues, mais actuellement encore beaucoup de gens ne peuvent en bénéficier.

Troisièmement, il s’agit là d’une fausse bonne idée car le recul de l’âge légal de départ s’accompagne du recul de l’âge d’obtention de la retraite à taux plein. Cet ajustement sera vécu de façon plus dramatique par les femmes, les travailleurs précaires, tous ceux dont la carrière a été irrégulière. Est-ce cela un plan juste ? Pas pour nous.

Quatrièmement, il s’agit d’une fausse bonne idée, car cette mesure va s’appliquer au détriment des générations futures.

M. Guy Lefrand. Au contraire.

M. Christophe Sirugue. Elle s’applique en volant le fonds de réserve des retraites, qui avait été constitué.

M. Patrick Roy. C’est un hold-up !

M. Christophe Sirugue. Quand se posera le problème démographique, à partir de la décennie 2020-2030, la situation sera préoccupante car non seulement vous n’avez pas alimenté correctement le fonds de réserve, mais vous en utilisez les ressources.

En cinquième lieu, il s’agit là d’une fausse bonne idée dans la mesure où, au départ à soixante ans, le différentiel d’espérance de vie est très important selon les catégories. Le moins est donc de conserver cet âge légal. Nous n’en faisons pas un tabou absolu, nous y voyons un facteur de justice sociale.

M. Dord nous a dit qu’il n’était pas facile d’aller présenter la réforme à nos concitoyens. Mais vous pourriez faire un geste qu’il serait facile de leur présenter car tous l’attendent : ce serait, pour montrer que la justice consiste à demander un effort à tous, de renoncer au bouclier fiscal.

Vous seriez crédibles si vous acceptiez de reconnaître que la réforme que vous nous proposez met à mal la solidarité entre les différentes catégories puisque l’essentiel sera financé par l’ensemble des salariés.

M. Régis Juanico. Eh oui !

M. Christophe Sirugue. Celles et ceux à qui l’on pourrait prendre un peu, parfois même beaucoup, vous les mettez de côté.

M. Patrick Roy. Les amis du Fouquet’s, on les aime bien !

M. Christophe Sirugue. Ces éléments montrent qu’à l’évidence, une autre réforme est nécessaire : c’est cette réforme que nous présentons et que nous défendons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues de la majorité, il est encore temps, aujourd’hui, d’entendre le message des Français et d’ouvrir de vraies négociations avec les syndicats avant d’engager un travail législatif constructif.

M. Patrick Roy. Ils sont tout de même sourds !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Si les études d'opinion démontrent un rejet massif de votre projet de reforme des retraites, c’est que les Français ont bien perçu les reculs importants que vous voulez imposer et le caractère injuste de vos propositions qui mettent à mal le pacte républicain.

J'en veux pour preuve la situation des femmes. Au-delà des inégalités qu’elles subissent dans la sphère privée, et au-delà de la question de l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, les femmes connaissent tout au long de leur carrière professionnelle des inégalités qu'elles vont continuer de subir au moment de leur retraite.

On peut citer les inégalités salariales, les interruptions de carrière pour cause de naissance, de prise en charge de la vie familiale avec les enfants ou auprès des parents ; le marché du travail beaucoup plus dur pour les femmes qui plus que les hommes connaissent le travail à temps partiel souvent non choisi, les CDD, l'intérim, et encore l’accès plus limité aux postes à responsabilité... Tous ces facteurs jalonnent le parcours professionnel des femmes, ils se répercutent et s'amplifient au moment de leur retraite qui est ainsi, en moyenne, inférieure de 40 % à celle des hommes. Plus de la moitié des femmes retraitées perçoivent une pension inférieure à 900 euros.

Cette situation n'est pas acceptable et il est inconcevable d'envisager une réforme des retraites sans prendre en compte cette réalité et sans mettre en place les outils nécessaires pour les corriger.

Quelles sont vos propositions ? Vous voulez reculer l’âge légal de la retraite à soixante-deux ans et celui de l’annulation de la décote de 65 à 67 ans. Autrement dit, vous amplifiez les difficultés spécifiques des femmes qui, plus que les hommes, ont des carrières incomplètes. C'est aberrant !

M. Dominique Baert. Très bien !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Il faut regarder la réalité en face : seulement 44 % des femmes ont effectué des carrières complètes alors que c’est le cas de 86 % des hommes. En moyenne, les femmes valident vingt trimestres de moins que les hommes.

En repoussant de deux années l'âge auquel il est possible de percevoir la retraite sans décote, ce sont donc principalement les femmes que vous pénalisez.

Nous combattons fermement cette disposition qui va nécessairement engendrer de la précarité puisque le taux d'emploi des femmes entre soixante et soixante-cinq ans est déjà très faible, au environ de 4 %. Vous allez ainsi prolonger leur période de chômage et de précarité de deux ans.

M. Patrick Roy. Hélas !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Votre projet amplifie les difficultés de la vie professionnelle des femmes et leur fait payer au moment de leur retraite des inégalités que vous refusez de combattre et auxquelles elles auront déjà fait face dans leur vie active. Vous portez ainsi lourdement atteinte aux conditions de vie des femmes dans notre pays et vous participez à l’accroissement de leur pauvreté.

Monsieur le ministre, la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes fonctionne bien, son travail permet presque toujours qu’un consensus soit dégagé en son sein. Elle a ainsi adopté à l’unanimité la recommandation suivante : « La délégation considère que le report de soixante-cinq à soixante-sept ans de l’âge auquel le bénéfice d’une retraite à taux plein est ouvert affectera particulièrement les femmes qui ont déjà des retraites inférieures aux hommes et qu’il conviendrait donc de maintenir à soixante-cinq ans l’âge du taux plein. » J’espère que nos collègues de droite…

M. Dominique Tian. Droite populaire !

Mme Marie-Françoise Clergeau. …continueront de défendre cette position dans ce débat.

Monsieur Woerth, tiendrez-vous compte de cette recommandation votée à l’unanimité par la délégation, adoptée par la commission des finances mais rejetée par la commission des affaires sociales ? Il est toujours temps d’avancer.

Les nombreuses interventions sur le sujet doivent vous faire comprendre que les femmes sont, avec les jeunes, les premières à être lésées par la réforme. Il est grand temps de réintroduire ne serait-ce qu’un tout petit peu d’égalité dans ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Monsieur le président, je ne reprendrai pas le fil du discours que je tenais la nuit dernière…

M. Guy Lefrand. C’est un fil décousu alors !

M. Jean Mallot. Je réserve cela à une prochaine fois.

Monsieur Lefrand, merci d’être venu nous rejoindre.

J’ai entendu tout à l’heure M. Jean-François Copé, qui remplaçait momentanément M. Guy Lefrand dans l’hémicycle, dire : « Si, par malheur – nous, nous disons plutôt par bonheur –, la gauche revenait au pouvoir, ce serait, en quelque sorte, la ruine du pays. » Je note qu’il parlait au conditionnel alors que les orateurs suivants de la majorité se sont exprimés au futur. Cela dit, aujourd’hui, qu’avons-nous ? Nous avons la droite… et la ruine. Et ce n’est pas la première fois.

Vous l’avez dit vous-même, monsieur Woerth, après avoir allègrement creusé les déficits avant de changer de portefeuille ministériel : « Jamais les déficits et la dette n’ont été aussi profonds dans notre pays. » Mais pour la droite, ce n’est pas vraiment une première. Souvenez-vous de la dissolution de l’Assemblée nationale, en 1997, par Jacques Chirac, Président de la République : pour l’expliquer, on avait évoqué la situation économique et budgétaire du pays ; les critères de Maastricht risquaient de ne pas être satisfaits disait-on à l’époque. En fait, il s’agissait bien de trouver des solutions pour remédier à la politique désastreuse conduite par le gouvernement Balladur, dont M. Nicolas Sarkozy était le ministre du budget, et par le gouvernement Juppé. L’histoire se répète donc.

L’article 5, l’un des articles clés de ce projet de loi scélérat, vise à décaler… Je vois que, sur ses béquilles, M. Dord nous rejoint dans l’hémicycle. Il y a à peine deux mois, M. Dord a été quasiment insulté ici même par ses amis de l’UMP parce qu’il osait défendre un projet de loi visant à développer la démocratie sociale dans les très petites entreprises…

M. Dominique Dord. C’est vrai !

M. Jean Mallot. « Halte aux syndicats ! », disait alors M. Copé dans cette enceinte. Mais hier, les députés du groupe UMP ne trouvaient pas de mots assez flatteurs pour chanter ses louanges. Entre-temps, il est vrai, M. Dord a obtenu une promotion au sein de son parti. Cela rend ses collègues beaucoup plus mielleux à son égard – certains d’entre eux espèrent peut-être obtenir une réduction de leur cotisation ; je les laisse à leurs espoirs.

Venons-en à la mesure d’âge proposée par l’article 5. Vous voulez repousser de deux ans l’âge légal de départ à la retraite. C’est tellement important pour vous que M. Sarkozy, dans sa déclaration au conseil des ministres, publiée mercredi en milieu de journée, après avoir fait mine de consentir à quelques ouvertures – en fait, de fausses ouvertures – sur des sujets mineurs, a précisé qu’il n’était pas question de revenir sur ce point. Il n’a donc pas entendu, mardi dernier, la parole des trois millions de manifestants.

Mme Valérie Rosso-Debord. Pourquoi pas quatre millions tant que vous y êtes ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Cinq millions !

Mme Claude Greff. Avec vous, ça augmente tous les jours ! Qui dit mieux ?

M. Dominique Dord. Six millions !

M. Jean Mallot. Je vois que vous commencez à prendre conscience de ce qui se passe dans notre pays.

Une fois n’est pas coutume, je vais faire plaisir à M. le rapporteur, en m’appuyant sur son rapport. Je l’ai lu avec une grande attention car on y trouve beaucoup de choses intéressantes. Cette mesure de report d’âge est importante pour M. Sarkozy, je l’ai dit, mais également pour le rapporteur. Ainsi, dès les premières pages de son rapport, page 23, il annonce « une réforme nécessaire et ambitieuse ».

Nous ne contestons pas qu’une réforme soit nécessaire compte tenu de la situation de l’économie française, résultat de la politique que vous menez depuis au moins huit ans. Cela dit, nous trouvons qu’elle n’est guère ambitieuse. En effet, à l’horizon 2018, il faudra recommencer le travail et, d’ici là, du fait de votre réforme, le Fonds de réserve pour les retraites aura été dilapidé, ce qui rendra les choses encore plus difficiles.

La façon dont la question des soixante-deux ans est abordée par M. Jacquat dans son rapport est intéressante. Il s’agit, selon lui de « faire sauter le tabou des soixante ans ». Voilà une curieuse formulation pour un rapport parlementaire. La formule est peut-être même un peu militante. Pourquoi ne pas « dynamiter » le tabou des soixante ans, tant qu’on y est ? On voit bien quelle démarche politique est à l’œuvre. M. Pierre Méhaignerie qui était tout à l’heure dans l’hémicycle parlait des 35 heures. Vous ne les avez pas fait « sauter » les 35 heures ; vous les avez contournés avec les mesures de défiscalisation des heures supplémentaires, et en modifiant le mode de calcul de la durée du travail. M. Dord est spécialiste de la question, il sait parfaitement de quoi je parle.

Vous avez aussi été tentés de faire « sauter » l’impôt de solidarité sur la fortune, mais là encore, vous avez choisi de contourner l’obstacle. Le bouclier fiscal a été créé pour cela : pour compenser l’ISF auquel vous ne vouliez pas vous attaquer directement.

Mais cette fois, bille en tête, vous vous en prenez à la retraite à soixante. C’est votre objectif, à la fois pour préparer 2012, pour satisfaire le MEDEF, et pour donner des gages aux marchés financiers. M. Copé et M. Woerth, hier, ont confirmé qu’il s’agit bien de répondre à la crise, et vous avez choisi de faire payer la facture de cette crise à ceux qui sont les premiers à en souffrir.

Finalement, vous repoussez de deux ans le paiement des retraites. La mesure d’âge est donc l’un des éléments clés du véritable plan de rigueur que vous nous proposez. C’est logique, en décalant de deux ans le paiement des retraites, en faisant attendre les gens, vous allégez la charge des caisses de retraite. Cette arithmétique est à la portée de tous.

Mais quels seront les effets de cette mesure ? Les deux tiers des personnes qui atteignent soixante ans n’ont pas d’emplois, elles devront donc attendre tandis que, mécaniquement, le montant de leur retraite baissera. Hier, le Premier ministre, a annoncé la création d’une nouvelle forme d’allocation équivalent retraite.

Mme Élisabeth Guigou. Allocation équivalent retraite que ce gouvernement a supprimée en 2008 !

M. Jean Mallot. Il y aura une prise en charge par le RSA et, donc, par les collectivités locales, ce dont vous ne parlez jamais. L’étude d’impact jointe au projet de loi ne dit d’ailleurs pas un mot à ce sujet. Vous avez réussi le tour de force de publier un projet de loi accompagné d’une étude d’impact qui ignore totalement l’effet du texte sur les autres régimes sociaux – UNEDIC, RSA… –, les régimes complémentaires, les inégalités entre les hommes et les femmes, ou encore sur les régimes des accidents du travail et des maladies professionnels puisque la pénibilité n’est pas prise en compte.

Pourtant, cette conséquence du report de l’âge légal est tellement évidente que, même vous, chers collègues de l’UMP, la décriviez, il y a seulement six mois. Je vous en donne deux exemples.

Nos collègues qui, tous les ans, examinent dans cette enceinte le projet de loi de financement de la sécurité sociale s’en souviendront, lorsque nous avons débattu, à l’automne 2008, du PFSS pour 2009, M. Bur et M. Tian, habitués de cet exercice, avait déposé un amendement visant à reporter l’âge légal de la retraite de soixante à soixante trois ans et demi. Pourquoi « et demi » ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce une fantaisie de M. Bur ou d’un régime spécial de l’Alsace-Moselle. (Sourires.) M. Xavier Bertrand, qui était ministre à l’époque, avait alors demandé, au nom du Gouvernement, à M. Bur et à M. Tian de retirer leur amendement. Je vous lis les propos tenus par M. Bertrand : « Monsieur Bur, si on repousse l’âge légal de départ à la retraite mais qu’on ne change pas les comportements en matière d’emplois des seniors afin de faire coïncider l’age légal et l’age réel de départ à la retraite alors, c’est mathématique, on diminuera le montant des pensions. » Il ajoutait : « Monsieur Bur, êtes-vous prêt à l’assumer ? » M. Bur n’était manifestement pas prêt à l’assumer : il retira son amendement.

Que disait M. Jacquat lors du même débat ? Monsieur le rapporteur, je vais vous citer, et je rapporterai également ce que vous m’avez dit en commission. Dans l’hémicycle, en 2008, vous affirmiez : « Avant de reculer l’âge de la retraite, encore faut-il que les Français puissent travailler au moins jusqu’à soixante ans. » (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous avons d’ailleurs participé ensemble à un débat avec des syndicalistes sur La chaîne parlementaire, et vous avez admis avec moi que le report de l’âge légal de la retraite au-delà de soixante ans produirait mécaniquement une baisse du montant des pensions versées.

Il est intéressant de voir comment vous avez changé d’avis en quelques heures…

M. Denis Jacquat, rapporteur. Non !

M. Jean Mallot. … pour garder votre poste de rapporteur, ce qui est, de votre part, un peu bizarre.

M. Denis Jacquat, rapporteur. N’importe quoi !

M. Jean Mallot. J’avais une autre opinion de vous.

Pour répondre à mes objections en commission, vous avez, vous aussi, évoqué la crise. M. Fillon, M. Woerth et M. Jacquat l’ont dit très clairement : le projet de loi est motivé par les effets de la crise et non par une quelconque considération démographique.

Je vais conclure. (« Dommage, c’était bien ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Tout le monde doit pouvoir s’exprimer. J’aurai d’autres occasions de reprendre la parole, car, contrairement à M. Copé, je resterai dans l’hémicycle beaucoup plus longtemps que lui et je serai amené à intervenir de nouveau.

Je terminerai en évoquant un débat qui nous a souvent opposés MM. Jacquat, Dord  et moi-même : la liberté de choix. Depuis 2007 – sans doute bien avant, mais je n’étais pas député alors – vous nous avez souvent « bassinés » sur le thème de la liberté de choix.

Il fallait par exemple donner le choix aux salariés de pouvoir faire des heures supplémentaires. Comme si, dans l’entreprise, un employé pouvait décider seul de faire des heures supplémentaires ! Non, c’est le patron qui prévoit s’il pourra y en avoir car il y a par exemple un nouveau débouché.

Sur ce sujet-là, nous sommes un peu à front renversé. Nous affirmons qu’il faut maintenir l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans pour que celles et ceux qui remplissent les conditions aient la liberté de partir. Vous, vous considérez que ceux qui remplissent les conditions pour pouvoir partir à soixante ans devront attendre soixante-deux ans. Vous les gardez, les ficelez, les empêchez de réaliser leur droit. Au-delà de toutes les considérations économiques développées, nous considérons qu’il s’agit d’une mauvaise mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Nous sommes, depuis quelques heures, au cœur du sujet qui nous différencie très fortement.

Je retiendrai d’abord les propos de M. Dord, sur lesquels je reviendrai. Ils constituent une référence, tant il a fait de révélations. Il a conclu son intervention, brillante comme d’habitude, sur le fait qu’il fallait que la signature de la France soit reconnue et le triple A enfin confirmé. Cette réforme ne vise donc qu’à donner satisfaction aux marchés financiers.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais non ! C’est une obsession !

M. Michel Issindou. La situation des petits retraités n’était pas au centre de ses préoccupations.

Vous défendez avec conviction l’âge légal de départ à la retraite à soixante-deux ans. Vous répétez à l’envi qu’il n’existe pas d’autres solutions.

Mais je vais citer les propos de M. Dord qui rappelait hier soir que nous avions beaucoup travaillé en commission et qu’il y avait eu 37 ou 38 auditions. Certains experts nous ont certes indiqué que soixante-deux ans était la solution la plus rapide et la plus efficace financièrement. Mais ils ont également déclaré que, dans une réforme paramétrique, on pouvait agir également sur les autres leviers : l’allongement de la durée de cotisations, les annuités, les recettes nouvelles à trouver. Personne n’a dit : « C’est soixante-deux ans ou rien ou votre réforme échouera. » Dominique Dord a interprété ce qu’il avait entendu et pris ses désirs pour des réalités. Nous n’avons pas entendu les mêmes propos. Le choix qui a été fait est celui de la majorité.

Nous souhaitons garder, je le répète comme beaucoup d’autres parlementaires l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans. Il ne s’agit pas d’un symbole, comme nous l’avons entendu. Nous sommes fiers de ce que nous avons fait en 1981, mais les symboles durent ce que durent les symboles. Pour nous, c’est une question de justice par rapport à ceux que nous voulons protéger – ce ne sont pas les mêmes que vous –, et non de symbole.

Vous nous obligez à nous en tenir à ce choix car votre réforme ne tient pas compte de la pénibilité du travail. Vous avez classé cela dans la catégorie incapacité- invalidité, mais ces mesures existaient déjà. Des salariés peuvent déjà être arrêtés pour ces raisons-là. Vous n’avez rien inventé. S’agissant des carrières longues – c’est mathématique, pourquoi le contester ? –, quelqu’un qui a commencé à travailler à dix-huit ans atteindra donc quarante-quatre annuités à soixante-deux ans. Là encore, vous n’avez apporté aucune amélioration : vous avez même détérioré la situation.

En ce qui concerne le choix de vie, la retraite peut être également un moment où l’on se donne du temps pour faire autre chose. On peut choisir de s’arrêter de travailler pour des raisons parfaitement avouables. Sinon, il faut dire clairement que les gens qui sont à la retraite n’existent plus dans notre société et que l’on passe directement du travail à la maison de retraite. Qu’il n’y a plus de vie après le travail.

M. Dominique Dord. C’est un peu caricatural !

M. Michel Issindou. L’espérance de vie augmente, c’est vrai, mais les années entre quatre-vingt-huit ans et quatre-vingt-dix ans ne seront pas les plus agréables, nous le savons. Tel n’est pas le cas après soixante ans, alors que le salarié est encore en bonne forme physique. Vous allez priver de nombreuses personnes qui ont travaillé dur toute leur vie de deux années. Deux ans, c’est énorme, lorsque l’on arrive à soixante ans, quelques-uns ont déjà pu le constater, d’autres ne tarderont pas à le faire ici-même.

L’ajustement se fera au rythme des uns et des autres. Ceux qui auront eu des carrières longues pourront partir à soixante ans, c’est la seule certitude que nous ayons aujourd’hui, car vous ne leur faites aucun cadeau ; les autres continueront à leur rythme. Le Front de gauche et le parti communiste défendent avec conviction la retraite à soixante ans à taux plein pour tout le monde. Nous, nous ne disons pas cela. Nous avons accepté que la retraite à taux plein n’intervienne qu’au bout de quarante et une annuités. C’est une manière de prendre en considération le problème démographique. Nous considérons qu’il faut laisser le choix. Certains peuvent avoir envie d’arrêter pour des raisons diverses : gagner au loto, au casino ou bénéficier de dégrèvements…

Pour nous, ce n’est pas une mesure absurde : c’est une mesure humaine, chacun partira à son rythme. Vous verrez que ceux qui ont commencé plus tard, fait des études – tant mieux pour eux ! – partiront plus tard, car ils n’auront pas de retraite à taux plein. C’est déjà ce que l’on constate sur le terrain. Regardez autour de vous. De nombreuses personnes diffèrent leur départ, car elles n’ont pas les trimestres nécessaires. Ce sera encore plus le cas à l’avenir. Il y a a priori une certaine corrélation entre ceux qui ont commencé tôt un travail pénible et ceux qui ont commencé plus tard des travaux moins pénibles. Tout cela s’ajustera à peu près harmonieusement.

Que constaterons-nous lorsque votre projet aura été voté ? Cela a été dit à plusieurs reprises ce matin : vous allez créer des vieux chômeurs entre cinquante-huit, cinquante-neuf ans, tous ceux qui attendront d’arriver à soixante-deux ans pour toucher leur retraite, car quels que soient les efforts qui seront accomplis, nous ne rétablirons pas le travail pour tous jusqu’à soixante-deux ans. À cet égard, il faudrait que le MEDEF joue le jeu. Chaque fois qu’il y a des plans sociaux, des licenciements dans une entreprise, c’est immanquablement le vieux salarié qui est visé : il est un peu moins productif, il coûte cher et on a hâte de le remplacer par un plus jeune. C’est la réalité. Vous aurez donc encore des chômeurs, que vous devrez indemniser.

Notre projet est beaucoup plus juste et humain. Notre méthode d’individualisation reconnaît la pénibilité. Avec le départ à soixante ans, nous la reconnaissons, de fait, a minima, ce que vous ne faites pas. Nous avons prévu des recettes correspondantes pour financer le départ des salariés à soixante ans, car cela représente un coût.

Ce n’est visiblement pas votre choix. Nous souhaitons défendre avec conviction une catégorie de Français : les sans-grade, ceux qui travaillent, qui n’auront jamais la légion d’honneur.

M. Yves Bur. Quel démago !

M. Michel Issindou. Nous remettrons cette réforme en chantier dès 2012 et reviendrons sur la retraite à soixante ans, à la carte, individualisée, avec une liberté de choix.

M. Yves Bur. C’est la méthode Coué !

M. Michel Issindou. Je suis étonné que la liberté que vous revendiquez bien souvent dans votre camp ne se retrouve pas dans votre discours. Aujourd’hui, tout le monde doit passer sous la toise et partir à soixante-deux ans. Vous nous aviez habitués à plus de souplesse dans votre libéralisme ambiant.

Rendez-vous donc en 2012 pour refaire tout le travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons entendu une quinzaine d’orateurs. Il en reste trente. Chacun d’entre vous peut parler autant qu’il le désire, comme le prévoit le règlement. Mais si vous utilisez beaucoup de temps pour la discussion sur l’article, il en restera fort peu pour les amendements. Je tenais à le préciser afin que tout le monde soit informé.

La parole est à Mme Gisèle Biémouret.

Mme Gisèle Biémouret. Monsieur le ministre, les travailleurs pauvres deviendront à la retraite des retraités pauvres, ils ne verront aucune amélioration de leur niveau de vie et travailleront jusqu’à soixante-sept ans. Cette catégorie de travailleurs est totalement ignorée par le projet de loi. Ils représentent pourtant des millions de personnes, employées bien souvent dans des activités de service nécessaires à la collectivité.

Certes, on ne peut pas corriger les inégalités avec la retraite. L’année dernière, j’avais interrogé à leur sujet Laurent Wauquiez lors d’une question au Gouvernent. Il m’avait promis de mettre en place une commission, dont j’attends toujours la création. Mais votre projet de loi est prévu pour des personnes aux carrières linéaires qui ne connaissent pas d’accidents de la vie. Cela ne correspond pas à la réalité du monde du travail d’aujourd’hui.

Monsieur le ministre, vous préférez ignorer cette population, tirer un trait sur une réalité à laquelle vous n’apportez aucune réponse. La retraite est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est bien pour cela qu’il faut garder le système par répartition !

Mme Gisèle Biémouret. Vous faites du chantage auprès des plus pauvres. Vous leur dites que s’ils ne travaillent pas plus longtemps, il n’y aura plus de retraite par répartition.

Votre projet de loi est un rafistolage de fortune pour masquer les déficits jusqu’aux élections présidentielles, car votre seul souci ce ne sont pas les retraités et le régime par répartition, mais la réélection de Nicolas Sarkozy.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Plus j’écoute nos débats, plus je considère cette réforme, tout particulièrement l’article 5, comme doublement, triplement, quadruplement injuste pour les salariés de notre pays qui connaissent des situations modestes, précaires et qui n’ont pas la chance de disposer de gros moyens pour faire, comme d’autres, ce qu’ils désirent. Je vois de nombreuses injustices.

Partons d’abord de la réforme de 2003. Elle n’a pas porté ses fruits, car la croissance salariale n’a pas augmenté au rythme que vous aviez prévu.

J’ai entendu ce matin les nombreuses critiques faites à la gauche, mais je voudrais rappeler à nos collègues de la majorité qu’ils gouvernent depuis huit ans.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Guy Lefrand. Et cela va durer !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Premièrement, vous n’avez pas mis en œuvre une politique d’aide active à l’emploi en 2003, au moment de la réforme des retraites.

Deuxièmement, des déficits de la branche vieillesse à hauteur de 8 milliards ont été constatés dès 2008. Or en 2008, la crise n’existait pas à ma connaissance.

Mme Élisabeth Guigou. Elle a bon dos la crise !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Elle arrivera ensuite.

Une crise mal maîtrisée, un plan de relance insuffisant : 600 000 chômeurs de plus subissent la crise de plein fouet, car votre plan de relance n’a pas été à la hauteur des enjeux.

Depuis deux jours, vous ne cessez de faire référence à ce qui se passe chez nos voisins européens, mais regardez plutôt leurs plans de relance et leur taux de chômage ! Pourquoi n’en parlez-vous pas ? C’est pour le moins étonnant !

Nous vous avons proposé des plans de relance prévoyant des politiques actives d’aide à l’emploi. Mais vous les avez totalement ignorés tout en disant que nous ne faisions jamais de propositions !

M. Nicolas Forissier. N’importe quoi !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Des propositions, nous en faisons, mais vous n’écoutez pas.

Mme Élisabeth Guigou. Très juste !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. La crise a aggravé les déficits – M. le ministre l’a dit –, notamment ceux de l’assurance maladie et de la branche retraite. Les 600 000 chômeurs supplémentaires, très mal indemnisés, sont doublement pénalisés par cette injustice.

S’agissant de l’espérance de vie, je rappelle qu’il y a sept ans d’écart entre un ouvrier et un cadre. Alain Vidalies l’a dit hier, l’espérance de vie en très bonne santé d’un ouvrier est estimée à cinquante-neuf ans. Voilà la réalité.

Quant aux carrières longues, j’avais un peu d’espoir, mais je suis sans doute naïve.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Vous ? Non !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Les débats que nous avions eus en commission m’avaient laissé espérer une amélioration. Mes illusions se sont rapidement dissipées en séance publique hier. Un salarié qui aura commencé à travailler à dix-sept ans sera obligé de cotiser quarante-trois ans. Encore une injustice supplémentaire pénalisant ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir fait des études ! J’espérais pourtant que vous feriez un effort et que vous tiendriez compte des carrières longues.

M. Guy Lefrand. Nous sommes les seuls à avoir fait des efforts dans ce domaine !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. À soixante et un ans, environ 40 % des salariés ont un emploi ; 30 % sont au chômage ; 20 % ne travaillent pas – souvent des femmes qui ont renoncé, un peu désespérées, à chercher un emploi ou des personnes en grande précarité ; 10 % sont en invalidité ou en arrêt maladie.

Seuls 40 % des salariés travaillent à l’âge de soixante ans, mes chers collègues ! Pour peu que le Pôle emploi propose une offre raisonnable d’emploi aux 30 % de chômeurs que j’ai mentionnés, ils devront travailler jusqu’à soixante-deux ans, voire soixante-sept ans. En outre, le calcul de la retraite se fait sur les vingt-cinq meilleures années – encore une belle injustice. Non seulement on les oblige à trouver un emploi moins bien rémunéré, plus éloigné de leur domicile, moins qualifiant, mais ils perdront un niveau de pension correct. Encore une injustice !

De plus, c’est à quarante-sept ans, que le taux d’emploi s’affaiblit. Qui paiera pour les 30 % et 20 % de salariés sans emploi ? L’UNEDIC, le RSA et d’autres branches. Et il faudrait qu’ils attendent jusqu’à soixante-sept ans pour avoir des trimestres complets ?

M. Yves Bur. Vous êtes d’un pessimisme noir ! C’est du Zola !

M. Dominique Dord. Du mauvais Zola !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Au-delà du coût, que se passe-t-il lorsqu’à soixante ou soixante et un ans, on n’a pas assez de trimestres, notamment quand on est une femme ? Il faudra vivre – mal – et attendre d’avoir l’âge requis en touchant des minima sociaux alors que les meilleures années d’une retraite se situent autour de soixante, soixante-quatre ans. On se porte tout de même mieux à ces âges qu’à soixante-quinze ou quatre-vingt-cinq ans ! Tenons compte de ces réalités ! Tenons compte de la pénibilité des métiers qui influent sur l’état de santé. J’ai bien entendu M. Leonetti qui a avancé d’autres critères, mais on ne peut nier que certaines professions sont plus fatigantes que d’autres.

J’ai parlé des personnes modestes, en situation de précarité. Je souhaite m’arrêter quelques instants sur le problème des carrières incomplètes, non linéaires, entrecoupées d’autres activités. Je prends l’exemple d’une personne qui n’a pas fait d’études et qui débute dans une boîte d’intérim où on lui proposera d’exercer des activités différentes : hôte dans un salon, manutentionnaire dans une usine. Puis, avant de se marier et d’avoir des enfants, cette personne s’arrêtera quelque temps pour se consacrer à un art ou partir en voyage. À son retour, elle trouvera peut-être un travail dans le secteur de l’alimentation. Cet exemple montre que les modes de vie ont changé ; les rythmes ne sont plus les mêmes.

C’est la raison pour laquelle nous insistons tant sur le fait que la borne d’âge à soixante ans est indispensable pour garantir le départ à la retraite de ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Mais nous défendons également la retraite choisie, pour celles et ceux qui le souhaitent. Nous n’avons jamais dit que cela concernait les cadres, monsieur Dord. Nous sommes conscients que 41,5, voire 43 annuités dans un avenir proche ne permettront pas à un cadre qui a commencé à travailler à vingt-sept ans de partir à soixante !

J’ai été choquée d’entendre certains collègues de la majorité s’écrier : « si, par malheur, la gauche revenait … » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La démocratie, c’est respecter le choix de nos concitoyens. Je ne crois pas qu’en 2002, nous ayons laissé les finances de notre pays dans l’état où nous allons les trouver en 2012 ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Nicolas Forissier. Parlons de 1993 !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Il faut tout de même le rappeler !

Mme Élisabeth Guigou. Tout à fait.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je rappelle que vous gouvernez depuis huit ans !

M. Yves Nicolin. Ce n’est pas assez !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. On dirait que vous n’en êtes pas conscients !

Je me souviens de certains slogans de campagne, comme « travailler plus pour gagner plus ». Je constate que les plus précaires, les plus pauvres vont travailler davantage, pour gagner moins ! Compte tenu du taux d’emploi des seniors, je ne vois pas comment ils pourraient retrouver un emploi. Vous faites un pari qui relève davantage d’un choix idéologique !

M. Guy Lefrand. L’idéologie, c’est plutôt de votre côté qu’on la trouve !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Ce choix, nous le condamnons.

Le problème du fractionnement des carrières est réel. Moins de la moitié des femmes valident une carrière complète ; un tiers à soixante-cinq ans contre 5 % pour les hommes. Dans ce domaine aussi, M. le ministre a fait des promesses, mais je doute qu’elles arrangent beaucoup les choses.

Au regard de votre choix idéologique, nous proposons le maintien d’une borne d’âge à soixante ans – repère lisible –, mais également la prise en compte et le respect de choix et de rythmes de vie qui ont changé en ce XXIe siècle et dont il faudra tenir compte dans l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Ménard.

M. Michel Ménard. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, depuis le début de la législature, vous avez expliqué, pour justifier des réformes – en réalité, des régressions – comme les franchises médicales, le bouclier fiscal ou le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, qu’il s’agissait d’engagements du candidat Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007.

Tel n’est pas le cas avec cette réforme. Nicolas Sarkozy avait en effet déclaré que le droit à la retraite à soixante ans serait maintenu. Il a confirmé en 2008 qu’il n’y aurait pas de report de l’âge d’ouverture du départ à la retraite parce qu’il n’avait pas reçu ce mandat du peuple. Il renie aujourd’hui son engagement.

L’autre argument invoqué pour justifier la réforme consiste à dire que les autres pays ont relevé l’âge du départ à la retraite en citant les exemples qui vous arrangent.

N’avez-vous pas, ces derniers jours, dit que cette réforme sauvera la retraite par répartition ? C’est faux ! Que veut dire sauver la retraite par répartition quand cela se traduira par une diminution des pensions de 20 à 25 % ?

M. Yves Bur. Cela, c’est la solution socialiste avec la retraite à la carte ! Dites-le aux Français !

M. Michel Ménard. Qui peut vivre correctement avec une retraite diminuée de 25 % ?

Certains auront la possibilité de se constituer une retraite complémentaire par capitalisation. Les autres, les plus modestes, souvent ceux qui exercent un travail pénible, n’auront d’autre choix que de vivre, survivre, avec le RSA, survivre avec une pension dérisoire à cause de la décote, entre soixante-deux ans et soixante-sept ans, ou attendre soixante-sept ans. Car c’est bel et bien soixante-sept ans que devront attendre un certain nombre de salariés qui n’auront pas toutes leurs annuités.

Vous indiquez que le report de l’âge d’ouverture du droit à une pension se fera progressivement – c’est vrai – et que cela s’appliquera totalement à partir de 2018, ce qui est faux. Un salarié atteignant soixante ans en 2016 devra attendre 2018 pour valider ses droits à la retraite. Un salarié atteignant soixante-cinq ans en 2016 devra attendre 2023 pour prendre sa retraite à taux plein s’il n’a pas tous ses trimestres.

Constatant que votre réforme est rejetée par les Français, vous avez décidé de mettre en doute le projet des socialistes. Les Français n’attendent pas que vous jetiez le discrédit sur l’opposition. Ils attendent que vous renonciez au report du droit de départ à la retraite. Ce ne sont pas seulement les 2,5 ou 3 millions de Français qui étaient dans la rue mardi dernier qui s’opposent à cette réforme : ce sont des millions et des millions de Français – y compris ceux qui n’ont pas manifesté en raison de contraintes personnelles ou, simplement, parce qu’ils ne pouvaient se permettre de perdre une journée de salaire – qui s’opposent à votre réforme de régression sociale.

M. Guy Lefrand. Pure speculation !

M. Michel Ménard. Aucune ambiguïté dans la proposition des socialistes. Nous sommes en faveur du maintien de l’âge légal du départ à la retraite à soixante ans. Nous sommes favorables à une retraite à la carte : les salariés qui souhaitent travailler au-delà de soixante ans doivent pouvoir le faire afin d’atteindre le nombre de trimestres nécessaires ou pour poursuivre une activité professionnelle.

Nous souhaitons la sauvegarde du système par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, qui nécessite de répondre à des besoins de financement de 25 milliards d'euros à l’horizon de 2020.

Nous demandons un niveau de pensions qui permette aux retraités de vivre correctement, alors qu'elles ont baissé de 20 % depuis la réforme Balladur et devraient à nouveau baisser de 25 % dans les années à venir.

Nous demandons l'introduction de nouvelles ressources dans le système, notamment l'élargissement de l'assiette des cotisations à la valeur ajoutée, le prélèvement de cotisations sur les stock-options et autres revenus non assujettis, en particulier les revenus du capital.

Nous demandons le maintien de l'âge légal du départ à la retraite à soixante ans, c'est-à-dire la possibilité de faire valoir ses droits, même si le nombre de trimestres n’est pas atteint.

Nous demandons la prise en compte de la pénibilité.

Mme Claude Greff. C’est fait !

M. Michel Ménard. Nous voulons faire en sorte que les salariés qui ont occupé des emplois pénibles puissent bénéficier d'un départ en retraite anticipé, par exemple en appliquant un coefficient qui majore les trimestres travaillés dans ces conditions.

M. Yves Bur. C’est tous les jours Noël !

M. Michel Ménard. Nous demandons la possibilité de faire valoir les droits à la retraite dès lors que les salariés ont cotisé le nombre de trimestres requis, ce qui permettrait à celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir à cinquante-huit ou cinquante-neuf ans.

Vous le voyez, une autre réforme est possible. Ne nous faites pas le coup de « la droite, bonne gestionnaire » et de « la gauche irresponsable » !

M. Guy Geoffroy. C’est pourtant vrai !

M. Michel Ménard. Nous avons, depuis longtemps, prouvé qu’il était possible de mieux gérer et d’avoir comme objectif la justice sociale. Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a, à la fois, réduit les déficits du pays, rétabli les comptes de la sécurité sociale…

M. Nicolas Forissier. Il y avait de la croissance ! Et vous oubliez les 35 heures !

M. Michel Ménard. …tout en garantissant plus d’équité. Nous pourrions également citer l’exemple des collectivités territoriales que nous gérons de façon tout à fait responsable (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Nicolin. En augmentant les impôts !

M. Dominique Dord. Un peu d’humilité !

M. Michel Ménard. …en ayant toujours le souci de nous adresser en priorité aux plus modestes et aux plus démunis. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.- Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article 5, le cœur même de la réforme, relève l’âge légal de départ à la retraite à soixante-deux ans. C’est une réelle injustice.

Aujourd’hui, notre pays compte environ quatre millions de personnes au chômage ou qui travaillent à temps partiel sans l’avoir choisi. Parallèlement, la crise financière et économique a creusé les déficits – cela a été longuement rappelé – et mis fin – provisoirement du moins, car nous restons méfiants – à la croyance ultralibérale selon laquelle la capitalisation serait l’avenir.

On l’a vu, les discussions menées ont pris la forme de communications unilatérales du Gouvernement. C’est ce qu’ont fortement exprimé les salariés et leurs organisations syndicales.

Une autre solution aurait consisté à tendre vers plus d’harmonisation et de simplification, tout en respectant le choix des salariés. Car, comme nous l’avons rappelé hier, nombre d’entre eux perçoivent de petites retraites issues en moyenne de deux ou trois régimes différents. Cette situation résulte notamment de la mobilité professionnelle. Or cette hétérogénéité conduit à s’interroger sur la pertinence de l’objectif fixé par le Gouvernement, qui consiste à uniformiser les âges de départ à la retraite. En effet, l’âge moyen de départ varie en réalité selon le montant des retraites ainsi disponibles.

À l’inverse, on aurait pu envisager une clarification doublée d’une personnalisation du système de retraite, afin que chaque futur retraité connaisse à tout moment ses droits à la retraite, quel que soit son statut. Dans ce système, les travailleurs auraient accumulé tout au long de leur vie et de leur carrière professionnelle les cotisations retraite, salariales et patronales sur un compte individuel administré par l’assurance vieillesse, leurs contributions bénéficiant chaque année d’un taux de rendement réel égal ou supérieur à l’inflation, garanti par l’État…

M. Guy Geoffroy. Ce n’est plus de la répartition !

Mme Marietta Karamanli. …, ce qui ne sera pas le cas. Ce système aurait pu fonctionner selon le principe de la répartition, puisque les cotisations des salariés financeraient toujours les pensions courantes. Cela aurait eu pour avantage de permettre de profiter du rendement qu’apporte le système par répartition, tout en clarifiant à long terme les droits individuels à la retraite. Nous avions préfiguré cette idée en proposant de créer le compte temps dont nous avons parlé hier soir.

En définitive, nous contestons la pertinence de la mesure prévue par l’article 5 et nous refusons le report de l’âge légal de départ à la retraite. Parallèlement, nous proposons une autre réforme, que plusieurs d’entre nous, notamment Alain Vidalies et Marisol Touraine, ont expliquée de façon très simple et très juste. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cette réforme est l’expression non pas d’un courage en trompe-l’œil, comme celui dont se prévaut le chef de l’État, mais de la justice, pour ceux qui ont suffisamment travaillé, mais aussi pour ceux qui vont travailler et cotiser. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes évidemment d’accord pour dire qu’une réforme est absolument nécessaire si l’on veut sauver notre système de retraite par répartition.

Toutefois, comme les syndicats, comme les millions de personnes qui ont manifesté mardi, comme une majorité de Français, nous disons oui à une réforme, mais pas à la vôtre, qui aggrave les injustices et ne comble pas le déficit. Je le répète après d’autres : pour nous, une autre réforme est possible.

En supprimant la retraite à soixante ans et, corrélativement, en reportant à soixante-sept ans l’âge de la retraite à taux plein, vous faites payer votre réforme par les plus modestes et les plus fragiles des Françaises et des Français.

Vous la faites payer par celles et ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, et qui sont justement ceux qui ont fait peu d’études et qui exercent les métiers les moins valorisants et les plus pénibles. Et ce ne sont pas les amendements tardivement ficelés après la manifestation de mardi dernier qui vont résoudre ce problème : quelqu’un qui a travaillé à dix-huit ans devra encore cotiser trois ans et demi de plus.

Vous la faites payer par les 60 % de seniors qui sont au chômage et qui, à la fin de leur allocation chômage, basculent pour plusieurs années vers l’ASS ou le RSA, qui leur procurent un revenu souvent bien inférieur à leur retraite. Il est vrai que vous aviez déjà montré le peu de cas que vous faites de cette population en supprimant en 2008 l’allocation équivalent retraite que le gouvernement Jospin avait créée pour elle en 2001. Vous dites souvent que nous n’avons rien fait, mais nous avions du moins créé cette allocation et le Fonds de réserve des retraites que vous vous apprêtez à siphonner sans le moindre scrupule.

Vous faites payer votre réforme par les ouvriers, dont l’espérance de vie est inférieure en moyenne de sept ans à celle des cadres. Vous la faites aussi payer par tous les salariés qui ont des carrières incomplètes, en particulier les femmes qui ont interrompu leur vie professionnelle pour élever leurs enfants, ou – et elles sont nombreuses – qui ont été contraintes d’accepter des postes à temps partiel, très mal payés, très pénibles et très précaires.

Dans mon département de Seine-Saint-Denis, je connais beaucoup de ces femmes, souvent chefs de familles monoparentales, qui gagnent une misère et vivent une galère quotidienne. En réalité, elles sont – le savez-vous ? – la figure de ces nouveaux parents pauvres qui peuplent nos villes et, de plus en plus, nos campagnes. Savez-vous que le taux de pauvreté est de 20 % chez les jeunes filles ? En d’autres termes, une jeune femme sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, pour un jeune homme sur six.

Ainsi, vous faites payer votre réforme par les jeunes, les femmes, les ouvriers, les chômeurs et par tous ceux – ils sont 700 000 – qui ont un métier pénible et que vous allez faire travailler plus longtemps alors qu’ils sont usés, épuisés et qu’ils risquent plus que d’autres de souffrir de maladies graves. Vos mesurettes jetées comme une aumône après les manifestations, et qui confondent invalidité et pénibilité, n’y changeront rien.

Non seulement vous aggravez les injustices de façon intolérable, mais votre réforme n’est pas financée. Du reste, le Premier ministre le reconnaît : il admet que la réforme de 2003, qu’il a conduite, n’a rien résolu, et il a annoncé hier que votre réforme serait suivie d’autres mesures, qui iront évidemment dans le même sens. De votre propre aveu, il manquera 15 milliards d’euros en 2018, qu’il faudra trouver dans le budget de l’État. Monsieur le ministre, comment les trouverez-vous ? En gonflant le déficit et la dette, ou en augmentant les impôts – ou les deux, du reste ? Vous devez nous répondre, sans vous réfugier derrière la crise, qui a bon dos et qui vous sert à masquer l’échec de votre politique depuis 2002.

La réforme des retraites appelle de nouveaux financements, mais pas ceux que vous nous proposez. D’autres solutions existent : une réforme qui ne se limite pas comme la vôtre à un seul levier, celui des mesures d’âge. Ainsi, la réforme que nous proposons utilise trois leviers complémentaires. Tout d’abord, la durée de cotisation, portée à quarante et un ans et demi jusqu’en 2020, et au-delà si nécessaire ; une prolongation de la durée de cotisation avec, pour chaque année d’espérance de vie supplémentaire, six mois cotisés, six mois de retraite en plus.

Cessez donc vos mensonges : oui, nous voulons maintenir les retraites à soixante ans pour les plus modestes et les plus fragiles, mais nous acceptons d’accroître la durée de cotisation de ceux qui ont la chance d’avoir fait des études, d’avoir des carrières complètes et une bonne espérance de vie.

Mais nous agissons aussi sur deux autres leviers que vous ignorez totalement : l’emploi des seniors, d’une part ; l’élargissement de l’assiette des cotisation aux revenus du capital, d’autre part.

La priorité absolue est bien sûr de réduire le chômage. Car lorsque le chômage diminue, la masse salariale augmente et, avec elle, les cotisations vieillesse. Or vous qui faites constamment appel aux comparaisons européennes, vous devriez admettre que notre pays accuse un triste retard sur les autres pays d’Europe en ce qui concerne l’emploi des femmes, celui des jeunes et celui des seniors.

Rien dans vos propositions ne concerne l’emploi des jeunes, alors que le chômage explose et que, dans certains quartiers de nos villes, la moitié des jeunes sont au chômage. Quant au taux d’emploi de nos seniors, il est l’un des plus bas d’Europe. Ainsi, le taux d’emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans n’est que de 38,9 % en France, contre 47,3 % en moyenne en Europe, 56 % en Allemagne et 70 % en Suède. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans ce domaine, seule l’Italie fait moins bien que nous. En outre, on sait que seuls 25 % des seniors retrouveront un emploi après six mois de chômage. Pourtant, des réformes de structure appliquées ailleurs en Europe ont produit de bons résultats en matière d’emploi des seniors. C’est de ces réformes que nous nous inspirons.

Voici donc nos propositions, que vous semblez ignorer. D’abord, pour tous les salariés dès quarante-cinq ans, un rendez-vous tous les deux ou trois ans, spécifiquement destiné à envisager leur évolution dans l’emploi. Ensuite, nous proposons de fixer à Pôle Emploi des objectifs chiffrés de retour à l’emploi par bassin d’emploi.

En outre, nous proposons une négociation triennale obligatoire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les entreprises de plus de trois cents salariés. Nous proposons également de généraliser le tutorat ou les binômes en entreprise, de favoriser les départs en retraite progressive et d’aménager les conditions de travail des personnes de plus de cinquante-cinq ans en limitant ou en supprimant le travail de nuit et les tâches physiques et en augmentant les temps de pause.

S’y ajouterait un mécanisme de bonus-malus, par exemple par la modulation d’un point de cotisation patronale en fonction de la proportion de seniors parmi les salariés. Ainsi, les entreprises qui emploient des seniors bénéficieraient d’un bonus, alors que celles qui ne le font pas subiraient un malus.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Au détriment des salariés !

M. Yves Nicolin. Baratin !

Mme Élisabeth Guigou. En ce qui concerne le financement, la mise à contribution des revenus du capital est indispensable. Nous avons chiffré ces mesures : elles rapporteraient entre dix-neuf milliards d’euros dès 2010 et vingt-cinq milliards d’euros en 2025. Votre projet ne prévoit quant à lui que de dérisoires prélèvements sur les revenus du capital et les hauts revenus – 2,2 milliards en 2011. Ainsi, vous faites peser 92 % de la charge de financement sur les salariés, et moins de 8 % sur les revenus du capital.

M. Nicolas Forissier. N’importe quoi !

M. Jean-Charles Taugourdeau. On n’atteint pas 100 % !

Mme Élisabeth Guigou. Contrairement à ce que vous dites, nous formulons des propositions : augmenter les prélèvements sociaux sur les bonus et les stock-options ; relever le forfait sur l’intéressement et la participation, car il est normal que ces formes de revenus, qui constituent du reste un complément de salaire, contribuent comme ce dernier au financement ; instaurer une CSG sur les revenus du capital actuellement exonérés, à l’exception des livrets d’épargne et des plus-values sur la vente de la résidence principale ; enfin, remettre en cause cette mesure scandaleuse qu’est la défiscalisation des plus-values sur les cessions de filiales, dite « niche Copé », qui ponctionne le budget de l’État de vingt milliards d’euros par an.

Nous proposons également de rééquilibrer l’impôt sur les entreprises et les ménages, équilibre que vous avez rompu en supprimant la taxe professionnelle. Toutefois, nous en exonérons évidemment les petites entreprises.

Nous proposons aussi de recommencer à abonder le Fonds de réserve des retraites que le gouvernement de Lionel Jospin a créé en 1999 pour faire face au pic démographique de 2020-2030, afin de garantir le niveau des pensions des jeunes générations d’aujourd’hui. Nous avions fait en sorte de doter ce fonds de manière à atteindre 150 milliards d’euros en 2020 ; vous avez quasiment cessé de l’alimenter depuis 2002, si bien qu’il ne dispose plus que de 34,5 milliards d’euros, au lieu des 80 milliards prévus.

Vous décidez maintenant, ce qui est scandaleux, d’en utiliser les ressources pour financer les déficits du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, qui se sont creusés depuis que vous êtes aux affaires.

M. Dominique Dord. En toute objectivité !

Mme Élisabeth Guigou. Nous vous l’avons dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre : cette mesure n’est rien d’autre qu’un hold-up sur les générations futures ! Nous proposons au contraire d’alimenter régulièrement le FRR par la création d’une surtaxe de 15 % de l’impôt sur les sociétés acquitté par les banques…

M. Nicolas Forissier. Et allez donc !

Mme Élisabeth Guigou. …, ce qui représenterait une recette de trois milliards d’euros par an, avec un rendement de 4 % des placements, soit 140 milliards d’euros disponibles en 2025 pour contribuer à lisser le financement des retraites entre 2025 et 2040.

M. Yves Bur. Les milliards volent !

Mme Élisabeth Guigou. Alors que votre réforme laisse un déficit de 15 milliards d’euros en 2018 et ne prévoit strictement rien ensuite, notre projet satisfait entièrement le besoin de financement pour 2020.

Au-delà, nous n’excluons pas une nouvelle augmentation de la durée de cotisation si l’espérance de vie continue à augmenter.

Je crois, monsieur le président, monsieur le ministre, que la justice et le sérieux sont de notre côté. C’est ce qu’a compris une majorité de Français. Plutôt que de vous obstiner, vous feriez bien de remettre à plat votre projet. Si vous ne le faites pas, il arrivera ce qui est arrivé à la réforme Fillon : un coup d’épée dans l’eau, aucune solution au déficit avec, de surcroît, une aggravation terrible des injustices.

M. Yves Nicolin. Vous ne pouvez pas dire ça !

M. Patrick Roy. Si, nous pouvons le dire !

Mme Élisabeth Guigou. Ce que nous proposons, ce sont des financements équilibrés : équilibre entre mesures démographiques – 52 milliards d’euros à l’horizon de 2050 – et mesures financières – 55 milliards d’euros à la même date ; équilibre entre prélèvements sur les revenus du capital – 28 milliards d’euros – et revenus du travail – 27 milliards d’euros ; équilibre entre le public et le privé, entre les hausses de la durée de cotisation et la hausse des cotisations salariales d’un point s’appliquant de manière identique.

Enfin, nous croyons essentiel de doter substantiellement le Fonds de réserve des retraites.

Notre réforme est juste et efficace. Vous devriez enfin nous écouter et vous en inspirer, monsieur le ministre, plutôt que de vous obstiner à rester sourd à toutes les mises en garde et aveugle devant la réalité sociale de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

M. Dominique Dord. Enfin la vérité et la cohérence !

Mme Marie-George Buffet. Mes chers collègues, si les hommes et les femmes sont si nombreux à agir contre votre réforme régressive des retraites, si nos compatriotes sont si nombreux à soutenir ceux et celles qui luttent et manifestent, c’est…

M. Dominique Dord. Qu’ils ont été intoxiqués !

Mme Marie-George Buffet. …bien sûr parce qu’ils défendent leur droit à la retraite mais aussi parce qu’ils perçoivent qu’à travers cette réforme phare du Président de la République, il y a la volonté de la majorité UMP d’effacer la notion même de droits sociaux au profit de vos règles libérales et du tout financier, quitte à rendre la vie des salariés modestes de plus en plus dure.

À mon tour, je vais insister sur la situation des femmes. On sait que seules 44 % d’entre elles réussissent à valider une carrière complète. On sait que la pension des femmes ne représente que 62 % de celle des hommes. On sait que les femmes ouvrières n’ont une espérance de vie que de soixante-quatre ans. Or, avec votre réforme, la situation de ces femmes va être rendue encore plus inégalitaire qu’il s’agisse du temps de travail ou du montant de leurs pensions.

Vous voulez effacer la notion de droit au profit de vos règles libérales, quitte à développer des arguments mensongers.

Commençons par l’argument de la démographie. À d’autres périodes, notre système de retraite par répartition a su faire face à une arrivée massive de retraités grâce à une situation où l’emploi, des salaires dignes permettaient au système de retraite de bien fonctionner. Ce qui menace aujourd’hui le système par répartition, c’est non pas la démographie, mais c’est votre politique de bas salaires, votre politique qui laisse les entreprises se délocaliser, votre politique qui laisse les entreprises procéder à des licenciements boursiers.

S’agissant de l’argument de l’espérance de vie, il faut bien voir que si celle-ci a augmenté, c’est précisément grâce aux grandes conquêtes sociales et démocratiques, grâce à la sécurité sociale, grâce au droit au repos, grâce également aux progrès des sciences et des techniques. Cet allongement s’est accompagné, de surcroît, d’un gain énorme de productivité. À espérance de vie plus longue doit correspondre un droit à un temps libre plus long. Le dogme selon lequel il faudrait travailler plus longtemps parce que l’on vit plus longtemps ne tient pas la route. Ou alors il faut aller plus loin dans votre raisonnement et remettre en cause la cinquième semaine de congés payés et faire travailler les enfants plus jeunes.

Oui, le droit à la retraite, au temps libre et au repos est une grande conquête sociale et ne saurait être soumis à vos dogmes financiers.

Vous invoquez les contraintes économiques, le déficit et la crise. En réalité, tout se passe comme si vous instauriez un règlement intérieur : « Europe libérale », « pas touche au capital », « servir avant tout les amis de la bande du Fouquet’s » et que vous nous expliquiez ensuite que c’est à ce règlement intérieur que doivent se soumettre tous les droits qu’ont acquis nos concitoyens.

Nous refusons ce règlement intérieur libéral et nous proposons une autre répartition des richesses pour assurer le droit à la retraite à soixante ans à taux plein, sans allongement de la durée des cotisations.

Les moyens existent pour le faire. Nous avons déposé une proposition de loi qui donne à voir la manière de dégager les milliards nécessaires pour financer cette retraite à soixante ans sans allongement de la durée de cotisation. Il s’agit notamment de faire cotiser les revenus financiers à hauteur de 9,9 %, ce qui rapporterait l’équivalent du déficit de la caisse des retraites – plus de 30 milliards d’euros. Il s’agit encore de proposer, pour inciter au développement de l’emploi stable et bien rémunéré, une modulation des cotisations patronales. Il s’agit enfin de mener une véritable bataille pour l’emploi, en particulier au niveau industriel.

C’est cette possibilité de mettre en place une réforme alternative garantissant le droit à la retraite qui justifie la détermination des députés communistes, républicains et du parti de gauche à s’opposer à votre réforme régressive et à être aux côtés des salariés en lutte pour défendre nos propositions alternatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, j’ai respecté l’ordre de passage des orateurs inscrits et je n’ai pas abusé de la pratique du rappel au règlement. Je voudrais à mon tour faire entendre notre opposition, celle des écologistes, à cet article 5, article clef de la réforme du Gouvernement.

Fondamentalement, la raison de cette réforme est la situation financière catastrophique dans laquelle vous avez plongé la France depuis trois ans, et je dois dire, monsieur le ministre, que vous portez une responsabilité particulière dans cette situation puisque vous étiez ministre des comptes publics – ou plutôt des « mécomptes » publics – jusqu’il y a quelques mois.

Monsieur Dord, …

M. Dominique Dord. Lâchez-moi !

M. François de Rugy. …vous osez faire la leçon à la gauche, vous trompant d’ailleurs sur ses sensibilités, …

M. Yves Nicolin. Elles sont tellement multiples !

M. François de Rugy. …– mon intervention vous permettra de vous remettre à jour – en disant que quand elle reviendra au pouvoir, ce sera une catastrophe financière.

M. Yves Nicolin. Un vrai cauchemar !

M. François de Rugy. Mais la catastrophe financière, le cauchemar financier, monsieur Nicolin, sont bel et bien là. Vous avez tort de rire de ces choses-là, chers collègues. Les Français, croyez-moi, n’ont pas de quoi rigoler, compte tenu des impôts qu’ils vont devoir payer et les sacrifices qu’ils auront à consentir à cause de votre politique.

Nous parlons de choses concrètes. Monsieur Dord, vous avez fini par lâcher le morceau, si je puis dire, en disant que la note de la France par les agences de notation risquait d’être dégradée si l’on ne faisait rien. Mais pourquoi donc le serait-elle ?

M. Dominique Dord. Il y a vaguement eu une crise !

M. François de Rugy. Parce que depuis trois ans, vous avez mené une politique fiscale et budgétaire irresponsable économiquement et injuste socialement, j'y reviendrai.

Financièrement, vous êtes aux abois. Vous avez mis les comptes de la sécurité sociale dans un très grave état. Les résultats économiques de la France sont moins bons que ceux d’autres pays européens. Et vous qui citez toujours les autres pays européens, regardez donc à quel point l’écart se creuse avec l’Allemagne.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Il faut justement en tirer les conséquences, c’est bien le problème !

M. François de Rugy. Parlons encore des conséquences sociales de votre politique. Le chômage n’a jamais été aussi élevé et vous êtes les seuls à croire qu’il est en train de baisser. Le nombre de bénéficiaires des revenus sociaux a explosé. Le RMI est devenu le RSA, mais rien n’a changé. Dans tous les domaines, les clignotants sont rouges. Des millions de nos concitoyens ont dû faire des sacrifices et vous voulez leur en faire faire davantage en reculant l’âge de la retraite de soixante à soixante deux ans.

On pourrait également discuter de l’efficacité budgétaire du recul de l’âge légal. Mais soulignons surtout qu’il s’agit d’une mesure brutale, uniforme qui ne tient absolument pas compte des différentes situations vécues par nos concitoyens. Vous prétendez être contre l’uniformisation, contre l’égalitarisme, contre l’autoritarisme venu d’en haut et pour la libération des initiatives individuelles entrepreneuriales venant d’en bas. Or la mesure d’âge que vous mettez en place, vous le savez très bien, est particulièrement mal adaptée aux différences de situations dans lesquelles se trouvent nos concitoyens.

Si les effets économiques et financiers sont aléatoires, les effets sociaux, eux, sont certains : ils seront dévastateurs et se solderont par une aggravation des injustices.

Donnons quelques exemples. Prenons le cas des ouvriers sur lequel vous avez bien du mal à apporter des réponses. Rappelons qu’aujourd’hui 90 % des personnes qui partent à la retraite à soixante ans ont les trimestres nécessaires. Autrement dit, avec le recul de l’âge légal, elles devront travailler deux ans de plus sans obtenir de gains en termes de pension.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Cela s’appelle la répartition !

M. François de Rugy. C’est exactement le contraire de « travailler plus pour gagner plus », c’est « travailler plus pour ne rien gagner de plus » et cela se vérifiera particulièrement pour les ouvriers.

Il est question de pénibilité. Mais avez-vous songé un instant à quel point vous allez aggraver la pénibilité par le simple passage de soixante à soixante-deux ans ? Je vous conseille de lire l’ouvrage de Florence Aubenas où est mis en avant le cas de personnes dont il n’est pas beaucoup question dans le débat public. Elle décrit très bien le processus qui a obligé d’anciennes ouvrières de Moulinex, en Normandie, à prendre des emplois de femmes de ménage à temps partiel. Voilà les conséquences des délocalisations et de la désindustrialisation : on ne peut retrouver des emplois à temps plein dans cette fameuse économie de services dont vous parlez tant. Pour une personne qui fait deux heures de ménage le matin, deux heures l’après-midi ou le soir, qui est obligée de se lever très tôt et de se coucher tard, ne pensez-vous pas que travailler deux ans de plus va être particulièrement pénible ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Nous le savons !

M. François de Rugy. On pourrait également évoquer toutes ces personnes pour qui il est difficile voire impossible de trouver un emploi après cinquante-cinq ans.

Alors, monsieur Dord, vous pouvez toujours raconter qu’il suffit de reculer l’âge légal pour que le taux d’emploi des seniors augmente mécaniquement.

M. Dominique Dord. Cela se vérifie partout !

M. François de Rugy. Vous savez bien qu’au mieux, il y aura un décalage de deux ans dans les décisions des entreprises, dans ces fameuses « mesures d’âge » que beaucoup de politiques sont venues soutenir…

M. Dominique Dord. Y compris sous la gauche pendant des années !

M. François de Rugy. …qui consistent à mettre à la retraite anticipée – même si cela ne porte plus ce nom – les plus de cinquante-cinq ans lors des plans de licenciement. Le relèvement de l’âge légal rendra encore plus difficile la recherche d’un emploi pour ces seniors.

Enfin, je réponds à la question que certains faisaient semblant de se poser ce matin. Les écologistes prennent l’engagement clair que, s’ils font partie de la majorité à partir de 2012, ils défendront le rétablissement du droit à la retraite à soixante ans.

M. Dominique Dord. Comme c’est dommage, nous ne pourrons pas vous voir à l’œuvre !

M. François de Rugy. Notre position ne souffre d’aucune ambiguïté. Pour nous, il s’agit d’un principe, d’un repère, d’un droit.

M. Dominique Dord. C’est un raisonnement par l’absurde !

M. François de Rugy. Je sais que ce genre de raisonnement ne vous plaît pas, monsieur Dord. Trente ans après 1981, vous êtes toujours dans la revanche et vous estimez que c’est encore la faute de Mitterrand.

M. Dominique Dord. On continue à payer les factures !

M. François de Rugy. Visiblement, vous n’avez toujours pas digéré le vote des Français en 1981, en 1988 et en 1997 et vous aurez sans doute beaucoup de mal à digérer celui de 2012.

Le droit à la retraite à soixante ans est une protection, une protection pour les 90 % de personnes qui, à cet âge, ont déjà le total de leurs annuités. Nous sommes pour la sécurité – mot que vous avez si souvent à la bouche –, pour la sécurité sociale.

Le droit à la retraite à soixante ans est également une liberté – il est bon de vous le rappeler alors que vous ne semblez plus défendre aucune liberté –, la liberté de choisir entre la possibilité de travailler au-delà de soixante ans et la possibilité de s’arrêter, en arbitrant entre impératifs financiers et volonté de se mettre au repos.

L’espérance de vie augmente, comme vous vous plaisez à le répéter. Toutefois, les deux ans de vie gagnés entre quatre-vingt-cinq et quatre-vingt-sept ans ne peuvent être comparés avec les deux ans de vie entre soixante et soixante-deux ans. Vous savez très bien qu’on ne peut pas faire la même chose à ces différents âges. Les jeunes retraités sont l’une des principales forces des associations, des clubs sportifs. Ils rendent de grands services en termes de solidarité familiale : combien de parents se félicitent de pouvoir compter sur les grands-parents pour faire garder leurs enfants ?

Oui, nous défendrons ce droit et nous nous donnerons les moyens de le mettre en œuvre.

M. Dominique Dord. C’est un apport décisif !

M. François de Rugy. Vous allez nous demander comment nous comptons le financer. Soyons clairs : nous sommes pour la diversification des modes de financement, et nous assumons pleinement ce choix.

M. Dominique Dord. On sort du système par répartition ?

M. François de Rugy. Nous pensons, en effet, qu’il faut tenir compte des évolutions. J’en veux pour preuve ce qui se passe ailleurs en matière de financement de la protection sociale : partout, on diversifie, en partie à cause de l’évolution de la mondialisation puisque ce sont les revenus financiers qui augmentent le plus. Or si ceux-ci n’apportent pas leur contribution, il faudra peser davantage sur le travail, toucher au pouvoir d’achat des salariés et alourdir le coût du travail.

Je prendrai quelques exemples récents. Monsieur Dord, vous prétendez que le bouclier fiscal ne représente rien du tout. Mais il s’agit tout de même de 600 millions d’euros. Et c’est surtout un symbole de justice. L’exonération des heures supplémentaires à laquelle nous sommes opposés coûte, chaque année, entre 3 et 4 milliards. Quant à l’exonération des droits de succession dont on ne parle pas beaucoup et que vous avez fait voter, en 2007, dans le cadre du paquet fiscal, cette mesure est particulièrement injuste puisqu’elle favorise les gros patrimoines.

M. Dominique Dord. C’est justement l’inverse : elle favorise les petits patrimoines !

M. François de Rugy. Je pourrais encore citer la TVA réduite sur la restauration qui représente 3 milliards.

La suppression de toutes ces mesures permettrait de dégager des marges de manœuvre.

Notre projet n’est pas ficelé et nous ne prétendons pas tout imposer. Nous souhaitons que les partenaires sociaux se mettent autour de la table et qu’une vraie négociation soit engagée. En fait, chacun est au pied du mur, car nous savons qu’il est difficile de garantir, dans la durée, le régime de retraite. Il faut aussi faire preuve de modestie : votre arrogance de ce matin est particulièrement inadaptée à la situation actuelle. Il faut travailler pour trouver les moyens de garantir le système de retraite par répartition. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Dominique Dord. Et vous, vous croyez que vous venez de faire un exercice de grande modestie ?

M. le président. La parole est à M. Yves Nicolin.

M. Yves Nicolin. Depuis le rapport Rocard, un peu plus de vingt années se sont écoulées. Durant cette période, dix ans ont permis à la gauche, parfois plurielle, parfois divisée, de gouverner notre pays. Nous pouvons considérer que nous avons eu à peu près le même nombre d’années de responsabilités pour diriger notre pays depuis ce rapport.

M. Nicolas Forissier. Rappel utile !

M. Yves Nicolin. Dans le domaine des retraites, qu’a fait la gauche ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe UMP.) Rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Aucune des pistes de réforme proposées par leur mentor, le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, n’a abouti.

M. Patrick Roy. Vous oubliez le Fonds de réserve !

M. Yves Nicolin. Le Fonds de réserve n’est pas une réforme : c’est une caisse. Il ne prépare en rien l’avenir des générations futures.

M. Dominique Baert. Vous êtes pourtant bien content de piquer dedans !

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Nicolin a la parole !

M. Michel Ménard. Nous corrigeons des inexactitudes, monsieur le président !

M. le président. Chacun a pu s’exprimer ce matin. La moindre des choses, c’est d’écouter les orateurs.

Veuillez poursuivre, monsieur Nicolin.

M. Yves Nicolin. À chaque fois qu’ils en ont eu l’opportunité, les socialistes ont reculé devant l’adversité. Peut-être avaient-ils peur des manifestations de certains amis syndicats pour ne pas engager les réformes nécessaires.

Aujourd’hui, nous engageons une nouvelle réforme des retraites parce que nous sommes tous concernés et que nous considérons qu’il est urgent de faire quelque chose, la crise ayant aggravé les déficits.

Dans ce débat sur les retraites auquel nous participons depuis mardi,...

M. Jean Mallot. Et il n’est pas fini !

M. Yves Nicolin. ...j’ai l’impression que le Parti socialiste oscille entre opportunisme et suivisme.

M. Jean Mallot. Et vous, que faites-vous ? Godillot !

M. Yves Nicolin. Opportunisme, parce que cela fait trois ans que l’opinion publique ne lui reconnaît toujours pas la crédibilité suffisante pour mener, demain, les affaires de la France. Ce sujet lui permet d’exister autrement qu’à travers ses querelles entre chefs et cheftaines.

M. Jean Mallot. Cela ne vous permet même pas d’exister !

M. Yves Nicolin. Suivisme, parce qu’ils voudraient rallier les inquiétudes des Français qui, s’ils ont bien compris que le recul de l’âge de la retraite est inéluctable, souhaitent dire leurs craintes légitimes face à l’avenir en ces périodes de crise économique.

Vous visez, mesdames et messieurs les socialistes, un objectif politique. Pour notre part, nous visons un objectif de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Pas vous !

M. Yves Nicolin. Quelle est la réalité de nos retraites de demain et celle de nos enfants ? À ce jour, déjà 30 milliards de déficit pour 2010, et plus de 100 milliards si rien n’est fait dans quelques années, ce qui nous prouve que nous avons un devoir historique d’agir.

Tout a été exploré par le Gouvernement et sa majorité.

M. Jean Mallot. Tu parles !

M. Roland Muzeau. Vous êtes fier de vous ?

M. Christian Eckert. On n’a pas exploré votre projet, car il n’y en a pas !

M. Yves Nicolin. Mais nous affirmons notre refus d’aller vers les propositions que nous fait la gauche, c’est-à-dire d’augmenter les cotisations car nous ne voulons pas amputer le pouvoir d’achat des Français. Nous ne voulons pas non plus diminuer le montant des pensions, ni matraquer par l’impôt nos compatriotes, ni aller plus loin, comme le propose la gauche, quant au nombre de trimestres.

Nous faisons le choix que certains peuvent contester – tout est contestable, surtout dans la vie politique, et c’est d’autant plus facile quand on est dans l’opposition – de reculer l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, alors que certains économistes préconisaient au Gouvernement d’aller beaucoup plus loin, même de revenir à 65 ans.

M. Dominique Dord. C’est vrai ! Le Gouvernement est modéré !

M. Yves Nicolin. Nous faisons le choix responsable, équilibré d’aller à 62 ans.

Nous le faisons parce que nous sommes convaincus que c’est une bonne méthode, parce qu’elle est appliquée par tous les gouvernements européens. Le PS a beau verser des torrents de larmes de crocodile en disant qu’en 2012 il reviendra en arrière...

M. Jean Mallot. En avant !

M. Yves Nicolin. ...ne nous y trompons pas : le PS ne reviendra pas au pouvoir.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Yves Nicolin. Mais si, par malheur, il revenait...

M. Patrick Roy. Si par bonheur il revenait !

M. Yves Nicolin. ...nous faisons tous le pari que, comme en 1993, il ne touchera pas à ces mesures car il sait qu’il n’y a pas d’autre solution.

Que nous proposent les socialistes ?

M. Christian Eckert. Je croyais que nous n’avions pas fait de propositions !

M. Régis Juanico. Il faudrait savoir !

M. Yves Nicolin. Des recettes fantômes ou fantasmagoriques et d’agir sur la durée de cotisation pour aller peut-être à 42, 43, 44, voire 45 ans.

M. Jean Mallot. Vous passez votre temps à critiquer un projet qui n’existe pas, selon vous !

M. Yves Nicolin. Silence radio sur des mesures qui seraient totalement injustes et inefficaces.

Mme Élisabeth Guigou. Si vous nous aviez écoutés, vous sauriez quelles sont nos propositions !

M. Yves Nicolin. Quelques chiffres. Deux tiers des petites filles qui naissent aujourd’hui atteindront l’âge de 100 ans. C’est un plaisir, une joie, mais il faut prendre ce fait en considération. Un petit garçon qui naît aujourd’hui aura une espérance de vie de 6 heures de plus que celui qui est né hier. Entre 1980 et 2010, l’espérance de vie est passée de 75 à 82 ans. En 1900, je rappelle qu’elle était de 46 ans. Et il ne faudrait rien faire ?

Mes chers collègues, de grâce, remettez en marche l’Internationale socialiste ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Eckert. Nostalgie !

M. Yves Nicolin. Cela vous permettrait de constater que les gouvernements socialistes espagnols et argentins sont passés à 65 ans. Les gouvernements socialistes qui dirigent les pays européens ont tous relevé l’âge de la retraite. Et vous voudriez vous inscrire dans l’Internationale socialiste sans faire la même chose que vos propres amis qui, eux, ont compris qu’il y avait de vrais problèmes démographiques ?

Lorsque l’on voit que Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique ont proposé 65 ans, vous devriez avoir un peu plus de retenue dans vos propos condamnant le report de l’âge de la retraite à 62 ans.

M. Michel Ménard. Les pays socialistes seraient-ils devenus vos modèles ? C’est nouveau !

M. Yves Nicolin. Enfin, je voudrais parler de cette grande entreprise qu’est L’Oréal.

M. Christian Eckert. Cette fois, ce n’est pas nous qui en parlons !

M. Yves Nicolin. Depuis plusieurs mois, certains d’entre vous crient avec les loups et critiquent cette entreprise. En visant les personnes, vous visez aussi les structures.

Mme Élisabeth Guigou. Non !

M. Yves Nicolin. Cette entreprise de 60 000 salariés paye 1 milliard d’euros d’impôts en France, alors que beaucoup d’autres ont fait le choix de délocaliser leurs sièges sociaux. Aujourd’hui, une autre société, suisse cette fois, Nestlé, détient 14 % du capital de L’Oréal mais pense prendre à l’avenir davantage de prises de participation. Ne croyez-vous pas que vous concourez, avec vos critiques incessantes sur cette entreprise, à faire en sorte que L’Oréal quitte notre pays ? Là encore, vous serez mis devant vos responsabilités pour avoir jeté l’opprobre sur une grande entreprise nationale dans laquelle l’immense majorité de nos concitoyens se reconnaît...

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. On n’a jamais critiqué l’entreprise !

M. Yves Nicolin. ...et dans laquelle tous les élèves des grandes écoles de commerce rêvent d’entrer. En critiquant L’Oréal vous ne rendez pas service à notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Laquais du grand capital !

M. Yves Nicolin. Laqué avec la laque de L’Oréal ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville.

Mme Martine Pinville. Monsieur le ministre, comme vous l’ont dit tous mes collègues, la présente réforme est injuste.

Elle est injuste, parce que le recul de l’âge légal ne règle pas la dégradation financière des régimes de retraite, parce que, comme l’a démontré brillamment hier soir Alain Vidalies, le régime de l’âge légal pénalise ceux qui ont commencé à travailler tôt, parce qu’elle pénalise les travailleurs peu qualifiés, ceux qui ont les plus bas salaires, et parce qu’elle pénalise ceux qui auront des carrières fractionnées et plus particulièrement les femmes qui ont souvent des carrières incomplètes.

Je pense également aux petits exploitants agricoles qui sont venus nous demander de ne pas toucher à la retraite à 60 ans parce qu’ils ont travaillé dur, qu’ils sont fatigués et qu’ils n’imaginent pas travailler plus longtemps.

Vous avez fait le choix de financer la réforme par des mesures d’âge. Pour notre part, nous faisons le choix de proposer une répartition de l’effort plus particulièrement auprès de ceux qui ont les revenus les plus élevés.

Un grand nombre de nos concitoyens souhaitent arrêter à l’âge de 60 ans parce qu’ils ont un autre projet, qu’ils sont fatigués ou parce qu’ils souhaitent profiter en bonne santé des premières années de leur retraite. C'est un choix et une liberté que nous leur proposons dans le projet socialiste.

Le projet socialiste doit sans doute vous faire très peur pour que vous l’attaquiez autant et que vous défendiez aussi peu le vôtre, si ce n’est en termes de comparaison avec les autres pays européens.

Soyons fiers de notre modèle social et ne le démolissons pas un peu plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Le relèvement de 60 à 62 ans de l'âge légal de départ à la retraite...

M. Patrick Roy. Projet scandaleux !

M. Roland Muzeau. ...est l'un des piliers de votre réforme, l’autre étant l’allongement perpétuel de la durée de cotisation que nous avons dénoncé hier soir à l’article 4. Les deux mesures vont de pair.

Vous avez fait le choix de la mesure la plus injuste socialement. Elle creusera encore davantage les inégalités et touchera de plein fouet les femmes, les ouvriers, les précaires, les salariés connaissant des parcours professionnels très heurtés. Quoi que vous affirmiez, cette mesure démographique amplifiera la paupérisation déjà alarmante des travailleurs âgés. Vous aurez beau pleurer sur tous les rapports qui déferlent régulièrement et qui montrent cette paupérisation, vous en serez les responsables.

Les solutions proposées par le Gouvernement ne diffèrent ni dans l'esprit ni dans la lettre de celles des précédentes réformes. Il s'agit ni plus ni moins de revenir sur une avancée sociale, car oui, en dépit des propos de la droite, le maintien de l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans est une avancée à laquelle tiennent une grande majorité de nos concitoyens, et ils ont été plusieurs millions à vous le dire mardi dernier. Ils vous le rediront les 15 et 23 septembre prochains, devant vos permanences, et j’espère qu’ils ne vous lâcheront pas.

Nous réfutons la logique suivante : puisque l’on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps. Elle va totalement à rebours de ce que notre pays a réalisé depuis un siècle. À mesure qu’augmentait l’espérance de vie, nous avons toujours abaissé l’âge légal de départ à la retraite. Cette politique a permis de conforter l’espérance de vie, formidable progrès social qui s’est accompagné dans le même temps d’un essor économique incroyable, au point que la productivité horaire des salariés français est la plus élevée au monde.

Nous vivons mieux et plus longtemps, c’est une bonne nouvelle, vous plaisez-vous à asséner, avant de développer les principaux points de votre réforme dont cet allongement de la durée des cotisations. Nous avons bien l’impression que l’idée de vivre mieux est insupportable aux libéraux de tous bords au sein de cet hémicycle et ailleurs, qui ne retiennent que l’idée selon laquelle on doit travailler plus longtemps.

Vous souhaitez reporter l’âge de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans parce que nous vivrons plus longtemps – même si l’évolution de l’espérance de vie risque de s’infléchir. Mais puisque nous travaillerons – ou, devrais-je dire, essaierons de travailler – plus longtemps, nous vivrons moins bien quoique vous en disiez.

Êtes-vous conscients que, pour la première fois depuis l’instauration de la sécurité sociale, le droit à la retraite auquel pouvaient prétendre les actifs va être moins accessible et moins favorable que celui dont ont bénéficié leurs aînés et toutes les générations antérieures ?

M. Patrick Roy. Hélas !

M. Yves Nicolin. Et vous, êtes-vous bien conscient de l’évolution des choses, monsieur Muzeau ?

M. Roland Muzeau. Nous nous opposons fermement à cette violente régression et à quelque aménagement que ce soit. La retraite choisie que vous proposez n’est rien d’autre à nos yeux que le renoncement concret à la retraite à soixante ans.

M. Marc Dolez. Très juste !

M. Roland Muzeau. Ce principe renverrait, qu’on le veuille ou non, à l’établissement d’inégalités sociales entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas se payer la décote de 10 % – qui peut se révéler bien supérieure par ailleurs.

Notre proposition de loi de financement du droit à la retraite à soixante ans envisage d’autres solutions plus justes, plus équitables, plus humaines et crédibles.

Votre fatalisme, monsieur le ministre, est contrarié par le mouvement social qui n’a d’ailleurs pas cours qu’en France. Vous citez l’Europe. Certes. Mais, tous les pays européens menant la même politique, les mêmes décisions donnent les mêmes résultats.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Ce sont des régimes sociaux-démocrates !

M. Roland Muzeau. En effet, la social-démocratie applique les mêmes décisions. Nous avons déjà eu ce débat à propos du traité constitutionnel européen.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Roland Muzeau. Tous les pays européens, quels que soient leurs dirigeants, ont adopté le même projet ; leurs politiques sont consanguines et, j’y insiste, donnent les mêmes résultats. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. Dites-le donc à vos amis socialistes !

M. Roland Muzeau. Vous citez l’Espagne. En ce moment, un mouvement social d’une très grande ampleur se lève contre les mesures prises par le gouvernement espagnol en matière d’emploi et de retraites et l’histoire dira bien qui a raison et qui a tort.

À l’inverse, on trouve des exemples, peu nombreux certes mais qui, moi, me ravissent, comme celui de la Bolivie qui vient de décider que l’âge de départ à la retraite passerait de soixante-quatre à cinquante-huit ans. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. Vous parlez d’un exemple !

M. Roland Muzeau. Vous n’êtes pas encore secrétaire d’État, madame Rosso-Debord, aussi en reparlerons-nous quand vous siégerez au banc du Gouvernement.

Mme Valérie Rosso-Debord. Même Fidel Castro vient de reconnaître les erreurs du castrisme !

M. Roland Muzeau. En Bolivie aussi le progrès social a un sens, de même que sur de nombreux continents, n’en déplaise aux dogues du FMI et aux ultra-libéraux que vous êtes.

M. Yves Nicolin. Vous parlez de Dominique Strauss-Kahn ?

M. Dominique Dord. Strauss-Kahn est votre cauchemar !

M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, notre opposition à votre projet est d’autant plus ferme que, comme l’a évoqué hier le Premier ministre, cette réforme n’est qu’une étape, ne nous leurrons pas.

M. Dominique Dord. Roland Muzeau le Bolivien !

M. Roland Muzeau. Bientôt, l’âge légal de départ à la retraite sera repoussé à soixante-trois ans, soixante-quatre ans, soixante-cinq ans et même, peut-être, soixante-dix. Je ne m’exprime pas à la légère puisque vous avez déjà mis noir sur blanc dans un texte l’âge de soixante-dix ans. Vous l’avez fait dans le PLFSS l’année dernière. Yves Bur et Denis Jacquat étaient les auteurs de l’amendement que vous avez voté, prévoyant la mise à la retraite d’office.

M. Dominique Dord. Jacquat en Bolivie !

M. Roland Muzeau. Nos concitoyens doivent savoir que ces chiffres figurent déjà dans certains textes.

Le drame de notre pays, c’est la question de l’emploi.

M. Yves Nicolin. Nous sommes bien d’accord.

M. Roland Muzeau. Il s’agit de savoir quel type d’emploi nous voulons. La moitié des actifs n’ont pas un emploi à taux plein et le mode de croissance économique qu’implique cette donnée est mortifère pour notre protection sociale et pour les cotisations sociales.

Marc Dolez, Marie-George Buffet, Jean-Claude Sandrier et d’autres de nos camarades l’ont dit et nous ne cesserons de le répéter : les possibilités sont considérables de mobiliser d’autres financements que ceux que vous prévoyez et d’une autre répartition des richesses entre le capital et le travail. Et nous nous attelons à le démontrer.

En semant ainsi, avec un tel projet, avec une telle désinvolture, avec un tel cynisme les graines de la régression sociale, vous affaiblissez notre pays et c’est ce contre quoi nous continuerons de combattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)