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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 26 mai 2010

Questions au Gouvernement

Première séance du mercredi 26 mai 2010

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président . La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Polices municipales

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Christophe Lagarde. Au moment où je parle, on s’apprête à inhumer Aurélie Fouquet, froidement abattue, la semaine dernière, dans le cadre de ses fonctions de policière municipale de Villiers-sur-Marne, manifestement par un groupe de gangsters de haute volée.

Je suis sûr que le groupe Nouveau Centre témoigne des sentiments de l’ensemble de l’Assemblée nationale quand il partage l’émotion qui a saisi la population, les policiers municipaux et la police tout entière, devant une telle violence.

Hier, à Saint-Ouen, un policier a encore fait l’objet d’une tentative de meurtre. Fort heureusement, l’arme qui le visait n’a pas fonctionné ; sinon, il ne serait plus là aujourd’hui.

M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales n’est pas au banc du Gouvernement puisqu’il s’est rendu aux obsèques d’Aurélie Fouquet. C’est néanmoins à lui que s’adresse ma question.

Depuis plusieurs mois, la délinquance baisse, mais le niveau de violence, notamment à l’encontre des forces de police, ne cesse d’augmenter. Je veux en témoigner en tant qu’élu de la Seine-Saint-Denis : ces dernières semaines, les incidents se multiplient à la moindre opération. Cela concerne évidemment toujours les quartiers qui subissent le plus grand délabrement social. Les gendarmes connaissent eux aussi, dans leurs régions, des difficultés de même nature.

On peut penser que la circulation des armes a augmenté. On constate surtout que leur utilisation systématique est presque devenue une règle. La France a pourtant une législation très stricte en matière de vente et de détention d’armes. Le Gouvernement envisage-t-il de rendre cette législation plus stricte encore ? La recherche des armes en circulation fera-t-elle partie de ses objectifs prioritaires ? Lorsque les maires décident d’armer les policiers municipaux, ceux-ci se verront-ils imposer des normes plus strictes en matière d’entraînement ? Ces normes seront-elles renforcées pour la police nationale qui, elle aussi, mériterait d’être beaucoup plus entraînée au maniement des armes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux d’abord vous prier de bien vouloir excuser l’absence de Brice Hortefeux. Comme vous l’avez indiqué, monsieur Lagarde, le ministre de l’intérieur accompagne en ce moment même le Président de la République aux obsèques d’Aurélie Fouquet, cette policière municipale assassinée de manière tragique lors de la fusillade de Villiers-sur-Marne.

Ce drame terrible a évidemment ému tous les Français. En signe de solidarité avec cette jeune femme, une minute de silence vient d’être observée dans tous les commissariats et toutes les gendarmeries de France.

Monsieur le député, vous avez raison de souligner que la délinquance globale baisse dans notre pays cette année. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Jack Queyranne. C’est faux !

M. Roland Muzeau. On se demande où vous avez vu ça !

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale. Vous auriez dû écouter les propos de M. Lagarde.

Au mois d’avril nous avons encore constaté une baisse des atteintes aux biens, et la stabilisation des violences faites aux personnes. Toutefois, nous sommes pleinement conscients que cela n’empêche pas les actes violents.

Le ministre de l’intérieur réunira dès demain les syndicats de policiers municipaux pour faire le point sur la situation. Je rappelle que la décision d’armer ces derniers relève exclusivement de l’appréciation des maires. Aujourd’hui, 13 500 policiers municipaux sur 18 000 sont équipés d’armes de quatrième ou de sixième catégorie.

Certains d’entre eux souhaiteraient être dotés de Taser ; Brice Hortefeux vient de signer un décret permettant leur emploi. Les maires pourront donc, s’ils le souhaitent, doter leur police municipale de Taser. L’utilisation de cet équipement s’accompagnera, bien sûr, d’une formation aussi rigoureuse que celle qui est dispensée aux membres de la police nationale et aux gendarmes qui en ont l’usage.

Par ailleurs, nous mettons en œuvre un certain nombre de moyens de protection de nos forces de l’ordre, tant en termes d’équipements – avec, par exemple, les gilets pare-balles – qu’en matière de formation.

Monsieur le député, vous voyez que la mobilisation du Gouvernement pour lutter contre l’insécurité et protéger les forces de l’ordre est totale. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Files d’attente à la préfecture de Seine- Saint- Denis

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le Premier ministre, je ne vous pose pas cette question au pied levé et je souhaiterais que vous ne la preniez pas par-dessus la jambe. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Je veux en effet attirer votre attention sur le fait que le fonctionnement de certains services de la préfecture de Seine-Saint-Denis provoque un fort mécontentement chez les usagers.

Tel est le cas du service assurant la délivrance des titres d’identité, lesquels ne sont obtenus qu’au terme d’une attente excessive : trois mois pour un passeport et près de cinquante jours pour une carte d’identité. Cette situation continue à se dégrader, en dépit des promesses ministérielles. Pourtant, dans d’autres départements, le délai d’obtention de ces titres n’est que d’une quinzaine de jours.

C’est le cas également des services assurant l’accueil des étrangers, où les dysfonctionnements sont nombreux. Certains relèvent d’un manque de moyens budgétaires : files d’attente interminables dès trois heures du matin pour obtenir un ticket donnant accès au guichet et délais de renouvellement de récépissés entraînant la rupture de droits acquis.

D’autres dysfonctionnements relèvent de l’application d’une politique restrictive : requalification des demandes de cartes de séjour imposant des statuts plus précaires, difficultés rencontrées par les jeunes majeurs et les femmes victimes de violences pour leur régularisation, absence quasi systématique de saisine de la commission départementale du titre de séjour.

Il est donc urgent d’améliorer les délais de délivrance des papiers d’identité et de changer de politique vis-à-vis des étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou en attente de l’être.

En dépit du travail souvent exemplaire des fonctionnaires, ces situations montrent que cette préfecture ne bénéficie pas de moyens matériels et humains suffisants.

M. Patrick Roy. Hélas !

M. Patrick Braouezec. Ce déficit de moyens concerne également d’autres missions régaliennes de l’État, telles que la police – ainsi qu’on vient de le voir –, l’éducation nationale – d’autres élus l’ont souligné dernièrement – ou le Pôle emploi, où salariés et usagers n’en peuvent plus.

Vous n’avez de cesse d’invoquer les valeurs républicaines mais, tant que l’égalité ne sera pas respectée, la liberté ne sera que formelle, la fraternité malmenée et la laïcité ébranlée.

Ma question est la suivante, monsieur le Premier ministre. Quand le département de la Seine-Saint-Denis sera-t-il doté de moyens budgétaires et humains suffisants pour garantir une égalité de traitement avec les autres départements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. (Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. François Pupponi. C’est une honte !

M. le président. Je vous en prie ! Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur le député, ainsi que vient de le rappeler Luc Chatel, le ministre de l’intérieur assiste aux obsèques de M elle Aurélie Fouquet et il m’a chargée de vous répondre.

Vous évoquez un certain nombre de difficultés pratiques qui ne sont pas nouvelles. Il est vrai que la préfecture de la Seine-Saint-Denis doit faire face à un afflux de demandes de cartes d’identité et de passeports qui provoque des délais de délivrance plus longs qu’ailleurs. S’agissant des passeports biométriques, le délai enregistré en Seine-Saint-Denis est, hélas, encore supérieur à trente jours.

M. Patrick Braouezec. Soixante jours !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. En ce qui concerne les cartes nationales d’identité, le délai s’est réduit, mais il est encore, malheureusement, de vingt-et-un jours.

Pour faire face à cette situation, le ministre de l’intérieur a d’ores et déjà pris des mesures qui sont appliquées. La préfecture de Seine-Saint-Denis bénéficie ainsi d’un effort constant en matière d’effectifs, lesquels sont déployés en priorité dans les services d’accueil et de traitement des titres. Il n’est pas question de relâcher cet effort.

M. Jean-Pierre Brard. Il ne s’agit pas de Saint-Denis-De-La-Réunion, mais de la Seine-Saint-Denis !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Enfin, il a été décidé d’aller au-delà. Depuis le début du mois de mai, un audit complet des services responsables de la délivrance des titres et de l’accueil du public a été lancé. Les conclusions de cet audit seront remises à la fin du mois de juin. Des propositions très précises sont attendues sous la forme d’un plan d’action global et ambitieux, qui devra produire des effets visibles dans les prochaines semaines.

Vous le voyez, monsieur le député, nous nous efforçons d’améliorer la qualité du service rendu aux usagers de Seine-Saint-Denis comme ailleurs. Au quotidien, les agents de la préfecture font leur travail avec dévouement, dans des conditions parfois difficiles, et je tiens également à leur rendre hommage.

M. Jean-Pierre Brard. Ils n’ont pas besoin de considération ; ils veulent des effectifs !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Ce qui est en jeu, c’est l’amélioration de l’image de l’État dans le département de la Seine-Saint-Denis, comme l’a demandé explicitement le Président de la République lorsqu’il a installé à Bobigny le préfet Christian Lambert.

M. le président. Je vous précise, mes chers collègues, que Mme Penchard a répondu à M. Braouezec parce que, ainsi qu’on vient de vous l’expliquer, le ministre de l’intérieur est aux obsèques d’Aurélie Fouquet (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC)

M. Patrick Braouezec. C’est au Premier ministre que la question a été posée !

M. le président. …en l’honneur de laquelle nous avons observé, hier, une minute de silence.

Absentéisme scolaire

M. le président. La parole est à M. Olivier Dassault, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Olivier Dassault. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, présent, hier, à Beauvais, aux côtés du Président de la République, vous avez pu vous rendre compte que, dans les classes du collège Charles-Fauqueux ou du collège Henri-Baumont, les élèves ne répondent pas toujours présent.

Nous avons tous, un jour ou l’autre, dans notre enfance, goûté au parfum d’interdit offert par une journée d’école buissonnière (« Oh ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR) , mais l’absentéisme scolaire devient une question particulièrement préoccupante, puisque au moins 7 % des collégiens et des lycéens ne sont pas en classe.

Laxisme parental, affaiblissement du sens de la discipline et de la responsabilité individuelle (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) ,…

M. le président. Je vous en prie !

M. Olivier Dassault. …découragement relatif du système éducatif : les structures mêmes de notre école sont ébranlées.

Il y a un peu plus d’un siècle, Victor Hugo avait cette belle formule : « Les maîtres d’école sont des jardiniers en intelligences humaines ». (« Oh ! » sur divers bancs.) Aujourd’hui, beaucoup d’enseignants sont dépités, découragés, démunis.

L’absentéisme est le marchepied du relâchement conduisant à la violence, à l’échec scolaire, à l’illettrisme et à l’exclusion. En désertant les salles de classe, de plus en plus de nos jeunes se mettent au ban de la société. En ne se présentant plus au seuil des collèges et des lycées, ils se ferment pour demain les portes du marché du travail, déjà si étroites.

M. Maxime Gremetz. Ce ne sont pas des enfants de milliardaires !

M. Olivier Dassault. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les mesures concrètes que le Gouvernement entend prendre pour lutter contre l’absentéisme scolaire ? Pouvez-vous nous confirmer l’entrée en vigueur prochaine du contrat de responsabilisation parentale annoncé par le Président de la République, qui permettra enfin de geler les allocations familiales…

M. Patrick Lemasle. Oh là là !

M. Olivier Dassault. …tant que l’élève n’aura pas réintégré les cours ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Je vous en prie, calmez-vous !

La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, ainsi que le Président de la République l’a rappelé hier à Beauvais, dans votre département, l’absentéisme scolaire est un fléau.

M. Patrick Lemasle. Que fait la majorité depuis huit ans ?

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. L’école de la République est obligatoire et il est essentiel que notre jeunesse se prépare à la vie active. On sait en effet qu’un jeune qui sort du système éducatif sans diplôme a cinq fois moins de chance de trouver un emploi qu’un camarade du même âge doté d’une qualification. Or, l’absentéisme touche encore aujourd’hui 3 % de nos collégiens, 6 % des lycéens, 15 % des lycéens professionnels, soit 7 % des élèves en moyenne.

Nous avons donc décidé de déclarer la guerre à ce fléau, en actionnant simultanément plusieurs leviers. Tout d’abord, les personnels de l’éducation nationale sont mobilisés pour contrôler systématiquement les absences et avertir les familles dès les premiers signes de décrochage. Nous avons recruté 5 000 médiateurs de réussite scolaire qui assurent le suivi des élèves et le lien entre les établissements scolaires et les familles.

Et puis, c’est vrai, monsieur le député, il faut responsabiliser les parents, en utilisant de nouveaux outils tels que la mallette des parents, destinée à former ces derniers à la responsabilité parentale,…

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Allez donc sur le terrain !

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. …ou l’école des parents, que j’ai eu l’occasion de découvrir à Nice, il y a quelques jours.

M. Patrick Roy. Huit ans !

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. Mais nous allons aller plus loin, en améliorant l’application du contrat de responsabilité parentale, grâce à la proposition de loi de votre collègue Éric Ciotti, qui permettra, en ultime recours, de suspendre les allocations familiales en cas d’absences répétées et de défaillance des parents.

Vous le voyez, monsieur le député, nous avons mis en place un arsenal complet comportant des mesures ambitieuses pour lutter contre l’absentéisme scolaire. C’est à ce prix que nous ferons de l’école l’école de l’égalité des chances. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, Nicolas Sarkozy s’est cru autorisé à dire que la France aurait moins de problèmes si, en 1983, François Mitterrand n’avait pas ramené l’âge légal du départ à la retraite de soixante-cinq à soixante ans. (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Cette mesure a bénéficié à 16 millions de Françaises et de Français, dont beaucoup nous regardent cet après-midi. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe UMP.) La moitié d’entre eux perçoivent moins de 1 200 euros par mois. Sont-ils des privilégiés, monsieur le Premier ministre ? Croyez-vous qu’une majorité d’entre eux aurait fait confiance à l’actuel chef de l’État si celui-ci n’avait pas affirmé, en 2007, que le droit à la retraite à soixante ans devait demeurer ? Aujourd’hui, il est en rupture avec ses propres engagements. À la faveur de la crise, il promet du sang et des larmes et appelle les Français à l’effort et au courage. Mais le courage ne consiste pas à raboter les droits sociaux du plus grand nombre et à refuser, dans le même temps, d’abroger le bouclier fiscal et les niches fiscales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Le courage ne consiste pas à en finir avec la retraite à soixante ans, mais à protéger celles et ceux qui, ayant commencé jeunes, ont eu les carrières les plus longues et sont usés par le travail. Le courage, monsieur le Premier ministre, ce n’est pas l’injustice, et nous sommes fiers de François Mitterrand et de la majorité de gauche qui a voté le droit à la retraite à soixante ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Les Français sont en train de comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans leur pays. Si l’on en croit un sondage paru ce matin dans Les Échos , nos concitoyens considèrent que le projet socialiste sur les retraites est plus juste, plus crédible, plus efficace que celui du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le Premier ministre, je vous conseille de ne pas recommencer la caricature des points de vue socialistes à laquelle vous vous êtes livré la semaine dernière. (Huées sur les bancs du groupe UMP.) Acceptez-vous, oui ou non, un débat projet contre projet sur les retraites devant les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Fillon, Premier ministre.

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président Ayrault, depuis environ un quart de siècle, dans tous les pays européens sans exception…

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Parlez de la France !

M. François Fillon, Premier ministre. …il a été choisi de répondre à l’allongement de la durée de la vie par l’augmentation de la durée d’activité.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas vrai ! (« Si, c’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Fillon, Premier ministre. Dans presque tous les pays européens, cette décision a été, le plus souvent, prise dans le cadre d’un accord consensuel entre la gauche et la droite, voire, parfois, entre les partenaires sociaux et les gouvernements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Quand, dans certains cas, cet accord consensuel n’a pu être trouvé, aucune majorité n’a jamais remis en cause les décisions qui avaient été prises sur la retraite par les précédentes.

M. Maxime Gremetz. C’est bien dommage !

M. François Fillon, Premier ministre. Le seul pays où la gauche refuse de regarder la réalité, c’est la France. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Schneider. Hélas !

M. François Fillon, Premier ministre. Et ce n’est pas nouveau : vous avez bien voulu rappeler la décision prise en 1983 par le parti socialiste de ramener à soixante ans l’âge légal de la retraite, fixé à soixante-cinq ans depuis les décisions du général de Gaulle et du Conseil national de la résistance. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Permettez-moi de citer Michel Rocard, qui a déclaré, sur ce sujet : « Tous les ministres compétents en économie, Jacques Delors, moi-même et quelques-uns, nous étions catastrophés. Nous savions très bien que cette mesure n’était pas compatible avec l’évolution de la démographie française. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Par la suite, vous avez multiplié les conseils, les critiques, les rapports, vous avez juré que vous abrogeriez toutes les décisions qui ont été prises.

M. Yves Nicolin. Comme d’habitude !

M. François Fillon, Premier ministre. Mais quelle est la vérité ? En 1993, c’est le gouvernement d’Édouard Balladur qui a porté à quarante annuités la durée de cotisation dans le régime général. Alors que vous vous étiez engagés à abroger cette mesure, vous n’avez pas trouvé le temps de le faire entre 1997 et 2002 ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

En 2003, lorsque le Gouvernement a décidé d’harmoniser la durée de cotisation entre le public et le privé et d’engager l’augmentation progressive de la durée de cotisation, vous avez répété maintes fois, ici même, que, lorsque vous seriez au pouvoir, vous abrogeriez cette décision.

M. Yves Nicolin. Toujours des promesses !

M. François Fillon, Premier ministre. Or, le projet que vous avez présenté la semaine dernière consacre l’allongement de la durée de cotisation, et il n’y est plus question de revenir sur l’harmonisation du secteur public et du secteur privé. (« Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) En 2007, lorsque cette majorité vous a proposé de voter la réforme des régimes spéciaux, vous avez voté contre, mais je note qu’aucune de vos propositions n’a pour objet de revenir sur la réforme des régimes spéciaux.

M. Patrick Roy. Quelle caricature !

M. François Fillon, Premier ministre. La vérité, mesdames et messieurs les députés, c’est que le parti socialiste s’est constamment trompé sur la question des retraites. Il n’est pas trop tard : vous pouvez encore participer activement, concrètement, à la consolidation des régimes de retraite de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) En le faisant, vous ne vous trahiriez pas, vous ne trahiriez pas Laurent Fabius, ministre de l’économie, qui déclarait, le 20 mars 2002 : « Puisque l’espérance de vie augmente de trois mois, cela veut dire que les actifs doivent financer chaque année des retraités qui vivront trois mois de plus. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas un ajustement ? Bien sûr, qu’il y aura un ajustement ! » (« Fabius !  Fabius ! » sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Allons ! Je vous en prie, mes chers collègues !

M. François Fillon, Premier ministre. En faisant cela, vous seriez fidèles à Dominique Strauss-Kahn, qui déclarait fort opportunément, il y a quelques jours, que, lorsque l’on vivrait jusqu’à cent ans, il n’y aurait pas de raison de maintenir la retraite à soixante ans. Surtout, en faisant cela, vous seriez fidèles à Mme Aubry, qui déclarait, le 17 janvier dernier : « On va aller, on doit aller à soixante et un ou à soixante-deux ans ». (Mmes et MM. les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent longuement. – « C’est nul ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean Glavany. Monsieur le Premier ministre, le sujet est sérieux et mériterait que l’on en débatte d’une manière plus transparente et plus rigoureuse. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous entretenez sciemment la confusion entre la retraite à soixante ans et la durée de cotisation. Or il ne faut pas confondre la retraite à soixante ans, une conquête sociale que nous voulons défendre alors que vous entendez la remettre en cause – ce qui n’est guère étonnant de la part d’un gouvernement de droite – et la durée de cotisation, qui détermine le départ effectif à la retraite. (« Démago ! » sur les bancs du groupe UMP.) Comme l’a dit Mme Aubry, ce qui vous arrange, c’est de parler de l’âge effectif.

Le problème, c’est que nous ne parlons pas de la même chose – mais les Français le comprennent très bien. En déclarant, hier, qu’il voulait absolument remettre en cause cette bêtise faite par François Mitterrand, le Président de la République a oublié plusieurs choses. Premièrement, il avait dit exactement le contraire en 2007 !

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Bernard Deflesselles. Circonvolutions !

M. Jean Glavany. Trahison pour trahison, monsieur le Premier ministre, lorsqu’un Président de la République affirme que le droit à la retraite à soixante ans sera maintenu, puis revient sur cet engagement pris devant tous les Français, est-ce que ce n’est pas une trahison ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Deuxièmement, Nicolas Sarkozy oublie que, en faisant passer l’âge de la retraite de soixante-cinq ans à soixante ans, la gauche n’a pas imposé une obligation, mais créé un droit : les Français ne sont pas obligés de partir à soixante-cinq ans (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ou plutôt à soixante ans. Il s’agit simplement d’une liberté offerte à ceux qui atteignent l’âge de soixante ans usés par le travail, quelle que soit la dureté de leur activité professionnelle.

Troisièmement, ce sont 11 millions, 15 millions, 16 millions de personnes qui ont bénéficié de cette disposition depuis 1983. Demain, ce sont 3 millions de Français qui vont se trouver victimes de votre réforme, parce qu’ils n’auront pas l’occasion de bénéficier de cette retraite. Quand allez-vous dire la vérité aux Français ? (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique . Monsieur le député, où étiez-vous en 2003 ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Lorsque le dispositif de carrières longues a été voté, lorsque nous avons permis, grâce à François Fillon, à tous ceux qui ont commencé tôt de partir tôt, vous n’étiez pas là ! Vous n’avez jamais voté cette mesure, ni aucune autre mesure relative aux retraites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) C’est cela, la réalité du parti socialiste : vous avez toujours une réforme des retraites en retard ! Vous avez contesté 1993, avant de considérer qu’il ne fallait rien changer. Vous avez contesté les mesures prises en 2003, mais vous les reprenez dans votre projet, comme vous reprendrez, un jour, la réforme que nous allons faire en 2010. Voilà la réalité !

Il nous a fallu du courage en 1993, en 2003, en 2007, et il nous en faut en 2010. Ce courage, le parti socialiste ne l’a pas, et c’est bien le problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Or, agir sur l’âge de départ à la retraite, monsieur le député, c’est logique, c’est s’inspirer de la plupart des autres pays, de l’Allemagne, de l’Espagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de la Suède.

Enfin, prendre en compte la pénibilité, admettre que l’on puisse être usé physiquement plus tôt parce qu’on a travaillé dans des conditions plus difficiles, tenir compte du fait que certains ont commencé à travailler très tôt – parfois à quatorze ou quinze ans –, permettre aux seniors de rester dans l’entreprise passé un certain âge, en tenant compte du fait qu’il y a des doubles carrières, de la formation, le Gouvernement l’a fait : c’est nous qui avons mis toutes ces questions sur la table, et pas le parti socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Relance de la construction de logements neufs

M. le président. La parole est à M. François Scellier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. François Scellier. Ma question, qui s’adresse à Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, porte sur la construction de logements neufs et sur la conjoncture dans le secteur du bâtiment.

Après avoir connu un pic à l’été 2007, caractérisé par une intense période d’activité qui a nécessité de nombreux recrutements, le secteur de la construction a rencontré des difficultés importantes au cours des années 2008 et 2009, avec des carnets de commandes vides et des entreprises ponctionnées par de lourdes charges.

Pour parer à cette situation, le Gouvernement a pris des mesures de soutien importantes, avec des moyens déterminants, notamment dans le cadre du plan de relance, et grâce à des dispositifs comme l’aide à l’investissement locatif privé, par le biais d’un avantage fiscal conséquent. On peut donc légitimement se féliciter aujourd’hui que, pour la première fois depuis deux ans et demi, les trois principaux indicateurs du logement neuf en France – ventes des promoteurs, mises en chantier, permis de construire – soient de nouveau au vert.

Parallèlement, on peut s’inquiéter d’un certain renchérissement du coût du logement, dû peut-être à l’adoption de normes nouvelles permettant progressivement de produire des logements plus économes en énergie et, sur certains territoires, à la rareté des terrains constructibles disponibles.

Monsieur le ministre, sachant que les besoins en logement des Français n’ont jamais été aussi importants, et que le secteur de la construction est un secteur clé pour l’emploi et la croissance, pouvez-vous faire le point sur la situation actuelle ainsi que sur les mesures que le Gouvernement entend poursuivre et sur celles qu’il souhaite éventuellement mettre en place pour répondre aux attentes de nos concitoyens ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme. Monsieur le député François Scellier, comme vous l’avez souligné, la France a traversé une crise immobilière sans précédent. Et comme pour nos voisins européens, je pense évidemment au Portugal et à l’Espagne, cette crise a été particulièrement virulente dans le secteur de la construction. Un chiffre montre cet impact : alors qu’en 2007, nous avions produit 430 000 logements, nous n’en étions plus qu’à 330 000 en 2009.

Cette crise aurait pu être beaucoup plus grave si la France n’avait pas engagé très rapidement un plan de relance à hauteur de 1,8 milliard d’euros. Je rappellerai les trois principales mesures que nous avons décidées ensemble : le doublement du prêt à taux zéro, le rachat de 30 000 logements construits par les promoteurs immobiliers, les bailleurs sociaux, enfin, le dispositif que vous avez inventé et qui porte votre nom.

Nous recueillons aujourd’hui le fruit de nos efforts et, comme vous l’avez dit, les trois principaux clignotants sont au vert. Les ventes ont ainsi progressé de 38 % ces douze derniers mois. Les permis de construire ont augmenté, quant à eux, de 6,8 % au cours des trois derniers mois. Enfin, dernière bonne nouvelle, les mises en chantier se sont accrues de 2,2 %. La France est le seul pays à avoir relancé le secteur de la construction.

Avec le Premier ministre et Jean-Louis Borloo, nous ne souhaitons pas nous arrêter là. Nous avons engagé une réforme de l’accession à la propriété pour répondre à la demande des Français et relancer davantage le secteur de la construction dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Conférence des déficits publics et mise en œuvre de la règle d’or

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Charles de Courson. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Jeudi dernier, à l’issue de la conférence sur les déficits publics, le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé qu’ils allaient proposer au Parlement d’inscrire dans la Constitution trois dispositions visant à aider les futurs gouvernants à réduire rapidement des déficits publics insoutenables.

La première mesure consiste à obliger chaque gouvernement à s’engager, en début de mandature, sur la trajectoire de réduction des déficits publics.

La deuxième vise à protéger les recettes en réservant aux lois de finances le monopole des décisions fiscales.

La troisième, enfin, tend à faire se prononcer le Parlement sur les documents budgétaires, avant leur transmission à la Commission européenne.

Le Nouveau Centre se félicite de cette évolution des pouvoirs publics dans le sens des demandes faites par notre groupe depuis plus de trois ans. En effet, nous demandons l’instauration de la règle d’or, c’est-à-dire l’équilibre des budgets de fonctionnement, la réduction du coût des niches fiscales et sociales et le respect des droits du Parlement en matière budgétaire au regard des engagements pris par le gouvernement français devant la Commission européenne.

Cependant, de nombreux points restent à éclaircir et amènent le groupe Nouveau Centre à vous poser trois questions.

Tout d’abord, quel est le calendrier prévu pour cette réforme constitutionnelle et le Président de la République envisage-t-il de recourir au référendum ?

Ensuite, la réforme visant à l’équilibre budgétaire concerne-t-elle uniquement les dépenses de fonctionnement ou la totalité du budget, fonctionnement et investissement ?

Enfin, comment cette réforme constitutionnelle s’articule-t-elle avec les pouvoirs du Gouvernement, du Parlement et de l’Union européenne en matière budgétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur de Courson, le 20 mai dernier, une réunion fort importante, la deuxième conférence des déficits publics, s’est tenue et a abouti notamment à trois réformes majeures. La première prévoit que chaque gouvernement devrait s’engager, dès le début du quinquennat, à suivre une trajectoire et à fixer une date pour le rétablissement des équilibres des finances publiques. Aux termes de la deuxième, le Parlement serait amené à voter sur le programme de stabilité soumis à nos partenaires européens. Je le précise, cette mesure aura vocation à s’appliquer dès cette année, sans attendre une réforme constitutionnelle. La troisième, enfin, prévoit que les dispositions fiscales seraient réservées à la loi de finances et elle devrait également s’appliquer tout de suite.

Le Président de la République a par ailleurs demandé au Premier ministre d’engager une concertation avec l’ensemble des partis politiques, avec chacun des groupes politiques dans cette assemblée ainsi qu’au Sénat afin d’examiner l’ensemble des modalités d’application.

M. Henri Emmanuelli. Avec effet rétroactif !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Cette concertation commencera dès l’été prochain, lorsque M. Camdessus, qui est à l’origine du groupe de travail, remettra ses conclusions. L’ensemble des modalités sera discuté. Cela portera notamment sur la différence entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement, ce que vous appelez la règle d’or, qui est appliquée en Grande-Bretagne. Cela portera également sur les modalités d’articulation entre les pouvoirs du Parlement et ceux dévolus à Bruxelles en matière de programmes de stabilité. C’est l’objet du groupe de travail constitué sous l’autorité de M. Van Rompuy.

Nous savons pouvoir compter sur le Nouveau Centre. Comme le Premier ministre l’a souligné tout à l’heure, il serait dans l’intérêt de tous les groupes, sur une question aussi importante que les finances publiques, de travailler à cette grande ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Journée de solidarité

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Dumont. Monsieur le Premier ministre, je commencerai par trois petites observations, pour votre information, sur le dossier des retraites. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Premièrement, tous les syndicats, sans exception, sont contre le report de l’âge légal de la retraite et ils le démontreront demain en étant nombreux dans la rue.

Deuxièmement, le sondage paru ce matin est particulièrement clair : les Français soutiennent notre projet, pas le vôtre.

Troisièmement, en 2012, nous reviendrons en arrière et rétablirons la limite à soixante ans, si vous arrivez à faire passer la mesure ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Cela étant dit, lundi, nombre de salariés de la grande distribution étaient au boulot, et pas sur les plages, grâce à – ou à cause de‚– ce que vous avez appelé la « journée de solidarité », qui n’a de solidaire que le nom quand on sait que les professions libérales et les cadres supérieurs – et vous-mêmes, mes chers collègues !‚–, profitaient quant à eux du soleil ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Maurice Leroy. Et vous, chère collègue ?

M. Claude Goasguen. Quelle caricature !

Mme Laurence Dumont. Créée au lendemain de la canicule de 2003, qui avait fait 15 000 morts, cette journée dite de solidarité est donc travaillée, mais non payée. Jean-Pierre Raffarin, l’un de vos prédécesseurs, monsieur le Premier ministre, s’était engagé ici même, à la tribune de l’Assemblée nationale – l’effet vignette étant encore à l’époque dans toutes les mémoires –, à ce que ces fonds soient sanctuarisés et qu’ils viennent en plus et non à la place de ce qui se faisait déjà. L’idée était donc d’apporter des financements supplémentaires à destination des personnes âgées et pour les besoins de leur prise en charge.

Mme Bérengère Poletti. C’est le cas !

Mme Laurence Dumont. Pourtant, l’an dernier, vous avez décidé de reprendre 150 millions de crédits non consommés dans la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et de les réaffecter au budget de la sécurité sociale.

À l’heure où des voix se font entendre dans votre majorité pour créer une deuxième journée de solidarité, dites-nous ce que vous pensez, vous, monsieur le Premier ministre, de cette idée lancée par un ancien ministre UMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée des aînés.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée des aînés. Madame Laurence Dumont, les crédits de la journée de solidarité sont sanctuarisés par la loi depuis 2004, contrairement à ce que vous prétendez.

M. Roland Muzeau. Une partie a pourtant disparu !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. J’ajouterai que, comme pour l’ensemble des recettes affectées, il est impossible d’utiliser ces crédits à d’autres fins que celles prévues par le législateur.

M. Patrick Lemasle. Pourtant vous l’avez fait !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. De combien disposons-nous grâce à cette journée de solidarité ? De 2,2 milliards d’euros chaque année, dont 60 % sont dédiés aux personnes âgées et 40 % aux personnes handicapées.

Que faisons-nous de ces 2,2 milliards d’euros ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe SRC.) Nous finançons d’abord les établissements médico-sociaux, pour un montant de 1,2 milliard d’euros. Le milliard restant contribue, d’une part, à l’allocation personnalisée d’autonomie – l’APA –, et, d’autre part, à la PCH, la prestation de compensation du handicap.

À côté de ces 2,2 milliards d’euros, je voudrais dire que ce sont 15 milliards d’euros que l’assurance maladie consacre, précisément pour les soins, aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Quand ces crédits ne sont pas tous consommés, il est normal qu’ils soient restitués à l’assurance maladie.

M. Henri Emmanuelli. Il fallait le dire, alors !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. C’est bien la raison pour laquelle, en 2009, nous avons restitué à l’assurance maladie les 150 millions qui n’avaient pas été consommés.

Madame la députée, vous pouvez appeler cela comme vous voulez : de la mauvaise utilisation, pourquoi pas même du détournement. Moi, j’appelle tout simplement cela de la vertu budgétaire. À cet égard, je voudrais simplement vous rappeler à quel point vous en avez manqué lorsque vous avez mis en place l’APA sans pour autant prévoir un financement pérenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Huguette Bello. Ne prenez pas votre cas pour une généralité !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Je vous rappelle quelques faits : nous, nous avons créé la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et nous avons instauré la journée de solidarité, dont nous avons sanctuarisé les crédits. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Rapport Durieux sur la taxe professionnelle

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Michel Piron. Ma question s’adresse à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Madame la ministre, l’article 76 de la loi de finances pour 2010 prévoit que le Gouvernement doit remettre au Parlement avant le 1 er  juin 2010 un rapport évaluant l’impact de la réforme de la taxe professionnelle sur les entreprises et sur les collectivités territoriales.

Cette réforme, vous le savez mieux que personne, n’a rien d’un simple ajustement.

M. Patrick Roy. Eh non !

M. Michel Piron. Elle supprime définitivement un impôt sur les investissements qui handicapait depuis plus de trente ans notre industrie et qui fut même qualifié d’« imbécile ».

Ce faisant, elle modifie en profondeur l’ensemble de la fiscalité locale, en procédant notamment à une nouvelle répartition des ressources fiscales entre niveaux de collectivités. Les discussions que nous avons eues avec vous à l’automne ont permis de garantir la stabilité des budgets locaux en 2010, année de transition, et en 2011, première année d’application effective de la réforme ; mais nous ne disposions pas au moment du vote du texte de simulations allant au-delà de 2011 et n’avions donc pas de certitudes sur la stabilité de nos ressources à long terme. Le rapport du Gouvernement est ainsi particulièrement attendu par l’ensemble des élus locaux.

La mission Durieux vous a remis un pré-rapport, qui m’a été transmis hier ainsi qu’aux autres membres du comité des finances locales, et dont il est question aujourd’hui dans la presse. Ce pré-rapport semble indiquer que la garantie des ressources sera effective au moins jusqu’en 2011, mais qu’il faudra aller plus loin sur la question de la péréquation.

Partagez-vous cette analyse concernant la péréquation, tant verticale qu’horizontale, et pouvez-vous nous dire quelles sont les prochaines étapes de la préparation du rapport du Gouvernement au Parlement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur Piron, vous avez raison : M. Durieux, qui est élu local – maire de Grignan‚– et ancien ministre, vient de nous remettre un pré-rapport qui contient de nombreux enseignements et qui permettra au comité des finances locales d’émettre lui aussi un avis.

C’est sur la base de ce pré-rapport que je remettrai à votre assemblée le rapport du Gouvernement. C’est également en utilisant un certain nombre des données statistiques élaborées par ce document que les six parlementaires en mission désignés par le Premier ministre François Fillon – comprenant, pour votre assemblée, Marc Laffineur, Olivier Carré et Michel Diefenbacher‚– pourront eux aussi élaborer leurs conclusions.

Quels enseignements en tirons-nous ? Le mécanisme que vous avez mis en place pour supprimer la taxe professionnelle, en la remplaçant par la contribution économique territoriale, fonctionne. Il fonctionne au bénéfice des entreprises, puisque le rapport nous indique que les principaux bénéficiaires sont les petites et moyennes entreprises ; il fonctionne également au bénéfice de l’industrie, la réduction par rapport à la taxe professionnelle pouvant aller jusqu’à 60 % pour le secteur automobile.

En ce qui concerne, ensuite, les collectivités territoriales, le rapport tire également des enseignements excellents. Il conclut évidemment sur le fait que la compensation est assurée en 2010 et en 2011, mais il a aussi pour vertu de faire des prévisions et des simulations jusqu’en 2015. Il nous enseigne que la dynamique de l’assiette servant à la détermination de la contribution économique territoriale – soit sur le foncier, soit sur la valeur ajoutée‚–, augmente plus que ne l’aurait fait, en régime habituel, la taxe professionnelle.

M. Frédéric Cuvillier. C’est faux !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. On était autour de 3,3 % d’augmentation, contre plus de 3,9 % pour l’assiette englobant la valeur ajoutée.

En ce qui concerne, enfin, la péréquation, sur laquelle vous m’interrogez, là aussi les enseignements sont très clairs : il faut encore plus de péréquation que n’en prévoit le mécanisme qui a été mis en place, ce qui rejoint tout à fait les travaux de Gilles Carrez et de son groupe en la matière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Éducation nationale

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Michel Françaix. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, un ministre chasse l’autre, mais les nuages persistent dans le ciel républicain. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

L’école française est sans doute la meilleure du monde pour les deux tiers de ses élèves, mais l’une des pires pour les autres. Vous me permettrez donc d’adopter un ton différent de celui de mon collègue Olivier Dassault tout à l’heure. Effectivement, le Président de la République animait hier un débat à Beauvais sur l’éducation : à l’ordre du jour, il y avait les problèmes de sécurité, d’absentéisme, mais tout sera bientôt réglé d’un coup de baguette magique, ou plutôt par la présence de policiers dans les établissements scolaires et par la suspension des allocations familiales.

M. Jean-Pierre Brard. On en vient à se demander si le Président de la République ne règle pas les problèmes de son enfance.

M. Michel Françaix. Mais pas un mot des rythmes scolaires, pas un mot de la formation des maîtres, pas un mot des suppressions de postes, pas un mot des inégalités entre les établissements !

Et pourtant, les inégalités se creusent : ce n’est pas moi qui le dis ; c’est la Cour des comptes ! La France se distingue par la faible capacité de son système scolaire à réduire l’impact de l’origine sociale des élèves sur leurs résultats ; l’écart n’a cessé de se creuser dans la dernière période entre les élèves les plus performants et ceux les plus en difficulté.

Monsieur le ministre de l’éducation nationale, allez-vous rester les bras ballants ? Qu’avez-vous à répondre à la Cour des comptes ? L’augmentation des inégalités, depuis sept ans que la droite est en place dans ce pays, ne vous gêne-t-elle pas ?

Un portillon de sécurité ne transmettra jamais un sentiment d’appartenance à un collège ; il ne fera jamais renaître le désir d’école. Dans un contexte détestable de mise en accusation de l’école – alors que c’est votre politique qui est en cause car elle n’est ni juste ni efficace – pensez-vous sérieusement que la gestuelle de matamore de notre Président de la République suffira à préparer l’avenir de notre jeunesse et à recréer l’égalité des chances ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. — Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je crois que nous n’avons pas écouté le même discours ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. François Hollande. Quel courage, monsieur le ministre !

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. Lorsqu’il a rencontré les enseignants dans la salle de classe d’un collège de Beauvais hier, le Président de la République a évoqué la question de la formation des enseignants, celle des rythmes scolaires. Il a évoqué tous ces sujets qui sont au cœur de la politique d’éducation que nous menons.

Vous faites référence au rapport que la Cour des comptes a publié il y a quelques jours. Je vous encourage à lire dans le détail un certain nombre de propositions de la Cour.

M. Claude Goasguen. Il ne sait pas lire.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. Elles mettent à mal bien des théories défendues depuis vingt-cinq ans par le parti socialiste et la gauche en matière éducative !

Mme Françoise Hostalier. Très bien !

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. Je voudrais vous citer deux exemples donnés par la Cour des comptes. Elle privilégie tout d’abord l’individualisation par rapport à la massification du système éducatif. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Oui, si nous accueillons aujourd’hui les deux tiers d’une classe d’âge, alors nous avons besoin d’un traitement individualisé pour chaque élève.

M. Jean-Louis Bianco. Comment fait-on, avec moins de professeurs ?

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. C’est l’esprit des réformes que nous menons depuis deux ans, avec l’aide personnalisée en primaire, avec l’accompagnement éducatif au collège, avec l’aide personnalisée à la rentrée pour l’ensemble des élèves, afin de tenir compte de leur diversité.

M. Albert Facon. Avec quels moyens ?

M. Patrick Lemasle. Et les RASED ?

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, vous devriez également lire le passage sur les moyens accordés à l’éducation nationale. Le parti socialiste prône depuis vingt-cinq ans une politique du « toujours plus », mais ce n’est pas un gage de résultats pour l’éducation nationale ! La Cour des comptes privilégie, elle, la qualité et l’adaptation de notre système éducatif à la diversité : il faut faire davantage pour ceux qui en ont le plus besoin. C’est la politique que mènent cette majorité et ce Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Vous essorez l’éducation nationale, c’est tout ce que vous faites ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Très haut débit dans les zones peu denses

M. le président. La parole est à M. Charles-Ange Ginesy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Charles-Ange Ginesy. Madame la secrétaire d’Etat chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, je souhaite vous interroger sur le lancement du programme national de déploiement du très haut débit.

L’économie numérique est le secteur le plus dynamique de l’économie mondiale. Elle fait partie des priorités du Gouvernement : sur les 35 milliards d’euros du grand emprunt, 4,5 milliards iront au développement du numérique. M. le Premier ministre François Fillon a annoncé l’élaboration, pour l’été 2010, d’un programme national de déploiement du très haut débit.

Dans son discours de clôture des Assises des territoires ruraux à Morée, le Président de la République a rappelé l’importance de la ruralité, qui concerne 11 millions de Français. Il a réaffirmé l’objectif d’atteindre 100 % de couverture du territoire national en très haut débit dès 2025.

Depuis dix ans, nous avons fait beaucoup pour combler la fracture numérique ; l’État comme les collectivités locales ont investi et investissent encore au travers des contrats de projets, des pôles d’excellence rurale, et de partenariats innovants avec les opérateurs privés.

À l’ère du très haut débit et des offres triple-play, voire multi-play, des millions de Français restent toutefois exclus de la connexion au haut débit. Or nous savons qu’avec la révolution numérique, ceux qui n’auront pas accès à l’internet pour s’y former seront sur le bord du chemin pour longtemps. Cette nébuleuse que nous voyons apparaître avec le cloud computing , nous allons la voir se développer encore avec les nanotechnologies.

Madame la secrétaire d’État, je connais votre détermination et votre volonté d’agir. Ma question est simple : comment ce programme accompagnera-t-il les zones rurales et de montagne pour mettre en œuvre le très haut débit afin d’éviter que ne se crée une nouvelle fracture territoriale ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique. Le Gouvernement a un objectif : l’équité territoriale dans l’accès au très haut débit, qu’il faut bien sûr envisager en termes d’usages et de services numériques, mais aussi en termes d’emplois, directs et indirects. C’est tout simplement du développement des territoires qu’il s’agit.

Le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité, vous l’avez rappelé, que 4,5 milliards des investissements d’avenir soient réservés au numérique, dont 2 milliards destinés en totalité aux réseaux. Ces 2 milliards seront investis entièrement dans les zones moyennement et peu denses. Dans les zones les plus denses, nous n’investirons pas d’argent public, car l’argent des investisseurs privés suffit.

Le programme sera lancé à l’été. Nous avons bénéficié d’une consultation des collectivités locales, des parlementaires, des opérateurs : le programme enrichi sera bientôt prêt. Il commencera par un appel à des pré-dossiers par des collectivités et des opérateurs, afin de savoir quelles sont les initiatives qui nous seront proposées et celles qui sont prêtes.

M. Henri Emmanuelli. Il faut payer combien ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Ensuite s’ouvriront des guichets : il y aura un guichet avec des prêts et des participations en capital, en contrepartie naturellement d’une couverture du territoire en très haut débit. Il y aura aussi un guichet de subventions pour les collectivités territoriales, pour les territoires les moins denses.

Toutes les technologies pourront être éligibles aux investissements d’avenir. Il n’y aura pas de préférence pour l’une ou l’autre technologie : non seulement la fibre optique, mais aussi le satellitaire ou l’hertzien sont concernés. Il s’agit vraiment que chacun puisse accéder au très haut débit.

Monsieur le député Charles-Ange Ginesy, vous êtes le rapporteur d’une mission parlementaire sur les droits de l’individu dans la révolution numérique : sachez que le Gouvernement veille à ce que tous les citoyens puissent profiter de cette révolution, quel que soit l’endroit où ils habitent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Roland Muzeau. Le Gouvernement ferait mieux de s’occuper aussi de Pôle emploi !

Alcoolisme des mineurs

M. le président. La parole est à Mme Annick Le Loch, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Annick Le Loch. Madame la ministre de la santé et des sports, un problème majeur de santé publique appelle une réponse forte, c’est celui de la vente et de la consommation d’alcool chez les mineurs. Chez les moins de seize ans, la consommation a augmenté de 8 % depuis 2003. L’alcool est aujourd’hui la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Au-delà des drames et des exemples de vies brisées que nous connaissons tous, l’alcoolisme chez les jeunes, c’est aussi des violences, des grossesses non désirées, le décrochage scolaire, ou des conduites addictives préoccupantes, bref, un coût social très important. Il est temps d’agir !

La loi Hôpital du 21 juillet 2009 a posé le principe de l’interdiction de la vente d’alcool aux moins de dix-huit ans dans les débits de boissons et les commerces. C’est une décision importante, courageuse mais insuffisante. En effet, si la loi fait obligation aux débits de boissons « d’apposer une affiche rappelant les dispositions de la loi », sur le terrain, cette obligation est loin d’être partout respectée, notamment dans les grandes et moyennes surfaces, qui réalisent 80 % des ventes. Qu’est-il fait pour rendre visible l’interdiction sur le lieu de vente ? Qu’est-il fait à la caisse des grandes surfaces où l’acte d’achat est difficilement contrôlable ?

Madame la ministre, la loi de 2009 n’est pas à la hauteur du défi de santé publique posé. Elle s’est limitée à l’accès à l’alcool et aux relations de vente sans s’attaquer aux problèmes de fond, comme le binge drinking , cette alcoolisation massive et occasionnelle qui se pratique en groupe et dans des lieux publics.

Cette réalité doit nous interroger tous, car la responsabilité est collective : n’est-ce pas la preuve de l’échec ou de l’absence de politiques d’éducation et de prévention ambitieuses ?

La prévention globale reste entièrement à concevoir. Dans son dernier rapport, la Défenseure des enfants appelait de ses vœux la mise en place d’une stratégie nationale volontariste de prévention et de lutte contre l’alcoolisation précoce des adolescents. L’alcoolisme est un fléau évitable à condition de s’en donner les moyens, disait-elle.

Ma question est simple, madame la ministre, à quand une stratégie nationale, globale, ambitieuse, de prévention et de lutte contre l’alcoolisation précoce des mineurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs des groupes GDR, UMP et NC.)

M. le président. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Madame la députée, je partage votre diagnostic : l’alcoolisation des jeunes est un phénomène majeur de santé publique.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’êtes pas médecin, vous êtes pharmacienne !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. Et je pourrais ajouter d’autres chiffres : un jeune de dix-sept ans sur dix s’est alcoolisé massivement au moins dix fois dans l’année ; 50 % des jeunes de dix-sept ans se sont alcoolisés massivement au moins une fois ; les admissions aux urgences pour alcoolisation massive ont augmenté de 31 % ces trois dernières années.

Face à ces phénomènes extrêmement préoccupants, mis en lumière d’ailleurs par la mode des apéritifs géants, le Gouvernement a déployé une stratégie globale à travers le plan Santé jeunes, grâce à trois modes d’intervention : l’interdiction, il en faut, l’information et la prévention, et la prise en charge de soins.

Les mesures d’interdiction sont issues de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : interdiction totale de la vente aux mineurs mais aussi d’autres mesures d’interdiction, qui concernent les ventes au forfait ou les happy hours . Le décret, qui est paru le 6 mai dernier, indique les sanctions qui sont encourues par ceux et celles qui ne mettent pas en œuvre ces mesures d’interdiction.

L’information et la prévention sont organisées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, à travers ses campagnes. Nous venons d’ouvrir un site Internet, alcoolinfoservice, qui informera les jeunes.

Enfin, les jeunes qui s’alcoolisent sont pris en charge à travers les nouvelles missions des consultations d’addictologie.

Vous le voyez, nous menons une politique globale qui prend en charge complètement ce phénomène majeur de santé publique.

Passeport mobilité

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Madame la ministre chargée de l’outre-mer, ma question porte sur le passeport mobilité étudiant. Je voulais vous la poser la semaine dernière, mais elle est toujours d’actualité à la suite de vos déclarations du 20 mai à la Réunion concernant les conditions de mise en œuvre du fonds de continuité territoriale.

Le passeport mobilité avait pour but d’assurer une réelle ouverture sur l’extérieur en termes d’opportunités d’études pour notre jeunesse. Les étudiants quittaient leur région d’origine si la filière était saturée ou inexistante. C’était une opération noble et généreuse qui a commencé dès le second semestre de l’année 2002. Dès sa mise en place, ce dispositif a rencontré un succès considérable, révélateur de sa nécessité, car il contribuait à garantir la continuité territoriale.

Le passeport mobilité, géré par le CROUS, mettait à égalité tous les étudiants qui pouvaient bénéficier pleinement de mesures destinées à combler un éloignement géographique préjudiciable à leur avenir. C’était une mesure juste.

Aujourd’hui, il est traité au même titre que la dotation de continuité territoriale qui, elle, a toujours été soumise à des conditions de ressources. Or ces dispositifs ne sont pas de même nature, n’ont pas le même objectif et ne concernent pas le même public.

À la Réunion, vous avez déclaré que le dispositif ancien n’avait pas donné de bons résultats. Qu’en est-il exactement ? Le CROUS Guadeloupe n’a-t-il pas assuré sa mission ? Vous avez de plus indiqué que les décrets et arrêtés n’étaient pas publiés, car la Commission européenne n’avait pas encore émis d’avis.

Face au désarroi et à l’inquiétude des familles quant à la prise en charge des trajets, pourriez-vous, madame la ministre, préciser les décisions que vous entendez prendre, les modifications que vous pouvez encore apporter afin que tous les étudiants soient placés sur le même pied d’égalité et que la poursuite de leurs études en métropole soit garantie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Madame la députée, je voudrais tout d’abord vous remercier de poser cette question au moment où le Gouvernement rend public le nouveau dispositif concernant la continuité territoriale pour l’outre-mer.

Ce dispositif repose sur des bases objectives, transparentes et efficaces. L’ancien dispositif n’avait pas donné de bons résultats et a d’ailleurs fini par générer des mécontentements et des rancœurs. C’est la raison pour laquelle la loi pour le développement économique de l’outre-mer fixe le cadre général du dispositif que j’ai présenté à la Réunion.

Ces mesures sont fondées sur trois principes simples. Les aides doivent bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin et doivent être calculées en fonction des conditions de ressources du foyer. Je suis convaincue, madame la députée, que vous partagez ce choix avec moi.

M. Victorin Lurel. C’est déjà le cas !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Il ne sera plus possible de cumuler plusieurs aides sur une même année.

Enfin, l’État apportera une aide forfaitaire, quelle que soit la période de départ, avec un taux d’effort identique, quel que soit le territoire ou la région d’outre-mer.

S’agissant plus précisément du passeport mobilité, l’État financera à 100 % le billet pour la formation professionnelle, à 100 % le billet des étudiants boursiers et à 50 % le billet des étudiants non boursiers, mais sous conditions de ressources.

L’aide à la continuité territoriale se traduira par deux taux d’effort, en fonction des revenus. Elle représentera 25 % ou 40 % du prix du billet basse saison.

Le dispositif que nous vous proposons est clair, transparent, équitable, le souci du Gouvernement étant que le passeport mobilité retrouve sa véritable vocation sociale. C’est tout le sens de l’annonce que j’ai faite la semaine dernière à la Réunion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Contrôle du dispositif d'aide à l'outre-mer

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Apeleto Albert Likuvalu. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et concerne les affaires de fraudes en outre-mer, dont certaines ont été dénoncées dans le rapport de la Cour des comptes de février dernier.

Ainsi, on peut retenir les affaires les plus importantes, notamment à l'île de la Réunion pour des fraudes à la défiscalisation industrielle, ou en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française pour des affaires similaires de fraudes à la défiscalisation immobilière.

À Wallis-et-Futuna, il s'agit de détournements de fonds destinés aux travaux du seul lycée du territoire et certains établissements scolaires. Il y a, en plus, les dossiers des ferries et bateaux immatriculés à Wallis-et-Futuna. Dans un cas, les engagements n'ont pas été respectés par les représentants locaux de l'État qui, rappelons-le, sont encore aujourd'hui à la tête de l'exécutif à Wallis-et-Futuna. Dans l'autre, les armateurs ont fait de fausses déclarations sur l'immatriculation des navires et sur la fiscalité.

Toutes ces affaires ont comme dénominateur commun des défaillances de l'État, tant dans les prises de décisions que dans le contrôle des financements et le suivi a posteriori des dossiers.

Monsieur le Premier ministre, une telle situation est inacceptable au sein de la République. Il n'est pas admissible que de tels agissements, qui ternissent l'image de l'outre-mer, ne soient pas sanctionnés.

Le système de défiscalisation, qui a fait ses preuves en permettant de financer à hauteur de 25 à 30 % des investissements dans le cadre d'activités productives, ne doit pas être remis en cause.

Aussi mes questions sont-elles simples : comment mieux encadrer et contrôler le système de défiscalisation pour faire cesser de telles pratiques d'un autre temps ? Quelles mesures concrètes entendez-vous prendre pour que les responsables de telles fraudes ne restent pas impunis ? Enfin, que comptez-vous faire pour rétablir l'état de droit en outre-mer, et notamment à Wallis-et-Futuna ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Tout d’abord, je voudrais indiquer que les aides à l’outre-mer ont permis de soutenir le développement économique et en particulier les secteurs d’activité prioritaires. Cet outil est indispensable pour poursuivre la volonté, qui a été celle de nombreux gouvernements, de faire en sorte que l’outre‑mer puisse développer son activité et assurer son développement endogène.

La loi pour le développement économique de l’outre-mer a proposé des réajustements, notamment au niveau de la défiscalisation, et nous avons corrigé les effets pervers en particulier sur la question du logement, puisque l’effort a porté essentiellement sur le logement social. C’est grâce à l’outil de défiscalisation et à la ligne budgétaire unique que nous pouvons réaliser nombre d’opérations de construction de logements sociaux.

Pour autant, vous avez raison, monsieur le député, il faut pouvoir contrôler cet outil de défiscalisation, en particulier à Wallis-et-Futuna, mais je ne voudrais pas me prononcer sur des affaires en cours sur lesquelles il ne m’appartient pas de porter un jugement. Simplement, je veux vous dire qu’au sein de mon ministère, la direction générale en charge de l’outre-mer va effectuer très prochainement des contrôles a priori et a posteriori pour faire en sorte que cet outil nécessaire à l’outre-mer soit efficace et ne soit pas remis en cause pour ne pas ternir l’image de nos territoires et de nos collectivités.

S’agissant de Wallis-et-Futuna, je compte sur vous, monsieur le député, pour contribuer à faire en sorte que l’on retrouve un climat serein de manière à régler les vraies questions qui se posent à Wallis-et-Futuna. Je pense notamment à la construction du lycée et à d’autres mesures nécessaires. J’aurai l’occasion de m’entretenir avec vous lorsque nous allons aborder l’accord particulier à Nouméa la semaine prochaine. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Lancement du plan lecture

M. le président. La parole est à M. Gérard Menuel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gérard Menuel. Monsieur le ministre de la culture et de la communication, les enquêtes successives, notamment celles conduites par votre ministère, montrent que la lecture traditionnelle est en régression continue dans notre pays depuis plus de vingt ans. Or l'accès à la lecture et aux livres est le plus souvent la porte d'entrée principale aux autres pratiques culturelles. Elle est aussi un formidable vecteur d'épanouissement personnel et d'ouverture au monde et aux autres.

Les bouleversements induits par la révolution numérique, s'ils contiennent des menaces de nouvelles fractures, ouvrent néanmoins de nouvelles opportunités pour redonner le goût de la lecture à nos concitoyens, notamment aux plus jeunes. Je salue, monsieur le ministre, votre volontarisme en matière de lutte contre l'illettrisme et votre souhait de développer, notamment chez les plus jeunes, le goût de la lecture.

Chacun le sait aussi, notre pays a la chance d'avoir sur l'ensemble de son territoire des bibliothèques publiques, ouvertes à tous et dont les collectivités territoriales ont la responsabilité. La question de la lecture dans notre société est un véritable enjeu de civilisation.

Monsieur le ministre, ma question est simple : quelles mesures comptez-vous prendre pour enrayer ce phénomène d'érosion et relancer les pratiques de lecture dans notre pays ?

M. le président. La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, pour remédier à l’érosion de la lecture, j’ai annoncé le 30 mars quatorze propositions fédératrices rassemblant le ministère de la culture et de la communication, les collectivités territoriales et l’ensemble des partenaires. Ces quatorze propositions mobiliseront près de 100 millions d’euros, par redéploiement de crédits existants.

Voici les trois axes essentiels de cette action :

Premièrement, adapter les bibliothèques afin que la lecture sur écran et les nouvelles pratiques culturelles sur internet se développent dans de bonnes conditions. Je souhaite notamment mettre en œuvre un contrat numérique pour les bibliothèques, afin qu’elles puissent moderniser leurs équipements. À ce jour, près de la moitié des bibliothèques publiques ne sont pas équipées. Je leur propose également d’étendre leurs horaires d’ouverture. À cet égard, je veux également rendre à la Bibliothèque publique d’information du centre Pompidou son rôle d’établissement national pilote.

Deuxième axe : encourager les opérations promouvant la médiation, notamment en direction des jeunes publics. Je propose aux collectivités des contrats territoires-lecture pour impulser une politique de mise en réseau permettant de mobiliser tous les acteurs. Je veux également mieux soutenir les associations œuvrant au développement de la lecture dans les écoles, les bibliothèques et les quartiers, afin de passer de 600 000 à 2 millions d’enfants touchés. Je pense notamment à l’association d’Alexandre Jardin « Lire et faire lire », qui mobilise de nombreux bénévoles aux côtés des professeurs.

Troisième axe, rendre plus efficace l’action des pouvoirs publics en matière de développement de la lecture, en travaillant à des systèmes partagés. Je lance aujourd’hui même à cet égard une nouvelle fête du livre dénommée « À vous de lire », qui doit être une manifestation populaire et participative, ainsi qu’un véritable festival de lecture partout en France. À cet égard, la liste des intervenants est plus qu’encourageante.

M. le président. Je remercie les députés et les membres du Gouvernement qui assistent à la séance des questions au Gouvernement jusqu’à son terme.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Laffineur.)
Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président . La séance est reprise.

Grand Paris

Discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au Grand Paris (n° 2547).

M. le président. La parole est à M. Yves Albarello, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Yves Albarello, rapporteur de la commission mixte paritaire . Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale, chers collègues, en me faisant l’honneur de me désigner à l’automne dernier comme rapporteur de ce projet de loi, à la demande du président Christian Jacob, la commission qu’il préside m’invitait à relever un redoutable défi. Je ne pressentais alors qu’en partie les difficultés qu’il présentait. Ne s’agissait-il pas en effet de réussir la première phase de ce grand projet présidentiel du XXI e  siècle tendant à faire de la métropole parisienne l’un des ensembles majeurs de rayonnement et de développement économique de dimension internationale ?

Un tel projet est susceptible de profiter à notre pays tout entier et de lui garantir pour l’avenir la place de choix qu’il occupe aujourd’hui dans le concert des grandes nations. À cette tache ô combien difficile et délicate, mais exaltante, je me suis dévoué passionnément et avec grand plaisir.

En novembre, nous avons examiné l’économie générale de cette première phase, à savoir la réalisation d’un réseau automatique de métro rapide structurant, développé en double boucle à partir du métro parisien de la ligne 14. Reliant neuf, peut-être dix pôles de compétitivité ou de développement par un parcours fermé comprenant une quarantaine de gares, ce réseau aura pour finalité de favoriser ou de susciter le développement économique et la création d’emplois autour de ces pôles et de ces gares. En même temps, il devra contribuer activement à l’amélioration globale des transports en commun en Île-de-France : c’est tout l’objet de l’interconnexion indispensable des réseaux. Nous avions affirmé, en première lecture, son caractère obligatoire. Nous l’avons réaffirmé avec force et définitivement acté en commission mixte paritaire.

À l’occasion de la première lecture, grâce au rôle joué par la commission des lois et son rapporteur Jacques-Alain Bénisti, ainsi que par la commission des affaires économiques et son rapporteur le président Patrick Ollier, notre assemblée avait pu apporter au texte du Gouvernement de nombreuses améliorations. J’en cite quelques-unes parmi les plus significatives : mention d’une offre de logements géographiquement et socialement adaptée à l’article 1 er ; fixation d’un objectif de résorption des déséquilibres territoriaux et sociaux au même article ; clarification du mode de financement de la double boucle, nécessité de l’interconnexion entre les réseaux franciliens et développement de l’intermodalité autour des gares à l’article 2 ; amélioration des conditions d’organisation du débat public à l’article 3 ; renforcement de la légitimité de la société du Grand Paris aux articles 7 et 8 ; soumission des marchés aux règles du droit commun de la concurrence et de la publicité à l’article 14 ; dissociation des comptabilités de la RATP à l’article 17 ; amélioration des règles applicables aux contrats de développement territorial à l’article 18.

Si l’on y ajoute plusieurs améliorations apportées au cas concret que constitue le programme relatif au plateau de Saclay, en dépit de nos légitimes différences politiques, le texte adopté par notre assemblée le 1 er  décembre reflétait un équilibre globalement satisfaisant.

M. Yves Cochet. Non !

M. Yves Albarello, rapporteur . Respectueux des pouvoirs de l’État et des prérogatives des collectivités territoriales, il permettait la réalisation par l’État d’un grand projet d’intérêt national, sans bafouer l’esprit de décentralisation qui a inspiré de manière continue nos trois Républiques depuis 1870.

Bénéficiant d’un temps de réflexion très supérieur au nôtre, en dépit de la procédure d’urgence décidée à la fin de l’examen à l’Assemblée en première lecture, nos collègues sénateurs ont enrichi notre texte initial sur de nombreux points. Leurs initiatives nous étant apparues judicieuses, beaucoup d’entre elles ont pu être acceptées sans difficulté.

Ainsi en est-il de l’élargissement du texte au très haut débit, des précisions complémentaires en ce qui concerne les objectifs de logement, de l’inclusion dans les contrats de développement territorial des questions de mixité sociale, d’équipements publics et d’installation d’entreprises autour des gares de la double boucle.

Il faut noter également l’adoption d’un système de financement pour le réseau du Grand Paris allant au-delà de la dotation en capital apportée par l’État et comprenant des ressources au bénéfice des collectivités territoriales et du STIF. Les modifications ont également porté sur la gouvernance des deux établissements publics : la société du Grand Paris et Paris-Saclay.

En revanche, plusieurs suppressions ou innovations nous ont paru mériter une discussion contradictoire d’où nous avons pu dégager une synthèse constructive.

Le prolongement de la métropole parisienne vers la façade maritime aurait déséquilibré le Grand Paris et l’aurait transformé en « Grand Ouest parisien » si le réseau à grande vitesse réalisé en Seine-et-Marne depuis l’aéroport de Roissy et la ville nouvelle de Marne-la-Vallée avec son parc international de loisirs aux douze millions de visiteurs annuels n’avaient été reliés à l’aéroport d’Orly : nous y avons veillé. Cette interconnexion, non prévue à l’origine, optimise sensiblement l’efficacité de la double boucle.

L’interconnexion indispensable de la double boucle avec les lignes ferroviaires qu’elle croise – transilien, RER, métro – est nettement réaffirmée. Elle est le gage que le Grand Paris, bien que sa surface soit inférieure au tiers de l’Île-de-France, est néanmoins un véritable projet francilien. Dans le même esprit, l’intermodalité entre les réseaux et les parkings proches des gares, avec recherche de tarification unique, sans préjudice des compétences du STIF, est devenue une priorité.

Le Sénat avait introduit deux ajouts importants tendant à privilégier la réalisation proprement dite du réseau en double boucle au détriment de projets de transports collectifs déjà prévus au sein de la région capitale.

Ainsi se trouvaient affectés tant le projet, à caractère privé, de CDG Express, que le projet public d’Arc Express porté par le STIF et par le conseil régional d’Île-de-France. Les dispositions votées par nos collègues sénateurs auraient pu conduire à la remise en cause de ces deux projets, nonobstant, en ce qui concerne le second, les prérogatives propres des collectivités territoriales.

C’est pourquoi, les efforts de dialogue ont été intenses au sein de la CMP. Les discussions ont été fructueuses et il me semble que nous sommes parvenus à un vrai compromis, acceptable par toutes les parties et offrant des solutions positives.

Pour la liaison CDG Express, la CMP a entériné le principe d’une garantie de l’État, si celle-ci s’avérait nécessaire, à l’exclusion des subventions.

S’agissant d’Arc Express, il est apparu souhaitable aux membres de la CMP que, compte tenu d’éventuelles complémentarités entre les deux projets de la double boucle et Arc Express, les deux débats publics les concernant soient lancés simultanément et menés de manière synchronisée, dans un délai de quatre mois. Chacun des deux dossiers sera ainsi enrichi des éléments de consultation de l’autre afin de mieux informer le public.

Par ailleurs, plusieurs autres améliorations intéressantes sont à signaler : l’augmentation de 19 à 21 des membres du conseil d’administration de l’établissement public de Paris-Saclay afin d’assurer une meilleure représentation des collectivités territoriales d’une part ; la consultation de l’association des maires d’Île-de-France d’autre part ; enfin l’attribution d’une partie des futures plus-values aux collectivités territoriales et au STIF ainsi que la limitation de l’exonération fiscale, pour les entreprises de transport, aux opérations donnant lieu à réinvestissement dans le réseau du Grand Paris.

En conclusion, je ne peux que me féliciter de l’excellente collaboration qui a accompagné nos travaux, avec le Gouvernement tout d’abord : j’en remercie M. le secrétaire d’Etat à la région capitale ainsi que son cabinet dont j’ai pu mesurer toute l’efficacité.

En second lieu, cette collaboration fut excellente avec nos collègues sénateurs, au premier rang desquels mon homologue rapporteur, Jean-Pierre Fourcade, avec lequel nous avons eu des discussions pas toujours faciles…

Mme Annick Lepetit. Et même âpres !

M. Yves Albarello, rapporteur. …mais toujours franches et loyales ; sa volonté d’aboutir à un accord n’avait d’égale que la mienne.

Enfin, le secrétariat de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire n’a cessé de m’apporter un concours précieux tout au long de la procédure.

C’est donc un texte équilibré, tourné vers l’avenir et résolument rassembleur qui vous est soumis. Il traduit une forte ambition et un espoir légitime pour la région d’Ile-de-France, ses collectivités territoriales et, au-delà, pour l’ensemble du territoire national. Je vous demande de lui apporter votre soutien sans réserves. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Blanc, secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale.

M. Christian Blanc, secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale . Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je souhaite avant tout remercier M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Christian Jacob, le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, ainsi que MM. les rapporteurs, Yves Albarello et Jacques-Alain Bénisti. Ils ont mis tout leur engagement et leur exigence républicaine au service de ce projet de loi.

Je souhaite remercier également tous les députés, issus de toutes les sensibilités politiques, qui, tout au long de nos échanges, des nombreuses auditions, de la discussion en séance publique ici même puis lors de la CMP ont contribué de manière constructive et exigeante à l'amélioration de ce texte qui doit rendre possible la réalisation d'un projet capital pour l'avenir de notre pays.

Aujourd'hui, nous vivons une étape clé qui permettra, demain, la mise en œuvre opérationnelle du Grand Paris, un an à peine après son lancement par le Président de la République. Je souhaite en rappeler les enjeux.

Il s'agit d'abord de mettre en mouvement le moteur de la croissance que constitue la région capitale en tirant partie de tous ses potentiels et participer ainsi à la sortie structurelle de la crise que nous connaissons en France et en Europe. Les effets de cette expansion auront un impact positif sur les capacités de croissance de l’ensemble des métropoles de notre pays.

Il s'agit ensuite de faire évoluer l'urbanisme de la métropole pour relever les défis du XXI e siècle et retisser le lien entre Paris et sa banlieue.

Il s'agit enfin d'agir sur la cohésion sociale, facteur clé du vivre ensemble, c'est-à-dire de l'essence même de toute démocratie.

Soyons clairs quant à l’ordre de ces facteurs. La croissance économique qu'il convient d'impulser est absolument indispensable pour permettre un urbanisme post-Kyoto et pour réussir l'immense chantier de la cohésion sociale. Sans cette croissance, nous n'aurons pas l'énergie indispensable à ces ambitions.

Notre travail va se poursuivre avec le souci constant de la concertation et de l'efficacité. Après l'approbation de la loi, je proposerai à la région, sur la base du protocole d'accord sur le SDRIF acté en juillet 2009, de travailler de concert pour rechercher toutes les voies de notre complémentarité dans le respect des compétences de chacun.

Le Gouvernement mettra en place d'ici à l'été les outils opérationnels que sont la Société du Grand Paris, l'Établissement public de Paris-Saclay et l'Atelier international du Grand Paris. Dès septembre 2010, le débat public et la concertation relatifs au réseau du Grand Paris pourront démarrer et, dès la fin du débat, les premiers contrats de développement territorial pourront être signés. Enfin, au début de 2013, les travaux pourront commencer. Dix ans plus tard, en 2023, la mise en service de l'ensemble doit devenir une réalité.

Bien des fois, confronté aux conservatismes divers, je me suis dit qu'il était bien difficile d'avoir une grande ambition pour la France d'aujourd'hui. Cependant j’ai fini par constater avec bonheur que nous sommes tous, toujours, lorsque le moment est venu, au service des grandes ambitions et des grands projets, capables d'impulser de la vitalité pour l'avenir pour notre pays.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Christian Blanc, secrétaire d’État . J’attends de vous, mesdames, messieurs les députés, que vous approuviez le texte issu de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Yanick Paternotte.

M. Yanick Paternotte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ville de rayonnement international, Paris est aujourd'hui soumise à la concurrence d'autres métropoles, qu'il s'agisse de Pékin, Bombay ou Berlin.

Paris doit son rayonnement à son patrimoine historique, culturel et architectural, mais également à son dynamisme économique et universitaire de renommée mondiale. Elle bénéficie d'un potentiel considérable en termes d'activité, d'emploi et de tourisme, potentiel soutenu par la qualité de ses infrastructures de transports.

Pour conforter la place de Paris dans le monde, il est donc essentiel de renforcer l’attractivité de la région capitale afin favoriser la création de richesses au service de l'Île-de-France et de ses territoires. C'est tout l'objet du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

Projet de développement durable d'intérêt national, le Grand Paris vise notamment à la réalisation d'un réseau de transport efficace et moderne qui permettra de relier les futurs pôles de développement de la région capitale. Les contrats de développement territorial, autour desquels ce réseau s'articule, participeront à l'objectif de construire chaque année 70 000 logements adaptés en Île-de-France. Il s'agit enfin de favoriser le développement de pôles de compétitivité et du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay dont le rapporteur a fait l’exégèse.

Construire le Grand Paris suppose en effet un projet de vie soutenable qui combine plusieurs exigences : une vision architecturale ambitieuse et durable, l'émergence de clusters de développement de niveaux mondiaux, une armature de transports robuste et un mode de gouvernance efficace. À ce titre, les travaux que nous avons conduits au Parlement sur ce projet de loi ont permis des avancées majeures sur ces différents points. Je tiens donc à saluer le travail accompli par l'Assemblée nationale et le Sénat qui a permis d'enrichir largement ce projet de loi.

Le Parlement a été particulièrement attentif aux attentes légitimes des Franciliens. Nous avons, en effet, souhaité promouvoir des transports de qualité et renforcer l'interconnexion du réseau du Grand Paris avec le réseau francilien existant, mais également avec l'ensemble des réseaux de transports ferroviaire, fluvial et routier nationaux pour réduire les déséquilibres territoriaux de notre pays. Par ailleurs, nous avons décidé d'associer davantage les citoyens et les élus locaux à l'élaboration de ce grand chantier.

Mes chers collègues, je tenais à souligner tout particulièrement les travaux accomplis par les présidents des commissions et les rapporteurs à l'Assemblée nationale et au Sénat, Yves Albarello et Jean-Pierre Fourcade, pour parvenir à des compromis et à un texte équilibré lors de son examen par la commission mixte paritaire qui s’est réunie jeudi dernier.

Permettez-moi, à ce titre, de souligner brièvement les principaux enrichissements du texte issu de nos travaux en commission mixte paritaire.

Comme je l'ai indiqué, nous avons été soucieux d'améliorer l'interconnexion du réseau de transports du Grand Paris avec les réseaux de transports existants, à travers le réseau TGV entre Roissy et Orly. Nous avons également décidé de favoriser l'intermodalité des transports par l'instauration d'un système de paiement unique pour les transports et le parking. C’est en cela, monsieur Cochet, qu’il s’agit d’un projet durable.

M. Yves Cochet. On parie ?

M. Yanick Paternotte. En matière d'association du public et des élus locaux, la commission mixte paritaire a souhaité que l'Association des maires d'Île-de-France, l’AMIF, soit consultée sur le schéma d'ensemble du réseau de transports, au même titre que le STIF – c’est un ajout de l'Assemblée nationale – et que Paris Métropole – c'est un ajout du Sénat.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire est parvenue à une rédaction équilibrée du texte concernant le projet Charles-de-Gaulle Express et le projet Arc Express.

En ce qui concerne le projet CDG Express, la CMP a adopté un amendement qui précise qu’aucune subvention de l'État ne pourra le financer.

S'agissant du projet Arc Express, la CMP a prévu que la commission nationale du débat public lance conjointement la procédure de débat public relative au schéma d'ensemble du réseau de transport public du Grand Paris et celle concernant Arc express. La durée du débat public sur le schéma d'ensemble du réseau est fixée à quatre mois.

À titre personnel, j'ajoute que la même intelligence aurait dû sans doute prévaloir sur le débat public du barreau ferroviaire Picardie-Roissy qui se déroule actuellement sans le projet du barreau ferroviaire dit de Gonesse.

Enfin, deux modifications majeures ont été apportées en matière d'opérations d'aménagement liées à la réalisation du réseau de transports.

D'une part, la CMP a porté de 250 à 400 mètres le périmètre dans lequel la Société du Grand Paris pourra intervenir autour des gares, passant de vingt à cinquante hectares, afin de permettre un véritable aménagement du territoire et, bien entendu, un financement pérenne. Il est précisé que la compétence de la Société du Grand Paris sera limitée aux opérations nouvelles conduites autour des gares nouvelles, et elles seules.

D'autre part, la taxe sur les plus-values immobilières liée à la réalisation d'une infrastructure de transport collectif en Île-de-France s'appliquera à taux plein jusqu'à 800 mètres d'une entrée de gare, puis à demi-tarif dans un rayon de 800 à 1 200 mètres.

Ce projet de loi, considérablement enrichi par les travaux du Parlement, répond aux besoins de développement et de rayonnement de la région capitale, donc de la France. Ce texte ambitieux et équilibré vise à lui permettre de faire face à la compétition internationale et favorisera la croissance et l'emploi dans notre pays.

Ce texte marque également le retour d'un État stratège, respectueux des élus locaux et des citoyens.

Pour toutes ces raisons, et aussi parce qu’il a beaucoup participé à son élaboration, le groupe UMP votera le présent projet de loi avec conviction et passion. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit.

Mme Annick Lepetit. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd'hui nous devrions nous retrouver dans cet hémicycle pour débuter la seconde lecture du projet de loi sur le Grand Paris. Mais puisque le Gouvernement a décidé de passer en force en déclarant l'urgence,...

M. François Rochebloine. C’est pour gagner du temps !

Mme Annick Lepetit. ...contre l'avis d'ailleurs de la plupart des parlementaires et même des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, nous ne pouvons que débattre du texte issu de la commission mixte paritaire. Au vu du résultat final, quelques heures de discussion supplémentaires n'auraient pourtant pas été de trop pour tenter d'éviter l'erreur que vous êtes en train de commettre.

Ce n'est pas un secret, cette version du texte issu de la commission mixte paritaire n'a pas plus convaincu les parlementaires socialistes que celles votées précédemment à l'Assemblée nationale puis au Sénat.

M. Yanick Paternotte. Mais si !

Mme Annick Lepetit. La principale évolution de ce dernier texte concerne la suppression de la disposition sénatoriale s'attaquant à Arc Express. Ce que vous nous présentez comme une avancée n'en est absolument pas une. La majorité a juste corrigé la faute qu'elle avait commise au Sénat en empêchant la tenue du débat public sur ce projet ô combien nécessaire. Il est tout de même aberrant que vous ayez tenté de rayer d'un trait de plume ce projet de rocade adopté à l'unanimité par les élus du STIF qui pouvait être mis en œuvre rapidement et, surtout, qui répond aux attentes des Franciliens.

La rédaction de la loi sur ce point, issue d'un laborieux compromis entre les députés et les sénateurs UMP, ne nous satisfait pas. Non seulement le débat public des deux projets de transports que sont la double boucle et Arc Express sera conjoint et risque de perdre en clarté et en qualité,...

M. Yanick Paternotte. Mais non ! C’est le contraire !

Mme Annick Lepetit. ...mais encore il interviendra au plus tard quatre mois après la promulgation de la loi. Ce qui signifie qu'en plus de prendre la main sur le calendrier d'un projet initié par les collectivités locales, vous retardez encore une fois la mise en œuvre d'Arc Express.

M. Yves Albarello, rapporteur . Mais non !

Mme Annick Lepetit. Le dossier du débat public a été validé par la commission nationale du débat public le 7 avril dernier. Le débat aurait donc déjà dû être lancé sans les interférences néfastes du Sénat et de cette nouvelle rédaction. La principale conséquence est, qu'une fois encore, vous ralentissez les projets de transports en commun déjà très bien engagés quand vous ne pouvez pas les supprimer.

Chose rare : avec cette nouvelle rédaction de l'article 3, vous allez imposer à une autorité administrative indépendante, la CNDP, le calendrier et les modalités d'organisation de ce débat.

M. François Rochebloine. Et alors ?

Mme Annick Lepetit. C'est un rude coup porté à cette instance qui a pourtant prouvé depuis longtemps sa capacité à assumer sa mission, en toute indépendance et avec comme seul objectif l'intérêt général.

Il est d’ailleurs difficile d’imaginer que vous puissiez infléchir votre projet après avoir simplement discuté avec les Franciliens alors que vous n’avez voulu entendre ni les architectes, ni les urbanistes, ni les économistes, ni les parlementaires, ni les élus locaux.

Sur les bancs de la majorité, vous semblez pourtant tous vous féliciter de ce texte issu de la commission mixte paritaire.

M. Yanick Paternotte. Parfaitement !

Mme Annick Lepetit. Cependant, je m’en souviens, vous vous étiez déjà tous félicités de l’annonce, faite par le Président de la République à la fin du mois d’avril dernier, d’attribuer 35 milliards d’euros aux transports en Île-de-France. Que n’avions-nous pas entendu à l’époque sur cette grande avancée qui annonçait une véritable révolution des transports ? Malheureusement, nous n’avons toujours pas vu le moindre euro de l’État investi dans les transports franciliens. Le rapport de la commission Carrez a été consciencieusement oublié et l’on ne trouve rien sur ce sujet dans la loi de finances 2010, non plus que dans le texte sur le Grand Paris ou le grand emprunt. Bref, nous ne sommes pas dupes de ces effets d’annonce.

Arc Express ne doit cependant pas être l’arbre qui cache la forêt. Les raisons de voter contre votre texte sont malheureusement nombreuses.

Les prévisions économiques et démographiques sur lesquelles vous vous fondez, monsieur le secrétaire d’État, ne sont pas crédibles. Pis, elles sont devenues aujourd’hui, encore plus qu’hier, un véritable sujet d’inquiétude. Votre promesse de créer un million d’emplois en quinze ans ne repose sur aucune étude sérieuse. Nous l’avions déjà expliqué dans cet hémicycle en nous appuyant à l’époque sur les travaux de l’institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France pour démontrer que vos annonces supposaient, notamment, une évolution de la population active totalement déconnectée de sa progression précédente et de sa croissance attendue par tous les spécialistes.

Aujourd’hui, une étude réalisée en partenariat avec l’IAURIF et deux services de l’État, l’INSEE et la direction régionale de l’équipement, aboutit aux mêmes conclusions : la région devrait gagner 300 000 nouveaux actifs d’ici 2030.

M. Daniel Goldberg. C’est exact !

Mme Annick Lepetit. Au mieux, en imaginant un taux d’activité maximal des femmes, des jeunes et des seniors, ce que les auteurs eux-mêmes jugent peu réaliste, nous atteindrions péniblement 480 000 actifs supplémentaires.

M. Christian Blanc, secrétaire d’État . Quel dommage que vous n’ayez pas ouvert ce débat plus tôt !

Mme Annick Lepetit. Nous sommes loin du million !

Or un autre levier existe pour atteindre les 500 000 actifs et nous vous l’avions déjà exposé : doubler l’immigration internationale. Je reconnais que vous ne pourriez retenir cette proposition sans engager une véritable révolution culturelle à l’UMP tant la politique menée depuis huit ans est aux antipodes de cette possibilité.

Selon d’autres études, réalisées par les experts de la RATP et de la direction régionale de l’équipement, vos estimations seraient, elles aussi, surévaluées. Vous annoncez ainsi trois millions de voyageurs par jour dans votre métro alors que moins de deux millions seraient susceptibles de l’utiliser. Et encore, les utilisateurs de la ligne 14, qui fonctionne déjà, sont-ils également pris en compte.

Depuis six mois, vous balayez toutes les critiques et les évaluations qui iraient à l’encontre des vôtres, mais sans expliquer vos prévisions. Il semblerait que vous comptiez remettre en juillet à la CNDP une analyse socio-économique de votre projet. Il aurait été intéressant pour le Parlement d’en prendre connaissance avant de voter votre projet de loi. Ce ne sont pas mes collègues qui me contrediront. Il s’agit même d’une exigence constitutionnelle puisque, suite à la réforme de la Constitution que la majorité parlementaire a votée en 2008, ces éléments auraient dû faire partie intégrante de l’étude d’impact annexée au projet de loi. Or les données précises manquaient cruellement à ce document.

Le financement est un autre problème majeur. Vous estimez en effet ce projet, monsieur le secrétaire d’État, à 21 milliards, entre 23 et 25 milliards selon le président de la RATP. Vous annoncez 4 milliards de dotation initiale de l’État puis des emprunts auprès des banques pour financer la suite des travaux mais il faudra bien les rembourser !

Une fois passées les élections régionales, vous avez profité de la discussion du texte au Sénat pour ajouter de nouvelles taxes, qui sont pourtant loin de répondre au besoin de financement. En pleine crise économique, avec les déficits publics et la dette de l’État que votre majorité n’a cessé de creuser depuis ces dernières années, je m’étonne que pas un seul parlementaire UMP ne se pose la question. Allez-vous augmenter certains impôts ? Allez-vous viser les usagers, les ménages ou les entreprises ? L’absence de réponse sur ce point, depuis le début de nos débats, fragilise la crédibilité de votre projet.

Pour mémoire, rappelons simplement que le projet Arc Express est estimé à 6 milliards d’euros, soit quatre fois moins, et que le financement est déjà trouvé.

M. Christian Blanc, secrétaire d’État . Ah bon ? Où cela ?

Mme Annick Lepetit. Il est tout aussi inquiétant de constater que votre projet marque, pour la première fois en trente ans, un vrai recul de la décentralisation. Une institution démocratique, légitime et compétente existe déjà pour planifier de nouvelles constructions de lignes de transports en commun : le syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, que vous ne citez quasiment jamais. Grâce aux amendements que nous avons portés en commun, le nom du STIF apparaît au moins dans le projet, ce qui n’était pas le cas au départ.

M. Yves Albarello, rapporteur . Citez donc le rapporteur !

Mme Annick Lepetit. Visiblement, le STIF souffre d’un défaut important à vos yeux : il est dirigé par un socialiste. Du coup, vous inventez cette société du Grand Paris qui dépouille le STIF de certaines de ses prérogatives mais lui confie en revanche des charges nouvelles, non estimées à ce jour. Ainsi, le STIF ne pourra rendre qu’un avis consultatif sur le schéma de transport du Grand Paris alors qu’il est en charge des autres transports en commun de la région, ce qui n’a pas vraiment de sens.

Il récupèrera par contre les charges d’exploitation de votre métro…

M. Yanick Paternotte. Et les recettes !

Mme Annick Lepetit. …une fois celui-ci construit alors qu’il n’aura été, à aucun moment, associé à son élaboration ou à sa mise en œuvre.

Vous avez même aggravé le texte sur ce point depuis son passage dans cet hémicycle. L’article 7 dispose en effet que la Société du Grand Paris veillera « au maillage cohérent du territoire au travers d’une offre de transport de surface permettant la desserte des gares du réseau de transport public du Grand Paris ». Vous permettez par conséquent à la Société du Grand Paris d’empiéter encore davantage sur les compétences du STIF, limitant ainsi ses capacités de décision, mais lui laissant gérer seul le coût de ces transports supplémentaires.

Quant à l’article 9  ter , il est presque une caricature. Il y a quelques mois, sans aucune concertation et par le biais d’un amendement gouvernemental déposé au dernier moment au projet de loi dit ORTF – organisation et régulation des transports ferrés – , vous avez dépossédé le STIF de toutes les infrastructures de transport qu’il avait financées depuis des années. Suite à un échange très inégal, vous lui avez confié la propriété du matériel roulant.

M. François Rochebloine. Et alors ?

Mme Annick Lepetit. Aujourd’hui, vous créez un impôt sur ce même matériel roulant qui coûtera au STIF quelques dizaines de millions d’euros pour financer les dizaines de milliards que coûte votre projet. Vos nombreuses promesses selon lesquelles le Grand Huit ne serait financé que par des crédits d’État sont bien mises à mal.

L’on constate un recul tout aussi flagrant en matière d’urbanisme puisque les communes sont tout simplement dépossédées de leur capacité à aménager leur territoire. Grâce aux contrats de développement territorial, la Société du Grand Paris s’arroge des prérogatives exorbitantes au regard du droit commun. Vous me répondrez, monsieur le secrétaire d’État, que si ces contrats sont signés avec les collectivités locales, c’est qu’elles acceptent de déléguer une part importante de leurs compétences. C’est oublier que le pouvoir de négociation d’une ville, quelle que soit sa taille, sera faible face à la toute puissance de la Société du Grand Paris. L’un de vos collègues UMP, M. Henri Plagnol, n’avait-il pas parlé, en première lecture, de négociations « avec un pistolet sur la tempe » ? (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Yanick Paternotte. Avec des balles à blanc !

Mme Annick Lepetit. Par ailleurs, même si certaines communes refusaient de signer ces contrats, le Sénat a prévu que la Société du Grand Paris puisse passer outre et agir comme elle le souhaite dans le périmètre entourant les futures gares, lequel a même été élargi en commission mixte paritaire, passant d’un rayon de 250 mètres à 400 mètres. L’Île-de-France est ainsi appelée à devenir un gigantesque gruyère urbanistique dont les trous mesureront au minimum cinquante hectares. On a déjà vu mieux en termes de cohérence.

Permettez-moi à cet égard, monsieur le secrétaire d’État, de vous soumettre l’exemple de ma circonscription. D’après cette nouvelle formulation, il suffirait que la Société du Grand Paris décide d’imposer une gare supplémentaire sur la ligne 14 du métro pour que l’État mette la main sur tout l’aménagement du quartier des Batignolles.

M. Yanick Paternotte. Ce ne serait pas idiot !

M. Guy Malherbe. Quelle chance pour les habitants !

Mme Annick Lepetit. Le statut de cette ligne est d’ailleurs toujours aussi flou. Les travaux de son prolongement sont, à l’heure actuelle, à l’initiative du STIF mais la Société du Grand Paris va-t-elle reprendre la main sur ce dossier pour intégrer ce tracé au Grand Huit ? Si tel est le cas, combien de temps allez-vous encore faire perdre à un projet engagé depuis déjà longtemps et impatiemment attendu, notamment par tous les usagers de la ligne 13 ?

M. François Rochebloine. Patience, patience !

Mme Annick Lepetit. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai déjà interrogé sur ce sujet mais vous ne m’avez toujours pas répondu.

La place et le nombre de ces gares sont au cœur du projet, mais votre projet, malheureusement, n’y fait aucune allusion. Vous avez annoncé à plusieurs reprises que la double boucle compterait quarante gares espacées de quatre kilomètres en moyenne. Au vu des engagements que vous avez pris auprès de maires d’Île-de-France, il y en aura probablement trois fois plus,…

M. Christian Blanc, secrétaire d’État . Mais non !

Mme Annick Lepetit. …ce qui permettrait au moins à votre projet de se rapprocher d’Arc Express et du fin maillage qu’il propose, avec une gare tous les 1,5 kilomètre.

Si le temps nous le permettait, nous pourrions débattre encore de nombreux points essentiels, comme la place du logement. Le Sénat a certes ajouté quelques lignes à ce sujet, pour faire bonne figure, mais sans innover par rapport à la loi SRU.

Le modèle économique des clusters, sur lequel vous fondez tout votre travail, pose également question.

M. le président. Vous devez conclure, madame.

Mme Annick Lepetit. Toutes les études récentes et sérieuses démontrent l’obsolescence de ce concept inadapté à des métropoles mixtes comme Paris ou Tokyo.

Malheureusement, du temps, nous n’en avons plus, puisque le Gouvernement en a décidé ainsi.

M. le président. Vous devez vraiment conclure à présent.

Mme Annick Lepetit. Je suis sûre que notre rapporteur, Yves Albarello, ne demanderait pas mieux que de poursuivre le débat, lui qui a permis la bonne tenue de notre travail à l’Assemblée, malgré les fortes pressions de son propre camp, en cherchant à concilier les projets sans perdre de vue que l’ambition première du législateur devrait être de répondre aux besoins quotidiens de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Permettez-moi de revenir sur cette maxime floue et grandiloquente par laquelle vous définissiez le Grand Paris : il s’agirait en effet d’ « imaginer la région capitale de demain ».

Tel que vous l’avez décrit, et au fur et à mesure des interventions des parlementaires, je me demande si nous sommes, en particulier vous, monsieur le secrétaire d’État, dans la même réalité.

Avez-vous pris en compte tous les éléments depuis septembre 2008 ? Le Premier Ministre lui-même, en 2008, n’a-t-il pas construit son budget pour 2009 sur l’hypothèse d’un taux de croissance de 1 % qui n’a pas du tout été atteint ? Vous me direz que 2010 montre des signes de reprise. Je vois au contraire les signes d’une nouvelle récession. Les cours de la bourse, que l’on suit tous les jours, ne nous invitent guère à l’optimisme. Les ministres des finances, pas plus que les chefs d’État ou de gouvernement, ne savent à quel saint se vouer pour imaginer des plans de rigueur. Je vois mal, dans ces conditions, comment l’investissement considérable que vous projetez – 21, 23, ou 25 milliards, voire davantage car tous les projets d’infrastructure connaissent des dérives – pourrait se réaliser.

C’est pourquoi je ne crois pas que le Grand Huit de Christian Blanc, comme le Grand Paris que vous nous proposez, verra le jour – et pas plus qu’un autre d’ailleurs – : la réalité impliquerait la réalisation d’un projet tout différent.

Vous évoquiez la croissance – axiome indiscuté –, encore faudrait-il qu’elle soit au rendez-vous ! Or la présence de l’actuelle majorité au pouvoir depuis huit ans ne l’a pas permis, et cela pour des raisons structurelles et non à cause d’une éventuelle mauvaise politique économique imputable à M. Sarkozy, M. Fillon ou Mme Lagarde. Les chiffres de l’INSEE publiés la semaine dernière par Le Monde montrent que, depuis 1960, le taux de croissance du PIB n’a cessé de diminuer en France, dans les pays qui font aujourd’hui partie de la zone euro et même aux États-Unis. Je n’ai pas le loisir d’en expliquer la raison profonde mais ces données vont à l’encontre du type de projet que vous défendez.

L’excellent Jean Nouvel, dans une tribune parue dans Le Monde du 20 octobre 2009, écrivait, à propos du texte, bien qu’il ait été, depuis, amélioré sur certains points : « C’est un projet de loi conflictuel qui ne donne aucune garantie d’utilité publique s’il n’est pas relié à une stratégie urbaine précisée et située. » Voilà ce qu’on peut globalement lui reprocher : il fait quelque peu fi du contexte. Vous donnez l’impression de croire que le Grand Paris – qui s’étendrait même jusqu’au Havre, si l’on suivait l’idée du Président de la République –, naîtrait de la réalisation du grand métro – un investissement considérable –, qui devrait entraîner tout le reste. Ce ne sera pas le cas.

Font défaut au projet certains choix urbanistiques, des enjeux environnementaux ainsi que des conditions sociales qui vous importent peu, semble-t-il. Vous faites montre d’une sorte d’ambition démiurgique pour bâtir une mégalopolis digne d’un mauvais roman de science fiction.

Ce projet me paraît donc déraisonnable, antiécologique et antisocial : déraisonnable parce que ne relier que des pôles d’activité ne constitue pas l’urgence en Île-de-France alors qu’il conviendrait de favoriser la mobilité entre le domicile et le lieu de travail ; antiécologique si l’on considère que ce texte n’est pas du tout « Grenello-compatible » – et Dieu sait si j’ai une admiration modérée pour le Grenelle de l’environnement ; antisocial enfin puisque, une fois de plus, on renforce la centralisation du pays au moment où il faudrait faire l’inverse pour assurer sa résilience à la crise qui vient et va se développer.

C’est pourquoi, malgré vos mouvements d’épaules…

M. André Wojciechowski. On a déjà entendu cela !

Mme Jacqueline Fraysse. C’est pourtant une évidence !

M. Yves Cochet. Depuis 2007, la crise financière, économique et sociale a-t-elle été réduite,…

M. le président. Il faut conclure, monsieur Cochet.

Mme Jacqueline Fraysse. Notre collègue a été interrompu !

M. Yves Cochet. …ou bien s’est-elle aggravée ? Dites-moi donc, chers collègues, s’est-elle aggravée ou bien a-t-elle été réduite ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Wojciechowski. Nous avons limité la casse !

M. le président. Concluez, monsieur Cochet !

M. Yves Cochet. Nous avons beau vous avertir que la situation va se dégrader, vous répondez que nous vous l’avons déjà dit. Or qu’avez-vous fait ? Vous avez aggravé la situation parce que vous êtes aveugles à la réalité matérielle de la marche du monde.

Mme Jacqueline Fraysse. Exactement !

M. Yves Cochet. Ce projet est à la fois déraisonnable, antiécologique et antisocial ; c’est pourquoi les députés de mon groupe voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet du Grand Paris a nécessité des mois de travail pour des architectes et leurs équipes, une mobilisation de tous les Franciliens dans le cadre de nombreux débats et expositions. C’est aussi un double défi.

Il s’agit d’abord de se donner les moyens de conforter, voire de rétablir Paris et la région capitale dans le peloton de tête des grandes métropoles du XXI e  siècle. L’enjeu n’est pas anodin. On connaît bien aujourd’hui le rôle central des grandes villes dans l’attractivité économique d’une nation. Paris et sa région doivent avoir les moyens de jouer un rôle d’aimant pour les investissements. À terme, c’est bien de création de richesses et d’emplois qu’il est question, pour Paris comme pour le reste du territoire national.

Le second défi consiste à assurer la cohérence du développement. Le Grand Paris, c’est un territoire très particulier qui ne compte pas moins de 121 communes. C’est un espace aux multiples formes. Il faut, de toute cette diversité, faire une richesse. Il y a, dans ce projet, un enjeu majeur en termes de gouvernance et de solidarité.

Face à la multiplicité des facteurs qui entrent en ligne de compte, face à la complexité de l’espace concerné, face aussi à la diversité des points de vue qui se sont exprimés lors de la discussion du texte aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée, j’entends rappeler combien le groupe Nouveau Centre apprécie le travail de synthèse réalisé par la commission mixte paritaire.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Claude Leteurtre. L’objectif était de proposer un texte qui fasse consensus ; nous pensons que nous sommes sur la voie.

Cela nous paraît important tant le texte va bien au-delà de la région du Grand Paris. Tous nos territoires ont intérêt à ce que la région du Grand Paris dispose des moyens de jouer son rôle de moteur de l’activité économique. Permettez au Normand que je suis de vous rappeler que la province suis cela de très près. L’enjeu est pour nous primordial comme il l’est pour nombre d’autres régions.

C’est dans cette optique de cohérence du développement de Paris-métropole que l’organisation du transport est essentielle. Elle doit répondre à deux enjeux : la problématique quotidienne des Franciliens qui passent tout de même une heure et demie en moyenne dans les transports en commun pour aller au travail et en revenir ; donner une nouvelle échelle au réseau de transport afin qu’il serve toute la région et non plus seulement Paris. C’est pour ces deux raisons que l’organisation des futurs transports pour le Grand Paris constituait le point central des discussions en CMP.

Plusieurs questions se posent : quelle est l’articulation au réseau TGV avec la double boucle ? Quel est l’avenir des projets du syndicat des transports d’Île-de-France et de la région du même nom ?

Le Sénat avait fait prévaloir la double boucle sur le projet Arc-Express et avait interdit les financements publics pour le projet Charles-de-Gaulle Express. Ces blocages ont été levés et le groupe Nouveau Centre estime que l’accord trouvé enrichit le texte du Sénat. Désormais, les débats publics prévus par le projet doivent être lancés le plus rapidement possible.

J’y ai fait allusion, en effet : le texte est très attendu, notamment dans ma région de Normandie. L’ouverture aux deux Normandie du projet est pour le bassin Sud Seine un enjeu d’envergure. Le député du Calvados que je suis vous invite à considérer le bassin de vie de l’axe Paris-Rouen-Caen-Le Havre-Cherbourg, et ses activités portuaires, logistiques et industrielles. Ce bassin recèle un fort potentiel.

Il ne serait pas compréhensible que seule la rive droite de l’estuaire de la Seine bénéficie des retombées du développement de l’axe Paris-Le Havre. La cohérence veut que la Basse-Normandie comme la Haute-Normandie soient concernées. Le débouché du Grand Paris sur la façade maritime ne peut se résumer au seul port du Havre. Je vous fais confiance, monsieur le secrétaire d’État, pour assurer cette solidarité entre les deux côtés de l’estuaire de la Seine.

Je fais tout autant confiance à votre détermination et à votre vision d’avenir pour mettre en œuvre une stratégie d’attractivité globale dont la région Île-de-France et l’ensemble du territoire français ont plus que jamais besoin. Les débats publics révéleront l’efficacité du projet mené par l’équipe gouvernementale. L’État a de grande ambition pour la ville-monde qu’est Paris. Nous avons besoin d’une stratégie forte en termes d’aménagement du territoire, de transports, de logement, de qualité de vie de nos concitoyens.

Pour le groupe Nouveau Centre, l’avenir économique du Grand Paris appelle un nouveau système de transport rapide et à grande capacité reliant les pôles urbains de demain. Il faut donner au Grand Paris les moyens de constituer un espace fluide, fluide pour le déplacement des hommes, pour les échanges, l’innovation, la recherche, l’enseignement, la culture et les sciences.

Le projet de loi du Grand Paris entend faire prendre corps à ces potentiels. En vous remerciant, monsieur le secrétaire d’État, pour tout le talent que vous avez déployé et pour votre ténacité, le groupe Nouveau Centre soutiendra le texte pertinent issu de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, plus que tout autre texte, celui sur le Grand Paris aura été marqué par l’agenda politique et électoral, les résultats des dernières élections régionales, particulièrement en Île-de-France, exprimant un net désaveu de cette réforme.

Pourtant, la manœuvre originelle était habile : un discours présidentiel ronflant, il y a un an, pour dévoiler un projet de Grand Paris présenté comme « le plus grand défi de la politique du XXI e  siècle » ; puis le lancement d’une consultation auprès des dix plus grands cabinets d’architectes ; enfin la présentation d’un texte qui, à leur grande surprise, ne reprend rien de leur travail.

C’est finalement sur la constitution d’un grand réseau de transport, dont le coût est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros – financé principalement par le recours à l’emprunt –, que nous sommes appelés à nous prononcer. L’examen de ce texte à l’Assemblée puis au Sénat n’a guère modifié son économie générale. Certes, les conclusions de la commission mixte paritaire réintroduisent le projet de transport Arc Express, qui sera finalement débattu conjointement avec le Grand Huit dans le cadre de la commission nationale du débat public.

Reste que cette maigre avancée ne suffit pas à masquer les autres régressions entérinées par la CMP, comme l’élargissement de 250 à 400 mètres du périmètre autour des futures gares géré par la société du Grand Paris. Pire encore, pour mener à bien ses opérations urbaines, cette dernière ne sera plus contrainte de signer des contrats de développement territorial avec les communes qui pourront donc se voir imposer des projets spéculatifs contraires aux besoins des populations qu’elles représentent.

Au final, la CMP n’a fait que confirmer la recentralisation autoritaire, la reprise en main par l’État de l’aménagement du territoire de l’Île-de-France : ainsi, suppression de la taxe professionnelle, Grand Paris, réforme des collectivités territoriales, tous ces textes se complètent et s’articulent pour refondre la carte institutionnelle de notre pays et encadrer l’exercice de la démocratie citoyenne.

En imposant la création de la société du Grand Paris, pilotée par un triumvirat directement nommé par le Gouvernement, et en reléguant le STIF au deuxième plan, vous méprisez le choix des Franciliens exprimé lors des dernières élections, pour leur imposer un projet d’aménagement d’essence profondément libérale.

La Société du Grand Paris, organisée sur le modèle de la société anonyme et dotée de possibilités d’expropriation et d’urbanisation couvrant quatre fois la surface de Paris, sera en réalité chargée de privatiser l’espace public.

Quant à la création de clusters – ou « pôles de développement » –, elle répond à une logique de mise en concurrence des territoires en organisant une spécialisation des espaces qui ne va pas manquer d’accentuer les inégalités et déséquilibres dont nous souffrons. En effet, le pôle de développement inclut autant qu’il exclut. Le choix d’un aménagement spécifique sur un territoire contraint entraîne inévitablement la délimitation d’une « zone du dehors » délaissée. À l’heure d’Internet et du développement de la communication immatérielle, vous en restez à un projet d’arrière-garde.

Ainsi, votre incapacité à penser la ville, la région et le monde demain, vous confine dans l’application autoritaire de dogmes économiques et politiques dont nous constatons chaque jour la faillite.

Vous le faites avec une hypocrisie intolérable en organisant, une fois le dossier bouclé, un simulacre de consultation, sous le slogan : « Le Grand Paris : une grande idée qui a besoin des vôtres ».

Puisque, apparemment, votre « grande idée » a besoin des nôtres, je vais vous les rappeler brièvement.

M. le président. Il va falloir conclure, ma chère collègue.

Mme Jacqueline Fraysse. Les députés de notre groupe sont favorables à un développement concerté de la région Île-de-France, fondé sur les bassins de populations et sur leurs besoins : l’emploi, le logement, les transports, l’environnement et la santé. Y répondre exige de la volonté politique et les moyens financiers qui s’y attachent.

Un maillage fin du réseau de transports, et des services publics en général, particulièrement dans les quartiers populaires, permettrait de limiter l’impact écologique des déplacements tout en répondant aux besoins de mobilité.

Notre avenir ne dépend pas de « territoires stratégiques », mais bien de l’équilibre de l’ensemble de la région au service de tous ses habitants, banlieues et zones rurales incluses.

Rien dans ce texte ne va dans ce sens. C’est pourquoi les députés communistes, républicains et du Parti de gauche voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

L’ensemble du projet de loi est adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Conseil économique, social et environnemental

Discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (n° 2519).

La parole est à M. Éric Diard, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Éric Diard, rapporteur de la commission mixte paritaire . Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, à l’issue de la première lecture du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental, l’Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à l’adoption conforme de treize de ses vingt et un articles.

Parmi les dispositions que le Sénat a adoptées sans modifier le texte que nous avions voté en première lecture figure notamment l’article 2 du projet de loi organique, qui met en œuvre la saisine parlementaire créée lors de la révision constitutionnelle.

La commission mixte paritaire réunie au Sénat le 18 mai dernier est parvenue sans grande difficulté à l’élaboration d’un texte commun pour les dispositions restant en discussion. Les votes intervenus dans les deux assemblées témoignaient en effet d’une même volonté, au-delà de la stricte mise en œuvre de la révision constitutionnelle, d’améliorer le fonctionnement du Conseil, de renforcer ses liens avec le Parlement et de préserver l’équilibre de la composition révisée que le Gouvernement avait proposée. La CMP n’a, par conséquent, modifié le texte adopté par le Sénat que pour y apporter quelques améliorations rédactionnelles, n’est-ce pas, mon cher collègue Guy Geoffroy ?

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Éric Diard, rapporteur . Nous n’avions qu’un seul point de désaccord, sur l’article 8 bis A, introduit par le Sénat, qui prévoit la remise d’un rapport décennal du Gouvernement au Parlement, après avis du CESE, sur les évolutions à prendre en compte dans la composition du Conseil, ainsi qu’un débat sur ce rapport dans chaque assemblée.

Je regrette, pour ma part, que la majorité de la CMP n’ait pas suivi la sage proposition du président Jean-Luc Warsmann de supprimer cet article, dont la présence dans une loi organique ne nous semblait pas justifiée.

M. Guy Geoffroy. Elle ne l’était pas !

M. Éric Diard, rapporteur . Nous avons approuvé l’ensemble des autres dispositions ajoutées par le Sénat, que je vais brièvement rappeler.

L’article 1 er , sur les missions du Conseil, fait désormais mention de ses relations avec les conseils économiques et sociaux régionaux et avec les institutions consultatives étrangères.

Pour renforcer l’influence des avis du CESE, l’article 2 bis prévoit que les études d’impact sur les projets de loi devront exposer les suites données par le Gouvernement à l’avis du CESE, lorsque ce dernier a été consulté.

L’article 4, qui fixe les modalités de mise en œuvre du droit de pétition prévu par l’article 69 de la Constitution, impose désormais au CESE de rendre son avis dans un délai d’un an. Ce délai nous a paru constituer un bon compromis pour apporter des garanties aux pétitionnaires sans faire peser sur le Conseil des contraintes auxquelles il ne pourrait faire face.

Enfin, à l’article 5, le Sénat a introduit une nouvelle procédure de consultation en urgence, particulièrement opportune. Le texte de l’ordonnance de 1958 prévoit actuellement que seule l’assemblée plénière est compétente pour émettre un avis, sur la base du travail préparatoire des sections. Afin d’être plus réactif, le Conseil pourra, à l’avenir, mettre en œuvre une procédure simplifiée, inspirée de ce qui existe dans les assemblées parlementaires pour les résolutions européennes. Lorsque le Gouvernement ou une assemblée parlementaire demandera une réponse rapide, le projet d’avis préparé par la section compétente pourra être tacitement adopté par le Conseil, sans qu’il soit besoin de réunir l’assemblée plénière. Cette procédure devrait permettre de combler en partie le décalage entre le temps politique et le temps du Conseil, qui avait conduit l’Assemblée nationale, sous la IV e République, à se détourner du Conseil économique.

Pour ce qui concerne la composition du Conseil, la CMP a retenu le texte adopté par le Sénat, en en améliorant la rédaction. Le Sénat n’avait pas remis en cause l’équilibre de la répartition entre catégories adoptée par l’Assemblée nationale, mais fait le choix d’un fléchage plus contraignant des personnalités qualifiées, afin de prévoir la représentation des entreprises publiques, des activités économiques françaises à l’étranger, des retraités, du logement social et des entreprises exerçant une action significative dans le domaine environnemental.

Je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte, dont la promulgation rapide est nécessaire au bon déroulement du prochain renouvellement du Conseil économique, social et environnemental. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission mixte paritaire, mesdames, messieurs les députés, le texte de la commission mixte paritaire qui vous est aujourd’hui soumis donne corps à l’évolution du Conseil économique et social souhaitée par le constituant lors de la révision du 23 juillet 2008. Il est l’aboutissement d’un dialogue constructif entre l’Assemblée nationale et le Sénat, d’une part, et le Gouvernement, d’autre part. Ce dialogue a eu lieu dans un climat que je considère comme ayant été de grande confiance et de responsabilité.

Je tiens, en cet instant, à rendre hommage au travail très sérieux qui a été réalisé par les commissions des lois des deux assemblées, et plus particulièrement – vous me permettrez de le citer avec chaleur – par votre rapporteur, M. Éric Diard. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Il le mérite !

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Il le mérite, en effet.

Le projet de loi organique poursuit trois objectifs principaux : en premier lieu, préciser les nouvelles modalités de saisine du Conseil économique social et environnemental ; en deuxième lieu, adapter le fonctionnement du CESE pour tirer toutes les conséquences de la révision constitutionnelle ; en dernier lieu, et c'était là le chantier le plus périlleux, modifier à effectif constant la composition du Conseil pour tenir compte de la nouvelle compétence environnementale de l'institution et des évolutions qu'a connues notre société depuis vingt-cinq ans. Après son examen par les deux assemblées, le projet de loi organique me paraît pleinement répondre à ces objectifs.

Tout d'abord, le texte ouvre largement les nouvelles voies de saisine du Conseil économique social et environnemental, tout en prémunissant d'excès qui pourraient être préjudiciables à la réalisation de sa mission.

Le projet de loi organique procède, ensuite, à une importante actualisation de l'ordonnance de 1958 pour garantir un fonctionnement plus efficace et plus transparent du Conseil. L'Assemblée nationale a particulièrement amélioré la qualité rédactionnelle du texte et a renforcé la dynamique de réforme engagée. Le remplacement des membres de section par des personnalités associées et l'encadrement de leur mission, tout comme l'institutionnalisation des délégations, constituent des progrès indiscutables. Le Sénat a également adopté des dispositions innovantes en créant une procédure de consultation simplifiée pour faire face à l'urgence et en encadrant la procédure d'avis sur les pétitions dans le délai d'un an.

Enfin, la composition du Conseil est notablement modifiée, conformément à la volonté du constituant. Les deux assemblées ont entendu le souci du Gouvernement de préserver l'équilibre global réalisé par l'article 6 du projet, et je tiens à les en remercier.

Si la nouvelle architecture reposant sur trois grands pôles, économique, social et environnemental, a donc été conservée, les débats parlementaires ont permis d'enrichir encore la composition du CESE. Le Sénat a ainsi fléché la nomination de plusieurs personnalités qualifiées au bénéfice des entreprises publiques, des activités économiques françaises à l'étranger et de l'économie « verte ». Le logement social, comme cela avait été demandé dans chacune des assemblées, et les retraités trouveront également une représentation au sein du Conseil.

Malgré les réserves de votre commission des lois, partagée d'ailleurs par le Gouvernement,…

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Je le dis parce que c’est la réalité.

…la commission mixte paritaire a retenu la clause de révision périodique de la composition du CESE introduite par le Sénat. L'objectif poursuivi par cette disposition de rouvrir, à échéance régulière, le débat sur la représentativité des membres du CESE est évidemment légitime.

Mesdames et messieurs les députés, le travail parlementaire réalisé sur ce texte minutieux et équilibré permet de donner toute sa portée à une disposition importante de la révision constitutionnelle. L'adoption de ce projet de loi organique ouvrira, nous en sommes convaincus, une nouvelle ère pour le Conseil économique social et environnemental. Dès le mois de septembre prochain, c'est un conseil plus représentatif de notre société civile et de la diversité de ses engagements, un conseil modernisé et plus ouvert, qui pourra poursuivre son travail au service de notre démocratie et du développement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la lecture du texte de la commission mixte paritaire, nous arrivons aujourd’hui au terme d’une réforme qui, en dépit des apparences, est tout sauf anodine. Notre histoire politique est là pour nous le rappeler : une réforme du Conseil économique et social n’est jamais gagnée d’avance.

Troisième assemblée constitutionnelle de la République, le Conseil économique, social et, désormais, environnemental constitue le pilier consultatif de notre démocratie, celui au travers duquel il est offert aux corps intermédiaires de participer à la vie démocratique de la nation. Pour autant, ce pilier semblait, depuis plusieurs années, tombé en désuétude, au regard non pas de la qualité de ses avis, toujours éclairants pour les parlementaires que nous sommes, mais plutôt de sa représentativité contestée et, par là, de sa légitimité à prendre part à la décision publique. C’est ainsi que s’est imposée, au carrefour du Grenelle de l’environnement et de la modernisation de nos institutions, la nécessité de réformer et de revitaliser en profondeur cette institution bientôt centenaire, puisque c’est par un décret du 16 janvier 1925 qu’a été créé, sous la III République, le premier Conseil national économique.

Dans le prolongement de l’inscription au sein de notre bloc constitutionnel de la Charte de l’environnement, l’une des ambitions parmi les plus fondamentales du Grenelle consistait à permettre aux enjeux écologiques et environnementaux d’être désormais plus et mieux pris en compte dans le débat pour la décision publique. Pour sa part, la révision de la Constitution de 1958 est venue offrir de nouvelles perspectives à cette ambition, et c’est très naturellement que le CES a été mis à contribution pour devenir le Conseil économique, social et environnemental, dans un climat de large consensus entre majorité et opposition.

Pour autant, ce n’est qu’après le Congrès que les véritables difficultés ont commencé. Il s’agissait, en premier lieu, de formaliser la procédure selon laquelle il serait désormais permis à nos concitoyens de saisir le Conseil par voie de pétition. Il convenait également de revoir en profondeur la composition d’une institution qui n’avait, pour ainsi dire, pas été revisitée depuis 1958 et l’entrée en vigueur de l’ordonnance organique relative au Conseil économique et social.

Au Nouveau Centre, nous reconnaissons volontiers que la tâche du Gouvernement n’était pas simple puisqu’il fallait, dans un même mouvement, mettre à jour la vision de la société qui était celle du législateur de 1958 tout en faisant de la place aux membres du nouveau pilier environnemental, et ce dans un contexte contraint puisque la Constitution révisée plafonnait désormais l’effectif du CESE à 233 membres. Ce n’était pas une équation facile.

Sur ce point, monsieur le ministre, nous ne vous avons pas forcément facilité la tâche, en vous faisant part, dès la première lecture, de nos réserves : pourquoi, alors même que la problématique de l’accès au logement de bon nombre de nos compatriotes s’impose et trouve une place et un écho constant ces dernières années dans le débat public, supprimer au CESE la représentation du monde du logement ? Pourquoi supprimer purement et simplement le groupe des entreprises publiques alors que celles-ci continuent de jouer dans notre économie un rôle structurant ?

Plus fondamentalement, le Nouveau Centre posait une question, à notre avis, clé pour l’avenir du CESE : comment assurer et pérenniser la représentativité d’une assemblée dont les membres se trouvent pour moitié encore désignés plutôt qu’élus ? Sur cette question fondamentale de la légitimité, nous n’avons pas fini notre travail d’amélioration.

Comment, enfin, prendre acte de la montée en puissance dans notre démocratie du fait associatif, et pas seulement en ce qui concerne les questions environnementales ? Sur ce point, vous le savez, nous aurions souhaité que puissent siéger au sein de ce CESE rénové des représentants des associations de consommateurs. Si le texte élaboré par la CMP ne contient malheureusement pas de disposition de ce type, je veux néanmoins insister sur les avancées permises au Sénat et entérinées par la CMP, notamment en ce qui concerne la représentation du logement social et des entreprises publiques.

Nous nous réjouissons également de ce que le débat central sur la représentativité du CESE ne soit pas clos. Il faudra y revenir, car ce qui a alimenté, ces dernières années, les procès en légitimité intentés au CESE, c’est avant tout le caractère largement inchangé de sa composition depuis 1958. À l’initiative du Sénat, l’article 8 bis A de ce projet de loi organique introduit une clause de revoyure afin que, à intervalles réguliers, nous soyons amenés à nous pencher à nouveau sur cette question et à procéder, le cas échéant, aux ajustements qui paraîtraient nécessaires au regard de l’évolution de la société.

Mes chers collègues, le Conseil économique, social et, désormais, environnemental a incontestablement un rôle de premier plan à jouer dans la modernisation de nos institutions et dans leur équilibre. C’est forts de cette conviction que les députés du Nouveau Centre apporteront leur soutien au texte issu de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Boyer. Merci de l’aide du Nouveau Centre !

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme d’un long processus qui, ayant trouvé sa source dans la révision constitutionnelle de 2008, a creusé son lit dans nos deux assemblées à travers leurs travaux pour déboucher sur la commission mixte paritaire, au sein de laquelle certains des présents dans l’hémicycle aujourd’hui ont participé à la finalisation d’un bon texte qui va dans le bon sens.

M. Patrick Roy. N’exagérons rien non plus !

M. Guy Geoffroy. Ce texte permettra à notre pays de franchir les étapes nécessaires à son nouveau positionnement dans un monde désormais plus multipolaire et plus engagé dans la protection de notre environnement, et, plus globalement, dans la promotion du développement durable.

Que de chemin parcouru dans notre pays depuis quarante ans, de la création d’un premier ministère de l’environnement avec Robert Poujade à sa tête, jusqu’à l’ensemble ministériel extrêmement conséquent d’aujourd’hui, qui déploie autour du ministre d’État Jean-Louis Borloo l’ensemble des dimensions qui fondent le développement durable : l’environnement, l’économie et le social, qui doit trouver sa place, éminente, dans cet ensemble coordonné et articulé.

Puisque nous étudions aujourd’hui, non pas la création ex nihilo , mais la transformation de notre Conseil économique et social en Conseil économique, social et environnemental, il n’est ni anodin ni troublant de constater que les trois marqueurs de ce conseil sont précisément les trois piliers du développement durable, ceux qui fondent la toile de fond de toutes les politiques publiques à partir desquelles nous devons nationalement et localement travailler au bien-être de nos concitoyens.

Je le disais au début de mon propos, ce texte est bon. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait fait l’objet, tant lors de son examen par chacune des deux assemblées que lors de son examen conjoint par la commission mixte paritaire, d’un consensus non pas a minima mais véritablement avec l’intention de produire une institution qui soit revigorée, actualisée et utile au fonctionnement de notre démocratie.

La dimension environnementale est la première sur laquelle je souhaite insister. Avec l’élargissement des compétences de ce conseil, nous voyons bien, à l’heure du Grenelle de l’environnement et alors que la loi Grenelle 2 voit son achèvement dans notre Parlement,…

M. Jean-Jacques Urvoas. Achèvement, c’est bien le mot !

M. Guy Geoffroy. …notre pays entrer pleinement dans la nouvelle époque qui est devant nous.

Notre rapporteur ayant excellemment présenté le texte, je n’y reviendrai pas. Je souhaite néanmoins observer que la dimension environnementale s’installe dans les compétences du Conseil au moment même où, grâce à un amendement judicieux du Sénat, les études d’impact de tout projet de loi présenté par le Gouvernement devront mentionner de quelle manière aura été pris en compte l’avis formulé par le Conseil économique, social et environnemental. Cela n’est pas négligeable et méritait d’être rappelé.

En matière de saisine, les nouveautés sont importantes. Aujourd’hui, le Conseil économique et social est naturellement saisi par le Gouvernement. Demain, première nouveauté importante, il pourra être saisi, dans sa nouvelle configuration par les deux présidents, au nom de leur assemblée respective, comme ils le souhaiteront.

M. Patrick Roy. Pourquoi pas par les présidents de groupe ?

M. Guy Geoffroy. Il est également prévu une procédure de consultation du CESE en urgence, lorsque le sujet le méritera. Un certain nombre de garde-fous ont été prévus dans le texte pour faire en sorte que ce ne soit pas simplement une saisine pour la forme mais une saisine utile, adaptée au rythme du texte sur lequel son avis portera.

La deuxième nouveauté importante est la saisine par voie de pétition. Le texte du projet de loi organique contient également un certain nombre d’éléments quantitatifs, qui marquent la volonté du législateur organique – la collecte de 500 000 signatures, ce n’est pas rien ! – et la responsabilité confiée aux initiateurs de la pétition de procéder à l’ensemble des éléments ouvrant droit à cette voie de saisine. Le texte a fait l’objet d’évolutions positives, tant au Sénat que dans notre assemblée. La commission mixte paritaire – le rapporteur l’a rappelé – s’est rangée à l’avis conjoint des deux assemblées.

La composition du Conseil – troisième point sur lequel je voulais faire connaître la contribution du groupe UMP – était un casse-tête. A priori , la partie n’était pas gagnée d’avance, car les positions que l’on pouvait considérer comme acquises risquaient de faire apparaître des crispations. Tel ne fut pas le cas, car, monsieur le ministre, le projet du Gouvernement s’est fondé sur de nouveaux équilibres qui ne remettaient pas fondamentalement en cause la légitimité des anciennes représentations du Conseil économique et social.

L’Assemblée d’abord, le Sénat ensuite, puis le travail effectué en CMP ont permis de faire en sorte que les diminutions puissent être explicables car bien argumentées, que les stabilisations puissent être justifiées et que les créations correspondent aux objectifs de la loi organique et à ceux voulus par le constituant de l’apparition de la dimension environnementale dans cette institution et des nouveaux moyens de saisine que j’ai évoqués il y a quelques instants.

En ce qui concerne la nouvelle composition, je vais revenir sur deux points.

Le premier a trait à l’introduction de la dimension environnementale dans la composition du Conseil. Les associations et les fondations agissant dans le domaine de la protection et de la promotion vont faire leur entrée au Conseil économique, social et environnemental. C’est une belle avancée.

Une autre catégorie de nos concitoyens va faire son entrée : les jeunes et les étudiants auront demain une représentation spécifique dans la nouvelle formule du Conseil économique, social et environnemental. Il m’a semblé indispensable de le mentionner lors de l’examen de notre texte en CMP.

Pour conclure, je souligne que ce texte invitera, fort judicieusement, à un renouvellement naturel du concours apporté par les forces vives dans les domaines économique, social et environnemental au sein de cette instance, puisque la loi organique prévoit la limitation à deux mandats consécutifs de la représentation dans l’ensemble des catégories. Je crois que cet article 8 est important.

L’article 8 bis A a été évoqué par le rapporteur et par M. le ministre. Certains d’entre nous ont indiqué, dans le cadre de la commission mixte paritaire, qu’il n’avait pas sa place dans cette loi organique. Non que sa pertinence soit en cause : l’idée d’une clause de revoyure permet, à partir de divers constats – la manière dont la nouvelle organisation, la nouvelle structuration apportent un concours aux travaux du Parlement et du Gouvernement – d’envisager éventuellement des évolutions. Cette idée est plutôt sage.

En revanche, il m’a semblé – je suis intervenu sur ce point en CMP – qu’il ne s’agissait pas d’une commande constitutionnelle et que la loi organique devait s’efforcer d’être dans l’épure de la commande constitutionnelle. Si le Conseil constitutionnel invalidait cet article, ce ne serait pas un drame, puisque nous sommes tous d’accord, dans le fond, sur cette nécessité.

Telles sont les indications que je souhaitais apporter au nom du groupe UMP sur ce texte important. C’est un bon texte. Il nous permettra de concrétiser, non seulement certaines avancées – il y en a eu – dans la révision constitutionnelle de 2008, mais également d’accompagner le travail du Parlement dans sa nouvelle organisation, puisqu’il a créé la nouvelle commission du développement durable, et le travail du Gouvernement.

Nous sommes à l’ère du développement durable. Il ne s’agit pas d’un « ramasse-tout ». C’est l’explication que notre monde a changé. Les décisions doivent s’adapter à un monde qui change. Elles doivent être mieux armées, grâce à ce nouveau Conseil économique, social et environnemental, dans ce monde qui change. Notre assemblée, le Parlement dans son ensemble et le Gouvernement ne peuvent qu’en tirer des avantages au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, cet après-midi, afin d’examiner les conclusions de la CMP sur la réforme du Conseil économique et social, dont nous avons enrichi, complété le nom.

Le texte est l’une des conséquences de la réforme de la Constitution de 2008, qui a modifié les compétences du Conseil. Il était effectivement utile, vital même, d’y ajouter un aspect environnemental. Nous avons souvent répété – j’évoquais hier ce point avec notre collègue Jean-Jacques Urvoas, qui s’intéresse beaucoup à ces questions, sa présence le prouve – combien il était important d’ajouter la notion environnementale. Tel était l’objet d’un amendement déposé par Christophe Caresche.

Nous n’aurons pas de longs débats sur ce point, si ce n’est pour enrichir, compléter la réflexion. Nous ne pouvons que nous réjouir que le Conseil économique et social devienne le Conseil économique, social et environnemental. En effet, chacun sait que l’environnement – même si les actes ne correspondent pas toujours aux bonnes intentions affichées – est le sujet majeur de notre présent et le sera plus encore dans le futur. En effet, même si le Grenelle 2 a apporté quelques petites améliorations,…

M. Guy Geoffroy. Importantes améliorations !

M. Patrick Roy. …nous sommes un peu loin, monsieur Geoffroy, des déclarations d’intention. Beaucoup ont été déçus.

Mme Valérie Boyer. Tout le monde n’est pas déçu !

M. Patrick Roy. Toutefois ce n’est pas le sujet du débat. Pour une fois que je ne m’oppose pas un texte, je ne voudrais pas gâcher le débat. Cela ne durera pas longtemps, car nous avons commencé, hier, l’examen de la réforme des collectivités et ce texte est une horreur.

La saisine du Conseil économique, social et environnemental par les citoyens, sous forme de pétition, contribue à améliorer le débat républicain.

La saisine du Conseil par le Parlement aurait constitué une véritable avancée. C’est la raison de notre abstention sur le vote de ce texte. Vous avez dit, monsieur Geoffroy, qu’il s’agissait d’une avancée…

M. Guy Geoffroy. Importante !

M. Patrick Roy. Elle aurait pu l’être, si l’ensemble de l’Assemblée avait pu saisir le Conseil. Or seul M. le Président de l’Assemblée pourra le faire. Nous avions souhaité que les présidents de groupe puissent saisir le Conseil, ce qui apportait une garantie à l’opposition.

Je note que le président de la commission des lois, M. Warsmann – avec lequel nous ne sommes pas toujours d’accord ; c’est une litote ! – avait, au cours de nos débats, indiqué y être favorable. Notre rapporteur était également sensible à cet argument. Je ne suis pas surpris, monsieur Diard, que vous ayez pris cette position, car vous avez d’excellents goûts musicaux, ce qui prouve que vous avez un bon fond, même si vous ne votez pas toujours dans le sens que j’aimerais. C’est la raison majeure de notre abstention, car nous n’avons pas compris cette retenue.

M. Guy Geoffroy. Quel dommage de n’être pas allé jusqu’au bout !

M. Patrick Roy. Le texte aurait pu être voté à l’unanimité ; je crois connaître le vote du groupe GDR. Si vous aviez accepté notre demande, qui est en quelque sorte une marque de respect vis-à-vis de l’opposition, vous auriez pu obtenir un vote unanime sur ce texte.

M. Guy Geoffroy. Le Président de l’Assemblée est le président de tous les députés.

M. Patrick Roy. Certes, mais parfois, il dispute plus certains députés que d’autres.

M. Guy Geoffroy. Il dispute ceux qui le méritent !

M. Patrick Roy. Même s’il est le président de tous les députés, on sait de quel camp il vient. Il est d’ailleurs naturel qu’il vienne de la majorité.

L’avancée minime que nous vous demandions aurait été appréciée.

La dernière critique que je formulerai concerne le régime indemnitaire des personnalités hautement qualifiées désignées par l’exécutif. Nous n’avons pas compris pourquoi elle serait différente de celle perçue par l’ensemble des membres du Conseil. C’est une bizarrerie. Je ne dis pas que nous sommes un peu suspicieux, mais, tout de même, vous auriez pu aligner toutes les indemnités.

Ce texte n’est pas fondamentalement un mauvais texte, nous ne voterons donc pas contre. Notre abstention prouve que nous pouvons parfois nous rejoindre. C’est le calme avant la tempête, car nous allons reprendre le texte sur la réforme des collectivités et nous allons nous déchaîner. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme constitutionnelle de 2008 devait donner un second souffle au Conseil économique et social. En effet, l'utilité et la composition de cette assemblée consultative ont été contestées à maintes reprises.

Néanmoins, si elle n'a qu'une fonction consultative dans le cadre du processus législatif, cette assemblée permet néanmoins la représentation au niveau national des organisations professionnelles et la communication entre les différents acteurs de l'économie, un dialogue essentiel dans ce que Voltaire appelait « le monde comme il va ».

Nous reconnaissons donc volontiers la pertinence de ce projet de loi et saluons l'attention portée à la rénovation du Conseil économique, social, et désormais aussi environnemental, troisième assemblée constitutionnelle de la République.

Il est vrai que le Conseil économique et social, dont les prérogatives et la composition demeuraient régies par l'ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, n'avait pas connu de changements substantiels depuis sa création.

À l’évidence, les mutations de la société exigeaient certaines adaptations. Ainsi, il apparaissait fortement contestable que le Conseil ne compte que 21,5 % de femmes. De fait, l’évolution induite par cette loi organique, qui prévoit la mise en place de la parité sans condition au prochain renouvellement, est positive. La parité ne doit effectivement pas se limiter aux mandats électoraux, par ailleurs remis en cause par la réforme des collectivités territoriales. Nous avons le devoir d’étendre cette parité à l’ensemble des institutions de la République.

Par ailleurs, le rajeunissement du Conseil, concrétisé par la limitation du nombre de mandats consécutifs et l’abaissement de l’âge minimum de vingt et un an à dix-huit ans est également appréciable. La jeunesse et le monde étudiant pourront désormais prendre part aux débats qui les concernent.

La saisine par voie de pétition citoyenne – en complément de la voie parlementaire et de la procédure de consultation – facilitera aussi, dans une certaine mesure, l’intervention directe de la société civile dans le débat public.

Enfin, le verdissement de cette institution répond aussi au besoin d’adaptation aux nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Il apparaît désormais plus qu’évident que la préservation de notre environnement est devenue un défi majeur que toutes et tous doivent contribuer à relever. Il est donc naturel et sensé que des représentants du monde de la protection de l’environnement siègent désormais de plein droit au Conseil.

Il n’en demeure pas moins vrai que, dans le même temps, un corps de métier très actif en ce domaine voit sa représentation considérablement réduite dans la nouvelle composition du CESE. Sous prétexte de mutations sociologiques qui ont amoindri la place du monde agricole, on amoindrit fortement le nombre de sièges attribués aux agriculteurs pour renforcer le « verdissement » du Conseil, ce qui est pour le moins contradictoire tant les modes de production agricole sont déterminants pour notre environnement. L’agriculture et l’environnement naturel sont au cœur des écosystèmes. Les deux sont indiscutablement liés et s’influencent mutuellement. Les terres cultivées représentent entre 35 et 40 % du territoire français et près de la moitié de la surface de l’Union européenne.

Les agriculteurs sont aussi victimes, entre autres, du réchauffement climatique. Prenons un exemple concret : la dégradation des terres agricoles en Europe, due notamment à des phénomènes météorologiques exceptionnels et aux arasements abusifs, est telle que 115 millions d’hectares – soit 12 % de la superficie totale – subissent une érosion liée à des coulées de boue et 42 millions d’hectares sont dévastés par le vent. Dans les deux cas, une partie de la couche fertile des terres arables disparaît chaque année.

En France, la quantité moyenne de terre agricole enlevée par l’érosion s’élève à une tonne par hectare et par an. Mais certaines terres arables perdent entre 10 et 20 tonnes par an à l’hectare. Il est donc tout à fait contestable que le nombre de sièges attribués aux professions agricoles diminue autant, car il va de soi que les agriculteurs doivent être associés aux réflexions engagées.

De plus, en réduisant de façon drastique le nombre de leurs sièges, vous excluez de fait la représentation des fédérations syndicales moins représentatives…

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Non !

M. Éric Diard, rapporteur . Pas du tout !

M. André Chassaigne. …et conduisez à la constitution d’un groupe de composition quasi homogène. Il convient de rappeler que les structures agricoles et les modes de production sont diversifiés avec une opposition grandissante des agriculteurs à la logique productiviste promue par la Commission européenne. N’oublions pas que cette opposition est portée par des sensibilités différentes.

Dans son discours prononcé à l’occasion de la venue du Premier ministre au CES, le président Jacques Dermagne a été clair : « Les organisations de la société civile insistent sur l’absolue nécessité de ne pas rompre avec notre agriculture, désormais plus respectueuse de notre environnement, en continuant d’avoir une véritable politique agricole dans un cadre national et européen. Il en va en effet de notre sécurité alimentaire. »

Autant dire que ces préoccupations seront d’autant moins prises en compte que le nombre des agriculteurs associés à l’élaboration des avis rendus par cette assemblée diminue quasiment de moitié.

N’aurait-on pas pu diminuer la place des personnalités qualifiées choisies par l’exécutif et atténuer ainsi la réduction des contingents des représentants des professions, mais également des entreprises publiques, qui animent réellement la vie économique du pays ?

En ce qui concerne la nouvelle composante environnementale, la composition réformée du CESE lui réserve un nombre de trente-trois conseillers répartis entre dix-huit représentants des associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de l’environnement et quinze personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence en matière d’environnement et de développement durable.

Or cette nouvelle représentation du CESE ne prévoit aucune vigilance particulière s’agissant des critères de représentativité qui devraient logiquement prendre en compte leur implantation sur le territoire, leur nombre d’adhérents, sans évaluation de leur action en faveur des problématiques globales en matière d’environnement.

Cette réforme aurait pu être l’occasion d’une démocratisation, c’est-à-dire d’une réduction du nombre des personnalités nommées par l’exécutif, celles qui sont désignées comme des « personnalités qualifiées ». Le vaste damier du Gouvernement s’élargit encore. Que de pions placés !

Cela se conjuguant à la culture du chiffre, à l’affaiblissement continu des pouvoirs du Parlement, à la confirmation de l’ère des experts, au règne des spécialistes autoproclamés, c’est à un véritable problème de démocratie que nous sommes une nouvelle fois confrontés.

Vous savez aussi que nous attachons une importance toute particulière aux conditions fixant pour de nombreuses années la représentation des salariés de cette assemblée. À cet égard, certaines questions demeurent sans réponse.

La loi du 20 août 2008 fonde les règles de représentativité des organisations syndicales sur la mesure de leur audience électorale. Or le projet de loi ne fait aucunement mention de critères de répartition des sièges entre les organisations syndicales de salariés, ce qui nous semble dommageable.

Au regard des insuffisances que nous avons soulignées, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme Valérie Boyer. Dommage !

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi organique, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi organique est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Réforme des collectivités territoriales

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n os 2280, 2516, 2459, 2510).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de quatorze heures et vingt minutes pour le groupe UMP, dix-huit heures et quinze minutes pour le groupe SRC, sept heures pour le groupe GDR, six heures et six minutes pour le groupe Nouveau Centre et une heure quatre minutes pour les députés non inscrits.

Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Je vous rappelle que le nombre particulièrement élevé d’orateurs inscrits dans la discussion générale a conduit la conférence des présidents du 25 mai à demander que chacun respecte le plus possible les temps de parole indicatifs attribués par les groupes. En conséquence, et bien que nous soyons en temps législatif programmé, je signalerai aux intervenants que leur temps de parole indicatif touche à son terme.

La parole est à M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant que le débat ne se poursuive, je souhaite dire quelques mots de la manière dont l’article 40 de la Constitution a été appliqué, puisque certains de nos collègues l’ont contestée.

Je précise tout d’abord que, sur les 581 amendements déposés sur ce texte, seuls trente ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40. Je concède que, pour les intéressés, cela fasse beaucoup, sinon trop ; mais je souhaitais ramener le nombre de ces amendements à ses justes proportions.

Quoi qu’il en soit, certaines décisions que j’ai été amené à prendre sur ces 5 % d’amendements déclarés irrecevables ont été contestées à plusieurs reprises. Il me paraît donc utile de rappeler à l’Assemblée que, en matière d’organisation territoriale, la jurisprudence de mes deux prédécesseurs, Didier Migaud et Pierre Méhaignerie, que j’applique, n’est pas particulièrement défavorable à l’initiative parlementaire, contrairement à l’impression que l’on a pu avoir.

Vous le savez, l’article 40 prohibe toute création ou aggravation d’une charge publique. Dès lors, un amendement transférant l’exercice d’une compétence d’une personne publique à une autre est habituellement considéré comme contraire à la Constitution, parce qu’il crée une charge pour la personne qui reçoit la compétence en question.

Établie par Pierre Méhaignerie, cette jurisprudence a été appliquée constamment par Didier Migaud ; je m’inscris naturellement dans leur continuité. Cette continuité peut paraître déplaisante, mais, en matière de collectivités territoriales, nous avons appliqué la règle.

En effet, dès lors que le transfert s’opère à l’intérieur d’une même catégorie – entre communes, par exemple –, l’amendement est considéré comme procédant à un simple réaménagement de compétences et n’encourt donc pas le risque d’irrecevabilité. Ainsi, aucun des amendements qui se contentaient de procéder à un transfert entre collectivités d’un même échelon n’a évidemment été censuré.

Cependant, la même jurisprudence n’admet pas une extension des compétences qui excède le niveau communal, car elle aboutit, in fine , à opérer des transferts de compétences des départements ou des régions vers les communes. J’ai donc été contraint de déclarer irrecevables des amendements étendant les missions des métropoles, qui ont vocation à exercer certaines compétences relevant aujourd’hui des communes et des intercommunalités, mais aussi, pour partie, des départements.

(M. Marc Le Fur remplace M. Marc Laffineur au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Il est également de jurisprudence constante que la création d’une structure publique par amendement parlementaire méconnaît la disposition de l’article 40. J’ai donc dû déclarer irrecevables les amendements proposant la création de nouveaux EPCI ou assouplissant les conditions de création de ces établissements, par exemple par un abaissement des seuils démographiques. J’ai cru comprendre que c’est sur ce point précis que les décisions que j’avais prises avaient pu être contestées avec force.

Ces critiques ont un caractère excessif que je déplore et je pense que, à la lecture du compte rendu des débats, notre collègue Jérôme Bignon en conviendra lui-même – j’en forme en tout cas le vœu devant vous. Selon lui, l’application que je fais de l’article 40 violerait la Constitution – pas moins – et une jurisprudence plus rigoureuse que celle du Sénat aboutirait à méconnaître le pouvoir législatif de notre assemblée. Il est vrai que le Sénat a, de longue date, une interprétation de l’article 40 que l’on pourrait qualifier – et c’est un euphémisme – de libérale. Mais je n’entrerai pas ici dans une exégèse de nos jurisprudences respectives. Je me contenterai simplement de vous rappeler que le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2006, a adressé une mise en garde à nos collègues sénateurs en les invitant à se doter d’une procédure de contrôle de la recevabilité effective et systématique, dès le dépôt des amendements parlementaires. Notre assemblée, pour sa part, s’est toujours strictement conformée aux obligations que lui impose la Constitution, notamment son article 40.

Au président de la commission du développement durable qui a exprimé à la tribune le souhait que s’engage un débat sur l’application de l’article 40, je me permets de rappeler que l’article 89, alinéa 2, du règlement de notre assemblée confie désormais aux présidents des commissions saisies au fond, dont fait partie la sienne pour ce texte, le soin de faire appliquer l’article 40 au stade de l’examen du texte par leur commission. S’ils l’estiment nécessaire, ces présidents peuvent saisir leur homologue des finances qui se contente alors – et ce fut le cas – de donner un simple avis. Le président Jacob m’a ainsi interrogé sur la recevabilité d’un amendement abaissant le seuil de population conditionnant la création d’un EPCI, amendement que j’ai estimé irrecevable. Il lui aurait été tout à fait loisible, nonobstant mon avis, de déclarer cet amendement recevable. Je constate qu’il n’a cependant pas cru bon de faire usage de cette faculté.

Monsieur le président, chers collègues de la majorité, je rappelle enfin que mon prédécesseur avait déposé à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008 un amendement de suppression de l’article 40 que vous n’avez pas souhaité adopter. Cet article existe donc toujours, je me dois de l’appliquer et je m’efforce de le faire en respectant le plus scrupuleusement possible à la fois l’initiative parlementaire qui s’exprime par voie d’amendements et la jurisprudence de mes deux prédécesseurs concernant l’application de cet article.

M. Bernard Derosier. C’est l’article 40 qu’il faut supprimer !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Je vous remercie, monsieur le président, de m’avoir donné l’occasion de m’expliquer devant notre assemblée et je vous remercie, chers collègues, de votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Alain Cacheux pour un rappel au règlement.

M. Alain Cacheux. Pas exactement, monsieur le président !

M. le président. Considérons votre intervention comme telle, puisqu’il est question de règlement.

M. Michel Piron. Le président est magnanime !

M. Alain Cacheux. Monsieur le président de la commission des finances, l’explication que vous venez de donner est claire. Mais ce qui a surpris, c’est que les amendements visant à relever le seuil conditionnant la création d’un EPCI n’ont pas pu être examinés. En effet, ils auraient abouti à des économies, contrairement à ceux qui tendent à abaisser ce seuil, pour lesquels l’irrecevabilité nous paraît aller de soi puisqu’ils aboutissent à une augmentation des dotations de fonctionnement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. La question sera traitée. Je le répète, l’avis que je donne est uniquement fondé sur l’article 40. Le président de la commission saisie au fond a la faculté de juger de la recevabilité d’un amendement et de se prononcer sur son examen en séance. C’est de lui que relève la responsabilité de retenir ou non les amendements, comme le lui permet la modification de notre règlement. Mon avis n’est en rien contraignant, il est indicatif.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Francis Saint-Léger.

M. Francis Saint-Léger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, mes chers collègues, la réforme des collectivités territoriales est nécessaire et je l’approuve dans son principe.

Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’évoquerai que les mesures concernant les territoires ruraux auxquels, en tant que député de la Lozère, je suis très attaché.

Même s’il reste encore quelques points à discuter, je voudrais tout d’abord exprimer ma satisfaction devant les nombreuses améliorations apportées au texte. Nous les devons au Gouvernement, à Brice Hortefeux, à Michel Mercier, à Alain Marleix, mais également à nos collègues Dominique Perben et Jean-Luc Warsmann. Ces améliorations s’avéraient essentielles pour tenir compte des fortes spécificités du monde rural, en particulier des territoires de montagne. Chacun sait, en effet, qu’une application uniforme des mêmes principes à la ville comme à la campagne est dépourvue de sens.

Je voudrais m’attarder sur quelques points qui me semblent importants. En ce qui concerne les structures intercommunales, les seuils quantitatifs de population prévus à l’article 16, même ramenés de 5 000 à 3 000 habitants par le Sénat, m’apparaissent inadaptés, voire inapplicables. Ils ne tiennent en effet pas compte des particularités de nos communes de montagne. Ainsi, en Lozère, pour atteindre le seuil de 3 000 habitants, il faudrait que trois communautés de communes, couvrant près d’un quart de la superficie du territoire départemental, fusionnent, au mépris de leurs fortes disparités et de l’identité de chacune d’entre elles.

Imposer un quelconque seuil, même s’il n’est fixé que de façon indicative par la loi et qu’il est soumis à dérogation préfectorale, ne me paraît pas satisfaisant. Un tel seuil deviendrait rapidement normatif et remettrait en cause la cohésion et la cohérence de ces territoires en leur imposant une superficie excessive et en induisant des difficultés de gestion quasiment insolubles.

À cet égard, j’ai cosigné un amendement issu de l’association nationale des élus de la montagne avec Vincent Descoeur, son secrétaire général, visant à supprimer tout seuil démographique.

M. Bernard Derosier. L’ANEM est vent debout contre cette réforme !

M. Francis Saint-Léger. À tout le moins, il faudrait exclure de cette disposition les communes situées dans les zones de montagne, lesquelles sont clairement identifiées. Je sais que notre rapporteur, Dominique Perben, partage cette analyse.

La mise en place de règles de répartition plus démocratiques liées à des critères démographiques dans l’attribution des sièges des communautés de communes me semble en revanche un aspect tout à fait intéressant de cette réforme. L’établissement d’une règle de répartition des sièges entre les différentes listes représentant une même commune nous paraît encore plus fondamental. Il faut savoir qu’aujourd’hui, dans certaines communes, les élus majoritaires refusent par sectarisme d’associer les membres de la minorité à la gestion de la communauté de communes. Avec cette loi, la représentation de tous sera désormais une obligation et, là aussi, la démocratie sera gagnante.

Je me réjouis également du dispositif visant à abaisser de 3 500 à 500 habitants le seuil de population de nos communes auxquelles s’appliquera le scrutin proportionnel de liste. Cela permettra à nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens de se porter candidat sans avoir la crainte du coup de crayon et de ses effets vexatoires. De plus, cette mesure sert la cause de la parité, à laquelle nous sommes tous attachés, dans les 13 500 communes concernées.

M. Henri Nayrou. Il faudra le répéter à vos collègues !

M. Francis Saint-Léger. Un deuxième volet important de la réforme des collectivités territoriales concerne la création des conseillers territoriaux. Ayant moi-même été conseiller général et conseiller régional, je ne peux qu’approuver, pour des raisons de bon sens, de cohérence et de proximité, la fusion de ces deux fonctions.

M. Jean-Pierre Balligand. C’est tout et son contraire !

M. Francis Saint-Léger. Il est toutefois indispensable que les plus petits départements aient la garantie d’être suffisamment représentés. Dans les régions comprenant des départements à fortes disparités démographiques, comme le Languedoc-Roussillon, il aurait été totalement inacceptable que les plus petits d’entre eux se retrouvent avec un nombre de conseillers territoriaux pouvant se compter sur les doigts d’une seule main. Dans ces conditions, le fonctionnement normal d’un conseil général ne pourrait être assuré.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, la population de la Lozère est quinze fois inférieure à celle de l’Hérault et, si le nombre de conseillers territoriaux lozériens avait dû être quinze fois inférieur, le département aurait été rayé de la carte. Ainsi, le fait d’introduire dans le texte le tableau des effectifs pour chacun des départements, sans passer par voie d’ordonnance, et surtout le fait de mettre en place un quota minimum pour les plus petits d’entre eux constituent une avancée non négligeable et une sage décision que l’on ne peut qu’approuver.

Il est toujours possible de discuter de ce seuil minimal fixé à quinze conseillers par le Gouvernement et approuvé la commission des lois. Pour ma part j’aurais préféré qu’il se situe autour de vingt conseillers. Quoi qu’il en soit, je tiens à souligner l’avancée que constitue pour les plus petits départements la création du conseiller territorial. Leur représentativité sera sensiblement augmentée au conseil régional. La Lozère, avec le mode de scrutin actuel, n’a qu’un seul élu au conseil régional mais, avec l’instauration des conseillers territoriaux, elle verra sa représentativité multipliée par quinze. Il serait malhonnête de dire que cette disposition ne va pas dans le bon sens.

Un dernier mot, enfin, sur le mode de scrutin pour l’élection des conseillers territoriaux.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Saint-Léger.

M. Francis Saint-Léger. Je constate, là aussi, que le bon sens l’a emporté, puisque le scrutin proportionnel a été supprimé au profit du scrutin majoritaire à deux tours. C’est le mode de scrutin que les Français connaissent le mieux et apprécient le plus, comme le soulignait Alain Marleix. C’est en tout cas le seul qui, à mes yeux, donne une véritable légitimité aux élus et offre une bonne lisibilité aux électeurs.

En conclusion, je tiens à saluer cette réforme d’envergure, réforme institutionnelle nécessaire et courageuse qui, globalement, va dans le sens d’une efficacité et d’une démocratie accrues. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Néri. Vous n’êtes pas difficile !

M. Henri Emmanuelli. Ils vont être contents, en Lozère !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Alain Néri. La voix de la raison !

M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors qu’Élisabeth Guigou et Bernard Derosier se sont déjà exprimés au nom du groupe socialiste, j’interviendrai surtout en tant que représentant de l’Institut de la décentralisation, que je copréside avec Michel Piron qui a succédé à notre regretté collègue Adrien Zeller. Comme je l’ai toujours fait ici, je m’exprimerai donc avec une certaine liberté par rapport à mon groupe, me positionnant par rapport à la réflexion que les militants de la décentralisation doivent avoir.

M. Jean-Louis Dumont. Enfin, un esprit libre !

M. Jean-Pierre Balligand. La première question que l’on doit se poser, monsieur le secrétaire d’État, c’est de savoir le sens de la démarche qui est la vôtre.

Premièrement, s’agit-il d’un texte de décentralisation ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Non !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Un texte de mise au carré des collectivités !

M. Jean-Pierre Balligand. La réponse est non, pour une raison simple : aucun pouvoir nouveau n’y est dévolu aux collectivités. Or un texte de décentralisation est d’abord un texte de dévolution de pouvoirs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Deuxièmement, s’agit-il d’un texte de recentralisation ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Oui !

M. Jean-Pierre Balligand. Je dirai que non, mes chers collègues, et c’est là où je prends une certaine liberté. Parmi les compétences déléguées durant les vingt-cinq ou trente dernières années, prenons l’exemple des services départementaux d’incendie et de secours. Pour les décentralisateurs que nous sommes, il ne s’agit pas d’une compétence correctement exercée. Les conseils généraux et les collectivités la financent ; or nous sommes nombreux à penser que le commandement du préfet apporterait une plus grande cohérence à cette politique qui est, selon nous, du ressort de l’État.

M. Bernard Derosier. Bravo !

M. Jean-Pierre Balligand. Soyons clairs : on peut militer en faveur de la décentralisation et estimer que telle compétence, parce qu’elle concerne la protection des biens et des personnes, relève des fonctions régaliennes de l’État.

Ce texte ne vise pas à recentraliser : aucune compétence ne va être exercée de nouveau par l’État.

La troisième hypothèse, que je défends avec certains collègues universitaires, c’est qu’il s’agit d’un texte de rupture qui, pour la première fois, abaisse l’action publique territoriale en France.

M. Bernard Derosier. Bravo !

M. Jean-Pierre Balligand. En cela, ce projet de loi est fondamentalement thatchérien. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Après avoir abaissé l’action publique étatique, vous avez programmé l’abaissement de l’action publique territoriale.

D’une certaine manière, vous êtes assez conséquents, puisque vous avez d’abord programmé la baisse des moyens des collectivités. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) Il n’y a que M. Raffarin, naïf comme M. Jourdain, pour penser que vous vous êtes trompé de chronologie. Souvenez-vous, au moment du débat sur la loi de finances, il déclarait qu’il aurait fallu commencer par s’attaquer aux compétences avant de s’attaquer aux moyens. Or, dans votre logique d’abaissement de l’action publique, il s’agit d’abord de restreindre les moyens des collectivités et de procéder ensuite aux ajustements. Et c’est précisément ce que vous avez fait.

Entrons un instant dans le détail.

M. Jean-Louis Dumont. Prenez tout votre temps !

M. Jean-Pierre Balligand. Quelles sont les contradictions majeures que l’on peut relever dans la pratique actuelle de la décentralisation ?

Nous sommes quelques-uns dans l’hémicycle à nous être battus pour faire adopter une loi sur l’intercommunalité. Pour ma part, je siégeais sur ces bancs lors du débat sur la loi Joxe de 1992, dite loi d’administration territoriale de la République, puis lors de l’examen de la loi Chevènement de 1999 qui complétait la précédente pour le monde urbain. Ces textes ont plutôt donné satisfaction.

Cependant, il faut être honnête et constater qu’il existe aujourd’hui deux sortes de conseillers municipaux : ceux qui siègent dans les intercommunalités comprennent parfaitement le fonctionnement du système, tandis que les autres sont complètement déconnectés de la réalité institutionnelle française.

Or, aujourd’hui, la légitimité démocratique provient exclusivement de la commune, et non directement des intercommunalités. Ceux qui siègent dans les instances des intercommunalités ne sont des représentants qu’au second degré, dans un système indirect. J’ai longtemps été vice-président de l’ADCF et je connais bien les positions de chacun. Quoi qu’on en dise, le fléchage mis en place à partir des communes ne résout pas ce problème fondamental de l’intercommunalité. Il s’agit d’ailleurs d’une des principales faiblesses du projet de loi.

Au sein du comité Balladur, et en tant que rapporteur du projet de loi, M. Perben, qui est plutôt cohérent, a essayé de donner un vrai statut à la métropole. Ce n’est pas moi qui m’y opposerai, car j’y suis plutôt favorable. Seulement, si vous créez des métropoles – dont je peux comprendre qu’elles soient un atout pour l’attractivité territoriale – et que vous leur attribuez certaines des compétences qu’exerçaient jusqu’alors d’autres collectivités, vous ne pouvez pas conserver la commune telle qu’elle est aujourd’hui. Imaginez ce que serait, au sein d’une agglomération d’au moins 450 000 habitants, une commune périphérique de 20 000 ou 30 000 habitants qui ne gérerait plus ni la médiathèque, ni la piscine, ni aucune structure de voirie.

M. Henri Emmanuelli. À quoi servirait-elle ?

M. Jean-Pierre Balligand. Franchement, vous voyez bien que conserver la commune comme instrument de fléchage pour siéger dans les instances de l’intercommunalité, c’est se foutre du monde !

Il faut tirer les conséquences du montant des budgets de la future métropole et de ses compétences – mais c’est vrai, dès aujourd’hui, pour les communautés urbaines et pour un grand nombre de communautés d’agglomération. Il faut une élection au suffrage universel direct pour les intercommunalités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Néri. Très bien !

M. Bernard Derosier. La majorité et le Gouvernement n’auront pas ce courage !

M. Jean-Pierre Balligand. On pourra toujours discuter ensuite des modalités. Pour ma part, dans une proposition de loi que j’ai déposée il y a déjà trois ans, j’ai proposé l’élection directe de l’exécutif, et la représentation des communes par une assemblée délibérante.

M. Jean-Pierre Grand. J’espère que vous voterez ce dispositif !

M. Jean-Pierre Balligand. Il faut faire avancer ce dossier. La citoyenneté ne doit pas être en complet décalage avec un système politique très intégré.

Je le dis avec une certaine solennité : tandis qu’en milieu urbain et suburbain se déroulent des élections municipales politisées qui ne recouvrent plus aucun contenu ni aucune compétence, l’intercommunalité devient un système de connivence dépolitisé. À terme, vous organisez un système a-démocratique.

M. Henri Emmanuelli. C’est bien leur objectif !

M. Jean-Pierre Balligand. J’ai peur que l’intercommunalité à la française finisse aussi mal que les institutions européennes. Nous risquons d’aboutir à une déconnexion entre le peuple et les structures qui sont véritablement créatrices des normes. Prenons garde à ne pas prendre ce chemin-là !

La contradiction entre l’existence de représentants démocratiquement élus des communes et le rôle majeur des intercommunalités où ne siègent que des élus de second degré est déjà très forte aujourd’hui ; ce projet de loi ne fait que l’accroître. À mon sens, le niveau d’intégration actuel et les budgets en jeu nous obligent à réactiver la question de la citoyenneté. Seulement, vous n’avez pas voulu résoudre ce problème.

Alors que la Cour des comptes a parfaitement montré que les augmentations de la fiscalité locale n’étaient pas le fait de la région et du département, vous leur faites porter cette responsabilité. Pourtant, tout le monde sait qu’ils ne sont pas à l’origine de l’explosion fiscale, qui est plutôt due au fait que les intercommunalités ont récupéré des compétences tandis que les budgets des communes ne diminuaient pas.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Absolument !

M. Jean-Pierre Balligand. De plus en plus, les habitants des intercommunalités, y compris en milieu rural, demandent les mêmes services qu’en ville – je pense, en particulier aux services liés à la petite enfance, qui coûtent très cher.

M. Olivier Dussopt et M. Alain Néri. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Balligand. Dans ce contexte, votre démarche est soit très hypocrite, soit très politique : vous vous défaussez en mettant en cause le conseil général et le conseil régional. Au lieu de poser la question des communes et des intercommunalités, vous avez ouvert un débat sur le conseiller territorial.

M. Henri Nayrou. C’est exact !

M. Jean-Pierre Balligand. J’ai moi-même présidé un conseil général, et plusieurs d’entre nous connaissent bien cette institution. Nous savons qu’il s’agit d’un lieu de proximité, où l’on gère de la proximité.

M. Henri Nayrou et M. Alain Néri. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Balligand. Il est préférable que les élus qui y siègent puissent constater sur le terrain ce qu’il en est de la distribution du RSA, de l’allocation personnalisée d’autonomie ou de la prestation de compensation du handicap. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

En revanche, ceux d’entre nous qui ont été vice-présidents ou présidents de région savent qu’une certaine distance est nécessaire pour faire du capital-risque, de la recherche-développement, ou encore pour développer des pôles universitaires, des filières ou des clusters . En effet, dans ces cas-là, il est impossible de territorialiser l’action. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M.,M. Henri Nayrou et M. Alain Néri. Évidemment !

M. Jean-Pierre Balligand. Votre projet de loi comporte donc une grande contradiction. Avec le conseiller territorial, vous inventez un OVNIT, un objet non identifié territorial. Aujourd’hui, bien malin celui qui sait qui, de la région ou du département, votre réforme va faire mourir demain.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Les deux !

M. Henri Emmanuelli. La région !

M. Jean-Pierre Balligand. Personne n’en sait rien, mais ce que je sais, c’est que l’on va instrumentaliser et le conseil général et le conseil régional.

En effet, ce n’est plus l’institution territoriale qui est au centre de votre projet de loi, mais l’élu territorial. Il aura une chance au grattage et une chance au tirage : s’il échoue au conseil général le lundi ou le mardi, il ira tenter la session de rattrapage le mercredi ou le jeudi au conseil régional. Les conseils régionaux étaient déjà des nains politiques, beaucoup trop petits, manquant de compétences. Et voilà que le Gouvernement et la majorité suppriment l’indépendance fiscale ! C’est le bouquet ! Depuis sa création, la région n’était pas assez musclée ; avec ce projet de loi, qui introduit la territorialisation de l’action de ses élus, vous allez la tuer !

Mme Élisabeth Guigou. La démonstration est implacable !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous avez vendu aux médias l’idée qu’il fallait en finir avec la complexité du système. Je dois remercier le rapporteur qui a reconnu, à l’article 35, que le sport et la culture, qui font l’objet d’une belle dynamique dans le pays, devaient rester une compétence partagée entre trois niveaux de collectivités. Cela dit, rien n’est simplifié et la complexité est toujours là. Le budget d’un conseil général va à 47 % ou à 52 % à l’action sociale.

M. Charles de Courson. À 70 % !

M. Jean-Pierre Balligand. Cette part peut être plus élevée, et, si vous y ajoutez les charges de fonctionnement traditionnelles, que reste-t-il pour un chevauchement avec la région ? Plus rien.

Depuis longtemps – et, pour être honnête, je reconnais que cela n’est pas propre aux gouvernements de droite –, l’État a fait les poches des collectivités locales pour financer les routes, par exemple, ou les plans universitaires. Mais s’il est clair que l’État n’a jamais défini le champ précis de son action, il n’en demeure pas moins que votre projet de loi ne clarifie rien.

Le seul moyen de moderniser les textes relatifs à la décentralisation consistait à faire progresser la lisibilité citoyenne. Les élus locaux ne devraient pas défendre leurs boutiques. Ils ne devraient avoir à l’esprit qu’une seule préoccupation, celle de la lisibilité de l’action publique territoriale. Il faut en effet que les habitants puissent identifier le rôle de chaque collec tivité. Or ce n’est pas l’invention du conseiller territorial, élu qui mélangera les fonctions du conseiller général et du conseiller régional, qui clarifiera les choses.

Mme Marylise Lebranchu. Évidemment pas !

Mme Élisabeth Guigou. Ce sera plus complexe et finalement plus coûteux !

M. Jean-Pierre Balligand. Quant aux dispositions relatives aux rapports entre les intercommunalités et les communes, elles ne régleront rien. Définitivement, la lisibilité citoyenne manque dans ce projet de loi.

Ces carences entraînent d’ailleurs des réserves chez beaucoup d’élus de la majorité. J’ai la chance de travailler avec des élus de sensibilités différentes. J’ai, ici même, participé à la discussion des lois de 1982 et 1983, à celle des lois de 1992 et de 1999, puis à celle des lois Pasqua et Raffarin ; je me souviens que l’hémicycle était bondé. Le Gouvernement prétend que ce projet de loi permet d’améliorer considérablement l’action territoriale en France, mais où sont donc ses partisans ? Ils sont absents, et ils l’étaient déjà hier : même pour écouter le ministre et le rapporteur, il n’y avait personne.

Cela veut dire ce que cela veut dire : il n’y a pas d’ affectio societatis dans votre démarche. Il n’y a rien, sinon une opération politicienne et, plus grave encore, une véritable attaque contre l’action publique territoriale. C’est pourquoi, il faut combattre ce projet de loi et lutter pied à pied pour vous faire fléchir sur un certain nombre de ses articles. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Néri. Voilà un sacré morceau de pédagogie dont le secrétaire d’État devrait tirer profit !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ce texte, il s’agit, pour le Gouvernement et sa majorité, de faire un pas de plus dans la mise en ordre de marche de la société française pour appliquer plus et mieux les dogmes de la politique libérale qu’ils défendent.

Nous assistons tous les jours à la faillite de cette politique au plan économique, et aux drames sociaux qu’elle provoque mais, qu’à cela ne tienne, vous continuez.

Après avoir démoli les services publics ou leur avoir porté de sévères atteintes, alors qu’ils permettaient de répondre aux besoins de nos concitoyens en atténuant les inégalités – je pense à l’électricité, à la poste, au logement, à l’éducation ou à la santé –, vous vous en prenez désormais aux collectivités territoriales qui, elles aussi, tentent de répondre à ces besoins.

Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui s’inscrit dans la continuité du rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur, rendu public en mars 2009. Il applique aux collectivités locales votre choix politique de désengagement et de réduction des dépenses publiques poursuivi depuis 2007.

La suppression de la taxe professionnelle, votée à l’automne dernier, dans le cadre de la loi de finances pour 2010, constituait une première étape de la mise en œuvre de ce projet en s’attaquant directement aux ressources des communes.

La nécessité de remettre en cause l’autonomie des départements et des régions s’est faite plus pressante après les échecs cuisants subis par la majorité présidentielle lors des dernières élections locales.

De ces échecs, le Gouvernement a conclu, premièrement, qu’il devait imposer d’en haut, par la loi, aux départements, aux régions et à leurs habitants cette politique de désengagement pourtant rejetée par les électeurs et, deuxièmement, qu’il devait changer le mode de scrutin pour limiter ce rejet.

Tel est l’objet de ce texte qui, de surcroît, supprime la clause de compétence générale : il organise en quelque sorte la reprise en main des collectivités territoriales par l’État. Sous couvert « d’ancrer durablement la décentralisation », comme l’énonce l’exposé des motifs dans une langue à laquelle nous sommes désormais habitués, les départements et les régions vont se trouver corsetés dans leurs prérogatives, après que les communes ont été privées de l’essentiel de leurs ressources. Voilà donc votre conception de la décentralisation et de son ancrage !

Ainsi que je viens de le rappeler, le texte supprime la clause de compétence générale des départements et des régions, qui leur permet d’intervenir dans des domaines qui ne sont pas strictement de leur ressort. Or, si les collectivités locales se permettent d’outrepasser leurs compétences, ce n’est ni par plaisir ni pour concurrencer l’État ; c’est bien pour répondre à des besoins dans des domaines dont, précisément, l’État lui-même s’est désengagé.

M. Michel Ménard . Bien sûr !

Mme Jacqueline Fraysse. Si certaines villes financent des centres de santé, c’est parce que l’État est incapable d’assurer l’accès de tous aux soins, qu’il s’agisse de la couverture médicale ou des dépassements d’honoraires que ce gouvernement refuse obstinément de réguler. À Nanterre, par exemple, tous les gynécologues sont en secteur 2 : les seules consultations sans dépassements d’honoraires se font dans les centres de santé et à l’hôpital public. Voilà à quoi sert la clause de compétence générale : elle permet de pallier localement les défaillances de l’État.

Si ce texte a le mérite de ne pas s’attaquer à la clause de compétence générale des communes – ce qui, de toute façon, aurait été superflu après la suppression de la taxe professionnelle qui les prive de l’essentiel de leurs ressources –, il n’en est pas de même pour les départements et les régions.

Le milieu du sport associatif s’est ainsi vivement inquiété des conséquences de la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions. Le sport associatif, qui a déjà subi le démantèlement du ministère des sports, la suppression des directions départementales et régionales de la jeunesse et des sports, la fermeture d’un certain nombre de CREPS, la privatisation rampante de l’Institut national du sport et de l’éducation physique, la suppression de 4 550 postes de professeurs d’EPS en sept ans – et j’en passe –, redoute à juste titre les conséquences de l’impossibilité pour les départements et les régions de financer les associations sportives. Dans un rapport récent, le Comité national olympique et sportif français, qui regroupe 107 fédérations, 180 000 associations sportives, 3,5 millions de bénévoles et 16 millions de licenciés, a fait part de ses préoccupations. De même, la fédération sportive et gymnique du travail, la fédération française des clubs omnisports et de nombreux clubs de base ont vivement dénoncé ces dispositions.

Le sport a été le grand oublié des lois de décentralisation, puisqu’il n’apparaît dans aucune des compétences transférées aux collectivités, la loi se contentant d’encadrer la construction, l’entretien et la mise aux normes des équipements sportifs nécessaires à la pratique de l’éducation physique et sportive. Pour autant, le financement du sport par les collectivités locales est aujourd’hui déterminant, puisque les contributions des régions et des départements à la pratique du sport sont aujourd’hui de l’ordre de 1,3 milliard d’euros. Le Comité national olympique a ainsi rappelé que « les concours des collectivités territoriales dans la fertilisation et le développement des actions locales s’avèrent indispensables pour le devenir de nos activités sportives et des missions qui s’y rattachent, chaque niveau territorial devant être mis en capacité d’intervenir. »

Sur ce point, les précisions que M. Marleix a pu apporter aux membres du CNOSF ne les ont pas totalement rassurés, puisqu’ils persistent à craindre que « sans le concours des collectivités territoriales, d’une part, et sans l’engagement de l’État, d’autre part, la construction associative sportive [ne se désagrège] progressivement. »

M. Michel Ménard. Leurs craintes sont justifiées !

Mme Jacqueline Fraysse. Le problème se pose également, bien qu’en des termes différents, pour les milliers d’associations culturelles, les troupes de théâtre amateurs, les artistes, que les collectivités territoriales aident puisque l’État s’en désintéresse. Ils craignent de voir régions et départements perdre leur compétence en matière culturelle, alors que la réforme de la taxe professionnelle met déjà en péril les finances de ces collectivités.

Il faut croire que la mobilisation a porté ses fruits, puisqu’un amendement voté en commission prévoit que « les compétences en matière de patrimoine, de création artistique et de sport sont partagées entre les communes, les départements et les régions ». C’est une bonne nouvelle ; encore faut-il que cet amendement soit maintenu et adopté en séance publique.

Néanmoins, d’autres secteurs vont immanquablement pâtir de la suppression de la clause de compétence générale. Dans mon département des Hauts-de-Seine, volontiers présenté comme un laboratoire du sarkozysme,…

M. Henri Emmanuelli. Où il y a surtout beaucoup d’argent !

Mme Jacqueline Fraysse. …il y a longtemps que cette politique est appliquée et que la clause de compétence générale est remise en cause. On peut ainsi citer l’exemple des crèches et de la petite enfance, des transports en commun, des bourses pour les lycéens et les étudiants : autant de domaines dont le département le plus riche de France s’est désengagé. Les aides aux associations, sportives, culturelles ou sociales, financées dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale, et la politique du logement ont également fait les frais de cette rigueur départementale.

M. Bernard Roman. C’est incroyable !

Mme Jacqueline Fraysse. Dans tous ces domaines, on constate, dans les Hauts-de-Seine, que les premières victimes de ces choix politiques sont les plus modestes, celles et ceux que la crise a déjà considérablement affaiblis. Ce n’est évidemment pas surprenant. Au reste, une récente enquête de l’INSEE montre que les services publics sont devenus le premier facteur de redistribution. En vous attaquant aux services rendus par les collectivités, vous remettez donc en cause l’aide aux plus fragiles, en même temps que vous leur annoncez de nouvelles mesures de restriction.

Dans d’autres départements, d’autres majorités font le choix inverse. Ainsi, sans attendre la réalisation, très hypothétique, de la promesse du candidat Sarkozy de créer un droit opposable à la garde d’enfant, le département du Val-de-Marne, pour ne citer que cet exemple, a choisi de développer des crèches départementales, pour être au plus près des attentes des Val-de-Marnais.

C’est ce libre choix que vous souhaitez empêcher, en corsetant les compétences des départements et des régions, en vous attaquant à la liberté qui est encore la leur de conduire la politique choisie par les électeurs. Au bout du compte, c’est bien à la démocratie locale que ce projet de loi porte atteinte, pour mieux imposer votre politique injuste et dangereuse. Au fond, c’est l’exercice de la démocratie et de l’action publique collective au service de tous qui vous est insupportable. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la réforme des collectivités locales comporte quatre volets, celui relatif à la réforme de leur financement est probablement – avec la création des conseillers territoriaux – le plus important d’entre eux. En effet, les finances locales sont au bout du rouleau. Comme le souligne le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, l’opacité de la structure de la fiscalité locale est devenue telle qu’elle ne permet pas au contribuable de faire le lien entre l’impôt qu’il paie et les prestations que lui offrent les services publics locaux.

M. Renaud Muselier. Très juste !

M. Charles de Courson. Cette opacité est telle que le citoyen peine à distinguer ce qui relève de la solidarité nationale de ce qui relève de la solidarité locale. Pis, elle n’incite pas à la modération des taux votés par les collectivités.

L’autonomie fiscale locale s’effondre pour les départements et les régions, ce qui pose un véritable problème de démocratie locale. Les dotations de l’État, qui représentent la moitié des ressources des collectivités locales, se caractérisent par leur aspect peu péréquateur et, surtout, par un encouragement à la croissance de la dépense et une désincitation à la réduction ou à la stabilité de la pression fiscale, ainsi que l’a excellemment démontré le récent rapport de Gilles Carrez.

Aussi, loin des demandes démagogiques de nos collègues de l’opposition (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) , qui réclament toujours plus à un État en faillite, le groupe Nouveau Centre voudrait-il rappeler les solutions qu’il préconise pour garantir une démocratie locale responsable et équilibrée.

M. Bernard Roman. Vous avez voté le bouclier fiscal, alors ne venez pas nous donner de leçons !

M. le président. Veuillez écouter l’orateur, mes chers collègues !

M. Charles de Courson. Tout d’abord, le groupe Nouveau centre souhaite que les systèmes de péréquation soient renforcés, en prélevant sur les dotations notamment des compensations de dégrèvements et d’exonérations fiscales des collectivités les plus riches pour alimenter les dotations des plus pauvres. Au Nouveau Centre, nous plaidons pour que l’État augmente significativement la part de ses dotations péréquatrices au sein de la dotation globale de fonctionnement, tout en réduisant le nombre de collectivités bénéficiaires. Cela suppose d’intensifier les effets péréquateurs des instruments existants.

En effet, si les dotations péréquatrices ont augmenté de 45,5 % entre 2004 et 2009, elles ne représentent que 16 % de la DGF. Pis, la péréquation ne corrige qu’à peine la moitié des disparités entre collectivités, puisque le taux de correction atteint, en 2006, 45,2 % pour les régions, 47,7 % pour les départements et 36,9 % pour les communes.

Pour y remédier, plusieurs leviers peuvent être mobilisés : tout d’abord, l’augmentation, pour chaque échelon territorial, de la part relative des dotations péréquatrices au sein de la DGF et le ralentissement de la hausse, voire la baisse, des dotations forfaitaires ; le renforcement des mécanismes de péréquation fiscale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui devraient être mis en place à compter de 2011, ainsi que celle relative aux droits de mutation, ce qui constitue une véritable innovation. Toutefois, les modalités de ces deux péréquations restent à définir, car le texte que nous avons adopté en commission mixte paritaire, et nous le savions, n’est pas applicable en l’état.

La deuxième orientation privilégiée par le Nouveau Centre concerne la mise en œuvre du principe d’autonomie fiscale,…

M. Henri Emmanuelli. Pour les régions, par exemple !

M. Charles de Courson. …principe bien plus fécond que celui de l’autonomie financière qui, s’il a valeur constitutionnelle, n’est que le « Canada dry » du principe de l’autonomie fiscale. Celui-ci va plus loin, dans l’esprit même de la décentralisation, car il y a une différence de nature entre, par exemple, l’affectation d’une part de TIPP sous forme de dotation et la capacité à lever l’impôt et à en fixer le taux.

L’autonomie financière des collectivités locales consiste, comme vous le savez, à respecter l’attribution d’une part minimale de ressources propres, tandis que le principe d’autonomie fiscale – pour lequel, je le rappelle, il n’existe pas de définition organique ou même législative – n’inclut que les recettes sur lesquelles les collectivités territoriales ont un réel pouvoir, soit sur l’assiette, soit sur le taux, soit sur les deux.

M. Michel Ménard. Il n’y en a plus maintenant, de toute façon !

M. Charles de Courson. La responsabilisation des élus locaux et, par-là même, la mise en œuvre véritable de la décentralisation ne peuvent en aucun cas faire l’économie du principe d’autonomie fiscale.

M. Henri Emmanuelli. Pour les régions, c’est gagné !

M. Charles de Courson. La capacité, pour les collectivités territoriales, de lever l’impôt et d’en voter le taux est la condition même de l’émergence d’une véritable démocratie locale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vuilque. Qu’en reste-t-il ?

M. Charles de Courson. J’en profite pour redire ici que, sur ce point précis, le groupe Nouveau Centre déplore l’absence de toute forme d’autonomie fiscale concernant les régions et les départements liée à la réforme de la taxe professionnelle. Nous n’avons été entendus, en effet, qu’en ce qui concerne le bloc communal, notamment les intercommunalités, dans lequel le taux d’autonomie fiscale a été peu modifié par la réforme. C’est évidemment nécessaire, mais bien insuffisant, car, avec cette réforme, le taux d’autonomie fiscale des régions et des départements est respectivement ramené à 10 % et à 18 %. Cela n’est pas acceptable.

À ce sujet, nous avons fait une proposition centrale : l’affectation d’une part de CSG, seul impôt véritablement moderne et juste, aux départements et aux régions.

M. Henri Emmanuelli. Vous ne l’aurez pas !

M. Charles de Courson. Je précise qu’il ne s’agirait pas d’une augmentation d’impôt, puisque la création d’une taxe additionnelle à la CSG serait compensée par la diminution de son taux national et la suppression à due concurrence des dotations de l’État à ces deux catégories de collectivités.

M. Philippe Vuilque. On peut toujours rêver !

M. Charles de Courson. Troisième axe : l’État doit donner plus de souplesse aux collectivités locales en réduisant l’ensemble des normes et des règles qui, année après année, augmentent le coût des équipements publics, et en donnant une possibilité de modulation encadrée des prestations sociales telles que le RSA, l’APA ou l’APCH. Pourquoi ces prestations sont-elles identiques sur l’ensemble du territoire national ? Ce n’est pas la même chose que d’être une personne handicapée ou bénéficiant de l’APA dans le Cantal et en région parisienne. Ce ne sont pas les mêmes coûts.

Comme le souligne le rapport de notre collègue Gilles Carrez sur la maîtrise des dépenses locales, l’effet sur les dépenses de l’inflation normative est un facteur d’aggravation de la dépense locale.

M. le président. Il va falloir conclure, mon cher collègue.

M. Charles de Courson. Il est, à ce titre, indispensable de la limiter fortement, en s’attaquant à la fois au flux et au stock des normes en vigueur.

Enfin, le groupe Nouveau Centre souhaite que l’on aille dans le sens de la spécialisation des impôts locaux et que les bases de ces impôts soient actualisées rapidement.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le débat auquel nous participons aujourd’hui soulève la question majeure de la préservation des libertés locales dans notre pays. Il est d’autant plus important qu’à en croire Tocqueville, cette dernière est toujours « chose rare et fragile », constamment menacée par les empiétements du pouvoir central. J’ose espérer que notre assemblée aura la sagesse de se souvenir de ces quelques idées durant les débats qui vont se poursuivre ces prochains mois.

M. Henri Emmanuelli. Où avez-vous mis votre oreiller ? Le Nouveau Centre finit toujours par se coucher, mais on ne sait pas où !

M. le président. La parole est à M. Vincent Descoeur.

M. Vincent Descoeur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte soumis à notre examen revêt une importance capitale, puisque le Gouvernement s’est clairement fixé comme objectif de redéfinir les relations entre les collectivités en recherchant une meilleure complémentarité et la coordination de leurs interventions respectives – en un mot, plus de cohérence.

La décentralisation a incontestablement beaucoup apporté à notre pays, même si, pour produire des effets partout, il faut veiller à ce que décentralisation rime avec péréquation. À l’heure de la revisiter, il convient de s’assurer que cette réforme qui va décider de la nouvelle organisation de la France soit efficiente, c’est-à-dire qu’elle puisse profiter à tout notre pays, dans la diversité de ses territoires qui en font la richesse. Pour y parvenir, il nous est proposé la création de conseillers territoriaux, appelés demain à siéger aux départements et à la région. Pour ma part, j’y souscris, car aux élus « hors sol » je préfère les élus ayant un lien à un territoire, comme je souscris au mode de scrutin uninominal à deux tours que le Gouvernement a eu la sagesse de proposer après quelques hésitations.

Je limiterai mon intervention à deux aspects de cette réforme : d’une part, la représentation des territoires – tous les territoires ; d’autre part, la nécessaire clarification des compétences exercées par les différents niveaux de collectivités. Ces deux sujets ont mobilisé les élus de l’Association nationale des élus de montagne et ont fait l’objet d’amendements dont nous débattrons.

Pour ce qui est du nombre de conseillers dont disposera chaque département, je crois à la nécessité d’assurer une juste représentation de tous les territoires, en particulier des moins peuplés. Cette juste représentation impose, comme le prévoit le texte, que les départements ruraux et de montagne puissent bénéficier d’une dérogation et compter un nombre minimal de conseillers territoriaux que je propose de fixer à vingt élus, considérant que le nombre de quinze élus ne suffira pas à satisfaire aux exigences de la gestion d’un département et à l’accomplissement d’un mandat régional.

M. Philippe Vuilque. C’est l’inflation !

M. Vincent Descoeur. Je forme le vœu que le Conseil constitutionnel admette le principe de ce seuil minimal. Si cela n’était pas le cas, la question de la représentation des territoires ruraux serait alors remise en cause. Dans le même esprit, pour tenir compte de la spécificité de la montagne et de la réalité des territoires, il me semble judicieux que la création des structures intercommunales ne soit pas soumise à un seuil de population, dont l’application uniforme se révélerait inévitablement inadaptée à la réalité des territoires de montagne, même si l’on ne peut que souscrire à l’objectif affiché d’atteindre une dimension pertinente.

J’en viens à la clarification des compétences des différentes collectivités, dont traite l’article 35 – réécrit à l’occasion de l’examen du texte en commission des lois. Si l’objectif consistant à rendre plus cohérente et plus lisible l’action des collectivités est louable et certainement partagé des deux côtés de cet hémicycle, sa mise en œuvre et les dispositions introduites par l’article 35 suscitent un certain nombre de réserves de ma part, qui devraient être levées dans l’intérêt des départements et des territoires ruraux. Je suis en effet au regret de constater que plusieurs de ces dispositions ne résistent pas à l’épreuve des faits et du terrain.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Ah, c’est intéressant d’entendre un membre de la majorité dire cela !

M. Vincent Descoeur. Si ces dispositions n’étaient pas amendées, je crains qu’elles ne pénalisent, voire, dans certains cas, compromettent des projets de développement pourtant indispensables à ces territoires.

M. Henri Nayrou. C’est évident !

M. Vincent Descoeur. Je ne crains pas d’affirmer qu’un encadrement trop strict des cofinancements, l’exclusivité trop systématique des compétences, ou encore le principe, que je juge excessif, de non-cumul des concours du département et de la région sont autant de contraintes qui ne servent pas, et peuvent même contrarier, les projets des collectivités rurales. Je m’emploierai à démontrer à l’occasion du débat que l’obligation, pour un département rural comme le Cantal, d’assurer une participation minimale de 50 %, est de nature à le conduire à renoncer à des projets d’investissement. De la même façon, la perspective de devoir renoncer au cumul de subventions du département et de la région peut contrarier les projets de nombre de collectivités rurales.

La réalisation d’investissements touristiques lourds, tels que les équipements de remontée mécanique dans les stations de sports d’hiver ou le déploiement du très haut débit, pour lequel le Gouvernement invite les collectivités à faire acte de candidature, n’a que peu de chances d’aboutir si les conditions de financement ne sont pas adaptées à la réalité des territoires ruraux. Affirmer le contraire serait méconnaître la réalité de cette France rurale qui – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous la connaissez bien – n’aspire pas à la compassion, mais revendique sa spécificité et souhaite pouvoir continuer à se développer.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Très bien !

M. Vincent Descoeur. Enfin, je forme le vœu que la possibilité offerte aux collectivités de partager, à titre très exceptionnel, une compétence, soit élargie. Ainsi, cette possibilité ne devrait pas être réservée à la seule création artistique, comme le prévoit le texte, mais devrait être élargie à l’ensemble de la culture, afin de ne pas exclure l’enseignement artistique ou la diffusion culturelle.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Vincent Descoeur. Vous l’aurez compris, je souscris à l’objectif affiché de clarification des compétences et de simplification des procédures, tendant à une meilleure lisibilité, mais à la condition expresse et non négociable que cela ne soit pas au détriment des projets des territoires ruraux de montagne, mais au contraire que cela puisse contribuer à la réduction des inégalités territoriales. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’arriver dans cet hémicycle, ce projet de loi a déjà fait couler beaucoup d’encre et de salive. Comment pouvait-il en être autrement avec un texte qui repose largement sur des présupposés fallacieux et dont les objectifs sont essentiellement politiciens et idéologiques ?

M. Philippe Vuilque. Absolument !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Face au torrent de critiques suscitées de toutes parts, le Gouvernement a partiellement revu sa copie. Vous nous proposez désormais un texte « trois en un », incluant par voie d’amendements le mode de scrutin des conseillers territoriaux et la répartition des compétences.

En vérité, l’objectif du Gouvernement est clair : aller le plus vite possible pour faire adopter cette loi avant le 14 juillet et se débarrasser ainsi d’un texte qui lui colle aux chaussures tel un vilain chewing-gum.

M. Philippe Vuilque. Absolument !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Soit dit en passant, le fait que ces dispositions essentielles à l’économie du texte arrivent ainsi, quasiment en catimini, en dit long sur la considération dans laquelle nous sommes tenus, et constitue un bel exemple de la prétendue revalorisation du rôle du Parlement ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Avec ce projet de réforme, dont l’essence est profondément recentralisatrice, c’est la première fois, tous gouvernements confondus depuis la décentralisation de 1982, qu’un texte concernant les collectivités locales cherche à les affaiblir plutôt qu’à les conforter. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) Vous comprendrez aisément que nous n’accepterons pas un tel recul qui, en la matière, ramènerait la France près de trente ans en arrière, au détriment des politiques locales conduites en faveur de nos concitoyens.

Aussi notre groupe s’opposera-t-il à chacun des éléments néfastes contenus dans ce texte. Pour ma part, je me limiterai à évoquer les départements et la création du conseiller territorial qui, nous l’avons bien compris, est pour le Gouvernement l’alpha et l’oméga de cette réforme, à telle enseigne qu’elle fait symboliquement l’objet de l’article 1 er .

Comment ne pas se dire, face à l’absurdité de ce conseiller territorial, que le texte a été rédigé dans une parfaite méconnaissance du rôle et du fonctionnement des collectivités locales, qu’il fleure bon le technocrate parisien enfermé dans son bureau,…

M. Jean Mallot. Tout à fait !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. …affairé à traduire en normes les orientations politiques qui lui sont assignées, oubliant au passage, entre autres, le principe de parité inscrit dans la Constitution.

L’impact de la campagne de dénigrement des élus locaux qui a accompagné la médiatisation de la réforme des collectivités locales a pu être mesuré lors des élections régionales, qui ont constitué un sondage grandeur nature.

M. Jean Mallot. Une belle raclée !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Les électeurs se sont prononcés et, à l’évidence, leur opinion n’a pas rencontré celle du Gouvernement.

Messieurs les ministres, ou plutôt monsieur le secrétaire d’État, puisque nous n’avons plus qu’un membre du Gouvernement en séance – j’espère au moins qu’il restera jusqu’à la fin –…

M. Bernard Derosier. Mais ce n’est pas n’importe lequel ! Le premier charcutier de France !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. …il faut entendre les citoyens qui plébiscitent, dans un récent sondage, la qualité des services publics locaux, avec 83 % de satisfaction globale. Il faut écouter les élus locaux et ne pas les traiter avec mépris et condescendance, notamment ceux issus des territoires ruraux – sur ce point, je rejoins ce que vient de dire notre collègue de droite – sur lesquels vivent, selon les chiffres officiels du ministère de l’espace rural, 11 millions d’hommes et de femmes qui méritent bien un peu de considération.

Cette connaissance du terrain aurait permis de définir les contours d’une véritable modernisation de l’organisation et du fonctionnement des collectivités territoriales, conforme à l’intérêt général. C’est elle que nous appelons de nos vœux et pour laquelle nous avons déjà fait de nombreuses propositions que vous avez refusé d’entendre – mais nous allons continuer. Près de trente ans après la création de notre république décentralisée, cette modernisation est une nécessité pour faire coïncider le monde vécu et le cadre normatif qui le régit. À l’évidence, votre texte, monsieur le secrétaire d’État, ne répond en aucun cas à ces objectifs, au moins en ce qui concerne les départements, auxquels 82 % de nos concitoyens, selon un sondage IPSOS paru à l’automne, sont profondément attachés.

La création du conseiller territorial, mesure phare de votre texte, est une conception fumeuse…

M. Jean Mallot. Pour ne pas dire fumiste !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. …d’un élu hybride, s’inscrivant dans l’objectif clairement annoncé de réduction du nombre d’élus territoriaux, dans le but inavoué de parvenir à terme à « évaporer » les conseils généraux, selon la formule employée par un ancien Premier ministre, une formule certes élégante mais pour le moins perverse.

Bien évidemment, cette mesure est présentée comme une nécessaire rationalisation, source d’économies budgétaires conséquentes, que nul n’est pourtant parvenu à démontrer. Ces économies seront en fait dérisoires, si elles ne sont pas illusoires. Lors du dernier congrès de l’Association des départements de France à Clermont-Ferrand, M. le ministre de l’intérieur, dont je regrette l’absence, a estimé l’économie induite par la réforme à 70 millions d’euros – un chiffre que je vous invite à rapprocher du seul budget annuel de l’Élysée, de l’ordre de 140 millions d’euros. En réalité, le coût des élus locaux représente globalement moins de 0,3 % du budget de fonctionnement des collectivités, un coût plus que modéré et qui risque d’augmenter fortement avec la création du conseiller territorial, qui sera de fait un élu à plein-temps.

Quant à la gestion des collectivités territoriales, mieux vaudrait que le Gouvernement s’en inspire plutôt que de la stigmatiser, car 80 % du déficit public vous est imputable, monsieur le secrétaire d’État – pas à vous seul, bien sûr, mais à l’État. Les collectivités territoriales, quant à elles, représentent 10 % du déficit public, dont 3 % seulement sont imputables aux conseils généraux.

Oui, depuis un demi-siècle – je pourrais dire depuis un quart de siècle –, les collectivités territoriales ont prouvé que, sous le contrôle a posteriori des chambres régionales des comptes, elles géraient mieux que l’État, quel qu’il soit, au plus près des besoins de nos concitoyens, et le procès en « gaspillage d’argent public » que vous tentez de nous faire ne résiste pas à l’épreuve des faits. Vous savez bien, monsieur le secrétaire d’État, que vos présupposés de départ sont de mauvais prétextes.

En instaurant les conseillers territoriaux, ce texte invente une espèce de surhomme ou surfemme, sûrement génétiquement modifiée, qui devra tout à la fois gérer les arrêts de transport scolaire et les nids de poule sur les réseaux routiers, être une super assistante sociale sur un territoire généralement élargi, singulièrement dans les secteurs en déprise démographique, accompagner artisans, commerçants et entreprises, et assister aux réunions culturelles et sportives de leur secteur, avoir une vision prospective à quinze ou vingt ans sur l’évolution stratégique, sociologique, technologique, économique d’une région ; connaître les arcanes des différents fonds européens et, pour finir, siéger au sein d’une infinité de conseils, commissions, comités, conseils d’administration. Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas viable sauf à être élu à plein temps, et vous le savez bien.

Avec le conseiller territorial, chacun des deux niveaux de collectivités perdra sa spécificité, impulsion et coordination pour la région, proximité pour le département – Jean-Pierre Balligand l’a dit précédemment. Déjà, les conseillers régionaux dénoncent la « cantonalisation » du mode de désignation. Je n’aime pas ce terme un peu condescendant, mais je comprends ce qu’ils veulent dire.

M. Alain Cacheux. Ils ont raison !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Ils ont bien compris que les régions n’avaient rien à gagner avec le retour au système de l’ancien EPR alors que les conseillers généraux regrettent, quant à eux, de perdre la proximité essentielle à la mise en œuvre de politiques de solidarité entre les hommes et les territoires, qui sont leur raison d’être. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Tout à fait !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Ce mélange des genres va complexifier un système qui a fait ses preuves depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, nos concitoyens ont une véritable relation de proximité avec les conseillers généraux, qui se dévouent pour améliorer le quotidien du plus grand nombre. Et il y a beaucoup à faire dans le contexte actuel. La forte participation lors des élections cantonales en est l’une des manifestations les plus frappantes.

Une évolution est certes nécessaire, notamment pour harmoniser la taille des cantons. Mais elle aurait dû être en lien avec la structuration qu’ont connue nos territoires ruraux avec la création des communautés de communes, grâce, soit dit en passant, aux lois que la gauche a fait voter.

M. Bernard Roman. Eh oui !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Car, à l’évidence, il existe deux blocs d’action publique parfaitement complémentaires. Le bloc local, composé des communes, communautés de communes et des départements, qui est celui de la proximité et de la solidarité. Le bloc région-État-Union européenne, quant à lui, est celui de la stratégie et du développement économique à grande échelle, bref, de la prospective. Pourquoi vouloir supprimer un mécanisme construit patiemment depuis bientôt trente ans et qui fonctionne globalement plutôt bien ?

M. Bernard Roman. Parce qu’ils veulent tout détruire !

M. Bernard Derosier. Parce qu’ils n’ont pas la majorité dans ces instances !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Accepter la fin du couple commune-département signe la fin de nos territoires ruraux. Qui peut imaginer que des communes ou groupements de communes de 5 000 à 10 000 habitants pourront, demain, conduire à terme des projets structurants avec un seul partenaire ?

M. Alain Cacheux. Personne !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Pensez-vous que, désormais, il sera possible, dans ces conditions, de construire une piscine, par exemple, quand on sait le coût de ce type d’équipement pourtant indispensable à l’initiation des scolaires ?

Vous semblez oublier que les départements sont devenus, avant l’État, les partenaires privilégiés de ces cellules de base de notre démocratie que sont les communes. Il est évident qu’avec une telle vision du devenir de nos collectivités locales nous connaîtrons moins de proximité, moins de services rendus aux habitants, moins d’équité d’accès aux équipements. En bref, moins de démocratie.

M. Daniel Boisserie. Eh oui !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Plusieurs orateurs l’ont dit, c’est l’ouverture à la loi du marché, c’est la liberté du renard dans le poulailler. Et dans ce cas de figure, les poules gagnent rarement…

Pour être tout à fait objective, je dois reconnaître, monsieur le secrétaire d’État, que votre texte a évolué, aidé grandement dans cette voie par la mobilisation des élus locaux, toutes opinions politiques confondues, il faut le reconnaître.

M. Michel Piron. Très bien !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Je vous confirme que le conseiller territorial est pour nous un non-sens et que nous le combattrons avec force et vigueur. Si nous avions adhéré à cette idée saugrenue, nous n’aurions pu que nous satisfaire de la disparition du mode de scrutin initialement prévu, dont la singularité au regard de notre tradition républicaine avait conduit à un rejet quasi unanime, tant il était mal ficelé et dissimulait difficilement les objectifs électoralistes qu’il cherchait à servir – Élisabeth Guigou l’a largement démontré hier.

La raison a également partiellement prévalu sur la question des compétences des départements et régions, puisque celles-ci se dessinent en quelque sorte désormais en creux dans le projet de loi avec, au final, des dispositions plus modérées que l’abrupte suppression annoncée de la clause de compétence générale. Encore que l’étranglement financier auquel vous soumettez ces collectivités les conduise à abandonner de fait nombre d’actions pourtant fort utiles à nos concitoyens. Ainsi sommes-nous par votre faute tous frappés du syndrome de Stockholm.

L’abandon du projet de loi spécifique, qui devait être consacré à la question des compétences, sonne le glas de cette idée inapplicable de spécialisation radicale de chaque niveau de collectivité, qui aurait conduit à totalement sinistrer l’aménagement de nos territoires et à, par exemple, faire disparaître le lien social essentiel au vivre ensemble apporté par le secteur culturel et sportif. La mobilisation de ce secteur, que nous avons largement suscitée, vous a aidé à évoluer un peut sur ce sujet. Encore ne faudrait-il pas que l’État en profite pour transférer les rares compétences qu’il avait gardées en matière culturelle et sportive, se délestant ainsi, une fois encore, sur les collectivités.

Ces évolutions sont les premiers fruits d’un long combat qu’ont conduit les élus depuis le début de l’automne dernier et que notre groupe entend poursuivre au cours de l’examen des articles, afin de défendre pied à pied notre conception de la République décentralisée.

J’aimerais conclure cette intervention en citant quelques lignes d’un homme qui aimait les assemblées locales et particulièrement les conseils généraux, pour avoir fréquenté celui de la Nièvre pendant près de trente-cinq ans. Contrairement à l’actuel Président de la République qui n’a, semble-t-il, pas passé assez de temps dans le sien pour en percevoir l’utilité, François Mitterrand était fier du rôle de cette institution historique mais d’une grande modernité car ancrée dans le penser global et l’agir local.

Ces quelques phrases, prononcées le 22 mars 1990 à Moulins, à l’occasion du bicentenaire de la création des départements, raisonnent aujourd’hui encore avec un certain écho : « II peut sembler paradoxal de penser que l’avenir des départements, qui ne représentent chacun que la centième partie du territoire français, puisse être comme une sorte de tremplin pour aborder les problèmes de l’Europe et du monde. Et pourtant, c’est à partir de là que les choses commencent, c’est à partir de là que les choses se font car le paradoxe n’est qu’apparent et l’exemple de l’Assemblée Constituante est là pour nous rappeler qu’on ne peut viser l’universel qu’en prenant appui sur l’ensemble des réalités nationales, dans ce qu’elles ont de plus divers et de plus singulier. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. La majorité UMP entend aggraver le texte de réforme des collectivités territoriales voté au Sénat.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous préparez une répartition tranchée des compétences entre collectivités. Vous voulez faciliter les regroupements de collectivités, augmenter les compétences des métropoles et interdire les financements croisés pour les projets des communes.

Je peux témoigner des effets catastrophiques de tels projets. À terme, ils signifieraient notamment la fin de la capacité d’investissement des communes, en particulier des plus petites.

Cette réforme législative a pour objectif de mettre à la diète les communes, qui sont pourtant proches des besoins des populations. L’UMP veut casser l’organisation territoriale de la France, héritée de la Révolution, en fragilisant les communes et les départements. Ce serait un recul considérable de la démocratie de proximité.

Vous voulez imposer aux échelons locaux votre fameuse RGPP, la révision générale des politiques publiques, que vous appliquez avec zèle pour détruire les services publics vitaux de la nation, comme l’enseignement ou la sécurité.

En réalité, tout le monde sait que ce n’est pas avec des textes de rafistolage sur les compétences des collectivités que l’on pourra mieux garantir les services publics locaux. Celles-ci manquent surtout d’argent depuis la suppression de la taxe professionnelle qui empêche villes, départements ou régions de planifier leurs investissements sur le long terme.

Le vrai problème est celui de la perte totale d’autonomie fiscale des collectivités locales.

Je prendrai l’exemple de la commune de Raimbeaucourt, dans la 16 e circonscription du Nord dont je suis l’élu. Cette ville, qui compte environ 4 400 habitants, lance un appel à l’aide pour la construction d’une nouvelle école. Elle est pleinement concernée par ce projet de loi qui prévoit d’interdire les financements croisés pour les communes de plus de 3 500 habitants, ce qui reviendra à réduire à néant leur capacité d’investissement

Il ne faut pas s’y méprendre, cependant, ce ne sont pas les financements croisés qui posent un problème. Ils ne sont que la conséquence d’un appauvrissement des communes, contraintes de quémander des subventions un peu partout, sous peine d’augmenter la charge fiscale des ménages. C’est l’absence de dotations suffisantes de l’État qui est à l’origine du problème. D’après la loi de finances pour 2010, la dotation globale de fonctionnement augmente moitié moins que l’inflation. La dotation d’équipement reste, quant à elle, à un niveau minimaliste. De telles conditions provoquent le coup d’arrêt des politiques de développement local.

Monsieur le secrétaire d’État, il faut assurer les financements des collectivités territoriales, lieux de la démocratie de proximité et acteurs majeurs du développement. Pourquoi ne pas proposer, par exemple, des crédits à taux zéro pour les collectivités, à travers un pôle public bancaire et financier, comprenant des banques nationalisées ?

En matière de regroupement intercommunal, le projet de loi est une tentative de recentralisation du pouvoir entre les mains de l’État. Le rôle accru du préfet symbolise la recentralisation de la décision politique et administrative avec la possibilité pour ce dernier de rattacher une enclave à un EPCI ou encore d’être doté, entre le 1 er  janvier et le 31 décembre 2012, de pouvoirs exceptionnels de création, de modification ou de fusion des EPCI et syndicats. La « rationalisation » de la carte intercommunale promet d’être menée au pas de charge par les préfets.

Enfin, votre projet de loi entend s’engouffrer dans la concurrence territoriale en donnant la priorité aux métropoles. Celles-ci sont en réalité des sortes de mégalopoles technocratiques, dont l’objet sera de constituer des pôles de compétitivité et d’attraction pour entreprises multinationales.

La métropole se substituera aux communes membres en matière de développement et d’aménagement économique, social et culturel, d’aménagement de l’espace métropolitain, de politique locale de l’habitat, de politique de la ville, de gestion des services d’intérêt collectif et de protection de l’environnement.

Les compétences, volées au département et à la région, feront de ces derniers des acteurs de second plan, dépourvus de pouvoir, tout juste bons à subventionner les territoires exclus des métropoles parce que pas assez compétitifs. Vous préparez une France à deux vitesses.

La métropole se substituera aussi aux départements en matière de transports scolaires et de gestion des routes.

M. Michel Piron. Si cela pouvait être vrai !

M. Jean-Jacques Candelier. Elle pourra, par convention avec le département, être compétente en matière d’action sociale, de construction, d’aménagement et de fonctionnement des collèges, de développement économique.

Elle pourra se substituer à la région, par convention, en matière de construction, d’aménagement et de fonctionnement des lycées, de tout ou partie des compétences exercées par la région en matière de développement économique.

Cette liste de compétences a par ailleurs été considérablement allongée en commission : création, aménagement et gestion des zones d’activités industrielles, commerciales, tertiaires, artisanales, touristiques, portuaires ou aéroportuaires, schémas de cohérence territoriale et plans locaux d’urbanisme, politique du logement, lutte contre la pollution, culture, lycées, sport.

J’insisterai particulièrement sur la compétence sportive. La Charte internationale de l’éducation physique et du sport indique que « tout être humain a le droit fondamental d’accéder à l’éducation physique et au sport, qui sont indispensables à l’épanouissement de sa personnalité ». Le but de l’olympisme « est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. » Enfin, le code du sport dispose : « La promotion et le développement des activités physiques et sportives pour tous […] sont d’intérêt général. »

Comme tous les députés, j’ai été destinataire d’un dossier de Jean-Michel Brun, vice-président délégué au sport et aux territoires, établi à la demande du président du Comité national olympique et sportif français. Ce comité – Jacqueline Fraysse l’a dit tout à l’heure, c’est à croire qu’elle a copié sur moi, à moins que ce ne soit l’inverse (Sourires) ‚– est constitué de 107 fédérations, disposant de 180 000 associations sportives, avec 16 millions de licenciés et 3,5 millions de bénévoles au service de la population.

Le mouvement sportif exprime de façon unanime ses inquiétudes suite à la possible suppression de la clause de compétence générale des régions et départements. Car s’il existe un service public national du sport, en l’occurrence le ministère du sport, celui-ci n’est pas exclusif de services publics du sport municipaux, départementaux ou régionaux. Concernant le financement public du sport français, sur un total avoisinant 13 milliards d’euros, près de 80 % proviennent des collectivités !

Bien entendu, la capacité de financement des collectivités est essentielle, mais la condition sine qua non du maintien du soutien au sport, qu’il s’agisse des dépenses d’investissement dans les équipements ou des dépenses sportives de fonctionnement, c’est-à-dire l’aide aux clubs, est l’affirmation du fondement juridique de la capacité à agir de toutes les collectivités territoriales.

Enfin, mon dernier mot concernera les conseillers territoriaux, pierre angulaire de ce projet de loi. On s’apprête à créer des conseillers territoriaux qui auront certainement le don d’ubiquité, car ils devront courir à la vitesse de la lumière de l’hémicycle du conseil général à celui du conseil régional !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Ceux qui seront allés dans l’un n’auront pas beaucoup de chemin à faire jusqu’à l’autre ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Candelier. Il est dommage que ce projet de loi ne propose pas la téléportation.

À l’opposé de ce texte totalitaire et technocratique, les députés communistes, républicains et du parti de gauche proposeront par des amendements le développement de la démocratie locale de proximité, seul gage d’une plus grande efficacité des politiques publiques.

Nous ne cautionnerons pas des projets qui visent à briser les capacités d’initiative des collectivités tout en ignorant la problématique des finances publiques locales.

M. Michel Piron. N’importe quoi !

M. Jean-Jacques Candelier. Dans ce domaine, nous continuons à lutter pour l’autonomie fiscale, à promouvoir des ressources fiscales dynamiques à travers la taxation des actifs financiers des entreprises, et nous continuerons à réclamer une meilleure péréquation financière entre collectivités riches et collectivités pauvres.

M. le président. La parole est à M. Renaud Muselier.

M. Bernard Deflesselles. Là, on va changer de braquet ! (Sourires.)

M. Renaud Muselier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte dont nous poursuivons l’examen aujourd’hui porte une ambition historique, celle de donner un second souffle à nos territoires près de trente ans après les grandes lois de décentralisation de Gaston Defferre et de Jean-Pierre Raffarin.

Ce texte est l’aboutissement de plusieurs années de débats, de concertation et de rapports, sans oublier le travail mené par la commission de M. Balladur et celui de M. Perben.

M. Henri Emmanuelli. La galéjade commence !

M. Renaud Muselier. L’ambition du Président de la République et du Gouvernement est d’engager un mouvement de clarification et de simplification de nos structures territoriales,…

M. Henri Emmanuelli. De démolition, plutôt !

M. Renaud Muselier. …dans l’objectif d’améliorer le service rendu à nos concitoyens.

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

M. Renaud Muselier. Le Sénat a apporté des modifications substantielles au projet de loi, qui vont, je le crois, pour l’essentiel dans le bon sens.

M. Henri Emmanuelli. Tu parles !

M. Renaud Muselier. Il nous appartient à notre tour d’être à la hauteur de ce débat.

Je suis élu de la deuxième ville de France. Mon propos se fondera donc surtout sur la place que nous voulons donner à nos grandes villes dans l’aménagement national du territoire et à l’échelle internationale.

Je ne reviendrai pas sur le constat maintes fois posé de l’empilement des structures territoriales, de l’opacité d’un système où tout le monde s’occupe de tout et dans lequel les responsabilités se sont progressivement diluées au profit d’une logique de guichet qui pénalise les collectivités les plus pauvres et, in fine , le citoyen contribuable.

M. Bernard Deflesselles. Tout à fait !

M. Renaud Muselier. Il est temps de clarifier notre organisation et ce projet de loi s’y attelle en identifiant clairement deux pôles complémentaires : le couple département-région et le couple commune-intercommunalité.

Le couple département-région s’articulera au travers de deux dispositions majeures : la création de conseillers territoriaux et la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions.

M. Henri Emmanuelli. Allons ! Soyez sérieux !

M. Renaud Muselier. Évitant de relancer l’éternelle querelle entre départementalistes et régionalistes, le projet de loi fait le pari de l’intelligence territoriale. Le conseiller territorial sera en effet le garant de la cohérence des interventions du département et de la région.

M. Philippe Vuilque. Vous y croyez, vous ?

M. Renaud Muselier. Élu au scrutin uninominal, donc clairement identifié par les électeurs, il sera leur interlocuteur unique dans des territoires de taille humaine, et permettra de mutualiser les politiques et d’éviter des doublons coûteux.

La définition par la loi de compétences d’attribution pour le département et pour la région va également dans le bon sens. Nos élus sauront immédiatement à qui s’adresser et les projets ne seront plus soumis, comme c’est trop souvent le cas, aux décisions et intérêts contradictoires d’une multitude d’acteurs. On gagnera en efficacité.

À ce stade, je voudrais souligner que la récente campagne conduite contre cette réforme par les collectivités socialistes devrait figurer dans l’exposé des motifs. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

M. Renaud Muselier. Il est en effet stupéfiant de constater, depuis des mois, l’assaut de démagogie financé par l’argent public, dont le seul but est de défendre des intérêts catégoriels et des baronnies locales (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Bernard Derosier. Vous êtes bien placé pour parler de ça ! On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu !

M. Renaud Muselier. …auxquelles on ne touche d’ailleurs pas en ce qui concerne les transferts de compétences.

Laisser entendre que les financements publics pourraient se tarir est un véritable scandale. Cette confusion entre le rôle institutionnel essentiel de nos collectivités locales et le pouvoir personnel de certains élus est sans doute l’une des causes de l’abstention massive que nous rencontrons lors des élections locales, à l’exception de l’élection municipale.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas sérieux !

M. Renaud Muselier. Nos concitoyens ne s’y trompent pas et ne voient dans ces batailles d’egos que les hausses d’impôts locaux qu’ils subissent. Encore une fois, clarifier les compétences entre chaque échelon territorial n’est pas un choix, c’est une nécessité. Cela l’est également pour l’échelon le plus connu et le plus apprécié des Français : la commune.

Nos communes font partie intégrante de notre identité nationale. Elles irriguent notre territoire de leur histoire, de leurs traditions et de leurs actions de proximité.

M. Henri Emmanuelli. Et la Méditerranée ?

M. Renaud Muselier. J’y arrive, cher collègue ! (Sourires.)

Elles s’incarnent dans la figure du maire, l’élu le plus apprécié des Français.

Elles doivent être confortées, et c’est pour cette raison que le projet de loi leur conserve la clause de compétence générale. Mais elles ont à faire face à l’évolution des normes juridiques, techniques ou environnementales, ainsi qu’à l’évolution des besoins sans cesse croissants de nos concitoyens, alors même que les ressources sont sous contrainte.

L’intercommunalité a permis de revitaliser notre tissu communal en apportant les moyens qui faisaient souvent défaut et une échelle de décision plus pertinente. Il nous faut désormais aller plus loin, en particulier pour les grandes villes. En effet, si notre pays a la chance d’avoir en Paris une ville-monde, il doit pouvoir également s’appuyer sur des métropoles puissantes capables de rivaliser avec leurs concurrentes européennes.

Or, force est de constater qu’à l’échelle internationale, nous ne jouons pas dans la cour des grands. Nous souffrons depuis de longues années du poids des conservatismes institutionnels, économiques, sociaux et politiques qui tendent à privilégier le statu quo et les logiques d’isolement, au détriment de la vision d’une communauté de destin et d’un avenir partagé.

Pour ne prendre qu’un exemple, vous me permettrez de choisir mon département des Bouches-du-Rhône. (Sourires.)

M. Philippe Vuilque. Quel hasard !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Bon choix !

M. Renaud Muselier. Rousset – 35 % de la microélectronique française‚– représente le premier pôle de microélectronique en France et en Europe du Sud, avec plus de 6 500 emplois et plus de 2,44 milliards d’euros d’investissements cumulés. Pourtant, ce pôle n’est connecté par aucun transport en commun rapide et efficace à Aix, à Marseille ou à l’aéroport de Marignane. La décision relève d’un si grand nombre de collectivités qu’elle n’a, in fine , pas été prise.

M. Henri Emmanuelli. Tout ça, ce sont vos affaires !

M. Renaud Muselier. Il est vrai que notre territoire est le produit d’un héritage historique, de la rivalité des grandes villes depuis l’époque des comtes de Provence jusqu’aux décisions de l’État dans les années 60 et 70.

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

M. Renaud Muselier. Elles ont abouti à une métropolisation sans métropole : la création de la zone industrialo-portuaire de Fos, le soutien à l’industrie aéronautique à Marignane et Istres, la création du Commissariat à l’énergie atomique à Cadarache et celle de la zone commerciale de Plan de Campagne sont autant d’exemples de décisions par lesquelles la périphérie de Marseille a peu à peu englouti le centre.

Les richesses sont souvent aux portes, alors que les charges de centralité demeurent : les hôpitaux, la gare TGV, l’opéra, les universités, les grands équipements publics ou encore le logement. À l’heure où se dessine l’ambition d’un Grand Paris, portée par le Président de la République,…

M. Henri Emmanuelli. Il porte ce qu’il peut, en ce moment…

M. Bernard Derosier. Et il peut peu !

M. Renaud Muselier. …où nos rivales européennes se développent, nous serions fautifs à l’égard de l’histoire en n’assumant pas l’ambition d’un Grand Marseille.

Les défis, nous les connaissons : il faut donner une cohérence au développement de notre territoire ; rattraper notre retard en matière de déplacements urbains et inter-urbains ; renforcer notre attractivité nationale et internationale, avec des pôles d’excellence lisibles et identifiés comme la recherche et l’enseignement supérieur ; donner une vitalité économique forte s’appuyant sur nos atouts, au premier rang desquels se trouve le port, et sur des grands projets structurants tels qu’Euroméditerranée ; inscrire notre urbanisme dans une démarche de développement durable.

En d’autres termes, si l’on se projette à vingt ou trente ans, la question qui se pose est simple : veut-on que Marseille joue dans la cour des grands ?

M. Henri Emmanuelli. Et Gaudin, qu’est-ce qu’il fait ?

M. Renaud Muselier. Cette question vaut pour toutes les agglomérations de plus de 450 000 habitants, qui sont concernées par la notion de métropole introduite par ce projet de loi. En soulignant cela, je mesure parfaitement les réticences que cette nouveauté peut soulever, notamment dans les petites communes qui bordent une grande ville et qui craignent de perdre leur autonomie.

Les métropoles ne seront créées que sur la base du volontariat, car on ne décide pas depuis Paris de ce qu’il convient de faire sur un territoire donné, et particulièrement à Marseille.

Il doit appartenir aux élus de définir ce qui relève de la métropole – les grands projets, les grands équipements structurants qu’une commune, quelle que soit sa taille, ne peut plus assumer seule‚– et ce qui doit demeurer de la compétence des maires, c'est-à-dire les équipements de proximité ou les permis de construire, par exemple, car le maire et son équipe sont les mieux placés pour les gérer.

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Renaud Muselier. La métropole doit se construire non pas contre les communes, mais avec elles et pour elles. C’est tout l’intérêt de ce projet de loi qui, une fois encore, fait appel à l’intelligence territoriale. Il s’agit de laisser les élus de terrain se saisir d’une question qui les concerne, d’offrir des modalités souples, de faire appel au volontariat, en ne privant pas les territoires de l’opportunité de franchir un cap.

Cette disposition, assortie de la désignation des élus intercommunaux sur les listes des élections municipales, est une occasion de revitaliser notre démocratie locale, de définir des projets de mandature à des échelles territoriales pertinentes au niveau international, et de les soumettre aux électeurs.

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. Renaud Muselier. Ce projet de loi porté par le Gouvernement est un pas courageux qui permettra à nos grandes villes d’être plus fortes, plus justes et plus efficaces au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l’Assemblée nationale,
Claude Azéma