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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 2 février 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Déclaration de M. le président

M. le président

2. Questions au Gouvernement

Exploitation du gaz de schiste

Mme Geneviève Gaillard

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

Équilibre des finances publiques

M. Louis Giscard d’Estaing

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Commande de camions pour le ministère de la défense

M. André Gerin

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants

Emploi des jeunes

M. Thierry Benoit

Mme Nadine Morano, ministre chargée de l’apprentissage et de la formation professionnelle

Tunisie

M. Olivier Dussopt

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Plan « Sciences »

M. Frédéric Reiss

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Exploitation du gaz et de l’huile de schiste

M. Yves Cochet

Bilan d’activité des entreprises

M. Michel Diefenbacher

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation

Conflits d’intérêts

M. Christian Eckert

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Activité des douanes et RGPP

M. Étienne Blanc

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Effectifs de la police et de la gendarmerie

Mme Marylise Lebranchu

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

Mise en œuvre du RSA à la Réunion

Mme Jacqueline Farreyrol

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Éducation nationale

Mme Dominique Orliac

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Nouvelles normes dans le secteur de l’hôtellerie

M. Jean-Pierre Marcon

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation

Agriculture biologique

M. William Dumas

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

3. Prestation de serment d’un juge suppléant de la Cour de justice de la République

4. Modification de l’ordre du jour

Rappel au règlement

M. Jean Mallot

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales

5. Débat sur l’OTAN et les orientations données aux forces armées françaises

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

Présidence de Mme Élisabeth Guigou

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères

M. Jean-Paul Lecoq

M. Philippe Folliot

M. Philippe Vitel

M. Laurent Fabius

M. Yves Cochet

M. Patrick Beaudouin

M. Daniel Garrigue

M. Hervé Mariton

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Déclaration de M. le président

M. le président. Mes chers collègues, voilà 400 jours aujourd’hui que nos compatriotes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, journalistes à France 3, et leurs accompagnateurs, ont été enlevés en Afghanistan.

J’ai reçu ce matin, avec des représentants de tous les groupes, des membres de leur comité de soutien. Je crois me faire l’interprète de la représentation nationale unanime en exprimant notre solidarité avec leurs familles et leurs proches.

Nos pensées vont naturellement vers tous nos compatriotes retenus en otage à l’étranger. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Exploitation du gaz de schiste

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Geneviève Gaillard. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, la semaine dernière, en réponse à notre collègue Pascal Terrasse, qui vous interpellait sur les conséquences écologiques des permis d'exploration pour une exploitation des gaz de schiste, vous nous avez offert votre vigilance personnelle. Mais, aussi sincère soit-elle, nous ne pouvons nous satisfaire de la seule vigilance d'une ministre.

Vouloir exploiter des hydrocarbures dans ces conditions semble pour le moins paradoxal, si l’on songe au réchauffement climatique, à nos engagements en matière de qualité de bon état des eaux, à nos engagements du Grenelle de l'environnement – notamment ceux de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre.

Car enfin, face au constat d'un lien de causalité avéré entre énergies fossiles et réchauffement climatique, face au renchérissement et à la fin programmée des énergies fossiles, face à l'appel clair du Grenelle à développer d'urgence des énergies alternatives, nos actes démontreraient au contraire la volonté de racler les fonds de tiroir à tout prix en se jetant sur les dernières réserves – fussent-elles dangereuses et coûteuses à extraire !

Les gaz de schiste, c'est l'énergie du désespoir !

Personnellement, je doute que nous ayons des technologies plus sophistiquées que nos amis américains, technologies qui seules pourraient nous permettre d’éviter les désastres que l'extraction des gaz de schiste a entraînés aux États-Unis et au Canada.

Les permis exclusifs de recherche pour ces hydrocarbures non-conventionnels, délivrés en nombre par votre prédécesseur, sans aucun débat citoyen préalable, constituent une violation criante de nos engagements issus de la convention d'Aarhus.

Nous exigeons donc, afin de caractériser les risques environnementaux en l'état actuel des connaissances et techniques, et pour que cette méthode d'exploitation soit validée ou non sur la base de son acceptation par la société, que votre vigilance se concrétise par l'organisation d'un véritable débat national sur les gaz de schiste.

Il n'est pas trop tard pour bien faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Une grande inquiétude, et de légitimes interrogations, relayées par des élus de droite comme de gauche s’expriment, je l’avais dit, sur l’exploitation du gaz de schiste.

Cette inquiétude est largement fondée sur ce que nous savons des méthodes employées sur le continent nord-américain, où ces gisements sont exploités depuis quelque temps déjà. Les dommages à l’environnement, aux paysages – avec la multiplication des forages – et les risques pour les nappes phréatiques – à cause des produits chimiques utilisés – y sont avérés.

Il n’est pas question, je le redis solennellement, d’autoriser en France une telle exploitation.

Je redis aussi qu’une exploitation n’aurait d’intérêt que si cette production venait se substituer au gaz importé. Il ne s’agit absolument pas de remettre en cause nos engagements en matière d’énergies renouvelables.

En France, trois permis d’exploration ont été délivrés au mois de mars 2010 pour le gaz de schiste. Il existe par ailleurs trois autres permis d’exploration pour l’huile de schiste, qui constitue un sujet un peu différent.

J’insiste sur le fait qu’il s’agit bien d’exploration et non d’exploitation. Aujourd’hui, aucune autorisation de travaux n’a été délivrée dans le cadre des permis d’exploration pour le gaz de schiste.

Mon collègue Éric Besson et moi-même avons confié aux Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et au Conseil général de l’environnement et du développement durable une mission pour évaluer les enjeux de ces questions, et d’abord les enjeux environnementaux.

Aucune autorisation de travaux sur le gaz de schiste ne sera donnée, ni même instruite, avant les résultats de cette mission. L’enjeu est simple : est-il possible, en France, d’exploiter ces gisements proprement, afin que cette production se substitue à des importations ?

La position du Gouvernement est claire : s’il n’était pas possible de les exploiter autrement, si seules les technologies utilisées en Amérique du nord existaient, ces gisements ne seraient pas exploités. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Équilibre des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Louis Giscard d’Estaing. Monsieur le ministre du budget, dans son discours de politique générale, le 24 novembre dernier, M. le Premier ministre a déclaré vouloir inscrire dans notre Constitution des principes garantissant la maîtrise des finances publiques.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Louis Giscard d’Estaing. Le Premier ministre avait également annoncé que le Gouvernement saisirait « prochainement les groupes politiques d’un document d’orientation, afin que nous regardions ensemble si un consensus peut être atteint sur cette question ».

Dans le budget pour 2011, le Gouvernement s’est d’ores et déjà engagé à consentir un effort sans précédent de réduction de nos déficits. Parce que cet effort ne se limite pas à 2011, il a également fixé une trajectoire vertueuse, en annonçant une réduction du déficit public à 3 % de notre produit intérieur brut en 2013 et en prévoyant un retour à l’équilibre à l’horizon 2016-2017.

Néanmoins, nous le savons, nous ne pourrons vraiment redresser nos finances publiques que sur le long terme. C’est pourquoi le Gouvernement s’est engagé, depuis un an, sur l’inscription dans la Constitution d’une règle d’équilibre des finances publiques, dans un pays qui, rappelons-le, n’a pas voté de budget en équilibre depuis l’automne 1980.

M. Jean-Pierre Brard. C’était le bon temps avec papa, hein !

M. Louis Giscard d’Estaing. En janvier 2010, lors de la première conférence sur les déficits, le Président de la République a fait part de son souhait de doter la France d’une règle d’équilibre pour nos administrations publiques. Puis, en juin 2010, Michel Camdessus a remis un rapport sur ce sujet avec de nouvelles propositions de gouvernance. Enfin, en septembre, des consultations ont été menées avec les commissions compétentes des deux assemblées et l’ensemble des groupes politiques représentés au Parlement.

Aujourd’hui, a été présentée au conseil des ministres une communication sur la consultation en vue de l’inscription, dans la Constitution, d’une règle d’équilibre de nos finances publiques.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les contours de cette révision constitutionnelle et nous en préciser les modalités ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-nous Valéry !

M. le président. La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, c’est une décision très importante qui a été annoncée ce matin par le Premier ministre au conseil des ministres à la demande du Président de la République : celle qui consiste à proposer à la représentation nationale de se retrouver le moment venu au Congrès…

M. Jean-Pierre Brard. Ça nous permettra d’acheter des cartes postales. La veille des élections, c’est toujours ça !

M. François Baroin, ministre. …pour revisiter notre loi fondamentale et inscrire enfin dans notre loi suprême la règle d’or qui fixe définitivement le projet politique de la France du retour à l’équilibre budgétaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe NC.) Nos amis et voisins allemands l’ont fait ; nous allons dans cette direction.

M. Roland Muzeau. C’est vous qui avez voté Maastricht !

M. François Baroin, ministre. Cet élément est conforme à la trajectoire, aux objectifs intangibles en matière de réduction des finances publiques que nous nous sommes fixés.

Nous avons fait voter une loi de programmation des finances publiques dont je rappelle que l’objectif est de revenir, en 2013, au même niveau de déficit que nous avions avant la crise et de le limiter, en 2014, à 2 % du PIB.

Le Premier ministre avait d’ailleurs fixé, avant l’été, un cadre exigeant pour l’ensemble des membres de son gouvernement afin d’imposer le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale sur toutes les dispositions de nature fiscale.

Enfin, nous avons pris un troisième engagement, celui d’avoir un rendez-vous régulier devant la représentation nationale sur les engagements que la France prend vis-à-vis de ses partenaires européens pour ce rendez-vous autour du « semestre européen ».

Vous le voyez, notre objectif est politique ; il est puissant, il est coordonné, il est intangible : nous réduirons nos déficits et nous nous en donnerons tous les moyens.

À cet égard, je me tourne, sans œillades particulières mais avec la main tendue, vers la gauche pour lui dire que ce que le Gouvernement propose n’est pas un marché de dupes ; c’est une affaire importante qui peut nous permettre de transcender les clivages particuliers, même à quelques encablures de la présidentielle, car c’est tout simplement l’intérêt de la France qui est en jeu. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Commande de camions
pour le ministère de la défense

M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Gerin. Monsieur le ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants, le Gouvernement se dit préoccupé par la désindustrialisation de la France : 800 000 emplois ont été perdus en dix-huit mois et Nicolas Sarkozy a fixé comme objectif la progression de 25 % de la production de biens industriels d’ici à 2015.

Seulement voilà, il y a les paroles et il y a les actes. Or, à cet égard, je vous prends la main dans le sac. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) En effet, le ministère de la défense vient de passer commande de deux cents camions militaires au groupe italien Fiat !

M. Jean-Pierre Brard. Non ?

M. André Gerin. Trois cents emplois sont menacés chez Renault Trucks, fournisseur de nos armées, alors que le marché global est de deux mille véhicules. Le Gouvernement a-t-il décidé d’amputer l’industrie nationale Renault Trucks de ses racines Berliet Saviem ? Ce serait un comble car l’argument de la concurrence est irrecevable. Souhaitez-vous favoriser les délocalisations ou la reconquête industrielle ? Vous voulez gagner des marchés à l’exportation, mais avec quoi le ferez-vous si nous ne produisons plus made in France ?

Monsieur le ministre d’État, allez-vous mettre le holà à cette décision inacceptable qui frappe l’industrie française, en l’occurrence Renault Trucks dont l’État demeure actionnaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le député, le ministère de la défense a lancé un appel d’offres pour l’acquisition de camions porteurs polyvalents terrestres.

Deux offres ont été déposées : celle de la société Renault Trucks, dont je rappelle qu’elle est une filiale du groupe suédois Volvo, et celle du partenariat de la société Iveco, filiale de Fiat et de la société familiale alsacienne Lohr.

Ces deux offres étaient de grande qualité et elles ont été examinées avec beaucoup d’attention. Au regard des critères fixés par le cahier des charges, c’est l’offre Iveco Lohr qui est apparue la mieux disante. Un marché de deux cents véhicules lui a donc été notifié.

Il va de soi que la société Renault Trucks garde toute sa place sur le marché des véhicules terrestres et qu’elle pourra soumissionner aux futurs appels d’offres que mon ministère va lancer pour l’acquisition d’un véhicule blindé.

M. Jean-Claude Sandrier. Heureusement !

M. Alain Juppé, ministre d’État. S’agissant des retombées sur l’emploi de la décision qui a été prise, je vous indique que la fabrication des deux cents véhicules commandés se fera pour les deux tiers sur le territoire français et que cette décision permettra de conforter la société alsacienne familiale Lohr ainsi que son réseau de sous-traitance. Je peux vous assurer que plusieurs de vos collègues alsaciens se sont réjouis de cette décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Emploi des jeunes

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Thierry Benoit. Ma question concerne l’emploi des jeunes et s’adresse à M. le ministre du travail.

La lutte contre le chômage reste la première priorité des Français. Aujourd’hui, 25 % des jeunes actifs de moins de vingt-cinq ans sont à la recherche d’un emploi. La France est de ce point de vue mal placée au niveau européen.

Ce fléau gangrène le développement personnel et familial de nos jeunes et renforce leur perte de confiance en l’avenir. Pour subvenir à leurs besoins, les jeunes sont souvent obligés d’accepter des emplois bien en dessous de leurs qualifications et précaires : contrats d’intérim, stages, CDD.

Vu la multiplicité des contrats, nous souhaitons un droit du travail simplifié compréhensible par tous. Avec le groupe Nouveau Centre, je fais une proposition : le Gouvernement ne devrait-il pas réfléchir à un contrat universel jeune à durée indéterminée à droits progressifs (Applaudissements sur les bancs du groupe NC), c’est-à-dire un contrat qui sécuriserait les parcours professionnels des jeunes et les sortirait de la précarité ?

Pour les jeunes sans qualification, la prise en charge par la collectivité de la formation professionnelle est essentielle. Vous souhaitez inciter les entreprises à avoir davantage recours aux contrats d’alternance. Quelles sont vos propositions ?

Nous accusons un réel retard dans ce domaine : seulement 7 % des jeunes Français suivent une formation par alternance. Quelles pistes concrètes le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre dans les semaines qui viennent ? L’emploi des jeunes doit être la priorité pour 2011. Les jeunes sont notre avenir et il y a urgence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Morano, ministre chargée de l’apprentissage et de la formation professionnelle.

Mme Nadine Morano, ministre chargée de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Monsieur le député, vous avez raison de dire que l’emploi des jeunes est une priorité absolue. Cela doit être un objectif national partagé. Comme vous le savez, les partenaires sociaux ont engagé des négociations. Ils se sont emparés du sujet de l’emploi des jeunes. Avec Xavier Bertrand, nous les avons rencontrés et, d’ici à la fin du mois de mars, nous prendrons des mesures en la matière.

Mais avant, je veux vous dire que, si c’est un objectif national partagé, nous devons y mettre les moyens et sortir du discours prônant « 80 % d’une classe d’âge au bac » pour nous fixer l’objectif de 100 % de jeunes formés. Pour atteindre cet objectif, il faut actionner un levier important, celui de l’alternance que nos voisins allemands ont développée depuis des décennies. La France est en retard sur ce sujet, c’est vrai.

Le Premier ministre nous a fixé une feuille de route concrète. Grâce au Grand emprunt, nous avons lancé un appel à projet pour consacrer 500 millions d’euros au développement de CFA multiplateaux et à la création de 15 000 places d’hébergement pour les apprentis. En outre, parce que cela concerne tout le monde, et notamment les régions (« Ah, voilà ! » sur les bancs du groupe SRC), nous allons négocier nos prochains contrats d’objectifs et de moyens auxquels l’État consacrera chaque année plusieurs centaines de millions d’euros. Et chaque fois que l’État engagera un euro, nous souhaitons que les régions mettent aussi un euro. C’est un objectif national partagé.

Nous devons également trouver, avec les entreprises, les dispositifs qui nous permettront de mieux aider les jeunes en matière d’hébergement et de services, un peu à l’instar des étudiants, et de les conduire tous vers l’emploi. L’alternance est l’un des leviers importants que nous devons privilégier. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Tunisie

M. le président. La parole est à M. Olivier Dussopt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Olivier Dussopt. Monsieur le Premier ministre, le 28 juin, dans un courrier qu’il vous a adressé, le Président de la République avait menacé de sanctions les ministres ne respectant pas les règles éthiques, notamment sur leurs frais privés. Il avait promis une République irréprochable et nous sommes aujourd’hui face à une complaisance coupable qui amène vos ministres à ne pas dire toute la vérité.

Ainsi Mme Alliot-Marie a-elle justifié avoir utilisé, lors de ses vacances privées, le jet d’un homme d’affaires, M. Miled, associé à plusieurs membres du clan Ben Ali en Tunisie, en le présentant comme une victime du régime. Drôle de victime que cet homme, membre du comité central du parti au pouvoir, qui a signé une pétition pour Ben Ali et financé sa campagne, et dont la Suisse a gelé les avoirs le 19 janvier dernier !

Deuxième exemple, alors que Mme Alliot-Marie, toujours elle, avait affirmé, devant nous, que la coopération avec la police tunisienne était restée dans le seul cadre d’Interpol, vous l’avez vous-même démentie. Dans un courrier adressé, le 31 janvier, au président du groupe socialiste vous reconnaissez que des livraisons de matériel de maintien de l’ordre ont été autorisées par votre gouvernement. Vous précisez que quatre autorisations ont été délivrées : deux le 8 novembre, deux autres le 12 janvier, soit deux jours avant la fuite de Ben Ali et le lendemain des déclarations fracassantes de Mme Alliot-Marie.

M. Jean-Pierre Brard et M. Bernard Roman. Scandaleux !

M. Olivier Dussopt. Ces dernières livraisons n’ont pas eu lieu uniquement à cause d’un contrôle du service des douanes. Le ministère des affaires étrangères n’a suspendu les autorisations que le 18 janvier, soit quatre jours après la chute du régime.

Le soutien sans faille à un régime dictatorial, des voyages privés et controversés, le fait de ne pas dire toute la vérité sur la coopération, tout cela discrédite la parole de la France et fait que notre pays n’est plus entendu en Tunisie et dans tous les pays qui aspirent à la démocratie. C’est une faute diplomatique, mais c’est aussi une faute économique quand on connaît l’ampleur des investissements des entreprises françaises dans les pays en question et le risque qui pèse sur leur implantation.

Pour rétablir un dialogue de confiance avec toute une région du monde, monsieur le Premier ministre, votre ministre des affaires étrangères est disqualifiée. Allez-vous prendre vos responsabilités et nommer un nouvel interlocuteur pour nos partenaires ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Plusieurs députés du groupe SRC. Démission !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur Dussopt, compte tenu de l’ensemble des mensonges proférés ces derniers jours, je comprends que certains puissent s’interroger. Votre question va me permettre de rétablir la vérité, parce je n’ai pas l’intention de laisser dire n’importe quoi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Briand. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. J’ai déjà montré qu’avec le Premier ministre nous avons été les premiers à dénoncer l’usage disproportionné de la force et à regretter les violences. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez attendu le départ de M. Ben Ali pour vous exprimer, et vous avez attendu encore trois jours pour l’exclure de l’Internationale socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

En ce qui concerne les livraisons, je vous rappelle – le Premier ministre vous l’a dit – qu’il n’y a eu aucune livraison de matériel soumis à des autorisations en Tunisie en décembre ou en janvier.

Je vous rappelle aussi que si je prends parfois mes vacances en Tunisie c’est à mes frais s’agissant tant du voyage que de l’hôtel.

En ce qui concerne, enfin, le problème de l’avion que vous soulevez et les relations amicales que je peux avoir avec certains, je veux simplement dire une chose. Arrivant après Noël à Tunis, un ami qui allait à Tabarka, lieu final de destination, avec son avion, m’a effectivement proposé de voyager avec lui puisqu’il avait des places plutôt que de faire deux heures de voiture. Il n’a à aucun moment mis son avion à ma disposition. Je l’ai accompagné pendant vingt minutes de trajet en avion. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)

Cette personne, que vous osez aujourd’hui attaquer, est un chef d’entreprise respecté en Tunisie, d’autant plus respecté d’ailleurs que, après avoir été spolié par M. Trabelsi, qui a en effet pris de force une partie de son capital et sa présidence, cette même personne a été, la semaine dernière, rétablie dans ses droits par le gouvernement tunisien. Monsieur le député, céder à la facilité de jeter l’opprobre face à des contrevérités ne vous grandit pas ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plan « Sciences »

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Frédéric Reiss. Ma question, à laquelle j’associe Edwige Antier, s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

Monsieur le ministre, vous venez de présenter dans ce lieu emblématique qu’est le Palais de la découverte un plan ambitieux pour les sciences et les technologies à l’école. C’est tout à votre honneur de vouloir leur donner un souffle neuf et une impulsion décisive. Vous avez réaffirmé la nécessité de revenir aux fondamentaux ; la maîtrise des principaux éléments de mathématiques et de la culture scientifique et technologique est d’ailleurs le troisième pilier du socle commun.

Dès le plus jeune âge, il est important d’apprivoiser les nombres et de s’émerveiller devant les sciences expérimentales. De nombreuses initiatives vont dans le bon sens. Je pense évidemment à « La main à la pâte », du regretté professeur Charpak, ou à « Maths en jeans », dont le slogan est « Ne subissez pas les maths, vivez-les ! » Je pense aussi au plan de promotion des sciences et des techniques développé dans certaines académies ou encore aux possibilités offertes par Universcience à Paris et « Le Vaisseau » à Strasbourg.

En 2006, lors d’une mission d’information pour l’enseignement des sciences à l’école, j’ai constaté, avec mon collègue Jean-Marie Rolland, à quel point les sciences peuvent être un excellent outil d’intégration sociale, utile pour lutter contre le décrochage scolaire.

Éveiller la curiosité des jeunes est une condition nécessaire mais non suffisante pour leur faire acquérir une démarche scientifique : celle du chercheur qui s’appuie sur des connaissances solides. La clef de la réussite du plan « Sciences » tiendra dans la formation des maîtres, et c’est sans doute par là qu’il faudra commencer.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous développer le goût des sciences et des technologies au collège et encourager les vocations scientifiques, notamment pour les jeunes filles, au lycée ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le député, la France manque de vocations scientifiques : nous formons chaque année quarante-cinq ingénieurs pour dix mille habitants, tandis que, dans le même temps, il s’en forme en Chine soixante et un pour dix mille ; il faut savoir que huit ingénieurs sur dix dans le monde sont formés en Asie du sud-est.

Nous vivons un paradoxe : jamais les questions scientifiques n’ont autant suscité la curiosité de notre jeunesse, mais jamais les vocations scientifiques n’ont été aussi faibles chez nos bacheliers. Afin d’inverser cette tendance, il nous faut redonner aux enfants le goût des sciences dès le plus jeune âge ; c’est la vocation du plan que j’ai présenté hier au Palais de la découverte.

Redonner le goût des sciences passe par la maîtrise des fondamentaux dès le plus jeune âge. Or je rappelle qu’un élève sur trois en CM2 maîtrise mal les fondamentaux en calcul et en mathématiques. Aussi ai-je décidé de revenir sur ces fondamentaux : apprentissage du calcul, maîtrise par cœur des tables de multiplication et d’addition, calcul mental, à raison de quinze à vingt minutes par jour dans toutes les classes, telles sont nos réponses au problème de l’innumérisme.

Nous avons également décidé de travailler au collège sur un enseignement intégré des sciences, avec un professeur qui enseigne à la fois la physique, la chimie, la technologie, les sciences de la vie et de la terre, à partir d’expériences qui rendent les sciences plus parlantes.

Au lycée enfin, nous avons décidé de mieux orienter les élèves. L’ONISEP vient de développer un site plus ouvert sur les carrières scientifiques.

Mon ambition, monsieur le député, est bien de redonner à la France sa place dans le monde scientifique, et l’école doit y prendre toute sa part. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Exploitation du gaz et de l’huile de schiste

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Yves Cochet. Je tiens d’abord à m’associer à la question posée par Olivier Dussopt à Michèle Alliot-Marie. Je suis moi aussi indigné et révolté (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), madame la ministre, par vos propos et votre comportement. C’est amicalement et sobrement que je vous dis : Partez ! (Vives protestations puis huées sur les bancs du groupe UMP.)

Ma question s’adresse à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et concerne les huiles de schiste.

Nous savons que le bilan écologique de l’exploration et de l’exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels est catastrophique. Elles entraînent à la fois la pollution massive des eaux et de l’air, la destruction des paysages et des milieux naturels.

La différence dont vous parlez, madame la ministre, entre les méthodes d’exploitation françaises et américaines n’existe pas : c’est toujours le forage horizontal et l’hydrofracturation, sans lesquelles il n’y a pas d’exploitation possible.

Rien que dans le bassin parisien, plus de cinq mille kilomètres carrés sont concernés, notamment à Château-Thierry, où vous avez autorisé la firme privée Toreador à réaliser un puits d’exploration. Globalement ces explorations concernent plus de 10 % du territoire français. Je vous demande donc aujourd’hui de suspendre les permis d’exploration du gaz et de l’huile de schiste qui ont été délivrés. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur Cochet, ont été accordés en France trois permis d’exploration du gaz de schiste et trois permis d’exploration de l’huile de schiste. Il s’agit bien de permis d’exploration et non de permis d’exploitation. Les travaux auxquels ils donnent éventuellement lieu servent à évaluer un gisement et non à l’exploiter.

Pour ce qui concerne l’huile de schiste, la procédure est plus avancée que pour le gaz, et les autorisations de travaux ont été données, non pour l’exploitation mais, j’insiste, pour l’exploration.

Compte tenu des techniques très contestées – à raison, je le crois –, utilisées en Amérique du nord, il y a lieu de redoubler de vigilance. Éric Besson et moi avons donc confié une mission aux conseils généraux du développement durable et de l’industrie pour qu’ils évaluent les enjeux en matière d’environnement.

Sous l’autorité du Premier ministre, nous allons réunir sans délai les industriels détenteurs de ces autorisations d’exploration sur l’huile de schiste. Mon objectif est clair : empêcher tous travaux tant que les conditions environnementales ne seront pas clarifiées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Bilan d’activité des entreprises

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Michel Diefenbacher. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé des petites et moyennes entreprises. Elle porte sur la dernière enquête semestrielle de conjoncture réalisée par Oséo auprès des petites et moyennes entreprises, dont les résultats viennent d’être rendus publics.

En France, les PME représentent environ 17 millions d’emplois, ce qui est considérable. L’état d’esprit des chefs d’entreprise, leur analyse de la situation économique et leurs prévisions sur l’évolution de la conjoncture doivent donc faire l’objet d’une attention toute particulière.

Que nous disent les chefs d’entreprise ? Essentiellement quatre choses.

D’abord, la hausse moyenne du chiffre d’affaires en 2010 a été beaucoup plus forte que ce qui avait été prévu l’été dernier, soit 3,6 % contre 1%.

Ensuite, le rythme des embauches s’est accéléré dans les entreprises de 100 à 500 salariés, essentiellement dans les entreprises innovantes et exportatrices, ce qui confirme au passage que l’innovation n’est pas, bien au contraire, ennemie de l’emploi.

En troisième lieu, les trésoreries ont retrouvé leur situation d’avant la crise.

Reste un quatrième point, l’investissement, dont, incontestablement, le redémarrage reste trop lent. C’est le cas notamment dans les très petites entreprises. Or l’investissement est déterminant : d’abord parce qu’il conditionne la compétitivité des entreprises et donc la pérennité des activités et des emplois ; ensuite parce que cet indicateur reflète très bien le niveau de confiance, qui est le levier essentiel de la croissance.

Monsieur le secrétaire d’État, comment analysez-vous ces évolutions ? Le Gouvernement est-il prêt à prendre de nouvelles initiatives pour soutenir l’investissement des entreprises et conforter ainsi l’indispensable confiance des partenaires dans la reprise de notre économie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.

M. Maxime Gremetz. Le mouton noir !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur Diefenbacher, vous avez rappelé la place que tiennent les PME et les TPME dans notre tissu économique et souligné que l’enjeu était leur capacité d’investissement pour les mois qui viennent.

Je veux d’abord dire que pendant la crise, l’État a pris beaucoup de bonnes habitudes, pour soutenir les PME sur le terrain. Après la crise, il faut les maintenir. Ainsi, trente milliards d’euros ont été consacrés au financement des PME grâce à un certain nombre de dispositifs : la réforme de la taxe professionnelle, le crédit d’impôt recherche, l’ISF-PME, le fonds stratégique d’investissement, les investissements d’avenir, la réduction des délais de paiement qui a permis aux PME de récupérer trois milliards d’euros, la médiation du crédit, l’ensemble des outils Oséo.

Peut-on mettre en place de nouveaux outils, demandez-vous. D’abord, sous l’impulsion du Président de la République, avec Christine Lagarde…

M. Jean-Pierre Brard. Courtisan !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. …nous travaillons à mieux orienter l’épargne des Français qui bénéficie d’avantages fiscaux vers les PME industrielles.

Nous avons également un autre grand chantier. « L’impôt papier » auquel sont soumises les entreprises équivaut à 3 % à 4 % du PIB. Il faut donc travailler à la simplification. Le Premier ministre a nommé un commissaire de la simplification. Le président de la commission des lois de l’Assemblée, Jean-Luc Warsmann, a également été chargé d’une mission à cet égard. Je lui ai demandé de coprésider avec un chef d’entreprise les assises de la simplification.

Avec cette nouvelle méthode qui fait travailler ensemble entreprises, Gouvernement, Parlement, je suis convaincu que nous dégagerons des centaines de millions d’euros au bénéfice de ces PME qui ont besoin d’investir et dont la réussite est un enjeu pour l’avenir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Conflits d’intérêts

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Eckert. Monsieur le Premier ministre, il y a un an j’évoquais ici même les conflits d’intérêts à propos du cumul des fonctions de M. Woerth, à la fois ministre du budget et trésorier de l’UMP. Cette question avait alors été qualifiée de stupide. On connaît la suite : M. Woerth n’est plus ministre, M. Woerth n’est plus trésorier de l’UMP, et les affaires reprennent.

Malgré les gesticulations et les discours du Président de la République, tout reprend comme avant. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Roubaud. Non !

M. Christian Eckert. Ainsi, la semaine dernière, le premier cercle a fait sa réapparition. Dans les sous-sols d’un grand hôtel parisien près de la porte Maillot, le Président de la République est allé saluer les membres du premier cercle. Il n’a eu de cesse de leur vanter la disparition programmée de l’ISF.

Ce soir même, selon la presse, à l’hôtel Matignon, résidence officielle du Premier ministre, France 9, le micro-parti de M. Fillon, sera reçu sous les ors de la République. France 9 est bien un micro-parti, financé par l’UMP, qui lui-même reçoit de l’argent public.

M. Jean Mallot. Très juste !

M. Christian Eckert. Mais le 19 octobre 2010, la majorité a rejeté les propositions de loi socialistes de Régis Juanico, Gaétan Gorce et moi-même, visant à interdire un certain nombre de pratiques.

M. Bernard Deflesselles. Celles de Guérini ?

M. Christian Eckert. Ces pratiques sont décrites dans le rapport Sauvet.

Monsieur le Premier ministre, assumez-vous la réception de ce soir ? Qui la finance ? Vous engagez-vous à présenter au Parlement un texte qui reprenne nos propositions de loi ? Mais peut-être considérez-vous que les partis et les micro-partis ne sont qu’au service de leurs donateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Eckert, vous prenez beaucoup de risques à aller sur ce terrain-là. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Ce sont des menaces ?

M. François Baroin, ministre. Bien sûr, vous le faites vêtu de probité candide et de lin blanc, selon la formule de Victor Hugo, car, c’est bien connu, aucun élu socialiste, aucun, n’a reçu de militants, d’associations de soutien lorsqu’il était au pouvoir. C’est bien connu, aucune candidate socialiste à l’élection présidentielle n’a de liens avec les milieux économiques. Aucun de vous ne cumule des fonctions de député et la présidence d’un exécutif local. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.) Aucun d’entre vous n’est à la tête d’un micro-parti, aucun n’a de conjoint ou de conjointe qui a travaillé ou travaillera dans le privé.

M. Christian Jacob. Que se passe-t-il à Marseille ?

M. François Baroin, ministre. Quand on ne peut pas porter en bandoulière une vertu que l’on n’a pas, on ne se pose pas en Robespierre et on ne se prête pas le talent d’Eliot Ness !

Revenons aux choses sérieuses. Je regrette d’autant plus votre question qu’actuellement, à l’Assemblée, un groupe de travail dont les rapporteurs sont Mme Grosskost de l’UMP de M. Balligand qui appartient à votre groupe, a été mis en place sur ce sujet qui pourrait faire l’objet d’un consensus : il reflète l’évolution naturelle des exigences de notre société envers les décideurs publics qui sont des serviteurs de l’État, ce qui comprend les élus jusqu’aux maires de communes de plus de 5 000 habitants, mais réaffirme bien que la démocratie, qui décide de l’avenir de notre pays, est dans cet hémicycle.

C’est pourquoi nous l’avons dit, le Premier ministre, quelques membres du Gouvernement et moi-même, nous ne sommes pas favorables à ce que des élus ne prennent pas leurs responsabilités, mais nous ne sommes pas favorables non plus à ce que, sous couvert de lutter contre les conflits d’intérêts, on mélange la sphère publique et la sphère privée, où les questions de cumul ne se posent pas.

Pour autant, monsieur Eckert, je vous renvoie aussi à l’image que donnent les vôtres. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Activité des douanes et RGPP

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Étienne Blanc. Avant de poser ma question, je veux souligner que, comme l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, j’ai été choqué par l’arrogance, l’immodestie et l’agressivité absolument injustifiée de M. Yves Cochet que nous pourrions inviter à garder raison. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe NC.)

Monsieur le ministre du budget, le 27 janvier dernier, à Bercy, vous avez présenté le bilan d’activité de l'administration des douanes pour ses quatre missions principales : la sécurisation et la protection de l'économie légale, la lutte contre les contrefaçons et la protection des consommateurs, la protection du patrimoine culturel et naturel, enfin, la lutte contre la criminalité organisée.

J’appelle votre attention sur le fait que tous les élus des zones frontalières reste très attachés au rôle de la douane en matière de sécurité et à ses activités judiciaires qui sont complémentaires, sur ces territoires, de l’action de la gendarmerie et de la police.

Monsieur le ministre, pouvez-vous tout d’abord nous décrire les points saillants du bilan de l’activité des douanes pour l’année 2010 ?

Pouvez-vous également faire le point sur la révision générale des politiques publiques pour ce qui concerne la douane ? Aujourd’hui, environ 18 000 agents sont en charge de la sécurisation des échanges, mission capitale dans une économie ouverte sur le monde. Quel bilan pouvez-vous tirer de la RGPP ? Quelles sont les nouvelles perspectives qu’elle ouvre à l’administration des douanes ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, en tant que ministre du budget, j’ai, en effet, présenté les résultats de l’activité des douanes en 2010.

J’ai adressé un message de félicitations à nos douaniers et au directeur général des douanes. La promotion de ces serviteurs éminents de l’État est d’ailleurs assurée grâce à la sortie d’un film qui n’a rien coûté à l’État et qui met en lumière le travail qu’effectuaient nos douaniers il y a une quinzaine d’années. Je les ai aussi félicités pour la réalité du travail effectué aujourd’hui, notamment pour la déclinaison de la révision générale des politiques publiques et pour la progression des résultats constatés.

En effet, l’an dernier, 309 millions d’euros de stupéfiants ont été sanctuarisés, ce qui constitue un message très fort à l’adresse de l’économie parallèle et des trafiquants de drogue. Nos douaniers ont aussi intercepté un total de 6,2 millions d’articles de contrefaçon, ce qui représente un soutien considérable aux activités légales, à nos entreprises, à la création d’investissements et à la protection des emplois. Par ailleurs, 347 tonnes de tabac et de cigarettes de contrebande ont été saisies, soit le meilleur résultat enregistré depuis vingt ans. Là encore, il s’agit à la fois d’un message très fort adressé aux trafiquants et d’une action qui soutient puissamment l’activité des débitants de tabac, acteurs majeurs de l’aménagement du territoire et de la déclinaison des services publics en matière d’offre légale de tabac.

En ce qui concerne la mise en œuvre de la RGPP appliquée au sein de l’administration des douanes, je crois que cette dernière nous donne un beau modèle d’une administration qui s’est modernisée, réformée et rénovée. Elle a accepté la réduction des effectifs tout en faisant, dans le même temps, progresser ses résultats. Tant par ses résultats que par sa capacité de modernisation, le modèle douanier constitue une référence pour l’ensemble de notre administration. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Effectifs de la police et de la gendarmerie

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Marylise Lebranchu. Avant de poser ma question, je veux dire, sans arrogance et avec modestie, que je ne suis pas certaine que les réponses des ministres qui sont en responsabilité contribuent forcément à la construction d’une République irréprochable et à la diffusion d’une bonne image de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. Et les questions alors !

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, nous n’arrêtons pas de vous dire qu’il est incohérent de constater l’augmentation du nombre des actes de violence et, dans le même temps, de réduire les effectifs de police et de gendarmerie.

À la pression quotidienne que subissent sur le terrain les policiers et les gendarmes – autrement dit, la politique du chiffre – s’ajoute, aujourd’hui, un mélange d’émotion et d’indignation chez les gendarmes. Au cours des discussions budgétaires, nous n’avons pas cessé de demander l’équilibre de l’évolution des effectifs entre gendarmerie et police.

Monsieur le ministre, après la mobilisation syndicale que chacun connaît, vous avez été obligé de renoncer à dissoudre deux compagnies de CRS, même si elles ont enregistré une perte d’effectifs. Or, au même moment, vous faites annoncer la suppression d’escadrons à Arras ou encore à Rennes où sont accueillis des gendarmes de retour d’Afghanistan. Huit escadrons ont déjà été supprimés en 2010 ; sept le seront en 2011. Si chaque gendarme ou chaque policier est prêt à discuter sereinement de l’affectation des moyens, aucun ne peut accepter les coupes claires d’une RGPP difficile à comprendre parce qu’elle est non seulement violente mais aussi inégalitaire.

Monsieur le ministre, reviendrez-vous aussi sur les décisions relatives aux gendarmes, et nous direz-vous enfin qu’il n’y a pas de RGPP qui vaille lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur divers blancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Madame Lebranchu, votre question me permet de rétablir trois vérités.

Premièrement, comme l’observatoire indépendant de la délinquance l’a indiqué, dans notre pays, la délinquance globale a diminué cette année. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous évoquez les violences aux personnes, et vous avez raison. Elles ont augmenté de 2,5 %. C’est 2,5 % de trop, mais c’est cinq fois moins que la progression enregistrée lorsque vous étiez au pouvoir. (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.) Vous devriez avoir l’honnêteté de le reconnaître.

Deuxièmement : ces progrès incontestables sont dus à l’engagement fort des policiers et des gendarmes qui paient un lourd tribut puisque, au cours de l’année 2010, dix-neuf d’entre eux ont été tués et 12 000 blessés.

M. Henri Emmanuelli. C’est pour cela que vous supprimez des postes !

M. Brice Hortefeux, ministre. Troisièmement : la délinquance bouge, et nous devons nous adapter. Vous évoquez les effectifs, mais il y a aujourd’hui plus de policiers et de gendarmes que lorsque vous étiez au pouvoir. (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Menteur !

M. Brice Hortefeux, ministre. Vous évoquez la situation sociale, mais le passage en catégorie B concernant 94 000 policiers a été approuvé par la totalité des organisations syndicales. La décision prise hier d’affecter deux cent soixante policiers supplémentaires sur le terrain par redéploiement des CRS a été, elle aussi, approuvée par la totalité des organisations syndicales. La décision de faire bénéficier les gendarmes des avancées permises par le passage en catégorie B témoignent concrètement de la préoccupation sociale et de la reconnaissance du Gouvernement.

Madame Lebranchu, vous dites souvent que vous êtes dans l’opposition depuis huit ans (« Neuf ! » sur les bancs du groupe SRC.) ; après huit ans, vous en êtes toujours à zéro proposition. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.Protestations sur les bancs du groupe SRC.)


Mise en œuvre du RSA à la Réunion

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Farreyrol, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Jacqueline Farreyrol. Madame la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, ayant eu l’immense plaisir de vous accompagner lors de nombreuses étapes de votre déplacement dans l’île de la Réunion, la semaine dernière, j’ai pu apprécier votre parfaite connaissance des problématiques de notre île.

À l’occasion de cette visite, vous avez lancé l’extension aux départements d’outre-mer du Revenu de solidarité active, le RSA, sujet auquel mon collègue René-Paul Victoria, ici présent, a consacré un important travail que je tiens à saluer. L’extension du RSA aux DOM marque une étape importante. Nous devons en effet, à la Réunion comme dans d’autres départements, nous concentrer sur l’insertion professionnelle et l’accompagnement des futurs bénéficiaires du RSA.

Se pose maintenant la question de la mise en œuvre concrète de ce dispositif : comment va-t-il s’articuler avec les prestations existantes et en quoi va-t-il encourager une reprise d’activité salariée ? Madame la ministre, je vous remercie de bien vouloir nous apporter des précisions sur ce sujet fondamental, qui est au cœur de nos préoccupations et de celles de beaucoup de nos concitoyens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Madame la députée, je vous remercie de m’avoir aussi bien accueillie lors de ce déplacement dans votre belle île de la Réunion, qui m’a permis de vérifier l’installation du dispositif du Revenu de solidarité active. Celle-ci est effective depuis le 1er janvier dernier, avec un léger décalage, dû à la nécessité d’adapter le dispositif à l’outre-mer – la ministre de l’outre-mer, Marie-Luce Penchard, y tenait particulièrement. Nous y sommes parvenus grâce aux travaux remarquables de René-Paul Victoria, qui nous a remis un rapport sur le sujet le 31 mai dernier.

Qu’est-ce que le RSA ? C’est tout d’abord un revenu minimum. C’est ensuite un complément de revenu pour les allocataires du revenu minimum qui retournent vers l’emploi. C’est enfin un parcours d’insertion.

Les titulaires du RMI, de l’API et de la prime de retour vers l’emploi n’ont aucune démarche à entreprendre : ils sont automatiquement versés dans le nouveau dispositif. S’agissant des bénéficiaires d’un complément de ressources – dans le cadre du RSTA, en outre-mer –, jusqu’à l’extension du RSA, nous étudions chaque dossier d’allocataire et le dispositif le plus favorable est systématiquement retenu. En ce qui concerne le parcours d’insertion, le déploiement de l’ensemble des acteurs permet d’établir des partenariats nouveaux.

Pour porter le nouveau dispositif à la connaissance des allocataires, une intense campagne d’information a été menée et dix guichets ouverts pour permettre l’accueil de la population, en appui de la politique de développement économique menée par Marie-Luce Penchard.

Éducation nationale

M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Dominique Orliac. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, la colère monte chez les enseignants, les parents d’élèves et les élus locaux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Elle s’exprimera le 10 février, lors d’une journée de grève et de mobilisation dans l’ensemble de la France. À l’origine de ce profond mécontentement, les suppressions de postes et la dégradation de la qualité de l’enseignement qu’elle entraîne. En effet, à la rentrée prochaine, pas moins de 16 000 postes seront supprimés sur l’ensemble du territoire, dont 8 700 dans les écoles primaires et 4 800 dans les collèges et lycées publics. Or, dans le même temps, selon votre ministère, les effectifs des élèves augmenteront de 62 000.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Eh oui !

Mme Dominique Orliac. Quelle étrange équation : 62 000 élèves en plus, 16 000 enseignants en moins !

M. Lucien Degauchy. C’est faux !

Mme Dominique Orliac. Plus d’élèves, plus de besoins et toujours moins de moyens humains et financiers : une telle politique aboutit inévitablement à des hausses d’effectifs dans les classes, à la disparition de certaines formations ou options et à une réduction des moyens de remplacement.

Alors que la dernière étude de l’OCDE constate un creusement des inégalités scolaires en France, la répartition des moyens confirme que les territoires les plus fragiles, notamment les territoires ruraux, sont, une fois de plus, les premiers à faire les frais de cette pénurie organisée par une RGPP sans état d’âme. Dans mon département, le Lot, cette politique a des conséquences inacceptables : suppressions de postes – 18 dans les écoles maternelles et élémentaires, 5 dans les collèges, 6,5 dans les lycées professionnels –, baisse de la scolarisation des enfants de deux ans, effectifs de 30 élèves dans les classes de 6e et de 35 élèves dans celles de seconde. Faute de remplaçants, des enseignants sont réquisitionnés et doivent laisser leurs élèves pour assurer les cours dans des classes uniques. Ce n’est même plus de la gestion des ressources humaines, c’est du bricolage au jour le jour !

Monsieur le ministre, souhaitez-vous être le ministre du recul et du déclin de la qualité de l’enseignement dans notre pays (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ? Voulez-vous être le ministre de l’accroissement des inégalités scolaires entre les territoires ? Face à un tel risque de démantèlement du service public de l’éducation nationale, pourquoi ne pas revenir sur ces suppressions de postes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la députée, vos propos sont tellement caricaturaux qu’ils vous empêchent de voir la vérité. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La réalité, c’est qu’à la prochaine rentrée, il y aura plus de professeurs et moins d’élèves qu’il y a vingt ans. (Mêmes mouvements.)

M. Henri Emmanuelli. Et sur le terrain ?

M. Luc Chatel, ministre. La réalité, c’est qu’au moment où, en Europe, de grands pays licencient leurs fonctionnaires et baissent la rémunération de leurs enseignants – l’Italie supprime 80 000 postes d’enseignants, le Portugal ferme un tiers de ses écoles (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) –, la France a choisi, cette année, d’augmenter le budget de l’éducation nationale d’1,6 %,…

M. Maxime Gremetz. Ridicule !

M. Luc Chatel, ministre. ...de recruter 17 000 personnes et d’augmenter ses enseignants en début de carrière de 10 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La réalité, c’est que nous nous attaquons aux véritables problèmes. Ainsi, au mois d’avril, nous mettrons en œuvre un suivi individualisé des décrocheurs scolaires. Nous avons également choisi d’augmenter de 10 % par an le nombre des enfants handicapés accueillis dans le système éducatif et de personnaliser l’enseignement tout au long de la scolarité.

Enfin, la réalité, madame la députée, c’est que vous êtes incapable d’assumer les actes de vos amis. Vous êtes élue du Lot ; que fait la région Midi-Pyrénées ? (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Claude Greff. Rien !

M. Luc Chatel, ministre. Le conseil régional baisse ses investissements dans les lycées de 9 % cette année. (Huées sur les bancs du groupe UMP.) Alors, de grâce, ne nous donnez pas de leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Philippe Martin. Voleur !

Nouvelles normes dans le secteur de l’hôtellerie

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Marcon, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (Les députés des groupes SRC et GDR scandent « Voleur ! Voleur ! » à l’intention de M. Luc Chatel.)

M. Jean-Pierre Marcon. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. (M. Luc Chatel quitte l’hémicycle sous les huées des députés des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Allons, mes chers collègues ! Seul M. Marcon a la parole !

Poursuivez, monsieur Marcon.

M. Jean-Pierre Marcon. En juillet 2011, dans quelques mois, de nombreux établissements recevant du public devront être conformes aux nouvelles normes de sécurité contre les risques d’incendie et de panique. Or ces exigences techniques sont difficilement applicables sur certains sites, quand elles n’entrent pas en contradiction avec celles imposées précédemment.

En conséquence, ces difficultés techniques et les exigences coûteuses qui en découlent non seulement gênent les collectivités, mais aussi fragilisent les propriétaires, notamment les hôteliers indépendants qui font la richesse et la diversité de notre accueil, contraignant certains d’entre eux à la cessation d’exploitation.

Certes, des mesures garantissant la sécurité des personnes sont nécessaires, indispensables et incontournables, mais ,pour autant, les textes ne sont pas toujours en corrélation avec la réalité de notre parc hôtelier indépendant. Par ailleurs, il serait particulièrement judicieux de différencier les hôtels touristiques et d’affaires des hébergements hôteliers sociaux.

L’été 2011 est une échéance difficilement tenable pour une majorité d’établissements indépendants, à faible rentabilité, souvent situés en zone rurale, alors même qu’ils doivent déjà envisager de se mettre en conformité avec les règles relatives à l’accès des handicapés pour 2015, date à laquelle ils devront effectuer, donc financer de nouveaux travaux en intégrant de nouvelles normes de sécurité qui ne manqueront pas d’être édictées d’ici là.

Je souhaite savoir, monsieur le secrétaire d’État, si vous envisagez de repousser la date d’application de ces normes en harmonisant, comme le réclament élus et professionnels de l’accueil, le calendrier de programmation des travaux concernant les deux exigences incendie et handicap en une seule échéance, celle du 1er janvier 2015. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le député, vous avez parfaitement expliqué quelle est la difficulté dans laquelle se trouvent aujourd’hui nombre d’établissements, en particulier dans les zones rurales, et je ne reviendrai pas sur la description que vous avez faite. On pourrait citer le rapport que chacun connaît, qui montre, que sur 17 000 établissements, 3 500 seraient effectivement fragilisés par l’application de ces normes si l’on ne réfléchissait pas à des mesures d’aménagement.

C’est pourquoi il a été décidé de mettre en place une mission interministérielle, qui rendra ses conclusions au mois de mars. Plusieurs pistes sont actuellement à l’étude, notamment une mise en œuvre plus homogène des dérogations sur le terrain – car des dérogations sont prévues – et, pour les petits établissements, la possibilité d’adapter certaines des normes ainsi que le calendrier.

J’ai rencontré les professionnels, lesquels sont les premiers à dire que l’on ne peut évidemment transiger sur les questions de sécurité, qu’il s’agisse des normes incendie ou des normes d’accessibilité aux personnes handicapées. Vous comprendrez que le Gouvernement lui-même ne puisse transiger sur ces questions.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas vrai ! Menteur !

M. le président. Allons, monsieur Gremetz !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Néanmoins, nous prendrons des décisions à la fois pragmatiques et de nature à permettre d’avancer sur ces questions. On finance aujourd’hui un diagnostic détaillé, on réfléchit à des mesures d’incitation et – pourquoi pas ? – d’harmonisation des travaux.

M. Maxime Gremetz. C’est faux !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Comme vous le voyez, nous entendons parfaitement l’inquiétude qui s’est exprimée dans certaines zones rurales de notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Maxime Gremetz. Vous êtes un menteur !

Agriculture biologique

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance des questions au Gouvernement n’est pas terminée.

La parole est à M. William Dumas, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. William Dumas. Nous avons vu partir M. le ministre de l’éducation nationale. Sans doute était-il pressé d’aller vérifier qui, de l’État ou des régions, a la compétence en matière d’éducation. (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche de la ruralité et de l’aménagement du territoire, la loi de finances votée à la mi-décembre prévoit une réduction de moitié du crédit d’impôt dont pouvaient bénéficier les agriculteurs convertis au bio, ce crédit passant de 4 000 euros à 2 000 euros. Cette mesure visait surtout à aider les petites exploitations. Aujourd’hui, nous constatons avec inquiétude que l’effort environnemental ne fait plus partie de vos engagements. Une récente étude montre que la France reste la championne dans l’utilisation des pesticides et votre ministère abuse de dérogations pour des produits interdits du fait de leur dangerosité pour la santé.

Alors que le Grenelle de l’environnement programmait 6 % de surface agricole en bio en 2012 et 20 % en 2020, vous avez choisi de stopper net cette ambition. Selon une autre étude, une région que je connais bien, le Languedoc-Roussillon, se classe en tête des régions de France pour la dynamique de la conversion, avec un nombre d’exploitations bio en augmentation de près de 35 % en un an. Dans le Gard, les surfaces de reconversion ont augmenté de 40 % entre 2008 et 2009.

Ces exploitants, souvent viticulteurs, ont réalisé des investissements souvent importants dans du matériel pour se mettre aux normes, car les coûts de la filière bio sont plus élevés que ceux de la viticulture conventionnelle. Ils ont cru en une nouvelle ère, celle du Grenelle de l’environnement. Or aujourd’hui, alors que les produits bio sont pourtant plébiscités par le public, comme le prouve l’augmentation de la demande de plus de 10 % par an, et que près de 40 % des produits bio consommés sont actuellement importés, on réduit de moitié les aides qu’on a fait miroiter aux exploitants.

Monsieur le ministre, comptez-vous revenir sur cette décision et redonner espoir à tous ces nouveaux petits exploitants bio qui ont cru en votre discours sur le Grenelle de l’environnement ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, je veux vous rassurer : Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même sommes déterminés à continuer à aider au développement de l’agriculture biologique dans notre pays. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Il y a aujourd’hui quinze nouvelles installations bio par jour, et nous allons continuer au même rythme. Contrairement à ce que vous avez affirmé, nous n’avons pas diminué les aides à l’agriculture biologique. Il y avait à l’origine deux aides distinctes non cumulables : chaque exploitant devait choisir soit le crédit d’impôt national de 2 000 euros, soit l’aide européenne à l’installation fournie par la Commission européenne, s’élevant également à 2 000 euros. J’ai voulu simplifier le dispositif en permettant aux agriculteurs qui veulent s’installer ou se convertir en bio de cumuler les deux aides, pour exactement le même montant.

Je reconnais qu’il y a une difficulté particulière pour les petits exploitants bio, en particulier les petits maraîchers. Vous savez que je suis déterminé à continuer à aider à l’installation et au maintien des petites installations agricoles – biologiques ou non –, notamment à proximité des grandes villes. Nous allons, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, trouver une solution pour ces petits agriculteurs bio.

Croyez-moi, nous ne laisserons personne sur le bord du chemin : chacun aura sa solution, que nous annoncerons dans les prochains jours, afin que l’agriculture biologique puisse continuer à se développer dans notre pays. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Prestation de serment d’un juge suppléant de la Cour de justice de la République

M. le président. L’ordre du jour appelle la prestation de serment devant l’Assemblée nationale d’un juge suppléant de la Cour de justice de la République.

Aux termes de l’article 2 de la loi organique sur la Cour de justice de la République, les juges parlementaires « jurent et promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats ».

J’invite M. Étienne Blanc à bien vouloir se lever et, levant la main droite, à prononcer les mots : « Je le jure ». (M. Étienne Blanc se lève et dit : « Je le jure ».)

Acte est donné par l’Assemblée nationale du serment qui vient d’être prêté devant elle.

4

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, à la demande de la commission des affaires sociales, le débat sur le fonctionnement de l’hôpital, qui avait été inscrit à la séance du jeudi 3 février après-midi sur son initiative, est retiré de l’ordre du jour.

M. Jean Mallot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Je tiens à réagir après l’annonce que vous venez de faire, monsieur le président.

L’ordre du jour qui nous a été distribué ce matin prévoit pour demain, l’après-midi à quinze heures et éventuellement le soir, un débat sur le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur le fonctionnement de l’hôpital.

Dans un premier temps, nous avons appris que ce débat aurait lieu finalement demain soir à partir de vingt et une heures trente, puis la rumeur a couru dans la journée que l’inscription même de ce débat était remise en cause. Vous venez à l’instant de nous confirmer que, « à la demande de la commission des affaires sociales », ce débat était retiré de l’ordre du jour. Je vois le président Méhaignerie entrer dans l’hémicycle ; peut-être pourra-t-il nous en dire un peu plus.

Vous le savez, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS, a travaillé sur ce sujet et a remis, en juin 2010, son rapport adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales, après avoir été adopté à l’unanimité par la MECSS elle-même. Ce rapport comporte un certain nombre de préconisations. Comme le veulent les textes, il a été transmis au ministre des affaires sociales et de la santé et devait, dans les deux mois suivant sa transmission, faire l’objet d’une réponse du ministre à nos propositions. La ministre, puis le ministre, n’ont pas répondu. Nous les avons relancés à plusieurs reprises. Peut-être du fait de l’inscription du débat à l’ordre du jour, j’ai enfin reçu, lundi matin, la réponse du ministre.

M. André Wojciechowski. Mieux vaut tard que jamais !

M. Jean Mallot. Très bien ! Mais nous apprenons à l’instant que le débat est retiré de l’ordre du jour.

Je me demande, d’une part, pourquoi le président de la commission des affaires sociales a lui-même demandé l’inscription d’un débat pour décider ensuite, tout seul, de le retirer. D’autre part, à quoi sert la conférence des présidents ? Elle avait inscrit ce débat à l’ordre du jour, or celui-ci en est retiré de façon péremptoire et sans qu’elle soit consultée.

La représentation nationale a besoin de comprendre ce qui se passe. On ne peut pas inscrire un débat puis le retirer comme cela, surtout à un moment où l’on prétend revaloriser le rôle du Parlement en matière d’évaluation et de contrôle. Cela vaut pour tous les rapports, y compris ceux qui sont faits par nos collègues de l’UMP. C’est un bien mauvais signal qui est donné.

Je souhaite que des réponses soient apportées sur les motivations de ces évolutions de l’ordre du jour et que des précisions nous soient données sur le moment où ce débat sera de nouveau inscrit.

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Mon cher collègue, lors de la conférence des présidents de mardi, il avait été prévu que le débat ait lieu dans l’après-midi de jeudi. Compte tenu d’une demande du groupe GDR tendant à prolonger le débat précédent, celui sur la santé et l’hôpital ne pouvait venir qu’à partir de vingt et une heures trente.

J’estime que le sérieux du travail de la MECSS exigeait quand même que ce débat puisse avoir lieu devant le maximum de nos collègues. J’ai donc préféré, dans la journée d’aujourd’hui, le différer de quelques semaines,…

M. Jean Mallot. Des semaines !

M. Pierre Méhaignerie. …quoique le moins possible, de façon à ce que nous ayons un débat de qualité.

Le passage à vingt et une heures trente le soir n’aurait pas permis un vrai débat, ce que mérite la qualité du travail de la MECSS.

M. André Wojciechowski. Il a raison !

M. le président. En tout état de cause, la conférence des présidents sera à nouveau saisie de cette question de l’inscription du débat et veillera, puisque c’est la raison de ce report, à ce que le moment convienne et que les conditions pour un débat de qualité puissent être réunies.

5

Débat sur l’OTAN et les orientations données aux forces armées françaises

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’OTAN et les orientations données aux forces armées françaises.

La parole est à M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants, mes chers collègues, le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Lisbonne les 19 et 20 novembre derniers marque une étape importante pour notre politique de défense. En effet, il a été l’occasion pour les vingt-huit chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance d’adopter un nouveau concept stratégique, d’annoncer une stratégie de transition en Afghanistan et de relancer la coopération entre l’OTAN et la Russie.

Le nouveau concept stratégique de l’Alliance permet aux alliés de s’adapter à un contexte stratégique qui a beaucoup évolué depuis celui qui avait été adopté en 1999. Je pense notamment au développement du terrorisme, de la piraterie et des cyberattaques.

Ces menaces nouvelles représentent un défi considérable, ne serait-ce que parce qu’elles impliquent une action renforcée du renseignement, ce qui passe par un rapprochement entre les alliés et donc un degré de confiance réciproque particulièrement élevé. Ces menaces impliquent aussi une mobilisation de moyens humains et financiers considérables, au moment même où nous sommes engagés dans une réduction de nos moyens au titre des efforts à consentir pour la maîtrise de nos déficits publics. Il me semble que la conjonction de ces contraintes ne peut que nous inciter à développer notre coopération entre alliés.

Par ailleurs, le nouveau concept réaffirme l’importance de la dissuasion, en précisant que les forces nucléaires indépendantes, comme celle de la France, représentent un élément important pour la sécurité de l’Alliance dans son ensemble. Je me réjouis de cette reconnaissance, tant de l’indépendance de notre dissuasion que de son rôle au profit de l’ensemble des alliés. Je salue au passage le courage politique de notre gouvernement, qui a maintenu les crédits nécessaires à la crédibilité de notre dissuasion.

Le nouveau concept stratégique repose aussi sur la reconnaissance pleine et entière de l’Union européenne comme partenaire essentiel de l’Alliance en matière de sécurité et de défense, ce qui représente la traduction du projet défendu par la France depuis plusieurs décennies.

Qu’il me soit permis de rappeler que notre vision repose largement sur la complémentarité entre l’OTAN et l’Union européenne.

M. André Wojciechowski. Tout à fait !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Il conviendra de veiller à ce que cette complémentarité soit préservée. Notre engagement auprès de l’OTAN se comprend comme un parallèle à l’engagement au service de l’Europe. Ne négligeons pas l’un au risque d’affaiblir l’autre.

Nos alliés nous ont souvent objecté que nos propositions de développement de la défense européenne n’étaient pas assez crédibles du fait que nous étions sortis de l’organisation militaire intégrée. Dorénavant, il n’y a plus aucun doute sur la cohérence de notre politique visant à développer le pilier européen de l’Alliance. La France peut aujourd’hui se montrer plus ambitieuse que par le passé…

M. André Wojciechowski. Elle doit être un moteur !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. …pour entraîner ses partenaires européens dans la construction d’une défense européenne qui donnerait tout son sens à notre union politique.

Permettez-moi, monsieur le ministre d’État, d’attirer votre attention sur un second point, qui porte sur la nécessité de préserver notre influence au sein de l’Alliance. La France a pu obtenir en 2009 deux grands commandements alliés. Il nous faudra veiller à ce que nos idées et notre vision des choses puissent prévaloir dans les années à venir.

Par ailleurs, à l’occasion du sommet, les vingt-huit membres de l’OTAN et leurs alliés ont officiellement annoncé le retrait progressif des forces armées présentes en Afghanistan, ainsi que le lancement du processus de transfert des responsabilités à la police et à l’armée afghanes. Il s’agit là d’une décision politique d’une importance cruciale pour nos forces armées, car elle indique clairement le chemin à suivre.

L’Alliance a une stratégie en Afghanistan. Ceux qui affirment le contraire semblent l’oublier. Les forces françaises mettent en œuvre la stratégie décidée par les plus hautes autorités de l’État français, et ce de manière tout à fait cohérente avec les décisions prises par l’Alliance, sans perte d’indépendance pour notre pays.

Nous ne pouvons que soutenir un processus par lequel le peuple afghan pourra recouvrer sa souveraineté et surtout devenir maître de son destin. Nous connaissons tous l’importance stratégique de l’Afghanistan. Nous ne pouvons pas imaginer que ce pays puisse redevenir le havre de prospérité pour le terrorisme qu’il a été depuis dix ans. Nous ne pouvons pas baisser les bras dans le combat que nous devons mener contre le terrorisme. La mort de deux de nos compatriotes au Niger, il y a à peine un mois, et l’enlèvement de plusieurs autres Français par des mouvements proches d’Al-Qaida nous donnent une obligation morale, celle de lutter contre le terrorisme, y compris et surtout en Afghanistan. Aujourd’hui, le peuple afghan reconnaît l’apport de la communauté internationale, même si la population afghane a souvent une attitude de défiance face aux puissances étrangères.

Sur la défense antimissile, je note deux aspects qui me semblent très positifs dans les décisions prises à Lisbonne. D’une part, les membres de l’OTAN, partageant le même constat sur les futures menaces balistiques, ont décidé de développer une capacité de défense antimissile. D’autre part, la Russie, qui avait pu craindre que cette défense ne soit tournée contre elle, a pu être rassurée sur les intentions des alliés, notamment sur leur volonté de coopération avec elle. C’est pourquoi le Président russe a annoncé lors du sommet que son pays acceptait de coopérer au projet, sous réserve d’une meilleure compréhension de son contenu. Je considère comme essentiel de veiller à ce que soit maintenu un dialogue permanent et transparent avec la Russie sur ce programme.

La question de savoir si la défense antimissile pourrait affaiblir notre dissuasion mérite aussi d’être posée. Je me rallie bien volontiers au point de vue du Président de la République, qui a rappelé le 15 octobre dernier que ce dispositif constituait « un complément utile à la force de dissuasion ». Nous devons intégrer la possible émergence de pouvoirs caractérisés par une certaine irrationalité. Or, ne l’oublions pas, la dissuasion a été créée pour dissuader des acteurs rationnels.

La question me semble ailleurs : un système de défense antimissile protégeant le territoire européen devra être intégré, compte tenu de la vitesse des missiles. Toute décision devra donc être prise rapidement. L’enjeu essentiel semble, dès lors, résider dans notre capacité à conjuguer l’efficacité opérationnelle et le respect de notre souveraineté par des mécanismes de décision adaptés.

Je suis tout à fait convaincu que notre liberté et notre indépendance seront mieux assurées grâce à un système qui pourrait compléter la défense de théâtre représentée par les systèmes de missiles sol-air nationaux basés à terre ou à bord de nos navires de guerre.

Nous ne pouvons pas prendre le risque que nos forces, tout comme nos populations, soient à l’avenir exposées à une menace balistique. Or nous savons que plusieurs États sont prêts à consentir de gros sacrifices pour accéder aux technologies nécessaires. C’est pourquoi la coopération qui s’annonce au sein de l’Alliance atlantique me semble prometteuse, sous réserve qu’elle ne se résume pas à adopter des standards d’un des pays membres de l’Alliance ou à se fournir en systèmes anti-balistiques auprès de son industrie.

Notre industrie, française et européenne, dispose d’un savoir-faire technologique que nous devons valoriser auprès de nos alliés. Même si les Européens ne peuvent envisager de développer et construire un tel système, il n’y a aucune raison pour que nous ne sachions pas valoriser ce savoir-faire, auprès de nos alliés américains en particulier.

Enfin, les Alliés se sont entendus à Lisbonne pour que l’OTAN procède à une refonte de ses structures, avec une forte baisse des effectifs militaires affectés à l’organisation, ainsi que du nombre de quartiers généraux et des agences existantes, qui seront réduits dans une proportion d’un tiers environ. Il nous faudra être vigilants sur l’avancement des négociations sur ce sujet, afin qu’elles puissent être terminées à l’été 2011, comme prévu. Il me semble normal, en période de crise, que les organisations internationales participent aux efforts de maîtrise des dépenses. L’OTAN dispose aujourd’hui d’une « RGPP » adaptée à ses structures et à ses procédures, il nous faudra maintenir une pression minimum pour que cette modernisation puisse aboutir.

En conclusion, le débat que nous avons aujourd’hui intervient près d’un an après la reprise, par la France, de sa place dans les structures militaires intégrées. Même s’il est encore un peu tôt, sans doute, pour dresser un bilan de cette réintégration – bien que la commission de la défense se soit prêtée à cet exercice –, force est de constater qu’elle a été sans impact, qu’on le veuille ou non, et contrairement à ce qui avait été dit, sur l’indépendance de la politique étrangère de la France, dans le sens où sa marge de manœuvre est restée entière, avec une politique de défense dont l’autonomie a été entièrement préservée.

Qu’il me soit aussi permis de rappeler que l’Alliance atlantique est une alliance à vocation purement défensive, qu’elle a représenté pendant plus d’un demi-siècle un facteur de paix sur le continent européen et qu’elle est la seule organisation militaire intégrée existant aujourd’hui dans le monde. Son efficacité et son caractère démocratique font que l’Organisation des nations unies s’en remet à elle fréquemment pour mettre en œuvre ses décisions, afin de maintenir la paix et la sécurité internationale. C’est pourquoi notre gouvernement a eu raison d’approfondir la relation que notre pays entretient aujourd’hui avec cette alliance. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

(Mme Élisabeth Guigou remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Élisabeth Guigou,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le récent sommet de l’Alliance atlantique à Lisbonne a, en particulier, permis d’actualiser le concept stratégique de l’OTAN. La France ne peut que se féliciter des conclusions adoptées, conformes à ses ambitions en matière de dissuasion nucléaire et de développement d’une défense anti-missiles adaptée aux menaces.

De la même manière, les engagements répétés du secrétaire général de l’OTAN en faveur d’une réforme de grande ampleur du fonctionnement des structures de l’Alliance vont dans notre sens.

Mais l’événement le plus important de ce récent sommet aura été, me semble-t-il, l’implication de la Russie dans les discussions. En effet, la Russie a accompli un pas considérable en acceptant le principe d’une participation au système de défense anti-missiles de l’OTAN. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, Moscou menaçait de déployer ses missiles Iskander à Kaliningrad en réponse aux projets de défense anti-missiles américains en Europe...

M. Jean-Paul Lecoq. Comme quoi…

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Cette embellie a des effets visibles sur le terrain. La Russie facilite à nouveau le transit ferroviaire des équipements destinés à nos forces déployées en Afghanistan, et cette coopération s’étend désormais dans toute l’Asie centrale.

À terme, nous devons parvenir à construire un partenariat stratégique avec la Russie, et tous les anciens pays de l’Union soviétique, afin de renforcer nos capacités de projection, toujours plus difficiles à développer dans un contexte de crise économique.

Tant les Russes que nous-mêmes, Européens et Américains, avons à y gagner. L’opération européenne engagée avec succès au Tchad en 2008 n’aurait pu exister sans le renfort des hélicoptères de transport russes.

M. Louis Giscard d’Estaing. C’est exact.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Symétriquement, la Russie compte sur les technologies européennes pour affermir ses capacités militaires. L’achat récent, par la marine russe, de quatre bâtiments de projection et de commandement français, dont il faut se féliciter, en est une confirmation éclatante.

Jusqu’où cette relation peut-elle aller ? Des voix s’élèvent, y compris en Russie, pour demander l’intégration de ce pays dans l’OTAN. Le défi n’est pas encore l’adhésion de la Russie, me semble-t-il, mais un changement de perception, déjà amorcé dans certains États, comme la Pologne, l’Ukraine ou l’Estonie. L’ancien adversaire peut devenir un allié reconnu par tous.

Pour ce faire, il faut être réaliste, et identifier les domaines précis dans lesquels la coopération entre la Russie et l’OTAN peut être la plus porteuse. Le président Medvedev suggère de renouveler les traités de sécurité sur le continent européen. Cette proposition va dans le bon sens, mais elle mériterait d’être précisée.

Le domaine dans lequel une action commune avec la Russie peut être le plus profitable pourrait être la lutte contre le terrorisme. Frappée régulièrement, encore très récemment à l’aéroport de Moscou, la Russie souhaiterait être reconnue comme un partenaire fiable dans ce combat contre la violence extrémiste.

Pour sa part, l’OTAN ne peut que gagner à obtenir le soutien de la Russie pour des opérations qui impliquent désormais le déploiement très lointain de forces équipées de manière moderne, et coûteuse.

Ces coopérations pourraient aller jusqu’à la création d’unités projetables communes. On peut ainsi imaginer coordonner les opérations européennes et russes dans le golfe d’Aden pour lutter contre la piraterie maritime.

Naturellement, la lutte contre le terrorisme ne saurait cautionner la guerre cruelle que la Russie a menée dans le Caucase du Nord, et le partenariat stratégique que nous devons construire avec les Russes suppose le respect de l’intégrité territoriale de la Géorgie.

Nous ne pouvons que souhaiter un apaisement dans le Caucase, déjà durement affecté par les violences de toutes sortes, et des solutions pacifiques doivent être apportées aux problèmes de la région.

Le sommet de Lisbonne nous invite donc à la mise au point d’un partenariat stratégique vigilant avec la Russie. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette perspective, qui sert les intérêts de l’Europe et de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de vingt ans après la chute du mur de Berlin, symbole de la fin du monde bipolaire, l’OTAN, privée de sa raison d’être originelle, traverse une crise existentielle.

Nous avions, en mars 2009, ici même, exprimé notre profond désaccord sur la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, décision politique dont la charge symbolique était extrêmement forte.

L’annonce du retour de la France au sein de l’OTAN est en effet l’expression de la nouvelle conception diplomatique « occidentalo-atlantiste », fondée sur l’alliance avec les États-Unis et sur la perception que les transformations du monde menacent la « famille occidentale ».

À l’abri de la sanction populaire, la France a donc rejoint pleinement, après quatre décennies d’ « exception française », une organisation qui s’élargit géographiquement, qui multiplie ses missions, sans qu’il y ait eu de réflexion globale, et ce dans le but de préserver, nous dit-on, les intérêts du monde occidental.

À cet égard, le sommet de Lisbonne, des 19 et 20 novembre 2010, qualifié comme « un des plus importants dans l’histoire de l’organisation », est révélateur. Il témoigne du fait que l’Alliance est en perte de vitesse et cherche, tant bien que mal, des justifications à son existence.

L’OTAN s’est ainsi attelée à désigner de « nouvelles menaces » – cyber-attaques, piraterie internationale, terrorisme – et à apporter des justifications à l’engagement en Afghanistan.

Depuis dix ans, l’OTAN ne parvient pas à endiguer les actions des Talibans. Elle a entériné le « processus de transition » qui commencera en 2011 et devrait conduire à la fin des missions de combat des troupes alliées en 2014.

Ce n’est pas le retrait des troupes. L’accord obtenu par le président afghan Hamid Karzaï et le secrétaire général de l’OTAN sur « le maintien d’une présence à long terme après 2014 » est particulièrement inquiétant : aucune précision n’est apportée sur le type de présence envisagée, ni sur sa raison ni sur sa durée.

Les États-Unis continuent de décider seuls, en fonction de leurs intérêts. Or, la raison de la présence française échappe, vous le savez, à bon nombre de nos concitoyens.

Le combat contre le terrorisme est la question première, que nul ne discute. Quelle est l’efficacité du combat ainsi mené ? Il est grand temps d’organiser réellement une sortie de crise. L’OTAN n’est pas la solution, elle fait partie du problème.

La France et ses partenaires européens devraient faire preuve non seulement de lucidité, mais surtout d’indépendance, en refusant de contribuer à ce désastre sécuritaire, politique et humain.

Pour cela, il faut donner la priorité à un processus politique de résolution de cette crise, favorisant un consensus régional – ma collègue Françoise Hostalier, qui a fait un rapport sur ce sujet dans le cadre de l’UEO, ne pourra que m’approuver –, et ayant pour axe prioritaire la coopération afin d’assurer le développement du pays.

À cet égard, nous ne pouvons que déplorer que la France, à l’ONU, n’ait pas pris l’initiative, comme nous l’avions recommandé, de proposer l’organisation d’une conférence internationale, pour définir précisément les conditions d’une paix négociée et durable en Afghanistan, prenant en compte toute la diversité des différentes composantes du peuple afghan.

Concernant l’OTAN et le bouclier anti-missiles européen, cet accord soulève plusieurs interrogations pour les Européens. Il représente pour les Alliés un risque de contrôle politique par les États-Unis, seuls donneurs d’ordres, ce qui ne les empêchera pas de nous demander de participer financièrement.

De plus, le risque de dérapage budgétaire est réel. De nombreux experts estiment le coût annoncé largement sous-évalué, contrairement aux déclarations de Nicolas Sarkozy à Lisbonne.

Au final, le sommet de Lisbonne a été synonyme de renoncement et a pris acte du déclin de l’OTAN.

Pour notre part, nous considérons que la recherche de sécurité doit essentiellement se fonder sur des voies politiques de réduction des menaces militaires. Nous considérons que la France et l’Europe doivent être des acteurs indépendants de type nouveau pour la paix, le désarmement et la sécurité.

Cela suppose de s’émanciper de l’OTAN et d’avancer vers sa dissolution, de prendre des initiatives significatives en faveur de la sécurité internationale, pour faire appliquer le traité de non-prolifération, pour éliminer les armes nucléaires et toutes les armes de destruction massive, pour créer une dynamique de désarmement général, pour instaurer un contrôle public, national et international, sur les industries d’armement et les ventes d’armes, et, enfin, pour promouvoir un multilatéralisme authentique, afin de faire appliquer point par point tous les engagements pris par la communauté internationale, tels que les objectifs du millénaire fixés par l’ONU.

« L’intelligence défend la paix. L’intelligence a horreur de la guerre », déclarait Paul Vaillant-Couturier. Alors, que la France montre son intelligence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront à nos soldats, qui exercent une activité comparable à nulle autre. Au bout de leur engagement, il y a le sacrifice suprême, le sacrifice de la vie. Je pense en particulier à celles et ceux qui, ces derniers mois, sont tombés sur les théâtres d’opération. Député de Castres, la ville du 8ème RPIMa, qui a payé un lourd tribut dans les combats de la vallée d’Ouzbine, je sais peut-être mieux que quiconque ce qu’il en est. Qu’hommage et dignité soient rendus à leur mémoire, et sentiments affectueux à leurs familles.

Certains pensent que, à la suite de la chute du mur de Berlin, nous n’avons pas touché les dividendes de la paix à hauteur de ce que nous pouvions espérer. Le monde est toujours plus difficile et incertain, ce qui justifie, de fait, notre effort de défense, même si les conflits conventionnels et « traditionnels » entre deux États-nations et des forces armées dûment structurées risquent de devenir l’exception. La règle, en effet, ce sera de plus en plus des conflits asymétriques face à des rébellions, souvent liées au terrorisme international qui agissent au milieu de populations civiles, voire en prenant celles-ci, de fait, en otage.

Nous avons tout de même touché en grande partie les dividendes de la paix, puisque, dans les années 60, nous consacrions jusqu’à 5 % de la richesse nationale à l’effort de défense alors qu’aujourd’hui, nous en sommes à moins de 2 %. Parallèlement, les États-Unis en sont à 5 %, et la Chine à plus de 8 %.

Une question se pose : pouvons-nous descendre plus bas ? Très objectivement, je ne le crois pas. Ce serait irresponsable. Tout en étant convaincu qu’il faut agir parfois différemment et, en tout état de cause, dépenser mieux faute de pouvoir dépenser plus.

Quelques jours après la réunion à Bruxelles du comité militaire de l’Alliance et quelques mois après le sommet historique de Lisbonne, le débat d’aujourd’hui nous donne l’occasion d’évoquer l’OTAN, mais également les orientations données à nos forces armées.

À l’heure du choc des civilisations,…

M. Yves Cochet. Mais non ! Pourquoi dit-il cela ?

M. Philippe Folliot. …et de l’éveil des peuples à la démocratie – pensons à la Tunisie et à l’Égypte –, la place et le rôle de l’OTAN, seule organisation politique et militaire de coopération qui ait survécu à la guerre froide, restent importants.

Forte de ses valeurs que sont « la liberté individuelle, la démocratie, les droits de l’homme et l’état de droit » et de son objectif immuable, défini selon les termes du nouveau concept stratégique comme « la sauvegarde de la liberté et de la sécurité de ses membres », l’Alliance a su évoluer pour s’adapter aux différentes menaces de notre temps.

J’aborderai successivement quatre points au nom du groupe Nouveau Centre : le nouveau concept stratégique ; le dialogue avec la Russie ; notre stratégie en Afghanistan ; la politique nationale de défense.

Issu des discussions du sommet de Lisbonne de novembre 2010, le nouveau concept stratégique, adopté par les chefs d’État et de gouvernement, remplace le précédent qui datait de 1999. Il a pour sous-titre « un engagement actif, une défense moderne ». Il ouvre sans nul doute une ère nouvelle pour l’OTAN.

L’accent est mis sur les nouvelles menaces et notamment sur les attaques dirigées contre le cyberespace qui se multiplient aujourd’hui. Ayons en mémoire ce qui s’est passé il y a quelques années en Estonie.

Un point retient l’attention : le système collectif de défense antimissile. Ce projet est ambitieux, pourtant, les questions relatives au contrôle politique, au financement, à la maîtrise de la technologie ou aux conséquences sur le socle de la dissuasion nucléaire ne manquent pas. Monsieur le ministre d’État, peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur ce sujet d’importance.

Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN a été acté en 2009. Comme vous, monsieur le ministre d’État, j’avais émis, à titre personnel, quelques réserves sur cette réintégration. Aujourd’hui, la page est tournée et la décision actée. Il serait intéressant d’avoir un impact chiffré du retour français dans le commandement intégré : combien d’officiers généraux ont été réintégrés in fine, et à quel niveau de responsabilité ?

Pour nous, centristes, l’OTAN ne doit pas être le gendarme de l’Occident, ni l’outil d’une forme de néo-impérialisme américain, ni un enjeu nous engageant dans un « choc des civilisations ». L’Alliance se doit d’être un outil de défense moderne au service de ses membres.

En outre, s’il me semble légitime d’organiser un dialogue avec l’Australie, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, qui sont des partenaires en matière de défense et de sécurité, ces pays n’ont pas, je crois, vocation à intégrer une organisation qui couvre l’Atlantique nord.

Confrontée à la baisse des budgets nationaux de défense, l’OTAN doit dégager des moyens pour financer ses ambitions futures. Une réduction des structures de commandement était annoncée. La réintégration française et l’adoption du nouveau document stratégique devaient permettre une réforme de l’administration otanienne avec l’avènement d’un nouveau schéma. Peut-être, monsieur le ministre d’État, pourriez-vous informer la représentation nationale sur la mise en œuvre de cette réforme de l’OTAN en termes de coût de l’administration et de la bureaucratie. Qu’en est-il, par exemple, des quatorze agences, concernant près de 8 000 personnes, qui œuvrent pour le compte de l’OTAN ?

Concernant le dialogue avec la Russie, les alliés ne doivent pas refuser de discuter avec d’autres partenaires pour des raisons historiques ou idéologiques. Je pense en particulier à la grande Russie qui, qu’on le veuille ou non, est une grande puissance européenne dont nous ne devons pas nous détourner.

Je tiens, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, à me féliciter de la signature, il y a quelques jours, à Saint-Nazaire, d’un accord intergouvernemental sans précédent de construction de porte-hélicoptères français Mistral, un bâtiment de projection et de commandement, pour la flotte russe. Deux navires seraient construits dans les chantiers navals français et livrés en 2014 et 2015. Deux autres navires seraient construits en Russie par un consortium franco-russe. Cet accord fait suite à l’annonce par le gouvernement russe, le 24 décembre 2010, de la victoire du consortium formé par les compagnies françaises DCNS et STX et la société russe OSK, dans l’appel d’offres portant sur la construction, pour le compte de la marine russe, de deux navires de commandement et de soutien. Il y a matière à se féliciter de cette « promesse de vente » dont vous nous direz peut-être plus, monsieur le ministre d’État, tant elle est importante sur le plan de la coopération militaire entre nos deux pays ainsi que sur le plan économique au regard des emplois qui seraient créés.

La Russie a envoyé un certain nombre de signaux positifs, notamment en ratifiant, le 28 janvier dernier, le traité START. Ce traité de désarmement nucléaire russo-américain prévoit la réduction des armes stratégiques à 1 550 têtes nucléaires maximum et des vérifications mutuelles. Cela est très bien, car c’est un rattrapage au regard des efforts unilatéraux menés par la France qui vise moins de 300 têtes nucléaires, ce qui correspond au seuil minimal en deçà duquel sa dissuasion nucléaire n’aurait plus lieu d’être.

J’ose croire que la France jouera un rôle moteur, forte de son histoire, dans le dialogue et la coopération entre l’OTAN et la Russie.

Concernant la situation en Afghanistan, je tiens à rappeler que seul le droit international sous-tend les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et peut justifier, hors du cadre de la légitime défense, la mobilisation de capacités d’intervention. L’OTAN joue une partie de sa crédibilité en Afghanistan. La coalition compte 150 000 soldats, aux deux tiers américains.

Vous me permettrez de rendre, au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre et apparentés, un hommage appuyé à nos troupes présentes sur place. Elles relèvent un sacré défi compte tenu du contexte, des missions très difficiles et complexes qu’elles ont à accomplir. J’ai, du reste, eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec nos soldats, il y a une dizaine de jours, lors d’une mission parlementaire en Afghanistan sur les actions civilo-militaires, qui sont si importantes.

La question de l’issue du conflit et du départ d’Afghanistan se pose légitimement. Plusieurs États ont d’ores et déjà annoncé un calendrier pour retirer leurs troupes : le Royaume-Uni évoque 2015, et les États-Unis tablent sur 2014. En ce qui concerne la France, nous ne devons pas partir n’importe quand ni dans n’importe quelles conditions. Ce que nous pouvons affirmer à ce jour, c’est que nous devons poursuivre notre engagement opérationnel utilement recentré dans le secteur de Kapisa-Surobi et au niveau de Kaboul, notamment pour ce qui a trait au soutien. Je pense notamment au rôle trois, concernant l’hôpital militaire de Kaboul. Le travail d’encadrement et de formation des forces afghanes doit être prolongé et renforcé. J’ai pu le constater sur place, ces efforts commencent à donner des résultats probants.

Enfin, concernant notre politique de défense, la question de l’adéquation entre les objectifs du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et les dispositions contenues dans les lois-cadres que nous avons votées se pose. En effet, il est à craindre un effet de ciseaux entre les objectifs que nous nous sommes assignés en la matière et la révision générale des politiques publiques.

Le budget alloué à la défense en 2011 accorde une priorité à l’équipement, avec près de 16 milliards d’euros, qui s’accorde avec l’évolution définie par la loi de programmation militaire. J’avais pu saluer cet effort d’équipement lors des discussions budgétaires.

En conclusion, je souhaiterais profiter de ce débat sur l’OTAN et les orientations données à nos forces armées pour rappeler d’un mot le besoin d’une Europe de la défense forte et visible. Cette Europe de la défense que nous, centristes, appelons de nos vœux depuis fort longtemps, ne doit pas rester un vœu pieux ; elle a toute sa place et sa légitimité, aux côtés de l’OTAN dans un premier temps.

J’en veux pour preuve le partenariat historique franco-britannique en matière de défense, de sécurité et de coopération nucléaire, qui a été signé en 2010 et qui est porteur de tant d’espoirs pour une ambitieuse relance de la politique européenne de sécurité et de défense. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vitel.

M. Philippe Vitel. Permettez-moi, en premier lieu d’avoir une pensée pour les femmes et les hommes de toutes les armes qui, en ce moment même, œuvrent sur les théâtres de crise où nos forces sont engagées et exercent leur mission avec courage, force et détermination au péril de leur vie.

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord, ou OTAN, est une organisation civilo-militaire qui a vu le jour le 4 avril 1949 à Washington, suite aux négociations des cinq pays européens signataires du traité de Bruxelles – la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni – avec les États-Unis, le Canada et cinq autres pays européens invités à y participer : le Danemark, l’Italie, l’Islande, la Norvège et le Portugal.

L’Alliance avait pour vocation initiale d’assurer la sécurité de l’Occident au lendemain de la seconde guerre mondiale, en prévenant d’éventuels soubresauts d’impérialisme allemand et en luttant contre les ambitions de conquête de l’Union soviétique appuyée par ses satellites du Pacte de Varsovie.

Grâce à ses moyens logistiques, l’OTAN a su, durant la guerre froide « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle », comme le souhaitait son secrétaire général d’alors, Hastings Lionel Ismay. Après l’implosion de l’URSS, l’organisation s’est vue confrontée à de nouvelles menaces, notamment les revendications nationalistes dans l’ancien bloc communiste et l’essor du terrorisme international. Alors qu’elle n’a longtemps eu pour tâche que de garantir la défense et la stabilité de la zone euro-atlantique, l’Alliance promeut aujourd’hui des relations élargies de coopération dans le monde.

Les relations entre la France et l’OTAN n’ont pas toujours été consensuelles. Il me semble d’ailleurs intéressant de se pencher quelques instants sur les épisodes les plus marquants de cette saga.

Après le retour au pouvoir de Charles de Gaulle, une crise s’ouvre entre la France, les États-Unis et le Royaume-Uni au sujet de l’OTAN, qui culmine en 1966 avec l’annonce du retrait de la France du commandement intégré. L’opposition socialiste dépose alors une motion de censure contre le gouvernement Pompidou, défendue par Guy Mollet. Maurice Faure déclare : « si chacun de nos alliés se comportait comme vous le faites et prenait les décisions que vous venez de décréter, cela ne signifierait rien d’autre que le retrait de toutes les forces américaines du continent européen. »

Il faudra ensuite attendre la guerre du Golfe pour assister à un embryon de rapprochement franco-américain. Le Président François Mitterrand amorce des négociations avec l’OTAN, mais elles échouent.

En 1993, la France participe pour la première fois à une opération de l’OTAN lors de la guerre en Bosnie.

En 1995, le Président Jacques Chirac amorce à son tour des négociations en vue de la réintégration de la France au commandement intégré. Mais ces négociations échouent encore, Washington refusant de confier le commandement sud de l’OTAN, à Naples, à la France. Mais cette démarche marque le début d’une évolution de la politique française héritée du gaullisme.

Les attentats du 11 septembre 2001 et la déclaration, par le Président George W. Bush, d’une « guerre contre le terrorisme », modifient la donne et font jouer à l’OTAN un nouveau rôle. Elle compte désormais s’engager dans cette guerre atypique, asymétrique, qui n’oppose pas un État à un État, mais un groupe d’États à un réseau hétérogène d’organisations terroristes islamiques, souvent désigné, de façon métonymique, par le nom d’Al-Qaida. Là est aujourd’hui la principale menace contre le monde libre.

Le 1er avril 2009, le Président Nicolas Sarkozy annonce le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN : ce retour s’accompagne de l’attribution à un officier général français d’un grand commandement militaire, mais la France n’intègre pas le comité des plans nucléaires, elle n’intègre que le comité des plans stratégiques.

« Nous sommes de la famille, nous sommes dans la famille. Nous sommes des alliés, nous sommes des amis. Nous avons nos convictions nous voulons être des alliés et des amis debout ». Nicolas Sarkozy, en ce 4 avril 2009, à Strasbourg, défend l’idée que la décision de reprendre toute notre place dans la structure intégrée de l’OTAN permettra à la France de peser davantage en mettant fin à une situation que personne ne comprenait : nous participions à toutes les opérations de l’Alliance, nous étions parmi les principaux contributeurs en troupes mais aussi en financement, et nous nous excluions de la prise de décision stratégique.

Notre indépendance nationale n’est pas remise en cause pour autant puisque les décisions sont prises à l’unanimité. Notre dissuasion nucléaire demeure strictement nationale, et aucun contingent ne sera placé de manière permanente sous commandement allié en temps de paix. L’Europe se retrouve plus forte au sein de l’Alliance par la nomination de généraux français à la tête du commandement suprême allié de la transformation à Norfolk et à celle du commandement de l’état-major de force interarmées à Lisbonne. Cela clarifie notre position entre la défense européenne et le lien transatlantique. La France démontre que nous avons besoin à la fois de l’Alliance atlantique et de l’Europe de la défense, car elles sont complémentaires.

Enfin, le Président de la République insiste sur la nécessité de rénover le concept stratégique de l’OTAN afin « de disposer d’une stratégie pour le XXIe siècle, et pas pour le siècle d’avant. »

Le sommet de Lisbonne réaffirme les tâches fondamentales de l’Alliance atlantique : la défense collective – c’est l’article 5 du traité de l’Atlantique nord ; la gestion de crise par la mise en œuvre de capacités globales de prévention, d’action, de stabilisation, et de reconstruction ; la sécurité coopérative dont le nouveau champ d’action s’appuie sur le développement de partenariats avec les pays non-membres, en particulier la Russie et les organisations internationales.

Le concept stratégique réaffirme la primauté de la défense par la dissuasion que complète un dispositif de défense antimissile balistique à même de protéger les populations et les territoires de l’Europe. Les cyberattaques, la lutte antiterroriste, la sécurité énergétique sont prises en compte. L’Union européenne y est clairement affichée en tant que partenaire stratégique de l’Alliance atlantique.

Il est, par ailleurs, intéressant de constater que depuis le retour de la France dans la structure intégrée, 600 militaires ont pris leurs fonctions dans les structures militaires de l’OTAN et que le général Abrial, en sa qualité de SACT a été le principal architecte de ce nouveau concept stratégique.

M. Louis Giscard d’Estaing. Tout à fait !

M. Philippe Vitel. L’Alliance atlantique et l’Europe de la défense sont complémentaires et, comme je viens de le dire, le nouveau concept stratégique affiche clairement que l’Union européenne est un partenaire privilégié de l’OTAN.

Toutefois, force est de constater que certains pays européens sont opposés aux « deux D » – Découplage Europe-États-Unis et Duplication des moyens OTAN-UE – et souhaiteraient plutôt associer l’OTAN à toute initiative européenne. L’Europe a donc besoin d’un nouveau discours sur la raison d’être de ses forces armées, au risque d’être marginalisée sur la scène mondiale, du fait du déséquilibre financier qui est en train de se créer entre les nations européennes, dont les budgets de défense sont tous en diminution, et ce qui se passe hors Europe, où les dépenses ont augmenté de 6 % en 2009 et de 49 % depuis 2000.

En ce sens, devant les réserves des pays européens les plus atlantistes, majoritaires au sein des vingt et un pays qui appartiennent à la fois à l’Union européenne et à l’OTAN, réticents à ce que soient développés des instruments de coopération proprement européens, cette alliance européenne doit donc plutôt se construire au sein d’un pilier européen de la défense. À elles seules, la Grande-Bretagne et la France représentent près de 50 % des dépenses de défense européenne et deux tiers des dépenses militaires de recherche et développement. Il est donc tout à fait juste de penser qu’une coopération militaire accrue entre notre partenaire naturel en matière militaire qu’est le Royaume-Uni, suivie d’une plus grande intégration dans les structures supranationales de l’OTAN soit à même de répondre à l’impasse budgétaire dans laquelle nous sommes en train de nous engager, et peut-être ainsi booster les coopérations politico-militaires européennes, que nous appelons depuis si longtemps de nos vœux. Le traité de coopération militaire, signé le 2 novembre entre nos deux pays constitue, je crois, la première étape de cette nécessaire évolution. Toute mutualisation, économie d’échelle, interdépendance est une bonne nouvelle, car les économies ainsi réalisées pourront être réinjectées dans des secteurs qui souffrent actuellement des diminutions de crédits.

Monsieur le ministre d’État, vous vous êtes rendu, il y a quelques jours, à Bruxelles pour « afficher la détermination française pour redonner des couleurs à l’Europe de la défense ». Vous avez, en outre, déclaré que l’Europe ne peut prétendre à un rôle au niveau international si elle n’est pas en capacité d’assurer sa défense de manière autonome, et que c’est aussi une exigence budgétaire.

Vous avez confié à Mme Ashton, par le canal d’un courrier cosigné par les ministres de la défense et des affaires étrangères des pays du triangle de Weimar – la France, l’Allemagne et la Pologne –, qu’il était temps de donner une nouvelle impulsion à la politique européenne de sécurité et de défense en pleine complémentarité avec l’OTAN. Vous évoquez avec force, dans cette lettre, les espoirs qui sont les vôtres en l’avenir d’une coopération structurée permanente afin de renforcer les capacités européennes. Vous évoquez aussi la nécessité d’améliorer nos capacités de planification et de conduite des opérations et missions, en complémentarité avec les capacités de planification de l’OTAN.

Êtes-vous satisfait par la réponse de Mme Ashton à votre initiative courageuse et ambitieuse ? Quel écho vos propositions ont-elles eu à l’occasion du sommet des ministres de la défense européen qui s’est tenu le 31 janvier ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Fabius.

M. Laurent Fabius. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en commençant mon intervention – en vous remerciant d’avoir bien voulu accéder à notre demande d’un débat sur l’OTAN et les orientations données aux forces armées françaises –, le mot qui me vient à l’esprit est décalage.

Une partie du décalage se comprend. Notre attention est surtout attirée aujourd’hui par ce qui se passe dans les pays arabes. Bien évidemment, cela n’entre pas directement dans le champ de notre discussion de cet après-midi, mais nous souhaitons – je ne sais si vous pourrez nous donner des assurances sur ce point, monsieur le ministre d’État – qu’il y ait rapidement un débat, ici, dans cette maison sur ces sujets : les pays arabes, les révolutions et l’attitude de la France et de l’Europe.

Ce n’est pas à ce décalage-là que je pense, mais plutôt à celui qui tient à nous-mêmes, plutôt à vous. Vous vous rappelez sans doute qu’il y a de cela près de deux ans, en mars, nous avions discuté de la réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN. Nous avions des positions différentes et je me rappelle fort bien, puisque j’étais monté à la tribune au nom de mon groupe, que nous avions demandé au Gouvernement – et j’ai le sentiment qu’il avait accepté, mais peut-être me trompé-je – de faire le bilan de cette réintégration un an après. Nous sommes, malheureusement, plutôt deux ans après, et nous allons le faire, même très rapidement, à l’occasion de cette séance. Toutefois, il faudrait prendre l’habitude, si on le peut, de tenir ses engagements, car cela éviterait ce sentiment de décalage.

Nous avons le même sentiment de décalage, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, par rapport à l’importante réunion qui s’est tenue à Lisbonne, au mois de novembre. Sans doute est-il fort intéressant de parler aujourd’hui de ce qui s’est décidé à Lisbonne, mais il aurait été encore plus intéressant de pouvoir intervenir juste après sur ce sujet ; même chose en ce qui concerne l’Afghanistan.

Le décalage dont je parle est celui qui existe entre les grandes décisions prises par le pouvoir d’État et le rôle que nous devons avoir ici, en qualité de parlementaires de la République. Tout cela pour souhaiter qu’à l’avenir, et compte tenu de l’expérience qui est la vôtre, monsieur le ministre d’État, vous veilliez, si possible avant que de grandes décisions soient prises dans ce domaine qui relève de notre compétence, à ce que nous puissions être saisis.

Je voudrais, comme l’ont fait les collègues avant moi, rendre un double hommage à nos forces armées et à nos diplomates puisque, dans ces domaines, avec bien sûr des conséquences différentes, les uns et les autres appliquent les décisions que nous prenons, que vous prenez. Les forces armées ont à agir dans des conditions extrêmement difficiles, parfois au péril de leur vie, et nous pensons à ceux qui sont tombés, nombreux ; nos diplomates agissent dans des conditions difficiles, surtout dans certains pays. Je pense aussi, comme vous tous aujourd’hui, c’est évident, aux otages, à ceux qui ont été heureusement libérés, mais qui ont été marqués par cette expérience terrible, à ceux qui y ont laissé la vie, aux otages actuels, dont c’est aujourd’hui, pour certains, le quatre centième jour de détention.

Je ne peux, monsieur le ministre d’État, aborder tous les sujets, mais je voudrais formuler trois séries d’observations qui entrent directement dans le thème que nous avons choisi pour notre débat.

Je pensais que vous alliez – mais c’est votre liberté – délivrer votre discours et que nous pourrions ensuite réagir. Les choses sont à l’envers, peu importe ! Mais du même coup, ne m’en veuillez pas si, ne pouvant faire référence au discours que vous allez prononcer dans quelques instants, je me réfère – ce sera un peu plus difficile – à deux discours que vous avez prononcés sur les mêmes sujets, il y a quelques mois, à une époque où, il est vrai, vous n’étiez pas encore au Gouvernement.

Sur la première question centrale, qui est celle de la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré, vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, puisque vous étiez tous présents étant spécialistes du sujet, qu’à l’époque régnait entre nous une opposition ; elle persiste. Nous pensions que cette réintégration, qui rompait à la fois avec la tradition de la France et avec le consensus, n’était pas utile, pas nécessaire et même, à certains égards, dangereuse. Vous, vous nous disiez, « non – c’était plutôt M. le Président Sarkozy qui le disait –, il faut cette réintégration ». Je me rappelle fort bien les deux motifs donnés à l’époque : nous allons avoir plus d’influence au sein de l’OTAN et nous allons pouvoir relancer la défense européenne. C’est sur ces deux points que nous nous opposions terme à terme.

Parmi vous, d’ailleurs – et je ne veux pas jeter le trouble en disant cela –, M. Alain Juppé, avec les compétences qu’on lui connaît, interrogé sur cette question de principe, avait répondu par écrit. À l’écrit on est tout à fait maître de ce que l’on dit, à l’inverse de ce que je suis en train de faire à la tribune. (Sourires.) Dans un texte du mois de juin ou du mois de septembre 2010, M. Juppé se le rappelle en tout cas parfaitement, il disait : « J’ai dit, à l’époque, que je n’étais pas hostile en principe à ce retour,…

M. Alain Juppé, ministre d’État. C’est exact !

M. Laurent Fabius. « …puisque nous l’avions tenté avec Jacques Chirac en 1995-1996 avec deux conditions : le partage des responsabilités et la volonté de construire une défense européenne. Pour autant, je ne suis pas sûr que l’on ait gagné à perdre notre position originale qui consistait à être dans le dispositif tout en gardant une certaine marge de manœuvre. Depuis, nous avons des généraux en plus grand nombre au sein de l’OTAN, mais il n’y a eu aucun mouvement sur le plan de la défense européenne. J’espère que nous pèserons davantage dans la redéfinition du concept stratégique de l’OTAN. » Et il terminait – imperiatoria brevitas –en disant : « Ce n’est pas évident. »

J’aurais absolument, si j’en avais eu le talent, signé ce texte. Entre-temps, certains diront que les fonctions ont changé, d’autres que les réalités ont changé. Vous nous le direz sans doute dans un instant.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants. Les réalités ont changé !

M. Laurent Fabius. Vous voyez, je vous mâche le travail.

Pour ma part, j’ai une analyse un peu différente. Alors prenons les faits.

En ce qui concerne l’influence au sein de l’OTAN et la défense européenne, je ne m’égarerai pas, parce que ce serait trop long, même si c’est fort intéressant, sur l’augmentation ou la diminution de notre influence en matière de politique étrangère. Je crains que les choses n’aillent d’un certain côté, et ce n’est pas sans rapport avec notre réintégration au sein du commandement militaire de l’OTAN, parce que ce que nous avions depuis des dizaines d’années, la spécificité française, devient très difficile à percevoir lorsque nous sommes en quelque sorte banalisés.

Indépendamment de cet aspect, pour ce qui concerne spécifiquement l’OTAN, nous constatons que nous avons obtenu, c’est tout à fait exact, un commandement suprême de la transformation. J’ai un peu de mal, tout de même, à rentrer dans cette comptabilité : un officier général supérieur est certes nommé en fonction de sa nationalité, mais il ne l’est pas pour exprimer les intérêts de la nation. Bien sûr, nous souhaitons qu’il y ait le plus possible de généraux français.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Des généraux américains aussi.Il faut être logique !

M. Laurent Fabius. C’est pourquoi je dis, monsieur Juppé, que cet argument trouve sa limite. Le général Abrial, puisqu’il s’agit de lui, ne vous rend pas compte, j’imagine, tous les matins et tous les soirs.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Pareil pour l’amiral Stavridis.

M. Laurent Fabius. Oui, mais il ne vous rend pas compte, sinon vous-même devriez nous rendre compte des décisions qui sont prises.

En tout cas, ce serait une erreur pour tous ceux – et c’est votre cas à tous – qui connaissent le fonctionnement de l’OTAN de considérer que ce commandement de la transformation est le commandement par excellence. D’ailleurs, sans entrer dans les détails, il siège à Norfolk. À l’époque, et c’est un reproche qu’on faisait, il y avait à la fois et à côté un commandement américain considérable. Désormais, le commandement américain est parti, donc il siège tout seul. Certains diront qu’il est plus indépendant. D’autres diront qu’il ne reste que ces 300 personnes.

Quoi qu’il en soit, tous ceux qui connaissent ces questions ne peuvent pas dire que cette affaire est particulièrement décisive. Cela est si vrai que, lorsque le même commandement avait été proposé quelques années auparavant, il n’avait pas été jugé suffisant par les dirigeants de l’époque pour entraîner notre réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN.

M. Pierre Forgues. Très juste !

M. Laurent Fabius. Sur un autre aspect, plus général, à savoir le service européen d’action extérieure – mais vous transmettrez ma remarque à votre collègue des affaires étrangères –, nous devons tous, sur tous les bancs, regretter la décision de Mme Ashton, qui, semble-t-il, prend les décisions, qui a contribué à ce que les Français n’aient pas vu leur représentativité reconnue. En tout cas, je ne pense pas que l’on puisse soutenir que notre influence ait augmenté au sein de l’OTAN. C’est si vrai que, lors de la réunion de 1999, nous avions obtenu, alors que nous n’étions pas dans le commandement militaire – et probablement parce que nous n’y étions pas – , que l’on ne puisse pas engager les forces s’il n’y avait pas une décision de l’ONU, contrairement au souhait des Américains et d’autres.

C’est probablement en raison de notre spécificité que nous avons obtenu satisfaction alors que, cette fois-ci, sur la question de la défense et du bouclier antimissile, personne ne soutiendra que la position ardente de la France était d’obtenir de l’OTAN la reconnaissance du bouclier antimissile, mais j’y reviendrai. Le Président de la République a estimé qu’il était contraint et qu’il devait le faire. Cela étant, on ne peut pas, à partir de là, soutenir que notre influence se soit accrue.

Quant à la défense européenne, je veux citer les faits, à moins, monsieur le ministre d’État, que vous n’ayez de bonnes nouvelles à nous annoncer.

L’Agence européenne devrait être l’instrument privilégié pour définir des programmes d’armement commun et organiser la restructuration de l’industrie de l’armement dans un cadre européen. Mais chacun ici – et vous êtes tous des spécialistes – connaît les limites de l’exercice, pas seulement les limites budgétaires, mais également les limites liées au fait qu’un seul pays, en l’occurrence la Grande-Bretagne fait blocage. Malheureusement, cette agence ne joue pas le rôle qu’elle devrait jouer.

Pour ce qui est de la coopération structurée permanente du traité de Lisbonne, qui devait permettre à certains États d’aller plus loin dans le domaine des capacités militaires au sein de l’Union européenne, on ne peut malheureusement que constater le désintérêt à l’égard de cet outil. Certains feront valoir l’accord de Londres, mais là, il y a deux interprétations, monsieur le ministre d’État. Certes, il y a des dispositions positives dans ces deux actes. Pour certains, c’est un premier pas pour aller vers une ouverture, une coopération structurée, mais lorsque l’on interroge les Britanniques, qui sont tout de même l’une des deux parties, ils répondent exactement le contraire. Considérer que l’accord de Londres est une avancée comme l’avait été en son temps celui de Saint-Malo, ce n’est pas une traduction fidèle de la réalité.

S’agissant de la cellule de planification militaire de l’Union européenne, qui permettrait d’améliorer les conditions de réalisation des opérations civilo-militaires de l’Union européenne, et à l’Union européenne d’être plus autonome par rapport à l’OTAN, nous la réclamions depuis 2003. La réalité, sauf si vous nous dites le contraire, monsieur le ministre d’État, c’est que le projet est abandonné alors que la création de cette cellule devait pourtant être la contrepartie du retour de la France dans le commandement intégré.

Quant au projet de fusion des mécanismes de planification de l’OTAN et de l’Union européenne, il est, paraît-il, en cours de négociation, mais s’il intervenait, dans quelle mesure n’enlèverait-il pas toute spécificité à l’Europe de la défense ? Tant sur la question d’une avancée réelle en matière de défense européenne que sur celle de notre influence plus grande au sein de l’OTAN, la réponse est une double désillusion.

Je souhaite maintenant aborder la question compliquée du bouclier antimissile dont a traité le sommet de Lisbonne en novembre 2010. L’évolution de l’OTAN qu’elle traduit est assez problématique. Bien sûr, il y a des points qui ne présentent pas de problèmes particuliers, même s’ils sont difficiles à réaliser : les réorganisations pratiques ou les économies. On peut même estimer que certains aspects de l’élargissement du concept sont tout à fait acceptables, même si traditionnellement la France est réticente à une généralisation de l’OTAN, qui n’est pas un doublon de l’ONU sous contrôle américain. En revanche, il y a quelques points sur lesquels il faut être beaucoup plus prudent.

Selon M. Poniatowski, le partenariat avec la Russie, c’est très bien. Peut-être, mais vous avez fait remarquer devant la commission de la défense que personne ne savait aujourd’hui quel sera son contenu. Juger ce partenariat dans un sens ou un autre avant même qu’il ne commence, serait un peu rapide, prématuré. On peut simplement remarquer qu’à l’article 5, qui fonde le cœur de l’OTAN, l’idée est de faire cette organisation contre l’URSS, et que l’article 4 fait mention désormais de « partenariat fondamental avec la Russie ». Il faudra bien introduire une certaine logique !

En ce qui concerne les relations entre l’OTAN et l’Union européenne, les choses sont très vagues. Le seul moment où cela a bien fonctionné, c’était en 1999 avec le conflit du Kosovo où l’Union européenne a pris le relais. Pour le reste, des mécanismes sont prévus, par les accords dits « Berlin plus » notamment, corrigés en 2003. La réalité, c’est que cela ne fonctionne pas en raison de l’opposition entre Chypre, la Grèce et la Turquie. C’est tout de même un comble qu’au sein même de l’Union européenne – tout le monde en convient –, on soit incapable de résoudre un tel conflit et qu’on soit obligé de se tourner vers les Nations unies pour le résoudre ou plutôt pour ne pas le résoudre ! De fait, nous ne sommes pas parvenus, y compris dans ce nouveau concept stratégique, à une solution satisfaisante dans la distribution des rôles.

J’en viens au bouclier antimissile, affaire si difficile que votre prédécesseur, M. Morin, disait quelques jours avant de quitter son poste, que c’était la ligne Maginot, laquelle n’a pas laissé dans l’histoire le souvenir d’une défense tellement efficace. J’ai lu de la part d’un expert une définition excessive, mais que je vous livre néanmoins parce qu’elle ne manque pas d’humour – on peut en faire preuve de temps en temps, même s’agissant des sujets les plus sérieux. Cet expert, dont je ne partage pas totalement la formule, dit , à propos du bouclier antimissile : « c’est un dispositif qui ne marche pas, contre une menace qui n’existe pas, à partir de financements que nous n’avons pas. »

M. Alain Juppé, ministre d’État. Quel expert ! J’aimerais bien connaître son nom !

M. Laurent Fabius. C’est excessif, notamment sur le deuxième point, mais cela contient tout de même un petit signal d’alarme. Il y a une raison sans doute pour laquelle les présidents de la République successifs et les majorités successives ne l’ont pas accepté jusqu’au 15 octobre, date d’une visite de M. Rasmussen à la suite de laquelle M. Sarkozy nous annonçait que la France – en tout cas lui-même – avait changé de position.

Il y a des évolutions technologiques, qu’il ne faut pas laisser de côté. En outre, il faut avoir à l’esprit que même si cela peut nous poser un problème, à nous Français, il faut assurer la défense de nos voisins européens, en particulier de nos partenaires de l’ancienne Europe de l’Est. Nous devons garder cela à l’esprit. Pour autant, accepter le principe d’un bouclier antimissile – car c’est une action de principe – dans un document qui fixe le nouveau concept stratégique de l’OTAN pour des années, alors qu’énormément de sujets ne sont pas tranchés, sans vouloir vous choquer, monsieur le ministre d’État, c’est s’engager à la légère.

Pourquoi ? D’abord, parce que personne n’en connaît le coût. La seule chose que l’on sache, c’est qu’en parlant de 100 millions d’euros, nos amis américains ont suscité un énorme éclat de rire de la part des spécialistes – je vois M. Giscard d’Estaing qui approuve –, car cela ne correspond à rien de réel. Il s’agit en fait de milliards et de milliards. Et si l’on pense que ce sont les États-Unis d’Amérique qui paieront, on se paie de mots.

Ensuite, concernant l’aspect industriel, qui fournira les « briques » ? La France, dit-on. Peut-être, mais ce qui sera déterminant, c’est la menace. Or celle-ci n’est pas précisée. On a parlé de l’Iran. Peut-être. Mais quelle est réellement la menace ?

Enfin, et surtout, qui va contrôler et qui va commander ? Je pense n’être démenti par aucun de vous en disant que ce seront les États-Unis d’Amérique. Ce qui signifie, puisque l’on accepte la dissuasion nucléaire avec comme fondement le bouclier antimissile, que le poids de la décision américaine sera beaucoup plus lourd qu’auparavant. Cela n’est pas sans poser une série de problèmes, notamment à la dissuasion française. Que fera le Président de la République, l’actuel ou un de ses successeurs, face à une menace, dans l’hypothèse où il y aura un bouclier antimissile ? Le fondement de notre dissuasion nucléaire, c’est la dissuasion absolue ; il n’y a pas de mesure intermédiaire. Rappelez-vous que c’est pour sortir du concept de la riposte graduée que nous étions sortis de l’OTAN. Or, avec le bouclier antimissile, cette gradation est réintroduite. Ce n’est pas uniquement une affaire de spécialistes, vous le savez tous. Nos amis militaires y réfléchissent et cela leur pose énormément de problèmes. À ces arguments, il est répondu que, pour l’instant, il s’agit d’accepter un concept, on verra ce qu’il adviendra.

Monsieur le ministre d’État, je pense que vous êtes d’accord pour estimer que c’est une acceptation trop rapide. Non seulement vous partagez ce sentiment, mais vous l’avez écrit.

M. Jean Glavany. Que de bonnes lectures !

M. Laurent Fabius. S’agissant du développement de la défense antimissile, vous disiez, il y a quelques mois : « Il se heurte, de la part de la France et des pays européens, à une impossibilité budgétaire – c’est peut-être sévère, mais les difficultés budgétaires sont là. Par ailleurs, si l’on considère que la force de dissuasion sanctuarise le territoire national, avons-nous besoin d’un bouclier de plus ? Enfin, si c’est un bouclier OTAN, qui appuie sur le bouton et n’est-ce pas forcément un bouclier américain ? La France doit garder l’autonomie nécessaire pour assurer la défense de ses intérêts vitaux. Toutes ces raisons me font dire qu’il faut y regarder à deux fois avant de s’engager dans un nouveau dispositif. »

M. François Lamy. Très bien !

M. Laurent Fabius. On ne pourrait pas écrire mieux que ce que vous disiez à l’époque, monsieur le ministre d’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous nous répondrez certainement de façon très brillante – nous connaissons votre talent qui, en l’occurrence, serait digne d’une meilleure cause –, mais avancer l’aspect du bouclier et du glaive est un faux argument. Je sais bien que les États-Unis d’Amérique, l’Inde, la Chine, la Russie, toutes ces puissances peuvent avoir à la fois le bouclier et le glaive, mais ce sont les mêmes qui décident dans les deux cas. Alors que là, la dissuasion c’est la France et, si je suis bien informé, elle ne serait pas nécessairement le bouclier. D’où le problème politico-stratégique fondamental que pose cette affaire, et qui, malheureusement, a été tranché à la légère.

J’en viens au troisième aspect qui concerne l’Afghanistan. Lors du sommet de Lisbonne, un certain nombre de dispositions ont été prises concernant ce pays. Pour avoir interrogé des correspondants ou des amis américains, je peux dire que, même chez eux, l’interprétation à donner du contenu des actes de la conférence de Lisbonne est sujette à caution.

Je crois d’ailleurs que le vice-président Biden a été obligé de rectifier quelques jours plus tard l’interprétation qui avait été donnée. « Cela signifie », dira-t-on, « que les États-Unis, donc tout le monde, vont retirer des troupes à partir de 2011 » ; mais, quand on en parle avec des correspondants américains, ce n’est pas tout à fait leur interprétation. « Cela signifie que le transfert aura été opéré en 2014 » ; oui, mais M. Karzaï demande notre maintien, moyennant une dimension civile. Simultanément, nous voyons que certains collègues européens s’en vont, que d’autres veulent s’en aller, que les Anglais eux-mêmes disent que tout sera fini en 2014 ou 2015.

Monsieur le ministre d’État, je voudrais donc vous faire part de notre position en tant que formation politique responsable, de gouvernement. À nos yeux, il sera nécessaire que nous nous retirions militairement d’Afghanistan, car la solution ne peut en aucun cas être uniquement militaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nous sommes des gens responsables : nous ne prétendons pas que toutes nos forces peuvent être retirées d’ici à après-demain. Mais nous voudrions qu’un retrait soit entamé dès 2011. Car si les objectifs de lutte contre le terrorisme et d’arrimage de la démocratie sont légitimes, ce n’est pas par les moyens qui ont été engagés que l’on obtiendra des résultats pérennes.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Quelle est donc la solution ?

M. Laurent Fabius. Nous sommes tous d’accord, j’en suis sûr, pour nous donner tous les moyens permettant de lutter contre le terrorisme. Mais il faut lutter contre les terroristes par les moyens appropriés,…

M. François Lamy. Et là où ils se trouvent !

M. Laurent Fabius. …qu’il s’agisse des drones, des actions spéciales ou des actions anti-terroristes. Je pourrais en donner la liste complète, car, ayant dirigé un gouvernement, comme vous, je sais de quoi il s’agit.

Ce n’est donc pas par une présence militaire sous sa forme actuelle, de quelque courage qu’elle témoigne, que nous y parviendrons. Car cette méthode nous amènera soit à maintenir nos forces sur place, ce qui montre son absence d’intérêt, soit à les retirer, mais dans des conditions extrêmement risquées.

Quant à la démocratie, on nous explique que c’est par un accord avec M. Karzaï, lui-même allié à des talibans modérés – concept qui reste à définir –, que nous pourrons réaliser notre idéal. Ce n’est malheureusement pas le cas.

En étudiant, à la lumière des discours de M. Obama, notamment, la stratégie adoptée, on ne peut pas ne pas avoir de doutes. Il s’agirait d’établir une sorte de protectorat à partir du Pakistan, de nouer un accord avec certains talibans et d’être en mesure de contrôler tout cela de l’extérieur.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. C’est nouveau, ça !

M. Laurent Fabius. Nous savons pourtant tous combien la situation pakistanaise est difficile : étant donné l’opposition entre le Pakistan et l’Inde, ce projet n’a absolument aucun sens. Quant à conclure un accord solide avec M. Karzaï et une partie au moins de ceux que l’on appelle les insurgés, chacun reconnaîtra que c’est extrêmement difficile.

Voici donc ce que nous demandons. D’abord, que l’on se fixer pour objectif le retrait militaire, par un engagement rapide. Ensuite, que l’on procède à ce retrait en concertation avec nos alliés, et, si possible, avec les pays voisins, même si l’on sait combien cela est difficile.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Nous ne disons rien d’autre !

M. Laurent Fabius. Par ailleurs, que l’on maintienne une vigilance anti-terroriste implacable. Enfin, que l’on assure une aide civile – et je crois que des efforts sont faits en ce sens – en commençant dès que possible, sans quoi les risques sont grands.

Sur ce point, je vous cite à nouveau, monsieur le ministre d’État : « C’est un bourbier terrible. Il est sage de ne pas accentuer notre présence. » (Sourires sur plusieurs bancs du groupe SRC.) « […] Quand vous êtes dans un tel dilemme, vous vous dites : on va rester un peu et conforter la démocratie à Kaboul. Mais quand on voit l’état des relations de la communauté internationale avec le président Karzaï, on peut avoir quelques doutes. » Vos doutes, monsieur le ministre d’État, sont pour nous des certitudes : nous ne réussirons pas par les moyens qui sont employés aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. On n’arrête pas de vous applaudir, monsieur le ministre d’État ! (Sourires.)

M. Laurent Fabius. S’agissant enfin de l’OTAN, nous souhaitons, fidèles à la position que nous avons adoptée il y a deux ans, que, dans l’hypothèse d’un changement de majorité, le développement de la stratégie européenne et la matérialisation de la défense européenne deviennent une priorité absolue. Ne concluons pas des accords de principe avant d’en déterminer les conditions, comme nous l’avons malheureusement déjà fait.

En ce qui concerne l’engagement des forces, j’ai dit ce que j’avais à dire sur l’Afghanistan. Plus généralement – c’est sans doute également votre sentiment –, si nous devons engager nos forces ici ou là, comme le veut hélas le dur monde où nous vivons, le Parlement de la République doit être chaque fois consulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous ne devons plus être mis devant le fait accompli comme nous l’avons été à plusieurs reprises.

J’en terminerai en évoquant ce par quoi j’ai commencé : l’idée d’un décalage. Ce décalage, voire – ce qui est plus grave – la dérive que nous constatons, ne concerne pas essentiellement la politique de défense, mais touche notre politique étrangère.

Il s’agit d’abord d’un décalage temporel, qui est très préoccupant. L’attitude que nous avons adoptée vis-à-vis de la Côte d’Ivoire en fournit un exemple. La question est certes très délicate. Mais j’entends encore le Président de la République dire un jeudi ou un vendredi : « Il faut que M. Gbagbo parte avant dimanche. » C’était il y a deux ou trois mois ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Il faut faire attention. Bien sûr, il est facile de faire des commentaires après coup. Mais je pensais à un autre humoriste, incontestable celui-là, qui disait : « L’ultimatum est la dernière étape avant le renoncement. » (Sourires.) Même si cela n’était arrivé qu’une fois, à une seule personnalité, c’est l’image de la France qui en est compromise.

Décalage encore, et même retard, à propos de l’Égypte. Certes, la situation est extraordinairement compliquée. Toutefois, c’est notre devoir à tous, c’est en tout cas le devoir et la mission historique de la France, de dire clairement et très rapidement qu’elle est aux côtés du peuple égyptien. Cela a été dit, mais trop tard. Je conçois certes que cela soit difficile lorsque les deux piliers de l’Union pour la Méditerranée sont MM. Ben Ali et Moubarak.

M. Christian Eckert. Ah !

M. Laurent Fabius. Mais ce déphasage est extrêmement regrettable.

Plus encore que d’un déphasage, c’est d’un contresens qu’il s’agit à propos de la Tunisie. Les actes qui y ont été commis ou admis sont totalement contraires à la tradition et aux intérêts profonds de la France.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Quel rapport avec l’OTAN ?

M. Alain Juppé, ministre d’État. C’est de la politique !

M. Laurent Fabius. Nous sortons bien sûr du sujet.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Oui !

M. Laurent Fabius. Mais il s’agit du même phénomène : à partir de ce décalage entre les positions qu’adoptent les plus hautes autorités françaises et la nécessité objective, on en arrive vite à un déphasage, voire parfois à un contresens.

Nous vous remercions à nouveau d’avoir permis ce débat, monsieur le ministre d’État. Mais nous constatons que certaines des positions prises par la France, et que j’ai contestées depuis cette tribune au nom de mon groupe, ne sont pas conformes aux intérêts de notre pays à long terme. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, depuis le retour de la France dans le commandement intégré, imposé par le Président de la République, l’OTAN constitue l’un des piliers de notre défense nationale, aux côtés de l’arme nucléaire, dont il a été question, et de nos bases militaires extérieures.

Cette décision est la seule véritable rupture réalisée par Nicolas Sarkozy ; elle consiste à abandonner une grande partie de la politique étrangère que menait la France depuis le général de Gaulle. Elle a été notamment illustrée par la fin de ce que l’on appelait la politique arabe de la France – on le voit encore aujourd’hui ; par le renforcement continu de l’intervention militaire en Afghanistan ; par la construction d’une base militaire dans les Émirats, en sous-traitant de la politique américaine ; et par l’abandon de ce qui n’était qu’une posture de la campagne électorale sur la question des droits de l’homme, comme le montre en particulier l’accueil triomphal réservé à Kadhafi ou le soutien apporté jusqu’à la dernière seconde au dictateur Ben Ali. L’entrée dans l’OTAN et cette politique que nous critiquons sont hélas cohérentes.

Les écologistes, nés notamment des luttes pour le désarmement et la sortie du nucléaire civil et militaire, sont opposés à cette vision néo-conservatrice de la politique étrangère. Nous ne voulons ni la vassalisation sous commandement américain, ni le repli sur notre pré carré nucléaire, mais une refondation de la politique de défense dans le cadre de l’espace européen qui prenne en considération les nouvelles menaces, en particulier celles qui résultent de la crise écologique globale. À un unilatéralisme modernisé, nous opposons notre conception d’un monde multipolaire, où les ensembles régionaux pourraient bâtir des coopérations renforcées. L’OTAN représente, d’un point de vue idéologique, l’occidentalisation du monde, c’est-à-dire le contraire de notre vision.

La démarche de l’OTAN repose sur un leurre : il s’agit d’une sorte de troc diplomatique, la France retrouvant toute sa place au sein de l’OTAN à condition que l’Alliance atlantique prenne davantage en considération le poids et l’influence de l’Union européenne. La France occuperait des postes à responsabilité à la mesure de sa contribution militaire à l’Alliance – M. Fabius a raison sur ce point.

Ce marché de dupes a évidemment volé en éclats.

Premièrement, quelques effets d’annonce bilatéraux mis à part, la construction de la défense européenne est au point mort, car elle dépend d’abord du renforcement de l’union politique, laquelle est en crise depuis plus d’une décennie. Tant que l’Europe ne décidera pas de prendre elle-même en main ses capacités de défense, et donc de se réapproprier son avenir par son autonomie stratégique, elle ne sera qu’un nain politique, au service de l’idée la plus naïve qui soit : celle d’influencer par allégeance l’administration américaine.

Deuxièmement, le déséquilibre des forces est flagrant. Le budget militaire des États-Unis représente 45 % des dépenses mondiales. L’adoption du nouveau concept stratégique de l’OTAN, à Lisbonne, a eu lieu au moment où la crise du système accroît les tensions et la fuite en avant dans la course aux armements, au seul profit du complexe militaro-industriel, dont la base se trouve aux États-Unis même.

En 2009, 1 531 milliards de dollars ont été dépensés en armements dans le monde, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2000. Or une infime partie de ces moyens suffirait à répondre aux besoins les plus criants : 15 milliards de dollars par an permettraient de fournir tous les humains en eau potable, 20 milliards d’éradiquer la faim et la malnutrition, et 12 milliards d’éduquer tous les enfants.

Troisièmement, la légitimité de l’OTAN, organisation politico-militaire née de la guerre froide, est elle-même en cause. Quel est notre ennemi ? M. Fabius a fait allusion à ce problème. Qui peut identifier clairement nos missions, les zones et les limites de nos interventions ? Qui est membre de l’Alliance atlantique, qui ne l’est pas, et pourquoi ? Que signifie la notion même d’Alliance atlantique dès lors que cette alliance intervient en Afghanistan ?

L’OTAN n’a plus de doctrine face au nouvel état du monde et de la guerre. Elle était née d’un concept stratégique de défense de l’Europe face à l’Union soviétique, fondé sur l’hypothèse d’un affrontement classique entre deux armées sur un théâtre d’opérations continental. Or tout cela est fini. Nous vivons l’époque des guerres asymétriques, des formes d’action violentes, des mafias, de la corruption, du terrorisme, des crises internes ou des guerres pour les ressources naturelles.

Nous ne gagnerons aucune victoire avec la force seule. Seule la combinaison de stratégies politiques, économiques, sociales, culturelles, policières pourra nous le permettre.

Même sous Obama, la doctrine américaine n’a pas changé. Les États de l’Est européen qui ont rejoint cette organisation commencent d’ailleurs à le comprendre. Les États-Unis, quelle que soit leur administration, ne connaissent qu’une seule doctrine concernant nos relations. Madeleine Albright sous Clinton avait synthétisé cette politique par le slogan suivant : « No decoupling, no duplication, no discrimination ». Elle disait tout haut la vérité de cette politique d’alignement : pas de découplage entre les capacités et les utilisations militaires européennes et américaines – d’où l’allégeance ; pas de duplication de la production de matériels dans un monde totalement dominé par les industries de défense américaines ; pas de discrimination entre les anciens pays du bloc soviétique et ceux de l’Europe de l’Ouest afin de dissuader toute velléité d’indépendance de la politique de défense européenne.

L’OTAN n’agit qu’en fonction des intérêts tactiques, stratégiques et industrielles de Washington. Elle a fait croire qu’elle pourrait être le bouclier de la Géorgie, on a vu ce qu’il en était. En Afghanistan, c’est encore pire : l’alliance militaire déclare mettre tout en œuvre pour reconstruire un pays qu’elle détruit par ailleurs. Le déséquilibre entre l’effort militaire et l’aide civile est béant, comme M. Fabius le soulignait. Citons des chiffres : depuis 2001, 140 milliards de dollars ont été dépensés pour la guerre alors que 7 milliards seulement ont été alloués à la prétendue aide civile, dont 40 % sont consacrés à payer des entreprises essentiellement « étatsuniennes », qui ont remporté de la sorte de juteux contrats. La technique est désormais bien rodée, ces entreprises « reconstruisent » ce que l’OTAN, qu’elles suivent comme des charognards, a détruit.

L’OTAN est un instrument dépassé. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, ce n’est pas le nombre de missiles balistiques d’armes biochimiques ou de lignes Maginot virtuelles. Les guerres ne sont plus faites pour conquérir des territoires comme par le passé mais pour garantir la sécurité énergétique de nos pays et notre mode de vie, qui n’est pas exportable dans l’ensemble de la planète. Nos frères chinois, même s’ils croient qu’ils vont pouvoir posséder autant de voitures, d’écrans plats et de frigidaires que les occidentaux, ne pourront jamais vivre comme nous.

Cette politique est faite pour piller les ressources naturelles, pour conquérir les matières premières nécessaires au fonctionnement des pays riches. La sécurisation énergétique du monde occidental ressemble à celle de la politique des canonnières. La militarisation du monde sert à protéger les pays riches contre la raréfaction des ressources alors que nous ne faisons pas le dixième des efforts qu’il faut entreprendre pour garantir notre avenir énergétique. Tout cela s’apparente à de l’irresponsabilité. Considérer le mode de vie du monde riche comme un îlot à protéger par la force relève de l’ignorance ou de l’aveuglement. La crise écologique, climatique et énergétique balaiera tous ces fantasmes du siècle dernier.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le député.

M. Yves Cochet. Les guerres du futur n’opposeront plus des États entre eux mais s’apparenteront à une guerre civile mondiale rampante entre pauvres et riches dont l’enjeu sera l’apartheid planétaire et la survie de l’humanité face – disons-le brièvement – à la crise écologique et des ressources. L’OTAN qui ne sait plus à quoi elle sert deviendra alors un instrument militaire global, un gendarme du monde prêt à l’emploi. De cet OTAN-là, nous ne voulons pas. Nous sommes partisans de sa dissolution et de la création de forces de sécurité à la fois continentales et mondiales placées sous le contrôle de l’ONU. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Beaudouin.

M. Patrick Beaudouin. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en avril 2009, à l’occasion du sommet de l’OTAN qui se tenait à Strasbourg et à Kehl, la France reprenait toute sa place dans l’Alliance atlantique.

Moins de deux ans plus tard, sans doute est-il prématuré de tirer un réel bilan de cette réintégration. Mais il est d’ores et déjà possible de montrer que les craintes de ses opposants sont infondées, même si elles font l’objet de brillantes argumentations.

Notre position est finalement toujours originale et nous permet de redonner de la couleur à la défense européenne, si nécessaire. Et cela tient à une raison simple : la majorité de nos partenaires européennes font partie à la fois de l’Union européenne et de l’OTAN.

Le débat qui s’est tenu au sein de notre Assemblée le 17 mars 2009, au terme duquel le Gouvernement avait engagé sa responsabilité, avait notamment été l’occasion de rappeler à quel point la décision de réintégrer la structure militaire intégrée de l’OTAN était l’aboutissement logique d’un rapprochement engagé à partir de 1995 – sous votre responsabilité, monsieur le ministre – dans un contexte géopolitique profondément différent de celui qui avait dicté la décision du général de Gaulle en 1966. Ce n’est, paradoxalement, qu’une fois la guerre froide terminée que l’OTAN a lancé ses premières opérations militaires, en Bosnie-Herzégovine, et c’est alors qu’est apparu ce paradoxe : alors que la France était l’un des principaux contributeurs, elle ne participait pas aux échelons stratégiques du commandement. Il n’était pas admissible que les forces armées françaises soient assimilées à des troupes supplétives.

M. Philippe Vitel. Très juste !

M. Patrick Beaudouin. De plus, la guerre du Golfe avait déjà révélé que des divergences doctrinales ou une interopérabilité insuffisante avec nos alliés pouvait mettre en péril la vie de nos soldats. Le sommet de Strasbourg-Kehl a donc su tirer toutes les conséquences de ces constats, répondant ainsi au vœu de la majorité de nos armées.

L’Alliance atlantique constitue aujourd’hui le cadre de plusieurs de nos opérations extérieures. Je vais les évoquer rapidement. Ce sera aussi pour moi une manière de rendre un hommage fort à nos soldats qui y sont engagés et qui, par leurs capacités professionnelles, démontrent le savoir-faire du soldat français tant dans le combat que dans l’aide apportée aux populations des territoires concernés.

La France participe aujourd’hui à trois opérations majeures aux côtés de l’OTAN : en Afghanistan, avec la force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS ; dans les Balkans, avec l’opération Joint Enterprise ; en Méditerranée, avec l’opération de lutte contre la piraterie Active Endeavour. La France a par ailleurs contribué sur le plan financier à la mission de formation de l’armée irakienne menée par l’OTAN.

Dans les Balkans, l’OTAN conduit actuellement une mission de maintien de la paix au Kosovo et aide les gouvernements de Bosnie-Herzégovine et de Macédoine à restructurer leurs forces armées. Dans ce cadre, la France assure le commandement du bataillon multinational Nord de la KFOR. Elle est, avec près de 800 hommes sur le terrain, le quatrième contributeur de l’opération au Kosovo.

La lutte contre le terrorisme est au cœur de la mission de la FIAS en Afghanistan et de l’opération Active Endeavour en Méditerranée. En Afghanistan, la France est le quatrième contributeur pour ce qui est des troupes, avec près de 4 000 hommes déployés. Une task force du niveau brigade à deux bataillons est présente dans les districts de Surobi et Kapisa, appuyée par un matériel performant comprenant canons Caesar, hélicoptères d’attaque Tigre et véhicules blindés de combat et d’infanterie. De plus, les troupes françaises bénéficient de moyens d’appui aérien à Kandahar et au Tadjikistan. Enfin, dans la perspective de confier à terme la gestion de leur sécurité aux Afghans, la France contribue très largement à la formation de l’armée et de la police afghanes.

Stabilisation aux frontières de l’Union européenne et lutte contre le terrorisme, telles sont les deux missions que notre pays mène aux côtés de nos partenaires de l’OTAN. Je doute que quiconque puisse remettre en cause leur nécessité ou leur légitimité.

S’agissant des conséquences de la réintégration de la France dans la structure militaire intégrée de l’OTAN, hors plan nucléaire, plusieurs craintes avaient été formulées par ses opposants. Toutes se révèlent d’ores et déjà infondées.

Certains redoutaient d’abord une France à l’influence diluée, noyée au milieu de vingt-sept autres États membres, incapable de faire entendre sa voix face aux États-Unis. Or, il faut le rappeler, le retour de la France au sein de l’OTAN s’est fait par la grande porte. En témoignent, pour les plus symboliques, les nominations du général Stoltz au commandement interarmées de l’OTAN à Lisbonne et du général Abrial à la tête du commandement allié Transformation, l’un des deux commandements stratégiques de l’OTAN. Ce dernier poste revêtait une importance toute particulière, à l’heure où s’élaborait la réflexion sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN, nous l’avons vu à Lisbonne. Notre pays dispose donc désormais d’une capacité réelle à peser sur les orientations de l’Alliance.

Autre crainte agitée par les opposants à la réintégration, celle relative à notre dissuasion nucléaire. Celle-ci représente « l’assurance-vie de la nation » depuis plus de cinquante ans et a naturellement vocation à le demeurer. Notre attachement à ce socle de notre défense nationale a récemment été illustré en novembre dernier à l’occasion du sommet de l’OTAN de Lisbonne, au cours duquel le Président de la République a fait preuve de fermeté pour réaffirmer et faire admettre à nos partenaires le rôle central que conserve la dissuasion nucléaire et sa complémentarité avec le projet de bouclier anti-missiles. La déclaration finale du sommet affirme explicitement que les États membres de l’Alliance entendent « maintenir une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense anti-missiles ». Le même texte, comme l’avait souhaité le Président de la République, prévoit que la souveraineté de la France sur sa force de dissuasion nucléaire est totalement garantie. Du reste, si la dissuasion nucléaire était incompatible avec une défense anti-missiles balistique, pourquoi des États nucléaires tels que les États-Unis, la Russie, la Chine ou encore l’Inde seraient-ils intéressés par un tel système ?

La France conservera donc la maîtrise de son arme nucléaire, comme elle conservera sa pleine souveraineté. Les décisions à l’OTAN se prennent à l’unanimité et je rappellerai que l’Allemagne, malgré son attachement historique à l’OTAN, s’est abstenue de participer à la guerre en Irak. Si, au sein de l’OTAN, nous devons naturellement faire preuve de solidarité à l’égard de nos alliés – comme la décision de 1966 ne nous a, du reste, jamais empêchés de le faire –, nous conserverons la maîtrise de nos décisions. J’en veux pour preuve la récente vente à la Russie de deux bâtiments de projection et de commandement de la classe Mistral. Les réticences des États-Unis et des pays baltes ne nous ont pas empêchés de faire aboutir cette coopération sans précédent, qui témoigne, en outre, de notre capacité à jouer le rôle d’intermédiaire entre l’Alliance et la Russie.

De même, s’agissant de notre soutien de principe au projet de défense anti-missiles, notre choix n’a en rien été contraint.

D’abord, notre pays a, de longue date, manifesté son intérêt pour cet outil. Dans son discours de l’île Longue, en janvier 2006, le Président Jacques Chirac déclarait que s’il « ne pouvait être considéré comme un substitut de la dissuasion », il « pouvait la compléter en diminuant nos vulnérabilités ».

Ensuite, la défense anti-missiles représente un réel intérêt pour la sécurité nationale. Dans un contexte où un nombre croissant de puissances cherchent à se doter de missiles balistiques d’une portée suffisante pour leur permettre d’atteindre l’Europe et la France, il importe de se prémunir contre les risques futurs. C’est pourquoi le Livre blanc prévoyait en 2008 que « la France se doterait d’une capacité de détection et d’alerte avancée interopérable avec les moyens de nos alliés et partenaires » et qu’elle « prendrait part aux efforts collectifs pouvant conduire, à terme, à une capacité de défense active contre les missiles ».

La défense anti-missiles balistique représente par ailleurs un enjeu stratégique essentiel : toutes les puissances majeures cherchent à s’en doter. La France, qui a su accompagner toutes les grandes évolutions stratégiques depuis 1945, ne saurait passer à côté d’une telle évolution sans connaître une perte sensible de son influence.

Ce dispositif est aussi un enjeu diplomatique : on constate tout le profit que tirent les États-Unis en proposant à leurs alliés d’en bénéficier. Là non plus, la France ne peut demeurer à l’écart.

Enfin, les conditions dans lesquelles la France a apporté son soutien au projet porté par l’OTAN sont pleinement satisfaisantes. Outre les garanties sur le maintien de notre souveraineté en matière de dissuasion, elle a obtenu, monsieur Fabius, que seul le système de commandement et de contrôle fasse l’objet d’un financement commun, chaque État demeurant responsable des systèmes d’interception et des capteurs qui viendront s’y greffer.

J’ajouterai encore que, compte tenu du savoir-faire français en matière balistique, incomparable en Europe, un tel projet représente une formidable opportunité pour notre recherche et notre industrie de défense car il est susceptible de générer d’importantes retombées économiques et technologiques. Il importera, certes, de faire valoir ce savoir-faire, en particulier dans le cadre de coopérations industrielles européennes, qui pourraient constituer une étape décisive dans la construction d’une industrie de défense européenne. Au contraire, notre refus de participer serait susceptible d’engendrer un retard, non seulement dans le domaine militaire mais aussi dans le domaine civil, et c’est alors que notre dépendance à l’égard des États-Unis s’accroîtrait.

Mais il faudra naturellement demeurer vigilant sur deux points : d’une part, le coût réel, puisqu’il ne faudrait pas nuire à notre effort national de défense par un effet d’éviction sur nos programmes d’équipement ; d’autre part, la question de la maîtrise du système de commandement et de contrôle, en particulier des règles d’engagement, qu’il ne saurait être question de laisser aux seuls États-Unis. Sur ces deux points, monsieur le ministre, je serais heureux d’entendre vos précisions.

Autre crainte, enfin, assez paradoxale, celle voulant que notre réintégration pleine et entière à l’OTAN constitue un frein à la construction de l’Europe de la défense. Compte tenu du fort attachement de la plupart de nos partenaires à l’Alliance atlantique, c’est bien plutôt notre position en marge de l’OTAN qui était susceptible d’entraver la mise en place d’une politique commune de sécurité et de défense et d’une défense commune.

Loin d’être antagonistes, l’OTAN et l’Europe de la défense sont en réalité complémentaires, ce que réaffirme d’ailleurs le nouveau concept stratégique de l’OTAN adopté en novembre dernier. L’Europe de la défense est aujourd’hui sur le point de connaître de nouveaux développements. En témoignent plusieurs signes encourageants enregistrés récemment : le traité de défense commune franco-britannique tout d’abord, puis la lettre de Weimar, signée par les ministres français, allemands et polonais de la défense et des affaires étrangères, et le papier germano-suédois promouvant le pooling and sharing. Cette dernière initiative propose par exemple de mettre en commun les capacités et structures dans les domaines où une coopération renforcée est possible sans créer de trop fortes dépendances, par exemple en matière de transport aérien, voire de partager des capacités dans les domaines où la dépendance mutuelle est acceptable, par exemple en matière d’exercices ou de formation.

Si ces initiatives sont aussi motivées par un contexte budgétaire difficile, il ne fait pas de doute que notre plein retour au sein de l’OTAN a contribué à rassurer nos partenaires, souvent prompts à nous soupçonner d’arrière-pensées dès lors qu’il était question d’Europe de la défense.

Dans un monde où les menaces évoluent rapidement en matière de piraterie, de terrorisme protéiforme et de prolifération nucléaire – à cet égard, permettez-moi d’avoir une pensée pour l’ensemble des otages français privés aujourd’hui de liberté – et qui connaît des mutations brutales – je pense aux secousses politiques que vit actuellement le monde arabe –, la France ne peut agir seule. Son action est amplifiée car elle est pleinement inscrite dans un cadre multilatéral – ONU, OTAN, Union européenne – au sein duquel elle doit être en mesure de peser.

J’ai la conviction que les clarifications opérées ces dernières années ont contribué à renforcer notre poids et qu’elles permettent en conséquence à la France de jouer un rôle encore plus déterminant dans la redéfinition du rôle de l’OTAN, actée lors du sommet de Lisbonne, et dans la relance de l’Europe de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre d’État, la volonté du général de Gaulle de faire sortir la France de l’OTAN en 1966, mais non pas, je le rappelle car on entretient souvent la confusion, de l’Alliance atlantique, répondait à deux ambitions : ne pas s’en remettre à d’autres du soin d’assurer notre défense et ne pas se laisser entraîner par le jeu de systèmes d’alliances croisées dans des conflits qui ne sont pas les nôtres. Le retour de la France dans l’OTAN en 2009 avait, quant à lui, officiellement pour principale justification le renforcement de la défense européenne.

C’est au regard de ces trois enjeux que doit être appréciée, aujourd’hui, la question de notre présence au sein de ce commandement intégré.

D’abord, préservons-nous toujours l’autonomie de notre propre défense ?

Le récent sommet de Lisbonne avait principalement pour objet la définition d’un concept stratégique de l’OTAN qui, à force de vouloir être consensuel, finit par ne plus rien avoir de conceptuel. Cela ne serait pas gênant si notre politique avait eu ces dernières années plus de lisibilité, et pour tout dire, plus de caractère.

Cependant il y a une réserve qui concerne les défenses antimissiles sujet sur lequel se pose dès aujourd’hui les vraies questions.

La première est celle de la compatibilité avec la dissuasion, car ni le territoire sanctuarisé ni les intérêts vitaux n’y ont la même définition. Il s’agit ensuite, de celle de la chaîne de commandement où la place respective des États-Unis et de leurs alliés n’est toujours pas clarifiée. Enfin, pourquoi ne pas avoir fait de ce système une ambition purement européenne qui nous aurait permis de définir un concept commun, éventuellement élargi à nos voisins, et de projeter tant pour notre recherche que pour notre industrie une nouvelle frontière technologique ?

Par ailleurs éviterons-nous ainsi de nous laisser entraîner dans des conflits qui ne seraient pas les nôtres ?

Sans doute était-il conforme à l’esprit de solidarité de l’Alliance que nous nous soyons engagés au lendemain des attentats du 11 septembre. En revanche, aujourd’hui, que signifie notre présence militaire en Afghanistan, dans un conflit qui devrait relever d’abord de la responsabilité des puissances régionales, et où, outre les pertes qui nous touchent directement, les pertes nombreuses infligées aux civils dressent contre nous une part toujours plus nombreuse de la population afghane et souvent de ceux-là mêmes que nous soutenions dans les années 80 ? Il est clair que notre présence militaire devrait être relayée au plus tôt par un effort vraiment significatif de coopération et de développement. Or on peut se demander aujourd’hui si notre retour dans l’OTAN nous permet de nous déterminer librement.

Enfin, avons-nous fait progresser la défense européenne ?

Je sais, monsieur le ministre d’État, quelle est la force de votre engagement pour la construction de l’Europe et je ne doute pas que vous ayez la volonté de faire avancer la défense européenne. Toutefois quelle est votre marge d’initiative ?

En revenant dans l’OTAN, nous avons abandonné la position qui nous permettait de proposer une véritable alternative à nos partenaires. Souvenez-vous, monsieur le ministre d’État, car vous l’avez soutenue, de l’ambition de créer un pilier européen de l’Alliance atlantique. Où en est aujourd’hui ce pilier ? Sur quelles forces comptez-vous vous appuyer ?

J’ajoute que les tensions que subissent aujourd’hui l’ensemble des budgets de défense en Europe nous font craindre que la tentation de s’abriter plus ou moins sous le parapluie américain ne se renforce. L’appartenance à l’OTAN ne peut malheureusement qu’appuyer cette inclination.

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le retour dans l’OTAN ne sert pas la France. Il ne sert pas non plus l’Europe. C’est pour cela que nous devons le remettre en cause.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le débat sur l’OTAN et les orientations données aux forces armées françaises est opportun car il permet de faire en sorte que les enjeux de défense soient partagés par la représentation nationale et, à travers nous, de parler défense avec les Français. Il s’agit d’affirmer un contrat avec nos concitoyens, d’assumer en conscience les contraintes budgétaires dans des conditions compatibles avec nos objectifs politiques et de répondre aux nouveaux enjeux du monde.

Affirmer un contrat avec les Français, c’est d’abord – et tout débat sur la défense doit commencer par souligner cela – transmettre l’esprit de défense qui n’est jamais acquis. C’est l’une de nos responsabilités politiques.

Ce contrat doit être énoncé avec une bonne cohérence des objectifs et des moyens que sont le Livre blanc, la loi de programmation militaire et les choix budgétaires successifs.

Le contrat avec les Français est aussi un contrat de protection de nos intérêts et, plus que jamais aujourd’hui dans la période troublée que nous vivons, de protection de nos ressortissants. En effet, il est important que nous ayons la capacité et la crédibilité de dire à nos ressortissants que nous les protégeons.

Assumer en conscience les contraintes budgétaires, c’est ce qui se fait depuis quelques années déjà en termes d’optimisation des moyens, avec un programme ambitieux et, au fond, bien mené de restructurations, tout en gardant les objectifs et en veillant aux priorités du Livre blanc. Des évolutions ambitieuses sont menées globalement, armée par armée. Sans doute faut-il aussi les insérer dans un cadre interministériel qui peut permettre d’aller au-delà. Avec d’autres, je souscris à cette idée que la réforme des structures est importante et que celle des procédures ne l’est pas moins. Le cadre réglementaire dans lequel se meuvent vos armées et vos administrations, monsieur le ministre d’État, méritent assurément d’être simplifiées et rendues plus efficaces.

C’est aussi la conscience des contraintes budgétaires, en France et en Europe, qui nous fait avancer ou devrait nous faire avancer davantage. Le traité signé avec le Royaume-Uni le 2 novembre dernier, sans contrainte budgétaire chez nous mais sans doute pas pour le Royaume-Uni, a constitué un pas déterminant.

Il y a également, avec nos amis Allemands, la nécessité d’un renforcement de la coopération dans les industries de défense, la réalité étant très en deçà des ambitions que l’on peut légitimement avoir car la matière est difficile.

Sur un plan plus directement opérationnel, j’évoquerai l’enjeu que représente la modernisation de la brigade franco-allemande. Au-delà de sa mission au Kosovo quelle peut être, dans l’avenir, la mission de cette brigade et quels sont ses objectifs ? Il est important de donner sa signification à ce symbole.

Nous appelons également de nos vœux des progrès en matière de gestion des enjeux de défense au sein de l’Union européenne. Cette dernière doit nous permettre de mieux affronter les contraintes budgétaires d’aujourd’hui et de demain, sans perdre de vue les enjeux de défense. C’est l’un des enjeux pour l’Europe, et, évidemment, pour l’OTAN. Au-delà du nouveau concept stratégique, l’ambition de la transformation de l’OTAN est aussi une ambition budgétaire. Nous devons la tenir globalement et pour la France, alors même que notre retour dans certaines instances de l’OTAN est l’occasion de coûts supplémentaires. Une meilleure définition de la relation entre l’Union européenne et l’OTAN peut être l’occasion, là encore, d’une meilleure optimisation des moyens.

Enfin, il faut répondre aux nouveaux enjeux. C’est ce que vous avez fait, monsieur le ministre d’État, avec nos alliés, les 19 et 20 novembre derniers, en définissant un nouveau concept stratégique de l’OTAN. De nouveaux sujets sont abordés. Il faut leur donner toute leur chair et les partager avec nos concitoyens. Je pense à la cyberdéfense et à la cyberattaque. Il est important d’expliquer de quoi il s’agit et d’en préciser les enjeux.

En tant que président du groupe d’amitié France-Fédération de Russie, j’ai rencontré, il y a quelques semaines, le président de la commission des affaires étrangères de la Douma. À cette occasion, j’ai pu mesurer combien nos amis russes sont allants, même si l’on doit évaluer l’opportunité d’un meilleur lien entre l’OTAN et la Russie et les difficultés qui se présentent.

Nous attendons bien sûr également de nouvelles initiatives dans le domaine de la politique de sécurité et de défense commune. Notre Livre blanc appelait à la rédaction d’un livre blanc européen. À cet égard, je crois que nous avons envie aujourd’hui que l’Europe avance sur ce terrain. Il est évident que la France ne peut pas faire seule le Livre blanc européen de la défense. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un enjeu important et utile pour l’Union européenne, de façon qu’elle puisse avancer dans l’OTAN.

Tous ces enjeux sont importants et c’est notre volonté politique qui permettra de témoigner de la responsabilité et de la souveraineté de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me donner l’occasion de participer à ce débat de qualité qui reste pleinement d’actualité. Les principes qui ont été adoptés à Lisbonne les 19 et 20 novembre derniers constituent une feuille de route qu’il va falloir maintenant faire vivre et sur laquelle nous avons beaucoup de travail à accomplir. Nous aurons sans doute l’occasion d’en parler dans diverses circonstances.

Aujourd’hui, je me réjouis d’intervenir devant vous sur l’OTAN et les orientations données aux forces armées françaises. Il ne s’agit pas de brosser un tableau exhaustif de l’état de l’Alliance, mais d’expliquer en quoi les deux derniers sommets, celui de Strasbourg et celui de Lisbonne, changent d’une certaine manière la donne pour nos forces françaises. À cet égard, je tiens à remercier le président de la commission de la défense d’avoir salué le rôle que la France a joué dans le sommet de Lisbonne. Comme il l’a expliqué, cela nous a permis d’assurer une bonne cohérence entre notre vision politique et les choix que nous faisons pour nos armées.

Cela est vrai d’abord sur le plan stratégique. J’en veux pour preuve l’analyse des évolutions de notre environnement de sécurité qui apparaît dans le nouveau concept stratégique adopté à Lisbonne. Cette analyse, qui prend en compte les nouvelles menaces en matière de terrorisme, de prolifération ou de cyberdéfense, rejoint pleinement celle que nous avons faite en 2008 dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

J’en veux aussi pour preuve la définition des missions de l’Alliance. En réaffirmant la responsabilité première de l’OTAN, qui est de protéger et de défendre le territoire et la population de ses pays membres, conformément à l’article 5 du traité de Washington, mais aussi sa vocation à « gérer les crises les plus difficiles » et à « œuvrer avec d’autres organisations et d’autres pays pour promouvoir la stabilité internationale », le nouveau concept stratégique confie à l’OTAN des missions conformes à celles de nos forces et confirme le niveau de notre ambition.

J’en veux enfin pour preuve les moyens attribués à l’Alliance pour assurer ces missions. Le nouveau concept souligne en effet la détermination des alliés à veiller à ce que le l’OTAN dispose de tout l’éventail des capacités nécessaires, y compris une capacité de défense antimissile balistique. Cette détermination conforte nos propres choix stratégiques.

À Lisbonne, le rôle irremplaçable de la dissuasion nucléaire a été préservé et réaffirmé. Non, monsieur Fabius, nous n’avons pas entériné les décisions de Lisbonne en nous disant que « nous verrions bien » ensuite. Nous avons en effet obtenu des assurances formelles, notamment sur le fait que la défense antimissile n’est en aucune manière un substitut à la dissuasion nucléaire. Vous évoquez l’hypothèse selon laquelle, un jour, un bouclier antimissile rendra inutile la dissuasion nucléaire ; c’est un fantasme que même les Américains ne caressent pas puisque, M. Beaudouin l’a rappelé, dans le cadre du dernier traité START qui vient d’être ratifié par le Congrès, ils n’ont pas renoncé aux 1 500 têtes nucléaires qui assurent leur dissuasion.

Notre position en la matière n’est donc pas négociable. Nos partenaires le savent et l’ont bien compris. D’ailleurs, dans l’entretien que j’ai eu la semaine dernière avec le secrétaire général de l’Alliance, Anders Fogh Rasmussen, j’ai vérifié cette détermination qui nous est commune : il m’a très clairement confirmé sa volonté de rester des plus ferme sur le sujet. Le concept stratégique de l’Alliance prévoit noir sur blanc que la dissuasion reste nucléaire tant qu’il y aura des armes nucléaires sur la planète et tant que la question de la prolifération nucléaire n’aura pas trouvé de solution.

La défense antimissile vient en complément de la dissuasion, la renforce et devient partie intégrante de notre posture générale de défense. Elle est aussi en parfaite cohérence avec les orientations définies par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, aux termes desquelles la France, « dans le cadre de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique, [prendrait] part aux efforts collectifs pouvant conduire, à terme, à une capacité de défense active contre les missiles balistiques ».

Cette décision n’est pas le fruit de je ne sais quelle impulsion ; elle figurait bien parmi les orientations stratégiques proposées par le Livre blanc. C’est du reste dans cet esprit que la loi de programmation militaire prévoit le financement d’une capacité autonome d’alerte avancée et d’une capacité autonome de défense antimissile de théâtre destinée à protéger nos forces déployées.

Au-delà de la défense antimissile de théâtre, notre pays prendra sa part à l’effort décidé à Lisbonne pour étendre cette capacité de défense antimissile à la protection des populations, du territoire et des forces de tous les pays européens de l’OTAN. Nous avons cependant veillé – M. Folliot l’a souligné – à ce que seul le système de commandement et de contrôle, qui permettra le raccordement et le fonctionnement au sein d’une architecture intégrée des systèmes d’interception et des capteurs apportés librement par les nations, soit financé en commun, et en aucune manière les dispositifs techniques qui relèveront de l’initiative de chacune des nations concernées, principalement des États-Unis d’Amérique.

Dès 2012, nous contribuerons à ce projet par nos batteries de tir de missiles sol-air moyenne portée terrestres, aptes à traiter des menaces de type courte portée. Au-delà, la contribution française sera conforme à ce que prévoit la programmation militaire, centrée autour de capacités d’alerte avancée, notamment au moyen de satellites et d’un radar longue portée de suivi de trajectoire. Notre participation à la grande aventure de la défense antimissile est un élément essentiel pour nous permettre de « rester dans le coup » en matière d’innovation, de recherche et de technologie, ainsi que M. Beaudouin l’a rappelé.

Le sommet de Lisbonne reprend également, à l’échelle de l’OTAN, la démarche de modernisation et de rationalisation de notre propre outil de défense engagée en 2008. Ce point n’a peut-être pas été suffisamment souligné au cours de la discussion.

Lors de cette rencontre, les alliés ont arrêté un cadre pour la nouvelle structure de commandement de l’OTAN. Avec une diminution importante du nombre de quartiers généraux et une réduction des effectifs de 35 %, soit près de 5 000 postes, voire plus, si nous le pouvons, le système de commandement allié sera plus resserré, plus efficace et moins coûteux. On ne peut pas demander à la fois aux États membres d’adopter des politiques budgétaires rigoureuses et laisser l’Alliance fonctionner de manière laxiste.

M. Philippe Folliot. Très juste !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Ce système sera également plus agile et plus apte au déploiement dans le cadre d’opérations pour les missions de maintien de la paix comme pour les situations relevant de l’article 5.

Cette réforme, la France y attache un prix tout particulier et notre pays joue un rôle majeur depuis son plein retour dans la structure intégrée. Notre pays peut se prévaloir de l’effort de rationalisation considérable qu’il a lui-même engagé au plan national, mais aussi des partenariats ambitieux qu’il a lancés avec le Royaume-Uni et relancés avec l’Allemagne pour développer des capacités militaires et des coopérations industrielles communes.

Lors des rendez-vous de mars et de juin prochains consacrés aux trois grands axes de la réforme de l’Alliance – réforme de la structure de commandement, dont le format définitif n’est pas encore déterminé ; agences, dont le nombre devrait passer de quatorze à quatre ; gouvernance financière –, nous serons particulièrement attentifs à la mise en œuvre des décisions prises à Lisbonne selon le calendrier prévu. Là encore j’ai pu mesurer la détermination du secrétaire général de l’Alliance à aller dans ce sens.

Le resserrement significatif de la structure de commandement de l’OTAN aura une conséquence directe sur la présence française au sein des états-majors alliés. Il impliquera en effet une révision à la baisse du nombre de nos militaires insérés, avec une cible désormais plus proche de 800, alors qu’elle était initialement estimée à environ 1 100 hommes et femmes à l’horizon 2012. Naturellement, les coûts induits en seront réduits d’autant. Parallèlement à cette diminution de nos effectifs, nous veillerons à conserver des postes appropriés pour que notre politique d’influence et de responsabilité au sein de l’OTAN reste la plus efficace possible.

À cet égard je ne partage pas le sentiment de M. Fabius : le commandement pour la transformation n’est pas une mince affaire…

M. Laurent Fabius. Je n’ai pas dit cela !

M. Alain Juppé, ministre d’État. …et je me réjouis que le général Abrial assume ses fonctions avec beaucoup de talent. Nous avons d’autres postes stratégiques comme celui qu’occupe l’ingénieur général Auroy, en tant que secrétaire général adjoint chargé des investissements de l’Alliance.

Une deuxième conséquence de ces réformes, cette fois-ci liée à l’amélioration de la gouvernance financière de l’Alliance, sera de permettre de mieux maîtriser les engagements financiers en soutien des opérations et des projets capacitaires. Nous avons donné à nos représentants à Bruxelles des directives de vigilance extrêmement claires en ce sens.

Le sommet de Lisbonne a également confirmé notre vision stratégique à moyen terme en Afghanistan, où je me suis rendu au moment de Noël et où nos militaires font preuve d’un engagement, d’un courage et d’un professionnalisme remarquables. À travers nos conversations, j’ai pu prendre conscience qu’ils comprenaient le sens de la mission qui leur était confiée par les autorités de la République.

M. Philippe Folliot. Très juste !

M. Henri Emmanuelli. Ils ne peuvent pas dire autre chose !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Cette mission consiste tout simplement à défendre les intérêts de la France dans une lutte contre le terrorisme qui nous concerne très directement, y compris sur le territoire en question.

Monsieur Emmanuelli, ne pensez pas que les militaires ne peuvent pas dire autre chose : quand on discute avec eux au cours d’une soirée festive et qu’on les invite à « se lâcher », ils parlent et ils parlent même à la presse car, dans les armées aussi, aujourd’hui, la notion d’expression, de concertation progresse.

Sur le théâtre en question, vous le savez, les alliés ont décidé de débuter dès cette année la phase de transition qui doit conduire les forces afghanes à endosser pleinement la responsabilité de la sécurité dans l’ensemble du pays à l’horizon de la fin de 2014. Parallèlement, à travers leur partenariat durable avec le gouvernement d’Afghanistan, ils ont également réaffirmé leur engagement à long terme aux côtés du peuple afghan.

Cet agenda correspond à notre propre analyse de la situation sur le terrain. Notre objectif prioritaire est aujourd’hui d’assurer d’ici à la fin du premier semestre 2011 – à savoir dans quelques mois – les conditions permettant le transfert aux autorités afghanes de la sécurité du district de Surobi. Ce transfert sera décidé par le pouvoir afghan en fonction de critères de sécurité et de gouvernance mais aussi d’un ordre de priorité qui sera fixé en février puis en octobre prochain en prenant en compte la situation sur le terrain.

Nous souhaitons ensuite nous concentrer sur la Kapisa où nous avons d’ores et déjà intensifié nos efforts, d’une part sur le plan sécuritaire en nous inscrivant résolument dans le plan d’action du général Petraeus sur le grand Kaboul et, d’autre part, en matière de gouvernance en soutenant résolument l’action de l’État afghan et des instances locales de gouvernement.

Nous devons également continuer à nous investir en matière de développement – sujet évoqué par M. Cochet que je souhaite rassurer en lui indiquant que nous sommes très actifs dans ce domaine –, à travers l’action du pôle de stabilité mis en place conjointement avec le ministère des affaires étrangères depuis l’été 2010 pour mener les actions de reconstruction civile. On construit des écoles, des hôpitaux, des routes et la France n’est pas la dernière à s’y atteler.

Elle donne même l’exemple. Ainsi c’est nous qui avions lancé l’idée de la transition, avec le transfert réussi de Kaboul aux Afghans, en 2008, proposé aux alliés par le Président de la République lors du sommet de Bucarest. Nous savons que la tâche sera difficile et nous sommes conscients des nombreuses incertitudes qui subsistent, mais nous avons une stratégie cohérente.

J’indique très amicalement à Laurent Fabius, que sa proposition alternative pour l’Afghanistan m’a laissé sur ma faim.

En effet, que nous avez-vous dit ? Qu’il fallait nous retirer de l’Afghanistan. Or je vous rappelle que le Président de la République lui-même a déclaré que nous n’étions pas en Afghanistan pour l’éternité. Bien sûr que nous nous retirerons un jour : mais quel jour ? Vous n’avez pas répondu à cette question. Nous envisageons de redéployer notre dispositif à partir de 2011, la question demeurant de savoir comment nous procéderons pour atteindre l’objectif fixé pour 2014.

Vous avez ensuite affirmé, monsieur Fabius, qu’il fallait rester vigilants dans la lutte contre le terrorisme. Dont acte. Nous devrions également, selon vous, accroître notre aide au développement et concerter notre retrait avec nos alliés. Je ne vois pas ici de divergence fondamentale avec la stratégie adoptée à Lisbonne et je ne suis pas sûr qu’en cas de changement politique on assiste à un grand chambardement de la position française sur l’Afghanistan tant l’exercice du pouvoir conduit parfois à un certain réalisme, à une certaine prudence. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Henri Emmanuelli. Vous parlez pour votre blog ?

M. Yves Cochet. C’est la real politik !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Le sommet de Lisbonne a donné un nouveau départ à notre relation avec la Russie et je me réjouis que le président Poniatowski ait mis l’accent sur ce partenariat.

Vous m’avez quelque peu surpris, monsieur Fabius, lorsque vous avez déclaré : « La Russie, peut-être. » Eh bien, non, pas « peut-être », mais « sûrement » ! Il est vital pour l’Europe de développer avec ce voisin, avec ce partenaire, une alliance – disons le mot – aussi étroite que possible.

M. Philippe Vitel. En effet !

M. Alain Juppé, ministre d’État. J’avoue que l’un des moments les plus forts que j’ai vécus à Lisbonne est celui où le président Obama s’est tourné vers le président Medvedev en lui déclarant qu’il n’était pas seulement un partenaire mais un ami. Il en va, j’y insiste, de l’intérêt de l’Europe et de celui de la France de créer avec la Russie des conditions de confiance qui fondent un partenariat étroit.

C’est ce qu’ont fait les alliés à Lisbonne en appelant notamment à une coopération avec la Russie en matière de défense antimissile balistique et, plus largement, à un partenariat stratégique renouvelé avec ce pays au service du vaste espace commun de sécurité de l’Europe envisagé lors du sommet d’Astana de l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe.

Il s’agit d’un choix politique majeur. Sa mise en œuvre ne sera pas facile, y compris sur le plan de la défense antimissile. Je ne puis vous dire aujourd’hui quelles seront les conditions dans lesquelles ce projet sera mis en œuvre. Nous devons trouver un juste équilibre entre les besoins de l’Alliance et la volonté affichée par la Russie de participer à la sécurité commune. Il nous appartient également de faire face aux inquiétudes, voire aux divergences de vues de certains alliés, tandis que d’autres, à Moscou, continueront de souffler le chaud et le froid. Nous devons néanmoins rester fermes sur notre objectif à long terme qui est d’amener la Russie à participer au dispositif de sécurité européenne.

Pour relever ce défi, la France aura un rôle déterminant à jouer, forte du niveau de confiance du dialogue stratégique franco-russe et de sa maîtrise des enjeux complexes de la défense antimissile.

Vous le voyez, les réformes ambitieuses décidées à Lisbonne confirment pleinement les orientations actuelles que nous donnons à nos forces armées, car elles réaffirment la nécessité d’adapter nos modes de pensée et nos modes d’action aux nouvelles menaces – à cet égard je ne suis pas sûr que l’on puisse analyser la situation du monde, cher Daniel Garrigue, à la lumière de ce que le général de Gaulle a fait en 1966 : le monde a quelque peu changé depuis et nous devons en tenir compte –, la nécessité, aussi, de disposer de forces entraînées, déployables et parfaitement interopérables avec nos alliés, et de préserver un outil militaire complet.

Ces réformes sont inséparables de notre volonté de construire une défense européenne crédible. Plus que jamais, c’est une priorité pour la France, et je veux insister, comme l’a fait M. Vitel.

Si nous voulons cette défense européenne, c’est d’abord par ambition politique pour l’Europe : l’Union ne pourra pas jouer tout son rôle politique et peser sur les équilibres du monde sans être adossée à une capacité de défense.

C’est ensuite par réalisme : le monde est plus imprévisible que jamais ; notre ministre des affaires étrangères – ce n’est pas moi ! (Sourires)-…

M. Laurent Fabius. On ne sait jamais 

M. Alain Juppé, ministre d’État. aura sans doute l’occasion de parler avec vous de la Tunisie et de l’Égypte, puisque vous avez souhaité l’organisation d’un débat sur ce sujet. L’Europe ne peut donc renoncer aux moyens de sa défense.

C’est enfin par nécessité : la contrainte budgétaire et la réduction des budgets de défense obligent tous les Européens à fédérer leurs efforts.

M. Philippe Vitel. Absolument !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Forts de ces convictions, nous voulons remobiliser nos partenaires européens, avec en particulier pour objectif d’accélérer le partage et la mutualisation de nos ressources, de nos capacités et de nos compétences.

C’est l’un des objectifs que je me suis fixés en arrivant à la tête du ministère de la défense ; c’est aussi le sens de la lettre que les six ministres de la défense et des affaires étrangères du triangle de Weimar – la France, la Pologne et l’Allemagne – ont adressé à la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Ashton, en appelant à une relance de la politique européenne de sécurité et de défense commune.

Je me suis rendu à Bruxelles le 27 janvier dernier, et j’y ai rencontré, outre M. Rasmussen, M. Van Rompuy, M. Barroso et Mme Ashton. J’ai constaté une véritable convergence sur l’idée de redonner de l’élan à la politique de sécurité et de défense commune.

La Haute représentante a répondu à notre lettre de manière extrêmement positive et ouverte. L’Union vient ainsi de se saisir officiellement de nos propositions, qui vont à présent être examinées par les Vingt-sept. Notre objectif est d’obtenir un accord sur des pistes concrètes de relance de la politique européenne de sécurité et de défense commune, qui pourraient être validées par un conseil européen à la fin de l’année 2011, sous présidence polonaise. Les Polonais, je peux vous l’assurer, sont tout à fait convaincus de la nécessité d’aller dans cette direction.

Au moment où je vous parle, la décision n’est pas encore prise, mais nous y travaillons.

Cela me permet d’ailleurs de dire à M. Fabius, que j’ai écouté très attentivement, que j’ai été un peu déçu par la laborieuse démonstration qu’il a essayé de développer pour me mettre en contradiction avec moi-même. Je l’ai trouvé quelque peu en décalage avec son talent habituel. (Sourires.)

Je me sens en effet parfaitement à l’aise avec ce que j’ai déclaré il y a quelques mois.

M. Laurent Fabius. Cela reste à voir. (Sourires.)

M. Henri Emmanuelli. C’est très subtil, alors !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je n’ai jamais pris position contre la réintégration de la France dans les structures intégrées de l’Alliance. Bien au contraire, j’avais déjà, sous l’impulsion du président Jacques Chirac, essayé de la mener à bien en 1995, c’est-à-dire avant le sommet de Saint-Malo qui a marqué un tournant historique dans la position de la Grande-Bretagne vis-à-vis de la politique de sécurité et de défense de l’Europe.

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis, avec notamment, comme je l’ai déjà souligné, le rééquilibrage des responsabilités au sein de l’Alliance. J’ai essayé de le montrer avec la relance, que nous souhaitons, de la politique de sécurité et de défense européenne.

J’ai aussi été quelque peu surpris, monsieur Fabius, de vous entendre souligner l’absence de la France dans les nouveaux dispositifs résultant du traité de Lisbonne, en particulier dans le service européen d’action extérieure. Il ne vous aura pourtant pas échappé qu’il est dirigé par M. Vimont, qui est français.

M. Laurent Fabius. Certes, mais c’est très faible !

M. Alain Juppé, ministre d’État. L’Agence européenne de défense est également dirigée par une Française, Mme Arnould et nous sommes évidemment présents à tous les niveaux de ces instances européennes.

Je vous rassure donc : après examen de conscience, je me sens parfaitement à l’aise avec moi-même, et en pleine cohérence avec les positions que j’avais prises il y a quelques mois. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

J’ajoute même que la réintégration de la France a sans doute rendu possible quelque chose qui ne l’aurait pas été il y a encore quelques mois : la signature d’un traité franco-britannique. Vous avez estimé qu’il n’allait pas dans le sens d’un renforcement de la politique de sécurité et de coopération européenne. Je dois admettre qu’il y a peut-être quelques réticences du côté britannique ; mais, pour nous, c’est une brique qui pourra servir à la construction de la politique de sécurité.

Il a d’ailleurs été accueilli comme tel par la totalité de nos partenaires de l’Union européenne.

M. Laurent Fabius. Non, ce n’est pas exact.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Si ! Je peux en porter témoignage à l’issue de la réunion des ministres de la défense qui s’est tenue il y a quelques semaines à Bruxelles.

Je pense donc que les choses vont dans le bon sens.

Mesdames et messieurs les députés, telles sont les indications que je souhaitais vous donner sur les perspectives qui s’ouvrent après le sommet de Lisbonne.

Les grands rendez-vous de l’Alliance en 2011 nous permettront de nous assurer que les avancées sont conformes au calendrier prévu à Lisbonne, et le prochain sommet de l’OTAN, en 2012, sera, je le souhaite, celui de l’Alliance du XXIe siècle : une Alliance rénovée, dans laquelle les Européens seront capables d’avoir toute leur place. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. Le débat est clos.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, jeudi 3 février, à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)