Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 9 mars 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Immigration, intégration et nationalité

Discussion des articles (suite)

Article 3 ter

Mme Sandrine Mazetier

Amendement no 89

M. Claude Goasguen, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

Amendement no 82

Article 5

Amendements nos 83, 90, 258, 240, 242, 259, 203

Article 5 bis

Amendement no 22

Article 5 ter

Amendements nos 91, 218

Article 6

Mme Sandrine Mazetier

M. Christian Estrosi

M. Noël Mamère

M. Claude Guéant, ministre

Amendements nos 23, 92, 219, 204 rectifié, 233, 230, 235

Article 7

Amendements nos 24, 94, 220, 238, 236

Article 8

Amendements nos 95, 221

Article 9

Mme George Pau-Langevin

Amendements nos 25, 96, 222, 182

Article 10

Mme Sandrine Mazetier

Mme George Pau-Langevin

M. Lionel Tardy

Amendements nos 26, 97, 223

Article 10 bis A

Article 10 bis

Article 11

Amendements nos 27, 98, 224

Article 12

M. Lionel Tardy

Amendements nos 28, 99, 225

Article 12 bis

Article 13

Amendements nos 100, 260, 226, 261, 262, 263, 227, 229

Article 16 bis

Article 17 AA

Amendement no 228

Article 17 A

Amendements nos 29, 101, 232

Article 17

Amendements nos 237, 250, 288, 14 rectifié

Article 17 bis A

Article 17 ter

Mme Marylise Lebranchu

Mme Pascale Crozon

M. Jean-Patrick Gille

M. Julien Dray

Amendements nos 30, 102, 239, 241, 243

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Immigration, intégration et nationalité

Suite de la discussion, en deuxième lecture, d’un projet de loi modifié par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n°s 3161, 3180).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est d’une heure quarante-deux minutes pour le groupe UMP, dont quarante-deux amendements restent en discussion, quatre heures vingt minutes pour le groupe SRC, dont 141 amendements restent en discussion, une heure cinquante-trois minutes pour le groupe GDR, dont quarante-deux amendements restent en discussion, une heure vingt-neuf minutes pour le groupe Nouveau Centre, dont deux amendements restent en discussion, et vingt-cinq minutes pour les non-inscrits.

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 3 ter.

Article 3 ter

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, inscrite sur l’article.

Mme Sandrine Mazetier. Avant d’examiner l’article 3 ter, j’aimerais faire une observation, madame la présidente : je n’ai pas le souvenir que nous ayons examiné l’amendement n° 81 à l’article 3 bis, que Mme Croton devait présenter.

Mme la présidente. Madame Mazetier, vous avez voté les amendements de suppression de l’article 3 bis. L’article ayant été supprimé, tous les autres amendements sont tombés…

Mme Sandrine Mazetier. Excusez-moi, madame la présidente !

Mme la présidente. Mais je vous en prie. Et c’est maintenant à vous d’intervenir, si tant est que vous le souhaitiez encore, sur l’article 3 ter.

Mme Sandrine Mazetier. Le problème, madame la présidente, est que cet amendement n° 81 était extrêmement important, puisqu’il traitait de l’apatridie. J’aurais aimé qu’il puisse être présenté à l’occasion de la discussion de l’article 3 ter par Mme Croton.

Mme la présidente. Permettez-moi un tout petit point de procédure, madame Mazetier : il n’est pas possible de présenter cet amendement. C’est vous qui êtes inscrite sur l’article. À vous de vous organiser pour que, à un moment ou à un autre, Mme Croton s’exprime, mais je ne peux pas lui donner la parole maintenant. Pour l’instant, c’est à vous d’intervenir.

Mme Sandrine Mazetier. Vos désirs sont des ordres, madame la présidente !

Mme la présidente. Ce ne sont pas mes désirs, madame Mazetier, mais tout simplement le règlement… Si nous le respectons, nous pourrons avancer correctement.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Pourvu que cela dure !

Mme Sandrine Mazetier. Lors de la discussion sur les premiers articles du titre Ier du projet de loi, des volontés diverses et variées se sont exprimées chez nos collègues de l’UMP à propos de la double nationalité, de la déchéance de nationalité ou des catégories de Français qui bénéficieraient d’une nationalité alternative à la nationalité française. Or il se trouve que la France est engagée, comme l’ensemble des démocraties de la planète, dans un mouvement tendant à réduire au maximum les cas d’apatridie, à une incohérence près : si notre pays a signé la convention de New York de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, jamais il ne l’a ratifiée. Les discussions que nous avons eues cet après-midi auraient pu être éclairées si le Gouvernement nous avait apporté des précisions sur la perspective de ratification par la France de cette convention – rappelons à ce propos que le Président de la République lui-même est un fils d’apatride.

Mme la présidente. Sur l’article 3 ter, je suis saisie d’un amendement n° 89.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.

M. Roland Muzeau. Pour alléger ce projet de loi déjà bien lourd de conséquences, nous proposons de supprimer l’article 3 ter.

L’allongement des délais fixés par le code civil pour la mise en œuvre de la procédure de retrait de la nationalité est symboliquement contestable et potentiellement nuisible, et cela a été particulièrement bien démontré, car il crée une instabilité juridique plus longue pour les personnes naturalisées et leurs familles. Le Gouvernement propose de modifier l’article 27-2 du code civil pour porter d’un à deux ans le délai pendant lequel un décret de naturalisation et de réintégration de la nationalité française peut être rapporté. Nous considérons que les douze mois actuellement prévus sont suffisants pour mener à bien l’instruction préalable et l’éventuelle procédure de retrait, eu égard au respect du principe de sécurité juridique de l’intéressé. Nous ne sommes pas favorables à l’extension du délai qui aurait pour effet d’altérer les droits des personnes acquérant la nationalité française en les plaçant dans une situation d’incertitude pendant une trop longue période.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Goasguen, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 89.

M. Claude Goasguen, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, pour donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement.

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Défavorable.

(L’amendement n° 89 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le soutenir l’amendement n° 82.

Mme Sandrine Mazetier. Défendu.

(L’amendement n° 82, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 3 ter est adopté.)

Article 5

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 83 et 90, tendant à supprimer l’article 5.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 83.

Mme Sandrine Mazetier. Défendu !

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 90.

M. Noël Mamère. Défendu !

(Les amendements identiques nos 83 et 90, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 258.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le soutenir.

Mme Sandrine Mazetier. J’avais déjà signalé cet amendement à l’attention du Gouvernement. En cohérence avec l’avis qu’il a donné sur un amendement à l’article 2 bis, M. le ministre devrait normalement accepter celui-ci, puisqu’il a pour objet de nourrir le contrat d’accueil et d’intégration – il n’est plus question de la naturalisation, mais de l’accueil et de l’intégration de personnes étrangères à qui l’on fait aujourd’hui signer un document qui n’a du contrat que le nom, en ce sens qu’il n’engage nullement deux parties. Nous proposons, en conséquence, que ce contrat d’accueil et d’intégration soit un véritable contrat liant deux parties tenues chacune à des droits et des devoirs.

(L’amendement n° 258, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 240.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Défendu.

(L’amendement n° 240, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 242.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Défendu !

(L’amendement n° 242, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 259.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Le contrat d’accueil et d’intégration, tel qu’il est défini aujourd’hui, reste un acte unilatéral qui ne prescrit d’obligation que pour l’une des parties, en l’occurrence l’étranger signataire. Pour faire de cet acte un réel contrat, il convient que l’État s’engage également. C’est le premier objet de cet amendement.

Le second objet – et je demande au Gouvernement d’expliciter son avis sur ce point – est de défendre le droit à la maîtrise de la langue française qui, pour nous tous dans cet hémicycle, je le pense, un puissant facteur d’intégration et d’émancipation. Si l’on veut être cohérent avec ce qui a été voté depuis le début de l’examen de ce texte, cet amendement devrait recevoir un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. L’idée est intéressante, mais nous ne pouvons pas l’accepter, car cela relève non de la loi, mais de la convention. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable. Mais pour ma part, cette proposition ne me choque pas du tout, bien au contraire, car elle permettrait une meilleure intégration. Encore faut-il que les partenaires sociaux le prévoient. En l’état actuel des choses, ils en ont parfaitement la possibilité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement considère que cet amendement n’a pas de réelle utilité dans la mesure où le code du travail prévoit déjà que des actions de formations linguistiques peuvent être organisées dans le cadre de la formation professionnelle continue.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Absolument.

(L’amendement n° 259 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 203.

La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Cet amendement, signé par plus de cinquante députés, vise à réactiver et à redéfinir les missions de l’Observatoire statistique de l’immigration et de l’intégration. En effet, cet organisme, mis en place en 2004, est actuellement en sommeil. Il n’a pas remis de rapport annuel depuis 2006, car le comité interministériel de contrôle de l’immigration avait créé une mission statistique. Depuis 2007, il est vrai, c’est le ministère en charge de l’immigration qui publie les statistiques annuelles. Or il nous apparaît indispensable de disposer d’un observatoire indépendant qui puisse remettre un rapport public annuel sur les flux migratoires. Du reste, nous n’inventons rien : il en existe déjà un pour la délinquance, avec l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale présidé par Alain Bauer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Défavorable : même si l’idée est intéressante, ce n’est qu’un rapport de plus… Il est vrai que nous manquons de statistiques mais, franchement, c’est plutôt une question d’approche des problèmes d’immigration.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement suggère que cet amendement soit retiré : il suffit de réactiver l’observatoire statistique rattaché au Haut conseil à l’intégration. Par ailleurs, le ministère dispose d’un service statistique ministériel obéissant à toutes les règles de la statistique publique et offrant donc toutes les garanties souhaitées par les auteurs de l’amendement.

M. Roland Muzeau. N’y a-t-il pas un commissaire à l’intégration ? Il a bien dû écrire quelque chose !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. J’ai bien compris que l’on faisait trop de rapports, mais qu’on manquait de statistiques… Je suis donc obligé de maintenir mon amendement.

(L’amendement n° 203 n’est pas adopté.)

(L’article 5 est adopté.)

Article 5 bis

Mme la présidente. Sur l’article 5 bis, je suis saisie d’un amendement n° 22.

La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. M. Hervé Morin avait déposé un amendement identique. Ces amendements ont pour objectif de rétablir la version issue de l’examen du texte au Sénat – il s’agissait à l’origine d’une proposition du Gouvernement qui a introduit la promotion de la diversité. Le Sénat a souhaité quant à lui la promotion « des diversités ».

Au-delà des actions menées en faveur de la lutte contre les discriminations, il est essentiel que ce bilan, intégré au rapport social et environnemental publié chaque année par les entreprises cotées, aborde également les actions menées en faveur de la promotion des diversités. L’utilisation du pluriel est nécessaire pour éviter les amalgames, qui conduisent trop souvent à cantonner le sujet à la question des origines.

Au final, il s’agit, d’une part, de permettre aux entreprises de mieux rendre compte, dans un cadre commun, de leurs actions et de leurs résultats en matière de lutte contre les discriminations et de promotion des diversités telles qu’elles existent dans la société, et, d’autre part, de valoriser les initiatives volontaristes dans une démarche de transparence et de progrès.

Enfin, il convient de se placer dans une évolution du contexte européen et international, avec notamment la première norme internationale ISO 26000, élaborée par quatre-vingt-dix-neuf pays et quarante-deux organisations, dont l’Organisation mondiale du travail, sur la responsabilité sociétale reprise en France et publiée le 1er novembre dernier par l’AFNOR sous forme de certification pour les entreprises, qui prescrit aux entreprises des indications générales relatives aux considérations sociales et environnementales et liées à la non-discrimination et aux diversités.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. M. Pinte et M. Méhaignerie ont été convaincants puisque nous avons accepté le rétablissement du texte.

(L’amendement n° 22, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 5 bis, amendé, est adopté.)

Article 5 ter

Mme la présidente. La commission a supprimé l’article 5 ter.

Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 91 et 218, tendant à rétablir l’article 5 ter.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 91.

M. Roland Muzeau. Nous demandons le rétablissement de l’article 5 ter tel qu’il avait été introduit au Sénat, puis supprimé par la commission des lois. Il visait à instituer une présomption de nationalité française pour tous les titulaires de la carte nationale d’identité ou du passeport français et une opposabilité des informations figurant sur ces titres à l’administration, à charge pour elle d’apporter la preuve contraire.

La raison en est simple : une quantité innombrable de Français de l’étranger rencontre des difficultés lors du renouvellement de leur carte d’identité ou de leur passeport en raison de doutes émis par l’administration concernant ces titres, en considération de critères éminemment variables, comme le nom ou le lieu de naissance.

Les administrations demandent dans ces cas aux personnes concernées de produire un certificat de nationalité. C’est alors un véritable parcours du combattant qui commence : les demandes disparaissent pratiquement toutes, ou mettent très longtemps avant d’obtenir une réponse !

C’est intolérable car de nombreux concitoyens sont ainsi privés de la possibilité de renouveler leur titre simplement parce qu’un fonctionnaire trop méfiant se tenait au guichet le jour où ils ont présenté leur demande de renouvellement. Ils se retrouvent alors pour un certain temps dans l’incapacité de sortir du pays mais aussi de produire une pièce d’identité lorsqu’ils en ont besoin, pour tous les actes importants de la vie.

Il n’y a pas lieu de demander un certificat de nationalité à ceux qui présentent une carte d’identité ou un passeport régulièrement établis.

M. Michel Issindou. Cela va de soi !

M. Roland Muzeau. C’est un principe simple, mais trop rarement respecté.

En conséquence, nous proposons de réintégrer cette disposition, très claire, adoptée par le Sénat : « La première délivrance d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport certifie l’identité et la nationalité de son titulaire. Les mentions relatives à l’identité et à la nationalité inscrites sur ces derniers font foi jusqu’à preuve du contraire par l’administration. » Cette mesure est destinée à faciliter les demandes de renouvellement de carte d’identité et de passeport.

M. Michel Issindou. Très bonne initiative !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Croton, pour soutenir l’amendement n° 218.

Mme Pascale Crozon. C’est un amendement extrêmement important parce que bon nombre de nos concitoyens se retrouvent aujourd’hui dans des situations inextricables. Nous devons donc absolument régler ce problème. Je rappelle que cette disposition a été adoptée par le Sénat en première lecture.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Ce problème a été très préoccupant et a suscité chez un grand nombre de nos concitoyens des états de rage justifiés par le fait qu’on remettait tout à coup en cause une nationalité qui n’était pas contestable.

M. Michel Issindou. C’est scandaleux !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Cela étant, il ne faut pas mélanger ce qui est un problème administratif, sur lequel le ministre s’expliquera après moi,…

M. Jean Launay. Ce n’est pas administratif !

M. Claude Goasguen, rapporteur. …avec une présomption de nationalité qui permettrait de faire exactement l’inverse, c’est-à-dire d’instaurer un laxisme qui pourrait être préjudiciable à la notion de nationalité. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Paul Garraud. Tout à fait !

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est la raison pour laquelle je souhaite que le ministre puisse s’expliquer sur les mesures administratives qui ont été prises ou qui continueront d’être prises pour éviter ce genre de problèmes.

M. Jean Launay. Ce n’est pas un problème administratif, c’est un problème politique !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. C’est effectivement un problème délicat. Un certain nombre de situations difficiles se sont présentées il y a quelques mois. L’administration a réagi, un décret du 18 mai 2010 notamment a introduit des allégements significatifs.

Concrètement, nous avons considérablement diminué le nombre de cas où la production d’un certificat de nationalité est nécessaire. Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : d’après les statistiques du ministère de la justice, on a constaté depuis l’entrée en vigueur du décret une baisse de plus de 60 % du nombre de demandes de certificats de nationalité.

M. Jean Launay. L’amendement est pour les 40 % qui restent !

M. Claude Guéant, ministre. Faut-il aller plus loin ? Je ne le crois pas. Ni la carte d’identité ni le passeport n’ont vocation à constituer un titre de nationalité et, à mon sens, il est maintenant dangereux de créer un risque supplémentaire de fraude documentaire ; or c’est précisément ce que font ces deux amendements.

M. Roland Muzeau. Non, ils rétablissent le droit !

M. Claude Guéant, ministre. J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Nous soutenons les propos tenus par M. le ministre en la matière, même si c’est une vraie question. Nous en avions longuement débattu il y a quelques mois dans le cadre d’une proposition de loi présentée par le groupe socialiste ou le groupe communiste et nous avions constaté ensemble que depuis la parution du décret, le problème était en voie de règlement. Il n’est donc pas forcément utile d’alourdir le texte pour résoudre un problème qui a d’ores et déjà été quasiment résolu.

M. Roland Muzeau. Il reste 40 % des cas.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. M. le ministre nous a dit que le problème était réglé pour 60 % des cas. Il en reste au moins 40 %, qui posent des problèmes réels. Il est donc nécessaire de voter ces amendements, et nous nous honorerions à suivre le Sénat qui, dans sa grande sagesse, a compris les difficultés des personnes concernées.

(Les amendements identiques nos 91 et 218 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 5 ter reste supprimé.

Article 6

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, inscrite sur l’article 6.

Mme Sandrine Mazetier. Nous abordons un deuxième titre du projet de loi, dans lequel ont été rassemblées des mesures parfaitement autonomes, qui ne transposent pas une directive, et qui ne semblent apporter aucune solution. Or on nous explique depuis le début de la discussion que, pour répondre à la situation que nous connaissons, il est urgent d’adopter ce texte, qui a pourtant été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale il y a près d’un an.

D’abord, je voudrais entendre le Gouvernement sur les raisons qui le poussent à penser que l’adoption de ce texte permettrait de mieux répondre à la situation actuelle, en particulier en matière de solidarité européenne avec les Italiens ou les Maltais, confrontés à une situation d’urgence exceptionnelle et, nous l’espérons tous, provisoire.

L’article 6 crée ce que d’aucuns ont appelé une zone d’attente « sac à dos ». Le Sénat, dans sa grande sagesse, a limité ces zones dans l’espace et dans le temps, mais le rapporteur ne l’a pas suivi.

Les zones d’attente existent, elles ont d’ailleurs été créées par une autre majorité, mais elles étaient strictement limitées dans l’espace et dans le temps. Si l’on adoptait cet article, elles ne seraient plus prédéfinies, elles pourraient être créées n’importe où, n’importe quand, sans limitation de durée, au motif qu’on découvrirait n’importe où sur le territoire français, dans un espace extrêmement vaste, éloigné de tout point de passage frontalier, de toute zone portuaire ou aéroportuaire, un groupe d’au moins dix étrangers. De fait, c’est tout le territoire français qui pourrait par ce biais devenir extraterritorial et les garanties procédurales, le respect par exemple des conventions sur le droit d’asile, le principe de non-refoulement pourraient ne pas être respectées en tout point et en tout moment.

Nous nous étions vivement opposés à cette disposition en première lecture. Nous ne comprenons pas pourquoi les limitations apportées par les sénateurs n’ont pas été retenues et, surtout, nous sommes très impatients d’entendre le Gouvernement nous expliquer en quoi ces zones d’attente dites temporaires, alors que rien dans le texte ne précise leur caractère temporaire, permettraient de répondre à la situation ponctuelle à laquelle sont confrontés certains de nos voisins du fait de la situation en Méditerranée.

Vous avez fait récemment un déplacement dans les Alpes-Maritimes, monsieur le ministre. En quoi cette disposition permettrait-elle de répondre à la situation actuelle ? En quoi répond-elle en quoi que ce soit à ce qui est prévu dans la directive à laquelle il est fait référence, qui prévoyait le cas d’afflux massifs, c’est-à-dire un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour et faisant peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention ?

En quoi ces six articles que nous nous apprêtons à examiner vous permettent-ils de répondre à la fois à la situation en temps normal et à l’afflux que connaissent actuellement nos voisins ? Nous attendons votre réponse.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Je souhaiterais dire au contraire combien il est urgent, monsieur le ministre, que nous adoptions cet article et que la directive « retour » soit transposée dans notre droit français. Les événements qui se déroulent aujourd’hui de l’autre côté de la Méditerranée ont pour conséquence l’arrivée par Lampedusa et l’Italie de milliers d’immigrés en situation irrégulière.

M. Roland Muzeau. Les Sarrasins !

M. Jean Mallot. Les envahisseurs ! Mais Mme Brunel va les repousser !

M. Christian Estrosi. Mais mener des révolutions pour obtenir par la voie démocratique la liberté à laquelle aspirent ces peuples que nous devons accompagner de toutes nos forces n’autorise pas à pénétrer au sein de l’espace Schengen ou de l’Union européenne pour pouvoir y bénéficier dans n’importe quelles conditions d’un droit d’accueil.

Or il se trouve, madame Mazetier, que, ces dernières semaines, plusieurs juridictions administratives, au motif que la directive « retour » n’était pas encore transposée dans notre droit, ont décidé de remettre en liberté un certain nombre d’étrangers en situation irrégulière. Les autorités françaises ne sont donc pas en mesure de faire face à la situation tant que la directive n’aura pas été transposée. Voilà pourquoi impératif, si l’on veut donner les moyens au Gouvernement et à l’État français de faire face aux difficultés liées à cet afflux migratoire, de procéder à cette transposition au plus vite, ce qui suppose d’achever l’examen de cette loi en deuxième lecture à l’Assemblée puis au Sénat, et enfin de la promulguer.

M. Jean-Marie Binetruy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je voudrais conforter ce qui vient d’être dit par Mme Mazetier. Les arguments avancés par Christian Estrosi n’ont pas lieu d’être, puisque vos propositions concernant les zones d’attente n’ont rien à voir avec la directive « retour » – que nous avions appelée, avec nos collègues du Parlement européen, la « directive de la honte » – qui fait spécifiquement état d’un afflux massif.

Monsieur Estrosi, vous nous faites le même coup que le ministre de l’intérieur lors de sa présentation de cette loi sur l’immigration : il s’agit de résister à l’afflux massif de réfugiés en provenance du sud de la Méditerranée. À vous croire, l’Europe est envahie : ce sont des contrevérités ! Certes, des gens arrivent à Lampedusa, mais ils n’ont pas attendu les révoltes en Tunisie, en Libye ou dans d’autres pays de la Méditerranée. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les archives de la presse écrite et de la télévision.

Vous nous expliquez que cet afflux massif – pour reprendre une expression du Président de la République – ne peut pas être contrôlé. Mais pourquoi ne dites-vous pas plutôt que ceux qui sont en train de fuir la Libye sont pour la plupart des Tunisiens, mais aussi des Bangladais ou des Philippins, incapables de repartir dans leurs pays, eux-mêmes trop pauvres pour les accueillir ?

Nous pleurons aujourd’hui des larmes de crocodile devant nos écrans de télévision en regardant les difficultés que les Tunisiens éprouvent pour accueillir ceux qui fuient la guerre civile en Libye. Au lieu de se lamenter et de faire preuve de compassion lointaine, la France et l’Europe seraient bien avisées d’aider les Tunisiens à accueillir décemment leurs compatriotes qui rentrent au pays pour vivre la transition démocratique – je crois d’ailleurs savoir que la France a demandé une réunion du Conseil européen à cet effet. Plutôt que de continuer à construire des remparts autour de l’Europe face à l’invasion, faisons de cette Europe une terre d’accueil, qui permette la régulation des flux migratoires grâce à une politique de coopération solidaire. Nous en sommes très loin !

Monsieur Estrosi, les gouvernements auxquels vous avez appartenu, comme d’autres gouvernements de l’Union européenne, se sont servi des Ben Ali et des Kadhafi comme des matons de l’Europe ! M. Berlusconi les a même payés très cher pour que les malheureux migrants de l’Afrique subsaharienne soient bloqués en Libye ou en Tunisie.

Il faut être réaliste et décent, pour employer l’expression de George Orwell sur la common decency. Et quand on est décent, on paye sa dette à ceux qui ont été asservis par des régimes corrompus que nous avons soutenus et auxquels nous avons vendu des armes – soixante-quinze Rafale à M. Kadhafi –…

M. Philippe Folliot. Mais ce n’est pas vrai ! C’est parfaitement faux ! Il n’y a jamais eu de Rafale en Libye !

M. Jean-Paul Garraud. C’est un scoop !

M. Noël Mamère. …pour empêcher les immigrants de venir d’Afrique subsaharienne et asservir leurs populations. Plutôt que de créer des barrières, essayons au moins d’aider ces peuples !

Le Président de la République nous parle d’immigration choisie, mais qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que l’on se livre à du pillage de cerveaux ! Faisons en sorte au contraire que les cerveaux puissent rester dans ces pays, qui en ont grand besoin.

Pour en revenir aux zones d’attente, c’est une notion juridique précise que les juristes savent distinguer du territoire. Le statut de quelqu’un qui arrive irrégulièrement sur le territoire n’est pas le même que celui de quelqu’un qui se trouve dans une zone d’attente. Dans une zone d’attente, vous n’avez pas le droit au recours suspensif ; sur le territoire, même entré irrégulièrement, si vous demandez l’asile, vous pouvez vous présenter devant l’OFPRA et demeurer sur le territoire tant que la décision n’est pas prise.

En créant ces zones d’attente, que la directive « retour » n’exige nullement, vous fragilisez la protection des demandeurs d’asile dans notre pays. Voilà pourquoi, loin de partager l’avis de M. Estrosi, nous combattrons cet article et sur tous ceux qui touchent au droit des étrangers et à l’extension des zones d’attente.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, vous me permettrez de rétablir un certain nombre de vérités.

Je voudrais d’abord indiquer à M. Mamère que la France n’a jamais vendu aucun Rafale à la Libye…

M. Jean Auclair. C’étaient des Mirage !

M. Noël Mamère. C’est vrai que personne ne veut de nos Rafale !

M. Claude Guéant, ministre. Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi vous prétendez qu’ils en ont acheté soixante-quinze ! Il faut être conséquent !

Je voudrais ensuite confirmer que la France a effectivement demandé une réunion exceptionnelle du Conseil européen, qui se réunira le 11 mars, afin que l’Union des vingt-sept définisse une politique commune face aux difficultés que rencontrent les pays du sud de la Méditerranée dans leur marche vers la démocratie et la liberté, alors même qu’ils sont aux prises avec d’énormes problèmes économiques.

M. Noël Mamère. Quelle politique commune ? Une politique de restriction ou d’accueil ?

M. Claude Guéant, ministre. Il faut évidemment de préoccuper de l’accueil de ces populations en très grande détresse, originaires du monde entier, qui fuient la Libye vers l’Égypte et vers la Tunisie. La France proposera un certain nombre de mesures leur permettant d’être accueillies et traitées dignement avant de rentrer dans leurs pays.

S’agissant des zones d’attente, que, contrairement à ce qui vient d’être affirmé, ce dispositif ne vous est pas proposé en réponse à l’actualité immédiate. La meilleure preuve en est qu’il fait partie du projet initial, lorsqu’il avait été délibéré en conseil des ministres en mars de l’année dernière. Il n’empêche qu’il pourrait éventuellement servir s’il venait à se présenter des situations correspondant à ce pour quoi les zones d’attente temporaire ont été prévues.

M. Jean Mallot. Ça tombe bien !

M. Michel Issindou. Comme par hasard !

M. Claude Guéant, ministre. Il s’agit simplement de tirer les conséquences d’une situation comme celle du débarquement en Corse, en janvier 2010, de 123 personnes d’origine kurde, dont le statut juridique a posé problème. En effet, il n’a pas été possible de créer une zone d’attente temporaire, car le droit en vigueur aujourd’hui requiert de situer avec précision le point de débarquement sur le territoire. Or ces personnes se trouvaient déjà loin de leur point de débarquement, lorsqu’elles furent découvertes.

Je répète qu’il ne s’agit pas de créer un régime d’exception mais, au contraire, de donner un cadre juridique à des situations exceptionnelles. Ce dispositif, je le précise pour faire pièce aux contrevérités émises, préserve le droit des migrants. Comme dans les zones d’attente portuaires ou aéroportuaires, les migrants peuvent recourir à un interprète, demander l’assistance d’un médecin, communiquer avec un avocat ou demander l’asile. Le recours à une zone d’attente s’effectue par ailleurs, rappelons-le, sous le contrôle du juge. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements de suppression de l’article 6, nos 23, 92 et 219.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour défendre l’amendement n° 23.

M. Étienne Pinte. Monsieur le ministre, ce qui me gène dans cet article 6, ce sont les conséquences juridiques dont pourraient souffrir les personnes selon qu’elles auront été conduites en zone d’attente ou qu’elles seront entrées sur le territoire national en dehors des zones d’attente.

L’article crée une confusion entre la zone d’attente et le territoire, puisqu’il permet de ramener en zone d’attente, en deçà du contrôle aux frontières, des personnes déjà entrées – irrégulièrement certes – sur le territoire. Or, selon qu’une personne est entrée irrégulièrement sur le territoire où qu’elle est placée en zone d’attente, ses droits ne sont pas les mêmes. Un demandeur d’asile placé en zone d’attente peut être privé de liberté, le temps de l’examen du caractère manifestement infondé de sa demande d’asile par le ministère de l’immigration. Si sa demande est rejetée, il peut être renvoyé dans son pays de provenance ou d’origine, sous réserve d’un recours suspensif dans un délai de quarante-huit heures auprès du tribunal administratif de Paris, sans qu’il puisse déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA. En revanche, s’il se trouve sur le territoire français, le migrant peut déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA.

Second cas. En l’absence de demande d’asile, si une personne est placée en zone d’attente, un refus d’entrée exécutoire d’office peut lui être notifié, sauf si la personne demande à bénéficier d’un jour franc, mais sans possibilité de recours suspensif. Si on considère qu’elle est entrée irrégulièrement, il est possible de lui notifier une mesure d’éloignement qui, elle, en revanche, peut faire l’objet d’un recours suspensif devant le tribunal administratif.

C’est la raison pour laquelle, ces deux cas de figure étant différents et les droits et le statut qu’ils entraînent étant différents, selon que l’on a été placé en zone d’attente ou que l’on est entré sur le territoire national de façon irrégulière, l’article 6 me gêne. J’attends donc des éclaircissements et des précisions sur la démonstration juridique que je viens de vous présenter.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 92.

M. Noël Mamère. Comme Étienne Pinte, nous souhaitons la suppression de l’article 6. J’ai exposé les arguments politiques et juridiques qui motivent cet amendement.

Monsieur le ministre, en dépit de vos explications, vous n’êtes pas parvenu à escamoter la confusion que nous dénonçons. Vous étendez en effet les zones d’attente qui vont finalement se confondre avec le territoire. Or, vous le savez mieux que personne pour être ministre de l’intérieur, les droits dans une zone d’attente ne sont pas identiques à ceux que l’on a sur le territoire, même lorsqu’on y est entré de façon irrégulière. Dans ce dernier cas, et comme l’a souligné très judicieusement Étienne Pinte, on peut saisir l’OFPRA et le recours est suspensif. En zone d’attente, en revanche, on est chassé immédiatement ou en tout cas très vite.

M. Claude Guéant, ministre. Ce n’est pas vrai !

M. Noël Mamère. Et sans que le juge puisse intervenir dans un délai raisonnable.

Comme nous l’avons souligné les uns et les autres dès la première lecture de ce texte, vous créez des zones d’attente sac à dos. En fait, vous vous donnez la possibilité de transformer tout le territoire de notre pays en zone d’attente. C’est une atteinte aux droits de ceux qui demandent l’asile, de ceux qui viennent sur notre territoire. Le Conseil constitutionnel vous avez d’ailleurs rappelé à l’ordre lors de l’arrivée des 123 Kurdes. Cette disposition est également contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour présenter l’amendement n° 219.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement tend, comme ceux de mes collègues, à supprimer l’article 6.

Je suis heureuse d’avoir entendu M. le ministre avouer, enfin, que les dispositions prévues par les articles 6 à 12 de ce projet de loi ne permettent en aucun cas de répondre à la situation ponctuelle qui nous interroge tous, ici, et au niveau européen – je pense en particulier à nos voisins italiens et à nos partenaires maltais.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cela n’a effectivement aucun rapport.

Mme Sandrine Mazetier. Reconnaissant ainsi la validité des arguments que j’ai développés dans le cadre de ma motion de rejet préalable, vous avez admis, monsieur le ministre, qu’il n’y avait pas d’urgence absolue à adopter ce texte, datant de quasiment un an, pour répondre aux enjeux du moment.

S’agissant précisément de l’actualité immédiate, les zones d’attente temporaires constituent un recul total du principe de non refoulement – Étienne Pinte vient de le démontrer. Vous avez d’ailleurs tellement banalisé le principe du refoulement que Chantal Brunel, dans une confondante naïveté, est allée jusqu’à déclarer qu’il fallait remettre sur les bateaux les personnes arrivant sur nos côtes.

M. Jean Mallot. C’est Marine qui lui a soufflé l’idée !

Mme Sandrine Mazetier. Qu’est-ce qui justifie les articles 6 à 12 de ce texte qui ne visent qu’à réduire la possibilité de formuler une demande d’asile ? Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, et je vous en remercie, il s’agissait de faire face à une situation à laquelle la France a été confrontée deux fois en dix ans : l’arrivée d’un bateau avec à son bord un groupe de personnes recherchant protection et fuyant en tout cas des persécutions. La première fois, c’était sur les côtes varoises, il y a dix ans. La seconde, c’était près de Bonifacio, en Corse, voilà un an et demi.

C’est pour régler cette question, non pour assurer la protection de ces personnes, des Kurdes, en l’occurrence, mais pour faciliter leur refoulement, loin du regard des uns et des autres et en particulier du juge des libertés et de la détention, de l’OFPRA ou de la Cour nationale du droit d’asile, que vous avez rédigé les articles 6 à 12 du présent texte.

Or ces dispositions, qui portent atteinte au principe de non-refoulement et au respect du droit d’asile, ne règlent en aucune façon – et je vous remercie une fois encore de l’avoir reconnu – les questions d’actualité immédiate qu’il s’agisse du passage de Tunisiens en Italie et, éventuellement, en France, ou de la crise humanitaire à laquelle nous assistons aux frontières de la Libye. Il y a là-bas des gens qui fuient la mort et à propos desquels le HCR demande à la communauté internationale d’intervenir.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Je suis contre ces trois amendements. Je voudrais essayer de dédramatiser le mauvais procès que l’on fait à ces zones d’attente.

La notion de zone d’attente est virtuelle. Il s’agit en réalité de lieux de passage déterminés, de lieux primaires de l’immigration : la gare, le port, l’aéroport. La zone d’attente que nous proposons correspond mieux…

Mme Sandrine Mazetier. Que dit la directive ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Nous sommes là en dehors de toute législation européenne.

Mme Sandrine Mazetier. C’est clair !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Il n’est pas question ici de la directive : il s’agit de répondre à une situation qui va probablement devenir la plus normale en matière d’immigration car, quoi que vous puissiez penser, il y aura certainement des problèmes économiques à la suite des mouvements de libération qui se produisent au sud de la Méditerranée. Il n’y a pas besoin d’être sorcier ni Pic de la Mirandole pour le deviner.

Mme Pascale Crozon. C’était donc mieux avant ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Il ne s’agit pas de prendre position dans un sens ou dans un autre, mais tout simplement de ne pas nier la réalité.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Vous regrettez Ben Ali ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Soyez gentils avec Ben Ali, il est plus proche de vous que de moi. Et vous le connaissez mieux que moi ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez eu l’occasion de siéger à ses côtés, sur les bancs de l’Internationale socialiste, moi pas ! Je n’ai jamais rencontré M. Ben Ali à la différence de certains caciques du Parti socialiste qui le connaissent bien, ne serait-ce que pour avoir été dans le même parti. Oubliez donc M. Ben Ali car il y en a autant à votre service qu’au nôtre !

Pour en revenir aux arguments juridiques, M. Pinte, que je respecte et que j’ai écouté avec beaucoup d’attention, craint qu’on puisse porter atteinte au droit de réunion sur cette fameuse zone d’attente qui va devenir virtuelle et qui peut s’étendre à l’ensemble du territoire. Des gens qui passent à un endroit déterminé risqueraient ainsi d’être considérés comme des immigrants nouveaux, ramassés comme tels et confrontés à une situation juridique difficile.

Mais nous ne sommes pas dans le non-droit : cette zone d’attente virtuelle est couverte par les mêmes droits que les zones d’attente actuelles. C’est sous le contrôle du juge que tout se fera. Dans le cas qui inquiète M. Pinte – il peut en effet y avoir des confusions –, c’est le juge qui décidera de la réalité de la mesure. Tout ne sera pas possible dans les zones virtuelles. On ne ramassera pas à la sortie des gares des gens qui sont en train de discuter bruyamment. C’est l’idée même de la République. Nous ne sommes pas dans un régime autoritaire et répressif. Soyez rassurés, chers collègues, si d’aventure, de tels cas se produisaient, ce qu’à Dieu ne plaise, c’est le juge qui trancherait. Les personnes concernées ne seraient pas démunies de protection juridique, au contraire.

La zone d’attente virtuelle est une zone d’attente comme les autres. On l’a simplement étendue pour répondre aux vagues probables d’immigration. L’exemple de l’Italie montre que la plupart des immigrés qui arrivent en groupe ont tendance à ne pas passer par les postes frontières. Il fallait répondre à une situation exceptionnelle par une mesure qui n’est pas d’exception. C’est une mesure juridiquement et judiciairement contrôlée. Les inquiétudes émises sont donc injustifiées. Voilà pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur les amendements de suppression.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est, lui aussi, défavorable à ces amendements.

Je précise que, contrairement à ce que je viens d’entendre, la personne intéressée dispose d’un recours suspensif si un refus d’asile lui est opposé. J’indique à M. Pinte qu’il y a effectivement différents régimes, mais que les personnes en zone d’attente ne sont pas à comparer avec celles qui sont interpellées en dehors des zones d’attente sur le territoire.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Bien sûr !

M. Claude Guéant, ministre. Les personnes en zone d’attente viennent en effet d’entrer sur le territoire alors qu’il existe pour les autres la présomption d’y avoir séjourné quelque temps.

S’agissant de ces zones d’attente temporaires, il faut effectivement les démythifier : ce n’est que la transposition sur un point précis du territoire, compte tenu de l’arrivée inopinée de gens, de zones d’attente ordinaires. Or j’imagine que ces dernières ne sont pas si mauvaises que cela puisque, Mme Mazetier l’a rappelé, elles ont été créées par un gouvernement socialiste !

Mme George Pau-Langevin. Cela ne durait pas quarante-cinq jours !

M. Claude Guéant, ministre. Je rappelle que les personnes retenues dans ces zones d’attente temporaires bénéficient strictement des mêmes droits que dans les zones d’attente habituelles.

Vous avez dit, enfin, que nous voulions refouler les personnes qui entrent irrégulièrement sur notre territoire : oui, nous souhaitons effectivement que ces personnes soient reconduites à la frontière.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le ministre, vous avez fort justement rappelé que ces zones d’attente temporaires ne sont pas des zones de non-droit et que les droits des personnes retenues y sont garantis.

Pour ma part, je vois également dans cette disposition un élément de protection. On a cité le cas de la centaine de migrants kurdes arrivés sur les côtes corses. Mais, chers collègues socialistes, ces personnes, si elles n’étaient pas en zone d’attente, seraient la proie des filières de travail clandestin après avoir payé des filières d’immigration clandestine pour aller en Allemagne ou en Angleterre. Ces filières vivent de la misère des migrants qui débarquent sur nos côtes.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. On peut être d’accord sur un point avec M. Mamère : il faut en effet essayer de résoudre les problèmes à la source de façon que les candidats au départ n’aient pas d’intérêt à partir. En l’occurrence, il faut aider la Tunisie et l’Égypte à accueillir le plus dignement possible leurs ressortissants de retour.

Les propos de M. le ministre ont apporté des éclaircissements et des garanties. Comme l’a dit Michel Hunault, on sait très bien que des filières relevant du crime organisé sont souvent à l’origine de ces vagues d’immigration. Il faut donc tout faire pour ne pas faciliter la tâche de ces mafias qui font leur business sur la misère des gens. C’est humainement inacceptable et moralement déplorable.

N’oublions pas non plus que nous ne légiférons pas en fonction de l’actualité, ni pour la seule la métropole : nous légiférons pour l’ensemble du territoire national. Or dans certains départements d’outre-mer – je pense notamment à la Guyane –, il est important que certaines dispositions soient prises pour que la République puisse se protéger.

On ne doit va pas se concentrer uniquement sur le problème existant entre les deux rives de la Méditerranée. La France doit être considérée dans sa pluralité, avec ses départements et ses collectivités d’outre-mer. Dans ces territoires aux conditions très spécifiques – j’ai parlé de la Guyane, mais on connaît aussi le problème de Mayotte –, il est essentiel de disposer des moyens juridiques propres à résoudre des situations exceptionnelles. Cet article va assurément nous permettre de fixer un cadre juridique plus adapté que ce que nous avions jusqu’à présent.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Plusieurs arguments sont avancés dans ce débat. Je reviendrai d’abord sur la situation à venir des pays du Maghreb – M. Goasguen en a parlé –, en train d’évoluer vers la démocratie.

Les arguments que l’on entend aujourd’hui, on les connaît, on les a déjà entendus. Souvenez-vous du moment où est tombé le mur de Berlin : il y a eu une sorte de panique généralisée.

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est vrai.

M. Julien Dray. On nous a expliqué qu’il fallait se préparer à des vagues migratoires, à une invasion de travailleurs polonais, tchécoslovaques, ukrainiens, et j’en passe.

Pendant quelques mois, on s’est préparé à faire évoluer les législations pour élever des barrières face à cette invasion massive de populations en l’Europe de l’Ouest. Mais cela n’est pas passé ainsi, et vous savez pourquoi : des efforts considérables ont été faits, notamment pour permettre aux populations concernées de rester dans leur pays.

M. Philippe Goujon. La situation n’est pas du tout la même !

M. Julien Dray. Parce qu’il n’y a pas que des gens qui rêvent de partir de chez eux. C’est toujours un drame de quitter sa famille et ses racines pour aller travailler dans un autre pays.

La question aujourd’hui n’est pas de dramatiser la situation en disant : « Attention, les bateaux arrivent ! » Ce n’est qu’est un épiphénomène qui correspond à la situation du moment. La vraie question, c’est de savoir s’il y aura un plan Marshall permettant à ces pays de s’industrialiser, de créer des emplois et donc de se développer, ou si nous allons rater cette occasion ? Et si tel est le cas, on sait ce qui se passera : oui, alors il y aura de l’immigration.

Voilà pourquoi l’appréciation portée sur la situation ne peut être pour l’instant que superficielle. Il est inutile de se préparer et de faire paniquer nos concitoyens car tout dépendra de la volonté de l’Europe de construire un partenariat économique et social avec ces pays. C’est là qu’est notre responsabilité et c’est là que devrait porter en ce moment l’effort.

Vous nous dites par ailleurs – et là, franchement, je ne comprends pas la cohérence – qu’il y a des mafias qui organisent l’immigration. Certes, mais ce n’est pas une découverte : oui, il y a des mafias.

M. Jean Mallot. C’est clair !

M. Julien Dray. Mais croyez-vous vraiment que les zones d’attente vont casser ces mafias ? Ce n’est pas l’existence de zones d’attente qui va les empêcher de continuer à organiser l’immigration clandestine, d’autant que, lorsque les travailleurs en situation irrégulière se font arrêter, vos mafias ne s’en occupent déjà plus : elles ont pris leur argent au point de départ… Et pour ce qui est de savoir si ces gens seront raccompagnés ou pas, elles n’en ont rien à faire. Ce n’est donc pas vos zones d’attente qui vont les inquiéter ! La vraie chose à faire, si vous voulez casser les mafias, c’est de fermer tous les chantiers employant des travailleurs clandestins.

Mme George Pau-Langevin. Absolument !

M. Julien Dray. Depuis vingt ans, j’attends le jour où la justice décidera de le faire. Je peux vous assurer que, le jour où de telles décisions seront prises, c’est-à-dire lorsqu’un certain nombre d’activités économiques seront durablement sanctionnées et que les employeurs, qui savent pertinemment ce qui se passe chez eux, seront punis, alors, on y réfléchira à deux fois dans les pays où la question de l’émigration est posée. Pour l’instant, on sait que, même si l’on est rejeté une ou plusieurs fois, il y a de toute façon du boulot et qu’on peut donc y aller. Le jour où l’on saura qu’il n’y en a vraiment plus, parce que tout chantier sur lequel est pris un clandestin est immédiatement fermé, vous verrez que les choses changeront.

M. Jean Mallot et Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Monsieur Dray, c’est vous qui dramatisez la situation à l’excès : Pour le dire tout net, je souhaite, comme l’ensemble de l’Assemblée nationale, que les mesures de précaution que nous sommes en train de voter ne servent pas.

M. Roland Muzeau. Un peu comme la ligne Maginot !

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est notre souhait le plus ardent, mais vous ne pouvez pas non plus empêcher un gouvernement de prévoir. N’est-ce pas un de vos amis politiques qui a eu cette formule fondamentale : « gouverner, c’est prévoir » ?

Je souhaite vraiment que toutes ces dispositions ne servent à rien, car cela signifierait que tout se passe pour le mieux au sud de la Méditerranée. C’est ce que nous espérons tous. Cela étant, nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de laisser le pays démuni juridiquement dans des circonstances qui peuvent devenir exceptionnelles.

Voilà la vérité. Vous voyez que l’on est bien loin de la stigmatisation. Nous sommes au contraire en train de mettre en place des mesures de prudence ; c’est quand même le rôle d’un État comme le nôtre, qui respecte la démocratie et la justice.

M. Julien Dray. C’est bien ce que je dis : on est dans la prudence !

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le ministre, je voudrais reprendre un instant l’exemple des cent vingt-trois Kurdes. Ils sont arrivés sur le territoire national de façon irrégulière et ont la possibilité de déposer un recours devant l’OFPRA pour bénéficier éventuellement du droit d’asile. Si vous les transférez immédiatement en zone d’attente, ils perdent cette possibilité.

M. Claude Guéant, ministre. Mais non !

M. Étienne Pinte. Si, monsieur le ministre.

Mme Sandrine Mazetier. Bien sûr !

M. Étienne Pinte. J’en ai fait la démonstration tout à l’heure. À partir du moment où l’on est en zone d’attente, il n’est pas possible de demander le statut de réfugié politique devant l’OFPRA. C’est pour cela que j’ai fait la différence entre ceux qui arrivent irrégulièrement sur le territoire national et qui peuvent faire la demande, et ceux qui sont en zone d’attente et ne peuvent pas, en principe, la formuler.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. L’interrogation de M. Pinte mérite de nouveau une réponse. Ces gens disposent bien de la possibilité de faire une demande d’asile politique, mais selon la procédure accélérée qui s’applique aux zones d’attente.

Mme Sandrine Mazetier. Voilà !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. C’est précisément pour cela, monsieur le ministre, que sont créées ces zones d’attente temporaires, même si elles ne sont pas temporaires car elles ne sont pas limitées dans le temps. Elles servent très précisément à limiter la possibilité de formuler la demande d’asile.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Au contraire !

Mme Sandrine Mazetier. Est-ce une mesure de prudence et de prévoyance ? Certainement pas. C’est même tout l’inverse.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Ah bon ?

Mme Sandrine Mazetier. Mais oui.

Ce que l’on constate en ce moment sur la rive sud de la Méditerranée, c’est l’aspiration de ces peuples au respect du droit, au respect de la justice, au respect de l’égalité, au respect de valeurs inscrites dans notre Constitution, dans nos grands textes et dans des conventions internationales que nous avons ratifiées depuis cinquante ans. Il s’agit du respect de la personne, de son autonomie et de sa dignité. C’est au nom de ces valeurs que ces peuples se sont libérés.

Si les pays qui ont rédigé, codifié ces textes et qui protègent ces valeurs au moyen d’un certain nombre de dispositifs et notamment des garanties procédurales permettant à quiconque cherche, sur cette planète, une protection et la possibilité de plaider sa cause, ne défendent pas eux-mêmes leurs principes fondateurs, alors la contamination démocratique dans le monde entier cessera, et les valeurs de liberté, de justice et de respect de la personne humaine ne progresseront plus.

M. Jean-Paul Garraud. Que voulez-vous donc démontrer ?

Mme Sandrine Mazetier. Voilà pourquoi nous devons défendre très concrètement le respect du droit d’asile, de procédures équitables et des droits de la défense, au lieu de les abîmer et de les entamer sans cesse à travers des dispositions telles que celle-ci.

La zone d’attente, monsieur Hunault, est tout sauf un système de protection.

M. Michel Hunault. Bien sûr !

Mme Sandrine Mazetier. Bon nombre de personnes en situation irrégulière qui ne sont pas passées par des zones d’attente se trouvent pourtant retenues dans des centres de rétention, voire éloignées et reconduites dans leur pays. Rien ne justifie donc la création de ces zones d’attente temporaires.

Je voudrais que le ministre réponde à notre question sur les modifications apportées en première lecture par nos collègues sénateurs. Ceux-ci ont décidé de restreindre dans le temps et dans l’espace ces zones d’attente temporaire, en précisant qu’elles ne pouvaient pas être créées n’importe où, n’importe quand et pour une durée indéfinie.

En effet, ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, n’est pas inscrit dans le texte : ce n’est pas une procédure exceptionnelle. Elle peut s’appliquer en tout lieu, en tout temps et pour une durée indéterminée. Cela fait qu’ici même, dans le septième arrondissement de Paris, nous pouvons nous trouver demain dans une zone de ce type, pour une durée indéfinie.

M. Jean-Paul Garraud. C’est du délire !

Mme Sandrine Mazetier. Si vous considérez, monsieur le ministre, que le dispositif a un caractère exceptionnel et provisoire, écrivez-le dans le projet de loi. Ce sera plus sûr !

(Les amendements identiques nos 23, 92 et 219 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 204 rectifié.

La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. La création de zones d’attente terrestres et fluviales en Guyane – notre collègue Folliot a évoqué la question – est un réel sujet, car si les zones que nous créons avec l’article 6 doivent être instaurées par arrêté préfectoral dans les gares ferroviaires, les ports et les aéroports, le texte ne prévoit pas que des zones d’attente puissent être créées aux abords des frontières terrestres.

Or en Guyane, on assiste régulièrement à des arrivées de clandestins, par les fleuves comme l’Oyapock et le Maroni, ou par voie terrestre depuis les États voisins tels le Surinam, le Guyana ou le Brésil. On sait les difficultés que connaissent nos services pour contenir ces tentatives d’immigration. À défaut de zones d’attente le long de ces frontières, les demandeurs d’asile à la frontière ne peuvent qu’être invités, sans aucune mesure coercitive, à attendre sur le territoire français la réponse apportée à leur demande. Dans la plupart des cas, les intéressés ne se présentent pas pour obtenir cette réponse. Ils ne peuvent donc être éloignés lorsque celle-ci est négative. Il en résulte une immigration irrégulière importante, fondée sur le détournement des procédures de demande d’asile.

En conséquence, nous proposons, à travers cet amendement, de compléter l’article par un alinéa permettant la création par voie réglementaire de zones d’attente aux frontières terrestres et fluviales de la Guyane. En définitive, cette mesure n’est qu’une adaptation du dispositif des zones d’attente à la situation particulière de ce département dans lequel l’immigration ne passe pas généralement par des ports, des aéroports ou des gares.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. On voit bien là les dérives successives auxquelles ce type d’analyse nous conduit.

L’article 6 permet de créer des zones d’attente exceptionnelles dans le cas d’arrivée massive de migrants. Cette possibilité reste tout de même limitée dans le temps et dans l’espace. Ce que nous propose M. Estrosi, sachant que la plupart des frontières de la Guyane sont constituées de fleuves et de forêts, c’est finalement de faire de toute la Guyane une sorte d’immense zone d’attente dans laquelle on pourra faire n’importe quoi et arrêter les gens à n’importe quel moment !

Il est tout de même significatif que cet amendement, qui est particulièrement dérogatoire au droit commun, ne soit signé par aucun élu de la Guyane, ni même par aucun élu de l’outre-mer !

Je me demande ce que vous voulez faire et qui vous visez. Des gens arrivent en barque des pays voisins, et la police les ramène le lendemain et ainsi de suite. Décider que ces mêmes personnes vont se retrouver dans une procédure de zone d’attente qui, par nature, recouvrira toute la Guyane est particulièrement insupportable et qui plus est totalement inefficace, dans la mesure où les gens qui arrivent des pays frontaliers, notamment le Brésil, ne sont généralement pas des demandeurs d’asile. La plupart des gens qui demandent l’asile en Guyane sont des Haïtiens. Au moment où toutes les associations et autorités de notre pays agissent pour essayer de montrer un minimum de solidarité avec la population haïtienne, dont on connaît la souffrance, je trouve scandaleux que M. Estrosi n’ait rien d’autre à proposer que de remettre en zone d’attente toutes les personnes qui arrivent en Guyane, quel que soit l’endroit où on les trouve.

Nous ne pouvons qu’être défavorables à cette extension du champ de l’article 6 contre lequel nous étions déjà très en colère dans la mesure où il tire son origine de l’arrivée de ces malheureux 123 Kurdes l’année dernière. J’aimerais que quelqu’un me dise quels problèmes posent aujourd’hui ces 123 Kurdes qui se sont parfaitement disséminés et fondus dans la masse en Europe.

M. Julien Dray. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Je soutiens cet amendement, ne serait-ce que par cohérence avec les propos que j’ai tenus tout à l’heure.

Je voudrais juste revenir sur la situation spécifique de la Guyane : les personnes qui arrivent en Guyane proviennent essentiellement des pays voisins, Brésil, Surinam, Guyana. Très peu viennent d’Haïti.

Mme George Pau-Langevin. Les personnes qui viennent du Brésil ne demandent pas l’asile.

M. Philippe Folliot. Dans certaines communes de Guyane, 80 % de population est en situation irrégulière. Il me semble normal de chercher à se doter d’outils de nature à apporter la meilleure réponse à cette réalité.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Bien sûr.

M. Philippe Folliot. Cette situation en Guyane est, pour l’essentiel, liée au fait que le RMI ou le RSA distribué en France est quatre fois supérieur au salaire moyen au Surinam voisin.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Évidemment !

M. Philippe Folliot. On comprend le phénomène d’aspiration naturelle à essayer de venir sur le territoire national à travers la Guyane.

Je ne vois pas ce que cet amendement a de choquant, surtout au regard des différents arguments qui ont été donnés : il ne s’agit pas de restreindre les droits mais d’organiser et de disposer de moyens juridiques plus souples afin de répondre à des situations exceptionnelles sur le territoire métropolitain mais qui durent dans des départements d’outre-mer, en l’occurrence la Guyane.

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est sûr.

M. Philippe Folliot. Mais nous pourrions également citer Mayotte, et peut-être Saint-Martin pour sa frontière terrestre.

Mme George Pau-Langevin. La frontière terrestre de Saint-Martin ?

M. Philippe Folliot. Oui, avec les Pays-Bas !

(L’amendement n° 204 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 233.

La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Nous ne comprenons pas très bien le bien-fondé de cet article 6 dans la mesure où le dispositif qu’il crée est déjà prévu par la loi – il résulte de la transposition de la directive du 20 juillet 2001 relative à l’octroi d’une protection en cas d’afflux massif de personnes déplacées. Il suffit d’appliquer les règles et dispositions déjà traduites en droit français, qui sont conformes aux engagements européens et respectueuses des droits des personnes.

(L’amendement n° 233, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 230.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement n° 230 tente de rétablir une disposition adoptée par le Sénat en première lecture, précisément pour réduire la portée de ces zones d’attente temporaires dont vous nous expliquiez tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’elles avaient un caractère exceptionnel pour répondre à une situation exceptionnelle alors que vous venez de refuser d’écrire précisément dans la loi ce caractère exceptionnel.

J’en profite pour vous demander, monsieur le ministre, en tant que ministre de l’immigration mais également de l’intérieur, comment vous comptez gérer l’arrêt récent de la Cour de cassation, qui considère que les contrôles d’identité effectués indépendamment du comportement de la personne dans une bande de vingt kilomètres à partir de la frontière terrestre ne sont pas conformes au droit européen.

Enfin, je voudrais vous interroger sur la note informelle qui circule actuellement au sein du commissariat de Cannes et dont certains syndicats de police s’émeuvent, note qui prescrit aux fonctionnaires l’interpellation d’étrangers en situation irrégulière de « nationalité tunisienne ». Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, comment on identifie à distance, avant même de lui avoir adressé la parole, la nationalité d’une personne ? Je vous remercie par avance de votre réponse !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Même avis.

Mme Sandrine Mazetier. Et la réponse sur la Cour de cassation ?

(L’amendement n° 230 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 235.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement est défendu.

(L’amendement n° 235, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 6, amendé, est adopté.)

Article 7

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 24, 94 et 220, tendant à supprimer l’article 7.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour soutenir l’amendement n° 24.

M. Étienne Pinte. La notification des droits des personnes privées de liberté est une garantie essentielle, au cœur du contrôle du juge de la liberté individuelle. En indiquant que cette notification s’effectue dans les meilleurs délais, l’article 7 vise à rendre régulières des privations de liberté de plusieurs heures hors de tout cadre juridique. Ces dispositions seront applicables à l’ensemble des ports et aéroports où existent des zones d’attente. À Roissy par exemple, il est fréquent que plusieurs dizaines de personnes arrivent simultanément, et la police aux frontières pourra ainsi retarder la notification des droits aux intéressés. Voilà pourquoi je souhaite la suppression de cet article. Je rappelle que le juge des libertés et de la détention avait libéré l’ensemble des Kurdes arrivés en Corse en considérant qu’ils avaient été privés illégalement de liberté.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour défendre l’amendement n° 94.

M. Roland Muzeau. L’article 7 s’inscrit dans la même logique que l’article 6. Il vise, après l’extension des zones d’attente, à affaiblir davantage encore les droits des étrangers maintenus dans ces zones.

L’étranger placé en zone d’attente était informé dans les meilleurs délais qu’il pouvait avoir l’assistance d’un médecin ainsi que d’un interprète, et qu’il pouvait communiquer avec toute personne de son choix.

Désormais, « en cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers », le délai d’information n’est plus le meilleur, mais seulement le meilleur possible compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et du nombre d’interprètes disponibles. Déjà, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité avait supprimé l’obligation d’une information immédiate pour la remplacer par une information dans les meilleurs délais.

Pourtant, ces délais d’information sont justifiés par le fait qu’avant placement en zone d’attente, l’étranger se trouve dans une situation non régie par le droit. Il est important d’y mettre fin dans les plus brefs délais pour maintenir les garanties essentielles des étrangers privés de liberté.

Ce ne sont manifestement pas ces critères qui ont motivé la rédaction de cet article. Il s’agit au contraire de limiter les invalidations de procédure de maintien en zone d’attente par le juge judiciaire et de permettre à l’autorité administrative de mener la procédure comme bon lui semble.

Pourtant, une modification législative ne saurait permettre à l’administration de manquer à l’impératif de notification immédiate des droits par tous les moyens nécessaires, y compris en termes d’effectifs : rien ne peut entériner une privation de liberté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 220.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement est défendu.

(Les amendements identiques nos 24, 94 et 220, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 238.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Nous proposons qu’avant d’éloigner du territoire un mineur non accompagné d’un représentant légal, des démarches soient engagées afin de s’assurer qu’il sera effectivement remis à un membre de sa famille, à un tuteur désigné ou à des structures d’accueil adéquates dans l’État de retour, c’est-à-dire ce qui est prévu par la directive Retour que vous prétendez transposer à travers ce projet de loi. Rien, dans le texte, ne protège les mineurs isolés alors même que la directive « retour » se préoccupait de leur sort.

(L’amendement n° 238, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 236.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement n° 236 est complémentaire du précédent. Il propose qu’un mineur isolé ne puisse être éloigné du territoire avant d’avoir rencontré l’administrateur ad hoc qui lui a été désigné. Aussi incroyable que cela puisse paraître, alors qu’il est prévu de désigner un administrateur ad hoc pour s’occuper des intérêts du mineur, conformément d’ailleurs à une convention internationale de protection des droits de l’enfant que la France a ratifiée, il arrive que des mineurs isolés soient éloignés du territoire avant même d’avoir rencontré leur administrateur ad hoc.

(L’amendement n° 236, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 7 est adopté.)

Article 8

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 95 et 221, tendant à supprimer l’article 8.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 95.

M. Roland Muzeau. L’article 8 introduit une nouvelle disposition : les irrégularités relatives au maintien de l’étranger en zone d’attente doivent être invoquées au cours de la première audience de prolongation de la détention et ne peuvent plus l’être au cours de la seconde audience, sous peine de nullité. De fait, cette disposition limite les droits de la défense des étrangers et restreint le pouvoir du JLD.

Pourtant, le rôle du juge des libertés et de la détention ne se limite pas à la prolongation du délai sur demande de l’administration. Il veille également à ce qu’il n’y ait pas eu d’atteinte aux droits fondamentaux des étrangers placés en zone d’attente et à ce que la procédure suivie soit conforme. Si tel n’est pas le cas, il peut invalider la procédure, ce qui débouche sur l’admission de l’étranger sur le territoire français.

Les délais et l’instruction étant très brefs, introduire une nullité des actes précédant la première prolongation lors de l’instruction de la seconde constitue une régression importante des droits des étrangers.

En outre, cet article tend à protéger l’impunité de l’administration en réduisant autant que faire se peut le pouvoir de contrôle du juge des libertés et de la détention sur ces actes.

Ces dispositions marquent une défiance contre les juges judiciaires qui, constatant qu’une irrégularité manifeste violant les droits de l’étranger aurait été commise, devront néanmoins feindre de ne pas la voir et s’interdire de la constater pour ordonner la mise en liberté sur ce fondement et ce, pour la seule raison que cette irrégularité n’aura pas été invoquée dès le premier passage devant le juge.

Ce système de purge des nullités instaure une discrimination au détriment des étrangers par rapport au justiciable commun. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 8.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour défendre l’amendement n° 221.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’instauration d’une purge dès la première présentation devant le juge des libertés et des causes de nullité et l’impossibilité dans laquelle se trouvera la personne concernée de les soulever lorsque le juge a à connaître d’une deuxième demande de prolongation est à mes yeux la consécration de l’impossibilité d’exercer une contestation, et le juge des libertés n’aura donc aucune compétence.

En réalité, il faut souligner que les circonstances de fait dont nous discutons dans le cadre de la zone d’attente ne permettent pas, par elles-mêmes, à l’intéressé d’avoir une parfaite compréhension de l’ensemble de ses droits.

Les modalités de saisine du juge, en particulier l’impossibilité dans laquelle se trouvera la personne concernée d’exercer ses droits pendant cette période, font craindre que, précisément, la méconnaissance de ses droits ne rende la saisine impossible.

La purge des causes de nullités dès la première audience est proprement inacceptable, le Conseil constitutionnel ayant rappelé que le maintien en zone d’attente constitue une mesure privative de liberté. Vous ne pouvez utiliser une technique utilisée habituellement dans le cadre civil pour régler un problème qui, de par sa nature même, n’est pas civil. La privation de liberté dans une zone d’attente justifie que l’ensemble des précautions procédurales habituellement utilisées dans le cadre des procédures pénales, notamment celles relatives aux privations de liberté, soient applicables en la circonstance.

Je me souviens que la purge des causes de nullité a déjà donné lieu à des débats dans notre hémicycle, mais aussi à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, notamment relatives à la question des bandes organisées. La purge des nullités est un problème tout à la fois très rare et extrêmement important, dans la mesure où le recours à cette technique prive les juridictions de recours de toute capacité de contrôle sur la régularité des mesures prises. Les circonstances particulières constituées par un maintien en zone d’attente justifient que l’on prenne certaines précautions. Voilà pourquoi nous souhaitons supprimer l’article 8, qui prévoit la purge des causes de nullité après la première présentation devant le juge des libertés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Défavorable. Je rappelle que la Cour de cassation a admis la purge des libertés en matière civile depuis une dizaine d’années.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Je suis également défavorable à cet amendement. Le maintien en zone d’attente n’étant pas une peine, cette disposition relève bien de la procédure civile.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je sais fort bien ce qu’est une peine, et si le maintien en zone d’attente n’est pas une sanction pénale, je soutiens qu’il n’en constitue pas moins un acte de privation de liberté, c’est-à-dire la situation la plus extrême qu’une démocratie puisse imposer à une personne, quelle qu’elle soit.

Il ne s’agit pas ici de soutenir que le maintien en zone d’attente constitue une sanction pénale ; reste que la situation dans laquelle se trouve une personne concernée par cette décision est bel et bien une privation de liberté. Sa mise en œuvre doit donc se faire avec toutes les précautions qui accompagnent, dans un cadre pénal, la privation de liberté – ce qui n’est pas le cas si on applique une purge des causes de nullité aussitôt après la première comparution.

Je sais que la possibilité de purger les nullités existe dans le code civil, je l’ai d’ailleurs dit dans mon intervention. Cependant, je conteste que l’on se trouve dans un cadre civil : pour moi, on se trouve dans le cadre d’une privation de liberté. Dès lors, monsieur le ministre, vous devriez accepter la précaution – essentielle pour l’exercice des droits fondamentaux – consistant à ne pas purger les causes de nullité. Nous attachons beaucoup d’importance à cette question, et ne pourrons pas éviter de visiter la disposition correspondante à l’aune du principe affirmé par le Conseil constitutionnel, selon lequel le maintien en zone d’attente est une privation de liberté justifiant le respect d’un certain nombre de règles dans la durée et la notification des droits de la personne concernée.

(Les amendements identiques nos 95 et 221 ne sont pas adoptés.)

(L’article 8 est adopté.)

Article 9

Mme la présidente. La parole est à Mme George Pau-Langevin, inscrite sur l’article.

Mme George Pau-Langevin. L’article 9 montre à nouveau la défiance du législateur – de ce législateur – à l’égard des magistrats. Vous restreignez sensiblement le rôle du juge judiciaire, qui va devoir s’exprimer en vingt-quatre heures – ce qui sera bien souvent matériellement impossible – et voir ses pouvoirs considérablement rognés, l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’étant plus, à elle seule, susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente. Ces mesures constituent une aggravation sensible de la situation des étrangers, ce qui ne nous paraît pas admissible.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements de suppression de l’article 9, nos 25, 96 et 222.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour soutenir l’amendement n° 25.

M. Étienne Pinte. J’utiliserai, pour défendre mon amendement, une argumentation contraire à celle que vient d’exposer Mme Pau-Langevin. Pour moi, le juge a la possibilité de statuer dans un délai de vingt-quatre heures, voire de quarante-huit heures. Or le maintien en zone d’attente décidé par l’autorité administrative est d’une durée de quatre jours, soit une durée équivalente à celle de la garde à vue en matière de terrorisme. Le délai accordé au juge permettrait donc une privation de liberté d’une durée maximale de six jours. Une telle durée, excessive, est manifestement contraire à la jurisprudence constitutionnelle.

En outre, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’une personne retenue devait être présentée au JLD avant l’expiration de la rétention.

L’article 9 remet par ailleurs en cause une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le maintien en zone d’attente n’est qu’une faculté lorsque l’étranger présente des garanties de représentation.

Enfin, il est surprenant de constater qu’en matière pénale, de telles garanties de représentation permettent d’éviter la détention provisoire en vertu de l’article 144 du code de procédure pénale.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 96.

M. Roland Muzeau. Comme le précédent, cet article n’a qu’un seul but : restreindre les droits des étrangers et compliquer le travail de la défense.

La durée du maintien en zone d’attente décidé par l’autorité administrative est équivalente à celle de la garde à vue en matière de terrorisme, soit quatre-vingt-seize heures. Or le présent article donne la possibilité au juge de statuer dans un délai de vingt-quatre heures, voire de quarante-huit heures. Au total, la privation de liberté peut donc atteindre six jours ! Cette durée est manifestement disproportionnée et contraire aux jurisprudences nationales et internationales.

Par ailleurs, la disposition que nous proposons de supprimer, selon laquelle « l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente », remet en cause une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui fait du maintien en zone d’attente une simple faculté lorsque l’étranger présente des garanties de représentation.

Cette disposition vise, une nouvelle fois, à contrecarrer les pouvoirs du juge judiciaire lorsqu’il est saisi de requêtes en prolongation du maintien en zone d’attente. Même si celui-ci constate qu’il n’y a pas de risque à laisser entrer la personne sur le territoire dès lors que celle-ci justifie d’un billet de retour, d’une réservation hôtelière, d’une somme d’argent en espèces ou encore de la présence de membres de sa famille en France, le juge ne pourra fonder une décision de refus du maintien en zone d’attente sur cette seule constatation.

Dès lors, considérer que l’on doit à tout prix maintenir les étrangers dans ces centres, alors même que les intéressés présentent toutes les garanties de représentation, aggrave considérablement et inutilement la situation. C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de la présente disposition.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n° 222.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le dispositif prévu par l’article 9 est à nos yeux en totale contradiction avec les prescriptions du Conseil constitutionnel quant à l’appréciation des circonstances de la privation de liberté dans les zones d’attente. Le Conseil a déjà considéré que, pour commencer, le juge des libertés devait être informé de la rétention, et ensuite que la personne retenue devait lui être présentée avant l’expiration du délai de rétention. Tels sont les principes d’exercice de la compétence du juge des libertés.

Comme l’a dit notre collègue Muzeau, l’établissement de cette prescription de l’article 9 entraîne par le fait une prolongation du maintien en zone d’attente, qui peut atteindre quasiment six jours…

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …alors même que le Conseil constitutionnel a également considéré que ce délai devait être limité.

Enfin, notre collègue a eu raison de rappeler la position de la Cour de cassation, qui considère que le maintien de la personne en zone d’attente n’est qu’une faculté : il est tout à fait possible à un étranger présentant des garanties de représentation d’exécuter le refus d’entrée dont il fait l’objet, sans pour autant être privé de liberté.

À nos yeux, le dispositif prévu par l’article 9 est contraire à l’ensemble des prescriptions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation que je viens d’exposer – la dernière ayant été réaffirmée très récemment par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. La commission est défavorable à ces trois amendements. J’estime qu’en réalité, l’article 9 clarifie les choses en fixant des délais – qui n’existent pas actuellement – pour l’intervention du JLD. En cas de dépassement de ces délais, fixés à vingt-quatre ou quarante-huit heures, la procédure s’arrête et l’individu est remis en liberté.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements. Pour répondre à la préoccupation exprimée par M. Pinte, je précise qu’il ne convient pas d’établir un parallélisme avec ce qui a été jugé par le Conseil constitutionnel au sujet de la garde à vue : dans le cas qui nous occupe actuellement, l’étranger est présenté immédiatement au juge.

Pour ce qui est des garanties de représentation, il n’est certainement pas de bonne méthode de considérer que leur existence peut suffire à justifier un refus de prolongation du maintien en zone d’attente. Si tel était le cas, il suffirait de disposer d’un billet d’autobus ou d’une réservation d’hôtel pour obtenir le départ de la zone d’attente.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Bien sûr !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Gardons-nous de tomber dans un juridisme pointilleux qui nous ferait oublier la réalité de la situation.

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est vrai !

M. Julien Dray. Du reste, le droit des étrangers est d’ailleurs devenu tellement complexe que plus personne n’y comprend rien, et plusieurs thèses ne seraient pas de trop pour clarifier les choses !

La principale différence entre vous et nous, c’est que vous avez peur du juge des libertés, considérant qu’il est un obstacle, toujours favorable à l’étranger…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Mais non !

M. Julien Dray. …ce qui vous conduit à chercher en permanence – c’est un vieux débat – à le contester, dans son existence comme dans ses pouvoirs.

Pour commencer, vous en créez très peu, ce qui a pour conséquence d’allonger considérablement leurs délais d’intervention. Vous avez beau jeu ensuite de dire que le JLD, c’est bien compliqué, et qu’il vaudrait mieux vous laisser les mains libres pour gérer ces situations… Pour avoir les mains libres, vous allongez les délais de non-intervention du droit durant la période de rétention, ce qui ne manque pas de produire des conséquences dramatiques : la mise à l’écart du juge des libertés aboutit à des décisions administratives prises sans aucune vérification, ce qui amène parfois à rapatrier les émigrés expulsés du fait du non-respect des procédures légales. On en devient ridicule, y compris face aux populations susceptibles d’être sanctionnées : la démonstration leur est faite que l’on peut toujours gagner.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Julien Dray prétend que nous avons peur du juge des libertés ; je me permets tout de même de lui rappeler que, lors d’un débat très récent, certains d’entre nous, dont j’étais, ont plutôt défendu ce dernier avec vigueur.

M. Roland Muzeau. Vous avez manifestement changé d’avis depuis !

M. Claude Goasguen, rapporteur. En revanche, monsieur Dray, j’affirme que vous avez peur de l’administration et du juge administratif.

M. Julien Dray. Je suis d’accord : j’ai peur de l’administration. Et, croyez-moi, j’ai d’excellentes raisons pour cela !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Vous avez tort. Il y a peut-être parfois des abus : les hommes ne sont que des hommes. Cependant, le juge administratif est un juge, et l’administration n’est pas ce personnage au couteau entre les dents que vous caricaturez. Je vous demande de considérer que l’administration n’est pas, de façon monolithique, hostile aux personnes.

M. Julien Dray. Je suis pourtant bien placé pour vous en parler !

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. En première lecture, j’avais déjà appelé l’attention de l’Assemblée sur l’appréciation très rigide des délais par la Cour de cassation. Le délai de vingt-quatre heures est apprécié strictement, chronomètre en mains : si le juge saisi à douze heures n’a pas statué avant le lendemain à midi, le délai est dépassé. Étant donné la longueur des audiences en général, celles relatives au droit des étrangers en particulier, nous allons donc au-devant de graves problèmes, et l’éventualité d’une prolongation ne réglera pas tout.

Concernant le dernier alinéa de l’article, je trouve choquant que le pouvoir d’appréciation du juge soit entravé. J’estime, pour ma part, qu’une personne qui présente des garanties de représentations ne doit pas être maintenue en détention. Or, le vote de cet alinéa rendrait impossible, ou presque, le refus de prolonger le maintien en zone d’attente. Ce serait, à mon sens, une atteinte à la liberté individuelle, d’autant plus injustifiée qu’elle contrevient à l’article 66 de la Constitution qui fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle. Lui, et lui seul, peut décider si une détention ou une rétention doit être prolongée, sans que la loi lui interdise d’utiliser certains arguments.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Cet article, comme de nombreuses dispositions de ce projet de loi mais aussi d’autres textes, illustre la banalisation, par ce gouvernement et cette majorité, de la privation de liberté. Le fait qu’il y ait eu dans notre pays 800 000 gardes à vue pour la seule année 2010 montre que, pour le gouvernement et la majorité, il n’est pas grave de priver les individus de leur liberté : il y a toujours de bonnes raisons pour le faire. C’est extrêmement préoccupant.

Les principes que nous avons récemment mis en avant lors de nos débats sur la garde à vue valent aussi pour les étrangers. Il n’est pas anodin de priver un individu de liberté. C’est même si important que notre Constitution prévoit l’intervention de l’autorité judiciaire, comme vient de le rappeler Lionel Tardy. Si c’est dans notre Constitution, c’est que c’est important : il faut cesser de déroger en permanence à cette règle par de multiples biais.

(Les amendements identiques nos 25, 96 et 222 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 182.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

(L’amendement n° 182, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 9 est adopté.)

Article 10

Mme la présidente. Sur l’article 10, la parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. La commission des lois a rétabli le texte adopté par la majorité de l’Assemblée en première lecture, alors que le Sénat avait supprimé la référence au caractère « substantiel » de l’irrégularité entraînant la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente. Pour notre part, nous considérons que toute irrégularité, qu’elle soit substantielle ou non, constitue une atteinte au droit. L’irrégularité se suffit à elle-même.

Le Sénat a préféré retenir la notion d’irrégularité « formelle ». Nous maintenons notre position : toute irrégularité, quelle qu’elle soit, est préjudiciable à la personne.

Mme la présidente. La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. La rédaction selon laquelle l’irrégularité n’est reconnue que « si elle présente un caractère substantiel » est trop restrictive. Mme Mazetier vient de rappeler que nous débattons d’un sujet grave, puisqu’il s’agit de mesures privatives de liberté. En la matière, et par définition, si les procédures et les garanties prévues pour encadrer la privation de liberté ne sont pas respectées, cela cause un grief à l’étranger concerné. L’irrégularité est donc toujours substantielle.

Cette restriction des droits des étrangers que vous voulez réintroduire nous semble insupportable. Si, après avoir examiné son cas, un magistrat décide de libérer un étranger maintenu en zone d’attente, il le fait parce qu’il considère qu’une irrégularité lui a causé un grief.

Je veux aussi réagir aux propos tenus par M. Goasguen. Nous ne remettons pas du tout en cause le travail remarquable des magistrats administratifs. Il n’y a d’ailleurs, contrairement à ce que la majorité laisse entendre, aucun laxisme, ni de la part des juges administratifs,…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Nous n’avons jamais dit cela !

Mme George Pau-Langevin. …ni de la part des juges judiciaires.

Cela dit, puisque, selon la Constitution, le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle, nous demandons qu’il assume ce rôle sans que cela soit une marque de défiance de notre part à l’égard du juge administratif.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Un peu tout de même !

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. L’article 10 tend à limiter la capacité du juge à apprécier les conséquences à tirer d’une irrégularité.

Quand une irrégularité devient-elle substantielle ? À partir de quel moment porte-t-elle atteinte aux droits d’un étranger qui vient d’être placé en rétention ?

Le fait, pour un étranger, d’être privé de liberté, porte atteinte à ses droits. Toute irrégularité qui, si elle n’avait pas été commise, lui aurait évité la rétention, porte atteinte à ses droits.

Je vois mal l’intérêt de cet article, si ce n’est d’exprimer une profonde défiance à l’égard du juge des libertés et de la détention. Je crois que, si nous le votons, nous allons provoquer des contentieux qui le videront rapidement de sa substance.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 26, 97 et 223, tendant à supprimer l’article 10.

La parole est à M. Étienne Pinte pour soutenir l’amendement n° 26.

M. Étienne Pinte. Cet article vise à limiter les cas dans lesquels le juge peut sanctionner les irrégularités qu’il constate par la remise en liberté de la personne maintenue en zone d’attente, et introduit une hiérarchie entre les irrégularités suivant qu’elles porteraient atteinte ou non aux droits des étrangers.

Dans les faits, cela signifiera que l’étranger devra justifier de cette « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, pour obtenir du juge l’annulation de la procédure.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau pour défendre l’amendement n° 97.

M. Roland Muzeau. Il s’agit pour le Gouvernement et sa majorité, une fois de plus, de limiter les cas dans lesquels le juge pourrait sanctionner les irrégularités qu’il constate par la mise en liberté de la personne maintenue en zone d’attente

Or, par définition, toute irrégularité porte atteinte aux droits de l’étranger. Les nullités susceptibles d’être invoquées par ce dernier devraient toujours être considérées comme étant d’ordre public, dès lors qu’elles sanctionnent des irrégularités qui font intrinsèquement grief. Sont toujours en cause, en effet, des droits dont l’exercice touche à la liberté individuelle. En application de l’article 66 de la Constitution, le juge judiciaire a le pouvoir et le devoir de faire constater l’atteinte aux droits de l’étranger.

L’enjeu de cet article réside dans la limitation des mainlevées du maintien en zone d’attente.

Actuellement, la Cour de cassation estime que, s’agissant de mesures privatives de liberté – dont le maintien en zone d’attente fait incontestablement partie –, les irrégularités doivent être considérées avec la plus grande rigueur. Ainsi, en matière de rétention d’un étranger, il n’appartient pas à celui-ci de fournir la preuve du préjudice : le juge doit s’assurer que l’intéressé a été pleinement informé de ses droits et qu’il a été en mesure de les faire valoir.

Un tel article tend à revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui apporte pourtant les protections nécessaires aux personnes privées de leur liberté.

Il est indispensable que la procédure soit respectée, car elle garantit l’effectivité des droits accordés aux étrangers maintenus en zone d’attente. Son irrégularité ne doit pas rester sans effet.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier pour soutenir l’amendement n° 223.

Mme Sandrine Mazetier. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Défavorable. Sans entrer dans un débat de doctrine sur les termes « formel » et « substantiel », je relève que le premier figure dans le code de procédure pénal et qu’il est très général. Le second l’est tout autant, mais il trouve un usage un peu plus précis dans le code de procédure civile comme dans le code de procédure pénale. Il rend effectivement plus facile au juge de dénoncer un quelconque abus de la part du plaignant.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Défavorable, pour les mêmes raisons.

(Les amendements identiques nos 26, 97 et 223 ne sont pas adoptés.)

(L’article 10 est adopté.)

Article 10 bis A

(L’article 10 bis A est adopté.)

Article 10 bis

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 10 bis.

Article 11

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 27, 98 et 224, tendant à supprimer l’article 11.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour présenter l’amendement n° 27.

M. Étienne Pinte. L’article 11 vise à donner davantage de temps au parquet pour contester des décisions de remise en liberté ou d’assignation prononcées par le juge des libertés et de la détention.

Aujourd’hui, lorsqu’un étranger est libéré ou assigné par le juge, la préfecture et le parquet peuvent faire appel de la décision, mais ce recours n’est pas suspensif par nature. Pour obtenir qu’il le soit, le parquet doit en faire la demande au premier président de la cour d’appel, et ce dans un délai de quatre heures après la notification de l’ordonnance du JLD. Le premier président statue sans délai et sa décision n’est pas susceptible de recours.

L’article 11 prévoit d’allonger le délai de quatre heures, qui passerait donc à six heures.

Les nouvelles dispositions ne feront qu’aggraver la situation actuelle : des étrangers seront relâchés en pleine nuit et des avocats absents de leur cabinet durant la nuit ne pourront plus formuler d’observations à l’encontre d’un appel du parquet, si bien que la procédure ne respectera plus le principe du contradictoire.

L’article 11 permettra de remettre plus facilement en cause les libérations prononcées par les JLD, ce que je regrette.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau pour soutenir l’amendement n° 98.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour défendre l’amendement n° 224.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Alors que le délai fixé au JLD pour statuer est réduit, le délai pendant lequel le procureur peut saisir la juridiction d’une contestation du refus de maintien en zone d’attente est prolongé. Au passage, je signale que cet article donne au procureur les mêmes responsabilités, ou presque, qu’à un préfet…

Naturellement, ce n’est pas acceptable. Même si la rétention n’est pas une peine, le caractère suspensif de l’appel vise bien une privation de liberté : il est donc attentatoire aux droits fondamentaux.

Il n’est pas acceptable que l’on allonge le délai donné au procureur pour demander que soit suspensif l’appel d’une décision de refus de prolonger le maintien en zone d’attente. Comme vient de l’expliquer M. Pinte, une telle mesure rendrait extrêmement difficile l’accompagnement des personnes concernées par les avocats.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Les arguments de nos collègues ne sont pas convaincants.

L’article 11 tend à donner au procureur la possibilité de demander que son appel ait un caractère suspensif. Il ne s’agit pas d’allonger un délai. Je vous trouve très sévères avec le passage de quatre à six heures. Comment voyez-vous le procureur ? Comment considérez-vous l’avocat ? Franchement, si ce dernier n’est pas capable de rester deux heures de plus auprès du plaignant, c’est vraiment que ce dernier est très mal défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements de suppression. Certes, il convient de respecter les droits des individus, mais il convient aussi de respecter les droits de la société. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le ministre, voilà une très intéressante observation. Pour ma part, je considère que nous construisons les droits de la société en respectant les droits des individus.

M. Julien Dray. Évidemment !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Lorsque l’on ne respecte pas les droits des individus, c’est la société tout entière qui tremble et qui est en danger. D’une certaine manière, votre remarque éclaire la nature de ce texte.

Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de la prolongation du maintien en zone d’attente, vous n’hésitez pas à allonger les délais au motif que deux heures de plus, ce n’est pas grave. En revanche, lorsqu’il s’agit de permettre aux personnes concernées d’exercer leurs droits les plus fondamentaux, puisqu’il s’agit de droits universels – droits de la défense, droit de saisir le juge de la rétention –, vous estimez que les délais sont trop longs.

Permettez-moi de vous dire qu’il y a là une contradiction. Mais je ne m’en étonne guère, dès lors que vous considérez que l’intérêt de la société impose nécessairement de limiter les droits des individus. C’est d’une extrême gravité.

(Les amendements identiques nos 27, 98 et 224 ne sont pas adoptés.)

(L’article 11 est adopté.)

Article 12

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, inscrit sur l’article 12.

M. Lionel Tardy. Cet article pose, comme les précédents, un problème grave, puisqu’il remet en cause le principe de l’effet dévolutif de l’appel, touchant ainsi au principe du double degré de juridiction et au droit à un procès équitable. Je rappelle que l’appel a notamment pour effet de remettre les compteurs à zéro : tous les arguments présentés en première instance peuvent y être évoqués et il est possible d’en produire de nouveaux. Or, cet article va dans le sens inverse, puisqu’il interdit d’invoquer pour la première fois des irrégularités en appel. Monsieur le rapporteur, vous pouvez difficilement rester insensible à cette disposition, qui risque, là encore, d’être censurée par le Conseil constitutionnel.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 28, 99 et 225, tendant à supprimer l’article 12.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour soutenir l’amendement n° 28.

M. Étienne Pinte. M. Tardy, qui a cosigné cet amendement, vient de donner les explications nécessaires dans son intervention sur l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 99.

M. Roland Muzeau. L’article 12, comme l’article 8, vise à empêcher qu’une irrégularité soit soulevée pour la première fois en appel lors des jugements de prolongation du maintien en zone d’attente.

La commission des lois du Sénat a supprimé cet article, et cette suppression a été validée par la Haute Assemblée. En effet, les sénateurs ont observé que ces dispositions semblaient déroger au droit commun, puisque l’article 561 du code de procédure civile dispose que : « L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit. » Le présent article remet donc en cause le principe du double degré de juridiction.

Deux autres articles du code de procédure civile viennent étayer cette démonstration. L’article 563 précise que : « Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. » Quant à l’article 565, il dispose que : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. »

En vérité, la présente disposition n’a qu’un seul but : restreindre et compliquer les droits de la défense et empêcher autant que faire se peut les étrangers de se défendre. En effet, les avocats ayant connaissance de la procédure judiciaire très peu de temps avant les audiences, ils sont fréquemment conduits à soulever en appel des moyens de nullité auxquels ils n’avaient pas pensé en première instance ou qui nécessitaient une recherche documentaire pour pouvoir être soutenus devant le juge. Cette disposition nuira donc considérablement au bon exercice du travail des avocats.

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 12.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 225.

Mme Sandrine Mazetier. Il est défendu.

(Les amendements identiques nos 28, 99 et 225, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

(L’article 12 est adopté.)

Article 12 bis

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 12 bis.

Article 13

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 100, tendant à supprimer l’article 13.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

(L’amendement n° 100, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 260.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement concerne, comme les suivants, la « carte bleue européenne ».

Mme la présidente. Dans ce cas, peut-être pourriez-vous présenter également les amendements nos 226, 261, 262, 263, 227 et 229 ?

Mme Sandrine Mazetier. Volontiers, madame la présidente.

Ces amendements m’offrent l’occasion d’interroger le troisième ministre de l’immigration depuis le début de la législature – et depuis le début de l’examen de ce texte, d’ailleurs – sur cet énième titre de séjour.

La « carte bleue européenne » résulte de la transposition d’une directive européenne. Tout d’abord, les conditions de délivrance de cette carte telles que définies par le Gouvernement sont moins favorables que celles qu’autorise la directive et que pourraient adopter d’autres pays européens. Ainsi, elle donnera droit, en France, à un séjour d’une durée de trois ans, alors que cette durée pourrait être de quatre ans. Or, il est indiqué, dans l’étude d’impact du projet de loi, que nous sommes en compétition avec nos partenaires européens pour attirer des travailleurs hautement qualifiés. Ce choix nous paraît donc incohérent avec les objectifs affichés.

Monsieur le ministre, puisque vous êtes l’un des concepteurs de la politique d’immigration dite choisie, permettez-moi de m’interroger sur les différents titres de séjour qui ont été créés dans ce cadre depuis 2002. Je pense notamment aux cartes portant les mentions : « compétences et talents » ou « salarié en mission ». Force est de constater qu’elles n’ont pas permis d’attirer un grand nombre de personnes hautement qualifiées. Mais comment s’en étonner, dès lors que l’on envoie aux étrangers des signaux aussi désastreux ? On ne peut pas gagner la compétition à laquelle se livrent les pays pour attirer les élites mondiales afin de profiter de leur talent, et précariser par ailleurs le séjour des étrangers !

J’ajoute que vous avez choisi, dans le cadre de la transposition de la directive, de prévoir non seulement une durée de séjour moins longue, mais aussi un seuil de salaire plus contraignant que ce qui était possible. Nos partenaires européens feront le choix inverse et attireront davantage de travailleurs hautement qualifiés que nous.

Enfin, parmi les multiples propositions que nous avons faites en première lecture, nous renouvelons notamment celle qui consiste à ratifier enfin une convention internationale qui a vingt ans et qui vise à garantir les droits élémentaires des travailleurs migrants.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

Mme Sandrine Mazetier. La France a en effet intérêt à prendre la tête d’un large mouvement de ratification de cette convention par les pays européens et ceux du G20 car, si les travailleurs étrangers bénéficient de droits égaux à ceux des travailleurs nationaux, non seulement ils ne seront pas exploités, mais ils ne concurrenceront pas ces derniers. J’ajoute que cette convention protégerait également les 2,5 millions de Français expatriés.

En conclusion, nous souhaiterions que le Gouvernement justifie ses choix, qui paraissent en totale contradiction avec les objectifs qu’il affichait en théorisant l’immigration choisie. Les résultats de cette politique sont en effet très en deçà de ceux escomptés, comme en témoigne le nombre des cartes « compétences et talents » et « salarié en mission » qui ont été délivrées. Au reste, un rapport de l’OCDE, dont vous avez certainement connaissance, monsieur le ministre, indique que, pour gonfler les chiffres, vous comptabilisez désormais, parmi les personnes relevant de l’immigration professionnelle, des salariés en situation irrégulière que vous avez régularisés. Avouez que, lorsque l’on entend vos discours sur le sujet, cela paraît pour le moins paradoxal !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements en discussion ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Défavorable. La convention à laquelle fait référence Mme Mazetier a désormais vingt ans ; elle aurait donc pu être ratifiée par les gouvernements qu’elle soutenait. Il est toujours facile de réclamer une mesure que l’on n’a pas jugé opportun de prendre.

Mme Sandrine Mazetier. Nous avons changé de siècle entre-temps !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Nous réfléchirons à la ratification de cette convention avec la même ardeur que vous par le passé…

Par ailleurs, nous sommes opposés à la conception que vous avez de la carte bleue européenne, dont je pense qu’elle nous permettra de relever le niveau des immigrés hautement qualifiés dont nous avons besoin, sans pour autant nous livrer à un pillage des cerveaux.

M. Roland Muzeau. Ah bon ? C’est pourtant ce que vous faites !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Nous, nous choisissons.

M. Roland Muzeau. C’est bien ce que je dis !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Défavorable. La proposition du Gouvernement est parfaitement cohérente avec sa politique d’immigration choisie, laquelle s’applique en l’espèce, dans le cadre de la transposition d’une directive européenne, à des cadres hautement qualifiés. Je veux d’ailleurs indiquer à Mme Mazetier que nous avons délivré, en 2009 – dernière année dont les chiffres sont entièrement connus –, 23 650 titres de séjour au titre de l’immigration professionnelle, contre 15 661 en 2005. Cette politique n’est donc pas un échec.

Mme Sandrine Mazetier. Vous avez obtenu ces chiffres grâce à la régularisation de travailleurs sans papiers. Admettez-le !

M. Claude Guéant, ministre. J’appelle votre attention sur une autre caractéristique du texte qui vous est soumis : il s’agit, pour la première fois, d’un titre unique de séjour pour l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Je souhaite tout d’abord apporter une précision. Tout à l’heure, M. Luca nous a dit que l’Allemagne pratiquait une intégration linguistique en imposant aux étrangers de suivre environ 600 heures de cours d’allemand pour accéder à la nationalité. M. Pinte lui a alors répondu que ces cours étaient destinés à ceux qui entraient sur le territoire allemand, et non à ceux qui demandaient la nationalité. M. Luca a maintenu son propos. Or, je dispose à présent d’une note juridique qui prouve qu’il s’est trompé : la maîtrise de la langue allemande est bien exigée des étrangers qui entrent sur le territoire et demandent un titre de séjour, non de ceux qui demandent la nationalité allemande. Chers collègues, je ne doute pas que vous transmettrez cette note à M. Luca ; cela lui évitera de commettre de nouveaux impairs à l’avenir.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous précisiez ce que vous entendez par la belle formule que vous avez utilisée tout à l’heure – de manière peut-être un peu précipitée – pour nous expliquer qu’il y avait, d’un côté, les droits individuels et, de l’autre, ceux de la société.

Nous savons qui sont ceux qui, dans l’histoire, ont prétendu défendre les droits de la société contre les droits individuels, et nous savons ce que cela veut dire. Comme vous êtes ministre de la République, vous avez une responsabilité particulière : votre parole acquiert une portée plus haute.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Julien Dray. S’il y a un droit de la société plus fort que les droits individuels, quel est-il, qui le détermine, qui assume cette responsabilité ? Nous voyons bien quelle est la logique. C’est d’ailleurs ce qui explique votre méfiance envers les dispositifs juridiques que nous proposons, car, garantissant tous des libertés individuelles, ces dispositifs sont contraires à un droit de la société que vous entendez définir mais que l’on ne connaît pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En ce qui concerne la carte bleue européenne, vous n’avez pas inscrit votre démarche dans celle de l’Union européenne et de la directive. Le délai maximum y est de quatre ans alors que vous le limitez à trois ans. De même, vous n’avez pas tenu compte de la directive en matière de salaires. Vous vous inscrivez dans un cadre extrêmement restreint, témoignant par là qu’il vous est difficile d’accepter un dispositif de cette nature.

Vous auriez d’ailleurs pu à cette occasion purger notre droit des dispositifs existants : cartes « compétences et talents », « salarié en mission »… En 2007, cinq cartes « compétences et talents » ont été délivrées ; en 2008, 182.

Mme Sandrine Mazetier. C’est un échec total !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cela montre que même cette ouverture des frontières à des personnes qui, par leurs études ou leurs capacités professionnelles, peuvent rendre des services à notre pays – ainsi que vous nous l’aviez présentée –, reste parcimonieuse.

Mme Sandrine Mazetier. Ça ne marche pas !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De même pour la directive : vous vous êtes placés très en deçà de ce qu’elle permet. Votre intention n’est pas d’utiliser véritablement ce dispositif.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. S’agissant des titres professionnels, monsieur Le Bouillonnec, la politique d’immigration choisie consiste en effet à accorder des titres à des personnes dont nous savons qu’elles trouveront un emploi dans notre pays et qu’elles rendront service à notre économie. Cela ne veut pas dire pour autant que nous souhaitions que des travailleurs français se voient prendre leur travail par des personnes venues d’ailleurs.

Pour répondre à l’interpellation de M. Dray, et puisqu’il m’y invite, je m’exprimerai un peu plus longuement sur le sujet. J’ai dit moi-même, dans cette très brève intervention, que le droit des individus devait bien sûr être respecté. Pour moi comme pour vous, monsieur Dray, le droit des individus fait partie de notre ordre juridique, et j’y suis attaché tout autant que vous.

Cela étant dit, l’État a aussi le droit d’exercer des recours effectifs. En employant le terme d’« État », je commets d’ailleurs une erreur de langage puisque le procureur de la République n’est même pas partie à la procédure. Il est en revanche le représentant de la société.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Claude Goasguen a dit à l’instant qu’il n’était pas partisan du pillage des cerveaux. Il existait, associé à la carte « compétences et talents », un dispositif selon lequel le bénéficiaire de la carte devait apporter son concours à une action de coopération ou d’investissement économique dans son pays d’origine, afin que cette mobilité soit fructueuse pour tout le monde. Vous avez supprimé cette disposition ; compte tenu du nombre extrêmement restreint des bénéficiaires de cette carte, ce n’est pas très grave…

En revanche, concernant la carte bleue européenne, il serait souhaitable – c’est l’objet de l’amendement n° 226 – de prévoir une disposition de ce type. C’est même encore plus nécessaire au moment où nous déclarons tous vouloir aider la rive sud de la Méditerranée dans son développement économique et démocratique. Nous n’allons pas cesser du jour au lendemain d’accueillir des étudiants, des chercheurs, de jeunes professionnels venant de Tunisie, d’Égypte et demain, je l’espère, de Libye. La disposition en question était l’un des rares mérites de la carte « compétences et talents ».

(Les amendements nos 260, 226, 261, 262, 263, 227 et 229, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 13 est adopté.)

Article 16 bis

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 16 bis.

Article 17 AA

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 228 à l’article 17 AA.

Mme Sandrine Mazetier. C’est le seul de nos amendements, sur quelque cent quarante, qui ait reçu, en commission, un avis favorable du rapporteur. Je souhaiterais entendre à nouveau cette bonne nouvelle… (Sourires.)

Il s’agit d’une mesure inspirée du formidable travail accompli sur tous les bancs de notre assemblée à l’occasion de la proposition de loi sur les violences faites aux femmes. L’amendement vise à mettre en cohérence le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec ce que nous avons voté à l’unanimité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Je renouvelle à Mme Mazetier l’avis favorable de la commission.

M. Michel Hunault. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement y est également favorable.

Mme Sandrine Mazetier. Champagne ! (Sourires.)

(L’amendement n° 228 est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

(L’article 17 AA, ainsi amendé, est adopté.)

Article 17 A

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 29, 101 et 232, tendant à supprimer l’article 17 A.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour soutenir l’amendement n° 29.

M. Étienne Pinte. L’article 17A est important car il a trait à la protection sociale des personnes d’origine étrangère.

N’oublions jamais que, selon le droit communautaire, tout citoyen de l’Union – y compris la personne assujettie à une période transitoire – peut se déplacer librement sur le territoire des autres États membres sans qu’aucune condition autre que celle d’être en possession de son passeport ou de sa carte d’identité en cours de validité lui soit opposable.

L’article 14 de la directive 2004/38 laisse penser que les États membres seraient en droit de mettre fin à cette liberté pendant les trois premiers mois de séjour si les personnes deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État.

La notion de « charge déraisonnable », dans les textes et dans la jurisprudence, est très contraignante pour l’État qui l’invoque à l’appui d’une appréciation du maintien au droit au séjour d’un citoyen de l’Union.

C’est ainsi que le même article 14 de la directive dispose que « le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement ». L’administration doit examiner au cas par cas les difficultés du citoyen pour déterminer si elles sont d’ordre temporaire, en tenant compte de la durée de son séjour, de sa situation personnelle et du montant de l’aide accordée.

De même, la Cour de justice des communautés européennes apprécie strictement cette notion. Ainsi, si la Cour n’exclut pas que l’État d’accueil considère qu’un citoyen de l’Union qui « a eu recours à l’assistance sociale ne remplit plus les conditions auxquelles est soumis son droit de séjour » et « prenne, dans le respect des limites imposées à cet égard par le droit communautaire, des mesures en vue soit de mettre fin à l’autorisation de séjour de ce ressortissant, soit de ne pas renouveler celle-ci », elle ajoute : « Toutefois, de telles mesures ne peuvent en aucun cas devenir la conséquence automatique du recours à l’assistance sociale de l’État membre d’accueil. »

La Cour estime également que les textes communautaires admettent « une certaine solidarité des ressortissants des États membres, notamment si les difficultés que rencontre le bénéficiaire au droit de séjour sont d’ordre temporaire ».

La directive prévoit l’obligation pour l’État de prouver, cas par cas, le caractère durable et excessif de la charge pour les séjours compris entre trois mois et cinq ans. En revanche, le faire sur une période de trois mois seulement serait contraire au droit communautaire.

Par ailleurs, il faut rappeler que l’accès des ressortissants communautaires – et extracommunautaires– aux droits sociaux est subordonné à une présence ininterrompue de plus de trois mois sur le territoire français. Le seul droit ouvert avant trois mois est l’hébergement d’urgence. Le secrétaire d’État au logement, M. Apparu, a d’ailleurs rappelé que ce droit était inconditionnel.

Une telle disposition violerait donc le droit communautaire et serait en totale contradiction avec l’esprit même de la liberté de circulation reconnue aux citoyens de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle je propose de supprimer cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 101.

M. Roland Muzeau. Cet article a été introduit en première lecture, suite à l’adoption en commission d’un amendement du Gouvernement. La disposition en cause subordonne la poursuite du séjour à la condition que les intéressés ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système social français.

Ce faisant, cette mesure tend à vider de sa substance le droit au séjour de moins de trois mois des ressortissants de l’Union européenne, pourtant reconnu par le droit communautaire.

Elle remet en cause par là même les missions d’accueil et d’hébergement d’urgence exercées par un certain nombre d’associations. Il faut bien voir que ce sont les Roumains et les Bulgares qui sont ici expressément visés.

Selon le droit communautaire, tous les citoyens de l’Union européenne peuvent se déplacer librement sur le territoire des autres États membres sans qu’aucune condition autre que celle d’être en possession de son passeport ou de sa carte d’identité en cours de validité leur soit opposable.

Quand bien même cette condition ne serait pas remplie, l’article 5 de la directive de 2004 prévoit en son paragraphe 4 que « l’État membre concerné accorde à ces personnes tous les moyens raisonnables afin de leur permettre d’obtenir ou de se procurer, dans un délai raisonnable, les documents requis, ou de faire confirmer ou prouver par d’autres moyens leur qualité de bénéficiaires du droit de circuler et de séjourner librement, avant de procéder au refoulement ».

En aucun cas, la notion de « charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » en France ne saurait être un motif nécessaire et proportionnel pour limiter la liberté fondamentale de circulation dont jouit un citoyen de l’Union.

Certes, l’article 14 de la directive visée laisse penser que les États membres seraient en droit de mettre fin à cette liberté pendant les trois premiers mois de séjour si les personnes concernées deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de cet État.

Néanmoins, la notion de charge déraisonnable reste très encadrée par le droit communautaire. Dans les textes comme dans la jurisprudence, cette notion est en effet très contraignante pour l’État qui l’invoque. Ainsi, dans ce même article 14 de la directive, on peut lire : « Le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement. » Cela signifie que le seul recours au système d’assistance sociale ne constitue pas une charge déraisonnable.

Au-delà, cet article nous paraît extrêmement dangereux en ce qu’il véhicule l’idée selon laquelle les étrangers ne viendraient en France que pour abuser des droits sociaux. Cette rhétorique manipule les pires préjugés, ceux qui sont l’habituel fonds de commerce de l’extrême droite. Je me contenterai de dire que cette affirmation est complètement démentie par les faits et par les textes : l’accès des ressortissants communautaires aux droits sociaux est en effet subordonné à une présence ininterrompue de plus de trois mois sur le territoire français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 232.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement tend à supprimer un article qui rappelle un certain été qu’a connu la France et que la planète entière a regardé avec stupéfaction, un été d’expulsions massives de Roms, avec des circulaires illégales et discriminatoires, rédigées par le ministère de l’intérieur,…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Et retirées !

Mme Sandrine Mazetier. …un été qui nous a valu de risquer une procédure pour infraction à la législation européenne et d’être l’objet de la réprobation internationale.

Cet article en est la trace, puisqu’il n’existait pas dans le projet de loi initial, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 31 mars dernier : il est apparu à l’automne. Il s’agit, je le rappelle, de rendre plus facile l’expulsion de ressortissants européens à qui l’on reproche de représenter « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale ». Je ne reviens pas sur ce qu’en ont dit très clairement Étienne Pinte et Roland Muzeau.

On essaye, par cet article, de plaquer sur le court séjour les conditions qui valent pour le long séjour. Or la directive « Libre circulation » prévoit que, que pour un séjour de moins de trois mois, la seule exigence incombant aux ressortissants européens est de disposer de papiers d’identité. En outre, je rappelle que les personnes en court séjour ne peuvent bénéficier des prestations sociales, à l’exception de l’aide médicale d’État.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Non, ils n’en bénéficient pas !

Mme Sandrine Mazetier. Qu’en est-il de la situation sanitaire et sociale des Roms qui ont été violemment expulsés cet été ? Dans son rapport, Jean-François Corti, directeur des opérations en France de Médecins du Monde, a décrit la crise sanitaire qui les frappe : une espérance de vie comprise entre cinquante et soixante ans, neuf enfants sur dix non vaccinés contre la rougeole et le tétanos, sept personnes sur dix en retard de soins, neuf personnes sur dix ne bénéficiant pas de l’aide médicale d’État. Et ce sont ces personnes qui représenteraient une charge déraisonnable !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Elles n’en bénéficient pas parce qu’elles sont là depuis moins de trois mois, madame Mazetier !

Mme Sandrine Mazetier. Ce sont ces gens que le Gouvernement a désignés à la vindicte populaire et expulsés sans aucune des garanties procédurales dues à tout un chacun, et en particulier aux ressortissants de l’Union européenne. Ce sont ces gens que vous voulez faire passer pour des profiteurs grevant nos finances publiques !

Je vous relis, mes chers collègues, ce que nous apprend le rapport du docteur Corti : une espérance de vie comprise entre cinquante et soixante ans, neuf enfants sur dix non vaccinés contre la rougeole et le tétanos, sept personnes sur dix en retard de soins, neuf personnes sur dix ne bénéficiant pas de l’aide médicale d’État. Je pense que nous en reparlerons dans la suite de ce débat.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Défavorable. On peut tout reprocher à cet article, sauf de ne pas apporter de réponse législative à une question qui nous a causé suffisamment d’ennuis lorsque la réponse apportée était de nature réglementaire. Je veux bien reconnaître que le fond du problème soulève d’autres questions, madame Mazetier, mais le Gouvernement et la commission ont décidé de résoudre par la voie législative cet imbroglio juridique dans lequel se trouve l’Europe. Cette décision législative permettra d’éviter un certain nombre de confusions juridiques et juridictionnelles qui nous ont exposés à un discrédit injustifié auprès de nos collègues européens.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le dispositif qui vous est proposé est strictement conforme au droit européen, y compris dans l’obligation prévue d’un examen individuel des cas. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable à ces amendements.

(Les amendements identiques nos 29, 101 et 232 ne sont pas adoptés.)

(L’article 17 A est adopté.)

Article 17

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 237.

Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement vise à sécuriser le séjour des étrangers en situation régulière et à mettre en œuvre une procédure cohérente à leur égard, car c’est souvent l’incohérence qui caractérise les dispositions que vous empilez les unes sur les autres.

Si cet amendement était adopté, l’étranger pourrait se voir délivrer, comme actuellement, une carte de séjour temporaire d’un an, mais une carte de validité de trois ans pourrait lui être délivrée lors du premier renouvellement, sauf absence ou problème manifeste d’intégration. Il s’agit de sortir de la précarité et de l’incertitude les personnes arrivées régulièrement sur le territoire français, pour leur permettre de construire un projet cohérent et bénéfique à tous.

(L’amendement n° 237, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 250.

Mme Sandrine Mazetier. Nous proposons de rétablir un dispositif très important : la régularisation au fil de l’eau.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Oh, non !

Mme Sandrine Mazetier. D’une part, parce que le Gouvernement procède à des régularisations arbitraires, sur des critères qui ne sont pas les mêmes d’une préfecture à l’autre, voire d’un individu à l’autre : deux personnes se trouvant dans la même situation, et dans le même département peuvent être l’un régularisé et l’autre non, sans que l’on sache pourquoi.

D’autre part et surtout, monsieur le ministre, parce que vous accumulez à perte de vue le nombre de personnes en situation irrégulière, alors que le séjour irrégulier est déstabilisant pour tout le monde ! Il l’est d’abord et avant tout pour les personnes concernées, car elles sont la proie de toutes les exploitations. Mais il est aussi déstabilisant, comme le disait Julien Dray, pour le système économique tout entier, car les entreprises qui ont recours à des travailleurs sans titre les exploitent sans les payer ou en les sous-payant, créant une situation de concurrence frontale et parfaitement déloyale avec des entreprises qui, elles, déclarent et rémunèrent correctement l’ensemble de leurs collaborateurs. Cela déséquilibre, par exemple, tout le champ des appels d’offres, et lorsque les donneurs d’ordres sélectionnent les entreprises moins-disantes, ils encouragent ce type de pratiques. Ce n’est pas un hasard si, depuis des dizaines d’années, c’est toujours dans les mêmes secteurs d’activité que l’on constate le recours au travail dissimulé, que ce soit avec des étrangers ou avec des nationaux. Il faudra bien un jour assainir ces secteurs. Mais tant qu’on sera dans l’arbitraire total, dans la multiplication des situations sans issue, des personnes qui ne sont ni régularisables ni expulsables, ce sera insupportable pour tout le monde.

Nous proposons donc de rétablir un système qui permettait, en fonction de certains critères examinés cas par cas, de régulariser au fil de l’eau au lieu de devoir pratiquer périodiquement, comme le font, sans le dire, tous les pays, des régularisations massives. Je rappelle que nos l’Italie, après avoir signé le pacte européen sur l’asile et l’immigration, a ouvert des possibilités de régularisation à pas moins de 600 000 personnes.

M. Philippe Folliot. C’est une erreur !

Mme Sandrine Mazetier. Voilà qui montre que les régularisations massives sont pratiquées en Europe, y compris par les signataires du pacte que vous défendez si ardemment, monsieur le ministre. Il n’y a pas à choisir entre régularisation et absence de régularisation : tous les pays régularisent. Mais il y a un choix à faire sur la manière de procéder, pour régulariser de manière juste et égale,…

M. Philippe Folliot. Mais pas massive !

Mme Sandrine Mazetier. …sans créer d’embolies insupportables pour tout le monde.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Très défavorable.

(L’amendement n° 250, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 288.

Mme Sandrine Mazetier. Je le répète : avec votre politique, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, rien n’est stable et tout est précaire, pour les étrangers en situation régulière comme pour les Français eux-mêmes. Votre gouvernement a inventé la France précaire.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Mais non !

Mme Sandrine Mazetier. Nous, au contraire, nous pensons que la précarité est à combattre parce que l’incertitude est insupportable et qu’elle ne permet pas de faire bénéficier de sa créativité l’ensemble de la société.

Cet amendement vise, lui aussi, à sécuriser le séjour des étrangers en situation régulière en permettant la délivrance d’une carte de séjour temporaire d’un an, puis de trois ans, ce qui permettrait à terme à la personne concernée d’obtenir une carte de résident de dix ans. Devoir redéposer tous les ans une demande sans savoir si elle sera acceptée est humiliant pour les intéressés et, je tiens à le souligner, très coûteux pour l’administration.

(L’amendement n° 288, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié de M. le rapporteur est de coordination.

(L’amendement n° 14 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 17, amendé, est adopté.)

Article 17 bis A

(L’article 17 bis A est adopté.)

Article 17 ter

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu, inscrite sur l’article 17 ter.

Mme Marylise Lebranchu. Cet article nous revient après sa suppression par le Sénat. L’argumentation des sénateurs était simple : dans leur grande majorité, ils se sont dits inquiets des conséquences en termes de santé publique d’une telle disposition. Or la commission l’a rétablie, ce qui aura pour conséquence de restreindre le droit au séjour des étrangers malades. Vous fondez une telle politique sur le fait que la France n’a pas à accueillir toute la misère du monde. Mais personne ne l’a jamais voulu.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Ah bon ?

Mme Marylise Lebranchu. Je voudrais m’exprimer aussi en tant que membre du groupe d’études sur le sida, qui comporte des membres de tous les groupes. Comme tous mes collègues, je suis très préoccupée par la portée de cet article.

La circulaire du 29 juillet 2010 de la direction générale de la santé rend déjà très difficile, dans les faits, l’obtention d’un titre de séjour provisoire par les étrangers gravement malades et résidant habituellement en France.

Premier temps de la procédure : la personne sollicite à la préfecture la délivrance d’un titre de séjour en raison de son état de santé. Sa demande doit comporter un rapport médical confidentiel et toute une série de pièces.

Dans un deuxième temps, la situation est appréciée par le médecin de l’agence régionale de santé compétente qui doit répondre aux questions suivantes : l’état de santé de l’étranger nécessite-t-il une prise en charge médicale ? Le défaut de celle-ci peut-il entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité ? Si oui, l’étranger peut-il – question éminemment délicate – accéder effectivement à un traitement approprié dans son pays d’origine ? Quelle est la durée prévisible du suivi médical nécessaire ?

Le médecin de l’ARS adresse au préfet un avis signé, sans jamais évoquer la pathologie. Le préfet se trouve donc dans une situation difficile, puisqu’il doit rendre sa décision sur la base d’un avis où n’est pas mentionnée, secret médical oblige, la pathologie du patient.

Seules les pathologies particulièrement graves, engageant le pronostic vital, sont susceptibles d’être éventuellement retenues pour la délivrance d’un titre de séjour.

Un être humain a pourtant besoin, quelle que soit sa nationalité ou son origine géographique, de soutien lorsqu’il est atteint d’une maladie grave. Quelle personne atteinte d’une maladie très grave peut physiquement – dans un contexte où le mental et le physique se rejoignent – engager un tel saut d’obstacles pour elle-même ?

Vous allez encore aggraver cette situation puisque vous substituez à la notion d’accessibilité effective des soins celle de disponibilité d’un traitement dans le pays d’origine. Vous allez ainsi condamner le patient, soit à la mort si le traitement n’est pas effectivement accessible dans son pays d’origine, soit à la clandestinité s’il veut se faire soigner en France.

Cette relégation dans la clandestinité aura pour conséquence l’exclusion des lieux de prévention et de soins. Vous savez très bien – et les sénateurs de la majorité en ont largement parlé – à quel point en seront accrus les risques de rechute, d’aggravation de l’état de santé du patient et de transmission de la maladie.

En dehors des considérations humaines, vous pourriez au moins être réceptifs à cet argument que nous avions exprimé en première lecture, comme certains membres de la majorité et les sénateurs : les malades qui ne pourront se rendre dans les centres de prévention ou de soins appropriés vont se présenter aux urgences, ce qui coûtera finalement beaucoup plus cher.

Les personnes concernées sont peu nombreuses, et il n’y a eu aucune étude concernant l’impact de cette mesure sur les comptes de la sécurité sociale et les budgets des hôpitaux en France. En revanche, nous savons tous que la clandestinité accroît le risque sanitaire, à la fois pour les clandestins eux-mêmes et pour nos concitoyens.

J’espère que l’argument, largement développé au Sénat et qui avait emporté la majorité là-bas, sera de nouveau entendu ici, à l’Assemblée nationale. Pour avoir rencontré des personnes dans ce type de situation, nous avons tous en tête un exemple – je pense à ce légionnaire ne retrouvant pas de carte de séjour et souffrant de graves séquelles de maladie. Ces cas-là sont insupportables humainement, mais aussi pour la santé de nos concitoyens, compte tenu des risques de contagion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. De qui parlons-nous, madame la présidente, monsieur le ministre ? Nous parlons d’une population d’environ 30 000 personnes,…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Beaucoup moins !

Mme Pascale Crozon. …soit moins de 1 % des étrangers résidant régulièrement en France. Ceux-ci, comme l’a indiqué ma collègue, souffrent principalement du HIV – c’est le cas de 18 % d’entre eux – ou d’une hépatite, d’un cancer, d’une pathologie psychiatrique ou cardiaque.

Pointer du doigt ces 1 %, les plus fragiles et les plus vulnérables parmi les étrangers vivant en France, en faire les boucs émissaires de votre chasse aux voix d’extrême droite dont on voit le résultat,…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Cela n’a rien à voir !

Mme Pascale Crozon. …alimenter des fantasmes sur le coût insupportable qu’ils feraient peser sur notre système de santé, c’est non seulement totalement déraisonnable, mais surtout parfaitement indigne, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. Cet article vise à restreindre le droit au séjour des étrangers gravement malades.

La protection actuelle des étrangers gravement malades est déjà encadrée par des conditions et une procédure très stricte, déjà rappelée et qui concerne, après douze ans d’application, un nombre d’étrangers qui s’est stabilisé, voire qui régresse légèrement.

Rappelons que la loi actuelle ne s’applique qu’aux étrangers résidant déjà en France et ne constitue en aucun cas un moyen d’être autorisé à y venir pour se faire soigner, contrairement au fantasme que vous essayer de faire vivre. Toutes les études démontrent d’ailleurs que la migration pour raisons médicales demeure exceptionnelle.

En première lecture, nous avons longuement débattu du remplacement de la condition actuelle de non-accessibilité effective du traitement approprié dans le pays d’origine par la seule indisponibilité dudit traitement. Cette nouvelle rédaction ne garantit plus qu’un étranger gravement malade puisse être effectivement soigné en cas de renvoi dans son pays d’origine – car tel est bien notre sujet.

Pour apprécier l’accès effectif aux soins, il faut tenir compte de facteurs multiples : l’état des structures sanitaires du pays, l’offre quantitative de soins et leur couverture territoriale, le manque de personnel médical, les ruptures de stock des médicaments, le coût des traitements, l’existence ou non d’une couverture maladie.

Dans la plupart des pays en développement, les traitements sont disponibles dans telle ou telle clinique, mais, loin d’être accessibles à tous, ils sont le plus souvent réservés à une élite. Dans ma permanence, j’ai rencontré une jeune Africaine qui avait subi une opération cardiaque révélant le besoin d’un traitement, la maladie étant plus grave que prévu. « En Afrique, il y a des médicaments, mais ça manque », disait-elle avec un certain humour.

La disponibilité d’un traitement dans le pays d’origine est très éloignée de l’accessibilité effective de ce traitement. Marylise Lebranchu l’a dit, citant l’exemple frappant du VIH : la majorité des pays disposent des traitements antirétroviraux, mais 60 % des personnes nécessitant un traitement, c’est-à-dire celles parvenues à un stade avancé de la maladie, ne reçoivent jamais de traitement. Il en est de même des maladies cardiovasculaires en raison de l’absence de centres d’hémodialyse, ou de lasers pour traiter les complications oculaires ou diabétiques.

Les termes de la loi votée en 1998 sont le résultat d’un long travail, d’une réflexion approfondie tout au long des années 1990, pour qu’elle atteigne son objectif : éviter qu’un refus d’admission au séjour en France ne signifie la condamnation à mort d’une personne malade.

Or, renvoyer des patients atteints de pathologies graves sans qu’aucune garantie sérieuse de prise en charge dans leur pays ne leur soit donnée, équivaut à engager leur pronostic vital. C’est pourquoi nous vous appelons avec insistance à en rester au texte de 1998.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Pourquoi avons-nous mis en place ce dispositif en 1998 ? Parce qu’il était apparu, lors de la discussion de 1996, que nous avions expulsé des étrangers, notamment des Tunisiens atteints d’un sida en phase avancée. Nous avions pris la responsabilité d’envoyer à la mort – disons-le nettement – trois personnes. À l’époque, cela avait été évoqué dans l’hémicycle et chacun s’était rendu compte que, pris dans la ferveur législative, nous broyions des principes d’une manière qui était peu à l’honneur de la France. D’où le dispositif adopté en 1998.

Notre discussion est intéressante, car vous frappez à côté de la cible. Nous aurions pu discuter des fraudes qui existent – je ne le nie pas – concernant la CMU et la carte vitale. Dans ces domaines, il y a certainement des choses à examiner, la réalité ayant évolué.

Mais, en l’occurrence, vous vous en prenez à une population extrêmement ciblée, qui est dans un état pathologique grave, et qui est dans une logique non pas de fraude, mais de survie. C’est justement l’honneur de la France de faire preuve d’humanité dans ces moments-là. Or, nous n’avons aucune garantie qu’expulser ces personnes ne les mettra pas dans des situations dramatiques sur le plan sanitaire.

Ce ne sont pas ces quelques centaines de cas qui changeront la nature des problèmes auxquels nous sommes confrontés. En revanche, cela donnera, dans les pays d’origine des personnes expulsées, une image détestable de ce que fait la France.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 30, 102 et 239, tendant à la suppression de l’article 17 ter.

La parole est à M. Étienne Pinte, pour soutenir l’amendement n° 30.

M. Étienne Pinte. Je suis dans le même état d’esprit que mes collègues qui viennent de s’exprimer, Mme Lebranchu en particulier.

Quelle est la situation actuelle ? La régularisation pour raison médicale concerne des étrangers gravement malades qui ne peuvent bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans leur pays d’origine et qui, en général, ont déjà leur résidence habituelle en France.

S’interroger sur l’existence d’un traitement dans le pays d’origine de l’intéressé est, à la limite, dénué d’intérêt si l’on ne prend pas soin de vérifier qu’il y aura véritablement accès. En effet, dans l’immense majorité des pays, les traitements existent mais sont trop souvent réservés à une élite.

Si le traitement existe mais que l’intéressé ne peut y accéder en pratique, des conséquences d’une exceptionnelle gravité sont inéluctables : aggravation de la pathologie, progression des complications, voire décès.

La suppression du droit au séjour des personnes vivant en France et atteintes d’une maladie dont l’évolution risque d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité conduirait à deux types de situation : certaines repartiront ou seront renvoyées dans leur pays d’origine avec les risques que cela comporte pour elles-mêmes, mais également pour les autres, entourage et famille ; certaines resteront en France, en situation de très grande précarité, et la prise en charge inexistante ou tardive entraînera des complications, donc un surcoût.

Les programmes de santé publique de prévention et de dépistage – du sida, des hépatites ou des cancers – seront mis à mal. Rappelons tout de même que seulement 6 000 cartes de séjours sont délivrées chaque année à ce titre !

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour défendre l’amendement n° 102.

M. Roland Muzeau. Cet article restreint les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire en raison de l’état de santé.

Concrètement, cela revient dans l’esprit et dans la pratique à supprimer le dispositif législatif de 1998.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Non !

M. Roland Muzeau. La régularisation pour raison médicale concerne actuellement les étrangers gravement malades qui ne peuvent effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans leur pays d’origine.

S’interroger sur l’existence d’un traitement dans le pays d’origine de l’intéressé est dénué d’intérêt si l’on ne prend pas soin de vérifier qu’il y aura accès. En effet, dans l’immense majorité des pays, les traitements existent, mais ils sont réservés à une élite. Les obstacles financiers, l’état sanitaire de ces pays, le nombre réduit de médicaments disponibles, l’insuffisante formation des professionnels de santé, l’absence de prise en charge et de suivi excluent de fait la majorité de la population d’un traitement approprié.

Si le traitement existe mais est inaccessible en pratique, les conséquences sont tout aussi inéluctables que s’il n’existe pas : aggravation de la pathologie, augmentation de la morbidité et de la mortalité. Refuser le droit au séjour à des étrangers gravement malades vivant en France au motif que le traitement requis par leur état de santé existe dans leur pays d’origine alors qu’ils ne peuvent en bénéficier pour des raisons prévisibles, revient à engager leur pronostic vital.

La suppression du droit au séjour des personnes vivant en France et atteintes d’une maladie dont l’évolution risque d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité conduirait à deux types de situations.

Certaines repartiront ou seront renvoyées dans leur pays d’origine malgré le risque de mort à plus ou moins brève échéance. La responsabilité de la France serait alors engagée, à la fois directement – traitement cruel, inhumain ou dégradant – et plus globalement en matière de désengagement dans la lutte contre les pandémies, ce qui aggravera encore son image au niveau international.

D’autres resteront en France en situation de très grande précarité, tributaires des aides caritatives, sans possibilité d’autonomie professionnelle, dans une situation d’insécurité administrative préjudiciable à un suivi médical de qualité. Il en résultera des complications et des surcoûts hospitaliers inévitables en cas de prise en charge tardive. Un tel scénario est notamment en contradiction totale les programmes de santé publique de prévention et dépistage précoce en matière de VIH, d’hépatite ou de cancer.

Le risque évoqué d’attirer des étrangers venant d’un pays où l’assurance maladie est moins favorable qu’en France se fonde sur une grave erreur de l’exposé des motifs qui omet tout simplement de préciser que le droit au séjour concerne seulement l’étranger « résidant habituellement en France ».

La procédure actuelle n’a rien à voir avec la notion de « visa sanitaire » et n’est pas destinée à autoriser l’entrée en France de personnes malades résidant à l’étranger. La migration pour raison médicale reste une exception, l’immense majorité des personnes concernées ayant découvert leur maladie à l’occasion d’un examen médical pratiqué en France alors qu’ils y résidaient déjà.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 17 ter.

Nous ne sommes pas les seuls à la demander. Trois éminents professeurs – le professeur Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine en 2008, le professeur Jean-François Delfraissy, chef de service au CHU de Bicêtre, et Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, ont lancé, sur le site Rue 89, un appel qui vous aurait convaincu, si vous l’aviez lu – ce que je vous invite à faire –, de la faute que vous vous apprêtez à commettre. Ils concluent ainsi cet appel : « L’injustice et la discrimination ne sont pas de bonnes stratégies en matière de santé. En tant que médecins et chercheurs, acteurs de la lutte contre le sida et du droit à la santé, nous n’acceptons pas le recul éthique, médical, social, juridique et politique que constitue cet amendement. Nous demandons aux parlementaires de considérer nos arguments rationnels et, tout comme les sénateurs l’ont fait en février dernier, de rejeter l’article 17 ter du projet de loi “Immigration intégration, nationalité”. » Tentez, mes chers collègues, de les écouter !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour défendre l’amendement n° 239.

Mme Marylise Lebranchu. Je confirme le chiffre cité par M. Pinte : il y a eu en 2009 – nous ne disposons pas des chiffres pour 2010 – 5 945 cartes de séjour temporaire délivrées à un étranger malade.

Le Comité interministériel de contrôle de l’immigration, qui n’est guère susceptible de se tromper, a constaté une diminution significative, depuis 2004, du nombre d’étrangers malades venant se faire soigner en France : ce nombre a diminué de 19,8 %. Il n’y a donc pas, comme pourraient le laisser entendre certains, de tourisme de santé.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Cela ne veut rien dire !

Mme Marylise Lebranchu. Il faut casser l’idée selon laquelle on pourrait, soit profiter de la maladie, soit venir, par choix, se faire soigner en France.

Outre les éminents professeurs qui viennent d’être cités, le très respectable Collectif interassociatif sur la santé – CISS – que vous connaissez bien, la Fédération nationale d’accueil et de réinsertion sociale – FNARS –, l’Observatoire de la santé des étrangers – ODSE – et l’Union nationale interfédérale des organismes sanitaires et sociaux – UNIOPSS – ont rédigé un document dans lequel ils soulignent que refuser le droit au séjour aux étrangers gravement malades ne pouvant accéder aux soins dans leur pays d’origine renforce la clandestinité, aggrave le non-recours aux soins, nuit aux actions de prévention et retarde la prise en charge médicale. Ils insistent, par ailleurs, sur le fait que les impératifs financiers – le traitement précoce est moins coûteux qu’à des stades avancés – et la protection de la santé des populations en France conduisent logiquement à rejeter tout recul dans la protection des étrangers atteints d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité.

De plus, dans divers documents qui ont été cités ou rappelés et qui avaient été pris en compte par le Conseil d’État dans son arrêt d’avril 2010 – que l’amendement réintroduisant l’article 17 ter tend à combattre –, il avait été noté que l’existence des soins dans un pays étranger concerne entre 1 et 3 % d’une population et qu’il n’existe pas de structures pouvant accueillir un taux supérieur.

Prouver l’existence de soins appropriés à la pathologie dans le pays d’origine et surtout l’accès de l’étranger malade à ceux-ci était pour nous essentiel. Si, dans un pays donné, il est possible, par exemple, de soigner entre 100 et 500 personnes en trithérapie et qu’il y a une liste d’attente de 6 000 ou 7 000 malades, personne sur ces bancs ne songera, je pense, à les laisser attendre, quels que soient les cas.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est un long débat, qui mérite encore d’être approfondi.

D’abord, vous avez l’air de considérer que, parce que nous avons remplacé les mots « sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays d’origine » par les mots « sous réserve de l’indisponibilité d’un traitement approprié dans le pays d’origine », l’ensemble du système a été détruit.

Mme Marylise Lebranchu. Oui, ça change tout !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Pas du tout. La loi – celle que vous avez votée, la fameuse loi de 1998 – reste intacte.

Que s’est-il passé ? L’application de cette loi ne posait pas de problèmes majeurs, et les chiffres étaient effectivement passés de 15 000 à 6 000. Or, il y a eu une modification de la jurisprudence par le Conseil d’État…

M. Michel Hunault. C’est bien de le rappeler !

M. Claude Goasguen, rapporteur. …qui a ajouté la notion d’accès « effectif » aux soins, notion que nous jugeons tout à fait inadaptée, car nous devons aussi tenir compte de la situation de notre système de santé.

D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’est pas une agence totalitaire incitant les États à trucider les malades, a estimé, en 2008, qu’un État contractant n’est pas tenu de « pallier les disparités socio-économiques entre les pays en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire ».

Mme Marylise Lebranchu. Il ne s’agit pas du même article !

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est exactement le même article. Nous avons longuement débattu de ce sujet en commission. Je vous renvoie au rapport.

Cela signifie que la loi que nous avions adoptée en 1998 était une loi d’équilibre, équilibre que le Conseil d’État a remis en cause. Nous estimons qu’il n’a pas à le faire et revenons donc au statu quo ante. Ce statu quo n’est ni dérisoire, ni assassin, puisqu’il s’agit de la loi Chevènement, que nous avions adoptée après des nuits entières de discussion.

Nous restons sur ce schéma, parce que nous devons veiller aussi à la bonne gestion des deniers publics et que nous sommes respectueux des avis de la Cour européenne des droits de l’homme.

Vous me permettrez de m’appuyer sur cette dernière, qui me donne entièrement raison en la matière. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement demande le rejet de ces amendements de suppression. J’ajouterai plusieurs éléments aux rappels faits par le rapporteur.

Premièrement, ce droit à un titre d’étranger malade, en application de la loi de 1998, a bien une conséquence pratique pour notre pays : comme Mme Lebranchu l’a rappelé, 5 945 cartes « étranger malade » ont été délivrées en 2009, ce qui signifie que 5 945 personnes ont été, pendant cette année-là, entièrement couvertes par la sécurité sociale.

J’indique à M. Muzeau que cette carte « étranger malade » n’est pas réservée aux étrangers résidant déjà en France. Cette précision me paraît importante.

J’ajoute, puisque le sida est souvent évoqué – et ce, à juste titre –, qu’une circulaire du 29 juillet 2010 du ministère de la santé indiquant aux directeurs généraux des ARS les critères d’éligibilité signale que, dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements anti-rétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une affection par le VIH. Cela signifie clairement que notre pays est largement ouvert au traitement des malades du sida des pays en voie de développement puisque le constat est fait qu’en règle générale, les traitements qui sont à leur disposition ne sont pas à la hauteur des potentialités thérapeutiques.

L’élément nouveau, c’est effectivement l’interprétation du Conseil d’État qui va au-delà de l’avis de la Cour européenne, en introduisant un critère d’accessibilité, c’est-à-dire de prix des soins. Si nous suivions cet avis, le système de sécurité sociale français se substituerait, comme je l’ai déjà indiqué dans la discussion générale, aux carences et défaillances de tous les systèmes de sécurité sociale du monde.

Mme la présidente. La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. Je souhaite revenir sur certains propos que j’ai entendus.

En tant que rapporteure pour avis du budget de l’aide publique au développement, je me sens particulièrement concernée par la situation de la santé dans le monde et par la contribution de la France à celle-ci.

J’ai entendu dire, à plusieurs reprises, que, dans les pays en développement, seule une élite pouvait se faire soigner.

M. le ministre vient d’indiquer que la France prenait en charge le sida. J’ajouterai que, s’il y a des maladies qui sont prises en charge dans tous les pays du monde, ce sont bien les grandes pandémies : le sida, le paludisme, la tuberculose font l’objet de soins gratuits, contrairement à une appendicite ou à une césarienne, par exemple. Ce sont souvent les soins de base qui sont les plus coûteux, car les grandes pandémies, nous les finançons.

Mme Catherine Lemorton. Non !

Mme Henriette Martinez. La France est le deuxième contributeur au Fonds mondial de lutte contre le sida. Sa contribution s’élevait jusqu’à présent à 300 millions d’euros par an. Elle a été portée cette année, par la volonté du Président de la République, à 360 millions. C’est dire si notre contribution à la lutte contre les grandes pandémies est importante.

Or, quand je suis allée en Guyane, j’ai constaté que des malades du Surinam traversaient le fleuve Maroni pour venir se faire soigner en territoire français. Lorsque je les ai interrogés sur les raisons de leur venue, ils m’ont répondu qu’ils venaient en Guyane parce qu’ils ne pouvaient pas être soignés chez eux. Je savais pertinemment que c’était faux, puisque j’avais rencontré la veille les personnes chargées de la mise en œuvre du Fonds mondial de lutte contre le sida au Surinam, qui nous avaient dit qu’elles avaient encore de la place pour soigner des malades.

Je ne suis pas favorable au renvoi des malades qui ne peuvent pas se faire soigner chez eux, mais, lorsque la France aide au traitement gratuit de certaines maladies, comme avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, je demande qu’on en informe au moins les malades.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Je crois, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que nous ne parlons pas des mêmes choses. D’ailleurs, vous allez vous retrouver devant une sacrée contradiction lorsque nous examinerons les amendements.

Vous dites que l’article 17 ter ne change rien. Si tel est le cas, retirez-le. Mais je crois, au contraire, que, s’il est là, c’est bien parce qu’il change les choses.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Il ne change pas la loi !

Mme Catherine Lemorton. Le remplacement de la condition actuelle de « non-accès effectif au traitement approprié dans le pays d’origine », par celle d’« indisponibilité du traitement approprié dans le pays d’origine » ne permettra plus de garantir qu’un étranger gravement malade vivant en France sera effectivement soigné en cas de renvoi dans son pays d’origine.

Madame Martinez, le sida est en train de décimer les pays en voie de développement. Les 360 millions d’euros versés par la France, c’est à la fois beaucoup et, en même temps, rien face aux millions de personnes qu’il faut traiter, dont des femmes enceintes et des bébés dès la naissance.

Mme Henriette Martinez. La France est le premier bailleur après les États-Unis !

Mme Catherine Lemorton. On a l’impression que ces 360 millions servent de justification au renvoi des malades dans leur pays, que vous faites le raisonnement suivant : « Nous avons financé les anti-rétroviraux, les interférons, les vaccins contre l’hépatite B. Les malades étrangers les ont dans leur pays d’origine. Donc, ils peuvent repartir chez eux. » (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ce n’est pas si simple !

Je prends l’exemple du Cameroun que je connais bien. Il a beau y avoir des trithérapies à Yaoundé, leur disponibilité n’est pas assurée s’il n’y en a pas à 150 kilomètres de là ! Or, je crains fort, monsieur le ministre, qu’avec la nouvelle rédaction que vous proposez, il suffise qu’il y ait trois boîtes de trithérapie à Yaoundé pour qu’un Camerounais soit renvoyé chez lui... Le gros problème, c’est l’interprétation qui sera faite du texte.

Si l’article 17 ter ne change rien, retirez-le, monsieur le ministre. Si vous le laissez, c’est bien parce qu’il change quelque chose.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Nous ne changeons pas la loi Chevènement !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Contrairement à ce que prétendent le rapporteur et le ministre, le Conseil d’État n’a rien ajouté aux obligations contenues dans le dispositif de 1998 : il s’est contenté de délimiter l’obligation qui s’impose à l’administration, définissant ce que recouvre, dans la formule du texte de loi – « sous réserve qu’ils ne puissent effectivement bénéficier d’un traitement » –, l’adverbe « effectivement » pour une administration chargée de vérifier ce qui est accessible et ce qui ne l’est pas. Ainsi, le Conseil d’État considère que, si des possibilités de traitement existent dans son pays, « mais que l’étranger fait valoir qu’il ne peut en bénéficier, soit parce qu’elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l’absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu’en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l’empêcheraient d’y accéder effectivement », l’autorité administrative doit apprécier « si l’intéressé peut ou non bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays de renvoi ».

Ainsi, contrairement à ce que vous dites, vous ne revenez pas aux obligations de la loi de 1998, mais vous durcissez les conditions dans lesquelles la personne concernée pourra en bénéficier, puisqu’il suffira qu’existe, dans son pays d’origine, un traitement ou une capacité d’intervention pour que vous considériez qu’elle peut y accéder, sans vous demander si toutes les conditions évoquées par le Conseil d’État sont bien remplies. Assumez vos choix : ce que vous voulez, c’est bel et bien restreindre ces possibilités. Pourtant, nous le savons tous, on n’a pas constaté d’afflux exagéré de malades.

Parmi toutes les injustices qui frappent l’humanité, la plus insupportable est bien celle qui prive certains des soins qu’ils pourraient recevoir. J’ai le souvenir d’une visite dans un village avec lequel ma commune a une coopération décentralisée : le jour de notre arrivée, nous avons vu passer le cortège funèbre d’un enfant de trois ans, mort faute d’avoir reçu les pilules que nous avions dans la poche.

Monsieur le ministre, en dépit de tous vos arguments, en dépit de sa situation économique, la France ne peut pas ne pas être généreuse. Vous vous souvenez sans doute de certaines circonstances à l’occasion desquelles nous avons été en relation par le passé. J’avais rappelé, alors, qu’il est vain de vouloir combattre l’injustice aux quatre coins du monde si on la tolère chez soi. La France ne peut défendre les grands principes de la liberté, de la fraternité, de l’accueil, si elle est incapable de remplir les obligations de générosité qui s’imposent à elle en raison du développement de la médecine et de la science qu’elle connaît. Pour ma part, je n’ai pas peur de parler de générosité, même quand nous traversons des difficultés.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Goasguen, rapporteur. On peut dire tout ce qu’on veut, mais il faut bien, à un moment ou à un autre, se reporter au code. L’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile montre que le Conseil d’État a mis du temps à intervenir, puisque, chaque année depuis 1998, il y a eu entre 16 000 – en 1999 – et 5 692 cas – en 2008. Le Conseil d’État a parfaitement le droit d’intervenir.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous ne pouvez prétendre le contraire, après avoir dit tant de bien de l’autorité judiciaire !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Mais convenez que nous avons parfaitement le droit, nous, en tant que législateurs, de décider quelle doit être l’orientation de la loi. Or il faut reconnaître qu’il y a eu un renversement de jurisprudence. J’ai sous les yeux une dizaine de pages consacrées à la jurisprudence passée sur ce problème précis. Quand vous dites que, tout d’un coup, le Conseil d’État s’est avisé qu’il fallait appliquer correctement une loi datant de 1998, ce n’est pas très gentil pour lui, car cela laisse entendre qu’il met beaucoup de temps à examiner les problèmes, ce qui n’est pas vrai…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La jurisprudence n’est que la décision des juridictions successives !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Dans ce domaine, le Conseil d’État a émis un avis. C’est dire que la notion de jurisprudence elle-même pourrait être sujette à réserves.

Je le répète, le Conseil d’État a donc décidé, dans un avis rendu cette année, de l’application d’une loi qui date de 1998. Soit le Conseil d’État ne connaissait pas l’existence de cette loi – ce que l’on ne saurait supposer –, soit il considérait que la jurisprudence d’autres cours était assez fournie – et il a été saisi pour le coup en matière contentieuse –, soit il a changé d’avis, ce qui est son droit le plus absolu. Mais nous avons, nous aussi, dans le cadre de la loi, le droit de maintenir ce que nous avons dit.

Prétendre que la France est le dernier pays en matière d’aide sanitaire et médicale, c’est vraiment une plaisanterie.

M. Roland Muzeau. Qui a dit cela ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. On a entendu que la France n’était pas responsable face aux maladies, que nous étions les derniers des derniers. Mais comparez les législations et voyez ce qui se passe en Europe et dans le monde. Quelle est la seule législation, en Europe, qui accorde la gratuité totale des soins à des personnes en situation irrégulière ? Citez-moi un autre pays qui le fasse !

Mme Marylise Lebranchu. Vous parlez comme un avocat !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Qu’y puis-je ? Je suis avocat, ce n’est pas un défaut !

Dans ce domaine, les accusations sont toujours les mêmes. La France n’est jamais à la hauteur de ses droits et de ses devoirs. C’est bien de dire cela, chers collègues, vous devez remporter un franc succès dans vos réunions électorales. Mais regardez la réalité en face. En matière de participation sanitaire et médicale, nous en faisons beaucoup plus que tous les autres pays.

M. Roland Muzeau. Ça ne doit pas faire recette, ça, dans le 16e !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Monsieur Muzeau, je préfère être député du 16e arrondissement qu’être un stalinien repenti ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Roland Muzeau. Qui vous a dit que j’étais repenti ? (Rires.) Demandez à M. Guéant si je suis repenti !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Vous n’êtes pas repenti ? Vous êtes donc un stalinien tout court ! Les staliniens n’ont pas de leçons à me donner.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Mme Lebranchu est intervenue tout à l’heure à juste titre pour présenter les interrogations formulées par diverses associations de lutte contre le sida, et elle a eu l’amabilité de dire que ce combat était partagé sur tous les bancs de cet hémicycle. Je voudrais l’en remercier.

Monsieur le ministre, je voudrais également vous remercier pour les précisions que vous avez apportées. Vous avez eu raison de recadrer les choses. Hier, déjà, à la tribune, vous avez déclaré que nul ne conteste le droit d’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière. Ces propos répondaient par anticipation aux interpellations de ce soir.

Vous avez également donné des chiffres, ce qui est important car ils traduisent la réalité de tous les jours. Ainsi, ce sont près de 6 000 cartes « étrangers malades » qui ont été délivrées l’année dernière.

Vous avez rappelé, d’autre part, que le Gouvernement a précisé par voie réglementaire – alors qu’il n’était pas obligé de le faire – que les critères d’éligibilité incluaient le VIH.

Enfin, notre discussion a pris une tournure où s’est manifestée une certaine mauvaise foi. Le rapporteur l’a dit, cet article s’imposait car une jurisprudence du tribunal administratif avait été remise en cause par le Conseil d’État. Qu’on le veuille ou non, on ne peut pas, lorsqu’on fait la loi, s’exonérer d’une jurisprudence du Conseil d’État : le législateur est obligé de tenir compte des impératifs de droit.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est inexact, et je vais vous le prouver tout de suite !

M. Michel Hunault. Monsieur Le Bouillonnec, j’ai beaucoup de respect pour votre combat, mais il y a dans certains propos quelque chose de désagréable. En votant les dispositions que le Gouvernement nous propose, je n’ai pas l’impression qu’il y ait deux catégories de parlementaires, ceux qui seraient très attachés à la défense des personnes en situation irrégulière atteintes du VIH, et les autres.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je n’ai pas dit cela et je ne le dirai jamais !

M. Michel Hunault. Enfin, une collègue de l’UMP nous expliquait tout à l’heure que, d’après les travaux de son groupe d’étude, la France est plutôt à la pointe dans le domaine de la lutte contre le sida dans le monde. Il suffit de se référer au discours très récemment prononcé à l’ONU par le chef de l’État, dans lequel il a demandé à l’Europe d’être exemplaire pour atteindre les objectifs du troisième millénaire. Cette cause devrait tous nous réunir. Ne faisons donc pas dire au texte ce qu’il ne dit pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. L’accès à la santé est un droit essentiel de chacun, et plus particulièrement des plus fragiles. Il y a, sur cette planète, une profonde inégalité entre pays riches et développés et pays pauvres ou en voie de développement. Tous les jours, 5 000 enfants meurent à travers le monde : parfois, dans les pays du Sud, la cause de leur décès est simplement liée à des difficultés d’accès à l’eau potable ou à l’absence d’assainissement.

Sans doute certains propos ont-ils dépassé la pensée de leurs auteurs. Comme l’a dit notre collègue Henriette Martinez, notre pays consacre chaque année des sommes particulièrement importantes – près de 800 millions d’euros – à l’aide public en ce domaine, de différentes manières, souvent dans un cadre multilatéral, notamment pour la lutte contre le sida, mais également dans un cadre bilatéral. Différents acteurs privés, en particulier des ONG, accomplissent aussi une action essentielle. L’usage courant du terme French doctors honore notre pays. Certaines personnes font un travail essentiel pour faciliter l’accès aux soins. Je pense également à des initiatives comme celles de la fondation Pierre Fabre, qui mène une action exemplaire contre la drépanocytose, maladie orpheline particulièrement handicapante qui touche les pays du Sud.

Cela mérite également d’être dit et souligné. C’est, en l’occurrence, un homme qui a décidé de céder l’essentiel du capital de son groupe, soit plusieurs dizaines de millions d’euros, à une fondation dont la raison d’être est de répondre à un besoin particulièrement important. Je pourrais également évoquer l’action menée par cette fondation contre les faux médicaments dans les pays que j’ai mentionnés.

Il s’agit donc d’un ensemble, et l’on ne peut laisser dire, dans cet hémicycle, que notre pays ne fait pas preuve de générosité, publique ou privée, lorsqu’il s’agit de faire que les habitants des pays du Sud aient aussi accès à un certain nombre de soins chez eux. Certes, dans un certain nombre de pays, des élites disposent d’accès privilégié aux soins, mais le dénuement prévaut par ailleurs. Nous essayons donc de rétablir, grâce à ces aides, un certain équilibre et de fournir des moyens pour répondre aux souffrances des populations concernées.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Tout d’abord, clarifions les choses et évitons les caricatures. Personne ne prétend que, s’agissant de la lutte contre les grandes pandémies, l’aide de la France soit nulle et non avenue ; du moins, je ne crois pas que nous le pensions. Pour ma part, je me réjouis de l’augmentation de cette aide, et, pour que les choses soient claires, je salue l’action effective de la Présidente de la République auprès de son compagnon. Elle a su trouver des arguments convaincants pour obtenir ces fonds, et 60 millions d’euros, ce n’est pas rien !

Cela dit, revenons au texte.

Quel est le problème ? Tout d’abord, vous nous dites que nous sommes contraints par l’avis du Conseil d’État, qu’il s’agit d’y répondre. Je vous signale simplement que le Sénat, souvent plus précis que nous lorsqu’il s’agit de discuter de ces questions, n’a pas le même point de vue que vous, puisqu’il a supprimé l’article 17 ter.

M. Claude Goasguen, rapporteur. La commission des lois du Sénat !

M. Julien Dray. Soit, mais toujours est-il que le Sénat n’est pas revenu sur cette suppression ! Cela signifie bien que la situation n’est pas aussi simple que vous voulez bien le dire.

Ce qui fait vraiment problème, c’est le terme que vous introduisez pour répondre à l’avis du Conseil d’État. Le sens du mot « indisponibilité » n’est pas clair du tout. Dès lors, il nous expose au risque contre lequel nous vous mettons en garde. L’indisponibilité est peu mesurable, et l’on connaît bien la réalité des pays concernés : certes, les traitements existent mais, par exemple, les transports, comme le montrent les exemples, authentiques, donnés par mes collègues, ne sont pas faciles. L’article 17 ter ouvre donc la possibilité de renvoyer des personnes victimes de très graves pandémies, alors qu’elles n’auront pas effectivement accès à ces traitements, quand bien même ils existent dans les pays vers lesquels elles sont renvoyées.

Tel est le problème : les termes retenus par le texte du projet de la loi ne sont pas bons, et vous ne pouvez pas balayer nos réflexions d’un revers de main.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Votre volonté, monsieur le rapporteur, est – je l’affirme – de restreindre la possibilité de rester sur le territoire français et d’accéder aux soins. Vous prétextez un prétendu revirement jurisprudentiel du Conseil d’État, mais je conteste vos propos. Le Conseil d’État – je vais vous le démontrer – n’a fait que réaffirmer la volonté des gouvernements successifs.

Au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998, le ministre de l’intérieur écrivait ceci dans une circulaire : « La possibilité pour l’intéressé de bénéficier ou non du traitement approprié à son état de santé dans son pays d’origine dépend non seulement de l’existence des moyens sanitaires adéquats, mais encore des capacités d’accès du patient à ces moyens. » Voilà ce que disait le ministre de l’intérieur qui avait défendu le projet de loi !

Cette circulaire, datée du 12 mai 1998, non seulement n’a jamais été rapportée, mais a été confirmée et réaffirmée par les ministères de l’intérieur et de la santé le 30 septembre 2005, le 23 octobre 2007 et le 29 juillet 2010. Les ministres de la santé ont confirmé jusqu’en 2010 l’interprétation donnée par le ministre de l’intérieur de 1998. C’est de cette manière que la loi de 1998 a été appliquée pendant douze ans.

C’est à l’occasion d’un contentieux né de sa contestation par un ministre de l’intérieur que le Conseil d’État a été amené à rappeler cette interprétation. Le rapporteur public avait ainsi indiqué que le ministre de l’intérieur, en refusant, dans le cas d’espèce, que fussent prises en considération les possibilités effectives d’accès aux soins dans le pays d’origine, avait pris une position contraire aux instructions données par ses propres services sur le fondement de la loi en vigueur.

Il y a donc une loi et une circulaire qui ont été appliquées pendant douze ans. Elles l’ont notamment été par un certain nombre de ministres de la santé depuis 2005 et jusqu’au mois de juillet 2010. C’est parce qu’il s’est trouvé, une fois, qu’un ministre de l’intérieur a dérogé à cette ligne qu’un contentieux est né. Le Conseil d’État lui a alors rappelé les obligations qui résultaient de la circulaire interprétative.

Les arrêts du Conseil d’État n’ont donc rien ajouté ni changé. Ils n’ont fait que rappeler les exigences de la circulaire que différents ministres, dont ceux de la majorité actuelle, ont appliqué. C’est pourquoi j’affirme, sans jugement de valeur – nous n’en portons pas –, sans remettre en cause la générosité dont notre pays croit devoir faire preuve ici ou là, que vous cherchez aujourd’hui à restreindre les droits des personnes malades qui demandent à rester sur le territoire national pour des raisons de santé. Vous considérez qu’il n’incombe pas à notre pays de faire droit à ces demandes, et voilà pourquoi vous allez voter ce texte. Pour notre part, c’est simple, nous pensons le contraire.

Mme la présidente. Sur le vote des amendements de suppression de l’article, je suis saisie par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Sans entrer dans une polémique excessive, je donnerai simplement à M. Le Bouillonnec les références qui lui sont manifestement nécessaires.

Je l’invite tout d’abord à se reporter à la page 85 du rapport, où figurent des citations exactes de la jurisprudence du Conseil d’État, qu’il s’agisse de sa jurisprudence antérieure ou de sa nouvelle analyse.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et la circulaire ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. La circulaire, ce n’est pas le problème.

Je vous conseille aussi, monsieur Le Bouillonnec, de vous reporter au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En lisant, sous l’article L. 313-11, la jurisprudence relative à la prise en charge médicale dans le pays de retour, vous vous apercevrez qu’elle est riche d’une dizaine d’arrêts et que, en chaque espèce, les tribunaux administratifs ont procédé à un contrôle. Une circulaire de l’administration demandait d’ailleurs de vérifier qu’il n’était pas nécessaire de garder en France l’individu qui le réclamait.

Par conséquent, je maintiens, je persiste et je signe : nous ne changeons pas l’application de la loi du 11 mai 1998, nous revenons à son interprétation antérieure. Les résultats qu’elle a donnés peuvent être contestables, mais ils n’en sont pas moins estimables, et nous ne voulons pas revenir dessus. C’est donc vous qui, en intervenant, voulez changer les modalités d’application d’un droit qui ont pourtant fait la preuve de leur efficacité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et les circulaires ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Il n’y a qu’une circulaire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non !

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Toutes les explications données par le rapporteur et quelques-uns de nos collègues pourraient donner à penser à ceux qui nous liraient un jour que l’opposition n’a strictement rien compris et que son interprétation de l’article est fallacieuse, voire pire.

Nous ne nous fondons cependant pas seulement sur notre propre analyse, nous nous fondons également sur le point de vue formulé par des gens qu’aucun d’entre vous ne peut soupçonner de quelque déviance politique ou politicienne que ce soit. L’appel que j’ai cité tout à l’heure émane ainsi du professeur Françoise Barré-Sinoussi, lauréate 2008 du prix Nobel de médecine, du professeur Jean-François Delfraissy, chef de service au CHU de Bicêtre, et de Didier Sicard, ancien président du comité consultatif national d’éthique. Cela fait quand même beaucoup de gens compétents qui n’auraient rien compris au sujet qui nous occupe depuis quelques heures ! Las, le vote que vous allez émettre dans quelques instants est à des années-lumière de ce que pensent ces hautes personnalités du monde scientifique et médical.

Je le regrette par avance.

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur les amendements nos 30, 102 et 239.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 47

Nombre de suffrages exprimés 47

Majorité absolue 24

(Les amendements identiques nos 30, 102 et 239 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 241.

Mme Sandrine Mazetier. Le sujet concerne vraiment tout le monde. Il a trait à la santé, à la santé publique même.

Il s’agit de la décision prise par Claude Goasguen, lors de l’examen du projet de loi de finances,…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Qu’est-ce que j’ai encore fait ?

Mme Sandrine Mazetier. …d’instaurer un forfait de trente euros à payer pour accéder à l’aide médicale d’État. Qui cette aide concerne-t-elle, mes chers collègues ? Les demandeurs d’asile et leurs familles qui viennent d’arriver en France, qui n’ont pas – et n’auront peut-être pas – accès à la CMU, c’est-à-dire des personnes en grande difficulté.

Au cours du débat sur le budget de la santé, Claude Goasguen, en dépit de tout le travail effectué par une mission parlementaire à laquelle il participe, a décidé d’imposer ce forfait de trente euros, mais les demandeurs d’asile et leurs familles qui arrivent en France n’ont pas trente euros ! Ils ne les paieront donc pas.

Cette mesure était présentée comme une mesure d’économie. Or, un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances indique que « le premier effet [de la mise en place de ce forfait] pourrait être celui de l’accroissement des dépenses allant bien au-delà de l’économie escomptée, du fait d’un recours supplémentaire à l’hôpital ». En effet, quand vous demandez trente euros à une personne pour accéder à la médecine de ville alors qu’elle n’en a pas les moyens et qu’elle est malade, elle attendra d’être vraiment très malade et se retrouvera finalement à hôpital - et cela reviendra beaucoup plus cher. C’est d’ailleurs établi par l’IGAS et par l’Inspection générale des finances. Vous ne pouvez pas l’ignorer, monsieur le rapporteur…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Je ne l’ignore pas !

Mme Sandrine Mazetier. …car vous participiez précisément à la mission qui se penchait sur l’aide médicale d’État, avec notre collègue Christophe Sirugue à qui je tiens à rendre hommage.

Vous ne pouviez pas l’ignorer, et pourtant vous avez fait voter cette mesure en prétendant qu’il s’agissait d’une économie, alors qu’elle sera extrêmement coûteuse pour les personnes concernées, pour le budget de la sécurité sociale, pour le budget de l’hôpital – et l’on sait qu’il ne va pas bien –, mais aussi en termes santé publique. Nous vous l’avions dit en effet, le deuxième effet induit d’une telle mesure est que des épidémies qui ne sont pas soignées à temps se répandent. Les épidémiologues l’ont confirmé la semaine dernière, dans le cadre de la mission à laquelle vous participez, en matière de tuberculose ou de gale – ce qui est moins grave, mais tout de même pénible.

Notre amendement n° 241 vise à revenir sur cette mesure délétère, dangereuse, scandaleuse, qui, loin de générer des économies, aura un coût plus élevé que ce que vous prétendez.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Goasguen, rapporteur. Madame Mazetier, je veux bien accepter la paternité de cet amendement, mais si vous vous souvenez des débats auxquels il a donné lui, je n’en étais pas un partisan fanatique. J’estime en effet que les trente euros demandés sont plus symboliques que décisifs pour la nécessaire réorganisation de l’AME. Cela a toujours été ma position.

Le rapport de l’IGAS et de l’IGF est extrêmement intéressant, car il répond à des questions du ministre. Toutefois, vous avez oublié de citer sa deuxième partie, qui souligne l’existence de problèmes très graves liés à l’AME, notamment dans les hôpitaux.

Dans le cadre de la mission qui nous a été confiée, nous allons, je l’espère, examiner, avec M. Sirugue, des réformes importantes concernant l’AME. Pour autant, faut-il supprimer la participation – minimale, vous en conviendrez – des bénéficiaires ? D’ailleurs, je constate qu’il n’y a pas eu de levée de boucliers. J’ai moi-même fait une enquête auprès de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine : de toute évidence, ce n’est pas un sujet majeur de préoccupation. A Paris ou en Seine-Saint-Denis non plus. C’est plutôt un sujet symbolique…

Mme Sandrine Mazetier. C’est parce que vous ne prenez pas le métro tous les jours ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est un problème majeur de santé publique ! Je pense à la tuberculose, à la gale…

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est très connu, madame Mazetier : savez-vous que les maires d’arrondissement disposent d’une Rolls avec chauffeur ? Il n’y a aucun problème ! M. Delanoë nous offre à tous une Rolls avec chauffeur ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je vous en prie, madame la députée, cessez ce genre d’attaque…

Mme Sandrine Mazetier. Je ne vous reproche pas de rouler en voiture, monsieur Goasguen !

Mme la présidente. Madame Mazetier, laissez le rapporteur s’exprimer. Si vous voulez la parole, demandez-la !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Attendez le rapport, madame Mazetier ! Ne vous emballez pas ! Les trente deniers demandés sont une participation symbolique, volontaire et acceptée, et il y a de nouvelles cartes de l’AME. Nous proposerons dans quelques mois des réformes beaucoup plus douloureuses.

Je vais vous confier quelque chose : je suis intimement convaincu que si l’AME ne fonctionne pas bien, ce ne sont pas les immigrés qui sont en cause, mais l’utilisation du système par certains métiers, en particulier par le système hospitalier qui est mal contrôlé, par les professions libérales et par d’autres métiers qui profitent de dispositifs ne faisant pas l’objet d’un contrôle suffisant. C’est dire à quel point la question des trente euros est secondaire, mais c’est une mesure suffisamment symbolique pour être conservée.

Vous verrez, madame Mazetier, vous aurez l’occasion de vous énerver davantage avec les propositions que je ferai dans quelques semaines sur ce sujet ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Je suis contente de vous entendre, monsieur le rapporteur, puisque je participe à la mission évoquée par Sandrine Mazetier.

Lors de cette mission, nous avons entendu l’IRDES – Institut de recherche et documentation en économie de la santé –, la DREES – Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques –, l’IGF, l’IGAS, l’INVS – Institut national de veille sanitaire –, et tous ces organismes ont dit la même chose : tout retard d’accès aux soins pour les bénéficiaires de l’aide médicale d’État – qui vaut aussi pour tout citoyen – va engendrer des coûts supérieurs à moyen et long terme. Comme cela vous contrarie …

M. Claude Goasguen, rapporteur. Non, cela ne me contrarie pas !

Mme Catherine Lemorton. Mais si, et je vais vous dire pourquoi cela vous contrarie.

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est parce que je ne prends pas le métro !

Mme Catherine Lemorton. Vous avez reproché aux administrateurs de notre assemblée, qui font très bien leur travail, le fait que les premières ébauches de ce compte rendu de mission était un peu orientées. Elles ne le sont pas, elles transcrivent simplement ce que l’on entendait depuis le début, c’est-à-dire, en gros, que ces trente euros sont une ineptie.

Je voudrais revenir sur les deux motivations qui vous font stigmatiser l’aide médicale d’État.

Premièrement, selon vous, ces gens-là abusent du système…

M. Claude Goasguen, rapporteur. Je viens de vous dire le contraire !

Mme Catherine Lemorton. …et, quand ils abusent, il faut récupérer ce qu’ils ont touché en trop.

Comme vous ne connaissez visiblement pas bien le système de l’aide médicale d’État, je préfère vous en parler à nouveau.

Premièrement, les gens qui bénéficient de l’aide médicale d’État – apparemment, je n’ai pas été entendue en novembre dans cet hémicycle – ne font pas l’avance de leurs soins. Ils ne peuvent donc pas s’enrichir personnellement sur des remboursements.

Deuxièmement, selon votre collègue Dominique Tian, dont je regrette qu’il ne soit pas là, des gens viendraient exprès en France pour bénéficier de l’AME et faire des cures thermales, de la chirurgie esthétique ou encore des fécondations in vitro. Si c’est la vérité, je vous accorde que tel n’est pas le but de l’aide médicale d’État, mais ces cas sont très marginaux et, par ailleurs, lorsqu’on bénéficie de ce genre de soins, c’est qu’un médecin les a prescrits !

Par conséquent, monsieur Goasguen, retarder l’accès des bénéficiaires potentiels de l’aide médicale d’État au système de soins est irresponsable. Les personnes que nous avons auditionnées, dans le cadre de la mission d’information, avec Christophe Sirugue et vous-même, ont été très claires, notamment, j’y insiste, écoutez bien, sur des cas de tuberculose désormais multirésistants aux triples traitements, et dont les personnes atteintes meurent. Si ces personnes n’accèdent pas rapidement aux innovations – je demanderai à l’industrie pharmaceutique de se pencher sur les innovations contre la tuberculose –, nos concitoyens, monsieur Goasguen – puisque vous aimez bien faire du franco-français –, risquent d’être touchés par ce type de pathologie.

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. En tant que président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, j’ai été amené la semaine dernière à auditionner les deux inspecteurs généraux – de l’IGAS et de l’IGF – sur leur rapport.

Quel était l’objectif du Gouvernement à l’époque, et surtout celui des ministres de la santé et des finances qui, en juillet dernier, ont sollicité ces deux inspections pour analyser les causes de la hausse des dépenses de l’aide médicale d’État et proposer des solutions pour améliorer la fiabilité et la maîtrise du dispositif ?

Le rapport était prêt en novembre. Sa publication a été volontairement retardée pour que, lorsque nous avons été amenés à prendre la décision de créer une participation de trente euros, nous n’ayons pas tous les éléments nécessaires et objectifs pour prendre cette décision en toute connaissance de cause. Sincèrement, je pense que la manière dont les choses se sont présentées lors du vote du budget de la santé était malhonnête.

M. Roland Muzeau. C’était stalinien !

M. Étienne Pinte. Ce rapport met à mal tous les fantasmes que nous avons entendus lors de la première lecture du projet de loi sur l’immigration, et les déclarations à l’emporte-pièce qui ont circulé pendant ces débats ou lors de l’examen du budget de la santé étaient aberrantes.

Qu’ont constaté les inspecteurs après une enquête d’une extrême minutie ? Ils ont pu établir, premièrement, que la dépense moyenne des bénéficiaires de l’AME n’explosait pas ; deuxièmement, qu’il n’y avait pas d’augmentation du nombre de bénéficiaires ; troisièmement, que 85 % des bénéficiaires étaient des personnes isolées et n’avaient donc pas de multiples ayants droit, que les cas de familles très nombreuses étaient marginaux ; que les bénéficiaires qui s’étaient fait soigner étaient dans un état de santé dégradé et n’avaient pas bénéficié de soins dits « de confort » ou de poses de prothèses. Car ces soins, comme cela a été rappelé à l’instant, ne sont pas pris en charge par l’AME.

Ceux qui ont été soignés étaient sur le territoire depuis un certain temps. Il n’y a donc pas de « tourisme médical ». Les inspecteurs n’ont pas détecté de fraude ou d’abus. Pourquoi donc les dépenses ont-elles augmenté ? Parce que la réforme de la tarification des hôpitaux a permis une meilleure prise en compte de la réalité de ces dépenses et une plus grande transparence. Le rapport conclut enfin que l’instauration d’une taxe de trente euros par bénéficiaire risque de coûter plus cher qu’elle ne rapportera, notamment du fait qu’elle retardera la prise en charge des patients.

Comme vous le voyez, les conclusions de ce rapport sont édifiantes. Une fois de plus, j’estime qu’il est très malhonnête que l’on ne nous ait pas donné ces éléments au moment où l’on pouvait en disposer de façon à prendre en toute connaissance de cause une décision, soit en créant cette taxe de trente euros, soit en refusant de le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Monsieur Pinte, ce que vous venez de dire à propos de la ministre de la santé de l’époque est extrêmement grave, et vous vous en expliquerez avec elle ! Vous avez l’air de sous-entendre qu’elle a retenu sous le coude un rapport dont elle disposait. Je vous demande de lui poser la question…

M. Étienne Pinte. Tout à fait !

M. Claude Goasguen, rapporteur. …car je ne suis pas en mesure de vous répondre. Mais cette imputation me semble grave.

Mme Catherine Lemorton. Ne changez pas de sujet !

M. Claude Goasguen, rapporteur. C’est précisément le sujet. Le rapport de l’IGAS et de l’IGF est intéressant, mais il n’est pas la panacée.

M. Roland Muzeau. C’est parce qu’il ne vous plaît pas !

M. Claude Goasguen, rapporteur. S’il ne me plaît pas, c’est parce qu’il ne répond qu’à des questions ponctuelles. Vous ne voulez pas comprendre que l’AME n’est pas un système que nous retournons contre les immigrés. Dans le système de l’AME, il y a des abus de gestion dont les immigrés ne sont pas responsables,…

M. Roland Muzeau. Nous sommes en train de parler de santé publique !

M. Claude Goasguen, rapporteur. …mais qui aboutissent, notamment au niveau des hôpitaux publics, à des débordements qu’un système mal contrôlé permet.

M. Julien Dray. Vous tuez les hôpitaux ! Ils essaient de se rattraper !

M. Claude Goasguen, rapporteur. En tout cas, je suis là pour vous dire que le système n’est pas bien géré - ce que, d’ailleurs, le rapport de l’IGAS et de l’IGF ne conteste pas, puisqu’il indique que le problème est celui de la gestion des hôpitaux.

Soyons clairs : il faudra réformer le système de l’AME. La question des trente euros pour l’inscription à l’AME fait-elle objectivement problème ? Je ne le crois pas. D’ailleurs, les visites que nous avons faites montrent qu’il n’y a pas d’opposition à une certaine régularisation de l’AME par le biais de cartes qui sont désormais personnelles, avec photos, par l’intermédiaire d’un guichet unique, ce qui n’existait pas auparavant – et assortie d’une participation modeste, vous en conviendrez. Cela ouvre la possibilité, pour des gens en situation irrégulière, d’avoir accès à l’ensemble du panier de soins. Pour l’instant, il ne s’agit pas de remettre cela en cause.

Toutes les accusations induites – le métro, la voiture, en passant par le fait que je serais quasiment responsable de la diffusion de la tuberculose chez l’AME parce que nous avons pris cette décision de faire payer un forfait d’accès de trente euros – me paraissent dérisoires, superflues et excessives. En attendant de réformer le système de l’AME,…

M. Roland Muzeau. Vous voyez que vous avez des remords !

M. Claude Goasguen, rapporteur. … conservons cette disposition qui me paraît juste puisqu’elle fait participer les bénéficiaires au financement d’un service de soins remarquable, unique en Europe et dans le monde. Une personne en situation irrégulière peut bénéficier, pour trente euros, de l’ensemble du panier de soins de la sécurité sociale française.

Mme Catherine Lemorton. Mais ils ne peuvent pas payer !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Soyons sérieux et, je vous en prie, ne faites pas de procès d’intention !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Le caractère contagieux d’une maladie n’a rien de dérisoire.

M. Claude Goasguen, rapporteur. Cela n’a rien à voir !

Mme Sandrine Mazetier. Il n’y a rien de dérisoire à évoquer le fait que des gens se croisent tous les jours dans le métro. Il n’y a d’ailleurs pas si longtemps de cela, nous avons prévu un grand plan de prévention et de vaccination pour lutter contre la grippe A et nous y avons consacré des millions !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Quel rapport avec l’AME ?

Mme Sandrine Mazetier. Évoquer la gale et la tuberculose n’est pas dérisoire. En tant que député de Paris, vous devriez savoir depuis longtemps que la tuberculose réapparaît en France et en particulier à Paris !

M. Roland Muzeau. C’est la maladie de la pauvreté !

M. Claude Goasguen, rapporteur. Mais quel rapport cela a-t-il avec l’AME ?

Mme Sandrine Mazetier. Je vous remercie donc de ne pas balayer d’un revers de main, et pour de mauvaises raisons, nos propositions. Ce que vous avez institué dans le projet de loi de finances pour 2011 pose des problèmes de santé publique majeurs !

(L’amendement n° 241 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 243.

Mme Sandrine Mazetier. Puisque le rapport de l’IGAS et de l’IGF a été occulté, nous demandons que le Gouvernement présente un rapport au Parlement avant le 31 mai 2011, afin de l’informer au moins des conséquences de la mesure adoptée dans le projet de loi de finances pour 2011.

(L’amendement n° 243, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 17 ter est rétabli.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, jeudi 10 mars 2011 à neuf heures trente :

Discussion de cinq accords internationaux en procédure d’examen simplifié ;

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 10 mars 2011, à une heure trente-cinq.)