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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 17 mai 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Laffineur

. Prix du livre numérique

M. Hervé Gaymard, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication

Discussion générale

M. Christian Kert

M. Marcel Rogemont

Mme Marie-Hélène Amiable

M. Philippe Folliot

M. Lionel Tardy

Mme Monique Boulestin

M. Patrick Bloche

Vote sur l’ensemble

2. Traité entre la France et le Royaume-Uni relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes

M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur de la commission des affaires étrangères

M. Marc Joulaud, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées

Discussion générale

Mme Patricia Adam

M. Jean-Jacques Candelier

M. Philippe Folliot

M. Jacques Remiller

M. François Cornut-Gentille

M. Christophe Guilloteau

M. Nicolas Dhuicq

M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes

Vote sur l’article unique

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Prix du livre numérique

Discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique (no 3380).

La parole est à M. Hervé Gaymard, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Hervé Gaymard, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, je suis heureux, comme nous devons tous l’être ce soir, que notre assemblée s’apprête à voter définitivement ce qui sera le premier texte au monde concernant le livre numérique, texte pionnier dans notre monde en mutation perpétuelle.

Réunie le 3 mai dernier, la commission mixte paritaire appelée à se prononcer sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique a abouti à un texte commun, et, je le souligne, l’a adopté à l’unanimité. Je rappelle que les deux propositions de loi qui en sont à l’origine avaient été présentées dans les mêmes termes devant l’Assemblée nationale et devant le Sénat. Cela prouve à l’évidence que, quels que soient nos groupes ou nos assemblées, nous menons le même combat en faveur de la diversité culturelle et de la rémunération de la création. Nous souhaitons tous éviter que le numérique ne devienne une jungle dans laquelle la création serait tuée, les distributeurs numériques captant la marge au détriment des créateurs.

Je rappellerai rapidement que quatre articles – 2, 3, 5 bis et 7 – restaient en discussion. S’agissant des articles 2 et 7, la commission mixte paritaire a repris le texte de l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Quant à l’article 5 bis, une rédaction combinant les apports des deux assemblées a été adoptée. Sur ces trois articles, avec nos collègues du Sénat, nous avions de fait tiré profit de la navette pour améliorer conjointement leur rédaction et nous étions parvenus à des dispositions équilibrées.

En ce qui concerne l’article 3, qui a fait l’objet de beaucoup de discussions, nous poursuivions les uns et les autres le même objectif, la fixation du prix du fichier par l’éditeur, avec toutefois une divergence d’appréciation sur l’effectivité de l’extraterritorialité de cette disposition ainsi que sur son applicabilité. Au terme d’un débat très constructif, c’est la rédaction souhaitée par le Sénat qui a été adoptée, dans le cadre d’un consensus. J’ai pu exprimer, lors des deux lectures à l’Assemblée, puis lors de la réunion de la commission mixte paritaire, mes interrogations sur la portée de ce dispositif. Je suis aujourd’hui satisfait de l’aboutissement du texte, mais en restant conscient qu’il n’est pas parfait – d’ailleurs rien ne l’est en ce bas monde. Nous aurons à suivre, d’une part, son efficacité vis-à-vis des plateformes transfrontalières, et, d’autre part, sa compatibilité avec le droit communautaire.

Au demeurant, si nous sommes certes préoccupés par la dimension européenne de ce dossier, cadre dans lequel les méthodes choisies ne sont d’ailleurs pas du meilleur effet, chacun est bien conscient que le sujet n’est pas seulement européen. Il est en effet mondial : comment traiter une plateforme de téléchargement légal d’un distributeur numérique située à Zurich, Genève ou Alma-Ata ? À cet égard, je forme le vœu que l’initiative française du G8 numérique permette de poser la question au plan mondial.

Parallèlement, il est vrai que nous avons aussi un travail important à faire au niveau communautaire, tant auprès de la Commission que du Parlement européen. Monsieur le ministre, nous connaissons votre résolution à faire aboutir ce dossier. Cette loi constitue une première étape qu’il faudra évidemment parachever et consolider.

Pour consolider ce texte et ses applications en Europe, il s’agira juridiquement d’intégrer l’objectif de diversité culturelle, déjà reconnu dans un certain nombre de textes européens tels que la directive « Services » et la directive « Commerce électronique ». La procédure de co-décision, qui associe pleinement le Parlement européen, devra être prise en compte.

Dans l’immédiat, le premier jalon que nous allons poser dans la régulation du livre numérique restera à l’honneur du Parlement et de tous les groupes qui le composent.

Sur cette matière passionnante, mouvante et incertaine, il faut évidemment toujours légiférer en tremblant. Après cette première étape, nous aurons, dans les années qui viennent, et peut-être plus rapidement qu’on ne le pense, d’autres rendez-vous législatifs : ils prouveront chaque fois que nous avons tous le souci de défendre la diversité culturelle et la rémunération de la création.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, cher Christian Kert, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés…

M. Marcel Rogemont. Et moi ? Je suis aussi vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ! (Sourires.)

M. Frédéric Mitterrand, ministre. …quelles que soient ses métamorphoses, le livre demeure un objet culturel singulier, irréductible à sa seule dimension commerciale. Parce que notre responsabilité est de faire vivre cette idée à l’ère numérique, je me réjouis de l’avancée historique que constitue la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre approbation après son passage en commission mixte paritaire et son adoption définitive au Sénat. Trente ans après la loi Lang sur le prix unique du livre, voici une loi fondatrice pour la filière du livre et pour la régulation des industries culturelles à l’ère numérique. Cette régulation, appelée de ses vœux par le Président de la République le 7 janvier 2010, est l’aboutissement d’un long processus de réflexion collective.

Je tiens à saluer la contribution essentielle de cette assemblée à une telle réflexion, ainsi que l’attention et le travail du rapporteur de la proposition de loi, M. Hervé Gaymard, qui suit avec tant d’attention les questions touchant à l’avenir du livre et qui a été au centre des réflexions préparatoires à l’élaboration de cette loi.

M. Marcel Rogemont. C’est vrai !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Au terme des discussions interprofessionnelles qui se sont tenues sous l’égide de mon ministère, je tiens aussi à rendre hommage à la capacité de l’ensemble de la filière – auteurs, éditeurs et libraires – à se retrouver autour de ce qui va dans le sens du bien commun.

Je tiens enfin à saluer le consensus remarquable que vous avez su trouver, mesdames et messieurs les députés, au terme de l’examen de cette proposition de loi. Je me réjouis que, à l’image de la loi Lang, qui, depuis 1981, n’a cessé de recueillir l’adhésion des gouvernements successifs, la loi de civilisation numérique qui nous réunit aujourd’hui bénéficie à son tour d’un soutien politique unique en son genre.

Je suis persuadé que nous avons eu raison de ne pas attendre pour définir un cadre de régulation adapté à la réalité de ce nouveau marché qu’est le livre numérique, marché dont la progression formidable aux États-Unis se confirme jour après jour. Une intervention précoce constitue en effet la meilleure garantie que son développement s’effectue dans des conditions harmonieuses, sans captation de la valeur par des acteurs dominants.

Nous avons également eu raison, j’en suis fermement convaincu, de mettre l’éditeur en mesure de contrôler la valeur du livre, quel que soit le lieu d’implantation du diffuseur. Je me réjouis donc que la solution équilibrée retenue par la commission mixte paritaire permette aux distributeurs établis en France de jouer à armes égales avec ceux établis hors de nos frontières. Il serait en effet paradoxal que certaines plateformes de distribution de livres numériques échappent à une régulation de cette nature lorsqu’elles s’adressent à des lecteurs français. En raison de son objet, la loi sur le prix unique du livre numérique revêt ainsi le caractère d’une disposition impérative, cruciale pour la sauvegarde d’un intérêt public, et devant par conséquent s’appliquer à toute situation entrant dans son champ.

Cette loi historique est un aboutissement, mais c’est aussi un point de départ pour la filière du livre : loin de créer les conditions d’une économie de rente pour certains acteurs, ce texte contribuera, je n’en doute pas, au développement d’une offre légale abondante et attractive pour le lecteur, tout en préservant une assiette stable de rémunération pour les ayants droit, en particulier les auteurs. Je salue à cet égard l’attention portée par le texte à la juste et équitable rémunération des auteurs afin que celle-ci soit garantie dans le cadre du contrat d’édition.

Cette loi doit également être le point de départ d’une mobilisation renouvelée pour promouvoir la diversité culturelle à l’ère numérique. Soyez assurés à cet égard de la détermination du Gouvernement et du Président de la République à poursuivre le travail de conviction entamé auprès des institutions européennes et des autres États membres. J’en aurai encore l’occasion jeudi prochain, lors du conseil des ministres de la culture de l’Union européenne.

« Diversité, c’est ma devise », dit le fabuliste. Dans sa réponse aux avis motivés de la Commission européenne, le Gouvernement fait ainsi valoir combien, au regard des caractéristiques microéconomiques du marché du livre, la proposition de loi répond à un impérieux motif d’intérêt général : la protection de la diversité culturelle, consacrée par la convention de l’UNESCO ainsi que par les traités et la jurisprudence européenne.

Nous y démontrons pourquoi ce principe cardinal doit faire l’objet d’une attention encore accrue à l’heure numérique, en veillant à ce que la structuration du marché du livre numérique ne porte pas préjudice à la diversité de la création éditoriale et à la diversité des réseaux de distribution qui en est indissociable.

Nous y démontrons enfin la nécessaire complémentarité des réseaux de librairies physiques et des réseaux numériques pour atteindre l’objectif de diversité éditoriale, là où la Commission prétend qu’un pur acteur de l’internet peut seul y suffire.

Le consensus remarquable que vous avez su trouver lors de l’examen de cette proposition de loi, mais aussi le soutien et les initiatives qui pourront être les vôtres à l’avenir, constitueront d’évidence un appui précieux dans ces démarches, comme d’ailleurs dans le combat pour l’application d’un taux de TVA réduit sur le livre numérique.

Mesdames et messieurs les députés, parce qu’elle constitue une contribution essentielle à la construction civilisée du marché du livre numérique, cette loi de développement durable de la filière du livre, telle qu’adoptée par la commission mixte paritaire, recueille donc le plein soutien du Gouvernement.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le second vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation (Sourires), mes chers collègues, le symbole est important : alors que nous nous apprêtons à célébrer les trente ans de la loi Lang du 10 août 1981, nous allons dans quelques instants adopter, à l’unanimité je l’espère, un texte qui accompagne le développement du livre numérique.

Doit-on rappeler combien la régulation créée par la loi Lang a contribué à garantir la diversité culturelle et la créativité éditoriale, tout en accompagnant la croissance quasi continue du marché du livre français depuis trente ans ? Le rapport remis en 2009 par notre collègue Hervé Gaymard l’a illustré avec une remarquable précision. Chacun connaît le rôle qu’a joué cette loi pour permettre à tous les réseaux de vente au détail de coexister, en premier lieu les 3 500 librairies indépendantes, et nous l’avons souligné à l’occasion des différentes lectures de cette proposition de loi. Nous savons aussi que le prix unique du livre est favorable au public.

Je me garderai de reprendre tous les points de la proposition de loi, car nous l’avons fait à l’occasion de la navette. Le texte de la CMP démontre que tous les articles ont été affinés avec soin, en particulier les rédactions nouvelles des articles 2 et 5 bis.

Toutefois, il semble nécessaire de rappeler la disposition qui opposait encore le Sénat et l’Assemblée nationale en seconde lecture : le champ d’application territoriale du dispositif. L’Assemblée nationale redoutait la fragilité juridique d’une clause extraterritoriale eu égard à la Commission européenne, même s’il est vrai, juste et souhaitable que les éditeurs soient en mesure de contrôler la valeur du livre quel que soit le lieu d’implantation du diffuseur. Afin d’assurer la cohérence du dispositif et éviter les risques de contournement, les mesures doivent effectivement s’appliquer à l’ensemble des ventes de livres numériques effectuées sur le territoire français.

Comme tous les acteurs de la filière, j’approuve l’objectif fixé : permettre aux distributeurs établis en France de jouer à armes égales avec ceux établis hors de nos frontières. Il serait en effet paradoxal que certaines plateformes de distribution de livres numériques échappent à une régulation de cette nature lorsqu’elles s’adressent à des lecteurs français.

Sénateurs et députés sont donc parvenus à un consensus sur l’article 3 en maintenant la rédaction du Sénat et la clause d’extraterritorialité qui impose aux libraires ainsi qu’aux distributeurs – indépendamment de leur lieu d’implantation – le respect du prix de vente fixé par l’éditeur. À cet égard, je tiens à rendre hommage à la compréhension de notre rapporteur Hervé Gaymard.

L’unanimité ainsi trouvée sur cet article apporte à cette disposition une force réelle compensant nos interrogations juridiques. Ce qui nous importe, c’est la maîtrise du prix de vente et la mise à l’écart d’une politique de prix bas qui aurait pu être pratiquée par les distributeurs établis hors de nos frontières.

S’il est bon que soient pris en compte les intérêts des éditeurs et des distributeurs et que ne soient pas uniquement pénalisées les plateformes de vente installées en France, il convient de ne pas oublier les auteurs sans lesquels il n’est pas d’œuvre. Monsieur le ministre, vous l’avez excellemment rappelé à l’instant.

La rédaction de l’article 5 bis issue de la CMP répond pleinement à cette préoccupation, puisque le contrat d’édition garantira aux auteurs le versement d’une rémunération « juste et équitable » en cas d’exploitation numérique de l’œuvre. De plus, l’éditeur sera tenu de rendre compte à l’auteur « du calcul de cette rémunération de façon explicite et transparente ». Cette disposition figurera désormais dans le code de la propriété intellectuelle.

La démarche consensuelle qui reste la nôtre est donc pleinement satisfaite car, si le texte de la proposition de loi est adopté à l’unanimité, il n’en aura que plus de force. S’il ne doit pas tout résoudre, le vote unanime du Parlement français constitue un geste fort et non négligeable. L’important est que cette bataille soit engagée, qu’elle soit gagnée ou perdue. Monsieur le ministre, j’espère que le Gouvernement prendra toute sa place aux côtés du Parlement dans cette bataille communautaire.

La réunion de la commission mixte paritaire a été abordée avec confiance et optimisme. Nous avions tous un même but face à la perspective très claire d’une menace réelle. Notre discussion ne portait donc que sur les moyens les plus efficaces d’y faire face dans le cadre européen qui nous préoccupait.

Le texte ne pouvait avoir de valeur politique forte que si les deux chambres, toutes tendances confondues, étaient d’accord. Apparemment, c’est le cas et nous pouvons nous en réjouir. Cette condition de l’efficacité de notre combat commun est bel et bien réalisée.

Je vous invite donc à adopter la proposition de loi relative au prix du livre numérique, en votant pour les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le premier vice-président représentant Mme la présidente de la commission (Sourires), monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à saluer à mon tour le travail de la commission mixte paritaire, laquelle est parvenue à un texte équilibré grâce à l’action des députés socialistes et de nos collègues sénateurs notamment.

Son adoption à l’unanimité – non apparente mais certaine, je l’espère – par la commission mixte paritaire souligne une fois de plus la force toujours actuelle de la loi Lang de 1981. Elle marque aussi notre attachement à la diversité culturelle, pour ne pas dire à l’exception culturelle, à l’ère numérique.

Les atermoiements des secteurs de la musique et du cinéma sont devant nous. Il s’agit donc d’agir en amont, de manière transversale, et d’affirmer solennellement que la diversité culturelle et éditoriale doit être soutenue et renforcée lorsque les frontières s’estompent.

Les députés socialistes insistaient sur deux points fondamentaux qui sont présents à l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire : l’extraterritorialité et la rémunération des auteurs à laquelle se rattache la question de la cession des droits.

En 1981, Jack Lang refusait d’abandonner le prix des biens culturels, et donc du livre, aux lois destructrices du marché. Notre pays est-il prêt aujourd’hui à défendre le livre sur notre territoire comme hors de nos frontières ? Les méthodes de commercialisation des grands acteurs mondiaux du numérique, passant d’une logique de l’offre à une logique de la demande, font peser des dangers sur l’ensemble de la chaîne du livre, sur la diversité culturelle et sur la création.

Tom Alexander, économiste et PDG d’une start-up américaine, déclarait : « La créativité et le génie ne peuvent s’épanouir que dans un milieu qui respecte l’individualité et célèbre la diversité. » Aussi sommes-nous satisfaits d’aboutir à un texte qui garantit une distribution diversifiée, en soumettant les grands acteurs mondiaux au prix unique fixé par l’éditeur. Il faudra cependant rester vigilant, car les risques de contournement demeurent. Face à l’offensive contre le droit d’auteur de quelques lobbies et trusts puissants, la régulation extraterritoriale de l’ensemble du marché reste primordiale.

Venons-en au deuxième point. Après plus d’un semestre de discussions, les négociations entre éditeurs et auteurs sur les droits numériques n’ont toujours pas abouti. Le texte présenté prévoit « une rémunération juste et équitable » pour l’exploitation numérique d’une œuvre et une reddition des comptes « explicite et transparente » par l’éditeur, ce dont nous nous réjouissons car nous nous sommes beaucoup battus pour cela.

Cette disposition est introduite dans le code de la propriété intellectuelle, lui donnant la force nécessaire. Cette modification du code de la propriété intellectuelle nous paraît fondamentale, même si nous avions souhaité que deux contrats distincts – papier et numérique – soient établis pour garantir la rémunération et les conditions de récupération des droits par les auteurs.

Face à la rapidité des évolutions numériques, il conviendra de poursuivre notre travail. Malraux disait : « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. » Le Gouvernement va devoir faire montre de conviction à l’égard de Bruxelles en ce qui concerne l’extraterritorialité et la TVA réduite, et nous serons à ses côtés.

Nous avons à affirmer que le livre est un bien culturel, et non pas seulement un service comme le laisse entendre la Commission. Les avancées permises par cette proposition de loi pour le secteur du livre vont dans le bon sens, mais la conquête européenne et mondiale est toujours devant nous. Il en va de la diversité de la création qui, à défaut, serait emportée par la force des grands opérateurs de l’internet.

Dès lors, le vote favorable du groupe socialiste sur ce texte est un appel au combat pour que vive la diversité culturelle, l’exception culturelle. La culture est l’affaire de tous, comme en témoigne l’unanimité de l’Assemblée nationale et du Sénat sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable.

Mme Marie-Hélène Amiable. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, après plus de six mois de riches débats au sein de notre assemblée, nous pouvons nous réjouir, alors que nous arrivons au terme de la discussion de cette proposition de loi relative au prix du livre numérique. Les raisons sont en effet nombreuses de saluer l’adoption de ce texte qui serait le premier au monde à apporter une régulation du secteur du livre numérique.

Il n’est pas si fréquent que nous ayons l’occasion de débattre d’enjeux liés à la culture et la création dans notre hémicycle, en dehors des discussions budgétaires qui consistent souvent à constater les coupes proposées par le Gouvernement. Faut-il rappeler que la majorité a dernièrement voté la baisse de 9 % du budget de la culture pour 2011 ? L’art, la culture et l’information sont trop souvent relégués au dernier rang des préoccupations politiques et des politiques publiques en général, particulièrement en temps de crise. Nous croyons pourtant qu’ils sont au cœur de tout projet politique visant la transformation sociale et l’émancipation humaine.

Nous nous réjouissions donc de pouvoir débattre de cette proposition près de trente ans après l’adoption de la loi Lang, qui, pour le livre papier, instaurait un prix unique du livre connu de tous les lecteurs de France, permettant à un réseau de libraires passionnés et alors nombreux de diffuser le livre et la culture à égalité de chance avec les grandes surfaces.

Près de trente ans après l’adoption de cette loi à l’unanimité du Parlement, c’est à nouveau à l’unanimité des deux assemblées que nous adopterons cette proposition. En effet, si nous avions exprimé d’assez fortes réserves à son sujet, à l’occasion des deux précédentes lectures dans notre Assemblée, le texte présenté aujourd’hui par la commission mixte paritaire nous convient par bien des aspects.

En plus des dispositions déjà adoptées sur la définition du livre numérique, les ventes à primes, les remises permises en fonction des actions engagées par les éditeurs pour promouvoir la diffusion du livre numérique par des actions d’animation, de médiation et de conseil auprès du public ou sur les sanctions applicables en cas d’infraction à la loi, nous saluons le compromis enfin trouvé autour du cœur du dispositif.

Ainsi, selon les articles 2 et 3, un prix unique s’appliquera à tout livre numérique diffusé en France, même si ce prix pourra « différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage » et qu’il ne s’appliquera pas aux « offres proposées sous la forme de licences d’utilisation et associant à ces livres numériques des contenus d’une autre nature et des fonctionnalités », c’est-à-dire « destinées à un usage collectif et proposées dans un but professionnel, de recherche ou d’enseignement supérieur dans le strict cadre des institutions publiques ou privées qui en font l’acquisition pour leurs besoins propres, excluant la revente. »

S’agissant de la clause de territorialité – l’application du prix unique à toutes les œuvres diffusées auprès d’acheteurs situés en France – qui a enfin donné lieu à compromis, nous notons que, malgré toutes les mises en garde, ce qui était impossible hier au nom de Bruxelles et de la libre concurrence est possible aujourd’hui. Nous nous en réjouissons.

Cela prouve que, lorsque la volonté politique est présente, la France peut être porteuse de propositions à la pointe des objectifs culturels, tels qu’énoncés à l’article 167 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et surtout par la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée en 2005.

Nous nous réjouissons d’autre part de voir conforter, à l’article 5 bis, la garantie donnée aux auteurs, lors de la commercialisation ou de la diffusion d’un livre numérique, « que la rémunération résultant de l’exploitation de ce livre est juste et équitable », mais aussi que l’éditeur lui rend compte « du calcul de cette rémunération de façon explicite et transparente. » C’est ce pour quoi nous avions plaidé depuis le début de l’examen du texte, quoique nous aurions souhaité voir explicitement indiquer que la rémunération ne peut être inférieure à celle obtenue pour l’édition papier du même ouvrage.

En outre, à l’heure où des offensives singulières sont menées contre le droit d’auteur, nous sommes satisfaits de voir ces garanties inscrites dans le code de la propriété intellectuelle. Cette dernière lecture me donne l’occasion d’interroger le Gouvernement sur les dispositifs concrets qu’il compte mettre en œuvre, peut-être à l’occasion de décrets d’application, pour garantir ces droits, d’autant que, par définition, les échanges numériques ne connaissent pas de frontière.

Après avoir salué le travail de nos assemblées, les députés communistes, républicains et du parti de gauche adopteront donc cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher président Teissier, chers collègues, alors que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont considérablement bouleversé à la fois l’activité économique, les relations humaines, notre vie quotidienne et l’industrie du disque et du film, il était temps que le législateur s’intéresse aux bouleversements en cours dans le monde du livre.

L’objectif initial du texte que nous examinons était plus ou moins d’appliquer le principe du prix unique du livre au monde numérique. Je profite de l’occasion pour saluer les trente ans d’application de ce prix unique du livre et me féliciter de tout ce qu’il a apporté tant au niveau de la création que de la distribution : il a notamment permis le maintien d’un réseau de libraires indépendants, qui est un appui tout à fait important en matière de diversité culturelle.

Notre groupe a déjà indiqué, lors des séances précédentes, par la voix de notre collègue Jean Dionis du Séjour, combien il lui paraissait inadapté et désuet de vouloir imposer à un marché naissant et plein d’avenir le cadre strict et dépassé de la loi de 1981 sur le prix unique du livre. Il a également regretté que la proposition de loi ne tienne pas compte du modèle économique du livre numérique, qui induit une chaîne de valeur radicalement nouvelle. L’éditeur – celui qui sélectionne, imprime et diffuse les œuvres – se trouve fragilisé dans la chaîne de valeur internet, qui va se recentrer autour d’un tandem formé par l’auteur et le distributeur électronique. Plutôt que de protéger l’éditeur, il faut au contraire réfléchir aux moyens législatifs de protéger l’auteur, le créateur.

Il faut également se poser la question fondamentale de l’évolution du droit d’auteur dans nos sociétés numériques. Cette proposition de loi ne revient-elle pas, d’ailleurs, à certains égards, à mener une bataille de retardement ?

Notre groupe est convaincu que l’application qui sera faite de cette loi confirmera le bien-fondé de notre position, comme pour la loi HADOPI.

Comme souvent, nos deux assemblées n’ont pas manifesté un accord général sur ce texte. Notre travail commun a permis, au fur et à mesure de la navette parlementaire, d’améliorer très singulièrement la rédaction du texte et la commission mixte paritaire a finalement réussi à trouver un point d’accord qui nous semble bien plus satisfaisant que le texte de départ.

La question de l’extraterritorialité est importante. Notre groupe en a fait le sujet central qui déterminera sa position sur ce texte. J’insiste à nouveau sur le fait que, au moment où internet efface les frontières, une loi qui ne toucherait que la France n’aurait aucun sens et, bien plus, fragiliserait nos chaînes de distribution et nos maisons d’édition. En effet, quel sens y aurait-il à imposer aux entreprises françaises des contraintes particulières si celles-ci ne s’imposent pas également aux géants étrangers du secteur, notamment américains ?

Dans la mesure où le droit communautaire reconnaît l’objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique, il nous semblait essentiel que cette proposition de loi s’applique aux éditeurs et distributeurs établis hors de France. Nous ne pouvons donc que regretter la suppression de la clause d’extraterritorialité à l’article 2, que les sénateurs avaient réintroduite en deuxième lecture.

Mais, heureusement, les dispositions de l’article 3 restent étendues à toutes les personnes, y compris celles établies hors de France, exerçant une activité de commercialisation de livres numériques à destination d’acheteurs situés sur le territoire national. C’est une avancée importante.

Je veux également souligner un point important touchant à la forme : il est très intéressant qu’ait pu avoir lieu une navette complète entre nos deux assemblées, soit deux allers et retours, car cela offre le temps de la réflexion et de la discussion. Les avancées permises grâce à cette navette – notamment sur la question de l’extraterritorialité, sur laquelle les avis des parlementaires étaient différents, voire opposés – n’auraient pas été possibles dans le cadre d’une procédure d’urgence.

Les centristes invitent donc le Gouvernement à privilégier autant que possible la méthode du dialogue plutôt que celle de l’urgence. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », dit le poète. Cela s’applique aussi au travail parlementaire.

Par ailleurs, dans le suivi de l’application de cette loi, il faudra rester attentif à la rémunération des auteurs. Ainsi, le rapport annuel présenté par le Gouvernement – ce qui est une très bonne chose – permettra de vérifier que l’application du prix unique favorise bien une rémunération « juste et équitable » des auteurs.

Nous saluons le progrès qui consiste à garantir une rémunération de la création et des créateurs en cas d’exploitation numérique de leurs œuvres. Par là, la représentation nationale exprime haut et fort son refus de la « politique Amazon », qui consiste à ne favoriser que le consommateur.

Bien évidemment, cette loi risque d’être contestée par la Commission européenne, tout comme la loi Lang l’avait été en 1990, mais cela ne doit pas nous effrayer. Nous avons deux ans pour préparer nos arguments et mettre en avant l’exception culturelle, d’autant plus qu’il y a un schéma de complémentarité à trouver entre le livre physique et le livre numérique. Nous ne doutons pas, monsieur le ministre, que, fort du soutien du Parlement, vous ne soyez en mesure, dès jeudi prochain, de défendre cette position et cette exception culturelle à laquelle le Parlement français est plus particulièrement attaché.

Plus globalement, le groupe Nouveau Centre et apparentés tient à affirmer que nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion générale sur l’avenir du système français des droits d’auteur à l’ère numérique. Les auteurs doivent, à l’évidence, pouvoir bénéficier des retombées économiques de la croissance du secteur du livre numérique.

Nous souhaitons que cette loi préserve les intérêts des principaux acteurs, à savoir les auteurs, les éditeurs ou encore les libraires, tout en bénéficiant à l’ensemble des lecteurs : usagers des bibliothèques publiques ou universitaires, institutions culturelles et enseignement.

Nous souhaitons, enfin, que, dans un univers bouleversé par le numérique, où les modèles économiques associés sont complexes et mouvants, les nouveaux modèles de création et d’exploitation aient le droit de se faire entendre au même titre que les modèles traditionnels. Il y va de la compétitivité économique et culturelle de notre pays.

Enfin, je m’associe aux propos qui ont été tenus sur la qualité du travail réalisé dans le cadre de la navette entre nos deux assemblées et, plus particulièrement, au sein de la commission mixte paritaire. Je me félicite également de votre implication personnelle, monsieur le ministre, qui témoigne de votre double volonté d’accompagner les mutations technologiques tout en défendant l’exception culturelle des créateurs.

Pour toutes ces raisons, contrairement à ce qu’il avait fait en première et en seconde lecture, le groupe Nouveau Centre et apparentés votera ce texte.

M. Hervé Gaymard, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a finalement validé la position du Sénat en étendant l’application de la loi à tous les distributeurs, qu’ils soient français ou étrangers.

Personne n’en sera surpris, cette solution ne me convient pas du tout. Nous avons malheureusement choisi une fois de plus le conflit avec Bruxelles. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prévenus du problème.

M. Marcel Rogemont. C’est comme ça que ça avance !

M. Lionel Tardy. Cela fera un contentieux de plus entre la Commission européenne et nous. Nous n’en manquons pourtant pas.

En tant qu’Européen convaincu, je ne peux pas me satisfaire de voir que nous nous acheminons d’un cœur aussi léger vers le conflit avec Bruxelles. Je pourrais à la limite comprendre que nous engagions un bras de fer avec la Commission si la cause était vraiment plaidable. Mais, en l’espèce, il est évident que, comme pour la taxe télécoms, nous allons dans le mur.

Tout cela créé une mauvaise relation avec la Commission européenne car, dans les deux cas que je viens de citer, nous avons été prévenus. Un dialogue s’est engagé et nous avons sciemment choisi l’affrontement. S’il n’y avait que ces deux dossiers, pourquoi pas ? Hélas, le champ de nos relations avec l’Union européenne et la Commission est bien plus vaste. Nous avons énormément de sujets de discussion avec la Commission, qui ne concernent pas tous la culture. Pourtant, sous la pression de nos industries culturelles, nous multiplions les points de conflit sur cette thématique.

Si nous arrivons à un résultat, ce sera au terme d’une négociation âpre, où nous aurons dû sacrifier autre chose.

Que la France défende ses industries culturelles, je l’approuve pleinement, mais que la France sacrifie d’autres sujets, tout aussi importants, pour satisfaire des demandes excessives émanant d’un secteur, je l’approuve beaucoup moins.

M. Marcel Rogemont. Qu’avez-vous donc fait avec la baisse de la TVA dans la restauration ?

M. Lionel Tardy. Je ne voudrais pas que d’autres demandes françaises, tout aussi légitimes que celles des industries culturelles, leur soient sacrifiées.

S’agissant précisément de l’application de cette loi aux distributeurs étrangers, je vois mal comment nous allons nous en sortir.

Dès la première application qui en sera faite, une question préjudicielle sera posée à la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci répondra plus ou moins vite, et, en attendant, l’application de cette loi sera suspendue. Comme on peut s’y attendre, car le droit communautaire est très clair, la réponse nous sera défavorable, et nous aurons tout perdu.

Ainsi, les acteurs français ne bénéficieront d’aucune protection, nos relations avec Bruxelles se seront dégradées et nous aurons perdu nos monnaies d’échange.

En tant que législateur français, je commence à en avoir assez de voter des lois que l’on sait contraires au droit communautaire. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, il y a quelques semaines, lors des débats sur le projet de loi relatif à l’immigration. La loi n’était même pas encore définitivement votée qu’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril 2011 la rendait déjà en partie obsolète. L’arrêt indique clairement que la directive « Retour » n’autorise pas les peines d’emprisonnement pour les sans-papiers qui n’auraient pas respecté l’obligation de quitter le territoire qui leur a été signifiée. Cela implique qu’il n’est pas possible de les placer en garde à vue. La police peut tout au plus les retenir pendant une durée maximale de quatre heures, afin de vérifier leur identité. Cela limite grandement les moyens de l’administration – je l’avais dit alors – pour faire exécuter les mesures de reconduite à la frontière. L’article 15 de la directive était pourtant déjà très clair, mais nous n’en avons absolument pas tenu compte.

Nous avons choisi d’intégrer l’Union européenne. Cela implique de reconnaître la supériorité du droit communautaire sur notre droit national, et je ne comprends toujours pas pourquoi nous nous obstinons encore à ignorer cela dans cette enceinte.

Vous comprendrez donc que l’Européen convaincu que je suis ne peut pas accepter de valider un texte qui contrevient ouvertement et sciemment au droit communautaire. Je voterai donc contre ce texte, et j’attends avec impatience le verdict de la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne.

M. le président. La parole est à Mme Monique Boulestin.

Mme Monique Boulestin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire réunie le 3 mai dernier est parvenue à un accord sur le prix unique du livre numérique, en proposant une synthèse sur les points de divergence résultant des lectures des deux assemblées.

Nous en sommes heureux, monsieur le ministre, car il s’agissait bien de légiférer afin d’accompagner, d’encadrer, l’évolution du secteur du livre numérique.

En effet, au moment où nous allons fêter l’anniversaire de la loi du 10 août 1981, dite « loi Lang », relative au prix unique du livre papier, il était nécessaire d’adapter le cadre législatif existant aux technologies de notre temps, l’objectif étant, comme alors, de garantir la diversité de l’offre culturelle et la protection des droits d’auteur.

Bien que le livre numérique ne représente aujourd’hui que 1 % du marché, il était important de légiférer dès à présent, car, en intervenant trop tard, nous n’aurions pas pu protéger le secteur de la librairie indépendante, libraires, éditeurs et auteurs. Par ailleurs, nous savons d’expérience que, lorsque le législateur ne réagit pas à temps, il est souvent contraint d’intervenir, ensuite, dans la division et de manière inefficace.

Rappelons, pour mémoire, que le Sénat et l’Assemblée nationale s’opposaient sur deux points ; cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises.

Le premier concernait l’extraterritorialité : il concernait donc l’article 3. Au cours de la réunion de la commission mixte paritaire, nous avons réussi à convaincre nos collègues de la majorité parlementaire qu’il n’était pas possible d’adopter une loi qui, dès sa promulgation, aurait été contournée par les grandes plateformes étrangères non contraintes par la loi applicable au marché français. Nous avons donc suivi le Sénat et proposé que les revendeurs de livres numériques installés à l’étranger mais exerçant une activité en France, soient soumis à la loi au même titre que ceux installés dans l’hexagone. Cette loi assurera ainsi aux éditeurs la maîtrise du prix des fichiers numériques face aux grands distributeurs. Certes, cette clause ne bénéficiera qu’aux seuls éditeurs français, mais cette évolution de notre texte constitue déjà une avancée importante.

Le second point de divergence portait sur la rémunération « juste et équitable » versée aux auteurs. Nous avions longuement insisté sur son importance, ici, à l’Assemblée nationale ; cela a été rappelé, et c’est l’objet de l’article 5 bis.

La révolution numérique que nous vivons pouvait effectivement entraîner une remise en cause des droits acquis par les auteurs lors des négociations ou dans le cadre des conventions signées avec les éditeurs.

Sur ce point précis, la commission mixte paritaire a tranché en faveur du texte proposé par les députés, qui souhaitaient que soit versée aux auteurs une « rémunération juste et équitable » en cas d’exploitation numérique de leurs œuvres, avec une reddition des comptes « explicite et transparente » de l’éditeur. Afin de donner plus de poids à ces mesures, nous avons en outre souhaité, sur proposition du Sénat, qu’elles soient intégrées dans le code de la propriété intellectuelle.

Nous ne pouvons que nous réjouir de ce consensus politique, même si nous légiférons aujourd’hui tout en sachant que nous devrons encore accompagner, par la loi, les mutations technologiques qui s’annoncent, mais telle est la loi de la révolution numérique.

Vous souhaitiez, monsieur le ministre, notre soutien plein et entier pour peser davantage dans les négociations avec les autorités de Bruxelles. L’accord trouvé entre les deux assemblées constitue un signe politique fort, à l’encontre – il est vrai – de la commission de Bruxelles, hostile à toute régulation en amont des marchés émergents, et nous savons que la loi française sera contestée par les autorités bruxelloises. C’est pourquoi, à notre tour, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour rappeler à la Commission européenne son engagement en faveur de la protection et de la promotion de la diversité culturelle, affirmé en 2005 dans la convention de l’UNESCO, car elle a le devoir de travailler en accord avec ses propres textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la dernière lecture de la proposition de loi sur le prix unique du livre numérique. Les précédents orateurs ont rappelé à juste titre que nous poursuivions en fait le travail engagé il y a presque trente ans avec la loi Lang et que nous adaptions finalement celle-ci à la révolution numérique en cours. Il revient aux législateurs que nous sommes d’adapter autant que de besoin le droit d’auteur, et les droits voisins, aux révolutions technologiques, dont internet n’est d’ailleurs pas la première.

Hormis la voix de Lionel Tardy, dont nous savons combien les convictions sont fortes et à quel point il sait les défendre, nous nous accordons ce soir à dire que nous sommes parvenus, avec le texte de la commission mixte paritaire, à un point d’équilibre satisfaisant, sur lequel la majorité et l’opposition ont pu s’entendre. Ce texte sera voté en termes identiques par le Sénat.

Puisque vous évoquez, monsieur le ministre, une réunion prochaine des ministres de la culture de l’Union européenne, vous allez bénéficier, grâce à ce texte, d’une légitimité offerte par la représentation parlementaire pour parler au nom de la France et défendre les dispositions de cette loi.

Nous avons effectué en commission mixte paritaire un travail constructif et utile, puisque notre groupe votera finalement, en dernière lecture, cette proposition de loi, alors qu’il s’était abstenu lors des deux précédentes lectures. Pourquoi cette évolution de notre position ? Un certain nombre d’arguments que nous avions développés ont été pris en compte, en particulier concernant l’article majeur de cette proposition de loi, l’article 3, dont l’objet est l’application du prix unique fixé par les éditeurs aux plateformes de distribution qu’elles soient établies en France ou à l’étranger. Ce point essentiel conduit la France à revendiquer, au nom de la diversité culturelle, ce que l’on appelle la clause d’extraterritorialité, absolument indispensable quand on sait que certaines plateformes étrangères, notamment Amazon, sont actuellement en position très hégémonique sur le marché naissant du livre numérique.

C’est au nom de cette même diversité culturelle que nous n’avons, au contraire, pas souhaité faire jouer la clause d’extraterritorialité à propos de l’article 2. Cela aurait bien inutilement sanctionné les éditeurs étrangers qui publient des livres en langue étrangère, ce qui n’est pas notre objectif.

De ce fait, nous sommes parvenus à un texte d’équilibre, qui a pris en compte toute la chaîne du livre : les éditeurs, que j’évoquais, les plateformes de distribution, les auteurs évidemment, car il n’y aurait pas de livres sans auteurs, c’est une banalité de le rappeler ici. En l’occurrence, le fait d’inscrire dans le code de la propriété intellectuelle la nécessité d’une rémunération « juste et équitable » permettra effectivement de rétribuer ces créateurs.

Nous aurions souhaité aller plus loin dans la modification du code de la propriété intellectuelle, mais nous n’avons pas voulu rompre un consensus quasi-unanime.

Nous vous donnons évidemment rendez-vous prochainement pour aller sans doute plus loin. Bruno Patino, à qui Mme Albanel avait confié une mission il y a deux ans, avait lui-même évoqué cette nécessaire modification du code de la propriété intellectuelle. Il faut absolument que la représentation parlementaire contribue à l’aboutissement prochain des négociations actuelles entre auteurs et éditeurs ; c’est une nécessité.

Nous n’avons pas non plus oublié les lecteurs. En effet, cette proposition de loi, qui sera bientôt une loi, arrive au bon moment : ce n’est pas une loi de retardement, une loi qui pourrait contrarier des usages qui se seraient répandus, au contraire d’autres lois auxquelles nous nous sommes opposés ; je pense évidemment à la loi DADVSI de 2006 et aux deux lois HADOPI de 2009. Les usages nouveaux des lecteurs sont pris en compte par cette proposition de loi, qui est donc une loi d’équilibre. Réjouissons-nous donc de ce rare moment d’unanimité au nom de la diversité culturelle et, aussi, de la défense de la francophonie, qui est à la fois défense de la culture et défense de la langue françaises.

Vous l’avez compris, le groupe socialiste, radical et citoyen votera cette bonne loi.

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Traité entre la France et le Royaume-Uni relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes (nos 3385, 3386).

La parole est à M. le ministre chargé des affaires européennes.

M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur pour avis de la commission de la défense, mesdames et messieurs les députés, le Royaume-Uni et la France sont des partenaires naturels en matière de sécurité et de défense. Tous deux sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, alliés de l’OTAN, membres de l’Union européenne et États dotés de l’arme nucléaire reconnus par le Traité sur la non-prolifération.

La signature de deux traités majeurs en matière de défense par le Président de la République et le Premier ministre britannique, lors du sommet de Londres du 2 novembre dernier, est venue renforcer cette coopération. Elle prolonge et concrétise la démarche engagée par le Président de la République depuis 2007, mettant l’accent sur le développement de la capacité militaire européenne. Ainsi, le traité de défense et de sécurité approfondira dans le long terme notre coopération bilatérale dans ces domaines.

Le second traité, relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, fait l’objet du projet de loi soumis à votre approbation, après son adoption par le Sénat le 3 mai. Il constitue une première illustration de notre coopération renforcée avec le Royaume-Uni. Il ouvre en effet la voie à une coopération sans précédent dans le domaine particulièrement sensible des technologies liées aux arsenaux nucléaires. Il témoigne de l’exceptionnel degré de confiance atteint entre nos deux pays.

Ce traité prévoit la construction et l’exploitation conjointes d’une installation de physique expérimentale dénommée ÉPURE et située à Valduc, en Bourgogne. Cette installation sera l’un des éléments du programme français de simulation, qui comprend la simulation numérique et le laser mégajoule. L’objectif est de garantir l’efficacité et la pérennité de la dissuasion nucléaire sans réaliser d’essais nucléaires.

Dans ce contexte, nos deux pays avaient identifié les mêmes besoins en termes de simulation ; ils ont donc décidé de partager l’installation qu’ils avaient tous deux projeté de construire. Cette mise en commun est particulièrement intéressante. D’abord, elle témoigne de notre capacité à construire des accords de coopération en matière de défense et donc, de mettre en place les embryons d’une défense européenne qui pourra ensuite s’étendre.

En outre, cet accord permettra à nos deux pays de réaliser de substantielles économies, puisqu’ils partageront équitablement les coûts de construction, d’exploitation, puis, à terme, de démantèlement de l’installation. En même temps, cet accord se fait dans le strict respect de l’indépendance de nos dissuasions respectives. Chaque pays conservera la propriété, la responsabilité des produits testés et des sous-produits générés. L’utilisation conjointe de ces installations n’impliquera pas le partage des travaux et chaque pays conservera, pour chaque expérience, la confidentialité et la pleine souveraineté.

Le traité qui vous est soumis est une véritable illustration – l’une des plus fortes de ces dernières années – de notre capacité à construire des coopérations intéressantes en matière de défense, dans l’intérêt mutuel du Royaume-Uni et de la France, tout en préservant nos intérêts stratégiques.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme vous le savez, un accord important en matière de défense a été signé le 2 novembre 2010 entre la France et la Grande-Bretagne. Cet accord porte sur la mise au point de drones d’observation et d’attaque – point fondamental sur le plan opérationnel et industriel – et sur le groupe aéronaval, qui donnera lieu à d’importantes coopérations. Il concerne également la cyberdéfense, car nous découvrons une autre forme de guerre : les dernières agressions contre Bercy montrent que le sujet est d’actualité. En outre, cet accord porte sur la dissuasion nucléaire, c’est-à-dire le maintien en condition opérationnelle des sous-marins nucléaires. C’est également un point important, car, traditionnellement, la Grande-Bretagne avait un seul partenaire : les États-Unis. Enfin, le traité que nous examinons aujourd’hui porte aussi sur la simulation nucléaire.

Je commencerai par trois remarques d’ordre politique.

Première remarque : il est clair qu’il y a là un virage de la politique de défense de la Grande-Bretagne. On peut considérer que l’une de ses motivations est l’économie, puisque le budget britannique est largement plombé, à la fois par l’Irak et l’achat de missiles Trident américains. Mais cet accord permettra d’économiser un demi-milliard d’euros d’ici à 2020.

Cela étant, nos amis britanniques ont peut-être pris conscience que l’Amérique regarde aujourd’hui beaucoup plus vers le Pacifique que vers l’Atlantique. De nouveau, l’attrait de l’Europe, en tout cas de la France, peut revêtir pour eux une certaine réalité.

Ma deuxième remarque d’ordre politique concerne la réaffirmation du rôle de la dissuasion, clé de notre sécurité et de la paix mondiale entre les grandes puissances. Aujourd’hui, il y a une montée en puissance stratégique de la Chine face aux États-Unis. Si nous sommes sûrs que ces deux pays ne se feront jamais la guerre, c’est qu’ils possèdent l’un et l’autre l’arme nucléaire. Tel est l’équilibre sur lequel repose la paix. La dissuasion n’est pas mise en cause, sauf si l’on va un peu trop loin dans la négociation sur la défense antimissile – mais il y a là une contradiction.

Ma troisième remarque porte sur l’OTAN. La Grande-Bretagne fait partie du groupe des plans nucléaires de l’OTAN. Ce traité permet une véritable indépendance de nos politiques nucléaires ; la Grande-Bretagne gardant la sienne et nous la nôtre, nous pouvons poursuivre une politique de totale indépendance.

Cet accord de simulation est nécessaire, parce que nous avons signé le traité interdisant les essais nucléaires, ainsi que la Grande-Bretagne et la Russie. Pour garantir la sécurité de nos armes, surveiller leur vieillissement et les adapter aux missiles de nouvelle génération, nous devons faire des simulations. Ce n’est pas en contradiction avec le traité de non-prolifération nucléaire, puisqu’il n’y a pas en la matière modernisation ou multiplication d’armes, mais simple vérification de leur fonctionnement.

En ce qui concerne la phase « chaude », soit celle des lasers, la France conservera le même système, près de Bordeaux, sur le site du CESTA – le Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine –, et la Grande-Bretagne poursuivra sa coopération avec les États-Unis, sachant que les deux systèmes sont jumeaux.

S’agissant de la phase « froide » et des explosifs conventionnels nécessaires aux armes nucléaires, il y aura une installation commune radiographique et hydrodynamique. Tel est l’objet de ce traité ; pour le concrétiser, seront regroupées sur un site dénommé ÉPURE, à Valduc, en Bourgogne, la machine d’observation Airix qui se trouve aujourd’hui en Gironde et la radiographie éclair qui reste à construire. En 2019, un centre de développement technologique situé à l’ouest de Londres complétera l’ensemble de ce dispositif.

Je souhaite maintenant apporter quelques précisions sur certains articles.

L’article 3 donne la responsabilité du suivi du traité, pour la France, au Commissariat à l’énergie atomique, et, pour la Grande-Bretagne, à son ministère de la défense.

L’article 5 précise qu’il y aura, sur chaque site, une zone commune et une zone nationale.

L’article 6 indique que la totalité du financement sera apportée pour moitié par chacune des deux parties

L’article 10 souligne que chaque pays aura la responsabilité technique et juridique de ses déchets, sachant qu’il n’y aura pas de déchets nucléaires.

L’article 15 impose le bilinguisme.

Enfin, l’article 17 fixe la validité du traité à cinquante ans.

Pour ma part, je pense, monsieur le ministre, qu’il s’agit d’un bon traité et d’un bon accord. Mais l’accord, lui, pose question par rapport à la défense européenne, ce qui n’est pas le cas du traité.

L’accord que nous venons de passer avec les Britanniques est positif, mais il est très différent de l’accord de Saint-Malo, qui était constitutif de la défense européenne. Celui qui vient d’être signé est un accord bilatéral de coopération entre la France et la Grande-Bretagne. Il s’agit d’une coopération en Europe, non d’une coopération européenne. Ce point doit être souligné.

Certains s’en inquiéteront. Personnellement, cela ne m’inquiète pas trop, car ce qui compte, c’est la volonté politique et l’argent. On se plaint parfois que l’Agence européenne de défense ne fonctionne pas bien parce qu’elle n’a pas d’argent, ou que les coopérations structurées permanentes ne fonctionnent pas parce qu’elles se bloquent. Mais dans les deux cas, ce qui bloque, c’est la volonté politique ou l’argent. La situation en Europe, parmi les pays qui coopèrent avec la France, est toujours la même. Ceux qui ne sont pas européens ont de l’argent et ceux qui sont européens ne mettent pas d’argent. Tous les ingrédients sont donc réunis pour un blocage de l’Europe de la défense.

Cet accord est très important pour l’Europe car il participe indirectement de la défense européenne. À terme, il est une pierre apportée à l’édifice, il n’y a pas à ergoter sur ce point. C’est une bonne nouvelle, prenons-la comme telle ! Espérons seulement que d’autres pays européens pourront rejoindre la France et la Grande-Bretagne pour ce qui est des aspects non nucléaires de l’accord. Je crois d’ailleurs que c’est ce qu’il se passera inéluctablement car, derrière tout cela, il y a évidemment une logique industrielle.

Mes chers collègues, je considère que c’est un bon traité, qui s’inscrit dans un bon accord plus global. Le fait que la défense européenne ne soit pas vraiment prise en compte par cet accord ne m’inquiète pas particulièrement, car je préfère des coopérations qui avancent que pas de coopération du tout !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Très bien !

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. En conclusion, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères souhaite que cet accord soit adopté par votre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Marc Joulaud, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Marc Joulaud, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la signature du traité, que nous évoquons ce soir, relatif au partage d’installations radiographiques et hydrodynamiques, qui engage la France et le Royaume-Uni pour cinquante ans, illustre la solidité des liens tissés depuis longtemps entre nos deux pays en matière de défense.

Si de nombreux accords en matière de défense ont été signés à l’occasion du sommet franco-britannique de novembre dernier pour permettre notamment la mise en place d’une force expéditionnaire commune interarmées ou la création d’une force aéronavale d’attaque intégrée, la signature du traité relatif au partage d’installations de simulation d’explosions nucléaires constitue le point central de ce processus, puisqu’il porte sur un domaine particulièrement sensible.

Ce traité présente un triple intérêt.

En premier lieu, il favorise le renforcement de l’Europe de la défense en associant les deux pays qui possèdent – et de très loin, comme chacun sait – les capacités militaires les plus importantes en Europe.

Il devrait, en outre, permettre à la France comme au Royaume-Uni de réaliser une économie de 450 millions d’euros grâce au financement commun de la construction et de l’entretien d’installations de simulation. Ce projet contribuera donc à assurer l’avenir de notre dissuasion nucléaire tout en répondant aux impératifs et aux contraintes budgétaires que nous connaissons.

Le troisième intérêt de ce traité réside dans le fait que les installations dont il prévoit la construction permettront de travailler plus efficacement à la conception et au développement des futures têtes nucléaires océaniques qui entreront en service en 2015.

Concrètement, cet accord prévoit le financement commun par la France et par le Royaume-Uni de deux installations. La première, dénommée ÉPURE, sera implantée sur le site du Commissariat à l’énergie atomique de Valduc en France. La seconde, dite TDC, sera implantée sur le site d’Aldermaston au Royaume-Uni. Le site ÉPURE, progressivement mis en place d’ici à 2022, permettra de simuler, par l’expérience, tous les calculs effectués sur les ordinateurs du CEA.

Aucun essai nucléaire n’y sera, bien sûr, réalisé : il s’agira simplement d’expériences de simulation, ce qui répond aux exigences du traité d’interdiction des essais nucléaires ratifié par la France en 1998. Par ailleurs, la plupart des expériences réalisées sur le site d’ÉPURE feront appel à des matériaux de substitution. Enfin, les quelques expériences qui utiliseront des matières nucléaires seront sous-critiques, c’est-à-dire que les quantités utilisées seront très basses, de manière à ce qu’il n’y ait aucun dégagement d’énergie nucléaire. Dans l’installation ÉPURE, il sera possible de faire évoluer les matériaux de leur état nominal vers des conditions extrêmes de vitesse et de pression, équivalentes à celles rencontrées dans les armes nucléaires lors de la phase initiale de fonctionnement, avant le déclenchement du processus nucléaire lui-même. Les expériences réalisées permettront en outre, et c’est un point fondamental, d’exploiter tous les résultats de la campagne française d’essais nucléaires de 1996.

L’installation ÉPURE sera constituée, comme cela a été souligné, de parties communes où seront réalisées les expériences, et de halls d’assemblage où seront préparés les édifices expérimentaux. Dans les parties communes se trouveront deux pas de tir sur lesquels seront installés des appareils de mesure. Par ailleurs, la France et le Royaume-Uni disposeront chacune d’un hall d’assemblage des édifices expérimentaux, dont l’accès sera interdit à l’autre partie. Le traité assure donc l’indépendance totale des expériences réalisées par chacune des deux parties. Le Royaume-Uni n’aura pas accès aux travaux effectués par la France, et inversement. De plus, aucune information ne sera échangée sur les systèmes d’armes nucléaires et aucun transfert de technologie ne sera réalisé. Les dispositions du traité ne portent donc nullement atteinte à la souveraineté et à l’autonomie française dans le domaine nucléaire.

Le développement des installations prévues par le traité s’effectuera en deux phases. Au cours de la première phase qui s’achèvera en 2014, le hall d’assemblage français sera mis en place ainsi qu’un premier pas de tir. La seconde phase verra la réalisation, d’ici à 2022, du hall d’assemblage britannique, des deux dernières machines radiographiques et du second pas de tir.

La France prendra en charge, pour sa part, la réalisation de la première phase d’ÉPURE. Le Royaume-Uni assurera, quant à lui, la réalisation du site TDC. Par la suite, toutes les dépenses seront partagées équitablement par la France et le Royaume-Uni.

Ce traité présente donc toutes les garanties pour assurer l’avenir de notre indépendance dans le domaine nucléaire tout en permettant de réaliser des économies considérables dans la construction d’équipements vitaux pour le maintien de notre dissuasion nucléaire. C’est pourquoi je vous incite à suivre l’avis favorable donné par la commission de la défense à ce traité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela vient d’être souligné par les deux rapporteurs, l’esprit qui préside au rapprochement de nos deux États procède du bon sens. Le raisonnement qui en découle est simple : nous sommes les deux seules nations européennes significatives dans le domaine de la défense et nous souhaitons maintenir notre rang.

Le bon sens économique commande, en période de disette budgétaire, que nous partagions nos efforts de financement en matière de défense, cela a été dit. Nous voulons ainsi conserver notre crédibilité dans un monde plus incertain et dans lequel nous souhaitons assumer notre part de responsabilité. Je suis également favorable, comme mes deux collègues qui viennent de s’exprimer, aux mutualisations que nous pouvons réaliser avec nos partenaires européens et je voterai donc ce texte.

D’autres que moi le voteront avec des sentiments peut-être plus grands : pour ces derniers, nos accords constitueraient, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, un tournant important dans l’histoire des relations franco-britanniques, désormais au seul service de l’Europe de la défense. Cette histoire a, pour moi, tout l’air d’une fiction. Le rapprochement que nous approuvons entre nos deux pays n’est porteur d’aucune ambition ni d’aucune stratégie pour l’Europe. C’est un accord bilatéral, ce n’est donc pas une coopération structurée permanente définie dans le traité de Lisbonne. Je reviendrai, pour ceux qui en doutent, sur les raisons qui m’incitent à le penser.

Par cet accord, nous partagerons quelques-unes de nos infrastructures les plus sensibles et les mieux protégées. Nous répartirons de manière équitable les coûts nécessaires au financement du secteur de la recherche et de la simulation nucléaire. Nous lui offrirons peut-être même un nouvel avenir par l’échange intellectuel qu’il suscitera entre les scientifiques de nos deux pays. Nous devons nous en féliciter. La crédibilité et la pérennité de notre capacité de dissuasion en dépendent. Cela a été également souligné.

Mais avons-nous vraiment d’autres choix ? La réponse donnée par le rapporteur pour avis de la commission de la défense est sans appel. Je la résumerai de la manière suivante : nous n’avons plus d’autres choix que la coopération, car nos ressources sont devenues insuffisantes pour maintenir notre effort de défense. En effet, une partie du financement de la dissuasion repose sur des recettes exceptionnelles. J’espère qu’elles seront, un jour, à la hauteur des sommes espérées, ce qui n’est pas encore le cas et ne semble pas se profiler à l’horizon.

J’apprécie, monsieur le rapporteur, la justesse de votre analyse, laquelle correspond en tous points au constat que nous dressions lors de l’examen des crédits de la défense pour 2011, mais aussi pour 2010. Vous vous fondez, à juste titre, sur le rapport de notre collègue François Comut-Gentille. Peut-être conviendrait-il de nous rappeler ce qu’il écrivait, et que je cite : « Le ministère a choisi de faire porter le risque lié à la vente des fréquences sur le cœur du système de défense. N’aurait-il pas mieux valu que cet aléa soit supporté par un autre programme moins déterminant pour notre position militaire et notre rang international ? »

On aurait même pu citer l’ancien ministre Hervé Morin, qui, libéré aujourd’hui de ses responsabilités gouvernementales, découvre soudainement – excusez-moi d’employer ce terme – les conséquences de sa politique : « Ces ressources budgétaires se tariront en 2011 et, en l’absence de recettes budgétaires qui prennent le relais, il manquera entre 20 et 30 milliards d’euros pour l’équipement des forces sur la période 2012-2020. »

Nos accords avec les Britanniques présentent donc un intérêt incontestable, celui de mieux dépenser nos ressources. Ils constituent une réponse nécessaire à la situation budgétaire actuelle dont vos prédécesseurs portent la lourde responsabilité. Malheureusement, vous le savez, leurs premiers effets ne sont pas attendus avant 2015.

Si, désormais, notre constat est le même, nous en tirons peut-être des leçons différentes. Je vois dans notre nouvelle relation avec les Britanniques un aveu d’échec autant qu’un renoncement. La première leçon, c’est, je l’ai dit, l’échec du modèle financier défini par la loi de programmation militaire ; la seconde leçon, c’est le renoncement à l’ambition européenne à laquelle s’était attaché le Livre blanc de 2008.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la France n’a pris aucune initiative véritablement sérieuse s’agissant de la défense européenne et se tient désormais en retrait du débat sur la politique étrangère et de sécurité commune en matière européenne. Je m’appuierai sur quelques exemples. Lorsque nos partenaires proposent d’augmenter le budget de l’Agence européenne de défense afin de la rendre efficace, la France s’y oppose, certes discrètement, en se rangeant derrière le veto britannique. Je rappelle que le Livre blanc définissait de tout autres orientations : il s’agissait notamment de renforcer cette institution pour favoriser des partages capacitaires au niveau européen. Cela ne s’est, bien entendu, pas produit.

Par ailleurs, nous avons été incapables de définir des intérêts de défense communs aux Vingt-Sept ; tout au plus avons-nous obtenu une modeste révision de la stratégie européenne de sécurité qui, je le rappelle, date de 2003 et ne paraît absolument plus en phase avec les défis que nous connaissons actuellement. Comme ce fut le cas hier du Kosovo, la Libye paralyse aujourd’hui l’Union européenne. Il y a peut-être même plus inquiétant. Rarement, depuis de nombreuses années, les relations que nous entretenons avec l’Allemagne se sont autant dégradées : qui pouvait croire, il y a seulement trois mois, que notre principal partenaire européen s’alignerait sur les positions russe et chinoise alors que notre voisinage immédiat s’embrase ?

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Tout à fait !

Mme Patricia Adam. Faute d’obtenir son soutien, nous remettons notre destin et celui des Libyens entre les mains de l’OTAN dont notre allié américain – faut-il le rappeler ? – se désengage. Autre exemple, les coopérations structurées permanentes prévues par le traité de Lisbonne n’ont suscité, jusqu’à présent, aucune attention de la part de la France ; n’est-ce pas pourtant le seul instrument dont dispose l’Europe de la défense pour devenir un jour crédible ?

J’entends bien les partisans d’un rapprochement franco-britannique affirmer que nos accords restent ouverts aux États européens qui souhaiteraient s’y associer. On pourra toujours spéculer sur les intentions supposées de nos partenaires. Si telles étaient celles des Britanniques, pourquoi n’avons-nous pas conclu avec eux un accord de coopération renforcée dans le cadre du traité de Lisbonne ? Je crois que nous n’avons pas bien mesuré la portée de nos accords. En revanche, les Britanniques, eux, ne s’y sont pas trompés. Je citerai simplement le ministre britannique de la défense, Liam Fox : « Il ne s’agit en aucun cas d’accroître les capacités militaires de l’Union européenne. »

Je terminerai par une dernière observation. La France a réintégré le commandement militaire de l’OTAN en faisant le pari, qui me semble aujourd’hui perdu d’avance, qu’elle en tirera des contreparties. Cela ne se vérifie malheureusement pas actuellement. L’argument consistait à dire qu’en assumant pleinement notre rôle d’allié, ce que nous faisions déjà en termes budgétaire et d’engagement de nos forces, nous parviendrions à lever la défiance que nos partenaires conçoivent à l’égard de la défense européenne. En réalité, nous n’avons pas levé le veto britannique à la création d’une cellule de planification militaire permanente à Bruxelles, comme on nous le promettait.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. C’est exact !

Mme Patricia Adam. Cet argument était d’autant plus fallacieux que nous ne l’entendons plus aujourd’hui. En réalité, nos amis britanniques ont bien compris que nous avons abandonné ce projet. Voilà le sens historique que contiennent nos accords aujourd’hui ! Ils ne recouvrent pas d’autres ambitions que celui de rapprocher nos deux États pour le maintien de notre défense. Ils ne dessinent aucun projet pour l’Europe. Nous devons retrouver l’esprit des artisans de l’Europe en procédant, comme ils le firent dans d’autres domaines, à la définition d’une stratégie claire, volontariste – grâce à une démarche politique forte – et qui associe toutes les bonnes volontés. La première étape consiste à nous accorder sur ce que nous voulons. Elle passe par la rédaction d’un Livre blanc européen autour d’une analyse commune des menaces, mais aussi des changements profonds qui se profilent dans le monde, en particulier dans notre voisinage immédiat.

La deuxième étape consiste à nous accorder sur ce dont nous avons besoin. Pour cela, l’Agence européenne de défense semble être la mieux placée, si nous consentons cependant à la doter de moyens suffisants.

L’étape finale de cette politique réside dans une programmation militaire européenne, qui, seule, peut nous contraindre à accepter des dépendances communes et à partager utilement les coûts d’acquisition de nos équipements comme nous sommes en train de le faire avec les Britanniques.

Ce programme, je le sais bien, n’est pas encore à l’ordre du jour. Bien sûr, les accords qui nous lient aux Britanniques ne sont pas contraires à l’esprit européen. Des militaires et des scientifiques français et britanniques vont apprendre à travailler ensemble, et c’est une bonne chose. Qu’on le veuille ou non, il s’agit bien d’Europe de la défense. Je souhaite cependant que ces accords ne nous conduisent pas à négliger nos autres partenaires.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi autorisant la ratification du traité signé en novembre 2010 avec le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, nous donne l’occasion de discuter de la politique de défense de la France.

Derrière cet intitulé anodin et technique, c’est en effet de coopération dans le domaine nucléaire militaire qu’il s’agit. Une telle coopération a évidemment une portée politique et stratégique majeure. L’autre traité de coopération signé en même temps et portant sur ces questions ne nécessite pas de ratification parlementaire, mais je l’intégrerai dans la discussion.

Ces sujets auraient mérité d’être débattus devant le Parlement, préalablement à la signature de ces accords bilatéraux. Ceux-ci marquent en effet une évolution qui sonnera vraisemblablement, je le crains, le glas de la défense européenne. Je le précise pour ceux qui croyaient réellement à la défense européenne, ce qui n’est pas mon cas.

M. Philippe Folliot. Oh !

M. Jean-Jacques Candelier. Nous ne pouvons pas toujours être d’accord ! Tout à l’heure, j’étais d’accord avec vous pour la chasse. Là, je ne le suis pas.

Avec ces accords, le Gouvernement fait le constat de l’incapacité du Traité de Lisbonne à poursuivre la mise sur pied d’une défense européenne.

Souvenons-nous, par ailleurs, que le sommet de Londres est chronologiquement antérieur au sommet de Lisbonne de l’OTAN.

Au cours de ce dernier, le Président de la République avait de nouveau procédé à un changement d’orientation concernant la défense antimissile et le nouveau concept de l’OTAN. Nous n’avons pu avoir un débat parlementaire qu’une fois les décisions prises.

C’est même à l’occasion d’une conférence de presse à Londres que ces accords bilatéraux de partenariat stratégique ont été présentés de façon cavalière. Ils ont en effet été annoncés sans avoir été prévus dans la loi de programmation militaire, sans que soit précisée une doctrine d’emploi, sans information ni consultation du Parlement, c’est-à-dire des élus de la République.

Cette subite relance de la coopération avec le Royaume-Uni avait, à l’évidence, été motivée par le souci de mutualiser des équipements coûteux, mais, à la différence du sommet de Saint-Malo de 1998, qui marquait une adhésion, certes toute relative, de nos alliés britanniques à l’Europe de la défense, et qui pouvait avoir un effet d’entraînement, les traités de Londres sont bilatéraux. De fait, ils ne faciliteront pas d’autres coopérations.

Les conséquences de ces accords vont également bien au-delà d’une simple mutualisation. Il ne s’agit pas uniquement de mettre en commun des capacités, des matériels, et de créer une force militaire conjointe de 5 000 hommes pour des opérations extérieures. Il s’agit également d’envisager le rapprochement de nos industries et la fusion, à terme, des moyens de recherche et de développement sur certains programmes.

La coopération sur la recherche nucléaire, en partageant ces technologies dans des laboratoires communs de simulation et de modélisation, fait craindre la fin totale de notre autonomie nationale, même si l’on me certifie le contraire.

Je rappelle que, pour le Royaume-Uni, la coopération dans le domaine nucléaire militaire n’est pas une nouveauté. Les forces nucléaires britanniques participent à la planification nucléaire de l’OTAN, contrairement aux forces stratégiques françaises pour le moment. Elles coopèrent avec les États-Unis depuis le début dans le domaine nucléaire. Un premier accord secret signé le 19 août 1943 entre les deux pays prévoyait un droit de consultation en matière d’emploi de la force atomique. Cette coopération sera reprise et approfondie par l’accord de défense mutuelle de 1958, et la formalisation du partenariat anglo-américain en matière de dissuasion nucléaire remonte à l’accord du 21 novembre 1962.

À partir de cette date, les Britanniques constituent leur outil de dissuasion en achetant des missiles Trident américains. Ils obtiennent également l’accès à un site de tests nucléaires au Nevada. Plusieurs tonnes de plutonium produites au Royaume-Uni sont envoyées aux États-Unis en échange de tritium et d’uranium enrichi américains.

Cette relation privilégiée a été renouvelée récemment, l’accord de 1958 ayant été reconduit pour dix ans en 2004.

Si le Royaume-Uni a choisi d’assurer seul la fabrication de ses futurs sous-marins nucléaires, il a annoncé en 2005 son intention de renouveler son stock de vecteurs et devrait à nouveau se tourner vers les missiles Trident américains. Ces missiles devraient emporter des têtes nucléaires dont il semble que la conception et la fabrication soient assurées par les Britanniques, avec toutefois un très grand rôle d’expertise des laboratoires et industries américains.

Contrairement au Royaume-Uni, l’ensemble des éléments de l’outil de dissuasion nucléaire de la France sont de conception et de fabrication françaises. Il faut certainement redouter l’imbrication avec les Britanniques, qui ont une stratégie de doubles clés avec les États-Unis. On ne peut pas faire le pari d’un relâchement des liens entre la Grande Bretagne et les États-Unis.

Ma critique la plus vigoureuse de ces recherches communes porte sur leur motivation.

Je ne suis pas pour un retour aux essais nucléaires, je vous rassure. Le problème est que cette coopération a pour objectif de moderniser et de renforcer notre arsenal nucléaire, non de garantir sa crédibilité. En cela, le Gouvernement interprète très largement le principe de stricte suffisance, l’un des fondements de la doctrine militaire française.

La France ne se conforme pas non plus à l’un des engagements fondamentaux du traité de non-prolifération nucléaire, qui est de ne pas procéder à la recherche de nouveaux systèmes d’armes.

Je le dis et le répète, il faut une dynamique mondiale en faveur de l’abolition des armes nucléaires. Au lieu d’une course à l’armement et à la défense loin de l’objectif de paix, il faut réduire encore le stock de nos arsenaux, faire plus d’efforts diplomatiques afin d’arriver à la réduction multilatérale, mondiale, progressive et contrôlée des arsenaux. Tout l’enjeu est en effet de mettre un terme à la prolifération des armes nucléaires.

La France a ratifié le traité de non-prolifération nucléaire, mais elle le viole régulièrement, comme quand le Président de la République inaugure les armes nucléaires miniatures de demain : les lasers mégajoule.

Le nucléaire est une arme obsolète, désuète et inadaptée à la réalité des conflits modernes. En poursuivant dans la voie d’armes toujours plus sophistiquées, la France et la Grande-Bretagne tournent le dos à cette aspiration majoritaire des peuples de résoudre autrement que par la guerre et par la force les problèmes du monde.

Sans avoir la moindre amitié pour le tyran Kadhafi, que je n’ai jamais accueilli et que je n’accueillerai jamais dans mon jardin, soyez-en sûr, monsieur Teissier (Sourires), je ne peux que déplorer les innombrables victimes des bombardements de l’OTAN en Libye. Les bombardements d’hôpitaux et de bâtiments abritant des médias sont-ils autorisés par la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ? Je ne le pense pas.

M. Philippe Folliot. Hors sujet !

M. Jean-Jacques Candelier. C’est dramatique : notre intégration totale dans le commandement de l’OTAN nous fait perdre toute autonomie stratégique et nous coûte cher.

C’est une catastrophe : ces accords franco-britanniques se situent dans la continuité des revirements et des contradictions du Président de la République en matière de défense.

Certains parleront de pragmatisme. J’ai plutôt tendance à penser qu’il manque une vision claire et cohérente pour notre défense nationale. Les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de Gauche ne voteront pas ce texte.

M. Christian Ménard. Oh !

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le Sénat, c’est au tour de notre Assemblée d’autoriser la ratification du traité relatif aux installations radiographiques et hydrographiques communes, signé par le Royaume-Uni et la France à l’occasion du sommet de Londres, le 2 novembre 2010.

Au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, je tiens à saluer ce nouveau jalon dans la coopération entre nos deux pays, cette nouvelle étape qui ne se fait en aucun cas à rebours de la construction de l’Europe de la défense.

Après quelques considérations d’ordre général sur la coopération renouvelée entre nos pays, je souhaiterais mettre l’accent sur les enjeux à court et à long terme du traité que nous examinons aujourd’hui.

Concernant la relance de la coopération de défense franco-britannique, douze ans après la rencontre de Saint-Malo, le sommet de Londres marque une étape cruciale dans la coopération entre nos deux pays. Ce rapprochement sans précédent des armées et des industries de défense, qui s’est traduit par la signature à Londres d’un traité bilatéral de coopération en matière de défense et de sécurité, poursuit trois objectifs : une coopération opérationnelle, une coopération capacitaire et une coopération technologique.

Le traité que nous examinons aujourd’hui est un premier développement important de cette nouvelle coopération. Il doit à ce titre être reconnu comme un élément majeur. En effet, pour la première fois, un traité fait entrer le nucléaire dans le champ de la coopération bilatérale en initiant une série de projets concrets dans le secteur industriel ainsi que dans les domaines de la recherche et la technologie. La coopération entre nos deux pays s’en trouve plus que jamais renforcée.

De façon pragmatique, la coopération dans le domaine opérationnel permet d’envisager le déploiement à partir de 2020d’une force aéronavale de projection intégrée commune. La coopération dans le domaine capacitaire prévoit le développement en commun des équipements et des technologies pour la prochaine génération de sous-marins, à l’exclusion des cœurs nucléaires et des lanceurs, le lancement d’une phase concurrentielle des drones MALE – moyenne altitude et longue distance –, des missiles et des systèmes anti-mines pour le développement éventuel de nouveaux équipements.

Qu’il me soit permis, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés, de rendre hommage au savoir-faire de nos chercheurs, de nos ingénieurs et de nos ouvriers, qui font de notre industrie de défense une filière d’excellence en général et dans le domaine nucléaire militaire en particulier.

Le sous-marin nucléaire et le missile intercontinental, véritables concentrés de technologies, sont les objets les plus complexes que l’homme ait jamais fabriqués, bien plus qu’une navette, un avion, une centrale nucléaire, un satellite ou je ne sais quoi. Nous pouvons être fiers de maîtriser cette haute technologie. Peu de pays au monde sont dans ce cas.

Concernant plus spécifiquement la mise en commun de nos technologies dans le domaine des essais nucléaires en laboratoire, l’objectif attendu dès 2015 est capital puisqu’il s’agit de tester conjointement la performance des ogives nucléaires et la sécurité des arsenaux, dans deux installations scientifiques communes. L’une sera située à Valduc en Bourgogne et l’autre dans le centre de recherches britannique d’Aldermaston.

Au moment où les soldats britanniques et français sont engagés côte à côte dans de grandes opérations extérieures et où ont lieu de grands bouleversements géopolitiques, il est important d’accorder nos moyens de recherche en matière de défense à la hauteur de nos responsabilités et de nos engagements communs.

Les économies que nous tirerons de la coopération et de la mutualisation sont de l’ordre de 400 à 450 millions d’euros pour chacun des deux pays. Ce n’est pas négligeable à l’heure de la RGPP et des contraintes budgétaires qui pèsent plus particulièrement sur notre pays.

Concernant les enjeux à court et à plus long terme d’une coopération en matière de technologie nucléaire et de défense, le traité portant sur les installations radiographiques et hydrodynamiques communes est un texte particulièrement complexe. Pour autant, cela ne doit pas être un prétexte pour nous interdire de soulever certaines questions légitimes que sous-tend la thématique de la dissuasion nucléaire.

La question de la souveraineté et de l’indépendance en matière nucléaire ne doit pas être occultée. Notre doctrine en la matière repose sur le principe de stricte suffisance, là où nos voisins d’outre-Manche privilégient la dissuasion minimale.

Je le dis très sereinement et sans tabou : il ne faudrait pas que, même très limitée, cette mutualisation inédite des processus nucléaires nous fasse perdre ne serait-ce qu’une once d’autonomie dans ce domaine, comme je l’ai déjà indiqué en commission de la défense.

Mais la situation induite par le présent traité peut nous amener à envisager les choses différemment ; on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. En effet, les Britanniques ont fait le choix de s’engager dans une coopération bilatérale forte avec leur partenaire français, alors qu’ils auraient pu, comme par le passé, se tourner vers l’autre rive de l’Atlantique. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce progrès significatif.

Vous savez, les uns et les autres, les réserves que j’ai pu émettre lors de la réintégration du commandement militaire de l’OTAN par la France

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Hélas !

M. Philippe Folliot. Tout en restant très attentif à la mise en œuvre des stipulations du traité portant coopération en matière d’installations hydrodynamiques et radiographiques communes, je tiens à nouveau à saluer la position adoptée aujourd’hui par le Royaume-Uni, qui, contrairement à nous, n’a jamais quitté le commandement intégré de l’OTAN et a toujours été davantage tourné vers les États-Unis que vers l’Europe.

J’observe, par ailleurs, qu’un groupe de haut niveau pilotera la mise en place de la coopération bilatérale et qu’un suivi parlementaire sera assuré par un groupe de travail qui se réunira deux fois l’an, alternativement en France et au Royaume-Uni. Pour autant, disposons-nous vraiment de toutes les garanties nécessaires ? Nous savons en effet que, lorsqu’on utilise une plateforme commune, même si c’est à tour de rôle ou de façon totalement indépendante, on ne peut pas exclure certaines porosités, qu’elles aient été voulues ou non.

En conclusion, je veux redire combien le sommet de Londres a marqué un véritable tournant dans la politique extérieure du Royaume-Uni. Les Britanniques ont, pour une fois, fait le choix de l’Europe, et particulièrement de la France, en signant ce traité bilatéral de coopération. Le bilatéralisme n’est pas l’antithèse de l’Europe de la défense, au contraire. Et nous serions bien inspirés de faire de cette coopération un socle, sur lequel pourraient reposer d’autres coopérations qui nous permettraient d’avancer vers la politique européenne et de défense que nous appelons de nos vœux.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Nouveau Centre et apparentés approuvera le projet de loi autorisant la ratification de ce traité ambitieux, moderne et réaliste, en phase avec les exigences d’une politique de défense du xxie siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je suis fier de prendre la parole, ce jour, sur un texte voté à l’unanimité par nos collègues sénateurs. Le traité dont il s’agit résulte directement des accords de Londres qui ont été signés lors du 31e sommet franco-britannique et qui vont bien au-delà de ceux du sommet de Saint-Malo de 1998.

Les rapporteurs ayant décrit avec exactitude le volet technologique relatif aux installations radiographiques et hydrodynamiques, je concentrerai mon propos sur le volet politique.

Ce traité est la preuve que la défense européenne se construit chaque jour et qu’elle est une réalité. Ces accords sont un nouvel exemple de la politique de coopération engagée avec les Britanniques dans bon nombre de résolutions de crises : en Afghanistan, en Libye ou dans l’opération Atalante pour la lutte contre la piraterie en mer.

Ils interviennent dans un contexte de grave crise économique. Or, nous le savons, dans un tel contexte, les programmes d’armement et d’équipement sont souvent les premiers victimes des réductions budgétaires. En l’espèce, ces accords de défense démontrent que la crise économique peut aussi être un catalyseur, qui permet aux Européens non seulement de travailler ensemble, mais aussi de rebondir et de faire avancer la défense européenne, et nous pouvons nous en féliciter.

Ce traité, qui instaure une coopération technologique en matière de gestion des arsenaux nucléaires, permettra une meilleure garantie des capacités de dissuasion nucléaire françaises et anglaises. Cette collaboration se fera dans trois domaines précis : sûreté et sécurité des armes nucléaires, simulation pour la garantie des armes et lutte contre le terrorisme nucléaire et radiologique. Ainsi, la France et le Royaume-Uni construiront et exploiteront conjointement des installations radiographiques et hydrodynamiques dédiées à la simulation, dans le cadre du site ÉPURE, qui sera construit à Valduc en Côte-d’Or, et du centre de développement technologique, qui le sera en Grande-Bretagne.

Cette coopération franco-britannique a été facilitée par la réintégration de notre pays au sein du commandement intégré de l’OTAN. Si la France et le Royaume-Uni mutualisent leurs technologies nucléaires, leurs capacités et leur souveraineté en la matière ne devraient aucunement en être altérées. S’agissant de la dissuasion nucléaire, la France et le Royaume-Uni sont en adéquation avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Pour les deux pays, contrairement à l’Allemagne, les forces nucléaires participent pleinement à une dissuasion globale et elles sont le fondement d’un socle de défense collective. De plus, la France et le Royaume-Uni sont animés de la même volonté de réformer les structures de l’OTAN.

Ces accords mettent fin à l’idée selon laquelle l’Europe et l’OTAN seraient d’immuables concurrents. En d’autres termes, ils sont les porte-voix d’une Europe ambitieuse, efficace et active au sein de l’OTAN. La France et la Grande Bretagne créent une émulation. Les traités bilatéraux qui découlent du sommet de Londres restent ouverts : l’Italie et l’Allemagne peuvent rejoindre cette coopération, dans la mesure où le choix de leur politique nationale leur en laisse la liberté.

Nous savons que le sujet des armes nucléaires ne présente pas les mêmes enjeux dans tous les pays européens, notamment en Allemagne. Mais l’Union européenne est également riche de ses différences, l’essentiel étant de parvenir à les articuler sans qu’elles deviennent une entrave pour certains partenaires européens. Certes, l’Allemagne privilégie une défense antimissile, mais le dialogue reste ouvert.

Pour la France et le Royaume-Uni, qui sont deux puissances nucléaires, cette coopération instaure une interdépendance qui respecte la souveraineté de chacun. Il s’agit là d’une mutualisation des technologies qui n’altère pas nos capacités de dissuasion nucléaire respectives. Encore une fois, nos deux pays sont en adéquation avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Nos forces nucléaires participent pleinement à une dissuasion globale qui fonde le socle de défense collective.

Au-delà de la politique extérieure et européenne, la défense prend également une part économique importante dans le budget de chaque pays. Le partage équitable des dépenses engagées est précurseur d’une coopération juste et équilibrée. Le projet ÉPURE, qui coûtera entre 400 et 450 millions d’euros au total pendant la durée de vie de l’installation, est un vecteur d’essor économique local non négligeable pour le Royaume-Uni et la France.

En conclusion, il me paraît important de souligner que le 31e sommet franco britannique a également renforcé le rôle de la coopération parlementaire, rôle qui va au-delà du seul contrôle, car certains de nos collègues y ont été associés en amont. Nous pouvons nous réjouir de ce renouveau « bicaméral » entre nos deux pays.

Pour toutes ces raisons il me paraît important qu’à l’instar de nos collègues sénateurs, nous votions ce texte à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Cornut-Gentille.

M. François Cornut-Gentille. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission – que je ne sais plus comment qualifié, tant vous avez été couvert d’éloges flatteurs (Sourires) –, mes chers collègues, je me réjouis également du succès du dernier sommet franco-britannique, qui a effectivement débouché sur deux traités de coopération – l’un d’ordre général, l’autre plus spécifiquement consacré au nucléaire – dont nous discutons.

Ce sommet a ouvert de vastes perspectives et suscité un certain enthousiasme. Mais je n’oublie pas la déception qui a suivi l’ambitieux sommet de Saint-Malo. Aussi souhaiterais-je vous faire part des trois conditions qui me semblent devoir être réunies pour que ces traités puissent tenir toutes leurs promesses.

Premièrement – et je suis un peu perplexe sur ce point –, nous devons avoir le courage d’assumer pleinement le bilatéralisme. On voit bien, en effet, que ces traités provoquent deux types de gêne. Le premier s’exprime sur le mode de la méfiance envers les Britanniques et leur connivence avec les Américains : on craint d’être piégé, de voir l’OTAN se refermer sur nous. Le second, qu’a exprimé Patricia Adam tout à l’heure, concerne nos partenaires européens : faut-il les attendre ? De tels traités ne vont-ils pas créer des difficultés ? Je crois que ces réticences ne sont pas de mise aujourd’hui, car, en réalité, nous n’avons pas vraiment le choix. Force est de constater que, pour des raisons de connivence politique peut-être, mais aussi pour des raisons liées à la situation budgétaire et à la situation internationale, des convergences très fortes existent entre nos deux pays, qui partagent une même culture militaire, et il serait déraisonnable de laisser passer une telle occasion. Certes, il faut être attentif aux réserves émises par certains, mais si nous n’enclenchons pas définitivement une coopération avec nos voisins britanniques, nous risquons d’assister à un décrochage total de la Grande-Bretagne et de la France et, par conséquent, du pilier européen de l’OTAN.

Nous devons, sans états d’âme, exploiter au maximum les possibilités qu’offre cet accord, si minime soit-il. Dès lors, nous devons, sans avoir honte du bilatéralisme, reconnaître qu’il s’agit d’une occasion unique. Si nous ne la saisissons pas, je ne vois pas très bien ce que deviendront le pilier européen de l’OTAN et l’Europe de la défense.

Deuxièmement, il nous faut donner rapidement à cet accord le contenu le plus concret possible. Aujourd’hui, il concerne deux domaines : le nucléaire et les missiles. Il s’agit bien entendu de domaines décisifs, mais, si nous ne parvenons pas à impulser rapidement une dynamique dans d’autres domaines, l’accord restera plus diplomatique que politique. Quels sont ces domaines ? Ils sont connus. Il s’agit des drones, des avions du futur, des satellites de communication et des ravitailleurs. Sur ces sujets-là, nous aurons peut-être plus de mal à avancer que dans le secteur du nucléaire, où nous avons des économies communes à faire, ou celui des missiles, où un industriel français occupe une place importante.

Dans les autres domaines, nous devrons être imaginatifs, car il nous faudra réorienter notre organisation industrielle. De même, si nous voulons aller plus loin dans la mutualisation des forces, dans le partage, dans les complémentarités, nous ne pourrons pas nous contenter de l’existant : nous devrons bousculer un certain nombre de structures. C’est tout l’intérêt de l’accord que de permettre d’aller plus loin dans ces domaines – c’est possible, mais cela reste à faire.

La troisième orientation qui me paraît importante pour faire vivre pleinement cet accord est de faire en sorte d’assurer un suivi politique très fort. De nombreux groupes de travail, composés de personnalités très compétentes, ont été mis en place. Cependant, ce ne sont pas ces groupes qui feront des propositions novatrices en matière industrielle ou d’utilisation des forces : les propositions ne peuvent provenir que d’une commande politique.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. François Cornut-Gentille. Le suivi politique du Gouvernement, initié par le président Teissier, est absolument indispensable pour que les accords jouent pleinement leur rôle en suscitant des propositions innovantes de nature à faire bouger les frontières, à bousculer les habitudes industrielles et militaires.

Sous les trois conditions que j’ai indiquées, nous pourrons sans doute faire repartir l’Europe de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Guilloteau.

M. Christophe Guilloteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, signé à l’occasion du sommet franco-britannique de novembre dernier, le traité relatif au partage d’installations radiographiques et hydrodynamiques constitue une preuve tangible de la solidité du partenariat franco-britannique.

Ce partenariat, qui plonge ses racines dans le xixe siècle et qui a fait la preuve de sa solidité au cours des deux guerres mondiales, s’inscrit aujourd’hui dans une perspective renouvelée, celle de l’Europe de la défense.

Déjà lors du sommet de Saint-Malo de 1998, la France et le Royaume-Uni avaient clairement affirmé leur volonté de contribuer à la défense commune européenne. Loin de porter atteinte à la construction difficile de l’Europe de la défense, le rapprochement des deux nations qui possèdent les capacités militaires les plus importantes en Europe ne peut aujourd’hui que la renforcer.

En Europe, seuls la France et le Royaume-Uni pouvaient s’impliquer dans une coopération d’une telle envergure. Nos deux États représentent en effet à eux seuls près de la moitié de l’effort européen de défense et près de 70 % des investissements en recherche et développement. Seuls États dotés de l’arme nucléaire en Europe, la France et le Royaume-Uni possèdent des capacités militaires nucléaires suffisamment proches pour qu’une coopération dans ce domaine ait du sens.

En effet, ces deux pays disposent tous deux d’une composante océanique de dissuasion nucléaire et des savoir-faire concernant la conception et la construction des têtes nucléaires – ce qui leur permettra peut-être, un jour, de concevoir en commun un sous-marin et un porte-avions. Certes, le Royaume-Uni achète sur étagère aux États-Unis les missiles Trident II D5 qui équipent ses sous-marins nucléaires, mais ces sous-marins, ainsi que la charge contenue dans la tête nucléaire des missiles, sont conçus et fabriqués au Royaume-Uni. Ce pays est donc pour la France un partenaire souverain.

Enfin, cette coopération apparaît d’autant plus pertinente que des programmes hydrodynamiques voisins suivant un calendrier très proche étaient déjà en cours dans nos deux pays avant la conclusion du traité. Le financement commun des installations permettra par ailleurs à nos deux pays de faire chacun 450 millions d’euros d’économies.

Par la signature de ce traité, la France s’affirme donc comme un partenaire incontournable pour le Royaume-Uni en Europe. En effet, si les États-Unis restent le partenaire principal du Royaume-Uni en matière de défense, le Livre vert de 2010, qui présente les grandes orientations de défense du Royaume-Uni, attribue à la France le rôle de partenaire principal de ce pays au niveau européen. La France et le Royaume-Uni sont d’ailleurs engagés dans un partenariat étoffé qui va bien au-delà du traité relatif au partage d’installations de simulation d’explosions nucléaires.

Sur le plan opérationnel, de nombreux groupes de travail et structures communes ont été créés depuis les années 1990. Ils permettent un dialogue et des exercices communs entre nos armées dans les domaines naval, aérien et terrestre. Ainsi, l’exercice Flandres, qui aura lieu en juin 2011, permettra de renforcer l’interopérabilité de nos forces.

Des rapprochements ont également eu lieu dans le domaine industriel, avec notamment la constitution en 2001 du groupe MBDA, composé de Matra et d’Aérospatiale, dirigé par Antoine Bouvier, et dont les installations sont mi-françaises, mi-britanniques.

Enfin, de nombreux accords ont été signés à l’occasion du sommet franco-britannique de novembre. Ils permettront l’instauration d’une force expéditionnaire commune interarmées, la création d’une force aéronavale d’attaque intégrée avec deux porte-avions à catapulte, ou encore le développement de formations communes, par exemple pour le futur avion A400M. Ils portent également sur l’étude et le développement en commun des futures générations de sous-marins nucléaires, de satellites de communication militaire, de drones MALE et de missiles.

Apporter son soutien et son vote à la ratification du traité relatif au partage d’installations radiographiques et hydrodynamiques, c’est apporter son soutien à un rapprochement entre deux nations dont les intérêts en matière de défense sont proches et dont la collaboration ne peut que renforcer l’Europe de la défense que nous appelons de nos vœux. C’est pourquoi le groupe UMP se prononce en faveur de la ratification de ce traité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, dernier orateur inscrit.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui est un sujet profondément régalien. Il touche à l’indépendance de la nation française, puisque la dissuasion vise à défendre les intérêts vitaux et ultimes de la nation, donc du peuple français souverain.

Il me paraît utile de rappeler que l’accord ne concerne ni le nombre de têtes, ni leur furtivité éventuelle, ni des opérations d’explosions nucléaires désormais révolues, mais bien une collaboration technologique aujourd’hui nécessaire pour nous permettre de continuer à disposer d’une dissuasion crédible.

En dépit des discours entendus, le gaulliste que je suis considère qu’il est des choses qui ne se partagent pas, qui relèvent de l’intérêt vital de la Nation et sont du ressort ultime du chef de l’État, seul habilité à déclencher éventuellement le feu nucléaire. Nous sommes aujourd’hui arrivés au seuil de stricte suffisance, car nous pouvons descendre sous le seuil de 300 têtes sans risquer de mettre en danger notre dissuasion.

Au moment où certains envisagent de supprimer la composante aéroportée, il faut insister sur la nécessité d’une double composante, aéroportée et sous-marine. La souplesse d’emploi, qui concerne aussi le groupe aéronaval, donne au chef de l’État une puissance qui permet d’assurer à la France sa place dans le concert des nations.

Si la dissuasion concerne aujourd’hui l’ensemble de nos compatriotes, c’est aussi parce qu’elle suscite un flux de trois milliards d’euros par an et fournit, en comptant les sous-traitants, de l’activité à plus de 800 entreprises. Le niveau de vie des Français, leur indépendance, relèvent directement de la défense, donc de la dissuasion nucléaire.

En ce qui concerne la collaboration franco-britannique, je ne crois pas, pour des raisons que j’ai exposées précédemment, au partage des patrouilles ni au partage de la dissuasion – une dissuasion qui est cependant au service de l’indépendance, de la paix et de la sécurité européennes.

Comme l’a dit notre collègue Cornut-Gentille, des préoccupations subsistent pour l’avenir. Je pense à la question des ravitailleurs en vol ou encore à l’interaction militaire et politique avec la question des défenses anti-missiles balistiques. À cet égard, je souhaite que nous prêtions une oreille plus attentive aux propositions du président de la Fédération de Russie, car je pense que la sécurité commune sur le continent européen concernera ultimement ce grand pays et ce grand peuple.

M. François Cornut-Gentille. Tout à fait !

M. Nicolas Dhuicq. Nous ne pourrons pas construire une sécurité européenne si nous ne partageons pas avec la Fédération de Russie quelques éléments de réflexion.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur. Très juste !

M. Nicolas Dhuicq. C’est pourquoi nous devons prendre garde à ne pas prêter une oreille trop attentive aux sirènes d’outre-Atlantique qui voudraient nous imposer une vision hégémonique du monde : en élevant le plus haut possible le niveau technologique des armements, les États-Unis d’Amérique – certes un grand pays et un grand peuple – se présentent quelquefois comme les seuls fondés à posséder l’arme souveraine et politique majeure, à savoir la dissuasion, associée à des armes de haute technologie.

Il me paraissait nécessaire de faire ces quelques réserves et rappels relatifs à la dissuasion et à l’indépendance nationale et la souveraineté qu’elle permet de garantir. Cela étant, nous, gaullistes, voterons ce texte en restant vigilants sur l’effort budgétaire que la Nation doit accomplir afin de doter sa défense des outils que j’ai cités, notamment les ravitailleurs en vol, qui lui permettront d’assurer la permanence de la double composante de notre dissuasion.

Pour conclure, je dirai qu’un certain 18 juin a effacé celui de 1815. Vive l’Entente cordiale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes. Par respect envers les orateurs qui se sont exprimés, je veux répondre, ne serait-ce que brièvement, à leurs interventions.

Je remercie M. Boucheron pour la qualité de son intervention et lui dire que la poursuite du renforcement de l’Europe de la défense passe notamment par la relance du triangle de Weimar. Ce ne sera pas forcément facile, mais nous sommes relativement confiants quant à la possibilité d’enclencher une dynamique d’entraînement à partir de cette première étape. C’est, en tout cas, dans cet esprit que s’exerce l’action diplomatique de la France.

M. Joulaud a souligné, à juste titre, le triple intérêt de ce traité : une coopération concrète, une économie de 500 millions d’euros et un approfondissement de nos relations avec le Royaume-Uni, puisque le traité a une durée de cinquante ans – à ce sujet, M. Guilloteau a fort bien rappelé que le traité constitue une illustration de la force de la relation franco-britannique.

Je veux dire à Mme Adam et à M. Candelier que le but de l’accord franco-britannique est précisément d’ancrer l’approche britannique du côté de la logique de l’Europe de la défense, en amenant les Britanniques à participer à des travaux de coopération concrète – c’est dans cette optique que s’inscrit actuellement notre approche diplomatique. En tout état de cause, je remercie le groupe SRC de son soutien à la ratification du traité.

Pour ce qui est du partenariat privilégié entre les États-Unis et le Royaume-Uni, monsieur Candelier, de nombreuses revues et analyses de la politique de défense britannique ont souligné à quel point la France était le partenaire majeur du Royaume-Uni. Sur ce point, on assiste actuellement à une évolution qui, à nos yeux, va dans le bon sens.

Je remercie M. Folliot d’avoir souligné les enjeux budgétaires de la coopération et la double dimension de l’indépendance, à la fois politique et technique. C’est effectivement ce qui fait la force de cet accord, conçu très précisément de ce point de vue.

Comme l’a dit Jacques Remiller, l’un des principaux apports du traité est de garantir la pérennité du dispositif de dissuasion, notamment en ce qui concerne les tests virtuels. Je me réjouis également du rapprochement parlementaire franco-britannique, composante essentielle de notre relation avec le Royaume-Uni, qui repose sur des parlementaires engagés tels que vous.

Pour ce qui est de l’intervention de M. Cornut-Gentille, nous avons effectivement la volonté de voir cet accord continuer à produire ses effets dans l’avenir. La réussite de l’accord se mesurera bien à la coopération concrète qui en résultera.

Pour nous, la clause d’évaluation a bien pour but, en vue du prochain sommet franco-britannique, de procéder à des évaluations très précises et concrètes.

Je terminerai avec l’intervention de M. Dhuicq. Je le remercie du soutien du groupe gaulliste, très clairement exprimé. J’en apprécie tout le prix. Soyez sûr, monsieur le député, que la France tient à maintenir son effort de défense là où plusieurs de nos partenaires baissent la garde. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un accord comme celui-ci, qui préserve la souveraineté nationale tout en s’inscrivant dans une logique de coopération avec l’un de nos partenaires historiques en la matière.

Vote sur l’article unique

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain à quinze heures :

Questions au Gouvernement :

Vote solennel sur la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence en faveur des villes et des quartiers ;

Discussion de la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence et d’application immédiate en faveur du logement ;

Débat sur la mise en œuvre des décisions du conseil interministériel de l’outre-mer ;

Débat sur la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)