L’histoire
parlementaire se focalise souvent sur les comptes rendus de
séance, qui permettent de revivre les grands débats parlementaires
de notre République. Or, ces discussions n’ont été possibles qu’à
l’issue d’un long processus, grâce à l’action patiente et
déterminée de nos prédécesseurs qui, comme les députés
d’aujourd’hui, déposaient des propositions de loi, travaillaient
en commission, publiaient des rapports parlementaires solidement
argumentés. S’il est normal d’honorer les grands tribuns de notre
histoire, il est juste aussi de saluer la mémoire de ces députés
convaincus et persévérants qui, se saisissant des moyens et des
pouvoirs mis à leur disposition, contribuèrent à faire évoluer les
mentalités. ;;
De ce point de vue,
le droit des femmes dans notre pays a d’abord progressé par la
volonté de quelques solitaires tenaces. On sait que la France a
tardé à reconnaître le droit de vote aux femmes, puisque c’est une
ordonnance du 21 avril 1944 qui rend les Françaises « électrices
et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». On sait
moins que cette ordonnance est l’aboutissement d’un long combat
qui débute au Palais-Bourbon dans les premières années du XXe
siècle.
Le 15 mars 1909
s’éteint Paul Dussaussoy, député « républicain libéral » du
Pas-de-Calais, qui trois ans plus tôt a déposé la première
proposition de loi tendant à reconnaître le droit de vote aux
femmes, en commençant par les élections locales. Ses collègues du
« Groupe pour la défense des droits des femmes » prennent la
relève et, le 16 juillet 1909, la Commission du suffrage universel
dépose le rapport de Ferdinand Buisson, favorable à la réforme.
Député radical de la
Seine, grand pédagogue, Ferdinand Buisson compte parmi les
fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme. Pacifiste, il
recevra le prix Nobel de la Paix en 1927. Pour lui, les droits de
l’Homme s’entendent aussi bien au féminin qu’au masculin, ce sont
les droits de l’humanité entière qui s’appliquent de manière égale
aux deux sexes. Son rapport sur le suffrage des femmes, adopté en
1909 et publié après les législatives de 1910, témoigne de cette
conception large de la démocratie.
« Au fond, peut-on
s’y tromper ? Ce qui est en jeu, c’est la participation de la
femme à la vie de la nation », écrit-il. « Une fois qu’on est
résolu à accorder l’essentiel, il ne faut ni ruser ni biaiser, il
faut renoncer à semer la route de petites barricades destinées à
être enlevées l’une après l’autre. Mieux vaut faire large
confiance aux nouvelles recrues du suffrage universel, aider
loyalement à leur éducation politique, les faire contribuer le
plus et le plus tôt possible au service de la République,
c’est-à-dire au bien de la nation. »
Dans la réalité, la
réforme préconisée par Ferdinand Buisson va rencontrer des
obstacles nombreux. Il faudra dix ans – et tous les efforts
accomplis par les Françaises pendant la Grande Guerre – pour que
la proposition approuvée par le rapport Buisson soit votée par les
députés, le 20 mai 1919. Il faudra encore vingt-cinq ans, une
Seconde Guerre mondiale et la part prise par les femmes dans la
Résistance pour que cette proposition, si longtemps différée puis
repoussée par le Sénat, prenne la forme de l’ordonnance signée par
le général de Gaulle en 1944.
La question des
droits des femmes ne se limite pas, tant s’en faut, au droit de
vote : au cours des dernières décennies, l’Assemblée nationale
dans laquelle la féminisation progresse a œuvré
en faveur de
l’égalité professionnelle et de la parité. Ce combat n’est pas
fini, car la lutte contre les discriminations se mène au quotidien
: notre Délégation aux droits des femmes, qui fête son dixième
anniversaire, le sait d’expérience.
Dans cette longue
conquête, le rapport Buisson a marqué un jalon important. Œuvre
d’un honnête homme qui réfute les préjugés de son temps parce
qu’il veut changer la société, il méritait cette réédition.
Bernard Accoyer
Président de l'Assemblée nationale
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