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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 171

Réunion du mercredi 10 mai 2006 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communication de Mme Anne-Marie Comparini sur la proposition révisée de la Commission sur la libéralisation des services (E 2520)

Le Président Pierre Lequiller a souligné en introduction que la Délégation assurait un suivi attentif des travaux sur la proposition de directive relative aux services. Il a notamment rappelé que ce suivi a été mené en associant les membres du Parlement européen aux travaux de la Délégation. Ainsi, la rapporteure de la Délégation, Mme Anne-Marie Comparini, a rencontré, dans le cadre de la préparation de son rapport, plusieurs parlementaires européens, en particulier Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure du Parlement européen. La Délégation a ensuite tenu deux réunions, l'une à l'Assemblée nationale et l'autre à Bruxelles, avec les parlementaires européens.

Cette démarche a été exemplaire. Le Président Pierre Lequiller a proposé de l'adopter de manière plus systématique, en demandant le plus souvent possible aux parlementaires européens ayant travaillé sur un texte d'être auditionnés et de prendre part aux réunions de la Délégation.

Puis le Président Pierre Lequiller a informé la Délégation qu'au cours de la Réunion interparlementaire sur le futur de l'Europe qui a eu lieu les 8 et 9 mai 2006 à Bruxelles, le Président José Manuel Barroso a annoncé que la Commission transmettrait désormais tous les projets de textes communautaires directement aux parlements nationaux. Ainsi, le respect du principe de subsidiarité va pouvoir être pleinement assuré, indépendamment du processus de ratification du traité constitutionnel. Il sera possible pour la Délégation d'envoyer directement ses avis et remarques à la Commission, et non plus seulement au gouvernement français.

Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a indiqué que la Commission européenne, après le Conseil européen de la mi-mars, a présenté le 4 avril un texte révisé sur la libéralisation des services qui reprend 95 % des modifications introduites par le Parlement européen. La Commission a notamment repris la rédaction qui assure que toutes les questions liées au droit du travail seront exclues de la future directive. Elle a également repris la bonne articulation des directives horizontales et verticales avec le projet, et le traitement particulier réservé aux « services d'intérêt économique général » (SIEG).

En revanche, la Commission n'a pas intégré, dans son nouveau texte, trois éléments qui résultaient du vote du Parlement européen : l'exclusion des notaires du champ d'application, la définition des services sociaux qui résultait de l'amendement n° 252, et les pistes évoquées par le Parlement européen comme par les Parlements nationaux en matière de régimes d'autorisation.

Le 13 avril, lors du Comité interministériel sur l'Europe, le Premier ministre Dominique de Villepin s'est félicité de ce que la proposition révisée de la Commission reprenne largement le texte adopté par le Parlement européen le 16 février. Il a toutefois indiqué que le gouvernement français demanderait, conformément au texte voté par le Parlement européen, la prise en compte des trois éléments précités.

Le 4 mai 2006, la commission des affaires économiques du Sénat a auditionné Mme Evelyne Gebhardt. A cette occasion, celle-ci s'est également félicitée de ce que la Commission ait introduit l'essentiel des propositions du Parlement européen. Mais elle s'est interrogée sur la définition des « professions juridiques réglementées ». Elle a indiqué qu'elle estimait regrettable la rédaction « un peu divergente » de l'alinéa relatif à l'exclusion des services sociaux du champ de la directive. Elle a jugé indispensable de revenir au texte du Parlement européen sur ces deux sujets.

Si, sur tous ces points, une concordance de vues apparaît entre les Etats, il restera cependant un problème : les négociations au Conseil se heurtent aujourd'hui à une sorte de minorité de blocage réunissant nombre de Nouveaux Etats membres, dont la Pologne. A Bruxelles lors de la Réunion interparlementaire, la vice-présidente estonienne a fait remarquer qu'il est plus facile pour une entreprise de services de s'installer en Russie que dans l'Union européenne. Il est manifeste que, pour ces Etats membres, l'Union européenne est avant tout un marché, ce qui n'est pas la conception qu'en a la France. Pour autant, il ne faut pas négliger la position de ces pays et leur opposition au rétablissement des amendements du Parlement européen sur les trois points précités. Il faut espérer que l'Allemagne et la France pourront travailler ensemble pour faire passer des messages efficaces, notamment en direction de la Pologne, afin d'empêcher ce groupe de former effectivement une minorité de blocage.

La prochaine étape sera l'examen du texte de la Commission par le Conseil, prévu pour le 29 mai prochain, et qui se poursuivra éventuellement le 29 juin. Ces réunions du Conseil risquent d'être difficiles.

Les trois points qui demeurent en suspens sont les suivants :

- l'intégration des notaires pour leur mission de conseil dans le champ d'application, les notaires ayant toutes raisons de craindre qu'elle ne soit effectuée si la France ne parvient pas à obtenir le retour au texte de l'amendement n° 81 du Parlement européen ;

- la définition des services sociaux à exclure du champ d'application, car l'amendement n° 252 visait à exclure « les services sociaux tels que les services de logement social, les services de garde d'enfants et les services familiaux », tandis que la proposition révisée de la Commission n'exclut que « les services sociaux relatifs aux logements sociaux, à la garde d'enfants et à l'aide aux familles et aux personnes dans le besoin » ;

- l'article 9, alinéa 2, avait été supprimé par le Parlement européen mais la Commission n'a pas retenu cette suppression, qui concerne le problème de la justification, par les Etats membres, de leurs régimes d'autorisation.

Pour l'instant, outre la Pologne, les autres Nouveaux Etats membres d'Europe de l'Est sont très réticents à adhérer au texte du Parlement européen.

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité de ce que le Parlement européen ait obtenu la suppression du principe du pays d'origine. Certes, la négociation finale suscite encore des craintes, mais le gouvernement français va soutenir ces demandes qui s'appuient sur le vote du Parlement européen. La position très raisonnable de celui-ci a été dégagée grâce à une majorité basée sur les deux principales formations politiques.

M. Jacques Floch a souligné que c'est néanmoins au Conseil qu'il appartient maintenant de se prononcer.

M. François Guillaume a souligné la difficulté qu'il y a à faire le tri en ce qui concerne le champ d'application de la directive. S'il est évident que le logement social doit en être exclu, faut-il soustraire à la concurrence les avocats et les notaires ? Les professions libérales doivent, elles aussi, s'intégrer dans une Union européenne où s'applique la libre prestation de services. Leur discours va d'ailleurs constamment dans ce sens.

M. Jacques Floch a fait observer qu'il y a un certain nombre de pays dans lesquels la fonction de notaire n'existe pas, et que dans les Etats d'Europe de l'Est cette fonction a été étatisée et se trouve donc exercée par des fonctionnaires. Aujourd'hui la fonction de notaire existe dans 19 pays sur 25. Le Conseil des notariats de l'Union européenne, qui a tenu son congrès à Rome en novembre 2005, les rassemble.

Les craintes des notaires sont dûes au fait que la Commission avait annoncé que la fonction de notaire rentrerait dans le droit commun, contrairement au système actuel des charges, pour que n'importe quel avocat ou agent immobilier puisse établir des actes notariés. C'est par exemple le cas en Russie, et cela pose de graves problèmes. En France, les collectivités locales ont bien tenté il y a quelques années d'élaborer des actes administratifs en se passant des notaires, mais elles ont rapidement eu de nouveau recours à leurs services. Les notaires pourraient sans doute consentir à quelques efforts, mais il faudra en tout état de cause distinguer entre leur fonction d'officier ministériel et leur fonction de conseil.

Même si les notaires ont souvent une vision trop patrimoniale, en particulier lorsqu'ils siègent en tant qu'élus dans une collectivité locale, M. René André a fait valoir que, remarquablement bien organisés, ils se battent mieux que les avocats au sein de l'Union européenne en faveur de l'application du droit germanique et du droit romain pour contrer l'influence du droit anglo-saxon. Il convient de noter que le terme « notaire » recouvre des notions très différentes selon les pays. M. René André a apporté une rectification aux propos de M. Jacques Floch, en indiquant qu'en Russie les avocats ne peuvent pas rédiger des actes authentiques. S'agissant des avocats, il a souligné que l'objectif doit être de leur permettre d'exercer leur activité dans toute l'Union européenne.

M. Daniel Garrigue a rappelé combien le compromis du Parlement européen sur la directive « services » est important. Il a rappelé que la France et le Président de la République avaient pris des positions très fortes sur le sujet.

Le Président Pierre Lequiller et M. Daniel Garrigue ont salué tout particulièrement le remarquable travail de fond réalisé par les membres français du Parlement européen, notamment M. Jacques Toubon.

M. Daniel Garrigue a attiré l'attention sur un point soulevé lors de l'audition de Mme Evelyne Gebhardt au Sénat : la Commission avait l'intention de publier une « communication interprétative (...) dans un sens plus restrictif » sur la directive de 1996 relative au détachement des travailleurs. Que faut-il en penser, notamment par rapport à l'affaire des travailleurs lettons sur le chantier de Vaxholm ? Y a-t-il là une remise en cause de la directive de 1996 ?

Enfin, M. Daniel Garrigue a constaté que les positions excessives, voire extrémistes, qui ont été exprimées en France au sujet de la directive sur les services ont empêché un dialogue serein avec les Nouveaux Etats membres. Il faut corriger ce type de relation, car la France a de ce fait une image assez déplorable en Europe centrale et orientale. Il est légitime de défendre les préoccupations nationales, mais pas d'une manière aussi désastreuse.

En réponse, Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a indiqué, s'agissant des « professions juridiques règlementées », que la proposition initiale du commissaire Bolkestein les excluait de son champ, ce qui a amené la Délégation, comme Mme Evelyne Gebhardt, à s'interroger sur la définition exacte de cette notion. Toutes deux ont relevé que l'on ne retrouve pas dans les vingt-cinq pays les mêmes fonctions d'avoué, d'avocat ou de notaire. La demande du gouvernement français, qui rejoint celle du Parlement européen, est que tous les professionnels qui détiennent une parcelle d'autorité publique, de souveraineté, doivent être inclus dans la notion de « professions juridiques réglementées », y compris les notaires. S'agissant des avocats, il ne faut pas oublier qu'ils sont d'ores et déjà régis par une directive transversale qui leur est propre. Les avocats des différents pays sont ainsi amenés à travailler pour une harmonisation de leurs professions, et il convient de saluer de tels efforts. Il ne s'agit pas de « sauver » telle ou telle fonction mais de se rapprocher sur la base d'un dénominateur commun.

S'agissant du détachement des travailleurs, le Parlement européen, dans son texte voté le 16 février, a bien indiqué que la directive n'affectera en rien le droit du travail. La directive de 1996 ne se trouve pas atteinte par les dispositions de ce texte. Face à l'intention de la Commission de rédiger une déclaration interprétative de la directive sur le détachement, Mme Evelyne Gebhardt a estimé au Sénat que la rédaction adoptée par le Parlement européen sur la directive « services »était suffisamment claire pour rassurer pleinement sur le maintien de la directive de 1996.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (COM(2006) 160 final), présentée par la Commission européenne le 4 avril 2006,

Recommande au Gouvernement français d'apporter son soutien à la proposition modifiée de la Commission tout en demandant qu'y soient apportées les modifications nécessaires pour revenir au texte voté par le Parlement européen le 16 février 2006 en ce qui concerne l'exclusion des professions juridiques règlementées et des services sociaux du champ d'application, et la rédaction de l'article 9 de la proposition relatif aux régimes d'autorisation. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les quatre textes suivants :

Point A

¬ Commerce extérieur

- rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le secteur du lin et du chanvre. Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1673/2000 en ce qui concerne l'aide à la transformation du lin et du chanvre destinés à la production de fibres ainsi que le règlement (CE) n° 1782/2003 en ce qui concerne l'éligibilité du chanvre au régime de paiement unique (document E 3120) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la Malaisie. Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en œuvre de l'accord conclu par la CE à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et complétant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (document E 3121) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et le territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et Matsu. Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en œuvre de l'accord conclu par la Communauté européenne à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et modifiant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (document E 3122).

¬ Questions budgétaires et fiscales

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes pour la fourniture d'informations de base sur les parités de pouvoir d'achat et pour leur calcul et diffusion (document E 3107).

Point B

¬ Commerce extérieur

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2505/96 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits agricoles et industriels (document E 3135).

¬ Education

- proposition de décision du Conseil relative à la signature de l'accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis d'Amérique renouvelant le programme de coopération dans le domaine de l'enseignement supérieur et de l'enseignement et de la formation professionnels. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis d'Amérique renouvelant le programme de coopération dans le domaine de l'enseignement supérieur et de l'enseignement et de la formation professionnels (document E 3138).

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a approuvé ces deux textes.

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« ROME II ») (document E 2347).

M. Jacques Floch, rapporteur, a précisé que cette proposition de règlement a pour objet d'harmoniser les règles de conflit de lois des Etats membres en matière d'obligations non contractuelles. Son champ d'application porte sur les obligations non contractuelles, et exclut notamment les litiges en matière fiscale, douanière et administrative, et de droit de la famille. La règle générale prévue pour les obligations non contractuelles dérivant d'un délit est que la loi applicable est la loi du pays où le dommage direct s'est produit ou risque de se produire (lex loci commisi delicti). Si les deux parties résident dans un même pays, c'est cependant la loi de ce pays qui s'applique. Le juge peut décider, par ailleurs, qu'une loi d'un autre pays a des liens plus étroits avec l'obligation concernée.

M. Jacques Floch a souligné que ce texte, sur lequel le Conseil « Justice et affaires intérieures » est parvenu à un accord politique les 27 et 28 avril derniers, représente un progrès important pour l'espace judiciaire européen en matière civile.

La Délégation a approuvé cette proposition.

¬ PESC et relations extérieures

- proposition de position commune du Conseil modifiant la position 2006/276/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de certains fonctionnaires de Biélorussie (document E 3139).

Le Président Pierre Lequiller, rapporteur, a indiqué qu'à la suite des fraudes électorales massives lors des élections présidentielles du 19 mars 2006, accompagnées d'une répression à l'encontre de la société civile et de l'opposition démocratique, condamnées par le Conseil de l'Europe et l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, le Conseil avait adopté, le 10 avril 2006, une position commune pour interdire l'entrée ou le passage en transit sur le territoire de l'Union européenne au président Lukachenko et à certains dirigeants et fonctionnaires de Biélorussie.

Le Conseil a, en outre, décidé d'étendre les sanctions au gel des avoirs et des ressources économiques de certains fonctionnaires et proches du régime du président Lukachenko et d'adopter à cet effet une nouvelle position commune modifiant la précédente. Un acte communautaire mettra en application le texte qui doit être adopté par le Conseil le 15 mai prochain.

M. René André a souhaité attirer l'attention de la Délégation sur plusieurs points.

Il y a eu des fraudes incontestables lors des élections, mais tous les observateurs ont reconnu que, même sans fraudes, le Président Lukachenko aurait été élu par une majorité d'électeurs. Dans la mesure où il est soutenu par une population sans doute non avertie, toute mesure visant à l'ostraciser ne va pas nécessairement dans le bon sens.

Le libre-échange n'est pas non plus la loi de tous. Certains pays estiment qu'une transition vers le libéralisme peut se faire petit à petit. « La révolution du jean » en Biélorussie, soutenue par un certain nombre d'ONG américaines, ne correspond pas à la volonté de toute la population et il pourrait être dangereux à cet égard d'emboîter le pas des Etats-Unis.

M. René André a déclaré approuver ce texte à la condition que l'Union européenne n'ostracise pas le peuple et qu'elle travaille avec la société civile, les ONG et les milieux économiques. Tout est une question de nuance et cette position, loin de marquer une quelconque approbation de ce régime, est partagée par les Polonais et les Lituaniens.

Le Président Pierre Lequiller a déclaré que l'Union européenne avait adopté cette position à l'égard de tous les pays qui s'étaient trouvés dans cette situation. Il faut sanctionner les régimes qui violent les droits de l'homme mais sans jamais se couper des peuples.

La Délégation a approuvé ce texte.

- proposition de décision du Conseil concernant la signature, au nom de la Communauté européenne, de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres et la République d'Albanie. Proposition de décision du Conseil et de la Commission concernant la conclusion de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République d'Albanie, d'autre part (document E 3116) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord intérimaire concernant le commerce et les mesures d'accompagnement entre la Communauté européenne, d'une part, et la République d'Albanie, d'autre part (document E 3117) ;

M. René André, rapporteur, a souligné que pour apprécier le pas historique que représentait cet accord pour la coopération entre l'Albanie et l'Union européenne, il fallait se rappeler d'où venait ce pays. Après la mort du dictateur Enver Hoxha et le régime un peu moins dur de Ramiz Alia, l'avènement de Sali Berisha après les élections de 1992 a suscité dans la population l'espoir fou que les Etats-Unis allaient débarquer en masse en Albanie pour la sauver. Vouloir transformer du jour au lendemain un pays complètement collectivisé en économie de marché est une erreur fondamentale. La thérapie de choc de Gaïdar en Russie en est un exemple. En Albanie, un ultralibéralisme sans précaution a abouti à la faillite des sociétés pyramidales, à la corruption, au pillage de la Banque centrale et du trésor de l'ancien roi Zog, à l'apparition des mafias et à un affairisme insensé se traduisant par l'érection des gratte-ciel de Tirana, de la misère et des émeutes.

Que l'Albanie soit troisième dans l'ordre de marche des cinq pays des Balkans occidentaux vers l'Union européenne est donc une heureuse nouvelle. Elle suit, en effet, la Croatie et l'Ancienne république yougoslave de Macédoine, mais elle devance la Serbie-et-Monténégro et la Bosnie-Herzégovine.

Après avoir touché le fond et même au-delà, l'Albanie a, en effet, affirmé son sens des responsabilités, lors de la crise du Kosovo, en accueillant de très nombreux réfugiés kosovars sans évoquer le thème de la « grande Albanie ». Sur le futur statut du Kosovo, l'Albanie a fait savoir qu'il n'était pour elle pas question de toucher aux frontières. Elle a, par ailleurs, entrepris une reconstruction progressive d'un Etat de droit.

L'accord de stabilisation et d'association (ASA) est un accord ambitieux pour favoriser le rapprochement de l'Albanie avec l'Union européenne.

L'association sera mise en œuvre progressivement et sera entièrement réalisée à l'issue d'une période de transition d'une durée maximale de dix ans, divisée en deux phases successives. Le dialogue politique porte notamment sur la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. La coopération régionale comporte l'engagement de l'Albanie de conclure dans les deux ans avec les pays ayant déjà signé un ASA des conventions, notamment en vue de l'établissement de zones de libre-échange.

La libre circulation des marchandises sera assurée par l'établissement progressif d'une zone de libre-échange entre la Communauté européenne et l'Albanie dans les dix ans avec un calendrier de libéralisation des échanges.

L'accord comporte des dispositions diverses relatives à la libre circulation des travailleurs, à la liberté d'établissement, à la fourniture de services, aux paiements courants et à la circulation des capitaux.

Pendant la première phase des cinq premières années, l'Albanie s'engage à aligner sa législation sur celle de la Communauté européenne en se concentrant sur les éléments fondamentaux de l'acquis dans le domaine du marché intérieur et dans d'autres domaines importants.

L'accord comprend des dispositions relatives à la coopération dans un large éventail de domaines, notamment la justice, la liberté et la sécurité qui font l'objet de dispositions détaillées sur la circulation des personnes, le blanchiment des capitaux et les drogues illicites, la lutte contre le terrorisme et la criminalité.

Enfin, l'accord prévoit des dispositions institutionnelles créant un conseil de stabilisation et d'association.

Dans l'attente de la ratification de l'ASA par l'Albanie, les Etats membres et la Communauté européenne, un accord intérimaire mettra en œuvre rapidement les dispositions commerciales de l'ASA.

Cet accord aidera l'Albanie à combler des lacunes encore très importantes. Il s'appuie sur une assistance financière de l'Union européenne substantielle. Durant la période 1991-2004, l'aide communautaire à l'Albanie a totalisé environ 1,2 milliard d'euros. Ce pays est le deuxième pays européen le plus pauvre après la Moldavie, avec un PIB par habitant de 1.954 euros en 2004.

L'Albanie, dont la population est majoritairement musulmane, a tenté d'attirer des capitaux arabes dans les années 1990. Certains investissements saoudiens n'étaient pas dénués de prosélytisme religieux, mais ces tentatives de réislamisation ont buté sur la très forte sécularisation de la société albanaise.

L'Albanie présente des lacunes très importantes sur des points fondamentaux et est encore très loin de remplir les conditions minimales pour obtenir le statut de pays candidat.

La décision du Conseil du 30 janvier 2006 (2006/54/CE) actualisant le partenariat européen avec ce pays exige la mise en œuvre rapide de cinq priorités essentielles : obtenir de meilleurs résultats tangibles dans la lutte contre la criminalité organisée ; mettre en œuvre et actualiser le plan d'action anticorruption 2004-2005 ; appliquer la législation en vigueur concernant la restitution ou l'indemnisation des biens fonciers, ce qui n'est pas forcément bienvenu ; favoriser la liberté des médias ; renforcer encore la gouvernance du secteur public.

Enfin, M. Didier Boulaud, dans un rapport d'information au nom de la Délégation pour l'Union européenne du Sénat sur les relations de l'Albanie et de l'Ancienne république yougoslave de Macédoine avec l'Union européenne, a souligné quatre points nécessitant une correction rapide : la stabilisation politique doit être consolidée ; la non-application de la législation adoptée souligne le manque de capacités administratives et juridictionnelles ; l'importance de l'économie informelle explique aussi les difficultés de mise en œuvre de la législation ; enfin, le risque est grand que la population albanaise, trop longtemps isolée des évolutions européennes, ne mesure pas vraiment l'ampleur des efforts de réforme à accomplir avant d'accéder à l'Union européenne et qu'elle n'en conçoive dans l'avenir une extrême frustration.

Cet accord est le résultat d'une négociation technique aboutie mais, avant de conclure, le Conseil devrait adresser un message politique clair aux peuples albanais et européens pour éviter tout malentendu sur sa portée.

Tout en confirmant la perspective européenne de l'Albanie, le Conseil devrait clairement annoncer que l'ASA n'est pas une garantie d'accès automatique à l'Union européenne et que l'Albanie n'entrera pas dans l'Union européenne tant qu'elle ne respectera pas complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques aux Balkans qui la concernent.

Le Conseil doit également rassurer l'opinion européenne et lui garantir que l'Albanie n'entrera pas dans l'Union tant qu'elle n'aura pas définitivement éliminé les maux qui ont durablement entaché son image dans la décennie 1990.

En conclusion, la loi du marché n'est pas toujours synonyme de démocratie et il ne faut pas aller trop vite. L'ASA est un bon accord pour l'Albanie dans la mesure où il l'obligera à renforcer ses relations avec l'Union européenne et à développer ses contacts avec le monde extérieur, mais il ne faut pas laisser l'Albanie se bercer d'illusions sur le chemin restant à parcourir.

Le Président Pierre Lequiller a préconisé une pause sur l'élargissement, même si ce mot inquiète ces pays, afin de réformer le fonctionnement des institutions de l'Union européenne.

Il a également souhaité que M. René André fasse un rapport d'ensemble sur les Balkans occidentaux, dont les cinq pays méritent à terme d'entrer dans l'Union européenne.

En tant que responsable du groupe d'études sur le Kosovo, M. René André a considéré que l'évolution du Kosovo devrait faire l'objet d'un suivi par la commission des affaires étrangères et la Délégation pour l'Union européenne.

Mme Anne-Marie Comparini s'est prononcée en faveur de l'accord et s'est interrogée sur la capacité d'absorption de l'Union européenne et son approfondissement qui devraient faire l'objet de la plus grande attention.

La Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil concernant la signature, au nom de la Communauté européenne, de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la République d'Albanie, et la proposition de décision du Conseil et de la Commission concernant la conclusion de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République d'Albanie, d'autre part, (COM(06) 138 final / E 3116) ainsi que la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord intérimaire concernant le commerce et les mesures d'accompagnement entre la Communauté européenne, d'une part, et la République d'Albanie, d'autre part (COM(06) 130 final / E 3117),

1. Se prononce en faveur de l'accord de stabilisation et d'association dans la mesure où il ouvre un processus de longue durée invitant l'Albanie à redoubler son effort de réforme pour se préparer à une future adhésion avec l'aide renforcée de l'Union européenne ;

2. Juge toutefois nécessaire que le Conseil assortisse sa décision sur l'accord d'un message politique clair aux peuples albanais et européens pour éviter tout malentendu sur sa portée ;

3. Estime que, tout en confirmant la perspective européenne de l'Albanie, le Conseil doit clairement annoncer que l'accord de stabilisation et d'association n'est pas une garantie d'accès automatique à l'Union européenne et que l'Albanie n'entrera pas dans l'Union européenne tant qu'elle ne respectera pas complètement les critères d'adhésion généraux et spécifiques aux Balkans occidentaux ;

4. Considère que le processus qui a conduit l'Union européenne à accorder le statut de pays candidat à l'Ancienne république yougoslave de Macédoine, quatre ans après la signature d'un accord de stabilisation et d'association, et à subordonner l'ouverture des négociations d'adhésion aux progrès de ce pays vers sa mise en conformité aux critères d'adhésion, serait inapproprié dans le cas de l'Albanie ;

5. Considère que le Conseil doit également rassurer l'opinion européenne et lui garantir que l'Albanie n'entrera pas dans l'Union européenne tant qu'elle n'aura pas définitivement éliminé les maux qui ont durablement entaché son image dans la décennie 1990 ;

6. Appelle l'Assemblée nationale à se montrer très attentive à la mise en œuvre des priorités à court terme du partenariat européen, et en particulier de ses cinq priorités essentielles, lors de l'examen du projet de loi d'autorisation de la ratification par la France de l'accord de stabilisation et d'association. »

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) 2667/2000 relatif à l'Agence européenne pour la reconstruction (document E 3133).

M. René André, rapporteur, a indiqué que les pays des Balkans occidentaux bénéficient du programme CARDS d'assistance communautaire en principe par le canal des délégations de la Commission installées dans ces pays.

Le règlement (CE) n° 2667/2000 du Conseil du 5 décembre 2000 a dérogé à ce principe et créé l'Agence européenne pour la reconstruction (AER) afin de mettre en œuvre l'assistance communautaire à la Serbie-et-Monténégro et à l'ancienne République yougoslave de Macédoine, en tenant compte de leur situation particulière après le conflit du Kosovo pour l'une et des tensions qui avaient conduit à l'accord d'Ohrid en 2001 pour l'autre. Ce règlement s'applique jusqu'au 31 décembre 2006.

La Commission propose de prolonger le mandat de l'agence pour une durée de deux ans, jusqu'au 31 décembre 2008, de manière à lui permettre de se désengager progressivement du programme CARDS.

M. René André a appelé la Commission a être extrêmement vigilante sur l'utilisation des fonds, quelquefois détournés au profit des entreprises des Etats membres, comme l'ont révélé des scandales au Kosovo relevés par la Commission elle-même.

Il faut de la neutralité et de la rigueur dans la gestion des fonds.

La Délégation a approuvé le texte.

¬ Politique régionale

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant le Fonds de solidarité de l'Union européenne (document E 2870).

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a approuvé ce texte.

¬ Transports

- communication de la Commission au Conseil relative au projet de réalisation du système européen de nouvelle génération pour la gestion du trafic aérien (SESAR) et à la constitution de l'entreprise commune SESAR. Proposition de règlement du Conseil relatif à la constitution d'une entreprise commune pour la réalisation du système européen de nouvelle génération pour la gestion du trafic aérien (SESAR) (document E 3025).

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission au Conseil, relative au projet de réalisation du système européen de nouvelle génération pour la gestion du trafic aérien (SESAR) et à la constitution de l'entreprise commune SESAR et la proposition de règlement du Conseil relatif à la constitution d'une entreprise commune pour la réalisation du système européen de nouvelle génération pour la gestion du trafic aérien (SESAR) (COM (05) 602 final du 25 novembre 2005 - document E 3025),

1. approuve le principe du projet SESAR à l'élaboration duquel la France apporte un concours important et dont la mise en œuvre peut permettre à l'Europe d'affirmer sa présence dans un secteur stratégique ;

2. souhaite toutefois que les différentes étapes de la mise en œuvre de ce projet fasse l'objet d'un encadrement précis et transparent ;

3. constate que si certaines améliorations introduites par le groupe de travail du Conseil vont dans le sens de ces exigences, demeurent cependant de nombreux points en suspens, dont l'importance requiert un examen approfondi ;

4. demande, dès lors, qu'un accord politique ne puisse être conclu par le Conseil, sans que, au préalable, une réponse satisfaisante n'ait été apportée aux questions suivantes :

a) le contrôle des Etats membres :

il est impérieux de prévoir un mécanisme propre à permettre au Conseil et au comité du ciel unique de statuer sur les décisions que la Commission envisage de prendre au sein du conseil d'administration de l'entreprise commune, dans les matières où son représentant dispose d'un droit de veto ;

b) le rôle d'Eurocontrol :

il serait souhaitable de prévenir tout conflit d'intérêt pouvant découler de la participation avec droit de vote au conseil d'administration de l'entreprise commune d'Eurocontrol et des producteurs d'équipement ;

c) les financements :

il importe, d'une part, que soient clarifiés les engagements supposés de la Commission et d'Eurocontrol et, d'autre part, que soit apportée la garantie du financement par le secteur privé ;

d) l'encadrement des modalités de création de l'entreprise commune :

il est nécessaire que soient précisées les périodes de transition :

· entre la phase de définition conduite par Eurocontrol dans le cadre d'un contrat et la phase de développement menée par l'entreprise commune ;

· entre la phase de développement pilotée par l'entreprise commune et la phase de déploiement assurée par les industriels. »

Par ailleurs, la Délégation a pris acte de l'approbation, selon la procédure d'examen en urgence, des trois textes suivants :

- avant-projet de budget rectificatif n° 2 au budget général 2006 - Etat général des recettes (document E 3103-2) ;

- proposition de décision du Parlement européen et du Conseil concernant la mobilisation du Fonds de solidarité de l'Union européenne, en application du point 3 de l'accord interinstitutionnel du 7 novembre 2002 entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission sur le financement du Fonds de solidarité de l'Union européenne complétant l'accord interinstitutionnel du 6 mai 1999 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire (document E 3109) ;

- proposition de décision du Conseil modifiant les annexes A et C du règlement (CE) n° 1346/2000 en ce qui concerne la France (document E 3130).

Enfin, la Délégation a pris acte de l'accord tacite de l'Assemblée nationale, en vertu d'une procédure mise en œuvre en 2000, dont a fait l'objet le texte suivant :

- lettre de la Commission du 7 mars 2006 relative à une demande de dérogation présentée par la République portugaise en application de l'article 27 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, relative aux taxes sur le chiffre d'affaires. Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (document E 3105).

III. Nomination d'un rapporteur d'information

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a nommé :

M. René André, sur la situation dans les Balkans occidentaux.