Première séance du jeudi 08 décembre 2022
- Présidence de Mme Valérie Rabault
- 1. Convention sur la manipulation de compétitions sportives
- 2. Accord relatif à l’exécution des peines prononcées par la Cour pénale internationale
- 3. Accélération de la production d’énergies renouvelables
- Discussion des articles (suite)
- Article 3 (appelé par priorité) (suite)
- Amendement no 1269
- M. Henri Alfandari, rapporteur de la commission des affaires économiques
- Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
- Amendements nos 1938, 96, 219, 507, 508, 629 et 727, 950
- M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
- Amendements nos 741, 2649, 765, 1015, 1694, 513, 547, 1980, 650, 214, 66, 2324, 1707 et 2715
- M. Pierre Cazeneuve, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- Suspension et reprise de la séance
- Article 3 (appelé par priorité) (suite)
- Discussion des articles (suite)
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Valérie Rabault
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1. Convention sur la manipulation de compétitions sportives
Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (nos 384, 512).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux
J’ai l’honneur de présenter aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives. Les manipulations de compétitions sportives sont le plus souvent liées aux paris sportifs. Elles impliquent de nombreux réseaux criminels et peuvent engendrer des fraudes et le blanchiment de capitaux. Les nouvelles technologies numériques créent un environnement propice à leur développement.
Adoptée le 9 juillet 2014, la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives est la première – et à ce jour la seule – norme internationale contraignante et de portée universelle permettant de lutter contre la manipulation de compétitions. L’enjeu est clair : il s’agit de préserver la loyauté de la compétition, de garantir la sincérité de son déroulement et d’assurer son caractère imprévisible. Ce texte, qui permet également de lutter contre le crime organisé, vise à renforcer la lutte contre la manipulation de compétitions sportives grâce à une réponse commune et harmonisée au niveau européen. Les États sont ainsi invités à renforcer leur politique dans ce domaine en mettant en ?uvre des moyens pour prévenir, détecter et sanctionner toute tricherie dans le cadre de compétitions sportives et en multipliant les échanges d’informations dans le cadre d’une coopération nationale et internationale.
La ratification de la convention confirmerait l’engagement de la France dans la lutte contre la corruption, la fraude et les paris illégaux, qu’elle entend prévenir et sanctionner. Elle enverrait un signal positif à l’approche des grands événements sportifs que la France accueillera bientôt. Nous sommes l’un des pays les plus avancés dans ce combat. La majorité des dispositions de la convention sont déjà inscrites dans le droit français, notre réglementation ayant progressivement été consolidée au cours des dix dernières années.
L’une des mesures phares de la convention est l’incitation faite aux États de créer une plateforme nationale de lutte contre la manipulation de compétitions sportives afin de permettre l’échange fluide des informations détenues par chaque acteur. La plateforme française, créée en 2016, réunit toutes les parties intéressées par le sujet : le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur et des outre-mer, le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, l’Autorité nationale des jeux (ANJ), mais également des fédérations et prochainement des opérateurs de paris.
La France a eu un rôle moteur dans la négociation et dans l’adoption de la convention : elle a défendu un texte ambitieux et exigeant, dont la ratification lui permettrait de prendre pleinement part aux travaux du comité de suivi. Je l’ai dit, c’est dans notre intérêt à l’approche de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. La ratification de la Convention sur la manipulation de compétitions sportives aurait un poids symbolique important et témoignerait de l’effort d’exemplarité de notre pays.
Sous réserve de l’autorisation du Parlement, la France déposera son instrument de ratification dès l’instant qu’un accord – un accord mixte – aura été obtenu au niveau de l’Union européenne. La France deviendra ainsi le quatrième État membre de l’Union, avec la Grèce, l’Italie et le Portugal, à être lié par la convention. La lutte contre les manipulations de compétitions sportives exige une mobilisation constante et des efforts continus. Aussi la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives est-elle une étape importante dans un processus au long cours. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Zgainski, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Frédéric Zgainski, rapporteur de la commission des affaires étrangères
L’Assemblée nationale est saisie du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives, également appelée convention de Macolin, signée par la France, à Strasbourg, le 2 octobre 2014.
Au cours des dernières décennies, les progrès de l’informatique et de l’industrie numérique ont favorisé le développement des jeux et des paris en ligne, en particulier des paris sportifs. En France, le nombre de joueurs actifs a été multiplié par cinq en huit ans, passant de 765 000 en 2012 à plus de 3,8 millions en 2020. Quant aux mises, leur total a été multiplié par 7,5, passant de 705 millions d’euros en 2012 à plus de 5,3 milliards en 2020. La même dynamique est relevée aux niveaux européen et mondial, le chiffre d’affaires global des paris en ligne s’élevant à 1 450 milliards d’euros en 2021, dont 955 milliards pour le seul continent asiatique et 220 milliards pour le continent européen. Le football représente plus de la moitié de ce chiffre d’affaires mondial, soit 745 milliards d’euros, devançant ainsi de très loin le tennis – 190 milliards –, le basketball – 185 milliards – et le cricket – 68 milliards.
L’essor des paris en ligne a été propice à la manipulation des compétitions sportives. Ce phénomène, lié à la fraude, au crime organisé et à la corruption, porte atteinte à l’intégrité du sport en compromettant son caractère imprévisible. Or, lorsque les passionnés ne croient plus à la « glorieuse incertitude du sport », celui-ci perd, outre ses valeurs, tout pouvoir d’attractivité.
La menace des manipulations de compétitions sportives n’a cessé de s’aggraver au cours des dernières années. Selon un rapport d’Europol datant de 2020, les recettes annuelles de la criminalité liée aux paris sur des matchs truqués sont estimées à environ 120 millions d’euros au niveau mondial. Europol souligne que les organisations criminelles utilisent de plus en plus les paris en ligne pour manipuler les compétitions : elles ciblent en général des rencontres sportives de niveau inférieur, dans différents sports, le football et le tennis demeurant les pratiques sportives les plus exposées.
Ce fléau global, qui n’épargne aucun État, constitue un véritable danger pour le sport dans toutes ses dimensions – sociale, culturelle, économique et politique –, de même qu’un défi pour les autorités publiques, les organisations sportives, les athlètes et les opérateurs de paris sportifs. Pour faire face à cette menace, le Conseil de l’Europe propose, avec la présente convention, une réponse commune et harmonisée. Ce texte bénéficie d’un champ d’application très large puisqu’il concerne tous les sports et toutes les compétitions sportives et dépasse la seule question des paris sportifs.
La convention de Macolin a deux objectifs principaux : tout d’abord, la prévention et la sanction des actes de corruption, de fraude et de paris illégaux dans le cadre de compétitions sportives ; ensuite, le renforcement de l’échange d’informations et de la coopération nationale et internationale entre les différents acteurs du monde du sport. Ce texte enjoint ainsi aux États de prendre les mesures adéquates pour lutter efficacement contre les manipulations de compétitions sportives, que ce soit en amont, avec un volet préventif, ou en aval, avec un volet répressif, et de manière collective, grâce à la promotion du dialogue, des échanges et d’autres pratiques coopératives ; à cette fin, la convention de Macolin veille à impliquer l’ensemble des acteurs du monde du sport.
L’une des mesures phares du texte est l’incitation faite aux États de mettre en place une plateforme nationale de lutte contre la manipulation de compétitions sportives, permettant un échange fluide des informations détenues par chacun des acteurs du monde du sport. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, dès janvier 2016, la France a lancé sa propre plateforme nationale, démontrant ainsi sa forte implication. Cette plateforme, appelée Signale !, est accessible sur le site internet signalesport.fr.
Sur le volet préventif, le texte reconnaît l’autonomie des organisations sportives en matière de sensibilisation, mais souligne la responsabilité des opérateurs de paris dans la prévention de la manipulation de compétitions sportives. Sur le volet répressif, la convention établit un cadre minimal permettant d’identifier les comportements répréhensibles et précisant les sanctions pouvant être prononcées, sans toutefois créer d’incriminations. Le premier objectif de la convention, découlant de sa volonté d’harmonisation, est de permettre la reconnaissance mutuelle des décisions et des sanctions prises par les États et de ne pas les cantonner à un seul territoire.
La France a activement participé à l’élaboration de ce texte, qui constitue le premier instrument international contraignant ciblant spécifiquement le trucage de matchs. Notre pays dispose d’ailleurs d’un arsenal législatif important en matière de lutte contre la manipulation de compétitions sportives, ce qui en fait l’un des États les plus avancés dans ce domaine. Ainsi, la plupart des dispositions de la convention trouvent d’ores et déjà une traduction dans le droit français. Seules quelques évolutions législatives, non urgentes, devront être envisagées à l’avenir afin de renforcer la norme en vigueur et de parfaire la conformité de notre droit interne à la convention de Macolin.
À l’approche des deux événements sportifs majeurs qui seront organisés en France – la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 –, la ratification de cet instrument de lutte contre la manipulation de compétitions sportives permettrait de marquer l’engagement de la France sur cette question. À ce jour, quarante et un pays ont signé la convention, dont trois pays tiers, l’Australie, le Maroc et la Russie – mais la signature de cette dernière est considérée comme suspendue depuis le 16 mars 2022, date de sa sortie du Conseil de l’Europe –, et sept États l’ont ratifiée, trois États membres de l’Union européenne, la Grèce, l’Italie et le Portugal, et quatre membres du Conseil de l’Europe, la Moldavie, la Norvège, la Suisse et l’Ukraine. Conformément à l’article 32, qui prévoit que la convention entre en vigueur après cinq ratifications, dont trois au moins par des États membres du Conseil de l’Europe, le texte est entré en vigueur le 1er septembre 2019 après sa ratification par la Norvège, le Portugal, l’Ukraine, la Moldavie et la Suisse.
Pour mémoire, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui a examiné le texte le 23 novembre dernier, l’a approuvé à une très large majorité. Afin de renforcer la lutte contre la manipulation de compétitions sportives et d’impliquer encore davantage notre pays dans ce combat, je vous invite, chers collègues, à voter sans réserve en faveur de l’approbation de la convention. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hadrien Ghomi.
M. Hadrien Ghomi
Les records d’audience réalisés par les chaînes de télévision françaises à l’occasion de la Coupe du monde de football l’ont une nouvelle fois démontré : les compétitions sportives exercent toujours un attrait indéniable sur un grand nombre de nos concitoyens. Or, autour de ces grandes compétitions sportives, s’exerce également une intense activité de paris – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur –, dont les chiffres de l’Autorité nationale des jeux prouvent, ô combien, qu’elle connaît une dynamique indéniable.
Ainsi, en 2021, le pari sportif en ligne a connu une croissance de plus de 44 % par rapport à l’année précédente ; les mises ont atteint un niveau record de 7 milliards d’euros et leur produit s’est élevé à près de 1,4 milliard. Alors que le nombre de joueurs en ligne ne cesse de croître, ces sommes sont amenées à augmenter d’autant, comme le montre la dernière édition de l’Euro de football, qui s’est déroulée l’année dernière et au cours de laquelle le montant des paris en ligne s’est élevé à 435 millions d’euros, soit un montant plus de trois fois supérieur à celui constaté lors de l’Euro 2016.
Il va de soi que de telles sommes ne pouvaient qu’attiser l’avidité des réseaux de criminalité organisée, qui n’hésitent pas à attenter à la probité des compétitions sportives afin de s’approprier des gains substantiels. Ces gains, issus de pratiques illégales, se chiffreraient, on l’a dit, en dizaines de millions d’euros. Or, par leurs pratiques d’une malhonnêteté systématique, ces organisations criminelles attentent à l’honneur de l’ensemble de la communauté sportive et à l’éthique même du sport.
Face au défi que représentent la répression contre des réseaux de nature souvent internationale et la difficulté inhérente à la régulation numérique, les États ne pouvaient qu’être amenés à se coordonner, afin de lutter plus efficacement contre le phénomène de manipulation sportive. Plus encore, cette nécessité de coopération s’est imposée à tous les acteurs de la lutte contre les manipulations sportives, non seulement la police et les réseaux de procureurs mais également les opérateurs, les régulateurs de jeux d’argent et bien évidemment l’ensemble des associations sportives.
C’est dans cette perspective que la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives, à propos de laquelle nous sommes ce matin invités à nous prononcer, représente une avancée indéniable. Signée dès 2014 par la France, elle demeure le seul outil juridique international en la matière ; par conséquent, elle constitue une base d’une pertinence indéniable pour mieux harmoniser les pratiques de lutte contre ce phénomène délétère, et ce à tous les échelons.
En effet, la convention engage les États à prévoir non seulement des moyens de prévention et de détection, mais aussi des sanctions significatives à l’égard de la manipulation sportive. Il faut également saluer les dispositions cherchant à impliquer dans cette lutte tous les acteurs concernés, qu’ils relèvent de l’autorité publique ou du monde du sport. Soulignons par ailleurs que la France n’a pas attendu la ratification de la convention, en 2022, pour appliquer les préconisations prescrites par le texte, puisqu’elle a notamment créé dès 2016 une plateforme nationale.
Celle-ci a permis de favoriser les échanges entre les différents acteurs de la lutte contre les manipulations sportives, et ce jusqu’au niveau international, grâce à la création du groupe de Copenhague – vous y faisiez référence, monsieur le rapporteur –, qui compte désormais une quarantaine de pays. Car une telle convention, aussi complète soit-elle, ne démontrera toute sa pertinence qu’au moyen d’initiatives concrètes que devront prendre les États et les acteurs de la lutte contre les manipulations sportives.
À cet égard, l’officialisation, à l’initiative du Conseil de l’Europe, le 25 novembre dernier à Strasbourg, d’un réseau des magistrats et procureurs responsables du sport (Mars) de différents pays, dont le nôtre, est une nouvelle qu’il convient de saluer. Nous pouvons espérer que ce nouveau cadre de coopération internationale s’avérera décisif s’agissant des enquêtes et des procédures pénales ayant trait à l’intégrité sportive.
Alors que notre pays accueillera très prochainement la Coupe du monde de rugby – en 2023 – et les Jeux olympiques et paralympiques – à Paris en 2024 –, la ratification tant attendue de cette convention à l’élaboration de laquelle la France a, rappelons-le encore, activement participé, est un geste fort en faveur de la coopération internationale et de l’éthique sportive, que le groupe Renaissance ne peut que soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Laurence Robert-Dehault.
Mme Laurence Robert-Dehault
La convention de Macolin poursuit un but noble, celui de combattre les manipulations dans le sport. Elle vise à lutter contre la criminalité organisée transfrontalière, ce qui doit être l’une des priorités d’un gouvernement. En poursuivant cet objectif, elle entend promouvoir la coopération entre les États souverains, tout en laissant à ces derniers une marge de manœuvre appréciable.
Le phénomène de manipulation des compétitions sportives, au-delà des enjeux économiques qu’il revêt, porte gravement atteinte à l’intégrité du sport en compromettant son caractère imprévisible. Lorsque les passionnés ne croient plus à la glorieuse incertitude du sport, celui-ci perd en tout point son pouvoir d’attractivité pour ne devenir que la pâle copie d’une mauvaise pièce de théâtre. L’essence même de ce qui fait se déplacer les foules, c’est la certitude d’assister à un spectacle dont la fin n’est pas écrite.
Face à cela, le trucage des rencontres sportives fait le bonheur des réseaux criminels organisés, qui y voient une manne financière importante. Les paris sportifs, légaux et illégaux, sont pour eux un moyen efficace de blanchir de l’argent illicite. Pour lutter efficacement contre cette criminalité transfrontalière liée à la manipulation du sport, la coopération de l’ensemble de l’Union européenne, mais également des autres États du globe, est nécessaire.
Or, sur le territoire de l’Union européenne, un État refuse catégoriquement de ratifier la convention de Macolin : Malte, qui va par ailleurs jusqu’à utiliser son droit de veto pour bloquer la ratification par l’Union européenne. En effet, les paris sportifs légaux et illégaux représentent 12 % de son PIB : Malte est un paradis fiscal pour les opérateurs concernés et n’a, par conséquent, aucun intérêt à l’adoption d’une telle convention. Ainsi, il est tout à fait possible de s’inscrire sur un site illégal de paris sportifs installé à Malte, eldorado des opérateurs de jeux légaux et illégaux.
On peut donc s’interroger sur l’application réelle de cette convention, qui fut signée dès 2014 mais que seuls sept adhérents au Conseil de l’Europe, dont trois seulement sont membres de l’Union européenne, ont décidé de ratifier. Même dans l’optique d’une coopération européenne intégrale, il est à craindre que la convention ne remplisse pas ses objectifs affichés sans une coopération déployée au niveau mondial. En effet, elle entend mettre en œuvre des restrictions à l’échelle internationale, en interdisant notamment aux opérateurs de jeux agréés à Malte d’étendre leurs opérations commerciales à l’étranger, à moins de respecter les lois des autres États l’ayant ratifiée.
Le problème, c’est qu’en téléchargeant un simple VPN – réseau privé virtuel – sur un smartphone ou sur un ordinateur, il est possible de créer une sorte d’illusion permettant de se connecter à internet depuis n’importe quel État étranger à la convention. Autrement dit, grâce à ce genre de dispositif, il est possible de faire croire à son téléphone qu’il est utilisé depuis l’Afrique du Sud, l’Inde, les États-Unis ou tout autre État ne faisant pas partie de la convention, et dont la législation relative aux paris sportifs est plus souple. Cela permet de contourner les restrictions introduites sur le sol européen pour continuer à jouer illégalement, et ainsi de faire vivre les sites de paris sportifs illégaux et la criminalité transfrontalière.
Même si l’on peut douter de son caractère effectif, la convention de Macolin poursuit un but d’intérêt général tout en laissant une certaine marge de manœuvre aux États. La lutte véritable contre la criminalité organisée manipulant les compétitions sportives ne peut passer que par une coopération mondialisée des États. La France, dont la législation est en avance par rapport à celle des autres États – cela mérite d’être salué –, doit, sur ce sujet, montrer l’exemple. C’est pourquoi le Rassemblement national votera en faveur de ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Ersilia Soudais.
Mme Ersilia Soudais
Levons tout d’abord un malentendu : contrairement à ce qui a été dit par notre collègue du Rassemblement national en commission, la convention de Macolin n’a pas pour objet l’attribution, par les instances sportives, des compétitions internationales à tel ou tel pays. Si l’on ne se contente pas de lire en diagonale sa quatrième de couverture, elle est très claire : elle contient un ensemble de mesures visant essentiellement à lutter contre les fraudes liées aux paris sportifs.
En ce sens, le présent texte est de ceux sur lesquels tout le monde est à peu près d’accord et qui justifient généralement une adoption en procédure d’examen simplifiée. Si le groupe LFI-NUPES a demandé que ce ne soit pas le cas, c’est parce qu’il estime que le problème sous-jacent, celui du marché des paris sportifs eux-mêmes, mérite d’être exposé publiquement dans l’hémicycle.
Mesurons d’abord l’ampleur du marché. Une note publiée en 2020 par la Ligue de football professionnel (LFP) estimait que le volume mondial des mises était compris entre 500 et 1 000 milliards d’euros, soit deux à trois fois le budget de notre pays ; elle ajoutait que 80 % des mises étaient réalisées illégalement. Encore ne s’agit-il là que du football ; il faut compter autant de milliards pour le reste du marché.
Le 9 mai dernier, un article d’Alternatives économiques précisait ce qu’il en est pour la France, qui est désormais la quatrième place mondiale sur ce marché, en prenant appui sur le dernier rapport de l’Autorité nationale des jeux. En un an, les mises en ligne ont bondi de 47,4 %, pour un montant de 7,84 milliards d’euros et un produit brut des jeux s’élevant à 1,35 milliard. Une quinzaine d’opérateurs, presque tous installés dans ce petit paradis fiscal qu’est Malte, se partagent ce magot. Mais à quel prix ? Selon l’Observatoire des jeux, le profil type du parieur est un homme – à 85 % –, jeune – deux tiers ont moins de 34 ans –, appartenant à un milieu modeste, doté de revenus plus faibles que la moyenne et le plus souvent au chômage. Les risques de surendettement et de dépendance au jeu sont largement documentés par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, qui estime à 40 % la proportion de jeunes de 17 ans ayant parié au moins une fois en 2019.
L’illusion d’avoir prise sur le hasard par une connaissance du sport concerné – illusion d’autant plus forte que ce marché mondial fait précisément l’objet de tricheries, par lesquelles la glorieuse incertitude du sport se noie dans les eaux glacées du calcul égoïste –, le marketing ciblé des opérateurs, l’accessibilité immédiate par l’intermédiaire d’un simple smartphone, tout cela permet à ce nouvel opium du peuple de prospérer sur le dos des classes populaires, dans un océan d’hypocrisie dont nous devons tous avoir conscience : hypocrisie des opérateurs, qui promettent de grosses cotes et des gains importants à ceux qu’ils plument sans vergogne tout en disant les respecter ; hypocrisie de l’État, qui empoche au passage 7,5 % des mises en se contentant d’imposer aux publicitaires de mentionner rapidement les risques, sans interdire ces publicités elles-mêmes ; hypocrisie des législateurs qui, le 12 mai 2010, ont permis, au motif de réguler le secteur, l’ouverture à la concurrence, c’est-à-dire la dérégulation la plus totale.
Il est temps de prendre la mesure du problème. Outre le phénomène d’addiction – qui entraîne des surendettements – et les atteintes à la probité sportive, que j’ai déjà mentionnés, nous pourrions discuter du blanchiment d’argent issu de petits ou de gros trafics. L’Espagne et l’Italie ont interdit le sponsoring maillot des opérateurs de paris sportifs ; le Royaume-Uni y réfléchit et restreint leur espace publicitaire. En France, on observe quelques réactions : celle de Kylian Mbappé a eu un peu d’écho et le 14 novembre dernier, le département de Seine-Saint-Denis a lancé une campagne de prévention, mais c’est sur le plan du droit que nous devons agir.
Il est de notre responsabilité de parlementaires de tout faire pour limiter au maximum, et par la loi, non seulement la fraude sur les paris sportifs, mais aussi le marché des paris sportifs eux-mêmes. Nous avons affaire à de véritables sociétés mafieuses que nous ne pourrons pas combattre si nous continuons de transiger avec elles, par faiblesse ou par intérêt. Il ne s’agit pas de réguler ou de rendre éthiques les dégâts sociaux et moraux que ces organismes de paris en ligne provoquent, mais bien de les réglementer durement pour les combattre.
Alors évidemment, nous voterons le texte proposé, et cette position devrait être largement partagée dans l’hémicycle. Mais nous devons garder la réalité de la situation à l’esprit, car elle nécessite d’agir rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo.
M. Fabien Di Filippo
Nous avons tous dû vivre dans notre enfance des événements sportifs qui ne se sont pas déroulés comme prévu et qui nous ont déçus. Moi qui étais fan de cyclisme, je garde des souvenirs amers de certains Tours de France car, plusieurs mois après l’arrivée, on apprenait que le vainqueur avait triché.
À notre époque, avec le développement exponentiel des paris sportifs qui drainent des sommes considérables, nous sommes de plus en plus exposés à ce type de déceptions. Novak Djokovic en témoigne quand il déclare avoir été approché dès 2007, alors qu’il n’était pas la star mondiale du tennis qu’il est devenu : lors du tournoi de Saint-Pétersbourg, on lui avait proposé 180 000 euros pour « balancer » un match. D’autres joueurs de tennis nous disent qu’ils pourraient être multimillionnaires s’ils acceptaient ce genre de propositions.
Depuis quelques années, nous découvrons la culture anglo-saxonne des paris sportifs, qui n’était pas très présente dans notre pays jusqu’au tournant des années 2010 et la libéralisation des jeux d’argent, notamment des paris sportifs. Comme l’ont souligné les précédents orateurs, le nombre des parieurs et le montant des mises explosent. Nous pouvons encore le constater à la faveur de la Coupe du monde de football : stimulés par les offensives marketing des opérateurs, les paris atteignent des sommes faramineuses.
Si les grandes compétitions démontrent la nécessité de réguler ce secteur, nous devons être encore plus attentifs aux petits événements. L’offre de paris sportifs augmente de manière exponentielle et, à l’ère d’internet et des applications, elle est disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept et trois cent soixante-cinq jours par an. Elle porte sur de grandes compétitions comme la Coupe du monde de football, mais aussi sur d’obscurs matchs de divisions inférieures dans des pays de l’autre bout de la planète, qui sont beaucoup plus exposés à ces manipulations.
Le risque de manipulation s’accroît, y compris en France, quand on peut parier sur des compétitions de divisions inférieures, impliquant des sportifs amateurs, voire des mineurs. Cette convention a le mérite de s’attaquer au phénomène, même si elle n’est pas la panacée.
M. Patrick Hetzel
Elle ne réglera pas tout !
M. Fabien Di Filippo
Elle agit dans trois domaines, le premier étant la prévention. Pour compléter cette convention, nous devrons travailler sur l’addiction qui, comme la précédente oratrice l’a dit, frappe de plus en plus des jeunes issus de milieux populaires, qui se laissent entraîner dans l’engrenage de l’argent facile. En réalité, l’argent facile n’existe pas, notamment quand il s’agit de jeux de hasard. Il faut les sensibiliser à cela dès le plus jeune âge.
La prévention doit aussi s’adresser aux sportifs, non pas aux grandes stars mais à ceux qui ne sont pas les mieux payés. Ils risquent d’être plus sensibles aux manipulations quand les sommes engagées massivement par des organisations mafieuses dépassent les gains qu’ils pourraient espérer de la pratique de leur discipline.
Deuxième domaine d’action : la coopération. Sur ce marché mondial, qui vit à l’heure d’internet, les paris comme les manipulations mafieuses sont sans frontières, ce qui doit inciter à de fortes coopérations policières et judiciaires. À cet égard, je me joins aux regrets exprimés concernant le pays de l’Union européenne qui tente encore de bloquer le processus, mais je ne désespère que l’on puisse surmonter ce veto.
Troisième domaine : la répression et l’application de sanctions dissuasives à la fois pour les opérateurs, les organisations mafieuses et les joueurs. Les opérateurs ont parfois tendance à rechercher du volume de paris et la valeur à tout prix, au détriment des contrôles et des précautions les plus élémentaires concernant les compétitions qu’ils couvrent. Les organisations mafieuses, elles, cherchent à déstabiliser des compétitions sportives sans aucune vergogne pour gagner de l’argent de manière crapuleuse. Il faut aussi adresser de puissants messages aux joueurs. En mai dernier, six joueurs de tennis espagnols ont été suspendus pour des durées allant de cinq à vingt ans. Il faut expliquer à nos jeunes sportifs que pour un gain rapide et immédiat, ils risquent de voir s’arrêter une carrière choisie par passion.
Tels sont les défis auxquels nous devons faire face. Si l’on en juge par la tendance actuelle, le nombre d’opérateurs et de parieurs aussi bien que le montant des mises vont continuer à progresser. La réponse juridique et la coopération internationale doivent être à la hauteur du phénomène. Nous soutiendrons la ratification de cette convention.
M. Patrick Hetzel
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky.
Mme Laurence Vichnievsky
Les valeurs promues par le sport sont celles qui inspirent – ou plutôt qui devraient inspirer – chaque jour nos vies et celles de nos concitoyens : l’effort, la solidarité, l’esprit d’équipe, le dépassement de soi, et tant d’autres encore. Pierre de Coubertin disait que « l’essentiel n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu ». Cette phrase, qui résume finalement si bien les valeurs de l’olympisme, doit – ou devrait – infuser l’ensemble de la pratique sportive.
Il nous faut lutter contre ceux qui voudraient dévoyer l’esprit du sport pour ne voir en lui qu’un aspect marchand et dépassionné. La convention de Macolin, que nous examinons aujourd’hui, vise précisément à garantir que les compétitions puissent se dérouler de manière à assurer un affrontement juste et équitable, dans l’esprit souhaité par M. de Coubertin.
Si les manipulations sont multiples et concernent tous les niveaux, comme l’ont rappelé les précédents orateurs, elles peuvent tout de même poser la question de la répartition de la valeur dans les sports médiatisés où l’on voit souvent des scandales éclabousser des divisions ou des tournois de second rang, les sommes en jeu dépassant souvent les gains des joueurs.
Mais le phénomène des paris prend actuellement une ampleur sans précédent, en raison du développement des jeux en ligne. En France, on compte près de 4 millions de joueurs. Ce chiffre important profite aux manipulateurs qui s’intéressent tout particulièrement aux sports faisant l’objet de nombreux paris, lesquels leur permettent d’agir plus discrètement en déposant des mises auprès de plusieurs opérateurs et dans différents pays ; d’où le risque important de corruption et de blanchiment.
En 2020, Europol évaluait à 120 millions d’euros le produit annuel des matchs truqués – et de tels chiffres sont toujours en deçà de la réalité. Il est donc nécessaire d’adopter un arsenal législatif efficace. Alors que la France dispose d’une base législative poussée et unanimement saluée, cette convention doit surtout nous encourager à développer la coopération européenne, voire internationale. La mise en place de cette instance de procureurs européens est source d’espoir : la loi suit souvent la pratique et la coopération de fait, si je puis dire.
Cette coopération était d’ailleurs l’objet de la création du groupe de Copenhague dès 2015. Si le Conseil de l’Europe souligne l’excellente coopération qu’il entretient avec l’ANJ, la plateforme française fait également partie des institutions les plus proactives sur les questions de manipulation des compétitions, comme en témoigne l’élection de son coordinateur à la présidence du groupe de Copenhague.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, nos débats en commission ont pourtant démontré que certains articles de la convention ne trouvaient pas d’application dans l’ordre juridique français, tel le délit d’initié sportif ou la dissolution des personnes morales pour les délits de corruption sportive. Vous aviez rappelé que ces dispositions n’étaient pas de nature urgente mais qu’elles pourraient, à terme, faire l’objet d’une transcription dans le droit français.
À l’aube des compétitions importantes que notre pays s’apprête à accueillir et du projet de loi que nous allons examiner pour les préparer, certaines de ces évolutions pourraient peut-être, madame la secrétaire d’État, connaître des avancées prochaines.
Pour conclure, le groupe Démocrate soutiendra bien entendu la ratification de ce texte en espérant que son application par un grand nombre de pays permettra de préserver le sport que nous aimons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères et M. Frédéric Zgainski, rapporteur, applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Alain David.
M. Alain David
Comme cela a été rappelé, cette convention du Conseil de l’Europe a été signée le 18 septembre 2014 à Macolin. Trente-sept États membres l’ont signée à ce jour, et elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2019. Elle a pour objet de lutter contre les manipulations de rencontres sportives, de manière large, sans se limiter aux seuls paris sportifs. Elle vise ainsi à prévenir et à sanctionner les fraudes de même qu’à favoriser les échanges d’information entre autorités nationales de contrôle.
Bien que ne nécessitant pas d’adaptation majeure de notre droit national, ce texte est important compte tenu des manifestations sportives internationales qui auront lieu sur le sol français en 2023 et 2024, respectivement la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques, et qui pourront potentiellement donner lieu à des fraudes. Les paris sportifs représentent une source majeure de fraudes et de manipulations. Le chiffre d’affaires mondial des paris sportifs est estimé à 1 450 milliards d’euros en 2021, dont près de 220 milliards pour le continent européen.
En France coexistent une quinzaine opérateurs privés et La Française des jeux (FDJ). Ce sont les opérateurs qui sont chargés de signaler à l’ANJ toute opération potentiellement frauduleuse. Il revient ensuite à l’ANJ, sur la base d’indices graves et concordants, de prendre les sanctions prévues par la loi. Les fraudes touchent le plus souvent le football, le tennis, le basket-ball et le handball. Plusieurs services ministériels contribuent à la lutte contre les fraudes et manipulations des événements sportifs et se coordonnent au sein d’une plateforme de coopération nationale.
Le groupe Socialistes et apparentés votera bien entendu pour ce texte : les préconisations de cette convention vont dans le bon sens ; la France peut et doit donner l’exemple à ses partenaires européens en ratifiant le texte ; le Conseil de l’Europe est une institution qui mérite que l’on soutienne son action, particulièrement dans le contexte actuel de tensions géopolitiques. D’ailleurs, les préconisations de cette convention sont pour la plupart déjà entérinées dans le droit national français, ce dont nous pouvons nous réjouir.
En la circonstance, je tenais à remercier M. Zgainski pour son rapport synthétique et instructif, qui nous offre un état des lieux du marché des paris sportifs : 1 450 milliards d’euros en 2021, tout de même, c’est-à-dire l’équivalent du PIB de l’Espagne, sans compter les paris illégaux qui atteindraient au moins le même montant.
Le texte va dans le bon sens et sa ratification est logique, mais il reste une ombre au tableau : en agissant contre la manipulation des compétitions, nous n’attaquons pas à la racine le problème posé par les excès des paris sportifs. Les risques addictifs, le harcèlement, les paris illégaux sont des questions auxquelles nous devrons répondre avec volontarisme, alors que le montant des paris sportifs va probablement atteindre des sommes records en cette fin d’année dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, RE, Dem et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Portarrieu.
M. Jean-François Portarrieu
Comme plusieurs orateurs l’ont rappelé, la France accueillera en 2023 la Coupe du monde de rugby – ainsi que, à titre plus anecdotique, la Coupe du monde de rugby des parlementaires. Nous organiserons ensuite, en 2024, les Jeux olympiques et paralympiques d’été. À l’approche de ces compétitions majeures, il est plus que jamais nécessaire de défendre l’intégrité du sport, qui fait l’objet d’une préoccupation croissante depuis plusieurs années. L’essor de l’usage de ce terme dans le débat public est en effet révélateur du désarroi ressenti par les opinions et par les autorités publiques, mais aussi par de nombreux acteurs du monde sportif, face aux scandales de matchs arrangés et de paris truqués qui ont écorné l’image du sport depuis une vingtaine d’années.
C’est pourquoi la convention de Macolin, que nous examinons aujourd’hui, vise à prévenir certaines des menaces qui pèsent sur l’intégrité du sport. La compétition sportive ne saurait souffrir de dopage, pas plus que de fraudes, de manipulations ou de tricheries susceptibles d’entacher les résultats. Il est d’autant plus nécessaire de lutter contre ces pratiques que le pari sportif prend toujours plus d’ampleur et génère des revenus de plus en plus élevés, qui encouragent les velléités criminelles et sèment le doute sur la performance des athlètes et des équipes. Nous devons donc nous doter d’outils juridiques contraignants. Ces outils doivent être transnationaux, les grandes compétitions étant désormais mondiales et les paris étant réalisés dans tous les pays. C’est pourquoi nous devons ratifier la Convention sur la manipulation de compétitions sportives. Le groupe Horizons et apparentés y est favorable pour au moins trois raisons.
D’abord, il s’agit d’un texte novateur : il contient la seule et unique définition légale, internationalement reconnue, de la manipulation sportive. Il propose également une typologie des différentes manipulations sportives, dont tous les pays peuvent se saisir, et permet de sensibiliser l’ensemble des acteurs, des organisateurs de compétitions aux opérateurs de paris sportifs.
Ensuite, le texte est facilement transposable dans le cadre juridique français. Nous disposons déjà d’une législation importante sur le contrôle des paris et des manipulations sportives. Je pense notamment à l’ANJ, qui joue un rôle majeur dans la régulation des acteurs français du secteur des jeux de hasard, ainsi qu’à la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives créée en 2016.
Enfin, la ratification de cette convention permettra de coordonner la réponse internationale aux actes de manipulations. La plateforme française fait ainsi partie d’un réseau, le groupe de Copenhague, créé pour faciliter l’application de la convention et qui nous permet de travailler efficacement avec nos partenaires pour détecter, sanctionner et prévenir la manipulation des compétitions sportives.
La convention de Macolin ne permettra toutefois de préserver l’intégrité du sport que si elle est massivement ratifiée. Nous devons donc rester vigilants quant à sa portée effective, que ce soit à l’échelle européenne ou à l’échelle internationale. Pour ce qui est d’abord de sa portée à l’intérieur de l’Europe, il est regrettable que, comme cela a été souligné, si peu d’États l’aient ratifiée. Cette situation s’explique essentiellement par les modalités et la durée du processus d’adoption européen, liées au refus de Malte de ratifier le texte. Rappelons que ce pays abrite une grande partie des sièges sociaux des sociétés de paris sportifs et que le secteur constitue une part non négligeable des ressources de l’île.
S’agissant ensuite de la portée internationale de la convention, si l’Australie, le Maroc et quelques autres pays se sont déjà engagés, elle doit encore être adoptée par des États d’Asie et d’Amérique. Les marchés du pari sportif y sont tout aussi dynamiques qu’en Europe et peuvent influencer les compétitions européennes.
C’est en gardant à l’esprit ces points de vigilance, mais avec la certitude du bien-fondé de cette convention, que les élus du groupe Horizons et apparentés voteront en faveur de sa ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux
Répondons d’abord à toutes celles et ceux qui se poseraient encore la question : oui, le sport est politique. Il faudrait être malhonnête pour prétendre le contraire et inconscient pour laisser le secteur se réguler par lui-même. Le sport est un bien international et un patrimoine immatériel, acteur du rapprochement des peuples et des nations, bâtisseur d’une histoire commune et de valeurs partagées, et promoteur de la paix. Nous devons le protéger.
Le sport possède aussi un pouvoir de développement et d’influence. Ce pouvoir peut rapidement devenir dangereux lorsqu’on en fait un moyen de pression ou un terrain de corruption. Les dérives qui grignotent peu à peu le sport et ses valeurs ont amené les autorités, nationales comme internationales, à produire un arsenal législatif et normatif de régulation de la pratique sportive. Je pense par exemple à la lutte contre le dopage. Sont en cause la marchandisation du sport et le sport business, qui conduisent à la corruption, aux scandales et à la manipulation des compétitions sportives.
L’action coordonnée et la coopération internationale restent les seules réponses adaptées. Je me réjouis donc de constater que le travail qui avait permis la signature de la convention en 2014 aboutit, en 2022, à sa ratification définitive par la France. La convention de Macolin, dont la ratification est proposée à la représentation nationale, est le seul outil de droit international juridiquement contraignant qui permette de lutter contre la fraude en matière sportive. Les deux volets – prévention et répression – qu’elle comporte, respectivement relatifs au sport et aux activités associées, comme les jeux et paris sportifs, et au renforcement de l’échange d’informations et de la coopération entre l’ensemble des acteurs, en font un texte relativement complet. Souhaitons désormais que l’Europe soit en mesure de produire une convention sur le développement responsable et durable du sport et de ses pratiques, et que la France, qui entend s’afficher sur la scène européenne et mondiale comme pionnière et exemplaire en la matière, s’en fasse dans les deux années à venir le socle et l’écho.
D’ici là, la ratification de cet instrument à l’approche des deux événements sportifs d’ampleur qui seront bientôt organisés en France marque l’engagement ferme de notre pays contre ces faits – engagement qui prend aussi forme à travers le travail de l’Agence nationale des jeux depuis 2020 ou la législation déjà en vigueur dans ce domaine, même si celle-ci reste insuffisante. J’espère que la ratification de cette convention poussera le Gouvernement à se doter d’outils législatifs plus ambitieux encore. Il conviendra alors de s’interroger sur la proportionnalité des sanctions qui seront envisagées lors de sa traduction dans le code pénal.
En 2021, les paris sportifs ont généré un chiffre d’affaires mondial de 1 450 milliards d’euros. Les recettes criminelles mondiales provenant des paris truqués ont été estimées – et d’ailleurs probablement sous-évaluées – à 120 millions en 2020. La France n’est évidemment pas épargnée. Il est d’ailleurs difficile de mesurer l’étendue de l’offre illégale des paris en ligne sur notre territoire. L’Agence nationale des jeux diligentera bientôt une enquête à ce sujet.
Alors que le nombre de comptes de joueurs actifs a été multiplié par cinq entre 2012 et 2020, les profits générés et les transferts colossaux qu’ils induisent doivent nous alerter. Certains instruments, que la convention encourage à instaurer, peuvent encore renforcer le droit français. Je songe par exemple à la possibilité de bloquer les flux financiers entre les opérateurs de paris illégaux et les consommateurs.
S’agissant des consommateurs et des risques d’addiction, si l’article 6 mentionne la nécessité d’encourager la sensibilisation, c’est bien à l’État français qu’il revient de se saisir de cette question, bien plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. En effet, malgré l’interdiction de vente de jeux d’argent et de hasard aux mineurs, un sondage réalisé par la Sedap – Société d’entraide et d’action psychologique – et l’ANJ révélait en 2021 que 35 % des jeunes de 15 à 17 ans jouent et que près d’un quart d’entre eux ont développé une pratique à risque. Cette recrudescence est attribuable à une publicité pour les paris sportifs toujours plus accrocheuse et codifiée, et destinée à un public de plus en plus jeune. Les sociétés n’hésitent pas à recourir à des célébrités dont l’influence auprès de ces publics est reconnue pour faire la promotion de leurs services, moyennant des rémunérations indécentes. Même si je ne regarde pas la Coupe du monde de football en cours, j’imagine d’ailleurs que les longs tunnels publicitaires qui précèdent et entrecoupent les matchs sont largement occupés par les publicités pour les paris en ligne.
Pour protéger la beauté du jeu, l’incertitude des résultats, les émotions procurées, l’intégrité et l’éthique du sport, le groupe Écologiste-NUPES votera naturellement pour la ratification de ce texte. (MM. Hubert Julien-Laferrière, Alain David et Tematai Le Gayic applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Tematai Le Gayic.
M. Tematai Le Gayic
’Ia ora na i teie poipoi api – bonjour à tous. Je tiens d’abord à remercier le rapporteur pour son rapport très détaillé et fourni, dans lequel nous avons trouvé des éléments de nature à éclairer notre prise de décision.
Les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES estiment qu’il ne suffit pas de se féliciter de l’existence de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives, mais qu’il importe aussi de rechercher les véritables causes de la multiplication de tels faits. Pour quelle raison une personne envisage-t-elle de payer joueurs et arbitres afin de gagner un match ? Pour le plaisir de la victoire ? Parce qu’elle veut à tout prix que son équipe ou son joueur remporte le match ?
La réponse est précisément là : dans le prix, le gain, l’argent. Pourquoi un joueur ou un arbitre accepte-t-il d’être payé pour manipuler un match ? Pour arriver à la fin du mois ? Par goût de l’argent ? Ou en raison de la somme colossale qui est proposée ? Le phénomène s’explique en partie par le grand marché totalement libéralisé des paris en ligne, qui brasse beaucoup d’argent et permet de financer la corruption. En France, c’est en 2010 que les paris en ligne ont été libéralisés pour remplir les poches d’entreprises utilisant des publicités de plus en plus agressives afin d’attirer toujours plus de joueurs – qui sont en outre, comme cela vient d’être rappelé, de plus en plus jeunes.
En plus d’attirer les réseaux de criminalité organisée, le marché des paris en ligne suscite des comportements addictifs que ces entreprises encouragent, sans aucune considération éthique. Pour nourrir l’addiction, ces sociétés affichent leurs publicités partout : dans les rues, à la télévision, dans le métro, sur les réseaux sociaux et surtout à l’occasion de compétitions sportives d’envergure internationale, telles que la Coupe du monde de football qui se dispute actuellement au Qatar. Au lieu de présenter le sport comme un espace d’échanges culturels, de savoir-vivre et de savoir-être, comme un moyen de sortir de la condition misérable que connaissent de nombreux peuples, ou encore comme un moyen de partager des valeurs humaines de respect, d’humilité et d’amour, on alimente l’industrie du sport par le vice de l’argent facile qui est le propre d’un capitalisme effréné.
Quelles sont les raisons qui poussent une personne à parier ? Serait-elle tellement fan de son équipe ou de son joueur favoris qu’elle s’y sentirait obligée ? En réalité, une grande majorité des joueurs voient dans les paris sportifs un moyen de sortir d’une condition difficile. Il s’agit là d’une question sociale très sérieuse : la majorité de joueurs à risque ou affichant des comportements pathologiques perçoivent un revenu mensuel net inférieur à 1 100 euros. Chacun sait que dans nos villages, dans nos quartiers ou dans nos îles, des groupes d’amis s’adonnent à des paris dont l’enjeu est une bouteille de vin, le repas du lendemain, ou encore la tournée du soir – mais on est là très loin des millions d’euros qu’engrangent l’industrie du pari en ligne et ses dérives.
Conscient de la portée du problème auquel nous faisons face, notre collègue Pierre Dharréville a déposé récemment une proposition de loi relative à la lutte contre les addictions aux jeux d’argent et de hasard et à la régulation de la publicité pour les paris sportifs en ligne. Ce texte vise à inclure l’addiction aux jeux d’argent et de hasard dans la liste des addictions figurant dans le code de santé publique ; à restreindre la publicité en s’inspirant de la loi relative aux boissons alcoolisées ; à encadrer les opérations de sponsoring valorisant les paris en ligne ; ou encore à permettre à l’ANJ d’interdire les paris sportifs pour certaines compétitions.
La manipulation des compétitions sportives n’est rentable que grâce aux industries du pari en ligne, au sponsoring exacerbé et aux autres outils d’accumulation de richesses dans le monde du sport. Rappelons qu’entre une entreprise de paris et un joueur, c’est toujours l’entreprise qui remporte la plus grande mise, mais que ce ne sont pas ses biens que la banque saisit lorsque l’endettement est devenu le seul moyen pour un joueur de ne pas sombrer.
Le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES votera donc pour la ratification de cette convention, tout en vous invitant à soutenir la proposition de loi de mon collègue Pierre Dharréville, afin de compléter le panel législatif visant à limiter l’impact social des paris sportifs, dans le but, encore et toujours, de protéger et d’accompagner les peuples. Mauruuru. Ia nui te aroha. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Demat deoc’h holl tudoù – bonjour à vous tous. Cette convention, qui vise à renforcer et à harmoniser la lutte contre la manipulation des compétitions sportives, comporte, en premier lieu, des dispositions destinées à dissuader les manipulations des compétitions. Cela passe par la prévention des conflits d’intérêts, le recueil des signalements des lanceurs d’alerte ou encore l’échange d’informations entre États.
Deuxièmement, la convention prévoit une large palette de réponses pour condamner la corruption sportive. Elle suggère aux États de refuser l’octroi de subventions aux acteurs sanctionnés par le passé, de se doter de divers moyens pour bloquer l’accès aux opérateurs de paris sportifs illégaux et d’instaurer une responsabilité pénale des fraudeurs permettant la confiscation des moyens ayant rendu possibles ces infractions ainsi que les produits de ces dernières.
Il faut espérer que les dispositions de la convention soient étendues largement pour que la lutte contre la manipulation des compétitions sportives soit plus efficace. À ce jour, trente-neuf pays l’ont signée. Cependant, seuls sept États l’ont ratifiée.
Cette convention est un vecteur de la puissance normative européenne. Son efficacité sera proportionnelle au nombre d’États qui la ratifieront. Au Maghreb, seul le Maroc l’a signée alors que de très nombreuses alertes ont été enregistrées en Algérie et en Tunisie. De même, en Asie, le nombre d’alertes est en augmentation mais les États concernés ne sont pas signataires.
Notre groupe est favorable à un renforcement de la réglementation nationale à partir des propositions formulées par la convention. Le droit français est l’un des plus élaborés sur le sujet. Cependant, cet accord indique quelles sont les avancées législatives sur lesquelles notre assemblée pourrait travailler à l’approche de la Coupe du monde de rugby et des Jeux olympiques et paralympiques.
D’abord, la convention introduit la notion de délit d’initié sportif, lequel concerne toute information relative à une compétition détenue par une personne, à l’exclusion des renseignements déjà publiés ou de notoriété publique. Or, en France, le délit d’initié est circonscrit à la sphère financière. Pourquoi ne pas légiférer sur ce point d’ici à 2024 ?
Par ailleurs, la convention évoque la responsabilité des personnes morales en cas de corruption sportive. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation, la ratification du texte est l’occasion de réfléchir à l’extension de cette responsabilité.
Ensuite, n’oublions pas que la coopération internationale sur cette question nécessite un transfert de données personnelles qui relève du RGPD, le règlement général sur la protection des données. Or, d’après le Conseil d’État, le transfert de ces données vers les États tiers à l’Union européenne dont la législation ne présente pas les garanties appropriées ne pourra être effectué qu’après la conclusion d’un cadre juridique adéquat. L’approbation de celui-ci « devra être autorisée par le Parlement ».
Notre vote d’aujourd’hui ne peut que s’accompagner de la volonté de garantir l’effectivité de la lutte contre les manipulations sportives. Par conséquent, notre assemblée devra, le moment venu, rester vigilante quant à ce sujet.
La France a signé la convention en 2014. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, il est temps de la ratifier. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera ce texte, comme vous tous.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
Vote sur l’article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)
2. Accord relatif à l’exécution des peines prononcées par la Cour pénale internationale
Discussion d’un projet de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’Accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour (nos 145, 511).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux
Je suis heureuse de vous présenter le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement français et la Cour pénale internationale (CPI).
L’accord porte sur l’exécution des peines prononcées par la Cour. Signé à La Haye le 11 octobre 2021, il établit un cadre pour l’accueil des personnes condamnées par la Cour pénale internationale en permettant à celle-ci de désigner la France comme lieu d’exécution des peines qu’elle prononce – si notre pays y consent – et d’assurer le transfèrement de cette personne dans l’Hexagone aux fins d’exécution de la peine.
L’accord vise plusieurs objectifs. Tout d’abord, il représente une marque supplémentaire du soutien concret de la France à la Cour pénale internationale, satisfaisant ainsi une demande de justice universelle, réclamée par les victimes des crimes internationaux les plus graves.
Deuxièmement, cet accord répond à un souci d’efficacité et de rapidité de notre coopération avec la Cour. Nous le voyons à travers les situations sur lesquelles la Cour enquête, par exemple au Darfour, en Libye ou encore en Ukraine. La coopération des États parties est indispensable pour faire aboutir les enquêtes et les procès.
En approuvant l’accord, la France sera en mesure de contribuer d’autant plus activement à l’aboutissement des procédures judiciaires de la Cour. En tant qu’accord-cadre, ce texte nous évitera la négociation systématique d’un nouvel accord chaque fois que la Cour sollicitera l’exécution de la peine d’une personne condamnée sur le sol français. Cependant, toutes les précautions sont prises : cet accord-cadre ne crée aucune automaticité et prévoit explicitement qu’un accord formel devra être donné par la France pour chaque cas examiné.
L’accord définit aussi la procédure d’acceptation de la France s’agissant de la désignation de notre pays en tant qu’État d’exécution de la peine. Il régit le transfèrement de la personne condamnée ainsi que les modalités du contrôle de l’exécution de la peine et des conditions de détention par la Cour pénale internationale. Une inspection périodique par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est prévue.
Je souhaitais également rappeler un principe important qui encadre l’exécution des peines des personnes condamnées par la Cour pénale internationale, régie par le statut de Rome. Il importe de rappeler que, lorsqu’elle sollicite l’exécution de la peine d’une personne condamnée sur le territoire d’un État, la Cour pénale internationale prend en considération plusieurs paramètres, dont le nombre de personnes condamnées déjà reçues.
Telles sont les principales dispositions de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation.
En votant en faveur de ce texte, vous donnerez à la France la possibilité de renforcer son soutien aux activités de la Cour pénale internationale, au bénéfice des victimes des crimes internationaux les plus graves. Il ne peut y avoir d’impunité pour les responsables de ces atrocités. Nous restons pleinement engagés en ce sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christopher Weissberg, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Christopher Weissberg, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Le texte que nous examinons ce matin pourrait à première vue apparaître comme un énième accord de coopération. Il est pourtant d’une actualité brûlante. La semaine dernière, le président Bourlanges, que je salue, et moi-même étions aux côtés d’Emmanuel Macron dans le cadre de sa visite d’État aux États-Unis. Parmi les points évoqués dans la déclaration commune figure l’engagement des deux présidents à soutenir « les mécanismes de responsabilisation au niveau international, notamment la Cour pénale internationale » pour que « la Russie rende des comptes pour les atrocités et les crimes de guerre » commis en Ukraine « dont l’existence est largement attestée ».
Le procureur de la Cour pénale internationale, M. Karim Khan, s’est d’ailleurs très rapidement rendu en Ukraine pour collecter des preuves des atrocités commises sur les populations civiles. Ce travail indispensable se poursuit notamment grâce au soutien de la France qui a envoyé un magistrat pour soutenir cette initiative.
Je reviendrai un peu plus loin sur le cas ukrainien mais, d’une manière générale et dans le contexte actuel – où les discours relativistes et mensongers foisonnent –, il est plus que jamais indispensable de renforcer la légitimité et la reconnaissance de la Cour. C’est aussi l’un des enjeux du texte que nous examinons ce matin et qui nous appelle à nous prononcer sur l’approbation d’un accord entre la France et la Cour pénale internationale portant sur l’exécution des peines prononcées par la Cour.
Cet accord vise à donner un cadre juridique stable à l’éventuel transfèrement de personnes condamnées par la CPI dans une prison française, afin d’y purger leur peine. Si notre code de procédure pénale envisage déjà cette possibilité, l’accord prévoit un cadre légal commun à ces transfèrements, ce qui est préférable à la conclusion de nombreux accords ad hoc.
L’impact de cet accord ne remet en aucun cas en cause notre souveraineté. Il repose en effet sur le principe de double consentement. La France sera donc toujours libre de son choix d’accueillir ou non une personne condamnée. Le ministère de la justice et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères évalueront l’opportunité d’accueillir des détenus sur notre sol. Le nombre modeste de condamnations prononcées par la CPI – cinq condamnations définitives – doit également nous rassurer s’agissant de l’impact de cet accord.
Je rappelle que la France est l’un des 123 États parties au statut de Rome, ouvert à la signature en 1998 dans le but de créer une Cour pénale internationale, première et unique juridiction pénale à la fois permanente, internationale et à vocation universelle.
La CPI est compétente pour juger les principaux responsables des crimes internationaux les plus graves : génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et, dans certains cas, crimes d’agression. Elle exclut la notion d’immunité, y compris pour les chefs d’État et de gouvernement.
Le travail de la Cour repose largement sur sa coopération avec les États parties. Aussi le principe de complémentarité impose-t-il que la CPI ne puisse poursuivre et juger des personnes que si les systèmes nationaux concernés n’ont pas engagé de telles poursuites ou ne sont pas en mesure de le faire. La CPI complète l’action des États plutôt que de se substituer à eux. Cette coopération s’observe notamment concernant les décisions relatives au budget de la Cour et la conclusion d’accords bilatéraux de coopération comme celui sur lequel j’ai eu l’honneur de travailler.
Au-delà de ces aspects techniques, la portée diplomatique fondamentale de l’accord renforce le leadership de la France, donc son influence en matière de politique étrangère. Particulièrement engagée dans l’élaboration du statut de Rome, la France reste l’un des pays qui collaborent le plus avec la Cour sur les plans matériel, financier, humain et diplomatique. L’approbation de cet accord confirmera cette dynamique.
La France est en effet le troisième contributeur au budget de la Cour pénale internationale. La nationalité française est aussi la plus représentée parmi les personnels de la Cour. Cette question de l’influence représente un enjeu indispensable car le français est, aux côtés de l’anglais, l’une des deux langues officielles de la CPI, ce qui n’est pas le cas de la plupart des autres juridictions internationales.
Toutes les personnes auditionnées – que je remercie pour leur apport précieux – me l’ont confirmé : en matière de droit international, notre langue et notre conception du droit d’inspiration civiliste perdent du terrain depuis plusieurs années. Si le système du common law, notamment la pratique du contradictoire, détermine les règles d’instruction d’un procès en matière de contentieux pénal international, l’influence de la France, depuis la création de la Cour, a été décisive s’agissant du rôle accordé aux victimes dans le procès puisqu’elle a permis la constitution de partie civile. La Cour joue d’ailleurs un rôle très important également en matière d’indemnisation des victimes.
Notre soutien résolu à la CPI ne nous empêche pas pour autant d’être en retrait sur certains sujets. Ainsi n’avons-nous pas ratifié – comme le Royaume-Uni et 35 % des États parties – les amendements de Kampala, qui prévoyaient d’étendre la compétence de la Cour pour y intégrer le crime d’agression. La France avait jugé trop large la définition retenue, avec un risque d’exposition pour la politique d’intervention extérieure de notre pays.
Notre droit reste également en retrait en matière de compétence universelle pour juger sur le sol national des ressortissants étrangers soupçonnés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Si le préambule du statut de Rome énonce qu’« il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux », notre droit reste relativement prudent.
Comme nous l’avons rappelé en commission, la compétence universelle est assortie de plusieurs conditions restrictives : la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu’à la requête du procureur, aucune juridiction ne doit avoir demandé la remise ou l’extradition de la personne, celle-ci doit avoir sa résidence habituelle en France et les faits doivent faire l’objet d’une double incrimination. Nous avons tout à gagner à ce que la réflexion reste ouverte s’agissant de l’assouplissement de ces critères. Une proposition de loi a notamment été déposée en juin par notre collègue Guillaume Gouffier Valente afin d’élargir la compétence extraterritoriale de nos juridictions nationales. Le président Bourlanges, qui s’exprimera probablement sur cette question tout à l’heure, me rappelait en commission qu’un travail sur ces verrous avait déjà été engagé par notre commission sous la précédente législature.
En nous exprimant en faveur de cet accord, nous réaffirmons également le soutien de la France à la Cour au moment où sonne l’heure d’un bilan pour l’institution, qui a fêté cette année ses vingt ans.
À première vue, il est facile de critiquer le bilan quantitatif de la Cour, qui n’a prononcé que cinq condamnations définitives et quatre acquittements mais, avec les années, les critiques dont elle a fait l’objet ont largement été entendues. Sur le plan de l’efficacité, il faut rappeler que si les procédures sont longues, le temps juridique n’étant pas le temps politique. Sur le plan de la légitimité, des évolutions sont en cours, notamment concernant l’universalité de la CPI, critiquée il y a quelques années pour avoir ouvert des enquêtes qui portaient exclusivement sur le continent africain : les dix-sept enquêtes menées actuellement touchent tous les continents.
Mais gardons-nous d’être naïfs : le système international connaît des faiblesses et la CPI, qui est structurellement située au carrefour du juridique et de la géopolitique, n’est à l’abri ni des critiques, ni des instrumentalisations. C’est pourquoi un soutien renforcé des États parties est le meilleur moyen de consolider son indépendance et son efficacité. Cela est d’autant plus nécessaire que la Cour est aujourd’hui à un tournant de son histoire et sera jugée sur son rôle au regard de la situation en Ukraine. Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont parties au statut de Rome, et pourtant la Cour est compétente pour enquêter car l’Ukraine a reconnu, par deux déclarations transmises en 2014 et en 2015, sa compétence en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis sur son territoire depuis le 21 novembre 2013.
Étant donné la dimension éminemment politique du conflit actuel entre ces deux pays, le président ukrainien Zelensky a appelé de ses vœux la création d’un tribunal spécial pour juger les crimes commis en Ukraine, ce qui la concurrencerait. Un tel tribunal serait compétent en matière de crime d’agression et pour juger les principaux responsables, dont Vladimir Poutine in abstentia, deux choses que la CPI n’est pas en mesure de faire. La semaine dernière, Ursula von der Leyen a déclaré que la Commission européenne était prête à travailler à l’élaboration d’un tel tribunal, tout en continuant à soutenir la CPI. La mobilisation internationale à laquelle notre pays participe nous donne l’assurance que l’Ukraine ne fera pas figure d’exception. Peu importe l’arbitrage final, mais la Cour, en appui des juridictions ukrainiennes, préexiste au conflit, ce qui la place plus à distance de tout risque d’instrumentalisation qu’un tribunal spécial. Les États qui ont saisi la Cour sont pour la plupart mobilisés matériellement et financièrement pour favoriser la lutte contre l’impunité des crimes commis en Ukraine. Nous devons dès à présent veiller à ce que toutes les enquêtes en cours concernant près de vingt pays puissent avancer dans de bonnes conditions, sous peine de remettre en cause sa légitimité.
Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus de l’importance de l’approbation de cet accord, à la fois pour notre pays et son influence et, bien sûr, pour la lutte contre l’impunité des crimes de guerre dans le monde.
Je conclurai en rappelant que Robert Badinter, que j’ai eu la chance d’auditionner et auquel je rends hommage, a eu un rôle absolument fondamental dans la création de cette cour. Il estime que c’est un très grand progrès que l’instauration de la CPI pour lutter contre l’impunité des bourreaux de l’humanité ; même si ce n’est pas sans créer des problèmes, il vaut toujours mieux avancer et nous heurter à de nouvelles difficultés. Je crois que l’approbation de cet accord nous permet d’avancer encore un peu plus dans la lutte contre l’impunité des criminels de guerre et, ainsi, de ne pas nous résoudre à l’insupportable banalité du mal sur laquelle nous alertait déjà Hannah Harendt. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem. – M. Alain David applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères
Je n’aurai pas l’outrecuidance de vouloir retrancher ni ajouter un mot à ce qu’a dit excellemment le rapporteur de notre commission, qui a retranscrit très fidèlement la décision prise en son sein. Mais l’examen du présent accord nous conduit à nous interroger publiquement sur les imperfections de notre droit pénal relativement à la mise en œuvre de ce type de convention.
À l’occasion d’un débat sur un projet de loi autorisant l’approbation de la Convention de coopération judiciaire internationale entre la France et l’ONU, les membres de la commission des affaires étrangères s’étaient inquiétés des conditions particulièrement restrictives posées par notre droit aux juridictions françaises pour poursuivre et juger les ressortissants étrangers soupçonnés de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Ces conditions, définies à l’article 689-11 du code de procédure pénale créé par la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, sont au nombre de quatre : la personne doit résider habituellement sur le territoire français ; les faits doivent être punis par la législation de l’État où ils ont été commis ou ledit État doit avoir ratifié la convention de Rome relative à la CPI ; la poursuite des crimes ne peut être exercée qu’à la requête du procureur ; aucune juridiction internationale ou nationale ne doit avoir demandé la remise ou l’extradition de la personne.
Le cumul de ces quatre conditions rend particulièrement difficile l’exercice par les juridictions de notre pays d’une compétence universelle ou même seulement extraterritoriale. Cela nous place en porte-à-faux vis-à-vis de certains de nos partenaires, qui apparaissent plus actifs que nous dans la lutte contre l’impunité. Ainsi, les juridictions allemandes ont condamné en février 2021 et en janvier 2022 deux anciens membres des services syriens de renseignement, coupables de violations graves des droits de l’homme.
Notre commission déplore les freins mis à la compétence des juridictions françaises, car ils rendent le dispositif actuel largement inopérant. Pour débloquer la procédure, deux initiatives nous paraissent nécessaires : mettre fin au plus vite, d’une part, à la condition dite de la double incrimination – laquelle revient au fond à demander à un État méprisant les droits de l’homme de bien vouloir prévoir lui-même les instruments juridiques de sa propre condamnation – et, de l’autre, à la condition de résidence habituelle en France, qui nous paraît bien malvenue car très difficile à apprécier et à vérifier.
Au nom des membres de la commission des affaires étrangères, unanimes sur le sujet, j’avais saisi le Gouvernement de ces anomalies. J’avais reçu des réponses très encourageantes de M. Le Drian et de M. Dupond-Moretti, et je sais que le Gouvernement travaille à la question, en relation évidemment avec la Cour de cassation ; mais, du fait de la suspension de nos travaux à la veille des campagnes électorales, ces initiatives sont pour le moment restées sans suite. Je profite donc de ce débat pour inviter M. le garde des sceaux et Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères à faire le point en vue de modifier notre droit et, ce faisant, de rendre notre pays digne de ses engagements. Nous n’en serions que plus crédibles face à nos partenaires et, plus encore, face à ceux dont nous combattons les exactions à l’heure où celles-ci se multiplient jusque sur le sol européen.
Le législateur a déjà opéré des modifications, notamment pour supprimer le critère de la double incrimination en matière de génocide. Il est temps de revoir à nouveau notre code de procédure pénale. Le sujet peut et doit faire l’objet d’une réflexion et d’une mobilisation transpartisanes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et SOC.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Kévin Pfeffer.
M. Kévin Pfeffer
Permettez-moi tout d’abord de contextualiser en rappelant que la Cour pénale internationale exerce sa compétence pour les crimes ayant une portée internationale, à savoir les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et d’agression. L’accord entre notre pays et la Cour qu’il nous est demandé d’approuver vise à mettre en place un cadre général fixant les modalités d’exécution en France de condamnations prononcées par la Cour et le transfèrement sur notre territoire de détenus condamnés. Rappelons les limites évidentes des compétences de la CPI : elle a certes une vocation universelle, mais elle n’est pas reconnue par tous les pays, notamment les États-Unis, la Chine et la Russie. Nous, au Rassemblement national, le regrettons car elle peut être un outil efficace.
J’en viens à certains articles de cet accord qui sont en opposition avec notre vision de la coopération internationale, à commencer par l’article 8. Il prévoit de restreindre l’action de la justice française si la CPI a déjà condamné le criminel, donc de reconnaître la suprématie des jugements de la Cour sur ceux des juridictions françaises, une mesure en pleine contradiction avec notre volonté de garantir la souveraineté de la France dans tous les domaines.
L’article 14, quant à lui, prévoit que les frais liés à la détention du condamné soient à la charge de la France, y compris l’accueil et le suivi médical du détenu. Vu la longueur des peines prononcées, cela représenterait au minimum plusieurs centaines de milliers d’euros par personne. La France, comme le rapporteur l’a rappelé, étant déjà le troisième contributeur au budget de la CPI, avec 13,3 millions d’euros en 2022, il ne serait pas déraisonnable de demander à la Cour de prendre en charge les frais de détention sur son propre budget.
Et puis, il faut le dire, cet accord semble d’une utilité purement symbolique à plusieurs égards. L’un des arguments avancés par le rapporteur est d’ailleurs sa portée symbolique et diplomatique. En d’autres termes, nous accroîtrions avec cet accord l’influence de notre pays dans le monde et dans le système juridique international. Pourquoi pas ? Mais, alors que le président Macron a supprimé par décret le statut des diplomates français, en toute discrétion et sans aucune consultation ni des personnels du ministère des affaires étrangères, ni du Parlement, il y a bien d’autres sujets, s’agissant de l’influence de la France dans le monde, qui inquiètent notre groupe.
Revenons sur le fond du texte. Notre code de procédure pénale permet déjà l’exécution en France d’une peine prononcée par la CPI mais, en l’état actuel du droit, la mise en œuvre d’une telle coopération nécessite de négocier un accord chaque fois qu’il est question de désigner la France comme lieu d’exécution de la peine. Or, depuis sa création, il y a plus de vingt ans, la CPI a prononcé seulement cinq condamnations définitives. Cinq en vingt ans ! Aux termes de l’accord que nous examinons, douze pays seraient susceptibles d’accueillir les personnes condamnées. Au vu de ces éléments, un accord ad hoc chaque fois que la France serait désignée comme lieu d’exécution ne semble donc pas un acte totalement insurmontable.
De plus, il est précisé que l’entrée en vigueur de l’accord ne créera aucune obligation d’accueil d’une personne condamnée : il faudra une approbation explicite de la France et plusieurs critères seront pris en compte, tels que l’existence de places disponibles en détention. Mais, madame la secrétaire d’État, vu l’état déplorable de notre système carcéral et les très nombreuses promesses jamais tenues en ce domaine, y compris par votre gouvernement, ce point semble un obstacle tout à fait important à l’accueil de potentiels prisonniers.
Par ailleurs, je sais que l’objectif de l’accord n’est pas de créer de nouvelles qualifications criminelles, ce qui serait pourtant nécessaire. Devant l’explosion des filières de passeurs qui amènent des personnes à risquer chaque jour leur vie en Méditerranée, il serait intéressant d’amener la CPI à se pencher sur ces véritables trafics internationaux d’êtres humains avec l’aide complice d’ONG. Pour sanctionner ces pratiques assimilables à des crimes contre l’humanité, la France pourrait avoir un rôle moteur en encourageant l’adoption d’un nouvel amendement au statut de Rome, afin de permettre à la CPI d’établir toutes les responsabilités.
Pour conclure, je dirai que cet accord, très imparfait, ne correspond pas en tout point à notre vision de la coopération internationale sur les sujets de justice. Mais, étant donné sa portée symbolique et la faible chance que la France accueille un jour un détenu condamné, notre groupe s’abstiendra sur ce texte, qui ne sera probablement jamais appliqué dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Carlos Martens Bilongo.
M. Carlos Martens Bilongo
Le 11 octobre 2021, la Cour pénale internationale et le gouvernement français ont conclu un accord sur l’exécution des peines. J’évoquerai le point particulier de l’accord selon lequel les personnes condamnées par la CPI pourront purger leur peine d’emprisonnement en France si la Cour le décide et si la France l’accepte. Certes, cette coopération renforcera le soutien de la France à l’égard de la CPI.
En outre, acceptant de devenir un État désigné par la CPI pour l’exécution des peines sur son territoire, la France témoigne de son implication dans la promotion de la coopération entre la CPI et les États parties, sans laquelle la Cour ne peut fonctionner. Pourtant, le système pénitentiaire français est loin de satisfaire à l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 103, qui donne des lignes de conduite pour guider la présidence de la Cour dans ses décisions de placement en détention dans un État hôte. En effet, la surpopulation carcérale place la France dans une position délicate quant aux « règles conventionnelles du droit international généralement acceptées qui régissent le traitement des détenus ».
Les établissements pénitentiaires français comptaient, au mois d’août 2022, 71 819 détenus pour environ 60 000 places opérationnelles, soit une densité carcérale de 118,3 % contre 109,5 % il y a un an. Ce taux atteignait 139 % dans les maisons d’arrêt où sont incarcérés les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines. Au total, 48 prisons sont occupées à plus de 150 %, et la surpopulation carcérale contraint 1 827 prisonniers à dormir sur des matelas posés au sol. Le taux de suicide en prison atteint 1,7 pour 1 000 en prison, contre 0,12 pour 1 000 dans la population française.
Pourtant l’Observatoire international des prisons (OIP) avait obtenu, en janvier 2020, la condamnation historique de la France devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) par une décision enjoignant à notre pays de résorber définitivement sa surpopulation carcérale. Ni les lois sur l’encellulement individuel, ni les normes relatives à l’espace vital par personne détenue, telles que recommandées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ne sont respectées, alors même que, par un arrêt rendu le 30 juillet 2015, le Conseil d’État a jugé que le non-respect du principe de l’encellulement individuel « expose les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant », et qu’il constitue « une atteinte grave à une liberté fondamentale ».
Dans son rapport de juin 2022, l’OIP pointe également la détérioration importante des conditions de prise en charge des personnes détenues, les carences en matière d’offre d’activités et de travail, de préparation à la sortie, de prise en charge sanitaire, et les conséquences sur l’insertion ou la réinsertion. La situation est aggravée par la surpopulation des prisons et deux ans de crise sanitaire dont les effets sont venus bouleverser le quotidien des personnes détenues et de leurs proches.
Les réformes engagées en matière pénale et pénitentiaire avant et après la condamnation de la France par la CEDH ne permettent pas de juguler l’inflation carcérale ; au contraire, elles peuvent même y contribuer. Faute d’une politique volontariste, le nombre de prisonniers n’a cessé de croître dès la fin du premier confinement. Si des réformes ont été engagées, elles passent largement à côté des facteurs à l’origine de l’inflation carcérale.
Dans son rapport, l’OIP énumère les limites des réformes, ainsi que celles de la politique à la fois coûteuse et inefficace qui consiste à accroître de manière continue le nombre de places de prison. Elle déplore également l’impuissance des tribunaux à obtenir de l’administration qu’elle exécute les injonctions qui lui sont faites, alors que se multiplient les décisions de justice constatant l’indignité des conditions de détention et exigeant que soient prises en urgence des mesures pour y mettre un terme.
Ces chiffres et constats témoignent d’une réalité humainement inacceptable. Concrètement, les cellules sont surchargées et contraignent les détenus à la promiscuité. La question des sanitaires met en lumière l’impossibilité de disposer du minimum d’intimité, et de nombreux témoignages font état de la prolifération de nuisibles dans les cellules. Je pense, par exemple, à celui d’un détenu de la maison d’arrêt de Basse-Terre, en 2017, cité par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Nous sommes trois dans une cellule. Je dors au sol dans des locaux vétustes à moins d’un mètre d’une poubelle. La nuit, je suis réveillé par des cafards qui me marchent dessus. »
Dès lors, comment la France pourrait-elle respecter ses engagements relatifs à l’article 5 de l’accord dont on nous demande d’autoriser l’approbation ? Il prévoit « l’inspection périodique et impromptue des conditions de détention et du traitement des personnes condamnées par la Cour », inspection effectuée « par le Comité international de la Croix-Rouge » qui « présente un rapport confidentiel fondé sur [ses] constatations ». En effet, à moins de rendre publique une situation carcérale catastrophique, il est improbable que la France laisse cette association, indépendante de tout État, pénétrer dans ses cellules.
Ainsi, si on peut naturellement se féliciter de l’investissement et de la coopération de la France à l’égard de la CPI, j’émets de vives inquiétudes concernant les conditions dans lesquelles les peines pourraient être exécutées en France. Le calcul des places et de la capacité des établissements pénitentiaires doit être mis à jour dans une norme de nature réglementaire qui prenne en considération les recommandations des instances du Conseil de l’Europe.
Mme la présidente
Merci, monsieur le député.
M. Carlos Martens Bilongo
Je conclus, madame la présidente.
Nous voterons pour ce texte. J’en profite pour remercier l’administrateur de la commission des affaires étrangères pour le travail effectué sur le rapport. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky.
Mme Laurence Vichnievsky
Je vous félicite, monsieur Weissberg, pour votre excellent rapport qui explique de manière précise et exhaustive le rôle de la Cour pénale internationale, les nombreux défis auxquels elle fait face, ainsi que ses liens étroits avec la France. Ce rapport va bien au-delà des contours plus circonscrits du projet de loi sur lequel nous nous prononçons, lequel vise à autoriser l’approbation de l’accord entre le Gouvernement français et la CPI sur l’exécution des peines prononcées par la Cour.
La France est un soutien historique de la CPI et s’engage de manière constante à ses côtés – je reviendrai en conclusion sur les propos de l’excellent président de notre commission –, notamment dans la promotion de la coopération entre la Cour et les États parties. Elle est d’ailleurs l’un des États qui coopère le plus : on compte, en 2021, une trentaine de demandes d’entraide de la CPI instruites, et une dizaine de demandes de coopération du pôle spécialisé du tribunal judiciaire de Paris transmises à la Cour.
En vertu de l’accord qui fait l’objet de nos débats, les personnes condamnées par la CPI pourront purger leur peine d’emprisonnement en France si la Cour le décide et si la France l’accepte. En outre, en établissant un cadre préétabli, cet accord permet à la France de se dispenser de la renégociation d’un accord ad hoc chaque fois qu’il serait question d’accueillir une personne condamnée – vous avez insisté sur cette disposition, monsieur le rapporteur.
Je conclus en ajoutant, et cela me semble essentiel, qu’il s’agit également de démontrer l’effort de la lutte contre l’impunité dans la répression des crimes internationaux les plus graves afin de rendre justice aux victimes et de maintenir un ordre international fondé sur le droit.
La situation en Ukraine nous le rappelle tous les jours : il est primordial de disposer d’une justice pénale internationale stable et effective. À ce titre, la Cour pénale internationale est concurrencée intellectuellement par l’idée de la création d’un tribunal ad hoc pour juger les crimes commis en Ukraine. Selon certains, ce tribunal permettrait notamment d’agir plus rapidement que la CPI et de juger le crime d’agression pour lequel la Cour n’a pas compétence en l’espèce, comme cela a été rappelé. Selon d’autres, la CPI a le mérite d’exister et de disposer des moyens nécessaires pour mener une enquête sur la situation en Ukraine, tout en étant peut-être davantage à l’abri d’une instrumentalisation politique qu’un tribunal spécial.
Dans ce contexte, je soutiens l’interpellation du Gouvernement par le président de la commission des affaires étrangères concernant notre code de procédure pénale qui est, en l’espèce, beaucoup trop restrictif – mon soutien compte évidemment pour peu de chose connaissant l’aura de notre président. Nous devons aller de l’avant car, sans cela, nos propos seraient vains, même si nous sommes heureux de les prononcer et de faire état de notre solidarité. S’ils ne se traduisent pas en actes juridiques, ce ne seront que des mots qui ne pourront satisfaire les demandes des pays victimes et des victimes des crimes pour lesquels la Cour pénale internationale est compétente.
Plus modestement, je me contente ce matin d’indiquer que le groupe Démocrate est favorable au texte. (Applaudissements sur le banc des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à M. Alain David.
M. Alain David
Nous l’avons dit lors de l’examen du texte en commission, la France soutient le rôle de la Cour pénale internationale et a répondu à sa demande de coopération en acceptant de faire partie des États pouvant être lieu d’exécution des peines prononcées à l’égard de personnes condamnées.
L’article 103 du statut de Rome prévoit que les peines prononcées par la Cour sont exécutées sur le territoire d’un État partie qui, désigné par la Cour, a fait part de sa volonté d’accueillir les personnes condamnées. Des accords similaires de coopération et d’accueil des personnes condamnées par la Cour existent avec plusieurs pays : l’Argentine, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Géorgie, le Mali, la Norvège, la Serbie, la Suède et le Royaume-Uni. La France a signé avec la CPI, le 11 octobre 2021 à La Haye, un accord sur l’exécution des peines prononcées par cette dernière.
Cet accord permet – et il s’agit de l’une de ses principales avancées – de ne plus négocier au cas par cas un accord international ad hoc pour accueillir une personne condamnée à une peine par la CPI, comme cela se fait jusqu’à aujourd’hui. Néanmoins, l’accord conclu entre la France et la CPI ne dispense pas cette dernière d’obtenir l’accord explicite de la France pour chaque accueil d’une personne condamnée : le principe reste celui du double consentement.
L’accord permet aussi de remédier à plusieurs difficultés juridiques. Je pense d’abord à celle relative à l’articulation entre normes nationales et internationales concernant notamment la délimitation du contrôle de l’exécution des peines et le contrôle des conditions de détention. Il y a ensuite le rôle du Comité international de la Croix-Rouge dans l’inspection des conditions de détention et le traitement des détenus. Il faut enfin ajouter l’inscription de la cessation de l’exécution des peines en cas d’événement de droit ou de fait imprévisible. L’ensemble des articles de l’accord a permis de répondre à ces difficultés.
Pour ces raisons, avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, nous soutiendrons l’approbation d’un accord qui constitue une avancée, même si nous parlons pour l’instant d’un nombre très réduit de personnes. Nous espérons en outre que les responsables des crimes de guerre et autres abominations commises en Ukraine seront traduits devant la Cour pénale internationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères, et M. Christopher Weissberg, rapporteur, applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Portarrieu.
M. Jean-François Portarrieu
Il n’existe pas de justice sans sanction. Cela vaut pour le droit français et doit aussi prévaloir pour le droit international. Nous avons aujourd’hui la chance de disposer, avec la Cour pénale internationale, d’une institution capable de juger et de condamner les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. C’est hautement symbolique : il s’agit désormais de donner à cette juridiction des moyens à la hauteur de ses ambitions.
L’accord qu’il nous est proposé d’approuver vise ainsi à donner à la CPI la capacité d’exécuter les peines qui y sont prononcées. Aujourd’hui encore, comme cela vient d’être rappelé, lorsque la Cour prononce une peine, elle dépend totalement des États pour son exécution. En effet, elle ne dispose pas de moyens propres et elle a besoin des États pour accueillir les condamnés. C’est pourquoi cet accord est indispensable et requiert le soutien convaincu du groupe Horizons et apparentés.
Tout d’abord, cet accord facilite l’exécution des peines. Il permet d’éviter des négociations systématiques lorsque la Cour demande à un pays, comme la France, d’accueillir un détenu. Belgique, Danemark, Autriche, Norvège ou encore Royaume-Uni : autant de pays qui disposent déjà d’un accord similaire à celui qui nous est présenté aujourd’hui.
Ensuite, cet accord favorise la réciprocité des liens qui unissent la France et la Cour pénale internationale. En votant ce projet de loi, nous préserverons la souveraineté française et notre liberté, notre droit d’accueillir ou non un détenu. La Cour doit elle-même respecter un principe d’égale répartition de l’exécution des peines entre tous les pays membres. Par ailleurs, l’accord permet à la Cour de contrôler les conditions de détention et, si besoin, de demander le transfert du détenu vers d’autres pays.
Enfin, cet accord constitue l’occasion de renouveler notre soutien à la Cour pénale internationale. Plus que jamais, et face au tragique de l’histoire, nous devons sans cesse rester mobilisés pour défendre les droits de l’homme. Il est ici question de préserver une institution qui, depuis sa création au lendemain de conflits majeurs en Europe, a montré toute son importance. Après la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques, l’URSS, la guerre revenait sur notre continent avec la guerre des Balkans, l’une des plus meurtrières depuis la seconde guerre mondiale. Nous n’oublions pas les nombreux crimes que ce conflit a provoqués ; la nécessité de juger les pays responsables des exactions commises s’étant imposée, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé la mise en place d’un tribunal pénal international. Celui-ci a posé les fondements du statut de Rome et, avec lui, ceux de la Cour pénale internationale.
Trente ans plus tard, la guerre a éclaté une nouvelle fois en Europe. L’agression de l’Ukraine par l’armée russe a donné lieu à de nombreuses exactions. Une nouvelle fois, la Cour pénale internationale devra enquêter, juger et sanctionner les coupables ; elle aura, pour ce faire, besoin de tout notre soutien. La France a renouvelé à plusieurs reprises son engagement aux côtés de la Cour, notamment en participant au financement de l’enquête en Ukraine. En votant une résolution en soutien à l’Ukraine, l’Assemblée nationale a reconnu le rôle majeur que la Cour doit jouer pour que toute la lumière soit faite sur les crimes commis par le pouvoir moscovite. Aujourd’hui encore, notre assemblée se doit d’agir en cohérence afin que, demain, nul ne puisse ignorer le droit international.
En conséquence, le groupe Horizons et apparentés votera avec conviction ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière.
M. Hubert Julien-Laferrière
Mes collègues l’ont dit avant moi : le projet de loi dont nous discutons ce matin aura, il est vrai, un impact limité. Depuis sa création, il y a de cela vingt ans, la Cour pénale internationale n’a prononcé que cinq condamnations définitives, pour trente-huit mandats d’arrêts et neuf citations à comparaître. Il n’en demeure pas moins que ce texte a une portée symbolique majeure, en raison de sa logique de dissuasion et de prévention. La Cour pénale internationale est une juridiction précieuse dans le combat contre les dictatures, les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre, combat dont notre pays, patrie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit rester à l’avant-garde. Bien entendu, la France a toujours soutenu la CPI depuis sa création. La guerre, qui est de retour en Europe, vient chaque jour nous rappeler l’importance d’une juridiction capable de juger et de condamner les horreurs commises par une poignée de tyrans ; c’est une tâche difficile, dont la communauté internationale ne saurait s’exonérer. Je veux saluer, à l’instar de mes collègues, la contribution volontaire exceptionnelle de 500 000 euros allouée par la France à la CPI dans le contexte du conflit en Ukraine.
Le groupe Écologiste-NUPES votera ce projet de loi. Nous le savons, la Cour pénale internationale n’est pas exempte de toute perfectibilité : en témoignent les huit années qui se sont écoulées entre l’ouverture de l’enquête et la condamnation en première instance de Thomas Lubanga Dyilo, ou les quinze années de procédure ayant mené à la condamnation de Bosco Ntaganda.
Tout a été dit par mes collègues sur l’avancée et les limites du présent projet de loi. Pour ma part, je veux saisir l’occasion qui m’est donnée d’émettre un vœu : que la CPI soit compétente demain pour juger les écocides, y compris en temps de paix. Parallèlement à l’inaction climatique, les écocides perpétrés pas certains gouvernements et bon nombre de multinationales contribuent au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. L’une des grandes mobilisations de notre siècle sera d’inscrire le crime d’écocide dans le droit pénal international.
M. Alain David
Il a raison !
M. Hubert Julien-Laferrière
Depuis l’utilisation de l’agent orange dans les années 1960 au Vietnam par l’armée américaine – je veux saluer ici le combat mené par Tr?n T? Nga depuis 2014 pour la justice environnementale –, le concept bien réel d’écocide peine à trouver une traduction juridique. Pourtant, il y a urgence, et les fautifs sont connus : Jair Bolsonaro, qui encourage l’exploitation de la forêt amazonienne au Brésil ; Vladimir Poutine, qui massacre l’Ukraine ; Hafez el-Assad, qui utilise des armes chimiques en Syrie. Sans parler des multinationales, comme les nombreuses entreprises pétrolières, qui agissent en ayant pleine conscience des conséquences de leurs activités sur le climat.
Peut-être sera-ce le cas de Total Energies si nous ne parvenons pas à stopper son terrible projet d’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est, l’Eacop – East African Crude Oil Pipeline, ou oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est.
Mme Delphine Batho
Très bien !
M. Hubert Julien-Laferrière
En Ukraine, 900 zones naturelles protégées ont été affectées par les activités militaires de la Russie ; 1,2 million d’hectares, soit environ 30 % de l’ensemble des espaces protégés du pays, souffrent des effets de la guerre. Des forêts ont été anéanties par les incendies provoqués par les bombardements et par les agissements des forces de Vladimir Poutine.
Les écologistes demandent donc la reconnaissance de l’écocide comme cinquième crime relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, y compris en temps de paix. Je dois rendre hommage à l’association Notre Affaire à Tous, qui œuvre depuis plus de sept ans à l’instauration d’une justice climatique contre ceux qui détruisent la planète, ainsi qu’à notre collègue députée européenne Marie Toussaint et à notre collègue députée Marie Pochon.
Nous mesurons bien l’avancée que représente un cadre légal d’information et de dénonciation des pratiques écocides et la portée qu’aurait un effet dissuasif. Celui-ci pourrait s’avérer très efficace, les dirigeants politiques ou les chefs d’entreprise voulant éviter de tomber sous le coup de telles responsabilités pénales. En effet, quel PDG souhaiterait se voir associé à un criminel de guerre ?
Mes chers collègues, il est temps d’avancer pour la reconnaissance des crimes commis contre notre planète et le vivant, que ce soit au niveau national, comme le proposaient les 150 tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat, ou au niveau international, comme les écologistes le proposent depuis des années. L’écocide doit se traduire dans le droit !
Au-delà de l’accord que nous approuverons aujourd’hui, la Cour pénale internationale pourrait, sur l’initiative de la France, incarner ce lieu où s’invente enfin un droit international à la hauteur du défi écologique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES. – M. Christopher Weissberg, rapporteur, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon
Je vous rassure d’emblée : ce texte est bon et mon groupe le votera !
M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères
Ah, c’est un bon début !
Mme Karine Lebon
L’occasion est toute désignée pour revenir sur un problème déjà abordé par Jean-Paul Lecoq, lorsqu’il était corapporteur de la commission des affaires étrangères, et par notre ancienne collègue Nicole Ameline. Le président de la commission et plusieurs de mes collègues l’ont rappelé : ce problème, c’est celui de l’adaptation du droit pénal français à la Cour pénale internationale. En effet, le texte d’adaptation limitait très fortement la compétence universelle de la France, en vertu de laquelle un État peut arrêter sur son sol un criminel étranger accusé de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.
Cette entrave s’est manifestée par l’instauration de quatre critères : l’obligation de prouver la résidence habituelle du suspect en France ; le principe de double incrimination, lequel prescrit qu’on ne peut juger quelqu’un que si la peine encourue est également reconnue dans son pays d’origine ; le monopole des poursuites, en vertu duquel seul le ministère public est habilité à se saisir d’une telle affaire ; l’inversion du principe de complémentarité, impliquant que la France ne peut poursuivre le suspect concerné que si la CPI a décliné sa compétence.
L’ensemble de la commission des affaires étrangères de notre assemblée avait voté contre ces limitations. Chose rare, elle s’était opposée à la commission des lois et au Sénat, qui avaient voté en faveur de l’application de ces critères. Le Gouvernement de l’époque avait quant à lui choisi son camp, celui d’introduire ces quatre verrous dans notre législation. Disons-le clairement : la France est devenue soudainement un paradis pénal, un eldorado pour les criminels de guerre ou les auteurs de crimes contre l’humanité passibles d’un jugement de la Cour pénale internationale.
Mon collègue Jean-Paul Lecoq avait dénoncé ce phénomène devant la commission des affaires étrangères, en janvier dernier, à propos d’un mécanisme juridique portant sur les crimes commis en Syrie. Le débat, très riche, a abouti à l’idée que la commission alerte les ministères concernés afin qu’ils proposent une réforme d’adaptation du droit pénal français à la Cour pénale internationale. Nous croyions avoir été entendus, nous pensions que le Gouvernement allait mettre fin à ces verrous qui font de la France une sorte de safe zone – une zone sûre – pour criminels internationaux.
Monsieur le président de la commission, il semble opportun, avec le mandat qui s’ouvre, de concrétiser cet engagement.
L’utilisation de la Cour pénale internationale doit être la plus ambitieuse et honnête possible. Nous devons nous obliger à une honnêteté politique, de même qu’humanitaire, pour que les crimes sur lesquels la CPI enquête ne soient pas uniquement l’objet de jeux diplomatiques. La Cour doit jouer son rôle et travailler sur les sujets majeurs de violation du droit international humanitaire. Nous saluons d’ailleurs le travail qu’elle a accompli sur les crimes perpétrés par la Russie en Ukraine : bombardements de zones peuplées et de cibles civiles et divers abus commis par les soldats.
Ces crimes ont également été commis au Congo. Nous avons le devoir d’œuvrer promptement à la mise en place d’un tribunal pénal international, tel que le prescrit le rapport Mapping. Ce rapport, que nous vous invitons tous à consulter, décrit 617 crimes de masse en plus de nommer les victimes et les auteurs des violations des droits de l’homme dans l’est du Congo entre 1993 et 2003. Ce rapport ne plaît pas, notamment aux dirigeants rwandais, qui sont les nouveaux appuis de la France en Afrique australe. Il a pourtant émis de précieuses recommandations, mais elles n’ont jamais été mises en œuvre. On se demande pourquoi ! La CPI s’honorerait à aller enquêter là-bas, tout comme elle s’est honorée à diligenter une enquête sur les crimes de guerre commis à Gaza depuis 2014.
Je souhaite, grâce à ces enquêtes et aux futurs procès, que nous puissions surmonter le terrible échec du procès de Laurent Gbagbo, qui a été placé pendant plusieurs années en détention provisoire pour rien, même quelques mois après avoir été acquitté ! C’est indigne d’une institution internationale ; il est temps d’effacer cet échec et aller de l’avant en rendant plus forte la justice internationale.
Martin Luther King disait que la moindre injustice, où qu’elle soit commise, menace l’édifice tout entier. Chers collègues, ne laissons pas notre édifice, notre sens de la justice et de l’humanité s’effondrer. Tout crime commis à l’encontre des Ukrainiens, des Palestiniens ou des Congolais est un crime contre l’humanité tout entière que l’on doit combattre de la même manière. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
La portée symbolique de cet accord est peut-être plus importante que sa portée pratique. En effet, depuis la création de la Cour pénale internationale en 2002, seules cinq personnes ont été condamnées. La recherche et l’arrestation des suspects relève largement de la coopération interétatique et les procédures judiciaires sont complexes. Voilà qui limitera la portée de cet accord et rendra assez ponctuelle sa mise en œuvre. Il importe toutefois que la France le ratifie et soutienne ainsi l’effectivité de la justice pénale internationale.
Notre histoire nous rappelle combien les crimes de guerre sont nombreux, notamment ceux qui ont été perpétrés sous le nom de « tactique du dégât ». Pour ceux qui ne savent pas en quoi cette dernière consiste, pensez à Oradour-sur-Glane : on enserre une localité, on tue tous les êtres humains qui s’y trouvent – hommes, femmes, enfants – et on brûle tout. Malheureusement, cette tactique a été largement employée par toutes les armées. Je pourrais citer le sac du Palatinat par l’armée française au XVIIe siècle, les massacres commis en Vendée sous la Révolution, les massacres commis contre les populations qui ont résisté aux armées napoléoniennes, que ce soit en Espagne ou en Autriche, ou encore la colonisation.
Vous me direz : « C’est bien gentil, monsieur Molac, mais tout cela, c’est de l’histoire. » Certes, mais notre histoire nous revient, et l’on a pu voir dernièrement sur le continent européen, avec l’Ukraine, que ces pratiques barbares – le viol systématique, l’élimination de toute une population – étaient malheureusement encore des pratiques courantes. Je pourrais citer évidemment le Tigré, le Yémen, la Birmanie, la Syrie ; notre collègue Lebon a rappelé le Rwanda et la Realpolitik en Afrique, laquelle pose un certain nombre de problèmes. Pour limiter le plus possible toutes ces pratiques barbares et totalement inacceptables, un petit pas dans la bonne direction est toujours bon à prendre.
La France soutient, dans les instances internationales, la compétence de la CPI et lutte contre la peine de mort dans le monde. Depuis l’origine de la Cour, la France promeut l’universalité du statut de Rome de 1998. Elle milite au sein des organisations internationales et dans le cadre des relations bilatérales pour accroître le nombre d’États parties prenantes. Aujourd’hui, la Cour n’est compétente que dans les 123 pays signataires du statut de Rome. En 2014, l’Ukraine, qui n’est pas signataire de ce traité, a tout de même accepté la compétence de la CPI – je pense qu’elle ne le regrettera pas – et, en 2016, la Russie s’en est retirée : on voit donc que son destin n’est pas un long fleuve tranquille vers l’entrée dans le droit international, car l’on peut s’en retirer en fonction des intérêts politiques du moment. La France répond aux demandes de coopération judiciaire, fournit une assistance opérationnelle – elle est l’un des États qui coopèrent le plus largement, en dehors des États dans lesquels sont perpétrés ces crimes – et participe financièrement au rôle de la Cour.
Notre groupe votera d’autant plus en faveur de cette ratification qu’elle respecte la souveraineté des États, par exemple en matière d’incarcération des condamnés. C’est un petit pas, certes, mais un pas symbolique, qui permettra, je l’espère, de poursuivre une série de criminels de guerre qui n’ont leur place que dans les prisons. (Applaudissements sur les bancs des commissions et sur quelques bancs des groupes RE, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Caroline Yadan.
Mme Caroline Yadan
Notre collègue rapporteur nous a présenté avec talent le contenu et les enjeux de l’accord sur l’exécution des peines prononcées par la Cour pénale internationale et, surtout, son importance pour la durabilité de la paix, particulièrement précarisée et fragilisée par un environnement en voie de brutalisation, toujours plus conflictuel. Car c’est bien de paix qu’il s’agit dans l’accord passé entre le Gouvernement et la CPI.
Promouvoir la paix, c’est d’abord refuser toute dénaturation de sa définition et son appropriation par certains États à mauvais escient. C’est refuser, ensuite, l’existence d’un ordre international au sein duquel la domination et la loi du plus fort pourraient se substituer à notre droit. Promouvoir la paix, c’est, enfin, revenir aux principes premiers de l’universalisme et de la justice internationale. Comme l’affirmait Emmanuel Kant en 1795 : « Ne peut être reconnu comme traité de paix celui qui porterait les principes d’une nouvelle guerre ». En somme, promouvoir la paix et la construire au moyen du droit, c’est refuser l’impunité et participer pleinement à la justice internationale afin qu’elle établisse la réalité des crimes, qu’elle juge les coupables, qu’elle participe à la manifestation de la vérité et qu’elle s’appuie sur des institutions et des administrations efficaces, solides, justes et fiables.
Parce qu’elle n’a pas de police propre ni de services qui lui permettent de recueillir elle-même les éléments de preuve, la Cour pénale internationale a indéniablement besoin des États pour s’organiser et faire exécuter ses peines. À travers ce texte, le Gouvernement réaffirme et assume des choix responsables et courageux pour rendre la justice internationale opérationnelle : le choix d’un engagement volontaire et pleinement libre dans le fonctionnement de la justice internationale et contre les crimes les plus graves – génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression ; le choix d’être parmi les premiers contributeurs à l’organisation de la Cour, financièrement et humainement ; le choix de concrétiser et de rendre opérantes les procédures pénales et l’application des peines y afférentes ; enfin, le choix de permettre une exécution fluide et pertinente des sanctions prononcées par la Cour en dernier ressort, sans renégociation systématique des conditions d’accueil et de détention de la personne condamnée.
Cet engagement du Gouvernement en faveur de l’exécution des peines prononcées par la Cour est d’autant plus essentiel que notre monde est fracturé par les négationnismes de tout genre, par les nationalismes dangereux, par les tentatives de faire reculer la démocratie, par l’érosion des espaces de liberté d’expression, par les dictateurs méprisant les droits de l’homme et par les fantasmes de pureté ethnique ou religieuse. Alors que nous avons fêté le vingtième anniversaire de la CPI en 2018, le monde actuel n’est pas devenu moins violent, ni plus juste. Impossible, en effet, d’ignorer les terribles conflits qui ont été ou sont encore déclenchés par certaines grandes puissances et qui ont touché la Libye, la Syrie et, plus récemment encore, l’Ukraine, à moins de s’en rendre complice et de renier toutes nos valeurs. Comment ne pas penser aux images insoutenables des crimes commis à Boutcha, Kharkiv, Marioupol, Izioum, ou encore Kherson ? Comment ne pas penser aux témoignages qui font état d’exactions commises par les soldats azerbaïdjanais sur des civils et militaires arméniens ? Comment ne pas penser aux exécutions, viols, tortures, pillages, abus sur les enfants, travail forcé qui auraient été perpétrés par des militaires dans l’est de la République démocratique du Congo ?
En ce sens, le projet de loi autorisant l’accord entre le Gouvernement et la juridiction pénale internationale est fondamental. Il témoigne de l’engagement de la France, du soutien de notre pays à la Cour et de la nécessité d’une justice internationale au service de la paix. Plus qu’un simple accord technique, ce projet de loi soulève, en fait, une question cruciale : celle de confirmer et de soutenir l’existence d’une juridiction capable de faire respecter le droit international et de punir les crimes les plus graves. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard
Ne nous racontons pas d’histoires : cet accord a une portée essentiellement symbolique.
La Cour pénale internationale a été créée en 2002. Elle compte aujourd’hui 123 États parties, dont la France. Elle est la première et unique juridiction pénale à la fois permanente, internationale et à vocation universelle. Elle est compétente pour juger les crimes internationaux les plus graves : génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre et, dans certains cas, crime d’agression. Elle a été imaginée pour lutter contre l’impunité et donc contre toute forme d’immunité, ce qui lui permet de juger les principaux responsables de ces crimes, y compris des chefs d’État ou de gouvernement, des ministres et même des parlementaires.
Pour garantir son bon fonctionnement, la conclusion d’accords bilatéraux entre la Cour et ses États membres est essentielle. Parmi ces accords, celui qui nous occupe aujourd’hui permettra la détention de personnes condamnées dans une prison française, afin qu’elles y purgent leur peine, sans avoir besoin de négocier un nouvel accord à chaque fois. Il faut préciser que tous les accords bilatéraux conclus avec la Cour pénale internationale sont d’application volontaire et reposent sur un principe de double consentement : aucune obligation d’accueil d’une personne condamnée ne s’imposera à nous et la France aura l’occasion de se prononcer sur chaque cas précis, en vertu, par exemple, des places disponibles ou d’éventuels liens entre la personne condamnée et la France.
Vous avez évoqué en commission, monsieur le rapporteur, la question de l’efficacité de la CPI, en rappelant qu’il n’y avait eu que cinq condamnations définitives pour trente-huit mandats d’arrêt délivrés. C’est peu, tout le monde en conviendra. On nous répondra que pour être crédible, irréprochable, la justice internationale a besoin de temps. Bien sûr, mais je suis persuadée, convaincue, que cette Cour pénale ne pourra pas tout faire toute seule. Il est indispensable de prévoir, au niveau national, des mesures complémentaires qui permettront de couper court aux soupçons d’inefficacité et d’illégitimité de cette juridiction. Je pense évidemment à l’application du principe de compétence universelle prévu par les conventions de Genève de 1949.
En France, les dispositions qui régissent la compétence universelle sont les articles 689 et suivants du code de procédure pénale. Ils précisent dans quelles conditions les tribunaux français peuvent l’exercer. Malheureusement, la France en a une vision pour le moins restrictive : elle ne peut y recourir que sur le fondement de certaines conventions internationales, contre la torture ou les disparitions forcées notamment. De plus, après avoir fait preuve d’un certain courage en condamnant, en juillet 2005, en application de cette compétence universelle, un capitaine mauritanien à dix ans de réclusion criminelle pour des actes de torture commis à l’encontre de Mauritaniens entre 1990 et 1991, la France a finalement jugé bon d’adapter – je devrais dire de restreindre – la compétence universelle en l’intégrant au droit français par la loi du 9 août 2010, qui assortit sa mise en œuvre de conditions si restrictives que celle-ci devient pratiquement impossible. La loi comporte en effet quatre verrous destinés à limiter l’usage de la compétence universelle afin, notamment, de protéger les militaires français en opération extérieure et d’éviter que la compétence universelle ne rende le passage en France trop périlleux pour les dignitaires étrangers, ce qui rendrait, prétendent nos autorités, encore un peu plus complexe l’exercice de notre diplomatie. L’Allemagne n’a pas ces pudeurs : elle multiplie les procès. Elle a encore condamné, en début d’année, un militaire syrien sur le fondement de la compétence universelle, ce que la France, disons-le, serait bien incapable de faire aujourd’hui.
Alors, approuver cet accord entre la France et la Cour pénale internationale, bien sûr ! Je le voterai, évidemment. Mais notre gouvernement, s’il veut être crédible dans la lutte contre l’impunité, doit absolument revoir sa copie sur la compétence universelle. Tout le reste n’est qu’affichage et petits arrangements diplomatiques. Lutter contre l’impunité n’est pas qu’une affaire de textes, de postures, de principes ; il faut du caractère, de l’audace, de la suite dans les idées et, c’est vrai, il faut accepter le risque de se fâcher avec d’anciens ou de futurs amis. Mais il est difficile de s’afficher comme le pays des droits de l’homme en faisant preuve d’une prudence pour le moins excessive. Comme toujours, il y a d’un côté les effets de manche et de tribune et, de l’autre, les actes concrets ; ils sont parfois, j’en conviens, très difficiles à accomplir, mais cela s’appelle le courage.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État
Monsieur le président de la commission, nous partageons votre intérêt pour la compétence des juridictions françaises en matière de poursuites et de jugement des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. C’est un sujet que le ministère de la justice et celui de l’Europe et des affaires étrangères suivent de près. Le garde des sceaux vous a écrit le 7 mars à ce propos et, comme vous le savez, nos ministères se sont exprimés conjointement dans un communiqué du 9 février 2022.
La Cour de cassation doit de nouveau trancher, à la suite d’un arrêt du 24 novembre 2021 sur le sujet. Dans l’attente de cette décision de l’assemblée plénière de la Cour, notre ministère se tient prêt à définir rapidement les évolutions législatives qui permettront à la France de continuer à inscrire résolument son action dans le cadre de son engagement constant en faveur de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE et sur le banc des commissions.)
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
Vote sur l’article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures vingt-cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Accélération de la production d’énergies renouvelables
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (nos 443, 526).
Discussion des articles (suite)
Mme la présidente
Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 1269 à l’article 3, appelé par priorité.
Article 3 (appelé par priorité) (suite)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Nury, pour soutenir l’amendement no 1269.
M. Jérôme Nury
Il vise à exclure des zones d’accélération « les espaces naturels protégés et les parcs naturels régionaux, y compris dans les espaces protégés au titre de la réglementation Natura 2000 ».
Mme la présidente
La parole est à M. Henri Alfandari, rapporteur de la commission des affaires économiques pour les titres Ier A et Ier, pour donner l’avis de la commission.
M. Henri Alfandari, rapporteur de la commission des affaires économiques
La protection des zones naturelles – espaces ou parcs – fait l’objet de nombreux amendements, dont beaucoup ont été adoptés en commission. L’avis de la commission est défavorable à cet amendement, ainsi qu’à certains qui suivront, mais il sera favorable à d’autres, qui permettront de préciser les modalités de protection de ces zones.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique, pour donner l’avis du Gouvernement.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Je ferai, comme M. le rapporteur, un commentaire général sur l’ensemble des amendements qui visent à resserrer ou à limiter les zones d’accélération. La philosophie suivie lors des débats au Sénat, que nous souhaitons suivre également à l’Assemblée nationale, a été de laisser les élus locaux identifier, ensemble, les zones les plus appropriées à l’installation d’équipements producteurs d’énergie renouvelable. Je rappelle que les zones d’accélération concernent toutes les technologies d’énergie renouvelable. Or une série de limitations prévues par ces amendements ne sont pas du tout adaptées à certaines technologies.
Dans cet esprit, l’avis du Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements car ils limitent la capacité d’arbitrage des maires et des intercommunalités.
(L’amendement no 1269 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je suis saisie de trois amendements, nos 1938, 96 et 219, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 96 et 219 sont identiques.
La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement no 1938.
M. Marc Le Fur
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous l’aurez compris, les dispositifs prévus par ce texte ne nous satisfont pas et sont source de questions. Nous souhaitons, à tout le moins, protéger ou épargner certains territoires, notamment de l’éolien, dont vous voulez absolument accélérer le déploiement. Si j’ai bien compris, vous admettez la nécessité d’épargner les parcs nationaux. Nous souhaitons que les parcs régionaux le soient également.
Dans les parcs régionaux, les agriculteurs sont soumis à des contraintes. Comment l’accepter alors que, pour le lobby éolien, vous n’avez que le mot « accélérer » à la bouche ? Épargnons nos parcs régionaux pour qu’ils ne soient pas défigurés, en particulier par des éoliennes. Ils sont de qualité, les élus y font des efforts et les populations s’y investissent.
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 96.
M. Vincent Descoeur
Hier, nous avons eu un débat intéressant sur le caractère exclusif des zones d’accélération. Malheureusement, il n’a pas été couronné de succès.
Le présent amendement concerne les parcs naturels régionaux. Il s’inscrit dans une série d’amendements dont l’objet est la protection des paysages des territoires labellisés, dont la gestion, comme l’a justement souligné mon collègue Marc Le Fur, est soumise à des chartes encadrant fortement certaines activités. Il serait curieux que cette rigueur en matière de protection des paysages ne s’applique pas au déploiement de l’éolien terrestre.
Mme la présidente
L’amendement no 219 de M. Nicolas Forissier est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Alfandari, rapporteur
Avis défavorable, pour les raisons évoquées précédemment. Je rappelle que j’émettrai un avis favorable à des amendements traitant de la protection des zones naturelles. Il s’agit du sous-amendement no 3075 à l’amendement no 2200, qui prévoit une consultation pour les parcs régionaux, et de l’amendement no 765, qui prévoit l’avis du gestionnaire pour les aires protégées.
M. Marc Le Fur
Il faudrait les expliciter !
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Mon avis est également défavorable. Chaque installation donne lieu à une appréciation de l’impact paysager ; les chartes que vous mentionnez, monsieur Descoeur, sont donc prises en considération. Vos amendements sont ainsi satisfaits.
(L’amendement no 1938 n’est pas adopté.)
(Les amendements identiques nos 96 et 219 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 507.
M. Vincent Descoeur
Il s’inscrit dans le même esprit que le précédent, mais concerne les sites Natura 2000. Dans ces zones, les activités humaines sont très encadrées. Je ne comprends pas que l’éolien terrestre échappe à cette règle.
(L’amendement no 507, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 508.
M. Vincent Descoeur
Je pose la même question pour les sites membres du Réseau des grands sites de France – vous en connaissez certainement dans vos régions respectives. Puisque le déploiement de l’éolien terrestre risque d’atteindre les paysages, je ne comprends pas que ces installations y soient possibles. Les interdire serait une mesure de bon sens.
M. Marc Le Fur
Tout à fait !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Alfandari, rapporteur
Les sites membres du Réseau des grands sites de France pourront également être inclus dans les zones d’exclusion, dont l’amendement no 850, si vous l’adoptez, permettra de faciliter la création.
Par ailleurs, les sites visés sont déjà labellisés ; des protections sont déjà prévues. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Effectivement, ces sites sont déjà protégés. Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Descoeur.
M. Vincent Descoeur
Monsieur le rapporteur, votre réponse n’est pas rassurante. Créer la possibilité d’inclure ces sites dans les zones d’exclusion ne garantit pas qu’ils le seront. En fait, cela veut dire que rien n’est interdit dans ces sites – c’est un mauvais signal.
M. Henri Alfandari, rapporteur
Non, c’est faux !
Mme la présidente
La parole est à M. Grégoire de Fournas.
M. Grégoire de Fournas
C’est intéressant ! Vous avez rappelé hier que l’environnement de la cathédrale de Chartres était épargné et n’accueillait pas d’éoliennes, ce qui montre bien que ces installations sont moches.
Mme Michèle Peyron
Oh !
M. Grégoire de Fournas
Je me réjouis que la circonscription de M. le président de la commission des affaires économiques bénéficie de ce privilège, qui est malheureusement refusé à d’autres.
Mme Clémence Guetté
Ne prenez pas trop vos aises !
M. Grégoire de Fournas
Je regrette qu’hier, nous n’ayons pas pu évoquer davantage l’impact des éoliennes sur les feux de forêt : nous n’avons eu aucune réponse de la part des rapporteurs ou du Gouvernement.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Comment pouvez-vous dire ça ?
M. Grégoire de Fournas
Quant aux réponses apportées depuis le début de cette séance, elles sont assez courtes. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Nous soutiendrons cet amendement, car il importe que notre assemblée grave dans le marbre que les sites membres du Réseau des grands sites de France sont protégés des éoliennes. (Mme Clémence Guetté s’exclame.)
Mme la présidente
Madame Guetté, s’il vous plaît !
M. Grégoire de Fournas
Celles-ci sont inefficaces, moches et coûteuses.
(L’amendement no 508 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je suis saisie de trois amendements, nos 629, 727 et 950, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 629 et 727 sont identiques.
La parole est à M. Jérôme Nury, pour soutenir l’amendement no 629.
M. Jérôme Nury
Le présent amendement de M. Fabrice Brun vise à exclure les installations de production d’énergie renouvelable dans « les zones à proximité des sites mémoriaux, patrimoniaux remarquables et ceux inscrits au patrimoine mondial de l’humanité ». Mon collègue pense notamment à la grotte Chauvet, dans le sud de l’Ardèche, qui mériterait d’être protégée de la proximité des éoliennes. Quant à moi, en tant que Normand, je pense à la baie du Mont-Saint-Michel et aux plages du Débarquement. Elles doivent être sanctuarisées afin qu’aucun ouvrage n’endommage ces sites liés à notre histoire et à l’histoire de l’humanité.
La création de zones d’exclusion doit s’inscrire dans une approche beaucoup plus globale, nationale, plutôt qu’être simplement votée par des élus locaux. Il revient à l’État de définir ces zones, car elles concernent tout le monde, à l’échelle mondiale.
Mme la présidente
Les amendements nos 727 de M. Julien Dive et 950 de M. Pierre Cordier sont défendus.
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Henri Alfandari, rapporteur
Je le répète, il me semble fou d’imaginer que les élus de terrain qui identifieront les zones d’accélération choisiront les sites que vous évoquez pour les installations d’énergie renouvelable. Par ailleurs, ils auront le loisir de définir des zones d’exclusion. Enfin, nous avons prévu des protections concernant l’environnement des zones, qui font l’objet de deux amendements. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel
Comme vous le savez, attachés que nous sommes au principe de libre administration des collectivités locales, nous avons beaucoup milité pour que les élus soient fermement associés à la détermination des zones d’accélération. Nous ne revenons pas sur ce parti pris. En revanche, nous croyons en l’État stratège ; l’État doit protéger, la loi doit prendre soin de nos concitoyens – ce qui n’est pas incompatible avec le principe de libre administration.
J’appelle donc votre attention sur l’un des angles morts de ce projet de loi. En matière d’énergie renouvelable, le marché fait son œuvre. J’ai bien peur d’ailleurs que votre projet soit d’étendre cette logique à toute la production d’énergie. Nous nous inquiétons ainsi que ce texte ouvre la boîte de Pandore et préfigure le projet Hercule 2.0, vous permettant de saucissonner EDF et de privatiser sa branche énergie renouvelable. (MM. Matthias Tavel et Maxime Laisney applaudissent.) Nous sommes évidemment très vigilants sur ce point.
Le marché faisant son œuvre, nous ne sommes pas à l’abri de pressions multiples sur les élus locaux concernant le développement des projets éoliens. Le comportement des promoteurs n’est pas toujours éthique, mais c’est un angle mort de nos débats. J’ai eu l’occasion de raconter en commission des affaires économiques comment les premiers promoteurs d’un parc éolien offshore m’avaient proposé des vacances dans le lieu de mon choix pour me rallier à leur projet. En outre, l’asphyxie organisée des collectivités locales, l’assèchement financier des communes, fragilise celles-ci.
M. Éric Alauzet
Oh là là !
M. Sébastien Jumel
Qui n’est pas d’accord ?
M. Marc Le Fur
Plutôt que d’interrompre les orateurs, demandez la parole et attendez votre tour !
M. Sébastien Jumel
La loi du marché permettra aux opérateurs privés d’exercer des pressions sur les communes. Nous devons garder cela en tête si nous voulons que l’État protège et prenne soin d’espaces qui ne sont la propriété de personne parce qu’ils sont le bien commun de tous. Les amendements qui viennent d’être défendus s’inscrivent dans ce projet, me semble-t-il.
Mme la présidente
La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Jimmy Pahun
Pouvez-vous nous confirmer que les sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco sont déjà préservés ?
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques et M. Pierre Cazeneuve, rapporteur pour avis
Oui ! C’est le cas !
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Je précise que nous disposons déjà d’outils pour protéger les sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Monsieur de Fournas, vous avez cité tout à l’heure la cathédrale de Chartres, qui y figure depuis 1979. Celle-ci bénéficie de dispositifs de préservation des vues. Ainsi, aujourd’hui même, le Journal officiel a publié un décret en Conseil d’État portant approbation d’une directive de protection et de mise en valeur des paysages, afin de préserver 457 cônes de vue sur la cathédrale de Chartres de toute construction en hauteur – outre les éoliennes, les bâtiments élevés, les entrepôts et ainsi de suite sont également exclus. Ce décret avait été préparé par les services de l’État ; la préfecture a notamment travaillé pendant des années avec les élus locaux et les associations pour protéger ce patrimoine inestimable. Nous pouvons donc tout à fait y parvenir, sans empêcher pour autant la construction, à d’autres endroits, de nouveaux bâtiments, entrepôts ou éoliennes.
Je le répète : dans l’Eure-et-Loir, 250 éoliennes ont été installées sur des sites où elles ne posent aucun problème, ce dont conviennent les élus locaux et les associations ; cela n’exclut pas la protection de 457 sites autour de la cathédrale de Chartres. Nous pouvons faire les deux ! Arrêtons de penser qu’il sera impossible de protéger les monuments inscrits sur la liste du patrimoine de l’Unesco, ou, à l’inverse, que toute nouvelle construction sera interdite dans des départements entiers. Cet article donne les clés du camion aux élus locaux, qui pourront déterminer différentes zones, en lien avec les services de l’État, notamment la préfecture, qui protège les sites patrimoniaux exceptionnels.
(Les amendements identiques nos 629 et 727 ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 950 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Meurin, pour soutenir l’amendement no 741.
M. Pierre Meurin
Non, les sites patrimoniaux de l’Unesco ne sont pas nécessairement protégés de l’implantation d’éoliennes. (Mme Delphine Batho proteste.) Par exemple, nos concitoyens habitant à proximité du Mont-Saint-Michel, de la colline de Vézelay ou encore de la saline royale d’Arc-et-Senans ont dû se battre pour l’empêcher. Le présent amendement, dont l’objet est proche des précédents, tend à inscrire dans la loi que les biens figurant sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco sont protégés à cet égard. Un tel garde-fou est important ; il permettra de gagner en clarté et d’apporter des garanties juridiques à la défense de notre patrimoine.
(L’amendement no 741, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement no 2649.
M. Marc Le Fur
Pour notre part, nous considérons que le patrimoine compte, que notre histoire et notre culture comptent. Certains prétendent que la culture française n’existe pas. Je crois qu’elle existe et qu’il faut la préserver. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Murmures sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Le texte prévoit que les élus locaux décideront du zonage, mais, comme l’a rappelé très justement M. Jumel, ceux-ci sont soumis à des pressions diverses. Bien des communes sont en difficulté ; pour les résoudre, leurs élus pourraient être amenés à sacrifier leur territoire.
N’oublions pas non plus que les élus commettent des erreurs. Pensons à l’aménagement de certaines villes que je ne nommerai pas par charité.
Mme Emmanuelle Ménard
Des noms ! Des noms !
M. Marc Le Fur
Disons que ce ne sont pas des exemples de pertinence. Il convient donc d’instaurer une protection nationale. Tel est l’objectif raisonnable de cet amendement – même si celui-ci ne permettra pas une protection parfaite.
Je souhaite que certains lieux ne puissent être attaqués, subir cette pollution visuelle.
Mme Marie-Noëlle Battistel
Mais les élus savent quels lieux sont à exclure !
M. Marc Le Fur
Je pense par exemple à certains sites autour de Verdun, comme la Voie sacrée, qui font partie de notre histoire. Mais on sait bien que le monde des start-up, qui est celui des membres du groupe Renaissance, est très loin de tout cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Ne dites pas ça !
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Cette remarque n’est pas à la hauteur !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Alfandari, rapporteur
Avis défavorable, pour les mêmes raisons que pour les amendements précédents.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Monsieur Le Fur, savez-vous repérer une installation de géothermie dans un paysage ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
M. Marc Le Fur
Nous parlons des éoliennes !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Non, votre amendement porte sur les zones d’accélération des énergies renouvelables. L’avis est défavorable. À force d’être obnubilé par les éoliennes, vous perdez de vue l’objet de ce texte : développer les énergies renouvelables de manière proportionnée, en faisant confiance aux élus de terrain.
M. Marc Le Fur
Arrêtez de nous raconter des blagues, les éoliennes, c’est le cœur de ce texte !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Manifestement, vous ne leur faites pas confiance, contrairement à nous. (« Bravo ! » sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois
Monsieur Le Fur, je suis surprise par votre manque de confiance envers nos élus locaux. Même dans les plus petites communes, les maires se battent pour bénéficier d’un classement patrimonial, que ce soit auprès de l’Unesco ou de la Fédération européenne des sites clunisiens. Ils savent que ces labels constituent des atouts pour leur commune. Ils sont donc vigilants.
Dans ma circonscription, je vous assure qu’aucun maire n’aura l’idée de faire installer une éolienne à côté d’une abbaye cistercienne ou d’un site clunisien. Nous leur faisons confiance, car ils connaissent la valeur de leur paysage pour leur commune.
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Voilà la vérité !
Mme Danielle Brulebois
Je rappelle en outre que vous refusez souvent la création de parcs naturels nationaux ou régionaux, les accusant de mettre les territoires sous cloche, d’y empêcher l’activité. Soyez donc cohérents ! Les énergies renouvelables créent des emplois, de l’activité économique,…
M. Jérôme Nury
Je ne vois pas quelle activité les éoliennes apportent !
M. Jean-Yves Bony
Les éoliennes créent surtout des emplois en Allemagne !
Mme Danielle Brulebois
…accroissent l’attractivité des communes – dès lors que l’implantation des installations est bien pensée, nous sommes d’accord. Pour ma part, je peux vous dire que c’est souvent le cas. Dans mon département, le développement des énergies renouvelables est ainsi exemplaire. Les maires sont responsables et conscients de la valeur de leur patrimoine ; ils font tout pour qu’il soit respecté.
Mme la présidente
La parole est à M. Grégoire de Fournas.
M. Grégoire de Fournas
Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, cette loi est un fourre-tout qui vise autant les éoliennes que les panneaux photovoltaïques ou la géothermie – pour laquelle vous nous annoncez un plan spécifique dans deux mois. Tout cela est bien flou !
Monsieur le président de la commission des affaires économiques, en réalité, vous allez laisser les élus locaux seuls…
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Faites-leur confiance !
M. Grégoire de Fournas
…face aux pressions des promoteurs d’éoliennes – et l’on sait ce qu’elles peuvent être. La loi ne leur permettra pas de se défendre et ils seront donc vulnérables. Il faut qu’elle les protège. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe LR.)
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Vous ne faites pas confiance aux élus locaux !
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Le Fur.
M. Marc Le Fur
Voilà que nos amis de Renaissance défendent les élus locaux !
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Et Les Républicains ne les défendent pas !
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Ils n’aiment pas les territoires, la ruralité. Ils sont hors-sol.
M. Marc Le Fur
C’est intéressant car cela dénote une évolution. Sur d’autres dossiers, vous ne les avez guère favorisés. Mme la ministre nous explique qu’il n’y a pas de sujet. Je suis député des Côtes-d’Armor ; le cap d’Erquy fait partie du Réseau des grands sites de France. Pourtant, à 13 ou 14 kilomètres en mer, en face du cap, soixante-deux éoliennes, chacune de la hauteur de la tour Eiffel, et leurs pales enlaidissent le site.
M. Éric Bothorel
C’est faux !
M. Marc Le Fur
Voilà la réalité ! Alors n’allez pas nous expliquer que ces sites sont protégés ! Ils risquent au contraire d’être pollués visuellement par les dispositions que vous allez voter. Vous voulez absolument que le lobby de l’éolien l’emporte et vous lui donnez les moyens juridiques de diffuser ses machines sur l’ensemble du territoire et en mer. Vous comprendrez que nous ne pouvons l’admettre.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Des installations se développent déjà. Ce projet de loi vise à mieux les réguler…
M. Vincent Descoeur
À accélérer leur déploiement surtout !
M. Jean-Yves Bony
Il accélère plus qu’il ne régule !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…et à positionner les élus locaux au cœur du dispositif. Cela devrait vous satisfaire, sauf si votre posture est politique. Ce n’est pas grave, mais assumez-la.
(L’amendement no 2649 n’est pas adopté.)
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Nouvelle défaite de M. Le Fur !
Mme la présidente
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 765, 1015 et 1694.
La parole est à M. Jérôme Nury, pour soutenir l’amendement no 765.
M. Jérôme Nury
Cet amendement de notre collègue Jean-Pierre Vigier, identique à celui déposé par Mme Louwagie, a pour objectif de soumettre la désignation des zones d’accélération pour l’implantation d’installations de production d’énergie renouvelable aux gestionnaires des grands sites de France et des aires protégées.
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Descoeur, pour soutenir l’amendement no 1015.
M. Vincent Descoeur
À défaut d’avoir obtenu gain de cause sur notre proposition d’exclure les aires protégées et les grands sites des zones d’accélération, il s’agit de s’assurer que la désignation de ces zones sera soumise à l’avis des gestionnaires des aires et sites.
Mme la présidente
La parole est à Mme Chantal Jourdan, pour soutenir l’amendement identique no 1694.
Mme Chantal Jourdan
Il s’agit de recueillir l’avis simple des gestionnaires des aires protégées et des grands sites de France sur la désignation des zones d’accélération. Cet avis permettra de disposer de l’analyse fine des responsables en question, afin de mesurer la compatibilité de l’implantation des installations de production d’énergie renouvelable avec le respect des milieux concernés.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Alfandari, rapporteur
Il est intéressant d’associer les gestionnaires au processus. Avis favorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Favorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Naillet.
M. Philippe Naillet
Je salue ces avis favorables. Une telle disposition est extrêmement importante pour des territoires comme La Réunion, où le parc national couvre 42 % du territoire. L’enjeu est d’importance : il ne faut pas que l’accélération de la production d’énergie renouvelable se traduise, dans un territoire où la biodiversité est exceptionnelle, par une accélération de la disparition de cette dernière.
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Meurin.
M. Pierre Meurin
J’espère que l’adoption de ces amendements d’extrême repli – les gestionnaires ne pourront donner qu’un avis simple et n’auront donc pas le pouvoir de décision en matière d’implantation des éoliennes – ne va pas conduire Les Républicains à voter pour l’ensemble du projet de loi !
Vous dites que les sites sont protégés ; c’est faux. Ainsi, on trouve des éoliennes non loin des châteaux cathares qui candidatent pourtant au classement sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. À Vézelay, il a fallu se battre et huit éoliennes de 180 mètres de haut risquent d’être implantées. Arc-et-Senans ou le Mont-Saint-Michel ont été menacés par les éoliennes malgré leur classement sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Nous n’avons donc absolument pas confiance et plaidions pour un véritable périmètre de protection pour ces sites Unesco, et non pour un avis simple des gestionnaires. Ce n’est qu’en désespoir de cause que nous voterons pour l’amendement.
(Les amendements identiques nos 765, 1015 et 1694 sont adoptés.)
Mme la présidente
Les amendements nos 513 de M. Vincent Descoeur, 547 de Mme Caroline Colombier, 1980 de M. Pierre Meurin et 650 de Mme Emmanuelle Ménard sont défendus.
(Les amendements nos 513, 547, 1980 et 650, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon, pour soutenir l’amendement no 214.
M. Frédéric Falcon
La baie de Somme, la montagne Sainte-Victoire, la Camargue gardoise, le cirque de Navacelles, la vallée de la Vézère, le pays cathare, autant de grands sites qui, par leurs paysages, font la renommée de la France partout dans le monde. Ces lieux sont menacés si le projet de loi est voté en l’état.
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Ils sont bien protégés !
M. Frédéric Falcon
Le présent amendement vise à exclure ces sites des zones d’implantation d’éoliennes.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Alfandari, rapporteur
Le sujet a déjà été abordé. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Ils sont déjà protégés. Avis défavorable.
(L’amendement no 214 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
L’amendement no 66 de M. Vincent Descoeur est défendu.
(L’amendement no 66, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente