XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023
Séance du jeudi 01 décembre 2022
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales
- Suspension et reprise de la séance
- Rappel au règlement
- Discussion générale (suite)
- M. Aurélien Pradié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
- Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances
- Discussion des articles
- Article 1er
- Mme Cécile Untermaier
- Mme Émilie Chandler
- M. Jean-Paul Mattei
- M. Ugo Bernalicis
- Amendements nos 54, 2, 33, 51 et 50
- Rappels au règlement
- Article 1er (suite)
- Rappel au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Rappels au règlement
- Article 1er (suite)
- Rappel au règlement
- Article 1er (suite)
- Rappel au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Article 1er (suite)
- Article 2
- Article 1er
- Vote sur l’ensemble
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
3e séance
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant création d’une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales (nos 346, 513).
Compte tenu de l’absence de M. le rapporteur, la séance est suspendue pour une durée de cinq minutes.
(La séance, suspendue à vingt et une heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
La séance est reprise.
La parole est à M. Sylvain Maillard, pour un rappel au règlement.
Il se fonde sur l’article 100 relatif à la bonne tenue des débats, madame la présidente. Comme vous l’avez répété à maintes reprises, les journées de niche parlementaire sont des moments importants : elles débutent à neuf heures et s’achèvent à minuit. Nous examinons un texte important, je crois, et je ne voudrais pas que nous soyons les otages d’une élection interne à un parti politique, même si vous avez balayé tout à l’heure cet argument d’un revers de main.
(Protestations sur quelques bancs du groupe LR.)
Je suis très gêné que le rapporteur n’ait pas été à l’heure pour l’ouverture de la séance parce qu’il participait à un meeting. Il avait deux minutes de retard ! Nous, nous étions à l’heure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Vous êtes minoritaires ! Combien de fois avons-nous dû attendre que vos bancs se garnissent ? Je demande au rapporteur de nous expliquer pourquoi il était en retard, avant de poursuivre nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Bravo ! La moraline de M. Maillard, non merci !
Je suis très gêné que le rapporteur n’ait pas été à l’heure pour l’ouverture de la séance parce qu’il participait à un meeting. Il avait deux minutes de retard ! Nous, nous étions à l’heure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Vous êtes minoritaires ! Combien de fois avons-nous dû attendre que vos bancs se garnissent ? Je demande au rapporteur de nous expliquer pourquoi il était en retard, avant de poursuivre nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Bravo ! La moraline de M. Maillard, non merci !
La parole est à M. Aurélien Pradié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en réponse à la discussion générale.
Madame la présidente, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, à votre égard et à l’égard de l’ensemble des députés, ainsi qu’à celui de M. le ministre et de Mme la ministre déléguée présents. En effet, j’ai eu une minute et demie de retard…
Plus !
…et je vous présente de nouveau des excuses. Je suis d’autant plus certain que vous les accepterez que l’on excuse beaucoup plus facilement les fautes qu’on a soi-même souvent commises.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
En l’espèce, j’ai souvenir de longues et nombreuses séances auxquelles, en raison d’un dîner chez le Président de la République ou chez tel ou tel ministre, les députés du groupe La République en marche – ainsi se nommait alors leur groupe – arrivaient avec trois quarts d’heure de retard.
C’est vrai !
À cette occasion, les séances étaient allègrement suspendues. Je n’avais pas de dîner ce soir, mais un autre engagement politique.
Mais vous, vous êtes rapporteur !
Je viens de vous prier de bien vouloir accepter mes excuses. Comme vous le proposez, j’accepte aussi les vôtres.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Je voudrais répondre aux propos qui ont été tenus et aux contributions, plus ou moins heureuses, apportées au cours de la discussion générale.
Il y a trois ans, presque jour pour jour, nous étions dans cet hémicycle – vous n’y étiez pas, monsieur le garde des sceaux, vous n’étiez pas ministre à l’époque ; vous n’y étiez pas non plus, madame la ministre déléguée ; beaucoup de députés n’y étaient pas non plus, mais certains étaient présents. Or, pendant près de quinze heures, nous avons débattu d’une proposition de loi (PPL), adoptée à l’unanimité, qui nous a permis d’instaurer des mesures qui ne sont pas les miennes, mais celles de la représentation nationale et désormais celles d’une loi de la République : le bracelet antirapprochement (BAR) et la généralisation de son port dès la phase présentencielle, la réduction à six jours du délai des ordonnances de protection – à l’époque, contre l’avis manifeste de la Chancellerie –, une meilleure protection du logement des victimes, le retrait quasi systématique du permis de port d’armes et de l’exercice de l’autorité parentale, et plusieurs autres mesures de cette nature.
À cette époque, comme aujourd’hui, j’avais dans l’hémicycle beaucoup d’adversaires politiques : c’est la règle. Mais nous avons su, au terme de plusieurs heures de débat en commission et en séance, nous entendre et éviter les procès d’intention et les propos méprisants. À cette époque, rien ne prédisait que nous parviendrions à un accord pour faire voter la proposition de loi à l’unanimité. Pourtant, nous l’avons fait. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, je ne répondrai pas – bien que l’envie ne m’en manque pas – aux propos incroyablement méprisants que vous avez tenus lors de votre intervention. Très sincèrement, je comprends que vous ne m’appréciez pas ; si cela peut vous rassurer, je crains que ce ne soit réciproque. (Protestations sur quelques bancs du groupe RE.) Ça, c’est consensuel ! Mais le sujet est ailleurs. Lorsque vous étiez à la tribune, monsieur le ministre, il ne s’agissait pas d’être dans l’invective ou dans l’attaque de tel ou tel député, que vous n’apprécieriez pas pour je ne sais quelle raison. Il s’agissait de traiter du sujet de fond, qui aurait dû être abordé pendant la discussion générale : or vous ne l’avez pas fait. Lorsque votre prédécesseur, avec lequel j’avais autant de divergence qu’avec vous, était à ce banc pour examiner la proposition de loi, nous avons toujours eu un ton à mille lieues de celui que vous avez eu. Non ! Je ne crois pas avoir eu, dans mon intervention, un ton d’invective, de condescendance ou de mépris à l’égard de votre travail. Je vous le dis comme je le pense et vous l’apprécierez comme vous voudrez : je considère que l’on peut attendre autre chose d’un garde des sceaux que des règlements de comptes et des matchs personnels. Je souhaite que ce ne soit pas non plus le cas pour la suite, et que nous puissions en venir au fond.
Le fond de l’affaire est simple : c’est le combat pour la création d’une juridiction spécialisée. Si certains députés de la majorité sont encore de bonne foi, ils savent que nous l’avons déjà mené en 2019. Ils se souviennent qu’alors, en commission comme dans l’hémicycle, j’avais dit que l’étape suivante était la création d’une juridiction spécialisée : nous en avions convenu. Lorsque nous avons défendu la généralisation du bracelet antirapprochement dès l’ordonnance de protection, je vous avais dit que nous ne pourrions pas véritablement les généraliser avant la sanction pénale sans juridiction spécialisée : nous en avions tous convenu. Ces débats, nous les avons eus des heures durant, avec plusieurs de vos collègues.
Monsieur le ministre, en 2019, nous avons auditionné, pendant près de cinquante heures, quarante représentants. Durant ces auditions, nous avons traité autant du bracelet antirapprochement que des ordonnances de protection jusqu’à la création de la juridiction spécialisée. Replongez-vous dans le rapport, vous y trouverez toutes les réponses aux questions que vous semblez vous poser, toute l’expertise que vous estimez nécessaire aujourd’hui. Je ne dis pas ça ! C’est vrai que quelque chose a changé entre 2019 et 2022 : il y a désormais plus de femmes tuées chaque année dans notre pays. C’est ça, la différence ! Ce qui valait en 2019 concernant la juridiction spécialisée vaut exactement de la même manière aujourd’hui. Vous ne pouvez pas nous faire ce procès consistant à dire que nous avons traité négligemment ce texte. En le faisant, vous n’êtes pas respectueux, non pas à mon égard, c’est peu important, mais à l’égard des députés qui ont collectivement signé cette proposition de loi et l’ont inscrite dans la niche parlementaire. Accessoirement, vous n’êtes pas très respectueux à l’égard de la représentation nationale. Ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on est meilleur que les autres ; ce n’est pas parce que vous avez été magistrate ou avocat que vous êtes les meilleurs spécialistes de cette question.
En 2019, lorsque nous avons défendu la proposition de loi, je veux vous le rappeler, certains étaient complètement sceptiques. Je me souviens que la Chancellerie et le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes étaient farouchement opposés à la généralisation du bracelet antirapprochement dès la phase présentencielle. C’est vrai ! Nicole Belloubet, elle-même assise sur le banc où vous êtes, l’a exprimé publiquement et l’a répété. Ces propos figurent clairement dans le rapport sur le texte de loi. On l’a entendu ! À cette époque, nous avons eu un débat très constructif, notamment avec les députés du groupe Dem, qui étaient sceptiques sur cette mesure. J’ai tâché de les convaincre alors que j’en doutais moi-même un peu. Lorsqu’il y a deux ans, nous avons évalué la loi, ils ont reconnu avec honneur et intelligence que cette mesure avait vraiment amélioré la protection des femmes. À l’époque, lorsque nous avons demandé que l’ordonnance soit délivrée dans un délai maximal de six jours, que n’avons-nous entendu ! Vous souvenez-vous des débats avec des techniciens experts qui nous expliquaient que c’était impossible ; avec les représentants des magistrats, madame la ministre déléguée, qui me disaient qu’ils n’y arriveraient jamais, que c’était une folie, que nous désorganiserions l’institution judiciaire, que nous allions beaucoup trop vite et que des études d’impact et des expertises supplémentaires devaient être réalisées ? Or nous l’avons fait.
Aujourd’hui, les résultats ne sont-ils pas au rendez-vous ? Dans 94 % des cas, le délai de six jours est tenu. Cela signifie simplement que, lorsque nous traçons un chemin, même à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi de l’opposition, débattue dans le cadre d’une niche parlementaire, alors même que les uns et les autres expriment des doutes, nous sommes capables de bousculer positivement l’institution judiciaire.
À cette époque, ceux qui étaient les plus farouchement opposés à la généralisation du bracelet antirapprochement étaient les représentants des avocats. Je me souviens d’une audition dans cette assemblée où on nous avait expliqué que la mesure était trop brutale, le délai trop court. Quelques années auparavant, figurez-vous que d’autres s’étaient demandé s’il ne convenait pas d’attendre un peu avant d’instaurer le bracelet antirapprochement. C’est ce que nous avons fait puisque, avant leur généralisation effective, notre assemblée a voté pas moins de quatre lois d’expérimentation. Or aucune de ces lois, voulues par les gouvernements successifs de droite et de gauche, n’a jamais été mise en œuvre : quatre lois, et pas un seul bracelet antirapprochement en circulation !
À l’époque, lorsque nous avons proposé et voté cette loi, nous savions qu’elle comportait une faiblesse, que cette nouvelle proposition de loi cherche à corriger. Pardon de vous le répéter, mais nous n’avons, ni vous ni moi, aucune raison d’être fiers ou d’être satisfaits, en raison des chiffres que j’ai déjà évoqués : depuis le début de l’année, 102 femmes ont été assassinées, et de 2021 à 2022, le nombre de féminicides a explosé de 14 %. Au-delà de ce texte, qui vise à faire avancer les choses, le plus grave serait de ne pas prendre ces chiffres au sérieux, car si le nombre de féminicides a explosé de 14 % en deux ans, c’est que nous ne sommes pas à la hauteur. Oui, nous ne faisons pas tout et nous devons nous inspirer de ce que d’autres font. Depuis dix-huit ans – et non depuis deux ou trois ans –, l’Espagne expérimente les juridictions spécialisées. Leur organisation judiciaire diffère seulement de la nôtre sur le rôle du procureur et du juge d’instruction : tout le reste est équivalent. Lorsque vous nous expliquez que l’organisation judiciaire de ces pays est profondément différente, c’est une farce ! La vérité, c’est que l’Espagne est un exemple. Je ne comprends pas quelle fierté politique particulière nous conduit, en France, à ne pas vouloir s’inspirer de ce que fait l’Espagne. Nous l’avons fait en instaurant le bracelet antirapprochement. Pourquoi ne pas le faire également en créant cette juridiction spécialisée ?
Enfin, vous oubliez un écueil majeur que cette proposition de loi tend à surmonter : nous ne voulons pas apposer une étiquette sur des pôles nouveaux – cela ne nous intéresse pas –, nous voulons corriger les dysfonctionnements du dispositif des bracelets antirapprochement. Tout à l’heure, je vous ai donné un chiffre qui semble n’avoir interpellé personne : combien de bracelets antirapprochement sont délivrés aujourd’hui dans le cadre d’une ordonnance de protection, avant le passage à l’acte – le moment précis que vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux ? En effet, vous avez raison, le port du bracelet antirapprochement après le passage à l’acte ne présente que peu d’intérêt, puisqu’il est trop tard. C’est au stade de l’ordonnance de protection que le bracelet antirapprochement est le plus important. Tout à fait ! Or seuls treize bracelets – vous m’avez bien entendu : treize ! – ont été délivrés, dans le cadre d’une ordonnance de protection ; en 2021, seulement douze. Ce chiffre ne vient pas de moi, c’est vous qui nous l’avez indiqué dans une réponse à un courrier que je vous ai envoyé il y a plusieurs mois, réponse dans laquelle, noir sur blanc, vous nous dites que les bracelets antirapprochement délivrés avant la mesure pénale sont un échec. La raison en est très simple et ce que vous pointiez comme un problème est en fait le cœur du sujet : nous avons confié au juge aux affaires familiales (JAF) le soin de prendre les ordonnances de protection, dans lesquelles il peut prononcer la mesure de port d’un bracelet antirapprochement. Concrètement, le juge aux affaires familiales, car c’est un juge civil, a besoin que l’auteur consente au port du bracelet antirapprochement pour l’inscrire dans l’ordonnance de protection, qui est l’étape la plus essentielle et la plus stratégique, puisqu’elle est prise en cas de danger immense, mais avant le passage à l’acte. C’est édifiant ! À l’époque, lorsque nous avons défendu la généralisation du bracelet antirapprochement, nous avions soulevé ce problème : les juges aux affaires familiales ne prononceraient pas le port de BAR dans l’ordonnance de protection parce que cette mesure ne relève pas de leur compétence de civilistes. Nous l’avons constaté et nous le constatons encore. S’il ne fallait retenir qu’une seule grande raison de créer cette juridiction spécialisée, ce serait l’instauration d’un nouveau magistrat, compétent à la fois sur le volet civil et le volet pénal. Est-ce baroque ? Mais oui ! Non, puisque, au risque de vous l’apprendre, monsieur le garde des sceaux – mais je n’imagine pas que tel sera le cas, vous qui êtes un si grand expert de la matière judiciaire –, il se trouve que le juge des enfants manie la matière autant civile que pénale. Il peut ordonner à la fois des mesures éducatives qui relèvent du champ civil et des mesures pénales. Des juridictions spécialisées existent déjà dans notre pays. Absolument, très juste ! Le juge des enfants, créé en 1945, le juge aux affaires familiales, ainsi que le juge chargé des tutelles et des curatelles sont-ils des institutions baroques ? Ce n’est pas du tout le cas, nous vous proposons de créer le même type de juridiction spécialisée.
Enfin, nous devrons de toute façon traiter ce sujet. L’Espagne, le Québec… Peut-être la France ! …et d’autres pays d’Europe et du monde savent qu’il faut instaurer une juridiction spécialisée. La vérité, c’est que nous pouvons encore travailler ce texte qui n’est pas « écrit avec les pieds », comme vous l’avez aimablement dit. C’est vrai que c’est incorrect et méprisant ! La vérité, c’est que si vous aviez pris le temps de vraiment le lire, au-delà des notes de vos collaborateurs, vous auriez compris, madame la ministre déléguée, qu’en l’espèce, la question de la proximité des tribunaux a été résolue par voie d’amendement. Si vous découvrez la procédure parlementaire, je le regrette. Quel mépris ! Vous ne consultez pas les notes de vos collaborateurs ? La proposition de loi que nous avions défendue et qui avait été votée à l’unanimité en 2019, avait été modifiée par vingt-sept amendements. Ce sont tout à fait le rôle de nos commissions et la vocation d’un rapporteur, qui ne doit pas être borné mais qui doit écouter ce qui se dit en commission et corriger ce qui doit l’être. Nous avons toujours fait ainsi, y compris lorsque nous avons déposé la proposition de loi en 2019.
Je conclus définitivement en soulignant que nous avons aujourd’hui une chance réelle de mettre un pied dans la porte. Je respecte tout le travail d’études et d’évaluation qui sera réalisé par mes collègues. Madame la députée, je regrette une chose : lorsque je vous ai auditionnée – puisque vous avez omis de le dire –, vous avez à peine prononcé une phrase, vous n’avez pas voulu me dire un dixième du travail que vous aviez effectué, vous avez tout caché, comme si c’était un secret et un trésor. J’ai passé une heure avec vous : pouvez-vous affirmer devant moi que vous avez contribué à cette audition ? Vous avez tout fait pour ne rien dire et c’est votre collègue du Sénat qui m’a parlé, évoquant le peu d’auditions que vous avez commencé à réaliser. Je souhaite que votre étude et votre réflexion soient menées jusqu’à leur terme. Ce n’est pas du mépris, ça ? En revanche, si aujourd’hui, nous votons en première lecture ce texte, vous aurez tout le temps de nous rendre votre rapport, de nourrir la réflexion et nous aurons tout le temps de contribuer à faire voter cette proposition de loi.
S’agissant du délai, monsieur le garde des sceaux, vous aurez observé que je ne l’ai pas modifié. Si vous pouviez au moins vous retenir de faire des gestes de revers de la main lorsque je m’exprime, ce serait plus respectueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Mais pour qui vous prenez-vous ? Pour un simple député de la nation, monsieur le ministre, élu par nos concitoyens et qui ne mérite pas que vous fassiez ce geste lorsqu’il s’exprime, quel que soit le mépris dont vous faites preuve à son égard. Soyez à l’heure, ce serait déjà pas mal ! Prétentieux, je n’ai jamais vu ça ! Monsieur le rapporteur, c’est moi qui fais la police de la séance, et qui, éventuellement, interpelle les uns et les autres. Je vous remercie de conclure. S’agissant de la question de la date et du délai, nous avons voulu inscrire un délai dans le texte. La première version de la proposition de loi n’en fixait pas, et c’est justement parce que nous en avons discuté en commission que je me suis dit qu’il serait souhaitable de fixer un délai maximal. N’avez-vous pas lu le mot « maximal » ? Cela veut tout simplement dire que, si vous vous sentez aussi prêt, alors avançons : votons cette proposition de loi en première lecture, examinons les conclusions que rendra la mission parlementaire. Vous aurez ainsi tout le temps de faire voter en deuxième lecture ce texte, et de passer des paroles aux actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Tout est à refaire ! La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Pradié, nous nous sommes rencontrés pour la première fois en commission des lois de l’Assemblée nationale. Vous m’aviez alors reproché de ne pas avoir répondu à l’un de vos courriers que je n’avais pas reçu, mais que vous aviez déjà transmis à la presse. Cela n’augurait pas… C’est très grave ! On ne va pas refaire toute l’histoire de votre vie à deux ! Ce n’est pas formidable, voyez-vous. Vous avez voulu vous faire un petit coup de publicité sur mon compte en parlant… (M. le rapporteur s’exclame.) Vous allez souffrir que je vous réponde, monsieur Pradié ! Chers collègues, s’il vous plaît, seul le ministre a la parole. Vous avez fait part de cette inimitié sans nuage qui nous unit depuis deux ans et demi, souffrez que j’en dise un mot. Voilà comment je vous ai connu, ce qui ne m’a, bien entendu, pas donné d’emblée l’envie d’être plus aimable que cela. Passons maintenant à autre chose. C’est bon, vous avez réglé vos comptes ? Je suis jaloux ! Au civil, infliger un bracelet antirapprochement sans avoir obtenu l’autorisation… Infliger, le terme est mal approprié. Non, il n’est pas mal approprié, parce que le bracelet antirapprochement représente, d’une certaine façon, une coercition. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, vous l’avez rappelé, certains avocats étaient contre. Du reste, vous ne les avez peut-être pas à nouveau auditionnés pour cette raison. Si, si ! Mais qu’il me soit permis de vous dire plus sérieusement – cela devrait nous unir, nous ne faisons plus dans le sentimentalisme – que la proposition de loi est inconstitutionnelle : ce n’est pas plus compliqué que cela. Si un juge civil prend une mesure coercitive sans respecter le contradictoire, c’est anticonstitutionnel – je vois Mme Untermaier qui acquiesce. Que vous voulez-vous que j’y fasse ? On ne peut s’affranchir des règles au motif que l’on veut absolument faire aboutir, aujourd’hui, tout de suite, sa PPL qui est mal préparée.
Je vais rappeler plusieurs éléments. L’Espagne, personne ne dit le contraire, a été un modèle et nous a inspirés – je dis « nous » car cela remonte à quelques années – s’agissant des BAR et des téléphones grave danger. J’ai expliqué qu’il avait fallu un certain temps pour que la criminalité spécifique des violences intrafamiliales (VIF) baisse en Espagne : cela ne s’est pas fait en un claquement de doigts. Je dis également que la juridiction spécialisée espagnole ne peut pas être transposée en un claquement de doigts en France et qu’il faut y réfléchir. La spécialisation, outre le mot, est une espèce de valise dans laquelle on peut mettre tout et son contraire. Or les filières d’ores et déjà dédiées aux violences intrafamiliales correspondent à une spécialisation. J’ai rappelé aussi que la formation initiale existe déjà pour les magistrats et qu’ils suivent aujourd’hui une formation continue – vous n’avez pas répondu sur ce point. Enfin, je le répète, il résulte des écrits que vous nous avez transmis que vous avez auditionné huit personnes dans le cadre de cette PPL.
Alors je veux bien que vous refassiez l’histoire, je veux bien que vous nous rappeliez le combat héroïque que vous avez mené mais, voyez-vous, monsieur Pradié, indépendamment de ce qui peut nous opposer sur le plan personnel, je reconnais – et je l’ai reconnu tout à l’heure – quelle avait été votre implication en la matière. Seulement, d’autres que vous sont préoccupés par le statut des femmes et par leur protection.
Je souhaite ajouter quelque chose : j’ai à mes côtés sur les bancs du Gouvernement ma collègue Isabelle Rome qui est magistrate… Non, ici, elle est ministre déléguée ! Avant d’être ministre déléguée, elle était magistrate et elle a montré quel était son combat et il est équipollent au vôtre. Pensez-vous franchement… Ce n’est pas le propos ! En tout cas c’est mon propos et souffrez de l’entendre. Je ne souffre pas mais c’est pénible. C’est la traduction de l’obstruction ministérielle ! Pensez-vous franchement qu’Isabelle Rome, qui s’est battue toute sa vie pour cette cause particulière, ne voudrait pas de la juridiction spécialisée que vous proposez si elle était convaincue de son efficacité ? On marche sur la tête, monsieur Pradié. Vous n’avez pas le monopole de… d’ailleurs vous n’avez le monopole de rien ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) La réciproque est vraie ! Pardon de vous le dire mais ça suffit, les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Vous vous placez dans une position de victime en disant : « Ah ! mais je suis le seul à avoir conscience de la situation ! » Vous pouvez nous redonner le chiffre des féminicides, reste que si vous créez une juridiction spécialisée, ça ne changera rien à ce chiffre qui n’est pas bon. Ce qui doit changer, c’est que la justice doit être avertie plus tôt. Quand les féminicides sont commis, malheureusement, il est trop tard. Il faut renforcer le dispositif des bracelets antirapprochement, je l’entends, mais il faut le faire dans le respect de la Constitution car, excusez-moi du peu, nous ne sommes pas au café du commerce. En outre, il faut multiplier les téléphones grave danger plus encore que nous ne l’avons déjà fait.
Le procès que vous me faites est tout de même inouï. Vous êtes en effet audacieux : vous dites que je ne respecte pas le Parlement et que je fais preuve de mépris. On voit le vôtre et, en la matière, vous n’avez pas de leçon à donner, pas plus qu’en matière de ponctualité, d’ailleurs. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.) Quant à Mme Chandler, elle est députée, comme vous. Visiblement, à ses yeux, je vaux moins que lui ! Elle ne vous vaudrait pas et donc la sénatrice Vérien non plus ? N’importe quoi ! Je vais vous dire, monsieur Pradié, parce que ça commence à me chauffer les oreilles : la Chancellerie vous a fixé cinq rendez-vous ; or à chaque fois vous étiez en réunion électorale et jamais vous n’êtes venu me voir. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Vous allez me faire gagner le congrès… Et moi, je n’ai eu aucun rendez-vous – zéro ! (Sourires.) Ce n’est pas vrai ! Si, c’est vrai ! Pour terminer cette discussion, la parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le rapporteur, je ne pense pas qu’on puisse parler de mépris. Vous êtes un très bon politique, ce que nous savons tous, mais, pour la rédaction de votre proposition de loi, je ne pense pas que vous ayez entendu des victimes, que vous soyez allé dans une juridiction. Je reste sur ma faim en lisant votre texte, quand bien même il serait amendé.
Je dirai quelques mots sur le bracelet antirapprochement et sur son instauration en France. À l’époque j’étais à la Chancellerie et je me suis rendue en Espagne pour examiner le fonctionnement du système Cometa. Lorsque je suis rentrée, j’ai dit à la garde des sceaux que notre système juridique n’était pas adapté à la mise en place d’un tel dispositif, qu’il faudrait modifier le texte pour l’imposer dès la phase présentencielle et qu’au civil, ce serait très compliqué parce qu’il faudrait obtenir l’accord du mis en cause. C’est pourquoi, à l’époque, vous avez été soutenu par la majorité et que la loi du 28 décembre 2019 a été adoptée à l’unanimité. Et si, aujourd’hui, nous ne sommes pas d’accord avec vous, c’est parce que votre proposition de loi ne convient pas.
Vous brandissez le chiffre des féminicides. Je rappelle tout de même qu’à l’époque où vous étiez aux manettes… À l’époque, j’étais comme vous, à l’extérieur. Il y a quinze ans, il n’était pas aux manettes… C’était en tout cas votre parti qui était aux manettes et les chiffres n’étaient pas extraordinaires : 179 féminicides en 2007, 168 en 2008. Ce n’est pas un argument ! Eh bien, puisque vous brandissez des chiffres, j’en brandis à mon tour, voilà. Nous n’avons pas de leçons à recevoir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Vous n’avez pas à en donner non plus !
Il y a trois ans, presque jour pour jour, nous étions dans cet hémicycle – vous n’y étiez pas, monsieur le garde des sceaux, vous n’étiez pas ministre à l’époque ; vous n’y étiez pas non plus, madame la ministre déléguée ; beaucoup de députés n’y étaient pas non plus, mais certains étaient présents. Or, pendant près de quinze heures, nous avons débattu d’une proposition de loi (PPL), adoptée à l’unanimité, qui nous a permis d’instaurer des mesures qui ne sont pas les miennes, mais celles de la représentation nationale et désormais celles d’une loi de la République : le bracelet antirapprochement (BAR) et la généralisation de son port dès la phase présentencielle, la réduction à six jours du délai des ordonnances de protection – à l’époque, contre l’avis manifeste de la Chancellerie –, une meilleure protection du logement des victimes, le retrait quasi systématique du permis de port d’armes et de l’exercice de l’autorité parentale, et plusieurs autres mesures de cette nature.
À cette époque, comme aujourd’hui, j’avais dans l’hémicycle beaucoup d’adversaires politiques : c’est la règle. Mais nous avons su, au terme de plusieurs heures de débat en commission et en séance, nous entendre et éviter les procès d’intention et les propos méprisants. À cette époque, rien ne prédisait que nous parviendrions à un accord pour faire voter la proposition de loi à l’unanimité. Pourtant, nous l’avons fait. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, je ne répondrai pas – bien que l’envie ne m’en manque pas – aux propos incroyablement méprisants que vous avez tenus lors de votre intervention. Très sincèrement, je comprends que vous ne m’appréciez pas ; si cela peut vous rassurer, je crains que ce ne soit réciproque. (Protestations sur quelques bancs du groupe RE.) Ça, c’est consensuel ! Mais le sujet est ailleurs. Lorsque vous étiez à la tribune, monsieur le ministre, il ne s’agissait pas d’être dans l’invective ou dans l’attaque de tel ou tel député, que vous n’apprécieriez pas pour je ne sais quelle raison. Il s’agissait de traiter du sujet de fond, qui aurait dû être abordé pendant la discussion générale : or vous ne l’avez pas fait. Lorsque votre prédécesseur, avec lequel j’avais autant de divergence qu’avec vous, était à ce banc pour examiner la proposition de loi, nous avons toujours eu un ton à mille lieues de celui que vous avez eu. Non ! Je ne crois pas avoir eu, dans mon intervention, un ton d’invective, de condescendance ou de mépris à l’égard de votre travail. Je vous le dis comme je le pense et vous l’apprécierez comme vous voudrez : je considère que l’on peut attendre autre chose d’un garde des sceaux que des règlements de comptes et des matchs personnels. Je souhaite que ce ne soit pas non plus le cas pour la suite, et que nous puissions en venir au fond.
Le fond de l’affaire est simple : c’est le combat pour la création d’une juridiction spécialisée. Si certains députés de la majorité sont encore de bonne foi, ils savent que nous l’avons déjà mené en 2019. Ils se souviennent qu’alors, en commission comme dans l’hémicycle, j’avais dit que l’étape suivante était la création d’une juridiction spécialisée : nous en avions convenu. Lorsque nous avons défendu la généralisation du bracelet antirapprochement dès l’ordonnance de protection, je vous avais dit que nous ne pourrions pas véritablement les généraliser avant la sanction pénale sans juridiction spécialisée : nous en avions tous convenu. Ces débats, nous les avons eus des heures durant, avec plusieurs de vos collègues.
Monsieur le ministre, en 2019, nous avons auditionné, pendant près de cinquante heures, quarante représentants. Durant ces auditions, nous avons traité autant du bracelet antirapprochement que des ordonnances de protection jusqu’à la création de la juridiction spécialisée. Replongez-vous dans le rapport, vous y trouverez toutes les réponses aux questions que vous semblez vous poser, toute l’expertise que vous estimez nécessaire aujourd’hui. Je ne dis pas ça ! C’est vrai que quelque chose a changé entre 2019 et 2022 : il y a désormais plus de femmes tuées chaque année dans notre pays. C’est ça, la différence ! Ce qui valait en 2019 concernant la juridiction spécialisée vaut exactement de la même manière aujourd’hui. Vous ne pouvez pas nous faire ce procès consistant à dire que nous avons traité négligemment ce texte. En le faisant, vous n’êtes pas respectueux, non pas à mon égard, c’est peu important, mais à l’égard des députés qui ont collectivement signé cette proposition de loi et l’ont inscrite dans la niche parlementaire. Accessoirement, vous n’êtes pas très respectueux à l’égard de la représentation nationale. Ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on est meilleur que les autres ; ce n’est pas parce que vous avez été magistrate ou avocat que vous êtes les meilleurs spécialistes de cette question.
En 2019, lorsque nous avons défendu la proposition de loi, je veux vous le rappeler, certains étaient complètement sceptiques. Je me souviens que la Chancellerie et le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes étaient farouchement opposés à la généralisation du bracelet antirapprochement dès la phase présentencielle. C’est vrai ! Nicole Belloubet, elle-même assise sur le banc où vous êtes, l’a exprimé publiquement et l’a répété. Ces propos figurent clairement dans le rapport sur le texte de loi. On l’a entendu ! À cette époque, nous avons eu un débat très constructif, notamment avec les députés du groupe Dem, qui étaient sceptiques sur cette mesure. J’ai tâché de les convaincre alors que j’en doutais moi-même un peu. Lorsqu’il y a deux ans, nous avons évalué la loi, ils ont reconnu avec honneur et intelligence que cette mesure avait vraiment amélioré la protection des femmes. À l’époque, lorsque nous avons demandé que l’ordonnance soit délivrée dans un délai maximal de six jours, que n’avons-nous entendu ! Vous souvenez-vous des débats avec des techniciens experts qui nous expliquaient que c’était impossible ; avec les représentants des magistrats, madame la ministre déléguée, qui me disaient qu’ils n’y arriveraient jamais, que c’était une folie, que nous désorganiserions l’institution judiciaire, que nous allions beaucoup trop vite et que des études d’impact et des expertises supplémentaires devaient être réalisées ? Or nous l’avons fait.
Aujourd’hui, les résultats ne sont-ils pas au rendez-vous ? Dans 94 % des cas, le délai de six jours est tenu. Cela signifie simplement que, lorsque nous traçons un chemin, même à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi de l’opposition, débattue dans le cadre d’une niche parlementaire, alors même que les uns et les autres expriment des doutes, nous sommes capables de bousculer positivement l’institution judiciaire.
À cette époque, ceux qui étaient les plus farouchement opposés à la généralisation du bracelet antirapprochement étaient les représentants des avocats. Je me souviens d’une audition dans cette assemblée où on nous avait expliqué que la mesure était trop brutale, le délai trop court. Quelques années auparavant, figurez-vous que d’autres s’étaient demandé s’il ne convenait pas d’attendre un peu avant d’instaurer le bracelet antirapprochement. C’est ce que nous avons fait puisque, avant leur généralisation effective, notre assemblée a voté pas moins de quatre lois d’expérimentation. Or aucune de ces lois, voulues par les gouvernements successifs de droite et de gauche, n’a jamais été mise en œuvre : quatre lois, et pas un seul bracelet antirapprochement en circulation !
À l’époque, lorsque nous avons proposé et voté cette loi, nous savions qu’elle comportait une faiblesse, que cette nouvelle proposition de loi cherche à corriger. Pardon de vous le répéter, mais nous n’avons, ni vous ni moi, aucune raison d’être fiers ou d’être satisfaits, en raison des chiffres que j’ai déjà évoqués : depuis le début de l’année, 102 femmes ont été assassinées, et de 2021 à 2022, le nombre de féminicides a explosé de 14 %. Au-delà de ce texte, qui vise à faire avancer les choses, le plus grave serait de ne pas prendre ces chiffres au sérieux, car si le nombre de féminicides a explosé de 14 % en deux ans, c’est que nous ne sommes pas à la hauteur. Oui, nous ne faisons pas tout et nous devons nous inspirer de ce que d’autres font. Depuis dix-huit ans – et non depuis deux ou trois ans –, l’Espagne expérimente les juridictions spécialisées. Leur organisation judiciaire diffère seulement de la nôtre sur le rôle du procureur et du juge d’instruction : tout le reste est équivalent. Lorsque vous nous expliquez que l’organisation judiciaire de ces pays est profondément différente, c’est une farce ! La vérité, c’est que l’Espagne est un exemple. Je ne comprends pas quelle fierté politique particulière nous conduit, en France, à ne pas vouloir s’inspirer de ce que fait l’Espagne. Nous l’avons fait en instaurant le bracelet antirapprochement. Pourquoi ne pas le faire également en créant cette juridiction spécialisée ?
Enfin, vous oubliez un écueil majeur que cette proposition de loi tend à surmonter : nous ne voulons pas apposer une étiquette sur des pôles nouveaux – cela ne nous intéresse pas –, nous voulons corriger les dysfonctionnements du dispositif des bracelets antirapprochement. Tout à l’heure, je vous ai donné un chiffre qui semble n’avoir interpellé personne : combien de bracelets antirapprochement sont délivrés aujourd’hui dans le cadre d’une ordonnance de protection, avant le passage à l’acte – le moment précis que vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux ? En effet, vous avez raison, le port du bracelet antirapprochement après le passage à l’acte ne présente que peu d’intérêt, puisqu’il est trop tard. C’est au stade de l’ordonnance de protection que le bracelet antirapprochement est le plus important. Tout à fait ! Or seuls treize bracelets – vous m’avez bien entendu : treize ! – ont été délivrés, dans le cadre d’une ordonnance de protection ; en 2021, seulement douze. Ce chiffre ne vient pas de moi, c’est vous qui nous l’avez indiqué dans une réponse à un courrier que je vous ai envoyé il y a plusieurs mois, réponse dans laquelle, noir sur blanc, vous nous dites que les bracelets antirapprochement délivrés avant la mesure pénale sont un échec. La raison en est très simple et ce que vous pointiez comme un problème est en fait le cœur du sujet : nous avons confié au juge aux affaires familiales (JAF) le soin de prendre les ordonnances de protection, dans lesquelles il peut prononcer la mesure de port d’un bracelet antirapprochement. Concrètement, le juge aux affaires familiales, car c’est un juge civil, a besoin que l’auteur consente au port du bracelet antirapprochement pour l’inscrire dans l’ordonnance de protection, qui est l’étape la plus essentielle et la plus stratégique, puisqu’elle est prise en cas de danger immense, mais avant le passage à l’acte. C’est édifiant ! À l’époque, lorsque nous avons défendu la généralisation du bracelet antirapprochement, nous avions soulevé ce problème : les juges aux affaires familiales ne prononceraient pas le port de BAR dans l’ordonnance de protection parce que cette mesure ne relève pas de leur compétence de civilistes. Nous l’avons constaté et nous le constatons encore. S’il ne fallait retenir qu’une seule grande raison de créer cette juridiction spécialisée, ce serait l’instauration d’un nouveau magistrat, compétent à la fois sur le volet civil et le volet pénal. Est-ce baroque ? Mais oui ! Non, puisque, au risque de vous l’apprendre, monsieur le garde des sceaux – mais je n’imagine pas que tel sera le cas, vous qui êtes un si grand expert de la matière judiciaire –, il se trouve que le juge des enfants manie la matière autant civile que pénale. Il peut ordonner à la fois des mesures éducatives qui relèvent du champ civil et des mesures pénales. Des juridictions spécialisées existent déjà dans notre pays. Absolument, très juste ! Le juge des enfants, créé en 1945, le juge aux affaires familiales, ainsi que le juge chargé des tutelles et des curatelles sont-ils des institutions baroques ? Ce n’est pas du tout le cas, nous vous proposons de créer le même type de juridiction spécialisée.
Enfin, nous devrons de toute façon traiter ce sujet. L’Espagne, le Québec… Peut-être la France ! …et d’autres pays d’Europe et du monde savent qu’il faut instaurer une juridiction spécialisée. La vérité, c’est que nous pouvons encore travailler ce texte qui n’est pas « écrit avec les pieds », comme vous l’avez aimablement dit. C’est vrai que c’est incorrect et méprisant ! La vérité, c’est que si vous aviez pris le temps de vraiment le lire, au-delà des notes de vos collaborateurs, vous auriez compris, madame la ministre déléguée, qu’en l’espèce, la question de la proximité des tribunaux a été résolue par voie d’amendement. Si vous découvrez la procédure parlementaire, je le regrette. Quel mépris ! Vous ne consultez pas les notes de vos collaborateurs ? La proposition de loi que nous avions défendue et qui avait été votée à l’unanimité en 2019, avait été modifiée par vingt-sept amendements. Ce sont tout à fait le rôle de nos commissions et la vocation d’un rapporteur, qui ne doit pas être borné mais qui doit écouter ce qui se dit en commission et corriger ce qui doit l’être. Nous avons toujours fait ainsi, y compris lorsque nous avons déposé la proposition de loi en 2019.
Je conclus définitivement en soulignant que nous avons aujourd’hui une chance réelle de mettre un pied dans la porte. Je respecte tout le travail d’études et d’évaluation qui sera réalisé par mes collègues. Madame la députée, je regrette une chose : lorsque je vous ai auditionnée – puisque vous avez omis de le dire –, vous avez à peine prononcé une phrase, vous n’avez pas voulu me dire un dixième du travail que vous aviez effectué, vous avez tout caché, comme si c’était un secret et un trésor. J’ai passé une heure avec vous : pouvez-vous affirmer devant moi que vous avez contribué à cette audition ? Vous avez tout fait pour ne rien dire et c’est votre collègue du Sénat qui m’a parlé, évoquant le peu d’auditions que vous avez commencé à réaliser. Je souhaite que votre étude et votre réflexion soient menées jusqu’à leur terme. Ce n’est pas du mépris, ça ? En revanche, si aujourd’hui, nous votons en première lecture ce texte, vous aurez tout le temps de nous rendre votre rapport, de nourrir la réflexion et nous aurons tout le temps de contribuer à faire voter cette proposition de loi.
S’agissant du délai, monsieur le garde des sceaux, vous aurez observé que je ne l’ai pas modifié. Si vous pouviez au moins vous retenir de faire des gestes de revers de la main lorsque je m’exprime, ce serait plus respectueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Mais pour qui vous prenez-vous ? Pour un simple député de la nation, monsieur le ministre, élu par nos concitoyens et qui ne mérite pas que vous fassiez ce geste lorsqu’il s’exprime, quel que soit le mépris dont vous faites preuve à son égard. Soyez à l’heure, ce serait déjà pas mal ! Prétentieux, je n’ai jamais vu ça ! Monsieur le rapporteur, c’est moi qui fais la police de la séance, et qui, éventuellement, interpelle les uns et les autres. Je vous remercie de conclure. S’agissant de la question de la date et du délai, nous avons voulu inscrire un délai dans le texte. La première version de la proposition de loi n’en fixait pas, et c’est justement parce que nous en avons discuté en commission que je me suis dit qu’il serait souhaitable de fixer un délai maximal. N’avez-vous pas lu le mot « maximal » ? Cela veut tout simplement dire que, si vous vous sentez aussi prêt, alors avançons : votons cette proposition de loi en première lecture, examinons les conclusions que rendra la mission parlementaire. Vous aurez ainsi tout le temps de faire voter en deuxième lecture ce texte, et de passer des paroles aux actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Tout est à refaire ! La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Pradié, nous nous sommes rencontrés pour la première fois en commission des lois de l’Assemblée nationale. Vous m’aviez alors reproché de ne pas avoir répondu à l’un de vos courriers que je n’avais pas reçu, mais que vous aviez déjà transmis à la presse. Cela n’augurait pas… C’est très grave ! On ne va pas refaire toute l’histoire de votre vie à deux ! Ce n’est pas formidable, voyez-vous. Vous avez voulu vous faire un petit coup de publicité sur mon compte en parlant… (M. le rapporteur s’exclame.) Vous allez souffrir que je vous réponde, monsieur Pradié ! Chers collègues, s’il vous plaît, seul le ministre a la parole. Vous avez fait part de cette inimitié sans nuage qui nous unit depuis deux ans et demi, souffrez que j’en dise un mot. Voilà comment je vous ai connu, ce qui ne m’a, bien entendu, pas donné d’emblée l’envie d’être plus aimable que cela. Passons maintenant à autre chose. C’est bon, vous avez réglé vos comptes ? Je suis jaloux ! Au civil, infliger un bracelet antirapprochement sans avoir obtenu l’autorisation… Infliger, le terme est mal approprié. Non, il n’est pas mal approprié, parce que le bracelet antirapprochement représente, d’une certaine façon, une coercition. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, vous l’avez rappelé, certains avocats étaient contre. Du reste, vous ne les avez peut-être pas à nouveau auditionnés pour cette raison. Si, si ! Mais qu’il me soit permis de vous dire plus sérieusement – cela devrait nous unir, nous ne faisons plus dans le sentimentalisme – que la proposition de loi est inconstitutionnelle : ce n’est pas plus compliqué que cela. Si un juge civil prend une mesure coercitive sans respecter le contradictoire, c’est anticonstitutionnel – je vois Mme Untermaier qui acquiesce. Que vous voulez-vous que j’y fasse ? On ne peut s’affranchir des règles au motif que l’on veut absolument faire aboutir, aujourd’hui, tout de suite, sa PPL qui est mal préparée.
Je vais rappeler plusieurs éléments. L’Espagne, personne ne dit le contraire, a été un modèle et nous a inspirés – je dis « nous » car cela remonte à quelques années – s’agissant des BAR et des téléphones grave danger. J’ai expliqué qu’il avait fallu un certain temps pour que la criminalité spécifique des violences intrafamiliales (VIF) baisse en Espagne : cela ne s’est pas fait en un claquement de doigts. Je dis également que la juridiction spécialisée espagnole ne peut pas être transposée en un claquement de doigts en France et qu’il faut y réfléchir. La spécialisation, outre le mot, est une espèce de valise dans laquelle on peut mettre tout et son contraire. Or les filières d’ores et déjà dédiées aux violences intrafamiliales correspondent à une spécialisation. J’ai rappelé aussi que la formation initiale existe déjà pour les magistrats et qu’ils suivent aujourd’hui une formation continue – vous n’avez pas répondu sur ce point. Enfin, je le répète, il résulte des écrits que vous nous avez transmis que vous avez auditionné huit personnes dans le cadre de cette PPL.
Alors je veux bien que vous refassiez l’histoire, je veux bien que vous nous rappeliez le combat héroïque que vous avez mené mais, voyez-vous, monsieur Pradié, indépendamment de ce qui peut nous opposer sur le plan personnel, je reconnais – et je l’ai reconnu tout à l’heure – quelle avait été votre implication en la matière. Seulement, d’autres que vous sont préoccupés par le statut des femmes et par leur protection.
Je souhaite ajouter quelque chose : j’ai à mes côtés sur les bancs du Gouvernement ma collègue Isabelle Rome qui est magistrate… Non, ici, elle est ministre déléguée ! Avant d’être ministre déléguée, elle était magistrate et elle a montré quel était son combat et il est équipollent au vôtre. Pensez-vous franchement… Ce n’est pas le propos ! En tout cas c’est mon propos et souffrez de l’entendre. Je ne souffre pas mais c’est pénible. C’est la traduction de l’obstruction ministérielle ! Pensez-vous franchement qu’Isabelle Rome, qui s’est battue toute sa vie pour cette cause particulière, ne voudrait pas de la juridiction spécialisée que vous proposez si elle était convaincue de son efficacité ? On marche sur la tête, monsieur Pradié. Vous n’avez pas le monopole de… d’ailleurs vous n’avez le monopole de rien ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) La réciproque est vraie ! Pardon de vous le dire mais ça suffit, les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Vous vous placez dans une position de victime en disant : « Ah ! mais je suis le seul à avoir conscience de la situation ! » Vous pouvez nous redonner le chiffre des féminicides, reste que si vous créez une juridiction spécialisée, ça ne changera rien à ce chiffre qui n’est pas bon. Ce qui doit changer, c’est que la justice doit être avertie plus tôt. Quand les féminicides sont commis, malheureusement, il est trop tard. Il faut renforcer le dispositif des bracelets antirapprochement, je l’entends, mais il faut le faire dans le respect de la Constitution car, excusez-moi du peu, nous ne sommes pas au café du commerce. En outre, il faut multiplier les téléphones grave danger plus encore que nous ne l’avons déjà fait.
Le procès que vous me faites est tout de même inouï. Vous êtes en effet audacieux : vous dites que je ne respecte pas le Parlement et que je fais preuve de mépris. On voit le vôtre et, en la matière, vous n’avez pas de leçon à donner, pas plus qu’en matière de ponctualité, d’ailleurs. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.) Quant à Mme Chandler, elle est députée, comme vous. Visiblement, à ses yeux, je vaux moins que lui ! Elle ne vous vaudrait pas et donc la sénatrice Vérien non plus ? N’importe quoi ! Je vais vous dire, monsieur Pradié, parce que ça commence à me chauffer les oreilles : la Chancellerie vous a fixé cinq rendez-vous ; or à chaque fois vous étiez en réunion électorale et jamais vous n’êtes venu me voir. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Vous allez me faire gagner le congrès… Et moi, je n’ai eu aucun rendez-vous – zéro ! (Sourires.) Ce n’est pas vrai ! Si, c’est vrai ! Pour terminer cette discussion, la parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Monsieur le rapporteur, je ne pense pas qu’on puisse parler de mépris. Vous êtes un très bon politique, ce que nous savons tous, mais, pour la rédaction de votre proposition de loi, je ne pense pas que vous ayez entendu des victimes, que vous soyez allé dans une juridiction. Je reste sur ma faim en lisant votre texte, quand bien même il serait amendé.
Je dirai quelques mots sur le bracelet antirapprochement et sur son instauration en France. À l’époque j’étais à la Chancellerie et je me suis rendue en Espagne pour examiner le fonctionnement du système Cometa. Lorsque je suis rentrée, j’ai dit à la garde des sceaux que notre système juridique n’était pas adapté à la mise en place d’un tel dispositif, qu’il faudrait modifier le texte pour l’imposer dès la phase présentencielle et qu’au civil, ce serait très compliqué parce qu’il faudrait obtenir l’accord du mis en cause. C’est pourquoi, à l’époque, vous avez été soutenu par la majorité et que la loi du 28 décembre 2019 a été adoptée à l’unanimité. Et si, aujourd’hui, nous ne sommes pas d’accord avec vous, c’est parce que votre proposition de loi ne convient pas.
Vous brandissez le chiffre des féminicides. Je rappelle tout de même qu’à l’époque où vous étiez aux manettes… À l’époque, j’étais comme vous, à l’extérieur. Il y a quinze ans, il n’était pas aux manettes… C’était en tout cas votre parti qui était aux manettes et les chiffres n’étaient pas extraordinaires : 179 féminicides en 2007, 168 en 2008. Ce n’est pas un argument ! Eh bien, puisque vous brandissez des chiffres, j’en brandis à mon tour, voilà. Nous n’avons pas de leçons à recevoir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Vous n’avez pas à en donner non plus !
J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.
La parole est à Mme Cécile Untermaier.
En effet nous n’avons pas de leçons à recevoir mais nous avons tous à apprendre sur une question qui invite à beaucoup d’humilité et de détermination.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Exactement !
Très bien !
Nous devons tous nous retrouver malgré nos réserves sur le texte – je ferai part des miennes. L’heure n’est pas à l’invective mais à la réflexion, au débat et, je le répète, à l’humilité. Comme tous ceux qui se sont exprimés pendant la discussion générale, nous sommes face à un fléau qui assombrit l’avenir des familles concernées et les enfants de ces familles. Nous devons prendre cette situation en considération. Il serait injuste d’avancer que rien n’a été fait. Beaucoup a été fait : la gendarmerie, la police se sont mobilisées.
C’est exact !
Leurs services accomplissent un travail très important. Les intervenants sociaux sont des plus utiles. La justice également travaille beaucoup.
Bien sûr !
Elle a mis en place des filières, des chambres spécialisées qui fonctionnent très bien.
(M. le garde des sceaux opine du chef.)
J’espère, à l’occasion de la défense d’un amendement, vous expliquer ce dispositif.
Le Parlement, de son côté, a fait son travail, comme l’a expliqué le rapporteur Pradié. L’ordonnance de protection est désormais prise de manière satisfaisante, à raison d’un délai de six jours qu’il a été possible de respecter. Comme quoi l’initiative parlementaire et l’esprit d’innovation parlementaire peuvent être utiles et, dans le cadre du débat qui s’ouvre, nous devons privilégier l’écoute et la volonté d’avancer sur un sujet qui nous tient à cœur. La parole est à Mme Émilie Chandler. Je suis une jeune députée, je ne connais pas tous les usages et je vous prie de bien vouloir excuser mon ignorance. Nous sommes beaucoup de jeunes députés ! Tant mieux.
Si nous nous en tenons au droit, un cas m’est échu par malchance le 28 décembre 2019, alors que j’étais de permanence au déferrement de l’antenne des mineurs du barreau de Paris. Je n’étais pas encore parlementaire mais avocat pour enfants. Le cas était celui d’un mineur de 17 ans et demi qui commettait un inceste sur son petit frère de 4 ans – en effet, si nous voulons donner dans le pathos, les exemples abondent et nous pouvons tous avoir les larmes aux yeux en pensant qu’autour de nous les choses se passent ainsi et qu’il ne faut donc pas faire n’importe quoi avec le droit. Que fait-on, donc, de ce mineur de 17 ans et demi qui va passer devant le juge des enfants et qui, six mois plus tard, à 18 ans et un ou deux jours, commettra la même horreur sur son autre petit frère ? Nous avons deux victimes et le même auteur – mineur dans le premier cas et majeur dans le second. Il ne passera pas devant le juge aux affaires familiales ! La juridiction spécialisée proposée, qui vise à fixer un cadre pénal général pour les violences intrafamiliales, ne prend pas en considération le cas que je viens d’exposer. Il n’y a pas de cadre pénal tout court. Il y a un vide juridique pour ce type de cas qui, pourtant, concerne un certain nombre de familles – ici un auteur et deux toutes petites victimes. C’est terrible, ça, comme argumentation… Si vous voulez que nous évoquions des drames, allons-y mais je préfère trouver des solutions juridiques cohérentes, transpartisanes. (Murmures.) Je souhaite terminer mon propos tranquillement car, au-delà de nos débats, il y a la vie des femmes, des enfants et des tout petits enfants – dont nous ne parlons pas assez. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) La parole est à M. Jean-Paul Mattei. Ce débat est intéressant et nécessaire. Je remercie M. Pradié de mettre en lumière ces problèmes même si je ne partage pas ses positions. J’ai exercé les fonctions de maire pendant seize ans et j’ai été confronté à ces questions de violences intrafamiliales auxquelles il a fallu réfléchir. Quelles sont les solutions ? Nous avons vécu un bon moment démocratique dans le cadre d’une niche parlementaire, lorsque nous avons voté l’instauration du bracelet antirapprochement. Mais quand je vous écoute ce soir, j’entends que vous défendez ce qui s’apparente à un texte d’appel. Mais non ! Il ne sera pas forcément efficace. En même temps, une mission est prévue qui devra remettre un rapport censé traiter la question au fond. Aussi ne serait-il pas urgent d’attendre ce rapport afin de voir si nous pouvons travailler sereinement ? Votre texte est nécessaire parce qu’il nous interpelle. Reste que nous sommes des législateurs et que nous avons envie d’être efficaces – il faut que le texte que nous voterons serve. Car s’il s’agit d’adopter un texte qu’il faudra complètement chambouler à la lumière du rapport que rédigera la mission, cela me gêne, cela me trouble. Je ne suis pas convaincu de la nécessité d’une juridiction spécialisée. Les magistrats ont une vision et une expérience qui leur permettent d’avoir, au-delà d’une spécialisation quelque peu théorique, ce côté humain et de se montrer efficaces dans certains des jugements qu’ils auront à prononcer.
Je remercie encore une fois le rapporteur de poser le problème mais il me semble nécessaire de nous laisser un peu de temps : le rapport sera rendu en mars 2023. Encore une fois, je souhaite que nous fassions un travail sérieux et utile. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et RE.) La parole est à M. Ugo Bernalicis. La discussion technique que nous avons à l’article 1er est intéressante mais plusieurs amendements entendent répondre à la question de savoir quelle juridiction prendra en considération les mis en cause mineurs. Alors débattons-en au moment d’examiner ces amendements et non au préalable, pour dénoncer le texte.
Il en va de même pour les juridictions spécialisées, dont vous savez que nous ne sommes pas de grands fanatiques. Nous avons donc prévu un amendement qui vise à créer, non une juridiction d’exception mais un pôle composé de magistrats s’étant spécialisés dans les violences intrafamiliales, ce qui ne revient pas au même. Nous pouvons tous nous retrouver sur ce point. (Applaudissements quelques les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Les députés des différents groupes ont échangé des arguments et, j’y insiste, plutôt que de passer notre temps à dire que le texte est mal rédigé ou qu’il faut attendre la publication du rapport, faisons notre travail de parlementaires. Si ce que vous dites est vrai, si vous avez raison sur la question de la minorité de certains mis en cause, si vous penchez pour un pôle de magistrats plutôt que pour une juridiction spécialisée, eh bien, votez les amendements et le texte à la fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur quelques bancs du groupe LR. – Mme Sandra Regol applaudit également.) Nous en venons aux amendements.
La parole est à Mme Edwige Diaz, pour soutenir l’amendement no 54. Comme nous l’avons précisé dans la discussion générale, les amendements déposés par M. le rapporteur, qui s’inspirent largement des propositions du Rassemblement national, vont dans le bon sens. Néanmoins, le présent amendement pourrait, s’il était adopté, constituer un ajout positif pour la justice. Il vise à ce que chaque tribunal judiciaire – à savoir au plus proche de nos concitoyens – compte un collège de trois juges spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce collège serait chargé de connaître de ce contentieux pénal ainsi que des ordonnances de protection.
Ces affaires de violences, celles exercées tant sur les conjoints que sur les enfants, méritent toute l’attention des institutions judiciaires et il est important de pouvoir se reposer sur un ensemble de magistrats spécialisés pour leur traitement. Une victime de violences de la part d’un conjoint ou d’un parent se trouve dans une situation bien particulière, qui nécessite l’appréciation d’acteurs spécialisés à tous les stades de l’enquête et du jugement par ailleurs. Se retrouver face à des juges spécialisés serait donc une excellente avancée pour la cause que nous défendons. Ainsi, par cette nouvelle rédaction, nous procurerions au système judiciaire un arsenal plus important et plus efficace dans la lutte contre les violences intrafamiliales. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Quel est l’avis de la commission ? J’ai, sur le sujet, un point d’accord avec vous et vous l’avez d’ailleurs évoqué en commission : la nécessaire proximité des juridictions, qui est le principal objet de votre amendement. Mais avant de vous donner une réponse plus complète, je note que, contrairement à ce que vous aviez fait en commission, vous n’avez pas déposé d’amendement visant à supprimer l’article 1er en séance. Vous savez que je n’ai pas de sympathie particulière pour votre groupe politique : je trouve que cette démarche va dans le bon sens et je tenais à le dire.
Pour le reste, votre amendement me semble poser un problème majeur que mon amendement no 5 pourrait résoudre – il vise à créer dans chaque tribunal judiciaire un tribunal des violences intrafamiliales, afin d’accroître la proximité géographique de la juridiction que ce texte tend à instaurer. En effet, vous proposez trois juges par ressort de tribunal judiciaire affectés aux violences intrafamiliales, ce qui me paraît tout à fait impossible, aussi bien dans une circonscription comme la vôtre que dans la mienne. Il ne saurait y avoir trois juges à demeure dans une juridiction spécialisée : cela n’est d’ailleurs le cas ni des juges pour enfants, ni des juges aux affaires familiales, ni des juges des tutelles et des curatelles. J’insiste : un tel dispositif me semblerait impossible à appliquer.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien, lequel, je vous l’assure, garantira la proximité que nous appelons de nos vœux. Et, à défaut de retrait, j’émettrai un avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Madame Diaz, comme l’a dit tout à l’heure Mme Untermaier, des filières existent déjà. Nous pouvons utiliser les mots « filières », « spécialisations », « juridictions spécialisées », « pôles » : je l’ai dit tout à l’heure, la dénomination est une immense valise dans laquelle on peut mettre beaucoup de choses. J’ajoute que nous disposons déjà de référents VIF, à raison d’un par parquet, et que nous avons envoyé plus de 105 contractuels exclusivement chargés de ces questions dans toutes les juridictions françaises.
Je le répète, je n’ai pas d’opposition de principe à la création d’une juridiction différemment spécialisée, si je puis dire les choses ainsi. Mais, bon sang, il faut tout de même que nous disposions d’une étude d’impact ! On ne peut pas chambouler les juridictions de cette manière, en n’ayant auditionné que huit personnes et sans avoir interrogé ni les conférences ni les avocats. On ne peut pas partir ainsi à l’aventure.
Vous dites, monsieur le rapporteur, que l’idée de rendre les ordonnances en six jours avait suscité beaucoup de réticences, mais que cela a fonctionné malgré tout. D’une certaine façon, nous avons eu de la chance, et heureusement que les choses ont fonctionné. Je précise d’ailleurs que la Chancellerie a tout fait pour que cela marche, mais que ce ne fut pas simple. Les délais ont été réduits et nous parvenons donc à rendre les ordonnances dans les temps impartis. Mais ce n’est pas pour cela que les choses marcheraient à nouveau ici, sans que nous disposions du minimum minimorum , c’est-à-dire d’une étude d’impact.
Le fait est que nous n’avons pas de cadre de discussion et qu’une mission parlementaire est en cours. Les uns et les autres envisagent la spécialisation en fonction non pas de leurs caprices – ce serait désobligeant de dire cela –, mais de leur vision de la justice, sans pour autant bien la connaître. Madame Diaz, vous proposez qu’il y ait trois magistrats, quand d’autres préféreront une autre spécialisation. Je le répète, nous n’avons pas une bonne base de travail : c’est pourquoi je vous engage à attendre la conclusion de la mission parlementaire, laquelle sera conduite sérieusement.
S’agissant du présent amendement, il est juridiquement infondé, car la création d’un juge spécialisé nécessite une modification de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : cette création ne peut donc avoir lieu que dans le cadre d’une loi organique – ce n’est pas plus compliqué que cela. En outre, imposer par la loi un nombre de magistrats spécialisés par juridiction ainsi qu’un examen des affaires concernées en formation collégiale entraînerait une rigidité d’organisation et de fonctionnement absolument incompatible avec la réalité de terrain que vivent nos magistrats au quotidien. On ne saurait enfin modifier l’organisation juridictionnelle sans les avoir au moins consultés ! Avec une telle mesure, vous prendriez le risque d’une embolie, d’un dysfonctionnement.
Vous le verrez dans quelques jours, nous faisons tout, dans le cadre des états généraux de la justice, pour donner davantage de moyens à la justice. Ah ! Oui, et je rappellerai d’ailleurs que certains n’ont pas voté le budget de la justice. Rappelez-le ! Alors que nous faisons tout pour simplifier et fluidifier les procédures pénale et civile, vous cherchez à nous imposer un dispositif nébuleux de nature à contraindre les magistrats à un chamboulement complet de leurs habitudes quotidiennes : il faut tout de même penser à cela ! Vous affirmez agir au nom de l’efficacité, mais vous prenez des risques tout à fait considérables. Je rappelle que les magistrats suivent tous une formation initiale et continue. Volontaire ! Comment ferons-nous s’il manque un magistrat à votre formation collégiale de trois personnes ? On ne jugera plus les affaires ? Comment fait-on aujourd’hui ? Mais aujourd’hui les affaires sont jugées. J’ai donné… Comment fait-on ? Je vous remercie, monsieur Pradié, de m’interrompre à nouveau. Vous ne voulez pas entendre les réponses. Vous faites cavalier seul. Vous voulez avoir raison contre tout le monde, même contre la Constitution – je l’ai rappelé il y a quelques instants. On a compris ! Pas vous en l’occurrence, puisque vous persistez. (Exclamations sur divers bancs.) Mais si, la répétition m’aide à comprendre ! Veuillez me laisser terminer mon propos. Votre but est évidemment de m’interrompre. Pardonnez-moi de vous le dire, mais la spécialisation que vous souhaitez représente un véritable danger. D’ailleurs, je l’ai dit tout à l’heure, dans certaines hypothèses, votre dispositif contraindrait des victimes à accomplir de longs déplacements, alors que nous faisons justement tout – absolument tout ! – pour que le recueil de la parole de la victime et sa prise en charge aient lieu sur place et dans des délais raccourcis. Pardonnez-moi à nouveau de vous le dire, votre proposition de loi aurait pour effet de désosser tout ce qui a été entrepris dans ce domaine et qui fonctionne.
Je l’ai évoqué tout à l’heure, mais vous ne voulez pas l’entendre pour mieux persister sur votre texte : le nombre de réponses pénales est en augmentation et les décisions rendues sont de plus en plus sévères. Si l’organisation de filières spécifiques au sein de chaque tribunal judiciaire permet une coordination de l’action de la juridiction en matière de violences intrafamiliales, ce fonctionnement doit être prolongé. Je le répète une fois de plus : il convient d’attendre les conclusions de la mission consacrée au traitement judiciaire des violences intrafamiliales afin, tout simplement, d’identifier les moyens les plus efficaces de l’améliorer. Ce n’est pas du dogmatisme, je ne cherche pas à m’opposer à M. Pradié : mesdames et messieurs les députés, c’est tout simplement… Du respect ! …du bon sens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Et l’amendement ? J’ai dit que l’avis était défavorable, car il faudrait passer par une loi organique pour adopter une telle mesure. Vous voyez que vous ne m’écoutez pas. La parole est à Mme la ministre déléguée. Deux avis ministériels pour le prix d’un ! Je souhaite partager avec vous ce que j’ai entendu à la barre pendant des années. Le même scénario qui s’y déroulait systématiquement, scénario sur lequel je ne mettais d’ailleurs pas de nom. Il était seulement étrange de voir à quel point les affaires de féminicides se passent toutes de la même façon. Que se passait-il ? Une femme rencontrait un homme, leur relation démarrait très vite,… Le but du jeu, c’est de perdre du temps ? Leur relation démarrait très vite… C’est une manœuvre. On est en train de jouer ! Non, je n’ai vraiment pas envie de jouer ! C’est trop grave ! Gardez votre calme ! On n’interrompt pas Mme la ministre déléguée ! Monsieur le rapporteur, madame la ministre déléguée, s’il vous plaît… J’ai passé trop de temps à ça dans ma vie et je n’ai pas envie de jouer ! (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Elle n’a pas à le prendre à partie ! S’il vous plaît ! Monsieur le rapporteur, madame la ministre déléguée, veuillez ne pas engager de conversation entre vous. M. le ministre est un meilleur comédien ! Ce n’est pas comme si le Gouvernement ne faisait jamais d’obstruction ! Attention, chers collègues, je vais suspendre la séance. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.)
Je rappellerai quelques règles simples. En principe, les orateurs se tournent vers la présidence lorsqu’ils s’expriment. Par ailleurs, je ne veux ni que vous vous interpelliez directement, ni qu’il y ait de monologues, ni que s’installent des conversations entre vous. Je vous demande de revenir au texte et de bien vouloir écouter Mme la ministre déléguée jusqu’au bout. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Demandez au Gouvernement d’éviter de jouer la montre ! Le sujet est trop grave pour avoir envie de jouer, monsieur le rapporteur. Ces femmes, je les ai vues et je puis vous dire qu’il se passait toujours la même chose. Vous parlez dans le vide, madame la ministre déléguée ! Systématiquement, elles tombaient amoureuses d’hommes qui, très vite, les humiliaient, les éloignaient de leur famille et de leurs amis, leur faisaient parfois perdre leur travail. Puis arrivaient la dévalorisation de leur personne, les menaces. Ils les harcelaient avec 200 SMS par jour : « Tu es où ? », « Tu fais quoi ? » leur demandaient-ils en permanence. Le Gouvernement fait de l’obstruction : cinq minutes plus tard, on n’a toujours rien appris ! Au bout de quelques mois ou de quelques années, à petit feu, survenait leur véritable destruction. Quel est le lien avec l’amendement ? La plupart de ces femmes me disaient qu’elles se sentaient comme des serpillières. À cet égard, on a longtemps pensé qu’elles étaient dans l’ambivalence, parce qu’elles retiraient leur plainte quelques jours après être enfin parvenues à en déposer une – nous savons tous que c’est fréquent. On pensait qu’elles ne savaient pas ce qu’elles voulaient. Grâce à l’apport des sciences humaines, nous avons finalement compris que le processus auquel nous assistions s’appelait l’emprise,… D’où la nécessité de la formation et de la spécialisation ! Monsieur Bernalicis, s’il vous plaît. …et qu’il fallait savoir la détecter pour comprendre la situation de ces femmes. Quel est le lien avec l’amendement ? Si on ne sait pas ce qu’est l’emprise, on passe à côté du danger et on laisse des femmes et des enfants en danger. Ça n’a aucun rapport avec l’amendement ! Vous allez parler combien de temps ? C’est pourquoi je persiste à dire qu’il faut des formations très poussées pour les magistrats qui ont à traiter de ces affaires. Aucun rapport avec l’amendement ! De la même manière, j’estime qu’il faut un système dédié au traitement de ce type d’affaires, mais qui ne soit pas un système bancal. Quel lien avec la collégialité des formations de magistrats ? Il faut de la cohérence et seul le travail des parlementaires Chandler et Vérien la procurera. Le garde des sceaux est un meilleur comédien ! Le garde des sceaux l’a dit, on ne fait pas… C’est de la discussion générale ! On n’interrompt pas Mme la ministre déléguée ! Dès qu’une femme prend la parole, vous faites ça ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.) Chers collègues, s’il y a des contestations, je vous invite à faire des rappels au règlement. Pour faire un rappel au règlement, il faudrait déjà qu’elle termine son propos ! Madame la ministre déléguée, je vous remercie de bien vouloir conclure. On ne fait pas une justice spécialisée d’un claquement de doigts, et les apparentes bonnes idées, comme celle proposée dans cet amendement, peuvent créer des frustrations, de l’instabilité, et même un danger si elles sont mal travaillées. Allez ! Les fausses bonnes idées ne feront pas diminuer les féminicides et risquent, au contraire, d’éloigner encore davantage les victimes des tribunaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.) La parole est à Mme Émilie Chandler. Cet amendement vise à établir une justice et des magistrats spécialisés dans le contrôle coercitif de personnes soupçonnées d’exercer une emprise sur leur famille et capables de prendre en considération d’autres éléments qui sont, pour l’heure, insuffisamment exploités par les professionnels amenés à prendre des décisions pénales sur des cas très graves.
Or une justice et des magistrats spécialisés existent déjà au sein des tribunaux judiciaires. Cela démontre l’intérêt et l’enjeu de la mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, qui s’efforcera d’entendre tout le monde et de retenir les meilleures idées provenant de chaque groupe. Ce n’est pas la majorité qui détient la vérité sur cette question : nous voulons simplement chercher les dispositions les mieux adaptées au traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Je le répète, le but de la mission est de trouver des points d’entente pour offrir de meilleures solutions aux victimes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Ils ont changé, les députés Renaissance ! La parole est à Mme Isabelle Santiago. Il est dix heures et demie, et bien que la séance publique soit faite pour que nous nous exprimions, je remarque que les prises de parole prennent ce soir énormément de temps. C’est le problème : ils jouent la montre ! Soit il y a obstruction parlementaire,… Madame Santiago, votre intervention n’a pas de rapport avec l’amendement. Est-ce un rappel au règlement ? Je sais que mes propos n’ont pas trait à l’amendement ! S’il ne s’agit pas d’un rappel au règlement, je donnerai donc la parole à Mme Diaz, qui attend son tour. Vous pourrez toujours faire un rappel au règlement par la suite, madame Santiago, encore que rien ne vous y oblige.
La parole est à Mme Edwige Diaz. Je suis particulièrement déçue : la comparaison entre le spectacle auquel nous avons assisté la semaine dernière et celui auquel nous assistons à présent donne le sentiment que le Gouvernement a une nouvelle fois opté pour l’obstruction. (M. le rapporteur applaudit.) À peine ai-je compris les réponses de M. le ministre et de Mme la ministre déléguée au sujet de notre amendement,… Il n’y en a pas, de réponses ! …dont M. le garde des sceaux s’est par ailleurs servi pour régler ses comptes avec M. le rapporteur. Quant à Mme la ministre déléguée, encore une fois, je n’ai pas compris ce qu’elle disait. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Elle ne l’a sans doute pas compris elle-même ! La parole est à M. le garde des sceaux. Je suis confus, madame Diaz, et je vous présente toutes mes excuses (« Ah ! » sur divers bancs) si mes propos ont manqué de clarté : cela m’arrive parfois. Peut-être aussi, je dis bien « peut-être », n’avez-vous pas été suffisamment attentive au moment où je formulais ma réponse.
Pour modifier, comme vous souhaitez le faire, une juridiction, il faut une loi organique : par conséquent, votre amendement est juridiquement infondé. En effet, l’institution d’un juge spécialisé nécessiterait de modifier l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Il eût donc fallu, je le répète, une proposition de loi organique ! C’était là l’essentiel de mon intervention ; quant au reste, je vous ai parlé de l’organisation des juridictions et des difficultés que susciterait le fait de provoquer à la légère des changements qui l’affecteraient gravement. J’abordais donc à la fois le droit et l’aspect pratique des choses. J’espère, madame la députée, que vous aurez cette fois écouté, voire entendu, ce que j’ai tenté d’expliquer. (L’amendement no 54 n’est pas adopté.) Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 2 et 33.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 2. Il fait suite aux débats que nous avons eus en commission et vise à substituer, à l’alinéa 3 de l’article 1er, le mot « pôles » au mot « juridictions ». Cela ne change rien au fond du texte, mais rend plus cohérent le message que nous voulons envoyer. La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 33. Il s’agit d’un amendement identique à celui du rapporteur, que nous remercions d’avoir été à l’écoute dès l’examen du texte en commission. Ces amendements devraient répondre à une partie des objections formulées par les collègues, notamment celle selon laquelle nous nous apprêterions à chambouler toute l’organisation des juridictions, ce qui ne sera plus le cas avec de simples pôles spécialisés. En revanche, tout le monde convient de la nécessité d’une spécialisation des magistrats afin qu’ils soient en mesure d’entendre ces victimes et de leur rendre justice.
Ainsi modifié, le texte permettrait de commencer le travail : nous ne prétendons pas, contrairement à ce qui a été dit, qu’il résoudra quoi que ce soit sur-le-champ, mais du moins continuerions-nous à l’enrichir. Si nous voulons progresser, si nous prenons au sérieux le travail parlementaire, si nous sommes convaincus qu’un texte de niche peut être adopté – peut-être même à l’unanimité, comme cela s’est produit sous la précédente législature – et faire avancer les choses, l’occasion nous est offerte de montrer notre conscience des enjeux liés aux violences intrafamiliales et notre volonté d’œuvrer, en la matière, grâce à des suggestions venues de tous les bords. Encore une fois, pour que les choses avancent, adoptez ces amendements, adoptez la proposition de loi ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LFI-NUPES.) Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements identiques ? Pardon de l’exprimer aussi librement, mais tout cela n’est pas sérieux. Ce n’est pas une question de sémantique ! Depuis quand la substitution d’un mot à un autre résout-elle les problèmes comme par magie ? C’est la vie des juridictions qui est en jeu ! Je le dis tout net : pour créer des pôles, pas besoin d’une loi. Pourquoi ne l’avez-vous pas déjà fait, alors ? Des pôles sont déjà constitués sans qu’aucun texte ait été requis. Vous pourriez être plus concis, monsieur le garde des sceaux ! Pour sortir de la sémantique, ils correspondent aux filières déjà existantes, dont nous parlions à l’instant ! En outre, vous n’avez même pas coordonné les modifications : aux alinéas suivants de l’article 1er, visant notamment l’intitulé du chapitre Ier du titre V bis inséré au livre II du code de l’organisation judiciaire, ainsi que les articles L. 255-1, L. 255-2, L. 255-3 – je ne suis pas exhaustif –, il est toujours mentionné un « tribunal des violences intrafamiliales ». Vous établiriez donc, au sein des pôles, une juridiction spécialisée pour connaître de ces violences ? Encore une fois, ce n’est pas sérieux, pardon de vous le dire : ce n’est pas suffisamment travaillé.
M. Pradié vous vend avec beaucoup de talent l’idée que ce texte ferait progresser les choses, mais j’ai dit tout à l’heure, et je redis, à la représentation nationale qu’Isabelle Rome et moi-même allons créer un groupe de contact flash (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NUPES et LR, ainsi que de la part de M. le rapporteur) … Un groupe Flash ? Merci, Gordon ! « Ce n’est pas une question de sémantique ! » Les mots ont un sens : si le groupe est dit « flash », c’est parce qu’il n’existera que pendant deux semaines. On en fait, en deux semaines, du travail ! Écoutez bien ! Ce groupe composé de représentants de tous les groupes politiques – vous y trouverez votre place, monsieur Bernalicis ! – aura pour but de recueillir les propositions et réflexions inspirées par les conclusions de la mission confiée à vos collègues parlementaires. Voilà ! Vous, vous évoquez tantôt une juridiction, un tribunal, tantôt un pôle, un coup ceci, un coup cela. En tout et pour tout, vous avez consulté huit personnes : vous ne vous êtes pas rendu au cœur des juridictions pour y demander leur avis aux professionnels. C’est invraisemblable ! Vous êtes les générateurs d’une désorganisation absolue (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NUPES et LR), … C’est le chaos ! …là où il faudrait une grande organisation, une efficacité plus grande encore, davantage de moyens. Telle est la réalité de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.) Au cas où vous ne l’auriez pas compris, avis défavorable. Cela se voit à Nanterre ! Allez en parler à la chancellerie de Nanterre, et je vous répondrai ! Vous êtes pris sur le VIF ! La parole est à Mme la ministre déléguée. Monsieur Pradié, je conçois tout à fait que vous souhaitiez améliorer votre proposition de loi ; de surcroît, créer des pôles spécialisés plutôt que des juridictions spécialisées n’est pas dénué de logique et paraît plus simple à faire. Toutefois, nous ne pouvons raisonnablement façonner un tel édifice sans attendre les conclusions de la mission parlementaire déjà évoquée. Ayons la sagesse de nous en remettre à son travail collégial d’analyse, la patience nécessaire pour découvrir les préconisations qu’elle formulera ! Le garde des sceaux a rappelé notre projet d’un groupe de contact flash :… Une mission ou un groupe de contact ? Même là-dessus, vous n’êtes pas d’accord ! Monsieur Schellenberger… Nous essayons d’aider la ministre déléguée, madame la présidente ! …après que ces parlementaires auront remis leur rapport, après en avoir pris connaissance, nous serons en mesure d’examiner des propositions cohérentes, travaillées avec l’ensemble des acteurs concernés. La parole est à Mme Cécile Untermaier. Il m’a semblé, monsieur le rapporteur, que la substitution du mot « pôles » au mot « juridictions » ne s’appliquerait en effet, aux termes de ces amendements, qu’à l’intitulé du titre V bis que vous souhaitez intégrer au code de l’organisation judiciaire. Au sein de ces dispositions, l’intitulé « tribunal des violences intrafamiliales » serait conservé, ainsi que la mention d’un juge spécialisé. Je suis pour ma part assez favorable à l’idée d’un pôle, lequel, dans un certain nombre de tribunaux, existe déjà et fonctionne très bien, sans qu’il soit besoin d’une juridiction.
En outre, ce que je connais et qui fonctionne également fort bien – peut-être cette idée contribuera-t-elle à ce que nous progressions ensemble –, ce sont des chambres spécialisées où se tiennent chaque mois une ou deux audiences réservées aux cas de violences intrafamilales, où se trouvent réunis le JAF, le juge de l’application des peines (JAP), le juge des enfants, le juge correctionnel, tous formés et sensibilisés à ces questions. Ces chambres assurent non seulement le traitement des dossiers, mais l’accompagnement des victimes – une association d’aide à ces dernières est présente à l’audience – et celui de l’auteur des faits – suivi addictologique, relations avec le centre pénitentiaire ou le service chargé de superviser son stage. Nous pouvons travailler là-dessus. Encore une fois, je serais satisfaite de voir se créer des pôles spécialisés. Monsieur le ministre, nous pouvons amender le texte et, ainsi, avancer : tel est notre objectif. C’est également le nôtre ! Poursuivons donc dans cette voie, en renonçant pour le moment à l’idée de juridictions spécialisées, mais en conservant celle de juges spécialisés dans ces questions. La parole est à Mme Caroline Yadan. Où que se situe notre place dans l’hémicycle, nous avons tous exactement le même objectif : rendre plus efficace la lutte contre les violences intrafamiliales. Reste qu’il faut penser en termes d’expérience et d’expertise – celles des habitués des tribunaux, qui savent de quoi ils parlent. Excusez-moi de vous le dire, mais je suis avocate en droit de la famille depuis près de trente ans, j’ai défendu dix ans durant des femmes battues, j’ai fondé une association : je sais de quoi je parle. Eh bien, cela s’entend… Or, pardonnez-moi, mon cher collègue, remplacer « juridictions » par « pôles » n’avance à rien,… Parler lentement et en se répétant non plus ! …pour la bonne raison que ces pôles existent déjà. Les chambres des tribunaux sont regroupées en pôles, conformément au code de l’organisation judiciaire. Ça fait deux minutes, là ! Lorsque, par exemple, vous saisissez le JAF d’une ordonnance de protection, vous avez affaire à un juge formé,… Merci, chère collègue. …de même que ses collègues au sein du pôle. Par conséquent, ces amendements ne sont aucunement nécessaires. (Les amendements identiques nos 2 et 33 sont adoptés.)
(Applaudissements sur divers bancs.) Je suis saisie de deux amendements, nos 51 et 50, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 51. Il est vrai, comme l’a souligné notre collègue Yadan, qu’il existe des pôles spécialisés. Il faut cependant veiller à ce qu’ils soient généralisés, car il n’en existe pas dans tous les tribunaux. Il semblerait utile à notre groupe d’étendre les compétences de ces pôles non pas aux seules violences intrafamiliales mais également aux outrages sexistes et sexuels dont il a été largement question lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). La parole est à Mme Clémence Guetté, pour soutenir l’amendement no 50. Il va dans le même sens que celui que vient de présenter Mme Untermaier, puisqu’il vise à étendre aux violences sexistes et sexuelles (VSS) le champ de la proposition de notre collègue Pradié. Différentes enquêtes ont été réalisées dans ce domaine. L’une d’entre elles, menée par le ministère de l’intérieur, montre qu’en 2019, 42 000 plaintes ont été enregistrées pour des VSS commises hors du cadre familial. Il nous semble donc important que le texte englobe toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, à l’intérieur comme à l’extérieur de la famille. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Quel est l’avis de la commission ? Lorsque nous avons eu ce débat en commission, j’ai exprimé mon scepticisme et mes interrogations. Je souhaite que nous travaillions sur ce sujet, certaines questions me semblant assez abouties pour que nous puissions avancer – contrairement à ce que j’entends répéter par les uns et les autres. Sur d’autres questions, j’ai cependant un doute, que je souhaite expliquer. Si nous confions aux magistrats d’une juridiction spécialisée le soin de protéger ces femmes, dont certaines se trouvent en danger de mort, il leur appartiendra notamment de délivrer des ordonnances de protection, qui peuvent être renforcées jusqu’à imposer le port d’un bracelet antirapprochement. Je ne comprends pas comment, face aux outrages visés, ces magistrats pourront utiliser ce type d’outils : ce sont des outils de prévention quasi pénale, si vous me permettez cette expression un peu expéditive. Il me semble dangereux de confier aux magistrats des dossiers qui ne correspondent pas aux outils qu’ils utilisent.
J’en viens à ma seconde inquiétude. Je suis tout à fait conscient du fait que la création de ces juridictions spécialisées perturbera l’organisation de notre justice ainsi que nos magistrats. Pardon de le dire, mais ce n’est pas très grave. Les magistrats ont parfois été perturbés et ils ont réussi à l’accepter ; je ne vois donc aucun inconvénient à ce qu’on les perturbe.
En revanche, si nous leur demandons d’emblée de traiter toutes les affaires de violences, aussi bien celles pouvant nécessiter une ordonnance de protection que les outrages sexistes, les juridictions seront vite saturées. Voilà pourquoi je proposerai tout à l’heure de sous-amender un amendement du groupe La France insoumise, qui demande un rapport sur ce sujet. Si, sur les violences intrafamiliales, nous avons des années de recul et savons déjà quoi faire, il est en effet nécessaire de continuer à travailler sur les VSS. Je vous propose de retirer vos deux amendements au profit de celui relatif à la demande de rapport, dont nous discuterons ultérieurement. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Le Parlement, de son côté, a fait son travail, comme l’a expliqué le rapporteur Pradié. L’ordonnance de protection est désormais prise de manière satisfaisante, à raison d’un délai de six jours qu’il a été possible de respecter. Comme quoi l’initiative parlementaire et l’esprit d’innovation parlementaire peuvent être utiles et, dans le cadre du débat qui s’ouvre, nous devons privilégier l’écoute et la volonté d’avancer sur un sujet qui nous tient à cœur. La parole est à Mme Émilie Chandler. Je suis une jeune députée, je ne connais pas tous les usages et je vous prie de bien vouloir excuser mon ignorance. Nous sommes beaucoup de jeunes députés ! Tant mieux.
Si nous nous en tenons au droit, un cas m’est échu par malchance le 28 décembre 2019, alors que j’étais de permanence au déferrement de l’antenne des mineurs du barreau de Paris. Je n’étais pas encore parlementaire mais avocat pour enfants. Le cas était celui d’un mineur de 17 ans et demi qui commettait un inceste sur son petit frère de 4 ans – en effet, si nous voulons donner dans le pathos, les exemples abondent et nous pouvons tous avoir les larmes aux yeux en pensant qu’autour de nous les choses se passent ainsi et qu’il ne faut donc pas faire n’importe quoi avec le droit. Que fait-on, donc, de ce mineur de 17 ans et demi qui va passer devant le juge des enfants et qui, six mois plus tard, à 18 ans et un ou deux jours, commettra la même horreur sur son autre petit frère ? Nous avons deux victimes et le même auteur – mineur dans le premier cas et majeur dans le second. Il ne passera pas devant le juge aux affaires familiales ! La juridiction spécialisée proposée, qui vise à fixer un cadre pénal général pour les violences intrafamiliales, ne prend pas en considération le cas que je viens d’exposer. Il n’y a pas de cadre pénal tout court. Il y a un vide juridique pour ce type de cas qui, pourtant, concerne un certain nombre de familles – ici un auteur et deux toutes petites victimes. C’est terrible, ça, comme argumentation… Si vous voulez que nous évoquions des drames, allons-y mais je préfère trouver des solutions juridiques cohérentes, transpartisanes. (Murmures.) Je souhaite terminer mon propos tranquillement car, au-delà de nos débats, il y a la vie des femmes, des enfants et des tout petits enfants – dont nous ne parlons pas assez. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) La parole est à M. Jean-Paul Mattei. Ce débat est intéressant et nécessaire. Je remercie M. Pradié de mettre en lumière ces problèmes même si je ne partage pas ses positions. J’ai exercé les fonctions de maire pendant seize ans et j’ai été confronté à ces questions de violences intrafamiliales auxquelles il a fallu réfléchir. Quelles sont les solutions ? Nous avons vécu un bon moment démocratique dans le cadre d’une niche parlementaire, lorsque nous avons voté l’instauration du bracelet antirapprochement. Mais quand je vous écoute ce soir, j’entends que vous défendez ce qui s’apparente à un texte d’appel. Mais non ! Il ne sera pas forcément efficace. En même temps, une mission est prévue qui devra remettre un rapport censé traiter la question au fond. Aussi ne serait-il pas urgent d’attendre ce rapport afin de voir si nous pouvons travailler sereinement ? Votre texte est nécessaire parce qu’il nous interpelle. Reste que nous sommes des législateurs et que nous avons envie d’être efficaces – il faut que le texte que nous voterons serve. Car s’il s’agit d’adopter un texte qu’il faudra complètement chambouler à la lumière du rapport que rédigera la mission, cela me gêne, cela me trouble. Je ne suis pas convaincu de la nécessité d’une juridiction spécialisée. Les magistrats ont une vision et une expérience qui leur permettent d’avoir, au-delà d’une spécialisation quelque peu théorique, ce côté humain et de se montrer efficaces dans certains des jugements qu’ils auront à prononcer.
Je remercie encore une fois le rapporteur de poser le problème mais il me semble nécessaire de nous laisser un peu de temps : le rapport sera rendu en mars 2023. Encore une fois, je souhaite que nous fassions un travail sérieux et utile. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et RE.) La parole est à M. Ugo Bernalicis. La discussion technique que nous avons à l’article 1er est intéressante mais plusieurs amendements entendent répondre à la question de savoir quelle juridiction prendra en considération les mis en cause mineurs. Alors débattons-en au moment d’examiner ces amendements et non au préalable, pour dénoncer le texte.
Il en va de même pour les juridictions spécialisées, dont vous savez que nous ne sommes pas de grands fanatiques. Nous avons donc prévu un amendement qui vise à créer, non une juridiction d’exception mais un pôle composé de magistrats s’étant spécialisés dans les violences intrafamiliales, ce qui ne revient pas au même. Nous pouvons tous nous retrouver sur ce point. (Applaudissements quelques les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Les députés des différents groupes ont échangé des arguments et, j’y insiste, plutôt que de passer notre temps à dire que le texte est mal rédigé ou qu’il faut attendre la publication du rapport, faisons notre travail de parlementaires. Si ce que vous dites est vrai, si vous avez raison sur la question de la minorité de certains mis en cause, si vous penchez pour un pôle de magistrats plutôt que pour une juridiction spécialisée, eh bien, votez les amendements et le texte à la fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur quelques bancs du groupe LR. – Mme Sandra Regol applaudit également.) Nous en venons aux amendements.
La parole est à Mme Edwige Diaz, pour soutenir l’amendement no 54. Comme nous l’avons précisé dans la discussion générale, les amendements déposés par M. le rapporteur, qui s’inspirent largement des propositions du Rassemblement national, vont dans le bon sens. Néanmoins, le présent amendement pourrait, s’il était adopté, constituer un ajout positif pour la justice. Il vise à ce que chaque tribunal judiciaire – à savoir au plus proche de nos concitoyens – compte un collège de trois juges spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce collège serait chargé de connaître de ce contentieux pénal ainsi que des ordonnances de protection.
Ces affaires de violences, celles exercées tant sur les conjoints que sur les enfants, méritent toute l’attention des institutions judiciaires et il est important de pouvoir se reposer sur un ensemble de magistrats spécialisés pour leur traitement. Une victime de violences de la part d’un conjoint ou d’un parent se trouve dans une situation bien particulière, qui nécessite l’appréciation d’acteurs spécialisés à tous les stades de l’enquête et du jugement par ailleurs. Se retrouver face à des juges spécialisés serait donc une excellente avancée pour la cause que nous défendons. Ainsi, par cette nouvelle rédaction, nous procurerions au système judiciaire un arsenal plus important et plus efficace dans la lutte contre les violences intrafamiliales. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Quel est l’avis de la commission ? J’ai, sur le sujet, un point d’accord avec vous et vous l’avez d’ailleurs évoqué en commission : la nécessaire proximité des juridictions, qui est le principal objet de votre amendement. Mais avant de vous donner une réponse plus complète, je note que, contrairement à ce que vous aviez fait en commission, vous n’avez pas déposé d’amendement visant à supprimer l’article 1er en séance. Vous savez que je n’ai pas de sympathie particulière pour votre groupe politique : je trouve que cette démarche va dans le bon sens et je tenais à le dire.
Pour le reste, votre amendement me semble poser un problème majeur que mon amendement no 5 pourrait résoudre – il vise à créer dans chaque tribunal judiciaire un tribunal des violences intrafamiliales, afin d’accroître la proximité géographique de la juridiction que ce texte tend à instaurer. En effet, vous proposez trois juges par ressort de tribunal judiciaire affectés aux violences intrafamiliales, ce qui me paraît tout à fait impossible, aussi bien dans une circonscription comme la vôtre que dans la mienne. Il ne saurait y avoir trois juges à demeure dans une juridiction spécialisée : cela n’est d’ailleurs le cas ni des juges pour enfants, ni des juges aux affaires familiales, ni des juges des tutelles et des curatelles. J’insiste : un tel dispositif me semblerait impossible à appliquer.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien, lequel, je vous l’assure, garantira la proximité que nous appelons de nos vœux. Et, à défaut de retrait, j’émettrai un avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Madame Diaz, comme l’a dit tout à l’heure Mme Untermaier, des filières existent déjà. Nous pouvons utiliser les mots « filières », « spécialisations », « juridictions spécialisées », « pôles » : je l’ai dit tout à l’heure, la dénomination est une immense valise dans laquelle on peut mettre beaucoup de choses. J’ajoute que nous disposons déjà de référents VIF, à raison d’un par parquet, et que nous avons envoyé plus de 105 contractuels exclusivement chargés de ces questions dans toutes les juridictions françaises.
Je le répète, je n’ai pas d’opposition de principe à la création d’une juridiction différemment spécialisée, si je puis dire les choses ainsi. Mais, bon sang, il faut tout de même que nous disposions d’une étude d’impact ! On ne peut pas chambouler les juridictions de cette manière, en n’ayant auditionné que huit personnes et sans avoir interrogé ni les conférences ni les avocats. On ne peut pas partir ainsi à l’aventure.
Vous dites, monsieur le rapporteur, que l’idée de rendre les ordonnances en six jours avait suscité beaucoup de réticences, mais que cela a fonctionné malgré tout. D’une certaine façon, nous avons eu de la chance, et heureusement que les choses ont fonctionné. Je précise d’ailleurs que la Chancellerie a tout fait pour que cela marche, mais que ce ne fut pas simple. Les délais ont été réduits et nous parvenons donc à rendre les ordonnances dans les temps impartis. Mais ce n’est pas pour cela que les choses marcheraient à nouveau ici, sans que nous disposions du minimum minimorum , c’est-à-dire d’une étude d’impact.
Le fait est que nous n’avons pas de cadre de discussion et qu’une mission parlementaire est en cours. Les uns et les autres envisagent la spécialisation en fonction non pas de leurs caprices – ce serait désobligeant de dire cela –, mais de leur vision de la justice, sans pour autant bien la connaître. Madame Diaz, vous proposez qu’il y ait trois magistrats, quand d’autres préféreront une autre spécialisation. Je le répète, nous n’avons pas une bonne base de travail : c’est pourquoi je vous engage à attendre la conclusion de la mission parlementaire, laquelle sera conduite sérieusement.
S’agissant du présent amendement, il est juridiquement infondé, car la création d’un juge spécialisé nécessite une modification de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : cette création ne peut donc avoir lieu que dans le cadre d’une loi organique – ce n’est pas plus compliqué que cela. En outre, imposer par la loi un nombre de magistrats spécialisés par juridiction ainsi qu’un examen des affaires concernées en formation collégiale entraînerait une rigidité d’organisation et de fonctionnement absolument incompatible avec la réalité de terrain que vivent nos magistrats au quotidien. On ne saurait enfin modifier l’organisation juridictionnelle sans les avoir au moins consultés ! Avec une telle mesure, vous prendriez le risque d’une embolie, d’un dysfonctionnement.
Vous le verrez dans quelques jours, nous faisons tout, dans le cadre des états généraux de la justice, pour donner davantage de moyens à la justice. Ah ! Oui, et je rappellerai d’ailleurs que certains n’ont pas voté le budget de la justice. Rappelez-le ! Alors que nous faisons tout pour simplifier et fluidifier les procédures pénale et civile, vous cherchez à nous imposer un dispositif nébuleux de nature à contraindre les magistrats à un chamboulement complet de leurs habitudes quotidiennes : il faut tout de même penser à cela ! Vous affirmez agir au nom de l’efficacité, mais vous prenez des risques tout à fait considérables. Je rappelle que les magistrats suivent tous une formation initiale et continue. Volontaire ! Comment ferons-nous s’il manque un magistrat à votre formation collégiale de trois personnes ? On ne jugera plus les affaires ? Comment fait-on aujourd’hui ? Mais aujourd’hui les affaires sont jugées. J’ai donné… Comment fait-on ? Je vous remercie, monsieur Pradié, de m’interrompre à nouveau. Vous ne voulez pas entendre les réponses. Vous faites cavalier seul. Vous voulez avoir raison contre tout le monde, même contre la Constitution – je l’ai rappelé il y a quelques instants. On a compris ! Pas vous en l’occurrence, puisque vous persistez. (Exclamations sur divers bancs.) Mais si, la répétition m’aide à comprendre ! Veuillez me laisser terminer mon propos. Votre but est évidemment de m’interrompre. Pardonnez-moi de vous le dire, mais la spécialisation que vous souhaitez représente un véritable danger. D’ailleurs, je l’ai dit tout à l’heure, dans certaines hypothèses, votre dispositif contraindrait des victimes à accomplir de longs déplacements, alors que nous faisons justement tout – absolument tout ! – pour que le recueil de la parole de la victime et sa prise en charge aient lieu sur place et dans des délais raccourcis. Pardonnez-moi à nouveau de vous le dire, votre proposition de loi aurait pour effet de désosser tout ce qui a été entrepris dans ce domaine et qui fonctionne.
Je l’ai évoqué tout à l’heure, mais vous ne voulez pas l’entendre pour mieux persister sur votre texte : le nombre de réponses pénales est en augmentation et les décisions rendues sont de plus en plus sévères. Si l’organisation de filières spécifiques au sein de chaque tribunal judiciaire permet une coordination de l’action de la juridiction en matière de violences intrafamiliales, ce fonctionnement doit être prolongé. Je le répète une fois de plus : il convient d’attendre les conclusions de la mission consacrée au traitement judiciaire des violences intrafamiliales afin, tout simplement, d’identifier les moyens les plus efficaces de l’améliorer. Ce n’est pas du dogmatisme, je ne cherche pas à m’opposer à M. Pradié : mesdames et messieurs les députés, c’est tout simplement… Du respect ! …du bon sens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Et l’amendement ? J’ai dit que l’avis était défavorable, car il faudrait passer par une loi organique pour adopter une telle mesure. Vous voyez que vous ne m’écoutez pas. La parole est à Mme la ministre déléguée. Deux avis ministériels pour le prix d’un ! Je souhaite partager avec vous ce que j’ai entendu à la barre pendant des années. Le même scénario qui s’y déroulait systématiquement, scénario sur lequel je ne mettais d’ailleurs pas de nom. Il était seulement étrange de voir à quel point les affaires de féminicides se passent toutes de la même façon. Que se passait-il ? Une femme rencontrait un homme, leur relation démarrait très vite,… Le but du jeu, c’est de perdre du temps ? Leur relation démarrait très vite… C’est une manœuvre. On est en train de jouer ! Non, je n’ai vraiment pas envie de jouer ! C’est trop grave ! Gardez votre calme ! On n’interrompt pas Mme la ministre déléguée ! Monsieur le rapporteur, madame la ministre déléguée, s’il vous plaît… J’ai passé trop de temps à ça dans ma vie et je n’ai pas envie de jouer ! (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Elle n’a pas à le prendre à partie ! S’il vous plaît ! Monsieur le rapporteur, madame la ministre déléguée, veuillez ne pas engager de conversation entre vous. M. le ministre est un meilleur comédien ! Ce n’est pas comme si le Gouvernement ne faisait jamais d’obstruction ! Attention, chers collègues, je vais suspendre la séance. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.)
Je rappellerai quelques règles simples. En principe, les orateurs se tournent vers la présidence lorsqu’ils s’expriment. Par ailleurs, je ne veux ni que vous vous interpelliez directement, ni qu’il y ait de monologues, ni que s’installent des conversations entre vous. Je vous demande de revenir au texte et de bien vouloir écouter Mme la ministre déléguée jusqu’au bout. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Demandez au Gouvernement d’éviter de jouer la montre ! Le sujet est trop grave pour avoir envie de jouer, monsieur le rapporteur. Ces femmes, je les ai vues et je puis vous dire qu’il se passait toujours la même chose. Vous parlez dans le vide, madame la ministre déléguée ! Systématiquement, elles tombaient amoureuses d’hommes qui, très vite, les humiliaient, les éloignaient de leur famille et de leurs amis, leur faisaient parfois perdre leur travail. Puis arrivaient la dévalorisation de leur personne, les menaces. Ils les harcelaient avec 200 SMS par jour : « Tu es où ? », « Tu fais quoi ? » leur demandaient-ils en permanence. Le Gouvernement fait de l’obstruction : cinq minutes plus tard, on n’a toujours rien appris ! Au bout de quelques mois ou de quelques années, à petit feu, survenait leur véritable destruction. Quel est le lien avec l’amendement ? La plupart de ces femmes me disaient qu’elles se sentaient comme des serpillières. À cet égard, on a longtemps pensé qu’elles étaient dans l’ambivalence, parce qu’elles retiraient leur plainte quelques jours après être enfin parvenues à en déposer une – nous savons tous que c’est fréquent. On pensait qu’elles ne savaient pas ce qu’elles voulaient. Grâce à l’apport des sciences humaines, nous avons finalement compris que le processus auquel nous assistions s’appelait l’emprise,… D’où la nécessité de la formation et de la spécialisation ! Monsieur Bernalicis, s’il vous plaît. …et qu’il fallait savoir la détecter pour comprendre la situation de ces femmes. Quel est le lien avec l’amendement ? Si on ne sait pas ce qu’est l’emprise, on passe à côté du danger et on laisse des femmes et des enfants en danger. Ça n’a aucun rapport avec l’amendement ! Vous allez parler combien de temps ? C’est pourquoi je persiste à dire qu’il faut des formations très poussées pour les magistrats qui ont à traiter de ces affaires. Aucun rapport avec l’amendement ! De la même manière, j’estime qu’il faut un système dédié au traitement de ce type d’affaires, mais qui ne soit pas un système bancal. Quel lien avec la collégialité des formations de magistrats ? Il faut de la cohérence et seul le travail des parlementaires Chandler et Vérien la procurera. Le garde des sceaux est un meilleur comédien ! Le garde des sceaux l’a dit, on ne fait pas… C’est de la discussion générale ! On n’interrompt pas Mme la ministre déléguée ! Dès qu’une femme prend la parole, vous faites ça ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.) Chers collègues, s’il y a des contestations, je vous invite à faire des rappels au règlement. Pour faire un rappel au règlement, il faudrait déjà qu’elle termine son propos ! Madame la ministre déléguée, je vous remercie de bien vouloir conclure. On ne fait pas une justice spécialisée d’un claquement de doigts, et les apparentes bonnes idées, comme celle proposée dans cet amendement, peuvent créer des frustrations, de l’instabilité, et même un danger si elles sont mal travaillées. Allez ! Les fausses bonnes idées ne feront pas diminuer les féminicides et risquent, au contraire, d’éloigner encore davantage les victimes des tribunaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.) La parole est à Mme Émilie Chandler. Cet amendement vise à établir une justice et des magistrats spécialisés dans le contrôle coercitif de personnes soupçonnées d’exercer une emprise sur leur famille et capables de prendre en considération d’autres éléments qui sont, pour l’heure, insuffisamment exploités par les professionnels amenés à prendre des décisions pénales sur des cas très graves.
Or une justice et des magistrats spécialisés existent déjà au sein des tribunaux judiciaires. Cela démontre l’intérêt et l’enjeu de la mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, qui s’efforcera d’entendre tout le monde et de retenir les meilleures idées provenant de chaque groupe. Ce n’est pas la majorité qui détient la vérité sur cette question : nous voulons simplement chercher les dispositions les mieux adaptées au traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Je le répète, le but de la mission est de trouver des points d’entente pour offrir de meilleures solutions aux victimes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Ils ont changé, les députés Renaissance ! La parole est à Mme Isabelle Santiago. Il est dix heures et demie, et bien que la séance publique soit faite pour que nous nous exprimions, je remarque que les prises de parole prennent ce soir énormément de temps. C’est le problème : ils jouent la montre ! Soit il y a obstruction parlementaire,… Madame Santiago, votre intervention n’a pas de rapport avec l’amendement. Est-ce un rappel au règlement ? Je sais que mes propos n’ont pas trait à l’amendement ! S’il ne s’agit pas d’un rappel au règlement, je donnerai donc la parole à Mme Diaz, qui attend son tour. Vous pourrez toujours faire un rappel au règlement par la suite, madame Santiago, encore que rien ne vous y oblige.
La parole est à Mme Edwige Diaz. Je suis particulièrement déçue : la comparaison entre le spectacle auquel nous avons assisté la semaine dernière et celui auquel nous assistons à présent donne le sentiment que le Gouvernement a une nouvelle fois opté pour l’obstruction. (M. le rapporteur applaudit.) À peine ai-je compris les réponses de M. le ministre et de Mme la ministre déléguée au sujet de notre amendement,… Il n’y en a pas, de réponses ! …dont M. le garde des sceaux s’est par ailleurs servi pour régler ses comptes avec M. le rapporteur. Quant à Mme la ministre déléguée, encore une fois, je n’ai pas compris ce qu’elle disait. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Elle ne l’a sans doute pas compris elle-même ! La parole est à M. le garde des sceaux. Je suis confus, madame Diaz, et je vous présente toutes mes excuses (« Ah ! » sur divers bancs) si mes propos ont manqué de clarté : cela m’arrive parfois. Peut-être aussi, je dis bien « peut-être », n’avez-vous pas été suffisamment attentive au moment où je formulais ma réponse.
Pour modifier, comme vous souhaitez le faire, une juridiction, il faut une loi organique : par conséquent, votre amendement est juridiquement infondé. En effet, l’institution d’un juge spécialisé nécessiterait de modifier l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Il eût donc fallu, je le répète, une proposition de loi organique ! C’était là l’essentiel de mon intervention ; quant au reste, je vous ai parlé de l’organisation des juridictions et des difficultés que susciterait le fait de provoquer à la légère des changements qui l’affecteraient gravement. J’abordais donc à la fois le droit et l’aspect pratique des choses. J’espère, madame la députée, que vous aurez cette fois écouté, voire entendu, ce que j’ai tenté d’expliquer. (L’amendement no 54 n’est pas adopté.) Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 2 et 33.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 2. Il fait suite aux débats que nous avons eus en commission et vise à substituer, à l’alinéa 3 de l’article 1er, le mot « pôles » au mot « juridictions ». Cela ne change rien au fond du texte, mais rend plus cohérent le message que nous voulons envoyer. La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 33. Il s’agit d’un amendement identique à celui du rapporteur, que nous remercions d’avoir été à l’écoute dès l’examen du texte en commission. Ces amendements devraient répondre à une partie des objections formulées par les collègues, notamment celle selon laquelle nous nous apprêterions à chambouler toute l’organisation des juridictions, ce qui ne sera plus le cas avec de simples pôles spécialisés. En revanche, tout le monde convient de la nécessité d’une spécialisation des magistrats afin qu’ils soient en mesure d’entendre ces victimes et de leur rendre justice.
Ainsi modifié, le texte permettrait de commencer le travail : nous ne prétendons pas, contrairement à ce qui a été dit, qu’il résoudra quoi que ce soit sur-le-champ, mais du moins continuerions-nous à l’enrichir. Si nous voulons progresser, si nous prenons au sérieux le travail parlementaire, si nous sommes convaincus qu’un texte de niche peut être adopté – peut-être même à l’unanimité, comme cela s’est produit sous la précédente législature – et faire avancer les choses, l’occasion nous est offerte de montrer notre conscience des enjeux liés aux violences intrafamiliales et notre volonté d’œuvrer, en la matière, grâce à des suggestions venues de tous les bords. Encore une fois, pour que les choses avancent, adoptez ces amendements, adoptez la proposition de loi ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LFI-NUPES.) Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements identiques ? Pardon de l’exprimer aussi librement, mais tout cela n’est pas sérieux. Ce n’est pas une question de sémantique ! Depuis quand la substitution d’un mot à un autre résout-elle les problèmes comme par magie ? C’est la vie des juridictions qui est en jeu ! Je le dis tout net : pour créer des pôles, pas besoin d’une loi. Pourquoi ne l’avez-vous pas déjà fait, alors ? Des pôles sont déjà constitués sans qu’aucun texte ait été requis. Vous pourriez être plus concis, monsieur le garde des sceaux ! Pour sortir de la sémantique, ils correspondent aux filières déjà existantes, dont nous parlions à l’instant ! En outre, vous n’avez même pas coordonné les modifications : aux alinéas suivants de l’article 1er, visant notamment l’intitulé du chapitre Ier du titre V bis inséré au livre II du code de l’organisation judiciaire, ainsi que les articles L. 255-1, L. 255-2, L. 255-3 – je ne suis pas exhaustif –, il est toujours mentionné un « tribunal des violences intrafamiliales ». Vous établiriez donc, au sein des pôles, une juridiction spécialisée pour connaître de ces violences ? Encore une fois, ce n’est pas sérieux, pardon de vous le dire : ce n’est pas suffisamment travaillé.
M. Pradié vous vend avec beaucoup de talent l’idée que ce texte ferait progresser les choses, mais j’ai dit tout à l’heure, et je redis, à la représentation nationale qu’Isabelle Rome et moi-même allons créer un groupe de contact flash (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NUPES et LR, ainsi que de la part de M. le rapporteur) … Un groupe Flash ? Merci, Gordon ! « Ce n’est pas une question de sémantique ! » Les mots ont un sens : si le groupe est dit « flash », c’est parce qu’il n’existera que pendant deux semaines. On en fait, en deux semaines, du travail ! Écoutez bien ! Ce groupe composé de représentants de tous les groupes politiques – vous y trouverez votre place, monsieur Bernalicis ! – aura pour but de recueillir les propositions et réflexions inspirées par les conclusions de la mission confiée à vos collègues parlementaires. Voilà ! Vous, vous évoquez tantôt une juridiction, un tribunal, tantôt un pôle, un coup ceci, un coup cela. En tout et pour tout, vous avez consulté huit personnes : vous ne vous êtes pas rendu au cœur des juridictions pour y demander leur avis aux professionnels. C’est invraisemblable ! Vous êtes les générateurs d’une désorganisation absolue (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NUPES et LR), … C’est le chaos ! …là où il faudrait une grande organisation, une efficacité plus grande encore, davantage de moyens. Telle est la réalité de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.) Au cas où vous ne l’auriez pas compris, avis défavorable. Cela se voit à Nanterre ! Allez en parler à la chancellerie de Nanterre, et je vous répondrai ! Vous êtes pris sur le VIF ! La parole est à Mme la ministre déléguée. Monsieur Pradié, je conçois tout à fait que vous souhaitiez améliorer votre proposition de loi ; de surcroît, créer des pôles spécialisés plutôt que des juridictions spécialisées n’est pas dénué de logique et paraît plus simple à faire. Toutefois, nous ne pouvons raisonnablement façonner un tel édifice sans attendre les conclusions de la mission parlementaire déjà évoquée. Ayons la sagesse de nous en remettre à son travail collégial d’analyse, la patience nécessaire pour découvrir les préconisations qu’elle formulera ! Le garde des sceaux a rappelé notre projet d’un groupe de contact flash :… Une mission ou un groupe de contact ? Même là-dessus, vous n’êtes pas d’accord ! Monsieur Schellenberger… Nous essayons d’aider la ministre déléguée, madame la présidente ! …après que ces parlementaires auront remis leur rapport, après en avoir pris connaissance, nous serons en mesure d’examiner des propositions cohérentes, travaillées avec l’ensemble des acteurs concernés. La parole est à Mme Cécile Untermaier. Il m’a semblé, monsieur le rapporteur, que la substitution du mot « pôles » au mot « juridictions » ne s’appliquerait en effet, aux termes de ces amendements, qu’à l’intitulé du titre V bis que vous souhaitez intégrer au code de l’organisation judiciaire. Au sein de ces dispositions, l’intitulé « tribunal des violences intrafamiliales » serait conservé, ainsi que la mention d’un juge spécialisé. Je suis pour ma part assez favorable à l’idée d’un pôle, lequel, dans un certain nombre de tribunaux, existe déjà et fonctionne très bien, sans qu’il soit besoin d’une juridiction.
En outre, ce que je connais et qui fonctionne également fort bien – peut-être cette idée contribuera-t-elle à ce que nous progressions ensemble –, ce sont des chambres spécialisées où se tiennent chaque mois une ou deux audiences réservées aux cas de violences intrafamilales, où se trouvent réunis le JAF, le juge de l’application des peines (JAP), le juge des enfants, le juge correctionnel, tous formés et sensibilisés à ces questions. Ces chambres assurent non seulement le traitement des dossiers, mais l’accompagnement des victimes – une association d’aide à ces dernières est présente à l’audience – et celui de l’auteur des faits – suivi addictologique, relations avec le centre pénitentiaire ou le service chargé de superviser son stage. Nous pouvons travailler là-dessus. Encore une fois, je serais satisfaite de voir se créer des pôles spécialisés. Monsieur le ministre, nous pouvons amender le texte et, ainsi, avancer : tel est notre objectif. C’est également le nôtre ! Poursuivons donc dans cette voie, en renonçant pour le moment à l’idée de juridictions spécialisées, mais en conservant celle de juges spécialisés dans ces questions. La parole est à Mme Caroline Yadan. Où que se situe notre place dans l’hémicycle, nous avons tous exactement le même objectif : rendre plus efficace la lutte contre les violences intrafamiliales. Reste qu’il faut penser en termes d’expérience et d’expertise – celles des habitués des tribunaux, qui savent de quoi ils parlent. Excusez-moi de vous le dire, mais je suis avocate en droit de la famille depuis près de trente ans, j’ai défendu dix ans durant des femmes battues, j’ai fondé une association : je sais de quoi je parle. Eh bien, cela s’entend… Or, pardonnez-moi, mon cher collègue, remplacer « juridictions » par « pôles » n’avance à rien,… Parler lentement et en se répétant non plus ! …pour la bonne raison que ces pôles existent déjà. Les chambres des tribunaux sont regroupées en pôles, conformément au code de l’organisation judiciaire. Ça fait deux minutes, là ! Lorsque, par exemple, vous saisissez le JAF d’une ordonnance de protection, vous avez affaire à un juge formé,… Merci, chère collègue. …de même que ses collègues au sein du pôle. Par conséquent, ces amendements ne sont aucunement nécessaires. (Les amendements identiques nos 2 et 33 sont adoptés.)
(Applaudissements sur divers bancs.) Je suis saisie de deux amendements, nos 51 et 50, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 51. Il est vrai, comme l’a souligné notre collègue Yadan, qu’il existe des pôles spécialisés. Il faut cependant veiller à ce qu’ils soient généralisés, car il n’en existe pas dans tous les tribunaux. Il semblerait utile à notre groupe d’étendre les compétences de ces pôles non pas aux seules violences intrafamiliales mais également aux outrages sexistes et sexuels dont il a été largement question lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). La parole est à Mme Clémence Guetté, pour soutenir l’amendement no 50. Il va dans le même sens que celui que vient de présenter Mme Untermaier, puisqu’il vise à étendre aux violences sexistes et sexuelles (VSS) le champ de la proposition de notre collègue Pradié. Différentes enquêtes ont été réalisées dans ce domaine. L’une d’entre elles, menée par le ministère de l’intérieur, montre qu’en 2019, 42 000 plaintes ont été enregistrées pour des VSS commises hors du cadre familial. Il nous semble donc important que le texte englobe toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, à l’intérieur comme à l’extérieur de la famille. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Quel est l’avis de la commission ? Lorsque nous avons eu ce débat en commission, j’ai exprimé mon scepticisme et mes interrogations. Je souhaite que nous travaillions sur ce sujet, certaines questions me semblant assez abouties pour que nous puissions avancer – contrairement à ce que j’entends répéter par les uns et les autres. Sur d’autres questions, j’ai cependant un doute, que je souhaite expliquer. Si nous confions aux magistrats d’une juridiction spécialisée le soin de protéger ces femmes, dont certaines se trouvent en danger de mort, il leur appartiendra notamment de délivrer des ordonnances de protection, qui peuvent être renforcées jusqu’à imposer le port d’un bracelet antirapprochement. Je ne comprends pas comment, face aux outrages visés, ces magistrats pourront utiliser ce type d’outils : ce sont des outils de prévention quasi pénale, si vous me permettez cette expression un peu expéditive. Il me semble dangereux de confier aux magistrats des dossiers qui ne correspondent pas aux outils qu’ils utilisent.
J’en viens à ma seconde inquiétude. Je suis tout à fait conscient du fait que la création de ces juridictions spécialisées perturbera l’organisation de notre justice ainsi que nos magistrats. Pardon de le dire, mais ce n’est pas très grave. Les magistrats ont parfois été perturbés et ils ont réussi à l’accepter ; je ne vois donc aucun inconvénient à ce qu’on les perturbe.
En revanche, si nous leur demandons d’emblée de traiter toutes les affaires de violences, aussi bien celles pouvant nécessiter une ordonnance de protection que les outrages sexistes, les juridictions seront vite saturées. Voilà pourquoi je proposerai tout à l’heure de sous-amender un amendement du groupe La France insoumise, qui demande un rapport sur ce sujet. Si, sur les violences intrafamiliales, nous avons des années de recul et savons déjà quoi faire, il est en effet nécessaire de continuer à travailler sur les VSS. Je vous propose de retirer vos deux amendements au profit de celui relatif à la demande de rapport, dont nous discuterons ultérieurement. Quel est l’avis du Gouvernement ?