- Texte visé : Proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, n° 1148
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
Sous réserve de son traitement par les services de l'Assemblée nationale et de sa recevabilité
Supprimer cet article.
Par cet amendement, les député·es du groupe LFI-NFP proposent la suppression de cet article.
Cet article propose l'élargissement d'un régime dérogatoire de rétention administrative, réservé jusqu'ici aux personnes pousuivies pour des faits liés au terrorisme pénalement constatés. Cet élargissement est massif : il vise à inclure l'ensemble des personnes étrangères touchées par une interdiction de territoire français, faisant l'object d'une décision d'éloignement assorties à des condamnations pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d'emprisonnement ou dont le "comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public". Il supprime également la condition selon laquelle "les comportements liés à des activités à caractère terroriste" pouvant donner lieu à ce maintien en rétention doivent être pénalement constatés. Cela signifie que le magistrat pourrait prolonger le maintien en rétention d’un étranger dont la dangerosité des comportements n’est que suspectée, donc au motif d’éléments uniquement fournis par l’autorité administrative, ce qui est inacceptable dans un État de droit.
En premier lieu, la rédaction de cet article est dangereuse par ses contours flous et imprécis. Rédigée en termes généraux, elle pourrait entraîner une grande insécurité juridique et un risque d’abus du pouvoir discrétionnaire. En permettant l’extension de ce régime dérogatoire aux étrangers dont le “comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public”, il comporte un risque manifeste de donner lieu à des décisions arbitraires. De plus, ce recours obsessionnel à l’exception de “menace pour l’ordre public”et son usage débridé renvoie à l’image de l’étranger fauteur de troubles, en somme indésirable.
En second lieu, l’introduction dans le champ d’application de ce régime dérogatoire du délit d’“apologie du terrorisme”, sans même que ce dernier ne doive être pénalement constaté pour donner lieu à une extension de la durée de rétention, apparaît dangereux du point de vue des libertés publiques. Dès 2015, un enfant de 8 ans a été entendu par la police pour l'infraction d'apologie du terrorisme et en 2020 à Albertville, quatre enfants de 10 ans ont été interpellés pour ledit délit. Depuis le 7 octobre 2023, l’instrumentalisation de cette notion d’« apologie du terrorisme » s’est perfectionnée et les ministres de l'intérieur Gérald Darmanin puis Bruno Retailleau ont usé abusivement de cette infraction pour criminaliser des opposant·es politiques, des syndicalistes ou des associations portant la voix de la paix.
De surcroît, cette mesure de surenchère xénophobe est parfaitement inutile. En effet, l’Observatoire de l’Enfermement des Étrangers affirme que “les données compilées année après année par les différentes associations intervenant en CRA montrent clairement qu'il n’existe aucune corrélation entre la durée de rétention et le nombre d'expulsions. Alors même que la durée maximale de rétention a été portée à 90 jours en 2018, il n’existe aujourd’hui aucune analyse de ses effets qui pourrait justifier d’allonger davantage l’enfermement des personnes étrangères au seul motif de leur situation administrative.” Cette mesure apparaît donc inefficace, et relève de la pure démagogie sécuritaire.
Enfin, ces dispositions auront pour seul effet d'aggraver la violence institutionnelle et la maltraitance des personnes retenues. Les associations ne cessent d’alerter au sujet des conditions indignes de rétention et des effets délétères de l’enfermement sur la santé physique et mentale des personnes enfermées. Les conséquences de la rétention sur la santé et la dignité des personnes ne sont plus à prouver : suicides, tentatives de suicide, traumatismes, violations du droit à une vie privée et familiale, violations du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants, atteinte à la dignité des personnes, violences policières, etc. À ce titre, dans son avis sur le PJL Asile et Immigration lequel proposait également d’étendre les délais de rétention, la CNCDH formulait la recommandation suivante : “La CNCDH rappelle le caractère exceptionnel que doit revêtir la rétention administrative et la nécessité dès lors qu’elle soit la plus réduite possible”.
À contresens de cette recommandation et dans l’ignorance de l'inefficacité de cette mesure, le Sénat renchérit et marque un nouveau cran dans la criminalisation des personnes étrangères.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous souhaitons que cet article soit supprimé.