- Texte visé : Proposition de loi, adoptée avec modifications, par le Sénat, en deuxième lecture, portant création d’un statut de l’élu local, n° 1997
- Stade de lecture : Deuxième lecture
- Examiné par : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
Supprimer cet article.
Par cet amendement, les députés du groupe LFI visent à supprimer les dispositions tendant à restreindre le champ d’application de la prise illégale d’intérêts.
1) Premièrement, cette modification ne s'appliquerait pas uniquement aux élus locaux. À ce titre, comme le relèvent les associations Anticor, Transparency International France et Sherpa, « si le but est de clarifier les règles pour les élus locaux, il serait plus approprié d'intervenir sur le fondement de l'article L. 1111-6 du code général des collectivités territoriales ». Or, la modification proposée entraîne un allègement généralisé et sans précédent de la responsabilité de l'ensemble des agents publics, avec des effets de bord potentiellement considérables et difficilement mesurables.
2) Deuxièmement, l’infraction deviendrait extrêmement difficile à caractériser. En remplaçant la formule actuelle « un intérêt de nature à compromettre » par « altérant », le texte substitue un critère subjectif à un critère objectif, pourtant central à la prévention des conflits d’intérêts. Cette évolution représente un net recul en matière de transparence. De plus, le Sénat ajoute l'exigence d'une action « en connaissance de cause », introduisant ainsi un élément intentionnel qui complexifie encore davantage la caractérisation de l'infraction. Comme l’indique la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique dans son Guide déontologique, il suffit, conformément à la théorie des apparences, qu’un doute raisonnable puisse naître sur l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction publique pour qu’un conflit d’intérêts soit caractérisé.
Le droit actuel sanctionne la possibilité d’une interférence, et non son intention ou son effet. Exiger une compromission effective revient à vider la norme de sa substance.
3) Troisièmement, il est introduit une exception dérogatoire dangereuse : l'infraction ne serait pas constituée lorsque la personne « ne pouvait agir autrement en vue de répondre à un motif impérieux d'intérêt général ».
Cette disposition crée une brèche considérable dans le dispositif répressif. Non seulement la notion de « motif impérieux d'intérêt général » est floue, mais l'ajout de la condition « ne pouvait agir autrement » suggère qu'il suffirait d'invoquer une quelconque nécessité pour échapper à toute poursuite. Cette exception risque de neutraliser l'infraction dans de nombreuses situations.
4) Enfin, cet article supprime le conflit d'intérêt "public-public". Si l’existence du conflit d’intérêt public-public est une singularité française, le seul constat de cette particularité ne saurait, à lui seul, justifier une modification des textes actuels pour en affaiblir la portée.
L'article inscrit désormais explicitement dans le code pénal que « ne peut constituer un intérêt au sens du présent article, un intérêt public », et modifie également l'article 432-12-1 en excluant « un intérêt public » du champ de l'infraction de trafic d'influence.
Supprimer toute notion d'« intérêt public » est la voie ouverte à tout type de chevauchement dans lesquels il deviendra impossible de constater une infraction : sociétés d’économie mixte, partenariats public-privé, services publics confiés à des acteurs privés, etc.