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SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ACCOYER
1. Lutte contre la récidive. – Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence (nos 63, 65)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois.
Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois.
exception d’irrecevabilité
Exception d’irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Manuel Valls, le rapporteur, Mme la garde des sceaux, MM. Dominique Raimbourg, Michel Vaxès, Georges Fenech, Michel Hunault. – Rejet.
question préalable
Question préalable de M. Jean-Claude Sandrier : M. Michel Vaxès.
PRÉSIDENCE DE M. MARC-PHILIPPE DAUBRESSE
MM. Michel Vaxès, Étienne Blanc, Noël Mamère, Jérôme Lambert. – Rejet de la question préalable.
discussion générale
MM. Alfred Marie-Jeanne,
Michel Hunault,
Jacques-Alain Bénisti,
Christophe Caresche,
Patrick Braouezec,
Georges Fenech,
Bernard Roman,
Nicolas Dupont-Aignan,
Noël Mamère,
Étienne Blanc,
Dominique Raimbourg,
Mmes Marie-Louise Fort,
Delphine Batho,
MM. Manuel Aeschlimann,
Julien Dray,
Étienne Pinte,
Jérôme Lambert,
Michel Diefenbacher,
Arnaud Montebourg,
Jacques Myard.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
(La séance est ouverte à quinze heures.)
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
C’est pourquoi je sais qu’à travers vous, c’est presque directement aux Françaises et aux Français que je m’adresse. Et à travers vous, je veux leur dire, je veux dire à chacune et à chacun d’entre eux que je comprends leurs interrogations, leurs attentes, parfois leur détresse face à la justice, face à notre justice, face à une justice dont ils ont trop souvent le sentiment qu’elle a cessé d’être la leur.
Vous qui êtes au contact permanent de nos concitoyens, vous le savez, les Français sont inquiets et parfois exaspérés. Ils le sont lorsqu’ils ne comprennent plus la justice, lorsqu’elle leur apparaît trop lente ou inefficace pour prévenir les délits et les crimes, ou impuissante à les sanctionner.
Cela peut être injuste pour les femmes et les hommes qui servent la justice, qui ont fait ce choix de service public et l'assument le plus souvent avec abnégation, courage, talent et ingéniosité.
Je veux ici leur rendre hommage. Rendre hommage aux magistrats, mais aussi aux greffiers, aux avocats, à tous les auxiliaires de justice, aux personnels pénitentiaires, aux gendarmes, aux policiers, aux acteurs associatifs et surtout aux élus de terrain. Rendre hommage enfin à tous ceux qui jouent un rôle dans cette action capitale pour la défense et la protection du lien social.
Mais la réalité exprime un malaise.
On peut bien sûr prétendre qu'il n'en est rien. On peut refuser de voir cette réalité. Le Gouvernement a fait pour sa part le choix de la regarder en face. Il a fait ce choix de la transparence, parce que cette défiance repose sur des expériences vécues bien réelles, dont le poids accumulé transparaît dans les chiffres.
Face à cette souffrance humaine, face à ces traumatismes, ma mission est de faire en sorte que les Français retrouvent confiance en la justice. Ma mission, c'est de restaurer le lien qui unit le peuple français à sa justice. Ce lien qui, seul, donne leur légitimité aux acteurs de la chaîne judiciaire. Ma mission, c'est de remettre du sens là où il y a parfois de la confusion et du doute.
Mon devoir, et notre devoir commun, Gouvernement et Parlement, c'est d'assurer à tous une justice claire, une justice sereine, une justice efficace, une justice légitime dans son action comme dans ses décisions. Une justice, en un mot, qui fasse sens.
Et pour cela, l'honneur qui m'est fait de m'adresser aujourd'hui à vous, au nom du Gouvernement, est une vraie responsabilité. Mais c'est notre responsabilité.
La justice n'est pas un idéal abstrait. C'est un idéal concret, un idéal à visage humain, un idéal qui doit être capable de s'adapter aux évolutions du monde, parce que sa vérité n'est pas de tracer des contours immuables, mais de garantir, dans une société changeante, la pérennité de la paix sociale.
Cet idéal est précieux parce que sur lui repose la possibilité de vivre en commun. Mais c’est un idéal fragile. Un idéal aujourd'hui trop souvent meurtri. Un idéal dont nous devons relever le défi.
Cette ambition, ce devoir de restaurer la confiance entre les Français et la justice, nos concitoyens nous les ont en effet confiés avec insistance, à deux reprises : lors de l'élection présidentielle et lors des élections législatives. Les Français nous ont dit leur volonté de proximité, leur volonté de clarté, leur volonté d'efficacité. Ils nous ont dit leur volonté d'en finir avec les faux débats, les vieilles querelles et les solutions toutes faites, soufflées par des réflexes idéologiques dépassés.
Cette volonté qui s'est exprimée, c'est notre feuille de route. Elle est pour nous une ardente obligation. Obligation de moyens, mais aussi, je n'ai pas peur de le dire ici devant vous, obligation de résultat.
La réforme de la justice est un exemple emblématique de cette vision et de cette volonté. C'est aussi pour cela qu'elle est un symbole des engagements du Président de la République. Le Gouvernement mènera une politique pénale claire, qui comprendra et qui prendra en compte toutes ces attentes. Je veux pour notre pays une justice sereine, claire, compréhensible par tous et d'égal accès à tous. Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter devant vous aujourd'hui en porte la marque, tout comme la portera la loi pénitentiaire qui sera présentée à l'automne. Je veux enfin pour notre pays une justice délivrée des débats stériles dans lesquels on a trop souvent cantonné les réflexions sur son avenir.
Mesdames et messieurs les députés, je refuse les faux débats : il n'y a pas à choisir entre une justice humaine et pas assez efficace, et une justice efficace qui devrait pour cela s'arranger avec les principes qui la fondent. Cette opposition est artificielle. Pour prévenir efficacement, la justice doit être efficacement répressive et efficacement dissuasive.
Opposer ces deux termes serait absurde. La garantie de la prévention, c'est une répression juste et digne, adaptée à la réalité de la délinquance et à son évolution. Sans cela, il n'y a pas de réelle prévention.
C'est pourquoi il est si important que nous soyons capables, ensemble, de donner à la justice les moyens et les outils de s'adapter aux changements de notre société et en particulier de répondre aux nouvelles formes de la délinquance.
Les juges ont à cet égard un grand mérite qu'il convient de saluer : celui d'anticiper ces évolutions avec les outils qu'ils ont aujourd'hui et qui sont parfois moins adaptés.
Notre responsabilité, c'est de ne pas les abandonner. C'est, au contraire, de leur permettre de restaurer leur autorité. Le texte que je vous présente s'inscrit dans cet objectif. Ce n'est pas un texte partisan : c'est un texte qu'attendent les Français parce qu'il s'attaque au cœur du sujet qui fonde leur inquiétude. Je veux parler du traitement de la récidive.
La récidive est une réalité, d'une ampleur et d'une gravité exceptionnelles. Entre 2002 et 2005, le nombre des condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de plus de 70 %. Dans le même temps, les condamnations en récidive pour les crimes et délits les plus violents ont augmenté de 153 %.
Madame la garde des sceaux, vous avez seule la parole.
Avant toute chose, je tiens à ce propos à remercier le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, et Guy Geoffroy, son rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) …
L'audition à laquelle vous m'avez conviée a été un temps de débat très riche, ouvert et républicain. Je vous en suis très reconnaissante.
La contribution de la commission à l'examen du texte s'avérera, j'en suis sûre, particulièrement précieuse. Je sais que cette contribution s'appuie sur l'intérêt que la commission des lois de l'Assemblée nationale a toujours porté à la question de la récidive. Il n'est qu'à relire le rapport de la mission d'information sur le traitement de la récidive qu'avait présidée Pascal Clément, ou encore le rapport sur l'exécution des peines et la préparation des détenus à la libération, dont vous êtes l'auteur, monsieur le président Warsmann.
C'est de tous ces travaux, de tout cet intérêt, de tous les débats qui ont eu lieu pendant la campagne présidentielle, qu'est né ce projet de loi pour lutter contre la récidive et favoriser la réinsertion.
Ce projet de loi s'attaque à la récidive des mineurs, à la récidive des majeurs et à la récidive des délinquants sexuels. Nous savons tous que nous ne parviendrons pas à faire reculer la récidive sans lisibilité de la sanction, sans un régime pénal adapté. C'est le premier objectif de ce projet de loi.
Nos concitoyens attendent de nous une réponse plus claire et plus ferme. Notre responsabilité, c'est de protéger nos concitoyens, de penser aux victimes.
La délinquance répétitive, et spécialement la récidive portent une grave atteinte à la sûreté des Français.
Nous ne pouvons pas laisser des mineurs s’ancrer dans la délinquance. Nous ne devons pas attendre qu’il soit trop tard pour réagir ou sanctionner.
La délinquance des mineurs est de plus en plus importante. Elle est de plus en plus violente. Elle concerne des mineurs de plus en plus jeunes.
Entre 2000 et 2005, le nombre des mineurs condamnés pour des violences volontaires a augmenté de 47 % ; le nombre de mineurs condamnés pour délits de nature sexuelle a augmenté de 30 % ; et 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq ans qui suivent.
Ces chiffres sont terribles. Ils sont terribles pour ces jeunes, pour leurs familles, pour les victimes. Ils sont inquiétants pour l’avenir de notre pays.
Les mineurs ont besoin de repères. Ils ont besoin de limites. Il existe toute une éducation à la limite, une pédagogie de la sanction. À nous de leur transmettre. Et la sanction n’implique pas forcément l’incarcération. Elle nécessite la prise en charge la plus rapide possible.
Pour un mineur, la notion du temps est très différente que pour un majeur. Il faut une réaction immédiate. On peut arrêter l’engrenage de la délinquance. C’est aussi ce qu’attendent de nous les parents de ces mineurs. C’est pourquoi il faut poser la question de la responsabilité des mineurs.
Enfin, il y a une autre forme de délinquance, particulièrement grave et insoutenable. C’est la délinquance sexuelle, qui s’attaque le plus souvent aux femmes ou aux mineurs, et bien souvent à des enfants très jeunes.
Le nombre des condamnés pour viols et agressions sexuelles a augmenté de 58 % en dix ans.
Il est très rare que les délinquants sexuels ne récidivent pas. D’ailleurs, une majorité d’entre eux sont demandeurs de soins.
C’est aussi une délinquance plus insidieuse, car se produisant souvent dans la sphère privée, au sein de la famille. Il est indispensable que le condamné puisse être soigné.
Que pouvons-nous répondre aux parents d’une victime agressée, violée et assassinée par un récidiviste qui n’a pas été soigné quand il était incarcéré ? Encore récemment, des associations de victimes m’ont interpellé à ce sujet.
Lorsqu’une personne vous dit qu’elle a des pulsions dangereuses, notre responsabilité est de l’obliger à se soigner. C’est comme cela que nous épargnerons des vies, que nous protégerons les mineurs et que nous aiderons les victimes.
Face à cette réalité, les Français n’attendent pas de nous des querelles partisanes. Ces sujets sont beaucoup trop graves. Les Français attendent de nous de la responsabilité. Ils attendent de l’engagement. Ils attendent une capacité d’innovation et une capacité de rupture.
Il ne s’agit pas de rénover seulement des outils existants ou de les aménager. Il s’agit bien au contraire d’inventer les nouveaux outils qu’appellent des menaces nouvelles.
Ce projet de loi, par les dispositions qu’il comporte, donne des moyens efficaces aux magistrats pour lutter contre la récidive. Il propose pour cela trois dispositions principales : l’instauration de peines minimales en cas de récidive ; l’exclusion de plein droit de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs de plus de seize ans en cas de multirécidive ; les injonctions de soins, notamment pour les délinquants sexuels.
Ce texte instaure deux régimes : un régime simple pour la première récidive, un régime spécial à partir de la deuxième récidive.
Dès la première récidive, une personne déjà condamnée une première fois, si elle commet à nouveau des faits de même nature ou assimilés, encourra une peine minimale. Le régime est clair. La sanction sera claire.
Bien sûr, il sera possible aux magistrats de tenir compte des situations humaines ou de circonstances particulières pour pouvoir aller en deçà de ces peines minimales.
Cette appréciation sera fondée sur trois critères : les circonstances de l’infraction, la personnalité de l’auteur, les garanties d’insertion ou de réinsertion qu’il présente. C’est seulement en fonction de ces critères que le tribunal pourra aller en deçà des peines minimales.
À partir de la deuxième récidive, pour les crimes et pour les délits les plus graves, c’est-à-dire des vols avec violence commis pour la troisième fois, des séquestrations commises pour la troisième fois, des actes de torture et de barbarie commis pour la troisième fois, c’est un régime spécial qui s’appliquera : un régime plus sévère, avec un pouvoir du juge plus encadré.
Dans ce régime de la récidive aggravée, le principe devient la peine d’emprisonnement. On a affaire non pas à de petits délinquants, mais à des personnes déjà condamnées deux fois au moins et qui sont jugées une nouvelle fois !
Le juge pourra déroger à la peine minimale si le récidiviste présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion : il lui faudra démontrer qu’il est réellement et objectivement dans une logique de rupture avec son passé judiciaire et avec son ancrage dans la délinquance. C’est alors seulement que des garanties suffisantes pour l’ordre social pourront, le cas échéant, justifier l’indulgence de la juridiction de jugement.
Vous le voyez, ce dispositif gradué que nous instituons respecte les principes constitutionnels de proportionnalité et d’individualisation des peines.
La mission du juge demeure entière : il garde sa liberté dans toutes les hypothèses, à condition de motiver et de s’appuyer sur des critères qui protègent la société.
La deuxième innovation marquante du projet de loi a pour objectif de lutter spécifiquement contre la récidive des mineurs. Je vous ai rappelé les chiffres. Je vous ai rappelé les attentes des Français.
Le projet de loi prévoit d’exclure de plein droit l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs de plus de seize ans en cas de récidive multiple de crimes ou de délits d’une particulière gravité.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire qu’un mineur délinquant, âgé de seize à dix-huit ans, qui aura déjà été condamné pour deux viols ou pour deux vols avec violence et qui en commettra un troisième, encourra désormais les mêmes peines qu’un majeur.
Vous le voyez, il ne s’agit pas de remettre en cause les principes de l’ordonnance de 1945 : nous n’abaissons pas la majorité pénale des mineurs. Nous ne remettons pas en cause les juridictions spécialisées. Nous ne renonçons pas aux mesures éducatives. Simplement, nous voulons marquer un coup d’arrêt à l’inquiétante progression de la récidive des mineurs.
Enfin, la troisième disposition du texte concerne les infractions sexuelles et les injonctions de soins. Le recours à une injonction de soins deviendra le principe dès lors qu’une expertise aura conclu à une possibilité de traitement.
Le Sénat a ajouté une précision tout à fait justifiée : le juge de l’application des peines gardera un pouvoir d’appréciation. Évidemment, l’injonction de soins ne peut être automatique : elle ne servirait à rien si le délinquant est déjà hospitalisé ou s’il suit un traitement. C’est donc une amélioration du texte initial. C’est l’enrichissement qu’apporte le débat parlementaire, et j’y suis très attentive.
Les dispositions sur l’injonction de soins prolongent donc la législation sur le suivi socio-judiciaire mise en place par Elisabeth Guigou. Cette législation avait marqué une réelle avancée. Elle est aujourd’hui complétée pour prévenir plus efficacement la récidive.
Cependant, chacun s’accorde pour reconnaître que le suivi socio-judiciaire est insuffisant, faute de moyens. Eh bien, je veux y veiller en ce qui concerne le suivi médical et psychiatrique.
Parallèlement, le Gouvernement prendra les mesures nécessaires pour recruter les psychiatres supplémentaires que nécessitera la mise en œuvre du projet de loi.
Mesdames, messieurs les députés, pour répondre aux attentes des Français, il faut aller vite et il faut aussi s’inscrire dans la durée. La lutte contre la récidive est une priorité pour les Français. Elle sera donc une priorité du Gouvernement. Il faut que ce soit clair pour tous.
Il est nécessaire de créer un régime pénal adapté à la récidive. Le projet de loi respecte les principes de notre Constitution et les engagements internationaux de la France.
La justice continuera à reposer tout entière sur l’examen concret et approfondi des cas particuliers qui lui sont soumis.
En outre, le projet ne remet pas en cause les dispositions en faveur de l’aménagement des peines. Je veux en effet tout faire pour éviter les sorties dites « sèches »,…
Vous le voyez, nous sommes tous mobilisés. Je ne doute pas de votre soutien dans cet engagement. D’autres réformes viendront dans quelques semaines. J’ai évoqué tout à l’heure la future loi qui rénovera notre système pénitentiaire et qui mettra en valeur l’action des personnels.
Je pense à l’institution d’un contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Je sais que c’est une idée chère à votre collègue Michel Hunault. Ces importants chantiers s’imposent : la fermeté n’exclut pas l’humanité.
Permettez-moi de rendre encore une fois hommage, devant la représentation nationale, à tous les personnels de l’administration pénitentiaire. Leur tâche est lourde et difficile : il y a, bien sûr, la surveillance des personnes incarcérées, mais leur mission est aussi essentielle pour préparer la réinsertion et lutter contre la récidive en lien très étroit avec les juges d’application des peines et les services de probation. Je veux les remercier de leur professionnalisme et de leur dévouement.
Vous le voyez, la réforme de la justice est engagée. Aujourd’hui avec ce texte, demain avec d’autres. Nous le ferons sans relâche, car nous ne voulons pas décevoir les Français. Je m’y engagerai de toutes mes forces, avec détermination, comme je vais sur le terrain pour mettre en œuvre tous ces chantiers. Je veillerai à leur bon avancement. Je reviendrai vous en rendre compte.
Pour l’heure, nous allons débattre de ce texte. Je souhaite, dans ce cadre, que ce débat soit utile et je tiens à souligner à nouveau l’excellent travail de votre commission des lois. La richesse et la clarté du rapport en témoignent, de même que ses propositions d’amendement.
Notre volonté commune est d’aboutir à un texte court, clair, cohérent et assimilable par tous. Il doit aussi garder son caractère équilibré, comme il convient à la justice.
Je vous remercie au nom du Gouvernement, au nom des Français, et au nom de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Ainsi, nos concitoyens souffrent quand ils constatent, comme nous avons été nombreux à le faire l’an passé, lors de la commission d’enquête sur la malheureuse affaire d’Outreau, que la justice peut broyer, créer l’injustice et parfois aller à l’encontre des principes qui la fondent, et cela même alors que tous ses rouages semblent avoir fonctionné. Dans le même temps, ils souffrent lorsqu’ils constatent, pour eux-mêmes ou pour leurs proches, que, dans leur environnement, dans leur cité, dans leur pays, des actes de plus en plus nombreux et de plus en plus violents peuvent les frapper directement ou indirectement, les blesser ou leur infliger la pire des injustices : la peur de ne pas vivre dans la sécurité, de ne pas vivre dans la tranquillité.
C’est pour cela que, depuis de nombreuses années, la sécurité et la justice sont au cœur de nos préoccupations, à nous qui représentons le peuple. C’est bien pour cela que, lors de la précédente législature, les ministres de l’intérieur et de la justice, chacun pour leur part, ont mené avec nous de nombreuses réflexions qui nous ont permis de modifier en profondeur notre système de répression, d’éducation, de prévention et de justice (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), afin que nous progressions – pour citer l’intitulé si juste d’un texte que nous avons approuvé lors de la précédente législature – en adaptant en permanence notre outil judiciaire aux évolutions de la criminalité.
Nous le constatons avec satisfaction mais lucidité : durant les cinq dernières années, la délinquance a globalement diminué de près de 10 %, alors qu’elle avait augmenté de près de 18 % lors des cinq précédentes.
C’est bien pour cela que la question de la récidive, qui nous taraude, et dont nous savons qu’elle est au cœur de la prévention et de la répression comme elle est au cœur de tous les équilibres de notre société, s’est imposée, il y a déjà plusieurs années, au premier plan de nos préoccupations. Sous la houlette de Pascal Clément, alors président de la commission des lois, et grâce au concours ô combien ingénieux, humain et efficace de notre ami Gérard Léonard, une mission d’information sur la récidive a été mise en place, aboutissant à une série de propositions, adoptées à la quasi-unanimité de la commission des lois. Celles-ci ont débouché sur la loi de décembre 2005, qui commence à porter ses fruits.
C’est dans cet esprit que le débat a eu lieu. Ne nous cachons pas sa vivacité, fondatrice de notre volonté de poursuivre la réflexion, au-delà des textes votés, sur la question des peines minimales. Mais gardons-nous de les caricaturer en les assimilant hâtivement à des peines automatiques et systématiques qui enfreindraient tous les principes de notre justice ou, plus grave encore, de notre Constitution.
Ainsi, nous avons encore à trancher, malgré la loi de 2005 et les dispositions utilement apportées, en mars dernier, par la loi sur la prévention de la délinquance, une question importante qu’il faut envisager sous ses deux aspects – alors que certains, à dessein, se limitent à un seul : comment répondre de manière efficace et pertinente, en faisant évoluer nos législations, à la double exigence constitutionnelle qui doit guider toutes nos réflexions et toutes nos décisions, l’individualisation de la peine et la nécessité d’une répression effective de la délinquance et des infractions, qui doit armer notre courage quand il s’agit de décider ?
Le texte que vous nous proposez, madame la garde des sceaux, se situe à l’articulation de ces deux exigences constitutionnelles, une articulation très fine, très équilibrée, pesée pour ainsi dire au trébuchet (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), entre la nécessité d’accroître la lisibilité et, pourquoi pas, la fermeté, mais d’augmenter également les garanties : il ne saurait y avoir d’aggravation apparente de la sanction, sans qu’on apporte au justiciable – en parallèle, de manière équilibrée et automatique – des garanties appropriées. Cela vaut pour le dispositif de la peine minimale, pour celui qui encadre les atténuations de la responsabilité pénale des mineurs ou pour les articles 5 et 9 ajoutés au texte par votre lettre approuvée par le conseil des ministres le 27 juin dernier et portant l’ensemble des dispositifs relatifs à l’injonction de soins.
Revenons un instant sur la récidive pour mieux situer l’enjeu du texte. Il ne s’agit pas seulement d’aborder un problème qui préoccupe nombre de Français ; il faut avoir le courage de leur parler vrai, de leur dire que la solution que nous leur proposons ne résoudra pas tous les problèmes. Nos concitoyens mêlent souvent – comment leur en voudrait-on ? – la réitération et le concours d’infractions, et cette autre notion si difficile à appréhender que nous apprécions sous le nom de « récidive légale ». Rappelons-le, car c’est important : ce texte ne se préoccupe que de la récidive légale, qui suppose des infractions successives ayant donné lieu à des condamnations définitives. Le rapport détaille, sans qu’il soit nécessaire d’y revenir, l’ensemble des catégories de récidives légales auxquelles il faut essayer d’apporter des réponses.
C’est uniquement dans ce cadre que des peines minimales sont appelées à être prononcées. À cet égard, je tiens à saluer l’effort de gradation dont vous avez parlé, madame la garde des sceaux. Une telle gradation s’impose, tant il importe de montrer au justiciable qui, intentionnellement ou non, s’enfonce dans la criminalité et la récidive, que, à chaque étape de ce parcours funeste, il rencontrera une réponse, certes équilibrée et à même de garantir ses droits fondamentaux, mais de plus en plus précise, pour lui manifester qu’il monte en puissance dans la gravité de l’infraction et, partant, dans la gravité, la solennité et le poids de la réponse pénale.
Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous n’avons pas à rougir face à d’autres législations. Celles d’outre-atlantique sont parfois plus sévères et moins équilibrées que les nôtres, puisqu’elles fixent volontiers des peines automatiques. Mais regardons aussi celles de pays plus proches. Nos amis espagnols prévoient des peines minimales et des peines maximales, et, en cas de récidive, considérée comme une circonstance aggravante, le juge prononce une peine située dans la partie haute de cette fourchette.
Il en va ainsi des dispositions relatives à ce que l’on nomme l’excuse de minorité, autrement dit l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. À cet égard, le dispositif va dans un double sens auquel nous devons aspirer : le respect fondamental des principes de l’ordonnance de 1945, tous garantis, et la prise en compte de ce qu’est devenue la délinquance des mineurs. À ceux, beaucoup trop nombreux, qui sont âgés de seize à dix-huit ans, ainsi qu’aux majeurs qui se servent d’eux pour mener à bien des desseins funestes en sachant pertinemment que l’excuse de minorité permet aux plus jeunes d’agir en moindre impunité, nous devons adresser le message qui convient.
Je ne suis pas de ceux – mais y en a-t-il parmi nous ? – qui pensent avant tout à réprimer, surtout quand il s’agit de jeunes. Nous sommes tous désireux d’éduquer et de prévenir.
Par cette loi, qui prévoit d’atténuer l’excuse de minorité pour des mineurs d’au moins seize ans et dans des circonstances extrêmement graves, vous nous proposez tout simplement d’aider les jeunes, par l’intervention de la justice la plus éclairée possible, à comprendre mieux et plus tôt, au fur et à mesure qu’ils entrent dans la vie adulte, quelle est leur responsabilité à l’égard de leurs actes et vis-à-vis des victimes qu’ils condamnent au malheur.
Je n’insisterai pas sur les dispositions relatives à l’injonction de soins. Le Sénat n’y a apporté pratiquement aucune modification. Vous poursuivez votre volonté de prévenir et nous vous y aiderons. À quoi servirait-il de décider, sur l’avis éclairé des experts, de l’opportunité ou non de l’injonction de soins, si ce n’est pour permettre à celui qui a été condamné et, dans certains cas, à celui qui a déjà été libéré, de bénéficier de soins qui lui permettront d’aller mieux et surtout d’éviter la récidive ?
En somme, nous sommes ici face à un texte de responsabilité, de vérité et de dignité. Nos concitoyens ont voulu la vérité. Ils entendent que chacun assume sa responsabilité. Ils souhaitent que chacun soit respecté dans sa dignité : dignité des victimes, dont on ne parle pas assez et dont il faut garantir qu’elles seront moins nombreuses et mieux protégées (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), mais aussi dignité du justiciable, qu’il faut, elle aussi, préserver. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire). Autant d’éléments qui jalonneront la préparation de votre loi pénitentiaire et qui nous permettront d’aboutir à ce bel équilibre. Notre société pourra alors regarder ses évolutions en face et affronter ses troubles et ses drames dans l’unité et la responsabilité.
Notre commission, madame la garde des sceaux, a suivi l’esprit et la lettre de votre texte, elle s’est inspiré des évolutions positives du projet de loi au Sénat et des remarques des sénateurs pour apporter quelques modifications dont nous verrons le détail au cours de l’examen des articles. Leur objet n’est pas de briser l’esprit du texte, elles le confortent et lui donnent toute sa valeur et sa puissance.
Mais, nous n’en aurons pas fini avec cet immense travail de réforme et de refonte de notre justice. Ainsi que le disait un de vos prédécesseurs : « C’est sans cesse qu’il faut adapter la justice aux évolutions de la société et de ce qui la trouble, c’est-à-dire la criminalité et la délinquance. » Avec ce projet de loi nous allons hardiment dans ce sens…
Ainsi que l’a rappelé Guy Geoffroy, la commission des lois a beaucoup travaillé sur la récidive ces dernières années. Je veux rendre un hommage appuyé à la mission d’information qu’avait présidé Pascal Clément et dont notre regretté collègue Gérard Léonard était le rapporteur,…
Ce projet de loi équilibré répond à trois questions. Premièrement, comment mieux sanctionner les majeurs qui récidivent ? Vous nous proposez de mettre en place un outil spécifique, une peine aggravée en cas de deuxième récidive, pour les actes les plus violents, pour les crimes et pour les délits passibles de plus de dix ans de détention. Ces dispositions sont fortes, mais la grande vertu de ce texte reste son équilibre : vous respectez le principe d’individualisation des peines. Comme vous-même l’avez souligné, madame la garde des sceaux, vous êtes restée fidèle à la tradition juridique française ; sans entrer dans une logique de peines automatiques, vous avez choisi de constituer un régime juridique adapté à la gravité des faits à réprimer.
Deuxième question extrêmement difficile, celle de la délinquance des mineurs. Combien de fois nous a-t-on rapporté l’attitude de mineurs interpellés dont la première phrase était : « Je ne risque rien car je suis mineur » ? Vous nous proposez d’atténuer le principe de l’excuse de minorité. Le message adressé par notre assemblée à l’ensemble du pays doit être très clair : oui, nous considérons en effet qu’un mineur multirécidiviste de plus de seize ans peut être jugé comme un majeur et doit venir répondre de ses actes devant les tribunaux.
Troisième question : comment protéger le mieux possible nos concitoyens ? je suis convaincu qu’il est de notre devoir de législateur d’adapter les lois à mesure que la technique, la médecine ou la science progressent. Vos dispositions relatives à l’injonction de soins contenues dans la lettre rectificative au projet de loi sont à cet égard très importantes. Dès lors qu’un expert médical a constaté qu’un traitement peut être appliqué à une personne condamnée, il est du devoir de notre société de mettre ce traitement en place afin de réduire au maximum les probabilités de récidive à la sortie de prison. J’étais intervenu lors du débat sur cette question en 1998 : nous défendions déjà la position que vous nous proposez de mettre en place aujourd’hui.
Sur l’ensemble de votre texte, madame la garde des sceaux, votre majorité vous soutiendra comme elle l’a fait en commission. Mais, au-delà de notre vote, nous serons très attentifs à son application. Nous avons trop souvent le sentiment de voter des lois pénales virtuelles. Chacun connaît le grand défaut de notre système judiciaire : la difficulté à exécuter les décisions de justice rendues. Bon nombre de sanctions perdent tout leur sens en raison des délais d’exécution. Que dire aussi des peines de prison assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve, sanction qui peut se révéler particulièrement intelligente et adaptée, lorsque le condamné déclare à sa famille en sortant du tribunal : « Je n’ai rien eu. » Tout simplement parce les délais de prises en charge de ce type de sanction sont tellement longs…
Nous avons tous en ce domaine une obligation de résultat. Demain matin, madame la garde des sceaux, la commission des lois de notre assemblée décidera de créer, pour la durée de la législature, une mission d’information…
J’en profite pour rendre hommage à la décision prise par le Président de la République de refuser tout décret de grâce collective. Cette pratique, qui remonte à 1980, consistait à offrir des remises de peines à des détenus dont la seule caractéristique était d’être incarcérés à la date du 14 juillet. Nous devons substituer à ce système une autre logique, celle de l’exécution de l’ensemble des décisions de justice avec tous les aménagements nécessaires. Il reste beaucoup à faire pour développer les peines alternatives, la semi-liberté, le placement sous surveillance électronique et aller vers des peines individualisées, aménagées mais véritablement exécutées dans des délais rapides.
Vous nous proposez aujourd’hui de poser une première pierre pour améliorer la sécurité de nos concitoyens. Ce travail, nous allons le faire ensemble avec beaucoup de détermination et je souhaite que nous puissions, au-delà de notre vote, nous assurer de l’application réelle de votre loi afin de restaurer l’autorité de l’État, la force de la parole de la justice et celle de tous les jugements rendus au nom du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. Manuel Valls.
Le fléau qu’il prétend combattre – la garde des sceaux vient de le rappeler – a pris des proportions très inquiétantes au cours des dernières années. Selon les propres statistiques de la chancellerie, reprises par le rapporteur, notre collègue Guy Geoffroy, les condamnations en récidive pour les crimes et délits ont augmenté de près de 70 % entre 2000 et 2005 et sont donc passées de 20 000 à 33 700. Plus préoccupant encore, ces chiffres révèlent une progression de la récidive la plus dure : le nombre de récidivistes condamnés pour des délits violents a explosé et progressé de 145 % en cinq ans ! La part des mineurs dans ce triste palmarès est, hélas, tout aussi alarmante : pour la seule année 2006, 46 % des personnes mises en cause pour vols avec violence avaient moins de 18 ans.
Ces réalités établies par les statistiques des ministères, nous y sommes confrontés chaque jour dans nos circonscription. À Évry comme ailleurs, nous savons que des bandes d’une dizaine de voyous peuvent pourrir la vie de tout un quartier. Qu’ils s’attaquent aux biens ou aux personnes, leurs actes répétés minent la confiance des habitants en la puissance publique et propagent un insidieux sentiment d’abandon. Aucun d’entre nous, sur les bancs de cette assemblée, n’entend donc nier ou minorer la gravité de ces évidences.
Cette « lame de fond », qui frappe depuis une vingtaine d’années les États-unis et l’Europe, ne doit pas dédouaner les autorités politiques de leur responsabilité. La progression de la violence et de la récidive s’explique aussi, bien évidemment, par votre incapacité à la maîtriser.
Entre 2002 et 2007, pas moins de sept lois ont été votées pour durcir la répression pénale.
Et si la délinquance générale a diminué, sur la même période, les violences faites aux personnes ont augmenté de 27 %.
L’existence même de ce nouveau projet de loi souligne l’échec des précédents. Et son orientation fondée, comme les autres, sur le tout répressif…
La hâte avec laquelle le nouveau gouvernement s’est empressé de rédiger son texte constitue en elle-même un premier motif d’interrogation. S’il est légitime d’honorer des promesses électorales, rien n’oblige à le faire en un mois lorsque ces promesses mettent en jeu la liberté d’individus.
Cette hâte est encore moins explicable si l’on veut bien se rappeler que la dernière loi pénale a été promulguée le 5 mars dernier et que plusieurs de ses décrets d’application n’ont toujours pas été publiés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les policiers, les avocats et les magistrats de tous bords se rejoignent dans la désapprobation du projet. Qu’ils contestent son insuffisance ou sa dangerosité, tous déplorent n’avoir pas été écoutés. Or chacun admettra qu’un texte est de meilleure qualité si l’on prend le temps de consulter celles et ceux qui auront la charge de l’appliquer.
Il est tout aussi regrettable, et plus étonnant encore, que la commission d’analyse et de suivi de la récidive, qui a été créée par la majorité sous la précédente législature, n’ait pas été associée à la rédaction du projet. (« C’est invraisemblable ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) En décembre 2005, le garde des sceaux de l’époque avait pourtant présenté cette instance comme la réunion des meilleurs spécialistes en la matière. Hélas ! leur rapport n’a pu être transmis à la chancellerie qu’après la présentation du projet de loi aux médias. Avec une amertume compréhensible, Jacques-Henri Robert, président de ladite commission, a déclaré que ce rapport « avait été élaboré par des gens qui ont les mains dans le cambouis et [que] leurs réactions n’étaient pas aussi vives et instinctives que celles du bon sens ».
Rédigé dans la précipitation et sans la moindre concertation,…
Avant la présentation du projet de loi devant le Conseil des ministres, la chancellerie a pris soin d’éviter les motifs d’inconstitutionnalité les plus criants. L’article 3 est ainsi libellé avec suffisamment d’habileté pour éviter les foudres du Conseil constitutionnel. Si, dans son esprit, cette disposition remet bel et bien en cause la spécificité de la justice des mineurs, dans sa lettre, elle a la prudence de la respecter.
Ces précautions juridiques suffiront sans doute au juge constitutionnel, mais elles n’ont nullement convaincu Dominique Versini, défenseure des enfants, qui, dans une déclaration publique datée du 27 juin, s’est inquiétée que le « projet de loi renforce la répression de la récidive pour les mineurs, par parallélisme au droit des majeurs, sans réellement tenir compte de la spécificité de la justice des mineurs. » Relayant cette inquiétude, nous défendrons un amendement de suppression de l’article 3.
Lors de l’examen du projet de loi au Sénat, plusieurs amendements susceptibles de purger le texte de ces motifs d’inconstitutionnalité ont d’ailleurs été adoptés. Aussi le groupe socialiste espère-t-il que les députés auront la sagesse de rejeter l’amendement de suppression de l’article 2 bis adopté par notre commission des lois. En effet, l’absence d’enquête sociale rendrait de facto virtuelle la capacité laissée aux magistrats de déroger à la peine minimale en cas de nouvelle récidive. Dès lors, elle porterait gravement atteinte au principe de l’individualisation des peines. Contrairement aux affirmations de la chancellerie, il serait faux de croire que l’« on peut considérer que la personnalité est en quelque sorte intégrée à la répétition de l’infraction elle-même ». Le sénateur Zocchetto écrit en effet dans son rapport que ses « interlocuteurs ont observé que [...] le juge ne disposait pas toujours des éléments d’information nécessaires sur la personnalité du prévenu. »
Le principe de l’individualisation des peines est également gravement remis en cause par les conditions très restrictives que posent les articles 1er et 2 à la dérogation aux « peines plancher » en cas de deuxième récidive. De l’avis unanime des magistrats, « les garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion » seront impossibles à réunir s’agissant des délinquants multirécidivistes. La commission d’analyse et de suivi de la récidive estime ainsi, dans son rapport, que ces conditions « restreindront considérablement la liberté d’appréciation du juge ». Dans les faits, ces dispositions reviennent donc à instaurer des peines automatiques, celles-là mêmes qui portent une atteinte fatale à l’individualisation des peines et contre lesquelles s’étaient élevés MM. Clément et Geoffroy lorsqu’ils se sont opposés aux propositions de M. Christian Estrosi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Selon nous, ces motifs d’inconstitutionnalité justifient à eux seuls le rejet du texte, mais d’autres défauts, tout aussi graves, concourent également à son abandon.
Selon les déclarations de la chancellerie, le présent projet de loi aurait la vertu de dissuader les récidivistes de commettre de nouvelles infractions. L’instauration de « peines plancher » aurait pour effet d’intimider les délinquants en rendant leur punition certaine. Lors du débat au Sénat, vous avez vous-même expliqué, madame la garde des sceaux, que « les peines minimales sont indispensables pour que le travail de prévention puisse s’appuyer sur la menace d’une sanction claire et précise ».
Je vous le dis tout net, mes chers collègues, c’est là tout l’enjeu du problème. Notre débat n’oppose pas les laxistes et les répressifs, les anti- et les pro- carcéral. Tous ceux qui sont d’abord soucieux d’être efficaces savent qu’il faut à la fois prévenir et punir, comprendre et rappeler la règle et que, dans de nombreux cas, la prison est effectivement la seule solution. Je rejoins ainsi Didier Peyrat, vice-procureur de la République au TGI de Pontoise, lorsqu’il déclare que « certains faits, très graves, justifient [la prison] même si nous sommes en présence de mineurs ».
Mais qu’ils soient magistrats, éducateurs, avocats – et je salue le bâtonnier Franck Natali, que vous connaissez bien, madame la ministre, et qui est présent dans les tribunes du public –, psychologues ou criminologues, tous affirment que les « peines plancher » n’auront aucun effet positif en matière de lutte contre la récidive.
Face à un tel faisceau de preuves, mes chers collègues, il faut vraiment avoir beaucoup de respect pour l’autorité présidentielle pour voter, en 2007, des mesures que l’honnêteté de tous avait conduit à rejeter en 2005 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Appuyé sur un mécanisme inopérant, le projet de loi souffre par ailleurs d’un second défaut qui ruine davantage son efficacité. Aucune disposition du texte ne vise en effet la réitération, alors que ce phénomène constitue l’essentiel de la délinquance des mineurs. Si le taux de récidive légale de ces derniers n’atteint pas 0,6 %, en revanche leur taux de réitération dépasse 55 %.
Pour Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat de police Synergie,…
De toute évidence, les mesures du texte seront inopérantes pour lutter contre la récidive. Leur inutilité ne signifie pourtant pas qu’elles n’auront aucune conséquence. Nous craignons, au contraire, que le projet de loi ne mette en œuvre une machine infernale dont les effets pervers pourraient être dangereusement contre-productifs.
Pour faire face au risque d’explosion carcérale, vous avez, le 11 juillet dernier, chargé un comité d’orientation de préparer une grande loi pénitentiaire.
De nombreuses études ont déjà largement prouvé les effets criminogènes de l’incarcération. Lors des débats au Sénat, vous avez d’ailleurs vous-même reconnu, madame la garde des sceaux, que « la prison peut générer la récidive ». Loin de sortir édifiés de leur passage en prison, une forte proportion de condamnés la quitte endurcis et davantage enracinés dans la délinquance. Le taux de récidivistes chez les mineurs incarcérés atteint ainsi les 70 %. Loin d’améliorer la lutte contre la récidive, le projet de loi met au contraire en place un dispositif qui provoquera une multiplication des infractions.
De toute évidence, un combat efficace contre la récidive suppose donc la mobilisation de moyens autrement plus adaptés. C’est pourquoi nous vous proposons des solutions originales et équilibrées cherchant à la fois à mieux prévenir et à mieux punir.
La première des priorités – toujours invoquée, jamais honorée – est d’accorder à la justice les crédits nécessaires à son bon fonctionnement. Comme l’explique Bruno Thouzellier, président de l’Union syndicale des magistrats, « chacun sait ce qu’il convient de faire pour diminuer les cas de récidive. Plus que des lois, il faut des moyens permettant de répondre avec rapidité à tous les faits élucidés ».
En premier lieu, il est indispensable de raccourcir les délais de jugement en augmentant les moyens mis au service des greffes et des magistrats. Selon les chiffres de la chancellerie, pour l’année 2006, il s’est écoulé en moyenne onze mois entre la commission d’un délit et son jugement en première instance. La mission parlementaire d’information sur la récidive signalait pourtant, dès 2004, que « chacun s’accorde à considérer que pour lutter plus efficacement contre la récidive, il est préférable de prononcer des sanctions immédiatement plutôt que de recourir ultérieurement à des peines alourdies ». Vous devriez vous en souvenir !
En deuxième lieu, il est essentiel de garantir une exécution rapide et effective des peines. Plus les mois passent entre la condamnation et son exécution, moins la peine est comprise par le condamné, dont la situation personnelle peut avoir évolué favorablement entre-temps. Pire, aujourd’hui, 32 % des condamnations ne font purement et simplement l’objet d’aucune application ! Comment croire, dans ces conditions, que l’action judiciaire puisse avoir le moindre effet dissuasif pour les récidivistes ?
En dernier lieu, il est urgent de prévoir davantage de moyens pour préparer les sorties de prison, la réinsertion sociale et professionnelle. Je laisse à mon collègue Serge Blisko le soin d’expliquer pourquoi les dispositions de ce projet relatives à l’injonction de soins ne répondent pas à cet enjeu. Je souhaite juste rappeler à notre assemblée que l’administration pénitentiaire consacre moins de 10 % de son budget aux actions de réinsertion. À supposer que la prochaine loi pénitentiaire prévoie bien des mesures en faveur de ces actions, les marges financières seront – Arnaud Montebourg vous le démontrera dans la discussion générale – inéluctablement absorbées par l’aggravation de la surpopulation carcérale.
Pour répondre aux problèmes posés par les mineurs les plus endurcis, l’expérience des centres éducatifs fermés doit être développée.
Nous craignons cependant que la volonté affichée par la chancellerie – que vous avez précisée au moyen d’une circulaire, madame la ministre – de développer les aménagements de peine n’achoppe sur le problème récurrent des moyens. Comme l’expliquait récemment un juge d’application des peines de Melun, « aménager les peines, cela ne se décrète pas. C’est un processus complexe, qui implique l’intervention de toute une chaîne de professionnels et nécessite des moyens ».
Pour lutter avec efficacité contre la récidive, nous vous proposons, enfin, d’ouvrir un champ d’actions totalement ignoré par le présent projet de loi : celui du traitement des primo-délinquants. C’est le grand sujet des années à venir : la priorité doit, en effet, plus porter sur la manière d’éviter la récidive que sur celle de la punir.
Le traitement de la primo-délinquance s’impose tout particulièrement pour les mineurs les plus jeunes, entre dix et treize ans. Pour eux, la prison ne signifie absolument rien. À leur égard, il est important d’aménager toute une palette de solutions afin de graduer la réponse. C’est en faisant du sur-mesure et non des peines plancher que nous écarterons ces jeunes des chemins de la délinquance. À l’occasion de la discussion des amendements préparés par Julien Dray, Delphine Batho et Dominique Raimbourg, nous aurons la possibilité de débattre de ces solutions et de reprendre le débat ouvert par la loi du 5 mars 2007. Avec mes collègues qui réfléchissent depuis longtemps à ces sujets, j’espère que nous pourrons le faire dans un esprit d’écoute et d’ouverture.
Madame la garde des sceaux, sur tous les bancs de cet hémicycle, chacun sait que votre tâche est difficile. Placée à la tête d’un ministère exposé sur le plan médiatique – surpopulation carcérale, évasion spectaculaire, pénurie récurrente de moyens –, vous avez la charge d’une institution que vous connaissez bien, située au cœur du pacte républicain et faisant l’objet de débats passionnés.
Suite à votre première intervention à la tribune de l’Assemblée nationale, je souhaite vous faire part de notre respect pour la personne que vous êtes et pour le symbole que vous représentez et qui honore la République. Vous nous trouverez à vos côtés face à des attaques déplacées et qui n’ont pas lieu d’être.
Malheureusement, votre texte porte encore tous les stigmates de son contexte électoral : ses dispositions restent empreintes du simplisme des slogans de campagne.
L’expérience a pourtant prouvé l’inefficacité de ces démarches – une inefficacité qui, en l’espèce, menace certains principes constitutionnels. C’est pourquoi nous vous appelons, mes chers collègues, à voter l’exception d’irrecevabilité.
Mais le groupe socialiste entend bien profiter de ce débat pour aller au-delà d’une simple opposition au Gouvernement et pour défendre ses propres solutions à la lutte contre la délinquance et la récidive. Car l’efficacité n’est pas seulement la condition de notre crédibilité ; elle est également le sens de notre engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je me contenterai de reprendre deux éléments sur lesquels il convient, me semble-t-il, de rétablir la stricte vérité. Le premier élément est l’effet des peines plancher sur la population carcérale. Lorsqu’on fait référence aux déclarations de personnes auditionnées, il faut avoir l’honnêteté de les citer jusqu’au bout. J’ai moi-même entendu M. Pierre-Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, qui s’est montré très surpris qu’un seul des scenarii qu’il avait prévus ait été retenu. En sa qualité de scientifique, il se déclarait pour sa part incapable de choisir entre les trois hypothèses qui se présentent.
La troisième hypothèse – dont rien ne garantit qu’elle est celle qui se réalisera, contrairement à ce qu’affirme Manuel Valls – est celle d’une inflation du nombre de détenus, qui constituerait le résultat d’une application trop systématique des peines minimales.
La première raison tient à l’inconstitutionnalité du texte présenté. Dans une décision de 2005, le Conseil constitutionnel a considéré que l’individualisation des peines était un principe constitutionnel.
En effet, le texte prévoit que la règle est celle de la peine dite plancher et que seule l’exception permet de déroger à la peine plancher. C’est donc nécessairement une atteinte à ce principe d’individualisation.
L’article 2 du projet va encore plus loin en prévoyant qu’en cas de nouvelle récidive – récidive sur récidive –, le tribunal ne peut prononcer qu’une peine d’emprisonnement. Il est possible, par dérogation, de faire descendre cette dernière en dessous des minima prévus par le texte. Mais à première vue, une dérogation à l’emprisonnement ferme semble exclue. C’est là une nouvelle atteinte, plus grave encore, au principe de l’individualisation des peines.
Même remarque s’agissant de la justice des mineurs. La spécificité de la justice des mineurs, qui a été posée comme un principe constitutionnel dans une décision de 2002 par le Conseil constitutionnel, est également méconnue puisque, en cas de récidive, le régime des mineurs est automatiquement assimilé au régime des majeurs, la dérogation ne permettant que de déroger à cet état de fait.
Il y a donc là, nous semble-t-il, deux motifs d’inconstitutionnalité majeurs. En outre, et comme l’a démontré M. Valls, ce texte a beaucoup de torts. Tout d’abord, il est aveugle à des distinctions : récidive criminelle, récidive correctionnelle, récidive contraventionnelle. Il prévoit ainsi des peines plancher en matière criminelle alors que la pratique des tribunaux amène à prononcer des peines qui sont largement au-dessus des peines plancher.
Ce texte est également aveugle aux types de récidive. Contrairement à ce qu’induit le projet, la récidive est en effet un phénomène multiple et complexe. Les explications du rapporteur démontrent d’ailleurs que la récidive concerne surtout le vol et les conduites en état d’ivresse. Or ce sont là des comportements délinquants particuliers, qui auraient mérité une réflexion et, sans doute, des traitements particuliers.
Le texte est encore aveugle aux flux et à l’impact. Il est ainsi impossible de dire aujourd’hui quel est l’impact estimé, attendu, espéré de ces mesures sur le nombre de détenus et comment on va traiter ces détenus.
Enfin, le Gouvernement est resté sourd aux critiques formulées par la commission sur la récidive qui, voilà deux ans a écarté les peines plancher, et par la commission d’analyse et de suivi de la récidive. Et il n’a tenu aucun compte des avis très partagés, mitigés, voire très réticents émis par les organisations professionnelles, de magistrats, d’avocats ou de policiers.
Comme l’a montré M. Valls dans son intervention, ce texte est avant tout idéologique. C’est un texte hâtif, qui va soulever des espoirs qu’il ne pourra pas combler. C’est la raison pour laquelle nous appelons à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel rappelait que les principes de « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge » et de « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » étaient « constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du xxe siècle ».
Je crois, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur que les mesures édictées par les articles 1er, 2 et 3 de ce projet de loi ne respectent pas les lois de la République, ce qui justifie cette exception d’irrecevabilité. Rappelons que ce statut spécifique ainsi reconnu par le Conseil constitutionnel résulte essentiellement du constat qu’un adolescent, même s'il a plus de seize ans, est un individu en construction dont la personnalité est en cours de formation. Votre gouvernement nie cette évidente spécificité.
Preuve qu'il s'agit bien d'une évidence, de plus en plus de pays européens maintiennent un régime de droit pénal plus protecteur au-delà de la majorité. C'est le cas aujourd'hui de l'Allemagne, de l'Autriche, du Portugal, des Pays-Bas, de l'Espagne et de la Croatie. Ils suivent en cela la recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe de 2003 qui prévoit des dispositions procédurales adaptées aux jeunes majeurs afin de tenir compte de l'allongement de cette période de transition pour parvenir à l'âge adulte. Vous faites précisément le contraire au moment où l’accession à l’âge adulte, c’est-à-dire à celui de l’autonomie, est de plus en plus tardif, du fait des conséquences de la crise dans laquelle votre politique enfonce notre pays. Votre texte, madame la garde des sceaux, va à contre-courant de l’évolution pragmatique et humaniste suivie par les autres pays européens.
Mais ce n'est pas là le seul texte international avec lequel le projet entre en contradiction. Il y a aussi la convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée. Votre texte est en contradiction avec cette convention qui dispose notamment dans son article 40 : « Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale le droit à un traitement [..,] qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société. » J’y reviendrai plus longuement dans la question préalable.
Ce même article de la convention énonce que « Les États parties s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, la mise en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d'infractions à la loi pénale et en particulier de prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable pour traiter des enfants sans recourir à la procédure judiciaire ».
Il n’en est rien dans le présent texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Mme la garde des sceaux nous propose un projet de loi qui en revient, d’une certaine façon, aux mesures antérieures au code pénal de 1994. Les peines minimales, en dessous desquelles le juge pouvait descendre par le jeu des circonstances atténuantes, existaient alors. Et cela n’avait rien d’inconstitutionnel !
Le présent texte préserve intégralement la notion à laquelle nous sommes très attachés d’individualisation de la peine car, nous, cher Manuel Valls, nous faisons confiance au juge. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Lorsqu’il aura à juger un multirécidiviste, il devra prendre le temps nécessaire pour motiver comment il pourra encore, éventuellement, faire bénéficier l’individu de circonstances atténuantes, par des « circonstances exceptionnelles », pour descendre en dessous de la peine plancher.
Il n’y a donc pas d’irrecevabilité au sens où vous l’entendez, monsieur Valls. Trop subtil pour ne pas faire la différence entre une peine minimale et une peine automatique, vous entretenez délibérément la confusion en la matière. Vous avez tronqué et caricaturé le débat. Le groupe UMP s’opposera bien sûr à cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
J’ai bien entendu vos critiques, monsieur Valls. Mais je rejoins Georges Fenech : en quoi avez-vous démontré que ce texte mettait à mal l’individualisation de la peine ou l’appréciation du juge ? Vous affirmez sans prouver.
Madame la garde des sceaux, j’ai pour ma part le sentiment que vous présentez un projet de loi parfaitement équilibré. Il préserve en effet les principes auxquels le législateur doit être attentif.
Monsieur Valls, vous avez fort justement évoqué la situation difficile que connaissent les prisons françaises – j’y reviendrai d’ailleurs dans la discussion générale. Mais au lieu de combattre le garde des sceaux, nous devons au contraire être très vigilants et soutenir deux projets de loi en cours, celui qui institue un contrôleur général des prisons et celui portant sur la pénitentiaire.
Au nom du groupe du nouveau centre, j’appelle à rejeter cette motion d’irrecevabilité.
Nous aurons l’occasion, madame la garde des sceaux, d’enrichir votre projet de loi tout au long de la discussion Il avait été annoncé par le Président de la République lors de la campagne électorale et était attendu : l’opposition doit s’habituer à ce que, une fois élus, nous tenions nos engagements. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
La parole est à M. Michel Vaxès, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.
Les projets de réforme intéressant le ministère de la justice et méritant d'être examinés rapidement sont nombreux. Je pense, notamment, à une grande loi pénitentiaire. Elle est attendue depuis de très nombreuses années. Vous nous la promettez pour l'automne 2007, mais sera-t-elle la grande loi attendue ? Si elle participe de la même logique que le texte en examen aujourd'hui, je vous avoue craindre le pire.
Je pense également à la défense des plus démunis et à la nécessité de réformer de fond en comble notre système d'aide judiciaire. Je pense encore à la nécessité de simplifier notre droit pénal et notre procédure pénale, pour en faciliter l'accès à tous. Je pense enfin et surtout aux besoins immenses de notre institution judiciaire, qui ne parvient toujours pas à faire appliquer ses décisions dans des délais raisonnables.
C'est pourquoi je m'étonne que ce tout premier projet de loi, le plus urgent à vos yeux, concerne un sujet qui a été déjà débattu maintes et maintes fois dans cet hémicycle, au cours de la précédente législature. En effet, pas moins de quatre textes concernant la récidive ont été présentés par le gouvernement d'alors et adoptés par votre majorité d'hier, à peu de chose près la même que celle d'aujourd'hui. Il y a eu la loi Perben I en 2002, la loi Perben II en 2004, la loi de M. Pascal Clément sur le traitement de la récidive des infractions pénales en 2005 et, cette année encore, la loi sur la prévention de la délinquance, présentée par le ministre de l'intérieur, aujourd'hui Président de la République.
Depuis, il n'y a pas eu de changement de majorité. Y aurait-il eu alors des éléments nouveaux justifiant de légiférer une fois de plus sur la question de la récidive ? J'avoue ne point en voir. Dix-huit mois seulement sont passés depuis la dernière loi, entièrement consacrée à cette question. Quant aux décrets d'application de la loi sur la prévention de la délinquance, ils ne sont encore pas tous publiés.
Rien ne nous permet de dire aujourd'hui que ces lois ont fait la preuve de leur efficacité ou de leur inefficacité dans la lutte contre la récidive. Les conclusions de la commission d'analyse et de suivi de la récidive, qui auraient dû être connues le 15 janvier 2006, ne l'ont été que très partiellement la semaine dernière, malgré votre engagement, madame la ministre, le jour de votre audition par la commission des lois. La vérité, c'est que ce rapport reste sous embargo, puisque vous ne rendez public que le « recueil des préconisations essentielles », soit les quatre dernières pages d'un rapport qui en compte une centaine. À moins qu’il ne s’agisse simplement que de ma difficulté à rentrer sur le nouveau serveur informatique de l’Assemblée… auquel cas je tenterai de m’y rendre tout à l’heure pour y récupérer les quatre-vingt seize pages dont je ne dispose toujours pas !
Sans conteste, le temps nécessaire à l'évaluation des lois précédentes n'a pas été pris. Ce ne peut donc pas être ce bilan qui motive le dépôt d'un nouveau texte, ayant notamment pour objet de mettre en place des peines plancher. Du reste, si l'on en croit la presse, manifestement mieux informée que la représentation nationale, la commission d'analyse et de suivi de la récidive se montre particulièrement critique à l'égard de ce projet de loi.
Permettez-moi ici une parenthèse : je trouve paradoxal que les parlementaires soient informés par un journal du soir du contenu d'un avis qui devrait nous éclairer sur l'opportunité des mesures proposées par ce texte.
D'après cette commission, ce projet de loi aura, je cite, « nécessairement comme conséquences l'augmentation de la population carcérale des majeurs et des mineurs ». Elle rappelle par ailleurs que « les peines minimales ont existé mais qu'elles ont été abandonnées sous la pression de la pratique ».
Les peines plancher, refusées par bon nombre de représentants de votre majorité – j'y reviendrai plus loin – se justifieraient-elles alors au regard d'une étude de droit comparée prouvant leur efficacité ? Reconnaissons que l'analyse que nous pouvons tirer de l'examen des systèmes pénaux étrangers ayant mis en place les peines plancher n'est guère convaincante. Les pays anglo-saxons, au contraire des pays de tradition romano-germanique, connaissent des peines minimales obligatoires dans des cas strictement limités. Les chiffres de la délinquance et de la récidive en Angleterre comme aux États-Unis ne devraient nullement nous inciter à les imiter.
D'ailleurs, d'après le journal Le Monde, la commission d'analyse et de suivi de la récidive, qui a étudié le développement des peines plancher aux États-Unis et au Canada, constate qu'il « n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu, c'est-à-dire la diminution de la récidive ». Et elle poursuit : « Plusieurs études enregistrent même son augmentation, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave ».
Permettez qu'à ce sujet je m'arrête un instant encore sur l'exemple particulièrement intéressant du Territoire du Nord, en Australie. En 1997, ses autorités avaient institué des peines minimales obligatoires ; elles les ont abrogées dès 2001, à la suite notamment de plusieurs suicides en détention. En 2003, un rapport sur l'application de ces peines minimales obligatoires a conclu que ces mesures avaient notamment abouti à une augmentation de la population carcérale, sans pour autant représenter un moyen efficace de dissuasion.
Enfin, jusque sur les bancs de votre majorité, madame la garde des sceaux, des parlementaires éminents se sont montrés hostiles aux peines plancher. Je ne les citerai pas tous, mais je crois important de rappeler ici certaines prises de position d'alors, en particulier celle de M. Warsmann, président de notre commission des lois, dont je partage les analyses. Il déclarait le 14 décembre 2004 dans cet hémicycle : « Un débat très fort s'est déroulé en commission sur le bien-fondé des peines plancher automatiques que certains de nos collègues souhaiteraient voir instaurer. Le débat a été tranché par les deux tiers des membres de la commission. Un tel dispositif est totalement étranger à la culture juridique française – je tiens à le rappeler. Il s'inspire d'une tradition américaine que, pour ma part, je ne souhaite pas voir adopter par mon pays. Une politique pénale efficace ne consiste pas à multiplier par sept le nombre de détenus mais à garantir l'exécution de la peine et à assurer le suivi des sortants de prison. »
Et notre collègue poursuivait : « La question qu'il convient de poser clairement devant nos concitoyens est la suivante : comment mieux lutter contre la récidive d'une personne condamnée à huit mois de prison ? Pensez-vous, mes chers collègues, que ce soit en instillant l'idée que le délinquant aurait dû être condamné non pas à huit, mais à neuf ou dix mois de prison ? Que gagnerait-on à augmenter d'un ou deux mois sa peine ? à accroître dans les mêmes proportions pour les finances publiques le coût de son incarcération ? Un détenu coûtant 60 euros par jour, une augmentation de peine de deux mois conduirait à un surcoût de 3 600 euros, mais serait sans effet sur la lutte contre la récidive. Qu'il sorte au mois de mars ou au mois de mai, l'important est que le condamné soit suivi, c'est-à-dire suffisamment accompagné ou contrôlé, afin que les risques de récidive diminuent. » Ce rappel, je le reconnais, fut certes un peu long, mais je le crois nécessaire à notre réflexion.
De même, la mission d'information de juillet 2004 sur le traitement de la récidive des infractions pénales, présidée par l'ancien garde des sceaux, M. Pascal Clément, insistait dans ses conclusions sur le fait qu'il « faut prévenir les effets désocialisant de la prison favorables à la récidive ». Alors, chers collègues de la majorité, que s'est-il passé en à peine trois ans pour que deux tiers d'entre vous changiez d'avis sur ce point ?
Je crois plutôt que, pour certains d’entre vous en tout cas, en votre âme et conscience, vous n'avez pas changé d'avis. Mais affichage présidentiel oblige et discipline politique contraint ! Et vous voilà, bien malgré vous, contraint de vous déjuger !
Certes, la privation de liberté et l'enfermement sont dans certains cas nécessaires et il faut les décider, mais ne perdons pas de vue que ce ne sera jamais l'essentiel, sauf à baisser les bras en choisissant la facilité, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Non, madame la ministre, la faiblesse et le laxisme ne sont pas de notre côté mais du vôtre et de celui de ceux qui s'apprêtent à vous soutenir. Car, dans ce projet de loi « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », il n'est question que d'emprisonnement. Pas un mot sur les peines alternatives, sur les aménagements de peines, sur les mesures d'accompagnement à la réinsertion ou le relèvement éducatif des jeunes. Pourtant, sur ce dernier point, les professionnels, les experts, les auteurs de rapports sont tous d'accord : ce sont là les véritables et seules mesures utiles à la lutte contre la récidive.
Alors, pourquoi persister avec un tel entêtement à ne cibler que les effets sans jamais vous préoccuper des causes de l'évolution dramatique de la délinquance dans notre pays ?
Pourquoi décider l'instauration de peines minimales de privation de liberté en cas de récidive ? Les juges seraient-ils particulièrement indulgents avec les récidivistes ?
Les données statistiques de votre ministère, madame la garde des sceaux, prouvent pourtant exactement le contraire.
Je sais que vous contestez les chiffres avancés par Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS. Il a estimé que votre texte conduira 10 000 personnes de plus dans nos prisons déjà surpeuplées.
Enfin, quel que soit ce chiffre, aujourd'hui, la France compte 12 000 détenus de plus que de places disponibles !
Lors de votre audition la semaine dernière devant la commission des lois, vous avez défendu votre projet de loi en avançant, essentiellement, qu'il ne visait pas à instaurer des peines automatiques, mais des peines plancher.
Il devra alors prendre seul la responsabilité de ce qui sera considéré comme une dérogation à vos préconisations. Il en prendra peut-être courageusement le risque, tout en sachant que, dans certains cas, il pourra être livré à la vindicte d'un populisme pénal dont les effets sur notre justice sont déplorables. En cas de deuxième récidive, cela se complique, car l'accusé devra présenter « des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. » Concrètement, et tous les juges que nous avons rencontrés nous l'ont dit, la peine plancher sera une peine automatique, au mépris du principe de l'individualisation des peines. Une présidente de chambre correctionnelle explique : « Les tribunaux garderont la possibilité de prononcer une peine inférieure aux planchers, c'est vrai. Mais au prix d'une motivation spéciale. Que va-t-il se passer ? Au début, nous résisterons un peu. Et puis les peines plancher finiront par l'emporter… ». Et elles deviendront automatiques car, compte tenu de l’état de notre justice, il ne pourra pas en être autrement.
Ajoutons que les moyens dont disposent les magistrats seront déterminants. En effet, pour apprécier la « personnalité » de l'auteur, ses « garanties d'insertion ou de réinsertion », il faut que le juge dispose d'une enquête sociale approfondie, voire d'une expertise psychologique.
La justice d'abattage en « comparution immédiate » qui sanctionne la petite et la moyenne délinquance ne dispose pas des moyens et du temps nécessaires. L'équation est donc simple à établir : pas de renseignement sur l'auteur égale pas de motivation spéciale égale prison automatique !
Comment en effet un juge, dans les conditions de travail qui sont aujourd'hui les siennes, trouvera-t-il le temps de motiver spécialement chacune de ses décisions ? Comment ce magistrat pourra-t-il, lors d'une procédure rapide, apprécier la personnalité de l'auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion, en cas de première récidive ? Sans compter que, comme l'exige le texte, en cas de deuxième récidive, il sera quasiment impossible d'établir les « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ». Car comment les qualifier ? Est-ce que travailler et avoir une vie de famille sont des garanties exceptionnelles ? Personnellement, je ne le crois pas.
Mais alors que pourront retenir les magistrats comme garanties exceptionnelles ?
D'ailleurs, là encore – et ce n'est pas moi qui le dis, mais la commission de suivi de la récidive –, « cette disposition risque en pratique d'être très difficile à établir, ce qui restreindra considérablement la liberté d'appréciation du juge ».
C'est d'ailleurs pourquoi la conférence des premiers présidents a rappelé, dans une délibération de juin dernier relative aux peines plancher, « l'attachement des juges à l'individualisation des peines, principe confirmé par l'expérience et partagé par la plupart des pays démocratiques », ajoutant que « toute limitation du pouvoir d'appréciation du juge crée un risque d'inadéquation de la décision judiciaire sans pour autant garantir une meilleure efficacité de la politique pénale ».
Madame la garde des sceaux, si ce projet de loi parvient à contourner la difficulté constitutionnelle, personne n'est dupe : dans les faits, il aboutira à la mise en place de peines automatiques. Cela est d'ailleurs encore plus incontestable pour les mineurs qui sont, eux aussi, concernés par les peines plancher.
Dans le cadre de la défense de cette motion de procédure, j'examinerai la question des mineurs indépendamment de celle des majeurs. Je suis, en effet, de ceux qui croient, avec plus de 7 000 personnes déjà signataires d'une pétition en ligne sur le site du Nouvel Observateur, que « les adolescents ne sont pas des adultes ».
Concernant l'application des peines plancher, les juges des enfants que nous avons rencontrés nous le disent : l'automaticité des peines sera quasiment inévitable. S'il sera particulièrement difficile de motiver les « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » d’un majeur, qu'en sera-t-il pour un mineur ? Quelles pourront être ces « garanties exceptionnelles » pour un adolescent qui traverse précisément une période de la vie qui est l'âge de tous les possibles ? Dans un article du 5 juillet dernier, des magistrats aguerris par plusieurs années d'expérience et dont la plupart sont présidents de tribunaux pour enfants, décrivent très justement cette période de l'adolescence : « l'âge de la recherche tâtonnante de l'indépendance, des révoltes, de l'inquiétude, des interrogations sur soi et de la prise de risque et, bien sûr, des faux pas. Un âge où la solidité de l'entourage adulte, la stabilité des conditions de vie sont déterminantes. Un âge où le désarroi des adultes entraîne, chez les jeunes, des transgressions ».
(M. Marc-Philippe Daubresse remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Permettez-moi, là encore, de citer ces juges pour enfants : ils nous disent que : « nombre de ces seize - dix-huit ans récidivistes sont déscolarisés et sans activité. Du fait de la ségrégation liée au logement, ils habitent souvent les mêmes quartiers. Inactifs, découragés par des années d'échec scolaire, persuadés de leur inutilité, ils traînent au bas des immeubles, se livrent à des petits trafics, chapardent, se plaisent à provoquer les adultes, cherchent l'excitation dans les jeux violents, se mettent en scène en se filmant sur leurs portables. Souvent, ils sont eux-mêmes victimes de violences physiques ou sexuelles, et exposés plus que d'autres à la consommation d'alcool ou de drogue ».
Très sincèrement, mes chers collègues, madame la Garde des sceaux, pensez-vous qu'en sortant de prison, ces jeunes seront meilleurs qu'ils ne l'étaient en entrant ? Ne croyez-vous pas que la réponse est à chercher ailleurs que dans l'augmentation des peines de prison ? Pour ce qui me concerne, j'ai la conviction que jamais l'allongement du temps de détention de personnalités aussi déstructurées ne permettra d'empêcher la récidive. C'est pourquoi je refuse cette solution de facilité, car la prison en est une : elle demande un moindre investissement humain à la société et à nos institutions, et c'est bien là le problème !
Je reste profondément convaincu que nous ne lutterons efficacement contre la récidive que si nous décidons de nous en donner les véritables moyens. Ils sont lourds, mais ils sont les seuls réellement efficaces. Il en va de l'intérêt et de la protection de la société, il en va du droit des victimes, il en va de la sécurité de tous et de l'avenir des enfants de la République.
Investissons donc dans des programmes éducatifs, investissons dans des internats éducatifs, investissons dans les classes relais, investissons dans les centres de jour, investissons dans les maisons des adolescents, investissons dans le personnel éducatif et encadrant. Et puisque le temps scolaire ne suffit plus à l'éducation d'enfants issus des familles les plus fragiles ! Investissons pour l'élargissement du temps de prise en charge éducative hors du temps scolaire, investissons dans la protection judiciaire de la jeunesse, investissons enfin dans les moyens donnés aux juges des enfants, qui doivent aujourd'hui attendre plusieurs mois avant que leurs mesures éducatives soient exécutées. C’est en prévenant le premier passage à l’acte qu’on luttera le mieux contre la récidive.
Retenons, là encore, les exemples étrangers, tant en ce qui concerne les peines plancher que le renversement du principe de l'excuse de minorité. Ils sont significatifs et nous confortent dans la conviction que vous faites fausse route. Prenons les exemples canadien, américain et britannique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Aujourd'hui, ce pays connaît le taux d'incarcération des adolescents le plus élevé des pays occidentaux. Aux États-Unis,…
Je le disais il y a un instant, la prison est une solution de facilité. Elle permet en effet à la société d'écarter, pour un temps, les individus qu'elle estime indésirables, sans pour autant se donner les moyens de les réinsérer. La prison est aussi, et c'est tout aussi grave, une solution de facilité pour les mineurs. Un juge pour enfants me rapportait que, trop souvent, il avait été confronté à des adolescents qui lui avouaient préférer la prison aux contraintes des mesures éducatives. Car la vraie contrainte est là : les mesures éducatives demandent un investissement du mineur, elles exigent de lui un véritable travail, de longs, patients et persévérants efforts de construction ou de reconstruction de sa personnalité, des efforts qu'il n'aura pas à fournir en détention.
Ne voyez-vous pas en cela une preuve supplémentaire que la détention ne peut être une solution pour la réinsertion des délinquants ?
Tous les arguments que je viens de développer justifieraient que nous décidions de ne pas débattre de ce texte aujourd’hui…
Avant de conclure, je me permettrai de faire une remarque annexe. Elle s’adresse à M. le président de la commission − M. le rapporteur se fera mon interprète auprès de lui − ainsi qu’au président de l’Assemblée. Alors que notre assemblée s’apprête à repenser son fonctionnement, je pense qu’il faudrait envisager que les députés membres de la commission des lois puissent être invités à participer aux différentes auditions qu’organisent les rapporteurs des projets de loi, comme cela se fait au Sénat.
Pour conclure… (« Enfin ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je peux continuer : il me reste encore trois points. Vous avez du pain sur la planche, si vous voulez me déstabiliser ! (« Continuez ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pour conclure, j’emprunterai à Denis Salas, magistrat reconnu, mon ultime argument pour tenter de vous convaincre d’adopter cette motion de procédure.
Le temps qui m’était imparti ne m’a pas permis d’aborder les articles relatifs à l’injonction de soins. Mes collègues ou moi-même y reviendrons lors de la discussion des articles, si la question préalable n’est pas adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Dans cette grande confusion, il faut tâcher d’en revenir au texte et rappeler que, contrairement à ce qui vient d’être indiqué, il ne privilégie pas la détention. Les principes fondamentaux qui régissent le droit pénal applicable aux mineurs n’y sont pas mis à mal. Il ne revient pas sur l’âge de la majorité pénale. Il ne touche pas aux juridictions spécifiques chargées de juger les mineurs, que ce soit pour des crimes ou pour des délits. Il ne change rien au principe de l’atténuation de la responsabilité, qui reste au cœur du droit pénal applicable aux mineurs.
Mon collègue Valls a évoqué tout à l’heure, à juste titre, la question de la protection judiciaire de la jeunesse. Connaissez-vous, vous qui êtes aujourd’hui au Gouvernement, les difficultés que rencontrent les juges pour mettre en place les dispositions éducatives qu’ils souhaitent appliquer aux jeunes ? Un mineur, ce n’est pas un adulte en réduction, c’est une personnalité qui se développe. Vous savez très bien que, si nous voulons sortir de la situation de révolte que nous avons connue en décembre 2005 et qui était due à un sentiment d’injustice et d’humiliation, il faut passer par des systèmes de prévention et non pas réduire, comme l’ont fait les gouvernements précédents, les budgets consacrés aux outils de réinsertion et d’accompagnement.
Ce que demandent nos compatriotes en priorité, ce n’est pas que les délinquants soient punis plus sévèrement, c’est plutôt que la délinquance qui les touche en premier lieu diminue. Il est vrai que, du fait de la politique que vous avez conduite ces cinq dernières années, les faits de violence, les vols avec violence, sont en augmentation.
Ce projet est mal ficelé et son inspiration est purement médiatique. Il n’est donc pas à la hauteur des attentes et des besoins. D’ailleurs, il n’a été précédé d’aucune étude sérieuse, contrairement au dernier projet de loi sur la récidive, qu’avait préparé une mission d’information de la commission des lois. C’est préoccupant pour la justice, pour la sécurité de nos concitoyens et pour le respect que l’on doit à la représentation nationale, car ce texte contraint des députés de l’actuelle majorité à se déjuger. Ce n’est pas sérieux. C’est tout simplement démagogique.
Il faut apporter d’autres réponses et ne pas attendre l’acte de délinquance. Notre collègue Vaxès l’a dit, c’est en prévenant le premier passage à l’acte que l’on évitera la récidive après un premier séjour en prison, car, nous le savons, la prison est le principal facteur de récidive. Malheureusement, madame la ministre, rien, dans votre politique, n’est fait pour la jeunesse. Il n’y a que des cadeaux fiscaux pour les plus puissants. Notre collègue Vaxès a raison, et c’est pourquoi le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
(La question préalable n’est pas adoptée.)
La résurrection de la peine plancher me laisse d’autant plus dubitatif que le tout-répression n'a jamais permis de faire reculer la délinquance. Ainsi que cela été prouvé, une vision essentiellement punitive de l'incarcération et des conditions inhumaines de détention sont des ferments objectifs favorisant la récidive. La situation est d’ailleurs telle dans la totalité des établissements pénitentiaires, qui ont un taux de remplissage dépassant largement les 100 %, que les nouveaux condamnés sont laissés en liberté, gonflant ainsi également le lit de la récidive.
Y compris en Martinique, les prisons sont bondées, les détenus sont entassés, la promiscuité fait des ravages. La loi portant obligation de l'emprisonnement cellulaire n'est donc pas appliquée. Le fossé entre les mesures arrêtées et la réalité s'est fortement agrandi. De ce fait, dans un espace aussi confiné, il est impossible de consacrer du temps à la réhabilitation de l'homme prisonnier.
Face à ce constat accablant, le durcissement préconisé me semble inopportun, inadapté et hors du temps. C'est vrai qu'il y aura toujours des criminels dangereux, mais tous les condamnés ne sont pas des criminels dangereux.
N'oublions pas que la privation de liberté poursuit deux objectifs à la fois : punir le coupable, certes, mais aussi l'éduquer pour l'aider à s'en sortir. Ce second objectif a été abandonné. Le primat de la force l’emporte sur le fond.
Votre projet de loi, madame la ministre, présente d'autres inconvénients.
Premièrement, il restreint, curieusement, les pouvoirs d'appréciation du magistrat et menace le principe d'individualisation de la peine, socle du droit pénal. En effet, le juge doit, pour sanctionner, tenir compte des faits reprochés à l'individu, mais également des éléments de sa personnalité. C’est là un principe à valeur constitutionnelle issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des textes internationaux qui affirment la stricte nécessité de la proportionnalité des peines, ce qui implique ni systématisation ni automaticité de la sanction.
Deuxièmement, le texte restreint, par contrecoup, le rôle de l'avocat, puisque la peine plancher revêt un caractère obligatoire.
Troisièmement, il n'est pas efficace en matière de prévention de la récidive puisque le caractère dissuasif des peines planchers n'est pas démontré.
Pour écarter le recours systématique à l'emprisonnement, mieux vaudrait renforcer les moyens alternatifs, comme le travail d'intérêt général et l'accompagnement en milieu ouvert.
Le projet de loi fait de l'enfermement l'unique réponse pénale en matière de récidive au lieu de privilégier la prévention et le soutien éducatif. Or la prison, dans son mode de fonctionnement actuel, est criminogène.
Le texte risque donc d'aggraver la situation en créant des injustices supplémentaires, en augmentant encore la surpopulation carcérale et en érodant le pouvoir d'appréciation des magistrats, transformés en de véritables automates.
Et nos inquiétudes auraient de quoi être encore renforcées si, dans le même temps, n'était menée, en Martinique en particulier, une lutte efficace contre les trafics illicites d'armes et de stupéfiants pour combattre la culture ambiante de la violence qui gangrène jusqu’aux plus jeunes.
Réformer, en matière pénale, est chose difficile et parfois risquée, j'en conviens volontiers. Il est pourtant des écueils à éviter.
Madame la ministre, en faisant délibérément le choix de renforcer l'arsenal du code pénal, vous faites le pari contestable et périlleux d’une répression excessive, porteuse d'escalades, et vous prenez le parti de ceux qui pensent que « nos têtes sont plus dures que les murs des prisons », alors qu’il conviendrait de réformer valablement, durablement et humainement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
J’espère, mes chers collègues, que vos exclamations tendaient, dans un désir commun, à approuver cette lutte ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Cette volonté, madame la ministre, correspond à un engagement du Président de la République pris lors de la campagne électorale, et l’on ne peut que se réjouir qu’il soit tenu.
Le projet de loi se veut un texte à la fois de fermeté contre la récidive et de protection des victimes. C'est d’ailleurs à celles-ci que je pense d'abord à cette tribune, à toutes les victimes de récidivistes de crimes ou de délits, pour lesquelles notre société n'a pas su apporter les réponses, qui, certes, sont difficiles à mettre en œuvre, mais qu’il incombe au législateur d’élaborer.
Était-il nécessaire de légiférer en matière de récidive ? Sans hésitation, je répondrai oui, ne serait-ce qu’au regard de l'augmentation de la délinquance.
Entre 2000 et 2005, les condamnations en récidive pour crimes et délits ont augmenté de 70 % et même de 145 % pour les auteurs de délits violents. Selon une étude de votre ministère, madame la ministre, en date d'avril 2005, plus d'un condamné sur deux récidive dans les cinq ans qui suivent sa libération, taux qui atteint 70 % pour les cas de violences volontaires avec outrage et 72 % pour les vols avec violence. Quant aux condamnés pour agressions ou atteintes sexuelles, plus des deux tiers récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison. Et selon une récente étude, sur les 16 000 mineurs condamnés en 1999, plus de 55 % l'ont été de nouveau dans les cinq ans.
Votre projet de loi se veut dissuasif, partant de l'idée que la certitude de la sanction est le premier outil de la prévention, sachant cependant que l'efficacité de la lutte contre la récidive requiert également l'exécution effective et rapide des décisions de justice. Il tend ainsi à instaurer des peines minimales d'emprisonnement applicables aux majeurs et aux mineurs récidivistes et à les sanctionner fermement, créant ainsi un effet dissuasif, à élargir les situations dans lesquelles les mineurs âgés de plus de seize ans ne bénéficient pas de l'atténuation de responsabilité prévue par l'ordonnance de 1945, et à prévoir des peines plancher de prison pour tous les crimes et délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement qui ont été commis en récidive.
Contrairement à ce qu’ont prétendu avant moi les orateurs de l’opposition, de telles mesures ne portent atteinte ni à l’individualisation de la peine ni au pouvoir d’appréciation du juge.
Madame la garde des sceaux, l'efficacité de l'action contre la récidive passe également par une meilleure exécution des décisions de justice, nécessité que M. le président de la commission des lois soulignait encore récemment dans un excellent rapport. Les chiffres sont là : près de 5 millions de crimes et délits sont commis chaque année dans notre pays, pour une capacité annuelle de jugement de 600 000 affaires. Et sur les 100 000 peines d’emprisonnement prononcées chaque année par les tribunaux, près de 40 % ne sont jamais exécutées.
Je voudrais, au nom du Nouveau Centre, insister plus particulièrement sur quelques points.
Vous savez, madame la garde des sceaux, les craintes que suscite votre texte. Certains considèrent ainsi que son adoption conduira à envoyer 10 000 détenus de plus dans les prisons, alors que, vous l’avez dit vous-même dans votre discours liminaire, la situation y est intolérable. Je salue donc votre volonté d’améliorer celle-ci.
Une autre objection avancée contre le projet de loi tient au risque d'augmentation du nombre de détenus.
Les conséquences du projet de loi, parfois critiquées, en matière de détention, nous interpellent et nous obligent à agir sur la situation dans les prisons françaises, et je salue à cet égard votre volonté affirmée au nom du Gouvernement et du Président de la République, madame la ministre, de créer un contrôleur général indépendant doté des moyens nécessaires, et d’élaborer une grande loi pénitentiaire. Au nom de mon groupe, je réitère le souhait que le parlement soit associé aux travaux préparatoires de cette loi, s’appuyant sur les travaux des commissions d’enquête, lesquelles ont su dépasser les clivages politiques, pour améliorer les conditions de détention et d'insertion.
Je vous demande également, de la manière la plus solennelle qui soit, de vous référer aux textes et aux rapports des institutions européennes. Vous savez combien le Conseil de l’Europe s’est attaché, au-delà de la seule révélation de la situation dans les prisons – non pas seulement en France d’ailleurs, comme j’ai pu entendre certains le prétendre, mais dans l’ensemble des lieux privatifs de liberté – à ce que nous puissions concilier l’exigence de fermeté et de sanction et celle, non moins égale, du respect de la dignité de toute personne.
Je voudrais également insister sur le suivi médical et psychiatrique. Dans votre propos introductif, comme en commission des lois, vous avez indiqué, madame la ministre, que vous étudiiez avec votre collègue ministre de la santé les moyens financiers et humains à déployer pour la mise en œuvre de votre texte. En matière de délinquance sexuelle en particulier, on sait très bien que l’obligation de soins, un suivi, est le meilleur moyen de lutter contre la récidive.
Sur les objectifs, on ne peut qu’être d’accord avec vous.
À cette tribune, je pense aux témoignages des parents d’enfants violés et tués par des criminels récidivistes. Il n’y avait ni haine ni esprit de vengeance dans leurs propos, mais une interpellation des élus de la nation que nous sommes. Ils nous demandaient d’agir pour prévenir toute récidive. Nous avons donc une obligation, et ce texte affiche avec fermeté cette nécessité et cette ambition. Pour ce qui est des moyens, les députés de la majorité demanderont par voie d’amendements des garanties tant pour améliorer la situation dans les prisons que pour le suivi des délinquants et des criminels sexuels.
À en croire les critiques portées sur votre texte, la certitude de la sanction n’empêcherait pas la récidive. Or le projet de loi n’instaure pas de peines d’emprisonnement fixes et incompressibles, pas plus qu’il ne remet en cause les possibilités d’aménagement des peines. Et contrairement à ce que j’ai pu entendre, il préserve la liberté d’appréciation des juges.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes et justifient à eux seuls l'intérêt de ce texte : au cours des cinq dernières années, le nombre de condamnations en récidive a augmenté de plus de 70 %, selon les chiffres officiels du ministère de la justice et, pour les crimes et délits, la progression dépasse 153 %. Un délinquant sur trois récidive dans les cinq ans suivant son jugement, deux sur trois s’il s’agit de délinquants sexuels.
Faut-il rappeler que la récidive légale ne concerne que les personnes déjà condamnées pour les mêmes faits ou des faits similaires dans les cinq années précédant une nouvelle condamnation ? Les cas pour lesquels ce texte crée des peines plancher sont donc définis de façon très limitative.
Même si l’on constate actuellement une baisse de la délinquance, la situation reste préoccupante. C’est pourquoi il est important d'adresser un signal fort aux récidivistes : la graduation des peines à chaque récidive constituera assurément un message dissuasif. Comme vous l’avez dit, la certitude de la sanction, c’est le début de la prévention. Ce texte n’est donc pas seulement répressif, il est aussi préventif.
Ce projet de loi est donc un texte proportionné qui s'inscrit dans la ligne des mesures déjà adoptées par bon nombre d'autres pays : Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne, États-Unis, Canada. Dans ce dernier pays d’ailleurs, si le nombre des détenus mineurs a effectivement augmenté, le nombre des délits a considérablement diminué.
Je souhaite que nous n’en restions pas là. Une autre réforme importante devra être menée rapidement pour compléter les mesures comprises dans ce texte. Je veux parler, comme mon prédécesseur à cette tribune, du suivi et de l'accompagnement des condamnés. De nombreux parlementaires UMP, dont je fais partie, ont formulé des propositions précises s’agissant du suivi et de l'accompagnement des détenus tout au long de leur peine jusqu'à leur libération et au-delà. Endiguer la récidive passe aussi par des mesures pédagogiques et éducatives qui aident les détenus ou les condamnés à s’en sortir et à sortir de la spirale de la délinquance.
Pour les mineurs, j'ai d'ailleurs formulé plusieurs propositions concrètes substitutives à la prison ou aux centres éducatifs fermés, qui pourront les aider à sortir de leur environnement, à les éloigner de leur milieu délictueux, en leur apprenant un métier. Il s’agit du placement en famille d'accueil. Au Canada, cette expérience est une parfaite réussite : les jeunes délinquants sont envoyés dans des familles d’artisans, de commerçants, d’exploitants agricoles, d’exploitants forestiers ou fruitiers, ou des familles d’autres professions, afin de leur offrir une seconde chance de réinsertion.
Une autre réforme importante qu'il conviendra de mener concerne l'exécution des peines. II est essentiel de trouver des solutions pour réduire les délais d'application de celles-ci. Tant que le délinquant n’a pas de réponses à ses délits, il persiste et signe dans ses actes.
Je ne doute pas, madame la garde des sceaux, que vous avez pleinement conscience de ces problèmes et que vous aurez à cœur de proposer très prochainement des projets de loi qui répondront aux enjeux complémentaires du texte que nous étudions aujourd'hui.
En conclusion, vous l'aurez compris, le groupe de l’UMP votera pour votre projet de loi, et j'invite la représentation nationale à faire de même, afin que le texte puisse être publié rapidement. En effet, mes chers collègues, il y a réellement urgence à agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
D'ailleurs, comment comprendre que le Président de la République et le Gouvernement décident en urgence, c'est-à-dire dans la précipitation, …
En réalité, ce texte, qui institue les peines plancher, est l'épilogue d'une lutte sourde qui a opposé celui qui est devenu Président de la République aux gouvernements, aux ministres, à la majorité de la précédente législature.
Dominique Perben, alors garde des sceaux, déclarait le 4 décembre 2003 : « La justice n'est pas un questionnaire à choix multiples. Attention de ne pas s'enfermer dans un catalogue de peines ! »
Le 29 janvier 2004, le même disait : « Dans un État démocratique, il faut laisser au juge indépendant la possibilité de tenir compte de la personnalité du délinquant et du contexte dans lequel le délit a été commis ». Il estimait qu'une loi contraire serait sans doute anticonstitutionnelle.
Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, affirmait le 22 avril 2004 : « Je suis contre l'automaticité de la peine et pour l'individualisation, ce qui supposerait une aggravation de la sanction pour les multirécidivistes. Personnalisation ne veut pas dire laxisme. »
Jean-Luc Warsmann déclarait le 8 décembre 2004 : « Les peines plancher sont une inspiration du droit anglo-saxon. »
Je distinguerai deux raisons principales qui me paraissent mettre en cause le dispositif que vous nous proposez.
Premièrement, ce dispositif est inefficace. II n'aura pas le caractère dissuasif que vous supposez.
D'abord, parce qu'il est quelque peu illusoire de penser que des délinquants endurcis, des « délinquants d'habitude », comme on dit, soient sensibles à l'allongement de quelques mois de leur peine. Si c'était si simple, les pays anglo-saxons, notamment les États-Unis, auraient réglé leur problème de délinquance depuis longtemps. Les États-Unis ont le système répressif le plus féroce, notamment en matière de récidive ; malheureusement, ils ont aussi la délinquance la plus violente.
En France, que constate-t-on depuis quelques années ? Un allongement important des peines et des condamnations en augmentation pour faits de récidive. Les magistrats, madame la ministre, ne vous ont pas attendue pour faire preuve de plus de fermeté. Ils ont réagi au durcissement de la délinquance par l’allongement des peines, avec d'ailleurs des effets inattendus sur la population carcérale. Savez-vous qu' aujourd’hui, il y a un flux – si j'ose dire – moins important de délinquants incarcérés qu'il y a vingt ans. L'augmentation de la population carcérale s'explique uniquement par l'allongement des peines. Notre pays, malgré une population carcérale élevée pour l'Europe, est un de ceux qui a un des taux d'entrée en prison les plus faibles.
On ne peut donc pas dire que notre système pénal n'ait pas cherché à s'adapter à l'aggravation de la délinquance. Il l'a fait par l'allongement des peines, avec le succès pour le moins contestable que l'on connaît, puisque vous êtes amenés à légiférer régulièrement sur ce sujet. On ne peut pas dire qu’il n’existe pas de régime spécifique à la récidive, puisque la loi prévoit le doublement des peines en matière de récidive, considérée comme une circonstance aggravante.
Avec les peines plancher, vous nous proposez d'amplifier une démarche qui a largement échoué. Les professionnels de la justice : magistrats, avocats, travailleurs sociaux, personnels pénitentiaires, n'approuvent pas votre projet, car ils savent qu'il conduit à l'impasse. C'était d'ailleurs la conclusion du rapport de M. Léonard, qui suggérait d'autres pistes de réflexion.
À l'allongement des peines, il faut préférer la certitude de la peine et l’accompagnement des détenus pendant leur détention et à leur sortie d’incarcération. Il faut améliorer l’efficacité de notre système pénal, afin que chaque acte de délinquance soit sanctionné de manière adaptée et proportionnée.
Sur ce plan, l'urgence, c'est d'améliorer le taux de réponse pénale, notamment pour les délits.
L’urgence, c’est de garantir l'application des peines prononcées. Il n'est pas concevable – cela a été dit par Manuel Valls – que 30 % des peines ne soient pas appliquées dans notre pays
L'urgence, c'est d'améliorer l'information des juges pour qu'ils puissent effectivement relever la récidive.
L'urgence, c'est d'éviter les sorties sèches, qui sont encore trop nombreuses et qui sont un facteur important de récidive.
L'urgence, c'est de débloquer des moyens pour les services d'application des peines et de probation, afin d'assurer en prison et à la sortie un suivi personnalisé, social, voire médical et psychiatrique. Telles sont les priorités que vous devriez vous fixer.
Par ailleurs, ce dispositif est aveugle. Avec les peines plancher, vous restreignez de manière importante la mise en œuvre du principe d'individualisation de la peine.
Ce n'est pas seulement un problème juridique de conformité à nos principes fondamentaux. L'individualisation de la peine, c'est d'abord la garantie d'une peine adaptée aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de celui qui l'a commise.
L'individualisation, ce n'est pas le laxisme, ce n'est pas la faiblesse, c'est une peine juste pour la victime qui mérite réparation, pour l'auteur qui doit aussi pouvoir se réinsérer.
C'est pourquoi nous défendons ce principe qui doit s'exercer librement, sans entrave. C'est d'ailleurs, ce qu’avait décidé le législateur lors de l'élaboration du nouveau code pénal, considérant que le système des circonstances atténuantes était devenu absurde. Vous proposez aujourd'hui d'y revenir. Quel progrès !
Alors, certes, vous avez pris soin de prévoir des possibilités de dérogation aux peines plancher, pour le juge ou pour la cour d'assises. Dans les faits, cette possibilité existe en première récidive, mais est extrêmement restreinte en deuxième récidive.
Se pose aussi la question de savoir sur quel dossier, avec quels éléments d'appréciation, le juge pourra déroger aux peines plancher ?
Que vaut la latitude dans la loi si, dans les faits, elle ne peut être exercée ?
C'est pourquoi le Sénat et son rapporteur, M. Zocchetto, ont proposé deux amendements tendant à desserrer la contrainte sur le juge. L'un prévoyait les mêmes conditions de dérogation en deuxième récidive qu'en première ; l'autre imposait qu'une enquête de personnalité soit systématiquement réalisée pour que le juge puisse avoir les éléments d'information nécessaires pour exercer son pouvoir de dérogation. À ma grande surprise, vous avez rejeté ces deux amendements, émanant pourtant de la majorité sénatoriale et de son rapporteur, qui est un élu compétent et respecté.
Enfin, votre projet aura des conséquences non-maîtrisées et inquiétantes. Quelles seront les conséquences de votre projet de loi sur la population carcérale ? En réalité, nul ne le sait et vous êtes incapable de répondre à cette question.
Notre rapporteur évoque plusieurs scenarii qui vont « de moins de 8 000 détenus à plus de 10 000 détenus » !
Eh bien non ! l'intendance ne suit plus ! Les prisons françaises sont au bord de l'explosion, et ce n'est pas la suppression de la grâce présidentielle – mesure juste dans le principe – qui va améliorer cette situation. Elle alimentera en conséquence la surpopulation carcérale.
Aucun système ne peut résister à des tensions de cette nature. Vouloir lutter contre la surpopulation carcérale en remplissant les prisons est une politique de gribouille !
Vous nous annoncez, madame la ministre,…
La responsabilité, madame la ministre, puisque vous l’avez appelée de vos vœux dans votre intervention, serait de renoncer aujourd’hui à un texte inefficace qui aura des conséquences catastrophiques sur les prisons françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le texte prévoit la mise en place de peines plancher dès l'action en récidive d' un délit puni de trois ans d'emprisonnement et s'applique à tous dès 1'âge de treize ans. Pour une récidive de vol, la peine plancher sera d'un an d’emprisonnement, abaissée à six mois pour les enfants de treize à dix-huit ans. Ainsi, un adolescent de seize ans, condamné deux fois pour un vol à 1'arraché de téléphone portable, devra par principe, la troisième fois, être condamné à une peine minimale de deux ans d’emprisonnement.
La lutte contre la récidive est une nécessité et nous y adhérons si la sanction s'inscrit dans la prise en charge, dans un objectif de réinsertion de ceux qui ont enfreint la loi.
Notre pays prend un mauvais virage en laissant penser qu'un jeune qui commet trois actes délictueux est inscrit durablement dans la délinquance et deviendrait majeur avant 1' âge.
Avec 1'instauration des peines plancher, le Gouvernement propose de ne juger que les faits, rien que les faits, en niant la personnalité de 1' accusé et les circonstances des actes. Même si les peines ne sont pas totalement automatiques, le système proposé s'en rapproche étrangement. Et force est de constater que le projet de loi rompt avec notre tradition. Cette rupture apparaît d'autant plus flagrante en ce qui concerne la justice des mineurs. Au prétexte que 1'ordonnance de 1945 serait désuète, alors qu'elle a été modifiée une vingtaine de fois et que les mineurs seraient délinquants plus tôt et seraient plus violents, les réformes qui se multiplient et se superposent tendent, les unes après les autres, à faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs.
Pourtant, celle-ci ne date pas de 1'ordonnance de 1945. Ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906, aujourd’hui centenaire, sur la majorité pénale des mineurs, dans la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants ainsi que dans l’ordonnance du 2 février 1945 sur 1'enfance délinquante.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002, a précisé que « 1'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de 1'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, a toujours été reconnue par les lois de la République depuis le début du xxe siècle », mais peut-être allez-vous me dire que nous avons changé de siècle ! Avec ce projet de loi, nous sommes en totale contradiction avec ces principes.
Je n'accepte pas le renoncement à 1'éducation de nos enfants, fussent-ils délinquants récidivistes. Je considère, et nous sommes nombreux dans ce cas, que proposer la prison comme seule réponse aux malaises de nos adolescents violents marque 1'échec de notre société à les accompagner vers 1'insertion sociale. Depuis de nombreuses années, les moyens des secteurs social et éducatif fondent comme neige au soleil, traduction d’une volonté politique déterminée d' affecter tous les crédits au secteur carcéral. Ainsi, lorsqu' un juge des enfants – élu de Seine-Saint-Denis, je parle en connaissance de cause – ordonne une mesure d'assistance éducative pour un enfant en danger, il faut attendre des mois avant qu’elle soit mise en oeuvre. De la même façon, les juges de 1' application des peines et les services pénitentiaires d' insertion et de probation qui sont chargés de la mise en place des mesures alternatives à la prison prononcées par les tribunaux n'ont pas été dotés des moyens à la hauteur de leurs missions.
Dans ce contexte, « constater 1'échec de 1'éducatif pour durcir le système répressif relève de 1' escroquerie et confine à la caricature » selon un communiqué du syndicat de la magistrature.
Animé d' une volonté de produire des effets dissuasifs par un affichage de fermeté, ce texte montre la volonté de faire de la peine d' emprisonnement le centre de la réponse pénale. Contrairement aux propos tenus par certains orateurs qui m’ont précédé, la future pourrait conduire à une augmentation de 10 000 du nombre des détenus. Or chacun sait que la prison n'est pas un lieu de réinsertion, mais celui où 1'exclusion et la violence s'aggravent.
En définitive, ce texte ne correspond pas à la réalité et à la complexité de la récidive. Le travail sur le terrain comme les recherches existantes montrent qu'un programme efficace doit reposer sur quatre volets : meilleure élucidation des actes délinquants par la police ; prévention pour éviter la première infraction ; meilleure application des peines et réforme du code pénal. Quand ce travail sera-t-il mené ? Faudra-t-il attendre que les prisons explosent ? Et comment notre société assume-t-elle le fait que les mineurs récidivistes se trouvent confrontés à un tel environnement ?
Telles sont les questions que nous devrions nous poser ! Au-delà de l’affichage, votre texte restera inefficace et inopérant, et représente un danger pour l’avenir de notre jeunesse et celui de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ainsi, entre 2000 et 2005, le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 68,5 % . Quel responsable politique pourrait se satisfaire de cette situation ? Il nous appartient donc de tout mettre en œuvre pour lutter contre ce fléau. C’était d’ailleurs l’un des engagements du Président de la République. Il nous faut aujourd’hui parachever la loi du 12 décembre 2005 qui a, pour l’essentiel, limité à deux le nombre des condamnations assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve pouvant être prononcées à l’encontre d’un prévenu en situation de récidive correctionnelle. Elle a également réduit de manière significative le crédit de réduction de peine pour les récidivistes.
Comme vous l’avez déclaré, madame la garde des sceaux, en présentant le projet de loi au conseil des ministres, le meilleur moyen de prévenir la récidive, c’est de faire un sort particulier aux récidivistes dans la pratique des magistrats et dans l’esprit du public. En fixant des peines minimales, le projet exprime une politique pénale claire et envoie un système de fermeté à tous les délinquants.
Votre projet comprend trois volets. Premièrement, il instaure des peines minimales, dites peines plancher, applicables aux majeurs et aux mineurs récidivistes d’actes graves qui portent le plus atteinte à l’ordre public.
Deuxièmement, il réduit l’application automatique de l’excuse atténuante de minorité pour les mineurs récidivistes de plus de seize ans.
Troisièmement, il généralise pour les délinquants présentant des pathologies la mesure d’injonction de soins.
Pour ce qui est communément convenu d’appeler les peines plancher, quelques réactions négatives émanant de certains milieux judiciaires et éducatifs, trop ancrés dans leur certitude que la répression ne sert à rien, relèvent d’une idéologie dépassée.
À l’évidence, votre projet, n’en déplaise à quelques beaux esprits, est équilibré et respectueux du principe constitutionnel de l’individualisation de la peine.
Il est équilibré car il comporte une graduation suivant la gravité de l’infraction et le nombre de récidives. Pour tenir compte de la gravité de l’infraction, le texte prévoit en effet, en matière criminelle comme en matière correctionnelle, des peines échelonnées en fonction de la peine encourue. C’est une graduation logique et, nous le pensons, dissuasive.
De plus, le projet de loi tient compte du nombre de récidives pour autoriser le juge à descendre au-dessous du seuil minimum. Lorsqu’il s’agit d’une première récidive, le juge pourra s’affranchir du minimum de la peine en raison des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et de ses garanties d’insertion ou de réinsertion.
En revanche, lorsqu’il s’agit d’une deuxième récidive, qui signe davantage l’ancrage dans la voie de la délinquance, puisqu’il s’agit d’un troisième fait qui ne tient pas compte des deux premiers avertissements, le juge ne pourra descendre en dessous du seuil minimal que lorsque le prévenu présente « des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. »
Mais, pour cela, il faudra que le juge motive sa décision de manière argumentée, sans se contenter d’attendus de style qui videraient de sa substance l’esprit de notre loi. Il est du devoir, voire de la responsabilité, du juge de motiver sa décision pour infliger des peines inférieures à celles édictées par le législateur, seul détenteur – faut-il le rappeler – de la volonté générale qui s’est largement exprimée lors des dernières élections, présidentielle et législatives.
Et si, par extraordinaire – ce que je ne veux pas croire – les juridictions correctionnelles, ici ou là, n’appliquaient pas la loi dans toute sa rigueur, il vous appartiendrait, madame la garde des sceaux, d’une manière générale par voie de circulaire ou, le cas échéant, d’une manière particulière par voie d’instruction individuelle, de faire relever appel des décisions non conformes au texte, à l’esprit de la loi et aux cas soumis aux magistrats.
Cela étant, cette sévérité accrue en matière de récidive respecte pleinement le principe à valeur constitutionnelle de l’individualisation de la peine, puisque de manière, certes encadrée, le juge peut descendre au-dessous de la peine plancher. Il est donc erroné d’assimiler ces peines plancher à des peines automatiques, prohibées par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui proclame le principe de la nécessité des peines.
J’ai vu fonctionner le principe des peines automatiques dans certains États des États-unis. Le juge américain est parfois réduit à être un simple distributeur automatique de sanctions. Il applique le sentencing guidelines – le guide des sentences – en se contentant d’additionner les années de prison suivant le barème du guide. Qui plus est, dans quelques États, s’applique toujours la terrible règle dite de three strikes and you are out ; autrement dit, à la troisième infraction, même bénigne, un récidiviste se verra condamner à la réclusion criminelle à perpétuité avec en prime la règle de l’emprisonment without parole c’est-à-dire sans aucune possibilité de libération conditionnelle.
Vous voyez, mes chers collègues, que le projet de loi est aux antipodes d’une justice distribuant aveuglément des sanctions et remplissant les prisons sans discernement. Soyons objectifs et ne polémiquons pas : ce projet est conforme à nos principes. Il tient compte de l’évolution de la criminalité pour adapter notre système judiciaire aux nouvelles formes de délinquance, tout en restant attaché à l’individualisation de la peine.
L’on est en droit d’attendre que la justice des mineurs applique dans toute sa rigueur ce nouveau dispositif qui concernera le noyau dur de la délinquance qu’on a peine à qualifier encore de « juvénile » tant les infractions sont de plus en plus graves.
Enfin, madame la garde des sceaux, vous prenez, en compte, de manière très opportune, la double caractéristique de certains auteurs d’infraction, à la fois délinquants et malades. Leur pathologie, notamment en matière sexuelle, étant directement à l’origine de leur délinquance, vous rendez obligatoire l’injonction de soins et vous prévoyez, en cas de refus, la suppression du bénéfice des réductions de peine.
Je terminerai mon intervention, madame la garde des sceaux, en faisant le vœu que vous promouviez le bracelet électronique mobile comme moyen de lutte contre la récidive. En tant que chargé de mission de ce dispositif très novateur, j’ai pu en mesurer l’efficacité, notamment aux États-unis. Cette fois-ci l’exemple est bon.
En tout cas, soyez assurée que le député, mais aussi le magistrat que je suis, votera sans état d’âme votre projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Pensez-vous réellement résoudre le problème de la récidive avec votre projet de loi ?
Vous évoquez, madame la garde des sceaux, une « inquiétude justifiée ». Votre inquiétude, nous la partageons. Donc, pas de faux procès ! Il n’y a pas les angéliques d’un côté et les responsables de l’autre. La récidive est un sujet grave, qui appelle des solutions réfléchies. Or, à nos yeux, il n’existe rien de plus irréfléchi que l’automaticité de la peine dont votre texte va faire la règle, sinon en droit, du moins de fait.
Les chiffres que vous citez démontrent l’inefficacité de l’inflation législative. La majorité précédente a fait voter la loi Perben de 2002, la loi Perben de 2004, la loi sur la récidive de 2005, puis la loi sur la prévention de la délinquance en 2007. Nous examinons aujourd’hui la cinquième loi destinée à réprimer la récidive des majeurs et des mineurs. S’appuyant sur la même logique, avec un cran supplémentaire dans l’échelle de la répression, pourquoi donnerait-elle des résultats alors que les précédentes ont échoué ? Cette superposition de dispositifs répressifs traduit en fait votre impuissance.
De même, entre 2000 et 2005, le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 70 % à 150 %, selon la nature des crimes et délits. Le nombre de mineurs concernés a aussi connu une hausse. Aux critiques de l’opposition vous demandant qui était ministre de l’intérieur durant la précédente législature, vous répondez que le gouvernement a fait son travail, qu’il y a eu davantage d’arrestations et que les juges ont sévi, ce qui est d’autant plus exact qu’il n’y a jamais eu autant de mises en prison pour de petites peines que durant les cinq dernières années.
Vous nous présentez aujourd’hui une cinquième loi sur la récidive, une loi de plus, et, comme l’a dit notre collègue Mamère, une loi de trop. Surtout, cette loi est une loi de renoncement. Car si la récidive est au cœur de la problématique – M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur, M. Valls l’ont tous souligné –, la vraie question est sans doute moins de la punir que de la prévenir, et les peines plancher ne contribueront pas à cet objectif essentiel. Robert Badinter l’a remarquablement démontré au Sénat : la récidive est une faute du récidiviste, mais c’est aussi un échec qui le dépasse, un échec familial et social, un échec de l’institution judiciaire elle-même.
Les criminologues disent presque unanimement que le durcissement des peines prononcées ne réduira pas le taux de récidive. Les experts, les magistrats, les professionnels du secteur judiciaire et pénitentiaire savent bien quels sont les facteurs de dissuasion. Le premier, le plus important sans doute, est que les peines prononcées soient exécutées. Or, faute de moyens, moins de 42 % le sont. Cette défaillance de la première réponse pénale est, à nos yeux, l’une des causes majeures de la récidive aujourd’hui. Et vous ne proposez, madame la ministre, aucun moyen d’améliorer l’efficacité de cette première sanction.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer, derrière vos intentions – pour certaines louables comme la loi pénitentiaire – , que la lettre de cadrage budgétaire adressée par le Premier ministre vous permet d’engager une évolution de votre budget susceptible de répondre à un certain nombre de vos objectifs ?
Vous pouvez toujours tenir de grands discours, vous pouvez toujours faire comme si certains des faits de délinquance qui exaspèrent le plus les Français n’étaient pas imputables à des adolescents de treize-quatorze ans, vis-à-vis desquels votre texte est totalement inopérant, vous pouvez toujours prétendre régler tous les problèmes des récidivistes, y compris en prenant des exemples dramatiques, mais si vous continuez ainsi et que les moyens ne suivent pas, le prix à payer sera très lourd. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il faut dire les choses comme elles sont.
L’échec de votre réforme, madame la ministre, est inscrite dans sa logique, parce que vous refusez de tirer les leçons de ce qui s’est passé ces dernières années.
Vous obtiendrez ainsi un résultat inverse de celui que vous visez. Vous déstabiliserez une tradition pénale qui fait le pari de la réparation des fautes et de la réhabilitation des hommes. Je parle de « pari », car il n’est pas gagné à chaque fois, nous le savons. Mais en tournant le dos à l’individualisation de la peine, en faisant la part belle à des sanctions uniformisées, en remplissant davantage encore des prisons bondées – où mettrez-vous les futurs prévenus ? –, vous contraindrez les juges à mal faire leur travail et vous serez responsable d’un recul de notre justice et donc de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Malgré le coup d’arrêt donné à la délinquance, le bilan des cinq dernières années a malheureusement démontré que la modernisation et l’amélioration des actions de la police et de la gendarmerie ne suffisaient pas si elles ne s'accompagnaient pas d'une réforme en profondeur de notre justice. La faiblesse de notre État régalien, malgré les réformes entreprises entre 2002 et 2007, s'explique, nous le savons tous, par la décrépitude de notre institution judiciaire. Élu de l'Essonne, département tant négligé par votre ministère, je pourrais témoigner de situations aussi abracadabrantes que scandaleuses, madame la ministre. Mais je vous recommande plutôt la lecture du rapport édifiant que le président de notre commission des lois, M. Warsmann, a publié sur le fonctionnement du tribunal d'Évry. Il est vital pour la paix civile dans notre pays de reconstruire l’institution judiciaire. Et nous nous accordons tous sur cet objectif.
Dans ces conditions, votre projet de loi, madame la ministre, ne peut être qu'une étape, j'allais dire un symbole, tant il est nécessaire d’aller plus loin dans les prochains mois. Bien sûr, je le voterai car il représente un premier pas contre cette culture de l'excuse permanente qui, au fil du temps, a décrédibilisé notre État de droit. Mais, soyons francs, il n'est en rien synonyme du « tout répressif », contrairement à ce qu'en dit la gauche. Nous sommes loin de la proposition de loi Estrosi, que bon nombre d’entre nous avait signée : il n'y a pas de peines plancher automatiques, les peines minimales possibles sont faibles, enfin, l'atténuation de l'excuse de minorité est très encadrée.
Mais si ce texte pouvait faire comprendre aux magistrats qu'il n'y a pas de prévention sans sanction et surtout que l'on ne peut plus, comme c'est encore le cas, laisser en liberté en toute impunité tant de délinquants, nous aurons collectivement fait un premier pas. Si la gauche a tort de crier contre un projet si modéré, la majorité devrait faire attention à ne pas croire que ces dispositions permettront de vaincre la récidive. Nous savons tous sur ces bancs – et les Français aussi, croyez-moi – que rien ne pourra se faire sans une série de réformes en profondeur. C’est la condition pour éviter que votre projet de loi ne reste un simple symbole de votre sincère volonté de lutter contre la récidive et qu’il n’aboutisse à un feu de paille et une immense déception parmi nos concitoyens.
Nous ne pourrons pas éluder la question des moyens financiers. Nous savons tous qu’il faudrait doubler le budget de votre ministère pour atteindre le niveau par habitant de l'Allemagne ou de l’Angleterre. Nous aurions dû le faire entre 2002 et 2007. La gauche ne l’a pas fait avant 2002. En aurons-nous les moyens demain ? Quelles sont les prévisions budgétaires pour les prochaines années ? Voilà la question clef, car sans greffiers et magistrats supplémentaires, pas de raccourcissement de délai. Or, aujourd’hui, il faut attendre environ un an –parfois davantage – avant qu’une affaire soit traitée. Agir sur les causes de la récidive, cela signifie bien évidemment accélérer le fonctionnement de la justice. Je vous invite à cet égard, madame la ministre, à parcourir les couloirs du tribunal d’Évry où s’entassent du sol au plafond des dossiers non traités et où les décisions de justice ne sont pas exécutées faute de greffiers pour les retranscrire.
Deuxième question : l'exécution des décisions de justice. Y a-t-il un autre pays occidental où le nombre de peines non appliquées est aussi élevé qu’en France ? Je ne le crois pas. Je me réjouis à cet égard de la décision du président Warsmann de s’efforcer de suivre l’exécution des décisions de justice tribunal par tribunal afin que l’on sache où la justice est appliquée dans notre pays et où elle ne l’est pas. Il faudrait revoir les inégalités considérables entre les tribunaux et veiller à ce que ceux qui se trouvent dans des juridictions où il y a le plus de faits de délinquance soient enfin équipés correctement.
La troisième question, majeure, concerne les prisons. Vous nous avez promis une loi pénitentiaire, loi que promet chaque nouveau gouvernement, quelle que soit sa couleur politique. Quand cessera-t-on dans notre pays de répéter que la prison ne sert à rien ? Si la prison ne sert à rien, à quoi servons-nous donc et à quoi servent les décisions de justice ? Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que la prison est la solution à tout. En revanche, il ne vous aura pas échappé que nous avons besoin de 20 000 à 30 000 places supplémentaires, dans les établissements pénitentiaires mais aussi dans des maisons d'éducation fermées pour mineurs.
Par ailleurs, comment parler de récidive sans parler de réinsertion et des moyens mis en œuvre pour éviter aux primo-délinquants de sombrer dans la récidive ?
Enfin, il y a une dernière chose qu’il faudra un jour évoquer dans cet hémicycle, c’est la question de la drogue – ses trafics, l’argent issu de ses trafics, ses circuits financiers de blanchiment, les pays qui la produisent et dont certains sont nos amis –, question qui est au cœur du malaise de la justice et de notre société. J’aimerais que l’on pose cette question centrale de la drogue car, comment vouloir parler de la récidive, de la délinquance, de la sécurité et du mieux-être de nos cités, tant qu’on ne l’aborde pas.
Le texte que vous nous soumettez est inutile et redondant. Présenté comme l'expression de l'engagement du Président de la République, il n'est que le dixième, depuis 2002, à traiter de la sécurité. Le rituel est désormais bien établi : à peine la session extraordinaire est-elle commencée qu'on nous inflige une nouvelle réforme du code pénal et de l'ordonnance de 1945 !
En présentant ce texte, vous démontrez d'abord l'échec de la politique du « tout sécuritaire » du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy. L'insécurité n'a pas baissé. Les prisons sont bondées. Trois cents voitures ont été brûlées le week-end dernier, rappelant que le feu couve toujours depuis les émeutes de novembre 2005.
Allez-vous enfin prendre le temps d’évaluer cette politique fondée sur la dictature de l'émotion et le traitement médiatique de l'insécurité ?
Durant les trois dernières années, nous avons examiné pas moins de trois textes sur la lutte contre la récidive : la loi Perben II en mars 2004, puis celui de votre prédécesseur, Pascal Clément, en décembre 2005 et, il y a quelques mois, celui du ministre candidat sur la prévention de la délinquance, sur lequel vous avez beaucoup travaillé, où la récidive était mise en exergue. Aucune évaluation de ces lois n'a été faite. Elles sont à peine appliquées que vous en soumettez une nouvelle ! Trop de lois tuent la loi.
C’est aussi un texte de défiance à l'encontre de la magistrature, une injure aux juges qui font leur travail dans des conditions précaires. Associations et syndicats de magistrats refusent en effet l'instauration des peines plancher. Vous estimez que les décisions des magistrats ne satisfont pas aux injonctions du Président de la République. Drôle de manière de respecter la séparation des pouvoirs !
Le Président de la République s'est engagé dans une sorte de guérilla judiciaire, qui consiste à dresser l'opinion contre les juges et les médias contre le droit. Lorsqu'il prend à témoin la nation, le chef de l’État met ces juges en demeure de s'aligner, sinon il les stigmatise. Si le juge décide, en son âme et conscience, de ne pas appliquer la peine plancher, il prend un risque. Si le récidiviste commet un nouveau crime ou délit, qui verra sa responsabilité engagée sinon le magistrat alors dépouillé de ses prérogatives ? Votre texte sous-entend à tout moment que les juges sont laxistes et qu'ils n'appliquent pas, ou mal, la loi.
Cet engorgement carcéral sera renforcé car les juges ne pourront pas appliquer, de fait, ces dispositions en procédure de comparution immédiate, ordinairement privilégiée dans les cas de récidive. Le tribunal devra alors renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir sans juger l'affaire et une enquête de personnalité, confiée à un juge d'instruction ou reprise en préliminaire par le procureur, recherchera s'il existe des garanties de réinsertion. On aboutira ainsi à un allongement spectaculaire des délais de jugement en matière pénale et un encombrement ingérable des cabinets d'instruction.
Ce texte est dangereux et va à l'encontre d'une justice moderne et responsable. Le rapport sur la récidive, rédigé par la commission d'analyse et de suivi de la récidive, rappelle que les peines plancher instaurées aux États-Unis et au Canada n'ont pas eu les effets escomptés. Après avoir montré leur totale inefficacité en matière de dissuasion, leur coût exorbitant pour les finances publiques et la désorganisation dont elles ont été la cause dans les administrations pénitentiaires des pays concernés, elles sont partout en voie de démantèlement : la Grande-Bretagne permet au juge d'y déroger très facilement, l'Australie et plusieurs États américains les ont supprimées par divers moyens.
Madame la garde des sceaux, votre texte porte atteinte à plusieurs de nos principes constitutionnels. D’abord, il inverse notre logique judiciaire et sacrifie la spécificité de la justice des mineurs sur l'autel de la surenchère médiatique. Le juge devra motiver, non plus la privation de liberté, mais le maintien en liberté. Ensuite, le principe de l'individualisation de la peine devient l'exception. L'individualisation de la peine vaut a fortiori pour les mineurs, qui impose de tenir compte de l'évolution personnelle des adolescents en cause. Leur appliquer des peines plancher, c'est admettre leur exclusion. La rupture est encore plus flagrante si l'on s'attache à la justice des mineurs. Au prétexte que l'ordonnance de 1945 est désuète, alors qu'elle a été modifiée plus de vingt fois, au prétexte que la délinquance est plus précoce et plus violente, on veut la réformer une nouvelle fois.
Avec ce projet de loi, madame la garde des sceaux, vous jouez avec le feu. Lutter contre ce phénomène est avant tout affaire de moyens pour réussir la réinsertion, pas pour créer de nouveaux foyers de délinquance. Là où il faudrait de la volonté politique, vous rajoutez à des fins idéologiques une couche à la longue série des textes inapplicables. Nous ne voterons donc pas ce mauvais texte de circonstance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Difficile en raison de l’état de l’opinion qui s’est exprimée sur les questions de sécurité lors des dernières consultations électorales et qui exige aujourd’hui que tous les moyens juridiques, matériels et humains soient mis en œuvre pour lutter contre le nombre croissant de récidives, en particulier celles commises par les mineurs.
Difficile car les principes fondamentaux de notre droit, nos engagements internationaux nous appellent au respect de principes juridiques tels que l’individualisation des peines ou encore les règles spécifiques qui régissent la justice des mineurs.
Aujourd’hui, vous nous proposez un texte qui, à mes yeux, répond aux exigences de sécurité et de protection des Français, tout en respectant des règles fondamentales de notre droit.
Cela a été dit, la récidive est toujours un échec. Pour les Français, elle traduit l’échec du système judiciaire qui n’a pas su ou pu faire comprendre aux délinquants ce qu’est une sanction pénale et le risque que représentent pour lui et pour la société une récidive ou une réitération.
Pour le législateur, elle traduit l’échec d’un dispositif législatif sans doute inadapté, insuffisant pour contraindre les délinquants, les empêcher de commettre à nouveau des faits délictuels ou criminels.
Mais c’est surtout un échec pour notre société. C’est l’échec des politiques de sanction, mais aussi de prévention mises en œuvre par la puissance publique. C’est en fait l’échec du pacte social.
Enfin, c’est un échec humain. C’est un échec pour l’auteur des infractions, c’est toujours l’échec de l’insertion, c’est l’échec d’une vie, celle du récidiviste mais aussi celle de sa famille.
C’est aujourd’hui l’honneur du Gouvernement que de tenter d’apporter une réponse nouvelle à cette question…
La première question, c’est celle de la personnalisation et de l’individualisation de la peine. C’est un vieux principe issu de la tradition personnaliste et humaniste de notre droit. Contrairement aux commentaires que nous venons d’entendre, si souvent erronées, ce texte n’instaure pas de sanction mécanique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Tout d’abord, le juge pourra prononcer une sanction inférieure à la peine plancher. Il aura pour seule obligation nouvelle de motiver cette décision au regard de la personnalité de l’auteur de la nature de l’infraction ou de sa capacité de réinsertion.
Enfin, le juge pourra toujours, nonobstant le plancher fixé par la loi, avec une motivation expresse, comme pour les majeurs, prononcer une peine inférieure à la peine plancher et faire bénéficier le mineur de l’excuse de minorité inscrite dans l’ordonnance de 1945.
Au regard de ces arguments, les critiques avancées contre le texte ne tiennent pas.
On dit ce texte inutile. Mais l’arsenal législatif serait-il suffisant ? À moins de désespérer de l’utilité et de l’autorité de la loi pénale, le nombre de récidives et leur gravité exigent aujourd’hui un renforcement des dispositions existantes, notamment de compléter les lois du 12 décembre 2005 et du 5 mars 2007.
On dit aussi ce texte vexatoire pour les magistrats. Mais, à moins de vouloir établir un pouvoir judiciaire supérieur au pouvoir législatif, la loi est votée pour fixer un cadre, des limites et surtout des obligations spécifiques aux magistrats qui sont en charge de rendre la justice. D’ailleurs, l’exigence de motivation résulte du droit européen, exigence largement reprise par la jurisprudence de la cour de cassation.
Pour les raisons que je viens d’évoquer, mais surtout pour la dernière, le projet que vous nous proposez recueillera un large soutien de notre majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ainsi, au mépris de toute analyse juridique, le texte mélange tous les types de récidive. Ainsi, en matière de récidive criminelle, il prévoit des peines plancher très en dessous de celles que les tribunaux prononcent. La récidive criminelle étant une récidive générale et perpétuelle, n’oublions pas qu’elle amène au prononcé de peines très sévères, même si elles sont statistiquement peu nombreuses.
Votre idéologie vous conduit encore à méconnaître les différents types de récidive. La récidive des mineurs est le fait d’une toute petite fraction de mineurs délinquants qui ne craignent plus ni Dieu ni diable et qui, même à quelques-uns, sont capables de « pourrir » complètement la vie d’un quartier. Le texte n’appréhende pas leur cas de façon spécifique. Aucune politique n’est mise en place pour y répondre.
Bien différente est la récidive des majeurs, que vous appréhendez aussi de manière indifférenciée. Elle est le fait de voleurs surtout et de personnes conduisant en état d’ivresse. Le rapport signale que les délinquants sexuels à qui l’on attribue une propension très marquée à la récidive et à la réitération ne sont que fort peu récidivistes et peu réitérants. Il faut s’en souvenir quand l’image que nous nous faisons du délinquant est celle d’un violeur ou d’un assassin en série : cela ne correspond pas à la réalité.
La réalité du phénomène criminel et de la population délinquante est ignorée. Le risque est donc grand d’échouer dans la lutte contre la récidive, objectif que nous partageons tous.
Aucune évaluation non plus n’a été réalisée sur les flux pénitentiaires qui découleront de cette loi. Aucune étude d’impact n’a été menée. Je sais parfaitement que M. Tournier, le spécialiste de ces questions, a défini trois scénarios possibles.
Tout a été dit également...
En définitive, votre projet, madame la ministre, est plus dangereux qu’autre chose. Par idéologie, il rouvre le débat sur la délinquance qui accapare l’espace public depuis des années. Vous risquez fort d’ouvrir une boîte de Pandore, l’opinion publique ne comprenant pas les distinctions subtiles entre récidive et réitération, ni l’absence de réponse, faute de moyens, à la délinquance des mineurs. Elle ne comprendra pas non plus que les peines quasi automatiques promises pendant la campagne électorale ne le soient pas, ou que, si elles le sont, elles soient frappées d’inconstitutionnalité. Tout cela sera bien difficile à expliquer, ce qui est fort regrettable car c’est précisément sur ces thèmes que l’opinion ne comprend pas toujours la politique menée, quels que soient les gouvernements.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, mes chers collègues, nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
En dix ans, le nombre des ministres mis en cause (Rires sur de nombreux bancs)…
Pardonnez ce lapsus. En dix ans, disais-je, le nombre des mineurs mis en cause par les services de police et les unités de gendarmerie pour des atteintes aux personnes a augmenté de plus de 120 %. Rien qu’entre 2005 et 2006, la hausse a été de 17 %.
L'augmentation de la violence des mineurs n'est malheureusement pas une vue de l'esprit. Certes, le nombre de faits de violence reste encore très limité au regard de la délinquance de masse que représentent les atteintes aux biens. Toutefois, leur banalisation – de nombreux jeunes y recourent en vue de régler de petits différends – doivent nous interpeller. Il n'est plus admissible que quelques individus utilisent la violence, la contrainte, la menace et l'intimidation pour imposer leur loi sur un territoire. Notre société ne peut accepter une telle remise en cause du pacte social.
Aujourd'hui, ces violences sont malheureusement trop souvent commises par des mineurs déjà connus pour des faits de délinquance. Certes, tous ne sont pas nécessairement en état de récidive légale, mais seulement en réitération. C'est bien pourquoi le débat sur la récidive est si difficile.
La définition de la récidive est si stricte que les études sur ce sujet sont rares, ce qui rend le phénomène difficile à évaluer. Plus que les statistiques sur la récidive légale, il faudrait plutôt se pencher sur celles recouvrant la notion plus large d’antécédent criminel ou délictuel.
Ainsi, parmi les 357 440 personnes condamnées en 2004 pour délit, 111 156 – soit un taux de 31 % – avaient déjà été condamnées au moins une fois depuis l'année 2000. Ce taux monte à 43 % pour les outrages ou à 32 % pour les violences volontaires.
Une étude conduite en 2005 par la direction départementale de la sécurité publique des Yvelines a dénombré 1 257 réitérants sur le département. Sur cette population, 195 personnes ont été mises en cause entre quatre et quinze fois.
Votre texte marque une étape importante, madame la ministre, et s’inscrit dans le cadre d’une politique publique de sécurité globale. Il a le mérite de se placer du côté des victimes tout en envoyant un signal fort aux délinquants.
Après les nombreuses réformes effectuées au sein de la police et de la gendarmerie nationales, et les résultats encourageants obtenus au cours des cinq dernières années dans la lutte contre la criminalité, il était indispensable que la justice puisse mieux prendre en compte les évolutions de la délinquance. Le travail de la police serait en effet limité à moyen terme si les autres acteurs de la lutte contre la délinquance ne suivaient pas le même rythme...
Au regard de l'évolution de la délinquance des mineurs, et plus globalement de la criminalité dans notre pays, il n'est pas incongru, ni scandaleux, de durcir notre réponse pénale.
Enfin, et c'est peut-être là le plus important dans votre projet de loi, madame la ministre, vous avez le courage de rompre avec la culture de l'excuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire - Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Les adultes, et plus largement la société, ont pour devoir de fixer les limites à ne pas franchir. Et c'est justement en considérant les adolescents comme des êtres susceptibles de comprendre la portée de leurs actes, au lieu de croire incapables de penser par eux-mêmes, que la réponse de l'État peut avoir un sens.
C'est au regard de cette réalité, de ces échecs passés, de la gravité d'une situation qui n'a plus rien à voir avec celle d'il y a vingt ou même dix ans, qu'il faut examiner le texte.
Vous nous dites, madame la ministre, vouloir « compléter le dispositif législatif [...] afin de disposer des moyens adéquats pour lutter contre la récidive ». Qui peut s’opposer à une telle intention ? Mais examinons les faits, rien que les faits, toujours les faits.
Le 13 avril dernier, le corps sans vie de Sophie Gravaud était retrouvé. Ce crime odieux nous a toutes et tous révoltés. Le Président de la République s'est fait l'interprète de l'émotion et de l’indignation partagées par l'ensemble de la représentation nationale en recevant la famille de la victime à l'Élysée le 1er juin dernier. Le geste n’était que symbolique, mais il était justifié. À cette occasion, le Président de la République – je cite le communiqué de presse – « a rappelé sa détermination à ce que les peines applicables aux délinquants multirécidivistes soient à la hauteur des drames qu'ils génèrent. »
Voilà qui mérite que l'on s'y arrête un instant, car, en l'espèce, l'enlèvement et la séquestration suivie de mort de cette jeune femme ne peuvent être invoqués pour soutenir le projet de loi sur les peines plancher. Le dispositif juridique que vous proposez proposé ne pourrait pas s’appliquer à celui qui a avoué le crime inqualifiable qui a coûté la vie à Sophie Gravaud. Récidiviste, il l'était au sens commun, mais, mis en examen en 2004 pour viol sur une mineure de dix-sept ans et placé sous contrôle judiciaire, il n’était pas en état de récidive légale, telle que définie par le code pénal.
Vous objecterez que c'est la lenteur de la justice qui est en cause lorsque, trois ans après une affaire, aucun jugement n'a été prononcé et vous aurez raison.
Mais voilà la faille de ce projet de loi. Cette faille, c’est celle de l’écart béant qui existe entre la fermeté proclamée devant l’opinion publique et le contenu d’un projet de loi qui ne s’attaque pas aux vrais problèmes. On pourra toujours multiplier les symboles, avoir un mot de sympathie pour les familles, exprimer la compassion de la communauté nationale, inviter les victimes à la Garden-party du 14 juillet, cela ne réglera rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce texte, soumis en urgence au Parlement, aboutira à envoyer quelque 160 mineurs de plus par an en prison.
En effet, en 2005, 317 mineurs ont été condamnés en état de récidive légale ; or, en raison des peines plancher, ils ne seront plus 49,8 % à être condamnés à l'emprisonnement, mais 100 %.
L'enfermement de 160 mineurs n'est pas rien, mais je serais tentée de dire : « Tout ça pour ça ! ». Si l'épineux problème des mineurs récidivistes est si limité, ne pouviez-vous pas donner vos instructions par l’intermédiaire des directives pénales dont vous avez annoncé la mise en place ?
On compte par milliers ceux qui se sont installés dans une violence omnipotente, commettent délits sur délits et ont été arrêtés des dizaines de fois par les services de police. Les peines plancher – dont nous discutons par ailleurs le fondement et la philosophie – ne les concernent pas, alors que ce sont précisément ces situations qui provoquent l'exaspération légitime de nos concitoyens.
En effet, chaque mot compte. Et avec ce texte, vous jouez en réalité sur le vocabulaire et sur l'écart existant entre le sens commun et le sens juridique des termes « récidive » et « multirécidive ». Ces subtilités sémantiques risquent de tromper l'opinion publique : votre texte laisse en effet pendante la question de cette délinquance endurcie qui ne satisfait pas toujours aux critères de la récidive légale. Vous l’écrivez en toutes lettres dans votre rapport, monsieur le rapporteur : la récidive légale ne se confond pas avec la réitération. Et comme l'a rappelé mon collègue Manuel Valls – à qui personne, sur les bancs de la majorité, n’a répondu –…
Ce projet de loi s’inscrit dans la stricte continuité des quatre modifications de l'ordonnance de 1945 que l'actuelle majorité a approuvées au cours des cinq dernières années : il n’apporte aucune réponse à l'augmentation rapide de la délinquance des mineurs. Pourtant, le diagnostic est établi depuis longtemps : des réponses illisibles, des sanctions purement formelles, des condamnations tardives, d'un côté un sentiment d'impunité, de l'autre l’impasse de l'enfermement, et des moyens indigents attribués à la justice et à la prévention. Combien de commissions d'enquête et de missions parlementaires ont dressé ces mêmes constats depuis vingt ans ? On ne les compte plus !
Lorsqu'on examine les dossiers des mineurs mis en cause pour des violences graves contre des personnes, on s’aperçoit que les multiréitérants sont nombreux. S'en tenir au principe de la peine à infliger à l’énième infraction est une façon de poser le problème à l'envers et de renoncer à protéger les victimes et la société.
La sanction ferme prononcée dès le premier délit : voici l’alternative rigoureuse et pragmatique que nous proposons. Elle passe par la mise en place massive de centres éducatifs renforcés où même de centres éducatifs fermés, avec des tuteurs référents susceptibles de suivre dans la durée les mineurs soumis à des sanctions éducatives. Elle passe aussi par une prévention précoce, permettant d’intervenir dès la première alerte.
L'insécurité était, l’on s'en souvient, le thème majeur de la campagne présidentielle de 2002. Dans ses fonctions de ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy a su apporter rapidement de vraies réponses, pragmatiques et réalistes, à ce fléau qui touche tous nos concitoyens. II a su redonner confiance à la police en lui donnant les moyens d'agir. Mais ces moyens accrus et la bonne utilisation qui en a été faite ont démontré que le problème de l'insécurité comportait de multiples facettes et que la lutte contre ce phénomène devait être permanente et évolutive.
Il est vrai que l'insécurité demeure une réalité. La récidive en est l'une des causes les plus insupportables. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 2000 et 2005, les condamnations en récidive ont augmenté de 70 % pour les crimes et délits et de 145 % pour les délits violents. Par ailleurs, 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq années qui suivent. Il convient d'ajouter à cela le « chiffre noir » de la délinquance des mineurs ignorée des forces de police et de gendarmerie.
Il est grand temps de stopper cet engrenage de la violence et de mettre un terme à ces « noyaux suractifs de délinquance » – pour reprendre l'expression du sociologue Sébastian Roché –, au sein desquels 5 % des jeunes commettent plus de 50 % des infractions. Nous avons une obligation de résultat, l’obligation de faire cesser la banalisation de la violence.
Qu'est-ce en effet que la récidive, sinon la banalisation d’un comportement grave et dangereux ? Aujourd'hui, des citoyens sont assassinés pour avoir soutenu un regard, refusé de donner une cigarette ou simplement avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. La violence gratuite côtoie désormais la violence acquisitive – les vols avec violence –, la violence prédatrice – les conflits entre bandes – et la violence « protomafieuse » – les assassinats de dealers concurrents. La violence accompagne quasi-systématiquement le vol à la dépouille, les comportements agressifs anti-institutionnels et les conflits entre bandes rivales. Elle est devenue totalement disproportionnée avec les faits ou l'attitude qui la motivent. Selon Lucienne Bui-Trong, ancienne responsable de la section « Villes et banlieues » à la direction centrale des renseignements généraux, on voit maintenant des enfants, des personnes âgées ou des infirmes être attaqués, ou encore des groupes agresser un individu seul. C'est le retour de la violence non régulée et de la cruauté. La récidive procure aux délinquants un véritable sentiment d'impunité. C'est d'ailleurs au sein des zones urbaines sensibles et des banlieues que cet état de fait est le plus symptomatique. Tous les jours, la population manifeste son exaspération, mais elle préfère souvent adopter une stratégie de délitement face à l'incapacité des autorités à apporter une réponse appropriée. Or n'est-ce pas le devoir de la justice que de protéger en priorité les plus faibles ? Les forces de police elles-mêmes sont démoralisées : pourquoi arrêter aujourd'hui un délinquant qui sera relâché demain ?
Notre vocabulaire porte la trace de cette dépréciation de la justice, les « incivilités » ayant remplacé les petits « délits ». Il faut d’ailleurs se garder d’user de dévaluations sémantiques pour masquer une réalité bien sombre ; il n'y a pas de petite délinquance, mais de l'insécurité tout court.
Certains jugeront que ce projet de loi est une énième réforme pénale dont les dispositions ne produiront pas les effets escomptés. Ils se trompent. En effet, aucun des textes précédents ne s’est attaqué à la récidive avec cette ambition et cette audace. Par sa fermeté, son équilibre et ses objectifs clairement affichés, cette nouvelle loi amènera le délinquant à intérioriser la sanction pénale, ce qui est le meilleur outil de dissuasion et de prévention. Désormais, le récidiviste saura précisément ce qu'il encourt.
Avec ce projet, vous avez su, madame la ministre, concilier la répression et la prévention, notamment à l'égard des mineurs. Vous êtes sortie de la posture ubuesque qui a trop longtemps conduit certains à vouloir éduquer sans sanctionner et d’autres à vouloir sanctionner sans éduquer. Partant du constat que les fonctions rétributive et intimidante de la peine ne jouent plus, vous avez réaffirmé clairement le principe de l'emprisonnement, tout en respectant les grands principes de l'ordonnance de 1945.
L'objet de ce texte recoupe cependant un autre enjeu de la politique pénale, aussi important sans doute : celui de l'effectivité des peines. J'attire donc votre attention sur l'attente de nos concitoyens en la matière : une peine non exécutée contribue très largement à accroître le sentiment d'impunité. Là encore, madame la ministre, je suis convaincu que vous saurez allier fermeté et justice pour que ce texte reçoive dans les faits une application large et efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Elle se répète parce qu’il y a quelques années, quasiment jour pour jour, nous étions convoqués par un nouveau Président de la République. Au banc du Gouvernement siégeait un ministre de l’intérieur flambant, avec un ministre de la justice en complément. On nous annonça que, sur les décombres de la politique de la gauche en matière de lutte contre la violence, une ère nouvelle allait commencer. Cette ère a conduit le Parlement à voter un ensemble de lois. Le spectacle, disons-le, a duré cinq ans, cinq années durant lesquelles nous avons été régulièrement convoqués pour voter des lois qui n’ont jamais été évaluées.
La vérité c’est que, comme mes collègues l’ont démontré, le présent projet de loi ne prend pas en considération la réalité vécue dans les quartiers, ce que révèle du reste fort bien la confusion sur les mots « récidivistes » et « réitérants ». Or nous assistons à une hausse continue de la violence juvénile, une violence que connaît fort bien tout parlementaire à qui un commissaire de police de quartier a montré un jour ce qu’il appelle un « annuaire » : celui-ci contient les photos des leaders qui exercent leur tutelle sur les plus jeunes et en organisent la délinquance, en fins connaisseurs des textes de loi et de la manière de passer à travers. Telle est la réalité !
À ce système de détection précoce et de prévention de la délinquance, vous avez préféré la fuite en avant législative. Ce texte, je l’affirme, restera sans effet ! Et comme l’ont fait avant moi mes collègues, je prends date ce soir : nous devrons revenir…
Madame le garde des sceaux, cette logique d’enfermement nous fera bientôt atteindre les 100 000 détenus : tel est en effet le processus dans lequel nous sommes engagés. Les parlementaires savent ce qu’est la détention. C’est pourquoi, comme je vous l’ai dit en commission, je veux que nous puissions enfin débattre à partir de chiffres réels. L’Observatoire international des prisons invite tous les parlementaires à visiter les prisons afin d’en dénombrer les effectifs. Or nous les connaissons déjà approximativement : ils sont inflationnistes. Du reste l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire, auxquels vous avez rendu hommage, vous le disent : ouvrez des écoles plutôt que des places en prison ! En raison, surtout, du taux de récidive, efforcez-vous de n’envoyer en prison que ceux auxquels aucun autre traitement ne peut convenir.
L’instauration de peines plancher serait-elle alors la solution pour empêcher la récidive ? Il y a lieu, me semble-t-il, de ne pas confondre la récidive des majeurs et celle des mineurs, dont les motivations ne sont pas les mêmes. Le majeur hésitera à récidiver s'il a des attaches familiales – une femme, des enfants. Le mineur, lui, n'a souvent rien à perdre puisqu’il se trouve la plupart du temps dans une situation de déshérence ou de souffrance.
L’application de la New York Juvenile Offender Law, qui, en 1978, a abaissé l'âge de jugement dans une juridiction pour adulte à 14 ans pour les cas de violences graves, a démontré que la menace de sanctions est inefficace et qu’invoquer la dissuasion est inopérant. De surcroît, les jeunes auteurs de délits violents jugés comme les majeurs récidivent plus souvent et plus rapidement que ces derniers. Votre dispositif, malheureusement, accroîtra la récidive des mineurs.
Enfin, l'aggravation des peines peut-elle servir à la réinsertion et si l'aggravation des peines a peu d'effets dissuasifs, les peines alternatives à la prison peuvent-elles servir à la réinsertion ? Il est évident qu'un placement en centre éducatif, un contrôle judiciaire, une enquête, une expertise sont des mesures qui favorisent la réinsertion. Encore faut-il qu'un jeune n'attende pas deux ans avant de rencontrer un pédopsychiatre.
Répondre à la récidive est un réel défi : c’est notre défi à tous. C’est pourquoi, avant de rajouter de nouvelles mesures, donnez aux magistrats les moyens matériels et humains d’exercer leur métier, d'appliquer les textes dont ils disposent déjà et de prouver ainsi aux victimes qu'elles ont été entendues.
Si je vous lance ce message, c'est qu’à la suite de l'affaire dite d'Outreau j'ai effectué un temps d'observation au tribunal de grande instance de Versailles, où j’ai rencontré des hommes et des femmes remarquables, admirables même, auxquelles, toutefois, nous ne pouvons pas demander l'impossible. Madame le garde des sceaux, à l’avant-veille de la préparation du débat budgétaire, ne les oubliez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Les partisans d’une telle législation croyaient déjà que la seule peur de la sanction suffisait à bloquer la délinquance. Ces tenants d’une politique avant tout idéologique plutôt que raisonnée reviennent à la charge aujourd’hui. Pourtant, si nous voulons donner à ce débat une tournure sérieuse, nous devrions tous reconnaître que ni chez nous ni nulle part dans le monde occidental, il n’existe de corrélation entre le niveau des sanctions encourues ou prononcées et le niveau de la délinquance.
Le « tout répressif » n’est ni une réponse sérieuse ni fondatrice d’une meilleure société humaine. Il est facile d’illustrer ce constat en prenant l’exemple des États-Unis. Les politiques conduites par les États entraînent un taux d’incarcération sept fois plus élevé que le nôtre, ce qui équivaudrait pour la France à compter 400 000 personnes incarcérées. Les taux de délinquance constatés aux États-Unis sont pourtant beaucoup plus élevés que le nôtre, ce qui montre bien l’absence de corrélation dont je viens de parler.
Pourtant, à la fin 2003, plus de 150 députés de l’UMP, la plupart d’entre eux siégeant de nouveau sur les bancs de l’Assemblée, avaient déposé une proposition de loi prônant l’instauration de peines plancher. Pour contrer cette initiative, que ne goûtait guère le ministre de la justice de l’époque, M. Perben, on a créé une mission d’information parlementaire, émanant de la commission des lois, consacrée à la lutte contre la récidive. Son rapport fut publié à l’été 2004, et c’est fin 2004 que le Parlement a examiné un texte sur le sujet, dans le prolongement des travaux de la mission d’information.
Est-ce un hasard si, madame la ministre, vous avez été, avant d’être garde des sceaux, responsable de la communication du candidat à la Présidence de la République ? Pourtant, les travaux de ladite mission d’information avaient fait apparaître le caractère dommageable de ce genre de posture et, depuis, aucun autre travail sérieux n’a été entrepris pour démentir les conclusions adoptées, il faut le souligner, sans opposition de la part du groupe socialiste.
Aujourd’hui, sans études complémentaires et au mépris de ce qui a été déjà étudié, le projet de loi ne table, au fond, que sur une seule chose : l’espoir fondé sur le renforcement de la peur du juge et le retour de la croyance immodérée en l’efficacité de la peine de prison. Cette réponse limitée à la répression est bien mince quand on sait que 31 % des personnes condamnées le sont de nouveau alors que le niveau des peines encourues et celui de celles effectivement prononcées n’ont cessé d’augmenter au cours de ces dernières années.
La réponse que vous apportez est d’autant plus dérisoire que la mission avait démontré très clairement que l’arsenal juridique existe, destiné précisément à lutter contre la récidive, et que le problème se pose principalement en termes d’exécution des peines et donc des moyens octroyés à la justice.
Rappelons qu’une des fonctions essentielles de l’administration pénitentiaire est de préparer les détenus à réintégrer la société à leur libération. On oublie en effet trop aisément que tout prisonnier est voué à retrouver un jour la liberté. La prison doit l’y préparer – ce qu’elle ne fait pas, en général. Aussi favorise-t-elle la récidive ou la réitération au lieu de préparer la réinsertion profitable à tous.
Le suivi socio-judiciaire, par exemple, ou le sursis avec mise à l’épreuve mis en place par l’ancienne garde des sceaux, Élisabeth Guigou, qui suscitent l’adhésion des juges et des médecins, sont des outils puissants qui ne demandent qu’à être consolidés. Appliquons déjà les lois existantes au lieu de donner dans une surenchère législative dont on peut douter de l’efficacité.
Au lieu de cela, le projet n’est qu’un simple affichage ; il renforce l’emprisonnement, la prison étant de plus en plus conçue non comme un lieu de peine et de réinsertion, mais comme un lieu de relégation. La situation dans nos établissements pénitenciers, comme l’a montré le rapport de Jean-Luc Warsmann, aujourd’hui président de la commission des lois, s’est dégradée en matière de surpopulation et donc de conditions d’existence des détenus, mais aussi de conditions de vie des personnels pénitentiaires qui jouent un rôle essentiel, mais difficile, et auxquels nous devons rendre hommage.
À propos de la population carcérale, nous devons également examiner les questions soulevées par la mission d’information ; celle, notamment, de ces prisonniers qui cumulent les difficultés sociales, psychiques, éducatives. Rappelons-nous par ailleurs que des missions de plus en plus lourdes sont confiées à des services d’insertion et de probation dans une situation dramatiquement famélique, alors que chacun reconnaît leur rôle essentiel en matière de réinsertion sociale, facteur essentiel pour éviter la récidive.
Inefficace pour lutter contre la récidive, ce texte prête également le flanc à la censure constitutionnelle,…
Personne n’a nié l’importance de la récidive mais personne n’a le droit de prétendre que la question est simple. C’est précisément pour cela que vous n’avez pas droit à la légèreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La question n’est pas aujourd’hui de savoir si ce sentiment est ou non justifié. Pour avoir longtemps travaillé avec des policiers et aux côtés des magistrats, je suis convaincu qu’il est le plus souvent sans fondement : même si toute action humaine est par nature imparfaite, la police, dans l’ensemble, fait bien son travail et la justice aussi. Reste que le sentiment d’impunité a la vie dure, qu’il explique pour une large part le développement préoccupant d’une délinquance répétitive et qu’il est renforcé chez les plus jeunes par l’exception de minorité.
Or le premier mérite du projet est de clarifier, aux yeux de tous, la politique pénale de l’État et de rendre plus lisibles les sanctions judiciaires. En fixant des peines plancher, la loi pénale fait en effet passer un message clair aux délinquants : si vous recommencez, voilà la sanction qui vous attend. Ou, pour dire les choses autrement, si vous voulez éviter de vous exposer à ce type de sanction, évitez de recommencer. Je ne partage pas le scepticisme de ceux qui doutent du rôle dissuasif de la sanction. Les statistiques, du reste, ne rendent pas compte d’une réalité humaine pourtant évidente : si une loi permet de sauver une vie – une seule vie – ou d’épargner une victime – une seule victime –, elle a déjà son utilité.
Toutefois, le message que comporte la loi ne s’adresse pas seulement aux délinquants. Il s’adresse aussi à l’ensemble des Français. Il est le suivant : l’État est le garant de la sécurité publique, il assume ses responsabilités, il tient ses engagements, il sait faire preuve de fermeté, il entend ne jamais oublier les victimes. Par ailleurs, et c’est en cela que le texte est équilibré, il ne remet pas en cause le principe fondamental de l’individualisation des peines. Ainsi, demain comme hier, le juge continuera de porter une appréciation à la fois sur les circonstances de l’infraction et sur la personnalité de l’auteur.
Alors, disent certains, pourquoi fixer des peines plancher puisqu’elles peuvent ne pas être appliquées ? « Je suis exceptionnelle, vous êtes exceptionnel, chacun de nous est exceptionnel » disait Delphine Seyrig dans une célèbre réplique du film de François Truffaut, Baisers volés. (Sourires.) À cet égard, les délinquants ne sont pas différents des autres hommes : aucun n’est rigoureusement identique à l’autre. Il est donc essentiel que chaque jugement soit strictement adapté au cas d’espèce.
Reste que si les individus sont différents, les règles de la vie collective, pour leur part, doivent être les mêmes, quelles que soient les personnes et quel que soit le lieu. Autrement dit, on a le droit de vivre en paix et en sécurité dans les banlieues comme dans les beaux quartiers. Les infractions doivent donc être sanctionnées de la même manière partout.
Que ces deux nécessités – l’individualisation des peines d’un côté et l’homogénéité des règles de la vie collective de l’autre – soient contradictoires, c’est une évidence. C’est ce qui fait la difficulté de l’exercice auquel nous sommes ensemble confrontés. La solution que propose le projet de loi tient en trois points : d’abord il existe une norme, c’est la peine plancher, c’est la règle fixée par la loi ; ensuite, il existe des situations particulières qui peuvent conduire à des exceptions, c’est à l’appréciation du juge qui garde donc à la fois son indépendance et sa liberté ;…
Ce sont à mes yeux ces trois points qui font l’équilibre difficile du texte, un texte qui, en toute hypothèse, est très loin des caricatures qui en ont été faites. Comme beaucoup, j’ai été profondément indigné par les attaques outrancières dont il a fait l’objet et je souhaite, sur ce point, madame la ministre, vous exprimer ma totale solidarité et vous féliciter pour la sérénité et la hauteur de vue dont témoignent toutes vos réactions.
Cela étant, vous me permettrez de vous dire que votre loi est gravement trempée dans l’inconséquence.
Il y a ceux qui font des lois pour la gloire, pour l’amour d’eux-mêmes parfois – et c’est un défaut contre lequel il faut lutter –, se préoccupant davantage d’envoyer des messages politiques à l’opinion ; puis il y a ceux qui s’attachent à l’efficience, c’est notre cas. On compte de ces derniers dans votre camp, madame la ministre, mais ils n’ont pas été écoutés ; ils se sont même exprimés au sein d’autres commissions, sous d’autres législatures, et encore récemment. Nous aussi entendons appartenir à la catégorie de ceux qui défendent l’intérêt public concret de nos concitoyens.
Tous les observateurs avisés chantent en chœur ce refrain : « Faites moins de lois et donnez-nous des moyens ! » C’est ce qu’a dit notre excellent collègue Étienne Pinte à l’instant, c’est ce que s’époumone à répéter, on l’a rappelé, M. Touzelier, président de l’Union syndicale des magistrats, l’USM, qui ne vous est pourtant pas hostile. M. Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat de police Synergie,…
Ces derniers temps, les témoignages se sont accumulés dans la presse sur la paralysie totale, on pourrait même dire sur l’embolie de l’appareil judiciaire dont vous avez la charge, madame la ministre. Dans de nombreux tribunaux, la chaîne pénale est en effet paralysée, depuis la constatation de l’infraction jusqu’à l’exécution de son jugement.
Au tribunal de Bobigny – parlons concrètement –, au 31 août 2006, il y avait 191 décisions d’assistance éducative pour des mineurs en milieu ouvert « en attente d’exécution », et 135 mesures pénales – liberté surveillée, placement, réparation, travail d’intérêt général – étaient en attente d’exécution.
Au tribunal de Créteil : 70 mineurs, à cette même date, en attente d’exécution de mesures prises à leur endroit. Il faut entre six mois et un an pour obtenir l’exécution concrète de la peine.
Au tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône, –…
Un juge des enfants a exprimé dans la presse son désarroi. Il a dit, comme M. Pinte : « À quoi sert-il de prendre des décisions, de rendre des ordonnances ou des jugements sévères ou bienveillants s’ils restent lettre morte ? »
Selon une estimation faite par plusieurs hauts fonctionnaires appartenant à vos services, madame la ministre, 3 000 mineurs seraient, en France, dans l'attente de l'exécution de décisions prises contre eux.
Une jeune magistrate d’un tribunal de province raconte : « Quand j'ai été nommée juge des enfants, j'ai hérité d'un cabinet avec deux ans de décisions non exécutées. J'ai demandé au procureur de tout mettre à la poubelle pour recommencer à zéro car une bonne partie était prescrite. »
Voilà l’état concret de la situation dont vous avez la charge, madame la ministre ! Pendant que vous faites des lois, qui ne servent d’ailleurs à pas grand-chose,…
Manuel Valls évoquait la nécessité du sur-mesure, du cousu main, du cas par cas, dans chaque tribunal, avec les moyens correspondants. C’est ce travail qu’il faut conduire, sur les délais, sur le nombre de postes…Vous n’avez que cela à faire et nous attendons cela de vous.
Dans six mois, dans un an, madame la ministre, la population, et nous avec, vous demandera des comptes, et nous savons que, malgré les six lois à la participation desquelles peu ou prou vous avez travaillé depuis cinq ans, il y aura des comptes à rendre.
Hier, dans cet hémicycle, le Gouvernement a distribué 13,6 milliards d'euros de baisses d'impôt.
De la même manière, personne, nous sommes tous d’accord, ne souhaite remettre en cause les nécessaires actions de prévention que tous les maires, quelle que soit leur couleur politique, mettent en œuvre sur le terrain.
Mais il est non moins vrai que depuis une trentaine d’années, la nécessaire sanction était passée un peu par pertes et profits, un peu dans la suite des idéologies des soixante-huitards attardés qui ont toujours vu dans les délinquants d’abord des victimes de la société, par nature excusables de leurs actes. Cette approche politique a conduit à la dérive de l’insécurité que l’on connaît. Et c’est pour contrecarrer cette dérive que vous nous proposez, madame la ministre, d’être plus fermes, et j’approuve votre projet de loi.
Mon propos ne portera pas tant sur la nécessité de sanctionner plus fermement les récidivistes – cela me paraît être une nécessité salutaire pour la société et la défense des victimes mais également pour les délinquants qui doivent prendre conscience de la portée de leurs actes – que sur la nature de la sanction. Faut-il obligatoirement envoyer en prison des mineurs au risque de les rendre pire qu’ils ne le sont à la sortie lorsqu’ils auront été au contact des vieux chevaux de retour ? (« Eh oui ! sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Lors de la dernière mandature, j’avais rédigé une proposition de loi sur la création d’unités disciplinaires d’insertion pour les jeunes. L’idée est simple : au lieu d’envoyer des jeunes en prison, il m’apparaît plus efficace de les intégrer dans des unités d’insertion où règne une discipline militaire – et j’emploie à dessein ce mot. La discipline de type militaire a depuis longtemps démontré sa capacité d’intégration et de formation pour les jeunes les plus difficiles. En 1986, l’amiral Brac de la Perrière avait lancé les JET, jeunes en équipes de travail. Destinée à accueillir, pour des stages de quatre mois, les mineurs délinquants dans des structures encadrées par des militaires, cette opération a rencontré un très grand succès, mais les JET n’ont pas survécu à la professionnalisation des armées. C’est parfaitement regrettable.
Plus récemment, madame la ministre, le général de Richoufftz, adjoint au gouverneur militaire de Paris, a monté une opération de réinsertion pour des jeunes en difficultés appelée « Un permis de conduire pour la banlieue ». Cette opération, qui associait dans un cadre militaire des entreprises, qui finançaient le permis de conduire, et des militaires, parfois réservistes, a, elle aussi, connu un très grand succès.
Les jeunes sans repères et qui sombrent dans la délinquance ont besoin de référents forts. La rigueur, la discipline, l’engagement individuel et collectif, le sens de l’action, la volonté de servir des militaires constituent des principes, des valeurs de nature à ressaisir ou à faire se ressaisir des jeunes allant à la dérive. Je suis certain que vous le comprendrez, madame la ministre, et je vous demande d’étudier la mise en place de ces unités disciplinaires d’insertion, seules capables à mes yeux de faire comprendre à ces jeunes délinquants la chance qu’ils ont de vivre en citoyens libres dans un pays libre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Suite de la discussion du projet de loi, n° 63, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs :
Rapport, n° 65, de M. Guy Geoffroy, au nom de la commission des lois constitutionnelle, de la législation et de l’administration générale de la République.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton