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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 8 octobre 2008

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Déclaration du Gouvernement sur la crise financière et bancaire et débat sur cette déclaration

M. François Fillon, Premier ministre

M. Jean-Pierre Brard

M. Nicolas Perruchot

M. Gilles Carrez

M. François Hollande

M. François de Rugy

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

M. Philippe Vigier

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie

M. Patrick Ollier

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie

M. Pierre-Alain Muet

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie

M. Pierre Méhaignerie

M. Paul Giacobbi

M. Hervé Mariton

Rappel au règlement

M. Jean-Marc Ayrault

2. Revenu de solidarité active

Explications de vote

Mme Colette Le Moal, M. Bruno Le Maire, M. Christophe Sirugue, M. Roland Muzeau

1. Grenelle de l'environnement

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie

Présidence de M. Marc Le Fur

M. Christian Jacob, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

M. Éric Diard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Patrick Ollier,

Exception d'irrecevabilité

M. Philippe Tourtelier

M. Serge Poignant, M. Jean Dionis du Séjour, M. François Brottes, M. Daniel Paul

4. Ordre du jour de la prochaine séance


Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Déclaration du Gouvernement sur la crise financière et bancaire
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la crise financière et bancaire, et le débat sur cette déclaration.

Mes chers collègues, je voudrais d’abord, avant de donner la parole à M. le Premier ministre, souligner l’importance de ce débat, et saluer le travail accompli par les commissions des finances et des affaires économiques de notre assemblée. Travail qui continue d’ailleurs puisque, dès demain, il y aura une audition publique de la commission des finances. Sous l’autorité de M. Didier Migaud et de M. Patrick Ollier, leurs présidents respectifs, par le biais d’auditions mais aussi de contacts informels, elles ont grandement contribué à l’association de la représentation nationale à la réflexion sur la crise que nous traversons. Je tenais à en remercier les deux présidents et les deux commissions, au nom de la représentation nationale.

La parole est à M. François Fillon, Premier ministre.

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les événements qui affectent actuellement toute l’économie mondiale sont d’une gravité historique. Ils exigent du sang-froid, de la réactivité et notre unité. Nous avons ce débat parce que la nation, par votre intermédiaire, a besoin d’être éclairée et rassemblée. Le retour de la confiance passe en effet par notre capacité à faire bloc, au-delà de nos différences partisanes. Le sens de l’unité politique et de l’intérêt général constitue un message très fort adressé à nos concitoyens ; il est une réponse aux marchés, qui doivent trouver en nous la stabilité et la raison qui leur échappent.

À Toulon, le 25 septembre dernier, le Président de la République a énoncé les grands principes qui fondent notre politique face à cette crise. Chacune des journées survenues depuis cette date a confirmé la pertinence de son diagnostic. Chacune de ces journées a vu les problèmes s’enchaîner de manière dangereusement spectaculaire. Le jour de la chute de la cinquième banque d’affaires américaine, la confiance était brisée. La tempête qui sévissait depuis la crise des subprimes est alors devenue un ouragan.

Mesdames, messieurs les députés, ce n’est pas la crise du capitalisme en tant que tel (« Mais si ! » sur les bancs du groupe GDR), c’est la crise d’un capitalisme dévoyé par des pratiques qui n’auraient jamais dû exister. C’est la crise d’un capitalisme non régulé ou mal régulé qui s’est affranchi de ses obligations éthiques et économiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Le dérèglement des marchés a prospéré sur le terreau des supervisions défaillantes et des auto-régulations illusoires.

M. Maxime Gremetz. Oh là là !

M. François Fillon, Premier ministre. Ce dérèglement s’est nourri de la sophistication financière croissante, et de l’aveuglement d’investisseurs qui ont cru que le risque pouvait se dissoudre et se mutualiser sans fin.

Mais un tel dérèglement n’aurait pas pu se développer sans l’existence de centres off-shore, sans dumping réglementaire,…

M. Jérôme Lambert. Vous venez de le découvrir ?

M. François Fillon, Premier ministre. …sans des règles pousse-au-crime de rémunération des opérateurs et sans les fausses valeurs décernées par les agences de notation.

M. Jérôme Lambert. Qu’avez-vous fait ?

M. François Fillon, Premier ministre. Tous ces excès entraînent un ralentissement de l’économie dans le monde entier. Nous savons que l’Asie va continuer à croître, mais à un rythme moins important qu’auparavant. Nous savons que l’Europe sera rudement affectée par le ralentissement, et que la France le sera aussi.

M. Jean Glavany. Encore plus !

M. François Fillon, Premier ministre. Il y aura des conséquences sur l’activité, sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat des Français.

M. Maxime Gremetz. C’est toujours les mêmes qui vont payer !

M. François Fillon, Premier ministre. Dans cette tempête, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités : le Plan Paulson a finalement été adopté par le Congrès américain ; sous l’impulsion de la France, l’Europe s’est décidée, quant à elle, à agir unie.

En tant que Présidente de l’Union européenne, la France ne pouvait pas rester, dans ces circonstances, sur un rythme ordinaire, et le Président de la République s’y est employé en convoquant samedi un sommet des quatre puissances européennes membres du G8. Cette initiative a permis de fédérer et de lancer une dynamique d’action concertée. Elle a été confirmée hier par la déclaration commune des vingt-sept et par la réunion de l’ECOFIN sous la présidence de Christine Lagarde, en préparation de l’événement principal qui permettra de prendre les décisions les plus importantes, c’est-à-dire du Conseil européen, qui aura lieu à la fin de la semaine prochaine.

Samedi, les participants de ce G4 ont pris des décisions capitales : ils ont appelé à la tenue la plus rapprochée possible d’un sommet au niveau mondial qui permette de refonder la gouvernance du système financier international, et ils se sont entendus pour que toutes les entités financières d’une taille significative soient supervisées à l’avenir. Il y avait des trous béants dans le système : ils devront être bouchés. Ainsi, aux États-Unis, les banques d’investissement n’étaient pas supervisées, et n’importe qui pouvait distribuer des crédits bancaires aux particuliers.

M. Roland Muzeau. Comme les parachutes dorés !

M. François Fillon, Premier ministre. La dérive des subprimes, c’est ce qui arrive quand ceux qui vendent les produits ne sont pas ceux qui les prêtent, et que chacun reporte sur l’autre la responsabilité de l’examen de la solvabilité de l’emprunteur.

Dans notre économie mondialisée, les places off-shore, la concurrence des hedge funds, ces instruments dérégulés, mais qui ont tout de même accès aux marchés, ont mis une pression considérable sur les acteurs qui voulaient être raisonnables, mais qui, dès lors, couraient le risque de voir les flux financiers se détourner d’eux.

Notre message pour le futur sommet du G8, c’est celui que la France porte avec force depuis un an : la mondialisation doit s’accompagner de règles claires et équitables, de réciprocité, d’équité et de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Autre acquis du G4 : les participants se sont entendus pour réexaminer les normes prudentielles et comptables parce qu’il faut qu’à l’avenir celles-ci préviennent la formation de bulles spéculatives, et qu’elles amortissent le choc en cas de crise, plutôt que l’inverse.

M. Patrick Roy. Quelle révolution !

M. François Fillon, Premier ministre. Sur ces questions, vous le savez, mesdames, messieurs les députés, la France a longtemps eu un discours isolé, considéré même comme « décalé » par certains ; mais, aujourd’hui, tous s’accordent sur la nécessité d’évoluer.

Lors du G4, nous nous sommes également mis d’accord pour revoir les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs sur les marchés. Pendant des années, les équipes qui ont fabriqué des véhicules de titrisation ont reçu des bonus immédiats, calculés sur le gain espéré, lequel était d’ailleurs immédiatement comptabilisé dans sa totalité. Dès lors, quel intérêt avaient-ils à s’assurer que ce gain se matérialiserait effectivement dans la durée ? C’est pourquoi, à l’avenir, les modes de rémunération devront faire partie intégrante de la surveillance prudentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.) Ces principes de bon sens, qui n’auraient jamais dû être perdus de vue, sont désormais consensuels en Europe. Je crois que l’on peut dire que ce qui a été obtenu samedi par le Président de la République est tout à l’honneur de notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Desallangre et M. Pierre Gosnat. Il n’a rien eu !

M. François Fillon, Premier ministre. Cette ambition, nous la porterons au plus haut niveau pour refonder l’architecture financière internationale sur une véritable légitimité politique. Le mandat du Fonds monétaire international devra être renforcé en ce sens pour qu’il dispose d’un véritable système d’alerte précoce. La proposition française, que nous défendons depuis plus d’un an, de passer d’un G8, qui ne correspond plus aux réalités économiques et sociales du monde d’aujourd’hui, à un G14, prend tout son sens pour porter ces projets à l’échelle mondiale.

Hier, l’ECOFIN, sous la présidence de Christine Lagarde, a repris l’engagement des participants du G4 d’assurer un soutien sans faille des établissements financiers déterminants. Certes, à vingt-sept, compte tenu des spécificités de chacun et de l’urgence dans laquelle il faut parfois agir, il est logique que les opérations s’effectuent le plus souvent au niveau national. Quand on doit décider en deux heures, au milieu de la nuit, comment sauver une banque, mieux vaut ne pas avoir à réveiller ses vingt-six homologues. C’est dans cet esprit que le Royaume-Uni a annoncé, ce matin, un plan national d’urgence dont Goldon Brown a personnellement précisé les contours au Président de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

Une dynamique européenne est engagée, et la toute récente décision coordonnée de la Banque centrale européenne, de la Banque d’Angleterre, de la FED et de la banque du Canada de baisser de cinquante points de base les taux est, dans ce contexte, un signal très fort pour nos économies et nos entreprises.

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. J’ajoute que c’est un signal que nous attendions avec impatience. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Le Président de la République et moi-même, à plusieurs reprises devant votre assemblée, l’avons dit solennellement : l’État assumera son rôle de garant en dernier ressort de la continuité et de la stabilité du système bancaire et financier français.

M. Maxime Gremetz. Avec quoi ? Les caisses sont vides !

M. François Fillon, Premier ministre. Cet engagement signifie que nous garantirons la continuité de l’exploitation de chacune de nos banques. Cet engagement signifie qu’aucune d’entre elle ne pourra être acculée à la faillite. Les interventions devront être réactives, mais elles devront être conçues comme temporaires. Elles devront également respecter les intérêts des contribuables. Elles supposent de pouvoir exiger un changement des équipes dirigeantes si celles-ci ont failli à leur mission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Maxime Gremetz et M. Pierre Gosnat. Y compris au Gouvernement !

M. François Fillon, Premier ministre. Même si ces interventions sont nationales, les États doivent être attentifs à leurs conséquences pour les autres États et pour les banques concurrentes qui sont saines.

L’État n’agit pas pour sauver des dirigeants : ceux de Dexia ont été remplacés.

M. Henri Emmanuelli. Par des amis !

M. François Fillon, Premier ministre. Il le fait pour protéger les Français, leurs entreprises, nos emplois et notre économie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Comment allons-nous mettre en œuvre l’engagement que nous avons pris de garantir la continuité de notre système bancaire ? Je réponds : comme nous l’avons fait avec Dexia. Si une banque ou un établissement financier est en difficulté,…

M. Pierre Gosnat. On le renfloue !

M. François Fillon, Premier ministre. …nous examinons immédiatement avec la Banque de France et les autorités de régulation quelle est la meilleure solution. Si cette solution nécessite l’entrée de l’État au capital, nous le faisons, mais à plusieurs conditions.

Tout d’abord, l’État doit avoir les moyens de superviser le redressement de la banque. C’est la raison pour laquelle, dans le cas de Dexia, nous avons obtenu, avec la Caisse des dépôts et consignations, une minorité de blocage. Si cela n’avait pas été le cas, nous n’aurions pas donné suite à la demande des autorités belges.

Ensuite, la direction doit pouvoir être immédiatement renouvelée si la situation le justifie. Les dirigeants qui se sont affranchis des règles minimales de prudence ne doivent pas compter sur l’État actionnaire pour les aider à sauter en parachute doré. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Enfin, l'État n'a pas vocation à rester un actionnaire durable. Une fois l'entreprise redressée…

M. Jean Glavany. On redérégule !

M. François Fillon, Premier ministre. …la participation de l'État doit être revendue, si possible avec une plus-value, comme nous l'avons fait pour Alstom dans le passé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Notre engagement pour assurer la continuité du secteur bancaire est total, et la parole de l’État est engagée. Pour cela, nous devons être en mesure d'intervenir financièrement sans délai, y compris par des prises de participations. À cette fin, le Président de la République et moi-même avons demandé à Christine Lagarde de mettre en place une structure juridique intégralement détenue par l’État et susceptible de réaliser les investissements nécessaires.

M. Jean-Pierre Brard. Christine Lagarde, bolchevique des Grands Lacs !

M. François Fillon, Premier ministre. Aujourd'hui, cette structure existe et elle porte déjà la participation de l’État dans Dexia. Afin qu'elle puisse disposer de tous les capitaux nécessaires aux interventions qui se justifieraient à l'avenir, le Gouvernement sollicitera du Parlement, par voie d'amendement au projet de loi de finances, la garantie explicite de l’État. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Cette structure nous permettra de mettre en œuvre notre stratégie au cas où une banque serait en difficulté : la recapitaliser, en maîtriser la stratégie et la gestion, la redresser et remettre les participations de l’État sur le marché lorsque les circonstances le permettront.

M. Roland Muzeau. On renfloue !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous voulons de la sorte créer les conditions du retour de la confiance dans le système bancaire et assurer la reprise des prêts entre les banques elles-mêmes.

Notre pays a un système de garantie des dépôts parmi les plus protecteurs…

M. Maxime Gremetz. Que les étrangers nous envient !

M. François Fillon, Premier ministre. …avec un plafond de 70 000 euros par déposant et par banque, alors que la plupart des États membres appliquent le plafond de 20 000 euros imposé par la réglementation communautaire – celui-ci va être porté à 50 000 euros, par décision du conseil des ministres des finances.

Certains pays sont allés plus loin et ont étendu leur protection à l'ensemble des dépôts, voire, dans des certains cas, à l'ensemble des passifs bancaires. Pour notre part, nous considérons qu’en France les dépôts sont garantis à 100 %, puisque nous nous sommes engagés à faire en sorte qu’aucune banque ne puisse être acculée à la faillite. (« Très bien ! » et applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Outre cette garantie, il est crucial et urgent de répondre au problème de liquidité sur le marché interbancaire. Nos banques sont solvables, le gouverneur de la Banque de France l'a rappelé hier devant votre commission des finances. Mais elles font face, comme toutes les autres banques européennes, à des tensions extrêmement fortes sur ce marché interbancaire.

Dans ce domaine, les banques centrales jouent un rôle clef depuis plusieurs semaines, en fournissant des liquidités dans un volume considérable. Comme les autres gouvernements européens, nous sommes en contact permanent avec les autorités monétaires. La Banque centrale européenne et l'ensemble de l'euro-système sont mobilisés sur cette question de la liquidité. Je connais leur détermination à prendre, dans les heures qui viennent, toutes les mesures nécessaires pour assurer aux banques les liquidités dont elles ont besoin.

Comme vient de le souligner le Président de la République, la réponse ne peut être que globale et coordonnée entre les banques centrales et les gouvernements européens. Il revient à ces gouvernements de prendre les mesures qui relèvent de leur responsabilité pour assurer la sécurité maximale des échanges interbancaires. À cette fin, nous sommes en relation permanente avec nos partenaires pour mettre en place les bons outils, sans délai et dans chaque État.

Mesdames et messieurs les députés, derrière la crise bancaire, ce sont les conditions de crédit qui se resserrent, mettant en danger l’existence même de nos PME. Face à cela, il n'est pas question de rester inactifs. Le 2 octobre, nous avons décidé la mise en place d'un plan de soutien aux entreprises, d’un montant de plus de 20 milliards d'euros et prenant appui notamment sur OSEO.

Par son intermédiaire, nous augmentons de quatre milliards d'euros la capacité de prêts bancaires garantis ou apportés en co-financement d'ici à la fin de l'année 2009. Pour cela, nous mobilisons les ressources propres d'OSEO et nous mettons en place une nouvelle ligne de refinancement sur les Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations.

Nous avons également décidé de mobiliser ces derniers plus largement pour financer les projets des PME. Les besoins de financement sont immédiats. Un arrêté, publié demain jeudi, enclenchera la réaffectation de huit milliards d'euros, puis de neuf milliards le 15 octobre. La totalité du plan annoncé aura été mise en place d'ici deux semaines. (« Il y en a de l’argent ! » sur les bancs du groupe GDR.)

C'est grâce à la vigueur de la collecte sur les livrets d'épargne réglementée, avec entre 20 et 30 milliards de collecte supplémentaire, que cette réallocation est possible sans amputer les besoins du logement social.

M. Henri Emmanuelli. Bien sûr ! C’est un miracle !

M. François Fillon, Premier ministre. Et bien évidemment, elle s'effectue sans impact sur la protection des épargnants, dont les livrets réglementés restent garantis à 100 %.

Nous allons contrôler très strictement l'utilisation de ces crédits : nous avons demandé aux banques de s'engager à les affecter intégralement au financement des petites et moyennes entreprises. Dans cet esprit, des conventions précises seront passées entre l'État et les banques. Nous surveillerons désormais tous les mois leur activité de prêt aux PME.

Cette crise financière fait aussi peser une menace sur le logement. Nous avons décidé de lancer un plan sans précédent d'acquisition de programmes immobiliers…

M. Jean-Paul Lecoq. Spéculatifs !

M. François Fillon, Premier ministre. …en vente en état futur d'achèvement, portant sur 30 000 logements. Nous allons mobiliser les promoteurs, les organismes HLM et, en premier lieu, tous les grands opérateurs publics.

M. Roland Muzeau. Il s’agit de soutenir les promoteurs !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous allons augmenter le nombre de pass-foncier en 2009, afin de porter de 20 000 à 30 000, le nombre de logements pouvant bénéficier de cette aide.

M. Pierre Gosnat. Et le logement social ?

M. François Fillon, Premier ministre. Quant au programme de mobilisation des terrains publics en vue de construire 70 000 logements, dont 40 % de logements sociaux, il va être considérablement accéléré.

M. Pierre Gosnat. Merci pour la DSU !

M. François Fillon, Premier ministre. Enfin, nous avons décidé d’augmenter le plafond de la garantie pour l’accession à la propriété : environ 80 % des ménages français pourront en bénéficier contre quelque 20 % actuellement.

M. Pierre Gosnat. Et la DSU ?

M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, l'avenir est d’abord entre nos mains.

M. Henri Emmanuelli. Ah oui !

M. François Fillon, Premier ministre. Il dépend de notre courage, de notre imagination, de notre volonté de travailler plus…

M. Daniel Paul. Pour gagner moins !

M. François Fillon, Premier ministre. …d'innover plus, mais aussi de dépenser moins. Dans ce contexte, notre politique budgétaire est adaptée à la crise (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) parce qu’elle n’est ni laxiste, ni récessive.

Comme nos partenaires européens, dans un contexte économique extrêmement difficile, nous donnons à notre budget un rôle de stabilisateur, en utilisant à plein les souplesses que nous donne le Pacte de stabilité.

M. Roland Muzeau. Et l’argent du contribuable aussi !

M. François Fillon, Premier ministre. Cela passe par deux choix stratégiques. D'abord, nous ne cherchons pas à compenser les baisses de recettes dues au ralentissement par une hausse des prélèvements obligatoires.

M. Pascal Clément. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. Le taux de prélèvements obligatoires n'augmentera pas et toute reprise de la croissance sera mise à profit pour le baisser d'ici 2012. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Julien Dray. Vous préférez les taxes !

M. François Fillon, Premier ministre. Ensuite, nous tenons les dépenses. La crise ne nous donne aucune raison de relâcher la discipline que nous nous sommes imposée en matière en matière de finances publiques. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Laisser filer nos dépenses et renoncer à réformer ne contribueraient pas au retour de la confiance – pas plus celle des ménages que celle des entrepreneurs ou celle des investisseurs. L'augmentation de la dépense de l’État sera égale à zéro en volume. Nous respecterons notre engagement de ne pas remplacer la moitié des départs en retraite de fonctionnaires.

M. Maxime Gremetz. Ah, bien sûr !

M. Jacques Desallangre. Pour donner des milliards aux patrons de banques !

M. François Fillon, Premier ministre. En 2008-2009, nous aurons supprimé un peu plus de 50 000 emplois dans la fonction publique. Enfin, avec la révision générale des politiques publiques, nous supprimons toutes les structures redondantes et toutes les politiques improductives.

M. François Lamy. C’est le Premier ministre qu’il faut supprimer !

M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes lucides sur la gravité de la situation. Soyons également lucides sur les signaux encourageants sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour faire face : la diminution de l'inflation, la baisse du cours de l'euro, le faible endettement des Français et la baisse des taux.

Ce débat doit être l’occasion d'échanger nos vues et de croiser nos arguments. Dans cette crise, le Gouvernement et le Parlement doivent plus que jamais travailler de concert. Avec Christine Lagarde et Éric Woerth, je suis à la disposition de votre assemblée et de vos commissions pour vous informer régulièrement. Si vous le souhaitez, nous pourrons prolonger ce débat et nous concerter au fil de l’évolution de la crise.

M. Jean Glavany. Ce serait assez normal !

M. François Fillon, Premier ministre. La situation appelle au rassemblement de toutes les bonnes volontés. Il nous faut agir ensemble avec sang-froid, réactivité, responsabilité. Les événements nous l’imposent, mais, j’en suis convaincu, c'est aussi ce que les Français attendent de nous. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que la Conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux phases. Les porte-parole des groupes interviendront après la déclaration du Premier ministre, puis, dans une seconde phase, sept questions pourront être posées. J’invite chacun à respecter rigoureusement le temps de parole qui lui est attribué.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, d'après Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde, on pourrait croire que la crise est récente et d'une ampleur inattendue.

Pourtant, cela est faux ! Dès le 8 février 2007, la banque HSBC inscrivait dans ses comptes une provision de dix milliards d’euros pour créances immobilières douteuses, parce que le risque était majeur et évident. Oui, monsieur le Premier ministre, il s’agit d’une crise majeure du capitalisme, votre système ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

À cette époque, en 2007, le candidat Nicolas Sarkozy déclarait dans son programme : « Si le recours à l'hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l'emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. »

Mme Delphine Batho. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Nicolas Sarkozy avait découvert les subprimes à la française et voulait les généraliser chez nous au plus vite, tant il est fasciné par le modèle américain de son ami Bush. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC.)

N'ayant mesuré ni l'ampleur ni la gravité de la crise, le Président et son Gouvernement, monsieur Fillon, ont additionné les cadeaux fiscaux pour les ménages les plus riches. Les 15 milliards d'euros que coûte le paquet fiscal plombent nos finances publiques.

M. Michel Herbillon. Caricature !

M. Jean-Pierre Brard. L'Union européenne, paralysée par ses dogmes libéraux, dont celui de la concurrence libre et non faussée, comme on dit à Bruxelles, est impuissante dans une situation où l'action publique est décisive.

La crise du système financier se propage à l'ensemble de l'économie. Aux États-Unis, votre pays modèle, mes chers collègues, des millions de familles perdent leur logement, leurs économies, leurs retraites, leurs emplois. La récession économique s'est installée dans plusieurs pays, le chômage repart à la hausse, le pouvoir d'achat est en berne. La France est sévèrement touchée car aucune mesure préventive significative n'a été mise en place pour protéger nos compatriotes, alors que les événements étaient prévisibles dès 2007, ainsi que je l’ai rappelé.

M. Michel Herbillon. Pas comme la chute de l’URSS !

M. Jean-Pierre Brard. Le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon vient très tard, puisque trois mois de présidence française ont été perdus. Le Président de la République oppose artificiellement capitalisme financier et capitalisme entrepreneurial, alors que la recherche des taux de profit de plus de 10 % est générale. Ses amis du monde des affaires auraient-ils oublié de lui en parler, au Fouquet's ou sur leurs yachts ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Il faut définir des positions claires. En matière économique, il faut cesser de se focaliser sur la recherche de taux de profit à deux chiffres, cesser de laisser prospérer cette gangrène que sont les paradis fiscaux et bancaires, y compris en Europe, repères des spéculations et du blanchiment de l'argent sale. Nous devons axer résolument le nouveau système sur la satisfaction des besoins humains et la préservation de la planète.

Il est urgent, monsieur le Premier ministre, de mettre fin au scandale des parachutes dorés. Or que voyons-nous ? Après les mouvements de menton du Président de la République à Toulon, il a renoncé à une loi, pourtant promise pour la fin de cette année, afin de ne pas déplaire aux amis.

M. Christian Eckert. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Brard. Il faut également mettre un terme aux retraites chapeau, golden hello et stocks-options pour les dirigeants et les plus gros salaires. C'est une action de moralisation et d'assainissement. Mais sait-on, dans ces milieux, ce que veut dire la morale ? (« Non ! » sur les bancs du groupe GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Certainement pas ! La puissance publique doit reprendre l'initiative rapidement et rompre avec les mécanismes qui ont provoqué la crise, avec la spéculation financière qui n'a qu'une logique, celle des gros actionnaires, mais qui est déconnectée de l'économie réelle et qui la détruit.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est vous qui êtes déconnecté !

M. Jean-Pierre Brard. Que faire pour protéger nos concitoyens de la tourmente et restaurer durablement le fonctionnement l'économie et du secteur financier ? Nous avons des propositions. Il faut que le pouvoir politique reprenne l’initiative et joue son rôle en commençant par fermer les bourses, durant une semaine au moins, pour calmer le jeu. Il faut par ailleurs mettre fin à l'indépendance de la Banque centrale européenne et des banques centrales pour les soumettre aux orientations politiques des autorités démocratiquement élues par les peuples. À l’inverse de ce que disait M. Fillon, il ne faut pas attendre des signaux, comme Sœur Anne scrutant l’horizon, pour attendre de savoir ce que M. Trichet aura décidé : c’est au contraire au pouvoir politique d’envoyer les signaux ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SRC.)

Un pôle financier public et semi-public, notamment avec la Caisse des dépôts, la Banque postale et la Caisse nationale de prévoyance, doit être créé et chargé de soutenir l'investissement productif créateur d'emplois et de servir l'intérêt général. Ce pôle pourra se renforcer avec des établissements financiers en difficulté rachetés par l'État. Il aura notamment pour mission de garantir l'accès à des crédits à faible taux pour permettre aux entreprises de développer la recherche, l'emploi et l'investissement productif.

Les participations de l'État dans les entreprises doivent être gérées par une agence, via la définition transparente d'une politique de l'État actionnaire conforme à l'intérêt national, et ce sous le contrôle régulier du Parlement, avec un débat public annuel dans chaque assemblée suivi d'un vote. Ce matin, nous avons auditionné Carlos Ghosn, le président de Renault.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. C’est nous qui l’avons auditionné !

M. Jean-Pierre Brard. Eh bien nous ne connaissons toujours pas la position de l’État actionnaire au sein du conseil d’administration : l’opacité ne règne pas seulement à la bourse, mais aussi au Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

L'État ou le pôle financier public devra monter dans le capital des entreprises où existent déjà des participations publiques, afin d’atteindre la minorité de blocage, comme chez Air France ou Renault. Nous proposons aussi d'interdire pendant cinq ans la vente de participations de l'État au capital des entreprises. Ce sont bien sûr des propositions de rupture par rapport à ce que vous soutenez !

Il faut cesser immédiatement les privatisations – La Poste, EDF ou la SNCF –, qui ne feront qu'alimenter des opérations spéculatives stériles, et réhabiliter l'impôt juste, à l'inverse, par exemple, de la TVA, qui est payée essentiellement par les plus pauvres.

Un plan de relance de l'emploi doit être financé par une contribution exceptionnelle sur les ménages les plus riches et par la suppression des niches fiscales et sociales bénéficiant aux entreprises. Dans le même temps, il faut rétablir la progressivité de l'impôt, élargir l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune,…

M. Jacques Desallangre. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Brard. …supprimer le bouclier fiscal et créer un impôt exceptionnel sur les bénéfices, eux aussi exceptionnels, des compagnies pétrolières.

Le coût des licenciements et des suppressions d'emploi destinés à augmenter le taux de profit ou le cours en bourse doit être intégralement supporté par les actionnaires, à l'exclusion de toute aide publique.

M. le président. Il vous reste une minute pour conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Oui, monsieur le président.

Les fonds de l'épargne réglementée inutilisés doivent être mobilisés pour lancer un programme exceptionnel de 250 000 logements sociaux par an sur cinq ans, y compris d'accession sociale à la propriété pour les catégories modestes et moyennes, programme financé par des prêts à 2 % pour une durée pouvant aller jusqu'à quarante ans.

Mais on ne saurait relancer l'économie sans augmenter les salaires, notamment le SMIC, afin de porter celui-ci à 1 500 euros net en deux ans,…

M. Jacques Desallangre. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. …avec une première étape immédiate à 1 300 euros. C’est ainsi que l’on donnera du pouvoir d'achat aux salariés.

M. le président. Merci de conclure.

M. Jean-Pierre Brard. De la même manière, les retraites et les minima sociaux doivent être sensiblement revalorisés.

Pour conclure,…

M. Jean-Pierre Soisson. Ah !

M. Jean-Pierre Brard. …vos remèdes, monsieur Fillon, ce sont cautère sur jambe de bois. Nos propositions sont des propositions de rupture, qui libèrent les Français du jeu et du risque spéculatif des actionnaires.

M. le président. Merci, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Elles réhabilitent l'intervention publique en faveur d’un système financier et économique au service des hommes, et non le contraire. Elles ouvrent ainsi de nouvelles perspectives à l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Nouveau Centre.

Merci, mes chers collègues, de respecter strictement votre temps de parole, en raison de la retransmission télévisée : je serai intransigeant sur ce point.

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, avant toute chose, le groupe Nouveau Centre salue la tenue d'un débat parlementaire, aujourd'hui, sur la crise financière internationale, débat que nous avons appelé de nos vœux lors de nos journées parlementaires. La raison en est, tout simplement, que nous sommes attachés aux droits du Parlement et à la nécessité d'une cohésion nationale dans cette situation.

Ce débat ne peut être utile que s'il apporte des pistes et des solutions pour sortir de la crise et retrouver le chemin d'une croissance durable. Quelques mots, d’abord, sur la triple crise qui nous a conduits à la situation actuelle. Tout commence avec la crise financière qui a éclaté aux États-Unis pendant l'été 2007. Saisissante par son ampleur et sa rapidité de contagion, elle a touché la sphère financière mondiale. Crise de liquidité au début, elle devint bientôt une crise de solvabilité résultant notamment de l’attribution de crédits immobiliers inconsidérés à des opérateurs potentiellement insolvables. Enfin, depuis la fin du mois de septembre, nous sommes entrés dans la troisième phase, celle de la crise bancaire, avec la nationalisation de Fortis, le sauvetage de Dexia, le plan Paulson ou encore la garantie publique illimitée sur les dépôts des épargnants annoncée en Allemagne.

Afin de rétablir la confiance et de retrouver le chemin d'une croissance durable, le Nouveau Centre propose une série de mesures. Les premières d’entre elles doivent avoir trait aux modalités d'intervention, que nous souhaitons économiquement viables et socialement justes. En théorie, il y a quatre modalités d'intervention possibles, mais trois d'entre elles sont à exclure. La première consiste en l’extraction des actifs illiquides : c’est ce que l'on appelle la structure de cantonnement, mise en œuvre avec le Crédit lyonnais ou le plan Paulson. Les effets en sont toujours dévastateurs. La seconde est le laissez-passer, qui consiste à ne rien faire, et la troisième, celle du « sauve-qui-peut », est irlandaise : elle consiste à garantir les banques à hauteur de montants très supérieurs au PIB de ce pays.

En pratique, seule la méthode consistant à intervenir de manière temporaire dans le capital des structures financières en difficulté, comme dans le cas de Dexia, est économiquement viable : c’est pourquoi nous la soutenons.

M. Maxime Gremetz. Et voilà : on étatise !

M. Nicolas Perruchot. Mais pour qu'elle soit socialement juste, cette intervention doit être conditionnée à la mise à pied des dirigeants fautifs, comme cela a été fait, et à l’absence de golden parachutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Il ne peut non plus y avoir de reprise sans un soutien fort aux PME. Le Nouveau Centre propose un fonds de garantie afin de les soutenir. Nos PME doivent faire face à un credit crunch important, et n'ont donc pas ou plus accès aux marchés financiers. Le Gouvernement tente d'y remédier en prélevant sur les fonds d'épargne, comme le livret de développement durable ou le livret d’épargne populaire, mais nous souhaitons aller plus loin, avec la mise en place d’un fonds de garantie destiné aux PME.

En second lieu, il est essentiel, dans le contexte de la crise actuelle, de moraliser les pratiques sur les marchés financiers : beaucoup l’ont déjà dit. (Sourires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe GDR.) Il faut tout d’abord briser la spéculation. La régulation des marchés financiers passe d'abord par l'arrêt des ventes à découvert, lesquelles ont montré, aux États-Unis, toute leur faiblesse.

Ensuite, il convient de réguler les marchés échappant à toute forme de régulation. Cette crise, partie des États-Unis, est d'abord une crise de la non-régulation, résultat de la titrisation, laquelle échappe à tout contrôle. Ainsi, le Nouveau Centre souhaite rendre la régulation contracyclique et réguler certains marchés en pleine expansion et échappant à tout contrôle. La commission des finances a notamment pris connaissance du marché des credits default swap, dits CDS, marché non régulé ayant généré des instruments financiers de près de 60 000 milliards de dollars. Ces montants sont considérables et malheureusement incontrôlés.

Nous souhaitons par ailleurs mieux encadrer les rémunérations des dirigeants et des traders. Il faut sanctionner les dirigeants qui ont fauté et revoir leur système de rémunération…

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Nicolas Perruchot. …en interdisant, par exemple, le cumul entre le statut de dirigeant mandataire social et celui de salarié ; en interdisant aussi à l'ensemble des mandataires sociaux de lever ou de céder des options tant qu'ils exercent des fonctions dans l'entreprise ;…

M. Maxime Gremetz. Décidément, vous étiez aveugle !

M. Nicolas Perruchot. …en faisant en sorte, enfin, que la distribution d’actions gratuites soit totalement encadrée. Ces trois principes pourraient être mis en œuvre dans les semaines à venir et contribuer à un meilleur contrôle des dirigeants d’entreprise.

M. Jacques Desallangre. Quelle prise de conscience !

M. Nicolas Perruchot. Enfin, il faut améliorer la gouvernance financière et, à court terme, le fonctionnement des agences de notation. Pour ce faire, le Nouveau Centre propose deux pistes. Tout d’abord la réforme des statuts de ces agences, qui sont à l’origine de bien des déboires sur les marchés financiers ces derniers jours. Nous souhaitons leur imposer de nouvelles règles, afin, par exemple, qu’elles intègrent dans leurs évaluations le risque de liquidité et les risques opérationnels, à côté des risques de crédit. Aujourd’hui, les agences ne font valoir que ces derniers : c’est tout à fait insuffisant. Cette mesure pourrait par exemple se traduire par l’attribution d’une note complémentaire à celles déjà existantes.

Nous souhaitons également mettre en place des mécanismes visant à réduire les conflits d'intérêt entre les émetteurs et les agences de notation, ainsi que la mise en place d’un label européen, les principales agences de notation étant aujourd’hui américaines. Il convient enfin, à moyen terme, de créer un système européen de superviseurs bancaires calqué sur le système européen des banques centrales, comme le suggère Michel Pebereau.

Ces agences seront également mieux responsabilisées si l’on crée un droit opposable à la sincérité de la notation. La crise actuelle montre en effet que beaucoup de notations ont permis à certains épargnants d’engager des sommes importantes sur les marchés financiers, et il leur est aujourd’hui impossible de se retourner contre les fautifs. Un droit opposable leur permettrait de le faire, au cas où l’évaluation des risques serait contraire à toute éthique. Les agences ont beaucoup péché dans cette crise : il est temps de remettre de l’ordre.

Pour ce qui concerne le moyen et le long terme,…

M. Maxime Gremetz. Il faut changer le système !

M. Nicolas Perruchot. …nous proposons de réguler l'industrie des hedge funds et de revoir les règles comptables essentielles. Il est en effet envisageable de réglementer le recours des investisseurs institutionnels – fonds de pension ou assureurs – aux gestionnaires risqués, tels les hedge funds, et de revoir les règles comptables.

Au niveau européen, où il est heureux que cette crise trouve des solutions, nous souhaitons, à court terme, l’utilisation de la voie monétaire. Je me félicite à cet égard, monsieur le Premier ministre, que la BCE ait enfin baissé ses taux : nous l’attendions depuis plusieurs jours.

Les quatre pays européens du G8, réunis ce week-end à Paris, ont demandé davantage de flexibilité à Bruxelles. Il est heureux que vous ayez été entendus. La baisse des taux directeurs est évidemment un préalable au retour à une croissance plus durable. C’est en tout cas, à court terme, la voie monétaire qu’il fallait choisir.

À moyen terme, il faut aller vers la voie financière. La Banque européenne d’investissement pourrait emprunter plusieurs dizaines de milliards d’euros sur les marchés financiers, afin que cette somme soit prioritairement recyclée vers le financement des PME, le financement du logement social et le soutien à l’investissement privé : cela permettrait de retrouver une capacité d’investir et, à moyen terme, de retrouver la confiance et la croissance.

À long terme, c’est la voie institutionnelle qu’il faut choisir. Cette crise doit aussi être un moyen d’améliorer la régulation financière européenne, afin d’apporter des réponses de long terme pour stabiliser le système financier et soutenir ainsi son développement économique.

Une solution envisageable pourrait être, comme le propose le rapport Ricol, la création d’un Interpol financier, capable d’enquêter sur les abus de marché et la fraude financière.

Enfin, pour contenir la crise financière au niveau mondial, nous souhaitons que soit convoquée une conférence financière internationale, à laquelle participeraient les pays émergents qui représentent près de 50 % de l’économie mondiale. Elle permettrait d’établir de nouvelles formes de régulation comptable acceptables par tous.

Dans cette crise, le Nouveau Centre souhaite que soient prises deux mesures importantes, qui permettraient, d’une part, de créer les conditions d’une économie durable, fondée, comme l’écrit Max Weber, sur une éthique de la responsabilité et des pratiques financières saines, et, d’autre part, de trouver des mesures capables de protéger les épargnants et d’offrir aux PME un accès facilité au crédit.

Face à une telle crise, nous avons besoin de vérité dans le diagnostic, de pragmatisme dans les solutions et de détermination dans l’action. À cet égard, monsieur le Premier ministre, vous pouvez compter sur la détermination sans faille et l’esprit de responsabilité des députés du groupe Nouveau Centre. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, pour le groupe UMP.

M. Gilles Carrez. Monsieur le président, monsieur le Premier Ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement, sous l’autorité du Président de la République, fait face avec sang-froid, lucidité et détermination, à cette crise financière sans précédent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Il le fait dans la transparence.

M. Pierre Gosnat. Comme pour Tchernobyl !

M. Gilles Carrez. Nous avons beaucoup apprécié que Mme Lagarde vienne sans tarder devant la commission des finances expliquer le plan de sauvetage de Dexia et les orientations du Gouvernement. Le débat de cet après-midi illustre votre volonté de faire front, de rétablir la confiance en associant étroitement le Parlement à votre démarche.

La crise financière vient des États-Unis (« Non ! » sur les bancs du groupe GDR), et plus précisément du financement du secteur immobilier…

M. Maxime Gremetz. Mensonges !

M. Gilles Carrez. …avec un mélange explosif fait de prêts hypothécaires à des millions de ménages insolvables, de produits financiers détonants qui compactaient ces prêts avec des actifs plus sains, qui les titrisaient et les envoyaient aux quatre coins du monde, d’une supervision bancaire insuffisante avec des règles prudentielles défaillantes, d’agences de notation incapables d’apprécier correctement la réalité des risques et, enfin, aux États-Unis, d’un environnement politique et bancaire accommodant qui, après les attentats du 11 septembre 2001, a démultiplié le crédit aux taux d’intérêt les plus bas possible.

Ce fragile édifice reposait sur un seul pari : la croissance sans fin des valeurs de l’immobilier. Mais quand, en 2006, le marché commence à se retourner, cette belle construction se lézarde, avant de s’écrouler. L’Europe est touchée à son tour. Rappelez-vous : en septembre 2007, le gouvernement britannique nationalise la banque Northern Rock, et nous connaissons une première crise de liquidités interbancaire.

Le 18 septembre dernier, les pouvoirs publics américains prennent la décision d’abandonner la banque Lehman Brothers à la faillite. Ce coup de tonnerre déclenche la peur sur toutes les places du monde. À qui le tour ? se demande-t-on. Les fonds spéculatifs s’engouffrent dans la brèche en jouant à la baisse sur les proies qui paraissent les plus vulnérables.

M. Pierre Gosnat. Vous avez la vue basse, monsieur Carrez !

M. Gilles Carrez. En France, les pouvoirs publics, le Président de la République, le Gouvernement sont les premiers à réagir, et ils le font avec une remarquable rapidité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Le Président, le Premier Ministre martèlent : « Aucune banque française ne fera faillite, car l’État l’empêchera. » (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La France dispose de l’un des systèmes de garantie des dépôts des particuliers les plus protecteurs au monde et nos banques sont parmi les plus solides.

Dexia est secourue avec une maîtrise remarquable, par l’accord obtenu dans la nuit, en quelques heures, avec la Belgique et le Luxembourg et qui prévoit, pour la France, une recapitalisation de 3 milliards d’euros avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations. Nicolas Sarkozy, en tant que Président de l’Union Européenne, multiplie les contacts avec ses homologues européens pour les convaincre, petit à petit, de coordonner leurs interventions, qu’il s’agisse du soutien aux établissements en difficulté ou de la garantie des dépôts pour restaurer la confiance.

Chacun doit reconnaître que les points de vue, au départ éloignés, convergent peu à peu sur la base des positions françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Rarement, dans l’histoire de l’Europe, une présidence aura été aussi active et entendue dans la tourmente.

Ce travail ne fait que commencer car, passé la crise, il va falloir construire un système de régulation financière à l’échelon européen et international. Les dérives du capitalisme financier devront être corrigées, pour revenir aux fondamentaux de l’économie de marché et de l’entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) D’ores et déjà, nous savons que les propositions de notre pays seront reçues avec la plus grande attention : nous pouvons en être fiers.

Dans cette crise mondiale, la politique économique, sociale et budgétaire du Gouvernement est la meilleure possible. (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En soutenant tout d’abord l’économie, les décisions prises en 2007 nous donnent un temps d’avance.

M. Richard Mallié. C’est vrai !

M. Gilles Carrez. Au moment où chacun s’inquiète du financement bancaire des petites et moyennes entreprises, le renforcement de leurs fonds propres par le biais de l’ISF est un atout majeur : près de 1 milliard d’euros ont ainsi été collectés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Alors que, partout en Europe, l’immobilier s’effondre, chez nous, le crédit d’impôt sur les intérêts pour l’acquisition d’un logement atténue le choc. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La défiscalisation des heures supplémentaires, tout en revalorisant le travail, permet un pouvoir d’achat supplémentaire pour soutenir la consommation…

M. Jean Glavany. La relance du chômage !

M. Gilles Carrez. …de même que l’activation des donations. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Mes chers collègues, le débat devient inaudible : écoutons chaque orateur en silence.

M. Gilles Carrez. Enfin, le crédit d’impôt recherche renforce la compétitivité de nos entreprises.

Au cours des toutes dernières heures, tout un ensemble de canaux de financements extrabudgétaires, qui ne pèsent donc pas sur le déficit, ont été activés – OSEO, la Caisse des dépôts, le livret de développement durable –, pour financer nos PME : 22 milliards ont été débloqués. De même, les bailleurs sociaux vont acquérir, en VEFA, 30 000 logements là où la situation du logement est tendue. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Monsieur le Premier Ministre, je salue votre réactivité, que vous venez de démontrer à nouveau. (Mêmes mouvements.) Je salue aussi votre détermination à ne pas laisser déraper nos finances publiques et filer les déficits. Face à la crise financière, une relance par la dépense publique ou par la baisse d’impôts n’aurait aucun sens. En creusant le déficit, elle ne ferait qu’aggraver la crise de confiance, sans aucun effet ni sur la consommation ni sur l’investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe NC.)

M. Jean Glavany. Ça va, les adducteurs ? (Sourires.)

M. le président. Monsieur Carrez, il vous reste deux minutes.

M. Gilles Carrez. Le cap budgétaire que vous nous avez fixé, monsieur le ministre des comptes publics, est le bon. Dans la tempête, il faut le maintenir : maîtrise régulière et raisonnable de la dépense publique, protection des recettes, poursuite de la trajectoire de redressement de nos comptes publics. Mais, dans la crise, il faut savoir faire preuve de solidarité et d’équité. C’est la priorité du Gouvernement et de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Nous avons discuté, cette nuit, du revenu de solidarité active, qui s’appliquera dès le 1er juillet prochain. C’est un dispositif économique et social d’une efficacité exceptionnelle en période de crise. Une étape décisive dans l’équité fiscale va être franchie avec le plafonnement des niches fiscales, problème qu’aucune majorité, qu’aucun gouvernement n’avait osé prendre à bras-le-corps au cours des vingt dernières années. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Autre manifestation d’équité : les parachutes dorés et les rémunérations aberrantes seront proscrits pour les dirigeants d’entreprises qui ont échoué. (Exclamations prolongées sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Un premier exemple vient d’en être donné à l’occasion du plan de sauvetage de Dexia.

Quelles sont les marges d’intervention des pouvoirs publics sur la politique financière ? À court terme, nous devrons sécuriser les établissements en difficulté, tout faire pour rétablir les liquidités et, en particulier, la liquidité interbancaire, faire pression auprès de la BCE pour qu’elle abaisse rapidement ses taux. Grâce à vous, monsieur le Premier ministre, nous avons obtenu cela il y a quelques heures. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

À moyen terme, il faudra mettre en œuvre des mécanismes de régulation financière comme il en existe avec l’Organisation mondiale du commerce, revoir la chaîne de supervision – agences de notation, normes comptables, nature des produits financiers – en recherchant transparence et traçabilité du risque. (Mêmes mouvements.)

Depuis plusieurs semaines, la France propose toutes ces pistes et elle est de plus en plus entendue grâce à l’action énergique du Président de la République. Retour de la confiance, sécurisation des Français, ménages et entreprises, interventions économiques fortes et ciblées, solidarité, justice sociale et fiscale : la majorité et le groupe UMP approuvent vos objectifs et votre stratégie.

Nous ne regrettons qu’une chose : l’absence totale de propositions de l’opposition (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) qui s’en tient à un discours idéologique déconnecté des réalités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Quand on est socialiste, il faut être en poste à Washington pour faire des propositions, qui, d’ailleurs, ne font que conforter celles du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations prolongées sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Merci, monsieur Carrez…

M. Gilles Carrez. Dans votre action déterminée, rapide et cohérente, vous pouvez compter, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, sur notre confiance et notre total soutien. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. François Hollande, pour le groupe SRC.

M. François Hollande. Monsieur le Premier ministre, la gravité de la crise appelle en effet chacun à prendre ses responsabilités : le Gouvernement, par les choix qu’il fait…

M. Michel Herbillon. Et vos responsabilités, les prendrez-vous ?

M. François Hollande. …et l’opposition, par ses propositions. Tel est le sens du débat que nous avons aujourd’hui, si nous voulons le conduire dignement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Richard Mallié. C’est le congrès de Reims qui commence !

M. François Hollande. Commençons par un constat implacable : la crise qui nous frappe n’est pas un accident violent. C’est l’effondrement d’un système. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.) Ce système s’appelle économie d’endettement sans contrôle,…

M. Maxime Gremetz. Capitalisme !

M. François Hollande. …dérégulation sans limites, déréglementation sans autre objectif que l’augmentation du profit et de la spéculation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Pour tout dire, ce qui s’effondre aujourd’hui, c’est une partie de ce que vous appeliez la bataille idéologique, c’est-à-dire le libéralisme économique. (Mêmes mouvements.)

Le second constat que nous pouvons faire, les uns et les autres, c’est que cette crise n’est pas simplement américaine. Ce serait trop simple. Si elle n’était née qu’aux États-Unis, si les innovations n’avaient eu lieu qu’aux États-Unis, si la dérégulation n’avait été qu’aux États-Unis, nous n’aurions pas, aujourd’hui, une crise mondiale. Or la crise est mondiale, parce que le système s’est mondialisé. (« Pas d’applaudissements ? » sur les bancs du groupe UMP.)

Troisième considération incontestable : vous avez sous-estimé cette crise dès le départ. En août dernier, quand l’affaire des subprimes a éclaté, la ministre de l’économie et des finances a déclaré : « Le krach n’est pas pour aujourd’hui et il n’y aura aucune conséquence sur la croissance. »

En août dernier, alors que la crise frappait de nouveau, Mme Lagarde nous assurait qu’elle était déjà derrière nous. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC) Voilà comment vous avez, depuis un an, sous-estimé la crise !

Enfin, la crise n’est pas que financière : elle est devenue une crise économique majeure. La récession n’est pas pour demain : elle est déjà là, en France, aujourd’hui !

Dès lors, pour être à la hauteur des menaces qui, hélas, pèsent sur nous, il faut sans doute, comme l’a fait M. le Premier ministre, appeler à la convocation d’une conférence internationale, d’un nouveau Bretton Woods…

M. Michel Herbillon. Rendez-nous Ségolène !

M. François Hollande. …consacré aux marges de fluctuation monétaire, certes, mais aussi à la supervision du système financier et surtout à la fin de produits d’innovation financière tels que certains fonds hors tout contrôle. Il n’y aura de conférence internationale digne de ce nom que celle qui mettra en cause les paradis fiscaux et l’ensemble des fonds qui échappent à tout contrôle, à toute intervention. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Cependant, au-delà de cette conférence, il y a urgence à agir dès maintenant, et d’abord au niveau européen. Les États-Unis ont, non sans mal, adopté le plan Paulson. Qu’a fait l’Europe ? Des réunions, certes utiles, mais bien insuffisantes. Songez qu’il fallut plusieurs jours pour enfin décider que la même règle s’appliquerait à la garantie des dépôts partout en Europe – même si, dès le lendemain, certains pays s’en débarrassèrent pour fixer une garantie illimitée. Songez qu’il fallut de nombreuses réunions, jusqu’à ce matin encore, pour sauver le système bancaire dans tel ou tel pays – et sans aucune concertation européenne, encore ! Aujourd’hui même, nous apprenons que les Britanniques vont consacrer cinquante milliards d’euros au sauvetage de leurs principales banques, alors même qu’un plan de sauvetage de l’ensemble du système bancaire européen a été refusé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Autre exemple : après le sommet du G4, on proclamait que le pacte de stabilité serait assoupli, alors même que l’on n’évoquait que la simple application des traités existants !

Aucune de ces réactions n’est à la hauteur de la situation. Nous faisons trois propositions. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) La première concerne la solvabilité des banques : oui, un plan européen de sauvetage du système bancaire est nécessaire !

M. Bernard Deflesselles. Est-ce cela votre plan B ?

M. François Hollande. Ce plan doit être mis en œuvre par les États, et ce de manière concertée.

M. Michel Herbillon. Pourquoi pas par M. Fabius ?

M. François Hollande. Autrement, la crise bancaire qui touche aujourd’hui la Grande-Bretagne s’étendra demain à l’Espagne, à l’Allemagne voire – nul ne peut garantir le contraire – à la France elle-même ! La solvabilité des banques est donc au cœur du problème.

M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas une découverte !

M. François Hollande. Deuxième exigence : elle concerne les liquidités. Qui ne constate qu’aucune banque ne prête plus dans notre pays ou ailleurs en Europe ? Qui ne constate que les chefs de PME ne parviennent plus à financer leurs projets d’investissement, au point que la Banque centrale européenne est devenue prêteuse en dernier ressort ? Le débat d’aujourd’hui doit nous faire prendre conscience de nos responsabilités : la BCE doit apporter des liquidités ! Certes, nous nous félicitons de la baisse des taux, mais songez qu’il a fallu huit hausses successives pour consentir à cette baisse d’un demi-point ! Comment croire qu’il s’agit là d’une réaction convenable, digne même, face à la crise actuelle ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Troisième exigence, enfin : il faut soutenir l’activité. Chacun peut se réjouir de l’emprunt de trente milliards d’euros décidé par la Banque européenne d’investissement pour accompagner les PME en Europe, mais c’est dix fois plus qu’il faut leur consentir ! C’est pourquoi nous demandons le lancement d’un grand emprunt européen pour soutenir leurs activités (Mêmes mouvements).

Au plan national, deux décisions importantes sont à prendre. La première consiste à imposer la transparence et la vérité à l’ensemble du système bancaire. Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de vouloir rassurer les épargnants : nous devons leur rappeler que leurs dépôts ne sont pas en danger. En contrepartie, nous devons exiger des banques toute la vérité sur les crédits toxiques dont elles disposent et les participations qu’elles ont prises.

Ensuite, il faut se résoudre à une prise de participation en cas de défaillance de notre système bancaire (« C’est fait ! » sur les bancs du groupe UMP). En effet, je me réjouis des choix qui ont été faits concernant Dexia. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Néanmoins, comment M. le Premier ministre peut-il dire que ces prises de participation – à l’avenir pour le moins incertain – doivent être revendues au plus tôt ? Non : elles doivent être conservées le temps qu’il faudra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. le président. Il vous reste deux minutes.

M. François Hollande. J’en viens à l’économie réelle que menace la crise financière, et pour laquelle je ferai trois propositions.

Tout d’abord, l’accès au crédit des particuliers est un problème dont nous devons d’emblée prendre toute la mesure. La récession, déjà là, s’amplifiera si les agents économiques n’ont plus accès au crédit. Nos concitoyens, sans doute inquiets pour leurs dépôts actuels, le sont autant pour le financement de leurs activités à venir, ou pour l’obtention d’un futur prêt immobilier.

M. Michel Herbillon. Ils attendent certainement le congrès de Reims !

M. François Hollande. Je vous propose donc, monsieur le Premier ministre, la création d’un fonds national de garantie des prêts qui permettra d’alimenter et de mutualiser le système bancaire, de sorte que le crédit puisse être distribué.

Ensuite, il faut soutenir l’investissement. Puisque la croissance est négative, comme vous le reconnaissez vous-même, et que nous sommes en récession, nous devons soutenir l’investissement privé en modulant l’impôt sur les sociétés, qui doit être augmenté lorsque les bénéfices sont distribués et baissé lorsqu’ils sont réinvestis. De même, il faut consolider l’investissement public. Comment peut-on prétendre aujourd’hui soutenir le logement, alors même que les crédits qui lui sont consacrés diminuent de 6% (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. le président. Merci de conclure.

M. François Hollande. …et que les collectivités locales, qui assurent 70% de l’investissement dans ce secteur, vont être privées d’une partie de leurs ressources, pourtant si utiles à l’économie ? (Mêmes mouvements.) 

M. le président. Merci…

M. François Hollande. Je termine, monsieur le président.

Le débat budgétaire s’ouvre dans quelques jours. Hélas, votre budget est d’ores et déjà décalé par rapport à la gravité de la crise !

M. Jean-Marc Ayrault. Il est même caduc !

M. François Hollande. Vos objectifs de croissance ne seront atteints ni cette année, ni l’année prochaine – le FMI annonce même 0,2% de croissance pour 2009. Pourtant, vous vous obstinez, depuis un an et malgré la crise, à mener une politique qui a échoué : c’est injustifiable et impardonnable ! (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. le président. Nous en venons aux questions. Sept questions seront posées, chacune d’entre elles ne pouvant, comme les réponses, excéder deux minutes et demie.

La parole est à de M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Le 10 juin dernier, madame la ministre, Mme Rosso-Debord s’adressait ainsi à vous lors des questions au Gouvernement : « Bon nombre d’orateurs, sur certains bancs de cet hémicycle, nous prédisent une apocalypse économique, notamment dans le champ de l’emploi. Face à ces défaitistes, toujours tentés par la sinistrose, le gouvernement de François Fillon, avec conviction et détermination, tient haut et fort son engagement de faire progresser l’emploi dans notre pays. » Vous lui répondîtes ainsi : « Nous sommes sur une courbe favorable, où le chômage baisse et l’emploi s’améliore, sur fond d’une croissance plus forte que celle que l’on nous prédisait. »

Moins de cent jours plus tard, vous avez dû reconnaître l’augmentation de plus de quarante mille du nombre de demandeurs d’emploi au mois d’août, en en rejetant la responsabilité sur la crise internationale.

Par quel artifice espérez-vous donc faire croire aux Français que toute amélioration des statistiques de l’emploi est due à la politique du Gouvernement, mais que, dans le cas contraire, c’est la conjoncture internationale qui est à blâmer ?

Loin de moi l’intention de nier les effets dévastateurs qu’entraîne l’effondrement des marchés financiers. Néanmoins, il y a quelques semaines à peine, votre politique consistait précisément à s’en remettre à ces marchés : vous faisiez appel aux fonds de pension pour financer les retraites et aux assureurs privés pour garantir la protection sociale. Hier encore, vous invoquiez les marchés financiers pour dessiner l’avenir de La Poste !

D’autres pays européens, tels que l’Espagne, sont en mesure de mobiliser rapidement des moyens budgétaires. Hélas, le paquet fiscal que vous avez fait voter l’année dernière vous laisse démunie face à la crise ! Voici un an que vous faites de l’idéologie, mais, aujourd’hui, la réalité vous rattrape !

M. le président. Posez votre questions, je vous prie.

M. François de Rugy. Êtes-vous donc vraiment déterminée, madame la ministre, à revoir l’ensemble du logiciel qui commande votre pensée économique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Le Premier ministre l’a dit : aujourd’hui, la situation est grave, et ce à cause de désordres financiers en provenance des États-Unis qui ont produit des répercussions sur l’ensemble des marchés. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est une évidence ! Face à cette situation, notre politique est simple : elle consiste avant tout à financer le développement des entreprises. Il faut en effet éviter à tout prix que la contraction du système interbancaire n’affecte leur financement, car elles sont au cœur de l’innovation et de l’emploi dans nos territoires. Le Gouvernement y est déterminé, et a demandé à la Banque européenne d’investissement d’y participer. Ce matin même, j’ai assisté à la signature du premier crédit de 180 000 euros consenti par la BEI à une entreprise qui en avait bien besoin. En outre, comme le Premier ministre l’a indiqué, plus de vingt-deux milliards seront consacrés au financement des PME.

Notre seconde priorité est de faire en sorte que les circuits se réalimentent. On ne saurait laisser la tuyauterie bloquée et supporter une sorte de thrombose du système de financement. Dès lors, nous devons, tous ensemble, restaurer la confiance entre opérateurs en leur expliquant que l’État français n’abandonnera pas les banques. Que ce soit clair : nous ne tolérerons la faillite d’aucun établissement bancaire français.

Tels sont les deux axes de notre politique.

M. Maxime Gremetz. Et les salaires ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Dans le même temps, nous soutiendrons toute mesure destinée à améliorer l’emploi. L’année 2007 fut très bonne, puisque 320 000 emplois furent créés, mais il est vrai que le taux d’emploi a baissé au premier semestre de cette année. Pour y remédier, nous allons employer une série de moyens que je ne manquerai pas de vous expliquer au cours du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. À l’heure où la crise frappe de plein fouet le système bancaire et financier international, le Nouveau centre souhaite que l’on soutienne davantage nos PME et nos PMI, premières créatrices de croissance et d’emploi. Chacun sait les difficultés croissantes qu’éprouvent les entreprises à accéder au crédit, et les lignes de trésorerie sont également concernées. En mobilisant près de vingt-deux milliards pour les PME, le Gouvernement va dans le bon sens, de même qu’il a eu raison d’affecter soixante-dix millions à un fonds spécifique destiné à transformer des prêts à court terme en prêts à moyen et long terme.

Mais nous demandons, madame la ministre, que ces 22 milliards d’euros, qui sont à la disposition des banques, soient intégralement consacrés au financement des PME-PMI.

Cela étant, le groupe Nouveau Centre souhaite aller plus loin. Nous vous proposons, non de créer un fonds national de garantie, mais de renforcer considérablement les moyens consacrés à ce fonds. Les initiatives des collectivités territoriales sont très insuffisantes à l’heure actuelle. Il y va de la confiance des chefs d’entreprise et des emplois.

Ma question est simple : le Gouvernement est-il prêt à renforcer les moyens de ce fonds national de garantie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je voudrais rappeler les mécanismes qui sont en place aujourd’hui, car il importe que nos concitoyens, et en particulier les chefs d’entreprise, sachent ce qui est disponible.

Nous avons proposé de mobiliser tous les circuits de financement : nous disposons de 17 milliards d’euros, issus de la décentralisation, des surplus de l’épargne réglementée qui sont aujourd’hui placés sur les livrets d’épargne populaire ou sur les livrets de développement durable – les anciens CODEVI –, soit au total, je le répète, 17 milliards, dont la moitié est mobilisable dès demain, l’autre moitié à compter du 15 octobre, date à laquelle les banques seront en mesure d’accéder à ce financement.

Nous disposons également de 2 milliards supplémentaires pour l’activité de cofinancement d’OSEO. Vous évoquez, les uns et les autres, une banque, un fonds, un organisme de garantie pour les petites ou les moyennes entreprises. Une telle structure existe : OSEO fait du cofinancement et fournit des garanties.

M. Henri Emmanuelli. Elle ne fonctionne pas !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Si, monsieur Emmanuelli, elle fonctionne, et vous pouvez le vérifier.

M. Arnaud Montebourg. Avec quels moyens ? Il n’y a plus d’argent ! Plus un fifrelin !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. J’ai demandé à OSEO de mettre en place un numéro vert, qui sera disponible à partir de demain matin,…

M. Arnaud Montebourg. Nous allons le noter !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …afin que toutes les petites et moyennes entreprises, tous les chefs d’entreprise français qui veulent utiliser la garantie OSEO ou le cofinancement puissent obtenir l’information et avoir immédiatement accès à la ressource. C’est indispensable.

Nous disposons en outre de 3 milliards d’euros de prêts supplémentaires qui bénéficient d’une garantie OSEO et d’un milliard d’euros pour la transformation de financements de court terme en moyen terme. Les trésoreries sont courtes, il faut donc parvenir à les transformer en trésoreries de moyen terme. Là encore, OSEO sera aux côtés des entreprises pour ce faire.

De multiples financements sont disponibles au niveau national via OSEO et via les banques, et au niveau européen par la Banque européenne d’investissement, par le canal des banques. Un numéro vert a été mis en place pour les entreprises et, au sein de chacune des DRIRE, j’ai signé ce matin une circulaire pour leur demander de fournir un parrain ou une marraine PME afin d’aider les entreprises à s’y retrouver dans le maquis des moyens aujourd’hui disponibles. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier.

M. Patrick Ollier. Madame la ministre, je tiens à dire combien nous avons apprécié la rapidité de votre réaction et votre efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) On peut toujours gloser sur les bancs de l’opposition, mais si la France se trouve dans la situation que nous connaissons, c’est-à-dire bien meilleure que dans d’autres pays, c’est grâce au Gouvernement, et je tiens à le dire publiquement ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Madame la ministre, je ne suis pas favorable à l’instauration d’un fonds de garantie pour les entreprises, comme certains viennent de le proposer. En revanche, vous avez annoncé des mesures : je souhaite que vous nous apportiez quelques éclaircissements, concernant notamment la manière dont elles ont été mises en œuvre.

M. Patrick Lemasle. Oui, ce n’est pas clair !

M. Patrick Ollier. Aujourd’hui, l’assèchement du crédit provoqué par le manque de confiance entre les banques devient dramatique. Le renchérissement du crédit est grave et, de plus, les dossiers sont sélectionnés avec une sévérité croissante. Tout ceci est inquiétant et si, dans les semaines à venir, le circuit ne recommence pas à fonctionner normalement, c’est toute l’économie qui risque d’être en péril.

J’approuve le fait que vous injectiez 22 milliards dans l’économie, mais je voudrais que vous clarifiiez la manière dont vous allez trouver ces fonds. Car j’entends ici et là des appréciations sur une façon d’agir qui ne correspond pas à la réalité. Expliquez-nous précisément le système que vous voulez mettre en place.

Ma première question porte donc sur la manière dont ces 22 milliards, auxquels s’ajoutent les 6 milliards de la Banque d’investissement européenne, vont être employés. Il ne doit y avoir aucun doute. Nous devons être certains que ces milliards iront bien aux entreprises afin de les aider à retrouver du crédit, notamment dans les domaines du logement et de l’immobilier, et qu’ils ne serviront pas à voler au secours des banques qui se seraient montrées imprudentes dans leur gestion.

Ma deuxième question concerne une mesure que nous avons prise ici avec vous, madame la ministre, dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie. Nous avons habilité le Gouvernement à réformer par ordonnance le droit des entreprises en difficulté, pour permettre à celles-ci de transformer leurs créances bancaires en actions. Nous attendons avec impatience cette ordonnance, qui permettra, elle aussi, de régler les problèmes générés par cette crise. Quand cette ordonnance nous sera-t-elle présentée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Concernant les 22 milliards que vous avez évoqués, monsieur Ollier, auxquels s’ajoute le complément mis à disposition par la Banque européenne d’investissement, l’essentiel sera distribué par les banques. Celles-ci pourront mobiliser, sur 17 milliards, les lignes de crédit nécessaires pour l’approvisionnement en financement des petites et moyennes entreprises.

Nous mettons en place un observatoire mensuel, auquel les banques devront fournir des renseignements…

M. Paul Giacobbi. On croit rêver !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Eh bien, rêvons ensemble, si cela peut aider ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Cet observatoire indiquera le montant des prêts mis à disposition des petites et moyennes entreprises, ce qui garantira que l’argent est bien employé, comme nous le souhaitons, au financement des petites et moyennes entreprises.

En ce qui concerne la Banque européenne d’investissement, une première convention a été signée ce matin avec l’une de nos banques, sous réserve que cette dernière mette les fonds à la disposition d’une petite ou moyenne entreprise. La Banque européenne d’investissement exerce un contrôle sur la banque française qui reçoit les fonds. De notre côté, nous exerçons un contrôle par le biais de cet observatoire qui sera tenu à jour mensuellement et qui nous permettra de suivre la mise à disposition des fonds à destination des petites et moyennes entreprises.

M. Arnaud Montebourg. Nous n’avons pas le numéro vert de cet observatoire !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Enfin, et vous avez raison, monsieur Ollier, le financement des PME est capital. Il ne doit pas ralentir, voire s’interrompre. La mesure que viennent d’annoncer les quatre grandes banques centrales – la BCE, la Réserve fédérale américaine, la Banque du Canada, la Banque centrale suisse et la Banque centrale de Suède – de descendre de cinquante points de base, c’est-à-dire de 0,5 %, le taux d’intérêt directeur va entraîner mathématiquement une diminution des taux d’intérêts et, donc, un assouplissement du crédit auprès de tous les emprunteurs. Le suivi de la mise à disposition des fonds et la baisse des taux d’intérêts grâce à la baisse du taux directeur sont deux mesures qui nous permettront de soutenir le financement des petites et moyennes entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Nous sommes tous conscients, sur ces bancs, de la gravité de la crise financière que traverse le monde. Il ne s’agit pas d’un accident : c’est une crise de la mondialisation libérale, qui s’est développée depuis deux décennies et qui a consisté à déréguler et déréglementer tous les marchés. Le discours du Premier ministre et les propos de nos collègues de droite me laissent à penser qu’en réalité, c’est l’idéologie libérale qui s’effondre aujourd’hui.

Certes, il faut à nouveau réguler les marchés, répondre à cette crise de confiance et intervenir massivement. Mais, il ne faut pas l’oublier, pour qu’une économie résiste à une crise financière, il faut aussi qu’elle dispose des moteurs internes de la croissance. Or, en France, aujourd’hui, ils sont tous négatifs. La récession est déjà là, la production baisse d’ailleurs depuis le mois de mars. Si, au premier trimestre de cette année, il y avait encore un peu de croissance dans notre pays, c’est parce que la croissance allemande se diffusait à l’ensemble des autres pays européens, car notre consommation baissait déjà. Si notre consommation baisse depuis neuf mois, c’est parce que le pouvoir d’achat des ménages diminue.

Si vous voulez faire face à la crise et retrouver la croissance, il faut faire ce que nous avons fait lors de la précédente crise financière, en 1998. Certes, cette crise était moins grave que celle d’aujourd’hui, mais la France a traversé cette période avec un taux de croissance de 3,4 %. Contrairement à la baisse que nous constatons aujourd’hui, l’emploi, l’investissement et la consommation augmentaient massivement, et le pouvoir d’achat augmentait de 3 % par an.

Cessez de démanteler la politique de l’emploi, relancez le pouvoir d’achat, augmentez le SMIC, les petites retraites, la prime pour l’emploi, comme nous vous le demandons depuis un an, et vous redonnerez du pouvoir d’achat !

M. le président. Merci de poser votre question !

M. Pierre-Alain Muet. C’est en redonnant du pouvoir d’achat à notre économie que nous pourrons résister au deuxième effet de la crise. Le mieux que vous puissiez faire pour notre pays, c’est de réfléchir au budget et de remettre en cause le paquet fiscal.

M. le président. Veuillez conclure !

M. Pierre-Alain Muet. J’ai entendu M. le Premier ministre dire : « Notre politique n’est ni laxiste ni récessive. » Elle a été laxiste et, aujourd’hui, elle est récessive. Alors, remettez en cause cette politique…

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde… (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le président, cela suffit ! Votre façon de présider est inadmissible ! (M. Emmanuelli se lève et quitte l’hémicycle.)

M. le président. Chacun a eu le même temps de parole. J’y ai veillé à la seconde près !

Vous avez la parole, madame la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Monsieur le député, vous venez de décrire une situation de crise dans laquelle il y avait à la fois de l’emploi et de la croissance. Je m’interroge…

Ce que nous voyons aujourd’hui est à l’évidence une crise du système financier, qui risque de produire des effets sur l’économie réelle. Nous nous employons donc à la soutenir afin qu’elle ne soit pas victime des effets de la crise. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Par ailleurs, je voudrais vous indiquer trois facteurs qui me paraissent importants et qui sont probablement de nature à soutenir l’activité. D’abord, la diminution de l’inflation, dont il n’est pas nécessaire de se réjouir, puisqu’elle résulte simplement d’une diminution de la croissance un peu partout dans le monde.

M. Maxime Gremetz. Augmentez les salaires !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Ensuite, une diminution du prix du baril de pétrole. On a suffisamment glosé sur son augmentation à la fin du printemps et au début de l’été. Depuis le mois de juillet, il a baissé de 30 %. Enfin, une baisse de l’euro, laquelle va permettre, dans la conjoncture actuelle, de renforcer la situation des exportateurs français et de leur rendre de la compétitivité.

Voilà trois éléments qui devraient soutenir l’activité et qui s’ajoutent à notre politique consistant à mettre le travail au centre de l’équation économique.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas vrai !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je pense aux heures supplémentaires, au revenu de solidarité active, qui consiste à ramener les gens vers le travail au lieu de les laisser dans l’assistanat. C’est grâce à ces mesures et au soutien de l’économie réelle que nous pourrons véritablement aider l’économie française à traverser cette crise difficile. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie. Unité, réactivité et équité dans le partage des efforts ou des risques…

M. Roland Muzeau. Là, il y a de la marge !

M. Pierre Méhaignerie. …ont été tout à l’heure les trois mots principaux employés par le Premier ministre.

Je voudrais vous poser deux questions, madame la ministre, et faire deux suggestions sur les conséquences de cette crise – je pense en particulier à ceux qui risquent d’être victimes de plans sociaux. Si l’année 2007 a permis de franchir le quart du chemin pour ramener le taux de chômage en France à moins de 5 %, l’espoir de franchir une deuxième étape significative dans la baisse du chômage va temporairement s’éloigner, du fait de la crise financière internationale. Or, aujourd’hui, l’emploi est redevenu la première préoccupation de nos compatriotes. Pour faire face à cette crise – et je pense notamment aux salariés du secteur industriel –, le Gouvernement dispose de deux leviers : le financement du chômage partiel et le contrat de transition professionnelle, qui est actuellement expérimenté dans sept bassins d’emploi.

Lors de sa venue à Sandouville, le Président de la République a évoqué l’extension de ce dispositif.

M. Roland Muzeau. Avec les CRS !

M. Pierre Méhaignerie. Le contrat de transition professionnelle, mesdames et messieurs les ministres, répond à une forte attente : la sécurisation des parcours professionnels. Accéder à une formation sans passer par une période de chômage, tout en conservant pendant un an son salaire précédent, permettrait non seulement de rassurer, mais de préparer la reconversion des salariés vers des secteurs en demande d’emplois. Reste, bien sûr, et Gilles Carrez l’a abordée avec justesse, la question du financement de cette politique.

Afin de ne pas augmenter la dépense publique, le Gouvernement n’envisage-t-il pas, avec les partenaires sociaux, d’accélérer la réforme du financement de la formation professionnelle pour trouver les moyens de cette politique de justice et de solidarité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Monsieur le député Méhaignerie, vous avez raison d’insister sur ces questions de problématique de l’emploi. Vous avez également raison de viser deux axes de notre politique : celui consistant à soutenir les salariés les plus touchés par des licenciements économiques et les restructurations et celui consistant à aider les salariés qui doivent accéder dans de meilleures conditions à davantage de formation professionnelle de qualité.

Concernant la formation professionnelle, nous avons demandé aux partenaires sociaux, qui se concertent depuis le 22 septembre, d’accélérer le rythme de leurs négociations. Le Président de la République nous a, en effet, demandé de lui soumettre, avant la fin de l’année 2008, un texte proposant une véritable réforme de la formation professionnelle, une meilleure orientation des fonds, moins de dispersion, des formations plus adaptées aux besoins de notre économie et aux efforts dont font preuve les salariés pour s’adapter à leurs futurs emplois.

S’agissant des licenciements économiques, vous avez évoqué le contrat de transition professionnelle que vous connaissez bien puisque Vitré est un des sept lieux d’expérimentation, dont je sais que les résultats sont bons. J’envisage effectivement d’étendre ce dispositif de transition professionnelle – qui permet la flexisécurité, en accompagnant la formation et la transition d’un emploi que l’on quitte vers un emploi que l’on retrouve – à tous les bassins victimes de restructurations importantes. Des sites, autres que les sept lieux d’expérimentation, seront donc concernés. Tel est le sens de l’annonce du Président de la République lorsqu’il s’est rendu à Sandouville. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, mes chers collègues, revenons un instant au sujet. Le 20 septembre, Mme Lagarde déclarait : « Le gros risque systémique qui était craint par les places financières et qui les a amenées à beaucoup baisser au cours des derniers jours est derrière nous ». Nous étions alors rassurés. À l’opposé de cet aveuglement, la gravité de la crise et ses causes profondes ont été exposées par George Soros le 23 janvier 2008 dans un article lumineux publié par le Financial Times. Il considérait alors que la crise était bien autre chose que l’épiphénomène des subprimes et qu’elle sanctionnait des décennies d’abus de crédit aux États-Unis vis-à-vis du reste du monde.

Je me suis moi-même exprimé ici en octobre 2007 et je vous ai alors dit que vous rêviez de croire qu’il n’y avait pas de crise. Ces derniers jours, vous avez enfin cessé de rêver, c’est heureux.

La FED vient d'ouvrir son escompte au papier commercial ordinaire présenté par les entreprises et abaisse à 1,5 % son taux directeur. M. Trichet commence seulement à admettre que l'Europe est en crise et abaisse son taux directeur à 3,75 %. Le Congrès américain a débattu de la crise jour et nuit pendant plus d'une semaine. En France, le Gouvernement multiplie dans le plus grand désordre les effets d'annonce, tandis que notre assemblée se contente d'un débat à la sauvette qui ne sera suivi d'aucun vote, pas même d'un plan, encore moins d'un texte. L’affirmation péremptoire selon laquelle les banques françaises ne risquent pas de faire faillite inquiète plus qu’elle ne rassure. Faut-il vous rappeler ce qu’il a fallu faire pour éviter la faillite du Crédit lyonnais ? Faut-il vous rappeler que, plus récemment, la Société générale – autre grande banque de dépôt française aux activités diversifiées et dirigée par un ancien directeur du budget – n'a même pas été capable de repérer en temps utile un engagement intempestif de 50 milliards d'euros imputable à un salarié de niveau subalterne ?

Je vous poserai trois questions précises. Depuis un an que la crise financière est une évidence mondiale, européenne et française, quelles diligences avez-vous menées, avec la Direction du Trésor, l'AMF, la Banque de France, entre autres, pour évaluer, pour nos établissements de crédit, le risque au niveau des liquidités et le besoin en fonds propres qui ne pourront être apportés, dans les circonstances présentes, que par l'État ?

La Grande-Bretagne prévoit que l'État interviendra à hauteur de 57 milliards d'euros en apport de fonds propres pour sauver ses banques.

M. le président. Veuillez poser votre question.

M. Paul Giacobbi. Quel est notre plan de sauvetage et quelles sommes envisagez-vous de consacrer aux prises de participation de l'État en France ?

Enfin, comment financerez-vous, le cas échéant, de telles interventions ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Monsieur le député Giacobi, nous avons tous la responsabilité de regarder en face la réalité de nos banques et, en particulier, de nous exprimer vis-à-vis des déposants et des épargnants.

M. François Loncle. Il fallait le faire avant !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Depuis un an, toutes nos banques sont sous la surveillance extrêmement vigilante de la Commission bancaire, placée sous l’autorité du gouverneur de la Banque de France.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est encore pire parce qu’il n’a rien fait !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je vous demanderai de mesurer vos propos en matière d’épargne et de crédit des banques ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Seule Mme la ministre a la parole !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. La supervision de la Commission bancaire, sous l’autorité du gouverneur de la Banque de France, a précisément pour mission de vérifier la nature des fonds propres, le respect des ratios par l’ensemble des banques. Je peux vous dire aujourd’hui que ces ratios sont respectés au-delà des normes de Bâle auxquelles se conforment l’ensemble des places financières. Toute la différence – et je parle à un connaisseur – entre la situation des banques anglaises aujourd’hui et celle des banques françaises, c’est que les premières sont à un ratio de six et les secondes à un ratio de huit. Les banques françaises sont donc beaucoup mieux dotées en fonds propres. Si vous leur posez aujourd’hui la question de savoir si elles ont besoin de recapitalisation, si elles souhaitent que l’État participe à une opération de recapitalisation, elles vous le diront : « C’est non. » Les banques françaises sont bien fondées en fonds propres, bien contrôlées, et sont dotées d’un modèle d’organisation qui repose pour 75 % de leur activité sur de la banque de dépôt, de la banque traditionnelle, qui consiste à consentir des prêts aux entreprises et aux particuliers et pour 25 % sur de la banque d’investissement. Cela leur permet de mieux répartir leurs risques, contrairement aux autres établissements financiers que vous avez évoqués tout à l’heure.

Depuis un an, nous sommes en relation permanente avec l’autorité de surveillance – la Commission bancaire. Le Trésor est en relation permanente avec ses homologues de l’ensemble des pays de la zone euro, avec le gouverneur de la banque centrale et avec l’Autorité des marchés financiers. Ces trois autorités principales travaillent ensemble en permanence. Je suis moi-même en liaison très étroite avec le directeur du Trésor. Je peux vous assurer que, depuis que nous traversons cette période de renchérissement des mouvements financiers, des besoins de liquidités, nous avons une conférence téléphonique tous les jours avec les responsables de tous les établissements bancaires français. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est indispensable pour comprendre quelles sont leurs difficultés d’approvisionnement en liquidités et quels sont leurs problèmes de solvabilité.

Croyez bien que nous sommes à la manœuvre et sur le pont ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Pour résoudre la crise, il faut avoir confiance en la démocratie. La solution appartient à l’exécutif, qui fait très bien son travail, et au Parlement, pluriel et pluraliste. Il leur revient d’informer les Français, citoyens, épargnants, contribuables, et de partager avec eux les solutions.

Nous vivons, cela a été souligné, une crise de liquidités qui exige de rétablir la confiance dans le système bancaire. Le Gouvernement a dit qu’il garantirait le système bancaire français. C’est bien. En même temps, il faut faire face à une demande de mesures concrètes en France, en Europe et dans le monde.

Je formulerai cinq demandes concrètes, madame la ministre. Quelles mesures seront prises pour lutter contre la spéculation baissière ? Comment assurera-t-on la transparence quant à la situation des banques ? Dès lors qu’il y a garantie de l’État, il n’y a aucun risque à la transparence. Quelles seront les initiatives permettant de mettre en place un modèle européen de gouvernance financière dont chacun ressent le besoin ? L’État garantit le système bancaire. Il faut donc avoir confiance en lui. Il est alors essentiel, madame la ministre, que vous nous rassuriez et que vous nous disiez qu’il n’est pas question de laisser filer les déficits et d’augmenter les prélèvements obligatoires.

Nous devons aussi penser à l’avenir. On entend déjà que, aux États-Unis, les conditions sont réunies pour qu’un rebond intervienne. Quelles sont – ce sera ma dernière demande – les réformes structurelles les mieux à même de favoriser le rebond de notre économie ? Nous devons, en effet, croire en l’avenir !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Monsieur le député Mariton, je répondrai précisément à vos cinq points.

Vous avez évoqué la spéculation boursière. Nous avons demandé à l’Autorité des marchés financiers, voici maintenant une dizaine de jours, de prendre une mesure très ferme pour interdire tout ce que l’on appelle « les ventes à découvert ». L’Autorité des marchés financiers l’a mise en œuvre d’une façon qui lui paraît suffisante pour éviter tous les mouvements spéculatifs à la baisse qui ont été à l’origine d’une série de catastrophes boursières, notamment aux États-Unis. L’AMF est extrêmement vigilante. Si cette mesure ne suffit pas dans son ampleur, elle ira au-delà. Les ventes à découvert – qui consistent à revendre des titres dont on ne dispose pas, en espérant qu’entre-temps ils baisseront – sont interdites.

Vous m’avez interrogée sur la transparence des banques. Il est évident que les banques doivent être transparentes dans leur bilan, dans l’indication de leur exposition au risque. Le Forum de stabilité financière, l’Eurogroupe, L’ECOFIN et le Gouvernement français se sont associés pour faire cette demande. Lors de la dernière réunion des gouverneurs des banques centrales qui s’est tenue en présence des ministres de l’économie et des finances de l’Union européenne, nous leur avons demandé où en étaient leurs vérifications en matière de transparence. Aujourd’hui, 80 % des banques européennes ont fait toute la transparence sur les risques qui figurent sur leur bilan. Nous avons demandé à ce que les 20 % de banques restantes s’y conforment et à ce qu’il nous en soit rendu compte lors de la prochaine réunion qui rassemblera les gouverneurs des banques centrales européennes et les ministres de l’économie et des finances.

S’agissant du système bancaire français, nous enregistrons un total de pertes et provisions de 20 milliards d’euros, ce qui constitue à peu près 10 % du montant total des fonds propres des banques françaises, qu’elles ont déjà en grande partie reconstitués. Donc, je le répète ici : la structure des bilans des banques françaises, est solide et leurs fonds propres sont au-delà des rations minima prévus par les textes.

Vous m’avez interrogée sur les initiatives européennes. Toutes les initiatives que nous prenons actuellement, qu’il s’agisse de mieux organiser la coordination entre les superviseurs, qu’il s’agisse d’exiger l’enregistrement européen des agences de notation et la transparence des acteurs bancaires, sont des initiatives européennes. Nous devons, bien entendu, continuer impérativement à travailler de manière concertée et coordonnée. À cet égard, la mesure prise ce matin par l’Espagne consistant à sortir des bilans des banques pour 30 milliards de crédits immobiliers et à les mettre à l’actif d’une société dont les actionnaires sont les banques est conforme aux engagements que les Européens ont pris hier. Par ailleurs, toute mesure qui tendrait, par exemple, à apporter une garantie doit être prise au niveau « intra-Eurogroupe ». Nous ne devons pas de nouveau fragmenter la zone euro. Il est impératif que nous ayons cette coordination sur le plan européen.

Il faut avoir confiance dans l’État. Je vous le redis, monsieur le député Mariton, de conserve avec Éric Woerth, il n’est pas question de laisser filer les déficits que nous devons maîtriser et surtout réduire. Nous devons maîtriser la dépense publique. Les efforts entrepris par Éric Woerth, dans le cadre de la préparation du budget, doivent se poursuivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Le débat est clos.

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. Monsieur Ayrault, vous me demandez la parole pour un rappel au règlement. Je vous l’accorde à titre exceptionnel car ce n’est pas prévu dans ce type de débat. Je vous fais confiance pour être bref.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, il ne s’agit pas aujourd’hui de la séance habituelle des questions au Gouvernement. Aussi mon rappel au règlement est-il parfaitement de droit.

M. Paul Giacobbi. Absolument !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous avons, monsieur le président, demandé un débat ; nous l’avons eu, mais partiellement. La gravité de la situation aurait exigé que nous y consacrions trois heures – c’est d’ailleurs ce qu’a fait le parlement allemand hier – en présence du Gouvernement et du Premier ministre, et ce jusqu’au terme de la discussion. Un débat n’est pas la juxtaposition d’interventions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Desallangre. C’est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Il ne doit pas se résumer à quelques questions de députés qui ne reçoivent de réponses que de la seule ministre de l’économie ! Je regrette donc que nous n’ayons pas pu échanger et clarifier un certain nombre de points.

Nous avons notamment assisté à des attaques extrêmement violentes de la part de l’UMP. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) J’en comprends les raisons : quand on se sent responsable d’une situation, on n’a pas d’autre solution que l’attaque ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Vous nous avez reproché de ne pas faire de propositions. À chaque fois que nous en avons fait, que ce soit au cours de la session extraordinaire, ou depuis le début de la session ordinaire, notamment avec l’intervention de François Hollande, jamais nous n’avons obtenu de réponse ! Si vous n’êtes pas d’accord avec nos propositions, dites-le ! Mais le pays a droit à la vérité ! Il a droit à la vérité sur le bouclier fiscal !

M. le président. Je vous remercie, monsieur Ayrault…

M. Jean-Marc Ayrault. Un mot encore, monsieur le président.

Parce que vous avez voté un bouclier fiscal à 50 %, M. Forgeard ne contribuera pas au financement du RSA qui sera soumis à notre vote tout à l’heure. C’est ça, la vérité. C’est cette vérité que nous exigeons, c’est cette vérité qui vous fait peur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Monsieur Ayrault, c’est justement parce que nous n’avons pas voulu que ce débat ne soit qu’une série de discours que nous avons décidé en Conférence des présidents qu’il y aurait des questions. J’ai veillé très attentivement à ce que chacun d’entre vous respecte le temps dont il disposait et, s’il y a eu quelques secondes de dépassement, cela a été au profit du groupe socialiste.

Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Revenu de solidarité active

Explications de vote et vote sur l’ensemble d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion (n°s 1100, 1113, 1112).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Colette Le Moal, pour le groupe Nouveau Centre.

Mme Colette Le Moal. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme d’un débat passionnant dont l’objectif transcende les clivages partisans traditionnels puisqu’il s’agit de réduire efficacement la paupérisation et la précarisation de certains de nos concitoyens.

L’ambition de ce texte est grande si l’on considère que plus de 7 millions de Français se situent sous le seuil de pauvreté.

Le contexte a bien changé depuis 1988. Aujourd’hui, la pauvreté ne touche plus exclusivement les chômeurs, mais aussi désormais les « travailleurs pauvres »,…

Mme Monique Iborra. À qui la faute ?

Mme Colette Le Moal. …des hommes et des femmes qui ne parviennent plus à vivre décemment du fruit de leur labeur. Et comment justifier qu’à l’inverse l’assistanat puisse payer davantage que le travail ?

M. Roland Muzeau. Où avez-vous vu ça ?

Mme Colette Le Moal. Or, au Nouveau Centre, nous sommes convaincus que le seul véritable rempart contre la pauvreté demeure le travail.

Il fallait une loi pragmatique et de bon sens. Le bon sens, c’est de garantir à toute personne, qu’elle soit ou non en capacité de travailler, qu’elle pourra disposer d’un revenu minimum et voir ses ressources augmenter quand les revenus qu’elle tire de son travail s’accroissent.

Monsieur le haut-commissaire, vous connaissez l’attachement du Nouveau Centre à votre dispositif, qui a été expérimenté par M. Sauvadet en Côte-d’Or et par M. Leroy dans le Loir-et-Cher (Applaudissements sur les bancs du groupe NC), et qui a démontré son efficacité s’agissant d’assurer le retour à l’emploi.

Le revenu de solidarité active permet de passer d’une logique de statut à une logique de ressources, notamment par l’éligibilité aux droits connexes. On évite ainsi les suppressions brutales de ces avantages. De la sorte, il sera mis fin aux effets de seuil générés par les minima sociaux. Le RSA est donc une allocation qui incite à reprendre un emploi.

Le groupe Nouveau Centre regrette que le débat essentiel – comment améliorer le quotidien de plusieurs millions de personnes en les sortant de la pauvreté – ait été détourné au profit d’un débat essentiellement fiscal.

M. Maxime Gremetz. Il faut bien savoir qui va payer !

Mme Colette Le Moal. Puisqu’il faut bien évoquer cet aspect du texte, le groupe Nouveau Centre réitère ses critiques contre l’intégration de la taxe de 1,1 % dans le bouclier fiscal.

Si l’idée d’un bouclier fiscal en elle-même est loin de porter à critique, nous trouvons en revanche anormal qu’une réforme conçue sous le signe de la solidarité nationale exonère quelques contribuables parmi les plus riches d’un financement qui mérite l’effort de tous.

Cette disposition, mal à propos, nous prive peut-être d’un vote unanime de cette assemblée. Dommage, car le dispositif que vous nous soumettez appelait cette unanimité. L’effort demandé était minime, mais le symbole est grand.

Nous tenons néanmoins à remercier le Gouvernement d’avoir pris en compte nos propositions visant à plafonner les niches fiscales pour financer le RSA. Comme vous le savez, cet impératif de justice fiscale est au cœur de l’engagement des élus du Nouveau Centre, et ce n’est pas mon collègue Charles de Courson qui dira le contraire.

Le Gouvernement pourra d’ailleurs compter sur le Nouveau Centre pour s’engager dans cette voie avec détermination dans le cadre de la loi de finances, en allant plus loin dans le plafonnement des niches fiscales, afin de dégager des ressources supplémentaires destinées à diminuer sensiblement la taxe de 1,1 %.

Le groupe Nouveau Centre tient à vous rendre hommage, monsieur le haut-commissaire, pour toute la pugnacité dont vous faites preuve depuis plusieurs années au service de nos concitoyens les plus en difficulté. Nous tenons à vous remercier pour le respect dont vous avez fait preuve envers les parlementaires, nous vous remercions également d’avoir pris en compte des arguments de la majorité comme de l’opposition qui ont permis d’améliorer, parfois unanimement, le texte.

Nous nous félicitons de l’adoption d’un grand nombre d’amendements de notre groupe : outre l’amendement tendant à plafonner les niches fiscales, que je viens d’évoquer, ceux qu’a défendus mon collègue Francis Vercamer, reconnaissant la place des maisons de l’emploi et des PLIE dans les politiques d’insertion, introduisant une plus grande souplesse dans les contrats aidés afin de favoriser l’insertion des bénéficiaires, et tendant à évaluer l’impact du RSA sur le recours au temps partiel.

Nous avons pris acte de l’engagement pris par le Gouvernement d’examiner le cas des salariés dont la situation, à la sortie d’un contrat aidé, ne se serait pas améliorée, voire se serait dégradée. Nous espérons que ces réflexions aboutiront à l’ouverture de dérogations exceptionnelles permettant la prolongation de ces contrats.

Pour conclure, nous voudrions rappeler que simplification ne veut pas dire réduction. Nous veillerons donc, lors de l’examen du projet de loi de finances, à ce que les contrats aidés soient maintenus à un niveau suffisant, compte tenu de la période d’incertitude que nous traversons.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le Nouveau Centre votera votre texte avec conviction, car il constitue un investissement dans l’être humain qui aura des retombées économiques majeures. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)


M. le président.
La parole est à M. Bruno Le Maire, pour le groupe UMP.

M. Bruno Le Maire. La création du RSA marque un progrès social majeur pour notre pays. Il redonne au travail la dignité qui doit être la sienne. Il offre à ceux qui le veulent une aide concrète pour sortir de l'assistance et vivre correctement de leur emploi. À ce titre, le RSA n'est ni de droite ni de gauche. Il est tout simplement efficace, il est tout simplement juste, et je regrette que l’opposition ait fait le choix de s’abstenir sur une mesure de justice sociale qui aurait dû nous rassembler de manière unanime. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Marcel Rogemont. Bouclier fiscal !

M. Bruno Le Maire. Au moment de voter ce texte, je voudrais associer aux travaux de notre Assemblée toutes les personnes en recherche d'emploi qui vont avoir la possibilité de reprendre plus facilement une activité, tous les salariés à temps partiel dont les revenus seront complétés, toutes les femmes isolées pour qui la garde de leurs enfants ne sera plus un obstacle à la reprise d'un emploi, tous ceux qui trouveront là une main tendue pour reprendre la place qu'ils méritent dans notre société. Je voudrais aussi y associer les collectivités locales, les travailleurs sociaux, l'ensemble des acteurs présents sur le terrain, grâce auxquels le RSA ne sera pas un sigle de plus dans la panoplie sociale, mais un formidable outil de réduction de la pauvreté en France.

M. Maxime Gremetz. Oh la la !

M. Bruno Le Maire. Comme nous le savons, nous entrons dans une période économique particulièrement difficile, et le débat qui vient d'avoir lieu dans notre hémicycle l'a suffisamment montré : la fragilité des banques entraîne une restriction du crédit qui entraîne elle-même une décélération brutale de l'activité. Du défaut de paiement des banques à l'augmentation du chômage, il n'y a qu'un pas. Un pas très court. Un pas que nous franchirons, comme toutes les économies européennes. À la gravité de la situation, nous ne pouvons opposer aucun remède-miracle, mais seulement une action tenace, résolue, coordonnée avec l'ensemble de nos partenaires européens, comme celle que conduisent actuellement le Président de la République et le Premier ministre, et, bien sûr, des mesures concrètes, éprouvées par une expérimentation de plusieurs mois, pour protéger les plus faibles des conséquences de la crise financière. Le RSA était une nécessité en temps ordinaire ; il est un impératif en temps de crise.

Nos débats ont permis d'améliorer le texte sur beaucoup de points majeurs, notamment sur la gouvernance du dispositif. Et je tiens, au nom de tous les députés de la majorité, à rendre hommage à la qualité des travaux des commissions saisies comme des rapporteurs Marc-Philippe Daubresse et Laurent Hénart.

Nos débats ont également révélé des interrogations sur le mode de financement du RSA, auxquelles la majorité a répondu. Qu'est-ce qui est essentiel en effet ? Deux choses à nos yeux.

La première, c'est que le financement du RSA soit à la hauteur de l'enjeu. On ne peut pas promettre des aides significatives à la reprise d'emploi sans prévoir un budget conséquent. En instituant une taxe sur les revenus du capital, la majorité a fait un choix courageux. Elle a aussi fait un choix responsable, qui n'affecte pas nos finances publiques et qui n'entraîne pas de redéploiement hâtif des dépenses.

La deuxième chose essentielle, c'est l'équité du financement. Nous en avons longuement débattu. En décidant le plafonnement global des niches fiscales, nous répondons à cette exigence. Nous assurons que l'effort de solidarité sera bien supporté par tous et non par quelques-uns seulement. Nous serons vigilants sur le produit de ce plafonnement, son affectation et les éventuels contournements auxquels il pourrait donner lieu.

Bien sûr, l'adoption du RSA ne règle pas toutes les difficultés sociales de la France. Bien sûr, nous devrons mettre à profit les nouveaux pouvoirs du Parlement pour contrôler étroitement la mise en œuvre du dispositif, tant dans ses aspects concrets que dans ses effets sur le fonctionnement du marché du travail. De ce point de vue, je me félicite des moyens d'évaluation complémentaire qui ont été adoptés cette nuit.

Mais que la lucidité ne nous interdise pas de nous réjouir du travail que nous avons réussi à accomplir ensemble. Qu'elle ne nous empêche pas de remercier le haut-commissaire et toute son équipe pour leur imagination, leur détermination et leur disponibilité dans le débat. Dans quelques instants, la majorité votera votre texte. Elle le fera avec fierté et reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Je fais d’ores et déjà annoncer le scrutin dans l’enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Christophe Sirugue, pour le groupe SRC.

M. Christophe Sirugue. Il y a vingt ans, Michel Rocard créait le RMI. Nonobstant la stigmatisation agitée par quelques-uns sur le thème de l’« assistanat », il a été pour beaucoup le dernier filet de protection face à des situations souvent dramatiques. Le RMI a été et reste un acte fondateur des politiques publiques de lutte contre la précarité. Une nouvelle étape était nécessaire ; c’est l’idée que la gauche comme la droite ont défendue pendant la campagne présidentielle, avec le projet de RSA.

Pour autant, si, sans être un remède-miracle, le RSA est, pour nous, un outil intéressant, il est aussi source d’interrogations quant aux conséquences qu’aura son application dans le temps et le financement retenu ne peut que se heurter à notre ferme opposition.

C’est, tout d’abord, un outil intéressant, permettant d’accroître l’effort en faveur de ceux qui reprennent un emploi, car nous savons tous que le travail est un élément majeur de reconnaissance et de bien-être dans notre société.

Mais il est aussi source d’interrogation, car les travaux de notre assemblée n’ont pas levé nos craintes de le voir contribuer à un accroissement du travail à temps partiel subi et à un ralentissement des politiques salariales dans les entreprises favorisant les bas salaires. Malgré l’adoption de notre amendement proposant un grand débat sur les problèmes spécifiques des jeunes, je regrette qu’aucun article n’ait été consacré à ceux-ci alors qu’ils sont les plus fragiles, les plus soumis à la précarité et à l’exclusion. Nos interrogations concernent enfin nos compatriotes de l’outre-mer, puisque, bien qu’on leur fasse payer la taxe dès janvier 2009, ils ne pourront voir qu’après 2 010 la concrétisation du dispositif.

Mais le RSA est surtout un outil financé de la manière la plus inique qui soit. Vous avez choisi de privilégier le pire symbole de l’injustice et de l’inégalité en préservant les plus riches contribuables de ce pays, grâce au bouclier fiscal.

Et non seulement vous avez maintenu l’application de ce bouclier malgré nos demandes répétées, mais je lis sous la plume de M. Copé, répondant à notre président Jean-Marc Ayrault : « Il me semble que toucher au principe du plafonnement de l’impôt à 50 % des revenus comporterait une dimension particulièrement injuste, notamment parce qu’une part importante des bénéficiaires du bouclier fiscal dispose de revenus modestes. » De qui se moque-t-on ? Vos propres chiffres attestent du contraire puisque, je le rappelle, 10 % des Français ayant les plus hauts revenus bénéficient de 83 % des remboursements liés au bouclier fiscal. La restitution moyenne pour chacun de ces 10 % de Français les plus aisés est de 84 700 euros, ce qui est à mettre en parallèle avec les 200 euros supplémentaires évoqués que devrait procurer le RSA.

Comme on le voit, vous ne voulez pas toucher au bouclier fiscal pour financer le RSA, parce que ce serait toucher à ces pauvres riches ! C’est pour nous quelque chose de profondément choquant que certains puissent être soustraits à tout effort de solidarité nationale. C’est une question de principe, une question de morale, une question de symbole, et le contre-feu que vous avez tenté d’allumer avec le plafonnement des niches fiscales, au demeurant indispensable, ne change rien à la question.

Le cas de M. Forgeard est exemplaire : M. Hirsch nous a dit qu’il était soumis à un taux d’imposition de 46 %, ce qui n’est guère possible, puisque le taux marginal de l’impôt sur le revenu est de 40 %. S’il faut arriver à 46 %, c’est peut-être parce qu’ont été intégrés l’ISF et les impôts locaux, mais alors nous sommes à 10 % de plus, ce qui fait 56 %. Le bouclier fiscal à 50 % s’applique donc. Il faudra, monsieur le haut-commissaire, que vous nous disiez où vous avez trouvé vos chiffres.

Enfin, permettez-moi de redire que le RSA, qui n’est pas un emploi, ne pourra pas, notamment dans le contexte économique que nous allons connaître, agir efficacement contre la précarité et l’exclusion si votre gouvernement ne revoit pas ses orientations en matière de logement, de santé, de pouvoir d’achat et d’emploi.

Un projet, même suscitant un grand espoir, mais suscitant autant d’incertitudes et financé de manière aussi injuste, ne peut recueillir l’assentiment du groupe socialiste. C’est pourquoi nous nous abstiendrons lors de ce scrutin public. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe GDR.

M. Roland Muzeau. Nous avons eu maintes fois l’occasion de vous le dire au cours de ce débat, monsieur le haut-commissaire : nous aurions pu nous laisser séduire par l’objectif du RSA si vous n’aviez pas accepté d’avaler autant de couleuvres et si le revenu de solidarité active n’était lui-même devenu au fil du temps tout autre chose que ce que les travaux de la commission que vous animiez en 2005 pouvaient laisser espérer – quand, notamment, vous jugiez que 6 à 8 milliards étaient nécessaires au bon fonctionnement du dispositif. Le RSA n’est plus l’outil de lutte contre la pauvreté promis. Il est devenu un dispositif de plus dans la stratégie gouvernementale et patronale de casse du droit du travail, de baisse du coût du travail et de précarisation de l’emploi.

Le RSA se situe désormais dans la continuité des dispositifs qui, telles la prime pour l’emploi ou les exonérations de charges patronales sur les bas salaires, ont alimenté la spirale de la pauvreté laborieuse, contre laquelle ce revenu de solidarité active serait censé lutter. Ce qui progresse avec ce texte, c’est l’incitation faite aux entreprises de recourir plus encore aux petits boulots mal payés, avec la bénédiction et l’appui financier de l’État. C’est-à-dire qu’en l’échange de quelques dizaines d’euros supplémentaires, les allocataires du RSA seront demain contraints d’accepter n’importe quel emploi, n’importe quelles conditions de travail, et devront de surcroît renoncer à tout espoir de sortir un jour de la précarité. Comme de nombreux spécialistes, y compris parmi les pères fondateurs du RSA, nous ne voyons pas bien en quoi votre mesure constitue un progrès.

Nous le disons avec force : nous n’acceptons pas le chantage politique auquel se livre le Gouvernement, et nous dénonçons l’imposture qui consiste à présenter le RSA comme une révolution sociale. Vous prétendez qu’il permettra de réduire la pauvreté ; comme beaucoup, nous contestons cette analyse. À court comme à long terme, l’effet du RSA sera malheureusement négligeable. Rien n’est prévu, en effet, pour les millions de bénéficiaires de minima sociaux qui ne sont et ne seront pas en situation de retrouver un emploi, à commencer par les personnes âgées pauvres, ni pour les 18-25 ans, y compris ceux qui ont un travail, ni pour les chômeurs peu ou pas indemnisés.

De même, le RSA est insuffisamment doté. Le quelque 1,5 milliard d’euros dont il est question, et qui aura suscité tant de débats, masquant la question de fond, sera insuffisant pour permettre aux bénéficiaires d’espérer davantage en travaillant que d’atteindre le seuil de pauvreté.

Le débat sur le financement du dispositif aura permis à nos concitoyens d’observer à quel point le Gouvernement et sa majorité sont viscéralement attachés à préserver les intérêts de la caste de privilégiés pour laquelle ils travaillent assidûment depuis 2002.

Vous avez, dans le même esprit, refusé nos propositions de financement du RSA par la taxation des stock-options

M. Richard Mallié. Nous ne sommes plus au XIXe siècle !

M. Roland Muzeau.…, une mesure de bon sens, tant chacun s’accorde, y compris le président de la Cour des comptes, à considérer la distribution des stock-options comme une pratique ruineuse et scandaleuse.

Que nous en venions, en République, à considérer les privilégiés comme une classe de citoyens à part qui n’ont aucun devoir de solidarité nationale, quand on exige par ailleurs des plus pauvres qu’ils renoncent à leurs droits élémentaires, donne le sentiment d’une perte totale des repères essentiels à la cohésion sociale et nationale.

Au principe de ce texte se trouve l’idée non moins scandaleuse que les personnes privées d’emploi ne sont pas suffisamment incitées à retrouver du travail, ce qui revient à dire que, d’une manière ou d’une autre, elles sont responsables de leur situation, que l’inactivité est leur choix. Or chaque semaine, des milliers de nos concitoyens sont victimes de plans de licenciement, se trouvent privés d’emploi, comme chez Renault et Hewlett-Packard, sans que la situation de leur entreprise le justifie. Oui, monsieur le haut-commissaire, cette présentation du chômage est indécente.

Dans le contexte de crise financière et de récession économique actuel, avec le RSA, vous ne proposez rien d’autre à ces salariés licenciés que de connaître demain le sort des millions de salariés pauvres et de vivre d’expédients.

Nous refusons catégoriquement les intentions et la philosophie qui inspirent ce texte. Ce dont notre pays a besoin, ce que nos concitoyens attendent, c’est une authentique politique de l’emploi ; ce n’est pas que vous incitiez les entreprises à proposer des petits boulots et contraigniez les pauvres à les accepter. La priorité doit être au relèvement des minima sociaux et du SMIC, à la lutte contre l’emploi précaire, à l’amélioration des conditions de travail et de l’offre de formation, à l’allocation de moyens décents à la politique d’insertion…

M. Jean-François Copé. Allez !

M. Roland Muzeau. Vous prétendez venir en aide aux plus pauvres ; vous ne contribuez en réalité qu’à faire peser sur eux de nouvelles contraintes.

M. le président. Merci, monsieur Muzeau, de nous indiquer quel sera le vote de votre groupe.

M. Roland Muzeau. J’y viens, monsieur le président.

La pauvreté est l’affaire de tous, elle implique que l’État prenne ses responsabilités et exige des entreprises qu’elles prennent les leurs. C’est parce que nous refusons que le temps partiel demeure l’unique horizon des politiques de l’emploi, l’unique perspective offerte aux salariés privés d’emploi, et que nous refusons que le « travailler peu pour gagner peu » se fonde en principe de la lutte contre la pauvreté, que les députés communistes et républicains voteront avec fermeté et conviction contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

(Le projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

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Grenelle de l'environnement

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (nos 955, 1133, 1125)

La parole est à M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voici venu le temps du Parlement : le temps pour le Parlement d’apprécier le diagnostic du Grenelle de l’environnement et de fixer le cadre, les objectifs, le calendrier et les moyens de susciter ou d’accompagner les mutations sans précédent, par leur ampleur et leur vitesse, de notre économie, de notre modèle énergétique, de nos modes de consommation et de production, en bref de toute notre société.

Le Parlement n’est évidemment pas un collège de plus du Grenelle, même s’il a été associé à tout le processus dans les groupes de travail, les comités opérationnels, les groupes de suivi parlementaires, dans les commissions : il est le dépositaire ultime des conclusions de ce Grenelle, appelé à fixer de façon définitive le cap et la stratégie de la nation à un moment clé de l’histoire de notre pays, de l’Europe et du monde.

En premier lieu, j’exprime ma gratitude aux membres de la commission des affaires économiques, à son président Patrick Ollier et au rapporteur Christian Jacob pour tout le travail accompli ces derniers mois. Mes remerciements vont également à Eric Diard, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour la qualité de ses propositions.

Que fut, au fond, ce Grenelle de l’environnement ? J’ai eu l’honneur de le piloter avec Nathalie Kosciusko-Morizet et Dominique Bussereau, que je remercie du fond du cœur pour cet énorme travail ?

Il est né d’un événement, d’une volonté politique, d’un constat et d’une conviction.


L’événement est indiscutablement le pacte écologique porté par Nicolas Hulot pendant la campagne présidentielle. Ce pacte a cristallisé un long processus qui, depuis de nombreuses années, réunit un très grand nombre d’acteurs engagés, scientifiques ou issus des associations, au-delà de tous les clivages politiques.

La volonté politique est celle du Président de la République, déterminé à prendre à bras-le-corps cette révolution incontournable. Il a tout d’abord décidé de créer un ministère unique où se prennent, sans qu’elles puissent désormais être contradictoires, et de façon parfaitement intégrée, les décisions en matière de transport, d’énergie, d’urbanisme, de biodiversité, mais aussi celles qui concernent les mers, les océans, les infrastructures ou l’écologie. L’action publique en est modifiée en profondeur et le développement durable est ainsi au cœur de l’action du Gouvernement.

Le Président de la République a aussi été convaincu de la nécessité de faire un diagnostic, une radiographie en profondeur de notre société, de nos modes de production et de consommation, de nos pratiques, de nos processus de décision, du mode de construction de nos villes, de nos bureaux et de nos logements, de nos modes de transport et de nos modes de production agricole.

Enfin, le Grenelle est né de la conviction que nous entrons dans un nouveau monde. Nous avons vécu un siècle et demi dans l'illusion : celle de la profusion des ressources naturelles et des matières premières, comme l'eau et les forêts, celle d'un climat stable, d'un air sans CO2, d'une biodiversité infinie et sans cesse renouvelée ; l’illusion de terres fertiles et agricoles illimitées, permettant une production et une urbanisation sans fin. Si, dans cette période, nous avons connu une formidable amélioration de notre qualité de vie et d’énormes progrès médicaux et scientifiques, nous avons également vécu dans une sorte d'aveuglement, sans prendre conscience que tous nos progrès, tous nos actes de production et de consommation nécessitaient de prélever sur les fruits de la nature plus que celle-ci ne pouvait reconstituer.

Pourtant, sur des sujets différents, d'aucuns s’inquiétaient et lançaient, tour à tour, et en ordre dispersé, des cris d'alarme. Ce fut le cas du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, émanation de l’ONU. On sait aujourd'hui, que la situation est plus grave que celui de ses scénarios le plus pessimiste. D'autres, scientifiques tel Hubert Reeves, passionnés tel Jean-Louis Étienne, ou encore figures du monde associatif, ont alerté sur la fonte des glaces au pôle Nord et sur le réchauffement des mers. La fédération France nature environnement, la FNE, la ligue de protection des oiseaux, la LPO, ou WWF, par exemple, ont alerté sur la nécessité de protéger la biodiversité alors qu'une espèce vivante sur huit est menacée de disparition. D'autres encore ont dénoncé l'assèchement du lac Tchad, de la mer Morte et du lac Baïkal, ou la déforestation accélérée. Dans une société fondée sur l’exploitation des ressources fossiles, où depuis cinquante ans les besoins énergétiques ont été multipliés par quatorze, certains ont également alerté sur les conséquences économiques et sociales de « l’après-pétrole ». D'autres ont alerté sur l'impossibilité – ou du moins la difficulté – pour les grands pays émergents de fonder leur croissance sur le même modèle que le nôtre et insisté sur l'obligation pour les pays industriels de montrer l'exemple. D'autres aussi – en fait, il s’agissait parfois des mêmes – ont alerté sur la crise alimentaire, sur le problème des ressources en eau, ou encore sur l'étalement urbain. L’alerte a aussi été donnée sur la production de déchets qui provoque actuellement l'émergence d'un septième continent dans le Pacifique. Enfin, d'autres ont décrit les nouvelles migrations climatiques, les émeutes de la faim, l'état des fleuves et des rivières partout dans le monde, y compris en France.

Dans le même temps, certains niaient l'évidence en opposant l'écologie à l'économie et le progrès social ou la puissance industrielle à une nécessaire mutation environnementale. Le débat était mal posé, provoquant des incompréhensions et des affrontements réducteurs et faciles. Il en résultait un découragement de la plupart des acteurs sur le mode opératoire : il était plus facile d'être dans le déni ou dans le mépris de l'autre, de lancer des anathèmes plutôt que d'élaborer avec tous les acteurs de la société un diagnostic réel, sincère et sans concession afin de trouver, dans le consensus, les moyens d’assumer cette transition.

Le Grenelle est d'abord une radiographie en profondeur de notre société, de nos modes de production et de consommation, de notre organisation territoriale, de nos modes de gouvernance, de nos objectifs et des moyens réalistes de les atteindre. Pour ce qui est de la méthode, le Grenelle défend la conviction qu’aucun corps social n'a seul la capacité de faire ce diagnostic et, encore moins, aussi puissant soit-il, d'imposer aux autres les solutions en résultant.

Le Grenelle a d'abord été la plus grande opération de radiographie collective et démocratique jamais faite sur lui-même par un pays occidental. Il a débuté par un travail de diagnostic très en profondeur, réunissant au cours de plusieurs milliers d’heures de discussions approfondies des scientifiques, des économistes, des entrepreneurs, des biologistes, des syndicalistes, des responsables politiques et des acteurs engagés. Puis, un débat plus large s’est tenu au cours duquel on a dénombré 14 000 contributions sur Internet, 300 000 internautes intervenant sur le forum du Grenelle, 15 000 participants à dix-neuf réunions régionales qui ont permis d’aller au-delà des slogans, au-delà des raccourcis, au-delà des anathèmes et au-delà des réponses faciles.

Permettez-moi, mesdames et messieurs les députés, de rendre hommage, à ces centaines d'experts et de spécialistes qui, dans l'anonymat le plus total, en dehors de leurs activités habituelles, au sein de groupes de travail qui se réunissaient souvent tard dans la nuit, n'ont pas compté leur peine, au nom du seul intérêt supérieur de notre pays, et même probablement de valeurs encore plus universelles. Leurs échanges ont parfois fait évoluer les points de vue et ont permis d’aller au fond du débat et du diagnostic et de dégager des pistes vers des solutions.

La synthèse de ces travaux a ensuite fait l'objet d'une table ronde finale réunissant les entreprises françaises, les représentants syndicaux, les collectivités territoriales, les ONG et l'État. Ce fut le compromis du possible, validé, pour l'essentiel, par le Président de la République en présence de deux Prix Nobel de la paix et du président de la Commission européenne, Manuel Barroso. Chacun y était convaincu que le corps social qu'il représentait devait s'impliquer et accepter les compromis qui permettaient aux autres d'avancer au même rythme que lui.

Le Grenelle de l’environnement utilise une méthode fondée sur une conviction : la mutation à opérer est tellement vaste et touche simultanément un si grand nombre de sujets de société, qu'elle ne peut s’opérer que par la mise en mouvement de tous les acteurs.

Le projet de loi que nous examinons est, pour l'essentiel, la reprise, sous forme législative, des conclusions du Grenelle de l’environnement, de ses propositions, de ses financements et de son calendrier.

Ne vous laissez pas abuser par ceux qui n’ont pas directement participé au Grenelle ou par ceux qui, y ayant participé, se souviennent de leurs suggestions initiales plutôt que du compromis final.

M. Alain Gest. Très bien !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Ce travail complexe a été mené, prolongé et approfondi au sein de trente-trois comités opérationnels qui ont rassemblé plus de 1 200 personnes, élus, professionnels, syndicalistes, experts, salariés, représentants des entreprises. L'objectif était de dénouer tous les pièges opératoires, d'élaborer tous les processus opérationnels pour rendre le Grenelle techniquement réaliste et crédible, bref, techniquement possible.

Aujourd'hui, ce travail gigantesque de la nation tout entière vient devant le Parlement qui va devoir trancher, et donner au pays un cap clair et une feuille de route précise avec des objectifs chiffrés, les moyens pour les atteindre et un calendrier.

Un sondage de l’institut SOFRES des 2 et 3 octobre 2008, montre – et ce n’est pas un hasard – que 88 % des Français approuvent la méthodologie du Grenelle. Mieux, ils considèrent que cette méthode, faite de concertation, de rapprochement des points de vue, d'acceptation et de gestion des contradictions, devrait être appliquée à d'autres chantiers économiques et sociaux.

Bien sûr, l’exercice est complexe : l'économie et la technique seules ne suffiront pas à résoudre cette équation à plusieurs inconnues sans un travail essentiel sur les causes. Complexe, parce que cette feuille de route doit réconcilier tous les acteurs de la société autour d'un projet commun pour faire émerger une société sobre en carbone, une société respectueuse de la nature et des fruits de la nature, une société réconciliant enfin le progrès et l'avenir. Complexe aussi, parce qu'il s'agit d'atteindre la plus haute ambition possible en faisant progresser tous les acteurs en même temps. Complexe parce que nous nous situons bien au-delà d'un champ de compétence unique, bien au-delà de la seule sphère publique ou de celle d'un ministère spécialisé. Complexe enfin, parce que cette mutation est tellement vaste qu'elle s'inscrit dans des échelles de temps incroyablement différentes.

Mais derrière un diagnostic sans concession, et parfois franchement alarmiste, il y a eu la conviction unanime que nous pouvions changer radicalement la donne et répondre à l’urgence. Au-delà du constat du Grenelle est alors apparue la possibilité d'une autre croissance, celle de l'efficacité, de la sobriété, de l'autonomie énergétique ; celle de l'indépendance par rapport à des cours mondiaux qu'on ne maîtrise pas ; celle de l'indépendance par rapport à des rentes de situation énergétiques et financières, responsables d'une partie des déséquilibres actuels.

Tous les acteurs du Grenelle, quel que soit le corps social qu'ils représentaient, seront, je crois, d’accord pour approuver les propos de Nicolas Hulot pour qui la crise écologique constituait « un horizon dépassable de l'humanité. » Selon lui, cette crise était aujourd'hui le centre de gravité de nos sociétés et, pour elles, « l'occasion unique de réussir là où elles avaient, jusqu’ici, peiné et échoué : la combinaison de l'efficacité économique, de la solidarité sociale et de la vie démocratique. »

Mesdames et messieurs les députés, la feuille de route qui vous est soumise propose un mode de gestion de la rareté inéluctable de certaines ressources, mais elle prend également en compte la recherche de nouvelles formes d'abondance. En effet, la force des marées est abondante, le vent est abondant, le soleil est abondant. Cette feuille de route doit donc permettre à notre société de faire un saut qualitatif : la croissance verte ou sélective est le chemin le plus court et le plus sûr vers une société de qualité – qualité de vie, qualité de l'air, de l'alimentation, des biens et des services.

Lors du Grenelle, l’unanimité s’est également faite sur l’idée que l'enjeu écologique était un facteur clef de la compétitivité de nos entreprises, parce qu'une économie qui consomme globalement moins d'énergie est nécessairement une économie qui dépense moins d'argent. Là se trouvent les relais de croissance de demain : dans le bâtiment, dans les énergies renouvelables, dans les emplois industriels et de service du traitement de l’eau, des déchets et de l’énergie. Dans dix ans, le secteur des énergies renouvelables représentera près de 16 % de l'emploi national : les produits les plus compétitifs ou les plus demandés par les consommateurs seront les produits les plus sobres en carbone et en énergie. Ne nous y trompons pas, le marché ira plus vite que nous…

M. Yves Cochet. Pas sûr !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. …et nous devons accompagner nos entreprises. Déjà, dans le secteur de l'automobile, la compétition ne porte plus sur le design ou sur la puissance des moteurs, mais sur la sobriété en carburant – et, sur ce terrain, le même combat est mené dans le monde entier, en Chine, en Inde, au Canada comme aux États-Unis.

Nous sommes tous engagés dans un même projet de société fondé sur le respect de l'autre, un projet où le libre-échange laisse la place au juste échange ; un projet où la certitude de la rareté laisse la place à la possibilité de l'abondance ; un projet où chaque territoire, chaque région et chaque continent bénéficient d'une chance réelle et loyale de développement.

Une partie du Grenelle est déjà « visible » : les premières décisions ont été prises. Ainsi, pour ce qui concerne l’orpaillage en Guyane, le Président de la République a décidé le 31 janvier 2008 d’abandonner le projet d’exploitation minière de la montagne de Kaw, afin de protéger un sanctuaire inestimable de la biodiversité mondiale.

M. Yves Cochet. C’est bien !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Mais des secteurs entiers de notre économie ont également opéré un basculement progressif et volontaire vers le développement durable.

L'industrie aéronautique s’est engagée à réduire de 50 % ses émissions de CO 2, de 50 % le bruit perçu et de 80 % ses émissions de NOX. La grande distribution s'engage à augmenter la part du biologique de 15 % dans ses rayons et à réduire de 10 % le volume des emballages. Les professionnels de la publicité élaborent, en étroite concertation avec les ONG, de nouvelles règles de déontologie. Les professionnels de l'immobilier choisissent de généraliser l'affichage du diagnostic de performance énergétique des logements.

La loi sur la responsabilité environnementale du 22 juillet 2008 reconnaît, pour la première fois, l'existence d'un préjudice écologique totalement déconnecté du préjudice économique. Pour la première fois depuis la catastrophe de l'Erika, notre droit proclame ainsi : « Oui, la biodiversité a un prix, et elle rend des services à la collectivité ! »

L’expérimentation du bonus écologique sur les voitures a permis un déplacement massif de près de 40 % du marché vers les véhicules les plus propres et les plus faiblement émetteurs. Le commissaire européen à l’énergie, Andris Piebals, me faisait remarquer ce matin qu’en neuf mois le bonus écologique avait fait baisser de neuf grammes, en moyenne, les émissions de CO2 des véhicules vendus en France, alors que le rythme d’évolution en Europe est encore dix fois moins rapide – soit une baisse d’un gramme par an.


Les constructeurs français et européens sont déjà en train de concevoir de nouveaux modèles. Ils sont en avance sur le calendrier parce qu’ils sentent bien que le marché a totalement changé de physionomie.

Et je n’oublie pas la circulaire du Premier ministre relative à l’État exemplaire.

Mais le Grenelle visible, c’est surtout ce texte fondateur, qui marque un cap, un changement de stratégie dans les secteurs des transports, de l’énergie, de l’aménagement urbain et de la construction : division par quatre de nos émissions de C02 entre 1990 et 2050, réduction de 38 % de la consommation énergétique dans le bâti existant, baisse de 20 % des émissions de C02 dans les transports à l’horizon 2020, part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique portée à 23 % en 2020, 2 % du territoire placé sous protection forte d’ici à dix ans, bon état écologique des eaux à l’horizon 2015, part du « bio » dans la surface agricole utile portée à 6 % en 2013 et à 20 % en 2020, 50 % d’exploitations engagées dans une démarche environnementale en 2012, trame verte et bleue.

Bien sûr, on trouvera toujours des commentateurs pour estimer que l’on ne va pas assez vite ni assez loin sur tel sujet ou tel chantier. D’autres jugeront, au contraire, que l’on va beaucoup trop vite, beaucoup trop loin et beaucoup trop fort.

M. Philippe Martin. Ceux-là sont dans votre camp !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Ces interrogations ou ces inquiétudes ne doivent pas nous détourner de nos objectifs. Ce changement de stratégie, lourd, irréversible, qui vous est proposé dans le projet de loi que Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Bussereau et moi-même avons élaboré sous l’autorité du Premier ministre, se traduit de façon visible dans six grands chantiers.

Le premier d’entre eux est le chantier thermique. Le secteur du bâtiment est en effet responsable de 42 % des consommations d’énergie. Il s’agit donc d’engager la rénovation des 4,2 millions de logements sociaux, en commençant par les 800 000 les plus dégradés, grâce à des investissements lourds, financés par un prêt bonifié exceptionnel, au taux de 1,9 %, de la Caisse des dépôts et consignations. Ce seul chantier permettra d’améliorer le pouvoir d’achat de ceux de nos concitoyens qui vivent dans des HLM et créera, selon la Fédération française du bâtiment, 235 000 emplois d’ici à 2020. À terme, 20 milliards d’euros de travaux seront réalisés grâce à l’« éco-prêt » à taux zéro, qui figure dans le projet de loi de finances initiale et dont le coût total pour l’État s’élèvera, en rythme de croisière, à environ 1 milliard par an, soit un rapport d’incitation à l’investissement de 1 à 20. Par ailleurs, un crédit d’impôt « développement durable » représentera une enveloppe d’1,5 milliard d’euros par an, destinée aux travaux de rénovation thermique. Enfin, les dispositifs TEPA et PTZ seront améliorés pour les ménages qui décideront d’acquérir un logement très performant sur le plan énergétique, répondant à des normes plus exigeantes que celles en vigueur.

Le chantier des transports couvre la construction de 2 000 km de lignes à grande vitesse supplémentaires, de 1 500 kilomètres de lignes de transports collectifs dans nos villes dans un premier temps – l’État concourant au financement à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur une première tranche de 14 milliards –, ainsi que le développement des autoroutes ferroviaires et des autoroutes maritimes. Bref, s’agissant des infrastructures, ce sont près de 100 milliards d’euros qui seront investis par l’ensemble des partenaires dans les décennies à venir,…

M. Philippe Martin. Nous verrons !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. …créant ainsi 80 000 emplois.

Quant au chantier énergétique, il consiste à porter la part des énergies renouvelables dans notre consommation d’énergie à 23 % à l’horizon 2020, grâce à des investissements considérables qui permettront de créer quelque 200 000 emplois. La prochaine loi de programmation pluriannuelle des investissements en sera la confirmation.

Les chantiers du Grenelle représentent, à terme, près de 400 milliards d’euros d’investissements injectés dans notre appareil de production industrielle d’ici à 2020. Certains affirment que cela coûte trop cher, d’autres que nous n’en avons pas les moyens. Aux premiers, je réponds que l’essentiel du processus est fondé sur des économies : économies d’énergie, économies de mobilité individuelle, économies d’intrants. C’est par ces économies que nous financerons les nouvelles infrastructures, les travaux de rénovation thermique, grâce à un effet de levier massif.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très bien !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. Et puis n’oublions pas que nous préparons ainsi l’avenir, en investissant résolument dans les nouvelles technologies, en anticipant les nouveaux besoins et en accompagnant le développement de nouvelles filières professionnelles.

M. Lionnel Luca. Très juste !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. À ceux qui disent que nous n’avons pas les moyens, je réponds que l’ensemble des infrastructures et des moyens figurent dans la loi de programmation et dans la loi de finances initiale, qui prévoit notamment plus de 13,8 milliards d’euros pour l’AFITF.

J’ajoute que treize des vingt-quatre mesures de la loi de finances initiale – et cela est inédit dans notre pays – sont des mesures de verdissement de la fiscalité française. Outre l’ensemble des dispositifs d’accession à la propriété, je citerai l’éco-prêt à taux zéro, l’extension du crédit d’impôt « développement durable », l’exonération facultative de taxe foncière sur les propriétés non bâties en faveur des modes de production biologiques, l’augmentation du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique, l’instauration de la taxe poids lourds, la majoration du taux d’amortissement dégressif pour certains matériels des entreprises de première transformation du bois, le relèvement de la taxation sur les pesticides et l’aménagement de la taxe générale sur les activités polluantes.

Nous disposons ainsi, avec le « Grenelle I » – qui définit précisément les objectifs, les principes, les obligations, les normes et les programmes d’infrastructures – et avec le projet de loi de finances initiale pour 2009, d’un Grenelle complet, compact et déjà opérationnel. Il ne nous restera plus qu’à opérer les derniers ajustements techniques ou juridiques. Tel est l’objet du projet de loi de transition environnementale, dit « Grenelle II », qui est un texte de mise au point destiné à adapter notre législation, en matière d’urbanisme par exemple, sur certains points très techniques. Il sera transmis au Conseil d’État dans les jours qui viennent, après avoir fait l’objet, lui aussi, d’une intense coproduction sociale et législative.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. En tout état de cause, après l’adoption du « Grenelle I » et de la loi de finances initiale, l’essentiel du Grenelle sera déjà en application.

À côté de ce Grenelle visible, il y a le Grenelle invisible (Sourires sur les bancs du groupe SRC), c’est-à-dire toutes les conséquences produites par ce processus – et par le débat parlementaire – sur le comportement des Français.

Oui, l’étiquetage carbone expérimenté dans plusieurs grandes surfaces a déjà des effets sur le comportement des consommateurs. Le bonus écologique a modifié en profondeur les critères de choix de ces mêmes consommateurs. Les campagnes de sensibilisation sur les déchets et sur le recyclage ont déjà des effets perceptibles sur les ventes de produits. Ainsi le Grenelle a déjà modifié le regard que chacun porte sur les conséquences individuelles et collectives de ses actes.

Selon le sondage SOFRES des 2 et 3 octobre derniers, 73 % des Français pensent que le Grenelle a permis au pays de prendre conscience des problèmes environnementaux ; 66 % d’entre eux sont convaincus qu’il les a incités à faire des efforts dans leur vie quotidienne ; 61 % estiment qu’il a incité les élus locaux à tenir davantage compte des problèmes environnementaux dans la gestion de leurs collectivités ; 58 % qu’il a incité les entreprises à agir en faveur de l’environnement ; enfin, 61 % des Français ont le sentiment que le Grenelle a permis de promouvoir un nouveau modèle de développement économique respectueux de l’environnement.

Aussi le débat parlementaire doit-il se situer à la bonne hauteur. C’est en effet le Parlement qui confirmera de façon claire et irréversible le message adressé à la nation. Votre tâche est difficile, mais votre responsabilité est de rechercher cette croissance d’avenir, gage de notre cohésion sociale et de la place de la France dans le monde.

Le Parlement adresse ce message à la nation à un moment crucial de l’histoire de l’humanité. Le long chemin engagé depuis Kyoto n’a pas toujours eu les effets attendus en termes de réduction d’émissions de C02 et de sobriété en carbone. Ainsi le monde se retrouve à son propre chevet, pour construire l’après-Kyoto lors de deux rendez-vous de la dernière chance, à Poznan et à Copenhague.

Le Parlement adresse ce message à la nation au moment où la France pilote les négociations sur le paquet « Énergie-climat », qui portent en elles la réussite ou l’échec des négociations planétaires à venir. Il faut en effet que, dans un an, à Poznan et à Copenhague, les 450 millions d’Européens puissent dire au reste du monde qu’en dépit d’histoires industrielles différentes, de modes de développement différents, de richesses, de conditions climatiques et géologiques différentes, ils ont réussi à se mettre d’accord sur des objectifs communs, un calendrier et un mode opératoire. À Copenhague, chacun doit savoir que l’autre est déjà engagé.

C’est pourquoi, derrière le Président de la République, Nathalie, Dominique et moi ne ménageons pas nos efforts pour tenter de faire adopter le fameux paquet « Climat-énergie » à Bruxelles et pour convaincre l’ensemble de nos partenaires.

Mesdames, messieurs les députés, le Grenelle est un processus solide : solide parce que responsable, financé, techniquement possible et concerté. Il est également solide parce que tous les acteurs ont donné leur accord sur l’essentiel et parce qu’il est sûr de son message d’avenir. Ce message, c’est à vous désormais de l’adresser à notre pays et, par extension, à l’Europe et au reste du monde. Bref, c’est à vous qu’il revient d’engager la France, de façon à la fois responsable et irréversible, sur ce nouveau chemin de croissance, porteur d’unité, de progrès et de paix, car, comme le disait Victor Hugo, « le progrès n’est rien d’autre que la révolution faite à l’amiable. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux d’abord m’associer aux remerciements formulés à l’instant par Jean-Louis Borloo pour le travail accompli ces dernières semaines par la commission des affaires économiques, son président, Patrick Ollier, son rapporteur, Christian Jacob, et l’ensemble de ses membres. À la phase de co-élaboration a naturellement succédé une phase de co-production entre l’exécutif et le législatif, destinée à donner une traduction juridique et normative aux conclusions des parties au Grenelle de l’environnement. Nous sommes ainsi fidèles à l’esprit de la réforme constitutionnelle votée cet été.

Je tiens à remercier plus particulièrement tous les parlementaires qui ont pris part au Grenelle lui-même, au groupe de suivi et aux chantiers opérationnels. Certains d’entre eux ont consacré, dans une grande discrétion, beaucoup de temps à ces travaux qui trouvent aujourd’hui une part d’achèvement. Permettez-moi également de partager avec vous et avec tous ceux qui ont participé au Grenelle ce moment d’émotion.

Le Grenelle de l’environnement reflète un mouvement profond de la société, dont la première onde de choc fut le pacte écologique de Nicolas Hulot, lors de la campagne présidentielle. On peut parler, me semble-t-il, d’une « génération Grenelle » à propos de cette aventure humaine fondatrice, partagée par tous les élèves, les associations environnementales, les syndicats, les entreprises, l’État.

Cette onde de choc se propage aujourd’hui à l’ensemble de la société. Nous le constatons dans les rayons de nos magasins, dans les assiettes de nos enfants à l’école, dans notre industrie, dans nos voitures, dans notre quotidien : les Français veulent passer à l’action. Le Grenelle nous concerne tous.


Les médias en ont pris la mesure : ainsi les magazines multiplient-ils les pages « Terre » ou « Planète », voire les numéros spéciaux consacrés à l’environnement. Ce mouvement de mobilisation, qui est une bonne chose, s’exprime aujourd’hui pleinement dans cette l’Assemblée nationale, qui sera une nouvelle fois le réceptacle et la caisse de résonance des nouvelles aspirations de la société, à un moment où les choses vont très vite, où les évolutions sont de plus en plus rapides. Au fond, on se situe au cœur même de la politique qui consiste à se situer au-devant de la société, à montrer la voie, à fixer un cadre dans lequel les acteurs peuvent ensuite s’engager.

Je crois sincèrement, comme d’ailleurs des millions de Français, qu’il n’y a aucune raison de redouter la mutation que nous nous apprêtons à mettre en œuvre. Premièrement, parce que notre pays a déjà connu des mutations d’ampleur équivalente : je pense à l’industrialisation du début du xxe siècle, à l’après-guerre, mais aussi aux deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979.

Deuxièmement, parce que la France est forte dans cette bataille économique qui s’annonce : forte de ses industries, forte de ses collectivités locales, forte de son dialogue social, mais aussi environnemental – puisque nous avons maintenant des « partenaires environnementaux » dont nous institutionnalisons le rôle –, forte de ses ingénieurs et de ses chercheurs.

Enfin, nous n’avons aucune raison de craindre cette mutation parce qu’il vaut mieux être les premiers à déposer les brevets, à concevoir les produits de demain, à être autonomes en énergie, à développer les solutions que nous pourrons ensuite exporter.

M. Yves Cochet. Avec les centrales nucléaires ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Mesdames et messieurs les députés, il est normal qu’en ces temps de turbulence financière on confronte, quasiment par réflexe, l’écologie et l’économie. Or, elles n’ont pas à être confrontées, tant elles sont liées dans cette crise. Comment ne pas intégrer la question de la raréfaction des ressources naturelles, les tensions sur les marchés agricoles, l’augmentation inexorable du cours du pétrole dans cet ensemble, dans cette mutation ?

Le projet de loi Grenelle apporte les outils de cette transition, c’est la voie d’une nouvelle compétitivité. Il y a encore vingt ans, peut-être moins, les politiques environnementales étaient vécues comme un luxe, un ornement annexe en cas de budget positif : on ne pensait à l’environnement que lorsqu’il restait un peu d’argent. Chacun a désormais compris que les politiques environnementales ne sont plus à vivre comme des contraintes, mais comme des solutions dans la redéfinition de notre système, un système en crise.

C’est pourquoi, devant de tels enjeux, avec Jean-Louis Borloo, avec Dominique Bussereau et Hubert Falco, nous formulons le vœu que ce projet de loi puisse être débattu dans l’esprit du Grenelle de l’environnement et, pourquoi pas, adopté à l’unanimité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence)

Présidence de M. Marc Le Fur
Vice-Président

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Christian Jacob, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, le Grenelle de l’environnement a été l’exemple d’une formidable consultation publique organisée par le Gouvernement. Pendant plusieurs mois, les forces vives de la nation – élus, syndicats de salariés et d’employeurs, Gouvernement, ONG – ont travaillé d’arrache-pied pour proposer au pays une nouvelle vision du développement durable.

Sur les quelque 200 propositions qui ont fait l’objet d’un consensus général, certaines ont déjà été mises en œuvre, telles que le bonus-malus sur les véhicules ou la réforme du Conseil économique et social pour y intégrer une composante environnementale ; d’autres le seront dans les projets de loi que nous allons examiner très prochainement, qu’il s’agisse du projet de loi de finances, du Grenelle II ou de la loi ferroviaire ; la plupart ont été traduites dans le projet de loi sur lequel nous allons travailler.

Mais avant même que notre assemblée s’exprime sur ce texte, l’esprit du Grenelle est déjà à l’œuvre dans la société, comme le prouvent les initiatives éco-citoyennes, les publicités qui, désormais, vantent les vertus écologiques de tel ou tel produit, ou l’image environnementale revendiquée par certaines entreprises. Dans ce domaine, le Grenelle de l’environnement a marqué une véritable rupture dans l’opinion publique, une mutation de la pensée, une réaction à un modèle de société technologique poussé à l’extrême et un appel à une évolution écologique qui modifie les cadres et les systèmes de référence afin de les adapter à une croissance qui soit soutenable à long terme.

C’est dans ce sens que j’ai voulu comparer cette mutation des mentalités à celle qui a été opérée par l’irruption du romantisme historique, lorsque, au début du xixe siècle, réagissant à la révolution technique du siècle précédent, l’Europe a ressenti l’urgence d’inventer de nouvelles valeurs selon lesquelles l’homme, tout en étant au centre de la nature puissante, la respecte, en connaît les lois et les mécanismes, et sait que les ignorer le conduirait à commettre l’irréparable.

Le pari du Grenelle était risqué pour le Gouvernement, et singulièrement pour le ministre d’État en charge de ce dossier. À l’heure où le Parlement se penche sur le fruit de vos travaux, je veux vous féliciter, monsieur le ministre d’État, ainsi que vos secrétaires d’État, d’avoir su relever le défi d’un tel dialogue et d’avoir su transformer cette concertation en plus de 200 engagements dont on peut, certes, discuter, mais qui contribuent en tout état de cause à la réflexion sur les politiques de développement durable dans notre pays.

Je veux également vous féliciter d’avoir réussi à transformer ces engagements en une loi de programmation qui avait été demandée par plusieurs de nos collègues, afin de commencer par fixer un cap avant d’arrêter les moyens d’y parvenir. Je souhaiterais également souligner la disponibilité et l’efficacité de vos collaborateurs et les remercier de l’écoute dont ils ont fait preuve à notre égard tout au long de ce processus inédit de coproduction législative permanente et régulière auquel le président Jean-François Copé est tant attaché, coproduction que nous avons entamée avec vous il y a plusieurs semaines et que nous continuons encore à l’heure actuelle.

Enfin, permettez-moi de saluer le travail accompli par la commission des affaires économiques, de remercier particulièrement son excellent président Patrick Ollier et toute l’équipe des administrateurs qui ont travaillé sur le projet de loi et qui, en plus de leur travail habituel consistant en l’examen du texte lui-même, ont dû traiter environ 1 800 amendements en un délai très court !

M. François Brottes. C’est de l’énergie renouvelable !

M. Christian Jacob, rapporteur. La commission a organisé à de nombreuses auditions et tables rondes sur ce texte très important. Avant l’examen des amendements, elle avait déjà tenu, depuis début juillet, dix séances sur ce texte : cinq tables rondes sur le bâtiment, les énergies renouvelables, les énergies fossiles et nucléaire, les transports ferroviaires et non ferroviaires ; cinq auditions, dont trois du ministre d’État, M. Jean-Louis Borloo, mais aussi celles des secrétaires d’État Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Bussereau et Hubert Falco, ainsi que celles du rapporteur du Conseil économique et social et des représentants du Réseau Action Climat.

Sur l’ensemble du texte, la commission a examiné 900 amendements et en a adopté 170 – provenant de tous les groupes politiques –, dans une ambiance constructive et studieuse, habitée par la volonté de trouver une position consensuelle aussi souvent que possible.

Dans le cadre de la Délégation à l’aménagement du territoire et au développement durable, nous avons également auditionné les six présidents des groupes de travail du Grenelle, le président de VNF et celui de l’AFITF, le directeur général des routes, le président d’Air France, le président des Aéroports de Paris, et organisé deux tables rondes consacrées aux deux principaux chantiers du Grenelle : le bâtiment et le transport. En tant que rapporteur, j’ai rencontré, dans le cadre de rendez-vous individuels, une cinquantaine de personnes expertes à différents degrés sur les différents sujets que nous allons traiter.

Quels ont été les résultats des travaux de la commission ? En partant d’un constat unanime, nous partageons les objectifs affichés par le projet de loi – résumés par la formule dite des « trois fois vingt » – et la volonté de les atteindre avec la participation de la société tout entière, car le défi est à la fois économique, environnemental et social, voire sociétal.

Ce projet de loi est également une chance historique pour la France de réussir la mutation de la société vers une économie durable, mais aussi une formidable occasion d’apporter du dynamisme à l’économie française et de donner à nos entreprises un avantage compétitif stratégique pour les années à venir, comme les chiffres le démontrent.

Les marchés des énergies renouvelables et ceux liés à l’efficacité énergétique dans les logements existants et dans les transports collectifs ont, selon l’ADEME, dépassé en 2007 les 30 milliards d’euros, ce qui représente une croissance de 17 % par rapport à 2006. Quant au marché des ENR, il a augmenté de 21 % pour atteindre 1,6 milliard d’euros ; le photovoltaïque a doublé pour atteindre 430 millions d’euros d’équipements vendus en 2007. Les perspectives d’évolution à l’horizon 2012 sur la base des objectifs du Grenelle prévoient une croissance globale annuelle moyenne de ces marchés de 21 % par an et pour les ENR, on parle d’une croissance de 130 % par rapport à 2007.

M. François Brottes. Pour l’éolien, c’est combien ?

M. Christian Jacob, rapporteur. Je vous laisse le soin d’en parler tout à l’heure, monsieur Brottes.

Les enrichissements que la commission a apportés au texte peuvent être regroupés en six domaines.

Le premier est celui du développement durable, dont nous avons rappelé la définition en nous appuyant sur les trois piliers que sont la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique, le progrès social.

Le renversement de la charge de la preuve a constitué une contribution importante de la commission : les solutions respectueuses de l’environnement sont privilégiées et il faut désormais apporter la preuve qu’une décision plus favorable à l’environnement était impossible à un coût raisonnable.

Nous avons retenu le principe de la compensation de la perte de biodiversité à l’intérieur des trames vertes et des trames bleues. Enfin, dans la rénovation des bâtiments existants comme dans la politique des transports, systématiquement, nous demandons que soit pris en compte l’objectif d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite.

Le deuxième domaine d’enrichissement du texte est celui de la libération de la « croissance verte » dans un souci de réalisme économique. Nous avons ainsi posé le principe de la compensation de la taxe poids lourds pour les transporteurs et de la répercussion sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. La cohérence avec la réglementation européenne doit être transversale sur tout le texte, qu’il s’agisse du passage de 20 % à 23 % d’énergie renouvelable comme du souci de ne pas créer de distorsion de concurrence pour les entreprises françaises par rapport à leurs concurrents européens.

Nous avons prévu des dispositifs spécifiques pour les PME, et nous sommes attachés à assurer l’équilibre entre les filières : dans la norme 2012 pour le bâtiment neuf de 50 kilowattheures par an et par mètre carré, nous avons introduit le principe d’une modulation du seuil afin de tenir compte de la quantité d’émissions de C02 rejetée par les différentes sources d’énergie, tout en respectant les engagements du Grenelle en matière de baisse de la consommation énergétique et de bonne isolation des bâtiments et en fixant un seuil maximal pour le chauffage électrique.

M. François Brottes. Combien ?

M. Christian Jacob, rapporteur. J’évoque un amendement qui a été adopté à l’unanimité, monsieur Brottes, mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

Nous avons souhaité que le dispositif des certificats d’économie d’énergie fasse d’abord l’objet d’une évaluation avant d’être étendu. La commission s’est également prononcée pour le renforcement du dispositif en matière de formation initiale et continue des professionnels du bâtiment et de l’efficacité énergétique, et a évoqué la modification du code des marchés publics pour tenir compte de la notion de performance énergétique globale.

Le troisième domaine d’enrichissement du texte est celui visant à renforcer l’efficacité et l’exemplarité de l’État. Nous avons posé le principe d’affectation des ressources fiscales et non fiscales du Grenelle à la réalisation des objectifs du Grenelle dans le respect de la neutralité des finances publiques.

Le quatrième domaine est celui consistant à trouver de nouvelles pistes de financement pour les infrastructures de transport. Certains ont vu dans le financement le talon d’Achille du projet de loi, ce que M. le ministre d’État a démenti. Il est vrai qu’il apparaît au premier regard que les seules ressources issues du Grenelle ne suffiront pas à financer 2 000 kilomètres supplémentaires de lignes à grande vitesse, le canal Seine-Nord Europe, l’ensemble des nouvelles infrastructures nécessaires dans le domaine fluvial et ferroviaire – notamment le fret –, mais aussi maritime. D’autres pistes doivent donc être explorées : l’État doit notamment étudier la possibilité de créer un fonds de capitalisation qui pourrait être alimenté par des participations de l’État dans les sociétés cotées, mais également être ouvert aux investisseurs institutionnels et aux collectivités territoriales.

De même, il vous sera proposé de transmettre la propriété du domaine public fluvial à Voies navigables de France, dont c’est le cœur de métier, afin de permettre une meilleure valorisation.

Le cinquième domaine d’enrichissement du texte est celui visant à garantir l’acceptabilité sociale du Grenelle. Pour réussir le pari du Grenelle, toutes les catégories de la population française doivent se sentir concernées, ce qui nous impose de bien mesurer l’acceptabilité sociale de toutes les mesures prévues.


Ainsi en est-il par exemple des efforts à réaliser pour la rénovation des logements, particulièrement des logements sociaux : leur répartition entre les bailleurs et les locataires doit être clairement établie.

En même temps, si, en matière de gouvernance, il est nécessaire que les ONG obtiennent la place qui est souhaitable dans le processus de décision, elles devront par ailleurs faire preuve de transparence s’agissant aussi bien de leur gestion et que de leur financement.

Il faut enfin clarifier les priorités dans le domaine des transports. Les objectifs affichés par le Grenelle sont ambitieux, puisqu'il s'agit de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, pour les ramener à leur niveau de 1990. Pour parvenir à ce résultat, la priorité est donc le développement des infrastructures fluviales et ferroviaires, dont les émissions de GES sont très restreintes.

Chaque projet doit être évalué systématiquement en calculant le rapport entre coût et efficacité, celle-ci se mesurant à la quantité de GES dont l'émission a été évitée ou stockée ; chaque projet doit aussi se conformer à des critères socio-économiques visant au développement durable.

Autre principe simple qui mérite d'être rappelé dans la loi : la présente programmation ne saurait conduire à remettre en cause les programmes déjà étudiés ou déjà lancés, notamment pour ce qui est des lignes à grande vitesse.

Je souhaite conclure en disant simplement à ceux qui pourraient regretter que nous ne disposions pas aujourd’hui du projet de loi « Grenelle II » ni de la totalité du projet de loi de finances et s’inquiètent en conséquence du déroulement de nos travaux que la ligne que vous avez retenue, monsieur le ministre d’État, est la bonne. Il s’agit d’abord de fixer le cap et les orientations, puis, dans un deuxième temps, de préciser les moyens.

M. François Brottes. L’argument est faible !

M. Christian Jacob, rapporteur. Voilà dans quel esprit nous avons travaillé. Nous avons fait ensemble un bon travail en commission, et nous allons continuer dans l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Éric Diard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Éric Diard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame et monsieur les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un projet de loi très attendu. Je ne reviendrai pas longuement sur la présentation de ce texte, sinon pour rappeler son importance pour l'avenir. Face à l'urgence écologique, la France a un rôle majeur à jouer. Elle doit prendre les mesures nécessaires pour éviter les effets les plus catastrophiques liés au changement climatique et à la dégradation de la biodiversité. La mise en œuvre des conclusions du Grenelle doit se traduire par une véritable révolution sociale et une mutation vers une économie durable.

Compte tenu de l'importance de ce projet de loi, la commission des lois a souhaité se saisir pour avis de trois de ses articles qui traduisent les engagements du Grenelle de l'environnement en matière de gouvernance écologique.

Les principes directeurs de cette gouvernance écologique sont les suivants : premièrement, prendre en compte des objectifs de développement durable, de manière transversale, dans les différentes politiques publiques ; deuxièmement, avant de prendre des décisions ayant un impact sur l'environnement, pratiquer plus largement la concertation notamment avec les partenaires institutionnels que sont les collectivités, les entreprises, les syndicats et les associations ; troisièmement, mieux informer le public en matière environnementale ; quatrièmement, revitaliser les procédures de participation du public préliminaires aux grandes opérations d'investissement public ou d'aménagement du territoire. Les articles dont s'est saisie la commission des lois ont une importance toute particulière ; je les détaillerai brièvement avant de vous présenter les amendements que nous vous proposons.

L'article 42, tout d’abord, prévoit que l'État doit être exemplaire en matière environnementale, aussi bien dans ses politiques que dans son fonctionnement courant. Il dispose notamment que l'État doit évaluer les conséquences environnementales de ses projets de décision, ce qui prendra la forme, en matière législative, d'études d'impact. Par ailleurs, les administrations devront réaliser des efforts de réduction de leur consommation d'énergie et de leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui sera mesuré par des indicateurs spécifiques transmis au Parlement. L'État devra également réorienter ses achats vers les produits écologiques, notamment pour les achats de véhicules.

L'article 44 donne plusieurs orientations en vue de mieux articuler les actions des collectivités territoriales et celles de l’État en matière de développement durable. Il existe aujourd'hui un enchevêtrement très complexe des compétences environnementales entre l'État et les différents niveaux de collectivités. Pour introduire une certaine coordination, l'article 44 demande notamment que la stratégie nationale de développement durable soit élaborée en partenariat avec les collectivités territoriales et que, au niveau local, les actions étatiques et locales soient articulées dans le cadre des « Agendas 21 » territoriaux. L'État devra par ailleurs jouer un rôle d'impulsion pour inciter les collectivités à réaliser des bilans carbone ou à lancer des actions de protection de l'environnement. Enfin, les évaluations environnementales réalisées avant l'adoption des documents d'urbanisme – notamment les SCOT – seront renforcées.

L'article 45 concerne plus spécifiquement les procédures d'information et de participation du public. Ces deux aspects sont indissociables car, sans information accessible et pertinente, les citoyens ne sont pas en mesure de participer réellement à la prise de décision. L'État devra réorganiser l'information environnementale et en faciliter l'accès, en regroupant par exemple les informations sur un site Internet unique. L'expertise sera également réorganisée pour que soient garanties sa fiabilité et son impartialité ainsi que l'indépendance des experts.

Enfin, l'article 45 prévoit également de rénover les procédures de débat et d'enquête publics dans le cadre des grands projets publics. Actuellement, ces procédures s'apparentent souvent à une concertation de façade dans la mesure où aucune variante n’est proposée dans les dossiers du projet. De plus, le système du dossier papier que l’on consulte en mairie avant d'émarger le registre d'enquête est obsolète, quand l’utilisation d'Internet permettrait de rendre la procédure plus interactive.

La commission des lois a adopté plusieurs amendements à ces trois articles, afin de définir plus précisément les engagements de l'État. La commission propose notamment de renforcer l'obligation d'achat de véhicules éligibles au « bonus écologique ». Un autre amendement prévoit une simplification des procédures d'enquête publique. Il existe en effet aujourd’hui une multitude de régimes d'enquête publique différents, qui ne sont pas régis par les mêmes règles. Ainsi, un même projet peut donner lieu à plusieurs enquêtes différentes. La commission des lois propose donc de regrouper ces régimes et de simplifier les procédures.

Ainsi amendées, les différentes mesures du projet de loi en matière de gouvernance écologique devraient permettre à l'État et aux collectivités territoriales de mieux prendre en compte les préoccupations environnementales et, plus largement, les conséquences à long terme de leurs actions.

Je voudrais, dans un second temps, évoquer d'autres aspects du texte qui me paraissent essentiels. Ce projet de loi me semble cohérent et fidèle aux conclusions du Grenelle de l'environnement, Cependant, comme tout texte, il peut être amélioré, et c'est en ce sens que j'ai déposé un certain nombre d'amendements.

L'article 36 énonce des objectifs relatifs au traitement des pollutions lumineuses nocturnes et des nuisances sonores, deux sujets sensibles auxquels il est important de prêter attention. Je suis particulièrement satisfait que ma proposition de loi relative aux pollutions lumineuses, déposée en mai 2008, ait pu être intégrée au projet de loi, et je rappelle qu’en 2005, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, alors députée, avait, elle aussi, déjà déposé un texte à ce sujet.

En effet, toute lumière émise au-delà du strict nécessaire représente autant d'énergie gaspillée, ce qui va à l’encontre des engagements contenus dans le protocole de Kyoto pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. J'ai donc proposé un amendement afin de prendre en compte les pollutions lumineuses intérieures. En effet, les éclairages intérieurs ne sont pas toujours utiles, et il convient de les limiter. La pollution lumineuse par l'émission généralisée et croissante de lumières artificielles liée aux activités humaines provoque des perturbations biologiques : les lumières excessives perturbent la faune, la flore et la santé humaine. Le « suréclairage » est donc à l'origine d'un dérèglement de la biodiversité et d'un gaspillage énergétique qui peut facilement être réduit si l’on modifie la conception, l'implantation et la gestion des luminaires. Il ne s'agit bien évidemment pas de supprimer l'éclairage artificiel – dont chacun reconnaît la nécessité – mais plutôt d’en faire un usage raisonnable de manière à réaliser des économies d'énergie.

En tant que nouveau président du Conseil national du bruit et député d'une circonscription particulièrement touchée par ce type de nuisances, je sais à quel point les nuisances sonores, notamment aéroportuaires, importunent nombre de riverains. Aussi, les articles 11 et 36 du texte, qui traitent spécialement de ce type de nuisances, ont-ils attiré toute mon attention et justifié que je dépose ou cosigne plusieurs amendements. Les mesures liées à l'insonorisation des bâtiments sont particulièrement importantes : la maîtrise de l'urbanisation autour des aéroports constitue un enjeu majeur pour éviter que de nouveaux administrés ne soient soumis aux nuisances sonores. Cependant, il existera toujours des riverains qui souffriront des nuisances, et il faut penser à des moyens pour les protéger et pour les indemniser. L'ACNUSA jouant un rôle particulièrement important dans la mesure et le contrôle des nuisances sonores générées par le trafic aérien, il me semble souhaitable d'élargir ses compétences afin de faire de cette autorité une véritable référence en matière de prévention des nuisances sonores.

Je tiens également à appeler votre attention sur le chapitre sensible du traitement des déchets. L'article 41 de la loi de programmation fixe les objectifs en la matière, pour réduire la production des déchets, améliorer le recyclage ainsi que l'encadrement réglementaire et l'accompagnement économique. Ce sont en effet des points essentiels à prendre en compte. Cependant, un sujet n'a pas été abordé et me paraît important : le suremballage.

Le volume croissant des déchets ménagers pose d'importants problèmes, et la prévention du traitement des déchets est une réelle priorité. Le suremballage représente une proportion importante des déchets ménagers collectés par les collectivités locales. Le 25 octobre 2007, lors de la conclusion du Grenelle de l'environnement, le Président de la République s'est exprimé en faveur de toute initiative permettant « d'interdire ou de taxer les déchets inutiles comme le suremballage ». Il convient donc d'encourager et d'amplifier ce mouvement en faveur de la réduction des emballages indésirables, et j'ai déposé un amendement en ce sens.

Bien entendu, l'ensemble du texte est essentiel. Cette loi de programme sera la base même du projet de loi dit « Grenelle II ». Les principes consacrés par ce projet de loi devront ensuite être mis en œuvre, et la préparation des mesures concrètes qui seront proposées lors d'une seconde phase mobilise dès à présent tous les acteurs du Grenelle de l'environnement.

La mécanique est d'ores et déjà lancée, et le projet que nous examinons est une première étape vers la nécessaire mutation environnementale de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, le monde change, et il nous faut anticiper ce changement, voire le provoquer. C’est un pari exceptionnel et courageux.

Monsieur le ministre, vous avez engagé le processus qui permettra de tenir ce pari. Cela n’avait rien d’évident, même si l’on peut aujourd’hui être très satisfait de la manière dont les choses se sont déroulées. Je tenais donc à vous rendre ici publiquement hommage pour avoir pris ce risque énorme d’engager un vrai débat de société, et pour l’avoir engagé sur un mode consensuel. C’est l’avenir de notre territoire mais aussi de notre planète qui est en cause, et il ne peut souffrir de vaines et médiocres querelles politiciennes.

Le Président de la République a pris des engagements ; vous les tenez aujourd’hui. Nous entrons dans la phase parlementaire du processus. La commission des affaires économiques, quant à elle, a fait son travail avec une conscience et un sérieux jusqu’ici rarement égalés.


Car douze séances, cinq tables rondes, plusieurs auditions de vous-même, monsieur le ministre d’État, de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, de M. Dominique Bussereau, de M. Falco, secrétaires d’État, c’est considérable !

Nous avions d’ailleurs, dès septembre 2007, imaginé un comité de suivi du Grenelle ; je l’ai voulu ; je vous remercie de l’avoir accepté – ce n’était pas une évidence ! Dans ce cadre, une trentaine de réunions se sont tenues.

Ce travail s’est déroulé dans une ambiance de consensus avec l’opposition, à laquelle je tiens à rendre hommage. Réunis – majorité et opposition de l’Assemblée, majorité et opposition du Sénat – nous avons pu, avec vous, monsieur le ministre d’État, avec le rapporteur du texte M. Christian Jacob, anticiper, réguler et finalement mettre en place cette coproduction qui nous permettra, j’espère, de voter un texte lui aussi consensuel.

Vous vous en souvenez, ces réunions de travail ont commencé par l’audition de M. Jean Jouzel ; elles nous ont fait beaucoup de bien, car nous n’étions peut-être pas, les uns et les autres, prêts à entendre ce que nous avons entendu ! Pour ma part, je le confesse, je n’étais pas préparé à accepter d’engager un tel pari sur des changements de comportement et de mode de vie.

Mme Geneviève Gaillard. Vous avez encore quelques progrès à faire !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais j’ai progressé, et c’est aussi grâce à vous, Madame Gaillard !

Monsieur le ministre d’État, vous avez largement pris l’initiative de cette coproduction législative lorsque, le 3 octobre 2007, vous avez lancé ce processus pour le Gouvernement.

Je voudrais remercier M. Christian Jacob, rapporteur de ce texte, pour sa pugnacité – il a fait face à 1 600 amendements, tous intéressants –, pour la qualité de son travail, pour son sens du consensus et pour sa rigueur. Grâce à lui, tout affrontement a été évité en commission.

Cette loi d’orientation, nous l’avons voulue. Nous avons en effet proposé un schéma en deux temps : une loi d’orientation fixant d’abord les objectifs – de façon ambitieuse – et une ou deux lois d’application déclinant ensuite ces objectifs. Vous avez accepté ce schéma. C’est donc des perspectives à long terme que nous discutons donc ce soir, et j’espère que nous pourrons tous nous entendre.

La chance nous est offerte de prendre plusieurs longueurs d’avance, alors même que tout le monde juge ces évolutions inéluctables. La chance nous est offerte d’assurer une transition en douceur entre deux modèles de croissance radicalement différents, alors même que le contexte est difficile, marqué par la raréfaction des ressources naturelles. La chance nous est offerte d’induire, grâce aux objectifs fixés par le Grenelle, des changements de comportements chez les industriels, dans nos entreprises, mais aussi chez chacune et chacun d’entre nous. La chance, enfin, nous est offerte de placer la France aux avant-postes de l’un des plus grands combats de ce siècle, un combat qui s’inscrit dans le droit fil de la tradition universaliste et républicaine – tradition dont nous sommes tous, ici, les héritiers, à droite comme à gauche.

Nos concitoyens ont besoin, aujourd’hui, de mesures concrètes. Ils sont inquiets, et nous devons répondre à cette inquiétude. Arrêtons les débats théoriques, les projections et les discussions ! Rentrons dans la réalisation : qu’il s’agisse d’isoler les maisons, de réduire les budgets de transport, de mieux consommer et de diminuer nos dépenses énergétiques, il faut s’engager résolument.

Je ne reprendrai pas ce qu’a très bien dit Christian Jacob ; je ne citerai donc que quelques mesures. Il faut d’abord insister sur l’importance du trois fois vingt – 20 % d’efficacité énergétique, 20 % d’énergie renouvelable et 20 % de réduction d’émission de gaz à effet de serre – qui est, bien sûr, essentiel. Ce triple objectif implique des changements majeurs dans le comportement de chacune et chacun.

Je souligne aussi l’importance de l’objectif de rénovation du bâti existant et de la définition de normes ambitieuses pour les bâtiments neufs, d’ici à 2020. Votre projet préconise des bâtiments à énergie positive, la rénovation du résidentiel et celle du tertiaire. Un effort particulier doit être fait pour le parc de logement social. Notre commission abordera d’ailleurs prochainement l’étude d’un projet de loi concernant le logement.

Nous sommes ici au cœur du développement durable, au carrefour de l’environnement, du social et de l’économique. L’objectif premier est bien environnemental, mais l’impact social est indéniable : ne le perdons jamais de vue. Il faudra d’ailleurs, monsieur le ministre d’État, assurer la cohérence de ce projet-ci avec la loi de cohésion sociale, votée il y a quelque années, et dont l’un des volets est également consacré au logement social. L’impact économique est, lui aussi, réel, notamment sur le secteur du bâtiment – qui en a bien besoin en ce moment, ainsi que pour d’autres secteurs comme celui de l’efficacité énergétique.

Ce projet de loi est aussi une rupture pour le secteur des transports. Il prévoit les conditions d’un report modal de grande ampleur. Nous ne sommes pas toujours suffisamment ambitieux dans ce domaine, nous en avons déjà débattu avec M. Bussereau : il faut confirmer, et largement renforcer, ce mouvement de report de la route vers le rail.

Je suis attaché à ce que le Parlement soit associé à la définition d’un schéma global des transports. C’était prévu dans la loi Pasqua de 1995…

M. Yves Cochet. Non ! C’était dans la loi Voynet.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je le sais, j’en étais le rapporteur ! monsieur Cochet, si Mme Voynet et vous n’aviez pas abrogé le schéma national d’aménagement du territoire, nous aurions pu dès 1994 – comme je l’avais souhaité alors avec M. Pasqua – tracer des perspectives d’avenir dans notre pays, et savoir dans quelle direction nous orienter, tant pour les transports que pour les autres équipements.

Mme Geneviève Gaillard et M. Yves Cochet. Ce n’est pas vrai !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est à cause de vous que nous n’avons pas pu le faire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. Yves Cochet. C’est la loi de la République !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est la loi de la République, voulue par Mme Voynet ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. François Brottes. Depuis six ans, vous auriez pu le rétablir, ce schéma !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre d’État, ce schéma global des transports, nous l’avons souhaité et je vous remercie d’en avoir accepté le principe.

Disons un mot, pour terminer, de l’agence pour le financement des infrastructures de transport de France.

M. François Brottes. Ou ce qu’il en reste !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. A-t-elle un avenir ?

M. Daniel Paul. Poser la question, c’est y répondre !

M. François Brottes. Qui a privatisé les autoroutes ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Et si oui, dans quelle structure, avec quel financement et avec quelle gouvernance ?

M. Daniel Paul. Nationalisez donc les autoroutes !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ces questions, monsieur le ministre, devront trouver une réponse. Il faut y réfléchir et travailler sereinement pour assurer l’efficacité de cette agence.

Je souhaite enfin que, pour ce qui est des objectifs de 6 % de surface agricole utile cultivées en bio, et de 20 % de bio dans les cantines scolaires, une étude d’impact soit réalisée. Tout en approuvant le louable objectif que vous fixez, je voudrais en effet être tout à fait certain que la mise en œuvre de cet objectif ne compromettra pas l’équilibre des finances locales – car c’est surtout aux maires que je pense ici. Une étude d’impact nous permettra de mieux appréhender les dépenses induites par de telles mesures.

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Quelques mots enfin sur la trame verte – ou trame bleue pour les eaux ; c’est un élément important de ce projet. Sur le fond, je vous approuve ; mais je vous demande un effort sur la forme. Je garde un mauvais souvenir de l’aventure de Natura 2000 – j’étais à l’époque député d’un département alpin. Alors que l’ambition était belle, un quiproquo est né d’un manque de compréhension entre le membre du Gouvernement de l’époque – il s’agissait encore de Mme Voynet –…

Mme Geneviève Gaillard. Faux ! Cela avait commencé avant ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …l’ensemble des élus locaux sur le territoire. J’étais alors président de l’Association des élus de la montagne, et tous les membres de cette association se souviennent qu’ils m’ont à l’époque poussé à réagir avec vivacité. Pourquoi ? Parce que la concertation n’avait pas été menée en amont, et qu’elle seule aurait pu faire accepter de nécessaires évolutions.

Une concertation en amont avec les élus – au cours de laquelle vous nous trouverez à vos côtés – est donc absolument nécessaire afin d’expliquer la mise en œuvre de la trame verte.

S’agissant enfin de la gouvernance, il faut jouer cartes sur table : je suis, bien sûr, favorable à ce que les associations concernées par l’environnement jouent un rôle – comme je suis favorable à ce que les partis politiques ou les syndicats de notre pays jouent un rôle. Que celles et ceux qui s’engagent dans ces actions nobles soient reconnus, et aient les moyens d’agir, ce n’est que justice ! Mais j’exige, moi, transparence et représentativité. Je vous demande, chers collègues, une grande vigilance sur ce point : oui, ces associations doivent avoir une place ; mais – comme pour les partis politiques ou les syndicats – leur représentativité doit être appréciée et la transparence financière vérifiée.

M. Bertrand Pancher. Ce sera dans le Grenelle II !

M. le président. Veuillez conclure.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. J’allais conclure, mais je suis sans cesse interrompu par l’opposition ! (Sourires)

J’ai été violemment attaqué lors des discussions sur l’article 4 – je me défendrai lorsqu’il sera abordé. Mais je voudrais d’ores et déjà préciser que la seule intention que nous avions, Christian Jacob et moi-même, face aux 50 kilowattheures par an et par mètre carré, était d’être justes, pas de privilégier une filière énergétique ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Yves Cochet. Bien sûr que si ! c’est le lobby du nucléaire !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous sommes ici pour respecter tout le Grenelle, mais rien que le Grenelle. L’objectif que nous devons garder en permanence à l’esprit, c’est d’abaisser la production de CO2. Nous avons donc proposé, concernant les 50 kilowattheures par an et par mètre carré, un rééquilibrage destiné à tenir compte de la manière dont on produit, ou pas, du CO2. Je voulais lever le malentendu : ce que nous avons fait, nous l’avons fait dans un esprit de justice, et nous avons d’ailleurs déposé un sous-amendement pour apaiser toute polémique à ce sujet.

Nous entamons un débat que je souhaite dense et constructif. Le texte qui en sortira devra envisager le court terme et le long terme ; la qualité devra répondre à la quantité. Il s’agit d’une loi d’orientation, et c’est dans cet esprit qu’il faut la juger. L’écologie n’appartient à aucun parti politique !

M. Yves Cochet. En tout cas, pas à l’UMP !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous transformons le droit de notre pays pour répondre aux inquiétudes de 62 millions de Français et préparer l’avenir des générations futures. Le Grenelle de l’environnement est un point de départ ; c’est le socle d’un nouveau projet de société, dont nous serons les héritiers. Je me tourne vers l’opposition : ce projet peut recueillir un très large consensus. Je souhaite que nous assumions tous ensemble nos responsabilités, et que nous puissions approuver à l’unanimité ce projet courageux et ambitieux ! (Applaudissement sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Conformément à l’article 69 de la Constitution, le Conseil économique, social et environnemental a désigné M. Bernard Quintreau, président de la section du cadre de vie, pour exposer devant l’Assemblée l’avis du Conseil sur le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

Mes chers collègues, je souhaite en votre nom la bienvenue M. le président de la section du cadre de vie du Conseil économique, social et environnemental.

La parole est à M. le rapporteur du Conseil économique et social.

M. Bernard Quintreau, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental. Merci, monsieur le président. Je voudrais d’abord vous présenter les excuses de M. Paul de Viguerie, rapporteur de ce dossier, qui ne peut pas être là ce soir et que je supplée bien volontiers.

Au nom du président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jacques Dermagne, je vous remercie de m’inviter à rendre compte de l’avis de notre assemblée, adopté le 28 mai dernier par 154 voix sur 187 votants.


Je remercie le président M. Patrick Ollier et le rapporteur Christian Jacob de nous avoir permis, dès le 6 juillet dernier, de faire part de nos observations à la commission des affaires économiques.

Rendre compte de nos travaux devant vous aujourd'hui est, pour nous, un honneur et une grande satisfaction. Le Conseil économique, social et environnemental, se trouve en effet, depuis plus de dix ans, au premier rang des acteurs institutionnels qui participent à la construction d'une politique nationale, européenne et mondiale de lutte contre les effets désastreux du changement climatique. Avec sa contribution au débat national sur l'environnement et le développement durable en octobre 2007, il a pris toute sa place dans les débats du Grenelle en reprenant l’ensemble des soixante-dix rapports et avis adoptés au cours des deux dernières mandatures, dont la plupart portaient sur les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Nous avons la prétention de penser que ces travaux ont contribué à la prise de conscience de l'ensemble des acteurs de la société civile qui composent notre assemblée.

Monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d’État, entre l’avant-projet de loi dont vous nous aviez saisis pour avis début mai 2008 et le texte actuel, il n'y a pas de différences essentielles, du moins avant les amendements, et nos préconisations restent évidemment les mêmes dans le cadre strict du débat parlementaire qui s'ouvre et si, depuis le 28 mai dernier, la dynamique du « Grenelle » s'est intensifiée, comme le montre le point étape que vous avez tenu le 23 septembre, nombre des questions ou des interrogations de notre assemblée posées à travers cet avis ont été entendues. Plusieurs de nos préconisations devraient ainsi être concrétisées.

Le Conseil avait de plus souhaité que l'ensemble des textes donnant corps et vie à l'avant-projet de loi vous soient soumis avant la fin de l'année 2008, ce qui est fait.

Certaines des mesures proposées en mai dans l’avant-projet de loi d'orientation faisaient déjà débat, notamment les dispositions relatives à l'agriculture, aux déchets ou à la définition des énergies renouvelables. Nous constatons que ces débats perdurent. Le processus du Grenelle n'est pas achevé, loin de là, ce qui prouve qu’il vit. Institutionnaliser un comité de suivi devrait encourager encore la maturation des questions en débat, présentes et à venir.

Sans évoquer la totalité des questions abordées dans notre avis – vous en avez tous reçu, je pense, le texte –, je reprendrai simplement devant vous quatre aspects qui ont fondé la démarche que notre Conseil s'est efforcé de suivre.

Premièrement, la priorité absolue à l'effort de formation, de recherche et d'innovation pour développer une politique de l'offre.

M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. Bernard Quintreau, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental. Deuxièmement, la nécessité impérative d'une cohérence des mesures budgétaires, fiscales et financières.

Troisièmement, une gouvernance qui, dans toutes ses dimensions, porte en équité et en efficacité ces deux premières politiques.

Quatrièmement, un État et plus largement tous les acteurs publics, mais aussi ceux de la société civile, qui donnent l'exemple.

S’agissant du premier axe, l’effort de formation et de recherche pour répondre à la demande sociétale visible et explicite, il convient maintenant de mettre en place une politique de l'offre à la hauteur des défis à relever. Il y a urgence à agir et c'est bien à cette tâche qu'il faut s'atteler. Tel est le sens de l'insistance avec laquelle notre avis met l'accent sur la priorité qui doit être donnée à la formation et à la qualification comme au développement accéléré de la recherche. Il y a ici, à n'en pas douter, un formidable gisement d'emplois. L'exploiter nécessite, afin de ne laisser personne au bord du chemin, d'accomplir un effort sans précédent à cet égard. La bataille pour l'emploi et la lutte contre le changement climatique se gagneront en même temps et en grande partie sur la capacité de tous les corps professionnels à s'approprier expertise, technologies nouvelles, nouvelles compétences. Dans un contexte économique très difficile, le Conseil estimait déjà en mai que « tous les moyens juridiques et financiers devaient être fléchés dès aujourd'hui et pour les dix-huit mois à venir sur ce chantier ».

M. François Brottes. Ah !

M. Bernard Quintreau, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental. L'édiction de normes donne à la fois un point d'arrivée et un délai. Le Conseil partage les objectifs ainsi fixés, mais deux interrogations demeurent cependant.

Dans le secteur du bâtiment, les innovations sont là, nous les connaissons, mais nous sommes encore loin du compte pour qu'elles soient à la portée de tous les métiers et de toutes les entreprises, PME et TPE notamment. Ce n'est pas le secteur de la construction neuve qui nous inquiète, mais celui de l'ancien. Il ne servirait à rien de multiplier les dispositifs incitatifs de soutien à la demande si, en face, l'offre ne peut répondre.

Dans le secteur des transports, nous assistons tous les jours à une formidable mutation de leur conception, mais les technologies ne permettent pas encore de répondre en grandeur nature à la demande exprimée. Or seules des technologies nouvelles pouvant être mises à la portée de tous permettront de réaliser rapidement des progrès sensibles sur un temps – j’insiste sur la notion de temps – acceptable.

Le temps de réalisation des grandes infrastructures dans le domaine du fret ferroviaire ou des transports urbains « propres » est un temps long, très directement pris en compte et reconnu comme tel par ce texte. Or la réponse aux défis lancés par les transports individuels, toujours nécessaires face à une métropolisation accrue, doit être trouvée, elle, dans un temps court.

Dans le même sens, le projet aborde la nécessité de repenser la conception de l'aménagement urbain. Le Grenelle II pourrait introduire une certaine révision de notre droit de l'urbanisme. Nous nous en féliciterions.

Deuxième axe, dans votre assemblée, comme dans la nôtre, les regards sont tournés vers les conséquences financières et budgétaires et la cohérence des mesures à prendre en ce domaine. Le Conseil, au mois de mai, a exprimé de façon explicite une telle interrogation, sinon son inquiétude, en l'absence d'une visibilité à court et moyen termes sur les réponses apportées ou envisagées.

Je voudrais, à ce stade de mon intervention, rappeler à cette tribune la volonté qui est la nôtre.

Pour assurer l'avenir et le succès du Grenelle, cette première loi est une étape essentielle et primordiale. Elle acte la dynamique et des résultats, impensables il y a encore un an, du processus du Grenelle. Le Conseil économique était, et est toujours, soucieux de voir assurer aux yeux de l'opinion publique la faisabilité et la crédibilité de ce texte. Il n'a eu pour objectif que de mettre tout son poids dans la balance pour que ce soit le cas !

Quatre observations peuvent à nos yeux inspirer le travail présent et futur de votre assemblée.

D’abord, un équilibre nouveau entre les efforts contributifs de toutes les parties prenantes, État, collectivité, entreprise et usager final, doit être trouvé et affiché clairement.

Ensuite, le signal prix est l'une des conditions du succès, nous en sommes persuadés, mais il ne peut être dissocié de la dynamique de l'offre et donc de la politique industrielle amenée à se développer. La mise en œuvre du signal prix doit être conjointement négociée et conduite avec cette dernière.

Par ailleurs, le principe de neutralité fiscale a été posé comme principe par le Conseil. Nous nous féliciterions qu'il soit acté.

Enfin, il convient, comme nous l'avons souligné, de travailler à mettre en ligne et en cohérence tous les instruments financiers à notre disposition, d'autant plus que la marge de manœuvre de chacune des institutions concernées devient de jour en jour plus étroite. En effet, la diminution du pouvoir d'achat, le risque de rétrécissement de l'épargne aujourd’hui, même la plus sécurisée, compromet la confiance dans un retour rapide sur investissements des économies d'énergie générées.

Troisième axe, en matière de gouvernance, une étape importante a été franchie avec la réforme constitutionnelle adoptée par le Congrès le 3 juillet dernier. L'avis du Conseil, à cet égard, rappelle que le socle constitué par la stratégie nationale de développement durable doit constituer le fil rouge de tous les textes qui vont nous être soumis. Telle est la raison pour laquelle nous avons souhaité que la stratégie nationale fasse l'objet d'un débat annuel, sanctionné par un vote, dans les deux assemblées parlementaires et précédé de l'avis préalable et systématique du Conseil économique, social et environnemental.

M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. Bernard Quintreau, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental. Par ailleurs, les collectivités locales jouent et joueront un rôle de plus en plus essentiel dans la mise en œuvre de la stratégie nationale. Le Conseil national des élus doit pouvoir délibérer de l'ensemble des mesures envisagées et programmées. En effet, leur action et leurs interventions, liées à l'évolution de la fiscalité locale, impactent directement les comptes publics.

Enfin, nous approuvons l'inscription de la dimension environnementale dans la gouvernance de toute entreprise. Cela détermine en effet l'essentiel de la responsabilité des entreprises, à travers le rôle et la place des partenaires sociaux, les dispositifs d'alerte… Le Conseil a estimé que l'avant-projet manifestait une volonté politique forte dans ce domaine. Sa rédaction traduit bien notre souhait de voir ces questions encore largement débattues.

Quatrième axe, ce texte pose en principe l'exemplarité de l'État. Deux aspects, entre autres, y participent :

Le titre III, qui traite de la politique de santé, nous paraît extrêmement important. L'État est le garant et le régulateur de cette politique de santé. C’est la première fois, à notre connaissance, qu’un texte de portée générale pose comme principe la mise en œuvre d’une politique globale de santé publique qui prenne en compte des facteurs environnementaux ; cela nous paraît extrêmement important.

Par ailleurs, dans plusieurs de ses avis comme dans le dernier, le Conseil a mis l'accent sur la nécessité de donner aux acteurs, en particulier du bâtiment, une visibilité à moyen et long termes sur l'évolution de la réglementation thermique. Si cela ne ressort pas du domaine législatif, il ne faut jamais oublier que cette réglementation est une référence incontournable, dans tout appel d'offres, compte tenu de leurs délais, pour tous les acteurs publics et parapublics : bâtiments, logement social… Les enjeux techniques et financiers sont tels que tous doivent pouvoir mesurer l'écart entre ce qui est actuellement obligatoire et ce qui le sera dans cinq ans, dix ans, vingt ans ou plus.

Mesdames et messieurs les députés, l'avis que j'ai tenté de vous résumer se fonde sur un principe de réalité. Ce principe a permis cette révolution tranquille du Grenelle de l’environnement. Nous souhaitons très vivement que le formidable élan donné à la politique de développement durable soit inscrit maintenant dans le marbre de notre législation par votre assemblée.

Si le Conseil économique, social et environnemental a pu contribuer à éclairer vos débats et vos votes présents et futurs, il en est d'autant plus heureux que cette démarche est un peu exemplaire des relations que nous devrions connaître entre nos deux assemblées dès lors que la réforme de la Constitution en juillet dernier a rétabli la saisine parlementaire du Conseil. C'est dire si le Conseil reste à votre entière disposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs des groupes NC, SRC et GDR.)

M. le président. Je remercie M. le président de la section du Cadre de vie du Conseil économique, social et environnemental.

Messieurs les huissiers, veuillez reconduire M. Quintreau.

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous commençons aujourd'hui – j'allais dire « enfin ! » – l'examen de la transposition législative des travaux du Grenelle de l'environnement. Enfin, parce que l'attente était forte, après les conclusions du Grenelle, et légitime compte tenu du succès de cet exercice de démocratie qui a permis de faire dialoguer divers partenaires de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile. Outre la méthode retenue, le Grenelle de l'environnement a légitimé à juste titre les associations environnementales comme partenaires indispensables des politiques publiques. Le succès du Grenelle de l'environnement a donc créé une attente de concrétisation d'autant plus forte que le sentiment général issu des travaux était celui de l'urgence des mesures à prendre pour atténuer le réchauffement climatique : en effet, celui-ci aura des répercussions dans tous les domaines de notre environnement. Si nous voulons limiter le réchauffement moyen à 2 degrés supplémentaires d'ici à 2050, nous devons passer le pic de CO2 dans les vingt ans qui viennent.

M. Rajendra Pachauri, président du Groupe international d’experts sur l’évolution du climat, le confirme dans Le Monde du 8 juillet 2008 : « Pour contenir la hausse des températures en deçà de 2 degrés, 2,4 degrés, qui est la ligne à ne pas franchir pour ne pas se mettre gravement en danger, il ne nous reste que sept ans pour inverser la courbe mondiale des gaz à effet de serre. »

En effet, si le réchauffement est supérieur à 2 degrés, nous savons que les risques seront énormes, les bouleversements géopolitiques considérables et sources de grande violence. Je ne développerai pas davantage car je sais que nous sommes d'accord sur le diagnostic, l'adoption en commission de notre amendement rappelant l'urgence l'a montré.

Il y a donc urgence, mais ne tombons pas dans le catastrophisme qui n'est pas mobilisateur et qui conduit plutôt à la résignation. Considérons plutôt la question du changement climatique comme un des principaux défis du XXIe siècle, défi qui, pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, est planétaire, mettant en évidence la solidarité de fait qui lie les femmes et les hommes de notre planète.

Il y donc urgence à prendre des mesures permettant la mobilisation de chacun. Les opinions publiques occidentales sont prêtes : les dérèglements climatiques – canicule, violence des cyclones et ouragans, inondations – ont sensibilisé nos concitoyens aux travaux du GIEC, qui ont été repris par les médias. Chacun, soucieux de l'avenir de ses enfants et des générations futures, commence à s'interroger sur nos comportements collectifs avant de s'interroger sur ses propres comportements.

Les lois de mise en œuvre du Grenelle de l'environnement doivent répondre à cette attente. Or on a senti monter progressivement une inquiétude chez un certain nombre de partenaires du Grenelle et dans une partie de l'opinion : et si ces lois ne se réduisaient qu'à des effets d'annonce complètement inadaptés à l'urgence des mesures à prendre ?

D'où vient ce scepticisme ? Le climat créé par la crise financière actuelle est bien sûr défavorable, dans l'immédiat au moins, à la discussion de cette loi. D'abord, parce que les médias sont revenus dans le présent, alors que le Grenelle exige de se projeter dans le futur. Ensuite, parce que la crise financière est une crise du crédit.


Or, on semble oublier que crédit veut dire confiance : faire crédit à quelqu’un, c’est d’abord lui faire confiance, c’est ensuite seulement lui prêter de l’argent parce qu’on lui fait confiance. Cette crise financière est une crise de confiance qui touche l’ensemble de votre gouvernement, qui depuis un an nous répète que, comme le nuage de Tchernobyl, la crise ne nous atteindra pas. Ce manque d’anticipation n’est pas de bon augure quand on discute d’un texte où on doit se projeter dans le futur. Cette perte de crédibilité globale nuit ainsi à vos propositions du Grenelle, d’autant plus qu’elle renforce l’interrogation sur les moyens disponibles pour sa mise en oeuvre. On ne peut que regretter de n’avoir pas discuté de cette loi en juin dans un climat plus serein.

D’ailleurs, les reports successifs de l’examen de la loi avaient commencé à nourrir le scepticisme en donnant le sentiment que cette loi n’était pas prioritaire, et donc qu’il n’y avait pas d’urgence. Ce d’autant plus que la plupart des décisions prises en 2008 sont contraires à l’esprit du Grenelle de l’environnement. C’est d’abord l’annonce, sans concertation, par le Président de la République, de la construction du deuxième EPR.

M. Yves Cochet. Exactement !

M. Philippe Tourtelier. Or, les choix énergétiques sont fondamentaux pour assurer la cohérence et l’efficacité des politiques environnementales. Ce sont les réformes de la carte judiciaire et de la carte hospitalière qui vont à rencontre de ce qu’il faut faire pour économiser les déplacements : la proximité des services n’est plus seulement une question d’aménagement du territoire ; c’est aussi une nécessité pour lutter contre les gaz à effet de serre.

Par ailleurs, le Parlement a continué à travailler comme si le Grenelle n’avait pas eu lieu. La loi sur les OGM a trahi les conclusions du groupe de travail du Grenelle qui demandait le droit de produire ou de consommer sans OGM.

Nous avons ensuite débattu de la loi de modernisation de l’économie qui n’évoque pas, dans les relations entre les producteurs et les distributeurs, la question des coûts en gaz à effet de serre, issus des modes de production et de transport de marchandises.

De même, dans la partie concernant l’urbanisme commercial, elle conforte un système de distribution générateur de déplacements automobiles consommateurs d’énergie, au lieu de favoriser le commerce de proximité en s’appuyant sur l’e-commerce.

Bref, on ne sent pas l’expression d’une volonté politique pour créer dans tous les domaines les conditions permettant la mise en œuvre des conclusions du Grenelle. Personnellement, je ne doute pas de votre volonté politique, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, et les débats récents avec vos collègues le montrent. Quand je vois les difficultés que vous éprouvez au sein du Gouvernement ou de l’Europe pour faire avancer la cause écologique, j’ai plutôt envie de vous soutenir.

M. Bertrand Pancher. Bravo !

M. Philippe Tourtelier. Mais quand je constate que vous ne remettez pas en cause l’idéologie néolibérale de ce gouvernement auquel vous appartenez, alors qu’elle va à l’encontre des positions écologiques que vous défendez et qu’elle est injuste socialement et inefficace économiquement, je ne peux acquiescer.

Une mise en œuvre réelle du Grenelle de l’environnement nécessite de ne pas en rester au seul domaine de l’environnement. Reprenons, en effet, la définition du développement durable issue du rapport Brundtland de 1987 : « Développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Cette définition pose, d’abord, la question de la représentation des générations futures : qui, actuellement, a la légitimité pour les représenter ? Il nous faut, selon le mot de MM. Fitoussi et Laurent : « élever notre niveau d’exigence démocratique ». Cette question essentielle de la démocratie, de la gouvernance, que votre projet de loi aborde, sera approfondie en particulier par mon collègue Serge Letchimy.

Pour ma part, je voudrais m’arrêter sur une autre précision que Mme Brundtland donne dès l’introduction de son rapport, et que vous avez rappelée, monsieur le rapporteur : une des conditions du développement durable est d’analyser les situations et les projets en tenant compte de trois paramètres : l’économique, le social – incluant la culture – et l’environnemental. Leur articulation dans la prise de décision est indispensable pour le développement durable.

Or, ce nouveau concept du développement durable, essentiel pour analyser la complexité du XXIe siècle, est attaqué de deux côtés. Il est d’abord attaqué par les partisans de la « décroissance »…

M. Yves Cochet. Ah ! Ah !

M. Philippe Tourtelier. …qui disent que l’expression « développement durable » est souvent un alibi pour des acteurs qui continuent leurs pratiques habituelles, ce qui peut être malheureusement vrai, justement à cause des ambiguïtés qu’il faut lever. Il faudrait donc entrer en « décroissance » généralisée. Et c’est là que le bât blesse, car les premières victimes de la décroissance seront les plus pauvres. S’il est vrai que, pour les ressources non renouvelables, il faudra une décroissance en attendant une substitution éventuelle, on ne peut confondre « croissance » et « développement ».

La confusion entre les deux termes s’explique : pendant toute la deuxième partie du XXe siècle, on a assimilé développement et croissance, mesurée par le PIB, mesure quantitative. On a parlé alors de pays en voie de développement lorsque leur PIB augmentait.

Le rapport Brundtland introduit une rupture et nous amène à revenir sur cette assimilation abusive du développement à la croissance. La croissance est de l’ordre du quantitatif : croître, c’est augmenter en taille, et cela se mesure objectivement. Le développement est de l’ordre du qualitatif. L’étymologie nous le rappelle : développer, au XIIe siècle, c’est le contraire d’envelopper. C’est dérouler, déplier, révéler. Et, au XVIIIe siècle, se développer signifiait s’épanouir. C’est un terme profondément humaniste, qui réinvente la notion de progrès : il y a de l’infini dans le développement. Le développement durable n’est un oxymore que pour ceux qui confondent croissance et développement.

Mais ce concept de développement durable est aussi attaqué par une approche restrictive : dans beaucoup de conversations, d’articles de journaux, d’émissions de radio ou de télévision, l’expression est employée comme signifiant simplement la prise en compte de l’écologie. Faire du développement durable devient alors simplement concilier le développement économique et les ressources de la planète.

Le développement durable est alors réduit à une « croissance durable ». Cette exclusion du social conduit à l’échec : de même qu’au XXe  siècle, l’exclusion de l’écologie menait à une impasse, au XXIe siècle, l’exclusion du social et du culturel ne permettrait pas de trouver les solutions permettant de concilier économie et écologie. En effet, cette conciliation nécessite des changements culturels profonds. Dans les pays occidentaux, c’est en particulier la remise en question du quantitatif avec la consommation comme seul horizon. C’est passer de la croissance au développement. Dans d’autres pays, ce peut être la réhabilitation de cultures locales mieux adaptées aux défis du XXIe siècle. Le développement durable suppose une modification des comportements, ce qui relève du social et du culturel.

Il est donc essentiel de ne pas affaiblir la portée du concept de développement durable et éventuellement, lorsqu’il concerne plus spécialement un des trois points de vue, de parler de « développement économiquement durable », ou « écologiquement » durable, ou « socialement durable ».

Or, le texte de loi que nous examinons est parfois ambigu, en particulier quand on parle de formation au développement durable pour les agents de l’État ou pour les entreprises. Des précisions sur la définition du « développement durable » étaient indispensables au début du texte. En juin, nous les avions souhaitées, vous les avez proposées et nous nous en félicitons. Mais l’intitulé même de votre ministère est ambigu : « Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire ». Ce nom résulte de l’histoire récente de notre organisation institutionnelle. L’ancien ministère de l’écologie était déjà celui du développement durable, mais ne représentait qu’un pourcentage infime du budget et, en conséquence, avait très peu de poids au sein du Gouvernement.

Parmi les conclusions de la « Mission effet de serre », que nous avons votées, madame la secrétaire d’État, on trouve la proposition d’un grand ministère regroupant l’environnement, l’énergie, les transports, dont le ministre en charge, appuyé sur une administration dédiée, devait avoir un statut renforcé par l’attribution du titre de ministre d’État.

C’est fait, et on peut dire que votre ministère désormais « pèse » au sein du Gouvernement. On remarque cependant que le logement n’est pas dans le périmètre de votre ministère, alors qu’on connaît l’importance de ce secteur dans la lutte contre les gaz à effet de serre.

Intervenant dans une réunion sur la révision des politiques publiques organisée par « Acteurs publics », où je faisais remarquer cette exclusion du logement qui pouvait apparaître comme une anomalie, le représentant de votre ministère me répondait : « Oui, mais on s’arrête où ? ». Effectivement, il n’y a pas de réponse à cette question si vous restez le ministère du « développement durable ». En fait, sur le logement, il y a eu arbitrage et on a considéré que l’aspect social du logement était plus important que l’approche écologique. C’est le type même d’arbitrage en termes de développement durable, arbitrage qui évidemment n’est pas fait au sein du ministère dit du « développement durable ». Levons donc l’ambiguïté et supprimons le terme « développement durable » de l’intitulé de votre ministère. C’est au-dessus – Premier ministre ou Président de la République, c’est un autre débat – que se font les arbitrages, en particulier budgétaires, et il faut qu’ils soient explicités en termes de développement durable.

Il faudra donc un jour revenir sur cette organisation institutionnelle ambiguë, source des dysfonctionnements qu’a connus l’élaboration de cette loi. Dans un entretien paru dans la revue Politique et Parlementaire d’avril 2008, vous déclarez, monsieur le ministre : « Nous présenterons au Parlement une grande loi Grenelle, reprenant les principes du Grenelle Environnement, et comprenant un chiffrage détaillé de chaque programme, ainsi que des mesures concrètes ».

Vous nous avez dit depuis, en juin d’abord, puis en septembre, qu’on pourrait travailler avec trois documents : le Grenelle 1, le Grenelle 2 et la loi de finances. Malgré votre promesse, nous n’avons pas pu le faire, le Grenelle 2 étant devenu un peu l’Arlésienne, et la commission des affaires économiques n’ayant pas eu le temps, ou la volonté – le président pourra nous le dire – de rapprocher le texte que nous examinons des moyens mis en oeuvre dans la loi de finances, ce qui aurait permis un travail efficace. On est très loin de la « grande loi Grenelle » que vous aviez annoncée. Et pourtant, effectivement, dans les premières versions du texte Grenelle 1, nous avions des calendriers, des autorisations de programmes budgétaires. Bref, c’était une vraie loi de programmation, permettant un débat démocratique sur les priorités retenues. Dans la version que vous nous proposez aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus d’autorisations de programme et la plupart des délais ont disparu ou ont été allongés. On n’est plus dans une loi de programmation. Nous sommes à peine dans une loi d’orientation. C’est plutôt une vague loi d’intention. Cela explique d’ailleurs en partie l’excellent climat dans lequel nous avons travaillé en commission. Je voudrais, à ce point, remercier le président de la commission et le rapporteur d’avoir accepté quelques uns de nos amendements…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très nombreux !

M. Philippe Tourtelier. …qui nous paraissaient essentiels, par exemple sur l’urgence, la place de l’outre-mer, la formation, l’allocation de base pour l’électricité. Mais il faut bien admettre que c’est plus facile d’obtenir ce bon climat pour une loi très peu normative. On est d’autant plus facilement d’accord sur les bonnes intentions, que, comme on dit chez moi, « ça ne mange pas de pain », car l’article 40 a permis d’éliminer tous les amendements qui fâchent, mais qui auraient pu redonner de la crédibilité à la loi en complétant des listes d’opération ou en précisant la participation financière de l’État pour atteindre les objectifs énoncés.

Ainsi, le positionnement de votre ministère dans l’architecture institutionnelle actuelle du Gouvernement ne vous a pas permis d’atteindre vos objectifs législatifs : une véritable loi programme. En fait, la RGPP ne répond pas à la nouvelle façon de poser les problèmes du XXIe siècle. Or, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, si nous voulons répondre aux défis du XXIe siècle, c’est un changement profond de fonctionnement de nos sociétés, sinon un changement de civilisation.

C’est d’abord, en particulier en Occident, la remise en cause de notre façon de penser la place de l’homme dans la nature. Depuis plusieurs siècles, l’homme se définit par sa culture, c’est-à-dire par son opposition à la nature qu’il aurait vocation à dominer et à exploiter. Mais s’il est vrai que l’homme est un être de culture, il n’en demeure pas moins dans la nature. Toute agression définitive à la nature est, à terme, une agression contre lui-même. D’où l’importance, d’une part, de préserver la biodiversité ; d’autre part, de considérer le caractère fini de certaines ressources naturelles. Ce dernier point va à l’encontre des modes de pensée et de comportement de nos sociétés de consommation : puisqu’on n’est pas dans un monde sans limite, il faut sortir, selon le mot d’Edgar Morin, de notre « intoxication consumériste », qui a été rendue possible en particulier par un pétrole bon marché et considéré comme inépuisable. On privilégie le quantitatif, alors que toutes les études sociologiques montrent que l’accumulation des biens matériels ne suffit pas pour le bonheur, individuel ou collectif.

Il faut passer au qualitatif, poser les vraies questions et les vraies réflexions : la qualité de vie et le sens de la vie, ce qui, par exemple, pose la question du temps de travail tout au long de la vie, bien au-delà de la question des 35 heures.

Autre révolution copernicienne dans nos modes de pensée : en économie, le prix doit intégrer non seulement le coût du capital et le coût du travail, mais aussi le coût du prélèvement sur les ressources naturelles ou de leur renouvellement, et le coût des externalités négatives comme le réchauffement climatique. On voit la difficulté de le faire à tous les niveaux, que ce soit au niveau mondial avec le protocole de Kyoto ou au niveau national avec le bonus-malus.

C’est une remise en cause du fonctionnement actuel de l’économie de marché qui ne peut envoyer des « signaux prix » efficaces pour l’allocation de ressources puisque les prix sont faux. C’est aussi une remise en cause de la mesure de performance de nos économies par le PIB qui est uniquement quantitatif : la catastrophe de l’Erika pollue nos côtes, mais augmente le PIB.

Le Président de la République a eu raison de solliciter deux prix Nobel pour réfléchir sur de nouveaux indicateurs qui nous obligeront à sortir de la logique économique ultra-libérale actuelle, car elle ne peut conduire à un développement économiquement durable, et elle a des conséquences sociales et écologiques souvent désastreuses.

Mais il ne faut pas se limiter à la remise en cause des indicateurs. La réussite du Grenelle de l’environnement est incompatible avec la politique néo-libérale menée par le Gouvernement. Notre situation budgétaire, particulièrement dégradée par la politique fiscale menée depuis 2002, a amené le Président de la République, dans un contexte mondial certes difficile, à revenir sur plusieurs de ses engagements comme la baisse des prélèvements obligatoires. Il faut aller plus loin pour que la France retrouve les moyens financiers de mener des politiques. Il faut revenir sur le bouclier fiscal et le paquet fiscal, qui ont montré leur inefficacité à relancer notre économie et nous privent, dans l’immédiat, de capacités de réaction dans la crise financière mondiale actuelle et, à l’avenir, de moyens pour mettre en œuvre les mesures du Grenelle de l’environnement.

La majeure partie de ces cadeaux faits aux plus riches est allée alimenter la spéculation financière ambiante. Il faut réorienter ces sommes vers le soutien du Grenelle de l’environnement dont les actions proposées peuvent être créatrices de milliers d’emplois durables à condition qu’elles soient financées.

Le Président de la République a raison de vouloir mettre de l’éthique dans les systèmes financiers, mais il faut aussi en mettre dans notre fiscalité. Le bouclier fiscal est aussi immoral que les parachutes dorés : ce sont deux instruments pour protéger les plus riches. Or, la fraternité, c’est d’abord de protéger les plus faibles. Pourquoi certains – les plus aisés – seraient-ils exonérés des efforts demandés à l’ensemble de nos concitoyens ?

M. François Brottes. À cause du ministre du budget !

M. Philippe Tourtelier. Dans le domaine qui nous préoccupe, celui de l’environnement, comment espérer pouvoir changer les comportements en demandant aux générations actuelles de prendre en compte les générations futures alors que, de plus en plus, nos concitoyens sont obligés d’être dans le présent pour eux-mêmes, parce que leur horizon temporel est d’abord la fin du mois à boucler financièrement ?

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. Philippe Tourtelier. Et on continuerait à protéger les plus riches par le bouclier fiscal ? La justice sociale est indispensable pour résoudre les questions écologiques.

Et puisque nous sommes dans les moyens que doit se donner l’État pour pouvoir mener des politiques, en particulier dans le domaine de l’environnement, il faut réfléchir à une fiscalité qui abandonne les références idéologiques néolibérales – moins d’État-moins d’impôt –, aujourd’hui à bout de souffle, car elles ne permettent pas de répondre aux crises financières, économiques, sociales ou environnementales.


Moins d’État ? Pourtant, on sait qu’il n’y aura de vraies avancées écologiques que sur la base de régulations publiques fortes, d’abord par la norme – nous en reparlerons pour le Grenelle 2, s’il émerge –, ensuite par la taxation et la fiscalité – j’y reviendrai –, mais aussi par le marché, à condition qu’il soit régulé.

Même le Président de la République l’a déclaré à Toulon : « L’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. » Faute avouée est-elle à moitié pardonnée ? Il faudrait alors revenir en urgence sur la déréglementation du marché du travail menée depuis 2002, qui n’empêche pas le chômage de repartir à la hausse. J’attends avec impatience la prochaine déclaration du Président…

M. François Brottes. Il s’exprime tous les quarts d’heure !

M. Philippe Tourtelier. …qui dira : « L’idée de déréguler le marché du travail était une idée folle. Elle a installé les Français dans la précarité qui occulte l’avenir. Ne pouvant se projeter dans le futur, ils ne pouvaient se préoccuper de l’environnement et des générations futures. »

Alors, passons aux actes car il est vrai, comme le dit le Président, qu’il faut « un nouvel équilibre entre l’État et le marché. » L’ère de la concurrence toute-puissante est en effet derrière nous. La demande de régulation des marchés est très forte. Le protocole de Kyoto essaie d’ailleurs d’associer un dirigisme d’État planétaire par les quotas, ainsi que des mécanismes de marché pour la répartition de ces quotas. Les certificats d’économie d’énergie, les bonus ou les malus, tentent aussi de réguler les marchés, en orientant les conditions de la concurrence.

Cette régulation est nécessaire, car nos concitoyens contribuables ne pourront admettre plusieurs Crédit Lyonnais ou autre Dexia. Si l’État est acculé aujourd’hui, dans l’urgence, à sécuriser les dépôts des Français, le retour de l’État préconisé par le Président de la République ne peut se réduire à une garantie pour les actionnaires assurée par les contribuables, avec une privatisation des profits et une socialisation des pertes. « Travailler plus pour gagner plus » peut-être, mais pas pour enrichir les rentiers qui, eux, ne font travailler que leur argent. L’État doit réguler les « forces libres du marché » qui sont dans le court terme, car il est garant du long terme : le développement durable.

Mais comment assurer le retour de l’État souhaité par le Président de la République avec moins de rentrées fiscales ? Si nous voulons le développement durable, il faut une réhabilitation idéologique de l’impôt, que critiquent depuis plus de vingt ans les néolibéraux. Avec le terme d’impôt, on n’a retenu que la contrainte : chacun doit payer ce qui est imposé. Mais on oublie que cet impôt est perçu par le service des « contributions directes ». Or ce dernier terme est beaucoup plus positif. Ce que l’on paie, c’est sa contribution à la bonne marche économique du pays, à sa cohésion sociale, au maintien d’un environnement sain et agréable, bref aux politiques menées par ceux qui ont été élus après des débats démocratiques. N’est-il pas paradoxal de voir ceux qui ont été élus sur des projets politiques se priver volontairement des moyens de les mener, en se fondant sur une idéologie économique dépassée et qui, surtout en ce moment, montre ses limites ?

D’ailleurs, les responsables locaux que nous sommes ou que nous avons été, pour beaucoup d’entre nous, s’ils essaient tous de modérer l’augmentation des impôts locaux, les baissent très rarement. En effet, dans la proximité de nos collectivités territoriales, ils voient immédiatement le lien entre l’impôt et le service rendu, et ils perçoivent la demande croissante de services. Au lieu d’asséner au niveau national des pseudo-vérités néolibérales, faisons de la pédagogie comme nous le faisons dans nos collectivités. Nous aurons alors des moyens pour mener nos politiques, moyens qui manquent à cette loi de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

La question de la répartition des charges a été posée par le Conseil économique et social, cela vient d’être rappelé : quelle doit être la répartition dans le temps entre les ménages, les entreprises, les collectivités territoriales et l’État ? Elle n’a reçu aucune réponse. Je ne peux croire que vous n’ayez pas fait des calculs pour fixer des ordres de grandeur, dans le temps, du coût des mesures du Grenelle et de leur répartition. Mais il est indispensable que nous en discutions, car, sans justice sociale, il ne peut y avoir de mobilisation environnementale. Réfléchir sur la place réciproque de la fiscalité et du marché dans la répartition des charges et des ressources est essentiel. Cela nous permettra peut-être d’inventer les instruments adaptés aux nouvelles régulations du XXIsiècle. La réflexion sur le bonus-malus qui oriente le marché est une de ces pistes. Encore faut-il s’assurer que, socialement, chacun puisse en profiter.

Il faut aussi réfléchir sur la contribution climat-énergie, demande forte du Grenelle, qui est à peine reprise dans ce projet de loi, le COMOP devant l’étudier n’ayant pas encore été mis en place.

Enfin, la proposition faite par la mission « Effet de serre » d’asseoir une partie des cotisations sociales – je parle bien de cotisations et non de charges – sur des critères environnementaux, qui se substitueraient aux cotisations sur le travail, mérite d’être étudiée, en particulier avec les partenaires sociaux, mais aussi avec les organisations environnementales. Depuis 1999, il existe en Allemagne une démarche de ce type, qui n’est plus remise en cause aujourd’hui. Entre 1999 et janvier 2003, elle a permis de réduire la consommation et de transférer 60 milliards d’euros aux caisses de retraite, ce qui a abaissé de 2 % le coût des cotisations des salariés et des employeurs. Voilà qui mérite réflexion.

Pour terminer sur les moyens à mobiliser, est-il immoral d’instituer un prélèvement sur les profits des compagnies pétrolières ? Rappelons que le rendement des actions de Total au premier semestre 2008 est de 30 %. Monsieur Ollier, vous faisiez allusion en commission aux profits capitalistiques excessifs de certains promoteurs d’éoliennes. Luttons plutôt contre les profits excessifs liés au pétrole, activité qui nous coûte très cher par ses conséquences sur le réchauffement climatique, que contre ceux qui proviennent d’une activité qui nous aide à lutter contre ce réchauffement.

M. François Brottes. Bon argument !

M. Philippe Tourtelier. Puisque, en France, le quart des logements est chauffé au fioul et que 700 000 foyers modestes touchent la prime à la cuve, une taxe sur les profits pétroliers ne doit pas seulement aider les plus démunis à remplir leur cuve ; elle doit les aider également à changer leur système de chauffage en utilisant des énergies renouvelables.

Si nous en avons la volonté politique, nous pouvons dégager les moyens d’une réelle mise en œuvre du Grenelle. Je laisserai le soin à mes collègues de développer plus précisément les divers thèmes abordés dans la loi, mais, compte tenu de son importance dans le sujet qui nous préoccupe, je souhaite, pour terminer, insister sur le bâtiment ou plus exactement sur le logement, qui illustre parfaitement l’approche que j’ai évoquée, en termes de développement durable.

Indicateur et moteur de l’activité économique, le logement répond à un droit social fondamental, et c’est, dans l’immédiat, la principale source d’économies d’énergie et de réduction des gaz à effet de serre. La loi Boutin est en préparation. Une loi commune aux deux ministères aurait permis de s’assurer que le traitement des urgences écologiques, dans le neuf ou la réhabilitation, était compatible avec des coûts économiques de sortie permettant l’exercice du droit au logement, et ce dans le public comme dans le privé.

En effet, la précarité énergétique n’existe pas que dans le logement social : plus de la moitié des familles modestes habitent dans des logements privés. Nous nous contentons de soigner le symptôme, les impayés de factures. Mais il est urgent de s’attaquer à la source du problème et d’effectuer les travaux nécessaires pour améliorer la performance énergétique des logements. Là encore, la solution écologique passe par le social. Nous n’atteindrons pas les objectifs du Grenelle en matière de lutte contre le changement climatique sans prendre en compte sérieusement les personnes n’ayant pas les moyens de financer les travaux d’économie d’énergie nécessaires à la réalisation de ces objectifs. Ou alors, elles subiront une exclusion supplémentaire.

Pour le neuf, les normes affichées sont ambitieuses. Elles resteront à vérifier lors de la discussion de l’article 4. Compte tenu de l’expérience de la HQE, la haute qualité environnementale, la question du contrôle se posera très vite, si l’on veut que les normes soient appliquées.

Quant à l’ancien, assez tergiversé ! Nous savons tous qu’il représente l’enjeu principal. Nous avons convenu qu’il y a urgence. Compte tenu de l’inertie dans le renouvellement du parc, il faut obliger à un minimum de travaux à la revente, permettant d’améliorer les performances thermiques et énergétiques des logements. Il faut aussi mettre en place des mesures incitatives permettant à tout moment aux locataires et aux propriétaires, d’un commun accord, de réaliser des travaux. Enfin, il faut aider ceux qui n’en ont pas les moyens, à sortir de la précarité énergétique.

Vous allez citer l’éco-PTZ, monsieur le ministre, mais celui-ci risque de ne pas être mis en place pour deux raisons : la contraction du crédit lié à la crise financière et le manque de main-d’œuvre formée et disponible dans ces secteurs. L’éco-PTZ, bonne mesure en soi, doit être étendu au logement social mais, pour qu’il soit efficace, il faut de la main-d'œuvre.

Le Comité économique et social l’a souligné : un effort de formation massif doit être entrepris en urgence. Nous avons des jeunes demandeurs d’emploi, des marchés porteurs de créations d’emploi, l’argent de la formation continue, des organismes de formation initiale et continue – autant dire que nous avons tout pour réussir. Il est indispensable que l’État réunisse les partenaires concernés, éducation nationale, régions ou grandes entreprises, pour mettre en œuvre en urgence un plan pluriannuel de formation dans ces secteurs, qui permette de répondre à la demande. Sinon, l’éco-PTZ ne se mettra pas en place, ce que certains souhaitent peut-être, afin de ne pas augmenter la dépense budgétaire. La crédibilité des objectifs affichés concernant le bâtiment dépend donc d’abord, en amont, de l’effort de formation.

En conclusion, pour être crédible, la loi que vous nous proposez doit être l’occasion d’une vraie rupture dans les comportements et les politiques que vous avez soutenus jusqu’ici. Oui, l’État doit être exemplaire, non seulement dans les intentions, mais dans l’ensemble de ses actes. Je rappelle en particulier trois points qui nous paraissent essentiels.

Le premier est la réponse à la question du Comité économique et social sur le partage des charges du Grenelle entre les ménages, les entreprises, les collectivités territoriales et l’État, afin que l’on voie bien l’effort de chacun.

Le second consisterait à geler les réformes actuelles, en particulier celle de la carte hospitalière, de la carte judiciaire et de La Poste, mais plus généralement de l’ensemble des services publics, pour permettre une analyse en termes de bilan carbone global des déplacements induits par les réorganisations projetées. La proximité est indispensable non seulement à l’aménagement du territoire, mais aussi à la réalisation des objectifs du Grenelle. Je le dis à tous ceux qui sont attachés à la proximité des services, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent.

Troisièmement, il faut profiter du questionnement lié à la crise actuelle pour abandonner la référence idéologique néolibérale concernant la réduction de l’impôt. Par ce biais, vous dégagerez les moyens de mettre en œuvre le Grenelle de l’environnement et d’alléger la charge de la dette, prenant en compte ainsi les générations futures. Concrètement, il s’agit de revenir sur le bouclier fiscal, le paquet fiscal et de réfléchir à une fiscalité adaptée au XXIsiècle, c’est-à-dire plus juste socialement pour être efficace sur les plans économique et environnemental.

Aujourd’hui, de même que vous souhaitez une unité nationale à propos de la crise financière, certaines associations partenaires du Grenelle de l’environnement souhaitent une sorte d’unité nationale sur les questions écologiques. Mais celles-ci ne sont pas séparables de leur contexte économique et social. L’unité nationale n’est possible que dans la justice sociale. Pour pouvoir se projeter dans les générations futures, il faut d’abord pouvoir le faire dans sa propre histoire. Mme Brundtland ne disait pas autre chose en 1987, lorsqu’elle écrivait que la meilleure façon d’atteindre les objectifs écologiques était de lutter contre la pauvreté.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, vous nous proposez une loi d’un nouveau type, qui n’est pas prévue par la Constitution : une loi d’intentions,…

M. Éric Diard, rapporteur. Une loi de programmation !

M. Philippe Tourtelier. …un aimable bazar, pour reprendre le terme utilisé ce matin par M. Jancovici devant la commission des finances, très peu normative, à la place de la grande loi que vous appeliez de vos vœux au début de l’année. D’ailleurs, vous avez-vous même émis des doutes sur la nécessité de présenter cette loi Grenelle 1. C’est à ce titre qu’elle est irrecevable : revenez à la première version de cette loi complétée par le Grenelle 2, et vous nous présenterez alors une vraie loi de programmation.

M. François Brottes. Très juste !

M. Philippe Tourtelier. Aujourd’hui, pour cette loi d’intentions – démenties par les décisions prises depuis le Grenelle par le Gouvernement –, nous vous demandons, mes chers collègues, de voter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. En vous écoutant, monsieur Tourtelier, je n’ai pas relevé qu’il y ait dans le texte qui vous est proposé le moindre élément contraire à la Constitution. Votre intervention était un aimable exercice d’expression politique sur un certain nombre de sujets intéressants. Elle exprime la position de votre groupe. C’est bien, mais revenons au Grenelle et à cette loi de programmation. Cela me paraît beaucoup plus utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Je ne reviendrai pas sur le problème de la constitutionnalité du texte. M. le ministre a déjà souligné que, sauf pendant les dix dernières secondes de la motion, nous n’avons entendu aucun argument à ce sujet.

Je connais bien M. Tourtelier dont je salue par ailleurs l’engagement et les compétences dans le domaine du développement durable. Mais je regrette qu’il se soit égaré dans une critique dogmatique du néolibéralisme. L’expression politique est toujours possible dans notre hémicycle, mais nous devons réfléchir aujourd’hui au Grenelle de l’environnement. Il s’agit d’un texte fondateur. M. Quintreau a d’ailleurs indiqué que ce projet de loi essentiel et primordial traduit une volonté politique forte. N’est-ce pas ce qui nous importe ? Nicolas Hulot, qui a été à l’origine du lancement du Grenelle, a également insisté pour que nous le votions.

M. Jean-Yves Le Déaut. Mais il n’est pas député !

M. Serge Poignant. Au reste, fallait-il voter le Grenelle 1, 2 ou 3 ? Nous avons demandé ce Grenelle 1, mais souvenons-nous que trente-trois comités opérationnels sont encore au travail. Vingt-trois codes seront touchés par les mesures proposées, qui correspondent à plus d’une dizaine de lois non codifiées. Tout cela doit encore être parfait, nous le comprenons et nous serons, nous aussi, attentifs à la suite du processus.


Mais cette volonté politique est absolument essentielle. Il faut que nous l’affichions maintenant, d’autant plus que nous présidons l’Europe. Dans ce contexte, le projet de loi me semble avoir aujourd’hui tout son sens.

Pour résumer, monsieur Tourtelier, après avoir dit que vous aviez apprécié la méthode suivie, justifié la création d’un grand ministère et reconnu l’urgence des mesures à prendre, vous avez parlé de scepticisme, d’effets d’annonce et de manque de confiance. Mais nous, nous avons confiance. Nous allons donc nous engager pleinement derrière le ministre et les secrétaires d’État pour ce projet de loi d’affirmation. Lisez l’article 43 relatif à la gouvernance : il s’agit de « construire une nouvelle économie conciliant protection de l’environnement, progrès social et croissance économique […] ». C’est bien pour aller dans ce sens que nous allons suivre le Gouvernement, et que nous ne voterons pas l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe NC.

M. Jean Dionis du Séjour. J’ai écouté avec attention ce qu’a dit M. Tourtelier. Il y a des choses intéressantes.

Mme Geneviève Gaillard. Merci pour lui ! (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Déaut. Le Centre est au centre !

M. Jean Dionis du Séjour. Je pense notamment à sa conception large du développement durable, avec une dimension écologique, sociale et financière. Il y a d’ailleurs des tensions entre les différentes composantes d’une telle conception – pourquoi le nier ?

M. François Brottes. Quelle note lui donnez-vous ?

M. Jean Dionis du Séjour. En revanche, il nous a tout de même semblé difficile de nier la filiation entre les 273 engagements du Grenelle et le texte qui nous est soumis. C’est un peu limite en termes de rigueur intellectuelle.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Jean Dionis du Séjour. Qu’il y ait un glissement en termes de calendrier, c’est un fait, mais il est difficile de conduire un tel processus. Il y a une vraie filiation, et je pense que M. Tourtelier aurait été bien inspiré de la souligner.

Mais nous n’allons pas voter l’exception d’irrecevabilité. (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Je vois que je mets fin à un insoutenable suspense. (Sourires.) Nous n’allons pas la voter, disais-je, car, pour le Centre, ce n’est pas la quantification et l’empilement des objectifs qui compte, mais c’est la réponse aux questions suivantes : l’axe stratégique, à savoir diminuer la dépendance par rapport aux hydrocarbures, est-il bon ? La réponse est oui. Les chantiers que l’on ouvre, à savoir l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments, la fin du tout-voiture et du tout-poids lourd, s’inscrivent-ils dans une dynamique pertinente ? La réponse est oui. Voilà ce qui nous intéresse. Nous allons y revenir quand j’évoquerai la gouvernance durant la discussion générale.

La filiation avec le processus du Grenelle, la pertinence de l’axe stratégique et l’intérêt des chantiers ouverts sont donc bien présents dans ce texte. C’est pourquoi, monsieur Tourtelier, nous ne voterons pas l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Christian Jacob, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe SRC.

M. François Brottes. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je rappelle à M. Poignant que nous n’en sommes pas encore au vote final, et qu’il ne s’agit que d’une motion de procédure. Il a évoqué une injonction de la part d’une personnalité qui n’est pas parlementaire, mais il n’y a pas de mandat impératif dans cet hémicycle – sauf peut-être un mandat impératif du Président de la République en ce qui concerne nos collègues de l’UMP. En tout cas, nous, nous conservons notre libre arbitre en matière de choix et de vote.

Grenelle 1, Grenelle 2, Grenelle 3, la loi de finances : monsieur le ministre d’État, vous avancez pas à pas. Cela a été votre choix alors qu’il y a, chacun en convient, urgence à agir. Certains disent que c’est mieux que rien. Mais d’autres considèrent que ce n’est pas la bonne méthode, et que l’engagement, découpé en tranches, peut apparaître comme un marché de dupes. Soyons très clairs : oui, nous approuvons la démarche d’un diagnostic partagé pour faire bouger les consciences et pour infléchir la courbe des certitudes sur la lutte contre l’effet de serre – je ne citerai pas Claude Allègre, sinon cela nous ferait mal à tous. (Rires sur divers bancs.) Oui, nous approuvons la démarche concertée, élargie, coproductrice de pratiques nouvelles et de solutions innovantes. Oui, nous approuvons l’idée du compromis du possible, car il serait présomptueux de notre part de donner des leçons au prétexte que d’autres compromis seraient, eux aussi, accessibles. Oui, nous sommes pour le volontarisme en matière d’économies d’énergie.

Alors, me direz-vous : « Pourquoi déposez une exception d’irrecevabilité ? » (« Eh oui, pourquoi ? » sur les bancs du groupe UMP.) Je sentais que vous alliez me poser la question ! (Sourires.) Pour tout vous dire, mes chers collègues, nous nous la sommes sérieusement posés avant de prendre notre décision. (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Diard, rapporteur pour avis. Aveu de faiblesse ! Mais faute avouée est à moitié pardonnée !

M. François Brottes. Mais l’échec du système libéral, qui est en train d’affoler le monde en ajoutant la misère à la précarité, démontre que ce système reste incompatible avec le développement durable. La spéculation sur les matières premières en est un excellent exemple ; la prise en otage des peuples qui ont faim en est un autre. Force est de constater que l’inflexion nécessaire n’est pas au rendez-vous des choix de la politique de votre gouvernement.

M. Jean Dionis du Séjour. Là, on retrouve la terre ferme, monsieur Brottes !

M. François Brottes. Parlons-en de la terre ferme, justement ! Il y a quelques mois, le renoncement – dont vous avez été complice, monsieur Dionis du Séjour – à protéger l’avenir des cultures sans OGM…

M. Jean Dionis du Séjour. On ne parle pas de ça ! Ce n’est pas le sujet !

M. François Brottes. Mais si, c’est le sujet. Nous débattons d’un texte qui porte sur le développement durable, me semble-t-il.

Par ailleurs, nous déplorons la non-prise en compte d’un volet social qui aurait permis que le développement durable ne se fasse pas sur le dos des plus pauvres, et ce au motif que seules la taxe ou la punition serait le moyen d’obtenir la vertu. C’est un sujet lourd que nous rappellerons tout au long du débat, car la dimension sociale doit être au cœur de la transformation des mentalités, sans laisser au bord du chemin ceux qui n’auraient pas les moyens d’être vertueux parce que l’on exigerait d’eux de payer toujours plus pour le devenir.

Monsieur le ministre d’État, vous n’y êtes pas pour grand-chose, mais il faut bien constater le démantèlement continu des bases de notre cohésion sociale ; la privatisation de La Poste, la restriction du financement des collectivités locales, les disparitions de gendarmeries, et il y a aussi la situation des hôpitaux (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), la diminution de l’enseignement dans nos écoles. Si vous vous demandez pourquoi j’en parle, je vous rappelle que le développement durable consiste aussi à avoir des réponses de proximité pour ne pas multiplier les déplacements. Or quand vous êtes en train de déménager le territoire, vous faites l’inverse ! (« Très juste ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Autre élément à prendre en compte : l’absence de garanties durables sur les financements annoncés.

Enfin, je terminerai en évoquant l’énorme liste d’amendements déposés par le groupe UMP. Je rappelle que nous n’avons déposé que 20 % du total des amendements, le reste provenant quasi exclusivement de l’UMP.

M. Christian Jacob, rapporteur. C’est rare !

M. Jean Dionis du Séjour. Ne nous oubliez pas, monsieur Brottes !

M. François Brottes. Cela démontre les profonds désaccords au sein de la majorité. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Les attaques portées contre les énergies renouvelables, en particulier l’éolien, contre les normes d’isolation des bâtiments, ainsi que le manque d’enthousiasme – c’est le moins que l’on puisse dire – à l’égard de l’agriculture biologique,…

M. Alain Gest. Oh !

M. François Brottes. …pour ne citer que ces exemples, nous inquiètent pour la suite des débats. L’épreuve de vérité sera le Grenelle 2, dont nous ne connaissons pas encore la teneur finale alors que l’on nous l’avait promis.

Pour toutes ces raisons, et, j’en conviens, en vertu de l’exercice d’un droit d’alerte, nous appelons à voter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe GDR.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, il y a en effet urgence à prendre un certain nombre de mesures. Vous permettrez au maritime que je suis de prendre un exemple : la presse s’est fait l’écho, il y a quelques jours, de la simultanéité de l’ouverture, au nord du Canada, de la Scandinavie et de la Russie, des passages polaires du Nord-Ouest et du Nord-Est. Cela n’a peut-être l’air de rien, mais si le processus actuel se poursuit, dans quelques années ou quelques dizaines d’années, les routes maritimes autour du globe seront chamboulées. Pour venir en Europe depuis la Chine ou le Japon, on n’empruntera plus le canal de Suez, le cap de Bonne-Espérance ou le canal de Panama, mais le détroit de Béring, qui sera le passage entre le pôle nord – ou plutôt ce qu’il en restera – et le Canada ou la Russie. Voilà à quoi nous serons confrontés si des mesures urgentes ne sont pas prises. Je pense que l’on peut craindre qu’elles ne soient trop tardives. Je rappelle qu’il y a mille ans, le Groenland – comme son nom l’indique – avait vu Erik le Rouge accoster, et pouvoir planter sa tente sur une terre verte, aujourd’hui recouverte de quelques dizaines de mètres de glace. Je n’ai pris qu’un seul exemple justifiant l’urgence des mesures, mais il y en a d’autres, qui vous seront probablement plus détaillés dans les jours qui viennent.

Le constat, c’est celui d’un grand écart entre les espoirs qui sont nés, il y a quelques mois, de ce grand brassage qu’a été le Grenelle, et la réalité de votre texte.

Un député du groupe UMP. Mais non, c’est le contraire !

M. Daniel Paul. C’est particulièrement vrai dans le domaine des transports. Monsieur le président de la commission des affaires économiques, vous avez dit tout à l’heure : « Le Grenelle, rien que le Grenelle, mais tout le Grenelle ! ». Je vous réponds : « En matière de transports, chiche ! ». Car il y a d’énormes écarts entre les engagements, pris et réitérés par le Président de la République, et ce que le texte nous propose aujourd’hui.

Même si on acceptait un Grenelle réduit parce que l’intention est là, que les orientations sont intéressantes, qu’il y a un virage – à gauche ou à droite, peu importe, l’essentiel, c’est qu’on y aille ! –, comment faire sans aucune marge de manœuvre budgétaire ? Je vous entends bien, monsieur le ministre d’État. Vous nous dites que ce sera financé par les économies qui découleront du dispositif. Mais ce genre de raisonnement n’est pas toujours validé. La crise financière actuelle risque de porter aux espoirs un coup encore plus fatal. Un grand patron que nous avons rencontré ce midi, Carlos Ghosn, nous a exprimé ses craintes : non pas que les salariés obtiennent des augmentations de salaires ou que les composants de la marge évoluent, mais que, faute de crédits, il ne puisse bientôt plus investir suffisamment dans le développement durable. En plus, nous craignons qu’ensuite, une fois cette crise en diminution, ce soient les salariés et les collectivités publiques qui jouent le rôle d’amortisseurs pour que ceux qui ont été à l’origine de la crise bénéficient, plus tard, d’un amortissement encore plus confortable.

Il est vrai que des enjeux nouveaux sont posés par de nombreux progressistes. Le programme des Nations unies pour l’environnement n’émane pas de bolcheviques échevelés. (Sourires sur divers bancs.) Ceux qui l’ont élaboré disent pourtant que si l’on veut résoudre la crise écologique, il faut arrêter la privatisation généralisée des ressources et des services. C’est la reconnaissance que l’énergie, l’air et l’eau constituent des biens communs de l’humanité.

Il faut aussi sans doute inventer un nouveau type de développement, non productiviste, susceptible de préserver la planète pour notre génération et pour celles qui viennent tout en maintenant et en poursuivant notre ambition d’égalité et de justice sociale. Une telle ambition est absente de l’article 1er de votre texte de loi, monsieur le ministre d’État. Sans doute que cet oubli sera réparé pendant la discussion des articles, mais, jusqu’à présent, les aspects sociaux n’étaient pas pris en compte dans le cadre du développement durable. Le Grenelle a suggéré des questions nouvelles, parmi lesquelles : produire comment, en faveur de qui et pour répondre à quels besoins ? Comment garantir l’accès de tous aux biens et aux services indispensables ? Comment mettre l’être et son environnement naturel au cœur du développement, alternative aux logiques à court terme du profit ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Alors, vous êtes pour ou contre l’exception d’irrecevabilité ?

M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre d’État, le moins qu’on puisse dire, c’est que votre politique et votre projet sont éloignés de ces questions, et, surtout, des réponses qu’elles appellent. Nous voterons donc, bien évidemment, l’exception d’irrecevabilité présentée par M. Tourtelier. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. J’en étais sûr !

(L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)