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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 30 mars 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Discussion des articles (suite) (p.

Présidence de M. Marc Laffineur

. Protection de la création sur Internet

Discussion des articles (Suite)

Rappels au règlement

M. Patrick Bloche

Mme Martine Billard

M. Christian Paul

M. Frédéric Lefebvre

M. Michel Françaix

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

Article 2 (suite)

Amendements nos 406, 36, 37, 340

Rappel au règlement

M. Christian Paul

Reprise de la discussion

Amendements nos 2, 342

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Amendement no 38

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Discussion des articles (suite) (p.

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures trente.)

Protection de la création sur Internet

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (nos 1240, 1486, 1481, 1504).

Discussion des articles (Suite)

M. le président. Au cours de la troisième séance du jeudi 12 mars, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement n° 406 à l’article 2.

M. Patrick Bloche. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous reprenons aujourd’hui nos débats sur le projet de loi dit « Création et Internet » après une interruption de dix-huit jours. Et si je me permets de faire ce rappel au règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 2, de celui-ci, monsieur le président, c’est qu’en dix-huit jours, beaucoup de choses se sont passées.

Tout d’abord, le débat public s’est amplifié : cela a permis à nombre de nos concitoyens – et sans doute aussi à nombre de députés de la majorité – de prendre conscience des effets funestes du projet de loi dont nous débattons.

En second lieu, le contexte européen est en pleine évolution. Comme vous le savez, le rapport de M. Lambrinidis, eurodéputé grec, a été adopté pas plus tard que jeudi dernier par le Parlement européen, à une très large majorité  : 481 voix contre 25. Il précise notamment, comme nous l’avons déjà relevé en défendant nos motions de procédure, que « les gouvernements ou les sociétés privées qui coupent, à titre punitif, l’accès à Internet des abonnés violent le droit d’accès à l’éducation des personnes ». Ainsi le Parlement européen a rappelé, une nouvelle fois et de la façon la plus nette, que l’accès à Internet est un droit fondamental que toute interruption volontaire, même temporaire, remet en cause.

Ce rapport confirme la pertinence de l’amendement n° 138, adopté par 88 % des eurodéputés lors de l’examen en première lecture du « paquet télécoms ». Aujourd’hui même, le Parlement européen entame la deuxième lecture de ce paquet et l’amendement n° 46, reprise de l’amendement n° 138, permettra de réaffirmer que l’accès à Internet constitue un droit fondamental, ne serait-ce que dans la mesure où il commande l’accès à toute une série d’autres droits – à l’éducation, à la recherche d’un emploi, à l’intégration sociale –, ce qui implique que toute coupure se fasse sous le contrôle du juge.

Je voudrais également – et je ne serai plus long, monsieur le président – me réjouir que la muette du sérail, Mme Kosciusko-Morizet, soit enfin intervenue dans ce débat. Malgré tout le respect que j’ai pour M. Karoutchi, dont je comprends la présence sur les bancs du Gouvernement à la reprise de nos débats, je dois dire que nous aurions aimé que Mme la secrétaire d’État chargée du développement de l’économie numérique soit également présente aux côtés de Mme Albanel.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Vous n’êtes jamais contents !

M. Patrick Bloche. En l’occurrence, le sujet dont nous débattons l’intéresse directement. Et hier, dans un hebdomadaire paraissant principalement le dimanche, …

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. …elle se plaçait déjà, avec quelque facilité, dans la perspective de l’après-HADOPI. Force est de constater, madame la ministre, qu’elle n’a assuré là qu’un service minimum en termes de solidarité gouvernementale. On parle souvent des rapports polémiques et tendus entre Mme Morano et Mme Boutin, …

M. le président. Monsieur Bloche, il vous faut conclure !

M. Patrick Bloche. …mais je dois bien constater, madame Albanel, que vous vous êtes trouvée comparée à la femme de Cro-Magnon ou de Neandertal, puisque votre collègue a considéré que la HADOPI relevait de la préhistoire. Et, sur ce sujet au moins, nous partageons son point de vue.

Mme Martine Billard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, j’aimerais savoir comment sera organisée la suite de nos débats sur ce projet de loi. En effet, comme vient de le souligner notre collègue, depuis le 12 mars, deux changements sont intervenus qui sont de nature à modifier l’appréciation du Gouvernement.

Mme la ministre a souvent invoqué, pour défendre son texte, le fait que d’autres pays prenaient des mesures similaires. Or nous avons appris que la Nouvelle-Zélande avait abandonné la riposte graduée et décidé de protéger le caractère ouvert d’Internet. Son Premier ministre s’est exprimé en ce sens.

Par ailleurs, le Parlement européen a voté à une écrasante majorité le rapport Lambrinidis. Il a réaffirmé pour la deuxième fois que la coupure de l’accès à Internet est contraire aux droits à la culture, à l’éducation, à la liberté d’information et considéré que « l’évolution d’Internet prouve qu’il devient un outil indispensable pour promouvoir des initiatives démocratiques ». Vous avez affirmé, madame la ministre, que cela n’entraînait aucune conséquence pour votre projet de loi. Mais comment le Gouvernement peut-il s’obstiner de la sorte à instaurer une riposte graduée allant jusqu’à la coupure des connexions Internet quand les pays ayant envisagé cette solution l’abandonnent les uns après les autres et que le Parlement européen s’y oppose, deux fois de suite, à une si forte majorité ?

J’aimerais donc savoir, madame la ministre, comment vous comptez prendre en compte ces évolutions et éviter que la France reste à la traîne en ce domaine.

M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le président, je voudrais, dans ce rappel au règlement, proposer au Gouvernement une solution pour sortir de l’impasse.

Les travaux de notre assemblée sur ce texte ont été suspendus dans un climat tendu. Depuis, deux semaines se sont écoulées pendant lesquelles de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer très vivement ce texte : des économistes, Jacques Attali lui-même – auteur d’un rapport dont le Président de la République déclarait vouloir suivre toutes les conclusions mais sans doute ne l’avait-il pas bien lu car il y aurait trouvé des mises en garde assez explicites contre ce texte –, des associations d’usagers d’Internet et des entreprises du numérique – pas seulement les plus grandes, que l’on pourrait croire motivées par le souci de leurs intérêts, mais aussi de toutes petites structures, des start-up, de quelques personnes seulement, qui tentent de valoriser les contenus culturels –, des parlementaires européens et de nombreux citoyens dont nous avons pu constater la très profonde désapprobation dans nos circonscriptions.

Au nom du groupe socialiste, madame la ministre, je voudrais vous faire une suggestion. Il est des sujets sur lesquels les tentatives de légiférer provoquent de telles tensions dans la société et des différences si marquées dans l’expression au sein des groupes politiques – comme en témoignent certains récents amendements émanant des rangs de la majorité –, que de telles entreprises deviennent bien délicates à mener. Quand une loi divise autant, ce n’est pas une bonne loi. Quand une loi paraît aussi hasardeuse dans son application, aussi imprévisible et aléatoire d’un point de vue technique, ce n’est pas une bonne loi et celle-ci emprunte un peu à Courteline, un peu à Kafka et beaucoup à Alfred Jarry. Quand une loi s’affranchit des libertés fondamentales, comme le souligne le Parlement européen lui-même, quand elle est porteuse d’autant de contentieux, ce n’est pas une bonne loi. Quand une loi est source d’autant de méfiance – méfiance à l’égard des internautes, infantilisés ; méfiance à l’égard des juges, que vous souhaitez contourner ; méfiance à l’égard de l’Internet, diabolisé –, ce n’est pas une bonne loi. Quand une loi a des conséquences aussi disproportionnées sur les libertés numériques, ce ne peut être une bonne loi. Enfin, quand une loi s’enferme dans des solutions impraticables qui défient le simple bon sens, ce ne peut être une bonne loi.

Pour mémoire, je prendrai deux exemples. Le premier est celui du wi-fi public, qui relève aujourd’hui du service public élémentaire : il ne saurait être bridé. Le deuxième, monsieur le rapporteur, est votre proposition d’attribuer un label de « bonne conduite » à tous les sites Internet culturels, qu’ils soient commerciaux ou non : vous rendez-vous compte que le personnel du ministère tout entier n’y suffirait pas ? J’espère que vous allez reconnaître que cette mauvaise idée n’est que le résultat d’un effet d’entraînement.

La communauté des internautes s’emploie à chahuter le projet de loi. Les recettes fleurissent déjà en ligne sur la manière de contourner cette loi alors même qu’elle n’est pas encore votée ! Vous prenez le risque du ridicule, qui est un risque politique.

M. le président. Monsieur Paul, il faut conclure !

M. Christian Paul. Madame la ministre, je vous demande donc solennellement de suspendre l’examen de cette loi pendant quelques semaines – deux mois au plus. Une mission d’information réunissant les députés de tous bords, mais dans laquelle la majorité resterait la majorité, nous permettrait de travailler sérieusement sur ce sujet et de ne pas vous réfugier derrière le faux consensus de l’Élysée.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Je viens d’écouter patiemment les interventions de mes collègues, mais j’y ai vu beaucoup de gesticulation. Rien de nouveau, en tout cas, mais un débat que nous avons eu des dizaines de fois déjà.

M. Christian Paul. Comme d’habitude, M. Lefebvre s’exprime avec un peu d’arrogance !

M. Frédéric Lefebvre. Toutefois, je remercie M. Paul d’avoir indiqué que le présent texte n’empêcherait pas les internautes d’avoir accès à Internet puisqu’il a rappelé l’existence du wi-fi public.

M. Christian Paul. En hiver, dans les jardins publics, ce n’est pas confortable !

M. Frédéric Lefebvre. Il y a dix-huit jours, le rapporteur a parfaitement expliqué que, si retirer son permis de conduire à un automobiliste qui a commis une faute revient à lui interdire de conduire, il ne s’agit pas ici d’interdire à un internaute d’utiliser Internet, mais seulement de suspendre son abonnement après qu’il aura été alerté à trois reprises.

M. Christian Paul. Sauf que vous pouvez résilier votre contrat d’assurance pendant le temps où vous n’avez plus de permis de conduire !

M. Frédéric Lefebvre. Les amalgames ne sont pas acceptables et n’autorisent en tout cas pas à demander la constitution d’une mission d’information qui n’aurait aucun sens.

M. Christian Paul. Si nous étions cyniques, nous vous laisserions faire !

M. Frédéric Lefebvre. Nous allons continuer à débattre dans cet hémicycle, ce qui est parfaitement normal.

Monsieur Bloche, arrêtez d’opposer en permanence le monde de la création et Internet.

M. Patrick Bloche et M. Christian Paul. C’est ce que vous faites !

M. Frédéric Lefebvre. Vous avez prêté à Mme Kosciusko-Morizet des propos contraires à ceux qu’elle a tenus.

M. Christian Paul. Si ce n’est pas elle, c’est donc son frère !

M. Frédéric Lefebvre. Ce qu’elle a dit, à juste titre, c’est que, dès lors que le présent texte sera adopté et que nous aurons donc une règle s’imposant à tous, nous devrons travailler tous ensemble pour construire le modèle économique de demain avec les entreprises, qui, contrairement à ce que vous dites, se battent pour que cette loi existe.

M. Christian Paul. Qu’elle vienne le dire ici !

M. Frédéric Lefebvre. Je ne vous laisserai pas affirmer que les entreprises ou les start-up de l’Internet seraient contre ce texte. Vous savez fort bien qu’elles y sont favorables...

Mme Martine Billard. Mais non !

M. Frédéric Lefebvre. ...pour la simple raison qu’elles subissent la concurrence déloyale des pratiques illégales.

Si nous voulons pouvoir offrir des modèles gratuits – c’est le cas par exemple de Deezer – ou les modèles payants les moins chers mais de la meilleure qualité possible, il faut tuer la concurrence déloyale, donc l’illégalité. Voilà ce que dit Nathalie Kosciusko-Morizet et, avec elle, un certain nombre de mes collègues du groupe UMP.

M. le président. Monsieur Lefebvre, il faut conclure !

M. Frédéric Lefebvre. Je demande qu’il n’y ait pas de caricature...

M. Christian Paul. Vous êtes pourtant un expert en la matière !

M. Frédéric Lefebvre. ...et qu’on ne se serve pas de prétendus éléments nouveaux pour demander l’interruption de nos travaux. Il est temps, au contraire, d’en venir au fond du débat.

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.

M. Michel Françaix. Madame la ministre, je souhaiterais intervenir par amitié pour vous. Si vous voulez laisser une trace de ce que vous avez pu faire,...

Mme Françoise de Panafieu. C’est déjà fait !

M. Michel Françaix. ...on ne peut pas vous laisser aller droit dans le mur, comme vous le faites, aidée en cela par M. Lefebvre qui y va en klaxonnant (Sourires) pour nous y entraîner avec plus de force et de vigueur.

Présenter Internet comme le mal incarné me paraît vraiment être une très mauvaise chose. On me répondra que je caricature et que là n’est pas la question. Mais je me demande si on ne pourrait pas reprendre la proposition que vient de faire l’un de mes collègues afin de repenser tout le circuit de création artistique et la rémunération des auteurs, en refusant le conservatisme des poids lourds de la distribution de produits dits culturels. Ce serait bien plus à l’avantage des élus de la majorité de travailler dans ce sens que d’ajouter un nouveau texte législatif déjà obsolète avant d’avoir été voté.

Madame la ministre, Edgar Faure avait cette formule : « L’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera ». Cela pourrait s’appliquer à votre proposition qui ne tient pas du tout compte de l’évolution de la société ni des aspirations d’un nombre croissant de Français, comme le confirment les messages qu’ils nous envoient chaque jour.

M. le président. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.

M. le président. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, rarement un texte aura fait l’objet d’une telle réflexion et d’autant de travail. La commission mais aussi les professionnels de tous bords y ont travaillé. Et c’est ce qui fait la spécificité de ce texte : être issu de quarante-sept signatures de toutes les industries, des télévisions, des ayants droit mais aussi des fournisseurs d’accès à Internet. C’est ce qui fait toute la différence avec la Nouvelle-Zélande qui a voté un texte sans l’accord des professionnels, d’où la nécessité pour ce pays de combler maintenant cette lacune.

Et n’oublions pas les pétitions d’artistes qui se succèdent – chanteurs, musiciens, cinéastes de tous bords –, ni ce qui s’est passé aujourd’hui même à l’Odéon. Ce n’est qu’un cri d’indignation, lancé par des personnalités aussi différentes que Maxime Le Forestier, Thomas Dutronc, Arthur H, Daphné, Françoise Hardy, sans parler des plus grands cinéastes : tous jugent incroyable qu’une œuvre de l’esprit puisse être volée et pillée parce qu’elle est sur Internet. Nous recevons des messages allant dans le même sens de personnes qui ne sont pas du tout de notre bord, et vous le savez très bien.

Par ailleurs, s’agissant de l’Union européenne, je vous rappelle que les vingt-sept ministres en charge de la culture et de l’audiovisuel ont approuvé librement l’expérience française...

M. Patrick Bloche. Non, sous la pression !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. ...et nous ont dit à quel point ils étaient intéressés, nous ont dit qu’il fallait défendre les droits d’auteur, et que la méthode interprofessionnelle que nous avions choisie était la bonne. J’ajoute que les vingt-sept ministres européens des télécommunications ont rejeté l’amendement n° 138 de M. Bono.

Vous avez parlé du rapport d’un député socialiste grec sur les rapports entre Internet et l’éducation, adopté au Parlement européen.

M. Christian Paul. À une très large majorité !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Mais ce rapport n’a aucune valeur juridique.

Pour notre part, nous ne cessons de dire qu’Internet est un outil formidable, une source fantastique d’informations et de connaissances, qu’il fait partie de notre vie quotidienne. Pour autant, ce n’est pas parce qu’Internet existe qu’il faut s’asseoir sur les droits des auteurs et des artistes. Toute liberté trouve une juste limite dans l’exercice de la liberté des autres et du droit des autres.

Certains tiennent le raisonnement suivant : Internet est très utile pour l’éducation et l’enseignement. Or l’éducation et l’enseignement sont un droit. Donc Internet est un droit fondamental. C'est ce qu’on appelle un sophisme ! Pour ma part, j’estime que, si Internet est un outil formidable, ce n’est pas une zone de non-droit, ce n’est pas un absolu qui met fin aux droits des auteurs et des artistes. Voilà pourquoi je ne suis nullement troublée et pourquoi j’aborde sereinement ce débat, avec le sentiment de défendre une cause juste.

Article 2 (suite)

M. le président. Nous poursuivons l’examen de l’article 2.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 406.

M. Patrick Bloche. Madame la ministre, nous vous avons écoutée avec attention. Comme d’habitude, vous restez malheureusement droit dans vos bottes alors que M. Françaix essayait de vous protéger. Nous ne voulons pas qu’agrégée que vous êtes, vous sortiez de ce débat désagrégée ! (Sourires.) Ce serait dommage pour une ministre de la République.

Certains artistes se sont effectivement exprimés ce matin au théâtre de l’Odéon, d’autres ne l’ont pas fait par prudence. Mais, pour être complète, vous auriez pu citer Cali, qui déclarait, samedi dernier, sur une chaîne de l’audiovisuel public : « Il faut quand même faire le ménage chez nous. On ne peut pas traiter de voleur un jeune qui télécharge alors que c’est nous les voleurs. Les producteurs de disques se font des marges énormes, et ce que nous, les artistes, récoltons, est tout de même très minime. »

J’en viens maintenant à l’amendement de raison n° 406 qui vise à demander ce que prévoyait l’article 52 de la loi DADVSI mais qui n’a jamais été mis en œuvre. En effet, cet article disposait : « Le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions de la présente loi dans les dix-huit mois suivant sa promulgation. Ce rapport comporte un chapitre spécifique sur les conditions de mise en place d’une plate-forme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, qui se trouve absent de l’offre commerciale en ligne, de mettre ses œuvres ou ses interprétations à la disposition du public et d’en obtenir une juste rémunération. »

Nous voyons bien, trois ans après sa publication, que la loi DADVSI a été un naufrage. De ce fait, aucun ministre n’a osé commander ce rapport qui aurait dû être rendu public entre le 1er août 2006 et la fin de 2007. Ce document aurait pourtant été bien utile pour débattre de la loi HADOPI, puisqu’il nous aurait permis de disposer d’une évaluation de la loi DADVSI, loi funeste qui n’a jamais été appliquée.

Je profite de l’occasion pour faire une piqûre de rappel : la plate-forme publique de téléchargement promise n’a jamais vu le jour. C’est parce que nous ne voulons pas que cela se reproduise que nous avons déposé cet amendement, qui vise à évaluer la mise en œuvre des dispositions que nous condamnons.

J’ajoute que la seconde phrase de l’amendement précise : « En cas d’échec au regard des effets attendus, le dispositif devra faire l’objet d’une suppression. » Nous voudrions en effet qu’« en cas d’échec », prévisible à nos yeux car nous pensons que ce texte est un pari perdu d’avance, la loi soit immédiatement suspendue, en attendant d’être abrogée.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 406.

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Défavorable.

En effet,monsieur Bloche, s’il est évidemment nécessaire d’évaluer le dispositif au bout de quelques mois pour mesurer les conséquences de son application,…

M. Christian Paul. Faites-le !

M. Franck Riester, rapporteur. …votre amendement est satisfait puisque nous aurons le rapport d’activité annuel de la HADOPI. La mesure que vous proposez est même plus restrictive.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 406.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

M. Christian Paul. Intéressant !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Il est en effet important de pouvoir bénéficier d’un rapport assez rapidement car de nombreuses incertitudes pèsent sur les dispositions figurant dans ce texte.

Madame la ministre, vous avez beau souligner le fait que le rapport adopté par le Parlement européen n’a aucune valeur juridique et que le Conseil européen a approuvé les dispositions du Paquet Télécoms, il n’en reste pas moins que le Conseil rassemble les représentants des gouvernements et le Parlement les représentants élus par les différents peuples de l’Union européenne. Vouloir opposer l’un à l’autre, surtout à quelques mois des élections européennes, ne laisse pas d’inquiéter quant à l’appréciation que vous portez sur le rôle de ce parlement.

Outre les désaccords de fond, de nombreux doutes pèsent sur le texte, puisque même les fournisseurs d’accès à Internet ne sont pas aussi disposés que vous le prétendez à appliquer la loi : ils soulignent en effet que le texte sera inapplicable, au moins dans les dix-huit prochains mois, pour des raisons d’ordre technique. C’est la raison pour laquelle, je le répète, il sera nécessaire de disposer rapidement d’un rapport pour connaître la situation exacte.

Par ailleurs, Mme Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, semble à juste titre considérer qu’il sera très facile de contourner les dispositifs prévus par le texte.

Enfin, madame la ministre, je tiens à citer ici les propos du Premier ministre néo-zélandais – ce ne sont donc pas seulement quatre gus dans un garage qui disent leur opposition à de telles mesures !

M. Christian Paul. Cinq !

Mme Martine Billard. …Cinq, vous avez raison. Il y en a même aujourd'hui beaucoup plus !

« Nous sommes, dit le Premier ministre néo-zélandais, reconnaissants au Gouvernement de s’être abstenu de permettre qu’Internet soit compromis sur la base des intérêts commerciaux étroits des industries du divertissement, qui tentent de sauver des modèles économiques chancelants. Ces industries devraient se concentrer sur l’éducation de leurs clients, pas sur les menaces. »

Lorsqu’un Premier ministre considère, lui aussi, que le problème est celui du passage d’un modèle culturel à un autre sur fond de modèles économiques chancelants, il serait temps de vous interroger sur votre obstination à vous voiler la face pour ne pas voir que ces derniers sont condamnés. La remise rapide d’un rapport permettrait d’éviter une nouvelle catastrophe, celle que nous avons connue avec la DADVSI étant à nos yeux suffisante. En effet, si ce texte n’avait pas été adopté, nous aurions économisé des heures de séances et des articles de code inutiles et nous aurions pu nous consacrer à permettre aux artistes et aux internautes de trouver ensemble des solutions conciliant la protection des droits d’auteur et celle de l’exercice de la liberté sur Internet. Il ne saurait être question en effet ni d’opposer la liberté aux droits d’auteur ni de la brider par de prétendues solutions techniques en fait inapplicables.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, n’ayant pas eu l’occasion de m’exprimer à l’ouverture de la séance, je souhaite dire quelques mots.

Il faut tout d’abord saluer la réouverture du site « jaimelesartistes.fr » après quinze jours de suspension.

M. Christian Paul. Est-ce de l’ironie ?

M. Lionel Tardy. Vous me permettrez de revenir également sur les conséquences que pourrait avoir l’adoption, jeudi dernier, par le Parlement européen, du rapport du député grec Stavros Lambrinidis sur Internet. Nous sommes ici un certain nombre à estimer que le Gouvernement n’aura pas d’autre choix que de préférer l’amende à la suspension de l’abonnement à Internet : c’est le cœur du débat.

Le rapport présente une proposition de recommandation à destination du Conseil européen.

M. le président. Nous examinons l’amendement n° 406, monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy. Certes, mais je n’ai pas pu m’exprimer à l’ouverture de la séance.

M. le président. Nous ne sommes plus dans le cadre de la discussion générale !

M. Christian Paul. Peut-être, mais les termes du débat évoluent sans cesse !

M. Lionel Tardy. Je serai bref.

Le Conseil européen révise actuellement le cadre réglementaire régissant le droit des télécommunications.

J’en conviens : ce projet de directive et la proposition de recommandation du Parlement européen n’ont aucune valeur contraignante en droit français et ne devraient donc pas influer sur nos discussions. Cela ne signifie pas pour autant que le rapport adopté demeurera sans effet. L’amendement Bono au Paquet Télécoms tout comme la proposition de recommandation des eurodéputés laissent penser que le législateur européen s’oriente vers la reconnaissance d’un droit fondamental à l’accès à Internet. Si, à terme, Bruxelles faisait ce choix, la France devrait alors se soumettre au droit européen et donc abandonner la suspension de l’abonnement à Internet comme sanction administrative.

Ce sont deux points clés du texte sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

M. le président. Je tiens à rappeler que nous ne sommes plus dans le cadre de la discussion générale. Nous examinons actuellement les amendements, en l’occurrence l’amendement n° 406.

M. Christian Paul. Monsieur le président, vous conviendrez aisément que, du fait de l’interruption de nos débats sur le texte durant deux semaines, il convient de prendre en considération tout ce qui s’est passé depuis lors : tous, mes chers collègues, vous avez dû recevoir des centaines de courriels, voire des milliers. Le débat est vif dans le pays et nous y participons – je l’ai encore fait samedi à Dijon.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Ce n’est pas la question !

M. Christian Paul. Je tiens à appeler l’attention du Gouvernement et du rapporteur sur le point suivant : alors que le Parlement européen, à près de 90 % – cela a été rappelé –, a pris position en faveur d’une liberté fondamentale, est-ce un bon message à envoyer aux Français à quelques mois d’une élection européenne que de balayer, comme sans importance, cette position d’un revers de la main, alors qu’elle est un véritable baromètre de l’opinion européenne ?

M. Riester, qui a, je crois, des fonctions dans l’état-major de l’UMP pour la campagne des élections européennes, devrait se méfier : à force de piétiner les messages envoyés par le Parlement européen, il risque de finir par se prendre les pieds dans le tapis !

Sur le vote de cet amendement, Mme la ministre s’en est remise à la sagesse de l’Assemblée : c’est suffisamment rare dans le débat pour être relevé. Jusqu’à présent en effet, les amendements présentés par les députés du groupe socialiste se voyaient opposer un avis défavorable. J’espère que le rapporteur a, comme nous, entendu ce message de sagesse. J’inviterai du reste M. Riester, dans la suite du débat, à ne plus se contenter d’être le porte-parole de M. Frédéric Lefebvre mais à jouer véritablement son rôle de rapporteur. Monsieur Riester, un rapporteur a pour mission de chercher, lorsque c’est possible, des solutions équilibrées. Or l’adoption de cet amendement, qui demande un rapport annuel d’évaluation sur l’application du texte, vous permettrait de préparer la prochaine loi, qui sera inévitable, dans de meilleures conditions.

(L'amendement n° 406 n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 36.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Cet amendement vise, dans un souci de clarification, à préciser que le président de la Haute Autorité est bien le président du collège.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je m’étonne que le rapporteur se dispense de répondre aux questions très légitimes de ses collègues, d’autant qu’un de ses amendements, une heure environ avant l’interruption de nos travaux il y a deux semaines, a fait l’effet d’une bombe dans le milieu français de l’Internet. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Cet amendement portait sur la question de la labellisation.

Mme Françoise de Panafieu. Très bien !

M. Christian Paul. Je suis obligé, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, de vous résumer les épisodes précédents puisque, à cette époque-là, vous étiez très occupé. Vous avez aujourd'hui davantage de liberté : nous vous faisons une séance de rattrapage.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ce n’est pas la peine.

M. Christian Paul. M. Riester a proposé la labellisation de l’ensemble des sites Internet, pour leur reconnaître ou non une légalité dont on ignore d’ailleurs si ce sera celle des sites eux-mêmes ou celle de leur contenu. Dans son esprit en tout cas, elle permettrait aux internautes de savoir si le site qu’ils visitent est légal. Ce texte proposait déjà de surveiller les contenus téléchargés par les internautes : avec cet amendement, il impose de surveiller le contenu de plusieurs centaines de milliers de sites !

Monsieur Riester, nous pensons que les deux semaines d’interruption de nos débats – qui n’étaient pas des vacances parlementaires – vous ont permis de prendre conseil. Peut-être s’agissait-il d’un amendement de séance hâtivement glissé dans votre liasse : nous vous demandons de nous dire très clairement ce que vous pensez aujourd'hui de cette idée. Vous paraît-elle toujours aussi géniale et persévérerez-vous ou, au contraire, cette mesure n’est-elle plus à vos yeux qu’une fausse bonne idée, ce qui impliquerait de revenir sur cet amendement ?

En ce qui concerne la précision apportée par l’amendement n° 36, nous avions cru comprendre, dès le début de l’examen du texte, que le président de la HADOPI et le président du collège étaient effectivement une seule et même personne.

M. le président. La parole est à M. Franck Riester, rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Monsieur Paul, c’est très gentil à vous de ne cesser de me citer ou d’évoquer les fonctions qui sont les miennes en dehors de cet hémicycle ; toutefois, je tiens à vous dire que je continuerai à jouer mon rôle de rapporteur sur le fond et, comme je le fais depuis le début, à essayer d’écouter…

M. Michel Françaix. N’essayez pas, réussissez !

M. Franck Riester, rapporteur. Je réussirai à écouter, monsieur Françaix, ne vous faites aucun souci en la matière, les députés de la majorité comme ceux de l’opposition. J’ai, du reste, en commission des lois, déjà accepté des amendements et nous continuerons de le faire. Vous aurez de bonnes surprises, messieurs Paul et Bloche ! Vous avez cité M. Lefebvre : il vient de quitter l’hémicycle,…

Mme Martine Billard et M. Christian Paul. C’est un intermittent de l’hémicycle !

M. Franck Riester, rapporteur. …mais il est régulièrement là et il n’a aucun besoin de porte-parole. C’est du reste me faire un grand honneur que d’affirmer que je le suis. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Les membres de la commission des lois et moi-même continuerons, je le répète, de travailler sur le fond du texte et d’y rester, monsieur Paul ! Nous ne traitons pas aujourd'hui la question des labels mais sachez que nous y reviendrons et je vous dirai alors ce que j’entends exactement par labellisation.

M. Lionel Tardy. Sur le label, nous n’avons aucune réponse d’ordre technique.

M. Christian Paul. M. le rapporteur travaille sur la question !

M. Franck Riester, rapporteur. Oui, monsieur Paul, je continue de travailler, tout comme vous, je l’espère.

Essayons, amendement après amendement, de ne pas quitter le fond des choses : nous risquerions, sinon, de réduire le débat à des échanges polémiques.

M. Lionel Tardy. Justement, parlons un peu technique !

M. Franck Riester, rapporteur. Les deux derniers jours avant la suspension de nos travaux sur ce texte, le débat fut constructif. Continuons dans cet esprit. C’est, à mes yeux, ce que les internautes et plus généralement les Français attendent de la représentation nationale.

M. le président. Il reste à examiner 373 amendements : le débat est donc loin d’être clos !

La parole est à M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Michel Françaix. Nous sommes impatients de l’entendre.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Je n’ai pas vos compétences à tous, mais je tiens à répondre sur un point précis. Depuis l’ouverture de la séance, chacun évoque une interruption de quinze ou dix-huit jours, comme si, d’une manière ou d’une autre, le Gouvernement avait mis le texte au frais.

M. Patrice Martin-Lalande. Il s’agissait d’une simple suspension.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Dois-je vous rappeler que la Constitution a été révisée et que la première de ces deux semaines a été consacrée à l’initiative et la seconde au contrôle parlementaires ?

Toutefois, si vous souhaitez que le Gouvernement redevienne maître de la totalité de l’ordre du jour, n’hésitez pas : faites une revendication en ce sens !

Il était donc tout à fait normal que la discussion du texte soit suspendue au terme de l’ordre du jour fixé par le Gouvernement pour que l’Assemblée puisse passer à l’ordre du jour fixé par la Conférence des présidents. Vous m’auriez, sinon, accusé de chercher à inscrire d’autorité la poursuite du texte relatif à Internet durant les deux semaines d’initiative parlementaire, ce qui n’aurait pas été conforme à la Constitution.

Mme Martine Billard. Le Gouvernement a bien inscrit durant ces deux semaines l’examen du collectif budgétaire.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement a la priorité pour l’examen d’un collectif budgétaire !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Nous ne regrettons pas ces dix-huit jours de suspension, même si nous n’avons pas voté la révision constitutionnelle.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je suis certain que vous le regrettez déjà. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Patrick Bloche. Nous nous en félicitons chaque jour, au contraire.

Du reste, sur ce texte, ce n’est pas dix-huit jours d’interruption que nous aurions voulu avoir, mais facilement trois ou quatre semaines. Comme l’a suggéré Christian Paul, nous aurions même souhaité que cet examen fût suspendu pour l’éternité !

Quoi qu’il en soit, nous nous permettons de vous mettre en garde car nous avons l’impression que vous vous voilez la face alors que le débat s’intensifie dans le pays. En effet, nombre de nos concitoyens, y compris ceux qui ne sont pas des internautes avertis et ne passent pas tout leur temps devant leur ordinateur, ont pris conscience des menaces terribles que ce texte fait peser sur les libertés publiques et la protection de la vie privée. Ils se sont rendu compte que l’on était en train de mettre en place un dispositif de surveillance de l’Internet.

Des appels ont été lancés – et même un « appel des appels » – pour dénoncer ce que nous constatons depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, à savoir une régression des libertés publiques qui se caractérise par deux mouvements parallèles : l’un tend à remettre en cause systématiquement, voire à supprimer tous les contre-pouvoirs, et est symptomatique de l’exercice personnel du pouvoir par le Président de la République ; l’autre tend à une surveillance généralisée de la société par l’interconnexion des fichiers existants, avec les conséquences que l’on devine.

Monsieur le rapporteur, si nous pouvons apprécier vos amendements de précision ou vos amendements rédactionnels, nous aurions aimé qu’à l’instar de Christian Kert, rapporteur de la loi sur l’audiovisuel, qui maîtrisait bien son dossier, vous vous comportiez intelligemment avec l’opposition. M. Kert avait en effet pris en compte des amendements de l’opposition qui ne remettaient pas en cause ses convictions, faisant dès lors preuve de l’ouverture qui sied à un rapporteur, et que vous n’avez pas su montrer en commission.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est faux, monsieur Bloche !

M. Patrick Bloche. Les amendements que vous avez acceptés sont ridiculement secondaires.

Le Gouvernement, par exemple, s’en est remis à la sagesse de l’Assemblée en ce qui concerne le rapport d’évaluation de la loi HADOPI que nous réclamions. Or, comme l’a dit Christian Paul, tel votre mentor, Frédéric Lefebvre, par sectarisme,…

M. Frédéric Lefebvre. Je n’ai pas peur de la caricature !

M. Patrick Bloche. …vous avez rejeté cet amendement alors que vous auriez pu reprendre la parole tel un rapporteur responsable et, compte tenu de votre pouvoir d’initiative, convenir, après réflexion et compte tenu de l’avis du Gouvernement, de l’utilité de ce rapport d’évaluation.

Aussi permettez-nous, avec le respect dû à votre fonction et à votre personne, de remettre en cause la façon dont vous renforcez de façon récurrente les aspects les plus négatifs de ce projet, comme cela a été le cas avec la labellisation des offres sur Internet, en allant plus loin que le texte et en visant toutes les offres proposées sur Internet.

Ne vous donnez donc pas le beau rôle dans cette affaire.

(L’amendement n° 36 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 37. Il s’agit d’un amendement de précision présenté par la commission et accepté par le Gouvernement.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. À l’instar de mes collègues, je souhaite que le rapporteur nous dise tout, ce qui n’est pas le cas.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. On ne nous dit donc pas tout !

Mme Sandrine Mazetier. Il ne dit pas tout, par exemple, en ce qui concerne les décisions du Parlement européen sur le sujet qui nous occupe. Il est du reste étonnant d’entendre une ministre déclarer que les débats du Parlement européen n’intéressent personne.

M. Christian Paul. Ils seraient subsidiaires, selon Mme la ministre !

Mme Sandrine Mazetier. Je lui suggère de le répéter à deux de ses collègues du Gouvernement qui figureront sur les listes des élections européennes, qui quitteront le Gouvernement après avoir été élus, et de leur expliquer que la carrière qu’ils ont choisie ne présente aucun intérêt.

M. Christian Paul. Allez donc dire à Mme Dati qu’elle va faire de la figuration !

Mme Sandrine Mazetier. Non seulement c’est faux, mais c’est discourtois vis-à-vis de tous ceux qui s’engagent dans la campagne pour les élections européennes.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. Venant de gens si favorables à l’Europe, ces propos ne manquent pas de piquant !

Mme Sandrine Mazetier. Le rapporteur ne nous dit pas tout quand il omet de préciser qu’un amendement pro-HADOPI a été présenté par le groupe UMP et défendu au Parlement européen par M. Cavada, et qu’il a été très massivement rejeté par des députés de tous bords.

M. Franck Riester. C’est faux !

Mme Sandrine Mazetier. Il serait utile, monsieur le rapporteur, puisque vous présentez des amendements de précision, que vous nous donniez ce type d’information. Comme l’a rappelé Christian Paul, vous n’êtes pas seulement rapporteur de ce texte, mais aussi membre de l’équipe de campagne de l’UMP pour les élections européennes. Mettez-nous donc au courant de ce qui se passe à l’échelon européen et de ce qu’y décide votre groupe parlementaire, informez-nous des positions de vos candidats sur la protection des droits et des libertés fondamentales de nos concitoyens !

M. Christian Paul. Très bien !

(L’amendement n° 37 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 340.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. Il s’agit d’un amendement de précision. Nous abordons l’article L. 331-15 du code de la propriété intellectuelle, relatif à la composition du collège de la Haute Autorité. Or, si l’alinéa 17 de l’article 2 dit que le collège est composé de neuf membres nommés par décret pour une durée de six ans, le texte dispose plus loin qu’une partie des membres du collège n’est pas nommée pour six ans, mais, par tirage au sort, pour quatre ans.

Il semble assez absurde de préciser, dans un premier temps, à l’alinéa 17, que la durée du mandat est de six ans, pour revenir sur cette durée à l’alinéa 26.

M. Christian Paul. C’est un peu comme la roulette russe.

Mme Martine Billard. Nous reviendrons de toute façon sur la question puisque le groupe GDR présentera d’autres amendements sur la composition du collège.

Si nous persistons à penser que ce texte est inefficace et inapplicable, au moins souhaiterions-nous qu’il ne comporte pas de dispositions contradictoires, susceptibles de brouiller son interprétation. Depuis la loi DASVI, nous disposons d’exemples suffisamment nombreux de lois inapplicables à propos d’Internet.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. Christian Paul. Encore et toujours !

M. Franck Riester, rapporteur. Je présenterai plusieurs amendements de clarification et de précision sur les nominations et la durée des mandats.

Mme Martine Billard. Bref, c’est un peu n’importe quoi !

M. Franck Riester, rapporteur. Le principe selon lequel les membres du collège de la HADOPI sont nommés pour six ans par décret n’a rien de choquant. Nous allons examiner ultérieurement des amendements qui permettront une réelle montée en puissance de cette Haute Autorité et le renouvellement le plus pertinent possible du collège.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable pour les mêmes raisons que celles exposées par le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Sur cet article L. 331-15 non plus, vous ne commencez pas très bien, malgré l’effort de Mme Billard pour vous aider à clarifier le texte. M. Lefebvre n’a sans doute pas lu l’alinéa 26, qui mérite vraiment d’être gravé dans le marbre !

M. Frédéric Lefebvre. Je vous écoute avec attention.

M. Christian Paul. Cet alinéa porte sur la durée des mandats, question qui doit vous dire quelque chose, monsieur Lefebvre.

Mme Martine Billard. Quand on tient un mandat, on ne le lâche pas, n’est-ce pas ?

M. Christian Paul. Ne mettez pas le doigt où cela fait mal, madame Billard. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Seul M. Paul a la parole.

M. Christian Paul. Si M. Lefebvre a des problèmes avec le suffrage universel, je n’y suis pour rien.

Je cite donc l’alinéa 26 : « Pour la constitution de la Haute Autorité, le président est élu pour six ans. » Jusque-là, tout va bien. Je poursuis : « La durée du mandat des huit autres membres est fixée, par tirage au sort, à trois ans pour quatre d’entre eux et à six ans pour les quatre autres. » C’est du jamais vu ! Faudra-t-il donc un programme informatique pour parvenir à gérer le déroulement des carrières des membres de la Haute Autorité ?

Ce n’est pas sérieux. Vous devrez nous expliquer, madame Albanel, pourquoi nous aboutissons à une telle absurdité. Cet embrouillamini politico-juridique serait-il le fruit de la pression des lobbies ?

M. Frédéric Lefebvre. M. Paul vient de découvrir l’histoire de l’œuf et de la poule !

M. Christian Paul. Expliquez-nous donc pourquoi, monsieur Lefebvre, le texte organise une instabilité chronique des membres de la Haute Autorité. Nous attendons vos éclaircissements car pour tout citoyen avide de comprendre, votre projet demeure des plus confus. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester. Monsieur Paul, depuis le début de l’examen de ce texte, vous ne cessez de donner des leçons à tous les députés,…

M. Patrick Bloche. Pas à tous !

M. Franck Riester, rapporteur. …en tout cas à ceux de la majorité, et à la ministre. Vous avez toujours le ton de celui qui sait tout quand les autres ne seraient qu’incultes et n’auraient pas travaillé leur sujet. Je vous invite à relire l’alinéa 26, dont d’ailleurs nous allons vous proposer de modifier la rédaction. Il ne concerne que la période transitoire.

M. Christian Paul. Ah bon ? Ce n’est pas définitif ?

M. Franck Riester, rapporteur. Il ne s’agit donc pas du tout du rythme de fonctionnement de la HADOPI pour la suite. Cet alinéa vise justement à établir une certaine stabilité, et non pas à provoquer l’instabilité des élus de la Haute Autorité.

Aussi est-il nécessaire de prévoir des durées variables au moment de la mise en place de la HADOPI afin que son renouvellement ne s’effectue pas d’un bloc.

Mme Françoise de Panafieu. Absolument !

M. Franck Riester, rapporteur. C’est précisément parce que le texte vise à garantir une certaine continuité dans l’action de la Haute Autorité qu’il organise un renouvellement progressif de ses membres. Une meilleure lisibilité des décisions sera ainsi assurée.

Mme Françoise de Panafieu. Bien sûr !

M. Franck Riester, rapporteur. Aussi, monsieur Paul, afin que nous puissions continuer de débattre sur le fond du sujet, cessez de donner des leçons à tout le monde et potassez un peu plus votre texte.

(L’amendement n° 340 n’est pas adopté.)

M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, à condition qu’il s’agisse vraiment d’un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. M. Paul a été agressé !

M. Christian Paul. Monsieur le rapporteur, les députés de l’opposition souhaitent comme vous-même faire leur travail et je ne crois pas qu’ils distribuent des leçons.

M. Franck Riester, rapporteur. Si, en permanence !

M. Christian Paul. D’ailleurs, je viens de vous montrer très humblement à quel point ce texte était confus, si bien que personne ne peut s’y retrouver. Ce n’est pas de l’arrogance mais un aveu d’incompréhension totale. Ne vous énervez donc pas, monsieur Riester, il reste de nombreuses séances à consacrer au texte.

Comment pouvez-vous expliquer aux Français qu’avec un système de renouvellement de cette nature, on peut garantir la stabilité de la composition de la Haute Autorité et assurer la continuité de son action ?

M. Franck Riester, rapporteur. Les dispositions de l’alinéa 26 sont transitoires !

M. Christian Paul. C’est incompréhensible ! Vous l’avez d’ailleurs implicitement reconnu puisque vous nous annoncez l’examen d’amendements visant à modifier la rédaction de l’alinéa en question. Convenez donc que ce texte est inintelligible pour tout citoyen.

Reprise de la discussion

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 2 et 342.

La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour soutenir l’amendement n° 2.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je défendrai par la même occasion l’amendement n° 3.

Dans la mesure où la Haute Autorité a, parmi ses missions, l’observation du piratage des œuvres culturelles et où elle établit à cet effet un répertoire national des personnes faisant l’objet d’une suspension de leur accès à Internet, il a paru important et souhaitable à la commission des affaires culturelles, pour rassurer les internautes et les détracteurs du projet de loi, que la CNIL fasse partie du collège de la Haute Autorité, son représentant remplaçant une des personnes qualifiées afin de ne pas déséquilibrer la composition du collège. Voilà pour l’amendement n° 3.

Après expertise, j’avoue que je suis plus réservée sur cet amendement, qui a été adopté par notre commission.

Tout d’abord, la CNIL n’est pas l’autorité administrative indépendante en charge de l’Internet et de la protection des libertés en général : en vertu de la loi de 1978, elle a uniquement pour mission de protéger le secret de la vie privée à l’occasion de la mise en œuvre des traitements automatisés de données personnelles.

Or il se trouve que le contrôle de la CNIL sur ce sujet-là est déjà assuré, et ce à trois niveaux.

D’abord, au stade d’un avis sur le projet de loi qui crée et encadre ce traitement, puis d’un avis sur le décret en Conseil d’État qui définira le détail de ses modalités, et enfin, on sait que la CNIL dispose d’un pouvoir d’autorisation de chacun des traitements mis en œuvre par les ayants droit pour détecter les infractions.

Par conséquent, la CNIL dispose déjà de tous les moyens nécessaires pour faire entendre sa voix et imposer ses vues sur les points qui relèvent de sa compétence.

Et personnellement, je voudrais insister sur trois éléments qui me font penser que la présence d’un membre de la CNIL au sein du collège de la HADOPI présenterait des inconvénients.

M. Patrick Bloche. Madame la rapporteure, vous êtes censée rapporter ! Vous n’avez pas à donner votre avis personnel, vous parlez au nom de la commission des affaires culturelles !

M. le président. S’il vous plaît ! Seule Mme Marland-Militello a la parole.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Monsieur Bloche, vous me critiquerez après.

M. Patrick Bloche. Mais vous rapportez au nom de la commission !

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Vous rapporterez après que j’ai rapporté !

M. Patrick Bloche. Mais je ne rapporte pas, moi !

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Eh bien alors, taisez-vous !

M. Christian Paul. Ce n’est pas bien, ça.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Écoutez, moi, je n’interromps jamais quelqu’un qui parle.

Après réflexion, j’ai dit « je ».

M. Patrick Bloche. Vous êtes une femme honnête !

M. le président. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Eh bien oui, justement, je ne me tais pas parce que je suis honnête. Monsieur Bloche, je vous ferai remarquer que je travaille beaucoup, que je réfléchis aussi beaucoup, et j’ai le droit, ici, en tant que députée, de dire mon opinion et d’exposer le fruit de mes réflexions. Quand même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Donc, faire venir un membre de la CNIL au sein de la HADOPI, ce serait laisser entendre que celle-ci serait susceptible de porter atteinte à la protection des droits des personnes. Or, ce n’est pas du tout le cas. D’ailleurs, le projet de loi ne donne aucun pouvoir supplémentaire à la HADOPI.

Deuxièmement, aucune autre autorité indépendante ne fait partie de la HADOPI.

Enfin, et ceci me paraît aussi extrêmement important, la HADOPI est elle-même une haute autorité indépendante, avec la personnalité morale, de surcroît, et avec un budget propre, contrairement à la CNIL. Et d’ailleurs, les magistrats sont prédominants au sein de la HADOPI : trois membres sur neuf dans le collège, et trois membres sur trois dans la commission de protection des droits.

Je pense donc vraiment, à titre personnel, bien que ma commission ait voté cet amendement, qu’il n’est pas souhaitable de l’adopter. C’est mon droit le plus strict, en tant que députée indépendante et libre.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 342.

Mme Martine Billard. Cet amendement est un amendement du groupe GDR, que j’ai défendu en commission des affaires culturelles, et que celle-ci a adopté. Or, madame la rapporteure pour avis, vous rapportez au nom de la commission. C’est après que auriez dû prendre la parole en votre nom personnel.

M. François Goulard. Mais non ! Qu’est-ce que c’est que cette invention ?

M. le président. Défendez votre amendement, madame Billard.

Mme Martine Billard. Il y a quand même un petit problème. À partir du moment où un amendement est défendu en commission, le rapporteur de cette commission le présente tel qu’il a été adopté. Sinon, il y a un mélange des genres, et l’on ne sait plus très bien où l’on en est. C’est un premier problème que je tenais à souligner, et qui sera encore plus important quand le texte examiné en séance sera le texte adopté par la commission. On risque de ne plus s’y retrouver.

S’agissant maintenant du contenu de cet amendement, la rapporteure nous dit que la CNIL dispose de tous les moyens nécessaires par ailleurs, et qu’il n’est pas nécessaire que l’un de ses membres appartienne au collège de la HADOPI.

Je rappelle d’abord que la CNIL dispose hélas de peu de moyens, compte tenu de l’ampleur des tâches qui sont les siennes. En outre, ce projet de loi confie beaucoup de missions à la HADOPI, notamment celle de valider les offres légales. On voit mal comment elle pourra valider rapidement tout ce qu’on lui demande de valider si elle ne peut pas compter sur un représentant de la CNIL pour lui dire où sont les risques de dérapage par rapport à ses missions.

En outre, ce texte prévoit la constitution de fichiers pour garder en mémoire les mails envoyés à titre de premier avertissement, les lettres recommandées à titre de deuxième avertissement, ainsi que les éventuelles coupures.

Il a été calculé que la commission de protection des droits aurait à peu près 25 secondes pour trancher sur les demandes.

M. Christian Paul. De 25,26 secondes exactement.

Mme Martine Billard. Il me semble donc important qu’un représentant de la CNIL siège au sein du collège de la HADOPI pour garantir la protection des droits des usagers. Car sinon, il risque d’y avoir des dérapages.

Prenons l’exemple du STIC. Voici ce qu’en dit la CNIL : erreurs de saisie ; manque de rigueur dans la consultation ; absence quasi-systématique de mise à jour. Elle précise que le STIC a des conséquences sociales considérables, puisque l’inscription d’une personne dans ce fichier peut entraîner des refus d’embauche, voire des licenciements, pour des personnes qui s’y retrouvent abusivement.

La CNIL avait travaillé sur un échantillon d’affaires portant sur l’année 2007. Elle avait relevé que les décisions de classement sans suite n’ont été transmises que dans 21 % des cas, les relaxes dans 31 % des cas, les acquittements dans 7 % des cas et les non-lieux dans 0,5 % des cas.

Ce qui veut dire que s’il n’y a pas un représentant de la CNIL dans le collège de la HADOPI, il risque de se produire des situations dans lesquelles les internautes seront obligés, après coup, de saisir la CNIL, d’abord pour avoir accès aux fiches les concernant. Or, on sait que c’est particulièrement difficile, et compte tenu, justement, des faibles moyens de la CNIL, madame la rapporteure pour avis, il faut des mois et des mois pour obtenir l’accès aux différentes fiches auxquelles tout citoyen a le droit d’avoir accès pour vérifier que les informations qui y sont contenues ne soient pas préjudiciables et ne soient pas erronées.

Il vaut mieux prévenir que guérir. Le vote de la commission des affaires culturelles était un vote tout à fait éclairé. Je pense que notre assemblée doit le confirmer.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Tout ce qui peut concourir à la protection de la vie privée va dans le sens que nous souhaitons tous. Mais qu’il y ait au sein du collège de la HADOPI un membre de la CNIL, c’est-à-dire d’une autorité administrative indépendante différente de la HADOPI, cela constituerait une première dans notre pays. Le principe même d’une autorité administrative indépendante veut que ses membres soient indépendants.

Soit dit en passant, on pourrait d’ailleurs se demander, si un membre de la CNIL siège à ce collège, pourquoi ne pas y faire siéger un membre de l’ARCEP, du CSA, ou de quelque autre autorité administrative indépendante.

Il faut maintenir le principe même de l’autorité administrative indépendante : ses membres sont bien des membres indépendants, sans lien avec d’autres entités.

Deuxièmement, la compétence de la CNIL étant de protéger le secret de la vie privée dans le traitement des données informatiques personnelles, elle sera saisie : pour la validation des protocoles de gestion des données personnelles ; pour le contrôle de la bonne application de ces protocoles ; et à chaque fois que la HADOPI l’estimera nécessaire, pour la mise en place du dispositif et pour son suivi.

On voit donc bien que la CNIL aura un rôle majeur dans le dispositif de réponse graduée. Mais en même temps, il ne faut pas que la HADOPI puisse avoir un lien avec d’autres autorités administratives indépendantes, ce qui constituerait une première, et ce qui, quelque part, serait en conflit avec le principe même d’autorité administrative indépendante.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Avis également défavorable. Toutes les raisons ont été excellemment exposées par M. le rapporteur, ainsi que par Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles.

La CNIL a largement été consultée. Ses avis ont d’ailleurs été intégrés dans le projet de loi, par exemple quand il retient le principe selon lequel la sanction ne saurait aboutir à suspendre les services de téléphonie et de télévision, ou encore quand il prévoit que les agents de la HADOPI chargés de l’instruction des dossiers sont habilités dans des conditions équivalentes à celles des agents de l’ARCEP ou de la CNIL. Énormément de suggestions ont été intégrées.

Le contrôle de la CNIL s’exercera aussi, bien entendu, en aval de l’adoption de la loi.

Il est très exact qu’en effet la HADOPI est elle-même une autorité indépendante. Et c’est important. Je rappelle que les magistrats y sont d’ailleurs prédominants : trois membres sur neuf dans le collège, et trois membres sur trois dans la commission de protection des droits.

C’est dire que, vraiment, toutes les garanties sont réunies. Et il n’est pas nécessaire de faire siéger dans le collège de la HADOPI un membre de la CNIL plutôt qu’un membre d’une autre autorité. Je rejoins les avis qui ont été exprimés.

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Je voudrais rappeler une nouvelle fois que lors de son audition par la commission des affaires économiques en tant que vice-présidente de la CNIL, Mme Falque-Pierrotin m’a précisé très clairement qu’elle n’était pas favorable à ce qu’un représentant de la CNIL siège au sein de la HADOPI, et ce, pour reprendre très précisément ses propos, parce qu’elle ne souhaitait pas un mélange des genres.

Je ne pense pas que l’on puisse considérer les avis de Mme Falque-Pierrotin comme n’étant pas des avis autorisés. On ne peut que souscrire à ce qu’elle proposait. On ne va pas faire le bonheur de la CNIL contre son gré.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Ce qui est en train de se passer est très intéressant, et je remercie en effet Mme Marland-Militello d’avoir été très franche et très directe.

Mes chers collègues, la première victime de cette loi, ce n’est pas un internaute : c’est la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Vous aviez proposé de la faire entrer dans le collège de la HADOPI et vous êtes en train de l’en faire sortir, sans doute parce qu’il faut punir la CNIL. Pourquoi ? Pour deux raisons.

La première : la CNIL a émis un avis défavorable sur ce projet de loi, et pas seulement sur des questions de détail.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. C’est faux !

M. Christian Paul. Écoutez, nous allons relire mot à mot les avis de la CNIL !

Oui, vous êtes en train de punir la CNIL, parce qu’elle a pris position contre ce texte, en mettant en avant la disproportion entre la sanction et le motif invoqué.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. C’était avant l’examen du texte par le Sénat !

M. Christian Paul. Mais cela reste encore valable. Cette critique ne portait pas sur un point de détail, mais sur l’architecture même du texte. La CNIL a donc péché par impertinence, ou par dissidence.

En outre, pas plus tard que vendredi matin, dans le quotidien Libération, le président de la CNIL a mis en avant le risque de surveillance généralisée qui point, en ce moment, dans les sociétés européennes, et en particulier en France, du fait de cette loi et d’un certain nombre d’autres. C’est une deuxième prise de position, courageuse, et même constante : ce risque d’entrer dans une société de surveillance, la CNIL, avec d’autres, dont nous sommes, le pointe du doigt depuis plusieurs années.

Pour toutes ces raisons, la présence de la CNIL au sein de la HADOPI apparaît sacrilège. Nous le disons de façon d’autant plus désintéressée qu’il n’y a pas au sein de la CNIL, et nous le regrettons, de parlementaires de l’opposition, ou en tout cas de députés de l’opposition. La CNIL n’a donc pas toutes les qualités. Mais là, elle en avait une : le courage, celui de contester cette loi et de mettre en avant le risque d’une société de surveillance généralisée, qui est en germe dans vos propositions.

La CNIL est donc la première victime de la HADOPI. Vous voulez la punir. Et je trouve très regrettable, madame la rapporteure pour avis, qu’un amendement de cette nature, voté en commission, soit aujourd’hui retiré. Les milliers d’internautes qui nous regardent iront voir sur les sites quelle a été la position de la CNIL sur cette loi.

Ils iront voir l’interview donnée à la fin de la semaine dernière par le président de la CNIL, et comprendront mieux pourquoi, en cet instant, vous vous apprêtez à la punir.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. J’ai lu avec attention les rapports de nos trois rapporteurs, notamment celui de Mme Marland-Militello. En voici un extrait de la page 89 :

« La Commission examine un amendement de M. Roland Muzeau tendant à prévoir la présence d’un représentant de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) au sein du collège de la HADOPI.

« Mme Martine Billard. Une telle disposition est essentielle car c’est la CNIL qui est garante de la légalité des conditions d’institution de fichiers.

« Mme la rapporteure pour avis. Je suis favorable à cet amendement qui permettra de calmer les inquiétudes de certains et de mieux encadrer l’action de la HADOPI s’agissant de questions touchant aux libertés individuelles. »

Avec tout le respect que j’ai pour votre personne comme pour votre fonction, madame la rapporteure, je me permets de vous reprendre. Non seulement vous ne rapportez pas au nom de la commission, qui a voté cet amendement, mais vous nous donnez un avis personnel différent de celui que vous avez exprimé lors de l’examen de cet amendement.

On connaît la formule : « Il n’y a que les (…) qui ne changent pas d’avis ! » Mais vous auriez au moins pu être plus discrète et vous contenter de rapporter le débat fort intéressant qui s’est déroulé au sein de la commission des lois. Ce débat n’est pas mineur, et je trouve qu’on l’expédie un peu facilement, d’autant que l’article 2, dans son alinéa 112, prévoit qu’« un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application du présent article ». Ce décret devra préciser notamment – c’est prévu par l’alinéa 115 – « les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer, auprès de la Haute Autorité, leur droit d’accès aux données les concernant conformément aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ».

Les dispositions de l’article 2 nous placent donc bien au cœur de la problématique de la protection des données personnelles, et plus largement de la vie privée. Qu’un amendement ait pu être défendu paraît donc légitime, et c’est la raison pour laquelle nous soutenons la démarche de notre collègue Martine Billard.

Il serait peut-être utile que Mme la rapporteure nous fasse savoir pourquoi elle a changé d’avis entre l’examen en commission et la séance. En tout cas, j’aimerais beaucoup que nos collègues rapporteurs se contentent de rapporter ce qu’ont décidé et voté les commissions auxquelles ils appartiennent. Cela participerait à la sérénité des débats.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. La commission des affaires culturelles a été saisie de ce projet de loi dix jours avant qu’on en discute en commission.

M. Christian Paul. L’urgence fait qu’on travaille mal !

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. J’ai moi-même été sollicitée pour être rapporteure une semaine avant.

Au départ, effectivement, j’ai pensé que l’idée était bonne. Vous nous reprochez suffisamment de ne pas réfléchir pour ne pas me blâmer, cette fois, de l’avoir fait ! J’ai très honnêtement dit quel était le vote de la commission et ce qui l’avait motivé, en reprenant très exactement les termes du rapport que vous venez de citer, monsieur Bloche. Puis j’ai indiqué que, à titre personnel et après réflexion, j’étais réservée. Moi aussi, je suis une députée qui nourrit sa réflexion. J’avais les mêmes échos de la CNIL, et, comme je suis honnête, il était de mon devoir de faire part de mes doutes sur la décision que nous avions prise. Vous venez de le dire très justement : on a le droit de changer d’avis. J’ai tout de suite précisé que je m’exprimais à titre personnel, jamais au nom de la commission. Je crois que j’ai été très claire et on ne peut pas m’accuser de manquer de franchise.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis, et M. Dino Cinieri. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.

M. Michel Françaix. Personne ne vous accuse de quoi que ce soit, mais je voudrais faire une mise au point.

Nous avons deux rapporteurs.

M. Franck Riester, rapporteur. Trois !

M. Michel Françaix. Le troisième ne s’est pas encore exprimé ce soir.

M. le président. Les trois rapporteurs se sont exprimés.

M. Michel Françaix. Je veux dire qu’il s’est exprimé dans la ligne de la commission ; ce n’est donc pas de lui que je parle.

Il y a d’abord le rapporteur Franck Riester, à qui l’on demande d’essayer, de temps en temps, de tenir compte de ce que dit l’opposition, sans caricaturer ses positions.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est ce que je fais.

M. Dino Cinieri. Il est trop gentil !

M. Michel Françaix. Or, depuis le début, M. Riester répète que l’opposition n’a rien compris, qu’on ne peut rien reprendre de ses propositions, qui sont inintéressantes, et que seule la majorité sait.

Il y a une autre rapporteure, Mme Marland-Militello, pour laquelle j’ai beaucoup d’amitié,…

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. C’est réciproque !

M. Michel Françaix. …mais qui se contredit en très peu de temps, ce qui est assez désagréable. Quoique nous puissions voir les choses de façon optimiste, et imaginer que vous pourriez, madame la rapporteure, vous contredire dans trois semaines et ne pas voter le texte… (Sourires.) Puisque vous y réfléchissez, vous devriez aller au bout de la logique !

Pour la suite des débats, je demande que les trois rapporteurs considèrent que l’opposition s’intéresse vraiment au texte, qu’elle représente des millions de Français,…

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Nous aussi !

M. Michel Françaix. …qui le jugent mauvais. Nous devrions pouvoir, dans la sérénité, souligner en quoi il est mauvais, en l’occurrence, en observant que, à quinze jours d’intervalle, la commission, ne sachant plus quoi penser, est revenue sur sa position.

(Les amendements identiques nos 2 et 342 ne sont pas adoptés.)

(Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. À égalité de voix, un amendement n’est pas adopté.

Mme Martine Billard. Nous sommes huit contre sept !

M. le président. Le président a le droit de voter.

Je suis saisi d’un amendement n° 38.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. Cet amendement tend à modifier le nombre de membres du collège de la HADOPI désignés par le Gouvernement. Dans l’état actuel du projet de loi, sur les neuf membres que comptera la Haute Autorité, cinq seront issus respectivement du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, de l’Académie des technologies et du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Les quatre autres seront nommés par le Gouvernement.

La commission des lois propose que deux de ces quatre personnes soient désignées, l’une par le président de l’Assemblée nationale, l’autre par le président du Sénat.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Franck Riester, rapporteur. D’où la nécessité de modifier l’alinéa 23, en substituant au mot « quatre » le mot « deux ».

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. C’est la CNIL qu’on assassine par deux fois ! Je considère qu’il faut maintenir un de ses représentants dans le collège des personnes qualifiées. Sur ces questions, en effet, qui est mieux qualifié que la CNIL ?

Par ailleurs, je relève que lors du vote précédent, pour que, à égalité des voix, l’amendement ne soit pas adopté, il a fallu que le président de séance vote, ce qui n’arrive pas fréquemment. J’ai rarement vu cela en plusieurs années de mandat ! Je tiens à le souligner pour que cela figure dans le compte rendu de nos travaux, et qu’on sache comment a été sauvé le revirement de la rapporteure de la commission des affaires culturelles.

M. Jean Dionis du Séjour. Il va encore y avoir des moments historiques !

Mme Martine Billard. Je crois, en effet, que nous sommes bien partis pour connaître d’autres moments historiques…

M. le président. Je me permets de vous signaler, madame Billard, que, à la suite du rejet des amendements nos 2 et 342, les amendements nos 3 et 343 sont tombés.

Mme Sandrine Mazetier. Assassinés !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 38 ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture . Favorable.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je comprends que la majorité cherche désespérément à donner quelque indépendance à la Haute Autorité. En la matière, nous avions eu des craintes, qui se sont révélées plus que fondées, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel public, également présenté par Mme Albanel. À l’époque, une personnalité très qualifiée avait signé des tribunes dans la presse pour condamner ce texte, expliquant combien il était mauvais pour la production, pour la création et pour l’indépendance des médias. Puis, au cours du débat, cette personne a brutalement changé d’avis. Quelle n’a pas été notre stupéfaction de la voir, quelque temps plus tard, prendre la tête d’une institution nouvellement créée par le Président de la République aux côtés de Mme la ministre de la culture !

M. Christian Paul. C’est édifiant pour la jeunesse !

Mme Sandrine Mazetier. Je comprends donc que, dans les rangs de l’UMP, rapporteurs compris – même si certains changent d’avis entre le vote des commissions et le débat dans l’hémicycle –, on se soucie de l’indépendance de cette Haute Autorité et de la capacité des parlementaires de contrôler ce qui s’y passera. C’est pourquoi nous ne voterons pas contre l’amendement.

(L'amendement n° 38 est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures.)