Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 6 avril 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

. Développement économique des outre-mer

Discussion générale (suite)

M. Jean-Claude Fruteau

M. Alfred Marie-Jeanne

M. Philippe Vigier

Mme Gabrielle Louis-Carabin

M. Louis-Joseph Manscour

Mme Huguette Bello

M. Hervé Mariton

Mme Christiane Taubira

M. René-Paul Victoria

M. Patrick Lebreton

Mme Chantal Berthelot

M. Bruno Sandras

M. Éric Jalton

M. Didier Robert

Mme Jeanny Marc

M. Manuel Aeschlimann

M. François Pupponi

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

M. Yves Jégo, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Développement économique des outre-mer

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, pour le développement économique des outre-mer (nos 1518, 1579, 1551 et 1555).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Jean-Claude Fruteau.

M. Jean-Claude Fruteau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, enfin nous y sommes ! L'Assemblée nationale est saisie de l'examen de la loi pour le développement économique des outre-mer, dont le chantier à débuté il y plus de dix-huit mois ! Les événements exceptionnels qu'ont connus nos territoires depuis le début de l'année ont sans aucun doute accéléré l'examen de ce texte au Parlement. Si ce projet est très loin de satisfaire l'ensemble des revendications et des attentes des populations ultramarines, il comporte quelques évolutions qu'il convient de saluer. Néanmoins, je ne peux que regretter l'absence de réponses concrètes aux problèmes sociaux fondamentaux qui affectent nos territoires et qui, au nom de la solidarité nationale et de la justice sociale, auraient dû conduire à réviser à la hausse les ambitions de ce texte.

Avant d'entrer dans le détail des mesures, permettez-moi de déplorer vivement les conditions difficiles dans lesquelles s'est déroulé le travail parlementaire. Certes, lorsqu'une nouvelle procédure législative se met en place, il peut y avoir un certain tâtonnement. Toutefois, il n'est pas acceptable de demander à la représentation nationale d’œuvrer dans une telle précipitation. J'ose espérer que cela résulte de la nouveauté de la procédure et qu'il y sera rapidement porté remède.

Cela dit, abordons le contenu de ce projet de loi Au départ, il nous fut annoncé comme la traduction des engagements de campagne du Président Sarkozy. Mais, à l'arrivée, que de choses perdues en route ! Disparue ainsi la volonté de traiter la problématique éducative ; disparus les engagements relatifs à l'insertion de nos jeunes touchés très violemment par un chômage qui les plonge chaque jour un peu plus dans la désespérance ; disparue également l'ambition de prendre à bras le corps les questions relatives à la santé ; disparu encore le souhait de développer la solidarité et l'égalité des chances.

La liste est longue, tant la réalité budgétaire vous a rattrapé dans l'élaboration de ce projet de loi qui, il y a encore quelques mois, était présenté comme la quintessence en matière d'action publique en faveur des outre-mer. Après les mouvements sociaux qui ont ébranlé nos territoires, ce projet ne constitue désormais « qu'une étape » et un second texte législatif pourrait, nous dit-on, voir le jour sur la base des travaux des Etats généraux de l'outre-mer, voulus par le Président de la République. Bien que l'on puisse comprendre l'intérêt du Gouvernement à agir au plus vite, en soumettant ce projet au Parlement, je regrette, pour ma part, que nous n'ayons pas attendu les conclusions des Etats généraux, afin de les prendre en considération directement dans ce projet de loi. Un second projet de loi, soit. Mais à quelle échéance ? Allons-nous devoir attendre encore dix-huit mois pour répondre aux attentes sociales et humaines de nos populations ?

Au cours de son élaboration, ce projet de loi a évolué. On a ainsi abandonné certaines expressions qui, sans être essentielles, étaient néanmoins très symboliques : par exemple, il n'est plus question de « loi programme », ce qui amoindrit l'importance et la portée du texte. Disparaît également, dans l'intitulé, l'ambition « d'excellence » pour nos territoires dont nous aurons pourtant bien besoin pour relever le défi du développement endogène que vous nous lancez, monsieur le secrétaire d’État !

Nous voici donc face à un texte un peu insipide. L’espoir de changement qu'il avait pu susciter est étouffé dès le départ et il ne pourra ni soulager la détresse de nos populations ni permettre d’affronter une situation économique et sociale qui ne cesse de s'aggraver sous les assauts de la crise. Tous les jours, dans mes rencontres avec les Réunionnaises et les Réunionnais, je constate avec effroi la fulgurante dégradation de leurs conditions de vie.

Les mesures relatives au soutien du pouvoir d'achat contenues à l’article premier visent à permettre la réglementation des prix des produits de première nécessité. Mais pourquoi rester au milieu du gué en rendant cette réglementation facultative ? Auriez-vous peur de modifier les conditions d'une concurrence parfaite ? Nos territoires ne l'ont pourtant jamais connue. Ils sont frappés par des handicaps structurels lourds en raison, d'une part, de leur configuration géographique – insularité, zones de montagne, éloignement – et d'autre part, des contraintes économiques et sociales : taux de chômage élevé, forte dépendance à l'égard des importations, marché étroit et captif.

Il serait donc illusoire de vouloir poser les bases d'une économie libérale traditionnelle, tant les fondamentaux libéraux sont entravés par des éléments difficilement contournables. La réglementation des prix des produits de première nécessité ne doit pas constituer un simple levier d'intervention publique pour inciter les entreprises à jouer un peu plus le jeu. Au contraire, compte tenu des spécificités de nos territoires, réglementer les prix de ces produits est une nécessité.

Quand, à La Réunion par exemple, plus de 52 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et qu'elle ne parvient plus à subvenir à ses besoins premiers, l'Etat peut-il se contenter d'une intervention facultative ? Certes, des accords sur les prix de certains produits y ont été conclus ces derniers jours. Mais c’est que les entreprises, qui n'ont pas joué le jeu de la transparence et de la sincérité économique, craignent le durcissement d'un conflit déjà majeur. C'est pourquoi elles sont prêtes à céder sous la pression. Fallait-il attendre cette poussée de fièvre sociale pour permettre la baisse des prix ? Actuellement, la pression sociale contraint les entreprises à opérer des baisses à la marge, mais pour combien de temps ? J'ai déposé un amendement pour que la réglementation des prix des produits de première nécessité soit impérative. Il n'a, hélas, pas été adopté par la commission des finances. Monsieur le secrétaire d’Etat, prenez vos responsabilités et encadrez les prix des produits nécessaires pour satisfaire les besoins de base de nos populations.

Toujours au titre du pouvoir d'achat mais également au nom de l'égalité entre les citoyens, ne faut-il pas saisir l'occasion d'instaurer la « continuité téléphonique et numérique » ? J'ai cru comprendre que vous ne souhaitiez pas une réduction du prix de ce poste de dépense devenu quasiment incontournable pour tous les ménages. Votre argument me laisse néanmoins perplexe. Selon vous, il ne faudrait pas « décourager la concurrence par des mesures hâtives ». Mais, là encore, cette concurrence a-t-elle un jour réellement existé ? Nous savons tous pertinemment que ces deux secteurs d'activité sont dominés par des oligopoles, trois entreprises ayant, par exemple, la mainmise sur le marché de la téléphonie mobile. Cette concentration économique limite le niveau de la concurrence tant dans l'hexagone que dans nos territoires. C'est donc pour rétablir une justice sociale mise à mal par de telles pratiques que j'ai déposé plusieurs amendements en commission.

En effet, les outre-mer sont victimes de l’application de tarifs différents de ceux de l'hexagone. En matière de téléphonie mobile, en raison de l'application des coûts d'itinérance, ils sont même considérés comme des territoires étrangers. Les consommateurs, qu'ils soient en métropole ou dans les outre-mer, payent donc beaucoup plus cher leurs communications. Malheureusement, mon amendement en faveur d'une tarification identique aux appels intra-métropolitains n'a pas été voté par la commission des finances.

En revanche, cette dernière a adopté une mesure plus que stupéfiante en ce qu’elle crée une discrimination – n'ayons pas peur des mots lorsqu'ils sont justes – à l'égard des populations d'outre-mer : le rétablissement de la justice sociale ne s'est fait que dans un sens, celui de la métropole vers les outre-mer. Monsieur le secrétaire d’Etat, cette loi pour le développement économique des outre-mer est déjà et restera la « loi Jégo ». Allez-vous accepter que la loi qui porte votre nom instaure une telle discrimination nouvelle au détriment des peuples d'outre-mer ? Je vous le dis comme je le pense : si nous devions en rester là, ces dispositions seraient très mal reçues par nos populations. Elles y verraient à juste titre une disparité de traitement de plus mais, surtout, un considérable manque de respect.

Sur ce chapitre de la téléphonie, vous avez explicité votre position devant la commission des finances. Vous avez souhaité étendre le champ de la facturation à la seconde aux territoires ultramarins. C'est une avancée, certes, mais qui n'a pas la même portée que l'égalité des prix. Vous désirez également faire établir par l'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes un rapport sur les conditions de la formation des prix dans la téléphonie mobile et dans le secteur d'Internet. Ces mesures sont utiles certes, mais quelles seront les actions concrètes menées par la suite et quand ? C'est la réponse à ces questions qui intéresse nos populations.

Celles-ci se préoccupent aussi fortement des problèmes de logement. Dans ce domaine, comme dans les autres, les défis à relever sont de taille ! Selon les prévisions, la croissance démographique sera forte dans les vingt prochaines années. A La Réunion par exemple, l'INSEE prévoit un millions d'habitants d'ici 2030. Loger cette population nouvelle, c'est l'un des défis les plus considérables que nous aurons à relever.

Or, actuellement, à La Réunion, comme dans les autres départements d'outre-mer, la construction du logement social est en panne ! Alors que l'on réalisait 2366 logements locatifs sociaux et très sociaux en 2005, nous en avons produit péniblement 1401 en 2007. Les acteurs du logement social se heurtent aux difficultés récurrentes du secteur. Les opérations mises en chantier arrivent à peine à couvrir le flux des nouvelles demandes et ne parviennent pas à résorber le stock des 26000 demandes en souffrance. Cette situation, d'ores et déjà très inquiétante, va le devenir d'autant plus avec l'entrée en vigueur progressive, depuis le 1er janvier 2008, de la loi relative au droit au logement opposable.

Les difficultés rencontrées sur le terrain sont croissantes. Tout d'abord, le renchérissement du prix du foncier ces dernières années rend le montage des opérations de plus en plus délicat pour les bailleurs sociaux. Boucler un budget pour la construction de logements sociaux est devenu un véritable casse-tête qui oblige les opérateurs, d'une part, à prendre des risques financiers plus importants et, d'autre part, à réaliser des montages dont les bases juridiques pourraient être contestées puisqu’ils cumulent les subventions de l'Etat avec les bénéfices offerts par la défiscalisation.

Les prises de risques sont considérables, c’est pourquoi, il convient de consolider deux aspects.

En premier lieu, il faut absolument sacraliser la ligne budgétaire unique comme l’instrument privilégié de la construction de logements sociaux – je ne suis pas le premier à le dire. Cette sacralisation ne doit pas se limiter à une affirmation incantatoire, elle doit se traduire par un réel effort financier, constant et croissant dans le temps. Le niveau de la ligne budgétaire unique semble garanti grâce à la programmation pluriannuelle ; néanmoins, rien n’est définitivement acquis compte tenu notamment des évolutions budgétaires à venir.

En second lieu, pour permettre aux opérateurs de boucler le financement de leurs projets, il convient de modifier les dispositions réglementaires du code de la construction et de l’habitation qui interdisent le cumul de la ligne budgétaire unique et de la défiscalisation. En effet, dans certains cas, notamment en centre-ville, ce dispositif est le seul susceptible de faire sortir de terre des logements sociaux. Faisons donc preuve de pragmatisme pour une meilleure efficacité en veillant toutefois à ce que le cumul de ces deux dispositifs produise des effets positifs, et qu’il ne devienne pas un argument majeur pour justifier une baisse du niveau de la ligne budgétaire unique, ce qui serait dramatique.

Pour tenter de relancer la construction de logements sociaux, le Gouvernement a souhaité la réorientation des dispositifs de défiscalisation vers ce secteur. Si ce principe peut être légitime, je tiens néanmoins à faire part de certaines réserves.

Tout d’abord, je considère que confier aux intérêts particuliers la mission d’œuvrer en faveur de l’intérêt général constitue un pari osé. J’observe d’ailleurs que l’on ne l’impose pas à la France hexagonale. Pourquoi une telle différence de traitement ? Si l’on considère qu’il s’agit d’un outil performant pourquoi, paradoxalement, le réserver aux seuls outre-mer ? La question mérite d’être posée.

Ensuite, sur un plan plus pratique, je crains que le plafonnement des niches fiscales ne vienne brider l’efficacité du dispositif. Je comprends parfaitement la position qui consiste à vouloir réintroduire de l’efficacité et de la justice sociale ; toutefois, la défiscalisation outre-mer est bien plus qu’un ensemble de niches fiscales : elle constitue un apport financier vital pour nos territoires, et l’on peut toujours craindre que la concurrence avec d’autres dispositifs de défiscalisation ne vienne mettre en péril cette ressource indispensable. C’est pourquoi le législateur, dans ses décisions, doit constamment prendre en compte ce danger afin de ne pas réduire à néant les avantages comparatifs que présentent les investissements dans les outre-mer.

J’ajoute, enfin, que la réorientation de la défiscalisation repose, à mon sens, sur des fondations fragiles. En effet, les aménagements fonciers, clef de voûte de la construction de logements, sont de plus en plus coûteux. Rien ne sert de vouloir intensifier la construction de logements sociaux si les investissements en matière d’aménagement du foncier ne sont pas suffisants. Il eût été utile de prendre à bras-le-corps ce problème qui conditionne pour partie la réussite de votre pari : il est encore temps de le faire.

Traiter la question du logement dans les territoires ultramarins, c’est mener une réflexion sur le parcours locatif afin d’améliorer la rotation des logements. L’une des pistes à explorer pour contribuer à la refonte de la politique en la matière consiste aussi à permettre l’évolution de la situation des locataires pour qu’ils accèdent, à terme, à la propriété. Travailler sur la problématique du foncier dans les départements d’outre-mer, c’est enfin œuvrer pour un meilleur équilibre entre la nécessité de poursuivre le développement urbain et l’indispensable préservation des terres agricoles, tant l’agriculture peut être une source de développement endogène pour nos territoires.

À cet égard, je reste perplexe quant à la position du Gouvernement au sujet de la valorisation de la bagasse de canne à sucre. Depuis plus de quinze ans, elle est utilisée comme combustible pour la production d’électricité, et l’injustice qui frappe cette biomasse est lourde de conséquences pour la croissance et la diversification de la filière. Loin de relever d’une action d’assistanat déguisé, comme on le murmure ici ou là – et parfois peut-être dans certains ministères –, cette valorisation constitue une solution non seulement pour la pérennisation d’une filière tout entière mais aussi pour l’amélioration des conditions de vie des planteurs de canne à sucre. Valoriser le prix d’achat de la bagasse destinée à la production électrique revient donc à soutenir le développement endogène de ce secteur d’activité.

Monsieur le secrétaire d’État, soyez en cohérence avec vous-même ! Je connais votre position personnelle à ce sujet. En revanche, je déplore fermement les incohérences gouvernementales entre les décisions prises et les beaux discours sur la volonté de privilégier les énergies renouvelables. Le Gouvernement ne pourra pas longtemps tenir un double langage entre les objectifs affichés et les actes. Que serait le Grenelle de l’environnement – sinon un vœu pieux – si nous n’aboutissions pas sur ce dossier ? Que dire du projet baptisé GERRI, dont l’objectif affiché n’est rien de moins que de faire de La Réunion d’ici à 2030 le modèle français en matière d’autonomie énergétique – ce projet a reçu le soutien explicite du Président de la République – si nous ne sommes pas capables aujourd’hui de gravir la première marche ?

En outre, au-delà du rétablissement de l’égalité de traitement que demande à juste titre l’ensemble de la profession, cette valorisation est l’avenir de la filière canne, sucre, rhum, bagasse – vous notez, monsieur le secrétaire d’État, que je reprends les termes que vous avez employés devant la commission des affaires économiques.

Ainsi, les recherches sur la canne à sucre se poursuivent et portent leurs fruits : les performances des nouvelles variétés de canne l’attestent. L’enjeu est donc aussi économique. Il s’agit de consolider les ressources financières de la filière, dont l’avenir est incertain. Les discussions au sujet des accords de partenariat économique avec les pays ACP, nos voisins immédiats, font planer une menace de plus sur nos économies. L’avenir plus que problématique de la politique agricole commune dans une configuration budgétaire contrainte, tout comme la renégociation de l’OCM sucre, exigent de nous la plus grande vigilance et nous interdisent de négliger toute marge de manœuvre apte à consolider l’économie de nos territoires.

L’amendement adopté par la commission des finances constitue une reconnaissance politique de la bagasse de canne à sucre. Néanmoins, il ne va pas assez loin et il aura même des effets négatifs non désirés très importants. Il convient impérativement de revenir sur sa rédaction comme je le propose dans mes amendements. J’espère vivement que vous saurez prendre cette direction. Du choix que fera le Gouvernement dépend désormais la pérennisation de toute une filière et le maintien ou la disparition de dizaines de milliers d’emplois.

Monsieur le secrétaire d’État, le traitement de l’ensemble des difficultés ultramarines prendra du temps. Beaucoup souhaitent rompre avec ce qu’ils qualifient de « politique de l’assistanat », comme si les départements et territoires d’outre-mer se laissaient tranquillement porter sans œuvrer pour leur propre avenir. Cette vision, qui travestit et dénigre tous les efforts menés au niveau local, nie les potentiels et les atouts que nos territoires offrent à la France. Certains ne voient en nous qu’un passif comptable alors que nous sommes aussi et surtout un formidable capital humain.

Mes chers collègues, je pense que, par-delà nos différences politiques, nous avons tous les mêmes objectifs. Nous voulons promouvoir le développement des territoires ultramarins grâce au traitement des décalages et à la prise en considération de leurs spécificités.

Les attentes et les espérances des populations sont fortes. Les aspirations quant à l’amélioration de la condition humaine dans nos régions n’ont jamais été aussi pressantes. Nous n’avons pas le droit de les décevoir.

C’est pourquoi, sans concevoir trop d’illusions sur le résultat de notre démarche, nous avons voulu contribuer à l’amélioration significative de l’efficacité et de l’efficience de ce projet de loi. Les amendements que nous avons déposés aspirent à le modifier dans le bon sens. Avec votre aide, monsieur le secrétaire d’État, j’espère que nous pourrons y parvenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, j’ai appris l’hospitalisation d’Alfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire pour ce projet de loi. Permettez-moi de lui adresser du haut de cette tribune mes vœux de prompt rétablissement. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Ce énième projet de loi de développement pour l’outre-mer arrive, après un parcours à maints rebondissements, dans un contexte mouvementé, voire très perturbé. La France a bien mal à ses DOM. Il n’y a plus d’échappatoire : nul ne peut le nier.

En effet, des grèves d’ampleur inégalée ont tour à tour secoué la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, répandant ici et là panique, cauchemar fièvre et frisson. On est passé très près d’un chaos.

En Martinique, après le déluge, nous restons englués dans l’impasse qui dure depuis un long temps déjà, impasse que l’on aurait pu éviter.

Pourtant les plans en tous genres n’ont pas manqué. Mais, sciemment, on a oublié que tout peuple aspire à un moment donné de son histoire à être aussi acteur de son développement tout en étant associé à un autre, et pourquoi pas à d’autres.

Les déterminants de cette crise dans la crise mondiale sont à la fois multiples et complexes. Certains commentateurs y ont vu un appel inconsidéré à l’État. D’autres une aspiration à plus d’intégration, à plus d’assimilation. En la circonstance il était effectivement demandé que la main de l’État soit plus visible pour faire contrepoids à la main invisible du marché, dans des domaines relevant plus spécifiquement de sa compétence. On peut citer la défense du pouvoir d’achat ; la baisse des prix ; la revalorisation des bas salaires, des minima sociaux et des petites retraites ; le chômage endémique ; la relance du logement social ; la situation précaire des jeunes… Mais tous ces éléments, qui constituaient le tronc commun des revendications, ne se trouvaient-ils pas dans le propre programme du Président de la République ?

Se trompe celui qui veut se tromper, s’il croit mordicus que seules les préoccupations matérielles étaient mises en avant. De façon sous-jacente perçaient des revendications plus sociétales, plus politiques, tout à fait légitimes. Car rien n’arrête une idée quand son temps est venu. Or le temps est venu d’un changement qualitatif.

Monsieur le secrétaire d’État, ne ratons pas l’occasion de le promouvoir ensemble. L’erreur aurait été de le rejeter, le meilleur serait de l’accompagner.

Quant à moi, je n’ai jamais plaidé pour une fuite en avant éperdue et encore moins pour un statu quo mortifère dont nous subissons aujourd’hui les inévitables conséquences. La souveraineté doit être partagée partout où faire se peut.

Face à une telle situation, qui était prévisible, le rôle du politique ne réside-t-il pas dans un travail de mise en perspective pour ne pas avoir à rafistoler une fois de plus les failles et les dislocations qui se sont fait jour et qui iront s’agrandissant ? C’est ce qui a été fait avec le schéma martiniquais de développement économique et l’agenda 21. C’est ce qui a été fait en sollicitant le passage à l’article 74 de la Constitution. Ces projets ont été approuvés par les élus réunis en Congrès.

Monsieur le secrétaire d’État, je n’attends pas de vous de déclaration à l’emporte-pièce. Je ne réclame que l’écoute et la concertation la plus constructive qui soit. Tout étant dans tout, ne croyez pas que j’aie pour autant oublié la fameuse LODEOM. J’aurais préféré qu’elle reprenne son nom de baptême – loi pour l’excellence outre-mer – et qu’elle comporte des moyens plus adéquats, au moment où l’économie de la Martinique est aux urgences, tandis qu’il faut aussi préparer l’avenir.

En tout état de cause, pour que le développement endogène toujours préconisé, jamais réalisé, ne soit plus un vain objectif, encore faut-il que nos potentialités soient valorisées ; que les emplois créés ne continuent pas à nous filer entre les doigts ; que le foncier agricole ne soit plus dilapidé ; que notre autonomie fiscale soit totalement retrouvée et consolidée ; que la maîtrise du sous-sol, de la mer et des fonds marins nous soit transférée, et que notre ouverture à l’international soit acceptée.

Bref, c’est un changement global qu’il s’agit d’envisager.

En ces temps de rationnement, la LODEOM ne sera pas une loi miracle, même si elle a été copieusement amendée. J’apporterai ma contribution lors de la discussion des articles, mais qu’il me soit permis de formuler d’ores et déjà quelques remarques et propositions.

Ma première remarque concerne le schéma d’aménagement régional. L’une de ses orientations majeures est la préservation des espaces agricoles et naturels. En la matière, le constat est amer, puisqu’en dix ans, la surface agricole utile est passée de 40 000 à 26 000 hectares. Si l’on continue à ce rythme-là, rendez-vous est pris pour les prochains désordres. Sachons que la police effective du SAR se trouve entre les seules mains du préfet, ce qui suscite en permanence des appréciations conflictuelles sur son respect effectif.

Ma deuxième remarque concerne le photovoltaïque. Le Grenelle de l’environnement a préconisé de porter à 50 % la part des énergies renouvelables à l’horizon 2020, mais le photovoltaïque à terre n’est pas du tout encadré par la loi. Or les dossiers en cours couvriraient pas moins de 240 hectares. C’est une aberration de plus qu’il faut éviter. À ce rythme-là, et compte tenu de mes remarques précédentes, la Martinique sera bientôt à l’encan ; on prépare les prochaines révoltes. Il est donc urgent de légiférer en ce domaine, en encourageant l’installation de ces dispositifs sur les immeubles.

Ma troisième remarque concerne le logement social. Les livraisons se sont effondrées : en Martinique, il y en eut 258 en 2007, pour 11 000 demandes. Faut-il pour autant réduire l’importance de la LBU ? Je ne le crois pas. En effet, la problématique du logement social n’intègre pas suffisamment la vétusté et le vieillissement du bâti, dont les critères d’attribution devraient tenir compte. Par ailleurs, la défiscalisation du logement social suscite des inquiétudes, car elle reviendrait à faire dépendre celui-ci des contingences du marché. En outre, il y a un risque non voilé qu’elle se substitue à terme à la LBU. Pour ces différentes raisons, le maintien de cette dernière est souhaitable, mais son volume reste en deçà des besoins de financement.

Ma quatrième remarque concerne la zone côtière. Sur cette zone tant convoitée, le risque de bradage est évident, même à titre onéreux. Toutes les cessions de parcelles vides doivent donc se faire sur la base d’un projet d’aménagement concerté avec le maire de la ville concernée, au besoin la collectivité régionale et l’Agence des cinquante pas géométriques. En cas de revente, un droit de préemption doit être accordé au maire, à la collectivité régionale ou à l’Agence. J’ajoute qu’il serait temps de régler définitivement le problème de l’accès et de la libre circulation le long du rivage, qui font l’objet de conflits permanents.

Ma cinquième remarque concerne les très petites entreprises. En Martinique, 1 167 entreprises comptent plus de dix salariés, alors qu’elles sont 5 887 à employer entre 1 et 9 salariés et 21 776 à n’en avoir aucun. Les très petites entreprises représentent potentiellement un gisement d’emplois plus important. Or, parmi elles, on dénombre des sociétés créées dans le cadre de la défiscalisation, qui ne sont en fait que de simples boîtes aux lettres.

Ce type de sociétés représente 30 % des entreprises n’ayant aucun salarié et 55 % des entreprises créées depuis la loi Girardin, ce qui fausse les chiffres des créations d’entreprises de services. Elles servent de support au montage financier de la défiscalisation et n’ont aucun impact réel sur l’économie, car elles n’ont aucune activité réelle en Martinique. Or elles faussent, par leur vote, la représentation des entreprises ayant une activité effective. D’où un mécontentement assuré.

Ma sixième remarque est une demande. Pour favoriser la dynamique économique que l’on veut impulser, le transfert du port et de l’aéroport dans le patrimoine régional reste plus que jamais d’actualité. Je demande donc, pour la quatrième fois, que cette opération soit réalisée, au profit de l’intérêt général. J’espère que, cette fois-ci, je serai enfin entendu.

En conclusion, il est communément admis qu’après un grand coup de tonnerre, le temps s’éclaircit. Or nous venons d’en connaître un. Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d’État, que l’horizon de tous les possibles se dégage et que s’instaure un nouvel ordre de relations et de responsabilités, dans la plus grande transparence et le plus grand respect de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comment aborder l’examen du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer sans parler de la situation dans les Antilles et à la Réunion ? Adopté en conseil des ministres en juillet 2008, ce texte est examiné par l’Assemblée en avril 2009. Or, entre-temps, le contexte est devenu brûlant et difficile. La crise a révélé le fragile équilibre socio-économique de l’outre-mer français et les lourds problèmes structurels qu’il connaît, parmi lesquels un taux de chômage important, un coût de la vie élevé et un manque de logements sociaux.

Ces déséquilibres structurels ont été exacerbés par la crise mondiale, provoquant dans les collectivités d’outre-mer des mouvements de très grande ampleur qui se sont inscrits dans la durée, d’abord en Guyane, puis en Guadeloupe, à partir du 20 janvier, en Martinique et, enfin, à la Réunion. Le malaise social de nos concitoyens ultramarins est donc général et demande des réponses sur le fond.

Après de longues discussions, le Gouvernement s’est engagé sur un certain nombre de mesures, la plus emblématique d’entre elles étant l’augmentation de 200 euros des bas salaires. Mais, comme le souligne le travail de notre rapporteur, Gaël Yanno, les collectivités d’outre-mer souffrent de handicaps structurels. Elles subissent en effet des contraintes liées à l’éloignement, au climat – je pense notamment aux risques cycloniques –, à l’insularité, aux coûts de transport importants, à une faible intégration territoriale, à une forte dépendance économique, à un taux d’importations élevé et à des marchés locaux étroits.

Les conséquences sociales sont, bien entendu, très lourdes : le niveau de vie y est nettement inférieur à celui de la métropole et de l’Union européenne, le taux de chômage très élevé – atteignant en moyenne 36 % de la population active – et le pouvoir d’achat très dégradé, puisque les revenus sont plus bas et les prix plus élevés qu’en métropole, avec des écarts pouvant aller jusqu’à 35 % pour des produits de première nécessité.

Nous nous devons donc d’être au rendez-vous avec les Antillaises et les Antillais, les Réunionnaises et les Réunionnais. Ce rendez-vous est à la fois historique et politique, et il comporte une forte dimension humaine.

Ce projet de loi est tout d’abord un rendez-vous historique, non seulement parce qu’il s’inscrit dans un contexte social particulier – sur lequel je ne reviendrai pas –, mais aussi parce qu’il s’agit de la cinquième loi relative à l’outre-mer en vingt-trois ans. Les problèmes structurels de ces territoires existent depuis de nombreuses années : les premiers événements en Guadeloupe remontent à 1967. Déjà, à l’époque, les revendications syndicales s’étaient mêlées aux revendications politiques et avaient provoqué une série d’événements sanglants.

Depuis 1986, cinq lois, en comptant celle-ci, auront été discutées et adoptées en vue de promouvoir l’essor économique de l’outre-mer : la loi Pons, en 1986, qui a institué une aide à l’investissement immobilier dans les départements d’outre-mer ; la loi Perben, en 1994, qui visait à favoriser l’insertion professionnelle et l’emploi, en mettant en place des exonérations et des allégements de cotisations sociales ; la loi Paul, en 2000, qui permettait de bénéficier d’une réduction d’impôt en cas d’acquisition d’un bien immobilier neuf dans les DOM-TOM ; enfin, la loi Girardin, en 2003, qui est venue compléter les dispositifs fiscaux et d’allégements de charges.

Le fait que quatre lois aient été votées sous des majorités différentes doit nous conduire, les uns et les autres, à faire de ce projet de loi un rendez-vous réussi, car force est de constater que nous sommes bien loin d’avoir atteint les objectifs initiaux. Il est désormais indispensable de poser très rapidement les fondements d’un nouveau développement économique, seul capable de répondre aux préoccupations sociales et politiques.

Ce projet de loi est également un rendez-vous politique, car il nous rappelle l’importance de l’outre-mer dans le paysage et l’équilibre politique français, voire européen. Grâce à l’outre-mer, en effet, la France est la troisième puissance maritime mondiale, avec une zone économique exclusive couvrant plus de 10 millions de km2. Nous sommes ainsi présents dans tous les océans de la planète et sur tous les continents, à l’exception de l’Arctique.

Grâce à l’outre-mer, la France bénéficie également d’une richesse exceptionnelle en matière de biodiversité et, à l’heure du Grenelle de l’environnement, je ne pouvais manquer de le rappeler.

Grâce à l’outre-mer, la France et, surtout, l’Europe disposent d’une base de lancement de fusées à Kourou, en Guyane. Ce projet, véritable succès de la coopération européenne, est un fleuron de l’industrie aérospatiale.

L’examen de ce projet de loi nous permet ainsi de mesurer l’importance géopolitique et géostratégique de l’outre-mer.

Ce texte est enfin un rendez-vous avec les hommes et les femmes de l’outre-mer, nos compatriotes. Les soulèvements du premier trimestre 2009 ont permis de mesurer l’ampleur de la crise et les inquiétudes légitimes des Antillais et des Réunionnais. Le projet de loi a été modifié pour tenir compte des conséquences de cette crise et répondre à ces inquiétudes. Cette réponse doit être forte et rapide ; ce texte nous fournit la boîte à outils qui nous permettra d’agir.

Le problème de fond est celui de la création de richesses, car, pour l’heure, ces territoires souffrent d’un réel déficit en la matière. Or la viabilité économique et la cohésion sociale n’existeront réellement que si le développement économique est fondé sur des capacités de production propres. Cet objectif nécessite de promouvoir les principes de responsabilité, de liberté d’entreprendre et de croissance endogène, mais il suppose également une action publique efficace.

Le groupe Nouveau Centre est avant tout attaché au principe de l’économie de marché régulée, dans laquelle l’État détermine le cadre des initiatives économiques. À ce titre, nous sommes favorables à un renforcement du rôle de l’Autorité de la concurrence, pour lutter contre les monopoles et les situations de rente et assurer une baisse significative des prix.

Nous estimons que ce texte va dans le bon sens. Il reprend, d’ailleurs, trois objectifs que nous défendons depuis plusieurs années.

Tout d’abord, il met l’accent sur le nécessaire développement économique endogène de l’outre-mer. Essentiellement tourné vers les entreprises ultramarines, il rejoint nos ambitions. Il nous semble en effet indispensable de mettre en place les conditions d’un développement économique plus prospère, qui permette de créer des emplois et d’accompagner les entreprises locales, y compris les plus petites d’entre elles. Pour ce faire, il faut remettre les entreprises et les entrepreneurs au cœur de nos préoccupations et de notre action. Ainsi, la principale mesure du projet, créant des zones franches d’activités où les entreprises pourront bénéficier d’abattements à hauteur de 50 % sur les bases de l’impôt sur les bénéfices, de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés bâties, va dans le bon sens. Grâce au travail de la commission, un certain nombre de secteurs prioritaires ont été identifiés, qui seront éligibles au régime d’abattement de 80 % – et je tiens à souligner, monsieur le secrétaire d’État, la capacité d’écoute dont vous avez fait preuve lorsque vous avez présenté ces dispositions en commission.

Ce sera notamment le cas des exploitations exerçant leur activité dans la recherche et développement et les nouvelles technologies, dans le tourisme et également dans les énergies renouvelables, pour les entreprises de Martinique et de Guadeloupe ; dans le tourisme, l’agronutrition ou les énergies renouvelables, pour les exploitations situées à la Réunion. Néanmoins, nous tenons à rappeler que nous ne croyons pas à l’utilité d’une exonération à 100 % sur le foncier non bâti, car cette mesure aurait, selon nous, tendance à favoriser plus encore le propriétaire au détriment de l’exploitant.

Ce texte répond à un second objectif : le recentrage des aides sur le logement social. Nous nous devions de réagir, car les dispositifs fiscaux antérieurs avaient été porteurs d’effets secondaires dommageables. La défiscalisation, en favorisant le logement libre, a, en effet, porté un sérieux préjudice au logement social. Ainsi, les entreprises de construction ont principalement choisi les opérations en défiscalisation, plus rémunératrices, et le prix du foncier ayant fortement augmenté grâce à la défiscalisation, les terrains sont devenus indisponibles pour les opérations de logement social. Les demandes en logements sociaux ont alors explosé ces dernières années pour dépasser les 60 000. Ainsi, le groupe Nouveau Centre se félicite-t-il que soit ajouté aux crédits budgétaires existants un nouveau mode de financement permettant aux sociétés anonymes de HLM et aux sociétés anonymes coopératives de HLM de bénéficier du dispositif de défiscalisation des logements sociaux.

Le groupe Nouveau Centre se satisfait, enfin, de la possibilité offerte à l’État de réglementer les prix des produits de première nécessité dans les collectivités territoriales d’outre-mer où il a compétence pour le faire. C’est, pour nous, le seul moyen à court terme de répondre aux grandes difficultés que connaît le pouvoir d’achat outre-mer, conjuguant prix élevés et revenus faibles. Néanmoins, nous ne devons pas oublier que la liberté de fixation des prix dans le domaine de l’économie de marché doit rester la règle à moyen et long terme.

Le groupe Nouveau Centre souhaite néanmoins appeler l’attention du Gouvernement sur quelques points majeurs.

Premièrement, nous nous opposons fermement à l’amendement visant à créer une taxe supplémentaire de 10 % sur les jeux et les courses pour les parieurs ultramarins. Celui-ci nous semble totalement contraire au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques. Une inégalité de traitement serait ainsi créée entre les parieurs métropolitains et leurs homologues d’outre-mer.

Deuxièmement, le groupe Nouveau Centre souhaite rappeler encore une fois l’importance d’un développement économique propre pour l’outre-mer. Sans cela, l’outre-mer se retrouvera sous perfusion et sa pérennité à long terme ne sera pas assurée. Monsieur le secrétaire d’État, nous devrons procéder à l’évolution de ce cinquième texte, avant d’en bâtir un nouveau.

Troisièmement, nous souhaitons assister au développement et à la délégation de compétences de l’État vers les collectivités d’outre-mer sur le modèle de ce qui a été fait en Guadeloupe, s’agissant de la maîtrise de la demande en énergie.

Quatrièmement, nous souhaitons que toutes les collectivités territoriales – régions, notamment, et départements – s’impliquent totalement dans le développement économique des territoires et départements d’outre-mer. La loi leur a donné cette compétence ; elles doivent l’exercer.

Cinquièmement, nous avons confiance dans nos compatriotes ultramarins.

Chacun l’a compris, le développement de l’outre-mer revêt un enjeu particulier. Il s’inscrit dans une histoire complexe et spécifique, dans un climat social et économique difficile, mais aussi dans la volonté de bâtir un avenir prospère et prometteur grâce aux atouts et à la complémentarité entre l’outre-mer et la métropole.

C’est pourquoi le groupe Nouveau Centre soutient ce projet de loi dans son esprit et sa lettre et encourage l’action difficile, mais juste, je tiens à le dire, que conduit le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous voilà une nouvelle fois réunis pour mettre au cœur des débats l’outre-mer.

Un nouveau gouvernement, une nouvelle loi, un nouveau contexte de crise économique et sociale peu propice à des changements brutaux, mais plus adéquat pour accompagner les plus faibles.

En 2003, j’ai voté avec foi et conviction la loi Girardin, une loi de programme pour nos collectivités afin d’insuffler une nouvelle dynamique tournée vers le secteur marchand, une loi de programme qui nous engageait pour quinze ans, une loi votée par notre majorité et contestée en son temps par l’opposition, une loi qui, comme vous l’affirmiez, monsieur secrétaire d’État, lors de votre audition par la commission des affaires économiques, a donné « des résultats remarquables ». Cette loi pour le développement économique de l’outre-mer a été contestée par l’opposition, mais défendue par elle dès 2005, car, ensemble, nous étions conscients et convaincus de sa portée et de son efficacité. Mais, comme elle n’a été l’objet d’aucune réelle évaluation, et, dit-on, pour plus d’équité, de justice fiscale nous voilà de nouveau réunis pour une nouvelle loi, six ans après, oui six ans seulement après l’entrée en vigueur de la loi Girardin. Comme j’en ai pris l’engagement devant le Premier ministre, après la crise qui a secoué la Guadeloupe, je réaffirme donc ma volonté d’une loi, d’une nouvelle loi de programme à la hauteur des espérances de mes compatriotes. Je réaffirme ma volonté d’une loi donnant un nouveau souffle, un nouvel élan à l’économie si fragile de mon département, encore plus fragile et déstabilisée par la crise économique mondiale et singulièrement celle qui l’a secouée durant plusieurs semaines. Les effets dommageables de cette crise doivent être limités, aussi il importe, monsieur le secrétaire d’État, d’accompagner les entreprises, particulièrement les très petites, qui représentent près de 90 % du tissu économique de nos départements d’outre-mer. C’est pour cela que j’ai déposé, avec des collègues de la majorité, des amendements tendant à mettre le petit commerce au cœur du dispositif de zones franches d’activités, ainsi qu’à supprimer l’amendement à 1 euro, contraignant pour nos petits agriculteurs et nos pêcheurs, et qui les privera de la défiscalisation. De plus, je vous propose d’apporter un soutien renforcé aux entreprises fragilisées par l’ampleur de la crise en acceptant de leur accorder un plan d’apurement de leurs dettes sociales. J’attends de vous de la compréhension et une réponse favorable, afin de garantir la survie durable des entreprises concernées et, par conséquent, la sauvegarde pérenne des emplois.

Monsieur le secrétaire d’État, je veux aussi saluer votre courage dans ces moments difficiles. Vous avez participé à la légitimité de nos demandes, vous avez écouté, vous avez tenté de comprendre les revendications pour améliorer le texte de loi que vous nous présentez. Toutefois, des états généraux programmés dans chaque département pourraient encore modifier la portée de ce projet et, une fois de plus, renforcer l’effet millefeuille de dispositifs préjudiciables à la lisibilité des politiques menées outre-mer et, de ce fait, à l’évaluation de leur impact sur le développement des outre-mer.

Monsieur le secrétaire d’État, en Guadeloupe, nous tentons encore de sortir d’un conflit social dont les plaies ne sont pas cicatrisées. J’entends même que les tensions pourraient rejaillir. C’est pour cela qu’à cet instant je m’interroge sur la nécessité de tenir aussi rapidement des états généraux. Ne serait-il pas plus sage de les reporter à un moment plus propice où toutes les parties discuteraient dans l’intérêt de notre département ? Les sujets sont importants et cruciaux pour l’avenir de ces départements. Ne serait-il pas plus sage de prendre le temps de traiter des problèmes, des difficultés dans le cadre d’un dialogue apaisé où chacun apporterait sa pierre à l’édifice ? Si je ne le disais pas, je ne m’appellerais pas  Gabrielle Louis-Carabin !

Je reviens au texte qui nous est soumis. Il a pour objectif d’inscrire l’outre-mer dans une nouvelle logique de développement durable, un développement que vous qualifiez d’endogène. Ce texte a déjà fait l’objet de modifications d’importance au Sénat avec l’intégration de dispositions destinées à limiter la dégradation du pouvoir d’achat, un sujet particulièrement sensible pour tous les Français, comme l’ont démontré les populations des outre-mer.

M’inscrivant dans cette logique, j’ai déposé un amendement limitant les monopoles dans la grande distribution et réintégrant la limitation des surfaces commerciales à 300 mètres carrés votée et malheureusement supprimée lors de la loi de modernisation de l’économie. Je tiens à cette disposition spécifique, car les commerces de proximité sont le poumon de notre économie, ils créent et entretiennent le lien social.

M. Éric Jalton. Très bien !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Si l’on veut soutenir durablement l’emploi et le pouvoir d’achat dans les DOM, nous devons donner aux commerces de proximité les moyens d’exister et de résister à la concurrence. Vous devez différencier, monsieur le secrétaire d’État, les 525 000 kilomètres carrés de la métropole des 1628 kilomètres carrés de la Guadeloupe, des 1080 kilomètres carrés de la Martinique et des 2 500 kilomètres carrés de la Réunion...

Mme Christiane Taubira. Nous sommes trop grands ! (Sourires.)

M. Serge Letchimy. Continuez, madame Louis-Carabin, c’est bien !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’autre dispositif phare sur lequel je souhaite m’attarder a trait à la défiscalisation des investissements dans le logement social. Pour répondre aux besoins importants de ce type de logement, cette réorientation de la défiscalisation semble intéressante. Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, il est essentiel que le Gouvernement s’engage à maintenir dans la durée la ligne budgétaire unique, rendant ainsi complémentaires défiscalisation et LBU.

Quant aux communes des îles dites du Sud, il faut saluer leur intégration dans les zones franches d’activités, tout en regrettant que les critères fixés pour les zones franches géographiques ne tiennent pas compte de la situation des communes du Nord Grande-Terre et de la commune de Saint-Claude. Cette dernière remplit les conditions, sauf celle relative à la population, qui n’est toutefois supérieure que de 500 habitants.

Il est d’autres sujets qui me tiennent à cœur comme la valorisation de la bagasse pour la production d’électricité, la pharmacopée et les agences des cinquante pas géométriques.

Concernant la bagasse, en l’état actuel de la législation, celle-ci ne peut être payée au même prix que les autres biomasses. Aussi, je souhaite que le prix du kilowattheure issu de la bagasse soit équivalent ou supérieur à celui des énergies fossiles de substitution et à l’énergie photovoltaïque. La valorisation de cette biomasse participe pleinement à la défense et à la rentabilité de la production cannière en s’inscrivant dans le cadre de la mise en valeur des énergies renouvelables.

Je me réjouis que, grâce à un amendement proposé par mon collègue Letchimy, député de la Martinique, puisse être ancrée dans le marbre de la loi la prise en compte de la pharmacopée des outre-mer, mettant ainsi en valeur les particularités et l’efficacité des plantes médicinales à usage traditionnel dans les départements et collectivités d’outre-mer.

Je souhaite aussi porter devant la représentation nationale, le problème des cinquante pas géométriques qui persiste en Guadeloupe. La régularisation des occupants sans titre de la zone des cinquante pas géométriques est en panne. Les circuits administratifs et les procédures de domanialité publique ne sont pas adaptés. Débutée en 2002, cette régularisation demandera encore plusieurs années avant d’être résolue. Aussi serait-il plus judicieux, pour davantage de cohérence et d’efficacité, de confier cette régularisation, qui comporte un volet social très important, aux agences des cinquante pas géométriques. La solution que je vous propose serait un signal fort pour nos populations.

Avant de terminer, je veux vous interpeller sur la création du bonus exceptionnel. Celui-ci bénéficie d’exonérations de charges pour une durée de trois ans. Que se passera-t-il au terme de ces trois années ?

Dans ce contexte difficile, je salue l’effort financier de l’État qui, par de telles décisions, souhaite accompagner et non pas assister ces parties lointaines de la France, comme certains le pensent. Toutefois, je suis persuadée que des adaptations nouvelles seront apportées après la tenue des états généraux, car les dispositifs de défiscalisation ne peuvent, à eux seuls, apporter toutes les réponses durables attendues.

Je conclurai mon propos en affirmant que, dans l’intérêt de ma région, je voterai ce projet de loi qui a été enrichi depuis la crise pour tenter d’être en phase avec la réalité sociale et économique de la Guadeloupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes invités à examiner un texte pensé et rédigé en grande partie il y a plus d’un an. Ce projet de loi tant attendu, plusieurs fois reporté et dont on a tant parlé répond-il réellement aujourd’hui aux aspirations de ceux qu’il est censé concerner ? C’est la vraie et unique question que l’on doit se poser.

Après sa discussion au Sénat, monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pu disposer que d’une quinzaine de jours pour étudier votre texte, l’amender et le discuter en commission. Cela atteste des conditions inacceptables dans lesquelles nous avons été amenés à travailler, et ajouterai-je, du mépris du Gouvernement à l’endroit de la représentation nationale et même de l’outre-mer.

Le sentiment qui se dégage aujourd’hui est que le Gouvernement n’a pas tenu compte de ce grand séisme qui a secoué l’outre-mer et principalement les Antilles. En effet, la Martinique et la Guadeloupe ont connu, chacune, plus de quatre semaines de crise sociétale historique, qui n’a été que l’expression d’un profond mal-être et d’un mal-développement qui puisent leur origine dans un passé marqué par la persistance d’injustices, d’inégalités, d’incompréhensions et de discriminations de toutes sortes.

La crise qui a frappé les régions d’outre-mer, terres lointaines dont on a pu dire qu’elles coûtent si cher à la France, a au moins eu le mérite, je l’espère, de révéler à l’opinion française les réalités qu’elle était loin d’imaginer. Avec ce conflit majeur, c’est à la fois un signal de détresse et un message fort d’espérance que les Antilles ont adressé à la France.

C’est un signal de détresse tout d’abord. Faut-il vous rappeler que nos départements d’outre-mer ont un taux de chômage trois fois supérieur à la moyenne nationale, un taux de RMI cinq fois supérieur, un fort taux de jeunes frappés par l’échec scolaire, la désocialisation et le chômage, que les prix sont exorbitants, jusqu’à 60 % au-dessus de ceux de la métropole, que l’import-export est cadenassé par des lobbies bien identifiés, le foncier injustement réparti, le taux de couverture de nos importations par nos exportations d’à peine 15 %, ce qui rappelle à n’en point douter une économie de comptoir ?

C’est aussi, heureusement, un message d’espérance. Faut-il également vous rappeler les nombreux atouts de l’outre-mer, qui offre à la France d’inestimables richesses : 97 % des 11 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, qui la hissent au rang de deuxième puissance maritime mondiale, 80 % de sa biodiversité, des sportifs de renom – Thierry Henry, Guillaume Hoarau et bien d’autres –…

Mme Christiane Taubira. Malouda !

M. Louis-Joseph Manscour. La liste n’est pas exhaustive !

…des écrivains de renom : Aimé Césaire, Daniel Maximin et bien d’autres encore ?

Nous ne sommes pas seulement une terre de consommation mais aussi une terre de production, qui confère à la France sa dimension intercontinentale.

Le Président de la République, lors de son intervention du 19 février 2009 sur RFO, a dit, en parlant des Antilles : « cette crise nous oblige en même temps à ouvrir le grand chantier de la transformation sociale qui permettra de renouer le pacte républicain ».

Même si ce texte, je vous le concède, comporte quelques avancées, nous sommes loin de ce grand projet pour le développement et la promotion de l’excellence de l’outre-mer dont on nous parlait il y a quelque temps. Nous ne retrouvons pas ces bonnes intentions dans ce texte, qui manque cruellement d’ambition et d’audace. C’est tout au moins un texte qui n’est pas à la hauteur des enjeux de nos sociétés insulaires et ne répond certainement pas aux aspirations exprimées avec force par nos populations.

Rarement l’impérieuse nécessité d’une autre vision du développement se sera autant fait sentir pour sortir de cette « fin de cycle historique », cycle marqué par une profonde crise sociale. Rarement a-t-on eu autant besoin d’en recommencer un autre, vertueux cette fois, et porteur de progrès en termes de cohésion sociale, de responsabilités collectives, d’activités nouvelles génératrices d’emplois nouveaux.

Rarement un texte conçu, entre autres, pour améliorer la performance économique des entreprises des DOM aura autant montré ses limites face aux contraintes imposées par la loi de finances de 2009, avec, pour conséquence d’affaiblir, que dis-je, de neutraliser la politique d’exonération de charges et d’incitation à l’investissement.

S’agissant de la politique du logement, le retrait de la défiscalisation du logement libre au profit du logement social, au-delà de la nécessaire reconfiguration qu’il convenait d’apporter à ce dispositif pour qu’il n’organise pas l’éviction des ultramarins au profit de spéculateurs de tout acabit, est la preuve que votre volonté réelle est bien de diminuer la LBU, jugée trop coûteuse pour le budget de l’État. Or c’est précisément la LBU qui, au cœur de l’effet multiplicateur de l’investissement des collectivités, sociétés d’HLM et entreprises du BTP, articulait la double dimension sociale et économique du logement.

Quant aux zones franches globales d’activités, principale mesure de votre dispositif, qui doit, selon vous, élever le niveau d’attractivité des investissements pour quatre ou cinq secteurs prioritaires, elle a déjà montré ses limites. D’ailleurs, nous avons déjà tiré les enseignements d’expériences comparables, celle de la Corse par exemple. Il ressort que, si cet outil peut améliorer les conditions d’exploitation des entreprises, il ne peut apporter une plus forte structuration macroéconomique de secteurs productifs tels que l’agriculture, la pêche, le transport ou l’artisanat, et répondre en toute cohérence aux besoins du marché domestique.

Votre texte, monsieur le secrétaire d’État, fait l’impasse sur le renforcement des ressources des collectivités locales, et singulièrement de celles des communes. Les collectivités locales d’outre-mer participent pour plus de 80 % l’investissement public, contre 73 % pour la France métropolitaine, et ce en dépit de finances qui ne cessent de se dégrader. Nous savons tous que l’État compense plus mal encore que dans l’hexagone les transferts de compétences et de charges.

À la vérité, l’unique objectif de votre gouvernement est de remettre en cause les dispositifs de soutien à l’économie des départements d’outre-mer contenus dans la loi Girardin votée en 2003, à l’origine pour quinze ans, et qui ont fait la preuve de leur efficacité. Comment s’étonner des désaccords formulés tant par les élus locaux que par les organisations patronales, qui se sont longtemps plaintes de l’absence d’évaluation de la loi Girardin avant sa remise en cause, aggravée par le manque de concertation et l’imposition d’une démarche centralisatrice ?

Bien sûr, on nous renvoie sans cesse aux états généraux de l’outre-mer, comme si c’était la panacée, une sorte de remède universel. Le groupe socialiste du Sénat avait demandé le report de ce texte. La sagesse eût été de différer son examen et de l’enrichir des nombreuses remontées que ne manqueront pas de susciter les prochains états généraux. L’urgence n’exclut pas la sérénité et la réflexion, dès lors qu’elle permet de prendre en compte les problèmes de fond récurrents que l’on rencontre.

La sagesse eût été que ce dispositif économique se nourrisse des réflexions d’envergure déjà menées et validées dans nos régions par les élus et les forces vives, où l’on retrouve les socioprofessionnels, les syndicats, les associations et autres structures populaires.

Je regrette de finir mon propos en notant combien, à travers ce texte, il est difficile à l’État français de sortir de sa vision centralisatrice, difficile à l’État d’intégrer les démarches démocratiques et émancipatrices si nécessaires aux outre-mer.

En ce moment de post-crise, tout pousse à la créativité dans nos régions. C’est donc un énième rendez-vous que nous risquons de rater. Comme le disait il y soixante-trois ans le poète Aimé Césaire dans cet hémicycle, le 12 mars 1946 : « Entre désintégration et intégration, il y a de la place pour l’invention. Nous sommes condamnés à inventer ensemble ou à sombrer, et pas forcément pavillon haut ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le recours à un label connu, les zones franches, une expérimentation hasardeuse, la défiscalisation du logement social, un dispositif recentralisé et toujours mal doté, la continuité territoriale, une préoccupation de dernière minute, le pouvoir d’achat, voilà l’équation à quatre variables et à beaucoup d’inconnues que nous propose ce projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer.

Doter les quatre régions les plus pauvres de l’Union européenne de zones franches fiscales n’est en soi ni une innovation ni un événement. Shannon, en Irlande, nous a devancés d’un demi-siècle. Les années 90 ont vu le gouvernement d’Alain Juppé recourir plus d’une fois à ce dispositif pour des territoires français en difficulté.

L’objectif assigné à ces nouvelles zones franches peut être perçu comme une tentative pour briser le cercle par lequel, année après année, les transferts publics vers l’outre-mer, dans une coïncidence quasi parfaite, reviennent à leur point de départ sous forme de transferts commerciaux privés, ce qui, en fait, n’est que le reflet actualisé de ce qu’on appelait le pacte de l’exclusif.

On ne peut cependant oublier que ces zones franches coexisteront avec les accords de partenariat économique qui seront conclus entre l’Union européenne et les pays dits Afrique-Caraïbes-Pacifique dès les premiers mois de 2010. Ces APE, qui viendront souligner les difficultés pour nos départements de concilier appartenance juridique et position géographique, doivent être pris en compte dès maintenant si l’on veut laisser une chance à ces zones franches.

Pour la Réunion, cette nouvelle tentative de relancer le développement économique ne pourra être comprise que si elle produit une amélioration notable de l’emploi. L’expérience nous a appris que, fiscales ou sociales, les exonérations ne sont pas automatiquement suivies de créations d’emplois.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

Mme Huguette Bello. Les derniers chiffres du chômage, en dépit de la modification des critères, sont venus assombrir une situation déjà fort difficile.

L’emploi demeure la priorité des Réunionnais, le chômage est la hantise de toutes les familles, le diplôme n’est plus un sauf-conduit.

Vous comprendrez donc qu’il est difficile d’accepter qu’aucune mesure directe en faveur de l’emploi ne figure dans ce texte.

Le dispositif de soutien aux jeunes diplômés est supprimé au motif qu’il ne rencontre pas le succès escompté. Il y a quelques années, le programme emplois-jeunes, auquel des milliers de Réunionnais avaient souscrit, a été, lui, supprimé du fait de son succès. Il en a été de même pour le congé-solidarité qui, lui, avait le tort de ne pas coïncider avec les objectifs nationaux sur les retraites. Reste le service militaire adapté, protégé par son ancienneté. Plébiscités ou sous-utilisés, les dispositifs pour les jeunes sont rayés de la carte. La jeunesse risque de commencer à se poser des questions.

La place étant vide, je vous propose, monsieur le secrétaire d’État, que le prochain texte sur l’outre-mer soit consacré à la jeunesse, de sorte qu’elle soit placée au centre des décisions politiques. Je vous propose de construire l’avenir avec l’avenir.

C’est pourquoi je ne défendrai pas au cours de ce débat d’amendements relatifs à la jeunesse. Ils seraient beaucoup trop périphériques. Je vous demande simplement de régler le sort des 1 500 assistants d’éducation dont les contrats arrivent à leur terme en juillet prochain. Il suffit pour cela de leur appliquer la loi de 2005, qui rend possible le renouvellement pour une durée indéterminée des contrats des agents ayant au moins six ans d’ancienneté.

Placer les jeunes au centre de nos décisions nous amènera nécessairement à aborder de façon différente la question de la continuité territoriale. Dans ce XXIe siècle nomade et mobile, il n’est plus possible de tolérer les obstacles qu’on ne cesse d’opposer à nos déplacements.

Certes, des communiqués de victoire claironnent des offres promotionnelles. Certes, le fonds de continuité territoriale prévu par ce texte se veut plus efficient. Mais tout cela ne constitue pas une politique de continuité territoriale pérenne et équitable.

Le Gouvernement mise beaucoup sur le marché pour régler la question, mais les mises en concurrence de nos dessertes se sont toujours terminées de la même manière : retour au quasi-monopole et prix élevés. Il est temps que le principe de la libre circulation ne soit plus pour nous un vain mot.

Cette obsession du sort de la jeunesse qui doit être la nôtre, je souhaite qu’elle nous conduise à lui proposer un cadre de vie de qualité. Le logement social, on le sait, représente une grande partie de ce que nous aurons à bâtir. Durant la prochaine décennie, la Réunion devra construire chaque année au moins 5 000 logements sociaux.

Ces logements dessineront le paysage urbain. Nous savons quels ravages a fait, dans d’autres générations, un habitat sinistrement fonctionnel. Les critères environnementaux et esthétiques devront être pris en considération. Nous voulons construire des logements durables. Nous voulons bâtir des villes qui réconcilient.

Pour conclure, un dernier mot sur les états généraux. Décidés au plus haut niveau de l’État et à l’occasion d’une crise exceptionnelle, ils suscitent naturellement de grands espoirs. Le jaillissement populaire qui s’est produit durant ces longues semaines doit être explicité, et non canalisé, encore moins détourné. Il s’agit de percevoir tout ce que cette expression populaire a eu de spécifique et d’inattendu, sans chercher à l’enfermer dans des schémas préconçus et des débats répétitifs : ni réduction ni extrapolation de la parole vivante. Nous avons là une splendide occasion de faire vivre la démocratie : ne la manquons pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le secrétaire d'État, ce texte est un bon texte, qui vise à répondre à l’un des enjeux essentiels de l’outre-mer aujourd’hui : son développement économique.

L’outre-mer a de la ressource. Il suffit de rappeler l’amélioration significative de la situation de l’emploi et une croissance significativement supérieure à celle de la métropole ces dernières années. En même temps, l’outre-mer connaît un certain nombre de faiblesses, de difficultés, par exemple un taux d’emploi public proportionnellement très important, nettement supérieur à ce qu’il est en métropole.

Il est donc bon que soient proposés des dispositifs de nature à favoriser le développement de l’économie marchande. L’État a sa place dans le développement de cette économie, notamment avec les encouragements pouvant être apportés par le biais des zones franches que vous proposez, mais aussi par le biais d’actions sectorielles, comme celles qui sont menées, par exemple, à la Réunion pour la pêche.

Il faut à la fois des initiatives nouvelles et une certaine continuité dans l’effort. Il est incontestable que les incertitudes de ces derniers mois, aussi bien sur l’évolution des exonérations de charges sociales que sur le statut fiscal de la construction de logements nouveaux, ont perturbé les évolutions des économies locales. Et il est d’ailleurs bon, après les débats de notre assemblée sur les exonérations fiscales à la fin de l’année dernière et après les engagements pris à cette tribune par Mme la ministre de l’intérieur et de l’outre-mer quant à l’évolution des exonérations de charges sociales, que la proposition ait évolué pour atteindre un meilleur point d’équilibre, reconnaissant mieux la dispersion des salaires, évitant de concentrer les exonérations de charges de manière trop excessive sur les plus bas salaires et introduisant, après les débats au Sénat, une certaine continuité des dispositifs Girardin au profit de différents types de logement, la concentration de l’effort public sur le seul logement social n’étant pas la meilleure voie.

Certes, il y a des efforts considérables à faire au profit du logement social ; toutefois, un certain nombre de mouvements qui avaient été stimulés ne méritent pas d’être arrêtés aussi vite, et cela a heureusement été compris.

Ce texte comporte un certain nombre d’innovations. Grâce à une meilleure compréhension, au fil du travail parlementaire et du fait de votre analyse, monsieur le secrétaire d’État, de ce qu’ont été les progrès des années précédentes, c’est un texte utile à l’ensemble de l’outre-mer.

Je voudrais cependant vous poser une question et vous soumettre une observation.

Je n’ai pas d’analyse définitive sur l’articulation du calendrier de ce projet de loi avec celui des états généraux. Mais puisque, selon une heureuse proposition du Président de la République après les difficultés majeures de ces derniers mois, est actuellement mené un travail de préparation des états généraux – lesquels permettront, nous l’espérons, de formuler des propositions intéressantes pour l’outre-mer, dont certaines devront probablement venir à leur tour devant le Parlement – la question du calendrier se pose bien.

Tout d’abord, il faudra qu’après les états généraux les mesures qui justifient des dispositions législatives soient rapidement inscrites à l’ordre du jour parlementaire. Mais la question se pose également du contenu des états généraux comme de celui de leurs conclusions. Nous délibérons aujourd’hui d’un projet de loi de développement économique. Est-ce à dire que le développement économique n’a pas la même importance que les autres sujets dans l’ordre du jour des états généraux ? Tel n’est pas le cas au vu de la liste de huit points annoncée par le Gouvernement : un volet économique important est au contraire prévu.

Dès lors, était-il à ce point urgent d’examiner ce texte ? Il est vrai que sa version initiale est déjà ancienne, puisqu’elle date de 2008. En même temps, il aura été fortement modifié ces dernières semaines, à la suite des événements des derniers mois. Dès lors que le présent projet de loi permettra de répondre, par anticipation, à un certain nombre de demandes que l’on sent venir aux états généraux – et que vous avez intelligemment prises en considération –, cela veut-il dire que les états généraux sont principalement centrés sur les autres points à l’ordre du jour, au risque de provoquer un effet miroir sur un certain nombre de questions institutionnelles, qui ont certes leur importance et doivent être traitées, mais qu’il ne faudrait pas non plus grossir à l’excès ?

Je n’ai pas de réponse absolue. Je comprends l’intérêt, après l’attente de 2007 et 2008, et les événements de 2009, de porter ce texte, mais en même temps la difficulté que je viens de décrire est bien réelle.

De manière plus affirmative, je souhaite vous dire, monsieur le secrétaire d’État, combien je regrette l’amendement du Sénat qui a modifié le titre du projet de loi. Je sais que mon sentiment n’est pas partagé par tous,…

M. Jean-Pierre Brard. Il l’est par beaucoup !

M. Hervé Mariton. …mais cet amendement nous conduit à une certaine curiosité grammaticale, puisqu’il est désormais question « des outre-mer », sans « s ».

M. Jean-Pierre Brard. Les analphabètes !

M. Hervé Mariton. Je serai moins vigoureux que vous, cher collègue.

J’ai lu les débats du Sénat. Notre collègue sénateur à l’origine de cet amendement et de cette orthographe explique que cette dernière se justifie par l’acception « générique » du terme d’outre-mer. Or, si c’est une acception générique, c’est donc bien de l’outre-mer que nous parlons et pas nécessairement des « outre-mer ».

Autrement dit, on a le sentiment que la terminologie qui nous est proposée, sans « s », est une espèce de compromis entre l’approche de l’outre-mer à laquelle nous étions habitués et l’évocation des « outre-mer » qui constitue, en particulier, la charpente de l’analyse de notre collègue Lurel depuis des années.

Certes, les différentes collectivités d’outre-mer présentent des situations extrêmement contrastées, mais je crois que la terminologie au singulier ne nie en rien ces spécificités, que la loi reconnaît d’ailleurs intelligemment, comme le rapporteur le souligne dans son rapport.

Monsieur le secrétaire d’État, la politique que vous menez doit justement trouver une articulation entre le général et le particulier. C’est d’ailleurs, au-delà de l’outre-mer, une question fondamentale dans notre République aujourd’hui : arriver à affirmer le général en reconnaissant la spécificité des situations et leurs différences, sans s’enfermer dans des analyses spécifiques qui nieraient le général.

Je trouve que le choix de ce pluriel sans « s », de cette curiosité grammaticale, dénote un certain malaise, et qu’il est dommageable en ceci qu’il affaiblit la recherche d’une démarche et d’une cohérence d’ensemble.

M. Éric Jalton. Et le fond ?

M. Hervé Mariton. Si nous avons besoin d’une politique qui reconnaisse chaque spécificité et ne les nie pas – il y a des statuts différents, des réalités physiques, économiques, sociologiques différentes –, en même temps, s’agissant de la relation de l’outre-mer à l’ensemble de la nation, la terminologie générique n’est ni affaiblissante, ni contraignante, ni uniformisante, tout en permettant de poser la question dans sa globalité.

Certains enjeux dépassent chacune des collectivités prises une à une. Monsieur le secrétaire d’État, vous soulignez volontiers la dimension maritime de votre engagement ; on voit bien là l’importance d’assumer cette dimension d’ensemble.

Le Parlement s’honore de voter des lois dont le titre, au moins, ait une certaine correction orthographique.

M. Éric Jalton. Vous aurez passé presque dix minutes là-dessus !

M. Hervé Mariton. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. » – les mots dans leur définition mais aussi dans leur orthographe. C’est une question d’apparence formelle. Je pense, chers collègues, que, pour l’avenir de l’outre-mer, et afin d’éviter un certain nombre d’ambiguïtés que nous avons entendues cet après-midi, cette différence n’est pas mineure.

En tout cas, ce texte pour le développement économique de l’outre-mer est un bon texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Qu’est-ce que ces politiques qui veulent commander à l’Académie française !

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, je me sens quelque peu déstabilisée par ce débat qui est effectivement digne de l’Académie française, et j’ai failli appeler Maurice Druon à mon secours. (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, votre projet de loi s’inscrit dans une logique, une tradition, une culture même, dont la source remonte à 1952, lorsque, pour résoudre la quadrature du cercle que constituait l’objectif d’égalité sociale inscrit dans la loi du 19 mars 1946, le gouvernement Pinay a estimé qu’il était astucieux, pour compenser l’insuffisant engagement de l’État, du fait de la nécessaire diversification économique mais surtout des restrictions budgétaires programmées, de renoncer à des recettes fiscales à venir. Il répondait du même coup aux revendications de ceux qui détenaient l’appareil productif, maîtrisaient le crédit, c’est-à-dire l’indépendance individuelle, et contrôlaient le négoce d’importation, donc l’indépendance collective.

Depuis, en fait, de la loi Pons à la loi Girardin, en passant par la loi Perben, le tropisme est demeuré : on considère toujours les outre-mer comme des terres où rien ne peut éclore, sauf si elles sont arrosées par une complaisance fiscale, elle-même surtout propice à ceux qui savent s’aventurer dans les méandres administratifs. Dans cette série de textes de même nature, la loi Paul de décembre 2000, quoique centrée, elle aussi, sur des exonérations et des dérogations sociales et fiscales, se distinguait sur plusieurs points : elle transformait un système d’aubaine fiscale en dispositif de financement des petites entreprises, mais, surtout, elle contenait un volet de lutte contre les exclusions et quelques dispositifs réfléchis et travaillés en faveur de la jeunesse, et prévoyait un transfert – inachevé – de compétences économiques cruciales telles que l’attribution de titres miniers en mer.

Dans votre texte, il y a, comme dans les précédents, des invariants : les outre-mer,…

M. Hervé Mariton. Avec ou sans « s », madame Taubira ?

Mme Christiane Taubira. …avec ou sans « s »,…

M. Hervé Mariton. Il faut choisir ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Plutôt avec un « s » !

Mme Christiane Taubira. …et avec ou sans trait d’union, sont réduits à quelques filières méritoires qu’il faut soulager à l’aide de béquilles à cause de ce que Michel Rocard appelait « le gang des importateurs ». Votre projet est également soumis à des inconstances : la loi Girardin avait été annoncée pour quinze ans, elle n’en aura duré que cinq. De plus, obstinément maintenu dans le calendrier parlementaire malgré un calendrier social et politique divergent, il est déjà menacé par les correctifs qui surgiront des états généraux.

En attendant, les trois articles nouveaux concernant le pouvoir d’achat et les accords interprofessionnels, qui n’ont qu’une portée facultative, vont servir de cataplasme et faire diversion. Quant à la zone franche d’activités, tonitruée par le Président de la République au temps où il était candidat, elle est réduite, quoi que vous en disiez, à la portion congrue puisqu’il ne s’agit pas d’une zone franche globale en termes d’activités.

Certes, vous consolidez la LBU pour trois ans, sans traiter cependant des difficultés d’accès au logement et de l’aménagement foncier ni, par conséquent, de leurs effets inflationnistes. En insérant dans le logement social le financement par la défiscalisation, vous révélez à quel point l’État, qui a renoncé au financement bancaire de l’économie ultramarine, s’apprête à faire de même pour le financement budgétaire, donc solidaire, du logement social. Alors que celui-ci répond au besoin des familles à revenu modeste et qu’il constitue un bien et un service extrêmement déterminant pour la cohésion sociale, et plus encore décisif pour la justice sociale. Je rappelle qu’au début la défiscalisation devait servir, entre autres, à accompagner et à renforcer le financement bancaire : elle l’a pratiquement remplacé.

S’agissant de la continuité territoriale, au nom des observations formulées par la Cour des comptes, vous prévoyez, monsieur le secrétaire d’État, d’y introduire des conditions de ressources. Jusque-là, rien de choquant, sauf si vous en prenez prétexte pour exclure du dispositif la classe moyenne, celle qui compose la majorité des foyers fiscaux, celle qui cotise sur tout et pour tout, celle qui subit en première ligne la pression sur les équipements publics et qui compense les carences des services publics. Mais comment pourrez-vous faire autrement avec une dotation de continuité territoriale de 50 millions d’euros seulement, destinée essentiellement au secteur aérien, alors que les territoires concernés sont disséminés sur trois océans et comptent au total plus de 2,5 millions d’habitants ? Pour mémoire, je rappelle que 183 millions d’euros, dont plus de 80 millions pour le secteur aérien, sont réservés à un territoire insulaire moins peuplé et plus proche de l’Hexagone – ce qui constitue d’ailleurs un ratio par habitant beaucoup plus réaliste. Certes, je note que vous faites droit à la demande des collectivités – qu’à l’époque j’avais traduite en proposition de loi – d’autoriser la dotation de continuité territoriale à financer la circulation sur le territoire. Mais si l’équation est à somme nulle, ce sont les citoyens qui seront pénalisés et, bien entendu, ce sont ces conditions de ressources qui en constitueront la cause et l’explication.

Concernant les dispositions diverses du projet de loi, elles prévoient des modifications substantielles du code minier. La lutte contre l’orpaillage clandestin est une nécessité, une obligation et une urgence. En effet, cette activité nous appauvrit collectivement, tant sur le plan de la ressource minière que sur celui du patrimoine forestier. Elle compromet la santé publique, met en péril les communautés villageoises et aggrave l’insécurité.

Or vos réponses sont essentiellement répressives : vous durcissez les procédures et les peines judiciaires en les parsemant – c’est une fâcheuse habitude – de quelques exceptions, tel le point de départ de la garde à vue. Mais, surtout, les interventions de terrain restent épisodiques : l’opération Harpie n° 1 a eu d’incontestables résultats, elle a porté des coups sévères à cette activité clandestine et dévastatrice, mais les garimperos ont pu prendre leur mal en patience parce que leur filière économique est organisée, avec ses financiers et ses réseaux d’approvisionnement, avec sa base logistique, ostensiblement installée sur la rive brésilienne de l’Oyapock, dans le parc naturel de Tumucumaque. Sans que ce soit de votre fait, vous n’avez aucune influence sur les paramètres principaux qui déterminent l’accélération ou le ralentissement de cette activité économique, notamment le cours international de l’or. De même, vous ne maîtrisez pas les circuits d’achat, qui passent principalement par les comptoirs brésiliens qui achètent de l’or guyanais surfixé, c’est-à-dire au-dessus du cours international. Par conséquent, vos réponses répressives ont deux limites : la première, c’est l’effectif de gendarmes que vous pouvez affecter de façon permanente à la chasse aux garimperos ; la seconde, c’est la capacité de cette filière économique à suspendre son activité pendant un certain temps.

C’est donc par la voie diplomatique et par un dispositif économique alternatif que l’on pourrait combattre cette activité interlope qui a appris à s’accommoder des coups que vous lui portez, à savoir la destruction des matériels et les saisies d’or. Or force est de constater aujourd’hui que les orpailleurs clandestins ont pris possession du territoire, qu’ils y circulent à l’aise, qu’ils pillent et détruisent en incorporant le coût de l’arrêt forcé de leur activité. Force est également de constater – y compris pour moi-même qui, pendant longtemps, ai proclamé mon hostilité à l’activité aurifère en Guyane, y compris légale – qu’aujourd’hui le nombre d’opérateurs guyanais, artisans et PME, inclus ceux qui ont fait des efforts de réhabilitation des sites et ont investi dans les technologies propres, a fortement diminué : ils étaient une centaine en 1998, ils ne sont plus qu’une dizaine en 2008, dont six en activité. Dans le même temps, le nombre des garimperos, qui se comptaient déjà par milliers, n’a cessé de croître. Il faut donc envisager une activité économique aurifère qui soit respectueuse de l’environnement, de la santé et des modes de vie. Sinon, c’est se résigner à assister, délibérément impuissant, à l’appauvrissement collectif et au dépouillement des générations futures. Lorsque vous placez votre schéma minier au-dessus de toutes les normes d’aménagement et d’urbanisme, vous ne faites que recentraliser sournoisement. On continue pourtant à nous dire que les outre-mer coûtent cher, et chaque euro provenant de l’État est signalé tant de fois qu’il se multiplie tout seul ; alors que rien ne nous est dit de ce que l’État retire des saisies d’or en Guyane, de nos atouts naturels préservés grâce à nos modes de vie et, pour sa diplomatie, de la qualité de nos relations de voisinage  : tout cela relève d’une comptabilité invisible.

Faute de chiffres, je vais m’arrêter sur quelques faits.

Ces outre-mer, que l’on résume très volontiers au chômage, à l’insécurité, à l’échec scolaire, à la crise du logement, à l’alcoolisme, aux drogues, aux épidémies, au non-développement, ce sont d’abord essentiellement une extraordinaire diversité sociologique et culturelle, une profonde disparité institutionnelle, des économies fort dissemblables et une très grande variété de revendications et de projets ; ce sont surtout nos lieux de vie et de naissance, d’enthousiasme et d’adversité, de mort et de mémoire, et non juste des appendices, des confettis, de l’autre côté des mers, comme propulsés sur la mauvaise rive de l’océan. La Guyane, aussi vaste que le Portugal, trois fois plus que la Belgique, dix fois plus que Chypre ; l’île de Mayotte, dans le canal du Mozambique, un des plus grands lagons du monde ; la Réunion, si proche de l’Afrique du Sud, Saint-Pierre-et-Miquelon, voisine du Canada ; la Martinique et la Guadeloupe, sur la route des hydrocarbures ; et ce Pacifique, immensité de terres et d’eau, entre Los Angeles et Tokyo, plus vaste que l’Union européenne, vers où glisse, en ce XXIème siècle, le centre nerveux du monde.

Dans ces territoires s’inventent des harmonies culturelles inattendues et des oecuménismes inédits. Mais, souvent, la France ne sait voir que contingences de l’histoire là où il y a déploiement au monde… Ces territoires la propulsent du quarantième au troisième rang des puissances maritimes mondiales, lui procurent 90 % de son patrimoine écologique – forêt amazonienne, barrières de corail –, ce qui assoit son autorité dans les négociations internationales. Ils ont également contribué de façon significative à l’élaboration de sa puissance spatiale et nucléaire. Ils lui fournissent ses dernières activités minières – or, pétrole, nickel. Ils sont au cœur du programme maritime Extraplac, notamment la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. Ils lui assurent une notoriété et une sympathie dans ces bassins régionaux, où nous avons développé des relations fraternelles avec nos voisins.

Mais, mieux encore que tout cela, ils offrent à la France l’expérience, grandeur nature, de la mondialisation : dialogue des cultures, école de l’altérité, apprentissage permanent de la coexistence pacifique, inventivité économique, expérience de l’universalité plutôt que de la tyrannie de l’universalisme ; telles sont les expériences au quotidien où se construit cette communauté de destins, malgré les différences et par-delà les distances.

Dès lors, il peut venir des outre-mer ce que Julio Cortázar appelait « ce vent neuf qui, malgré les matraques et les mensonges, fraie son chemin dans l’air fatigué de la vieille Europe ». (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria.

M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je dois vous dire que la Réunion est frappée en ce moment par de fortes pluies. Aux Réunionnais, mes compatriotes, j’adresse ma sympathie, aux habitants des communes de la Petite-Île et de Saint-Joseph, ma compassion, à notre collègue Patrick Lebreton, député-maire de Saint-Joseph, ici présent, ma solidarité. Monsieur le secrétaire d’État, devant les nombreuses inondations qui ont touché maisons et commerces, devant la détresse des familles – plus de trente-cinq personnes sont hébergées dans les centres ouverts par la mairie de Saint-Joseph –, je vous demande de mettre en œuvre des mesures d’urgence pour ces deux communes les plus atteintes. Je compte sur vous et je vous en remercie par avance.

L’examen de ce projet de loi pour le développement économique des outre-mer nous donne, une fois de plus, l’occasion de porter un regard pertinent sur la situation de nos régions ultramarines.

Ce texte traduit aujourd’hui les engagements pris par le Président de la République en 2007, mais la situation, elle, n’est plus la même. Notre devoir de parlementaires est de nous adapter et d’apporter des solutions aux attentes de nos concitoyens. La crise sociale que traversent les départements d’outre-mer montre bien le mal-être de nos populations les plus fragiles ; et, face à une crise sociale, nous devons apporter des réponses sociales. Si ce projet apporte une partie des réponses, nous attendons beaucoup des états généraux de l’outre-mer. Parallèlement, la crise économique et financière mondiale que nous subissons nous montre bien la fragilité et l’interdépendance des économies.

Mais la crise a ceci de bien qu’elle nous révèle de façon indiscutable nos faiblesses, nos incohérences et nos insuffisances.

La crise nous permet ainsi d'apporter, avec intelligence et dans l’urgence, des solutions nouvelles de rupture.

La crise nous révèle également notre résistance dans la tourmente. La Réunion ne s'est pas effondrée économiquement et socialement. Pourquoi ? Parce qu’existe le courage des hommes et des femmes qui vivent en permanence face aux périls du volcan, des tempêtes tropicales et de l'isolement. Parce qu’existent les réflexes créoles de générosité et de solidarité envers les plus démunis. Parce qu’existe un modèle réunionnais de coexistence d'hommes, de cultures, de croyances et de couleurs différentes dans la République.

La Réunion, département français, est soumise aux lois de la République. La Réunion, île du lointain, est également soumise aux lois de la géographie et de l'histoire. Elle est nichée à 11 000 kilomètres de Paris, dans un autre hémisphère, dans un autre monde, celui du Capricorne. Elle possède d'autres repères sociogéographiques et d'autres proximités socioculturelles : l'Inde, la Chine, l'Afrique, Madagascar, Maurice, les Seychelles, l'Australie, et les terres froides françaises australes dont peu connaissent les noms – Saint-Paul, Crozet, Amsterdam et Kerguelen. Il faut reconnaître et respecter les lois de la géographie : la distance, l'éloignement et l'insularité.

Nous avons une histoire différente de celles des autres espaces de la République, dans sa réalité et dans son ressenti. Dans l'océan Indien, des hommes et des femmes se disent : nous sommes Créoles, nous sommes Français nous sommes Européens.

M. Gaël Yanno, rapporteur. Très bien !

M. René-Paul Victoria. Comme toutes les entreprises humaines, ce modèle niché dans le lointain n'est pas durable et invulnérable ; il doit être protégé, consolidé par des adaptations spécifiques et intelligentes.

Ces adaptations doivent tenir compte de données constantes qui caractérisent La Réunion depuis de nombreuses années : l'exiguïté du marché du travail qui entraîne un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale ; l'éloignement géographique qui induit un coût élevé des transports de biens et de personnes ; l'inflation qui rend impossible le maintien du pouvoir d'achat ; la progression constante des demandes de logements et particulièrement de logements sociaux. L'avenir de notre jeunesse dépend de la résolution de ces problèmes.

Pourtant, au cours des dix dernières années, l'application des mesures législatives adoptées par notre assemblée a permis une amélioration de la situation économique et sociale de nos différentes régions. Avec ce nouveau projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, nous avons la possibilité d'apporter un nouveau souffle, afin d’améliorer la situation actuelle et de favoriser le développement économique et social de nos régions ultramarines, qui pourront ainsi mieux affronter les grands défis de demain.

La création de zones franches d'activités bénéficiant d’exonérations de charges devrait permettre de redynamiser les entreprises et de favoriser la création d'emplois, surtout dans les secteurs prioritaires retenus : le tourisme, l'agro nutrition, l'énergie, l’environnement, les nouvelles technologies et la recherche.

De même, la création d'un Fonds exceptionnel d'investissement outre-mer, destiné à financer des équipements collectifs, pourra aider les collectivités à aménager le territoire. La priorité devrait être donnée à la création de zones d'activités économiques, à la réalisation d’opérations immobilières d'entreprises, à l’aménagement de parkings dans les zones urbaines, à la construction d’espaces de vie pour les seniors et les personnes handicapées, mais également de structures d'accueil pour la petite enfance et les personnes en situation d'exclusion.

D'autres aides sont prévues pour les petits commerces, l'artisanat, l'agriculture, les TPE. Je me suis d'ailleurs associé à mes collègues Gaël Yanno, Didier Robert et Gabrielle Louis-Carabin pour faire adopter en commission un amendement relatif aux entreprises relevant d'un régime micro. Nous défendrons d'autres amendements pour compléter les dispositions prévues.

La question du logement social demeure une grande préoccupation outre-mer, où les demandes sont estimées à plus de 70 000. Les mesures de défiscalisation ciblent en priorité la construction de logements sociaux et intermédiaires et la réhabilitation des logements anciens. De nombreuses familles espèrent que ces nouvelles mesures vont résoudre leurs problèmes. Néanmoins, nous devons rester vigilants, en raison de l'importance des demandes et de la rareté du foncier.

En outre, l'adaptation de l'amendement Scellier à l’outre-mer favorisera la construction de logements intermédiaires. Toutes ces mesures permettront de soutenir l'industrie du bâtiment qui a subi, au cours des derniers mois, une diminution de la commande publique, voire l'annulation de marchés en cours. Malheureusement, de telles décisions ont entraîné des licenciements massifs, et les jeunes sont les plus pénalisés.

De nombreux secteurs d'activités peuvent bénéficier des mesures prévues dans ce projet de loi. Tout en sachant qu’il est impossible de satisfaire tout le monde, je tiens à vous faire part des inquiétudes de certains socioprofessionnels. Les commerçants demandent à être reconnus comme acteurs à part entière des zones franches globales d'activités. Les propriétaires de gîtes, de chambres d'hôtes, de meublés et de résidences hôtelières souhaitent bénéficier de l'aide prévue pour la rénovation des hôtels. Ce secteur lié au tourisme est en pleine expansion et nécessite notre soutien.

La chambre de commerce et d’industrie de La Réunion souhaite qu'une dotation annuelle du FISAC soit affectée à chaque région d’outre-mer et gérée localement par les préfets. Je propose que cette dotation ne soit plus réservée exclusivement aux centres urbains.

La demande d'un gazole professionnel demeure la priorité des transporteurs. Les ambulanciers qui ne bénéficient plus de la défiscalisation de leur outil de travail la revendiquent à juste titre.

Compte tenu des difficultés liées à leurs activités, les agriculteurs réclament plusieurs mesures : une exonération totale de la taxe sur le foncier non bâti ; une aide à l'importation de produits phytosanitaires et engrais ; une hausse du prix de vente de la bagasse, matière première qui permet de produire 40 % de l'énergie à La Réunion – sur ce sujet une unanimité semble se dégager.

La LODEOM nous apporte une première réponse économique. Dans quelques mois se tiendront les états généraux qui devraient élaborer un plan de modernisation de l'outre-mer. Ils nous donneront aussi la possibilité de rassembler nos compétences et d'engager une réflexion afin de construire, avec nos concitoyens, un pacte social et territorial.

Nous connaissons nos faiblesses et nous devons porter un regard lucide sur ce qui nous fait encore défaut : l'éducation et la formation, professionnelle notamment ; l'emploi, particulièrement celui des jeunes de moins de 25 ans ; la continuité territoriale et la mobilité ; le pouvoir d'achat ; les remèdes à la pauvreté, qui touche tous ceux qui vivent de minima sociaux ou de maigres retraites.

Nous devons harmoniser cohésion sociale et développement économique afin d’accueillir dans de bonnes conditions un supplément de population de l'ordre de 300 000 habitants à l'échéance de 2030, tout en protégeant au mieux notre patrimoine naturel limité par les frontières exiguës de l'île.

Notre volonté collective de rechercher des solutions pertinentes pour notre espace de vie plus ancré dans l'environnement régional représente un atout ; elle permettra à des idées nouvelles d’émerger et prendre corps. Nous connaissons le chemin qui reste à parcourir, et nous devons nous mobiliser tous ensemble.

J'aime citer cette phrase qui parle d'elle-même : Après tout, le seul combat qui vaille est celui de l'homme, qui doit se sentir bien là où il vit, avec sa famille, avec ses proches, mais aussi avec son voisinage.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les préoccupations de nos compatriotes sont les nôtres. Nous avons apporté un nouvel élan au développement de nos régions ultramarines. Nous devons continuer à mobiliser nos énergies afin de résorber les difficultés qui demeurent. Le Gouvernement a su, une nouvelle fois, manifester le plus grand intérêt pour le développement de nos régions d'outre-mer, et je ne doute pas de son engagement à l'avenir. C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'État, j’apporte mon soutien à votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Lebreton.

M. Patrick Lebreton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après René-Paul Victoria que je remercie, je tenais à informer notre assemblée sur la catastrophe liée à la traîne du cyclone Jade qui touche le sud de La Réunion depuis la nuit dernière.

Il s'agit d'un nouveau coup dur porté aux territoires ruraux de notre département. Des pluies d'une rare violence se sont abattues sur Saint-Joseph, dont je suis le maire, Petite Île et les Hauts de Saint-Pierre, causant des dégâts considérables : des routes sont détruites, des écoles sont endommagées et donc fermées, des dizaines de commerces et plus d'une centaine de foyers ont été inondés par des torrents de boue, de très nombreuses exploitations agricoles ont été mises à mal. À l’heure où je vous parle, neuf centres d’hébergement accueillent trente-trois sinistrés de Saint-Joseph, Petite-Île et Saint-Philippe.

À mon tour, monsieur le secrétaire d’État, je demande au Gouvernement de tout mettre en œuvre pour nous aider à compenser les conséquences dramatiques que cette catastrophe a déjà entraînées. Je souhaite témoigner ma solidarité à l'ensemble des administrés de ma circonscription touchés par ce coup du destin.

Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes réunis pour procéder à l'examen de votre projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer. Tour à tour baptisé « loi de programme » puis « loi pour l'excellence », ce texte se résume finalement à une simple « loi pour le développement ».

Pendant près de deux ans, ce projet a été programmé, déprogrammé, reprogrammé pour finalement être expédié en moins d'un mois et en une seule lecture, Sénat compris, tout en explorant un nouveau règlement de l'Assemblée auquel les services ne sont pas encore adaptés.

En effet, alors que notre assemblée doit examiner et amender le texte adopté par la commission des finances, saisie au fond, on ne peut que déplorer les circonstances dans lesquelles s'est déroulée cette procédure. Examiné par la commission mercredi, le texte définitif n'a été mis à notre disposition que vendredi dans la soirée. Vous conviendrez que le délai est un peu court pour un texte soumis à la discussion en séance le lundi suivant, après avoir logiquement subi de substantielles modifications.

Cette réforme constitutionnelle, mes chers collègues, ne revalorise pas le rôle du Parlement, ne renforce pas les échanges démocratiques ni le pluralisme pour atteindre l'excellence législative. Je regrette que ce débat ne se déroule pas dans les meilleures conditions.

Je le regrette d'autant plus que je reste persuadé que la situation que connaissent nos territoires depuis maintenant quatre mois commandait que l'examen d'un projet annoncé comme capital se déroule dans la plus grande sérénité, en tenant compte des voix qui s'étaient élevées en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. C'est pour cela que j'avais proposé à mes collègues de demander collectivement un report provisoire de ce projet, afin qu'il intègre la gravité sociale que connaissent nos territoires et qu'il prenne réellement une dimension historique.

Loin de cette belle ambition, nous examinons un texte hautement technique, illisible pour la plus grande majorité – parfois même d'entre nous –, dans l'urgence, et alors que les peintures du nouveau fonctionnement de l'Assemblée ne sont pas encore sèches. La précipitation dans laquelle nous avons dû travailler va altérer la qualité de ce rendez vous qui se voulait historique, malgré les apports et les vertus de ce texte.

Les états généraux de l'outre-mer combleront cette attente, me répondrez-vous. Sur le principe, je peux vous rejoindre puisque mes collègues et moi-même en avions réclamé l'organisation. Mais, pour nous, ces états généraux n'avaient de sens que si leurs fruits étaient immédiatement intégrés à la LODEOM et non repoussés à une possible nouvelle loi.

Il ne faudrait pas, d'ailleurs, que le travail parlementaire de cette semaine se réduise à un renvoi systématique de nos propositions aux prochains états généraux.

Monsieur le secrétaire d’État, je me permets de vous avertir car, si la situation s'est apaisée dans nos territoires, les braises sont encore chaudes, et rien n'est vraiment réglé. Prenez garde de ne pas transformer ce futur rendez-vous en un énième Grenelle de l'outre-mer peinant à se traduire concrètement, et qui n'aurait d’autre effet que d'attiser la rancœur et la révolte de nos populations. Ce serait une mauvaise manière de terminer le cursus législatif de ce projet de loi d'orientation, et une piètre façon de préparer ces états généraux.

Malgré ces réserves, on peut noter que le présent texte, par rapport à sa version d'origine, comporte des avancées notables. À titre personnel, je me satisfais de la reprise de ma proposition visant à intégrer les Hauts de La Réunion au second étage de la défiscalisation. Je suis également heureux que la commission des finances ait choisi de faire bénéficier de la ZFA les petites entreprises soumises au régime de la micro-entreprise – j’ai même déposé un amendement en ce sens, après celui de nos collègues de l’UMP.

Néanmoins, je crois que l’on doit aller plus loin encore. Si l'ensemble des DOM souffrent économiquement et socialement, certaines zones souffrent encore plus. L'élargissement du nombre des secteurs éligibles au second étage de la défiscalisation a réduit mécaniquement l'intérêt à s'installer dans les zones rurales prioritaires. En effet, si les opérateurs de ces secteurs bénéficient des mêmes avantages fiscaux en s'installant dans des zones littorales bien pourvues en infrastructures et totalement désenclavées, ils s'y établiront tout naturellement. Cela me semble particulièrement vrai pour les secteurs d'activité traditionnels des Hauts de La Réunion que sont l'agro-nutrition, l'environnement et le tourisme. Aussi ai-je proposé un véritable bouclier rural, afin de maintenir l'activité économique et, éventuellement, d’attirer de nouveaux opérateurs.

Si la philosophie qui avait présidé à l'instauration du bouclier fiscal consistait à retenir les plus grandes fortunes tentées par l'exil, celle du bouclier rural que j'appelle de mes vœux consiste à retenir, voire à attirer les opérateurs économiques dans des zones rurales et enclavées afin d'y développer l'économie, l'emploi, et de sortir les populations des Hauts de la désespérance sociale. Pour ce faire, je crois qu'il faut augmenter, d'une part, les taux d'abattement pour l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu et, d'autre part, les taux d'exonération pour la taxe sur le foncier bâti et la taxe sur le foncier non bâti.

Il importe également d'orienter le fonds exceptionnel d’investissement et même, à La Réunion, le fonds régional pour le développement et l’emploi vers les territoires ruraux. J’entends déjà des voix qui parlent de la constitution de paradis fiscaux. Je voudrais d'avance répondre que certaines zones de nos îles, loin des images paradisiaques des cartes postales, sont parfois de véritables enfers sociaux, où le chômage et le RMI sont les seules perspectives. Songez que, dans nombre de communes comme la mienne, le chômage atteint plus de 50 % de la population active !

Soutenir un développement endogène, j'y suis absolument favorable, monsieur le secrétaire d’État ; mais ce développement doit être équilibré sur l'ensemble de nos territoires et tenir compte des spécificités des zones rurales. Les amendements que je propose peuvent nous permettre d'y parvenir. Je pense, à cet instant, à un exploitant d'un abattoir de volailles, installé dans les Hauts de La Réunion, qui me disait qu'avec une exonération de 90 % de l’impôt sur les sociétés et de 100 % de la taxe sur le foncier bâti, il envisageait de faire passer ses effectifs de quinze à vingt-deux salariés. Son entreprise, qui fait en outre vivre seize éleveurs de volailles, est un exemple significatif du type d'activité économique que l'on peut développer dans les Hauts de La Réunion. L’agro-nutrition étant, et c’est heureux, devenu un secteur prioritaire sur tout le territoire, il serait regrettable que cet entrepreneur quitte les Hauts pour s’installer là où les infrastructures permettent des conditions d'exploitation plus faciles et plus rentables. C'est pourquoi l'instauration de taux bonifiés, au moins pour certaines zones prioritaires, serait à mon sens un moyen de compenser la faiblesse naturelle et structurelle de territoires comme celui des Hauts de La Réunion.

Monsieur le secrétaire d’État, comme je l’indiquais d’emblée, la situation dans nos territoires est maintenant très critique ; des ajustements au projet de loi peuvent cependant permettre d'y remédier, au moins partiellement, notamment en ce qui concerne les zones rurales. Nos populations ne comprendraient pas que notre assemblée n’enrichisse pas les dispositifs prévus au bénéfice du développement de nos territoires : ne les décevons pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons débattre, selon la procédure d’urgence, d'un projet dont le cheminement n'avait rien d'urgent. La discussion de ce texte élaboré il y a près de deux ans a été sans cesse repoussée, au point que l'on pouvait se demander s'il n'était pas définitivement enterré. Où était donc l'urgence ? Sans doute y a-t-il un rapport avec les longues grèves aux Antilles.

Le problème est que ce texte, qui conserve sa logique d'origine, n'est pas en prise avec cette mobilisation massive que vous avez qualifiée de « triple crise » – économique, sociétale et structurelle – « liée aux dérives ultimes mais encore observables de l'héritage d'une économie de comptoir » ; crise qui, selon le Président de la République, « nous pousse à nous interroger sur le ou les modèles de société que l'on souhaite pour nos territoires » ; crise qui nécessite la tenue d’états généraux pour débattre des grands enjeux des outre-mer, enjeux relevant du champ économique, social, institutionnel et identitaire. Les propositions qui en résulteront devront déboucher sur un vaste plan de modernisation.

Pourquoi donc n'avoir pas attendu pour légiférer que les acteurs concernés élaborent eux-mêmes leur vision d'avenir, leur projet de société, leur stratégie de développement endogène, et définissent les moyens les plus appropriés pour y parvenir ? Mon interrogation est d'autant plus fondée que le projet actuel est en décalage complet avec les profondes transformations socio-économiques, culturelles voire identitaires revendiquées par nos populations. Ces exigences s'expriment dans les plateformes déjà adoptées aux Antilles et à La Réunion, et en cours de discussion en Guyane. Je rappelle que ces problématiques couvrent un vaste champ : pouvoir d'achat, emploi, logement, éducation, santé, transports, et bien d'autres domaines.

En effet, les deux volets principaux de votre texte demeurent les zones franches et le logement social. Dans le contexte d’une crise économique mondiale dont personne ne voit l'issue, et alors que les entrepreneurs procèdent plutôt à des licenciements – comme on le voit dans l’Hexagone – qu'à des investissements, des doutes planent sur l'efficacité du dispositif de défiscalisation. Ces doutes se renforcent avec la modification du dispositif des niches fiscales, laquelle rendra moins attractifs les investissements outre-mer.

Mais plus fondamentalement, en ne proposant d’autres outils de développement que des mécanismes de défiscalisation et d’allégement des charges sociales, consentis sans aucune contrepartie de la part des bénéficiaires, vous reproduisez, monsieur le secrétaire d’État, la logique antérieure, et ce alors même que vous ne cessez d’invoquer la nécessaire rupture avec les politiques du passé. Le Président de la République, M. Sarkozy, n’a-t-il pas lui-même admis que l'accumulation des annonces financières et techniques n'apporterait pas de réponses adéquates ?

Vous élargissez même cette logique aux logements sociaux, sous un montage tellement complexe que son efficacité est plus qu'incertaine. Pourtant, non seulement ces mécanismes ont des effets pervers connus, mais 40 % des dépenses consenties en leur faveur restent sans effets positifs pour les économies locales. Malheureusement, c'est la seule option que vous offrez. Pourtant, depuis vingt ans, toutes les lois pour l’outre-mer ont reproduit les mêmes recettes, sans que le développement économique de nos territoires en soit assuré.

Le développement économique, ambition majeure du projet de loi, n'a aucun sens pour moi si la finalité n'est pas le bien-être des populations. Or toutes les statistiques montrent le recul du niveau de vie et l'amplification des inégalités sociales, économiques et territoriales en Guyane. L'indice de développement humain nous place ainsi au 43e rang mondial. Comme vous le savez, la Guyane verra le nombre de ses habitants doubler d’ici à 2030. C'est un atout d'autant plus précieux que 43 % d’entre eux ont aujourd'hui moins de vingt ans. En 2030, ces jeunes représenteront 40 % de la population. Encore faut-il que notre capital humain bénéficie d'une éducation adaptée, fondement de tout progrès. Il y a urgence : 3 500 enfants ne sont pas scolarisés, seuls 11 % des élèves de CM2 ont des acquis sûrs, 20 % sortent du système sans aucune qualification et la proportion de bacheliers par génération ne dépasse pas 37 %. Quant au taux de chômage de nos jeunes, il est de 32 %. Hier, dans Le Journal du dimanche, le haut-commissaire à la jeunesse, M. Martin Hirsch, a lancé un cri d’alarme au sujet de la jeunesse de l’Hexagone ; pour ma part, c’est un cri de rage que je vous pousse, monsieur le secrétaire d’État, au sujet de la jeunesse guyanaise.

Notre richesse humaine, de surcroît, est privée de son droit fondamental à accéder à des soins de qualité, en raison des insuffisances criantes en équipements et en personnels médicaux et paramédicaux. Or nous attendons toujours le plan santé pour l’outre-mer annoncé par Mme la ministre Roselyne Bachelot. Notre richesse humaine est également privée de son droit au logement, puisque la loi DALO n’est pas applicable sur notre territoire.

S'agissant de notre capital naturel, l’exceptionnelle biodiversité de la forêt amazonienne est un apport majeur des outre-mer à la France, et les projets ne manquent pas. Nous travaillons à la création d’un Centre européen de la biodiversité comme alternative au projet aurifère sur le Camp Caïman. Les instituts de recherche ont engagé des travaux sur la problématique de la valorisation des bio-ressources. Ce secteur, comme le tourisme et le spatial, a été identifié comme un secteur-clé à promouvoir par le schéma régional de développement économique de la Guyane.

Mais comment imaginer un aboutissement optimal de ces projets si le fléau de l'orpaillage illégal se poursuit ? Certes, l'article 29 du texte renforce les dispositions du code pénal afin de lutter contre les orpailleurs clandestins. Mais pour que ces mesures donnent des résultats, encore faut-il que les moyens matériels et humains soient mis à la disposition des forces de sécurité, de façon qu’elles puissent remplir efficacement leur mission ; encore faut-il que des solutions soient apportées aux nombreux dysfonctionnements de l'institution judiciaire en Guyane, liés à l'insuffisance grave des moyens humains, matériels et financiers – je sais d’ailleurs que vous avez rencontré, lors de votre bref séjour en Guyane, des personnels de la justice

C'est dire, monsieur le secrétaire d’État, que le développement tel que je l'entend implique une stratégie globale de valorisation des ressources humaines et matérielles propres à un territoire, dans la perspective d'un modèle de société défini par la population concernée. Deux conséquences, au moins, en découlent.

En premier lieu, le développement endogène, qui est mon choix et auquel vous dites adhérer, devra nécessairement s'appuyer sur le renforcement des pouvoirs locaux de décision, en prise avec les aspirations locales. Cette logique n'est hélas pas celle de l'article 29 bis, relatif au schéma minier.

Deuxièmement, et ce sera ma conclusion, sans un engagement fort de l'État dans les domaines qui sont par excellence de sa compétence – éducation, santé, lutte contre l'orpaillage ou logement –, il ne peut y avoir de développement. Les mesures de défiscalisation et d’exonération ne peuvent en aucune façon y concourir seules. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement devra, à l’occasion des états généraux, respecter cette obligation républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sandras.

M. Bruno Sandras. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conformément aux engagements du Président de la République, le projet de loi qui nous est présenté vise à donner un nouvel élan à l’outre-mer, à valoriser les atouts de chacun de ses territoires et à leur permettre de mieux affronter les grands défis de notre époque.

En tant que député de la Polynésie française, je ne peux que me féliciter de ces orientations, à l’heure où la crise économique internationale frappe d’autant plus durement notre population qu’elle accentue ces handicaps structurels que sont l’éloignement et la dispersion géographique de nos îles.

Notre économie insulaire, construite essentiellement autour du tourisme, est touchée de plein fouet. Les derniers chiffres sont clairs, sans appel : 30 % de touristes en moins au premier trimestre – après une baisse qui atteignait déjà 15 % en 2008 –, 66 % de croisiéristes en moins. Pour le seul mois de février, on compte 10 000 touristes de moins que l’année dernière. L’emploi est en chute libre : 3 000 emplois salariés de moins en 2008, alors même qu’il faudrait créer chaque année 2 800 emplois pour absorber l’arrivée des jeunes sur le marché du travail.

Il n’y a pas d’allocation chômage ni de RMI en Polynésie française. En cas de crise économique et de licenciements, les familles n’ont pas d’amortisseur. Elles n’ont rien : aucune rentrée d’argent à la fin du mois.

Les répercussions de cette crise économique et financière sont également immédiates en matière de protection sociale : l’équilibre des régimes, déjà fragile, est à présent fortement menacé.

Oui, 2009 est bien l’année de tous les dangers : année de crise économique et financière, elle risque de se transformer très rapidement, comme on l’a vu en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en année de crise sociale. Pour le pays, elle pourrait très bien déboucher sur une crise budgétaire majeure.

En effet, selon les projections, la diminution des rentrées fiscales en 2009 devrait logiquement conduire la Polynésie française à une importante contraction de ses moyens financiers, alors que la situation exige, à l’inverse, un soutien colossal de la puissance publique envers les acteurs économiques.

Mais, me direz-vous, la Polynésie française est dotée d’un statut d’autonomie interne, dans lequel il est inscrit que cette collectivité de la République se gouverne librement et démocratiquement, dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues. Cela implique en effet qu’elle doit surmonter, par les moyens dont elle dispose, la plupart des difficultés économiques qui peuvent se présenter. Mais soyons réalistes : face à une crise internationale de l’ampleur de celle que nous connaissons, la faiblesse constatée de nos ressources propres – nos ressources endogènes, pour reprendre le terme adéquat – nous rend totalement démunis.

En d’autres termes et en toute objectivité, sans une solidarité nationale accrue, la Polynésie française est – ou sera très rapidement – dans l’incapacité de fournir à sa population les standards minimaux de la nation en termes d’accès aux soins, au logement et aux produits de première nécessité, à commencer par les produits alimentaires. Notez que je n’évoque même pas ici notre retard considérable dans le développement de services publics aussi essentiels que l’eau, l’assainissement, les déchets, les transports en commun.

Je sais que, ces dernières années, l’image de la Polynésie a été ternie aux yeux de l’État, de ceux qui dirigent la France, de vous-mêmes, chers collègues. Le comportement de certains hommes politiques polynésiens a pu choquer. L’instabilité que connaît la Polynésie depuis 2004 a pu lasser. Mais il serait faux de croire que les Polynésiens, les responsables politiques, les partenaires économiques et sociaux, les pouvoirs publics, n’ont pas pris la mesure des choses.

Nous agissons, avec tous les moyens dont nous disposons, pour mettre en place des mesures permettant de contrecarrer, d’atténuer autant que faire se peut, le choc sans précédent que nous subissons : les dispositions locales d’aides à l’investissement privé ont été renforcées, des actions de soutien aux entreprises et à l’emploi sont mises en œuvre, la commande publique est renforcée, des actions sont conduites pour accompagner les secteurs les plus exposés, comme le tourisme, la perliculture, la pêche. Ce sont des efforts importants, coûteux pour notre collectivité, dont les ressources se tarissent pourtant sous l’effet de la récession. Mais ces efforts de redéploiement et ces emprunts supplémentaires ne seront pas suffisants. Nous n’y arriverons pas seuls. Ne croyez pas que je sois résigné quand je fais ce constat. Je suis simplement lucide.

À titre d’exemple, la chute de la fréquentation touristique représente à elle seule un manque à gagner de près de 20 milliards de francs – soit 170 millions d’euros – en année pleine. En comparaison, le gouvernement de la Polynésie n’a réussi à mobiliser, pour son plan de relance, que 7 milliards de francs supplémentaires – à peine 60 millions d’euros –, à travers l’adoption d’un collectif budgétaire.

À cet égard, je dois avouer ma crainte que la situation budgétaire de la Polynésie française ne se traduise en fin d’année par un déficit d’exécution qui, vous le savez, est beaucoup plus problématique pour une collectivité territoriale que pour l’État : cette option n’est en effet ni admise ni viable financièrement.

Nous n’y arriverons pas seuls, c’est une certitude. Pourtant, à la lecture du projet de loi de développement économique de l’outre-mer, devant toutes les mesures proposées aux départements, malgré l’objectif affiché d’un nouvel élan et de la prise en compte des spécificités des économies insulaires, je sens la Polynésie un peu esseulée.

En raison de notre statut d’autonomie, nous sommes en effet exclus des dispositifs de soutien au pouvoir d’achat ou aux entreprises et des mesures en faveur des jeunes chercheurs d’emploi que justifie la gravité exceptionnelle de la situation outre-mer, dans un contexte de crise économique internationale majeure.

Or, si le caractère exceptionnel de la situation est indubitable dans tout l’outre-mer, vous conviendrez avec moi que, en définitive, cela n’a pas de sens d’exclure de ces dispositifs une partie de nos collectivités ultramarines, dont la Polynésie, pour des motifs statutaires. À tout le moins, c’est un sujet de fond qu’il conviendra d’aborder sérieusement à l’occasion des états généraux.

Venons-en à présent aux dispositions intéressant la Polynésie française.

La continuité territoriale est une mesure essentielle, dont la motivation est profondément ancrée dans nos valeurs républicaines. J’y souscris pleinement et adresse, au nom des familles polynésiennes concernées, tous mes remerciements au Gouvernement pour son engagement en la matière.

Je tiens néanmoins à préciser qu’il s’agit de la reprise d’un dispositif existant et dont la portée est d’ailleurs toute relative : 4 à 5 millions d’euros consacrés à la Polynésie pour la continuité territoriale, comparés aux 170 millions d’euros pour la Corse, pour une population équivalente et, de surcroît, beaucoup plus proche.

Les orientations fortes proposées par le Gouvernement en matière de relance de la politique du logement et l’élargissement du champ des secteurs éligibles à la défiscalisation sont à la hauteur des enjeux. Mais force est de constater que la loi de finances de 2008 en limite singulièrement la portée. En outre, en matière de conditions d’accès à des financements permettant de développer le logement social, on se rend compte que la Polynésie est la seule collectivité française à ne pas pouvoir obtenir de prêts de la Caisse des dépôts et consignations. Cette situation, qui pénalise les plus démunis des ménages pouvant prétendre à un logement social, me conduit d’ailleurs à déposer un amendement pour y remédier : j’espère qu’il sera accepté.

Enfin, le Gouvernement a entrepris de mettre rapidement en œuvre le fonds exceptionnel d’investissement, destiné à financer des opérations qui participent de façon déterminante au développement économique, social et environnemental local. J’adhère complètement à cette démarche, essentielle pour notre avenir et qui comporte, pour cette année, 13,5 millions d’euros sur un total de 115 millions, ce qui est loin d’être négligeable.

Comme vous, monsieur le secrétaire d’État, je pense que les outre-mer sont une richesse, une chance pour la France d’aujourd’hui et pour la France de demain. Je veux donc croire que, pour la Polynésie française au moins, ce projet de loi ne constitue que la première pierre d’un processus en ordre de marche, qui, à court terme, permettra d’atténuer les conséquences de la crise économique et financière internationale sur nos économies insulaires, aussi fragiles qu’exposées, et qui, à long terme, permettra de répondre à cette ambition que vous avez pour nos collectivités ultramarines et que je partage sans aucune réserve.

Pour cette ambition commune, pour ces valeurs que nous partageons et que ce texte porte à bien des égards, mais également parce qu’il apporte de vraies réponses à nos compatriotes des départements d’outre-mer dont je me sens solidaire, je vous apporte donc, monsieur le secrétaire d’État, mon soutien et mon vote. La population polynésienne a entendu les paroles du chef de l’État. Elle attend énormément des états généraux, ainsi que des mesures qui seront prises dès lors qu’un bilan objectif et partagé aura pu être réalisé.

Je souhaiterais à cet égard obtenir un peu plus d’informations sur le calendrier et les modalités préparatoires de ces états généraux. En effet, dans le cas de la Polynésie, aucune discussion n’a, à ma connaissance, été entamée à ce jour. Le temps presse, pourtant. La gravité et l’urgence de la situation nous invitent à élaborer ensemble, et rapidement, les réponses aux enjeux immédiats qui tiennent à la réalité économique et sociale dans nos collectivités d’outre-mer en général et en Polynésie française en particulier.

Ces enjeux sont clairs.

Il s’agit de la préservation de nos entreprises et de notre tissu économique, qui risque de s’effilocher avec les fermetures d’hôtels – déjà le Club Med de Bora Bora a annoncé sa fermeture définitive –, avec les faillites d’entreprises et de prestataires.

Il s’agit de la préservation d’une cohésion sociale très concrètement menacée par la montée du chômage – dont je rappelle qu’il n’est pas indemnisé en Polynésie française, où il n’y a pas non plus de RMI –, par le renforcement de la précarité et par des régimes de protection sociale fortement mis à mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Albert Likuvalu. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aurai, pour commencer, une pensée pour notre collègue Alfred Almont, empêché par des problèmes de santé qui, je l’espère, seront passagers, et pour les députés de La Réunion, qui doivent affronter les dégâts causés par un cyclone.

Nous voilà arrivés à l’examen tant de fois annoncé depuis 2007 du projet de loi de développement économique des outre-mer pour les quinze prochaines années, qui doit se substituer à la loi Girardin votée en 2003.

La crise sociale qui frappe encore les départements d’outre-mer, et singulièrement la Guadeloupe, donne une dimension particulière à l’examen de ce projet de loi de développement des outre-mer – sans s, n’en déplaise à notre collègue Mariton.

À la lecture du document que nous examinons aujourd’hui, je crains que l’exercice ne soit compliqué par la dimension de la crise sociale et sociétale que connaissent nos régions, par la pluralité des problématiques qu’elle entraîne et des attentes qu’elle éveille, et par le caractère forcément limité de l’enveloppe financière consacrée au projet de loi. Ce texte concerne en effet essentiellement le domaine économique, alors que la crise dépasse largement ce cadre, comme vous avez pu vous en rendre compte, monsieur le secrétaire d’État, lors de vos récents déplacements, notamment en Guadeloupe.

Vous y avez d’ailleurs déclaré que, ce que veut l’outre-mer, c’est davantage d’État. Ayant appris à vous connaître, j’ose penser que vous ne l’entendez pas comme une forme de mendicité, d’insatiabilité ou d’assujettissement des peuples d’outre-mer, mais davantage comme une quête de solidarité, d’équité et d’efficacité dans les politiques publiques qu’engage l’État. En tout cas, je préfère interpréter ainsi votre déclaration.

Là où nous avons besoin de plus d’État, c’est notamment pour lutter contre l’injustice sociale, l’iniquité territoriale et les discriminations de toute sorte dont souffrent encore nos territoires et leurs ressortissants, même quand ils migrent en métropole. À cet égard, il faudrait que l’État nous aide à mettre fin une bonne fois pour toutes aux abus de position dominante dans le secteur privé comme dans le secteur public, ainsi qu’à toutes les formes d’injustice et d’abomination qui y subsistent et qui sont d’ailleurs à l’origine de conflits dans nombre d’entreprises et d’administrations. Je réclame donc une intervention du Gouvernement pour débloquer certaines situations de grève qui persistent et qui sont préjudiciables à la vie en Guadeloupe : à la CCI, à l’IEDOM, à la Maison de l’enfance, à La Poste. Ces grèves sont une des nombreuses manifestations d’une crise qui, en Guadeloupe notamment, interpelle toutes les composantes de nos sociétés. L’État ne peut se défausser en se contentant d’un projet de loi dont la portée est forcément limitée dans les moyens et dans les domaines concernés.

Je devine que vous m’opposerez l’argument de la tenue des états généraux. Permettez-moi d’anticiper à ce propos : j’ai pris acte de l’engagement du Président de la République à venir lui-même inaugurer les états généraux de la France en Guadeloupe. S’il s’agit d’une consultation, d’une concertation sur diverses problématiques, pouvant donner lieu à des modifications législatives, réglementaires ou administratives qui complèteraient les dispositifs existants tels que la LODEOM, insuffisants pour la plupart, alors nous sommes prêts à apporter notre contribution. Si, au contraire, il s’agit de prétendre nous apprendre à dialoguer dans l’entreprise ou dans les collectivités territoriales, à mettre en œuvre des politiques publiques qui relèvent d’ores et déjà de notre compétence locale ou, tout simplement, à mieux organiser notre « vivre ensemble » en Guadeloupe, alors vous allez vous fourvoyer et l’échec sera certain. En tout état de cause, dans ces conditions, je ne participerai pas à cette entreprise.

À mon sens, c’est aux élus, aux forces vives locales – syndicales, associatives, culturelles, cultuelles même, et j’en passe – de mettre en branle les instances démocratiques nous permettant de réfléchir à l’élaboration d’un projet social, économique et culturel. L’État sera forcément interpellé sur la mise en œuvre de ce projet, notamment par le biais d’une consultation populaire, afin de procéder aux modifications institutionnelles ou statutaires qui permettront de mieux partager le pouvoir entre l’État, l’Europe et les autorités locales. C’est ainsi que nous pourrons redéfinir des rapports plus responsables et efficaces avec nos voisins caribéens et américains pour, in fine, être mieux ensemble, plus respectueux les uns des autres, dignes face à notre histoire, à nos savoirs et à nos capacités, plus solidaires et fraternels au service du progrès de nos peuples respectifs.

En ce début de semaine pascale, monsieur le secrétaire d’État, j’attends avec impatience, comme un espoir de résurrection pour les îles méridionales de l’archipel guadeloupéen, de connaître les suites données au rapport de mission que vous m’avez confié le 23 mars 2009 à Marie-Galante, face à une population qui, toutes composantes confondues, criait sa détresse et sa soif d’équité et de justice territoriale, compte tenu de la double – voire triple – insularité et de ses conséquences, autrement plus graves dans ces îles que dans le reste de l’archipel, déjà durement frappé.

C’est cette situation qui a inspiré les cinq premières propositions dudit rapport dont, avant tout, la mise en place d’une « zone franche globale toutes activités », y compris le commerce et les services, avec un abattement à 100 % entraînant l’exonération d’un certain nombre d’impôts, de taxes et de charges patronales dont je vous épargne l’énumération, qui figure dans le rapport.

Deuxième proposition : mettre en place un véritable service public des transports de biens et de personnes, dans le cadre de la création d’un groupement d’intérêt public destiné à favoriser la baisse du prix du transport de marchandises en supprimant les surcoûts appliqués au transport entre les îles guadeloupéennes.

Troisième proposition : modifier la quotité de l’abattement DOM sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques, en le faisant passer de 30 à 60 %.

Quatrième proposition : augmenter la dotation globale de fonctionnement des collectivités communales des îles du sud, afin de lutter contre les effets de la double insularité – voire de la triple insularité à Terre-de-Bas. Enfin, le rapport suggérait de majorer le coefficient géographique servant à la répartition des charges de fonctionnement de l’hôpital public de Sainte-Marie de Grand-Bourg en le faisant passer de 25 à 40 %, pour assurer le maintien de cette unité de soins indispensable à Marie-Galante.

Les assises voulues pas les élus et les acteurs socio-professionnels des îles du sud nous fourniront l’occasion de compléter, le cas échéant, notre rapport de mission au-delà des autres propositions qui y figurent. Il me semble d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous soutenez le principe de ces assises.

En guise de conclusion, je lancerai un cri d’alarme quant à la situation catastrophique de notre jeunesse, en proie à tous les maux, à toutes les difficultés, à tous les bouleversements du monde. Ses brutales manifestations au paroxysme du mouvement social – les jeunes de toutes conditions sociales, formés ou non formés, étaient nombreux sur les barrages – ne sont que les stigmates annonciateurs d’un mal profond, et le ressac qui, si l’on n’y prend garde, précèdera le raz-de-marée de la révolte qui gronde déjà et nous submergera tous, à défaut d’une mobilisation sociétale et du déclenchement de politiques publiques à tous les niveaux de décision.

À cet égard, je rejoins les propositions de Mme Bello et vous invite d’ores et déjà à réfléchir, au-delà des amendements consentis de ci de là, à l’élaboration d’une grande loi, d’un « plan Marshall » – appelez-le comme vous voudrez – pour la jeunesse d’outre-mer. Ce texte serait porté par l’ensemble de la classe politique ultramarine car, sur cet enjeu majeur, un seul parti pris est possible : celui de la jeunesse d’outre-mer – et notamment de Guadeloupe – qu’il faut sauver.

D’ici là, nous attendons vos réponses à notre rapport de mission sur les îles du sud, ainsi que l’adoption de quelques amendements déposés sur le présent projet, que les diverses commissions saisies n’ont pas retoqués mais que le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’évoquer dans cette intervention liminaire.

Au-delà des débordements et des excès constatés, les Guadeloupéens, monsieur le ministre, ont poussé un immense cri pacifique fait de révolte et d’espérance. La Gwadloup sé tan nou ; la Gwadloup sé pa ta you ; yo pé ké fé sa yo vlé adan péyé an nou. Pour ceux qui ne comprennent pas ce cri en créole, pour M. Mariton par exemple, je le traduirai ainsi : la Guadeloupe nous appartient, à nous qui la construisons et qui voulons la construire solidairement. Elle n’appartient pas et ne doit pas appartenir…

Mme Christiane Taubira. Aux profiteurs !

M. Éric Jalton. Exactement – merci madame Taubira : nous sommes d’accord sur ce point comme sur d’autres. La Guadeloupe ne doit pas appartenir aux profiteurs de tous types qui veulent l’exploiter et en abuser de manière égoïste. Ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays. Puissent ici les gouvernements successifs – dont celui auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État – comprendre ce message. Puissent-ils nous aider sincèrement et sérieusement à prendre notre destin en main chaque jour davantage, dans le cadre d’une République respectueuse, équitable et solidaire des peuples d’outre-mer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Didier Robert.

M. Didier Robert. Nous sommes à un moment particulier de l’histoire des départements et des territoires d’outre-mer : un moment où les attentes et les interrogations de nos populations s’expriment dans la rue, dans la douleur et parfois dans la violence ; un moment où, au plan national aussi, les incompréhensions sont de plus en plus marquées.

Plus de soixante ans après la départementalisation, nous atteignons la fin d’une période au cours de laquelle un certain nombre d’avancées institutionnelles, économiques et sociales ont été réalisées. Cela étant, nous sommes aussi arrivés au temps de l’essoufflement d’un système. Nul doute que la dynamique économique existe outre-mer, mais elle ne suffit pas à masquer une réalité sociale difficile dans l’ensemble de nos régions. Chômage, précarité, retard de développement constituent encore bien trop souvent le quotidien de nos populations. À cet égard, je dénonce une fois de plus le regard trompeur – et parfois condescendant – porté sur des îles de farniente et de soleil, sur des territoires qui, de surcroît, coûteraient cher à la France. Cette situation ne correspond pas à ce que nous vivons chaque jour. Elle ne correspond pas à ce que nous sommes.

Nous sommes fiers de notre appartenance à la France, fiers de partager une même communauté de destin, fiers de donner à notre pays – et, j’ose le dire, de lui donner bien plus qu’il ne nous donne parfois. La France, contrairement à d’autres grandes puissances, n’est pas qu’un simple territoire historique, recroquevillé sur lui-même, qui aborde le monde le dos tourné, marqué par la peur d’une mondialisation pourtant inéluctable.

Notre pays est aussi à un tournant de son histoire : être présent et ambitieux pour tout le XXIe siècle ou oublié des grands enjeux. Les outre-mer sont aujourd’hui un formidable trait d’union entre le passé et l’avenir, le lieu d’un choix entre le conservatisme et le progrès, entre la frilosité et le courage. Oser l’outre-mer aujourd’hui, c’est pour notre pays en accepter une vision différente, c’est pour les territoires ultramarins rompre avec un passé parfois douloureux.

À mon sens, la nouvelle loi pour le développement économique des outre-mer s’inscrit délibérément dans cette perspective. Il s’agit là d'une étape essentielle, qui devra rapidement être complétée par un dispositif tout aussi ambitieux de cohésion sociale. C’est un texte attendu, un vrai texte fondateur pour tout l’outre-mer.

Certes, il intervient dans le contexte difficile d’une crise économique sans précédent, dont nous ne mesurons pas encore sûrement toutes les conséquences. Cette crise est vécue avec davantage encore de difficultés dans nos départements et territoires, compte tenu de la fragilité de leurs économies.

Je voudrais vous témoigner mon soutien, monsieur le secrétaire d’État , dans la démarche qui est la vôtre après les fortes turbulences de ces dernières semaines, et saluer ici la qualité de votre écoute et la juste prise en compte de nos réalités.

La gravité de la situation outre-mer et l’ambition commune que nous devons partager font que l’heure n’est plus au diagnostic, au constat ou à un énième état des lieux que nous connaissons tous, mais bien à l’action. Le monde économique et l’ensemble des acteurs du développement ont besoin avant tout d'être rassurés et de disposer une fois pour toutes de la lisibilité suffisante afin de dépasser cette crise et de mieux construire pour demain.

Pour la première fois dans l’histoire de l’outre-mer, notre assemblée aura à se prononcer sur un texte de loi qui scelle les bases d’une véritable stratégie de développement à long terme. Une telle démarche permet d’identifier très clairement les secteurs prioritaires sur lesquels seront concentrés tous les efforts dans les années à venir.

Il s’agit là d’une révolution, ou tout au moins d’une véritable rupture avec une vision dépassée du développement des outre-mer, une vision qui consistait à vouloir tout faire en même temps et, partant, à toujours finir par tout faire de manière approximative et désordonnée, avec un résultat final insuffisant.

Toute l’originalité et toute la force de ce texte repose sur la création, souhaitée par le Président de la République, des zones franches globales d’activités. Cette initiative donnera une perspective et une ambition d’ensemble aux économies d’outre-mer tout en apportant une réponse nécessaire à l’aménagement équilibré de chacun des territoires concernés.

Toutes les micro-économies du monde qui ont réussi le pari du développement économique, ont fait le choix délibéré d’une stratégie reposant sur la dynamique des secteurs clefs. À différentes échelles, l’Irlande s’est concentrée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, Singapour sur les activités de port franc ou encore l’île Maurice sur le tourisme. Pour la première fois, l’architecture générale d’un projet de loi répond à cette logique. Je ne peux que m’en féliciter.

De même, en matière de logement, ce texte prend en compte les effets contestables de la défiscalisation, notamment la flambée irrationnelle du coût du foncier. La volonté, désormais inscrite dans la loi, de réorienter une partie importante de ces mesures en faveur du logement social tout en maintenant les dispositifs au profit des primo-accédants constitue sans nul doute la réponse la mieux adaptée aux réalités locales.

Enfin, je ne peux que me réjouir des premières mesures proposées en ce qui concerne la continuité territoriale, laquelle demeure une des conditions du développement, mais aussi et surtout de l’ouverture de nos territoires sur le monde. Le fonds de continuité territoriale devrait nous permettre de donner une force véritable à nos politiques de mobilité, dont il faut bien reconnaître qu’elles étaient, jusqu’à présent, en panne de volonté et d’inspiration. Néanmoins, je continue de plaider pour une prise en compte particulière de certains secteurs d’activité – je pense en particulier au petit commerce de proximité ou au transport routier. Si nous voulons que ce texte produise tous ses effets, il faut accepter d'intégrer dans ce projet de loi ces secteurs d'activité en élargissant le champ d'application de la zone franche à leur profit.

Par ailleurs, je voudrais remercier mes collègues de la commission des finances, et tout particulièrement son rapporteur, Gaël Yanno, qui ont bien voulu accepter l'amendement que nous avons déposé, René-Paul Victoria, Gabrielle Louis-Carabin et moi-même – une proposition sur laquelle Patrick Lebreton nous a rejoints. Cet amendement vise à élargir le champ d'application des zones franches globales d'activités aux micro-entreprises. À La Réunion, ce sont plus de 2 000 très petites entreprises qui pourront bénéficier de ces nouvelles dispositions.

Pour aller plus loin et dans le même esprit, je proposerai un amendement qui vise à créer un crédit d'impôt en faveur des petites et moyennes entreprises adhérentes aux structures d'accompagnement de projets innovants, tels que les pôles de compétitivité.

Pour ma part, monsieur le secrétaire d’État, c’est de manière déterminée, engagée et volontaire que je voterai en faveur de cette loi pour le développement économique des outre-mer. Mais, je l'ai dit, il s'agit d'une première étape et notre démarche doit nous amener bien plus loin.

Les états généraux, voulus par le Président de la République, seront l'occasion offerte d'une expression et d'une appropriation de l'avenir de nos territoires par leurs populations. C'est la première fois, en effet, qu'une consultation aussi large est menée dans tout l'outre-mer français. C'est une occasion unique pour les Réunionnais et l'ensemble des ultramarins de dire et de formaliser leur vision du développement de leur territoire dans toute leur dimension.

En ce qui me concerne, je souhaite que l'éducation au sens large, l'école de la République, de la maternelle à l'université, devienne la priorité numéro un pour la Réunion. De même, nous ne pouvons plus faire l'économie d'une grande loi de cohésion sociale, pour laquelle je me bats depuis plusieurs mois maintenant. La question des emplois aidés, de l'insertion, de la formation des jeunes, des retraites et des minima sociaux, du pouvoir d'achat, est aussi au cœur de nos préoccupations. Dans notre département, l'accompagnement des plus fragiles et des personnes en difficulté doit être une obligation de tous les instants.

Je souhaite que cette loi pour le développement économique ouvre une nouvelle ère dans les relations entre la République et les outre-mer. Nous avons, pour chacun d'entre nous, à prendre nos responsabilités. Nous devons réussir le pari de demain, celui qui allie efficacité économique, respect du développement durable et prise en compte de la dimension humaine.

Vous avez su, monsieur le secrétaire d’État, montrer pragmatisme et audace dans l'élaboration de ce projet de loi. C'est bien pour cela que je voudrais, chers collègues, que nous arrêtions de bouder notre satisfaction devant un texte consensuel qui répond pleinement à son objectif de cohérence économique. Nous attendons tous beaucoup de Paris, mais nous devons aussi savoir nous rassembler, au-delà de nos divergences politiques, pour construire et aller de l'avant dans le sens de l'intérêt général : dire non lorsqu'il le faut, mais aussi marquer notre approbation lorsque nous sommes compris et entendus. C'est aussi cela la force d'une rupture positive.

Une ambition économique, des états généraux que nous devons réussir, une grande loi de cohésion sociale : voilà le sens de la marche que nous pourrions emprunter tous ensemble pour la grandeur des outre-mer, pour la grandeur de la France.

« Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès », affirmait Nelson Mandela lors de son discours d'investiture, le 10 mai 1994. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanny Marc.

Mme Jeanny Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, depuis octobre 2007, tout l’outre-mer vivait dans l'attente d'un projet de loi qui devait révolutionner la vie économique et sociale de nos départements et créer l'espoir pour ces territoires en mal de développement. Nous espérions tous une loi ambitieuse qui prendrait en compte et de manière durable nos particularismes. Nous espérions tous que l’outre-mer, décrété comme une chance pour la nation, serait traité avec plus de sérieux, plus d'égards. Nous espérions tous que les événements de janvier et février 2009, qui ont mis à nu le décalage entre la politique menée en outre-mer par le Gouvernement et les attentes de la population, auraient guidé ceux qui ont écrit le texte qui nous est proposé, Mais non ! Nous constatons que le traitement différent appliqué à nos populations est une constante pour le Gouvernement.

Monsieur le secrétaire d’État, au cours de votre séjour, vous avez annoncé aux Guadeloupéens que vous les aviez compris et que vous vous feriez le véritable défenseur de la Guadeloupe auprès de votre gouvernement. Peuvent-ils, doivent-ils vous faire confiance ou se méfier ?

Je vais illustrer mes propos par quelques exemples.

Premier exemple : l'éloignement ne justifie pas que l'on nous prenne pour des cobayes. Bien que nous soyons un peuple d'avant-garde, nous ne souhaitons pas faire les frais d'une expérience qui pourrait s’avérer dévastatrice pour nous et qui pourrait plomber nos générations futures.

Vous avez décidé de répondre à l'actualité de la crise sociale de nos départements par une procédure d'urgence pour examiner la dernière version de la LODEOM, mais cela ne justifie pas pour autant que vous vous affranchissiez de la loi organique relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, que votre majorité vient de voter, le 24 mars dernier. Si vous nous appliquez le nouveau règlement, alors vous auriez dû le faire dans son intégralité. Dans le respect de cette réforme constitutionnelle, je me permets donc de vous demander où sont les projets d'études d'impact prévus à l’article 7 de la loi organique, qui impose que soient joints « aux projets de loi déposés sur le bureau de l'assemblée saisie un ou plusieurs documents qui rendent compte des travaux d'évaluation préalable réalisés ». L'évaluation préalable comprend notamment « une estimation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales de la réforme ».

Sans ces supports d'importance, je m'interroge au sujet de l'impact réel sur nos économies de ce nouveau dispositif portant sur une décennie. Cette non-conformité à la procédure m'interpelle à plus d'un titre, eu égard à la pertinence de l'examen de la loi de développement économique des outre-mer en procédure d'urgence.

Deuxième exemple : à la lecture de ce projet de loi, je m'aperçois qu'une fois de plus, les outre-mer resteront en marge des nouveaux enjeux mondiaux, au risque d'accumuler ainsi des retards aux conséquences que nous connaissons déjà dans des domaines où ils peuvent exceller.

Ainsi, le Grenelle de l'environnement, qui constitue une formidable opportunité de développement est abordé très timidement dans cette dernière version de la loi pour l'outre-mer, alors que notre biodiversité et notre environnement, particulièrement riches, nous prédisposent à un développement en lien avec la mise en œuvre du dispositif novateur du Grenelle.

En outre-mer aussi, monsieur le secrétaire d'État, nous croyons en l'avenir, nous croyons à la richesse formidable qu'offrent nos îles, du fait de leur situation géographique exceptionnelle, nous croyons au potentiel formidable des femmes et des hommes qui y vivent et qui les promeuvent.

Troisième exemple : vous avez commandé au Centre d’étude de l'emploi, établissement public administratif placé sous la double tutelle des ministères du travail et de la recherche, un rapport visant à mesurer avec justesse l'impact de la loi pour l’outre-mer de 2003. Ce rapport confirme que ce sont bien 40 000 emplois qui seront perdus si vous mettez fin à certaines mesures qui ont permis de créer, de maintenir ou de renforcer les emplois dans nos départements – ce qui explique que le taux record de chômage ne se soit pas envolé dans les mêmes proportions que celui de l'Hexagone.

Quatrième exemple : je m'interroge sur les raisons de votre silence sur les autres rapports d'impact de la loi pour l’outre-mer de 2003. Peut-être souhaiteriez-vous qu’aucune mesure ne soit contrainte par la loi… Or, sans fondement juridique, une mesure ne reste qu'une simple possibilité sans obligation d'application. Nous ne voulons pas d'une loi, certes améliorée par rapport au texte initial, mais dont les fondements juridiques ne sont pas suffisamment ancrés. Je le démontrerai en défendant certains de nos amendements.

Toutes ces manœuvres m'interpellent et m'incitent à souligner les aspectsan ba fey, comme on dirait chez nous, de la LODEOM que vous nous proposez aujourd'hui.

Je regrette la légèreté excessive qui caractérise l'examen d'une loi essentielle pour l’outre-mer, d’une loi qui doit rythmer la vie économique de nos départements durant les prochaines années. Alors, c'est en conscience que je mesure que ce projet de loi ne nous correspond pas tout à fait. Il manque d'ambition et d'audace et il ne témoigne pas de la confiance du Gouvernement à notre égard.

Il est vrai que, chemin faisant, le « E » de LODEOM a subi plusieurs mutations : de « Excellence », il est passé à « Endogène », puis aujourd’hui à « Économique » ! Si vous me permettez cette boutade, j’espère que, dans quelques années, il ne sera pas synonyme d’« Étriqué » !

Monsieur le secrétaire d'État, depuis le 20 janvier 2009, plus rien n'est comme avant. Vous ne pouvez plus nous traiter avec des demi-mesures et avec la même légèreté que par le passé. Désormais, nous vous avons prouvé que nous sommes capables de dénoncer les attitudes injustes et inégalitaires au pays des droits de l’homme. Nous souhaitons obtenir les moyens de notre développement.

Bien qu’on nous l’applique avec un acharnement inlassable, l’image de la main tendue n’est pas la nôtre. Nous voulons une France juste et équitable, une France solidaire qui applique la même justice sociale sur l'ensemble de son territoire. Il serait intéressant à cet égard – je ne le dis pas pour vous, monsieur le secrétaire d’État, mais pour ceux qui cèdent souvent à ce préjugé – de s’adonner à un exercice de comparaison entre les différentes régions françaises : je pense, chers collègues, que vous seriez surpris du résultat !

Le courage est une partie intrinsèque de l'âme ultramarine. Les cyclones, les séismes, les tsunamis nous ont pétris. Nous ne baissons jamais les bras.

Pour l'ensemble de ces raisons, monsieur le secrétaire d'État, il vous faut nécessairement intégrer à votre projet de loi pour l’outre-mer les amendements que nous proposons. Nous, élus de l'outre-mer, sommes les mieux placés pour faire remonter les attentes et les préoccupations de nos concitoyens. Le passé récent vous l'a montré. Puisque c'est ensemble que nous devons construire la France de demain, allons-y !

Vous nous avez affirmé qu'en restant chez nous plus de vingt-quatre heures, vous nous aviez compris, et d'aucuns ont dit que vous avez changé à notre contact. Même si, parfois, l'étreinte a été rude, vous avez dit avoir pris la mesure de nos désespoirs. J'ose espérer que la sincérité est l’une de vos vertus.

Alors, chiche, monsieur le secrétaire d’État, transformez l'impossible en possible ! Par une loi adaptée à leurs particularismes, accompagnez les outre-mer dans un véritable développement endogène prenant en compte les réalités du terrain. Vous savez que toutes les mesures visant à développer durablement nos économies recevront le meilleur accueil ; elles seront portées et adoubées par les ultramarins, qui sont des citoyens responsables, créatifs et volontaires. Osez la confiance pour faire avancer une cause commune, celle de faire gagner l'outre-mer au-delà des luttes partisanes !

Oui, faire gagner l'outre-mer c'est aussi faire gagner la France. La crise frappe durement nos économies, elle modifie le tissu économique, elle oblige à une attention particulière et à une évolution de la loi que vous nous soumettez aujourd'hui. Je vous le dis en aparté, il faut qu’à travers cette loi, vous nous donniez des signes forts, car c’est d’elle que dépendront les résultats des états généraux. S’il n’y a pas de proposition forte permettant à la population d’y croire, nous passerons à côté de ce que vous souhaitez.

De plus, la sortie d'une très longue période de grève nécessite un accompagnement spécifique pour relancer la machine, dont l’enrayement avait déjà été mis en évidence par les études récemment publiées. Monsieur le secrétaire d’État, l’outre-mer a besoin de confiance et du concours de toutes les énergies pour se reconstruire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Manuel Aeschlimann.

M. Manuel Aeschlimann. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis dix ans, les textes de loi sur l’outre-mer se sont succédé à un rythme soutenu, illustrant la nécessité de l’action publique et l’impatience de nos compatriotes ultramarins, relayée par leurs élus : je salue d’ailleurs la présence de la plupart d’entre eux dans cet hémicycle.

De l’extérieur, cet activisme législatif s’est traduit par une instabilité réglementaire peu propice à des conditions optimales de développement économique. Parfois, nous avons pu donner l’impression de ne pas comprendre les « vraies » difficultés quotidiennes de nos compatriotes.

La loi pour le développement économique de l’outre-mer met en œuvre quelques-uns des engagements de campagne du candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy : viser l’excellence, valoriser l’exemplarité des territoires français d’outre-mer et y promouvoir l’égalité des chances. Il faut d’ailleurs se réjouir des mesures visant à augmenter le pouvoir d’achat outre-mer.

J’appartiens par alliance à ces départements de beauté et de soleil, dont mon épouse est originaire. J’ai appris à connaître leurs habitants, à vivre au milieu d’eux. Comme eux, j’ai été souvent surpris, parfois scandalisé, par le coût de la vie. Par-delà ces nécessaires mesures de redressement, le Gouvernement prend ses responsabilités, en y créant les conditions d’un développement endogène et durable. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais reconnaissons que la mesure visant à relancer les économies des départements ultramarins en améliorant leur attractivité dans un environnement régional très concurrentiel va dans le bon sens.

Le dispositif des zones franches d’activités va plus loin qu’un simple avantage fiscal. Par son fondement sélectif et sa démarche concertée, il encourage une forme de spécialisation pour chaque économie, tout en limitant les effets d’aubaine. Plus qu’un outil, les zones franches d’activités sont une stratégie de développement économique et social.

Sans tourner le dos aux secteurs économiques traditionnels, la France d’outre-mer doit s’adapter à l’environnement concurrentiel régional, européen et mondial. Les économies ultramarines ne doivent pas craindre l’innovation, la recherche et le développement, ou les nouvelles technologies de la communication.

La question des ressources humaines ne doit pas être sous-évaluée. L’outre-mer est fort et riche de sa jeunesse : 40 % de la population y est âgée de moins de vingt ans, 60 % de moins de quarante ans. C’est là un potentiel humain inestimable, mais qui nécessite un effort de formation initiale et continue soutenu. Il faut un vrai plan Marshall ou un Grenelle de la formation outre-mer. Trop de compatriotes ultramarins sont contraints à la mobilité pour se former. Leur diplôme en poche, l’étroitesse des marchés, conjuguée à la faiblesse des débouchés, agissent comme un repoussoir. La continuité territoriale doit être approfondie – j’y reviendrai.

Pour ce qui est du calendrier parlementaire, il est clair que le texte ne règle pas immédiatement tous les problèmes soulevés par les récents événements survenus outre-mer. Les états généraux de toutes les forces vives des territoires, que le chef de l’État ouvrira dans les prochaines semaines, seront l’occasion d’amplifier la démarche et de concrétiser le volontarisme du Gouvernement. Si cette démarche prend des allures de nouveau départ, elle tire les leçons des textes passés, au regard des apports positifs et des déséquilibres qu’ils ont pu introduire. Je pense naturellement à l’effet pervers de certaines mesures encourageant la défiscalisation pour le logement libre au détriment du logement social, qui manque cruellement.

Aujourd’hui, 60 000 logements seraient nécessaires pour faire face à la demande dans les quatre DOM. Se loger est un droit fondamental. Contrairement à l’idée que l’on peut s’en faire du fait des conditions climatiques exceptionnelles, il n’est pas plus facile de vivre en étant mal logé – ou pas logé du tout – sous les tropiques ! Là-bas comme ailleurs, c’est sous un toit que s’abrite la dignité de l’homme. À côté de la pénurie de logement social, il y a l’habitat insalubre, qui n’est pas plus tolérable. Toutes ces poches de pauvreté doivent être résorbées.

Je voudrais m’arrêter quelques instants sur la question de la continuité territoriale. La France forme, avec ses collectivités d’outre-mer, une communauté de destin que l’éloignement et l’insularité mettent souvent à l’épreuve. Il faut réaffirmer fortement ce lien politique et affectif, mais il faut surtout lui donner un vrai contenu, nos compatriotes ultramarins ayant encore trop souvent le sentiment d’être des « Français entièrement à part ». C’est l’objectif de mon amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 26. Cette politique nationale de continuité territoriale pourra concerner des domaines aussi variés que les transports, la santé ou la formation. Il faut améliorer la formation sur place en renforçant une université de qualité mais faiblement liée au tissu économique local. Outre-mer, les parcours d’insertion sociale et professionnelle doivent être mieux sécurisés.

Les taux de chômage, trois fois supérieurs à la moyenne nationale, sont inquiétants. Il est indispensable de développer l’emploi marchand afin de limiter un secteur tertiaire démesuré et l’évolution vers une économie de consommation. Le faible taux de couverture des économies ultramarines est un signal d’alerte. Trop tournées vers la métropole dans leurs échanges, elles doivent mieux s’inscrire dans un environnement international et caribéen. Les efforts en matière d’agro-nutrition permettront de tendre vers l’autosuffisance alimentaire.

Par-delà les mesures et les dispositifs qui seront créés, c’est aussi la relation entre la France métropolitaine et ses territoires d’outre-mer qui est en jeu. Réussir outre-mer est un défi pour la France. Non pour l’image du creuset multiculturel français, mais parce que l’outre-mer est au confluent de tant de cultures, de populations, d’influences, et qu’il préfigure le « vivre ensemble » dans nos agglomérations hexagonales. S’il n’est pas de vraie liberté sans droit de propriété – les peuples ultramarins ont payé pour le savoir –, de même, il n’y aura pas de fraternité si l’égalité n’est pas vécue comme une vraie égalité des chances. C’est dans une République forte, mais juste, que la dignité si chère à nos concitoyens de l’outre-mer rayonnera au-delà de leurs frontières insulaires.

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, je voterai, monsieur le secrétaire d’État, pour votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on aurait pu intituler ce texte « Pauvre France, triste République ! ». Le débat d’aujourd’hui montre à quel point nous sommes loin, dans cet hémicycle, d’une analyse pertinente de la situation dans les DOM. C’est l’avenir de la République qui se joue dans ces territoires. Les mots qui forment la devise de notre pays n’y sont parfois présents qu’au fronton des écoles et des mairies : dans les faits, on y trouve bien peu de liberté, d’égalité et de fraternité.

Corse d’origine, j’habite en banlieue depuis ma naissance et les sujets que nous évoquons aujourd’hui ne me sont pas étrangers, dans la mesure où ils font écho à des aspects de ma vie personnelle et de ma vie d’élu. Il existe en différents points de notre République des territoires oubliés, que nous cherchons constamment à sortir de leur relégation. Les DOM-TOM en font partie. Certes, des avancées y ont été réalisées, mais le retard accumulé est considérable et il n’est pas toujours facile d’admettre que nous avons à réparer les erreurs historiques que nous avons commises : si la situation économique de l’outre-mer est aussi grave, c’est bien parce que la France y a mis en œuvre des politiques catastrophiques.

Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes un trop fin connaisseur des zones franches pour penser qu’elles constituent un outil efficace de développement économique. L’application de ce dispositif dans les banlieues nous a montré qu’il pouvait, certes, sauver les entreprises existantes et même créer quelques emplois. Mais si les zones franches constituaient la panacée en matière de développement, elles devraient, dix ans après leur création, en avoir apporté la preuve, et les banlieues ne devraient pas se trouver aujourd’hui dans une telle situation : on y compte toujours trois fois plus de chômeurs qu’ailleurs et l’essor économique y est toujours moindre.

Malgré les millions, pour ne pas dire les milliards d’euros injectés depuis des années, nous n’avons pas réussi à régler le problème de la continuité territoriale. Si les efforts consentis par l’État ont permis à certaines grandes entreprises de transport de gagner beaucoup d’argent, les populations n’en ont guère profité en termes de mobilité.

Pour ce qui est du logement – Jean-Yves Le Bouillonnec y reviendra dans un instant –, chacun sait désormais qu’une politique de défiscalisation ne suffit pas à satisfaire les besoins. Pourquoi l’État n’a-t-il pas, compte tenu de la gravité de la situation, pris la décision de construire lui-même des logements sociaux en nombre suffisant ? On aurait pu imaginer un ANRU exceptionnel pour les départements et territoires d’outre-mer, afin de rattraper le retard historique qui les affecte.

M. Louis-Joseph Manscour. Tout à fait !

M. François Pupponi. Il y a, dans ce projet, des mesures que nous pourrons soutenir, mais globalement, force est de constater que le compte n’y est pas.

Je veux également aborder la question des états généraux. Il est important d’écouter les populations, les syndicats, les élus de l’outre-mer. Mais, je m’étonne que l’on n’ait jamais évoqué, durant le débat, l’éventualité de donner également la parole aux Domiens résidant en métropole, qui ont aussi leur mot à dire ! Le groupe socialiste proposera donc que soient organisés des états généraux ici même, à l’Assemblée nationale, où nous pourrions inviter nos concitoyens originaires des DOM à venir exprimer leurs préoccupations et leurs idées.

M. Louis-Joseph Manscour. Ils sont plus d’un million !

M. François Pupponi. Effectivement, ils sont nombreux : on a coutume de dire que l’Île-de-France est le sixième DOM, et que c’est ici que se font beaucoup de choses concernant l’outre-mer.

Il me semble donc, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faudra entendre les revendications des ultramarins et accepter un certain nombre d’amendements pour répondre à leurs attentes. À défaut, nous aurons du mal à leur faire admettre que les états généraux promis par le Président de la République constitueront bien un lieu de dialogue et de débat. S’ils ne commencent pas ici, dans l’hémicycle, par l’écoute attentive des députés de ces territoires et l’accueil favorable réservé à leurs propositions, nous aurons nous-mêmes du mal à croire que vous serez davantage à l’écoute des populations durant les états généraux proprement dits.

Je le répète, monsieur le secrétaire d’État, ce qu’il faut avant tout, c’est une meilleure écoute – à commencer durant ce débat –, mais aussi des états généraux plus larges que ce qui était prévu. Il faut que la France renoue le dialogue avec ses territoires les plus éloignés, qu’elle leur parle de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce texte ne correspond pas à ce que nous attendions, et il faudra revenir sur les problèmes qu’il soulève. Toutefois, puisque vous avez décidé de nous le soumettre en urgence, nous participerons activement au débat en vue de son amélioration et espérons que nous serons au moins entendus. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais, dans le bref temps qui m’est imparti, revenir à un questionnement de fond, déjà évoqué par certains de nos collègues : celui des stratégies choisies pour le logement dans les territoires d’outre-mer, et plus particulièrement pour le logement social. En cela, je prolonge le débat que le groupe SRC ouvert il y a quelques semaines, lors de l’examen de la loi de mobilisation pour le logement, à travers de nombreux amendements qu’il a présentés.

Nous savons que 21 910 logements autorisés ont été produits dans les DOM en 2000, contre seulement 16 127 en 2007. Sur cet ensemble, 11 303 ont été réalisés avec les financements de l’État en 2003, contre 7 713 en 2007. Enfin, nous sommes passés de 6 035 logements locatifs sociaux en 2000 à 2 365 en 2006. À l’heure actuelle, il faudrait en construire 60 000 pour rétablir la situation !

C’est ce constat qui traduit la réalité sociale des populations des DOM, telle qu’elle a été évoquée par de nombreux collègues à cette tribune. C’est sur ce constat, inacceptable au regard des valeurs de la République, que doit s’appuyer la politique du logement.

Aujourd’hui, l’instrument de cette action de l’État, c’est la ligne budgétaire unique. Ce qui doit demeurer le socle de la politique du logement si nous voulons rattraper le retard accumulé est toutefois insuffisant. Plus d’un tiers des opérations locatives sociales dépassent, dans les DOM, l’enveloppe que la LBU finance par logement – 1 600 euros par mètre carré –, alors même que la contribution obligatoire des collectivités locales au financement des opérations par le foncier aménagé ou par les subventions paraît difficile, voire impossible à mobiliser, ce qui empêche l’engagement de nouveaux programmes.

Dans les DOM, l’État est aussi le garant du droit au logement. La coresponsabilité du secrétariat d’État chargé de l’outre-mer, lui-même placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, et du ministère du logement, est à mes yeux une source d’affaiblissement de l’action de l’État en faveur de ces territoires. Les services de ces deux ministères ne cessent de se défausser de leurs responsabilités et de se renvoyer leurs échecs au détriment de nos concitoyens ultra-marins. Lors de la discussion de la loi MOLLE, j’avais déjà eu l’occasion d’interpeller la ministre du logement sur le fait qu’il fallait impérativement que les conflits de compétence cessent d’être « un facteur d’inertie ou de faiblesse de l’action de l’État ». Aujourd’hui, monsieur Jégo, c’est à vous que je demande d’agir. Je ne mets pas en cause un ministère plutôt que l’autre, mais il me semble urgent de régler ce problème afin d’améliorer l’efficacité de l’action publique. Ne pensez-vous pas, par exemple, qu’il serait fort souhaitable d’envisager que le ministère du logement assume seul la politique du logement outre-mer, du budget à la construction en passant par la réhabilitation ?

C’est un questionnement que nous ne pouvons éluder si l’on veut à l’avenir agir de façon efficace et coordonnée. Quelle est la pertinence d’une organisation qui laisse au secrétaire d’État chargé de l’outre-mer la compétence en matière de réglementation de l’aide à la pierre alors que le financement de cette aide dépend du ministère du logement ? Toutes les bonnes volontés auront beau se mobiliser, elles ne pourront remédier à l’inefficacité d’un tel système.

L’outre-mer est également victime du désengagement financier de l’État. Les dispositifs mis en place par le Gouvernement, qui prétend accentuer ses efforts en direction des DOM, génèrent, en fait, une inégalité de traitement. Nul n’ignore pourtant que, dans certains territoires ultramarins, subsistent des taudis indignes d’une République juste et égalitaire.

Paradoxalement, alors que l’outre-mer connaît une hausse de sa démographie et un taux de chômage supérieur à 22 %, les offres de logements sociaux accusent une nette baisse alors qu’il faudrait impulser une franche accélération – ce n’est pas le cas en métropole, même si l’action y est insuffisante. Comme je l’ai relevé, en 2007, il y a eu trois fois moins de constructions de logements sociaux qu’en 2001 ! La demande augmente et l’offre baisse !

Enfin, l’intervention de l’État devrait, en tout état de cause, tenir compte des inégalités territoriales. Cela nécessite une véritable stratégie d’aménagement du territoire, stratégie qui devra associer les élus locaux et prendre en compte la spécificité des territoires. C’est à cette seule condition que la situation du logement dans les DOM sera améliorée.

Forts de ces remarques, vous conviendrez tous ici que la situation du logement outre-mer ne saurait connaître d’améliorations notables qu’à la condition que l’État daigne engager des moyens importants ou, du moins, créer des dispositifs d’affectation de fonds spécifiques.

Préalablement à toute définition d’une nouvelle stratégie, l’État ne pourra pas faire l’impasse d’un diagnostic partagé et concerté sur l’existant et sur les besoins en matière de logement. Cela évitera des lois mal ciblées, mal encadrées, aux effets partiels et pervers.

La réforme proposée, qui recentre le dispositif de défiscalisation sur le logement social, laisse craindre le pire : François Pupponi a eu raison de le dire, jamais un financement privé n’a permis de conduire une politique de logement social, qui est une politique d’État. Il ne faudrait pas que ce « financement privé » du logement social vienne se substituer à l’État et amorce son désengagement total. L’État doit rester le principal constructeur du logement social outre-mer et accompagner fortement les collectivités s’il ne veut pas aggraver la crise.

Je regrette que votre loi ne mette pas fin à l’improvisation et aux enchevêtrements de compétences que je dénonçais en introduction. L’adoption d’une loi de programmation sur le logement et l’aménagement du territoire outre-mer est nécessaire pour garantir des financements pérennes. L’État devra s’investir dans une stratégie de relance du logement social outre-mer qui réponde effectivement aux attentes de nos compatriotes, en le finançant vraiment et fortement. Sans quoi, monsieur le secrétaire d’État, vous ne ferez pas progresser l’offre de logement locatif social quelle que soit votre volonté de le faire, et je sais qu’elle est grande.

Ces propositions, nous les avons déposées sous forme d’amendements. À vous de montrer que vous voulez vraiment sortir de la crise du logement dans les DOM en les acceptant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. Yves Jégo, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer.

M. Yves Jégo, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer. Je veux d’abord remercier les rapporteurs et toutes celles et ceux qui, dans les commissions, ont travaillé pour faire en sorte que la nouvelle procédure législative se mette en place dans les moins mauvaises conditions possibles. J’en ai conscience, nous essuyons les plâtres. En examinant pour la première fois dans cet hémicycle le texte issu de la commission, nous bouleversons bien des habitudes. Ce changement de méthode traduit l’évolution du travail parlementaire. Nous devons nous réjouir que les commissions aient pu donner toute leur mesure en écrivant directement le texte ou en réécrivant la rédaction issue du Sénat.

Je m’associe également aux vœux adressés à Alfred Almont, que j’ai eu au téléphone dans l’après-midi et à qui je souhaite un prompt rétablissement.

Quant aux violentes intempéries qui se sont abattues sur la Réunion, je veux assurer les députés qui représentent ce département que nous serons solidaires des victimes de ces pluies qui causent tant de dégâts et de désordres.

Le Gouvernement souhaite, avec ce projet de loi, jeter les bases d’un nouveau modèle. Ce texte a une ambition essentiellement économique. Des questions relatives à l’éducation, à la culture, à la formation professionnelle, ont été soulevées. Elles sont toutes importantes, certes. Mais elles ne sont pas, par nature, contenues dans un texte dont le moteur est le développement économique. Elles seront abordées dans les jours qui viennent, dans le cadre des états généraux de l’outre-mer.

Pourquoi changer la législation ? Pourquoi autant de lois en aussi peu de temps ? Nous pouvons nous poser la question collectivement puisque, depuis 1986, les majorités qui se sont succédé ont toutes éprouvé le besoin de modifier les textes en vigueur pour essayer de les améliorer. Sans doute parce qu’il est compliqué de trouver la loi la plus parfaite. Sans doute aussi parce que nous sommes dans un monde qui change brutalement et que l’économie évolue dans des conditions qui nous perturbent et nous laissent souvent sans réponse immédiate. Cela nous oblige à nous adapter en permanence. Qui aurait pu imaginer, au moment où ce projet était examiné par le conseil des ministres, le 21 juillet dernier, que les bouleversements de l’économie seraient tels qu’ils aboutiraient aux situations que vous avez décrites ?

S’agit-il de changer pour faire des économies, comme l’ont prétendu certains ? L’enveloppe des outre-mer est passée de 15 à 16,7 milliards dans le budget de la nation et ce texte, qui revient profondément sur les dispositions de la loi Girardin, fait passer les moyens consentis aux entreprises dans le cadre de cette loi de 1,3 à 1,5 milliard. On ne peut donc pas parler de mesures d’économie. Il y a au contraire la volonté de renforcer, d’adapter et surtout de mieux affecter les moyens financiers pour les rendre plus efficaces encore. Après tant d’études, de rapports et d’analyses sur les problèmes des outre-mer, le Gouvernement a le souci d’agir le plus concrètement et le plus rapidement possible afin de répondre aux angoisses de nos compatriotes ultramarins.

Il a souhaité agir dans la concertation. Ce texte a été pétri, manié, remanié, à de nombreuses reprises. On peut le dénoncer. Mais c’est peut-être aussi un signe de qualité que d’avoir un projet passé au filtre de nombreuses concertations, avec les socio-professionnels, les élus, le mouvement social. Pour ma part, je pense que le texte s’est amélioré de mois en mois, de semaine en semaine. Celui que vous propose aujourd’hui le Gouvernement, issu de cette longue concertation – trop longue aux yeux de certains – est bien meilleur que le projet initial.

Ce texte doit aussi être en cohérence avec la volonté du Président de la République d’ouvrir des états généraux de l’outre-mer. La question s’est évidemment posée : fallait-il attendre ces états généraux et donc retarder l’examen de ce projet de loi ? Je ne le crois pas. Celui-ci contient en effet des éléments de réponse conjoncturels à la crise, aux difficultés des entreprises, à la problématique du logement, à l’insuffisance du pouvoir d’achat. Le report du texte aurait retardé l’application de ces mesures et aurait sans doute fait l’objet de bien des critiques de la part des populations.

Ce texte est-il exclusif ? Sûrement pas ! Le Président de la République l’a dit, et je vous le confirme au nom du Gouvernement : au-delà des états généraux, il y aura de nouveaux rendez-vous législatifs. Certains sont déjà impérativement fixés, notamment pour le processus qui visera à mettre en œuvre le choix des Mahorais, dimanche dernier. De par la volonté du Gouvernement, dès l’automne au besoin, des textes viendront également traduire ce que les états généraux auront permis de faire remonter à la surface.

Ces états généraux – je rassure François Pupponi – sont prévus pour ce qu’on appelle, non pas le sixième mais le cinquième DOM, c’est-à-dire les ultramarins vivant en métropole. C’est le délégué interministériel à l’égalité des chances qui a été chargé par le Gouvernement de les organiser dans l’Hexagone, les ultramarins de métropole devant être associés à la réflexion. À nous de faire en sorte que la tenue des états généraux ne soit pas le prétexte pour ne pas répondre aux questions de fond qui pourraient trouver leur place dans cette loi. Pour ma part, je ne ferai pas une réponse unique aux demandes formulées.

Ayons conscience cependant que toutes les propositions, que tous vos combats, toutes vos attentes n’ont pas forcément leur place dans un texte législatif axé sur l’économique. Ces états généraux – tels que les perçoit en tout cas le Gouvernement – doivent être l’occasion, non seulement de débattre, mais aussi de faire des propositions, d’imaginer des actions, de fond et structurelles, et de travailler à une évolution du modèle en profondeur. Il n’y a pas de tabou, pour reprendre les termes du chef de l’État. Il n’y aucun débat interdit, aucune proposition qui ne pourrait rencontrer de notre part un souci d’expertise à l’issue de cette période, courte somme toute, de deux mois de réflexion.

Cette LODEOM repose sur un triptyque : l’emploi, le logement et le pouvoir d’achat.

Commençons par l’emploi et la création des zones franches d’activités, saluée par nombre d’entre vous. Certes, elles ne règleront pas, à elles seules, le problème économique, sinon toute la France serait une ZFA. Elles sont différentes de l’expérimentation métropolitaine puisqu’elles ne sont pas géographiquement limitées. Elles concernent en effet la totalité d’un territoire et dégagent surtout des secteurs clés, des secteurs moteurs qui pourront porter le développement économique et qui bénéficieront d’aides plus importantes. Ces ZFA permettent aussi, monsieur Jalton, de reconnaître les difficultés propres à des secteurs ruraux ou à des secteurs frappés par la double insularité. Il y a là un moteur nouveau pour engager l’économie vers plus de production locale et favoriser ce développement économique endogène que nous recherchons depuis longtemps. Il fallait trouver les leviers nécessaires.

Il faut voir aussi dans cette mesure la volonté de diminuer les charges pesant sur les salaires et donc d’agir en faveur de l’emploi. Ces baisses de charges sont ciblées vers les petites entreprises, qui ont plus besoin d’être confortées que les grands groupes, et vers les secteurs prioritaires, qui doivent être aidés si l’on veut en faire des moteurs de l’économie. Je pense évidemment au tourisme, à l’énergie, à l’environnement, à l’agro-nutrition, aux nouvelles technologies, à la recherche. Voilà les nouveaux moteurs de l’économie de l’outre-mer ! Voilà les secteurs qui doivent entraîner le développement des départements et des collectivités d’outre-mer ! Voilà aussi les secteurs pour lesquels les acteurs de la formation professionnelle – je pense aux régions – doivent se mobiliser, afin de fournir les salariés de demain à ces entreprises qui seront à l’origine du développement économique endogène. Je l’ai dit tout à l’heure, il faut moins d’importation et plus de production locale. C’était d’ailleurs un leitmotiv pendant les conflits sociaux.

Cette loi permet donc de favoriser la production locale. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement sera attentif aux amendements sur la bagasse, bon exemple d’une d’agro-production vertueuse qui permet de concilier une activité traditionnelle, le respect de l’environnement et la création d’énergie. Nous serons également sensibles au secteur important de la pharmacopée.

Quant au petit commerce, nous proposons en premier lieu une baisse des charges patronales, avec une exonération totale pour les salaires n’excédant pas 1,4 SMIC ; au regard du salaire moyen dans cette branche, la mesure a une portée assez large.

Nous proposons aussi la création d’un FISAC outre-mer, doté de 8 millions d’euros, car, souvent, c’est de l’aménagement de sa rue que le commerçant a besoin, ce qui inclut la construction de parkings et une meilleure accessibilité des magasins.

Enfin, nous instaurons une politique innovante de prêts à taux zéro d’un montant de 25 000 euros, qui doivent permettre aux commerçants d’investir dans le matériel qui leur manque.

L’ensemble de ces mesures vous montre que nous n’avons pas oublié le petit commerce. Sans parler des amendements que nous accepterons sur les micro-entreprises, dont le président Alfred Marie-Jeanne a souligné combien elles sont importantes dans le tissu économique : 32 000 sur 40 000 entreprises au total en Guadeloupe. Elles bénéficieront de mesures de mise en cohérence, afin que le régime forfaitaire s’applique pour elles avec la même force que dans les zones franches d’activités.

En matière d’insertion professionnelle, 15 millions d’euros seront prélevés en contrepartie de la baisse de l’impôt sur les sociétés pour financer des plans de formation professionnelle, venant en soutien des efforts réalisés par les régions dans ce domaine.

Nous œuvrerons également en faveur de l’emploi des jeunes, pour lequel, selon une étude récente de l’Union européenne, nos quatre départements d’outre-mer obtiennent les plus mauvais résultats européens. La République ne peut accepter qu’il y ait, dans certaines de ses régions, plus de 50 % des jeunes au chômage. Nous devons nous attaquer à ce fléau par le biais du développement économique mais aussi grâce au plan pour l’emploi des jeunes que présentera prochainement le Président de la République et qui concernera aussi les outre-mer. Il faut également des mesures en faveur de l’éducation et de la formation – je pense notamment au doublement du service militaire adapté, annoncé par le Président, ou à d’autres mesures, qui ne figurent pas dans la LODEOM. C’est donc la politique globale menée par le Gouvernement qu’il faut prendre en compte.

Nous partageons votre constat sur le logement. Oui, le logement social est en panne, et nous devons donc trouver des solutions nouvelles. La première réponse du Gouvernement passe par une augmentation des crédits de la ligne budgétaire unique : nous passons de 190 millions d’euros dans les budgets des années précédentes à 253 millions d’euros, garantis sur les trois prochaines années, ce qui représente une augmentation de 30 %. Vous l’avouerez, ce n’est pas une paille !

Nous entendons également mieux travailler avec les collectivités locales sur le foncier. Le prix du foncier est un problème majeur. Si la loi Girardin a eu le mérite de relancer le secteur du bâtiment et de permettre la construction de logements libres, elle a malheureusement contribué à augmenter le prix du foncier, ce qui pèse sur la politique du logement social.

Nous avons engagé avec la totalité des communes d’outre-mer une politique de signature de contrats d’aménagement foncier. Nous voulons relancer le FRAFU et créer un réseau d’établissements publics fonciers – certains départements en sont dépourvus. En Guyane, où l’État est propriétaire de la quasi-totalité du foncier, il doit le mettre à la disposition des communes.

Si la ligne budgétaire unique, désormais garantie, doit permettre le financement d’opérations qu’elle seule peut financer, nous innovons avec la défiscalisation non patrimoniale, selon l’idée folle que les impôts des riches pourraient financer les logements des plus modestes ! Nous nous inspirons pour cela de l’expérience calédonienne, où des mesures comparables portent leurs fruits depuis plusieurs années. Il ne s’agit pas de rendre ce dispositif incontournable et de faire dépendre, ce faisant, la construction de logements sociaux du bon vouloir des investisseurs privés, mais de doter la politique du logement social d’un outil supplémentaire. Les logements sociaux pourront être financés par la seule LBU, par une combinaison de LBU et de défiscalisation ou encore par la seule défiscalisation. Cette souplesse que nous revendiquons doit permettre la construction de logements sociaux en nombre suffisant.

Je renvoie ceux, nombreux parmi vous, qui se sont faits l’écho de la crise que connaît le logement social aux études d’impact que nous avons réalisées sur l’attractivité des mesures de défiscalisation, selon lesquelles ces mesures permettraient de mobiliser 200 millions d’euros par an, venant s’ajouter aux 253 millions de la LBU. Si cet objectif est atteint, les crédits disponibles pour le logement social auront été doublés. J’espère donc qu’en y ajoutant une bonne politique foncière, nous pourrons enfin apporter des réponses aux 60 000 familles qui attendent d’être logées dans nos outre-mer.

Concernant enfin le logement intermédiaire et l’accession à la propriété, nous examinerons avec beaucoup d’intérêt les amendements permettant de faire progresser le logement.

Certains d’entre vous se sont inquiétés du plafonnement possible de la défiscalisation. Toutes les études réalisées démontrent que ce plafonnement, qui a pour objet de moraliser le dispositif, n’empêchera pas les investissements importants. Nous veillerons à ce que la défiscalisation permette de soutenir non seulement l’investissement productif mais aussi, en plus du logement privé, le logement social.

Emploi, logement, pouvoir d’achat. Dernier élément du triptyque, le pouvoir d’achat est au cœur de ce projet de loi, qui va permettre de réglementer certains prix. Vous proposiez, monsieur Fruteau, de rendre la réglementation obligatoire. Mais nous devons veiller à ne pas renouveler l’erreur du prix administré de l’essence. En réglementant le prix de l’essence, on a en effet abouti à ce paradoxe que l’on a contribué à augmenter la « profitation » de quelques grandes entreprises, car qui dit prix réglementés dit compensations. Mieux vaut trouver ensemble une formule qui n’aboutisse pas à enrichir ceux que l’on désigne comme responsables de tous les excès mais à faire baisser le prix des biens de consommation courante.

Mme Christiane Taubira. Les excès sont surtout liés à un défaut de contrôle !

M. Yves Jégo, secrétaire d’État. Davantage de concurrence et davantage de transparence sont nécessaires. Plus qu’auparavant, nous attacherons une importance toute particulière au respect de ces exigences. J’ai d’ailleurs saisi l’Autorité de la concurrence qui doit nous remettre avant l’été deux avis sur la formation des prix.

Nous entendons également, avec l’ARCEP, réduire le coût de la téléphonie mobile. Ce texte prévoit d’ores et déjà que les communications téléphoniques passées depuis des portables seront facturées à la seconde et qu’on ne facturera plus quatre minutes pour trois minutes et quatorze secondes de communication effective.

Nous souhaitons aller plus loin encore pour améliorer le pouvoir d’achat. Cela concerne la continuité territoriale et le prix des billets d’avion. Nous devons travailler en partenariat avec les collectivités locales pour faire pression sur les compagnies aériennes, qui doivent baisser leurs prix et ne négliger ni les dessertes intérieures ni les lignes reliant un territoire à un autre. En mobilisant les 53 millions du fonds de continuité territoriale et en y ajoutant les efforts déjà fournis par les régions, nous pourrons, dans un premier temps, accroître l’effet de levier des moyens disponibles et, dans un second temps, après avoir remis à plat l’ensemble de l’organisation, mobiliser des crédits supplémentaires, dans un domaine fondamental puisqu’il ne concerne pas seulement les personnes mais aussi les marchandises et l’ouverture de nos départements à la coopération régionale. Cette loi entend poser les bases d’un nouveau modèle. À nous de le faire vivre et de trouver les moyens de le développer.

En matière de pouvoir d’achat, nous vous proposons également le bonus exonéré de charges patronales et de charges sociales – à l’exception de la CSG et de la CRDS –, grâce auquel les salaires pourront être augmentés. C’est une réponse aux attentes exprimées lors des récents conflits sociaux.

Nous accepterons également, madame Louis-Carabin, votre amendement visant à effacer une partie de la dette sociale des entreprises. Beaucoup de petites entreprises, en effet, parce qu’elles ont deux ou trois mille euros de dettes sociales, ne peuvent ni accéder aux marchés publics ni bénéficier de certains dispositifs de la LODEOM.

Enfin, j’évoquerai le fonds exceptionnel d’investissement, doté de 165 millions d’euros dès cette année, qui doit permettre de soutenir l’activité dans les collectivités locales.

J’ai bien entendu les revendications de la Guyane concernant le schéma minier et son évolution vers un schéma régional. Je suis ouvert au débat, sachant toutefois qu’on ne peut attendre plus longtemps pour mettre de l’ordre dans l’organisation de l’orpaillage. Mais si l’on parvient à concilier rapidité et concertation à l’échelle régionale, il est envisageable de faire coïncider le schéma minier avec le schéma d’aménagement régional, selon les souhaits des élus locaux et régionaux.

Je n’oublie pas non plus la Polynésie française. Son statut d’autonomie ne permet pas que toutes les mesures prévues par le projet de loi de développement économique des outre-mer s’appliquent aux politiques locales mais, au-delà du contrat de développement signé par le Président de la République, nous sommes ouverts à l’idée de soutenir les efforts de la Polynésie dans la crise qui la frappe durement.

Cette loi est une première étape, qui marque la volonté de jeter les bases d’un modèle nouveau, grâce aux états généraux. Elle ne contient sans doute pas tout ce que vous attendiez les uns et les autres, et je sais combien vos combats sont passionnés et déterminés. Mais elle contient, me semble-t-il, beaucoup de bons, de nouveaux outils pour faire en sorte qu’au-delà de la crise économique mondiale, au-delà des moments difficiles qu’ont traversés les Antilles en particulier, nous puissions pour une fois transcender nos différences d’approche politique et apporter à nos compatriotes d’outre-mer des réponses concrètes.

Ce texte pose, j’y insiste, les fondations d’un nouveau modèle, même s’il reste à bâtir. J’espère que nous pourrons le construire ensemble et que nos débats seront à la hauteur du travail déjà réalisé en commission. Cela nous permettra de faire plus encore pour l’outre-mer – qui nous rassemble et auquel nous sommes, les uns et les autres, profondément attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 7 avril à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite du projet de loi pour le développement économique des outre-mer.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 7 avril 2009, à une heure quinze.)