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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 8 novembre 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Rappel au règlement

M. Bernard Lesterlin

M. le président

2. Projet de loi de finances pour 2012 seconde partie (suite)

Outre-mer

M. Claude Bartolone, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Alfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour l’Outre-mer

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bernard Lesterlin

Mme Huguette Bello

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Michel Diefenbacher

M. Jean-Claude Fruteau

M. Alfred Marie-Jeanne

M. Bruno Sandras

M. Abdoulatifou Aly

Présidence de Mme Laurence Dumont

M. Patrick Lebreton

M. Serge Letchimy

M. René-Paul Victoria

M. Louis-Joseph Manscour

Mme Chantal Berthelot

M. Gaël Yanno

Mme Christiane Taubira

Mme Annick Girardin

Mme Gabrielle Louis-Carabin

M. Apeleto Albert Likuvalu

M. Éric Jalton

Mme Jeanny Marc

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Bernard Lesterlin pour un rappel au règlement.

M. Bernard Lesterlin. À titre exceptionnel, monsieur le président, je commencerai ce débat budgétaire par un rappel au règlement, au titre de l’article 58, alinéa 1.

Monsieur le président, même si votre présence ce soir infirme ce que je vais dire, l’outre-mer est trop souvent ignoré par la représentation nationale, les bancs trop vides de cet hémicycle en témoignent. Mais on ne peut tolérer le mépris dont a fait preuve le président de la commission des lois, notre collègue Jean-Luc Warsmann, le mercredi 26 octobre 2011.

Son nom restera à jamais gravé dans les annales de la VRépublique, pour avoir fait examiner l’intégralité du budget 2012 pour l’outre-mer en moins d’une minute, par deux députés de la majorité, dont lui-même. J’ai ici le compte rendu qui en témoigne. Entre vingt et une heures deux et vingt et une heures trois, la commission des lois a émis un avis favorable. L’opposition n’a même pas été entendue et Mme la ministre, qui était légèrement en retard, n’a même pas pu assister à la réunion.

L’outre-mer mérite autre chose que ces pratiques anti-démocratiques et pour le moins cavalières, et je compte sur vous, monsieur le président, pour exprimer toute l’indignation des parlementaires de l’opposition et rappeler à M. le président Warsmann les fondamentaux de la plus élémentaire courtoisie républicaine, tant à l’égard de Mme la ministre qu’à l’égard de l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je vous rappelle que les commissions ont la maîtrise de leur ordre du jour, et que les présidents de commission dirigent les travaux de la commission qu’ils président selon les impératifs qui sont les leurs.

En tout cas, ce soir, nous sommes dans des conditions de travail et de débat idéales. Beaucoup de parlementaires vont nous rejoindre. Et je souhaite que ce débat se déroule dans les meilleures conditions.

2

Projet de loi de finances pour 2012
seconde partie (suite)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances (nos 3775, 3805).

Outre-mer

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à l’outre-mer (nos 3805, annexe 30, 3807, tome VIII, 3810, tome VI).

La parole est à M. Claude Bartolone, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Claude Bartolone, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, madame la ministre chargée de l’outre-mer, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mes chers collègues, dans le contexte de crise économique que nous connaissons, la situation de l’outre-mer est préoccupante. Entré dans la tourmente plus tard que la métropole, l’outre-mer en sortira sans doute plus tard, aucune reprise de l’activité ou de l’emploi n’ayant pu être constatée.

Je suis particulièrement inquiet de la situation à Mayotte, secouée depuis plusieurs semaines par des manifestations, souvent violentes, au sujet du coût de la vie. Il faut bien évidemment espérer un apaisement du climat. Pourriez-vous tout à l’heure nous préciser, madame la ministre, quelles sont les actions entreprises en ce sens par les deux personnes que vous avez nommées pour résoudre cette crise : un médiateur sur la question des prix, d’une part, et un ancien préfet de Mayotte en qualité de négociateur, d’autre part ?

Dans ce contexte de tension sociale et de crise économique, il est important de maintenir le soutien de l’État à l’outre-mer. Or, comme toutes les missions du budget de l’État, la mission outre-mer sera frappée par le nouveau plan de rigueur.

Vous avez en effet déposé, madame la ministre, un amendement proposant de réduire les crédits de la mission, à hauteur de 48 millions d’euros en autorisations d’engagement et 56 millions d’euros en crédits de paiement. Le montant prévisionnel des autorisations d’engagement serait ainsi ramené de 2 179 à 2 131 millions d’euros, celui des crédits de paiement de 2 035 à 1 979 millions.

Il faut rappeler que ces crédits représentent à peine plus de 15 % de l’effort budgétaire de l’État en faveur des collectivités ultramarines.

En effet, le document de politique transversale recense environ 13 milliards d’euros de crédits budgétaires et de prélèvements sur recettes au profit des collectivités ultramarines. Si l’on ajoute les dépenses fiscales, la part des crédits de la mission dans l’effort global de l’État chute à 12,5 %.

Avec près de 3 milliards d’euros prévus pour 2012, les dépenses fiscales sont près d’une fois et demie supérieures aux crédits budgétaires.

En plus des économies budgétaires, le projet de loi de finances pour 2012 propose une nouvelle fois de modifier de manière substantielle certaines de ces dépenses fiscales : d’une part, en supprimant l’abattement d’un tiers dont bénéficient, pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés, les résultats réalisés dans les départements d’outre-mer ; d’autre part, en soumettant à un nouveau « coup de rabot » de 10 % les réductions d’impôt sur le revenu auxquelles ouvre droit la réalisation d’investissements locatifs ou productifs outre-mer, selon le régime dit Girardin. À en croire les annonces faites hier par le Premier ministre, le coup de rabot pourrait être plus sévère.

À dépense publique constante, le soutien apporté par l’État à l’outre-mer pourrait être accru en substituant à certaines dépenses fiscales des dépenses budgétaires.

Mme Huguette Bello. Absolument !

M. Claude Bartolone, rapporteur spécial. Je pense en particulier aux dispositifs Girardin, caractérisés par une « évaporation fiscale » constatée par la commission des finances dans son rapport d’information sur les niches fiscales de 2008, et confirmée par le rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, publié en août dernier.

En dépit des critiques qui lui sont faites, le Gouvernement manifeste une sorte de « préférence pour la dépense fiscale ».

C’est ainsi que la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009 a créé, sur le modèle du Girardin, un dispositif de défiscalisation du logement social, jusqu’alors essentiellement financé par la ligne budgétaire unique.

Le comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales a confirmé qu’ « en matière de logement social, le mécanisme de défiscalisation renchérit en général d’environ un tiers le coût d’une opération pour l’État par rapport à un financement sur crédits budgétaires ».

Par ailleurs, le rapport d’application de la LODEOM, que j’ai rédigé avec notre collègue Gaël Yanno, a montré que le Gouvernement semblait concevoir la défiscalisation comme une alternative à la ligne budgétaire unique, alors que le Parlement a clairement manifesté son intention lors de l’examen du texte : la défiscalisation doit servir de complément à la LBU, sans s’y substituer.

Dans une circulaire du 1er juin 2010, vous avez retenu, madame la ministre, une lecture à notre sens contra legem des dispositions de la LODEOM.

À l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement pour 2010, la commission des finances a donc souhaité vous auditionner, en particulier au sujet de la défiscalisation du logement social. Cette audition n’ayant pas permis de répondre à l’ensemble des questions soulevées, j’ai décidé de réaliser un contrôle sur pièces et sur place. Je me suis rendu, les 13 et 14 septembre derniers, au bureau des agréments de la direction générale des finances publiques, d’une part, et à la délégation générale à l’outre-mer, d’autre part. Je dois dire que ce contrôle n’a pas permis de lever tous les doutes.

Un nouveau courrier a été adressé aux préfets des DOM, afin de revenir sur l’interprétation de la loi par la circulaire du 1er juin 2010. Mais certains passages de ce courrier restent ambigus, tandis que le projet annuel de performances indique que « dans la plupart des cas, l’apport de la défiscalisation est insuffisant et nécessite l’octroi d’une subvention complémentaire ». Comme si la LBU était complémentaire de la défiscalisation.

Mme Christiane Taubira. Tout à fait !

M. Claude Bartolone, rapporteur spécial. Le contrôle sur place a également permis de constater qu’il n’existe pas réellement d’outil de suivi permettant de savoir combien de logements construits et exploités dans les conditions prévues par la loi ont bénéficié de la défiscalisation.

Ce n’est que dans plusieurs années, et au prix de recoupements complexes, que pourra éventuellement être mesuré l’effet du dispositif, logement social par logement social.

Pour l'heure, l'optimisme du ministère de l'outre-mer sur l'efficacité du dispositif repose sur un indicateur dont, en première analyse, la fiabilité laisse songeur. Il s'agit du nombre de dossiers financés, un dossier étant considéré comme financé lorsque, après avoir obtenu l'accord de principe de l'administration au titre de la LBU, l'opérateur de logement social dépose une demande d'aide au titre de la défiscalisation.

La comparaison vaut ce qu'elle vaut, mais tout semble se passer comme si, après avoir déposé une demande de prêt bancaire pour acheter un appartement, un particulier présentait son projet d'acquisition comme financé.

Pourriez-vous, madame la ministre, préciser les contours et l’emploi de la notion de dossiers financés ?

Après ce détour par les dépenses fiscales, j’en reviens aux crédits de la mission.

S'agissant du programme « Emploi outre-mer », je souhaite insister sur deux points. En premier lieu, la dette de l'État à l'égard des organismes sociaux au titre de la compensation des exonérations de charges spécifiques à l’outre-mer aurait pu être résorbée fin 2012. Mais c'est principalement sur ce poste que pèsera le plan de rigueur, à hauteur de trente millions d'euros. Selon mes calculs, le montant de la dette serait en conséquence réévalué à 24,7 millions d'euros fin 2012.

Par ailleurs, l'efficacité du dispositif reste encore à démontrer, l'évolution de l'emploi ayant été encore plus mauvaise dans les entreprises exonérées que dans celles qui ne le sont pas.

En second lieu, la LODEOM a créé une aide au fret, dont le versement est intervenu pour la première fois en 2011, le Gouvernement ayant mis plus de dix-huit mois à publier le décret d'application. Mais cette aide, dont la pertinence économique n'est pas certaine, peine à trouver son public. À tel point que sera désormais financée sur la même ligne – mais sans augmentation des crédits – l'aide à la rénovation hôtelière, également créée par la LODEOM.

Les crédits consacrés à l'aide au fret comme à la rénovation hôtelière seront en tout état de cause significativement inférieurs aux prévisions, puisque cette ligne budgétaire de vingt-sept millions d'euros devrait contribuer à hauteur de dix millions d'euros au plan de rigueur.

Le programme « Conditions de vie outre-mer », assez composite, rassemble en son sein de nombreux dispositifs. Je souhaite dire un mot de certaines de ses actions.

L'action « Logement » finance notamment, au moyen de la LBU, la construction de logements sociaux. Ayant déjà évoqué ce sujet, je n'y reviens pas. Cette action finance également la politique de résorption de l'habitat insalubre. Je tiens ici à saluer le travail de notre collègue Serge Letchimy, qui est notamment à l'initiative de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, qui offre de nouveaux outils en matière de RHI.

L'action « Aménagement du territoire » finance pour l'essentiel les dispositifs contractuels entre l'État et les collectivités ultramarines. Depuis 2011, elle finance également les travaux de trois commissaires au développement endogènes. Je rappelle mon scepticisme sur le rôle de ces commissaires, sachant que la LODEOM avait précisément pour objet de renforcer le développement endogène de l'outre-mer. Par ailleurs, pourquoi ne pas avoir confié les missions dévolues à ces commissaires aux services de l'État et des régions, compétentes en matière de développement économique ?

Je vous signale au passage que selon les informations que j'ai pu recueillir, la rémunération de chacun des commissaires serait de 180 000 euros nets par an, soit 15 000 euros nets par mois. Voilà un moyen supplémentaire de réaliser une économie, et un symbole qui pourrait avoir du sens.

L'action « Continuité territoriale » finance le nouveau fonds de continuité territoriale, mis en place par la LODEOM et dont les actes d'application ont enfin été pris.

L'action « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports », très disparate, pourrait être utilement ventilée dans d'autres missions du budget général.

Enfin, c'est depuis l'action « Collectivités territoriales » qu'est financé le nouveau dispositif d'aide à la reconversion de l'économie polynésienne, qui remplace depuis la loi de finances pour 2011 la dotation globale de développement économique, critiquée par les rapporteurs spéciaux successifs pour son défaut de transparence.

Faute de recul suffisant, il n'est pour l'heure pas possible de dresser un bilan de cette réforme. Le moment venu, il conviendra de le faire.

Pour conclure, je vous informe que la commission des finances a adopté les crédits de la mission « Outre-mer ». Pour ma part, je m'en étais remis à la sagesse de la commission, je m'en remets ce soir à celle de l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour l’outre-mer.

M. Alfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour l’Outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, contrairement au budget de la mission « Outre-mer » pour 2011 qui enregistrait une baisse sensible par rapport aux années précédentes, le budget de la mission « Outre-mer » pour 2012 se caractérise par une progression, tant au niveau des autorisations d’engagement qui augmentent de 1,1 % que des crédits de paiement qui augmentent de 2,9 %.

Mme Christiane Taubira. Cela ne va pas durer !

M. Alfred Almont, rapporteur pour avis. Je dois cependant souligner, madame la ministre, que conformément à la volonté du Premier ministre de réduire d'un milliard d'euros le projet de budget pour 2012, vous nous avez déjà annoncé en commission des affaires économiques que : « pour l’ensemble de la mission “Outre-mer”, les économies supplémentaires représentent quarante-huit millions d’euros en autorisations d’engagement et cinquante-six millions en crédits de paiement. Le budget de la mission outre-mer pour 2012 s’établit in fine à 2 131 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 1 979 millions en crédits de paiement. »

Ce projet de budget demeure, malgré tout, plutôt rassurant, même s’il est marqué par la détermination du Gouvernement à réduire le déficit public, face à la crise de la dette.

Cette dynamique malgré tout positive dans son ensemble appelle évidemment certaines nuances selon les programmes et, de manière encore plus précise, selon les actions présentées dans le projet annuel de performance.

En conséquence, je m’attacherai à mettre l'accent sur les quelques points qui n'ont pas manqué pas d'appeler l'attention de notre commission.

S'agissant du programme « Emploi outre-mer » qui demeure le plus important, je ne peux que reconnaître l'augmentation qui le caractérise : 1,3 % de hausse des autorisations d’engagement, et 4,7 % de hausse des crédits de paiement. Il est appréciable de voir se déployer réellement cette année le dispositif de l'aide au fret, dont nous savons qu'il vise à améliorer la compétitivité des entreprises, même si des efforts sont encore nécessaires pour réduire les délais de paiements. De même, pour l'aide à la rénovation hôtelière, les efforts de transcription de la LODEOM sont à souligner.

Mon constat est quelque peu nuancé concernant le service militaire adapté, le SMA. Le Président de la République a énoncé en février 2009 un objectif de doublement du contingent de jeunes formés dans le cadre du SMA : il s'agit alors de passer de 3 000 à 6 000 volontaires d'ici à 2013. Madame la ministre, vous nous avez assuré en commission des affaires économiques que le calendrier prévu pour le déploiement de ce SMA serait respecté. Néanmoins, et alors que le succès du SMA est salué par tous les acteurs de terrain et l'ensemble des élus quelle que soit leur sensibilité, vous nous avez expliqué que les économies du budget de la mission toucheraient notamment les dépenses de fonctionnement de ce SMA. Comment dès lors ne pas craindre que la performance de ce dispositif ne pâtisse de la baisse des crédits annoncée ?

S'agissant du programme « Conditions de vie outre-mer », qui représente en autorisations d'engagement 811 millions d'euros et près de 642 millions d'euros en crédits de paiement, je constate que nous gagnons en autorisations d'engagements ce que nous perdons en crédits de paiements : 0,8 % d’augmentation dans un cas, et une baisse de 0,8 % dans l’autre.

Je m'attacherai particulièrement à deux des sujets qui apparaissent primordiaux : le logement et la continuité territoriale.

En matière de logement il y a tout lieu d'être apaisé de voir que la sanctuarisation de la LBU n'est pas remise en cause. L'action de l’État sur le logement social et la résorption de l'habitat insalubre se poursuit dans la continuité des décisions du CIOM du 6 novembre 2009 et de la LODEOM.

Je souhaite néanmoins souligner que les opérateurs du logement social sont de plus en plus demandeurs d'un produit d'accession sociale adapté à l’outre-mer. Ils sollicitent également une affectation de la LBU par zone, et la possibilité de consacrer une ligne de la LBU au logement évolutif social et à l'aide à l'amélioration de l'habitat.

En outre, tous les acteurs du logement regrettent encore que ne soit pas lancée une grande opération d'identification des besoins selon les territoires. Par ailleurs, étant entendu que la LBU demeure le socle du financement du logement social, le souhait est formulé de voir la défiscalisation s'attacher à un objectif d'amélioration des taux d'effort en permettant par exemple une baisse des loyers.

Je souligne enfin, madame la ministre, que suite au vote de la loi du 23 juin 2011 proposée par notre collègue Serge Letchimy sur la lutte contre l'habitat indigne, seront publiés d'ici la fin de l'année l'arrêté fixant les barèmes de l'aide financière de même que l'indispensable circulaire interministérielle relative aux modalités de mise en œuvre des différentes dispositions. Les attentes sont en effet fortes sur le sujet.

J'en viens à présent à la continuité territoriale. La baisse des autorisations d’engagement et des crédits de paiement, de 0,3 % ne semble pas significative. À mes yeux, le fonds de continuité territoriale, créé par la LODEOM, a répondu à la plupart des attentes de nos concitoyens ultramarins, notamment les publics les moins favorisés.

Cependant, les élus ultramarins sont souvent interpellés sur les imperfections du mécanisme pour nos concitoyens résidant en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. En effet, les aides étant versées sous conditions de ressources, il semblerait que les plafonds fixés soient trop bas dans ces régions, ne tenant pas suffisamment compte du prix particulièrement élevé des billets d'avion. Bien sûr, nous avons noté avec intérêt votre souhait, madame la ministre, de remédier à ces difficultés à l'occasion de la discussion budgétaire et je me réjouis par avance de voir assouplir les critères en fonction de l'éloignement.

Dans ces conditions, et en dépit du contexte de crise qui appelle à la restriction, le projet de budget de la mission semble d'une manière globale répondre aux attentes.

Ceci étant madame la ministre, je ne saurais me dispenser d'évoquer ici, comme n’a pas hésité à le faire notre rapporteur spécial, certaines des mesures fiscales inscrites dans le PLF pour 2012 pour contribuer à la maîtrise de la dépense publique et qui affectent les territoires d'outre-mer, donnant lieu à des interrogations voire des inquiétudes. Nous avons en effet entendu une nouvelle fois le souhait largement formulé que l’effort demandé à tous soit équitablement réparti.

Faut-il rappeler que l’outre-mer a fourni un important effort à l’occasion de l’adoption de la LODEOM, qu'il a amplement participé à l'action de réduction des dépenses fiscales menée par le Gouvernement l’an dernier, en particulier suite à la réduction de 10 % de l'avantage en impôt prévu par le CGI, de même qu'à travers la suppression de l'avantage fiscal à l'investissement dans la production photovoltaïque décidée sur la base d'un rapport de l'Inspection générale des finances qui n'a traité de la question que sous son angle métropolitain ?

Or, de nouvelles contributions sont encore demandées à l'Outre-mer dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012. Le coup de rabot se poursuit, heureusement dans les mêmes conditions que celles définies par la loi de finances initiale pour 2011. Le Gouvernement a également décidé de supprimer en première partie du PLF le dispositif d'abattement d'un tiers sur le résultat soumis à l'impôt sur les sociétés des exploitations situées dans les départements d'outre-mer, sous prétexte que cette mesure n'était plus justifiée dans la mesure où elle bénéficiait surtout aux plus grandes entreprises. Pourtant le rapport de l’IGF sur les dépenses fiscales indiquait que 46 % du coût de cette mesure bénéficiait à des entreprises de moins de neuf salariés.

Il est dès lors permis de regretter que le droit applicable outre-mer souffre en permanence de cette instabilité qui prive les investisseurs de visibilité, à l'heure où ils doivent faire face aux difficultés d'accès au crédit dans le contexte actuel.

M. Alfred Marie-Jeanne. Tout à fait !

M. Alfred Almont, rapporteur pour avis. Bien évidemment, des fonds spécifiques sont mis cette année à disposition de l'Agence française de développement, l’AFD, pour favoriser l'accès aux prêts bancaires et permettre aux collectivités de développer leur capacité d'investissement. Ces fonds viendront donc compléter ceux mobilisés sur le terrain par les collectivités qui n'ont pas hésité à s'engager.

L'AFD a par ailleurs complété sa gamme d'intervention pour assurer un financement direct des entreprises au service de projets structurants. Malgré tout, l'accent demeure sur la nécessité de préserver un dispositif fiscal, encadré, certes, mais voulu pérenne, afin de sauvegarder une incitation fiscale à l'investissement indispensable au développement, sans naturellement remettre en cause la solidarité de l'outre-mer à la réduction incontournable des dépenses publiques. C'est du reste ce qui résulte de la plupart des auditions qui ont été organisées pour la circonstance.

L'année 2011 voulue par le Chef de l'État « Année des Outre-mer » a, de manière opportune, entrepris de procurer aux territoires ultramarins l'occasion de promouvoir de réelles potentialités à l’heure où leurs économies sont sérieusement malmenées. C'est donc, de l'avis de tous, l'occasion de leur donner la possibilité de mettre en place les conditions d'exploiter des atouts indéniables et largement concurrentiels, au premier rang desquels est avancé le secteur de l'énergie, sans lequel tout développement endogène est chimérique.

Le Grenelle de l'environnement et la LODEOM ont fixé des objectifs clairs en termes d'autonomie énergétique à l'horizon 2030, notamment grâce aux énergies renouvelables. Mais comment pouvoir les atteindre faute de visibilité ? À cet égard, madame la ministre, nous nous demandons toujours ce qu’il advient du rapport de la commission mise en place par François Baroin sur les investissements photovoltaïques outre-mer, qui devait être remis au Parlement en juin 2011.

Faut-il rappeler que le Conseil économique, social et environnemental relevait en juillet 2011 le formidable potentiel des outre-mer à même de constituer un laboratoire pour les énergies renouvelables ? Il s'agit dès lors de pouvoir disposer des moyens de s'engager véritablement dans la voie de ce développement reconnu par le Gouvernement comme déterminant et que tous appellent de leurs vœux. Cela passe bien sûr par une plus grande responsabilité et une meilleure organisation des collectivités. Il faut dès lors se réjouir que, d’une manière générale, l’ensemble des collectivités puissent désormais, dans le temps de la réforme territoriale, bien sûr à des niveaux divers, atteindre ces objectifs.

Madame la ministre, nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner le dernier budget « outre-mer » de la législature, alors que s'achève l’« Année des Outre-mer », mon intervention est aussi l'occasion de souligner l'engagement du Gouvernement et du Chef de l'État auprès des territoires ultramarins, depuis le début de cette législature et notamment à la suite de la crise économique et sociale qui a frappé nombre des territoires ultramarins en 2009.

La LODEOM et le CIOM ont posé les jalons d'un développement endogène. Ce projet de budget s'applique quant à lui à préserver les moyens de réaliser les objectifs qui lui sont fixés, en dépit des effets de la crise financière de grande ampleur qui grève, il est vrai, la marge de manœuvre des pouvoirs publics. Faut-il simplement souligner la nécessité de voir l’engagement de l’État, durablement adapté à d'irréductibles particularismes ?

Conformément à l'avis favorable émis par la commission des affaires économiques sur la base des explications et des informations qu'elle a reçues, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le budget de la mission « Outre-mer » pour 2012. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l'économie se dégrade en Europe sur fond de crise budgétaire et financière, la situation de Mayotte, en proie depuis le 21 septembre 2011 à un mouvement contre la vie chère, nous rappelle combien il est nécessaire de soutenir et de conforter le développement de nos départements et collectivités d'outre-mer.

Si le budget de l'État poursuit en 2012 sa trajectoire de retour à l'équilibre, amorcée en 2011, permettant ainsi de ramener le déficit public de 5,7 à 4,5 % du produit intérieur brut, on peut se féliciter que, dans un contexte budgétaire aussi contraint, les crédits relatifs à l'outre-mer aient été consolidés.

Cette évolution positive témoigne de la volonté du Gouvernement et du Parlement de poursuivre la mise en œuvre des engagements formulés lors du Conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009, ainsi que des mesures prévues par la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009

En effet, si l'objectif pris par le Gouvernement de ramener le déficit public à 3 % du PIB à l'horizon 2013 est intangible, il ne saurait se faire au détriment des départements et collectivités d'outre-mer. Tel est le pari réussi du projet de loi de finances pour 2012. En effet, les décisions courageuses prises pour redresser nos finances publiques préservent le budget alloué à la mission « Outre-mer », dont les crédits s'établissent à 2,18 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 2,03 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation respective de 1,1 % et 2,9 % par rapport au budget 2011.

Si ses crédits sont confortés, la mission « Outre-mer » n'en contribue pas moins à l'effort de redressement des comptes publics. Mme la ministre nous présentera d'ailleurs, au cours de la discussion, un amendement en ce sens, qui nous vaudra une intervention, que je pressens fort opportune, de notre collègue René-Paul Victoria.

Ce budget est donc marqué par l'application aux niches fiscales concernant l'outre-mer du coup de rabot de 10 %. Cependant, celui-ci ne sera pas appliqué à l'investissement dans le logement social outre-mer et cette décision gouvernementale doit être saluée. La défiscalisation prévue par la LODEOM du 27 mai 2009 constitue en effet, un outil déterminant pour favoriser la finalisation des plans de financements proposés par les bailleurs sociaux.

S'agissant des investissements productifs industriels outre-mer, le coup de rabot de 10 % s'accompagnera, comme en 2011, d'un dispositif technique de rétrocession de la réduction d'impôt à l'exploitant ultramarin, afin de faire porter les efforts uniquement sur l'investisseur privé et non sur l'exploitant local.

Avec un budget ainsi conforté, la mission « Outre-mer » garantira, en 2012, le respect des engagements pris par le Gouvernement dans des domaines d'intervention prioritaires comme l'emploi.

S'agissant des thèmes qui relèvent plus spécialement de la compétence de notre commission des lois, je voudrais principalement évoquer l'actualité institutionnelle très dense qui caractérise les outre-mer, en commençant par la départementalisation de Mayotte.

La transformation de Mayotte en département d'outre-mer est désormais effective depuis le 31 mars 2011. Afin de mener à bien cette réforme, les lois du 7 décembre 2010, dont l'une de nature organique, ont défini les modalités de fonctionnement des nouvelles institutions du département de Mayotte et ont engagé le processus d'harmonisation juridique nécessaire à l'application du droit commun.

Premièrement, elles ont, dans cette perspective, doté le département de Mayotte d’un conseil général exerçant les compétences d'un département et d'une région. À cette fin, les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à ces collectivités de droit commun ont été étendues à Mayotte sous réserve de certaines adaptations.

Deuxièmement, elles ont étendu à Mayotte l'ensemble des dispositions du code électoral.

Troisièmement, elles ont rendu applicables à Mayotte certains textes dans de nombreux domaines : copropriété, éducation nationale, protection du patrimoine culturel, dès le mois de mars 2011. Elles ont habilité le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnances à d'autres extensions dans un délai de dix-huit mois. Des ordonnances ont été, ou seront ainsi prises en matière de protection sociale, de droit du travail, d'urbanisme, d'environnement ou d'organisation judiciaire.

Le mouvement de protestation contre la vie chère que connaît Mayotte depuis le 21 septembre 2011 nous rappelle combien il est aujourd'hui nécessaire d'accompagner et de conforter le processus de départementalisation. Si les négociations sont toujours en cours, sous l'égide de M. Denis Robin, préfet, et de M. Stanislas Martin, chef de service de la direction générale de la concurrence, entre l'État, les organisations syndicales et les représentants de la grande distribution, nous ne pouvons qu'appeler de nos voeux la conclusion rapide d'un accord de sortie de crise et la fin immédiate des violences.

Au-delà de cette actualité, la départementalisation ne peut être, comme j'avais eu l'occasion de le dire dans cet hémicycle que progressive, compte tenu des contraintes particulières qui pèsent sur cet archipel. La pleine accession de Mayotte au droit commun des départements d’outre-mer suppose de soutenir le développement économique et social de ce territoire, qui est une condition indispensable à la réussite de la départementalisation.

Le contrat de projet ambitieux que le Gouvernement a signé en 2008 avec le conseil général de Mayotte permettra d'y réaliser, chaque année et jusqu'en 2013, 60 millions d'euros d'investissement public, qu'il s'agisse du logement social, de l'assainissement, de l'agriculture, de l'aquaculture, de la pêche ou encore des transports.

En outre, le Gouvernement a mis en place en mars 2011, le fonds mahorais de développement économique, social et culturel doté, en 2012, de 10 millions d'euros, et ce pour financer de nouveaux projets d'investissement public et privés. Afin que ce fonds mahorais puisse rapidement bénéficier des fonds structurels européens, il est indispensable, j’y insiste, que Mayotte accède, au plus tard en 2014, au statut de région ultrapériphérique de l'Union – RUPV.

La pleine accession de Mayotte au droit commun des départements d’outre-mer suppose également l'établissement d'un état civil fiable. Pour répondre à cette difficulté, un dispositif spécifique a été mis en place au début des années 2000, avec la création de la commission de révision de l'état civil de Mayotte – la CREC –, à propos de laquelle M. Dosière et moi-même sommes souvent intervenus. Celle-ci pouvait être saisie par toute personne majeure, née à Mayotte avant le 8 mars 2000, en vue de déterminer son identité et de dresser les actes de l'état civil correspondants. Alors que la CREC a cessé son activité le 5 avril dernier, je souhaite, madame la ministre, que vous puissiez dresser un bilan de son action.

Je voudrais enfin dire quelques mots des évolutions institutionnelles concernant les autres collectivités ultramarines. En Guyane et Martinique, conformément au souhait des populations, la loi du 27 juillet 2011 a institué les deux collectivités uniques. En vue d'accompagner cette réforme, il est nécessaire d'anticiper dès maintenant, par le dialogue et la concertation, la mise en place en mars 2014 d'une collectivité unique en Guyane et en Martinique. Il est souhaitable à ce titre que les dispositions réglementaires relatives à la commission tripartite, composée de représentants de l'État, du département, ainsi que de la région, chargée de préparer la mise en place de la nouvelle institution soient publiées dans les meilleurs délais.

L'instabilité politique chronique de la Polynésie française a conduit le Gouvernement et le Parlement à modifier la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Tel est l'objet de la loi organique du 1er août 2011.

Elle entendait, premièrement, mettre fin à l'instabilité chronique des institutions polynésiennes en modifiant, à cette fin, le régime électoral applicable. La loi organique du 1er août 2011 a ainsi institué une circonscription électorale unique, composée de huit sections, en assurant la représentation effective des archipels les moins peuplés et les plus éloignés, avec un mode de scrutin de liste à deux tours et assorti de conditions de domiciliation et d'imposition.

Deuxièmement, rénover le statut de la collectivité d'outre-mer, afin de réduire la dépense publique locale et de rendre plus efficientes les relations entre l'exécutif et l'assemblée délibérante. Plusieurs mesures ont été prises à ce titre : renforcement des conditions de dépôt et d'adoption d'une motion de défiance à l’encontre du gouvernement polynésien, limitation à dix du nombre des membres de ce même gouvernement ; limitation, dès 2012, des crédits nécessaires à la rémunération des collaborateurs de cabinet à 5 % des dépenses consacrées à la rémunération des personnels de la collectivité.

Je considère cependant que ces mesures – aussi positives soient-elles – doivent être prolongées, au plan local, par la conduite de politiques publiques cohérentes, tout particulièrement en matière d'aménagement et de développement durables du territoire.

Mes chers collègues, au terme du temps qui m'est imparti, je vous invite, au nom de la commission des lois, à adopter les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2012. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Lesterlin, premier orateur inscrit.

M. Bernard Lesterlin. Madame la ministre, je tiens tout d'abord à excuser mon collègue et ami Victorin Lurel, qui ne pourra pas nous rejoindre en raison du congrès des élus locaux de Guadeloupe, qu'il préside. Il vous en avait d’ailleurs avisée.

Mayotte est paralysée par la crise sociale. Des tensions se ravivent en Nouvelle-Calédonie. La Polynésie est au bord de la faillite. Les feux de forêt à La Réunion montrent de graves failles dans la gouvernance. Je pourrais continuer cette listes de désastres, mais je m'arrêterai là pour préserver le moral de notre assemblée. Accordons-nous toutefois pour dire que si la France dispose encore de son triple A, les crédits alloués à l'outre-mer cette année souffrent plutôt du triple T : Trop peu, Trop éparpillé, Trop inefficace.

Le premier T : trop peu. En 2012, les crédits budgétaires pour l'outre-mer vont s'effondrer de près de 25 millions d'euros en autorisations d'engagements. Et ce n'est qu'un début. Nous avons appris lundi que le Gouvernement comptait encore raboter les crédits budgétaires de 54 millions d'euros.

La crise économique n'épargne pas les outre-Mer, bien au contraire, et la rigueur assombrira l’avenir de ces territoires. L'exemple de la Polynésie est à cet égard consternant : la mission d'assistance des inspections générales des finances, de l'administration et des affaires sociales avait dressé en septembre 2010 un tableau accablant : 9 000 emplois détruits depuis 2008, absence de coordination des politiques d'investissement public, les caisses de prévoyance sociale en faillite, une fraude fiscale massive.

Ce triste constat est, hélas, partagé par l'ensemble de nos territoires ultramarins. En Guadeloupe, en Guyane et en Martinique, certaines zones ont vu le chômage des jeunes atteindre des sommets, jusqu'à 60 %. L'absence de moyens s'est révélée dramatique ces derniers jours à La Réunion. Il a fallu attendre sept jours et la perte de 3 000 hectares de forêt classée au patrimoine mondial de l'UNESCO pour que le Dash 8 soit envoyé en renfort.

Le Gouvernement sacrifie la protection sociale, l'environnement, mais, plus grave, la jeunesse, qui subit tout particulièrement ces coupes budgétaires. Les autorisations d'engagement pour le Service militaire adapté – le SMA –, dont le rôle dans la formation des jeunes ultramarins est essentiel, ont été divisées par trois par rapport à l'année précédente. Le Président Sarkozy s'était pourtant engagé il y a deux ans à doubler les effectifs du SMA.

Madame la ministre, quand allez-vous reconnaître que nous donnons trop peu aux outre-mer, qui ont tant besoin de relancer le moteur de la croissance et de l'emploi ?

Le deuxième T : Trop éparpillé ! En me perdant dans les méandres des documents budgétaires proposés par le Gouvernement, je ne peux que m'inquiéter de l'absence de cohérence des crédits et des dispositifs fiscaux proposés. Je ne vois nulle part une vision pour l'avenir de l'outre-mer, tout juste un enchevêtrement de mesurettes dont l'efficacité n'a même pas été évaluée. Cet état de fait est particulièrement déplorable dans le domaine de la politique du logement. La réforme de la fiscalité du logement social et du financement de la construction de logements sociaux prévue par la LODEOM donne l'impression de s'être faite en totale déconnexion avec l'objectif gouvernemental d'augmenter la création de logements locatifs dans les DOM de 10 % par rapport à l'année précédente. En bout de la chaîne du logement, l'hébergement d'urgence après des catastrophes naturelles subit un coup dur avec votre projet de budget. Les fonds de secours, ayant vocation à aider les collectivités territoriales assistant les sinistrés en grande difficulté, seront divisés par cinq ! Où est la cohérence madame la ministre ?

Le troisième T : Trop inefficace ! Les politiques publiques à l'égard de l’outre-mer sont marquées par le sceau de l'échec dans de nombreux domaines. Face à un chômage galopant, le Gouvernement n'a qu'un seul mot à la bouche : exonérations. Les exonérations de cotisations de sécurité sociale restent la principale dépense de l'action de soutien aux entreprises, avec près de 1 117 millions d'euros budgétés. J'ai envie de vous répondre : il ne devrait pas y avoir d'exonérations sans évaluation. Ces niches sociales ultramarines profitent essentiellement aux plus riches de nos concitoyens. Elles sont souvent qualifiées de « niches VIP », tant elles profitent à un petit nombre de foyers. Le rapport de l'Inspection générale des finances du 24 août dernier est, à cet égard, sans appel sur l'impact social et budgétaire de ces niches : les niches sociales pour l'outre-mer sont mal formatées et n'ont jamais été véritablement évaluées. Pire, on peut soupçonner que leur impact sur l'emploi est négligeable. Le rapporteur spécial relève, par exemple, des écarts minimes de taux de croissance de l'emploi dans les entreprises bénéficiaires des exonérations. Il est primordial d'en revoir le périmètre, afin que nos compatriotes des outre-mer puissent enfin voir les effets concrets de ces dépenses fiscales sur leurs conditions de vie, leur pouvoir d'achat, leur logement.

Trop peu, trop éparpillé, trop inefficace, ce budget est un parjure. Un parjure par rapport aux promesses solennelles que vous et votre gouvernement aviez faites lors du conseil interministériel de l'outre-mer, dont les ultra-marins attendent toujours les répercussions concrètes.

Je conclurai mon propos en rappelant les mots d’Aimé Césaire : « Les Français d'outre-mer doivent redevenir des Français à part entière, pour cesser d'être des Français entièrement à part. » Votre budget, madame la ministre, échoue à faire l'un comme l'autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'examen du dernier budget de ce quinquennat se déroule dans le climat tendu de la crise financière internationale. Nous savons d'ores et déjà que les montants annoncés seront revus à la baisse. Le budget de l’outre-mer vient d'être diminué de 56 millions d'euros et s'établit donc, pour l'instant, au même niveau que celui de l'an dernier.

Cette discussion budgétaire intervient aussi au moment où les deux départements de l'océan Indien sont confrontés à des événements rendus dramatiques, non par le contexte mondial, mais uniquement en raison d'une cafouilleuse, d'une calamiteuse, d'une mesquine gestion gouvernementale.

À Mayotte, les bons de cinq euros proposés aux Mahorais lorsqu'à leur tour, ils dénoncent le coût trop cher de la vie, révèlent, au-delà du mépris de la démarche, qu'aucune leçon n'a été tirée des manifestations qui ont traversé, il y a deux ans, l'ensemble des régions d'outre-mer.

À La Réunion, l'incendie qui a ravagé des milliers d'hectares du Parc national est aussi la conséquence du cafouillage gouvernemental. Tous les éléments de langage du monde ne pourront atténuer l'ampleur de la catastrophe écologique, la perte irrémédiable d'une flore endémique et la mise en danger d'espèces animales rares. Traiter avec une telle approximation un site naturel reconnu comme exceptionnel mais fragile, un site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, est révélateur d'un certain état d'esprit à l'égard de nos territoires.

Comment pourrait-il en être autrement lorsque la ministre de l'outre-mer, semaine après semaine, répète en boucle deux sentences sur lesquelles il convient de s'attarder un peu ? « L’outre-mer doit participer à l’effort national et contribuer au redressement des comptes publics. » Voilà votre première phrase fétiche, madame la ministre. À première vue, rien de choquant, mais que de non-dits, que de sous-entendus ! Quand le Gouvernement augmente la taxe spéciale sur les mutuelles de santé, l’outre-mer n’est-il pas concerné lui aussi ? Et quand les sodas sont taxés, les médicaments déremboursés, les indemnités journalières revues à la baisse et la revalorisation des prestations familiales et des aides au logement gelée, pourquoi insistez-vous aussi lourdement quand les populations d’outre-mer subissent, comme les autres, l’avalanche de taxes qui s’est abattue sur la France au cours de ces cinq dernières années ?

Pourquoi ne soulignez-vous pas, au contraire, que ces taxes s’appliquent de la même manière sur des territoires où le PIB par habitant est près de deux fois plus faible, 16 000 à 17 000 euros contre 30 000 euros ? Vous le savez pourtant. Qu’il s’agisse de dispositifs de défiscalisation spécifiques ou généraux, les coups de rabot successifs ne nous épargnent guère. Vous savez aussi que notre participation à l’effort national est telle que le budget de l’outre-mer a été mis à contribution pour rembourser à la marine de Taïwan les centaines de millions d’euros auxquels la France a été condamnée.

M. Éric Jalton. Oui.

Mme Huguette Bello. La deuxième phrase qu’il vous plaît de répéter est : « Jamais aucun Gouvernement n’avait tant fait pour l’outre-mer. » Nous aurions aimé que cela fût vrai. Malheureusement, chaque jour qui passe apporte le désaveu le plus cinglant à ce slogan facile. La lutte contre la vie chère était l’une des priorités de votre action. Chaque citoyen, chaque famille sait ce qu’il en est vraiment. La hausse des prix est de retour, le surendettement et la grande précarité atteignent des proportions inédites, les situations de monopole prospèrent,…

M. Éric Jalton. Absolument.

Mme Huguette Bello. …l’avenir incertain du bonus exceptionnel de cinquante euros versé aux salariés les plus modestes risque de faire plonger encore un peu plus le pouvoir d’achat. Il est urgent de savoir si le dispositif d’exonération des charges prévu à l’article 3 de la LODEOM sera prolongé. Le chômage explose. Il faut remonter à 2007 pour retrouver les dernières baisses. Six jeunes sur dix sont désormais sans emploi. Même en Grèce, le ratio n’est, si je puis dire, que de quatre sur dix.

M. Louis-Joseph Manscour. Ce qui n’est pas rien.

Mme Huguette Bello. La jeunesse paie au prix fort la dégradation du marché de l’emploi. C’est là une situation sans équivalent dans l’Union européenne. C’est sur cette jeunesse que s’abattent des mesures de suppression de postes dans l’éducation nationale. Résultats aux évaluations, taux d'illettrisme, sorties sans qualification deux fois plus élevées : aucun de ces marqueurs de l'échec scolaire n'a réussi à alerter le Gouvernement sur les conséquences de sa politique éducative dans le contexte réunionnais.

M. Éric Jalton. En Guadeloupe aussi.

Mme Huguette Bello. Changez votre slogan. Aucun Gouvernement n'a jamais été aussi néfaste à notre jeunesse. (« Très bien » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Christiane Taubira. Bravo, madame Bello.

Mme Huguette Bello. Il ne faut guère compter sur le budget de 2012 pour trouver une éclaircie. Entre la suppression, y compris pour les TPE, de l'abattement de 30 % sur les bénéfices et le coup de rabot annoncé à hauteur de 10 % – et sans doute de 15 % – qui se traduira par une nouvelle diminution de l'aide fiscale destinée à favoriser les investissements productifs, ce qu'on appelle le « Girardin industriel », les dispositifs de soutien à l'investissement économique outre-mer vont non seulement être à nouveau amputés de centaines de millions d'euros, mais aussi devenir de plus en plus illisibles.

M. Éric Jalton. Ce n’est pas un coup de rabot, mais un coup de hache.

Mme Huguette Bello. Faute d'investissement, la dégradation du tissu économique risque de se poursuivre, les emplois de continuer à disparaître et la production locale de s'effondrer. Ce qui rendra encore un peu moins opérante la grande ambition présidentielle du développement endogène.

À cet égard, ce qui se passe dans la filière photovoltaïque est grave et doit servir de leçon.

M. Éric Jalton. Absolument.

Mme Huguette Bello. Alors que, dans le Grenelle 1, l'autonomie énergétique des outre-mer est prévue pour 2030, alors que les énergies renouvelables constituent l'un des six secteurs prioritaires de la LODEOM, ce secteur est en panne depuis deux ans. Pourquoi ? Depuis et à cause de la suppression totale de la défiscalisation pour les investissements réalisés dans ce secteur et la baisse du prix d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque.

M. Éric Jalton. Une catastrophe.

Mme Huguette Bello. Ces décisions ont enrayé à La Réunion une dynamique d'avenir. L'île détenait alors le taux le plus élevé d'énergies renouvelables de la République, 37 %.

M. Éric Jalton. En Guadeloupe aussi.

Mme Huguette Bello. Et 1 500 postes ont été sacrifiés ! Et nous attendons toujours les nouveaux tarifs de rachat qu'on nous avait pourtant promis pour le mois de septembre.

Ce sont aussi des mesures inadaptées qui sont en grande partie responsables de la situation dans le BTP, où au moins 10 000 emplois ont été perdus. Ce scénario n'était pourtant pas inéluctable. Il suffisait au Gouvernement d'accepter l'évidence et de considérer le logement social comme le grand chantier par excellence de La Réunion.

M. Jean-Claude Fruteau. Hélas !

Mme Huguette Bello. Le décalage entre les immenses besoins et les moyens prévus a été unanimement énoncé, constamment dénoncé, mais vous n'avez pas essayé de le combler.

Les mises en chantier de cette année sont un peu plus nombreuses, c'est vrai, mais il est surtout vrai qu'elles ne suffiront pas à compenser la dramatique sous-production accumulée tout au long de ce quinquennat.

Grâce à la vigilance sans faille des parlementaires, la ligne budgétaire unique bénéficie, avec l'article 33 de la LODEOM, d'une sorte de protection juridique qui se révèle fort utile en ces temps de restriction budgétaire. Mais cela ne doit pas occulter son montant. Fixé à un niveau trop faible, il transforme de plus en plus le logement social outre-mer en une niche fiscale. Vous vous réjouissez, madame la ministre, de la satisfaction des opérateurs. Mais vous savez aussi qu'ils attendent toujours une réponse aux demandes de simplification et de sécurisation du dispositif de défiscalisation qu'ils vous ont adressées.

M. Jean-Claude Fruteau. Une usine à gaz.

Mme Huguette Bello. Ils souhaitent également une relance de l'accession sociale à la propriété, laquelle, faute d'une remise aux normes des paramètres, a quasiment disparu.

Si l'on veut éviter qu'une difficulté de plus ne vienne contrarier la construction des logements sociaux, il est nécessaire, de veiller dès à présent à ce que les programmes puissent disposer d'un foncier aménagé suffisant.

M. Éric Jalton. Très bien.

Mme Huguette Bello. Ce qui amène à prendre en compte les capacités financières des communes qui non seulement sont limitées, mais subissent de surcroît le gel des dotations de l'État.

Vous citez souvent, madame la ministre, le programme DEFI – développement des élevages et des filières interprofessionnelles – comme l'une des réussites concrètes du comité interministériel de l’outre-mer, le CIOM. Vous aurez donc à coeur de répondre aux attentes des éleveurs dont les prairies ont été également détruites par l'incendie du Parc national et qui vous ont fait part de leurs graves problèmes de fourrage, d'eau et de trésorerie.

Avec ce budget, aucune amélioration n'est à attendre sur le front du désenclavement aérien.

M. Jean-Claude Fruteau. Aucune.

Mme Christiane Taubira. En effet.

Mme Huguette Bello. Nous aurons toujours droit à une continuité territoriale de seconde catégorie, et vous n'ignorez pas que les prix des billets d'avion viennent de subir une énième hausse. Quant à l'aide au fret, ses débuts semblent bien laborieux et quasiment virtuels. Les crédits prévus risquent, comme vous l'avez déjà annoncé, d'être sacrifiés sur l'autel de la crise de la dette.

M. Éric Jalton. Rabotés.

Mme Huguette Bello. L'impact de cette crise dépasse évidemment les contours de ce budget. C'est pourquoi, madame la ministre, nous souhaitons attirer votre attention sur les conséquences que pourrait entraîner pour les régions ultrapériphériques la proposition conjointe que la chancelière allemande et le président français ont récemment faite au président de l'Union européenne.

Ils proposent en effet de conditionner les paiements issus des fonds structurels et de cohésion au respect des règles sur les déficits budgétaires des États, ce qui fait peser une menace directe sur les régions ultra-périphériques françaises, à moins que vous ne vous réclamiez de l'article 349 du traité de Lisbonne.

Pour toutes les raisons que je viens d'énoncer, nous avons quelque peine à comprendre la satisfaction dont vous faites état, madame la ministre. Si, comme vous le prétendez, les mesures du CIOM ont été mises en œuvre à 90 %, il faut alors en conclure que leur impact est des plus limités.

M. Jean-Claude Fruteau. Très juste !

Mme Huguette Bello. Les problèmes majeurs qui ont présidé à leur origine sont toujours là. Les chiffres le disent, les populations le déplorent. Au lieu de vouloir nous persuader que tout va bien, écoutez plutôt le désarroi, l'angoisse, la colère qui montent de nos territoires. C'est sur cette attitude, sur ce terreau de bonne volonté que poussent les meilleures décisions. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme Christiane Taubira. Bravo, madame Bello !

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mon groupe de m’avoir pour la dixième année consécutive donné la chance, moi qui ne suis pas élu d’outre-mer, d’exprimer notre opinion sur le budget de l’outre-mer. Sachez que c’est pour moi un honneur.

Je saluerai aussi, monsieur le président, la constance dont vous faites preuve en étant présent à chaque débat budgétaire sur l’outre-mer, à l’instar de votre prédécesseur. Nous y voyons une marque d’attention pour nos compatriotes ultramarins. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Malgré un contexte budgétaire plus contraint que par le passé, les crédits de la mission « Outre-mer » s'élèveraient en 2012 à 2,18 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,03 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une progression respective de 1,1 % et 2,9 % quand tant d’autres budgets connaissent une régression. Alors que les sommes allouées à cette mission subissaient l'an dernier un léger recul – les crédits avaient, pour cette année, diminué de 0,6 % en autorisations d'engagement et de 2,3 % en crédits de paiement –, je tiens à saluer, cette hausse des crédits qui, bien que réduite, témoigne d'un engagement de l'État aux côtés de nos concitoyens ultramarins, appréciable en cette période de rigueur budgétaire.

Notre débat intervient au terme d'une année qui voit la concrétisation de la loi pour le développement économique des outre-mer dont l'objectif était de redynamiser les économies ultramarines et les décisions du conseil interministériel de l’outre-mer de 2009.

À ce jour, bien qu'il se soit passé plus de dix-huit mois, madame la ministre, avant que le décret d'application ne soit publié, je note que ces réformes commencent à créer leurs premiers effets sur le développement économique des territoires ultramarins : je pense notamment à l'attribution d'aides budgétaires aux entreprises en matière de rénovation hôtelière ou encore au déploiement du dispositif de l'aide au fret, dont je regrettais l'an dernier à la même période un retard dans l'application.

Néanmoins, au-delà des effets de la crise que nous subissons tous, d'importants écarts, dus aux spécificités structurelles de l'outre-mer, subsistent avec la métropole : le taux de chômage est encore deux à trois fois plus élevé en outre-mer qu'en métropole, particulièrement chez les moins de trente ans, et le niveau de vie de la population y est toujours plus faible, parfois même inférieur de moitié par rapport à la métropole. À La Réunion, notamment, 52 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Nombre de collègues ont attiré votre attention, madame la ministre, sur la baisse inexorable du pouvoir d'achat et la hausse incessante des prix qui oppressent nos compatriotes d'outre-mer.

Les événements récents qui ont bousculé Mayotte illustrent parfaitement cette situation. Depuis la fin du mois de septembre, Mayotte est en proie à une crise sociale de grande ampleur du fait du coût de la vie qui devient insupportable pour nos concitoyens mahorais. En raison de l'enlisement du conflit, le Gouvernement a dépêché son médiateur M. Robin, ancien préfet de l'île, pour tenter de trouver une issue à ce conflit qui pèse sur la fragile économie mahoraise. Je ne peux que souhaiter qu'une solution rapide soit trouvée entre les différents acteurs et représentants locaux. Une première base a été jetée avec l'accord contesté du 17 octobre dernier qui prévoit une baisse des prix de neuf produits de première nécessité. Il convient que le Gouvernement continue de se mobiliser afin qu'un accord plus global, notamment sur le prix de la viande et plus particulièrement du bœuf, intervienne au plus vite.

On peut à cet égard regretter que s'agissant du programme « Conditions de vie outre-mer », qui représente près de 642 millions d'euros, nous perdions en crédits de paiement ce nous gagnons en autorisations d'engagement : augmentation de 0,8 % d’un côté, diminution de 0,8 % de l’autre, ce secteur semblant concentrer les mesures d'économies tout comme dans le précédent budget.

Toutefois, je ne suis pas certain, chers collègues, que l'on puisse résumer uniquement à cela le problème qui se pose aujourd'hui à Mayotte et qui a frappé la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. La cherté du coût de la vie a certes été l'élément déclencheur mais la source de ce phénomène se trouve aussi et surtout dans les monopoles – monopole de la distribution, monopole du système bancaire, monopole des transports, monopole du fret, monopole du secteur financier – qui contribuent à renchérir le coût de la vie outre-mer. C’est à ces monopoles-là, comme je l’ai déjà souligné lors de précédents débats, que l’État doit s’attaquer réellement, ce qui n’a pas été suffisamment fait jusqu’à aujourd’hui.

Ces situations de tension alliées à un contexte budgétaire difficile ne laissent d'autre choix que de recentrer l'action publique, celle du budget de l’État, autour des axes les plus stratégiques pour le développement économique, l'emploi, le logement, la continuité territoriale et l'aménagement du territoire.

À ce titre, et au-delà des querelles de chiffres, je voudrais saluer la préservation de certaines dépenses liées à des politiques à nos yeux centrales pour le développement de nos départements et collectivités d'outre-mer et leur cohésion sociale.

Commençons par le logement. La situation est préoccupante en outre-mer où, selon l’Institut d'émission des départements d'outre-mer, l’IEDOM, les besoins en logements sociaux représenteraient entre 20 % à 25 % des besoins globaux. Une grande partie de la population est éligible au logement social du fait de sa situation économique fragile mais doit faire jouer la solidarité familiale en l’absence d’autres solutions. L'augmentation de l'engagement gouvernemental en faveur du logement depuis 2007 ainsi que la sanctuarisation pour 2012 de la ligne budgétaire unique permet à l'État de poursuivre ses actions sur le logement social neuf et la résorption de l'habitat insalubre, dans la continuité des décisions du CIOM et de la loi pour le développement économique des outre-mer. Tout cela constitue pour le groupe Nouveau Centre une source de satisfaction. Encore faudrait-il, madame la ministre, que tous ces crédits soient effectivement consommés. Nos rencontres avec certains bailleurs et partenaires laissent planer quelques inquiétudes à cet égard.

Naturellement, la situation nécessite des efforts constants et une action continue dans ce domaine car il reste encore tant à faire. Sur le terrain, les opérateurs du logement social sont de plus en plus demandeurs d'un produit d'accession sociale adapté à l'outre-mer qui fait aujourd’hui défaut. Ils sollicitent également, madame la ministre, une affectation de la ligne budgétaire unique par zone et la possibilité de consacrer une ligne de la LBU au logement évolutif social et à l'aide à l'amélioration de l'habitat. Par ailleurs, comme l'a déjà souligné notre collègue Alfred Almont, tous les acteurs du logement regrettent que ne soit pas lancée une grande opération d'identification des besoins selon les territoires.

Enfin, madame la ministre, à la suite du vote de la loi initiée par notre collègue Serge Letchimy sur la lutte contre l'habitat indigne, la question est aujourd'hui de savoir quand seront publiés l'arrêté fixant les barèmes de l'aide financière ainsi que l'indispensable circulaire interministérielle relative aux modalités de mise en œuvre des différentes dispositions. Rien ne sert, chers collègues, de voter des lois si elles n’entrent pas en application, surtout quand il s’agit de questions sociales aussi urgentes. Les attentes de nos compatriotes ultra-marins sont fortes en ce domaine.

Pour ce qui est du programme « Emploi outre-mer », dont les deux actions sont appelées à faciliter, pour la première, la création d'emplois ainsi que l'accès au marché du travail et, pour la seconde, le soutien aux entreprises, je ne peux que me féliciter de l'augmentation constatée : 1,3 % en autorisations d'engagement et surtout 4,7 % en crédits de paiement. Par ailleurs, je tiens à saluer l'initiative du Gouvernement de doter d'enveloppes stables le service militaire adapté afin d'offrir davantage de places aux stagiaires ainsi que sa volonté de doubler à terme la capacité de formation du SMA, acteur clé du renforcement de l'insertion dans la vie active des jeunes adultes ultramarins en situation d'échec. Pour ce qui est des contrats aidés, on peut également souligner que leur nombre a été porté à 52 270 pour 2011 contre 46 900 en 2010, soit près de 12 % d’augmentation.

Le programme « Emploi outre-mer » comprend également les crédits en faveur de la formation en mobilité des jeunes ultramarins qui doivent se rendre en métropole faute de trouver une formation chez eux. Le passeport mobilité formation professionnelle concourt pour un montant de 20 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement au financement des titres de transport des bénéficiaires ainsi que des frais d'installation et de formation. Il convient, madame la ministre, de poursuivre les efforts sur ce point précis. Je regrette néanmoins une fois encore, comme je le fais depuis dix ans ici, que votre gouvernement comme les précédents n’ait pas voulu prendre l'initiative de mettre en place avec les élus métropolitains – qui sont, saluons-le, de plus en plus nombreux à assister à nos débats budgétaires sur l’outre-mer année après année – une plateforme d'échanges pour que les collectivités métropolitaines puissent offrir des logements à bas prix à ces étudiants qui éprouvent toujours bien des difficultés, une fois arrivés en métropole, pour trouver un logement, faute d’avoir pu en demander l’attribution alors qu’ils se trouvaient encore dans leur région d’origine. Cette mesure ne coûterait rien, serait facile à appliquer et permettrait de marquer une continuité territoriale où la solidarité nationale serait concrètement mise en œuvre, au-delà de la simple dimension financière.

La notion de continuité territoriale, mes chers collègues, vous le savez, est essentielle pour nos compatriotes établis en outre-mer mais aussi pour tous ceux qui, originaires de ces départements ou de ces collectivités, vivent dans l'hexagone et ceux-là, madame la ministre, vous les avez oubliés tout au long de la législature ! Vous connaissez mon engagement depuis 2002 sur cette question. Je n'accepte pas et je n'admettrai jamais, tant que j'aurai l'honneur d'être député de la nation, que nos concitoyens originaires d'outre-mer soient plus mal traités, et de loin, que nos compatriotes corses en matière de continuité territoriale.

Mme Huguette Bello. Bravo !

M. Olivier Jardé. Très juste !

M. Jean-Christophe Lagarde. Alors même que les voyages entre l’hexagone et les territoires outre-mer sont par nature beaucoup plus chers, l'État dépense beaucoup plus pour les corses que pour les ultramarins. C'est injuste, inéquitable et injustifiable et cela restera à mes yeux une grande erreur et un grand manque de votre gouvernement.

M. Bruno Sandras et M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde. Quoi qu’il en soit, il importe que les dispositifs couverts par cette action soient mobilisés de la manière la plus efficace possible. J’appelle votre attention, madame la ministre, sur le fait que l'action « Continuité territoriale » qui finance cette année le nouveau Fonds de continuité territoriale pose problème. Il semble qu'en l'état, le dispositif ne soit pas véritablement adapté pour l'ensemble des territoires d'outre-mer et que ce dernier devrait être modulé en fonction des spécificités des territoires. C'est le cas pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. En effet, les aides de ce fonds sont versées sous conditions de ressources et il semblerait que les plafonds fixés soient trop bas dans ces régions car ils ne prennent pas assez en compte les prix des billets d'avion, particulièrement élevés. Il conviendrait, madame la ministre, de revoir au plus vite le seuil de ces plafonds car il importe que les dispositifs couverts par cette action soient mobilisés de la manière la plus efficace possible.

J'en viens enfin, mes chers collègues, aux dépenses fiscales qui constituent l'ultime composante de l'intervention financière de l'État outre-mer. Il est primordial de préserver un dispositif fiscal destiné à sauvegarder une incitation fiscale à l'investissement car c'est par l'investissement que nous pourrons créer les conditions favorables au développement des collectivités d'outre-mer. À cet effet, des fonds spécifiques ont été mis à disposition de l'Agence française de développement pour favoriser l'accès aux prêts bancaires, ce qui constitue un réel progrès pour le financement des collectivités outre-mer.

Avec près de trois milliards d'euros prévus pour 2012, chiffre légèrement inférieur à celui de 2011, les dépenses fiscales seront cette année près d'une fois et demie supérieures aux crédits budgétaires eux-mêmes. Le projet de loi de finances pour 2012 prévoit de modifier certaines de ces dépenses fiscales en supprimant, d'une part, l'abattement d'un tiers dont bénéficient, pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés, les résultats réalisés dans les départements d'outre-mer et, d'autre part, en soumettant à un nouveau coup de rabot, à hauteur de 10 %, les réductions d'impôt sur le revenu auxquelles ouvre droit la réalisation d'investissements locatifs ou productifs outre-mer. Ces mesures ne doivent pas avoir pour objectif de remettre en cause les outils fiscaux dont ces territoires ont besoin pour compenser les handicaps structurels découlant tant de leur éloignement que de l'étroitesse de leur marché intérieur ou encore de la concurrence immédiate de bassins d'emplois à faible coût de main-d'œuvre. Il s'agit au contraire de stimuler l'investissement et la croissance outre-mer tout en empêchant qu'elles ne deviennent pour nos compatriotes les plus fortunés un moyen de se soustraire à l'impôt, en faisant au passage la fortune des cabinets de défiscalisation.

Monsieur le président, je veux faire part avant de conclure de mon inquiétude à propos de l’un de nos territoires d’outre-mer : la Polynésie française. Elle connaît à la fois une crise institutionnelle, une crise politique, une crise économique et une crise sociale gravissime qui laissent craindre au groupe Nouveau Centre une évolution politique susceptible d’éloigner ce territoire de la République. Nous avons voté plusieurs lois, notamment sur le régime électoral de ce territoire, mais il est bien plus important encore de trouver une issue politique à la crise polynésienne.

Je n’ignore rien des difficultés qui s’y attachent. Mais il ne faut pas oublier – et je ne vise pas notre collègue ici présent – l’irresponsabilité d’un certain nombre d’élus polynésiens.

Mme Christiane Taubira. Qui ne viennent pas vous juger ici en tant qu’élu !

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous nous sommes battus pendant des années pour expliquer que la France devait être partout la même.

Mme Christiane Taubira. De quel droit vous permettez-vous de parler ainsi ?

M. Jean-Christophe Lagarde. N’importe quel élu de la nation a le droit de porter un jugement sur la situation politique d’un territoire français, comme vous vous permettrez de le faire, madame Taubira, à propos de la politique du Gouvernement, dans quelques minutes. Pourquoi ne porterai-je pas un jugement au moins aussi sévère que celui que portent les Polynésiens sur l’ensemble de la classe politique polynésienne ?

Mme Christiane Taubira. C’est leur légitimité, pas la vôtre !

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous avons besoin, madame la ministre, de rétablir là-bas dialogue et confiance parce que l’effondrement économique de la Polynésie prépare des drames politiques dont toute la France aura honte si nous n’y prenons garde.

En conclusion, madame la ministre, je vous indique que les députés du groupe Nouveau Centre voteront les crédits de la mission « Outre-mer » que vous nous présentez parce que ce projet de budget renoue, malgré un contexte budgétaire contraint, avec une dynamique de progression freinée en 2011. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, plus une économie est fragile, plus il est important que son environnement législatif et réglementaire soit stable : fiscalité, charges sociales, normes environnementales, notamment. Et chacun connaît les fragilités des économies d’outre-mer : étroitesse des marchés, faiblesse des ressources naturelles, importance des coûts d’approche, vulnérabilité face à l’augmentation des prix, insuffisante qualification de la main-d’œuvre, fragilité du consensus social.

Il n’est donc pas surprenant que les responsables professionnels soient unanimes pour demander une plus grande stabilité des régimes fiscaux et sociaux.

Le cap a été fixé par la LODEOM du 27 mai 2009. Il a un nom : le soutien à une croissance endogène. Ce cap doit impérativement être maintenu.

Mais par ailleurs l’environnement mondial a changé ; la crise financière s’est installée ; elle menace l’outre-mer comme la métropole ; elle exige un redressement rapide de nos finances – moins de dépenses, plus de recettes. Un effort collectif est demandé. L’outre-mer doit s’y associer, et il le fait avec un sens des responsabilités remarquable, qu’il faut saluer.

Je tiens à en remercier nos collègues d’outre-mer, en particulier M. le rapporteur pour avis Alfred Almont, ainsi que sur le terrain les responsables professionnels de l’ensemble des collectivités d’outre-mer.

Les mesures prévues par le budget 2012 sont inévitables.

M. Éric Jalton. Pourquoi inévitables ?

M. Michel Diefenbacher. Ces mesures, ce sont le coup de rabot de 10 % sur la défiscalisation des investissements locatifs et productifs et la suppression de l’abattement d’un tiers sur le résultat d’exploitation des entreprises installées dans les DOM. Cette mesure, il faut le rappeler, concerne surtout les grandes entreprises et devrait épargner le tissu des petites entreprises, qui contribuent par ailleurs au développement de l’emploi local.

M. Éric Jalton. Qui devraient contribuer, en tout cas.

M. Michel Diefenbacher. Pour le reste, les trois grands axes fixés par la LODEOM sont pleinement confirmés : le développement endogène, le logement social, la promotion de la jeunesse.

Il est de bon ton aujourd’hui de critiquer la défiscalisation, mais, pour amorcer le développement endogène, elle demeure incontournable.

Mme Christiane Taubira. Cassez les rentes, d’abord, cela ira mieux !

M. Gaël Yanno. Laissez l’orateur s’exprimer, enfin !

Mme Christiane Taubira. Est-ce vous qui faites la police de cet hémicycle ? Nous sommes égaux, ici ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Pas de vulgarité, je vous prie !

M. le président. Mes chers collègues, calmez-vous, s’il vous plaît.

M. Michel Diefenbacher. Les coûts de production de nos entreprises ultramarines sont plus élevés que ceux de leurs concurrentes. Et si ce handicap n’est pas compensé par un allégement des charges, la compétitivité ne sera jamais au rendez-vous. Il faut bien sûr vérifier constamment l’adéquation des mesures de défiscalisation, mais on ne peut pas raisonnablement contester que, sans allègement des charges fiscales et sociales, il n’y aura jamais de développement endogène.

Le logement social échappe à la fois au coup de rabot sur les niches fiscales et à la réduction des dépenses budgétaires. Rappelons-nous le débat que nous avons eu dans cet hémicycle lorsque la défiscalisation a été étendue à ce secteur vital à la fois pour la solidarité sociale et pour le soutien de l’économie. On craignait, en particulier sur les bancs de la gauche, que ce nouveau mécanisme de financement ne serve d’alibi à une baisse ultérieure des crédits budgétaires.

M. Jean-Claude Fruteau. Nous le craignons plus que jamais !

M. Éric Jalton. Nous sommes très craintifs. (Sourires.)

M. Michel Diefenbacher. Vous aviez tort : avec le recul du temps, on constate que ces craintes étaient infondées. Les crédits de la ligne budgétaire unique sont sanctuarisés, et je dirais mieux encore : ils le sont à un niveau qui intègre les dotations exceptionnelles du plan de relance. Le Gouvernement a donc fait mieux que tenir sa parole. Madame la ministre, soyez-en remerciée. La conjugaison des crédits budgétaires et de la défiscalisation a par ailleurs l’immense avantage de faciliter le passage d’une famille d’un logement social à un logement intermédiaire.

La promotion de la jeunesse, enfin, représente sans doute l’enjeu essentiel. Pour les jeunes, la première urgence, c’est l’emploi, c’est-à-dire la qualification. L’effort pour la formation professionnelle ne se dément pas. Le doublement du contingent des volontaires du service militaire adapté voulu par le Président de la République est un bel objectif. Il n’y a pas de croissance économique durable sans promotion sociale du monde du travail : c’est pourquoi je tiens à faire mien le vœu exprimé par nos collègues René-Paul Victoria et Alfred Almont que les crédits du service militaire adapté soient épargnés par le nouveau coup de rabot qu’impose le ralentissement de la croissance.

M. Éric Jalton. Vœu pieux !

M. Michel Diefenbacher. C’est ce que nous verrons au moment du vote des amendements.

M. Éric Jalton. Allons, il est trop tard !

Mme Jeanny Marc. On verra si vous êtes exaucé !

M. Michel Diefenbacher. Entre la rigueur financière et le soutien économique, l’équilibre est toujours difficile. Mon sentiment est que vous avez ce qu’il fallait pour le prouver et je voudrais, madame la ministre, vous en féliciter.

Qu’il me soit permis de compléter ce satisfecit par deux recommandations.

La première concerne Mayotte. De grâce, veillons à ce que l’extension progressive des règles et par conséquent des charges de la départementalisation n’ait pas pour effet de décourager l’initiative privée. La solidarité publique est bien sûr nécessaire, mais le dynamisme privé aussi, car c’est lui qui crée les richesses…

M. Éric Jalton. …et les inégalités.

M. Michel Diefenbacher. …les richesses, et donc les emplois.

La seconde porte sur la valorisation des atouts de l’outre-mer. L’outre-mer connaît de remarquables succès : la conquête spatiale, la connaissance des milieux marins, la protection de la biodiversité. Il rencontre également des déceptions : la coopération régionale tarde à décoller ; la langue française se diffuse encore trop lentement. Mais l’outre-mer recèle aussi, je crois, une remarquable promesse : les énergies renouvelables, et en particulier l’énergie solaire.

M. Éric Jalton. Très bien !

M. Michel Diefenbacher. Avec nos collègues d’outre-mer, avec vos services, madame la ministre, un important travail a été fait au printemps dernier sur le photovoltaïque. Des propositions sont sur la table…

M. Éric Jalton. Et avec le coup de rabot, patatras !

M. Michel Diefenbacher. Il faut les étudier. Les attentes sur le terrain sont fortes : il faut y répondre. Madame la ministre, avec nos collègues d’outre-mer, je compte sur vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Fruteau.

M. Jean-Claude Fruteau. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons ce soir le dernier budget de l’outre-mer de cette législature. Force est de constater une nouvelle fois que le compte n’y est pas.

Il y est d’autant moins que le projet que nous examinons ce soir est d’ores et déjà caduc puisqu’il ne prend en considération ni le plan de rigueur du 24 août dernier, ni a fortiori le nouveau plan de rigueur annoncé hier par le Premier ministre.

M. Éric Jalton. Très bien !

M. Jean-Claude Fruteau. À cet égard, permettez-moi de vous inviter, madame la ministre, à détailler précisément, si c’est possible, au-delà de l’amendement que vous avez déposé, les conséquences de ces mesures tant sur le budget de la mission « outre-mer » que sur les dépenses qui figurent dans d’autres missions budgétaires et qui auront des conséquences sur l’intervention de l’État outre-mer.

Le compte n’y est pas car, après cinq exercices budgétaires, nous cherchons toujours les effets du formidable projet présidentiel en faveur de l’outre-mer qui était présenté en 2007 comme la quintessence de l’intervention de l’État dans nos territoires. En effet, en 2007, le Président de la République allait par son action régler tous les maux qui affectent nos départements grâce à un simple changement de paradigme : nous allions passer d’une politique de rattrapage – que certains de vos amis politiques qualifiaient avec dédain « d’assistanat » – à un développement endogène.

Ah, le développement endogène ! Avec le développement endogène, finie, la politique de rattrapage : notre économie allait tellement décoller que nous allions, en un clin d’œil, rejoindre le niveau économique et social de la France hexagonale. Avec le développement endogène, terminés, les décalages des prix avec la métropole : nous allions enfin connaître la concurrence pure et parfaite. Avec le développement endogène, disparues, sans doute, les listes d’attente interminables pour obtenir un logement social.

Malheureusement pour vous, mais aussi et surtout pour les populations des outre-mer, les doux rêves d’hier ne se sont jamais concrétisés.

Du volontarisme affiché pendant la campagne électorale de 2007, il ne reste que quatre années d’immobilisme. Certes, me direz-vous, il y a eu et il y a toujours la crise. C’est vrai, mais cet argument ne tient pas lorsque l’on sait – ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes –, que la crise n’est responsable que d’un tiers des déficits publics, le reste étant imputable à la politique du Gouvernement.

Madame la ministre, ce budget est un budget en trompe-l’œil. Il ne restera rien de l’augmentation affichée initialement, puisque déjà l’effort budgétaire supplémentaire demandé à l’outre-mer, au titre du plan de rigueur du 24 août, sera de 56 millions d’euros en crédits de paiement, selon l’amendement que vous avez déposé. Ces coupes budgétaires affecteront principalement l’action de soutien aux entreprises et plus particulièrement le dispositif de compensation des exonérations de charges sociales.

Permettez moi d’ailleurs de regretter au passage que, dans votre recherche d’économies, votre œil ne se soit pas arrêté sur le cas – M. le rapporteur spécial y faisait allusion tout à l’heure – des commissaires au développement endogène, dont la rémunération s’élève à 15 000 euros nets par mois, pour une action dont vous seriez bien en peine d’évaluer les résultats ! Plus d’un demi-million d’euros pour une fonction symbolique, voilà une mesure de rigueur, madame la ministre, qui n’aurait touché que trois personnes !

Face aux défis considérables que nous devons relever, le compte n’y est pas non plus pour lutter contre le fléau de la précarité qui ne s’est jamais autant développé que pendant cette législature. La Réunion détient de nombreux records, mais pas ceux que l’on souhaite à un territoire que l’on aime. Elle détient le triste record du chômage puisque, selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE, près de 30 % de la population active de La Réunion est touchée. Il s’agit là d’une augmentation de près de 5 points depuis 2008.

Ce drame frappe plus durement les femmes que les hommes – 32 % contre 27 % – mais il détruit aussi les espoirs de la jeunesse. En effet, madame la ministre, 60 % des jeunes actifs de quinze à vingt-quatre ans – Huguette Bello le rappelait tout à l’heure – sont au chômage, soit une augmentation de 9 % depuis 2007. Cette jeunesse voit ses espoirs anéantis également parce qu’elle est de plus en plus touchée par un chômage de longue durée : 64 % de ces jeunes chômeurs le sont depuis plus d’an alors que ce même chiffre, en 2010, était de 50 %. Et les performances du service militaire adapté, touché lui aussi par vos mesures de rigueur, ne représentent, hélas ! qu’une goutte d’eau dans l’immensité de l’océan.

Madame la ministre, depuis des mois, nous appelons votre attention sur la nécessité de soutenir l’un des moteurs de l’activité économique de La Réunion : le secteur du BTP. Si, en 2010, la chute de ses effectifs semble s’être stabilisée à 17 000 salariés, force est de constater que ce secteur est plus que sinistré puisque depuis 2008, il a enregistré une baisse de 32 % de ses effectifs ; et les perspectives ne sont guère encourageantes, car la construction de logements ne repart pas suffisamment à la hausse.

Le logement ! Le compte n’y est pas non plus, madame la ministre, en ce qui concerne le logement, et particulièrement le logement social. En 2010, seuls 1 095 logements sociaux ont été livrés, alors que dix ans plus tôt, on en livrait près de 2 500. Dans ces conditions, rien qu’à La Réunion, il faudrait vingt-cinq ans pour satisfaire les milliers de demandes de logements sociaux actuellement en souffrance, sans compter les besoins des habitants supplémentaires prévus à l’horizon 2030 ! Certes, comme vous, je me réjouis de l’augmentation de 10 millions d’euros, en crédits de paiement, des crédits de la ligne budgétaire unique. Mais je constate que cette hausse intervient après une baisse de 21 millions d’euros l’an passé, soit au total un manque de 11 millions d’euros par rapport à 2010.

En outre, cette augmentation ne permettra pas d’apurer la « dette virtuelle » puisqu’en 2010, 1 500 dossiers n’ont pas trouvé d’issue favorable faute de LBU et ont été financés sur les crédits 2011. Ce scénario se reproduira l’an prochain puisque la LBU de 2011 aura été insuffisante pour financer les projets déposés par les opérateurs sociaux. Une grande partie de la LBU de 2012 financera donc des projets de 2011 !

M. Éric Jalton. C’est astucieux !

M. Jean-Claude Fruteau. Ce n’est pas de cette manière, madame la ministre, que nous sortirons de l’impasse !

Sur ce chapitre du logement, je reconnais volontiers que le cumul de la LBU et de la défiscalisation a constitué un appoint pour la construction de logements sociaux. Néanmoins, je persiste à penser qu’il s’agit là d’une erreur politique majeure.

Erreur politique majeure, car, en recourant au financement du logement social par la défiscalisation, vous laissez la liberté de l’action aux intérêts privés et, surtout, vous encouragez un dispositif dont la pérennité est plus qu’incertaine puisqu’il peut être remis en cause chaque année, lors de l’examen du budget.

Erreur politique majeure, car comme le souligne le rapporteur spécial, « à dépense publique constante, le soutien apporté à l’outre-mer par une subvention pourrait être supérieur à ce que permet la défiscalisation. » À cet égard, madame la ministre, je ne saurais trop vous recommander de lire, si vous ne l’avez déjà fait, l’explication du phénomène d’évaporation fiscale détaillé par le rapporteur spécial. Dans un contexte budgétaire où l’on recherche des économies et une meilleure performance de la dépense publique, la substitution de la subvention à la défiscalisation paraît plus que judicieuse.

Que dire enfin de ce qui constitue la première des préoccupations au quotidien et qui engendre la détresse de nos populations les plus défavorisées : la vie chère ? Personne n’a oublié, madame la ministre, que vous avez accédé à ce ministère à la suite des émeutes qui avaient embrasé certaines de nos régions d’outre-mer. Deux ans plus tard, après la grand-messe du CIOM et les flonflons de « l’Année des outre-mer », la voix de nos compatriotes mahorais qui crient leur désespoir nous ramène au point de départ.

Certes, un observatoire des prix a été mis en place. Mais quelles mesures concrètes et efficaces a-t-il enfantées pour lutter contre l’envol des prix des produits de première nécessité ? Observer et agir sont deux choses bien différentes. Depuis maintenant deux ans, vous observez. Il serait peut-être désormais grand temps d’agir ! Mais le Gouvernement en a-t-il encore la volonté ?

M. Éric Jalton. Et le temps ?

M. Jean-Claude Fruteau. Ce qui est sûr, c’est que le temps est désormais compté.

Alors, pour terminer, madame la ministre, quel bilan tirer de votre politique en direction des outre-mer ?

En matière d’emploi, nous ne pouvons parler que de croissance du chômage. Dans le domaine du logement social, nous ne pouvons que constater l’allongement des listes d’attentes, qui contraint bien souvent les familles à occuper des habitats plus qu’indignes ou inadaptés. En matière de lutte contre l’inflation, nous ne pouvons que déplorer l’augmentation vertigineuse du coût de la vie, qui chaque jour un peu plus, nourrit la détresse de nos populations.

Ce budget est comme ceux qui l’ont précédé. Comme les autres, il est marqué du sceau de l’injustice.

M. Éric Jalton. Et de l’indigence !

M. Jean-Claude Fruteau. Comme les autres, il manque cruellement d’audace et d’ambition. Comme les autres, il n’a aucune chance de permettre à nos territoires d’affronter la dure réalité économique et sociale. Comme les autres, il n’obtiendra pas mon approbation ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, madame la ministre, collègues de l’Assemblée, quelles que soient nos convictions politiques respectives, on ne peut nier que ce sont les marchés financiers et les agences de notation, qui, de concert, tiennent en haleine les politiques et ligotent les États pourtant dépositaires et gardiens de la souveraineté de leur peuple.

M. Éric Jalton. C’est le libéralisme éclairé !

M. Alfred Marie-Jeanne. De renoncement en démission, de soumission en reddition, la réalité a dépassé la fiction au point qu’actuellement, nous surnageons dans un univers à l’envers. Et nous ne sommes pas au bout de nos peines au regard des nouvelles mesures de rigueur prises par le Gouvernement mis à genoux et obligé de boire le calice jusqu’à la lie pour conserver la fameuse note triple A.

Je ne suis ni hors sujet, ni dans l’outrance, ni dans la démesure. Je suis au centre d’un constat et au coeur d’un drame pathétique…

M. Éric Jalton. Et planétaire.

M. Alfred Marie-Jeanne. …qui ne peut laisser personne indifférent. Il a suffi d’une simple annonce d’un référendum hypothétique en Grèce pour déclencher panique, courroux, et injonctions menaçantes de toutes sortes.

Solidarité oblige, nous dit-on. Mais solidarité avec qui lorsque l’on constate que la charge de l’effort est très inégalement répartie ? Elle bossue injustement les plus humbles, exempte impunément les responsables du désastre et ménage les plus nantis. Comme le disait de façon provocatrice Bertolt Brecht : « Le peuple a […] perdu la confiance du gouvernement. […] Il faut dissoudre le peuple. » (Sourires.)

Dans ces cas d’espèce, le peuple est le premier concerné puisque c’est lui qui porte et supporte l’austérité qui lui est massivement imposée. Pourtant, il est le seul à ne pas être consulté sur un sujet aussi brûlant, qui rogne ses revenus de façon grandissante, précarisant d’autant sa vie au quotidien.

Certes, des questions d’urgence doivent être réglées, mais, surtout, les questions de fond ne doivent pas être escamotées, car, au train où cela va, il n’est aucune garantie de solution viable dans un proche ou lointain avenir. C’est la nébuleuse la plus totale.

En effet, peut-on se permettre de faire l’impasse sur les dysfonctionnements mortifères de ce monde d’aujourd’hui ? La démocratie serait-elle devenue à ce point un danger public pour les spéculateurs invétérés ?

Pour éviter la tentation totalitaire et remédier aux défauts de la démocratie, il faut au contraire davantage de démocratie.

Solidarité oblige, nous dit-on. En quinze ans, les plus grosses fortunes françaises ont bondi six fois plus vite que les richesses du pays.

M. Éric Jalton. Ce n’est pas la crise pour tout le monde !

M. Alfred Marie-Jeanne. Ce sont les Usain Bolt de cette course effrénée.

Malgré la crise impitoyable et inhumaine et les appels pressants à la modération, les PDG des banques françaises ont passé outre. Leurs rémunérations ont été augmentées de 45 % en un an.

Et l’on va de révélation en révélation. C’est ainsi que le journal bien nommé Les Échos nous apprend que 400 sociétés européennes cotées ont retrouvé le niveau de leurs marges de profit d’avant la crise. Elles possèdent « un coussin de sécurité » de 3 000 milliards d’euros, et ce matelas financier est placé en grande partie dans les paradis fiscaux pour échapper à l’impôt. Ce montant représente pratiquement dix fois le budget de la France. Pour ces super-gagnants, l’argent coule à jet continu.

En face, qui paie concrètement les conséquences de cette situation krabik ?

M. Éric Jalton. Le peuple !

M. Alfred Marie-Jeanne. Hélas, comme en tout temps, ce sont les petits qui ont pâti. Et avec l’amenuisement des dépenses publiques, bouée de secours et de recours, c’est la paupérisation qui s’étale, c’est la clochardisation qui s’installe, c’est la drogue qui met en perdition, c’est la violence qui gangrène.

Solidarité oblige, nous dit-on ? À ce qu’il paraît, citer des chiffres horripile, agace et indispose. Entendons-nous bien : les chiffres que j’avancerai ne sont pas traficotés ; ils peuvent offusquer, mais ne cherchent nullement à offenser. Ils sont tirés d’institutions officielles – IEDOM, INSEE, rapports des inspections générales, revues spécialisées – dont c’est le métier. Ces différentes instances d’information sont réputées indépendantes, neutres et objectives.

Voici donc quelques données chiffrées.

La France compte au bas mot entre 8 et 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, seuil fixé à 954 euros par mois. La moitié d’entre elles n’atteint même pas ce seuil minimum de référence. En Martinique, ce seuil est de 616 euros par mois, avec, en sus, un coût de la vie bien plus cher.

Le taux de chômage ne cesse d’augmenter. Il est actuellement de 25,4 %. Celui des jeunes de 18 à 25 ans culmine au pic de 62 %. Les offres d’emplois durables – je ne parle pas de jobs occasionnels – ont chuté – écoutez bien ! – de 33 % en un an.

M. Éric Jalton. Un tiers !

M. Alfred Marie-Jeanne. Le nombre de dossiers de surendettement a grimpé de 32 % en un an.

M. Éric Jalton. Un tiers !

M. Alfred Marie-Jeanne. La météo du climat des affaires, qui prend le pouls des chefs d’entreprise, indique un degré de pessimisme et de déception en hausse de 2,5 % sur le dernier trimestre étudié. Dans ces conditions, faire encore des ponctions sur la Martinique ne peut qu’amplifier les déconvenues et les aléas.

Dans ce contexte, le budget 2012 de la mission « Outre-mer » ne peut faire de miracle. C’est le contraire qui se produira avec un ralentissement prévisible accru de l’activité.

Malgré tout, on aurait tout de même pu mieux faire en regardant au plus près les mesures d’austérité qui ont été retenues pour réduire le fardeau de la dette de la France, qui s’élève à environ 1 700 milliards d’euros, soit plus de 86 % de sa richesse. Dans ce montant figurent les dettes des régions, des départements et des communes pour environ 170 milliards d’euros. Il existe une exception, c’est celle de la région Martinique que j’ai eu l’honneur de présider, et dont la gestion a supprimé l’endettement énorme qui l’accablait. Si vous perdez le triple A, ce ne sera pas à cause de l’ancienne région !

En 2012, le premier poste budgétaire de l’État est le remboursement d’une partie des intérêts de cette dette anesthésiante, pour un montant de 50 milliards d’euros.

Solidarité oblige, nous dit-on. Taxer inopportunément les complémentaires santé constitue-t-il, pour la Martinique, une mesure de justice sociale réparatrice et solidaire ? Est-ce que trop de taxes disséminées ici et là n’engendre pas de casses supplémentaires ? La question est posée. L’an dernier, la Martinique a contribué au redressement dans des proportions non négligeables, me semble-t-il. L’effort par habitant y serait relativement plus significatif qu’en France. S’il en était ainsi, il n’y aurait ni égalité ni – encore moins – équité.

Solidarité oblige, nous dit-on ! Le dispositif d’abattement d’un tiers sur le résultat des exploitations situées dans les DOM est-il bien ciblé ? J’en doute un peu, car un rapport récent de l’Inspection générale des finances affirme que 46 % du coût de cette mesure bénéficiait à des entreprises de moins de neuf salariés. N’y a-t-il pas là un vrai hic qui mérite un peu plus d’éclaircissements ?

Solidarité oblige, nous dit-on ? Comme par enchantement, le Gouvernement nous exhorte fortement à nous ancrer de plus en plus dans notre sphère naturelle, le continent Caraïbe. Enfin ! Mais qui nous l’avait interdit jusqu’à ce jour ? Pas celui qui vous parle, en tout cas. Il l’a toujours revendiqué, car c’était un non-sens de ne pas y être intégré.

À cet égard, vous avez déclaré, madame la ministre, le 26 octobre dernier, devant la commission des affaires économiques, que votre budget n’a qu’un but, et je vous cite : « Il s’agit de redonner aux ultramarins les clés de leur développement et de les accompagner dans les projets qui sont les leurs. » On nous remet les clés de notre développement au moment où l’exogène a déjà mis KO l’endogène ! C’est la preuve qu’a posteriori, notre développement ne nous a jamais réellement appartenu et qu’il a toujours été orienté, et réorienté selon les choix décidés par Paris et de Paris.

J’espère qu’il n’en sera pas encore ainsi et que la Martinique y trouvera son compte. Car il n’est jamais trop tard pour mieux assumer, à condition de mettre à bas les très nombreux carcans existants. Parmi eux, citons pêle-mêle le problème des visas, l’insertion à part entière dans des organismes régionaux et internationaux, l’aide au fret ou l’aide à l’export, les zones de pêche, etc.

Sachez, par exemple, que l’aide au fret ne peut être attribuée que sur des trajets entre l’Union européenne et les DOM, ce qui est restrictif et dommageable à souhait ! À l’époque, j’avais demandé la possibilité de l’extension de cette mesure aux frets régionaux – ce qui fut refusé. Si les choses restaient en l’état, développement endogène et ancrage dans la Caraïbe resteraient un leurre supplémentaire. Il faut libérer totalement la coopération de toute entrave préjudiciable à sa réalisation.

En conclusion, un nouveau monde est en train d’émerger. Dans la Caraïbe, notre berceau géographique, cette émergence ne peut se concevoir sans nous ni contre nous, comme ce fut le cas dans le passé. Nous ne pouvons plus nous satisfaire du rôle mineur de paravent et de pare-chocs. Nous devons être acteurs et non observateurs, nous devons être partenaires. Il y va de l’intérêt réciproque bien compris de chacun et de tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sandras.

M. Bruno Sandras. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues fidèles aux débats sur l’outre-mer, vous savez l’attention que je porte chaque année à la discussion sur le budget de l’outre-mer, qui permet à nos collectivités de mesurer les engagements de l’État pour les accompagner dans leur développement économique et social.

Ce budget ne comporte de mon point de vue aucune surprise et n’appelle de ma part aucune observation particulière concernant la Polynésie française. L’engagement de l’État, à travers la dotation globale d’autonomie, le dispositif de soutien aux investissements prioritaires de la Polynésie ou le contrat de projet 2008-2013, s’inscrit dans la continuité des années précédentes.

Si je ne peux être que satisfait de cette constance, je dois toutefois, madame la ministre, appeler votre attention sur le fait que cet engagement que traduit le document budgétaire ne pourra éviter, malheureusement, qu’éclate une crise économique, sociale et institutionnelle sans précédent en Polynésie française.

Oh ! il n’est pas question, pour moi, de faire pression sur le Gouvernement. Ce n’est pas non plus, j’en suis persuadé, une révélation pour vous, madame la ministre, vous connaissez la situation de notre collectivité : la Polynésie française est en quasi-cessation de paiements. Ses finances sont exsangues et, pour pouvoir ne serait-ce qu’assurer le paiement des fonctionnaires du territoire, ce sont les règlements aux entreprises et aux communes de Polynésie française qui sont aujourd’hui différés.

Au-delà de la situation des finances de la Polynésie française, c’est la situation financière de l’ensemble des collectivités publiques – pays, communes, groupements de communes – et des entreprises qui est directement menacée.

À la minute où je vous parle, le fonds intercommunal de péréquation, qui est alimenté par un prélèvement sur la fiscalité perçue par le territoire, ne dispose plus que de 41 centimes d’euros dans ses caisses. Les communes ne perçoivent plus aucun versement du FIP et elles ne pourront bientôt plus assurer le paiement des salaires de leurs agents – pour certaines d’entre elles, dès ce mois-ci.

La situation des entreprises n’est pas plus brillante. Déjà mises à mal par une crise ininterrompue depuis trois ans, elles sont confrontées aujourd’hui au retard de paiement du territoire en particulier, et des collectivités publiques en général. Nombreuses sont celles qui sont sur le point de mettre la clé sous la porte.

En même temps, devant l’impossibilité pour le pays de mobiliser les emprunts nécessaires au financement de ses investissements, la Polynésie française est aujourd’hui dans l’obligation de réduire considérablement ses investissements publics. En 2011, la commande publique pour le territoire de la Polynésie aura diminué de plus de 110 millions d’euros, soit une chute de 30 % comparativement aux exercices précédents.

L’activité économique est en berne et dire que la cohésion sociale est menacée apparaît comme un doux euphémisme, dans un territoire de la République qui ne bénéficie pas des amortisseurs sociaux que sont l’indemnisation du chômage ou le RSA.

Nous sommes, madame la ministre, dans une spirale dépressionniste qui nous conduit vers une situation inextricable qui porte en elle le risque d’une explosion sociale majeure. Nous devons tout faire pour l’éviter. Pour cela, il faut rapidement prendre les mesures indispensables pour permettre de redresser la situation financière du pays et redonner à nos entreprises, à notre population, ne serait-ce que l’espoir d’un avenir.

Nous savons, vous et moi, que l’État ne peut pas tout faire. Nous connaissons tous les difficultés majeures auxquelles nous devons faire face. Mais l’État doit jouer son rôle de facilitateur. Il doit tout faire pour que nos collectivités territoriales polynésiennes, territoires et communes, puissent agir efficacement pour remettre la Polynésie sur la voie d’un nouveau mode de développement, plus équilibré, mieux maîtrisé, au sein de la République.

Nous savons les germes que porte en elle la situation où prospèrent la paupérisation et le désespoir. Aujourd’hui, il faut renouer le dialogue entre l’État et les autorités politiques polynésiennes et l’élargir à l’ensemble de la classe politique polynésienne. Il faut sortir de cette impasse, et vite. C’est le seul moyen, la seule perspective, qui pourra rendre crédibles les orientations contenues dans le document budgétaire que vous nous présentez ce soir, et que je voterai.

Madame la ministre, je crois que c’est la première fois que je ne dépasse pas le temps de parole qui m’est imparti mais j’espère que la brièveté de mon propos vous aura touchée et que vous aurez entendu mon message. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous félicite d’avoir respecté le temps qui vous était imparti, monsieur Sandras.

La parole est à M. Abdoulatifou Aly.

M. Abdoulatifou Aly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la départementalisation décidée pour Mayotte et les voies et moyens de mettre fin à la crise sociale qui sévit dans notre île depuis plus de quarante jours, tels sont les deux points que je veux développer à l’occasion de l’examen du budget pour 2012 du ministère de l’outre-mer.

Tout d’abord, les lois organiques et ordinaires du 7 décembre 2010 ont fixé l’organisation administrative de notre nouveau département. Mais, depuis le 1er avril 2011, le comité de suivi de la départementalisation, lieu par excellence du dialogue et de la concertation entre l’État, les élus et les formations politiques locales, ne s’est jamais réuni.

La réalisation de l’état civil et du cadastre n’est toujours pas menée à son terme. La régularisation foncière engagée par le conseil général et la redistribution des terres annoncée par les deux décrets Fillon du 9 septembre 2009 concernant la zone des pas géométriques ne sont pas achevées.

La production de logement social, pourtant si encouragée par le Président de la République, est encore balbutiante : sur les 4 000 logements prévus chaque année, seuls cinquante sont actuellement réalisés.

L’économie définie par le pacte pour la départementalisation comme la priorité des priorités dans l’île n’a pas encore fait l’objet à ce jour d’une réunion de travail entre nous.

Bref, tout laisse croire, à tort ou à raison, que le processus départemental est peu performant.

Dans ces conditions, il est grand temps, madame la ministre, de relancer les travaux de mise en œuvre de cette départementalisation si ardemment voulue par la population. En effet, le pari départemental demeure la seule voie crédible pour réussir le défi du développement économique, social et culturel de notre île en cette période de crise financière mondiale.

À mon sens, trois principales orientations devraient être retenues : d’abord, la compensation financière des nouvelles compétences économiques et sociales dévolues au département de Mayotte ; ensuite, la réforme du système fiscal et douanier spécifique à notre île, avec son corollaire, l’abrogation du douteux prélèvement de 20 % des ressources fiscales départementales pour financer les communes de l’île qui aboutit à la tutelle d’une collectivité sur une autre ; enfin, l’indispensable formation accélérée des personnels départementaux et communaux. La conjugaison de ces trois mesures devrait aboutir à la remise à flot des collectivités locales mahoraises qui sont, aujourd’hui, en cessation de paiements.

Mais, préalablement à tout cela, il faut savoir sortir de ces mouvements sociaux qui paralysent Mayotte depuis trop longtemps maintenant.

Je sais, madame la ministre, votre engagement personnel et celui du Gouvernement à aider les partenaires sociaux à trouver non seulement les moyens de faire baisser sensiblement les prix des produits de première nécessité, mais surtout les chemins qui mènent vers un mieux vivre ensemble et non plus seulement côte à côte. Je compte donc sur vous et vos collaborateurs engagés sur le terrain à Mayotte pour nous amener à une fin, honorable pour tous, de cette crise sociale. Je ne doute pas que, grâce à votre sens de la patience et de la pédagogie, nos compatriotes comprendront aisément le salutaire rôle régulateur de l’État en matière économique et l’importance capitale de la valeur travail dans nos sociétés modernes.

En tout état de cause, j’espère que les crédits du fonds mahorais de développement économique, social et culturel pourront être effectivement consommés pour que le développement économique soit véritablement lancé.

C’est sous le bénéfice de ces observations et à l’aune de vos réponses, madame la ministre, que je me prononcerai sur ce projet de budget de l’outre-mer pour 2012.

M. Jean Lassalle. Très bien.

(Mme Laurence Dumont remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Laurence Dumont,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Lebreton.

M. Patrick Lebreton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2007, les populations d’outre-mer ont souffert comme rarement, et cette fin d’année 2011 illustre d’ailleurs parfaitement cette souffrance.

Certes, le budget que nous examinons aujourd’hui semble moins pire que ceux des années précédentes puisque les saignées n’apparaissent pas réellement ou pas encore. Pas réellement, parce que l’effort des ultramarins n’apparaît pas dans votre présentation mais davantage dans la partie recettes où 100 millions d’effort fiscal à destination de l’outre-mer sont supprimés. Pas encore, parce que les prévisions de croissance initiales, mais également révisées, sont constamment surestimées et qu’un budget rectificatif qui mettra encore l’outre-mer à contribution est inévitable.

Face à un budget déjà caduc, je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous disiez franchement quelles politiques concrètes seront impactées par le nouveau tour de vis. Quoi qu’il en soit, je dois avouer que je n’ai plus grand espoir en une inflexion positive de vos choix budgétaires qui ont entraîné, depuis 2007, le naufrage de votre politique.

Je voudrais d’ailleurs revenir sur deux crises récentes qui symbolisent ce naufrage.

Tout d’abord, la crise sociale qui sévit à Mayotte depuis plus d’un mois et demi et dont l’issue est, à cette heure, encore incertaine. Mayotte souffre, comme tous les départements d’outre-mer, du phénomène de la vie chère, de la vie très chère. Ce dysfonctionnement, cette injustice que le mouvement du début 2009 initié en Guadeloupe avait mis en lumière n’a jamais été traitée à sa juste mesure par le Gouvernement et par le Président, qui devait être pourtant le Président du pouvoir d’achat.

Votre seule réponse à une situation que vous ne pouvez ignorer s’est limitée à noyer cette revendication dans la multitude des « mesurettes » du comité interministériel de l’outre-mer, mesurettes qui ne sont d’ailleurs toujours pas mises en œuvre. Avez-vous cru vraiment que décréter une « année de l’outre-mer » suffirait à résoudre le problème de la vie chère ? Tous les Réunionnais et tous les ultramarins se rendent compte, chaque jour davantage, sur les marchés, dans les supermarchés, que la vie chère, le racket quotidien perdurent, voire s’accroissent.

Pourquoi n’avez-vous pas eu le courage d’affronter ce dysfonctionnement central qui frappe la vie quotidienne des ultramarins ? Pourquoi n’avez-vous pas profité de ces cinq années pour imaginer des solutions radicales ? Sur ce point précis, ce budget symbolise, une nouvelle fois, votre renoncement. La situation de cette fin de règne me laisse penser que ce sont cinq années de perdu, qui seront difficiles à rattraper.

Lutter contre la vie chère en outre-mer sera, si les Français font confiance au candidat de la gauche en 2012, la priorité absolue. Il nous faudra prendre des mesures fortes et radicales pour raisonner nos marchés intérieurs et les opérateurs. Nous ne devrons pas hésiter à mettre en œuvre une véritable politique de rétablissement des prix, sans tabou, sans dogme. Nous devrons cesser d’observer les prix et renforcer les administrations de contrôle que vous avez démantelées.

Nous devrons avec courage poser les fondations d’un nouvel ordre économique, pour le mieux-être de tous les ultramarins mais également au bénéfice des opérateurs économiques. Nous ne devrons donc craindre aucune pression, aucun dénigrement.

Ce sujet est, j’insiste, majeur non seulement pour transformer le quotidien des ultramarins mais également pour libérer un système économique verrouillé.

Mes chers collègues, vous le voyez, la tâche à accomplir n’est pas aisée, mais je demeure persuadé qu’il s’agit du bon chemin pour qu’enfin en outre-mer l’égalité, l’émancipation sociale et le progrès économique puissent se réaliser.

Il est vrai que cet objectif ambitieux doit au préalable être précédé d’un retour de la confiance des Ultramarins en l’État. Hélas, cette confiance s’est peu à peu étiolée depuis cinq années. Jusqu’alors, c’est en votre gouvernement et en la droite que les Ultramarins n’avaient plus confiance. Or la seconde crise, c’est-à-dire la tragique gestion de l’incendie qui ravage La Réunion, a rongé cette fois la confiance que les Réunionnais avaient en l’État. Et c’est cela qui est plus dramatique et qui m’inquiète particulièrement. En effet, quelle crédibilité les Réunionnais peuvent-ils accorder à un gouvernement qui a utilisé tous les artifices, tous les mensonges pour refuser l’intervention des moyens aéroportés qui auraient empêché que le désastre atteigne une telle ampleur ?

Comment croire en la parole de la ministre chargée de l’environnement, qui ment outrageusement en indiquant qu’il faudrait six jours pour mobiliser les avions quand trente heures ont suffi ? Comment justifier l’instrumentalisation politique d’un préfet, dont la rigueur et le professionnalisme étaient jusqu’alors reconnus, pour le pousser à défendre l’indéfendable ?

Madame la ministre, nous sommes en démocratie et les clivages politiques sont normaux et nécessaires. Vous défendez des intérêts et des principes qui ne sont pas les miens, mais la République nous réunit. Et c’est la mission première de cette République, de l’État, que d’assurer la sécurité de ses citoyens qu’ils soient dans l’hexagone ou à l’autre bout de la planète. Mais la République, dont vous êtes temporairement responsable, a failli. Ces événements ont renforcé le sentiment qu’ont les Réunionnais et les Ultramarins de ne pas être des citoyens à part entière.

Madame la ministre, l’incapacité – ou le refus – de votre gouvernement à régler ces crises ou à accomplir les missions de base de l’État ont laissé des plaies qui mettront du temps à cicatriser. Et la succession de vos budgets insincères n’y changera rien. Tout cela gênera de manière inéluctable toute action future d’un État dont la crédibilité a été durablement atteinte. C’est une faute que les Ultramarins ne vous pardonneront pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je tâcherai d’être bref, puisque je n’ai que cinq minutes, mais je dirai l’essentiel.

Mme Christiane Taubira. Nous avons toute la nuit !

M. Serge Letchimy. Nous nous trouvons dans une nébuleuse financière, qui impose à tous les États européens une politique de rigueur, les oblige à réduire leurs déficits et à prendre les précautions nécessaires pour éviter le chaos social. La question essentielle pour nous est de savoir comment nous en sommes arrivés là, comment l’Europe s’est laissée entraîner par un système financier prédateur, dans un capitalisme effréné et un ultralibéralisme sans limite.

C’est dans ce contexte que s’inscrit notre débat budgétaire, et nos pays de l’outre-mer n’entendent pas pratiquer la mendicité ni se tenir en dehors de la solidarité. Ce sont des pays dignes, qui n’ont pas peur de se battre, et nous considérons qu’ils doivent participer à l’effort national.

Cependant, je le dis très clairement, il faut savoir traiter des situations différentes de manière différente, et je pense que le Gouvernement n’a pas pris la mesure de la gravité de la situation.

Je redoute que se produisent en Europe, aux portes de la France – chacun sait ce qui se passe en Grèce –, des événements majeurs qui impliquent pour nous de lourdes conséquences sociales. Si l’on s’inquiète pour la France avec son taux de chômage de 8,9 %, on ne peut qu’avoir les plus grandes craintes pour la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, où le chômage oscille entre 25 et 30 % et atteint 60 % chez les jeunes.

Nous sommes dans une situation d’autant plus difficile, que vous prenez des mesures de restriction qui menacent le service public et touchent d’abord les plus démunis, tout en alimentant dans le même temps le secteur bancaire et le secteur financier.

M. Louis-Joseph Manscour. C’est vrai !

M. Serge Letchimy. C’est un paradoxe qu’il faut clairement dénoncer, et nous devons ériger face à la bulle financière une bulle de solidarité qui permette de soutenir ceux qui ne mangent pas le matin.

Mme Christiane Taubira. C’est logique !

M. Serge Letchimy. Ceci étant, vous avez avec le RSMA pris une bonne initiative, qui permet de mettre un maximum de jeunes au travail.

Concernant la défiscalisation du logement social, vous connaissez mon point de vue : tant mieux si elle permet d’augmenter le nombre de logements, mais je vous demande de faire attention : la défiscalisation reste la défiscalisation ; elle ne concerne que l’initiative privée, et subordonner à l’initiative privée le droit constitutionnel au logement c’est prendre un risque majeur, surtout quand on sait que, sur les 55 000 ménages qui attendent un logement en outre-mer, 60 à 70 % ont des revenus si bas qu’il leur faudrait des logements « très » sociaux, avec des loyers que la défiscalisation ne permettra pas d’abaisser suffisamment pour les leur rendre accessibles.

Mme Annick Girardin. Bravo !

M. Serge Letchimy. Du rapport que m’avait demandé Yves Jégo est née la loi sur l’habitat indigne ; j’attends avec impatience les arrêtés qui la concernent, paraît-il imminents. Quoi qu’il en soit, cette loi va exiger beaucoup de moyens, et la défiscalisation ne doit absolument pas se substituer mécaniquement à la LBU.

Jouez le jeu ! La défiscalisation doit produire du logement social ou intermédiaire : eh bien, continuez ! Quant à la LBU, elle doit servir à combler d’autres besoins, non satisfaits. Que faites-vous des besoins en matière d’amélioration de l’habitat des propriétaires occupants, en matière de restauration du patrimoine ancien dans nos bourgs, ou en matière de restauration et de restructuration des quartiers, où chaque opération – je prends l’exemple de Trenelle – coûte 300 millions d’euros ? Là, la LBU doit alimenter le fonds régional d’aménagement foncier urbain. C’est un impératif. Je vous demande donc d’être très prudente dans ce domaine.

Et puis, je regrette de le dire, mais je ne suis pas exactement sur la même ligne que le parti socialiste sur la question de la défiscalisation, tout en admettant que les niches fiscales posent certains problèmes.

Les décisions que vous avez prises en la matière n’ont rien d’anecdotique. Vous avez patiemment, depuis la LODEOM, raboté la défiscalisation sur les investissements outre-mer. Soit, si vous aviez su offrir en contrepartie à ces territoires les moyens d’accomplir leur mutation économique, de générer des investissements solidaires qui permettent un partage de la richesse et mettent un terme aux monopoles qui ne font que renchérir les prix et créent une société à deux vitesses.

Mais il n’en est rien, vous ne faites que raboter. Vous supprimez la TVA NPR ; vous supprimez les dépenses fiscales liées au logement libre ; vous supprimez des exonérations de base ; vous supprimez l’abattement de 30 % pour l’impôt sur les sociétés. Avec quel résultat ? Entre 460 et 500 millions d’euros en moins pour l’investissement outre-mer, à quoi il faut encore ajouter la suppression, par amendement, de 53 millions d’euros en crédits de paiement et 40 millions en autorisations d’engagement.

Ces aides à l’investissement permettent pourtant de réduire de 28 à 40 % le coût de ces investissements, qui s’élevaient, en 2010, à 3 milliards d’euros. On sait qu’elles profitent avant tout aux petites entreprises – sachant que 90 % des entreprises martiniquaises sont des TPE – et qu’elles ont permis de créer des centaines d’emplois. Enfin, les effets pervers qu’elles ont généré ont, si l’on excepte les structures de rémunération intermédiaire, progressivement été corrigés.

Vous savez pertinemment que s’attaquer aux niches fiscales doit se faire dans le temps, progressivement, et non brutalement. Il faut par ailleurs comparer le coût de l’aide à l’investissement productif en outre-mer aux autres dépenses fiscales. Elle ne représente que 1,3 milliard, soit 1,3 % des dépenses globales liées aux niches fiscales en 2010, quand la TVA sur la restauration coûte 3 milliards et les heures supplémentaires, 4,5 milliards. Sous prétexte que l’outre-mer doit participer à la solidarité nationale, le voici privé de son potentiel d’investissement ! Oui à la solidarité, mais pas à n’importe quel prix !

Je veux aussi parler de certains retards considérables dont nous pâtissons. L’aide au fret est restée fictive jusqu’en 2011 – elle est appliquée aujourd’hui, mais difficilement ; nous attendions un rapport sur les conséquences de la suppression de la TVA NPR : nous ne l’avons pas eu ; la suppression des réductions d’impôt sur le photovoltaïque est une bonne chose, qui permet d’éviter les dérapages, mais rester deux ans sans envoyer de signe aux acteurs économiques, c’est tuer la filière, et on a tué la filière !

Nous devons, madame la ministre, nous engager dans une mutation en profondeur de notre économie, qui nous préserve de l’instabilité sociale.

Je conclurai en signalant que l’aide aux collectivités territoriales a été diminuée de 14 %, et que ce sont ces collectivités qui aujourd’hui, dans nos régions, se substituent à l’État. L’aide à la continuité territoriale, déjà réduite à la portion congrue, a encore diminué. Les dettes vis-à-vis de la sécurité sociale sont compensées – et l’augmentation du budget s’explique en partie par là. Enfin le fonds exceptionnel d’investissement a également diminué.

Lorsque, d’un côté, on aggrave la précarité et le chômage, et que, de l’autre, on augmente le coût de la vie, cela produit des étincelles qui peuvent produire les conditions d’une véritable explosion.

Nous sommes prêts à organiser chez nous un développement endogène, qui s’inscrive avec cohérence dans notre environnement. Cela implique que l’Europe nous considère autrement. Arrêtons de dire que nous représentons 97 % de la surface maritime française et 80 % de la biodiversité européenne, sans en tirer les richesses que cela implique.

Un de nos proches voisins, c’est le Brésil. Finançons des moyens de transport pour aller y chercher des matériaux que nous transformerons localement. Il nous faut une coopération économique ouverte. Et chaque fois qu’une richesse sera détectée dans nos pays, comme le pétrole en Guyane, nous en voulons notre quote-part, pour être avec succès les acteurs de notre propre développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Victoria.

M. René-Paul Victoria. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes des hommes au service des hommes ; nous sommes des élus au service de la population ; nous représentons l’espoir pour les hommes, les femmes, les jeunes, les enfants de France, de métropole et d’outre-mer. Nous œuvrons pour contribuer au bien-être des personnes qui constituent cette nation, riche de diversités ethniques, religieuses, culturelles, géographiques. Nous légiférons, nous engageons la France pour l’avenir.

Depuis vingt-huit ans, j’exerce avec conviction et passion les différents mandats que les électeurs ont bien voulu me confier. Et si je suis à cette tribune, aujourd’hui, c’est grâce à eux, c’est pour eux, pour toute la population dionysienne, chère à mon cœur. Je salue mes compatriotes qui regardent ce débat à la télévision ou sur internet : vous êtes toujours présents, même à dix mille kilomètres.

Chacun d’entre nous, mes chers collègues, veut défendre les intérêts des habitants de sa circonscription, de sa région, évoquer les différentes problématiques humaines et territoriales qui s’y rattachent. Nos missions sont nobles, et c’est exactement ce qu’attendent de nous nos concitoyens. Pour y parvenir nous avons besoin du soutien de l’État, et ce, malgré la situation économique actuelle.

Notre pays est toujours confronté à la crise, la crise sociale, démarrée en 2008. C’est une période difficile pour tous. En outre-mer j'observe avec beaucoup d'intérêt les événements qui secouent Mayotte aujourd'hui : il n'y a pas si longtemps, nos aînés ont mené des combats similaires pour défendre les intérêts de La Réunion. Je voudrais ici rendre hommage aux militants réunionnais de la départementalisation et à tous ceux qui ont continué à œuvrer pour le développement de la Réunion. Aujourd'hui, nous pouvons mesurer le chemin parcouru et en être fiers, même s'il ne s'agit là que d'une étape et qu'il reste encore beaucoup à faire.

Aujourd'hui, notre pays, nos régions, ont besoin de stabilité et de lisibilité pour réengager un processus de développement. Le budget 2012, le dernier de la treizième législature, même s'il s'inscrit dans un contexte difficile, doit pourtant apporter des solutions. Des solutions simples, parce que derrière les projets de loi, les enveloppes budgétaires, les dotations, les subventions, chez chacun d'entre nous, nous voyons des personnes, nous voyons des visages, qui attendent un emploi, un logement, des personnes qui luttent pour survivre, des personnes qui ont faim, d'autres qui aspirent à une vie meilleure.

Je souhaite, madame la ministre, que les quelque 3 millions de Français d'outre-mer, et parmi eux les 835 000 Réunionnais, solidaires de la Nation française dans les moments difficiles, soient récompensés de leurs efforts et puissent vivre dans la dignité, avec beaucoup de confiance en l'avenir.

Et l'avenir serait plus lumineux si les 120 000 Réunionnais inscrits au pôle emploi pouvaient trouver du travail. Le taux de chômage actuel s’élève à 29,5 %. C'est beaucoup, beaucoup trop. Les 24 000 jeunes de quinze à vingt-quatre ans sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés, mais les personnes âgées de plus de cinquante ans ne sont pas en reste. Nous avons le devoir de les faire sortir de la spirale infernale du chômage.

Et l'avenir serait plus sûr pour les milliers de personnes, de familles, qui attendent un toit. À la Réunion, 26 000 demandes de logements sociaux sont en attente. D'ici 2030, le besoin serait de 180 000 logements. De nombreuses familles, obligées de s'adapter, vivent en état de surpeuplement depuis plusieurs années, et souvent dans des logements insalubres et onéreux, ce qui fait le bonheur des marchands de sommeil.

Et l'avenir serait plus serein si les centaines de milliers de personnes pouvaient avoir un niveau de vie meilleur. À la Réunion, et depuis quelques semaines à Mayotte, des voix s'élèvent pour obtenir la baisse des prix, notamment des produits de première nécessité. Malgré tous les commentaires, le pouvoir d'achat a réellement diminué et il semble impossible d’inverser la tendance.

Travailler, se loger, avoir un niveau de vie correct : voici les trois piliers fondamentaux qui permettront à chacun de vivre décemment, de fonder une famille et de devenir parents, d’être simplement acteur de son propre développement. Tout cela, c'est humain. N’oublions jamais que l'homme est la principale richesse d'un pays, le bonheur est la quête de tous et les finances l’un des moyens d'y parvenir.

Je ne rêve pas, je ne suis pas utopiste. Je veux beaucoup, et peu à la fois. Personnellement, j'estime qu'il s'agit là du minimum pour les personnes qui habitent dans mon département, dans mon pays.

Ces personnes, ce sont les enfants qui feront la France de demain et qui méritent également un système éducatif performant.

Ce sont les jeunes pleins d'espoir et sans limites, qui doivent étudier, s'ouvrir au monde et plus tard s'intégrer dans le monde professionnel, surtout dans leur bassin de vie, comme le prévoit une des mesures du comité interministériel de l’outre mer.

Ce sont les personnes en activité, qui représentent la masse silencieuse et qui aspirent à la reconnaissance, à la valorisation et à un niveau de vie meilleur.

Ce sont les personnes au chômage désabusées par le système et qui souhaitent mettre à profit leurs compétences et leurs talents.

Ce sont les personnes en situation précaire, les exclus qui parfois vivent dans la rue, sans véritable espoir et qui attendent plus de solidarité.

Ce sont les personnes âgées, nos parents, à qui nous devons beaucoup et qui méritent réellement plus d'attention. Est-ce si difficile de leur verser leur retraite au début de chaque mois ? Est-ce normal que les personnes âgées qui perçoivent de faibles revenus et ne bénéficient pas de la CMU, ne puissent plus cotiser à leur mutuelle trop onéreuse et se privent de soins ?

Nous manquons de structures d'accueil, d’établissements hospitaliers et d'aide à la personne, d’établissements pour l'accueil et le bien être sanitaire des personnes âgées dépendantes, d’établissements de soins de suite et de réadaptation, actuellement saturés, d’unités de soins longue durée, et de structures d'hospitalisation à domicile spécifiques aux personnes âgées.

Je ne cesse de penser chaque jour à toutes ces personnes, à tout ce que je devrais leur apporter, parce que je m'y suis engagé.

Je me suis engagé aussi auprès des différents acteurs du monde économique, parce qu'ils sont au cœur même des solutions. Ils créent de l'activité, offrent des emplois, des contrats en apprentissage ou en alternance. Ils créent de la valeur ajoutée et participent à la croissance du pays.

Les responsables de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics m'ont fait part de leur besoin de visibilité et de stabilité législative, fiscale et sociale.

J'ai déposé quelques amendements essentiels pour soutenir notre économie comme le maintien d'une TVA à taux réduit pour les travaux de rénovation, la pérennisation du dispositif Scellier jusqu'en 2015 et, au niveau local, la possibilité d'exclure du « rabot fiscal » le dispositif Scellier DOM. Quant à l’éco-prêt à taux zéro, il est proposé de réduire la durée de location.

Ces mesures permettraient aux entreprises d'être moins inquiètes pour leur avenir, d'autant plus qu'elles doivent faire face à de graves problèmes de trésorerie. À ce titre, il serait judicieux d'imposer le paiement des acomptes et du solde dans un délai maximum de trente jours et de sanctionner les retards de paiement.

Les TPE et les PME subissent de plein fouet la remise en cause de l'abattement de l'impôt sur les sociétés des entreprises en outre-mer. Une étude a été réalisée à la demande de la confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, par les conseils régionaux de l'ordre des experts comptables de la Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe. Il ressort de cette étude que 86 % des PME et des TPE constituent leurs fonds propres grâce à cet abattement. Le supprimer remettrait en cause leur pérennité, d'autant plus que les banques hésitent à financer les petites entreprises. Il ne s’agit plus seulement d'un avantage fiscal, mais bien d’un moyen de financer l'exploitation.

Concernant le photovoltaïque, l'Assemblée nationale a crée une mission lors du vote du projet de loi de finances 2011, il y a un an. J’ai appris par hasard que son rapport a été déposé hier sur le bureau du président de l’Assemblée et du Sénat. Pourquoi seulement hier alors que le rapport a été rendu en juin ? Cette remise en cause du photovoltaïque a détruit une filière et j’espère bien que les questions me permettront de revenir sur ce sujet.

Pour relancer l'économie dans nos territoires, des outils ont été mis en place ces dernières années. La remise en cause de la loi programme pour l'outre-mer, remplacée par la Lodeom, a provoqué un effondrement de la production de logements dans le secteur libre et intermédiaire et les investisseurs extérieurs ont déserté l’outre-mer. Il convient de rétablir la confiance des investisseurs en proposant des mesures attractives en outre-mer. Il en va de notre survie économique et sociale.

Pour répondre aux attentes de nos populations ultramarines, soyons simples, efficaces, pragmatiques. Soyons plus à l'écoute, plus accessibles, plus compréhensifs. Soyons au cœur de leurs préoccupations. Retrouvons leur confiance.

Je compte sur vous, madame la ministre, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Après avoir écouté attentivement les rapporteurs pour avis ainsi que mes collègues, une question me vient à l'esprit en cet instant, une question que nous devrions tous nous poser : à quoi sert ce débat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

Madame la ministre, vous nous demandez d'examiner le budget de votre ministère alors même que le Premier ministre vient, en l’espace de trois mois, de nous annoncer un deuxième plan de rigueur et d'austérité : 18 milliards d'euros d'économie ou de recettes supplémentaires en quatre ans – 2012-2016. Il faudra même trouver 500 millions d'euros avant la fin de l'année, 10 milliards en 2012.

Dès lors que nous ne savons pas à quelle sauce nous serons mangés,…

M. Éric Jalton. Une sauce très pimentée !

M. Louis-Joseph Manscour. …ni quelles nouvelles mesures de restriction concernant l'outre-mer seront mises en oeuvre dans le futur projet de loi de finances rectifiée, qui sera soumis à l'appréciation de la représentation nationale, votre budget devient insincère donc caduc.

C'est dans ce contexte de crise que nous sommes amenés, non pas à compter les avantages et les inconvénients de votre budget, encore que je reviendrai dans mon propos sur un certain nombre d'aspects que je considère comme préjudiciables à nos territoires, mais bien plutôt à faire une sorte de bilan de votre passage à la rue Oudinot. L'ancien enseignant que je suis dirait à ses élèves : peut mieux faire.

En disant cela, je n’ai pas l’outrecuidance de penser que je pourrais être le professeur de la ministre et c’est pour cela que je m'empresse d’affirmer, madame la ministre, que vous n'êtes que la victime d'une politique. Disons que vous êtes responsable mais pas coupable, selon l'expression consacrée.

Vous êtes bien la victime de la politique injuste, antisociale, rétrograde et partisane de M. le président Sarkozy.

Oui, nous sommes prêts à nous retrousser les manches, à participer à l'effort de redressement nécessaire des finances de l’État comme le demande M. le Premier ministre. Mais pas à n'importe quelle condition, ni à n'importe quel prix ! Les efforts doivent être justes et équitablement répartis. C’est loin d’être le cas.

Pour en revenir à l'outre-mer qui nous concerne plus particulièrement aujourd'hui, le Président de la République a fait de l'emploi et du développement ses deux priorités dans nos territoires. Dans ce cadre là, il a mis en place le conseil interministériel de l'outre-mer le 6 novembre 2009.

Pourquoi ce conseil interministériel ? Dans quelles conditions ces mesures ont-elles été décidées ? Vous le savez bien, madame la ministre, elles l'ont été à la suite des événements de février 2009 dus à ce qu'on a appelé la « profitation » et à la vie chère aux Antilles, et plus particulièrement en Guadeloupe, où le mouvement a démarré.

Le Président de la République nous a présenté le CIOM, avec ses 137 mesures, comme le remède contre le maldéveloppement dont souffrent nos territoires insulaires.

Vous parez le CIOM de toutes les vertus. Lors du conseil des ministres du 26 octobre dernier, vous affirmez que 90 % des mesures contenues dans ce dispositif ont été mises en oeuvre. Le Gouvernement et vous-même faites preuve de satisfaction, je dirais même d’autosatisfaction.

Force est de constater que, sur le terrain, la réalité est toute autre et que deux ans après, rien ne vient confirmer ces dires. Les indicateurs économiques prouvent même le contraire.

M. Jean-Claude Fruteau. Très bien !

M. Louis-Joseph Manscour. Qu'il s'agisse des prix et de la cherté de la vie, nous voyons bien que la situation a empiré. En dépit des mesures mises en place, les prix ont continué d'augmenter.

Qu'il s'agisse de l'emploi, le taux de chômage a progressé de 2 % en trois ans en outre-mer. Il s'établit en moyenne à 27 % de la population active pour l'ensemble de l'outre-mer, 25 % pour la seule Martinique, avec un pic de 30 % pour la Réunion, soit trois fois supérieur à celui de la moyenne nationale Je n'ose imaginer un taux de chômage aussi élevé dans un quelconque département de l'hexagone.

Que dirait-on si le taux de chômage atteignait de telles proportions dans la Meuse, à Belfort, ou dans une autre région de la métropole ?

M. Éric Jalton. Ce serait la révolution !

Mme Christiane Taubira. Il y aurait le feu !

M. Louis-Joseph Manscour. Qu'il s'agisse de l'hôtellerie et de la restauration, la baisse d'activité est réelle et le chômage augmente considérablement dans ce secteur, même si l’on perçoit aujourd’hui un léger frémissement.

Il en va de même de la commande publique. Le Gouvernement, ainsi que cela a été souligné, a gelé – je peux l’attester en ma qualité de maire – les dotations des collectivités pour une durée de trois ans à compter du 2010, ce qui a conduit ces dernières à une situation financière et budgétaire des plus alarmantes. Ces difficultés des collectivités, en particulier des communes, ont pour conséquence une baisse sensible de l’activité, notamment du BTP.

Il en va ainsi, enfin, du prix de l’essence. Si un observatoire des prix a été constitué et se réunit, il est encore difficile aujourd’hui de connaître les mécanismes qui conduisent à l’élaboration de ces prix.

À tout cela s’ajoute la dégradation du marché du travail qui se poursuit dans l’ensemble des géographies d’outre-mer. C’est donc bien que l’activité économique est restée notoirement insuffisante pour inverser la courbe du chômage.

Dans une note datant de septembre 2011, l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’IEDOM, signale une conjoncture peu favorable à l’investissement, et indique que les chefs d’entreprise font part de leurs inquiétudes sur l’avenir et de leur manque de visibilité pour envisager des investissements à moyen et à long terme.

Circonstance aggravante, le dispositif d’abattement d’un tiers des bénéfices des entreprises des DOM soumis à l’impôt sur les sociétés a été supprimé dans le cadre des mesures d’économie budgétaire – sans compter ce que le Gouvernement fera d’ici la fin de l’examen du PLF dans son ensemble.

Il me serait facile de citer d’autres exemples pour vous faire comprendre que la situation des DOM est des plus délicates et qu’elle n’est pas due seulement à la conjoncture économique, laquelle vous sert d’ailleurs de paravent pour justifier la politique désastreuse menée par votre gouvernement. Votre majorité se gargarise de mots pour faire oublier l’échec de sa politique, tant au niveau national qu’en outre-mer.

J’en veux pour preuve la situation à Mayotte, souvent rappelée ce soir. Ce département est enlisé dans une crise sociale depuis plus d’un mois en raison de la cherté de la vie. Il conviendrait donc de prendre des mesures urgentes afin d’aider les Mahorais à la surmonter, car Mayotte reste le département français le moins aidé budgétairement par le Gouvernement – les chiffres sont là.

C’est vrai que la crise a bon dos. Comme on dit chez nous, le chômage, c’est la faute à la crise ! La cherté de la vie (« C’est la faute à la crise ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR), c’est la faute à la crise ! Le déficit (Mêmes mouvements), c’est la fauteà la crise ! La dette(Mêmes mouvements), c’est la faute à la crise !

Mes chers collègues, face à cette situation critique que je viens de vous décrire, et qui d’ailleurs alimente une tension sociale préoccupante, il convient d’agir au plus vite. Or, que fait votre gouvernement, madame la ministre ? Dans le cadre des économies budgétaires décidées ces dernières semaines, il va – ainsi que l’indiquait notre collègue Serge Letchimy – amputer par voie d’amendement le budget alloué à l’outre-mer d’une partie de ses crédits, soit 48 millions d’euros en autorisations d’engagement et 56 millions en crédits de paiement. De plus, il est certain que, suite au second plan de rigueur annoncé, les crédits alloués à l’outre-mer seront à nouveau touchés.

Je reviendrai d’ailleurs ici sur quelques mesures contenues dans votre budget.

S’agissant de l’emploi, l’une des mesures phares est le service militaire adapté, le SMA. Ce dispositif fonctionne bien en outre-mer, ainsi que je vous l’ai rappelé, madame la ministre, lors de votre audition par la commission des affaires économiques. En février 2009, le Président de la République avait annoncé le doublement de la capacité d’accueil de ce service militaire adapté. Mais, contrairement à ce que vous avez affirmé lors de cette même audition le 26 octobre dernier, cette montée en puissance est compromise par la chute des crédits d’investissement, le montant des crédits de paiement restant, lui, élevé, uniquement pour financer les engagements des années passées. Et selon certaines sources, les crédits destinés au SMA, déjà amputés de 5 millions d’euros, subiront une nouvelle baisse suite au nouveau plan d’austérité.

Concernant le logement, certaines mesures, bien qu’elles ne soient pas contenues dans votre budget à proprement parler, impactent l’outre-mer. Dans le plan de rigueur présenté par le chef du Gouvernement, deux dispositifs relatifs au logement vont en effet changer en outre-mer.

D’une part, le dispositif Scellier DOM – qui, en outre-mer, permet aux acheteurs de logements neufs de bénéficier d’une réduction d’impôt de l’ordre de 36 % – sera supprimé dans le cadre du coup de rabot de 2,6 milliards sur les niches fiscales. De plus, le dispositif du prêt à taux zéro, applicable en outre-mer, va connaître un coup de rabot supplémentaire de 20 %. Or, mes chers collègues, la Martinique, comme les autres départements d’outre-mer, connaît une pénurie en matière de logement. Pour la seule Martinique, on compte ainsi 14 000 demandeurs de logement pour 1 000 logements à peu près produits par an alors qu’il en faudrait près de 3 000. Voilà la réalité !

D’autre part, le budget que vous nous présentez, madame la ministre, prévoit que les crédits destinés au fret soient partiellement redéployés vers l’aide hôtelière. Cependant, il semblerait que les subventions consacrées à la rénovation hôtelière puissent être impactées par les mesures de rigueur budgétaire. Or ce secteur est particulièrement touché par la crise, cela d’autant plus qu’il souffre de la lenteur de la mise en œuvre de la loi pour le développement économique des outre-mer, ou LODEOM. Il est donc nécessaire de conserver les aides en faveur de ce secteur.

Madame la ministre, suite à l’annonce de ce nouveau plan d’austérité, Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, a affirmé que le Gouvernement serait conduit à faire des économies dans les différentes missions budgétaires de l’État votées dans le cadre du PLF. L’outre-mer, comme vous le dites si bien, doit – et je le comprends – participer à l’effort national de redressement des finances publiques. Pouvez-vous nous indiquer quels sont les secteurs, en dehors de ceux que j’ai cités, qui seront touchés par les nouvelles mesures d’économies budgétaires ?

En conclusion, vous aurez compris que nous ne pouvons être satisfaits des crédits contenus dans votre projet de budget. Aussi, souffrez que je vous dise que je ne le soutiendrai pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 2012 s’inscrit dans un contexte particulier, celui de l’austérité. Depuis trois ans, nous subissons les effets de la crise économique et financière mondiale, et ceux que l’on nomme désormais « les indignés » en appellent à une action forte et volontariste des États. Ces grondements de la société viennent aussi de Guyane, et je me ferai ici le relais de l’indignation des Guyanais face à la situation de l’éducation, de la santé, de la justice, de la sécurité et du logement, pour ne citer que ces droits fondamentaux.

En matière d’éducation, si 75 000 élèves étaient scolarisés à la rentrée 2011 dans le premier et le second degré, pour une population de 230 000 habitants, les enfants non scolarisés sont encore trop nombreux : on en compte 3 000, qui vivent principalement dans l’Ouest de la Guyane. Quant aux effectifs scolarisés en éducation prioritaire, ils sont proportionnellement 15 fois plus nombreux en Guyane qu’en métropole. S’agissant de la progression des effectifs d’enseignants, elle oblige de plus en plus systématiquement à un recours aux contractuels, qui en représentent 27 %. Par ailleurs, 43 % des jeunes de 18 à 24 ans sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, sachant que le niveau de qualification reste faible : 44 % des plus de 25 ans possèdent un diplôme de l’enseignement secondaire contre 71 % dans l’hexagone.

Dans le domaine de la santé, l’accès à des soins de qualité n’est toujours pas une réalité pour les Guyanais. Les indicateurs sont les plus mauvais de France et témoignent d’une situation sanitaire dégradée : la mortalité infantile et périnatale est de deux à trois fois supérieure à la moyenne nationale, la démographie médicale trois fois plus faible et l’espérance de vie inférieure de quatre ans. Le nombre de Guyanais atteints de diabète, d’insuffisance rénale ou d’hypertension artérielle ne faiblit pas, tandis que l’incidence du paludisme ou de la dengue figure parmi les plus hautes des Amériques. Quant au risque de décès par maladie infectieuse entérique, il est, lui, encore bien présent en Guyane, faute d’assainissement suffisant et en raison de la présence de mercure liée à l’orpaillage clandestin. Rendons-nous à l’évidence : le plan Santé outre-mer n’a pas répondu à l’étendue des besoins de la population guyanaise et à la réalité du territoire.

Depuis le début de l’année, vous le savez, madame la ministre, la multiplication des actes graves de délinquance et de violence a diffusé dans la population un sentiment de peur. Les moyens consacrés à la sécurité publique sont notoirement insuffisants. En dépit de leur engagement, les forces de l’ordre peinent à mailler l’immensité du territoire : l’État doit adapter les effectifs et les moyens de celles-ci aux réalités de la Guyane. En outre, aucune action efficace et pérenne ne peut se concevoir sans une coopération forte avec le Brésil, le Suriname et le Guyana, en prenant en compte les intérêts de la Guyane et non ceux de la France.

En ce qui concerne la justice, elle est toujours dans une situation de carence depuis plusieurs années. Les justiciables et les professionnels de justice sont en attente de la cour d’appel de Cayenne qui sera installée au 1er janvier 2012. À Saint-Laurent-du-Maroni, les services de justice font encore défaut. En dépit des postes dits ouverts, nos magistrats ne restent pas. Enfin, le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly est surpeuplé et aucune création d’un nécessaire centre de rétention à Saint-Laurent-du-Maroni n’est annoncée.

La question du logement a déjà été longuement abordée ici, mais les chiffres concernant la Guyane sont encore beaucoup plus inquiétants. Elle est la préoccupation des Guyanais, dont 80 % peuvent prétendre à un logement social. Les besoins en nouvelles constructions se chiffrent à 4 000 par an, sachant qu’aujourd’hui 13 000 demandes de logements ne sont pas satisfaites. En l’absence d’autres perspectives, 19 000 administrés – citoyens français guyanais – n’ont pas d’autre choix que de s’installer dans des logements illicites ou insalubres. Les opérations de résorption de l’habitat insalubre, entraînées par les carences de l’État, pour garantir le droit au logement restent insuffisantes faute de dotations financières appropriées. À ce sujet, un amendement a été présenté par la ministre de l’écologie prévoyant que le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, puisse contribuer au financement de l’aide financière et aux frais de démolition dans les quartiers d’habitat informel en outre-mer. Cette mesure est une avancée qui doit être approfondie. À cet égard d’ailleurs, comment le chiffre de 5 millions d’euros par an pour les quatre DOM a-t-il été calculé ?

Quant à la disponibilité du foncier aménagé, les dotations financières allouées au fonds régional d’aménagement foncier urbain, le FRAFU, ne répondent pas à la demande, ce qui obère toute possibilité de construction de nouveaux logements.

Il est, par ailleurs, urgent de garantir, au préalable, l’accès au réseau d’assainissement. En 2012, la Guyane aura besoin de 8 millions d’euros pour mettre aux normes ses équipements d’assainissement et pour lancer des opérations immobilières aussi bien sur le territoire de la communauté de communes du centre littoral qu’à Saint-Laurent-du-Maroni.

Madame la ministre, des débuts de réponse – je l’indique très clairement – sont, certes, apportés dans les différents domaines que j’ai évoqués. Mais tous les indicateurs sociaux et économiques montrent que notre territoire est en retard par rapport aux autres territoires nationaux. La difficulté est même plus grande encore : notre retard structurel est couplé à une croissance démographique de 3,7 % par an, avec une perspective de 450 000 à 500 000 habitants en 2030.

Le budget 2012 pour la Guyane est en décalage par rapport aux besoins et aux réalités du territoire et aux attentes des Guyanais. Face à une situation inégale, il nous faut une réponse inégale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gaël Yanno.

M. Gaël Yanno. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, nous examinons ce soir le cinquième et dernier budget de l’outre-mer de la mandature de notre Assemblée, le dernier acte budgétaire du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Ces crédits sont débattus dans un contexte budgétaire et un environnement financier qui n’ont jamais été aussi difficiles et détériorés depuis plusieurs décennies. Pourtant, l’État continue, certes avec beaucoup plus de difficultés, à exercer ses missions dans les outre-mer.

Je souhaiterais saisir l’occasion de ce débat budgétaire pour faire un point d’étape sur l’ensemble des actions menées courageusement par notre majorité, par votre gouvernement en Nouvelle-Calédonie.

Le retour de l’autorité de l’État est le principal changement intervenu depuis 2007. Son autorité avait connu un affaiblissement inquiétant depuis plusieurs années mais il est à nouveau écouté et respecté en Nouvelle-Calédonie. Ce résultat n’est pas le fruit du hasard ; il découle d’une volonté politique du Président de la République, Nicolas Sarkozy.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est exact !

M. Gaël Yanno. Le climat social est apaisé grâce à cette fermeté et grâce à la mobilisation conjointe des partenaires sociaux calédoniens. Les grèves dures et les blocages violents d’entreprises font désormais partie du passé.

Dans une période de rigueur budgétaire, le gouvernement issu de notre majorité a également respecté ses engagements financiers envers les collectivités locales calédoniennes au travers des contrats 2011-2015 avec la Nouvelle-Calédonie, avec les trois provinces et avec les trente-trois communes. Les enveloppes budgétaires concernées ont été maintenues, alors que par ailleurs l’État réduisait ses interventions.

Vous avez également su, madame la ministre, accompagner les transferts de compétence par des compensations financières qui permettent de maintenir un service public de qualité. C’est le cas aujourd’hui pour les compétences déjà transférées ; ce sera le cas demain pour des compétences en matière d’enseignement privé et d’enseignement secondaire public. Vous en conviendrez, ces compensations financières n’ont pas été obtenues sans difficultés. Toutefois elles sont réelles et tous les Calédoniens ne peuvent qu’en savoir gré à l’État et au Gouvernement.

C’est encore au cours de cette mandature, et grâce à notre majorité, que le Grenelle de l’environnement a été mis en place dans les outre-mer. Il en résulte une protection inégalée de notre biodiversité, de nos mers, de nos océans et de notre faune. L’inscription des lagons et des récifs calédoniens au patrimoine mondial de l’UNESCO, en juillet 2008, est également à inscrire à l’actif du Gouvernement qui, aux côtés des Calédoniens, a rendu cette ambition réalisable.

Dans le domaine économique, nous avons su ensemble démocratiser et moraliser la défiscalisation outre mer en l’étendant au logement social dans la loi pour le développement économique des outre-mer.

Grâce à l’aide apportée par l’État au moyen de la défiscalisation, il a été possible de construire deux usines métallurgiques – une au sud et une au nord –, plusieurs milliers de logements sociaux et plusieurs hôtels – je pense au Tieti, au Royal Tera et au futur Gouaro Deva. L’industrie de transformation a également pu investir pour se développer et se moderniser, et l’agriculture a pu s’équiper. La défiscalisation a ainsi permis de compenser en partie le surcoût dû à l’insularité et à l’enclavement du territoire.

Tous ces succès, toutes ces avancées, tous ces progrès qui bénéficient directement aux Calédoniens résultent d’une politique : celle engagée par le Gouvernement que vous représentez, madame la ministre, soutenu par notre majorité.

Ce constat positif relatif à l’action de l’État en Nouvelle-Calédonie ne doit toutefois pas occulter les inquiétudes légitimes que nous ressentons, sur lesquelles nous devons travailler ensemble afin de réduire les effets négatifs des coups de rabot et des plafonnements successifs de la défiscalisation, de la suppression du soutien à la filière photovoltaïque, et des excès de la réforme de l’aide à la continuité territoriale. Beaucoup reste donc à faire, mais je vous fais confiance pour que nous y travaillions ensemble.

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, je voterai les crédits de la mission « Outre mer ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Madame la ministre, le dithyrambe de M. Gaël Yanno a dû vous mettre un peu de baume au cœur. J’allais dire que c’était de bonne guerre, mais disons plutôt qu’il l’a fait de bonne grâce.

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour la Nouvelle-Calédonie, c’est vrai !

Mme Christiane Taubira. Cher collègue, il faut perdre l’habitude de distribuer des satisfecit et des blâmes aux uns et aux autres…

M. Jean-Christophe Lagarde. Et vous, vous devriez perdre l’habitude de donner des leçons aux députés métropolitains sous prétexte qu’ils s’expriment sur l’outre mer.

Mme Christiane Taubira. La question n’est pas là : il s’agit de respect des autres élus, issus comme vous du suffrage universel ; il s’agit de culture démocratique. Jamais vous n’avez entendu un élu d’outre-mer s’autoriser à cette tribune à juger un élu métropolitain sur ce critère. Vous vous permettez des choses que vous n’avez pas le droit de faire.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’ai le droit de m’exprimer comme vous sur la politique du Gouvernement…

Mme Christiane Taubira. …et nous avons le droit de la critiquer car nous sommes le pouvoir législatif, séparé du pouvoir exécutif.

M. Gaël Yanno. Nous sommes députés comme vous !

Mme Christiane Taubira. Nous sommes tous autorisés dans une démocratie où une majorité et une opposition…

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous avons autant de droits que vous !

Mme la présidente. Monsieur Lagarde, seule Mme Taubira a la parole !

M. Jean-Christophe Lagarde. Madame Taubira m’a interpellé.

Mme Christiane Taubira. Vous m’avez interrompu. Nous pourrions écrire un chapitre entier sur la collusion et la connivence qui existent entre le Gouvernement que vous soutenez et les élus de certains territoires.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ne jugez pas les élus des territoires !

Mme Christiane Taubira. Cela est notamment vrai pour la Nouvelle-Calédonie à laquelle vous distribuez un satisfecit sans aucune réserve.

Cette année, nous avons fait des progrès en matière de vérité dans la présentation du budget. Cette évolution n’est pas due à la seule vertu du Gouvernement ; elle résulte d’années de contre analyse, d’exigences exprimées à maintes reprises, et de la réforme relative aux lois de finances menée par Laurent Fabius, qui nous a permis de mettre un terme à la fantaisie des variations de périmètre du budget d’une année à l’autre.

Cependant ces progrès ne suppriment pas tous les défauts que vous connaissez parfaitement, madame la ministre. Je pense notamment au ratio défavorable de 1,5 entre les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales, principalement constituées de renoncements à des recettes fiscales.

L’an dernier, vous avez refusé qu’une étude soit menée sur l’hypothèse de la transformation des dépenses fiscales en dépenses budgétaires. À l’époque, un amendement en ce sens, déposé par notre rapporteur spécial, avait pourtant été adopté à l’unanimité par la commission des finances. Autrement dit, un membre du Gouvernement, représentant l’exécutif, a refusé d’examiner si l’intervention régalienne de l’État ne serait pas plus efficace que le cocktail encore proposé actuellement qui mélange argent public et aubaine privée.

Je pense notamment à un domaine essentiel en matière de justice sociale, et pour lequel il est urgent d’agir compte tenu des besoins : le logement. Nous ne connaissons toujours pas la part de la LBU, la ligne budgétaire unique, consacrée au logement social en 2009 et en 2010, ni la part de dépense fiscale au mètre carré – ce qui n’est pas indifférent puisque cela détermine les publics bénéficiaires de l’action de l’État. Vous valorisez la combinaison entre LBU et défiscalisation. Le projet annuel de performance indique très clairement que la défiscalisation est la locomotive : les dotations de LBU ne sont finalement que résiduelles. En tout état de cause, il s’agit d’un régime dérogatoire. Le logement social n’est partiellement confié à la défiscalisation que dans les outre-mer. Il s’agit pourtant d’une mission essentielle de l’État dont le financement est indexé sur l’épargne. Voilà encore l’une de ces dérogations fortement défavorables qui nous sont réservées !

Vous évoquez à loisir la contribution à l’effort national pour la réduction des déficits. Mme Huguette Bello a déjà fait une démonstration magistrale relative aux contributions permanentes assurées par les ressortissants des outre-mer, mais il ne faut pas oublier les contributions spécifiques plus ponctuelles. Ainsi, lorsque vous avez réduit le fonds d’investissement de 17 millions d’euros, vous avez diminué les moyens de l’outre mer.

L’outre-mer a parfois attendu cinquante ans après la départementalisation de 1946 pour que les droits sociaux lui soient appliqués.

M. Louis-Joseph Manscour. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira. L’outre-mer est confronté à toutes les mesures d’injustice sociale qui accroissent les inégalités mais aussi aux politiques d’État qui fragilisent les politiques publiques en général. Ces dernières années, cela s’est notamment traduit par des baisses de budget.

Cette année vous vous êtes gargarisée au sujet d’une hausse budgétaire, mais nous savons bien que cette hausse sera écrêtée à l’issue de ce débat.

Quelle est la situation sur le terrain au-delà des chiffres du budget ?

Le chômage officiel est de 21 %. En réalité il est plus élevé car ce chiffre ne prend en compte ni les situations de précarité, ni l’économie informelle qui n’est ni souterraine ni interlope, mais qui est une économie de création d’activités au jour le jour. Ce chiffre officiel ne rend pas compte non plus du taux de chômage considérable des jeunes : 55 %. Autrement dit, un jeune sur deux est certain de ne pas avoir d’emploi, et deux jeunes sur deux, soit la totalité d’une génération, connaissent l’angoisse, car nul ne sait à l’avance qui aura un emploi ou pas.

Même si l’inflation est contestée, elle est partiellement reconnue par les instituts de statistique : elle touche principalement le secteur de l’énergie – ce qui pénalise le développement économique – et les produits alimentaires, ce qui pèse plus fortement sur les personnes aux revenus les plus modestes.

Vous nous parlez beaucoup de développement endogène. Les lettres de cadrage des commissaires qui en sont chargés précisent qu’ils doivent accompagner l’action du préfet : il s’agit donc bien d’un renforcement du pouvoir déconcentré de l’État pour soutenir et suivre les projets, autrement dit pour accomplir une mission assez ordinaire de l’administration d’État.

Sur place, nous constatons que ce développement endogène concerne des projets très visibles, je dirais même voyants, alors que le véritable développement endogène consiste plutôt à chercher et à aider sur le terrain, dans les quartiers et dans les communes reculées, des initiatives prises par des artisans, par des auto-entrepreneurs, par des jeunes, voire par des associations auxquelles la loi a donné la capacité d’exercer des activités économiques lucratives – je pense aux régies de quartier. Il ne s’agit donc pas d’aider par exemple une usine de biomasse qui a déjà investi, qui se diversifie et qui va développer son activité : elle n’a pas spécifiquement besoin d’un commissaire au développement endogène. Cela n’a rien à voir avec les fonctionnaires exerçant cette fonction, mais je me demande, comme l’a fait un autre orateur avant moi, s’il ne serait pas judicieux d’utiliser ce que coûte ces commissariats vers des activités qui permettraient un meilleur maillage du tissu économique.

Madame la ministre, vous connaissez ces sujets par cœur, d’autant que vous vous êtes beaucoup déplacée sur le terrain en outre mer. En conséquence, j’attends des réponses de votre part. Cela est également vrai concernant les trois questions suivantes qui concernent en particulier la Guyane.

Je pense d’abord à la situation de la santé publique, en particulier à celle du secteur de la psychiatrie. Vous connaissez l’actualité et vous vous souvenez sans doute que le 4 février dernier vous avez répondu au nom du Gouvernement à une question que j’avais adressée au ministre de la santé sur l’accueil de mineurs dans les services adultes de psychiatrie. Vous m’aviez répondu qu’une quinzaine de lits seraient disponibles pour accueillir ces mineurs en 2013. Je n’avais pas trouvé cette réponse satisfaisante et je vous avais proposé des solutions intermédiaires afin de résoudre ce problème avant cette date. Malgré le fait que j’ai relancé à plusieurs reprises le ministre de la santé, aucune réponse n’a finalement été apportée et, vous le savez, vendredi dernier, une adolescente âgée de seize ans s’est pendue en hôpital psychiatrique dans un service pour adultes. Avec quelle détermination appellerez-vous le Gouvernement à décider avec célérité d’apporter des solutions immédiates sans attendre jusqu’en 2013 que de nouveaux drames se produisent ?

Ensuite, puisque ce budget nous permet d’entendre à quel point le Gouvernement fait des efforts en matière d’emploi, d’accompagnement et de formation, notamment grâce au service militaire adapté, je veux vous interroger sur le pétrole. Je vous avais posé une question lors de la réunion de la commission des affaires économiques du 26 octobre, j’avais l’intention de réitérer le soir même à ce sujet lors de la réunion de la commission des lois, mais le temps que je rejoigne la réunion prévue à vingt et une heures, la séance était déjà levée.

M. Bernard Lesterlin. À vingt et une heures et trois minutes !

Mme Christiane Taubira. Quelle est votre position personnelle, madame la ministre, sur l’exploitation éventuelle de ce pétrole ? De deux choses l’une : soit le Gouvernement refuse l’autorisation d’exploitation, et le sujet est clos ; soit, hypothèse plus vraisemblable, il délivre cette autorisation. Vous ferez-vous dans ce cas la complice de l’exploitation d’une ressource naturelle qui s’annonce lucrative – puisque l’on évoque une production de 120 000 barils par jour, sans que la collectivité territoriale de Guyane perçoive de redevance ? Ou plaiderez-vous auprès du Gouvernement pour qu’il devienne raisonnable ? Votre ministère n’a-t-il pas, en effet, vocation à développer une approche transversale, à s’intéresser aux enjeux spécifiques à l’outre-mer et à exercer une mission de vigilance quant au respect de l’égalité de traitement ?

Enfin, ma dernière question porte sur l’or. Vous connaissez l’actualité récente : lors de la dernière agression des garimpeiros dans la forêt guyanaise, il y a eu mort d’homme. Pourtant, les agresseurs savaient parfaitement que les ouvriers et le chauffeur qu’ils ont attaqués ne portaient pas d’or sur eux ; ils connaissent les heures de levée de l’or et savent quelles attaques seront fructueuses. En revanche, ils savaient que des gendarmes et des militaires de l’opération Harpie patrouillaient dans les parages. Il s’agit donc d’une provocation délibérée, qui vise à envoyer un message de terreur.

Madame la ministre, avez-vous l’intention d’intervenir, auprès du ministère des affaires étrangères, notamment, afin qu’il insiste auprès des autorités brésiliennes pour qu’elles ratifient enfin le traité signé entre nos deux pays et que le parlement français a, quant à lui, ratifié depuis plusieurs mois ? Alors que les garimpeiros deviennent de plus en plus violents, le Brésil doit se décider à participer effectivement et rapidement à la lutte contre l’orpaillage clandestin, qui décime la forêt guyanaise, pille nos ressources non renouvelables et met en péril la santé publique. Le Brésil est un grand pays, membre du G20 ; ce n’est pas un pays sous-développé dépourvu de moyens. Il est temps que la France l’appelle à assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses ressortissants, qui se livrent de plus en plus impunément à des actes criminels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget initial pour 2012 laissait apparaître une légère progression des crédits de la mission « Outre-mer », mais le nouveau plan de réduction des dépenses publiques devrait modérer cette faible hausse, de sorte que le cap des 2 milliards d’euros en valeur prévu ne sera pas atteint.

Certes, compte tenu du contexte budgétaire actuel, ce n’est pas le pire des budgets de l’outre-mer que nous ayons examinés, et nous pourrions nous en satisfaire. Mais – parce qu’il y a toujours un « mais » – nous ne pouvons que déplorer les nouvelles mesures qui portent atteinte aux dispositifs de soutien à l’activité économique outre-mer, entraînant une baisse de 460 millions d’euros. Nous sommes tous conscients, dans cet hémicycle, que les ultramarins doivent également participer au rétablissement des comptes publics et à la réduction du déficit par un effort exceptionnel. Mais celui-ci doit être équitable : le budget doit en effet prendre en considération l’extrême retard structurel des outre-mer et ne pas compromettre l’indispensable développement économique endogène de ces territoires, trop tardivement mis en œuvre. C’est pourquoi, madame la ministre, je ne peux me satisfaire du budget que vous nous proposez, même si certains secteurs auxquels je porte une attention toute particulière, comme le logement social ou la ligne budgétaire unique, sont annoncés comme préservés à ce jour.

S’agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, je relève que la baisse de l’intervention globale de l’État, que j’avais constatée et dénoncée l’an dernier, est en quelque sorte rectifiée cette année. Toutefois, l’étude de l’annexe budgétaire révèle des sujets d’inquiétude. Ainsi, aucune intervention budgétaire n’y est recensée, et ce depuis 2010, dans des programmes qui semblent pourtant incontournables pour Saint-Pierre-et-Miquelon, comme l’économie, le développement durable ou le tourisme, pour ne citer que les exemples les plus frappants.

Par ailleurs, il convient de souligner que le maintien de l’intervention de l’État à Saint-Pierre-et-Miquelon est le fruit d’un travail de fond effectué par les parlementaires, qui s’est traduit par la mise en place de nombreux dispositifs nouveaux. Tel est le cas de l’aide à la production en matière d’imports et d’exports, prévue à l’article 24 de la LODEOM et dont nous avons obtenu l’extension à l’archipel, ou de l’aide à la rénovation hôtelière, qui, elle non plus, n’était pas initialement applicable à notre territoire.

Il en va de même d’autres dispositifs d’aide et d’appui destinés aux entreprises, aux ménages ou aux collectivités, dont nous avons obtenu, souvent de haute lutte, qu’ils soient appliqués à Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est le cas, par exemple, de la compensation des charges structurelles des collectivités, qui, grâce à l’amendement que j’ai pu faire adopter, rapporte chaque année, depuis 2008, 445 000 euros supplémentaires à la mairie de Saint-Pierre et 100 000 euros à la mairie de Miquelon.

Enfin, lorsque je parle de résultats conquis de haute lutte, je pense forcément à la mobilisation de la population de l’archipel et de ses élus, notamment à l’Assemblée nationale, qui n’ont pas ménagé leur peine pour obtenir du Gouvernement que la France affirme sa volonté de maintenir ses droits sur l’extension de son plateau continental au large de nos îles.

Cependant, ces quelques exemples positifs ne doivent pas faire oublier les trop nombreux domaines dans lesquels nous sommes encore en attente de l’action de l’État, alors qu’il est urgent d’agir, compte tenu du marasme économique que connaît notre territoire. Je pense à des dossiers aussi fondamentaux que ceux du transport maritime, de la pêche et de l’aquaculture, du plan ports ou de la mission d’inventaire des ressources marines dans notre zone, dont je viens encore dernièrement de défendre la programmation budgétaire en 2012 auprès du ministre Laurent Wauquiez.

Nous regrettons également que rien n’ait été mis en œuvre pour favoriser l’accès des jeunes ultramarins aux oraux des concours de la fonction publique, qui se déroulent généralement en métropole. Bon nombre de mes concitoyens doivent ainsi renoncer à leur projet d’intégrer l’administration pour des raisons exclusivement économiques.

Il en va de même pour le dossier du passeport mobilité. J’ai dû batailler pour faire comprendre à l’État la nécessité de prendre en compte la spécificité locale de notre système de bourses territoriales. Hélas ! Bien que fondées et légitimes, mes nombreuses interventions sur ce sujet sont restées sans réponse sur le fond. Quant à l’aide à la continuité territoriale, elle est totalement inadaptée à Saint-Pierre-et-Miquelon ; je partage l’analyse de mon collègue Lagarde sur ce point.

Quelle colère, par ailleurs, de constater que, contrairement à ce que prévoit l’amendement à la LODEOM préparé avec vos services et adopté à l’unanimité par cette assemblée, les ressortissants de l’ENIM demeurent exclus du dispositif spécifique de revalorisation des pensions en fonction du coût de la vie à Saint-Pierre-et-Miquelon. De surcroît, les acquis législatifs de cet amendement, qui a inscrit dans la loi le principe de la revalorisation annuelle et automatique, seraient désormais conditionnés à une ordonnance plus large, qui étendrait à l’archipel un ensemble de dispositions de droit commun. Ces dispositions sont, certes, intéressantes. Mais j’estime que, dans ce dossier, les décisions du Parlement sont bafouées et que les hauts fonctionnaires n’ont pas à utiliser les acquis législatifs comme moyens de chantage pour imposer leur modèle. Je crois d’ailleurs me rappeler que le Président Sarkozy lui-même s’offusquait souvent du diktat que les hauts fonctionnaires de l’État prétendent imposer.

M. François Vannson. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il sera réélu !

Mme Annick Girardin. Madame la ministre, le contraste est saisissant entre les nombreux dossiers concrets qui sont en attente et la satisfaction qu’affiche aujourd’hui le Gouvernement s’agissant de l’application des mesures du CIOM. C’est particulièrement vrai à Saint-Pierre-et-Miquelon, où l’intervention de l’État s’est trouvée parfois en décalage complet avec les réalités du terrain.

Néanmoins, je vous le concède, la responsabilité des mauvais choix effectués ces dernières années pour l’archipel ne vous incombe pas en totalité ; je pense particulièrement aux dossiers du transport maritime et de la pêche. En revanche, je reproche au Gouvernement de ne pas avoir pris en considération les nombreuses alertes et recommandations des parlementaires sur ces deux sujets cruciaux et d’avoir privilégié des orientations qui se sont avérées de véritables gabegies.

Vous êtes venue dernièrement dans l’archipel et vous avez pu constater par vous-même que mon discours, toujours franc et direct, je le reconnais, reflète la vérité du terrain. À Saint-Pierre-et-Miquelon, comme partout ailleurs en outre-mer, l’enjeu majeur est encore aujourd’hui de se faire entendre et d’être mieux considéré par la métropole. À ce propos, je dois dire que je ne supporte plus d’entendre rappeler régulièrement combien coûte à l’État un Saint-Pierrais, un Guyanais ou un Réunionnais.

Mme Christiane Taubira. Combien rapportent-ils ?

Mme Annick Girardin. On n’entend jamais dire combien coûte un Breton, un Normand ou un Alsacien !

L’outre-mer souffre d’un profond déficit de reconnaissance de ses richesses et des atouts que ces territoires représentent pour la France. Et l’année des outre-mer n’aura, hélas ! pas suffit à le combler. Essentiellement culturelle et parfois inéquitable selon les territoires, elle n’aura rempli que partiellement sa mission. Pour atteindre ses objectifs et être efficace, cette opération doit s’inscrire dans la durée. À ce propos, permettez-moi, madame la ministre, de vous suggérer une opération spéciale « semaine des outre-mer » dédiée aux ministres et à leurs conseillers,…

Mme Christiane Taubira. Bonne idée !

Mme Annick Girardin. …tant les réponses que l’on apporte aux parlementaires que nous sommes traduisent le plus souvent une ignorance accablante des réalités ultramarines. C’est tout simplement méprisant ! Il est vrai que, nous, parlementaires de l’outre-mer, avons également une part de la responsabilité dans cette situation, car, contrairement à nos collègues parlementaires de la montagne, nous n’avons pas su suffisamment nous souder, tous bords confondus, et faire preuve de solidarité et de cohésion afin de gagner un véritable poids et de devenir une véritable force de proposition à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

Néanmoins, la question essentielle qui se pose aujourd’hui est bien celle du rôle de l’administration ministérielle ou interministérielle chargée de l’outre-mer et de l’organisation qui doit en découler. Force est en effet de constater un décalage croissant entre, d’une part, l’organisation actuelle, dans laquelle le ministère de l’outre-mer est essentiellement conçu comme un relais, muni de moyens d’action limités, et, d’autre part, les besoins des outre-mer en matière d’accompagnement et de coordination de l’action de l’État, action qui est éclatée entre divers ministères et administrations dont les logiques ne sont pas toujours complémentaires. Ce n’est pas la première fois que je soulève cette question ici. Ne pourrait-on pas envisager un service interministériel dédié à l’outre-mer, qui serait dirigé par un politique, bien entendu, et qui dépendrait directement du Premier ministre, mais qui disposerait d’un réel pouvoir de coordination et d’arbitrage, ainsi que de relais désignés et spécialisés au sein des différents ministères ?

En conclusion, ce qui ressort clairement des cinq années de cette législature, c’est que le Gouvernement n’a pas été à la hauteur des espérances des outre-mer. Or, il me semble que les modalités actuelles de prise en charge des questions ultramarines au niveau ministériel n’y sont pas étrangères. Les propositions que j’ai émises aujourd’hui ont vocation à constituer une base de travail pour que nous puissions faire mieux, demain. Tel doit être le sens de l’évolution de l’accompagnement des outre-mer par l’État. Alors, si l’on ambitionne que la nouvelle relation entre la métropole et les outre-mer, souhaitée par tous, puisse un jour devenir une réalité concrète et non un simple concept, aussi sympathique soit-il, allons-y ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le défi semblait relevé : dans une conjoncture économique tendue et évolutive, le projet de budget de la mission « Outre-mer » était annoncé en hausse de 1,1 % en autorisations d’engagement et de 2,9 % en crédits de paiement. Cette hausse aurait dû permettre d’épargner le logement, l’emploi, la continuité territoriale et le soutien aux collectivités, autant de secteurs considérés comme essentiels car ils favoriseraient le développement endogène. De ce fait, les décisions du CIOM et les dispositions de la LODEOM devaient être préservées.

Mais la réalité en est tout autre : l’augmentation optique de votre budget, ce semblant de défi, apparaît en réalité comme un cache-misère. En effet, la satisfaction née d’une hypothétique, voire passagère, hausse, suite aux récentes annonces d’un deuxième plan de rigueur en trois mois, doit être nuancée, compte tenu de la perte de plus de 400 millions d’euros pour l’outre-mer sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2012. Je citerai, à titre d’exemple, la suppression de l’abattement de 30 % dont bénéficiait un nombre non négligeable d’entreprises de moins de neuf salariés et l’énième coup de rabot de 10 % sur la défiscalisation. Et je ne parle pas de l’amendement n° 448, déposé le 7 novembre 2011 par vos soins, madame la ministre, qui frappe de plein fouet des politiques porteuses, comme le SMA – qui subit une baisse de 5 millions d’euros –, l’aménagement du territoire – dont les crédits sont diminués de 5,5 millions –, la rénovation hôtelière et l’aide au fret – moins 10 millions –, les exonérations de cotisations sociales – moins 30 millions – et bien d’autres encore.

Vous laissez ainsi imposer à l’économie de nos régions une trop forte diminution de crédits, doublée d’une complexité juridique excessive. Une fois de plus, avec ce nouveau tour de vis fiscal, les règles du jeu changent. Une fois de plus, vous faites la part belle à l’instabilité juridique, génératrice de doutes et de méfiance pour des régions extrêmement fragiles et sensibles à la crise. Faut-il raboter sans cesse et de manière uniforme des dispositifs qui soutiennent la croissance économique ?

Je crois sincèrement que la hausse « optique » de votre budget s’éloigne de la réalité vécue au quotidien par les Guadeloupéens, qui souffrent de plusieurs maux. Premièrement, d’un marché du travail toujours très dégradé, avec 23,8 % de chômeurs : même si sa détérioration s’est ralentie au premier trimestre de 2011, cela n’a pas été suffisant pour juguler la progression du chômage et apaiser les inquiétudes.

Deuxièmement, d’un taux de chômage des 15-25 ans deux fois plus élevé que celui de la France hexagonale. C’est un vrai calvaire, pour un jeune Guadeloupéen, que de parvenir à décrocher un emploi.

Troisièmement, de secteurs d’activité très fragilisés, comme le BTP ou l’industrie agroalimentaire. Si l’économie guadeloupéenne s’est stabilisée en 2011, ce n’est que grâce à la prudence des chefs d’entreprises, inquiets de l’évolution juridique. Comment prendre des décisions si les règles du jeu évoluent sans cesse, d’autant que la conjoncture économique est totalement instable ?

Quatrièmement, d’exportations qui se sont réduites de 8,7 %, pour atteindre leur plus bas niveau depuis 2001. C’est la manifestation la plus flagrante de la dépendance de nos économies insulaires.

Vous nous répondez sans cesse : moins d’assistanat, plus de responsabilités, plus d’investissements, plus de développement endogène. Cette idée est à la fois bonne et fausse, car elle suppose que nous disposions de moyens de production qui confortent nos moyens d’exportation et d’autosuffisance, moyens qui nous font cruellement défaut.

Mes chers collègues, je voudrais le redire, la volonté d’entreprendre existe aussi en outre-mer. Nous ne manquons pas d’idées innovantes, nous voulons conquérir les marchés extérieurs pour parvenir à relancer la machine de la création des emplois, pour ramener l’optimisme, pour capter la croissance de demain en investissant aujourd’hui. J’en veux pour preuve que la création d’entreprises a encore progressé de 9 % l’année dernière, ce qui représente 5 300 entreprises créées, dont deux sur cinq par des auto-entrepreneurs.

Mais comment tendre vers de tels objectifs sans moyens adéquats, sans moyens adaptés à la réalité structurelle et économique ? Comment tendre vers de tels objectifs, quand les moyens financiers vitaux pour la mise en œuvre de politiques définies au cours de ces dernières années sont sans cesse rabotés, réduits, voire supprimés brutalement, sans aucune concertation, depuis que vous occupez ce poste ? Et pourtant, vous êtes domienne, madame la ministre !

Certes, nous traversons une période difficile, l’heure est à la crise à l’échelle européenne et mondiale. Cette crise impose des tournants, une rationalisation des dépenses, un effort partagé par tous – et nous ne rechignons pas à contribuer à l’effort national de maîtrise de la dépense publique outre-mer. Cependant, il est essentiel de rappeler que cette treizième législature se caractérise par un effort régulier arbitrairement imposé aux régions françaises d’outre-mer, allant à contre-courant de leurs objectifs de croissance, pénalisant les acteurs de leur développement durable, entravant leur croissance économique en dépit de l’impact de la crise. Et cela sans que « les membres de la représentation nationale aient été associés aux réflexions et encore moins aux décisions », comme le dénonce mon courageux collègue Alfred Almont dans son rapport.

Alors, face à la persistance des difficultés, ne doit-on pas définir un cadre plus pérenne donnant confiance à tous les acteurs de l’économie ultramarine ? Ne faudrait-il pas être plus attentive au quotidien de vos compatriotes, madame, sans pour autant les considérer comme des assistés ? Ne faudrait-il pas préserver la compétitivité des entreprises ultramarines à travers des dispositifs prévus pour quinze ans, au lieu de vous amuser à démantibuler ces dispositifs, à les détricoter, pour reprendre votre propre terme ? Ne faudrait-il pas privilégier la capacité d’initiative pour sauvegarder le processus de croissance lancé sous la précédente législature ?

Les esprits ne sont-ils pas trop orientés sur l’organisation institutionnelle, qui n’apaise en rien la souffrance sociale, mais qui attise les colères ? Le développement endogène si souvent prodigué est-il une solution adéquate ? Alors que la situation des DOM présente des caractéristiques proches de celles de nombreux autres départements de l’hexagone, les uns et les autres ne sont pas soumis aux mêmes exigences ! Les habitants d’une région métropolitaine sont-ils considérés comme des assistés, des improductifs, parce qu’il n’y a pas d’usines sur leur territoire, mais uniquement des fournisseurs de service et des commerçants ?

Cessons de focaliser pour ne voir dans nos collectivités que des terres de dépenses publiques ! Madame la ministre, le 7 novembre dernier, le Premier ministre a annoncé un effort historique sur le chemin du retour à l’équilibre des finances publiques. Ce plan ne peut que susciter les inquiétudes légitimes des populations d’outre-mer, des élus, des chefs d’entreprise. Qu’adviendra-t-il des zones franches d’activité, de l’aide au fret, des énergies renouvelables ? (« C’est fini, tout ça ! » sur les bancs du groupe SRC.) Nous ne connaissons pas encore les conclusions du rapport qui vient d’être déposé. Qu’adviendra-t-il des jeunes Guadeloupéens en proie au chômage, des investissements conduits par les particuliers pour des prestations bénéficiant de taux réduits de TVA outre-mer ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

En 2009, je vous interpellais sur le fait que les budgets passent et que les problèmes demeurent. De secrétaire d’État, vous êtes devenue ministre, mais les problèmes persistent, madame ! Vous avez ignoré les élus de terrain, cultivé le manque de concertation, le manque de dialogue. En cette fin de législature, les difficultés s’intensifient, la violence s’installe et l’avenir s’assombrit. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Gaël Yanno. Vous préférez donc vous faire applaudir par vos adversaires plutôt que par vos amis ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Quels amis ? Je n’ai que des compatriotes ! Je suis ici pour défendre ma population guadeloupéenne et le peuple français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Gaël Yanno. Moi aussi !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Mais vous, vous avez la chance d’avoir le nickel ! Vous n’avez donc pas de leçons à donner !

Mme la présidente. Allons, mes chers collègues !

La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu.

M. Apeleto Albert Likuvalu. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce dernier budget de la mission « Outre-mer » de la treizième mandature ressemble fortement à tous ceux que nous avons connus depuis 2007. Il est toutefois marqué par la politique de rigueur voulue par le Gouvernement, qui réduit encore plus les moyens d’action prévus pour cette mission.

Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention de votre ministère et du Gouvernement sur les problèmes spécifiques de la collectivité de Wallis-et-Futuna, des problèmes qui s’aggravent d’année en année, contrairement à ce que peuvent laisser croire les discours officiels.

Le programme 123 de l’action n° 4 prévoit une dotation de 25 millions d’euros pour le fonctionnement de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna en 2012. C’est là un effort que l’on peut saluer, même si, par rapport à 2011, la dotation n’a progressé que de 1 %, soit 248 230 euros. Malgré une augmentation de la dotation de 29 % en six ans, le budget reste insuffisant et déficitaire en raison d’une augmentation importante du nombre de malades transférés vers la Nouvelle-Calédonie, l’Australie et même la métropole. C’est pourquoi j’ai proposé, à plusieurs reprises, une dotation de 31 millions d’euros correspondant à la prise en charge de la santé de tous les habitants du territoire, déterminée par comparaison avec la métropole.

Du fait de son éloignement et de son isolement, par rapport aux autres territoires ultramarins, le territoire des îles Wallis et Futuna a connu, pendant des années, l’exclusion et la non-application de certaines décisions du Gouvernement, surtout dans le domaine budgétaire. Aujourd’hui, notre territoire a du mal à rattraper son retard.

Madame la ministre, ce besoin de rattrapage se fait sentir dans de nombreux domaines, comme cela vous a été signalé lors de votre visite à Wallis en juillet dernier. À Futuna, vous avez constaté les conséquences du cyclone Tomas et les efforts faits par l’État et par la population pour y remédier. Mais les difficultés que nous connaissons ne sont pas uniquement dues au cyclone Tomas : elles proviennent également du séisme de 1993 et du cyclone Raja de 1986. Là encore, madame la ministre, Futuna a grand besoin de rattraper son retard, qu’il s’agisse de construction des écoles, d’amélioration du réseau routier et électrique, de son centre hospitalier ou de ses moyens de désenclavement.

Quand vous dites qu’il est « normal que l’outre-mer contribue à l’effort national », je peux vous répondre que de nombreux territoires ultramarins comme Wallis-et-Futuna ont toujours contribué à l’effort demandé par l’État. Leur imposer aujourd’hui des mesures de restriction double ou triple les efforts consentis depuis des années !

M. Éric Jalton. Absolument !

M. Apeleto Albert Likuvalu. Dans le domaine de l’enseignement et de la formation professionnelle comme dans d’autres, c’est seulement depuis une dizaine d’années que notre territoire ressent le bénéfice des progrès réalisés. L’effort fait par l’État dans la mission « Outre-mer » pour l’action « 40 cadres », ou l’ouverture de l’armée et des formations professionnelles aux jeunes, est important. Mais cet effort doit encore s’intensifier, afin d’atteindre le même niveau que les autres territoires.

Par rapport à la moyenne de la population française, le territoire de Wallis-et-Futuna a le taux le plus élevé de jeunes engagés dans l’armée nationale, et paie ainsi un lourd tribut à la République. Favoriser le départ des jeunes qui quittent leurs îles pour aller se former et participer à la défense de nos valeurs est une très bonne chose. Mais l’État doit ensuite faciliter leur retour, en accordant plus de moyens pour assurer leur développement économique. Et pour permettre aux jeunes de rester dans le territoire, il faut leur donner plus de moyens. L’une des mesures envisageables pour nous permettre de retenir les jeunes serait de créer le SMA dans nos îles. Je souhaite, madame la ministre, que vous facilitiez la mise en place de ce service nécessaire pour le territoire.

Que dire des autres domaines signalés lors de votre visite ? La sécurité de la population est de la compétence de l’État, qui assure, comme vous le savez, la mise en place et le fonctionnement des sirènes contre les menaces de tsunami. L’aide aux pompiers représente également un besoin primordial et il convient de poursuivre l’effort pour améliorer leur équipement, qui reste insuffisant.

Dans le domaine de la justice, où l’État a enfin accepté d’assurer le rattrapage des remboursements non effectués depuis 2006, vous n’êtes pas sans savoir, madame la ministre, que j’ai toujours attiré l’attention du ministère de la justice sur l’état inacceptable de la prison du territoire. Des promesses ont été faites, qui restent sans suite à ce jour – et pour combien de temps encore, je me le demande.

Le désenclavement du territoire, surtout de l’île de Futuna, doit obligatoirement se faire par l’amélioration des équipements et des moyens de transport. Je sais que votre ministère est favorable à la réalisation du projet sur l’aéroport de Futuna, visant à le faire passer en catégorie 2. En permettant l’atterrissage d’avions plus grands, tel l’ATR 42, ce projet facilitera la création de nouvelles liaisons avec d’autres îles, comme Fidji. Il faut toutefois achever entièrement les travaux de l’aéroport et indemniser les riverains.

Comme pour Saint-Pierre-et-Miquelon, il est important qu’une desserte maritime de passagers soit mise en place entre Wallis et Futuna. De par son éloignement de la métropole et des autres collectivités, et à cause des tarifs élevés pratiqués par les compagnies aériennes, notre territoire a besoin d’un effort exceptionnel de l’État pour que soit assurée la continuité territoriale, notamment avec le passeport mobilité. Nous en avons besoin plus que les autres, avec l’ouverture aux collectivités de la zone Pacifique.

Enfin, avec plus de 4 000 habitants, l’île de Futuna doit bénéficier des mêmes avantages bancaires que le reste de la France.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Apeleto Albert Likuvalu. L’État doit pouvoir traiter et résoudre le problème de l’inexistence de banques et de distributeurs automatiques de billets à Futuna. Je souhaite qu’après de nombreuses – et vaines – interventions auprès du ministère du budget et des finances, ce problème puisse enfin être réglé pour le bien et le confort des Futuniens, ces Français du bout du monde.

Je voudrais terminer par la question que je vous ai posée il y a quinze jours, madame la ministre, concernant la cherté de la vie à Wallis-et-Futuna. Vous n’êtes pas sans savoir que le prix de l’électricité dans le territoire est six fois plus élevé qu’en métropole ! Comme je vous l’ai déjà signalé depuis plus d’un an, un conflit oppose la population à la société à cause des tarifs hors normes pratiqués par celle-ci. Aujourd’hui, la situation devient dramatique. Des familles s’opposent directement aux agents de la société suite aux coupures de courant. Madame la ministre, je renouvelle ma demande au Gouvernement pour que des mesures soient prises rapidement afin de régler ce problème avant que le territoire ne subisse des conséquences encore plus graves.

Les domaines évoqués montrent nos retards en matière de développement économique et social. Je souhaite que nous ayons au moins la chance, dans les campagnes d’exploration qui ont lieu actuellement dans la zone exclusive de Wallis-et-Futuna, de trouver quelques richesses.

Je conclus en citant vos propres paroles, madame la ministre, prononcées devant l’Assemblée territoriale à Wallis le 30 juillet dernier : « L’État est à vos côtés pour aider au développement de Wallis-et-Futuna, développement indispensable pour regarder l’avenir avec sérénité. » En ce qui me concerne, j’attends et j’espère. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout ou presque a été dit sur ce budget. Supportez toutefois qu’à mon tour je vous rappelle que la situation des outre-mer français est critique.

Elle est à l’image du défi social et sociétal qui se présente à nous. Dans notre société, la violence fait chaque jour des ravages, sur fond de chômage et de précarité endémique, qui touche particulièrement notre jeunesse, puisque 55 % de la population active jeune sont sans emploi. Ce ne sont pas moins de cinq affaires de meurtre en trois jours dans des contextes différents, dont quatre pour la seule journée du 5 novembre 2011 – triste samedi et record national –, que nous avons eu à déplorer en Guadeloupe. D’ailleurs, un congrès exceptionnel, ce qui n’est pas une procédure consacrée pour ce type de problèmes, s’est réuni tant bien que mal au conseil régional de Guadeloupe, avant-hier, sur l’insécurité et la violence, comme un cri d’alarme supplémentaire.

Quel modèle de société voulons-nous, madame la ministre, pour la Guadeloupe, mais aussi, plus largement, pour la France ? Est-ce une société de loups cyniques où l’étalon de la réussite consiste en la possession d’une montre Rolex à l’âge de cinquante ans ? Ou bien est-ce, a contrario, une société qui partage équitablement les fruits, même moins nombreux, de la production nationale brute ? Dans ce second type de société, l’étalon de la réussite collective consisterait par exemple, pour avoir davantage d’emploi, d’activité et d’intégration – notamment pour notre jeunesse – à développer le tissu associatif ; promouvoir le logement social ; éradiquer l’habitat indigne ; promouvoir le développement durable et intégré – « endogène », pourquoi pas; recruter des enseignants, des policiers, des postiers, des douaniers et des personnels de santé ; poursuivre une réforme territoriale pour la mise en place d’une véritable subsidiarité, en outre-mer comme dans l’hexagone.

Force est de constater que le budget de la mission « Outre-mer », tel qu’il est soumis à notre examen, montre par ses orientations l’idéologie ultralibérale qui a présidé à son élaboration, c’est-à-dire la réussite de quelques individus, au détriment de la réussite collective – celle du plus grand nombre d’individus.

En effet, si les trois principales orientations budgétaires rapportées par notre éminent collègue Alfred Almont sont recevables dans le principe, elles sont particulièrement contredites par la forme et le fond de votre projet de loi de finances pour 2012.

Ainsi, la suppression de l’abattement fiscal sur le bénéfice des entreprises qui investissent et produisent en outre-mer est significativement contre-productive pour le développement endogène, pourtant prôné à grand renfort de discours par le Président de la République lui-même, notamment en Guadeloupe.

Ainsi, dans un territoire où le solaire est une énergie renouvelable, propre et sûre, détruire les avantages fiscaux des investissements outre-mer dans le photovoltaïque constitue de facto une incitation au maintien du dominium de Total et de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles, de même qu’une incitation à l’importation massive de combustibles pétroliers, en violation des objectifs du Grenelle de l’environnement et de l’Agenda 21, fixés pourtant par votre gouvernement.

Celui-ci voudrait-il maintenir la devise de Colbert – « pas même un clou » ni un fer à cheval dans nos colonies –, qu’il n’agirait pas autrement. Ainsi, le développement endogène n’est nulle part inscrit dans vos choix politiques et apparaît comme un habile pare-feu pour masquer un désengagement insidieux mais bien réel de l’État outre-mer. Il ne suffit pas de nommer trois commissaires à l’« endogénat » pour briser le carcan idéologique qui sous-tend l’action ultramarine au service des monopoles de l’import et de la distribution.

Il en est de même pour votre seconde orientation budgétaire, le soutien au logement social. L’amputation de 34 millions d’euros dans la LBU montre à elle seule que le Gouvernement ne semble pas prendre toute la mesure de la poudrière sociale que sont les zones dites d’habitat indigne, que je connais – de même que vous, d’ailleurs – dans ma circonscription, aussi bien à Pointe-à-Pitre et Marie-Galante qu’à Morne-à-l’Eau et aux Abymes : zones de misère, de délitement du lien social qui, en dépit des efforts de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, que je salue au passage, demeurent une plaie béante indigne de notre République.

Enfin, mais ce n’est pas le point le moins important, en matière de continuité territoriale et de formation des jeunes ultramarins, votre budget présente notamment une diminution de 100 millions d’euros sur les contrats aidés et une baisse de 6,6 % pour l’action « Culture, jeux et sports », montrant bien qu’il y a loin de l’orientation au chiffrage.

Ce ne sont pas les habitants des îles du sud de la Guadeloupe qui y trouveront leur compte, en l’absence de la création d’une véritable délégation de service public dans le cadre d’un groupement d’intérêt public, pourtant prévu dans la LODEOM et voulu par tous les acteurs locaux, mais refusé dans les faits à coups de mesures dilatoires, sans oublier le contrat colibri, aujourd’hui déplumé (Sourires), de votre prédécesseur Yves Jégo et le contrat de développement, resté rue Oudinot dans les tiroirs de votre ministère.

Mme Christiane Taubira. Ils sont fermés et la clé a été jetée dans la Seine ! (Sourires.)

M. Éric Jalton. Ce ne sont pas non plus les planteurs de Marie-Galante qui, comme sœur Anne, désespèrent – en l’occurrence de l’intervention de l’État, pour sauver la filière de la canne, du sucre et du rhum qui, faute d’action étatique, transformera Marie-Galante en un musée de la canne. Et je ne parle même pas de la situation sanitaire de Marie-Galante, qui est telle qu’il y a un accès aux soins à deux vitesses dans l’archipel guadeloupéen, qui est pourtant dans la République française.

Madame la ministre – et, au-delà de vous, je m’adresse au Gouvernement –, nous l’avons compris : pour plagier le vieil adage, quand il y a le feu au château on ne se préoccupe guère des écuries. Les outre-mer, qui, selon tous les candidats déclarés à l’élection présidentielle, sont une chance pour la France,…

Mme Christiane Taubira. Et un solide bastion électoral !

M. Éric Jalton. …point de vue que nous partageons très largement, devront encore attendre pour s’assurer qu’une France volontaire, solidaire et généreuse demeure une chance pour les outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanny Marc.

Mme Jeanny Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le vote du budget est un acte politique d’importance pour les élus que nous sommes car nous portons les espoirs légitimes de nos compatriotes face à cette crise sans précédent, aussi brutale par ses effets que porteuse d’anxiété.

Pour l’outre-mer, où les handicaps structurels rendent nos territoires extrêmement vulnérables face aux effets de cette crise, vous nous proposez d’examiner un budget frappé de caducité en raison d’objectifs de croissance trop optimistes. Or, madame la ministre, votre gouvernement le sait pertinemment ; vous le faites en toute connaissance de cause : la mise en œuvre des mesures du nouveau plan d’austérité annoncé hier et le risque avéré de récession prévu au premier trimestre 2012 entraîneront de manière mécanique un nouveau coup de machette, comme on dit chez nous. Est-ce donc là la traduction du nouveau pacte de confiance voulu entre la France et ses outre-mer à l’occasion de l’année qui leur est justement dédiée ?

Mes chers collègues, vous comprendrez que, par décence envers mes compatriotes d’outre-mer, qui participent de manière significative à l’effort national de maîtrise budgétaire, je me refuse cette année encore à commenter le volume budgétaire de cette mission.

Cependant, il y a des symboles qui rendent difficile de justifier certaines postures. Je pense notamment à la diminution des crédits des programmes « Conditions de vie en outre-mer » et « Emploi outre-mer ». La suppression de 5 millions de crédits pour le service militaire adapté au titre de la rationalisation de son fonctionnement nous laisse perplexe. D’un autre côté, je constate, comme l’ont déjà fait plusieurs de mes collègues, que votre gouvernement continue à verser d’importants salaires à des commissaires au développement endogène dont on n’a pas vraiment vu l’action sur le terrain.

Que retiendra-t-on donc de ces cinq dernières années de politique gouvernementale en outre-mer ?

M. Bernard Lesterlin. Rien !

Mme Jeanny Marc. Tout simplement que ce gouvernement, aveuglé par son dogmatisme ultra-libéral, a paupérisé les outre-mer ; il les a mis à genoux.

Vous semblez vouloir afficher de l’optimisme, madame la ministre ; c’est de bonne guerre. Mais les faits plaident en votre défaveur. En Guadeloupe, par exemple, entre 2007 et 2011, les effets dévastateurs de la RGPP, combinés à la mise en œuvre de la carte scolaire, ont fait passer le taux d’échec scolaire de 25 % à 32 %.

Dans le même temps, la LODEOM n’a pas été le levier de croissance tant espéré. Le nombre de défaillances d’entreprises a progressé et le taux de chômage gagné 2,5 points, passant de 22,5 % à 25 %. Quant aux jeunes, plus de 55 % d’entre eux sont au chômage, ce qui est inacceptable car nous avons le taux le plus important d’Europe. En matière de taux de criminalité, celui de la Guadeloupe en fait la région la plus violente de France, faute de moyens pour la police et la justice – mais l’administration pénitentiaire n’est pas mieux traitée. À cet égard, je ne sais pas s’il faut rire ou pleurer du congrès sur les phénomènes de violence dont mon collègue vient de parler : la collectivité a proposé d’offrir deux véhicules à la police nationale, tant celle-ci est mal dotée.

L’endettement des ménages a progressé de plus de 40 % sur la période. En Guadeloupe, un ménage sur huit vit au-dessous du seuil de pauvreté. L’indice des prix à la consommation – cela devrait attirer particulièrement votre attention – connaît un pic aussi important que celui enregistré avant le mouvement de janvier 2009.

L’orientation du financement du logement social crée une situation de tension au niveau de la demande car les opérations de résorption de l’habitat insalubre ne reçoivent plus de financements – je suis bien placée pour vous le dire.

Le Premier ministre avait annoncé en 2007 qu’il fallait changer le regard de la France sur les outre-mer. Il l’a tellement changé qu’il a créé un précédent en fixant le curseur sur les limites à ne plus atteindre en matière de conduite de politiques publiques dédiées à l’outre-mer.

Mme Christiane Taubira. Bien vu !

Mme Jeanny Marc. Ainsi, à l’heure des évaluations par les agences des notations, s’il devait être donné une note relative à la maîtrise des déficits en matière de développement en outre-mer, elle serait gratifiée d’un triple C : crise, chômage, catastrophe sociale. Or l’outre-mer aspire au triple A symbolisé par l’ambition.

Madame la ministre, vous comprendrez dès lors que, comme je l’ai fait les années précédentes, je ne peux approuver votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mercredi 9 novembre à neuf heures trente :

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2012 ;

Suite de l’examen des crédits de la mission "Outre-mer".

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 9 novembre 2011, à une heure cinq.)