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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 20 février 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing

1. Commémoration de tous les morts pour la France

M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants

Discussion générale

M. Michel Hunault

M. André Chassaigne

M. Christophe Guilloteau

M. Dominique Raimbourg

Texte de la commission mixte paritaire

2. Reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants

M. Élie Aboud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Christian Kert

M. Kléber Mesquida

M. Michel Hunault

M. André Chassaigne

M. Jean-Pierre Grand

M. Dominique Raimbourg

M. Didier Gonzales

Mme Marie-Louise Fort

M. Éric Ciotti

M. Christian Vanneste

M. Richard Mallié

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État

Article unique

Amendement no 3

Titre

Amendement no 1

Explications de vote et vote sur l’ensemble

M. Christian Kert, M. Kléber Mesquida, M. Michel Hunault

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures.)

1

Commémoration de tous les morts
pour la France

CMP

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France (n° 4233).

La parole est à M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants, mes chers collègues, je suis très heureux que nous concluions cette législature par l’examen de ce très beau projet de loi.

De nombreux parlementaires et associations sont très attachés à cette journée d’hommage à tous les morts pour la France. J’avais moi-même, il y a près de dix ans, lors de ma première intervention en séance publique, proposé de transformer le 11 novembre en journée de la mémoire pour les morts pour la France, afin de rendre hommage à tous ceux qui ont défendu notre nation, toutes générations confondues, et jusqu’au sacrifice suprême.

Je me réjouis donc qu’une telle proposition arrive au bout de la procédure parlementaire. Elle traduit la volonté de renouveler notre politique mémorielle et de rapprocher notre armée de la nation.

Je me réjouis également que le Sénat ait adopté l’article additionnel issu d’un amendement de MM. Meunier, Guilloteau, Teissier et Briand, soutenu par 240 députés du groupe UMP rejoints par les députés du groupe Nouveau Centre, qui rend obligatoire l’inscription des noms des morts pour la France sur les monuments aux morts de toutes les communes de France. De nombreux parlementaires y tenaient, puisque pas moins de trois propositions de loi avaient été déposées sur ce thème à l’Assemblée nationale.

Les deux modifications apportées par le Sénat ne modifient pas du tout l’équilibre du texte.

La nouvelle formulation de l’article 3 est purement rédactionnelle et ne remet pas en cause l’objectif visé, à savoir l’application de la loi dans toutes les collectivités d’outre-mer bénéficiant du principe de spécialité législative, comme la Nouvelle-Calédonie.

Nous nous étions en revanche opposés, monsieur le secrétaire d’État, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, aux tentatives de compléter l’article 1er du projet de loi par une formule rappelant que les autres commémorations nationales n’étaient pas remises en cause. J’estimais, et j’estime encore, que la force du projet de loi résidait dans sa concision, qu’il ne souffrait d’aucune ambiguïté sur ce point et que l’engagement du Président de la République et du Gouvernement par votre voix, monsieur le secrétaire d’État, suffisait.

En dépit des réserves initiales du rapporteur et du Gouvernement, la majorité sénatoriale en a décidé autrement et a voté le texte ainsi modifié, à l’unanimité.

Je n’ai pas voulu que l’adoption de ce projet de loi, qui traduit l’hommage unanime de la nation à ceux qui ont fait don de leur vie pour elle, échoue pour l’ajout de quelques mots. La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 31 janvier dernier, a donc adopté le texte issu des travaux du Sénat, et je vous invite, mes chers collègues, à en faire autant. Devant un monument aux morts, on ne se divise pas, on se rassemble. Je vous propose, ici, à l’Assemblée nationale, de donner l’exemple. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous sommes réunis pour examiner, dans la version élaborée par la commission mixte paritaire, le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Ce projet de loi avait été annoncé par le Président de la République le 11 novembre dernier, dans un discours prononcé sous l’Arc de triomphe. Aujourd’hui, sa parole est en passe d’être tenue, à la satisfaction des principales associations d’anciens combattants, des familles ou encore des militaires d’active.

Nous le devons aussi à votre mobilisation. Vous savez tous combien les questions de mémoire importent à la cohésion de notre société, et même à sa dignité. C’est pourquoi elles ne peuvent être cantonnées à des clivages partisans. Votre implication soutenue démontre qu’elles jouent pleinement leur rôle fédérateur, nous vous en remercions vivement.

Le projet de loi a d’ores et déjà été adopté au Sénat, dans la version qui vous est présentée aujourd’hui. Celle-ci comporte deux modifications notables par rapport au texte qui vous avait été soumis en première lecture. Elles ne modifient en rien l’esprit premier du projet de loi. Elles précisent, d’une part, que le texte s’appliquera sur l’ensemble du territoire de la République et, d’autre part, que toutes les autres journées de commémoration nationales seront maintenues.

Nous en avons déjà discuté ici, le 11 novembre avait vocation à évoluer, après la mort du dernier poilu, d’origine australienne, l’année dernière. Ce texte montre aussi qu’il y a une filiation entre tous les morts pour la France, entre ceux qui sont morts en 14-18 et ceux qui peuvent mourir encore aujourd’hui dans les opérations extérieures. Il n’est bien sûr pas question de supprimer les autres dates, ni de les hiérarchiser. Simplement, le 11 novembre, journée de commémoration de la fin de la guerre de 14-18, sera aussi la journée des morts pour la France.

S’agissant des amendements adoptés au Sénat, je partage le point de vue du rapporteur sur l’intérêt de parvenir à un consensus et à un vote à l’unanimité. Nous pouvons très bien écrire que la loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. Je préfère d’ailleurs cette rédaction à celle qui avait été votée ici contre mon avis, mais quoi qu’il en soit, l’esprit est le même.

Je vous invite à voter cet excellent texte, qui permet de rassembler notre pays, notre peuple, l’ensemble des associations d’anciens combattants. La mémoire, c’est quelque chose de vivant qui évolue en permanence. C’est extrêmement important, parce que c’est ce qui fait l’unité de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault, premier orateur inscrit.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, mes chers collègues, le rapporteur a conclu son intervention en appelant au consensus et vous avez été vous-même très consensuel, monsieur le secrétaire d’État. Je vous apporte le soutien de mes collègues du groupe Nouveau Centre à ce projet.

Ce texte, vous l’avez rappelé, vise à faire du 11 novembre une journée de commémoration en l’honneur de tous les Français, civils et militaires, tombés pour la France. Il s’inscrit aussi dans un contexte particulier, puisque nous allons bientôt célébrer le centenaire du début de la Première Guerre mondiale.

Je retiendrai, monsieur secrétaire d’État, ce que vous venez d’expliquer et que vous avez rappelé encore la semaine dernière en Loire-Atlantique. Je sais combien vous êtes attentif à expliquer l’objet de ce projet de loi et je vous remercie à nouveau pour votre action auprès du monde combattant dans les départements français. Le projet, c’est essentiel, ne vise pas à supprimer les autres jours de commémoration ni à les hiérarchiser. Ces précisions étaient attendues.

Je voudrais retenir de ce débat la solennité qui a entouré nos discussions. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous avez su trouver les mots, en première lecture, pour parler du symbole que pouvait représenter ce texte et, surtout, des valeurs qu’il contient. Il y a un moment où les mots sont peu de chose au regard des valeurs que nous défendons. Ce projet vise à les perpétuer et à faire en sorte qu’après la mort du dernier poilu, le devoir de mémoire soit toujours une priorité et une exigence pour la nation.

Nous devons aussi honorer tous les soldats morts sur les différents théâtres d’opération. L’actualité récente nous a montré malheureusement combien certains, que ce soit aujourd’hui en Afghanistan ou hier sur d’autres théâtres d’opération, mouraient pour une certaine idée de la France, pour nos valeurs. Je rends hommage à leur mémoire.

Enfin, je formule un vœu, monsieur le secrétaire d’État, celui que votre collègue de l’éducation nationale transmette ce projet à la communauté éducative. Lors des commémorations devant les monuments aux morts des 36 000 communes de France, il y a bien souvent trop peu de jeunes. Il faudrait que l’éducation nationale explique l’histoire afin que toute la nation partage ce devoir de mémoire, que le projet rend encore plus exigeant. C’est sur ce vœu que je terminerai, en vous rendant hommage, ainsi qu’au rapporteur et à tous mes collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France est celui qu’avait adopté le Sénat.

Comme les députés du groupe GDR de notre assemblée, les sénateurs du groupe CRC ne l’ont pas voté. Ce refus n’est pas dû à une volonté d’opposition systématique, il n’a rien à voir avec un clivage partisan. Il est fondé sur un désaccord de fond.

Certes, la modification introduite par le Sénat au projet de loi voté par notre assemblée a complété l’article 1er en précisant que cet hommage ne se substituait pas aux autres commémorations nationales. Cette précision, adoptée à l’initiative de notre ancien collègue Alain Néri, s’imposait. Au regard des objectifs d’uniformisation de la mémoire poursuivi par les initiateurs de cette loi, il n’est en effet pas inutile d’inscrire que les autres commémorations nationales patriotiques ne sont pas remises en cause, limitant ainsi le risque qu’elles soient banalisées ou vidées de leur sens.

Cependant, à nos yeux, graver dans le marbre de la loi une telle disposition ne permet pas de lever toutes les ambiguïtés et toutes les craintes suscitées par le projet de loi, dont le premier défaut est d’avoir été élaboré dans la précipitation, comme cela a été souligné par la quasi-totalité des associations d’anciens combattants. Nous sommes convaincus que le fond du problème n’est pas dans cette forme de garantie.

Nous légiférons sur une mesure, émanant du Président de la République, qui touche à des valeurs et symboles forts. Ne pensez-vous pas, chers collègues, que la défense de la patrie et le sens de la guerre auraient mérité un débat beaucoup plus large et approfondi ? Alors que nous disposions d’une année avant la prochaine commémoration du 11 novembre 1918, et que nous sommes à deux ans du centenaire de la Grande Guerre, y avait-il une telle urgence à légiférer sur cette question ?

Un travail législatif selon la procédure accélérée est-il le bon support pour modifier la signification, dans la mémoire collective, de l’armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale, et la remplacer par un hommage indifférencié à tous ceux, civils et militaires, qui sont morts au cours de conflits de nature différente ? Nous l’avons dit et je le redis : nous craignons que cette évolution n’entretienne la confusion et l’oubli de la spécificité de toutes les guerres auxquelles notre pays a été confronté, alors qu’il est de tradition, dans notre République, de rendre hommage aux anciens combattants de chacune d’elles, à chaque date anniversaire historique de la fin de chaque conflit.

Dans mon esprit, il ne s’agit aucunement de faire un tri entre les « bonnes » et les « mauvaises » guerres, ou de hiérarchiser les conflits. Je reprends à mon compte les mots d’une association d’anciens combattants, l’ANACR, prononcés le 12 novembre dernier : « Tous les conflits eurent leur spécificité, tous s’accompagnèrent de lourds sacrifices arrachant des femmes et des hommes à l’affection des leurs, meurtrissant les corps et les âmes de nombre de ceux qui y survécurent, laissant dans la conscience des familles et de la nation une empreinte indélébile. »

Aussi, je ne remets nullement en cause la force symbolique de la mention « mort pour la France », portée sur les actes de décès. Un soldat envoyé sur le théâtre d’un conflit par le gouvernement de la République, et qui trouve la mort, est toujours – toujours – tué au nom de la France. Mais nous ne voulons pas non plus que toutes les mémoires soient amalgamées, ce qui empêche de réfléchir et de tirer les enseignements de chaque guerre, et accrédite l’idée selon laquelle peu importent les raisons pour lesquelles des militaires et des civils ont perdu la vie.

Je l’ai écrit au Président de la République, le 11 novembre dernier, après avoir écouté son message : « En mêlant ainsi, indistinctement, tous les champs de bataille, vous accréditez l’idée que le combat des poilus sacrifiés à Verdun en 1916 aurait le même sens que la mort de nos malheureux engagés militaires français tombés à Diên Biên Phu en 1954, en Indochine. Pensez-vous aussi que mourir sous les balles et les obus nazis, dans le verrou de Sedan ou au Mont Mouchet, a la même signification que d’être, hélas, tué sur les rives du canal de Suez en 1956, ainsi que lors des guerres coloniales passées et actuelles ? »

En confondant des événements et engagements qui n’ont pas la même portée historique et humaine, le risque est que tout soit fondu dans une même condamnation abstraite de la guerre, qui empêche de réfléchir sur ses causes.

En ne distinguant plus les situations, en unifiant les conflits, on aboutit à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permet plus de comprendre le passé et de construire lucidement l’avenir. Mais peut-être est-ce là l’objectif recherché, si l’on en juge par la place désormais accordée aux programmes d’histoire dans l’enseignement secondaire, une place qui se réduit comme peau de chagrin. Ainsi, à la rentrée scolaire 2012, plus de la moitié des élèves des terminales de l’enseignement général, ceux de la filière scientifique, n’auront plus d’enseignement d’histoire et géographie obligatoire.

Les enseignants de cette matière s’en émeuvent. Et ils regrettent que, dans les nouveaux programmes d’histoire, les guerres soient envisagées comme un tout, parfois traitées ensemble, ce qui peut conduire à des rapprochements erronés ou fallacieux. Rassembler les conflits du vingtième siècle dans le concept flou de « guerre totale » les réduit aux efforts et souffrances qu’ils ont engendrés sans en aborder les enjeux, sans évoquer la contextualisation politique et idéologique de ces catastrophes successives.

En privilégiant la « folie des hommes », pour reprendre les mots du Président Sarkozy, enseigner l’histoire des guerres reviendrait seulement à extirper le mal présent en chacun de nous. « À cette aune, tout se vaut. C’est la défaite de la volonté de comprendre », écrit Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS, dans un article de la revue L’Histoire de ce mois, sous le titre « Aux larmes lycéens ».

Ces dernières années, de nombreux travaux ont pourtant été menés sur le devoir de mémoire. Des pistes ont été explorées ; elles auraient pu faire l’objet d’un débat de fond et de décisions fortes. Au lieu de cela, un texte, très en retrait par rapport aux enjeux, est adopté en urgence.

Son seul objet, nous a-t-on dit, est de rendre hommage à tous ceux qui ont défendu la France, toutes générations confondues. Une forme de communion avec les souffrances du passé, une communion se dégageant d’une approche historique qui serait réflexion, qui serait analyse des causes et de l’enchaînement des faits.

Nous sommes favorables à ce que soit rendu un hommage particulier aux soldats qui, sous mandat de l’ONU, œuvrent pour le respect du droit international et assurent le maintien de la paix dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler les opérations extérieures. Mais nous refusons d’amalgamer tous les conflits en un même souvenir. C’est la raison principale pour laquelle les membres du groupe GDR restent opposés à l’adoption de ce texte.

M. le président. La parole est à M. Christophe Guilloteau.

M. Christophe Guilloteau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis que nous nous retrouvions en cette fin d’après-midi pour adopter les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie au Sénat le mardi 31 janvier.

Avec nos collègues sénateurs, nous avons trouvé, dans un esprit consensuel, un accord sur ce texte. Je ne reviendrai pas sur les quelques modifications qui ont été apportées aux articles 1er et 3. Nous avons repris les amendements du Sénat, le rapporteur Patrick Baudouin a fort bien dit pourquoi.

Je souhaite profiter de l’occasion qui m’est donnée avec la lecture du texte de cette CMP – d’ailleurs le dernier texte de la treizième législature examiné par la commission de la défense – pour rendre une nouvelle fois hommage à nos soldats morts pour la France, mais aussi à l’ensemble de nos forces armées. Je tiens à saluer le courage, le dévouement et le très grand sens professionnel de nos soldats, où qu’ils se trouvent, sur le sol national ou en mission sur les nombreux théâtres extérieurs où la France est engagée.

Conformément à la volonté affichée par le Président de la République lors de la dernière cérémonie du 11 novembre, après un travail législatif, en commission, ici même en première lecture, puis au Sénat, et aujourd’hui de nouveau ici, le texte que nous allons voter réaffirme et souligne la volonté de la nation française de rendre hommage à tous ses morts le 11 novembre. Les associations d’anciens combattants l’ont bien compris : quarante-sept d’entre elles soutiennent ce texte.

Vendredi, monsieur le secrétaire d’État, vous serez dans le département du Rhône, département de Résistance, au fort des martyrs de Côte-Lorette, à Saint-Genis-Laval, et l’ensemble des associations présentes vous remercieront, j’en suis sûr.

Chers collègues, la date du 11 novembre ne doit pas remplacer les autres commémorations, ou nous conduire à les négliger. Ce n’est pas une date choisie parce que les derniers témoins de la Grande Guerre ne sont plus là. Ce n’est pas une date choisie parce que la Première Guerre mondiale, en ces temps d’Union européenne et de couple franco-allemand, paraît bien loin. Mais c’est une date choisie pour toutes ces raisons.

Dans notre mémoire collective, le 11 novembre occupe une place à part. Il valorise l’esprit collectif, la solidarité, le courage du peuple français dans son ensemble. Au-delà des divergences parfois profondes qui nous séparent, nous soulignons, par ce texte, notre attachement au devoir de mémoire, notre volonté de rendre hommage à tous ceux qui ont payé le prix du sang pour défendre notre liberté et notre patrie.

C’est le sens des différentes journées de commémoration nationale qui jalonnent notre calendrier. Je souhaite que ces cérémonies demeurent intactes, qu’elles soient un relais et un vecteur historique entre les anciens combattants, quelle que soit leur génération du feu, et les enfants de France.

Au-delà du 11 novembre, je tiens à revenir sur un autre aspect de ce texte. C’est une question qui me tient tout particulièrement à cœur, et dont je suis l’un des initiateurs. Elle a suscité la mobilisation de très nombreux députés de la majorité. Il s’agit de l’inscription obligatoire sur les monuments aux morts des noms des « morts pour la France ».

L’inscription sur un monument des noms des « morts pour la France » est une façon de montrer que nous ne les oublions pas, une façon de se souvenir que ces hommes et ces femmes se sont engagés au prix de leur vie pour défendre les intérêts de la nation, la sécurité de notre pays, le respect du droit international et le maintien de la paix. Nos collègues sénateurs ont adopté cet article sans la moindre modification, et je m’en félicite.

En cette fin de législature, l’examen de ce texte est pour moi un motif de très grande fierté. En ces temps où les armées ont consenti des efforts de réorganisation et d’adaptation sans précédent, nous témoignons notre reconnaissance à nos soldats qui ont fait le sacrifice de leur vie pour la France.

Monsieur le secrétaire d’État, parce que le texte que vous nous présentez soutient le devoir de mémoire, parce que, sans rien enlever au caractère unique du 11 novembre, il en fait une date centrale et symbolique de l’histoire de notre nation, parce que les associations d’anciens combattants nous le demandent, parce qu’aucune autre cérémonie ne sera remise en cause, parce que les morts pour la France verront leurs noms s’inscrire pour l’éternité dans le marbre de nos monuments aux morts, les députés UMP, et les autres députés de bon sens, voteront ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, dernier orateur inscrit.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ferai une brève intervention au nom du groupe SRC.

C’est un texte de rassemblement qui nous réunit aujourd’hui autour de l’hommage à tous ceux qui, civils ou militaires, sont morts pour la France. Je crois qu’il témoigne d’une double évolution : une de fond et une autre à la fois de forme et de fond.

L’évolution de fond, c’est l’élargissement de la commémoration du 11 novembre. Cette évolution nécessaire était justifiée en partie par la circonstance qu’il ne reste plus aucun combattant de la Première Guerre mondiale aujourd’hui. Avec Lazare Ponticelli, qui nous a quittés en mars 2008, s’est éteint le dernier poilu. Il était donc nécessaire de faire évoluer cette cérémonie. Eu égard à l’importance de la Première Guerre mondiale, au drame qu’elle a été, il était logique d’étendre la commémoration à l’ensemble des morts pour la France.

La seconde évolution que je salue, c’est l’amélioration du texte apportée par la précision que cette nouvelle commémoration du 11 novembre n’efface pas du tout les autres commémorations. C’est une évolution importante et je salue, monsieur le secrétaire d’État et monsieur le rapporteur, votre décision de l’accepter. Cela a rassuré l’ensemble des anciens combattants, qui ne souhaitaient pas que la spécificité de leurs combats et des cérémonies qui les commémorent soit absorbée dans une commémoration unique.

Elle permet aussi de ne pas occulter l’histoire. Ces commémorations sont l’occasion d’une réflexion sur les causes de la guerre. Une telle réflexion est malheureusement aussi vieille que l’humanité, mais elle est nécessaire pour essayer d’échapper à cette fatalité.

C’est donc une évolution très importante et qui permet aujourd’hui de rassembler le plus grand nombre autour de ce texte. Les députés SRC s’étaient abstenus lors de la première lecture, espérant qu’il serait indiqué que cette commémoration ne remplaçait pas les autres. Cette précision étant intervenue, nous allons voter ce projet de loi.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Merci, monsieur Raimbourg.

M. le président. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’appelle le texte de la commission mixte paritaire.

Je ne suis saisi d’aucune demande d’explications de vote. Nous pouvons d’ailleurs considérer que chaque orateur inscrit dans la discussion générale a expliqué le vote de son groupe.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

M. André Chassaigne. Le groupe GDR s’abstient.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Reconnaissance de la nation
et contribution nationale
en faveur des Français rapatriés

Discussion d’une proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (nos 4194 rectifié, 4331).

La parole est à M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi du sénateur Raymond Couderc, qui vise à sanctionner pénalement les insultes faites aux membres de formations supplétives des forces armées. Nous avons tous été extrêmement choqués – comment ne pas l’être ? – par les injures proférées par un homme politique français traitant les harkis de « sous-hommes » en 2006. Cet épisode, indigne de notre vie publique, a mis en lumière une lacune de notre droit. À l’heure actuelle en effet, les harkis, et, plus généralement l’ensemble des anciens supplétifs de l’armée française, ne sont pas suffisamment protégés contre les injures dont ils pourraient être victimes. C’est précisément cette lacune de notre droit qui justifie notre présence aujourd’hui.

S’agissant plus spécifiquement des harkis, une première pierre avait été posée par la loi Mekachera du 23 février 2005. Celle-ci dispose que « sont interdites : toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ». Néanmoins, l’interdiction n’était assortie d’aucune sanction pénale.

Aussi le sénateur Raymond Couderc a-t-il souhaité, dans un premier temps, compléter la loi de 2005. Mais si je comprends évidemment ce qui a motivé sa démarche, je ne pouvais m’y associer en l’état. En effet, son initiative était louable mais n’allait pas assez loin. Elle risquait notamment, sans bien entendu que le sénateur en ait eu l’intention à l’époque du dépôt de sa proposition de loi, d’exclure du manteau protecteur de la loi d’autres victimes potentielles parmi les anciens supplétifs des forces armées. C’est pourquoi j’ai apporté tout mon soutien à son amendement récrivant l’article unique afin de protéger tous les anciens supplétifs de l’armée française. Il permet ainsi d’étendre le champ de protection de la loi de 1881 à l’ensemble des anciens membres des formations supplétives. Cela consiste à aligner la protection juridique des personnes qui se sont engagées en faveur de la France lors d’un conflit armé, notamment au sein d’une formation supplétive, sur celle dont bénéficient les membres des forces armées.

Votre éminente assemblée, à l’initiative du rapporteur de la proposition de loi, Élie Aboud, que je salue, a confirmé l’esprit de ce texte en l’extrayant de la loi de 2005 pour en faire une loi autonome. Celle-ci traduira toute l’importance que nous accordons aux anciens membres des formations supplétives. Elle sera l’expression du respect que nous leur devons à tous, sans introduire entre eux de distinction ni de hiérarchie.

Ce n’est ni le lieu ni le jour de faire un catalogue des dispositifs mis en œuvre ces dernières années, mais il faut tout de même souligner combien le Président de la République a eu à cœur de développer les prestations dévolues aux anciens supplétifs et à leurs enfants : conventions d’emploi, aides à la mobilité et à la création d’entreprise, dispositifs d’accès à la fonction publique d’État, hospitalière ou territoriale,…

M. Philippe Vitel. C’est vrai !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. …bourses scolaires et universitaires, ou encore allocations pour les orphelins d’anciens supplétifs de l’armée française. Ces dispositifs nouveaux, voulus, je le répète, par le Président de la République, ont déjà permis d’améliorer le quotidien des anciens supplétifs et de leurs enfants, même si les efforts devront être poursuivis. La proposition de loi du sénateur Couderc contribue également à rendre leur dignité aux supplétifs de nos armées.

C’est pourquoi cette initiative nous honore : elle nous rappelle à notre devoir de protéger ces femmes et ces hommes auxquels nous lie un passé à la fois glorieux et douloureux, et qui sont parfois vulnérables en raison même de ce passé. Je donnerai donc un avis favorable à la version du texte qui vous est présentée aujourd’hui. Ainsi, la reconnaissance que nous devons aux anciens membres de formations supplétives ne pourra plus être impunément entachée par des injures. Et cela, nous le devons aux élus de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Élie Aboud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Élie Aboud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, mes chers collègues, l’Assemblée nationale examine aujourd’hui une proposition de loi déposée, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, par le sénateur Raymond Couderc en février 2010 et qui a été adoptée par le Sénat le 19 janvier 2012. Ce texte vise à réprimer pénalement les injures et les diffamations publiques commises contre les harkis et, plus généralement, contre l’ensemble des anciens membres des formations supplétives de l’armée française. Il vise donc à répondre aux difficultés qu’ont rencontrées nombre de harkis pour faire face à des mises en cause publiques. Nous nous souvenons tous ici des propos tenus, il y a quelques années, par un président de région. Nombre de mes collègues qui ne partagent pas forcément mon logiciel politique les ont d’ailleurs courageusement désapprouvés – je pense en particulier au député de l’Hérault, Kléber Mesquida ici présent.

Le cas de ce président de région n’est malheureusement pas un cas isolé. Plusieurs décisions de justice ont, ces dernières années, montré les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis et des autres supplétifs.

Tout d’abord, lorsqu’une injure est proférée à l’encontre d’un groupe, un particulier n’est recevable à agir qu’à la condition de pouvoir prouver qu’il a été lui-même personnellement visé, ce qui est loin d’être évident en pratique.

Ensuite, les harkis ne constituent pas un groupe bénéficiant d’une protection pénale renforcée, telle que celle permettant de réprimer les injures ou les diffamations commises à raison de l’ethnie, de la race ou de la religion notamment. Des associations de défense des harkis, se fondant sur ces dispositions pénales, ont donc vu, à plusieurs reprises, leurs recours rejetés par la Cour de cassation. C’est ce qui s’est passé dans un arrêt rendu en 2009 à propos des insultes proférées par le président de la région Languedoc-Roussillon que j’ai évoqué.

Enfin, s’il existe bien, dans la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés, une interdiction d’injurier ou de diffamer des personnes « à raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés », cette interdiction n’est assortie d’aucune sanction pénale.

Le 26 janvier dernier, saisi par une association de défense des harkis, le Conseil d’État a jugé que cette absence de sanction n’était pas contraire au principe d’égalité devant la loi et qu’elle ne justifiait donc pas qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit posée au Conseil constitutionnel.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à remédier à l’ensemble de ces lacunes, en apportant deux innovations.

Première innovation, la plus essentielle : pour la répression de l’injure et de la diffamation publiques, telle qu’elle est prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les formations supplétives seront dorénavant assimilées à l’armée régulière. Il s’agit là d’une avancée majeure pour nos amis harkis. C’est d’abord une reconnaissance symbolique assez forte de l’engagement de tous ceux qui ont fait le choix de se battre pour la France. Mais surtout, cela a des conséquences pénales très précises : à l’instar des délits commis envers les armées et, plus généralement, envers les administrations publiques, la diffamation contre les harkis et les formations supplétives sera désormais punissable de 45 000 euros d’amende, tandis que l’injure sera punie de 12 000 euros d’amende.

Ces dispositions résultent de l’adoption par le Sénat, en séance publique, d’un amendement de Raymond Couderc, sous-amendé par la commission des lois du Sénat. Initialement, seuls les harkis et les anciens supplétifs ayant servi en Algérie étaient mentionnés dans la proposition de loi, ce qui pouvait poser un problème d’égalité devant la loi : sur le plan de la constitutionnalité du texte, il aurait été difficile de justifier un traitement pénal particulier pour les seuls harkis.

De surcroît, le texte initial de la proposition de loi était discutable car il alignait la protection pénale dont auraient bénéficié les harkis sur les règles qui répriment actuellement les insultes ou la diffamation fondées sur l’ethnie, la race, la religion ou le handicap. Au contraire, le texte finalement adopté par le Sénat que nous examinons aujourd’hui dispose d’un fondement beaucoup plus solide. C’est parce que les harkis et l’ensemble des autres supplétifs se sont engagés pour la France qu’ils méritent, à l’instar de l’armée régulière, d’être spécialement protégés contre les injures et les diffamations publiques. C’est donc cet engagement qui servira de fondement à la protection pénale renforcée dont bénéficieront les harkis.

Tirant les conséquences de l’évolution du texte au Sénat, notre commission des lois a, sur ma proposition, adopté deux amendements déconnectant le nouveau dispositif législatif de la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés, ce qui conduit donc à modifier le titre de la proposition de loi. Tout en continuant évidemment à s’appliquer aux harkis, puisqu’elle est faite pour eux, la proposition de loi est désormais, plus largement, « relative aux formations supplétives des forces armées ».

Deuxième innovation apportée par la proposition de loi : les associations de défense des anciens supplétifs pourront se constituer partie civile en cas de diffamation ou d’injure publique. Sur ce point, la proposition de loi prend modèle sur l’actuel article 48-3 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une association de défense des anciens combattants, des victimes de guerre et des morts pour la France devra, pour pouvoir se constituer partie civile, avoir au moins cinq ans d’existence et, si des personnes ont été individuellement visées, elle devra recueillir leur accord préalable pour exercer l’action civile.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite, à voter pour cette proposition de loi, dans le texte de notre commission de lois. Une fois adopté par notre assemblée, le texte devrait être transmis au Sénat pour une deuxième lecture qui est inscrite à son ordre du jour du lundi 27 février. La loi pourra donc entrer en vigueur très rapidement.

Ainsi, nos amis harkis et les autres anciens supplétifs ne pourront plus être publiquement injuriés ou diffamés sans que de tels propos soient pénalement sanctionnés. Ce n’était pas le cas par le passé, même si de tels propos étaient moralement et éthiquement sanctionnés. En adoptant ce texte, nous rétablissons ainsi l’équité et faisons œuvre de justice républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Kert, premier orateur inscrit.

M. Christian Kert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je voudrais, tout d’abord remercier notre rapporteur, M. Élie Aboud, de nous avoir éclairés sur les objectifs de ce texte mais aussi et surtout du travail qu’il a accompli lors de cette législature à la tête du groupe d’études sur les rapatriés et les harkis.

En tant que rapporteur de la proposition de loi, il a eu le souci d’expliciter l’évolution du texte entre sa forme originelle proposée par le sénateur Couderc et la version issue du Sénat, après l’adoption d’un amendement de l’auteur du texte en séance publique, sous-amendé par Sophie Joissains, rapporteure au Sénat.

Cette nouvelle mouture permet de considérer les formations supplétives – dont bien entendu les harkis, mais sans qu’ils soient désignés nommément puisque la mesure s’étend à tous les supplétifs – comme une composante à part entière de l’armée française régulière. Cette assimilation permet d’aligner la répression de l’injure et de la diffamation publiques à l’encontre de ces formations.

Cette écriture de la loi devrait répondre, au-delà de la loi du 23 février 2005 dont j’étais le rapporteur et qui visait le même but, à la revendication légitime de la population harkie : une protection pénale suffisante.

Mes chers collègues, écoutez bien cette déclaration : « Il n’est pas tolérable que cette communauté harkie soit marquée à jamais d’un stigmate de honte et que sa tragique histoire reste comme ensevelie, ignorée de la majorité des Français. »

Cette phrase est simple et nous pouvons la faire nôtre. Mais c’est son auteur qui lui donne son véritable poids moral : Claude Lanzmann. Pendant la guerre d’Algérie il avait écrit un terrible pamphlet contre les harkis, comme il le rappelle lui-même avec beaucoup d’honnêteté dans la revue Les Temps Modernes, peu suspecte de sympathie à l’égard de nos combats. J’emprunte à Claude Lanzmann cette supplique pour dire notre état d’esprit à l’égard du texte que vous défendez, monsieur le secrétaire d’État : « Nous espérons du fond du cœur qu’il permettra aux harkis de mieux respirer en France. » De mieux respirer en France.

Afin de ne pas être exclusif, de ne pas déroger aux lois constitutionnelles, de couvrir le champ de toutes les mémoires supplétives, ce texte ne s’adresse pas qu’aux harkis. Mais, nous le savons bien sur tous ces bancs, c’est à la communauté harkie que nous pensons tous en cette fin de journée. Parce que cinquante ans, à trois ou quatre semaines près, après la fin de la guerre d’Algérie, ceux qui, par un étrange détour de l’histoire, peuvent encore redouter des propos injurieux, ce sont justement les harkis, ces frères d’armes sacrifiés sur l’autel de la raison d’État.

Ne vous étonnez pas qu’une cinquantaine de nos collègues aient voulu, en déposant un amendement symbolique, vérifier auprès de vous, monsieur le secrétaire d’État, que les harkis sont les supplétifs du cœur de la France. Il ne faut pas que cet amendement soit une entrave au vote définitif de ce texte. Pour nos collègues, il sera seulement l’occasion de vous entendre redire que, parmi les supplétifs, il en est auxquels nous devons particulièrement cette loi de justice morale : les harkis.

Nous avons donc bien compris l’esprit de ce texte. S’il a vocation à répondre à toutes les provocations, il en est une contre laquelle vous devez être le rempart : la revendication, présentée par certains avec force pour ne pas dire avec obstination, de consacrer la date du 19 mars comme une journée solennelle et nationale de mémoire. Nous ne pouvons l’accepter, non par caprice mais tout simplement par fidélité aux faits.

M. Élie Aboud, rapporteur. Tout à fait !

M. Christian Kert. Souvenons-nous : la signature des accords d’Évian, le 18 mars, est suivie d’un cessez-le-feu dès le lendemain. Le 5 juillet, l’Algérie proclame son indépendance ; le même jour, des centaines d’Européens et de harkis sont massacrés à Oran. Durant l’été, l’exode des Européens d’Algérie et, hélas, les massacres des harkis et de leurs familles s’intensifient de façon systématique.

Nous sommes en démocratie et chacun peut commémorer les événements qui ont compté dans son existence. On peut comprendre que, pour les gars du contingent français, le cessez-le-feu du 19 mars ait été un tournant de leur vie, mais il ouvrait le chemin de la tragédie pour ceux qui avaient été leurs compagnons d’infortune. Bien sûr, cette question ne figure pas dans ce texte, mais je souhaitais la rappeler en cette année du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie.

Dans cet esprit, le groupe UMP – comme d’autres groupes, je l’imagine – votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, je me réjouis que le Parlement en vienne à débattre d’un texte de loi qui remédie aux carences de la loi du 23 février 2005.

Les députés du groupe SRC sont totalement d’accord avec l’objectif de cette proposition de loi, mais avant d’en aborder le fond et la forme, je souhaite interroger le Gouvernement sur son calendrier. Car elle a été déposée il y a deux ans, le 4 février 2010. Rappelons que son auteur était alors la tête de liste UMP qui allait affronter, aux élections régionales de mars 2010, le président de la région Languedoc-Roussillon. Celui-ci, le 11 avril 2006, avait proféré envers les harkis des injures que le parti socialiste avait non seulement dénoncées mais fortement sanctionnées.

Déposée deux mois avant les régionales de 2010, cette proposition de loi est examinée en séance publique, trois mois avant l’élection présidentielle de 2012.

M. Michel Hunault. Vous devriez vous en réjouir !

M. Kléber Mesquida. Contrairement à ce que prétend l’UMP, il ne s’agit ni de coïncidences ni de hasards de calendrier, mais deux grossières manœuvres politiques, ou plutôt électoralistes.

Mme Marie-Louise Fort. C’est minable, ce que vous dites !

M. Michel Hunault. C’est scandaleux, monsieur Mesquida !

M. Kléber Mesquida. La vérité vous fait mal, mais il vous faut l’entendre, chers collègues.

Ce texte, totalement récrit par la commission et le rapporteur, justifie maintenant une deuxième lecture. Cette soudaine précipitation à l’approche de l’élection présidentielle ne trompera personne, et surtout pas les anciens harkis et les membres des formations supplétives.

M. Michel Hunault. Dites-le aux harkis !

M. Kléber Mesquida. S’ils attendaient bien que le législateur complète la loi du 23 février 2005 eu égard aux injures ou diffamations, ils comprennent aussi que le Président Nicolas Sarkozy, désormais candidat, tente par cette opportunité politique de faire oublier l’engagement pris le 31 mars 2007 : « Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis et d’autres milliers de musulmans français qui lui avaient fait confiance, afin que l’oubli ne les assassine pas une nouvelle fois. » Les harkis ne sont pas amnésiques. Cette promesse du candidat non tenue par le Président résonne pour eux de manière cinglante, tout comme, en son temps, le « tous Français de Dunkerque à Tamanrasset » du général de Gaulle.

De Gaulle avait oublié l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – qui remonte à la philosophie des Lumières, notamment à celle de Jean-Jacques Rousseau –, concept repris, en sa formulation politique, par le Président Wilson et qui servit de base au traité de Versailles de 1919 et à la charte des Nations unies du 26 juin 1945.

Avant d’aborder le fond et la forme de la présente proposition de loi, faisons un rapide rappel de l’histoire de l’Algérie, pour mieux comprendre l’engagement des harkis auprès de l’armée française. Cet engagement s’inscrit dans le droit fil de leurs ascendants berbères ou arabes.

L’histoire de l’Algérie a été rythmée, au fil des millénaires, par de multiples périodes d’invasion, d’occupation et de colonisation. Je veux rappeler quelques étapes pour faire comprendre l’engagement des forces supplétives aux côtés du pouvoir du moment.

Depuis la plus haute antiquité, l’Algérie est imprégnée par la civilisation berbère. L’histoire de ce pays fut marquée par l’arrivée des Phéniciens, qui y installèrent des comptoirs commerciaux. Puis vinrent les Carthaginois, qui développèrent les activités côtières. Au premier siècle avant notre ère, ce fut au tour des Romains d’occuper l’Afrique du Nord et de transmettre leur civilisation. Le Maghreb romain prit fin avec l’occupation, en 455, des Vandales. Ceux-ci, arrivés avec leur langue germanique et l’écriture gothique, eurent peu d’influence sur les Berbères, ne laissant aucune trace de leur passage, qui dura moins de huit décennies et prit fin en 533.

Les Byzantins éliminèrent les Vandales, dont les survivants se réfugièrent en Kabylie, s’assimilant à la population berbère. L’occupation par les Byzantins fut aussi de courte durée, puisqu’ils furent chassés par le déferlement des Arabes quittant l’Égypte en 647 pour conquérir le Maghreb dès 711. L’Algérie était à cette époque associée à la Berbérie. Les Berbères adoptèrent très vite l’Islam mais, longtemps, le punique, les langues berbères, le latin et l’arabe coexistèrent. Au XVIsiècle, l’Algérie devient province de l’empire ottoman, un dey la gouvernant et le pouvoir militaire étant contrôlé par la milice des janissaires turcs.

Trois siècles plus tard, Charles X, sous le prétexte d’éliminer les corsaires turcs de Méditerranée, organisa le débarquement du 14 juin 1830 à Sidi-Ferruch. Si l’expédition de 1830 fut loin d’être une improvisation, il en fut tout autrement de l’occupation du pays avec des troupes réduites à 17 000 hommes en 1831. Le commandement français ressentit, dès le début, la nécessité de recruter des autochtones parlant la langue et connaissant le territoire, les sentiers, les villages de montagne.

Le pouvoir ottoman, chassé, avait laissé les makhzens, partie des contingents locaux sur lesquels s’étaient appuyés les gouverneurs turcs. Ces makhzens, qui avaient une vocation militaire, maniant les armes, sachant monter à cheval, se mirent au service des Français dont les vertus militaires apparaissaient prestigieuses.

L’armée d’Afrique représentait 10 000 hommes en 1864, sur un total de 90 000 militaires. Comme le faisaient depuis longtemps les beys, le maréchal Clauzel avait recruté des zouaves issus de la confédération kabyle des zouaoua. D’autres corps furent mis sur pied : les tirailleurs algériens, dont l’origine remonte à divers corps irréguliers turcs et arabes ; les spahis, troupes montées en majorité turques, qui avaient servi le dey d’Alger et qui, sous les ordres du capitaine Yusuf, se rangèrent dans les chasseurs algériens.

Ces troupes, destinées à opérer en Algérie, participèrent à plusieurs guerres et furent appelées à combattre sur d’autres théâtres d’opération : la Guinée, la campagne d’Italie, celle du Mexique, la guerre contre la Prusse en 1870 mais aussi la Première Guerre mondiale, dès 1914, et la Seconde Guerre mondiale.

On peut ainsi souligner la permanence, depuis 1830, du recours à des formations d’origine nord-africaine pour épauler l’armée française. On comprend, dès lors, la création des harkas, forces supplétives levées temporairement pour renforcer l’armée régulière.

La France a reconnu les militaires qui ont versé leur sang pour elle, ainsi que ceux qui, aux heures les plus sombres de son histoire, se sont engagés dans la Résistance, mais elle n’a pas reconnu les forces supplétives, qui ont pourtant joué un rôle indispensable. Il était donc temps que les harkis, en particulier, soient reconnus partie des forces armées.

La proposition de loi que nous examinons est un moyen de cette reconnaissance. Elle est aussi une façon de rendre hommage à ceux qui ont versé leur sang pour la France, et de leur témoigner notre reconnaissance. Les harkas ont été, le plus souvent, le fer de lance des régiments des secteurs opérationnels, qu’elles ont renforcés par leur valeur guerrière, leur connaissance du terrain et de la langue. Elles ont permis de sauvegarder la vie de nombreux soldats métropolitains du contingent, peu aguerris à ces types de combat, sur un sol qui leur était étranger. Ni supplétifs ni à-côtés, les harkis, combattants du premier rang, ont été, à travers leur valeur exceptionnelle, l’honneur du devoir accompli, le sacrifice et la fidélité à la patrie, la France dans sa grandeur.

En Algérie, ils ont été commandés par des officiers d’élite de grande valeur dont certains, au moment de l’exode, ont bravé les ordres du ministre gaulliste Pierre Messmer et ont pris l’initiative de rapatrier les harkis, les moghaznis et leurs familles. En 1962, à leur arrivée, les harkis furent transportés vers des camps dans vingt-huit départements, dont l’Hérault. Comme un très grand nombre de rapatriés, ils étaient ouvriers, pêcheurs, défricheurs, agriculteurs, petits commerçants ou modestes fonctionnaires. Ils n’avaient rien, et ils n’ont pas été l’objet d’une chaleur, d’un élan de sympathie et d’unité nationale qui leur auraient fait sentir qu’ils étaient les bienvenus et chez eux en France.

Nous n’avons pas pu faire grand-chose pour ceux qui sont morts, mais, pour qu’ils ne soient pas morts pour rien, honorons-les en apportant protection et reconnaissance à ceux qui ont survécu à cette guerre et à ce déracinement.

Nos frères ont cru en la France. De Gaulle ne disait-il pas lui-même : « L’Algérie restera française » ? Les harkis ont donc choisi de servir la France, parce qu’ils pensaient servir leur pays.

Leur accueil en France s’est aussi opéré à travers la création de hameaux forestiers, comme dans ma commune, Saint-Pons-de-Thomières, au Plô de Mailhac.

L’an passé, nous avons érigé une stèle sur l’emplacement de l’ancien camp de harkis, avec une plaque commémorative sur laquelle figurent les noms des 141 familles de harkis. Ces harkis ont travaillé, dans le cadre de l’ONF, au reboisement et à la protection de la forêt. Un ancien cadre de l’ONF racontait le courage et la dureté au travail qu’il avait trouvés chez les harkis, particulièrement leur attitude exceptionnellement courageuse pendant les incendies. Ils allaient, au péril de leur vie, vers la fournaise, au plus près des flammes pour être plus efficaces. Ils allaient au feu, disait-il, comme ils seraient montés à l’assaut pour repousser un ennemi qui aurait voulu détruire le village. Ils combattaient des embrasements diaboliques, dont ils se jouaient et que personne d’autre qu’eux ne se risquait à approcher ; ils défendaient la forêt domaniale et pourchassaient le feu comme s’il s’agissait de leur bien propre ou de leur famille. Pour eux, la forêt dont ils avaient la charge, c’était aussi leur patrie.

Leur patrie, oui, mais le pays de leurs ancêtres, celui où ils ont grandi, leur manque. Et ils le taisent. Ils savent que, si l’homme, comme la fleur, sème au loin ses pétales, la terre natale garde toujours son cœur.

À travers cette évocation des périodes de l’histoire, j’ai tenu à replacer dans son contexte l’engagement des harkis, descendants des Berbères et des populations autochtones, qui perpétuèrent l’engagement des indigènes auprès de la France.

J’en viens maintenant au texte de la proposition de loi. C’est une nécessité juridique, qui vise à remédier à la carence de la loi du 23 février 2005, dont l’article 5 prohibe « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ». Cet article 5 se borne à indiquer que l’État assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur, sans renvoyer aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

La jurisprudence de la Cour de cassation a démontré que le droit commun n’était pas applicable. En effet, les harkis ne constituent pas un groupe ethnique, national ou religieux. Les textes réprimant l’injure contre ces groupes ne sont donc pas applicables.

Depuis quelques années, la jurisprudence a révélé plusieurs lacunes dans la protection pénale des harkis.

Tout d’abord, le 29 janvier 2008, la Cour de cassation a rappelé que l’action visant à réprimer une diffamation publique ou une injure publique commise envers un particulier supposait que puisse être identifiée une victime précise. Ensuite, dans un arrêt du 31 mars 2009, relatif aux propos tenus le 11 février 2006 par le président de la région Languedoc-Roussillon, la Cour de cassation a jugé que ni les harkis, ni leurs descendants ne constituaient un groupe de personnes entrant dans l’une des catégories limitativement énumérées par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. En effet, ces deux articles sanctionnent, respectivement, la diffamation et l’injure publiques commises « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à un ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Or, quelques années auparavant, la jurisprudence avait déjà établi que la mise en cause publique de harkis fustigeait en réalité des Français musulmans non à raison « de leur origine religieuse ou ethnique, mais à raison de leur choix politique au moment de la guerre d’Algérie ».

Cette proposition de loi vise donc un objectif bien déterminé : combler les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis et anciens supplétifs de l’armée française et réprimer les injures et diffamations commises envers les supplétifs. Dorénavant, une injure proférée à l’encontre des harkis sera considérée comme une injure faite à des membres de l’armée française.

Toutefois, et cela m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, nous pouvons remarquer que le terme d’« assimilés » n’a pas été retenu dans la formulation de la proposition de loi. Aussi vous demanderai-je, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir nous en préciser les raisons, d’autant que, dans tous les autres textes de loi, c’est la notion de forces supplétives et assimilés qui est retenue.

Parmi les assimilés, l’Office national des anciens combattants recense les agents contractuels de police, les agents temporaires occasionnels, les gardes champêtres des zones rurales, les agents de renseignement, les auxiliaires médico-sociaux et certaines catégories d’anciens militaires. En cas d’injure ou de diffamation à l’encontre des assimilés aux forces supplétives, les tribunaux pourraient alors retenir que le législateur les a écartés de la définition restrictive de cette proposition de loi, qui dispose seulement que les « formations supplétives sont considérées comme faisant partie des forces armées ».

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous apporter des garanties afin que ce qui pourrait être considéré comme une faille ne produise pas les mêmes effets que la loi du 23 février 2005, qui s’est révélée incomplète ?

Pour ma part, je souhaite que cette proposition de loi soit sans lacune et vienne compléter les dispositions législatives.

Je voudrais aussi, par décence et par respect envers les harkis, que toute récupération politique ou électoraliste soit écartée. Il faut que l’on ne retienne que la volonté unanime du législateur de protéger nos compatriotes de toute injure ou diffamation. Ces harkis, qui, par choix, ont servi notre patrie, font partie du patrimoine humain de notre pays et la France leur doit sa pleine considération.

C’est pourquoi, le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, notre collègue Mesquida a été émouvant, dans la dernière partie de son intervention. Je crois que nous pouvons rejoindre sur les objectifs. Il a dit qu’il voterait le texte ; je m’en réjouis. Il n’était peut-être pas utile, cependant, de commencer par mettre en cause le Président de la République, en ayant l’air de regretter que ce texte vienne trop tard. Il me semble qu’au moins, c’est à nouveau un moment de consensus que nous vivons. Au nom des mes collègues du Nouveau Centre, je m’en réjouis.

La proposition de loi vise à réprimer la diffamation et l’injure proférées à l’encontre des anciens membres des forces supplétives. Recrutés parmi les populations locales, comme vient de le rappeler notre collègue Mesquida, ces combattants des anciennes colonies françaises furent, pendant de nombreuses années, relégués au rang de victimes oubliées de l’histoire. Avec un courage et une bravoure exemplaires, ils ont pourtant combattu avec fierté sous notre drapeau, sur tous les fronts où la France était engagée. Une fois la guerre finie, ils n’ont pu obtenir la reconnaissance qu’ils méritaient pourtant et qu’ils étaient légitimement en droit d’attendre.

En Algérie, les accords de 1962 signèrent l’abandon des harkis, qui, désarmés, furent laissés aux mains de leurs frères. Ceux qui ont pu rejoindre la France se sont séparés, dans des conditions dramatiques, des terres qui les ont vus naître. Au déracinement s’ajoutaient l’indifférence et le mépris, et ils n’ont pu trouver la réparation de leur engagement pour la France. Ce n’est que tardivement, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, que notre pays a pris la mesure des sacrifices que les forces supplétives avaient consentis pour elle.

Il est toujours délicat, pour une nation, de se tourner vers son passé, en particulier lorsque cela fait resurgir des moments douloureux de son histoire. Il est d’autant plus difficile pour nous, parlementaires, d’aborder ce sujet qu’il est synonyme, pour bon nombre de nos compatriotes, de souffrances et de plaies encore ouvertes. Pour autant, l’histoire doit servir à construire un avenir meilleur pour les générations futures. Elle doit être aussi l’occasion de rappeler que la liberté et la démocratie ne sont pas de vains mots.

En légiférant pour la reconnaissance des souffrances et des sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives, les disparus et les victimes des événements liés au processus d’indépendance, le Parlement, monsieur le secrétaire d’État, ne fait que son devoir.

Cette initiative fut ressentie par les communautés concernées comme un acte fort de la République : la France assume enfin sa part de responsabilité et son devoir de mémoire.

Les centristes, profondément attachés à la cause des rapatriés, ont toujours soutenu le mouvement en faveur de la reconnaissance de ces oubliés de l’histoire. Nous ne pouvons oublier que, dans nos rangs, André Santini fut le premier, en 1986, à prendre en charge cette question des rapatriés.

Le sujet qui fait aujourd’hui débat dans cet hémicycle concerne la répression de la diffamation et des injures proférées à l’encontre des anciens membres des formations supplétives. Aujourd’hui encore, cinquante ans après des drames qui ont marqué notre histoire et nos consciences, ces anciens combattants sont l’objet de propos injurieux. En 2001, le président algérien tenait des propos indignes à l’encontre des harkis. En 2006, un élu de la République faisait de même en traitant les harkis de « sous-hommes ». Dans une démocratie comme la nôtre, il n’est pas acceptable que de tels propos demeurent impunis en raison des lacunes de la législation. Je salue donc l’initiative louable du sénateur Raymond Couderc qui vise à remédier aux incohérences de la législation dans ce domaine.

En l’état actuel de notre droit – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur –, seuls les propos tenus envers un ancien membre des forces supplétives peuvent être condamnés en application de la loi de 1881. Le groupe de personnes que constituent les formations supplétives étant caractérisé non par l’appartenance à une ethnie ou à une religion, mais par un choix politique, seules les insultes visant un particulier peuvent être sanctionnées. Pour autant, lorsque les harkis font l’objet de propos indignes, c’est bien une communauté touchée par un drame commun qui est visée et qui est donc en droit de demander réparation. Il était temps que l’interdiction de tenir ces propos soit assortie d’une sanction pénale.

Initialement applicable aux harkis et aux anciens membres des formations supplétives ayant servi en Algérie, la proposition de loi a été profondément remaniée par le Sénat. Elle cible désormais les formations supplétives de l’armée sans faire référence aux harkis ni à l’Algérie. Cette dernière version de la proposition de loi respecte ainsi un principe essentiel de notre droit : l’égalité de tous devant la loi.

M. Philippe Vitel. Absolument !

M. Michel Hunault. Au même titre que les militaires qui se sont battus pour notre pays, au même titre que les mouvements et réseaux de résistance qui se sont vu reconnaître le statut de membres de l’armée française, les formations supplétives doivent pouvoir être considérées comme une composante à part entière de l’armée française régulière. Harkis, moghaznis, membres de groupes mobiles et de sécurité, tous ont combattu dans l’intérêt de la France et méritent l’hommage qui est réservé à l’ensemble des militaires de notre pays.

La portée de ce texte est donc plus importante que la proposition de loi initiale en ce qu’elle ajoute à la répression effective de propos diffamatoires à l’encontre de ces communautés une reconnaissance effective en tant que membres de l’armée française, en tant que citoyens à part entière. L’article unique permet également à toute association qui défend les intérêts moraux des membres ou anciens membres des formations supplétives d’exercer les droits reconnus à la partie civile.

Vous l’aurez compris, les élus du groupe Nouveau Centre, dont j’ai l’honneur d’être le porte-parole, adopteront cette proposition de loi, qui marque une étape nouvelle. Comme l’a rappelé l’orateur qui s’exprimait au nom de l’UMP, il faut rappeler le processus de réparation et de reconnaissance morale qui a été amorcé en 1977. Ce n’est que justice de voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants, mes chers collègues, l’examen en urgence de la proposition de loi tendant à modifier la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés trouve sa place dans un ordre du jour parlementaire particulièrement chargé. Permettez que nous nous en étonnions, alors que la proposition de loi a été déposée il y a deux ans sur le bureau du Sénat. Quelle urgence impose d’examiner ce texte en procédure accélérée ? Nous ne pouvons l’expliquer que par un souci électoraliste et la volonté de séduire les voix de la communauté harkie.

La majorité des associations de défense de la communauté harkie – je dis bien : la majorité – se sont fait instrumentaliser par la droite, et davantage encore par l’extrême droite, dont l’interprétation de l’engagement des supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie est loin d’être neutre et impartiale. Si l’attachement des harkis à la France pouvait être réel, leur engagement dans l’armée tenait aussi à des préoccupations économiques, mêlées à un souci de sécurité dans la période trouble de la guerre. On est bien loin d’une simple reconnaissance d’un patriotisme sublimé par la droite nostalgique de l’Algérie française.

Cette petite manipulation se traduit par un texte d’affichage, qui risque de soulever davantage de problèmes qu’il n’en résoudra. La proposition de loi se borne en effet à compléter le dispositif juridique d’interdiction de la diffamation et de l’injure à l’égard des anciens harkis ou de leurs descendants, principale mesure de la loi du 23 février 2005, laquelle avait omis de préciser les sanctions applicables aux contrevenants, se contentant de renvoyer à l’état du droit en vigueur. La Cour de cassation ayant jugé la loi insuffisante pour appliquer la moindre peine, ce texte nous propose de permettre aux associations d’ester en justice en les investissant des droits de la partie civile, et de référer directement aux peines déterminées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Au premier abord, ces dispositions paraissent frappées au coin du bon sens : rendre possible la sanction d’un délit inscrit dans notre droit relève en effet de la cohérence législative et juridique. En dehors des aspects politiciens qui la motivent, une telle démarche pourrait sembler juste et ne pas emporter de grandes conséquences si, derrière cette apparence anodine, ne se cachaient des ambiguïtés sur lesquelles la proposition reste muette, et qu’elle ne viendra donc pas résoudre, loin s’en faut. Il est d’ailleurs fort probable que son application créera de sérieux problèmes, notamment parce que les associations de défense des intérêts des anciens harkis sont maintenant essentiellement composées de leurs fils et petits-fils, qui n’ont donc pas eux-mêmes la qualité de harki. Les juges auront donc bien du mal à établir la qualification d’injure et de diffamation, à partir de l’utilisation péjorative du terme « harki » à l’égard d’individus et de leurs associations. Et la jurisprudence qui découlera de l’application de cette loi suscitera inévitablement des jugements politiques, dans l’opinion publique et, surtout, parmi les principaux intéressés – harkis, Algériens et Français descendants d’Algériens. Vous ne pouvez l’ignorer.

Nous sommes donc bien face à un texte qui, sous prétexte d’achever le travail de reconnaissance morale de la France vis-à-vis de la communauté, relève moins du bon sens que de la manipulation politique et symbolique.

Cette proposition de loi, comme celle de 2005, repose sur une interprétation de la portée de l’engagement des harkis et de la réalité ontologiquement plurielle des faits, une pluralité qui s’estompe derrière une prétendue vérité officielle parée des atours du droit, alors même que les rôle et place des harkis pendant la guerre d’Algérie, et, en métropole, comme supplétifs de la police parisienne, font encore l’objet de nombreux débats.

Mais comment expliquer que le mot « harki » soit devenu synonyme de « traître » ? Sans doute cela vient-il de la complexité du conflit algérien, entretenu par des antagonismes qui perdurent, tant dans la population française qu’entre les descendants de harkis, les descendants de l’immigration algérienne et les Algériens eux-mêmes.

Quoi qu’il en soit, les personnes visées doivent évidemment être protégées contre toute diffamation ou injure. Cependant, devait-on, pour cela, faire une loi ? Nous ne répéterons jamais assez que, à force de toucher à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, surtout avec ce type de loi, c’est la liberté d’expression dans son ensemble qui est fragilisée.

Parias en France, où ils furent parqués dans des camps, parfois pendant plusieurs dizaines d’années, massacrés en Algérie pour collaboration avec l’ennemi après le départ des troupes françaises, ignorés des responsables politiques pendant plus de quarante ans, les harkis souffrent d’un manque de reconnaissance. Nul ne le niera. Et notre collègue Kléber Mesquida a rappelé leurs souffrances avec beaucoup d’émotion.

Mais il est pour le moins contradictoire que ce texte soit porté par la droite, compte tenu de sa responsabilité dans le drame qu’ont vécu les harkis et dans la situation scandaleuse où leurs descendants ont été maintenus. Il fallait bien une élection présidentielle pour que vous revendiquiez la défense exclusive de l’honneur et de la réputation de cette communauté. Cette hypocrisie peut certes vous rapporter des voix, mais elle ne vous grandit pas.

Rappelons que c’est le gouvernement en place en 1962, alors que le général de Gaulle était Président de la République, qui a désarmé les harkis et les a laissés, eux et leurs familles, se faire massacrer par les partisans du nouveau pouvoir algérien. Je ne résiste pas à vous citer un court extrait de la directive ministérielle du 15 juillet 1962 de M. Louis Joxe, qui stipulait : « Vous voudrez bien faire rechercher, tant dans l’armée que dans l’administration, les promoteurs et les complices de ces entreprises de rapatriement, et faire prendre les sanctions appropriées. Les supplétifs débarqués en métropole, en dehors du plan général, seront renvoyés en Algérie, où ils devront rejoindre, avant qu’il ne soit statué sur leur destination définitive, le personnel déjà regroupé suivant les directives des 7 et 11 avril. Je n’ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition comme un refus d’assurer l’avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure. »

Des ordres étaient donc donnés pour éviter un afflux massif en métropole, ce qui fera dire à la sociologue Dominique Schnapper, dans le sillage de bien d’autres chercheurs et responsables politiques, que « l’épisode des harkis constitue une des pages honteuses de l’histoire de France, comme l’ont été l’instauration du statut des Juifs ou la rafle du Vel’ d’Hiv ».

Ce sont les mêmes gouvernements de droite qui ont relégué les harkis dans des camps et, pendant vingt ans, refusé de satisfaire leurs revendications matérielles, en matière d’indemnités, d’aides à l’emploi et au logement, et refusé de mettre fin aux discriminations, notamment sociales et économiques, auxquelles ils étaient confrontés, comme le sont toujours leurs enfants et petits-enfants.

Nous aurions aimé que la proposition de loi déposée en novembre par les députés communistes, républicains et du Parti de gauche, et visant à reconnaître la responsabilité de la République française dans le massacre du 17 octobre 1961, jour où plusieurs centaines de travailleurs algériens manifestant pacifiquement furent froidement tués, bénéficie du même traitement que le texte qui nous est soumis. Mais votre honnêteté politique ne va certainement pas jusque-là.

Compte tenu de tous ces éléments, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche ne prendront pas part à ce vote.

M. Élie Aboud, rapporteur. Tout ça pour ça !

M. Philippe Vitel. Et vos amis du FLN, qu’en disent-ils ?

M. Élie Aboud, rapporteur. Ils ne prennent pas part au vote ! C’est incroyable !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte très attendu par nos compatriotes harkis. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi similaire en septembre 2009, qu’un certain nombre de collègues – dont le rapporteur – avaient cosigné. Je me réjouis que nous puissions enfin aborder le sujet de la protection des harkis contre toute injure ou diffamation.

La loi du 23 février 2005, voulue par Jacques Chirac, portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, a érigé les harkis en groupe protégé par la loi. L’article 5 prohibe ainsi « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de la qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés ». Cet article marque la volonté d’éviter toute stigmatisation envers les harkis et leurs familles.

Cependant, la loi pénale est d’interprétation stricte. Il s’ensuit qu’une incrimination non accompagnée de sanction ne constitue pas une infraction et ne peut donc pas être appliquée par les juridictions.

Il convient donc de sanctionner le non-respect de cette disposition en rendant effective l’application du dernier alinéa de l’article 5, qui dispose que « l’État assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur ».

Lors de l’examen de la loi de 2005, le Gouvernement avait récrit l’article 5 au Sénat, et prévoyait que les auteurs d’injures ou de diffamations subiraient les conséquences prévues par l’article 225-1 du code pénal. La jurisprudence de la Cour de cassation a démontré que la rédaction adoptée par le Parlement était incomplète.

Il convient aujourd’hui d’être vigilants et d’adopter une rédaction qui permette aux harkis et à leurs associations de défense d’exercer leurs droits juridiques de partie civile. C’est pourquoi je défendrai un amendement afin de garantir que ce droit de poursuite pourra être exercé directement à la requête de la partie lésée ou de ses descendants.

Si l’on peut regretter qu’il ait fallu attendre sept longues années pour, enfin, combler les lacunes de notre droit pénal, cette proposition de loi s’inscrit dans l’esprit de la commémoration du cinquantième anniversaire du terrible exode de nos compatriotes français d’Algérie.

Monsieur le secrétaire d’État, en évoquant la cinquantième année de cet exode, je tiens à rappeler ici, solennellement, à la tribune de l’Assemblée nationale, toute mon hostilité à commémorer la date du 19 mars. Rappelons-nous que cette date constitue une offense à la mémoire de toutes celles et tous ceux, particulièrement nombreux, massacrés après le cessez-le-feu de 1962. Ne réveillons pas les douleurs enfouies au plus profond de l’âme et du cœur de nos compatriotes rapatriés. Nous avons vu tout à l’heure, lors de l’intervention de notre collègue Mesquida, combien cette histoire était dans leur cœur et dans leur mémoire. J’ose espérer que la prochaine majorité, quelle qu’elle soit, ne reviendra pas sur la date du 5 décembre fixée par décret en 2003.

Monsieur le secrétaire d’État, le 25 septembre prochain quand je déposerai une gerbe au pied du monument du souvenir de ma commune dédié à nos morts et disparus d’outre-mer, où est gravée la citation de Sully Prudhomme : « Et ceux-là seuls sont morts qui n’ont rien laissé d’eux », j’aurai enfin le sentiment que nous avons aujourd’hui définitivement protégé l’intégrité morale de nos compatriotes harkis. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir vise à réprimer les diffamations et les injures à l’encontre des supplétifs de l’armée française. J’y vois deux aspects : un aspect évidemment technique et un aspect beaucoup plus politique.

Sur l’aspect technique, tout a été dit : l’article 5 de la loi du 23 février 2005 qui prohibait l’injure et la diffamation à l’encontre des harkis n’avait pas été assorti d’une disposition pénale permettant de prononcer des condamnations à l’encontre des auteurs de ces diffamations. Cette carence s’est révélée de façon particulièrement criante lorsque le président de la région Languedoc-Roussillon, entre autres « injurieurs », a gravement insulté des représentants de la communauté harkie, qu’il a traités de « sous-hommes ».

Il n’a pas été possible de le condamner : la Cour de cassation a considéré qu’effectivement il n’y avait pas moyen de le condamner, faute de dispositions pénales. Les tribunaux, de façon générale – et la jurisprudence de la Cour de cassation a été fixée – ont considéré que la répression ordinaire de la diffamation ou de l’injure envers les particuliers ne s’appliquait pas, au motif que le groupe constitué des harkis était trop important pour que chaque particulier puisse faire état de son appartenance à ce groupe. Et la répression particulière de la diffamation ou de l’injure raciste ne pouvait pas davantage s’appliquer dans la mesure où, expliquaient les tribunaux, la communauté harkie n’est caractérisée ni par l’origine, ni par la race, ni par la religion, ni par le handicap, ni par l’orientation sexuelle.

L’article 30 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoyant une répression renforcée de la diffamation et l’injure à l’encontre des forces armées, une solution technique a été trouvée, qui consiste à considérer que les forces supplétives, dont font partie les harkis, doivent être assimilées aux forces armées, ce qui permet d’organiser, de prévoir et donc de sanctionner les auteurs d’injures ou de diffamations à l’encontre de la communauté harkie.

C’est une solution techniquement au point, à une nuance près, qu’a soulignée tout à l’heure André Chassaigne : elle ne concernera que difficilement les descendants des harkis qui pourront éventuellement demander des dommages et intérêts.

Le texte prévoit également l’intervention des associations qui pourront se constituer partie civile, lancer l’action publique et obtenir la répression des injures et diffamations. Il est donc permis d’espérer que les diffamations et injures à l’encontre de la communauté harkie seront à l’avenir sévèrement réprimées.

Sur le plan politique, la solution trouvée est assez heureuse : elle s’étend à l’ensemble des forces supplétives, sans faire distinction entre les différentes formations supplétives qui, au fil de l’histoire, ont servi aux côtés des forces armées en Algérie.

En outre, elle permet aux associations de se constituer partie civile et d’obtenir réparation au nom de la communauté harkie.

Enfin, elle ne fait pas de distinction : elle fait rentrer dans la communauté de ceux qui se sont battus pour la France les harkis, comme l’ensemble des forces armées. Au-delà de l’innovation technique, c’est une marque importante de reconnaissance, et le fait de faire entrer les harkis dans le droit commun est sans doute l’hommage le plus vibrant de la nation à cette communauté.

J’en arrive à la conclusion de mon propos, mais vous aurez compris que nous allons appeler – comme l’a indiqué mon collègue Kléber Mesquida – à voter ce texte.

Cette proposition de loi engage un processus de cicatrisation d’événements extrêmement douloureux : une guerre civile qui, avec son cortège de massacres et d’exactions, a opposé les Français et les Algériens, mais aussi des Algériens à des Algériens, et des Français à des Français. Dès lors, toute action de cicatrisation est forcément bienvenue.

Néanmoins – si je poursuis dans la métaphore médicale – si la cicatrisation est utile et nécessaire, elle ne doit pas s’arrêter là. C’est un processus continu qui doit aboutir, notamment, à une cicatrisation complète avec le peuple algérien.

La cicatrisation ne signifie pas non plus qu’il faille persister dans la cécité sur l’origine de la maladie. Elle ne doit pas nous dispenser, au nom d’une reconnaissance bien tardive envers le peuple harki, de revenir sur des pages de notre histoire qui n’ont pas été glorieuses. Elle ne doit pas nous empêcher de nous demander pourquoi nous avons mis près de cinquante ans à intégrer complètement la communauté harkie, ces soldats, nos soldats, que nous avons particulièrement maltraités et envers lesquels nous nous sommes particulièrement mal comportés. Elle ne doit pas non plus nous dispenser de nous retourner sur notre histoire et de nous demander comment, par aveuglement politique, en 1945, après la Seconde guerre mondiale, nous n’avons pas su faire évoluer nos relations avec les peuples que nous avions colonisés et comment nous nous sommes lancés dans ces aventures désastreuses : deux guerres coloniales que nous avons perdues et dans lesquelles il y a eu beaucoup de morts, des morts qui ont ensuite obéré nos relations avec les peuples qui se sont libérés.

Aujourd’hui, il faut communier dans le respect dû à la communauté harkie, mais cela n’interdit pas de réfléchir, car il ne faut pas que l’histoire se répète.

M. le président. La parole est à M. Didier Gonzales.

M. Didier Gonzales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, enfin la représentation nationale se penche sur la reconnaissance des formations supplétives des forces armées, généralement regroupées sous le vocable de harkis pour les combattants de la guerre d’Algérie.

Alors que la France a déjà, et à juste titre, reconnu les militaires qui ont versé leur sang pour elle et ceux qui se sont engagés dans la Résistance, il est temps de redonner la place qu’ils méritent à ces hommes qui ont donné leur courage et leur sang pour la France.

Harkis, moghazni, tirailleurs, spahis, membres des forces régulières ou des forces supplétives, des groupes mobiles de sécurité, des groupes d’autodéfense et des sections administratives spécialisées, ce sont plus de 200 000 hommes qui courageusement ont choisi de se battre aux côtés de la France.

N’oublions pas qu’au-delà du terrible déchirement d’avoir à quitter ce qui était leur pays, la métropole ne leur a pas réservé le meilleur accueil, le meilleur sort. N’oublions pas non plus que les harkis ont payé de leur sang leur engagement. Les historiens estiment qu’entre 60 000 et 80 000 harkis ont été exécutés après la fin des combats en Algérie et même sur notre territoire métropolitain. Ceux-là ont payé l’ignoble prix du cessez-le-feu du 19 mars, respecté, hélas, unilatéralement.

L’année 2012, année du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie est sans doute l’une des dernières occasions que nous ayons d’exercer notre devoir de mémoire et de réparer l’injustice subie par les harkis et leurs familles, victimes d’avoir fait un choix, celui de la France, celui de notre République. Victimes d’avoir cru en la parole de la France. Ce rendez-vous avec l’histoire, si douloureuse et tourmentée soit-elle, la représentation nationale doit l’assumer.

Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, était-il nécessaire de revenir sur cette période si cruelle de notre histoire ? Assurément oui !

Oui, car il est insupportable qu’aujourd’hui encore, les harkis puissent être victimes d’injures ou de propos diffamants. Il est encore plus intolérable que ces propos restent impunis à cause d’un vide juridique qui n’offre pas aux harkis et à leurs familles une protection pénale suffisante.

En effet, la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés devait permettre de réprimer pénalement les atteintes portées aux harkis, mais cette protection demeure insuffisante

Aussi faut-il se réjouir de voir cette proposition de loi permettre aux harkis d’être enfin considérés comme faisant partie des forces armées. En effet, cette reconnaissance permettra de condamner les injures et les diffamations dont ils font trop souvent encore l’objet. Par ailleurs, comme l’a rappelé notre collègue Raymond Couderc, auteur de la proposition de loi, cette reconnaissance a le mérite de rendre compte de la réalité de leur engagement militaire.

Je me réjouis également que cette loi permette aux associations de défense des intérêts et de l’honneur des supplétifs de se constituer partie civile. Cette mesure permettra, en effet, de donner une résonance plus importante à d’éventuels recours contre des propos injurieux ou diffamants tenus envers les harkis. J’espère en effet que la justice sera d’une grande sévérité envers quiconque prononcera dans le futur de tels propos. C’est une exigence morale pour notre pays.

Cette loi, la France ne pouvait pas en faire l’économie. Elle répond d’ailleurs à un engagement du Président de la République lors de la campagne de 2007. Elle s’inscrit dans le volontarisme du Gouvernement en faveur des harkis.

À la différence de la version initiale de la proposition de loi, le texte ne fait plus expressément référence aux harkis ni à l’Algérie. Et cela, mes chers collègues, je le regrette, je le regrette amèrement.

Si je suis favorable à ce qu’on assure la même protection à tous ceux qui ont fait le choix de la France dans tous les conflits, si je suis favorable à ce que la meilleure protection leur soit accordée, il faut, mes chers collègues, que la loi, avec la force que nous lui donnons, assume ses choix, assume ses mots.

Ce sont bien les harkis qui sont insultés. Ce sont bien les harkis que nous voulons protéger. Cette loi doit porter le mot harki comme eux-mêmes portent encore notre drapeau. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2012 est celle du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie.

Le temps a la vertu, dit-on, d’adoucir la souffrance des blessures, des deuils et de l’histoire. Mais peut-on faire le deuil du choix de la France au péril de sa vie et de celle de ses proches, un choix si lourd de conséquences, si fort de sens ?

Maire de ma ville de Sens, j’avais fait apposer sur le monument aux morts de notre ville une plaque commémorative du sacrifice pour la France des supplétifs et des harkis. C’est un souvenir qui mêle l’espérance d’une mémoire qui s’apaise et l’aspiration à une meilleure intégration des supplétifs et de leurs descendants dans une communauté nationale qui n’a pas toujours su leur témoigner toute l’attention ni toute la gratitude qu’ils méritaient. Ils méritent mieux en tout cas que certaines digressions politiciennes que nous venons d’entendre, puisque nous sommes finalement tous d’accord sur le fond.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler, comme vous l’avez fait tout à l’heure, que depuis cinq ans, le Président de la République et le Gouvernement ont eu à cœur d’œuvrer en faveur des harkis en concentrant leurs efforts sur la formation et l’insertion professionnelle de leurs enfants, en signant des conventions d’emploi, des aides à la création d’entreprise, des contrats d’accompagnement, en leur permettant d’accéder aux emplois réservés de la fonction publique, en versant des bourses scolaires et universitaires.

Les supplétifs ont aussi bénéficié ces dernières années d’une série d’initiatives des pouvoirs publics mettant en place des mécanismes d’indemnisation en reconnaissance des services rendus et des souffrances endurées. Mais rien n’avait été fait pour les protéger légalement contre les injures et les diffamations auxquelles ils se sont trouvés régulièrement confrontés. En effet, les propos injurieux de Georges Frêche l’ont bien montré et la jurisprudence pénale a révélé bien des lacunes dans la protection des harkis. La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans deux arrêts du 31 mars 2009, a jugé que ni les harkis ni leurs descendants ne constituaient un groupe de personnes entrant dans l’une des catégories « limitativement énumérées » par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle a ajouté également que les harkis ne pouvaient engager une poursuite sur le fondement de toute injure et de toute diffamation posée à l’article 5 de la loi du 23 février 2005, celle-ci n’étant assortie d’aucune sanction pénale.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit l’adage. Nous sommes, dans ce pays, des adeptes de la repentance souvent tardive. Cet après-midi, nous avons donc l’occasion de réparer un oubli qui s’apparente à de l’indifférence. Nous mettons en avant, parfois à tort et à travers, notre qualité de pays des droits de l’homme. Posons-nous la question : au regard du sort réservé aux supplétifs, avons-nous pleinement mérité cette estampille ces cinquante dernières années ? Aujourd’hui, nous faisons un grand pas vers la réparation d’une injustice. C’est là le sens des deux dispositions de la proposition de loi que nous examinons : la première tend à combler un vide juridique en matière de protection des harkis et d’autres anciens supplétifs de l’armée française en sanctionnant les injures et diffamations commises à leur encontre ; la seconde disposition prévoit la possibilité pour les associations de défense des intérêts et de l’honneur des supplétifs de se constituer partie civile.

Permettez-moi, pour conclure, de reprendre les propos du Président de la République : « Être harki aujourd’hui, c’est pouvoir dire : “Je suis Français par le choix et par le sang” » Un certain nombre de ceux à qui s’adresse ce texte ont disparu, mais leurs fils, leurs filles, leurs petits-enfants pourront s’en saisir. Il leur apportera reconnaissance et protection. C’est pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter ce texte avec moi. Après tout, nous leur devons tant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, compagnons d’infortune de jadis, les rapatriés et les harkis ont droit à tout notre respect et notre reconnaissance ; ils ne méritent en aucune manière 1’indifférence ou le mépris dont certains aujourd’hui encore continuent de les accabler. Malheureusement, au cours des dernières années, nous avons pu constater la multiplication de propos injurieux envers les harkis et les rapatriés, y compris dans la bouche de certains élus. Ces propos ont été condamnés avec force, mais rarement sanctionnés.

Les harkis, membres des forces supplétives françaises en Algérie, ont, pour beaucoup d’entre eux, payé du prix de leur vie leur choix en faveur de la France. Ces soldats, qui ont combattu avec force et courage aux côtés de l’armée française de 1954 à 1962, ainsi que leurs familles et leurs descendants, méritent aujourd’hui le respect et la reconnaissance de tous nos concitoyens. Les harkis et leurs familles ont souffert pour notre nation. Ils ont souffert lorsqu’ils ont défendu la République. Ces hommes et ces femmes ont également souffert lorsque, en 1962, ils ont été contraints à un exil forcé et douloureux.

L’examen de la présente proposition de loi en cette année 2012, qui marque le cinquantenaire du rapatriement, est l’occasion de rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont connu les blessures, l’exil et la souffrance. Malheureusement, cette reconnaissance par la République française, tant méritée et réclamée par les rapatriés, anciens membres des formations supplétives, n’est intervenue que tardivement avec les lois de 1994, de 2003 et de 2005.

Parce que les harkis ont le droit non seulement d’être reconnus dans leur histoire, dans leur combat, dans leur mémoire, mais surtout respectés, il n’est que temps de prévoir des sanctions pénales pour condamner tous propos qui seraient injurieux ou diffamatoires envers les harkis ainsi que de toute apologie des crimes dont ils auraient été victimes.

L’article 5 de la loi du 23 février 2005 a eu le mérite de poser une première pierre. Malheureusement, le législateur n’avait pas prévu des sanctions pénales. Il était donc nécessaire, indispensable et légitime de compléter notre législation pour pénaliser toute injure ou diffamation envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité, vraie ou supposée, de harki ou d’ancien membre des forces supplétives ayant servi en Algérie.

La présente proposition de loi, qui a pour objectif de donner tout leur effet aux dispositions de la loi de 2005, prévoit de sanctionner les propos injurieux ou diffamatoires envers les harkis et de permettre aux associations chargées de défendre les intérêts moraux et l’honneur des anciens combattants harkis d’exercer, dans le cas d’injure ou de diffamation à 1’encontre de cette communauté, les droits reconnus à la partie civile.

Cette dernière étape de la reconnaissance des harkis et de leurs familles revêt, mes chers collègues, une importance symbolique. M. Le secrétaire d’État et M. le rapporteur Élie Aboud, dont je salue ici le travail, l’ont rappelé : cette dernière étape revêt une importance symbolique, mais aussi très concrète. À l’instar des délits commis envers les armées, la diffamation contre les formations supplétives sera désormais punissable de 45 000 euros d’amende et l’injure de 12 000 euros.

Il est, enfin, temps que la République reconnaisse, mais surtout qu’elle protège celles et ceux qui n’ont pas hésité à faire preuve d’un extraordinaire courage pour défendre la nation.

C’est pour ces raisons que je voterai avec beaucoup de détermination cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, cher rapporteur, mes chers collègues, la République française ne reconnaît aucune autre communauté en son sein que celle de ses citoyens égaux en droit.

J’ai été choqué par les interventions de notre collègue Chassaigne qui a semblé, s’exprimant sur le 11 novembre, hiérarchiser les morts de ceux qui ont tous répondu à l’appel de la République.

M. André Chassaigne. J’ai dit le contraire !

M. Christian Vanneste. Il a essayé de réduire le sens de l’engagement des harkis. Je voudrais l’appeler à un peu plus de modestie et, puisqu’il a employé le mot « traîtres », lui rappeler qu’il y a effectivement eu des traîtres en Algérie. Ces traîtres, ce sont notamment les communistes qui ont collaboré avec les fellaghas !

M. Élie Aboud, rapporteur. C’est très juste !

M. André Chassaigne. Je n’ai pas dit du tout cela ! C’est de l’interprétation !

M. Christian Vanneste. Comme le dit Dominique Schnapper, « La nation se définit par son ambition de transcender par la citoyenneté des appartenances particulières ». Au-delà du rappel de ce principe, il faut constater l’existence d’un débat. Celui-ci a deux aspects : la reconnaissance de communautés unies dans le souvenir du malheur qui les a frappées et la part de responsabilité de la République française dans ce malheur.

Avec les harkis, le débat tourne court, et cependant la réponse trop évidente est insuffisamment présente dans notre conscience collective. Les harkis sont ces combattants qui ont répondu à l’appel de la France, qui ont cru à sa parole, qui ont servi la IVe, puis la Ve République, la nôtre, et que nous avons trahis et abandonnés pour la plupart d’entre eux.

La lecture du livre du Bachaga Boualam Mon Pays, la France est douloureuse pour celui qui se fait une haute idée de notre pays. Il n’y a eu, dans cette tragédie aucune trace de cette grandeur sans laquelle la France n’est pas elle-même. Le Bachaga Boualam se définit lui-même comme un Français humilié, trompé, bafoué, un père qui a donné son fils à la France ainsi que dix-sept de ses proches parents. Il a été élu à quatre reprises vice-président de cette Assemblée. Il s’est engagé passionnément pour notre pays. Capitaine en 1946, il était commandeur de la Légion d’honneur ; et cet homme a dû se réfugier en Camargue, au Mas-Thibert avec ses fidèles Beni-Boudouanes. Son récit est poignant. Le rappel de la circulaire Joxe – ça, c’était mieux, monsieur Chassaigne !... – enjoignant aux autorités de limiter étroitement le départ des harkis vers la métropole et même d’organiser le retour vers leurs assassins de ceux qui s’y étaient réfugiés est tout à fait insupportable, tant il révèle la froideur calculatrice des politiciens. Je la cite : « Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront renvoyés en Algérie… Il conviendra d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure. » J’ai retrouvé ce triste et froid calcul, lorsque notre collègue socialiste a tenté tout à l’heure de ramener ce texte à une intention électorale. Il est heureux que son intervention ait été, pour le reste, empreinte d’une grande émotion que je tiens à saluer.

Il est donc tout à fait inacceptable que ceux qui sont parvenus à se maintenir sur le territoire de la République et leurs descendants soient injuriés ou diffamés. Il est indigne que la mémoire de ceux qui ont été massacrés, souvent dans des conditions horribles, soit souillée.

Pour répondre à cette double exigence, il faut donc une loi qui réprime ces atteintes. Il est particulièrement judicieux de souligner qu’il s’agit d’actes très graves par le fait qu’ils visent des membres de l’armée française, plus exactement des formations supplétives faisant partie des forces armées. Cela souligne l’appartenance des harkis à la communauté nationale par le plus beau vecteur qui soit : celui du sang versé, de la vie exposée. Cela rappelle aussi – faut-il le dire ? – le crime qui a consisté à abandonner nos soldats, les soldats qui servaient la République, à leurs adversaires.

C’est la raison pour laquelle ce texte ne serait pas complet, serait même hypocrite si le mot de « harki » ne s’y trouvait pas mentionné, d’une manière ou d’une autre. Il s’agit de répondre, une fois encore, à une double exigence : la première est d’ordre juridique et doit permettre à ce texte d’être conforme à la Constitution ; la seconde est morale. C’est bien sous le nom de « harkis » qu’ils se font insulter par certains ; c’est bien sous ce nom que la France doit rappeler leur droit particulier à sa reconnaissance et à l’honneur de revendiquer ce titre. Personnellement, je voterai ce texte avec une pensée particulière pour le père de notre secrétaire d’État, Jeannette Bougrab, qui est, elle aussi, le symbole de la volonté de la majorité actuelle de réparer une injustice !

M. Élie Aboud, rapporteur. Vous avez raison !

M. Christian Vanneste. Et cette réparation-là n’est pas voisine d’une intention électorale : elle date déjà, et je m’en félicite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Élie Aboud, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mon cher rapporteur, chers collègues, 2012 correspond au cinquantenaire de l’exode de plus d’un million de personnes qui ont dû tout quitter dans des conditions souvent effroyables. Cette année doit donc nous permettre de réaliser, encore plus que d’habitude, notre devoir de mémoire à propos de cette période complexe de notre histoire sans qu’aucune de ses facettes ne soit oubliée. Parmi celles-ci, la tragédie subie par les harkis et leurs familles mérite de trouver sa juste place.

Je sais les conditions horribles et les déchirements qui ont conduit à l’arrivée de ces femmes et de ces hommes en France métropolitaine au début des années 60. Ils durent tout quitter : les paysages qui les avaient vus grandir, les maisons qu’ils avaient construites, tout ce qu’ils aimaient et dont ils seraient privés désormais.

Contraints à un exil forcé et douloureux parce qu’ils avaient choisi de se ranger au côté de la France, les harkis ont alors témoigné avec force de leur attachement à la République. Les harkis, notre pays en est fier. Ils ont tout donné, tout quitté parce qu’ils avaient fait le choix de notre pays. Ils ont servi la France à l’un des moments les plus douloureux de notre histoire. Et si l’on veut savoir aujourd’hui ce qu’est l’identité nationale, alors écoutons les harkis. Leur histoire nous dit : être Français, c’est choisir la France et l’aimer, l’aimer par-dessus tout.

Afin de leur être reconnaissant, plusieurs lois successives ont mis en place des mécanismes d’indemnisation les concernant, et ce depuis la fin des années 80. Je pense notamment aux avancées réalisées par la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

Au-delà des aspects économiques et sociaux, plusieurs initiatives ont permis une reconnaissance morale des sacrifices consentis par les harkis et leurs familles.

Cependant, depuis quelques années, la jurisprudence a révélé plusieurs lacunes dans la protection pénale des harkis. Aussi utiles qu’elles soient, les mesures prises depuis 2002 ne doivent pas être considérées comme un acte ultime. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à combler les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis.

Ce texte entend, d’une part, réprimer les injures et diffamations commises envers les supplétifs et, d’autre part, permettre aux associations œuvrant en leur faveur de se constituer partie civile.

La mesure forte de ce texte consiste à prévoir, pour l’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, que les formations supplétives sont considérées comme faisant partie des forces armées. Cette assimilation a pour effet d’aligner la répression de l’injure et de la diffamation publiques à l’encontre des formations supplétives sur celle dont bénéficient actuellement les armées.

En effet, l’article 30 de la loi de 1881 punit la diffamation publique envers « les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques » d’une amende de 45 000 euros. En l’état de la jurisprudence, les harkis ne pouvaient en bénéficier. C’est donc un grand pas en avant que nous faisons là.

Par ailleurs, l’article 33 de la loi de 1881 punit l’injure publique commise « envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 » d’une amende de 12 000 euros.

C’est parce que les harkis et autres supplétifs ont combattu ou se sont engagés pour la France qu’ils méritent d’être spécialement protégés contre les injures et diffamations publiques.

De plus, la proposition de loi vise à permettre aux associations de défense des intérêts et de l’honneur des supplétifs de se constituer partie civile en cas de diffamation ou d’injure publiques.

Enfin, je souhaite appeler votre attention sur une décision récente du Conseil constitutionnel.

En effet, le 27 janvier dernier, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil a jugé disproportionnée, et donc inconstitutionnelle, la suspension des poursuites prévue par l’article 100 de la loi de finances de 1998. Cette loi organise sous certaines conditions, au bénéfice des Français rapatriés, une suspension automatique des poursuites engagées par de possibles créanciers.

Cette décision du Conseil constitutionnel a entraîné en quelques semaines l’ouverture de nombreuses procédures. Elle constitue un préjudice certain pour des personnes qui ont servi notre pays. Il apparaît légitime que ces rapatriés, quelques milliers dans l’hexagone, continuent de recevoir cette aide de façon pérenne.

Monsieur le ministre, je connais votre engagement véritable et sincère sur ce sujet et je suis persuadé que vous allez déposer un amendement pour remédier à cette situation fort regrettable. Sinon, je ne pourrai, en ce qui me concerne, voter ce texte.

Nous avons tous un devoir de reconnaissance et de mémoire vis-à-vis de ceux qui, à un moment donné de leur histoire, ont défendu avec ardeur les valeurs de la République. Au nom de tous ceux qui ont souffert, de ceux qui ont payé le prix fort, le prix du sang, pour notre pays, nous nous devons aujourd’hui de faire preuve de loyauté et de gratitude.

Les harkis ont toute leur place, une place d’honneur, dans le cœur de la République. C’est pourquoi il est de notre devoir d’approuver ce texte, si la réserve formulée ci-dessus, monsieur le ministre, est levée, parce qu’il est grand temps que cette pénalisation soit inscrite dans notre droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Messieurs les députés, je voudrais tout d’abord vous remercier, sur tous les bancs de cet hémicycle, pour la qualité de ce débat.

Nous savons tous ce que nous devons aux supplétifs de l’armée française, et tout particulièrement aux harkis. Nous connaissons tous l’histoire : leurs parents avaient combattu dans l’armée française, pour la France, en 1914-1918, puis durant la guerre de 1939-1945, comme l’avaient fait les supplétifs d’Indochine, les H’Mongs notamment. Nous sommes conscients de ce que nous leur devons ; cette loi, vous l’avez tous dit, est extrêmement importante pour la préservation de cette mémoire et pour le respect de tous les supplétifs engagés dans l’armée française.

Cela a été souligné ici et au Sénat : l’important en cette fin de session est de faire en sorte, par cette loi, que personne ne puisse plus injurier aucun des supplétifs de l’armée française.

Je vous remercie encore tous de la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Article unique

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

Je suis saisi d’un amendement no 3.

La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Mon amendement est simple : je souhaite ajouter que les poursuites peuvent être exercées à la requête de la partie lésée ou de ses descendants. Il s’agit d’une sécurité juridique qui me semble totalement absente de ce texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Élie Aboud, rapporteur. Mon cher collègue, je comprends tout à fait l’esprit qui vous anime en présentant cet amendement. Nous en avions déjà discuté – et je vous remercie de l’avoir rappelé – lorsque j’avais cosigné votre proposition de loi.

Mais en fait cet amendement a un effet pléonastique, puisque quand un descendant de nos amis harkis est injurié, il peut tout à fait saisir la justice. C’est déjà le cas aujourd’hui, et la proposition de loi ne change rien à cela.

En revanche, si des descendants des harkis pensent avoir entendu une injure symbolique à l’encontre de la communauté harkie, du symbole harki, ils pourront, grâce à cette proposition de loi, saisir la justice ; de leur côté, les associations pourront se porter partie civile.

Ces trois éléments vont déjà dans le sens de ce que vous souhaitez. Votre amendement n’apporte rien de plus.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. J’en profite pour répondre également à la question que M. Mallié m’a posée tout à l’heure : le Gouvernement est en train d’examiner cette affaire. Nous allons pallier cette difficulté le plus rapidement possible, mais nous ne pouvons pas le faire dans le cadre de ce texte.

Je reviens à l’amendement de Jean-Pierre Grand. Le texte indique bien que toute association peut déposer plainte : cela vaut évidemment aussi pour les associations de fils de harkis. Son amendement me paraît donc superfétatoire, puisque cette possibilité figure déjà dans le texte de loi. Je comprends votre préoccupation, mais cela est déjà dans le texte de loi puisque « Toute association, régulièrement déclarée […] » peut déposer plainte.

J’invite donc M. Grand à retirer son amendement. S’il ne le faisait pas, mon avis serait défavorable.

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Je comprends tout à fait l’amendement de notre collègue Jean-Pierre Grand.

Aujourd’hui, il reste peu de harkis de la première génération. Bon nombre d’entre eux, hélas ! ont disparu. Par contre, leurs enfants, s’ils sont diffamés ou injuriés au titre d’enfants de harkis, ont toute chance de voir les tribunaux rejeter leur plainte, par le fait qu’ils ne sauraient être insultés, n’étant pas mentionnés dans la loi.

Je suis très favorable à l’amendement de M. Jean-Pierre Grand. Ne refaisons les erreurs de la loi de 2005, où nous avons été incomplets. Je reviendrai sur l’amendement suivant concernant les formations assimilées. Aujourd’hui, efforçons-nous d’être complets. Ce n’est que sagesse de suivre cet amendement.

M. Michel Hunault. Mais il est retiré.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. J’aurais bien voulu aller dans le sens du Gouvernement et retirer mon amendement car, comme tout le monde, je souhaite que l’on aille vers un texte conforme. Mais je dois vous avouer que l’argumentation du rapporteur et du Gouvernement ne me sécurise pas parce que je pense qu’en effet, il y a un risque dès lors qu’un descendant des harkis est stigmatisé directement.

Bien sûr, la loi prévoit que les descendants peuvent se porter partie civile, mais là n’est pas le sujet. Le problème, c’est que si un descendant est traité comme il ne convient pas qu’il le soit, c’est qu’il y a une faiblesse juridique dans le texte. C’est la raison pour laquelle il faut le consolider.

M. Kléber Mesquida. Je suis d’accord avec lui.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie.

Mme Michèle Alliot-Marie. Je voudrais simplement dire à MM. Mesquida et Grand qu’il n’y a aucune insécurité juridique en la matière : si quelqu’un est attaqué, il répond en tant que tel.

M. Michel Hunault. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie. C’est la responsabilité directe. Il n’y a aucun problème. Sur le plan juridique, je peux vous garantir, à l’un comme à l’autre, que le texte est parfaitement clair. La disposition était d’ailleurs déjà claire auparavant. Comme l’a très bien dit M. le rapporteur, aujourd’hui, on élargit plutôt les capacités de saisine. Ce texte ne présente aucune insécurité juridique.

M. Michel Hunault. Ça, c’est de la compétence !

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Pardonnez-moi d’insister, madame la ministre. Si l’injure est proférée à l’adresse du père harki, vous avez bien évidemment raison. ; en revanche, si l’insulte ou la diffamation s’adresse à son fils en sa qualité d’enfant de harki, les tribunaux ne suivront pas.

M. Jean-Pierre Grand. Bien sûr, et c’est là où le texte pèche par faiblesse.

M. Kléber Mesquida. Mieux vaut être plus complet. Je ne vois pas en quoi la proposition de M. Grand peut être gênante. Soyons vigilants. Pour une fois, essayons de balayer toutes les possibilités. Et encore, je suis certain qu’il restera des carences : chaque fois qu’il y a besoin d’interpréter un texte de loi, les interprétations peuvent diverger.

Pour rester dans l’esprit de ce que souhaite le législateur, je demande que cet amendement soit maintenu et intégré.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Je comprends votre intention, mais l’amendement de M. Grand indique bien : « Pour l’application de l’alinéa précédent, la poursuite peut être exercée à la requête de la partie lésée ou de ses descendants. » Cela ne peut s’appliquer dans le cas d’une injure proférée à l’encontre d’un enfant de harki. En revanche, la loi précise bien que « Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose par ses statuts de défendre les intérêts moraux et l’honneur de personnes ou de groupe de personnes faisant ou ayant fait partie de formations supplétives de l’armée peut exercer les droits reconnus à la partie civile… » Autrement dit, tous les cas sont couverts.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Je remercie le secrétaire d’État car il vient de démontrer que j’avais raison. Certes, les familles peuvent se porter civiles si des personnes, même décédées, ont été prises à partie, diffamées, voire insultées. Mais que se passera-t-il si un enfant de harki se fait traiter de tous les noms d’oiseau ? Il faut que les choses soient claires.

Vouloir sécuriser un texte n’est pas lui faire outrage : c’est, au contraire, faire preuve d’une grande considération. Cela veut dire qu’on respecte tellement le texte qu’on ne veut pas laisser le moindre vide juridique.

Je ne pense pas en outre que l’adoption de cet amendement puisse poser de problème dans la navette parce que la demande que nous sommes plusieurs à formuler ici, et je remercie Kléber Mesquida pour son appui, relève du bon sens.

(L’amendement n° 3 n’est pas adopté.)

(L’article unique de la proposition de loi est adopté.)

Titre

M. le président. Avant d’appeler l’amendement au titre, j’indique à l’Assemblée que la commission a ainsi rédigé le titre de la proposition de loi :

« Proposition de loi relative aux formations supplétives des forces armées ».

La parole est à M. Didier Gonzales, pour défendre l’amendement n° 1.

M. Didier Gonzales. Voici un amendement qui ne devrait pas poser de problème puisqu’il s’agit d’un amendement de clarification.

Pourquoi cette proposition de loi a-t-elle été présentée ? Pour protéger les harkis, dans la plus large acception du terme, de propos injurieux ou diffamatoires d’où qu’ils viennent – et les sources sont malheureusement nombreuses, ce que nous regrettons tous ici, je crois pouvoir le dire après avoir écouté les orateurs. Nous ne devons donc pas négliger le poids des mots, et le mot « harki » est bien au centre de nos préoccupations.

C’est pourquoi nous sommes plusieurs, dont le président, à proposer une modification du titre pour ajouter les mots « notamment les harkis ». Cela ne change absolument pas le dispositif juridique de protection, mais apporte beaucoup en lisibilité, en profondeur de sens et en dissuasion.

De quoi devrions-nous avoir peur ? D’une inconstitutionnalité ? Certainement pas. Les avis sont concordants, ce n’est pas inconstitutionnel. D’une non-conformité avec le texte sénatorial ? Je ne doute pas que nos collègues sénateurs approuveront cette précision de bon sens. De la réaction de ceux qui sont habitués à l’injure vis-à-vis des harkis depuis l’extérieur de nos frontières ? Non, la France ne se fait pas dicter sa loi.

Alors, gardons à ce texte tout son sens, donnons-lui tout son poids et appelons un harki un harki : c’est une dénomination porteuse d’honneur et d’engagement. À notre tour, mes chers collègues, assumons nos engagements.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Élie Aboud, rapporteur. M. le président de la commission a donné un avis défavorable, mais je dois quand même une explication à nos collègues.

Je comprends tout à fait leur état d’esprit : nous en avons discuté ensemble et je partage la flamme qui les anime. Et, vous avez raison, leur amendement ne pose aucun problème de constitutionnalité. Mais je peux leur assurer que la grande fierté de nos amis harkis, que nous avons contactés, chacun, dans nos territoires, c’est que le législateur rappelle que les harkis sont des forces supplétives de la nation. C’est pour eux une victoire extrêmement symbolique. En ajoutant « notamment les harkis », ne risque-t-on pas de les faire apparaître comme appendiculaires des forces supplétives de la nation, d’introduire quelque part une hiérarchie dans les forces supplétives de la nation ?

Vous connaissez ma position, la commission a émis un avis défavorable. Ne laissons pas s’insinuer un doute : les harkis sont le cœur des forces supplétives de la nation, la proposition de loi est claire à cet égard. Tenons-nous en à cela.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Le rapporteur a donné de très bons arguments. Ce qui est primordial, c’est que l’on reconnaisse dans une loi de la nation que les supplétifs font bien partie des forces armées. C’était une demande, légitime, de l’ensemble des supplétifs, et tout particulièrement bien sûr des harkis, depuis des années et des années.

M. Philippe Vitel. Tout à fait.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Le reste est superfétatoire, et donnerait même l’impression qu’on établit une hiérarchie entre les différents supplétifs. Je suis allé en Guyane visiter les H’Mong d’Indochine. Dans les communes où ils ont été réinstallés, ils ont cultivé la terre et réalisé un travail extraordinaire, comme nos harkis en métropole. C’est la reconnaissance qu’ils font partie de l’armée française qui est importante. Il faut en rester là et ne rien ajouter de plus : cela affaiblirait le texte.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Barèges.

Mme Brigitte Barèges. Monsieur le secrétaire d’État, je suis bien sûr tout à fait d’accord avec vous : Si la France a depuis longtemps reconnu les militaires qui ont versé leur sang pour elle ainsi que ceux qui, aux heures les plus sombres de l’histoire, se sont engagés dans la Résistance, elle n’a pas jusqu’à présent pas reconnu les forces supplétives qui pourtant ont elles aussi joué un rôle indispensable durant une certaine période de l’histoire. Nous sommes unanimes pour voter ce texte : il était temps que les harkis se voient reconnaître le même statut que les forces armées.

Mme Alliot-Marie vient de rappeler la force juridique des mots. Je me permets de faire remarquer que dans une polémique, hélas ! célèbre, Georges Frêche s’était vu relaxé par la chambre criminelle de la Cour de cassation au motif d’un principe de droit pénal constant, qu’en droit latin nous définissant ainsi : nullum crimen nulla poena sine lege, pas de crime, pas de peine sans texte. À l’époque, Georges Frêche n’avait pas pu être condamné alors qu’il avait traité les harkis de sous-hommes au motif que le mot « harki » ne figurait dans aucun texte.

Aujourd’hui, l’occasion nous est donnée de combler ce vide juridique dans ce texte précisément qui les concerne. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné cet amendement qui vise à rajouter les mots « notamment les harkis ». Ne soyons pas hypocrites : pouvez-vous imaginer Georges Frêche traiter les forces supplétives de sous-hommes ? Non, c’est le mot « harki » qui, malheureusement, est souvent utilisé comme injure. C’est ce mot-là qu’il nous faut viser dans ce texte avec courage.

Je sais que cela peut poser des problèmes, mais je crois qu’un grand pays comme l’Algérie doit être capable de regarder son passé comme nous-mêmes sommes en train de le faire en cette année de commémoration. Cinquante ans ont passé ; s’il n’est pas question de faire de la repentance, il est temps d’affronter cette partie de notre histoire.

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Je comprends bien l’esprit de l’amendement. Dans son rapport à l’ONU, le contrôleur général aux armées, Christian de Saint-Salvy, relève que 263 000 Musulmans étaient engagés à ce moment-là du côté des Français, dont 60 000 militaires réguliers et 153 000 supplétifs, parmi lesquels 60 000 harkis. On voit bien que les harkis étaient le noyau important de ces forces supplétives. Je trouve donc légitime que l’on mette l’accent sur les harkis dans le titre de la loi.

Mais je regrette, je le répète, qu’on oublie les assimilés. Celui qui a fait partie des agents temporaires occasionnels, des gardes champêtres en zone rurale, des agents de renseignements, des auxiliaires médico-sociaux des armées, des contractuels de police auxiliaires, n’appartient pas aux forces supplétives : c’est un assimilé. Consultez le site de l’Office national des anciens combattants : il donne une définition bien précise des forces supplétives et des assimilés. Si nous voulions être complets, nous devrions écrire dans le titre « les formations supplétives et assimilés, notamment les harkis » car les harkis représentent la force la plus importante à l’intérieur de ces catégories de Français musulmans qui étaient engagés aux côtés de la France.

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Ce débat montre combien l’enfer peut être pavé de bonnes intentions.

Je ne doute pas des excellentes intentions des collègues qui ont présenté cet amendement, mais ce débat de grande qualité a bien montré que la communauté qui était au cœur des préoccupations de cet après-midi était celle des harkis. Cela a été clairement dit.

Il existe une notion juridique : celle de forces supplétives. Il paraîtrait regrettable qu’au sein même de cette notion, on veuille établir une hiérarchie, au risque de la voir devenir un jour désobligeante pour une autre communauté.

M. Philippe Vitel. Absolument !

M. Christian Kert. Le législateur n’a pas le droit d’établir une hiérarchie des valeurs de cette nature.

Mme Barèges affirmait tout à l’heure que le fait d’injurier les harkis ne serait pas condamné. Non : les harkis faisant partie des forces supplétives, précisément visées par la loi, la condamnation, la sanction tombera de la même façon.

Enfin, chers collègues de droite, de gauche et du centre, avons une grande chance ce soir : alors que nous arrivons en fin de mandat, nous allons permettre à ce texte de passer aussi bien à l’Assemblée que demain au Sénat. Nous aurions tort de manquer cette occasion. Transmettons dès demain au Sénat ce texte en l’état, et nos collègues sénateurs mettront un point final en adoptant cette loi afin qu’elle devienne effective : c’est ce qu’attendent les amis harkis qui nous écoutent.

Voilà pourquoi, tout en comprenant les motivations de nos collègues, je vous appelle, au nom du groupe UMP, à rejeter cet amendement.

Mme Marie-Christine Dalloz et M. Philippe Vitel. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Barèges.

Mme Brigitte Barèges. Je ne comprends pas pourquoi nos collègues du Sénat ne seraient pas d’accord pour accepter de rajouter le mot « harkis ». Ils ont les meilleures intentions du monde par rapport à ce texte et les 60 000 harkis qui sont morts dans des conditions effroyables au moment de la guerre d’Algérie valent bien qu’on leur apporte cette sécurité juridique.

M. le président. La parole est à M. Didier Gonzales.

M. Didier Gonzales. Ma collègue a fort bien dit les choses. Je ne vois pas où est le problème puisque l’intégralité du dispositif juridique est en place : tout est là. Simplement, parmi ceux qui peuvent être victimes d’injures, certains en subissent plus que d’autres. Ce ne sont pas les Moghazni ou autres, mais bien les harkis. Pourquoi d’ailleurs le Sénat a-t-il pris cette position si ce n’est pas justement pour prévenir les injures à l’endroit des harkis ? Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas, sans rien toucher au dispositif juridique pertinent de la proposition de loi, cibler plus précisément les harkis. Ce sont quand même eux les premiers concernés.

Je n’ai pas trouvé d’exemple d’injures visant d’autres supplétifs que les harkis. Du reste, le terme « harki » a pris une signification qui a très largement dépassé, dans le langage commun, le sens premier du mot. Celui-ci a progressivement donné lieu à une interprétation beaucoup plus générale, et c’est bien de cela qu’il est question aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Nous sommes tous d’accord sur le fond, mais nous sommes en train de faire la loi, donc du droit ; et en droit, on parle de supplétifs. D’ailleurs, en Algérie, il n’y avait pas que les harkis ; il y avait aussi les moghazni et les makhzen, comme il y avait les H’Mongs et les Moïs en Indochine. Il y avait donc plusieurs catégories de supplétifs. C’est la raison nous revenons au droit, où l’on parle de supplétifs, ce qui englobe naturellement l’ensemble des unités qui ont servi dans l’armée française. C’est ce qui est important et qui donne toute sa force à ce texte.

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Le secrétaire d’État vient de nous rappeler que, au-delà des harkis, les forces supplétives étaient plurielles. Mais je ne vois pas où est le problème, au-delà d’un problème d’ego touchant à la rédaction et à la paternité de cette proposition de loi, largement transformée depuis son dépôt au Sénat.

Pourquoi ne pas spécifier que le texte concerne les forces supplétives et assimilées, notamment les harkis ? Qui peut le plus peut le moins, et je ne vois pas en quoi cela serait gênant ni pourquoi l’interprétation juridique en serait déformée. Ce serait au contraire faire preuve de sagesse ; faute de quoi, si l’on venait à entendre dans quelques années de nouvelles injures ou diffamations, le législateur serait tenu de revenir sur ce texte, et le compte rendu montrera alors que nous avions raison – entendez : ceux qui défendaient une rédaction mentionnant les forces supplétives et assimilées, et notamment les harkis.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

Explications de vote et vote sur l’ensemble

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Christian Kert, pour le groupe UMP.

M. Christian Kert. Nous pouvons nous féliciter de la grande qualité de ce débat qui a montré une réelle convergence au sein de notre assemblée pour rendre hommage à toute la communauté harkie, qui le méritait bien.

Au-delà de tel ou tel amendement, notre volonté à tous, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, est de rester fidèles à la pensée d’Albert Camus, l’écrivain algérois, qui pendant si longtemps a tenté, à travers ses écrits et ses actes, de rapprocher les communautés. C’est bien ce que nous avons voulu faire ici, en permettant à la communauté harkie de mieux respirer, dans cette France qui l’a accueillie douloureusement et voudrait aujourd’hui réparer cet accueil.

Nous pouvons nous féliciter que ce texte puisse être voté avant la fin de la législature : ce sera l’un des honneurs de l’Assemblée nationale comme du Sénat, et c’est notre mission de législateur que d’écrire ainsi le mouvement de la liberté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida, pour le groupe SRC.

M. Kléber Mesquida. Si j’ai énuméré tout à l’heure toutes les périodes, depuis les Phéniciens jusqu’aux Français, au cours desquelles l’Algérie a eu à subir soit l’occupant, soit l’envahisseur, soit le colonisateur, c’est pour rappeler que, si la France fut une puissance colonisatrice qui s’employa à conquérir de nouvelles provinces dans d’autres pays, plusieurs autres étaient passées avant d’elles. Et à chaque période d’invasion et d’occupation, on vit des troupes indigènes s’engager auprès des occupants : les zouaves étaient là bien avant que la France n’arrive… Par la suite, l’armée ne pouvant faire face à elle seule, on fit appel à des forces supplétives qui, après 1830, sont devenues des harka, des formations de combattants eux-mêmes dénommés harkis.

Si j’ai regretté que ce texte soit examiné dans la précipitation, la preuve en est faite : il a été déposé au Sénat il y a deux ans, la rédaction initiale du sénateur Couderc a été revue de fond en comble – il n’en subsiste plus une virgule ; le texte a été totalement réécrit, et les derniers amendements déposés montrent qu’il reste des sujets où les interprétations varient au gré des sensibilités des uns et des autres.

Nous aurions pu éviter cette précipitation ; en deux ans, les commissions du Sénat et de l’Assemblée auraient dû avoir le temps de travailler pour mieux ficeler un texte qui reste à mon sens incomplet. Je crains – mais je ne le souhaite pas – que ces lacunes ne soient demain autant de brèches permettant des recours.

Reconnaissons néanmoins que les harkis ont souffert de la stigmatisation, et la diffamation et des injures, surtout lorsqu’elles émanaient d’élus de la République. Je souhaite donc que l’on mette un terme à ce vide juridique, et le groupe socialiste votera ce texte, même s’il regrette que ses amendements n’aient pas été retenus.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe NC.

M. Michel Hunault. Mes collègues se sont fort bien exprimés sur ce texte, très attendu, qui fait l’unanimité.

Les amendements ont été l’occasion d’évoquer des points plus juridiques mais, et Mme Alliot-Marie, ancienne garde des sceaux, et M. le secrétaire d’État ont répondu à nos collègues : notre rôle est de faire la loi, ce qui implique de respecter certaines règles. Si je comprends le sens de leurs amendements, l’essentiel est que nous nous retrouvions pour voter ce texte. Avec mes collègues du Nouveau Centre, je salue le travail du rapporteur et la position du Gouvernement.

Nos collègues socialistes jugent peut-être ce texte imparfait, mais il est heureux que sur des questions aussi importantes que celle-ci ou les commémorations du 11 novembre, l’Assemblée nationale sache faire preuve d’unanimité.

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Nouvelle lecture du projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)