Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires européennes

mardi 16 avril 2013

17 heures

Compte rendu n° 55

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen du rapport d’information de la présidente Danielle Auroi et M. Hervé Gaymard sur l’avenir de la politique agricole commune (rapport établi dans le cadre d’un groupe de travail conjoint avec la Commission des affaires économiques, auquel ont participé également, au titre de la Commission des affaires européennes, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Nathalie Chabanne, MM. Philippe Armand Martin et Gilles Savary) 

II. Examen du rapport d’information de M. Philip Cordery et de M. Michel Piron sur la proposition de directive relative aux qualifications professionnelles

I. Examen du rapport d’information de la présidente Danielle Auroi et M. Hervé Gaymard sur l’avenir de la politique agricole commune (rapport établi dans le cadre d’un groupe de travail conjoint avec la Commission des affaires économiques, auquel ont participé également, au titre de la Commission des affaires européennes, M. Jean–Luc Bleunven, Mme Nathalie Chabanne, MM. Philippe Armand Martin et Gilles Savary) 2

II. Examen du rapport d’information de M. Philip Cordery et de M. Michel Piron sur la proposition de directive relative aux qualifications professionnelles 16

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 16 avril 2013 à 17 heures

Présidence de Mme Danielle Auroi

La séance est ouverte à 17 heures

I. Examen du rapport d’information de la présidente Danielle Auroi et M. Hervé Gaymard sur l’avenir de la politique agricole commune (rapport établi dans le cadre d’un groupe de travail conjoint avec la Commission des affaires économiques, auquel ont participé également, au titre de la Commission des affaires européennes, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Nathalie Chabanne, MM. Philippe Armand Martin et Gilles Savary) 

La Présidente Danielle Auroi, co-rapporteure. Nous abordons aujourd’hui un sujet à forts enjeux, tant pour l’Union européenne que pour notre pays, la réforme de la PAC après 2013. Notre commission a mis en place, conjointement avec la commission des affaires économiques, un groupe de travail afin d’examiner les propositions législatives de la Commission européenne. Nous avons travaillé depuis le mois de novembre, sur la base de tables rondes et d’auditions qui ont réuni l’ensemble des acteurs. Nous nous sommes également déplacés à Bruxelles et Berlin.

Il est important que notre Commission se prononce, au moment où les « trilogues » vont s’engager entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen. Le premier vient de se tenir et a porté sur l’installation des jeunes agriculteurs. En effet, cette réforme sera la première réalisée selon la procédure de codécision. Vous le savez, en faisant du Parlement européen un législateur à égalité avec le Conseil, le Traité de Lisbonne a déplacé les équilibres institutionnels. Sur la réforme de la PAC, un accord est attendu sous présidence irlandaise, c’est-à-dire d’ici la fin juin. Cette réforme de la PAC a été une des principales sources des tensions sur le cadre financier pluriannuel . Elle sera aussi au cœur des enjeux lors de la négociation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. La politique agricole mobilise près de 40 % du budget européen. Je rappelle toutefois qu’en réalité, seulement 0,5 % du PIB européen est consacré à l’agriculture, dans la mesure où il s’agit d’une compétence exclusive. Il est donc nécessaire de remettre les choses en perspective. Finalement, le débat sur les perspectives financières pour 2014-2020 s’est soldé par une diminution d’un peu plus de 13 % du budget agricole, portant davantage sur le deuxième pilier que sur les aides directes. Cette baisse est moins forte qu’on avait pu le craindre et que l’auraient souhaité certains pays « amis du dépenser moins », en clair les opposants traditionnels à la PAC. Dans cette négociation, nous avons pu percevoir une évolution très significative de la position de l’Allemagne, qui s’est rapprochée de celles des pays du Nord et qui se montre très réticente, à la fois sur le verdissement des aides du premier pilier et sur la régulation, c'est-à-dire tout ce qui fait que la politique agricole n’est pas seulement une politique de l’aménagement du territoire mais une politique de régulation des marchés .

Les États membres s’étaient engagés en 2003 sur une remise à plat de la PAC en contrepartie d’une stabilisation de ses crédits pendant 10 ans. Sur quelles bases refonder la PAC après 2013? Deux sujets se sont imposés : la répartition des aides et leur verdissement. Sur chacun, la Commission européenne a fait des propositions qui vont indéniablement dans le bon sens, même s’il est difficile de dévier brutalement la trajectoire d’un paquebot tel que la PAC, pour reprendre l’image d’un de nos intervenants, M. Marc Dufumier.

Conformément au Traité de Rome, l’objectif premier de la PAC reste d’assurer la sécurité alimentaire des Européens, dans un contexte où la courbe d’équilibre entre l’offre et la demande alimentaires s’est inversée depuis 2005. Le député européen Michel Dantin nous a expliqué que l’on se trouve actuellement dans une situation de déséquilibre comparable à celle des années soixante, aggravée par un niveau de prix durablement élevé. À côté de ce défi alimentaire qui justifie à lui seul le maintien d’une PAC forte, se pose la question d’une agriculture durable, alors que les ressources en eau et en terres arables s’épuisent. La réforme de la PAC doit être l’occasion pour l’Union européenne de mettre en œuvre une vision au service des générations futures. En effet, l’Europe ne pourra pas vouloir se montrer exemplaire dans les négociations sur le climat si les préoccupations de développement durable sont écartées pour l’agriculture. La préservation de l’emploi agricole et l’équilibre des territoires ont été au cœur des réflexions de notre groupe de travail.

Le budget de la PAC ne doit pas être un chèque en blanc. Les citoyens reconnaissent le bien-fondé de l’attribution d’aides aux exploitants agricoles pour leur activité de production et leur fourniture de biens publics. Mais il est légitime qu’ils demandent des comptes et que l’attribution de ces aides répondent à un souci de justice et de durabilité. Ce souci d’équité devra porter tant sur la répartition des aides à l’intérieur des États qu’entre les États. Au sein des États membres, même avec des aides représentant 40 % de leur revenu, les agriculteurs ont un revenu significativement moindre que celui du reste de la population. Toutefois, derrière cette situation d’ensemble, des disparités importantes existent, que l’on peut résumer par la formule « 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des aides ». Ces inégalités ont été accentuées par les cours de certaines productions, principalement les céréales qui atteignent actuellement des niveaux très importants. La Commission européenne propose de mettre fin au mode de calcul des aides fondé sur les références historiques et de parvenir en 2019 à une convergence interne, c’est-à-dire à un paiement uniforme à l’hectare, à l’échelle de la région ou de l’État. Cette option était d’ailleurs ouverte dès 2003 ; en Allemagne, cette réforme est déjà effective. Le groupe de travail soutient le principe de cette convergence interne. Il s’agit toutefois de la mettre en œuvre , en respectant le temps de la transition. L’idée d’attribuer une surprime aux 50 premiers hectares, proposée par le ministre français de l’agriculture, a reçu un accueil favorable du commissaire européen à l’agriculture, M. Dacian Ciolos. Elle correspond au souci de renforcer la compétitivité relative des petites et moyennes exploitations et de disposer d’un instrument pour favoriser l’emploi agricole et aboutir à une meilleure occupation du territoire. Le groupe de travail a eu un débat sur la possibilité de doubler cette surprime pour les premiers hectares afin d’accorder un soutien supplémentaire aux petites fermes, sur le modèle de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Le débat a également porté sur le principe du plafonnement et sur son niveau afin de parvenir à un point d’équilibre .

S’agissant de la convergence externe des aides, la solidarité européenne l’impose dans la mesure où plus de 90 % des aides directes bénéficiant actuellement aux 15 anciens États membres. Le groupe de travail soutient sa mise en œuvre. Toutefois, cette convergence externe devra s’apprécier au regard des équilibres sur les deux piliers et sur la politique de cohésion ainsi que des différentiels de situation économique, sociale et fiscale.

L’autre point majeur de la réforme touche au verdissement des aides. Actuellement, hormis les mesures de conditionnalité qui ne sont, pour la plupart, que le simple respect de la législation et les mesures agroenvironnementales dépendant du développement rural, les aides de la PAC sont décorrelées de la prise en compte de l’environnement. Sans qu’il soit question en aucune façon d’opposer les agriculteurs et le reste de la société, il est nécessaire de légitimer les aides de la PAC par la correction de certaines externalités négatives. Les gains de productivité que l’agriculture a enregistrés au cours de ces dernières décennies dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils stagnent, s’est faite au prix de pressions sur l’environnement avec les conséquences que l’on connaît, sur les eaux et les sols. Je souhaite en rappeler quelques exemples. 45 % des sols sont exposés à des problèmes de qualité, attestés par de faibles niveaux de matières organiques. Un rapport du Conseil d’État a rappelé en 2010 les pollutions de l’eau d’origine agricole. Un récent rapport du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé met en lumière l’ensemble des pratiques, pas seulement agricoles, mais aussi industrielles et commerciales, qui n’intègrent pas suffisamment la préoccupation des effets sur la santé, tant des citoyens que des exploitants agricoles, du recours aux pesticides. Il faut mettre en avant le fait que l’agriculture est une des seules activités à même d’atténuer les effets du changement climatique en stockant du carbone dans les sols et la biomasse.

La proposition de la Commission européenne de conditionner le versement de 30 % du montant des aides directes au respect de trois mesures constitue une orientation positive car elle introduit une notion de couplage environnemental des biens publics. Ce paiement vert sera soumis à trois conditions dont chacune devra être respectée. La première est la diversité des cultures, consistant en l’obligation d’avoir au moins trois cultures différentes, aucune ne devant couvrir moins de 5 % et la principale n’excédant pas 70 %. La deuxième condition a trait au maintien des prairies permanentes sur au moins 95 % de la surface de référence en prairies permanentes déclarées en 2014. La troisième condition porte sur le maintien de 7 % de la surface éligible en surfaces d’intérêt écologique, c’est-à-dire jachères, bandes tampons le long des cours d’eau, haies ou bandes enherbées, l’agroforesterie pouvant figurer au nombre de ces critères. Reconnaissons-le, les agronomes s’accordent pour dire que ces mesures ne seront pas, à elles seules, à la mesure des défis écologiques et climatiques. Toutefois, compte tenu des fortes pressions sur le principe même du verdissement sur le premier pilier, apparues tant au Parlement européen qu’au sein des États membres, l’approche de la Commission européenne peut être soutenue. Notre groupe de travail considère que le verdissement doit être constitué des mêmes mesures pour l’ensemble des États afin d’éviter le risque d’une renationalisation de la PAC. S’agissant de la diversification, soulignons que ce n’est pas la diversification des cultures qui est source d’externalités positives mais plutôt la rotation, qui permet de réduire les intrants chimiques. Il faudrait donc tendre vers une rotation de quatre cultures, avec une légumineuse, ce qui permettrait de participer à notre indépendance en protéines. Rappelons que si les oléagineux sont sous le regard de l’Organisation mondiale du commerce, ce n’est pas le cas des protéagineux. Afin qu’il y ait un bénéfice réel pour les surfaces d’intérêt écologique, le taux devrait être porté à 10 %, dans la mesure où il est généralement admis que les exploitations françaises respectent déjà un taux de 4 %. Enfin, il nous est apparu essentiel, s’agissant du critère des prairies permanentes, de parler de stocks, afin de prendre en compte les tentations de retournement prématuré des prairies avant 2014. En terminant sur les aides directes, je soulignerai l’importance pour chaque État membre de disposer de marges de manœuvre suffisantes pour des aides couplées, au nom de motifs environnementaux et économiques.

On regrettera que le développement rural ait fait les frais des arbitrages budgétaires alors que c’est par lui que passent l’essentiel des mesures de soutien aux territoires ruraux et aux modes de production innovants. Regrettons aussi la baisse des taux de cofinancement, dont il ne faudrait pas qu’elle laisse présager d’un mouvement de renationalisation de la PAC. Il est important que cette politique demeure véritablement commune. J’entends par là qu’elle doit rester une politique de solidarité européenne. S’agissant du deuxième pilier , les fraudes à la viande de cheval vendue comme viande de bœuf ont démontré largement la pertinence des circuits courts et de proximité. Ils pourraient être développés en s’appuyant sur la restauration collective publique et privée, ce qui impliquerait sans doute une inflexion de notre législation sur les marchés publics.

J’en terminerai par la grande insuffisance des propositions de la Commission concernant les mesures de régulation. Sur ce point, il nous est proposé de poursuivre le mouvement engagé depuis la réforme de 1992. Hormis les inflexions sur le droit de la concurrence amorcées lors des discussions sur le paquet lait – qui permettent aux organisations de producteurs de négocier, sous certaines conditions, les prix et les volumes avec les transformateurs – les mesures proposées par la Commission européenne ne sont que le prolongement du filet de sécurité existant. Nous partageons avec Hervé Gaymard une vive inquiétude quant à la disparition des quotas laitiers en 2015. En effet, la contractualisation, qui se voulait être une mesure de substitution à ces quotas, démontre ses insuffisances. Il est donc nécessaire de l’adosser à des mesures de gestion de l’offre. L’amendement présenté au Parlement européen consistant à aider les producteurs de lait qui limiteraient leur production en cas de crise semble une voie intéressante. Le groupe de travail a bien sûr pris en compte les préoccupations du secteur sucrier et des départements d’outre-mer.

Je sais qu’Hervé Gaymard, comme l’ensemble du groupe de travail, est favorable à ce qu’une réflexion soit engagée au niveau européen sur la possibilité d’introduire des aides contra cycliques. L’argument de la compatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce ne tient pas ; je rappelle que le farm bill américain prévoit de telles mesures. S’agissant de la régulation, Philippe Armand Martin vous parlera des droits de plantation de vignes, sujet qui tient à cœur à nombre d’entre vous.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. Je me félicite de l’excellente atmosphère et du travail fructueux accompli au sein du groupe de travail commun à notre commission des affaires européennes et à la commission des affaires économiques.

Je commencerai par deux éléments de contexte. Comme l’a noté Mme la présidente, c’est la première fois qu’une réforme de la PAC se fait sous codécision. Auparavant, les négociations se terminaient par rétrécissements successifs des discussions au petit matin , entre le commissaire européen à l’agriculture et les ministres de l’agriculture. Désormais, les négociations se feront en trilogue et le Parlement aura son mot à dire sur tous les sujets bloquants. Dans le contexte où celui-ci a désavoué le projet d’accord sur les perspectives financières , il est difficile de savoir ce qu’il sortira des négociations agricoles. Lors des décennies passées, la procédure qui a prévalu avait déjà abouti à des surprises. On ne peut donc faire aucune prédiction sur ce qui sortira vraiment des négociations finales. Nous intervenons à un moment intermédiaire, avant que ne s’engagent les trilogues. Il était important que le Parlement français fasse entendre sa voix à ce moment précis.

L’autre élément de contexte est lié au fait que c’est la première fois qu’une réforme de la PAC se fait à 27. Celle de 2003 l’avait été à 15, avant les élargissements à l’Est. Les nouveaux États membres, qui n’ont derrière eux que quelques années d’expérience de cette politique, ont également apporté leurs problématiques spécifiques liées au fait qu’ils ont des économies agricoles très différentes des anciens Etats membres. La part de leur population agricole dans la population active est souvent comparable à celle de l’Europe de l’Ouest dans les années soixante, voire des années 50, comme pour la Roumanie.

Je voudrais souligner la déception que ces dix années de paix budgétaire n’ait pas été mis à profit collectivement pour définir un projet ambitieux de réforme de la PAC. Quand la paix budgétaire à été négociée à Luxembourg en 2003, il s’agissait de dire, non seulement aux Etats membres, mais aussi aux organisations professionnelles : vous avez dix années pour réformer la PAC, sans l’angoisse d’une nouvelle réforme à court terme. Or on se rend compte que les propositions qui nous sont faites sont bien modestes, souvent hésitantes et sans véritable vision d’avenir, notamment dans le nouveau contexte international.

La mémoire reptilienne des Etats membres est très importante et détermine leur vision de la PAC. Ainsi , la Grande Bretagne qui a toujours eu des approvisionnements à bas prix par le biais de ses territoires d’empire et qui n’a jamais vraiment souffert de la faim, y compris pendant la guerre , n’a pas du tout la même vision que les pays continentaux. Ceux-ci ont connu des disettes et des pénuries , notamment pendant la seconde guerre mondiale. En 1945, ils dépendaient largement de l’étranger pour leur nourriture. La nécessité d’ une politique agricole commune forte afin de ne pas être dépendants de l’extérieur est, en conséquence, beaucoup plus prégnante dans ces pays. M. Alain Lamassoure, président de la Commission des budgets au Parlement européen, que nous avions auditionné au cours de la précédente législature, avait rappelé que la Grande Bretagne n’avait jamais connu la faim pendant la seconde guerre mondiale car elle était approvisionnée par bateaux de ses colonies. Les anglais n’ont donc pas « génétiquement » la même vision de la PAC.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu un changement complet de perspective qui n’a pas encore été intégré. Avant les crises alimentaires de 2007, le lieu commun et la pensée unique consistaient à dire que l’on produisait trop. Quand un ministre de l’agriculture , dans les enceintes internationales, se risquait à dire que l’agriculture était une activité noble et qu’il fallait produire plus pour nourrir les hommes, il était accusé de protectionnisme ! Maintenant, les projections démographiques ainsi que l’augmentation de l’intensité nutritionnelle de la consommation de certains pays comme la Chine montrent que les politiques agricoles sont pleinement justifiées, au Nord comme au Sud, et au Sud comme au Nord. Cependant, dans l’enceinte multilatérale de l’Organisation mondiale du commerce et du cycle de Doha – ou du moins dans ce qu’il en reste car même s’il y a une tentative d’avancée du cycle à Bali en décembre prochain, ces négociations sont dans une impasse – ce paradigme n’a pas changé. Cette réforme est donc une réforme à mi-chemin ou à mi parcours. Il faut déjà préparer la prochaine afin d’intégrer les besoins mondiaux en termes alimentaires et la nécessité de lutter contre la spéculation internationale, ce dernier point ayant été une des priorités de la France lors de sa présidence du G20.

Si nous devons examiner les outils de la PAC puisque c’est le sujet, il ne faut pas oublier que ce qui fait une politique agricole ne se limite pas à ces instruments communautaires. Les politiques nationales sont au moins aussi importantes, s’agissant de l’environnement fiscal, de la compétitivité , de la prise en compte des coûts de la main d’œuvre et de l’intensité des normes. Dans une vision rétrospective, on se rendra compte que la percée de l’Allemagne en matière d’exportations agricoles n’est pas le fait de la PAC dans la mesure où tous les pays sont logés à la même enseigne , sous réserve des marges d’ajustement nationales. Cela tient à l’avantage compétitif en termes de coût de la main d’œuvre, dans des secteurs comme les fruits et légumes qui nécessitent beaucoup d’emplois. La prise en compte de l’environnement social et fiscal est trop souvent négligée quand on parle de politique agricole.

Pour resituer cette réforme dans l’histoire cinquantenaire de la PAC, il faut rappeler que l’on est passé par plusieurs stades. La PAC initiale était basée sur un soutien aux productions dont il faut insister que toutes n’étaient pas soutenues. Les organisations communes de marché, mises en place dans la décennie soixante, concernaient les secteurs de la viande rouge, des céréales, du sucre et du lait. Les autres productions n’étaient pas dans le champ des aides. Ainsi, il y avait bien une organisation commune de marché pour la viticulture mais elle ne concernait que les droits de plantation et les aides étaient limitées à des aides à la distillation de crise. Il n’y a jamais eu non plus d’aides financières à la production de vin, contrairement à ce que certains pensent. Il n’y a jamais eu d’aides financières à la production de viande blanche comme les volailles ou le porc, comme il n’y en a jamais eu pour les fruits et légumes. Contrairement à une idée reçue, la PAC n’a jamais été universelle. La première PAC s’occupait donc de certains produits pour lesquels les acteurs de la filière s’étaient entendus avec les autorités communautaires afin de créer une organisation commune de marché substantielle. La deuxième étape a été liée à la réforme de 1992 par laquelle on est passé de soutiens au prix des productions à des aides directes aux producteurs, mais seulement à ceux qui étaient concernés par les organisations communes de marché initiales, les autres producteurs en restant exclus. La troisième étape qui était contenue en filigrane dans la réforme de 2003 mais qui n’ose pas dire son nom, consiste maintenant à aider les surfaces. C’est toute la logique du découplage des aides décidée en 2003, même si la France a obtenu la possibilité de coupler certaines aides et a usé des marges de manœuvre qui lui étaient accordées. Pour dire les choses de façon abrupte et de manière quelque peu caricaturale, on peut considérer désormais que la PAC est un politique de soutien territorial avec un filet social de sécurité. S’orienter durablement dans cette direction a un côté absurde qui conduit, ainsi que le soulignait la présidente, à aider des producteurs alors que les cours sont élevés et à ne pas assez les aider quand les cours baissent. Les politiques contra cycliques seraient adaptées. Elles sont toutefois très critiquées . En effet, on est resté sur les souvenirs des années soixante des montagnes de beurre et de poudre de lait où la PAC de grand papa , après des succès initiaux éclatants avait connu des effets pervers. L’époque a changé et il devrait être possible de mettre en place des mécanismes de régulation de marché afin d’obvier les défauts de la PAC des années soixante-dix.

Sur les mesures qui nous sont proposées par la Commission européenne pour la réforme de la PAC, et notamment sur le verdissement, il faut souligner qu’il y a déjà beaucoup de choses de faites. Les bandes enherbées étaient déjà un sujet de négociations. Pour autant, l’accomplissement du verdissement dans les premier et deuxième piliers va assurément dans la bonne direction. Puisque le Président de la République a parlé de choc de simplification, ce choc doit aussi concerner l’agriculture. Le sujet ne date pas d’aujourd’hui. Il y a un fatras de contraintes administratives qui pèsent sur les agriculteurs français dont je ne suis pas certain qu’elles soient appliquées avec le même zèle dans toute l’Union européenne, ce qui crée des distorsions de concurrence. C’est également sans compter la désespérance que la mise en œuvre de règles souvent fluctuantes procure au monde paysan. Ce choc de simplification permettrait de sortir de cette insécurité réglementaire qui ruine la confiance qu’ont les agriculteurs dans l’avenir. Cela ne coûterait pas très cher et serait susceptible de leur redonner confiance. Il est en effet un sujet dont on ne parle pas assez qui est le suicide chez les agriculteurs qui doit nous servir de feu rouge et nous alerter.

La prise en compte dans la réforme des territoires défavorisés est cruciale. Je pense qu’il serait utile que nous précisions la nécessité de la prise en compte des agricultures iliennes et de marais, dans les régions comme la Bretagne, le Poitou ou Pays-de-Loire. Ce sont des sujets qui n’apparaissent pas importants vu de Bruxelles, mais qui localement sont essentiels.

Sur la question de la surprime aux premiers hectares et sur celle du plafonnement, la réforme va dans le bon sens. Sur le premier point, avec l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, le doublement des vingt-cinq premiers hectares est déjà possible. Cela a favorisé les petites et moyennes exploitations. La surprime aux cinquante premiers hectares telle que l’a présentée le ministre français de l’agriculture me convient. S’agissant du plafonnement et de la dégressivité, je n’ai pas d’objection de principe. Mon collègue Antoine Herth fera, devant la commission des affaires économiques , ses propres remarques sur le sujet. Il faut regarder ce qui signifierait concrètement cette mesure pour les exploitations françaises, en termes d’impact. Mais en tout état de cause, la France ne sera pas la plus gênée par cette mesure. Généralement, ce sont les allemands et les anglais qui, en toute discrétion, tuent toute tentative de plafonnement qui , compte tenu de la structure de leurs exploitations, leur serait défavorable.

J’ai un point de divergence dans le rapport s’agissant de la gouvernance régionale dont il est dit qu’il faudrait toutefois qu’elle s’exerce dans un cadre communautaire ou nationale. Il faut bien sûr prendre en compte les spécificités régionales. Mais dire que les régions, collectivités territoriales, doivent assurer la gestion des crédits du deuxième pilier de la PAC, me parait hasardeux. Que l’on prenne, au niveau national, des règles d’adaptation régionale en fonction des agricultures différenciées est justifié. Mais je ne suis pas favorable à ce que les régions gèrent les crédits du développement rural comme elles ambitionnent de gérer le Fonds européen de développement régional. Nous avons la chance d’avoir en France des régions, des départements, des communes et communautés de communes qui tous mettent en œuvre des politiques agricoles efficaces leur permettant de faire du «  cousu main » en fonction des spécificités locales. Il faut que ces marges de manœuvre aux initiatives locales demeurent. Ainsi, sur le développement des circuits courts et de proximité, élaborer des règlements européens ne serviraient à rien alors que l’on peut mettre en place ce genre d’initiatives , de façon très efficace, par le biais de contrat de développement territorial entre les collectivités et les différents acteurs.

M. Philippe Armand Martin. La viticulture un secteur très spécifique. C’est pourquoi la réforme décidée par Bruxelles en 2008 sur l’organisation commune du marché viti-vinicole était inadaptée. Elle prévoyait la libéralisation totale des droits de plantation à compter de 2016 ou 2018, selon les États membres. La fin de la régulation signifiait qu’il devenait possible de planter des vignes partout, y compris à la périphérie des grands vignobles. Cela aurait eu des conséquences économiques mais aussi sociales et environnementales graves. Aujourd’hui, les vignobles sont implantés sur les coteaux. Si les droits de plantation disparaissaient, on planterait sur les plaines, plus faciles d’accès. Cela se serait traduit par la production de vins de moindre qualité. L’unité des États membres et des producteurs, avec l’appui fort des députés européens et de nombreux parlementaires nationaux, en particulier français, a convaincu la Commission européenne de revenir sur cette réforme. Les discussions ont ainsi été rouvertes en mars 2012, avec la constitution d’un groupe à haut niveau, qui a fourni un document de base sur lequel le Parlement européen et le Conseil ont travaillé.

Un nouveau dispositif de régulation est proposé. Reposant sur le principe, non plus de l’interdiction, mais celui de l’autorisation. Il concernerait tous les États membres producteurs et couvrirait toutes les catégories de vins, y compris les vins sans indication géographique. Il s’agit là d’une évolution importante car la Commission européenne a longtemps plaidé pour une régulation du potentiel limitée aux seuls vins sous signe de qualité et d’origine. La gestion du dispositif relèverait de la responsabilité des États membres, qui justifieraient les autorisations en fonction de critères économiques, qualitatifs ou de préservation de la notoriété. La plantation de vignes ne serait possible que sur autorisation. L’autorisation serait gratuite et incessible. Les plantations nouvelles seraient encadrées par un plafond communautaire annuel d’augmentation fixé à 1 % du vignoble, un État membre pouvant décider d’abaisser ce plafond de le limiter au niveau régional. Ainsi, en France, où les vignes représentent 850 000 hectares, cela concernerait 8 000 hectares par an environ. Si les demandes dépassent la limite prévue au niveau de l’État membre, il y aura application de critères de priorité. Les États membres pourraient prendre en compte les recommandations des organisations professionnelles. Pour les producteurs qui arrachent, l’autorisation de plantations serait automatique et les autorisations ne seraient pas comprises dans le pourcentage de nouvelles plantations. Les droits de plantation valables jusqu’en 2016 ou 2018 selon les États membres pourraient être convertis en autorisations de plantation. Le dispositif entrerait en vigueur au 1er janvier 2019 pour une durée de 6 ans, ce qui est un peu court. Aussi, la proposition de résolution demande-t-elle que ce délai soit porté à 2030, comme le suggère le Parlement européen.

La Présidente Danielle Auroi, co-rapporteure. Je vais vous faire lecture des différents points de notre proposition de résolution.

M. Jérôme Lambert. Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit et soutient la proposition de résolution. Je voudrais avoir votre avis sur un sujet qui m’apparaît fondamental, celui de l’emploi agricole. Au lieu d’accorder des subventions sur la base des quantités produites, comme au début de la PAC, ou sur la base des hectares cultivés, comme aujourd’hui, ne pourrait-on imaginer d’ajouter un critère tenant compte de l’emploi agricole ? Ainsi, une exploitation agricole qui ferait vivre dix personnes ne pourrait-elle pas être davantage aidée qu’une exploitation qui ne fait vivre que deux personnes sur le même nombre d’hectares ? Cette réflexion est-elle possible ?

M. Michel Piron. Pour rebondir sur votre rapport très intéressant, j’ai trois questions. Sur la compétitivité, vous avez évoqué ce qui se passe en Allemagne, dans le secteur des légumes en particulier. Pourriez-vous nous préciser quelles sont les relations entre production, transformation et distribution en Allemagne ? S’agissant de la sécurité sanitaire et alimentaire, qu’appelle-t-on exactement « circuits courts » ? Prend-on en compte les distances courtes ou le nombre limité d’intermédiaires ? Enfin, Hervé Gaymard a évoqué la question des stocks. Les anciens stocks gérés par la puissance publique ne se sont-ils pas transformés en des stocks nouveaux gérés par les spéculateurs ?

M. Jean-Louis Roumegas. Il m’apparaît que les propositions faites par la Commission européenne sont en recul par rapport à celles faites en 2011, tant sur les aides que sur les politiques de qualité. S’agissant du plafonnement des aides, quels sont les enjeux ? Vous proposez, dans la proposition de résolution, de fixer le plafond à 200 000 euros. La Commission européenne propose le chiffre de 300 000 euros, ce qui équivaut à une redistribution portant sur 0,12 % des exploitations et représentant seulement 1,45 milliard d’euros sur un total de 373 milliards d’euros. Le groupe écologiste est favorable à un plafonnement à 100 000 euros, ce qui correspond à une redistribution touchant 3,5 % des exploitations et portant sur 4,8 milliards d’euros. Ce recul est regrettable, même si votre proposition de résolution essaie de rétablir des objectifs plus ambitieux.

L’enjeu principal est de privilégier l’aspect qualitatif dans la PAC. Il est, à cet égard, essentiel d’aider des cultures jusqu’à présent non aidées, comme les cultures méditerranéennes. Elles correspondent à la nécessaire réorientation de notre alimentation et répondent à des objectifs diététiques pour les consommateurs. Il s’agit d’encourager des productions de qualité.

Il faut également poursuivre un objectif social, celui du maintien de l’emploi paysan et de l’aménagement du territoire. Il faut réinstaller des paysans sur nos territoires. Sécurité et qualité des produits alimentaires devraient être les objectifs de cette réforme.

Je vous remercie tout de même pour cette proposition de résolution qui essaie de rétablir certains des objectifs posés en 2011.

La Présidente Danielle Auroi, co-rapporteure. Je rappelle que la proposition de résolution que nous vous présentons aujourd’hui ne constitue que la synthèse de notre rapport. Elle est destinée à soutenir le ministre français de l’agriculture dans les négociations dans le cadre des trilogues. Le rapport qui sera bientôt diffusé est plus explicite et précis et comprend l’ensemble des contributions des différents intervenants.

L’adoption du texte sous présidence irlandaise constitue un réel enjeu. En effet, dans le cadre de la présidence tournante de l’Union européenne, la Lituanie, qui succédera à l’Irlande, est plus influencée par les nouveaux États membres intégrés, Allemagne de l’Est, Pologne ou Hongrie notamment, qui disposent d’immenses exploitations héritées des anciens sovkhozes et ont des intérêts différents des nôtres. Tout le travail patient mené, notamment sur la surprime aux cinquante premiers hectares, pourrait être menacé. Il faut donc travailler dans cette logique des échéances.

Je veux dire à Jérôme Lambert que nous avons largement discuté, au sein du groupe de travail, de la prise en compte de l’emploi. Il nous est apparu qu’il fallait mieux ne pas y faire référence afin que la proposition de résolution soit plus acceptable vis-à-vis de nos partenaires européens. Nous avons privilégié les hectares. Toutefois, l’emploi a été au cœur de notre démarche, comme cela est souligné dès le début du rapport.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. J’ajoute que des dispositions telles que la surprime dès les premiers hectares constituent en elles mêmes une prise en compte de la notion d’emploi dans la mesure où les premiers hectares sont plus intensifs en emploi. Des mesures telles que la réforme de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, les mesures de découplage comme la prime au maintien du troupeau à la vache allaitante, la prime herbagère agro-environnementale pour les systèmes herbagers extensifs, allaient dans ce sens. On considère à juste titre que plus la taille de l’exploitation augmente, moins cette dernière nécessite de main d’œuvre. Par ailleurs, l’emploi ne peut être envisagé de la même manière dans l’ensemble des filières. Ainsi les grandes cultures nécessitent peu d’emploi à l’hectare, par définition. Les productions végétales impliquent beaucoup de main d’œuvre mais d’une façon saisonnière. L’élevage, notamment pour le lait, fait appel à de nombreux emplois, de façon permanente.

Je suis d’accord sur la réflexion de Michel Piron sur la compétitivité de l’Allemagne sur la filière des fruits et des légumes. Sans doute des études ont-elles déjà été faites sur le lien entre distribution et agriculteurs, car le sujet n’est pas neuf. S’agissant de leur filière laitière, elle a été développée et intégrée par le biais d’une stratégie de distribution, le hard discount, dans le cadre duquel ne sont vendus et exportés que des produits allemands. Cela vaut aussi pour les produits charcutiers – grâce au hard discount, les Allemands ont pu exporter plus facilement.

La Présidente Danielle Auroi, co-rapporteure. Je précise que, quand nous avons rencontré les députés du Bundestag, nous avons pu constater que les Bavarois étaient plus proches de nos positions alors que les représentants des États où il y a les grandes exploitations avaient des positions divergentes. Un dialogue avec eux serait intéressant notamment sur la question du plafonnement. Sur ce dernier thème, nous avons proposé une position de compromis à 200 000 euros, afin qu’elle soit acceptable au niveau européen.

Les sujets relatifs à la sécurité « sanito-alimentaire » sont nouveaux. Il est important de les intégrer à notre réflexion. Cela peut être illustré à travers le récent pic de pollution de l’air en région parisienne dû à deux grands polluants: la circulation routière et les polluants agricoles du bassin parisien.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. L’enjeu des circuits courts est de diminuer le nombre des intermédiaires. Plusieurs solutions sont possibles. Aussi concernant le maraîchage qui se développe à proximité des centres urbains avec les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), les marges de progression sont importantes. Mais cela se heurte à la question du foncier.

S’agissant des stocks régulateurs, dans le cadre des travaux de la FAO sur la lutte contre la spéculation et la crise alimentaire, la France avait fait la proposition lors de sa présidence du G20 d’instituer des stocks régulateurs de riz et de céréales, au niveau international afin d’éviter les envolées spéculatives. La question de la gestion publique des stocks est fondamentale tant au niveau national qu’international.

La Présidente Danielle Auroi, co-rapporteure. Le rapport de suivi du G20 permettra de faire un point sur le sujet.

Je mets aux voix la proposition de résolution européenne. Elle est adoptée en l’état à l’unanimité.

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et notamment son article 43,

Vu les communications de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au comité des régions, du 18 novembre 2010, « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire- relever les défis de l’avenir »(Com[2010]672 final) et du 12 mars 2012, « La prise en compte de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de l’agroforesterie dans les engagements de l’Union en matière de changement climatique » (Com[2012]94 final),

Vu l’ensemble des propositions de règlements dénommé « Propositions législatives pour la PAC après 2013 » du 19 octobre 2011, et composé des propositions suivantes :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune- (COM [2011]625 final), E 6722,

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant organisation commune des marchés de produits agricoles (OCM unique)-(COM [2011]626 final) E 6723,

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader)-(COM [2011] 627 final), E 6724,

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune-(COM [2011] 628 final), E 6725,

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les mesures relatives à la fixation de certaines aides et restitutions liées à l’organisation commune des marchés des produits agricoles-(COM [2011) 629 final], E 6726,

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne le régime de paiement unique et le soutien aux viticulteurs ( SEC [2011]° 1153 et 1154),E 6728,

Considérant que la politique agricole commune (PAC) est une base essentielle de la solidarité européenne et contribue au développement équilibré des territoires ;

Considérant les risques de déséquilibres entre l’offre et la demande de produits agricoles au niveau mondial et l’importance stratégique de l’alimentation ;

Considérant en conséquence, que l’objectif premier de la politique agricole commune doit rester d’assurer la sécurité alimentaire des citoyens européens ;

Considérant que les agriculteurs doivent être justement rémunérés, tant pour leur activité de production que pour la fourniture de biens publics ;

Considérant que l’agriculture est un secteur de production spécifique auquel les règles et mécanismes de marché applicables aux autres secteurs ne sont pas tous transposables ; que l’existence d’une politique agricole se justifie donc pleinement pour assurer la pérennité d’un modèle agricole européen productif, respectueux de l’environnement et contribuant à l’équilibre des territoires, au dynamisme de l’emploi ainsi qu’ à la création de valeur ajoutée ;

Considérant que l’agriculture peut contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique et de préservation de l’environnement ;

Considérant que les nouvelles orientations de la PAC doivent prendre en considération la rareté des ressources, de l’énergie, des sols et de l’eau ;

Considérant les exigences de préservation de la santé humaine qui doivent être prises en compte dans les objectifs de la PAC ; il en est ainsi en particulier des risques liés à l’utilisation des produits phytosanitaires qui devront faire l’objet d’une évaluation régulière ;

Considérant le rôle macroéconomique de l’agriculture et sa contribution positive à la balance commerciale française ;

1. Rappelle que le budget de la PAC représente moins de 0,5 % du produit intérieur brut de l’Union européenne ; prend acte des résultats des négociations sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 décidant une baisse des crédits de la PAC, qui devront donc être utilisés plus efficacement et être légitimés en tendant vers plus d’ équité et de durabilité ;

2. Estime que la réforme de la PAC doit contribuer à soutenir l’emploi, ce qui implique une réallocation des aides à l’échelle nationale, des instruments de régulation assurant une visibilité sur les revenus ainsi qu’une aide substantielle à l’installation afin de relever le défi générationnel de l’agriculture européenne ;

3. Souligne que la dépendance de l’Union européenne à l’égard des importations de protéines végétales est source d’insécurité et pèse sur les coûts de production; demande en conséquence que les instruments de la PAC participent à la relance de la production de protéines végétales ;

4.  Rappelle que la sécurité alimentaire suppose la prise en compte des préférences collectives des consommateurs, de l’exigence de qualité et de traçabilité des aliments ainsi que le respect pour les produits importés, des normes que l’Europe impose à ses exploitants ;

5. Demande la mobilisation des outils disponibles de la PAC en faveur de l’élevage, au nom de sa valeur ajoutée économique et sociale et des enjeux d’équilibre des territoires, de préservation de l’environnement et de souveraineté alimentaire ;

6. Approuve l’abandon des références historiques et le principe de convergence interne des aides directes mais estime que leur mise en œuvre doit respecter la diversité des agricultures et ménager une période de transition suffisante ;

7. Salue la possibilité d’allouer une surprime aux cinquante premiers hectares permettant à la fois de favoriser l’emploi et de prendre en compte la diversité des exploitations, demande que la possibilité reste d’ouverte d’accorder une surprime supplémentaire, pour les tout premiers hectares ;

8. Souhaite la mise en place d’une aide par exploitation dégressive à partir de 100 000 euros et plafonnée à partir de 200 000 euros ;

9. Se félicite du maintien du principe d’un fonds d’aide aux plus démunis mais déplore la baisse de son financement et les aménagements qui menacent de le dénaturer ;

10. Plaide pour que soit ouverte la possibilité d’affecter aux aides couplées à la production, 20 % des enveloppes nationales, pour des motifs environnementaux, d’aménagement du territoire et économiques ;

11. Souscrit à la proposition de la Commission européenne de conditionner le versement de 30 % des aides du premier pilier à la mise en œuvre de trois mesures dites de verdissement afin de rémunérer les agriculteurs pour leur contribution à la protection de l’environnement ;

12. Demande que le verdissement encourage, dans toutes ses composantes, les systèmes herbagers et soit soumis aux conditions suivantes :

- une application de mesures identiques dans l’ensemble des États membres,

- un système d’équivalence garantissant un niveau d’exigence environnemental strict,

- un taux de surfaces d’intérêt écologique de 10 % de la surface éligible,

- une diversification des cultures permettant de s’engager vers une rotation des cultures plus efficace pour la préservation des sols et la limitation des intrants ;

- un maintien effectif du stock des prairies permanentes ;

13. Regrette l’insuffisance des propositions de la Commission européenne en matière de régulation, qui ne donnent pas à la PAC les moyens de participer à la stabilisation des revenus des exploitants agricoles ;

14. S’inquiète des conséquences de la disparition des quotas laitiers, insiste sur la nécessité d’un mécanisme d’ajustement de l’offre à la demande et soutient la proposition du Parlement européen d’attribuer une compensation financière aux producteurs de lait réduisant volontairement leur production en période de crise ;

15. Salue le maintien d'un encadrement des plantations de vignes, sous la forme d'un régime d'autorisation des plantations nouvelles applicable à l'ensemble des plantations et demande que ce dispositif soit maintenu, comme le propose le Parlement européen jusqu’en 2030 ;

16. Estime nécessaire le maintien jusqu’en 2020 des quotas sucriers ;

17. Demande que soit étudiée la possibilité de déclencher des mesures d’intervention en fonction non seulement de la variation de prix, mais aussi de la variation de la marge revenant à l’agriculteur, qui peut être également liée aux coûts de production ;

18. Propose de supprimer la condition d’absence de position dominante des organisations de producteurs dans le cadre du processus de reconnaissance par les pouvoirs publics, pour la transformer en absence d’abus de position dominante, afin de rapprocher le droit agricole du droit commun ;

19. Considère indispensable d’étudier la possibilité d’introduire une part de contracyclicité dans l’attribution des aides ;

20. Regrette que le développement rural ait fait les frais des arbitrages budgétaires et s’interroge, dans ce contexte, sur la pertinence de prise en charge de dispositifs assurantiels par le deuxième pilier ;

21. Estime que la baisse des taux de cofinancement des aides du développement rural va à l’encontre des objectifs de solidarité européenne ;

22. Juge pertinent que les États membres consacrent une part minimale de 25 % du montant des fonds du développement rural aux actions en faveur du climat et de l’environnement, en prenant en compte les spécificités des départements d’outre-mer ;

23. Souhaite que les actions du deuxième pilier soient particulièrement ciblées vers la promotion des circuits courts et de proximité, l’appui à la recherche et l’innovation, le soutien aux petites fermes et aux modes de production durables et aux agricultures diversifiées ;

24. Souligne la contribution des régions agricoles défavorisées, notamment les zones de montagne, les îles et les marais, au dynamisme des régions rurales et à la préservation de la biodiversité justifiant pleinement des aides compensatrices des coûts de production comme l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) ; demande que la révision des zones défavorisées simples ne mette pas en cause les équilibres de ces zones ;

25. Demande à l’Union européenne de mieux coordonner ses politiques agricole, commerciale et de développement.

26. Insiste pour que la politique commerciale européenne soit en cohérence avec la PAC , qu’en particulier, dans le cadre des négociations multilatérales à l’Organisation mondiale du commerce, les concessions sur le « paquet agricole » de 2008 soient considérées comme une ligne rouge et que les négociations bilatérales s’engagent sur la base d’études d’impact , prenant en compte les conséquences sur l’ensemble des filières afin que l’agriculture ne soit pas la monnaie d’échanges sur d’autres secteurs offensifs pour l’Union européenne comme les marchés publics ou les services ;

27. Plaide pour la poursuite des efforts au niveau multilatéral de lutte contre la volatilité des prix des matières premières agricoles, et notamment contre les prises de position purement spéculatives des fonds indiciaires.

28. Soutient la création d’un Comité européen de lutte contre le gaspillage alimentaire. »

II. Examen du rapport d’information de M. Philip Cordery et de M. Michel Piron sur la proposition de directive relative aux qualifications professionnelles

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Nous vous avions présenté en décembre dernier une communication d’étape sur cette proposition de révision de la directive de 2005 sur les qualifications professionnelles. Pour mémoire, le texte a pour objectif d’améliorer les procédures de reconnaissance des qualifications pour faciliter la circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne, afin de créer de la croissance et des opportunités d’emploi pour tous les citoyens de l’Union, et notamment les jeunes, qui souffrent de taux de chômage extrêmement élevés.

La commission IMCO (marché intérieur et protection des consommateurs) du Parlement européen a adopté le 23 janvier dernier le rapport de Mme Bernadette Vergnaud qui a obtenu un mandat pour aller au trilogue. Si la présidence irlandaise espère parvenir à un accord avant la fin du semestre, la date indicative du vote en séance plénière au Parlement européen, repoussée plusieurs fois, a été fixée pour l’heure au 9 septembre 2013. Je veux ici saluer les efforts accomplis par la rapporteure pour sa recherche permanente d’un compromis ambitieux.

Sans rentrer dans tous les détails du texte que nous vous avions longuement présenté lors du rapport d’étape, nous souhaitons vous informer sur les principales évolutions du texte.

Concernant la carte professionnelle européenne, la France a indiqué être favorable à son introduction mais s’est déclarée contre la reconnaissance tacite promue par la Commission et le Parlement européen, qui souhaitaient inciter les États à se prononcer dans des délais rapides. Plusieurs avancées ont été obtenues dans le cadre des travaux au Conseil. L’introduction d’une carte devra désormais être préparée par une analyse d’impact. Les rôles des États membres d’accueil et d’origine ont été clarifiés, et l’État membre d’accueil pourra désormais refuser la demande si l’État d’origine ou le professionnel n’ont pas fourni tous les documents demandés, tandis qu’un délai supplémentaire de deux semaines renouvelable une fois pour instruire le dossier a été accordé à l’État d’accueil. La France et d’autres pays ont ainsi levé leur réserve, ouvrant la voie à un accord. Une question importante reste ouverte : celle de la suspension des délais en cas de demande d’information additionnelle. Nous approuvons pour notre part la création de cette carte professionnelle européenne.

Concernant l’extension du champ de la directive aux stages rémunérés, rappelons que dans sa proposition initiale, la Commission souhaitait qu’en vue d’accorder l’accès à une profession réglementée, l’État d’origine reconnaisse le stage accompli dans un autre État et certifié par l’autorité compétente de cet État.

Un certain nombre d’États membres se sont montrés réservés, à l’instar de la France. La Commission et le Parlement européen y sont de leur côté très attachés.

Un compromis a été trouvé au Conseil, prévoyant que si l’accès à une profession réglementée dans l’État d’origine est subordonné à la réalisation d’un stage professionnel et que ce stage a été effectué dans un autre État membre et/ou dans un pays tiers, l’autorité compétente de l’État d’origine doit le prendre en compte lors de l’examen d’une demande d’autorisation d’exercice de la profession réglementée. Ce compromis, soutenu par la Commission, a permis à une majorité d’États membres, jusqu’à présent réticents, de lever leur réserve sur l’inclusion des stages dans le champ de la directive.

Le Parlement européen, quant à lui, a approuvé la proposition initiale de la Commission obligeant l’État d’origine de reconnaître les stages effectués dans un autre État, sans retenir le caractère rémunéré. L’amendement adopté permet toutefois de limiter leur durée et précise que cette reconnaissance ne remplace pas un examen qui doit être réussi pour pouvoir accéder à la profession concernée. Le Parlement européen propose également qu’un contrat de stage spécifie au moins les objectifs d’apprentissage et les tâches assignées.

La position du Conseil en vue de l’examen de cette question dans le cadre des trilogues est de considérer les amendements du Parlement européen comme inacceptables. La France a d’ailleurs souligné, lors d’un groupe de travail, que le compromis trouvé au Conseil était le seul qu’elle pouvait accepter. Les discussions vont donc continuer sur ce sujet.

Nous considérons pour notre part que les stages peuvent être pris en compte mais à la condition expresse qu’ils soient rémunérés et reconnus dans le pays d’origine.

Concernant l’harmonisation des conditions de formation minimales pour les professions sectorielles, et notamment la profession d’architecte, la Commission européenne a souhaité actualiser la durée minimale de la formation d’architecte, de quatre ans dans l’actuelle directive, et a proposé de porter cette durée à six ans : quatre années d’études et deux années de stage rémunéré ou cinq ans d’études à temps plein et un an de stage, ce qui constituait une avancée pour la France.

Certains États, et notamment l’Espagne, qui voit son secteur du bâtiment sinistré, ont souhaité revenir sur cette durée et proposer un système double avec une formation de cinq ans d’études à temps plein sans stage ou quatre ans d’études à temps plein et deux ans de stage, proposition reprise par la Présidence dans le texte du Conseil et soutenue à la fois par la Commission et le Parlement européen qui a adopté des amendements dans ce sens. La France, l’Allemagne, la Roumanie ou encore le Royaume-Uni se sont montrées très réservées, mais la France a finalement fait preuve de souplesse, en contrepartie de l’insertion d’une référence, ajoutée par la Présidence, au développement durable dans la liste des compétences que doit garantir la formation. Certains États restent toutefois encore réservés : la Belgique, la Pologne, Malte, la Roumanie et la Bulgarie. Le prochain trilogue du 24 avril devra trancher la question.

Les sages-femmes et infirmiers responsables de soins généraux étant deux professions très mobiles, les enjeux sont importants pour de nombreux pays de l’Union.

La proposition de directive prévoyait que les nouvelles exigences de ces métiers soient prises en considération et que les États membres mettent à niveau le critère d’accès aux formations de ces professions, en le faisant passer de dix années d’enseignement scolaire général à douze années, ce qui est déjà le cas dans vingt-quatre États membres. La profession elle-même, au niveau européen, est favorable à cette évolution, qui consacrerait un enrichissement de ses compétences.

Il s’agit là d’un grand changement pour les pays de l’Est, qui explique que la Pologne et la Roumanie demandent la régularisation de leurs infirmières déjà formées.

L’Allemagne, de son côté, s’est fortement opposée à ce changement, de crainte de voir se créer des pénuries dans un secteur qui connaît déjà problèmes de recrutement.

Un compromis a donc été trouvé pour cette profession avec la mise en place d’une alternative entre une formation d’une durée de douze ans ou une formation d’une durée de dix ans avec un renforcement de la liste des compétences des infirmiers, suivant ainsi les propositions du Parlement européen.

S’agissant des sages-femmes, une mise à jour de la liste des compétences a été intégrée dans le texte du Conseil. Ce dernier propose de préciser que les trois années d’études de sage-femme contiennent au moins 4 500 heures de formation théorique et pratique, dont un tiers de formation clinique.

Des divergences sont apparues entre les États membres à la fois sur le seuil du nombre d’heures et sur la proportion de la formation clinique. La France a soutenu le principe du cumul du nombre d’années et du nombre d’heures de formation mais en plaidant pour un seuil de 4 600 heures, dont la moitié de formation clinique.

Le compromis finalement retenu est de fixer le seuil à 4 600 heures, dont un tiers de formation clinique. En revanche, un certain nombre d’États se sont déclarés défavorables sur certains points à l’amendement du Parlement européen visant à mettre à jour la liste des activités exercées par les sages-femmes, telles que la possibilité de prescrire des médicaments ou d’exercer la profession de manière autonome. Les discussions vont donc se poursuivre sur ce point en trilogue avec le Parlement européen.

Il convient également de relever que les activités exercées par les pharmaciens ont été revues, en conformité avec les propositions du Parlement européen. Ce point a encore été discuté dernièrement en groupe au Conseil, notamment sur la prise en compte dans la liste des soins pharmaceutiques et de la dispensation des médicaments. La Présidence fera circuler une proposition.

Concernant les médecins, autre profession très mobile, la Commission a proposé initialement de réduire la durée de la formation médicale de base de six à cinq ans, tout en rendant cette durée cumulative avec le nombre de 5 500 heures de formation. La France tout comme l’Italie, la Belgique ou encore les Pays-Bas se sont initialement déclarées opposés à cette réduction de six à cinq ans du socle de base de formation, qui est la durée actuellement en cours au Royaume-Uni et en Irlande.

La France qui a maintenu sa réserve jusqu’à obtenir satisfaction sur les autres professions du secteur de la santé dans le cadre d’un paquet global, l’a finalement levée.

Le Parlement européen a également soutenu la proposition de la Commission ; il souhaite toutefois également insérer une clause de gel empêchant les États de réduire la durée de la formation de base déjà en vigueur, et fixer la durée minimale des formations de spécialistes à cinq ans. Les États membres se sont accordés pour considérer ces derniers amendements comme étant inacceptables.

Le Parlement européen a également modifié, de manière satisfaisante pour la France, la liste des compétences des vétérinaires.

Concernant l’ensemble de ces professions – architectes, sages-femmes et infirmiers responsables de soins généraux, médecins, vétérinaires, pharmaciens- nous considérons que l’harmonisation des conditions de formation minimale pour les professions sectorielles doit être soutenue et nous nous félicitons du compromis atteint sur cette question.

Nous nous félicitons en outre de la mise à jour des compétences pour les formations d’infirmier de soins généraux et de sage-femme, mais regrettons le compromis qui a été obtenu concernant les conditions de leur formation minimale : ces professions, de plus en plus sollicitées dans les établissements hospitaliers, doivent être au contraire valorisées.

En outre, nous invitons le Gouvernement et les institutions européennes à réfléchir à l’articulation des missions de ces professions non seulement avec celles des médecins mais aussi avec la profession d’aide-soignant, qui n’est pas réglementée, ainsi qu’à l’adéquation des numerus clausus dans ces professions aux besoins en professionnels de la population, pour que la mobilité reste un choix et non une contrainte.

M. Michel Piron, co-rapporteur. Concernant les notaires, rappelons qu’en mai 2001, la CJCE a décidé qu’une condition de nationalité ne peut être imposée aux notaires et estimé, quant à l’application de la directive, qu’il n’était pas exclu qu’il puisse exister une obligation de mise en œuvre de la directive mais que cette obligation n’était pas suffisamment claire au moment de la procédure d’infraction. Dans sa proposition initiale, la Commission a donc voulu inclure les notaires dans le champ de la directive.

Suite à des négociations assez tendues entre la Commission, le Parlement et les États opposés à cette inclusion - France, Italie, Belgique, Allemagne, Pologne notamment - il a été décidé au Conseil d’exclure explicitement les notaires du champ de la directive et de proposer une clause de rendez-vous dans trois ou quatre ans.

La France a soutenu cette position, eu égard notamment à l’exercice de l’autorité publique par cette profession. L’inclusion des notaires dans le champ de la directive pose en effet de réels problèmes du fait de leurs missions et statuts particuliers dans de nombreux pays, à l’instar de la France, mais à l’inverse d’autres pays tels que le Royaume-Uni, où la profession de notaire n’existe pas.

Toutefois, au Parlement européen, alors que la rapporteur française soutenait l’exclusion, le compromis finalement adopté par la Commission IMCO, à la suite d’un revirement de position des notaires allemands et français craignant de ne pas obtenir l’exclusion, prévoit une inclusion strictement limitée à la reconnaissance des qualifications en vue de l’établissement - la libre prestation de service étant exclue -, dans le strict respect des procédures nationales de nomination et avec une interdiction de s’établir dans deux États.

Lors du Coreper du 1er mars dernier, trois groupes d’États se sont dégagés : une grande partie des États se sont montrés favorables à l’approche proposée par la Présidence ; d’autres, qui prônaient aussi initialement une exclusion des notaires du champ de la directive, ont appelé à un rapprochement avec la proposition du Parlement européen ; enfin, une minorité d’États, dont la France, demeurent favorables à une exclusion complète sans clause de révision.

L’issue sur cette question est donc encore incertaine actuellement et un éventuel nouveau compromis est à prévoir lors du troisième trilogue où la question des notaires sera abordée.

Nous considérons pour notre part, comme le Gouvernement français, que la profession de notaires doit être exclue de manière expresse et totale du champ de la directive, au regard de l’exercice de l’autorité publique par cette profession en France et dans plusieurs autres pays de l’Union.

Par ailleurs, la France, opposée à l’accès partiel à une profession, a souhaité que celui-ci revête un caractère exceptionnel et puisse être refusé pour toute raison impérieuse d’intérêt général, telle que la santé ou la sécurité publiques. Ces demandes ont été largement entendues par le Conseil, qui a retenu une approche au cas par cas. Cet accès partiel ne pourra donc être accordé que si certaines conditions cumulatives sont remplies. Le professionnel devra notamment être pleinement qualifié dans son État d’origine pour exercer la profession pour laquelle un accès partiel pourrait lui être accordé dans l’État d’accueil, tandis que l’activité en cause devra pouvoir être objectivement séparée d’autres activités relevant de la profession réglementée dans l’État d’accueil.

L’État d’accueil pourra refuser l’octroi de l’accès partiel pour toute raison impérieuse d’intérêt général, telle que définie par la jurisprudence, en particulier s’agissant des professionnels de santé en cas de préoccupations pour la santé publique. Les professionnels bénéficiant de l’accès partiel devront clairement indiquer le champ de leurs activités professionnelles aux destinataires des services. Enfin, l’accès partiel ne s’appliquera pas aux professionnels bénéficiant d’une reconnaissance automatique sur la base de l’expérience professionnelle - activités artisanales, commerciales et industrielles listées en annexe de la directive) -ou sur la base des diplômes - médecin, infirmier, dentiste, pharmacien, sage-femme, vétérinaire, architecte.

La position du Conseil est proche de celle du Parlement européen. Toutefois, lors du premier trilogue, le Parlement a souhaité une réintroduction de l’appréciation du caractère séparable de l’activité au regard de son exercice autonome dans l’État d’origine.

Nous demeurons pour notre part très réservés sur la possibilité d’un accès partiel aux professions, et souhaitons que cet accès revête un caractère exceptionnel et puisse être refusé pour toute raison impérieuse d’intérêt général.

Autre sujet de négociation, la mise en place de cadres de formation communs et d’épreuves de formation communes permettrait aux professions intéressées de bénéficier de la reconnaissance automatique des titres de formation acquis sur la base d’un ensemble commun de connaissances, capacités et compétences minimales ou d’avoir accès à une activité professionnelle et de l’exercer sur la base de la réussite d’un test standardisé qui évaluerait leur aptitude. Il ne s’agit donc pas d’une harmonisation des formations mais d’une reconnaissance du résultat de la formation.

La France a souhaité que les États membres puissent y déroger sans que cette possibilité ne soit conditionnée à une décision de la Commission ou à un acte d’exécution.

La Présidence a modifié le texte en insérant une possibilité d’exemption à l’introduction des principes communs de formation à la reconnaissance automatique en fonction de conditions objectives alternatives, ce qui a permis à certains États de lever leurs réserves. Toutefois, des interrogations subsistent quant à la procédure.

En outre, le texte du Conseil précise désormais que les cadres communs de formation ne remplacent pas les programmes de formation nationaux, à moins qu’un État en décide autrement en vertu de son droit national. La condition relative à la préparation des cadres communs de formation selon une procédure transparente, incluant les parties prenantes des États membres dans lesquels la profession n’est pas réglementée, a été remplacée par une obligation de la Commission d’examiner, en totale coopération avec les États membres, les suggestions de cadres communs de formation.

Le Parlement européen a proposé un certain nombre de modifications accueillies défavorablement par le Conseil et qui concernent les conditions de mise en place des cadres communs de formation et l’extension des cadres communs de formation aux nouvelles spécialités des professions bénéficiant de la reconnaissance automatique des diplômes. Le Conseil est, en revanche, prêt à discuter des amendements visant notamment à ce que la Commission prenne en considération les suggestions formulées par les associations professionnelles. Très attaché à ces questions, le Parlement européen sollicitera des concessions de la part du Conseil.

Nous nous félicitons pour notre part de l’avancée que constitue la mise en place de cadres de formation communs et d’épreuves de formation communes comme reconnaissance du résultat de la formation dans le respect des programmes de formation nationaux.

L’activation d’un mécanisme d’alerte est par ailleurs un point important. La proposition de la Commission prévoit en effet d’instaurer un système d’alerte sur les interdictions d’exercer des professionnels de santé et des vétérinaires. Ce nouveau mécanisme destiné à renforcer la sécurité des patients permettrait d’éviter que les professionnels de santé, sous le coup d’une interdiction d’exercer dans leur État d’origine, puissent voir leurs qualifications professionnelles reconnues dans un autre État membre et exercer leur profession. Tous les États y sont favorables. Ce mécanisme a été étendu aux professionnels ayant utilisé des diplômes falsifiés dans le cadre d’une demande de reconnaissance des qualifications.

Seraient également concerné les autres professions exerçant des activités ayant des implications sur la sécurité des patients et qui ne bénéficient pas d’un régime automatique de reconnaissance et les professionnels exerçant des activités liées à l’éducation des mineurs, y compris la garde d’enfants et l’éducation de la petite enfance.

Certains États - Danemark, Autriche, Suède, et France -, sont plus réservés sur cette dernière extension, au regard des difficultés d’application qu’elle peut soulever dans le cas où les professions en question ne seraient pas réglementées. En réponse, la Commission a souligné que le mécanisme d’alerte n’avait pas vocation à remplacer les accords de coopération judiciaire et policière entre États membres, tandis que le Parlement européen a estimé que cette extension dépassait le champ d’application de la directive. Il a été convenu que ces questions seraient examinées plus avant au niveau technique.

Nous sommes pour notre part très favorables à la création d’un mécanisme d’alerte, qui permettra de renforcer la sécurité des patients en évitant que les professionnels de santé interdits d’exercer dans leur État d’origine soient autorisés à exercer dans un autre pays de l’Union.

Concernant la question de la vérification des aptitudes linguistiques, rappelons que l’article 53 de la directive dans sa rédaction actuelle prévoit que « les bénéficiaires de la reconnaissance des qualifications professionnelles doivent avoir les connaissances nécessaires à l’exercice de la profession dans l’État membre d’accueil ». Les États membres peuvent donc vérifier que les professionnels étrangers ont les connaissances linguistiques nécessaires à l’exercice de leurs activités, mais ils doivent le faire de façon proportionnée, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas les soumettre systématiquement à des tests de langue. Le test de langue ne peut avoir lieu qu’une fois la procédure de reconnaissance terminée et n’est pas un motif suffisant pour refuser de reconnaître les qualifications professionnelles du candidat.

Pour les professionnels de la santé, la proposition initiale prévoit aussi que les autorités compétentes peuvent effectuer un contrôle, si cela est expressément requis par les systèmes nationaux de soins de santé ou, pour les professionnels indépendants non affiliés à un tel système, par les organisations nationales représentatives de patients.

Les discussions au Conseil ont permis de convenir d’un libellé plus souple permettant aux États d’adapter les obligations à leurs particularités, notamment s’agissant des États dans lesquels plusieurs langues administratives ou officielles coexistent.

La France a, en outre, demandé que le contrôle puisse être effectué avant tout contact avec les patients, y compris avant un éventuel stage d’adaptation, cas exceptionnel dans lequel ce contrôle pourrait être effectué avant la reconnaissance des qualifications. La Commission s’y est opposée et cette demande a finalement été abandonnée. Toutefois, au Conseil, un considérant a souligné l’importance pour les professions ayant des implications en matière de sécurité des patients, qu’un contrôle des connaissances linguistiques puisse être effectué avant que le professionnel n’accède à la profession.

Les discussions entre les trois institutions sur le contrôle des connaissances linguistiques se poursuivront au niveau technique et en trilogue.

Nous soutenons pour notre part la position du Gouvernement français, qui souhaite la mise en place d’un contrôle des aptitudes linguistiques pour les professions de santé avant tout contact avec les patients.

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Notre mission s’est rendue à Tourcoing et Tournai, deux villes voisines de part et d’autre de la frontière franco-belge et a pu constater que la mobilité des professionnels européens est une réalité. À Mouscron, située du côté belge de la frontière, 20 % des travailleurs sont de nationalité française, et 20 % des habitants sont de nationalité française, et les échanges entre étudiants et travailleurs sont permanents. Ces populations frontalières vivent l’Europe au quotidien avec ses avantages et ses contraintes et sont un laboratoire pour comprendre les difficultés.

La mobilité doit bien sûr être facilitée mais elle ne peut pas se faire à à n’importe quel prix et doit respecter la sécurité des clients ou patients, en assurant un niveau de formation minimal et des aptitudes linguistiques - et ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la santé. La mobilité doit être choisie, elle ne doit pas résulter d’une contrainte : contrainte économique pour travailleurs de pays de l’Union où la situation économique est plus difficile et qui se retrouvent avec des carrières incomplètes et une portabilité des droits encore mal assurée, contrainte liée aux numerus clausus dans de nombreux pays pour les professions de santé, qui amènent au développement de pratiques de contournement, les étudiants partant se former à l’étranger et revenant exercer dans leur pays d’origine ; à noter aussi, la dérive certaine du développement d’un marché des universités, à l’instar de l’ouverture en France d’une université privée portugaise pour former des médecins… C’est pourquoi nous appelons à une réflexion sur l’adéquation des numerus clausus dans ces professions aux besoins en professionnels de la population, pour que la mobilité reste un choix et non une contrainte.

M. Charles de la Verpillière. Je suis d’accord avec ces conclusions. La libre circulation est un principe fondateur de l’Union européenne. Je pense toutefois que l’on ne souligne pas assez le problème des professions médicales ou paramédicales notamment. Il ne faudrait pas déplacer les pénuries, par exemple en faisant venir des pays de l’Est des professionnels de santé pour soigner les populations vieillissantes de France ou d’Allemagne.

Il faut par ailleurs des standards élevés de formation : ce qui est exprimé à ce sujet me convient. Je pense qu’il faudrait insister davantage sur la vérification de la qualité et de l’effectivité des formations. Il faut avoir la certitude que ceux qui viendront avec une carte professionnelle européenne auront bien suivi le cursus requis.

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Pour répondre à votre remarque sur le risque de pénuries, je souligne que nous avons élargi le problème avec le point 9 de nos conclusions, invitant à réfléchir à l’adéquation des numerus clausus aux besoins de la population. S’il y a une mobilité qui peut être choisie, c’est bien mais une réflexion doit être menée en amont pour que le nombre de places réservées à une profession soit en adéquation avec les besoins du pays. Actuellement, des étudiants français partent se former ailleurs et reviennent en France avec le système de reconnaissance des diplômes : mais la France pourrait aussi former davantage de médecins, de sages-femmes, etc. !

Sur la question de la vérification des formations, je précise que, dans le point 3, nous proposons de soutenir la position française demandant la suspension du délai pour la reconnaissance, s’il y a des besoins de vérifications.

M. Michel Piron, co-rapporteur. La mobilité soulève une question plus large. En France, nous avons 7,4 % de médecins provenant de pays tiers contre 30 % au Royaume-Uni. La tendance en France est à l’augmentation, notamment dans les zones rurales. De façon plus large, cette question se pose dans une Europe où les distorsions sont de plus en plus importantes : avec le chômage massif des jeunes notamment, la mobilité est ambivalente … Elle peut conduire à une émigration massive des mieux formés – qui maîtrisent également le mieux les compétences linguistiques – vers des États où l’activité est plus forte. Cette mobilité – qui est un souhait – peut aussi avoir pour conséquence d’appauvrir certains États en ressources humaines … C’est un sujet qui va donc plus loin que la question du numerus clausus.

L’idée d’instituer un cadre commun paraît néanmoins intéressante, même si des différences de traditions existent entre États : à titre d’exemple, l’Allemagne intègre fortement l’alternance dans ses formations, alors qu’en France les parcours sont plus académiques. Il y a aussi des distorsions dans les exigences d’années de formation. Les équivalences ne sont donc pas toujours faciles à établir.

La proposition de conclusions a ensuite été adoptée à l’unanimité.

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 46 et 53,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et le règlement concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (COM (2011) 883 final),

1. Considère que la reconnaissance des qualifications professionnelles est un moyen de permettre la mobilité des travailleurs qui doit être encouragée mais qu’elle doit reposer sur la confiance réciproque entre pays d’origine et pays d’accueil ;

2. Approuve ainsi la création d’une carte européenne professionnelle ;

3. Soutient la position française visant à une suspension des délais pour la reconnaissance tacite en cas de demande additionnelle d’information ;

4. Soutient le compromis sur la prise en compte des stages à condition qu’ils soient reconnus par le pays d’origine et qu’ils soient rémunérés ;

5. Considère que l’harmonisation des conditions de formation minimale pour les professions sectorielles doit être soutenue ;

6. Se félicite de la mise à jour des compétences pour les formations d’infirmier de soins généraux et de sage-femme, mais regrette le compromis sur les conditions de leur formation minimale et estime que ces professions, de plus en plus sollicitées dans les établissements hospitaliers, doivent être au contraire valorisées ;

7. Invite par ailleurs le Gouvernement et les institutions européennes à réfléchir à l’articulation des missions de ces professions non seulement avec celles des médecins mais aussi avec la profession d’aide-soignant ;

8. Se félicite du compromis obtenu sur la question de l’harmonisation des conditions de formation minimale pour les médecins, les architectes et les vétérinaires ;

9. Invite le Gouvernement à réfléchir à l’adéquation des numerus clausus dans ces professions aux besoins en professionnels de la population, pour que la mobilité reste un choix et non une contrainte ;

10. Soutient l’exclusion expresse et totale de la profession de notaires du champ de la directive, au regard de l’exercice de l’autorité publique par cette profession en France et dans plusieurs autres pays de l’Union ;

11. Demeure très réservée sur la possibilité d’un accès partiel aux professions, et souhaite que cet accès revête un caractère exceptionnel et puisse être refusé pour toute raison impérieuse d’intérêt général ;

12. Se félicite de l’avancée que constitue la mise en place de cadres de formation communs et d’épreuves de formation communes comme reconnaissance du résultat de la formation dans le respect des programmes de formation nationaux ;

13. Considère essentielle la création d’un mécanisme d’alerte, qui permettra de renforcer la sécurité des patients en évitant que les professionnels de santé interdits d’exercer dans leur État d’origine soient autorisés à exercer dans un autre pays de l’Union ;

14. Soutient la position du Gouvernement, qui souhaite la mise en place d’un contrôle des aptitudes linguistiques pour les professions de santé avant tout contact avec les patients. »

La séance est levée à 19 h 10

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 16 avril 2013 à 17 heures 15

Présents. – Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Jacques Bridey, M. Christophe Caresche, Mme Nathalie Chabanne, M. Philip Cordery, M. Jacques Cresta, M. Yves Daniel, M. William Dumas, M. Yves Fromion, M. Hervé Gaymard, Mme Chantal Guittet, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Christophe Léonard, M. Lionnel Luca, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard, M. Michel Piron, M. Didier Quentin, M. Jean-Louis Roumegas

Excusés. – Mme Annick Girardin, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Claude Mignon, Mme Paola Zanetti