Première séance du lundi 11 mars 2024
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Remplacement des députés nommés membres du Gouvernement
- 2. Renforcer la sécurité et la protection des maires et des élus locaux
- 3. Mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales
- 4. Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection – Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution
- Présentation commune
- M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie
- M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
- M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques
- M. Sacha Houlié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire)
- M. Benjamin Saint-Huile
- M. Roland Lescure, ministre délégué
- M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
- M. Pierre Henriet (HOR)
- Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES)
- M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES)
- M. Charles de Courson (LIOT)
- Mme Maud Bregeon (RE)
- M. Jean-Philippe Tanguy (RN)
- M. Maxime Laisney (LFI-NUPES)
- M. Emmanuel Maquet (LR)
- M. Bruno Millienne (Dem)
- M. Gérard Leseul (SOC)
- Discussion générale commune
- Présentation commune
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Naïma Moutchou
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1. Remplacement des députés nommés membres du Gouvernement
Mme la présidente
J’informe l’Assemblée que, le 8 mars 2024 à minuit, Mme Marie Guévenoux, M. Frédéric Valletoux, M. Guillaume Kasbarian et Mme Marina Ferrari, nommés membres du Gouvernement par décret du 8 février 2024, ont été remplacés respectivement par M. Éric Husson, Mme Juliette Vilgrain, Mme Véronique de Montchalin et M. Didier Padey, élus en même temps qu’eux à cet effet.
2. Renforcer la sécurité et la protection des maires et des élus locaux
Commission mixte paritaire
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux (no 2239).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme Violette Spillebout, rapporteure de la commission mixte paritaire.
Mme Violette Spillebout, rapporteure de la commission mixte paritaire
Samedi 17 février 2024, vers dix-sept heures trente, Jacques Montois, maire d’Hantay, petite commune de 1 200 habitants des Weppes, dans la métropole européenne de Lille, s’est fait agresser verbalement par un groupe d’individus du village alors qu’il était accompagné de son adjointe. Ces personnes l’ont insulté et ont proféré des menaces d’atteinte à ses biens, des menaces de mort contre lui et sa famille et des menaces de viol à l’encontre de son épouse. Qu’avait-il donc fait pour mériter cela ? Il prenait des photos d’arbres, avant une opération d’élagage, dans une rue calme, mais un groupe de squatteurs installés dans des bâtiments proches a considéré qu’il les dérangeait une nouvelle fois.
Tous les habitants du village, les élus locaux et les parlementaires que nous sommes ont réagi immédiatement et ont apporté, tout comme vous, madame la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, leur soutien à Jacques Montois, car rien n’est pire que la violence. Le maire a bien sûr porté plainte et il a eu très envie de démissionner, découragé devant l’immobilisme des pouvoirs publics face à l’occupation de logements par des squatteurs, situation connue de tout le village et pourrissant la vie des habitants.
Confrontés aux attaques physiques et verbales, beaucoup d’élus locaux s’épuisent, démissionnent et renoncent car ils ont le sentiment que leurs agresseurs jouissent d’une impunité. Ce renoncement, nous le combattons. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, vient de l’annoncer : sur son instruction, « ceux qui ont menacé gravement le maire de Hantay et sa famille viennent d’être expulsés de leurs logements sociaux par le préfet ». Chacun doit savoir que l’État fera preuve de fermeté contre toute personne ne respectant pas les règles élémentaires de notre pays.
C’est à cela que contribue la proposition de loi sur laquelle nous sommes appelés à voter : c’est un non au renoncement, un non au fatalisme, un non à l’impunité. C’est aussi un message fort qu’adressent les parlementaires aux élus locaux : « Nous reconnaissons votre action quotidienne, votre engagement, votre dévouement pour vos administrés. Nous sommes avec vous. »
Moins de six mois après sa première lecture au Sénat, c’est un texte essentiel pour la sécurité des élus locaux que nous vous présentons, après qu’il a fait l’objet d’un accord au sein de la commission mixte paritaire (CMP) en février. Nous allons vite, il le faut : il y a urgence. Dans la société civile comme au Parlement, nous sommes tous d’accord : soutenir les élus, ceux qui sont à portée de bises, mais aussi d’engueulade, c’est stimuler l’engagement de ceux qui sont les hussards de la République, c’est réparer notre démocratie partout en France.
Ce texte consensuel est très attendu dans chacune de nos circonscriptions. J’aurai ici, si vous me le permettez, une pensée pour Bernard Gérard, maire de la commune de Marcq-en-Barœul, située dans ma circonscription, et président de l’Association des maires du Nord, qui a récemment subi une attaque à son domicile. Je saisis aussi cette occasion pour saluer les associations d’élus, qui nous ont toutes fait part de propositions pour améliorer le texte.
Je tiens à saluer Sébastien Jumel, qui était rapporteur avec moi de la mission d’information sur le statut de l’élu local, laquelle portait plus spécifiquement sur les violences faites aux élus locaux et l’amélioration de leur statut. Il reconnaîtra quelques-unes de ses formules dans mon intervention et je sais qu’il ne m’en voudra pas pour ces emprunts. Nous n’avons pas terminé de travailler ensemble tant le sujet est riche et transpartisan. Il nous oblige à la complémentarité de points de vue au-delà des oppositions stériles. Le chemin législatif commun que nous avons entamé pour protéger les élus locaux a pour ambition de créer un choc d’attractivité pour les mandats de maires et d’élus locaux.
Avec cette proposition de loi, nous aggravons les sanctions encourues par les auteurs de violences, nous améliorons la prise en charge de ceux qui en sont victimes, nous renforçons la protection des candidats aux élections et nous facilitons les relations entre élus locaux et procureurs. Notre volonté est que les élus et leurs familles soient mieux protégés.
Je tiens à saluer le travail mené avec le Sénat, en particulier avec la rapporteure de la CMP, Mme Catherine Di Folco, que je remercie particulièrement. Nos positions étaient parfaitement alignées, exception faite de l’article 2 bis. Cet article procédait à un allongement de la durée de prescription des délits de presse que sont l’injure publique et la diffamation par des modifications apportées à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sans pour autant atteindre l’objectif que nous nous étions fixé. Ces changements avaient même pour les journalistes de graves effets de bord que nous n’avions pas suffisamment mesurés. Sur ma proposition, la commission mixte paritaire a décidé de le supprimer.
Cependant, madame la ministre, il nous reste à combattre le phénomène que nous avons cherché à circonscrire : la haine et le harcèlement sur les réseaux sociaux, dont nos élus sont les principales victimes, exposés qu’ils sont à des particuliers pour la plupart anonymes. Retrait de contenus, bannissement, amendes forfaitaires : avec Sébastien Jumel et les élus de tous bords qui accompagnent nos travaux, je veux que nous trouvions de vraies solutions.
Nous avons encore de nombreux combats à mener. Ce texte ne constitue qu’une étape dans cette lutte et je tiens à remercier, outre François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat et auteur de la proposition de loi, l’ensemble des députés qui ont contribué à l’enrichir. Nous pouvons être particulièrement fiers du travail transpartisan que nous avons accompli ensemble. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité
Je voudrais commencer par remercier très sincèrement et solennellement l’Assemblée nationale et le Sénat de leurs contributions à la lutte contre les violences faites aux élus. Nous avons échangé ensemble à de multiples reprises et je ne peux qu’être ravie des conclusions positives de la commission mixte paritaire. Non seulement le Gouvernement est très favorable à la grande majorité des mesures du texte, mais il le considère comme une pierre angulaire de la lutte contre ces violences. La proposition de loi vient soutenir législativement le plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus.
Le phénomène des violences contre les élus est un fléau qui évolue en même que la société. S’en prendre à un élu, c’est s’en prendre à la République et il était important que nous arrivions à un consensus transpartisan pour le réaffirmer. Il y va de la préservation de notre modèle politique même. Il importe que la vie démocratique se déroule dans la sérénité et que la confrontation des opinions soit pacifiée. C’est le débat qui doit être au cœur de notre démocratie. L’état d’esprit dans lequel ce texte a été discuté au Sénat, puis à l’Assemblée nationale et enfin dans le cadre de la CMP, nous montre que c’est le cas, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
La proposition de loi comporte des avancées législatives majeures, qui viendront compléter les mesures que nous avons déjà prises. À la suite des événements de Saint-Brévin, sous l’autorité de la Première ministre Élisabeth Borne et du ministre de l’intérieur et des outre-mer, j’ai annoncé le 17 mai 2023 différentes mesures destinées à mieux protéger les élus.
Le dispositif repose notamment sur la mise en œuvre d’un premier pack sécurité s’appuyant sur la création d’un réseau de plus de 3 400 référents « atteintes aux élus » dans toutes les brigades de gendarmerie et dans tous les commissariats afin de fournir aux élus un point de contact privilégié. Nous avons renforcé le dispositif Alarme élu, grâce auquel les élus bénéficieront de la vigilance renforcée des forces de l’ordre lorsqu’ils appelleront le 17.
Nous comptons également développer de nouvelles sessions de sensibilisation à la gestion des incivilités et à la désescalade de la violence à l’attention des élus. En outre, la mobilisation de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, Pharos, nous permettra de mieux détecter les violences en ligne et de les judiciariser. C’est ainsi que nous avons pu retirer les contenus postés par Papacito qui visaient un élu du Tarn-et-Garonne. Nous comptons, par ailleurs, amplifier la démarche d’« aller vers » des forces de l’ordre afin que les élus locaux soient en mesure de déposer une plainte quand ils le souhaitent, où ils le souhaitent.
J’ai également tenu à ce que soit mis en œuvre le principe « une menace égale une évaluation » : à partir des évaluations fines des menaces établies par les forces de sécurité intérieure, les préfets seront à même de décider d’éventuelles mesures de protection. Si vous le souhaitez, je vous donnerai davantage de détails sur cette démarche.
Ces mesures sont mises en œuvre par les policiers et les gendarmes et leur action est coordonnée au niveau national par le Centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (Calae), dont j’ai décidé la création. Regroupant l’ensemble des services concernés – forces de sécurité intérieure, renseignement, ministère de la justice, direction générale des collectivités locales (DGCL) –, il vise notamment à mieux comprendre le phénomène et à examiner les situations individuelles sensibles afin de vérifier qu’au niveau déconcentré, des mesures adaptées sont déployées pour protéger les élus. Aucune situation problématique ne sera laissée de côté et chaque cas sera traité avec le plus d’humanité possible.
Nous devons également aller plus loin en matière de réponse pénale et judiciaire. Là encore, la proposition de loi, en alourdissant les sanctions, permet une avancée que nous appelions très clairement de nos vœux. Elle viendra compléter les mesures que nous avons prises récemment pour mobiliser les parquets. Dans une circulaire conjointe signée par le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux et moi-même, adressée l’été dernier tant aux parquets qu’aux préfets, nous demandons aux procureurs de favoriser le traitement priorisé des procédures concernant les atteintes sur les élus, ainsi que la délivrance d’une réponse pénale systématique, ferme et rapide. Nous insistons sur le fait que la voie du déferrement doit être « privilégiée, au regard de la nature des faits et de la personnalité du mis en cause, afin de permettre le prononcé d’une mesure de sûreté destinée notamment à prévenir toute réitération à l’encontre de la victime ».
Nous observons d’ores et déjà une amélioration de la réponse pénale par rapport à l’année dernière. Si les personnes mises en cause sont toujours en grande majorité remises en liberté, nous constatons une augmentation des mesures répressives : le nombre des déférés a augmenté en 2023 tout comme le nombre de personnes faisant l’objet d’une convocation judiciaire, qui a crû de 8,5 %.
Plus largement, le plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus, que nous sommes en train de mettre à exécution, s’appuie pleinement sur votre proposition de loi. Il cherche à agir dans quatre directions : la protection physique des élus, l’accompagnement des élus victimes et de leurs familles, la réponse judiciaire, la fluidification des relations entre les maires et les parquets.
Nous avons lancé un dispositif d’aide et d’appui psychologique aux élus victimes de violences. Nous trouvons également de nouveaux moyens d’assurer la sécurité physique des élus, notamment en encourageant le déploiement de solutions de vidéosurveillance permettant d’identifier les auteurs de violences et de faire avancer rapidement les enquêtes. Ainsi, 5 millions d’euros ont été dédiés à des mesures de sécurisation ponctuelles allant de l’installation de dispositifs de surveillance à la remise d’un discret bouton d’appel.
Il est toutefois nécessaire de modifier la loi pour renforcer la protection fonctionnelle, pour améliorer sa prise en charge financière ou encore pour alourdir les sanctions pénales. Sur tous ces points, votre travail a été décisif. Étant donné le caractère essentiel de ces enjeux, je ne peux que me féliciter, comme Mme la rapporteure, que nous arrivions à travailler de façon apaisée et consensuelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Béatrice Descamps.
Mme Béatrice Descamps
Les élus locaux font face, toujours avec dignité et courage, à une hausse inquiétante des actes violents. Ce qui se limitait par le passé à des incivilités passagères est devenu un phénomène de violences et d’agressions quotidiennes. Dans cette situation, notre premier réflexe en tant que parlementaires est bien sûr de soutenir ces élus. Aujourd’hui, je suis fière de pouvoir leur apporter bien plus qu’un simple soutien : des mesures fortes et concrètes de protection et de sécurité.
Il est malheureusement devenu banal de donner des chiffres pour illustrer ce phénomène, mais je tiens à rappeler qu’en 2023, près de 2 400 actes violents ont été commis à l’encontre des élus. La moindre de ces atteintes est pourtant inacceptable, car lorsqu’un élu est attaqué, c’est notre démocratie qui est ciblée et le lien entre représentant et citoyen qui est affaibli.
Certes, la proposition de loi ne résoudra pas toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les élus, mais je sais déjà qu’elle sera complétée par une future loi sur le statut de l’élu local. En attendant, elle apporte à ces violences des réponses indispensables très attendues sur le terrain, en particulier par les maires. En effet, c’est là un paradoxe cruel de notre vie démocratique : les maires, qui sont pourtant les élus jouissant de la plus grande popularité auprès des Français, sont aussi les élus les plus touchés par ces agressions ! Ce phénomène a de graves conséquences sur la vie locale, et l’État comme le système judiciaire doivent se montrer à la hauteur.
Le texte permet des avancées significatives comme la hausse du quantum de la peine encourue en cas de violences contre un élu, porté à sept ans de prison et à 100 000 euros d’amende. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires ne peut qu’espérer que les juges se saisiront pleinement de ces mesures. Je salue également les avancées en matière de protection des anciens élus, car la République ne doit jamais abandonner ou oublier ses représentants.
M. François Cormier-Bouligeon
Très bien !
Mme Béatrice Descamps
Je tiens à aborder un point sensible qui a fait débat bien au-delà des murs de notre hémicycle. Vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, la commission mixte paritaire a fait le choix rare de supprimer un article, l’article 2 bis, qui avait pourtant été adopté tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Si l’article 2 bis était si controversé, c’est parce qu’il visait à modifier la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse pour porter de trois mois à un an le délai de prescription en cas d’injure ou de diffamation contre un élu. Nous nous accordons tous, je crois, à dire que l’objectif de l’article était louable ; il s’agissait d’éviter que la brièveté du délai ne prive les élus de leur droit de porter plainte face à de telles attaques publiques. Cependant, notre groupe salue le choix sage et courageux de supprimer l’article 2 bis : le texte doit certes renforcer la protection des élus, mais aussi rétablir la confiance qui les lie à nos concitoyens. Or cette mesure, perçue comme un privilège, adoptée sans étude d’impact et sans concertation, aurait entaché la proposition de loi.
J’en viens à la protection fonctionnelle sur laquelle se sont concentrés, avec raison, beaucoup de nos échanges. Alors qu’il s’agit d’un dispositif clé, il restait faillible et surtout trop complexe à activer. Le texte permettra enfin d’octroyer automatiquement la protection fonctionnelle dans certains cas, notamment en cas de violences contre un maire ou ses adjoints. Notre groupe a grandement contribué à ce débat : nous avons fait adopter un amendement tendant à inscrire comme obligatoires les dépenses liées à la protection fonctionnelle. Je salue le choix de la CMP d’étendre cette mesure aux régions et aux départements.
Malgré les nombreuses avancées que j’ai soulignées, il reste une proposition qui n’a pas pu aboutir. Comme chacun ici, j’estime qu’il faut aller plus loin et ouvrir la protection fonctionnelle à l’ensemble des élus locaux. Soyons réalistes : les individus qui attaquent les élus ne vérifient pas s’ils exercent ou non des fonctions exécutives. Il faut donc concrétiser cette mesure dans les prochains mois en l’inscrivant dans la loi à venir sur le statut de l’élu local.
Notre groupe votera résolument pour le texte et espère qu’il sera, cette fois, adopté à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, RE et Dem. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Poulliat.
M. Éric Poulliat
Le nombre d’atteintes aux élus observées en 2023 s’élève à 2 600, soit près de 15 % de plus qu’en 2022. Loin d’être anodin, ce chiffre témoigne d’une réalité propre à notre époque. Auditionné dans le cadre de la mission d’information sur l’activisme violent, dont j’étais corapporteur, l’historien Jean Garrigues constatait qu’aucune époque n’avait été autant caractérisée par la violence contre les élus que la nôtre, à l’exception de la Révolution française et de la Commune de Paris.
Cette violence prend plusieurs formes telles que la dégradation de locaux, les menaces envers l’élu ou envers des membres de sa famille, l’agression physique ou encore l’attaque contre le domicile. Aurait-on cru possible, il y a encore quelques années, que le domicile d’un maire soit incendié comme le fut celui de Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins ? Aurait-on cru possible que le domicile de Vincent Jeanbrun, maire de l’Haÿ-les-Roses, soit attaqué à la voiture bélier ?
M. Raphaël Schellenberger
C’est un maire Les Républicains !
M. Éric Poulliat
Ces attaques de grande ampleur s’ajoutent aux agressions quotidiennes contre les élus, hélas parfois invisibles pour nos concitoyens.
Les causes de cette violence sont multiples – la défiance se nourrit de la radicalisation, du désaccord idéologique ou de la montée du ressentiment –, mais rien n’autorise jamais un citoyen à s’en prendre à un élu et, à travers lui, à notre contrat social républicain. Car lorsqu’on s’attaque à un élu, on s’attaque à bien plus qu’à une personne occupant de telles fonctions : on s’en prend à notre République en lui faisant subir des assauts dévastateurs qui affaiblissent les fondations mêmes de la démocratie.
La République s’appuie sur des symboles forts ; voir nos concitoyens s’en prendre à ces symboles devrait tous nous pousser à nous interroger. Au-delà du déni de démocratie, car les élus ont été désignés pour représenter les Français à l’échelle nationale ou locale, c’est avant tout la volonté d’intimidation et la croyance en la loi du plus fort qui semblent guider les auteurs de ces troubles. Leurs actes témoignent de leur souhait d’annihiler les principes de notre société – le débat contradictoire, la tolérance –, voire les principes de la civilisation qui fondent notre République.
Il s’agit pour nous d’assurer la sécurité élémentaire de tous nos élus, mais aussi de remédier au désintérêt croissant pour le mandat électif et à la perte de vocation. L’enjeu est important : il y va de la possibilité pour nos concitoyens de choisir librement leurs représentants, dans le cadre d’un débat démocratique sain et apaisé. Ainsi, nous devons nous montrer implacables face à ces violences, car la République ne doit jamais être aussi forte que lorsqu’elle est attaquée en son cœur.
Condamner l’inacceptable, combattre pour nos principes et promouvoir une certaine conception du débat public, c’est ce qui nous a guidés lors de l’examen de la proposition de loi. La commission mixte paritaire, en s’accordant sur un texte commun, ne s’y est pas trompée. Le texte alourdira les peines encourues lorsque les élus sont pris pour cible et y intégrera une dimension civique forte en promouvant les peines de travaux d’intérêt général, une mesure à laquelle le groupe Renaissance a grandement contribué.
Il s’agit aussi de mieux protéger les élus victimes de violences grâce à un profond remaniement de la protection fonctionnelle dont ils peuvent bénéficier. La République se tiendra toujours à leurs côtés face à la violence. Les élus ne sont pas au-dessus de la loi, mais le principe d’égalité devant la loi s’applique à eux comme à tous nos concitoyens – pas plus, pas moins.
Je tiens à réaffirmer mon profond respect pour tous les élus qui, dans l’ensemble du territoire, continuent de servir la République avec courage. Je souhaite également, madame la rapporteure, saluer votre travail et votre détermination.
Ne nous habituons jamais à ces violences. Jamais aucune violence ne sera acceptable dans notre République. C’est notre responsabilité et notre devoir de législateur de le rappeler. C’est la raison pour laquelle le groupe Renaissance votera pour la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et LIOT. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Roullaud.
Mme Béatrice Roullaud
Cette proposition de loi issue d’un travail commun des deux chambres est le révélateur d’un ensauvagement de la société et d’un affaiblissement de l’État que le Rassemblement national dénonce depuis longtemps. Nous déplorons du reste que nos propositions pour lutter efficacement contre ces fléaux – durcissement des peines pour les actes de violence physique, présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre, peines planchers, etc. – soient systématiquement rejetées.
Six actes de violence par jour sont commis contre les élus ; j’ai, en cet instant, une pensée pour chacun d’entre eux. L’un de ces élus – il se reconnaîtra – a connu le pire : des criminels, car c’est ainsi qu’il faut les appeler, ont incendié son domicile, provoquant la terreur de sa famille, blessant son épouse qui s’enfuyait, traumatisant les enfants, marqués pour de nombreuses années.
M. Raphaël Schellenberger
C’étaient des criminels d’extrême droite !
Mme Béatrice Roullaud
Atteints jusque dans leur vie privée et dans leur cercle familial, les maires démissionnent en cascade : on recense désormais 40 démissions par mois, contre 30 par mois entre 2014 et 2020, et on note une crise de l’engagement. Ainsi, 55 % des maires envisagent de ne pas se représenter en 2026. Le rapport d’information sénatorial rendu en 2019 par Philippe Bas, selon lequel 92 % des élus avaient déjà subi des incivilités, des injures, des menaces ou des agressions physiques, conjugué à l’aggravation des violences, a sans doute été l’un des moteurs de cette proposition de loi. Les chiffres du ministère de l’intérieur et des outre-mer sont alarmants : en 2023, ils enregistrent une hausse de 15 % des atteintes aux élus par rapport à 2022. Dans ce contexte, il était plus qu’urgent d’agir !
Bien sûr, le texte aurait pu viser d’autres victimes que les seuls élus. Son champ d’application aurait pu être plus étendu et englober les violences faites à tous les représentants de l’autorité de l’État et à ceux qui les accompagnent quotidiennement, collaborateurs compris. Laissez-moi vous citer l’exemple du petit village de Chambry, dans ma circonscription, où le maire, entouré d’une partie de son équipe municipale, a été agressé dans sa mairie par un administré, qui, vociférant et passant en force, lui a asséné un violent coup de poing au visage au motif que la nettoyeuse qui arrosait la rue passait trop près de sa maison. On le voit, la protection de l’entourage du maire aurait pu être utile dans ce cas. Monsieur Dominique Delahaye, je profite de cette tribune pour saluer votre courage et votre sang-froid, ainsi que ceux de tous les maires de France.
Cette proposition de loi va dans le bon sens, mais reste insuffisante. On regrette que le texte n’aille pas aussi loin que ce qui était attendu. Ainsi, vous avez écarté l’amendement prévoyant la remise par le Gouvernement d’un rapport sur les agressions commises contre les élus : il nous aurait éclairés de manière détaillée. Laxisme oblige, comme dans d’autres domaines pour lesquels cette disposition serait pourtant indispensable si vous vouliez réellement agir contre l’insécurité, vous avez refusé de créer des peines planchers. Vous n’avez pas non plus voulu engager une réflexion sur l’attribution automatique de la protection fonctionnelle à tous les élus, y compris aux élus des oppositions, qui sont les plus fragiles. Enfin, vous avez refusé que la totalité des articles de la proposition de loi entrent en vigueur dès sa promulgation, alors qu’il est urgent d’agir et que les élections municipales approchent à grands pas.
Malgré tout, ce texte présente plusieurs mérites. D’abord, les parlementaires pourront siéger dans les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD). C’est une victoire puisque les amendements en ce sens ont été adoptés grâce aux voix du groupe RN, contre l’avis du Gouvernement. Ensuite, l’examen du texte a confirmé ce que nous savions déjà, à savoir que les élus du groupe La France insoumise entendent protéger avant tout les agresseurs des élus en votant contre des mesures de bon sens. À chaque fois, nous l’avons constaté, ils ont refusé de voter les durcissements de peine et les créations de peines complémentaires. Quant à la Macronie, elle s’en tient, comme d’habitude, à des mesurettes. Comme tous vos textes, cette proposition de loi manque de courage et de volontarisme.
Néanmoins, les deux chambres se sont entendues, de sorte que la commission mixte paritaire a été conclusive. En outre, comme je l’ai dit, bien qu’elle soit insuffisante, cette proposition de loi constitue tout de même une avancée. Les élus locaux, qui sont plus de 500 000 dans notre pays, méritent qu’on les soutienne. Ils sont les relais des lois votées à l’Assemblée et les détenteurs d’une parcelle de puissance publique, car, en vertu de l’article 16 du code de procédure pénale, les maires ont la qualité d’officier de police judiciaire. Si utiles à la société, ils sont les rouages et les fondements de nos institutions : il faut donc les préserver et mieux les protéger.
Mme la présidente
Merci de conclure.
Mme Béatrice Roullaud
C’est la raison pour laquelle nous voterons pour la proposition de loi.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Rome.
M. Sébastien Rome
Quel est le point commun entre le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire, la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière et la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux ? Tous ces textes obéissent au même principe : l’inflation pénale par l’alourdissement des peines. Le fond des questions n’est jamais traité.
Mes amis maires, je vous le dis, cette proposition de loi ne renforcera pas votre sécurité, pas plus qu’elle n’entraînera une baisse des violences. (M. Gabriel Amard applaudit.) Rien dans ce texte ne permet de combattre les mots et les gestes brutaux dont nous voulons tous qu’ils soient condamnés.
Écoutons justement les maires. Martial Foucault, qui a dirigé le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), a expliqué, après avoir réalisé une enquête auprès de 8 000 maires, qu’ils « demandent plus de protection, sans […] demander un cadre répressif plus grand. » Je trouve ces maires plus responsables que bien des députés !
Tournons-nous vers le maire d’Hantay que Mme la rapporteure a évoqué, Jacques Montois, qui a été agressé et harcelé. Témoignant au micro de France Culture, il a expliqué qu’il pensait jeter l’éponge et il a commenté la proposition de loi que nous examinons : « Je pense qu’il faut s’interroger aussi et surtout sur les raisons pour lesquelles on en arrive à une situation comme celle-ci. On est dans le curatif, en fait. Je pense qu’il faut avoir aussi une vision préventive, c’est-à-dire anticiper. » Malheureusement, monsieur le maire, rien dans ce texte ne répond à votre attente en matière de prévention.
Un autre grand défenseur de la liberté et de la République doit être convoqué ici. En 2011, Robert Badinter affirmait que personne ne pensait sérieusement dans les années 1980 qu’avec des lois plus sévères, on dissuaderait davantage les délinquants et les criminels de passer à l’acte. Selon lui, il était absurde de penser que les malfrats allaient vérifier dans le code pénal si les peines qu’ils risquaient avaient augmenté de deux ou cinq ans. Il estimait que réclamer des peines plus sévères ne servait à rien, sauf à faire la démagogie pénale, et que lutter contre cette surenchère, c’était se risquer à l’impopularité.
Que l’on interroge un grand homme, 8 000 maires ou un maire agressé, tous les avis convergent : le travail parlementaire ne sert à rien s’il ne s’attaque pas aux causes.
Le groupe La France insoumise se risquera donc à l’impopularité. Nous ne voterons pas contre un CLSPD mieux défini ou une meilleure protection fonctionnelle, mais nous ne validerons pas le principe de ne jamais traiter le fond du problème, en l’occurrence les atteintes à l’intégrité des élus locaux et à leur famille, et donc les atteintes à la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Je m’adresse à la partie de l’hémicycle qui n’a jamais considéré Robert Badinter comme laxiste. Vous allez voter pour ce texte. Pourtant, avec nous, vous avez goûté un peu l’impopularité en supprimant, en CMP, l’article 2 bis qui modifiait la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce retrait bienvenu confirme la position de La France insoumise.
M. Rodrigo Arenas
Exactement !
M. Sébastien Rome
Vous avez justifié cet heureux retour à la raison par des arguments de fond. Vous qui n’avez jamais considéré Robert Badinter comme laxiste, pourquoi acceptez-vous si facilement ce texte qui impose l’idée que nous ne serions pas suffisamment sévères alors qu’en réalité nous ne sommes pas suffisamment réactifs, faute d’accorder des moyens suffisants à la justice ? Alors que le budget du ministère sera une fois de plus ponctionné dans le cadre du plan d’austérité annoncé par le Gouvernement en vue d’effectuer 10 milliards d’euros d’économies, pensez-vous réellement que l’alourdissement des peines soit utile ?
Vous qui n’avez jamais considéré Robert Badinter comme laxiste, pourquoi acceptez-vous si facilement que, face au recul de la démocratie de proximité, rien dans le texte n’évoque le renforcement des moyens d’agir donnés aux élus locaux ? Croyez-vous réellement utile d’aggraver les peines ?
Vous qui n’avez jamais considéré Robert Badinter comme laxiste, pourquoi céder au dada de la droite qui, depuis Alain Peyrefitte, inspirée par Ronald Reagan, adopte une attitude de shérif ? Croyez-vous réellement utile d’aggraver les peines ?
C’est le recul de l’État qui expose les élus aux baffes, car il creuse un fossé entre les citoyens et les élus. Arrêtons de dépouiller les communes de leur autonomie financière et fiscale et donnons-leur le pouvoir d’agir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Alain David applaudit également.)
La République est aimée quand elle accroît la justice, le bien-être social, la liberté, l’égalité et la fraternité. Collègues, à l’avenir, notamment lors de l’examen de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, travaillons sérieusement à résoudre les problèmes de notre pays et arrêtons les effets de manche médiatiques. En adoptant des textes qui n’ont pas d’effet, nous augmentons le ressentiment et la colère contre la République. En soutenant cette proposition de loi, vous nourrirez la machine que nous combattons tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent travail de la rapporteure Violette Spillebout, ainsi que celui de la sénatrice Catherine Di Folco et du président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale du Sénat, M. François-Noël Buffet, à l’origine de la proposition de loi. Ce texte contient des mesures attendues depuis de longues années. Pour tous les maires de la République, pour tous les conseillers municipaux sans qui rien ne serait possible, je suis fière de porter aujourd’hui la voix du groupe Horizons et de défendre ce texte.
Chaque année, 450 maires rendent leur écharpe tricolore. C’est le signe du profond malaise qui s’est installé depuis quelque temps dans nos territoires. Les élus locaux, par leur proximité et leur engagement, se trouvent souvent en première ligne face à la colère et aux incivilités. Comme le dit souvent le président du Sénat, ils sont « à portée d’engueulade » – d’autres disent « à portée de baffes ». Malheureusement, ils sont aussi à portée de coups, si ce n’est pire. Attaquer un élu est un acte d’une gravité extrême, car c’est, si j’ose dire, attaquer la République dans sa chair.
Nombreux sont les députés qui ont été maires ou conseillers municipaux – certains le sont encore – et qui ont vécu ces moments de solitude ou de violence. Madame la ministre, vous connaissez l’ampleur des tensions sociales, des incivilités et des agressions auxquelles les maires et leurs familles sont hélas exposés. Ces difficultés peuvent mener au pire, comme le tragique décès de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, ou pousser à la décision la plus difficile lorsqu’on est un élu engagé, celle de démissionner. Si le constat de cette réalité est partagé depuis quatre ans, elle est malheureusement plus que jamais d’actualité. Qui, dans ces conditions, voudra encore s’engager, au risque de sa sécurité et de celle de sa famille, en 2026 et après ?
La proposition de loi s’inscrit dans la continuité du plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus et complète d’autres initiatives telles que le renforcement des moyens de la justice et la mobilisation des forces de sécurité. Nous avons lu avec consternation les chiffres publiés par le ministère de l’intérieur et des outre-mer : les plaintes ont augmenté de 32 % en 2022 et de 15 % en 2023. Il faut être réaliste : face à un tel constat, toute mesure susceptible de protéger nos élus et nos territoires est non seulement bienvenue, mais nécessaire.
La commission mixte paritaire s’est réunie le 27 février dernier. Je me félicite de l’accord qui a été trouvé. Le texte qui nous est présenté est le fruit d’un travail collectif et d’une volonté commune de garantir aux élus la sécurité qu’ils méritent, à travers deux objectifs : renforcer les sanctions encourues par les auteurs d’agressions contre des élus et mieux accompagner les victimes. Avec ce texte, nous renforçons la prise en charge des frais médicaux et l’accompagnement psychologique des victimes. Nous rendons automatique l’octroi de la protection fonctionnelle ; cette mesure était très attendue par les maires, ainsi que par les présidents de département ou de région. Nous instaurons une peine de travail d’intérêt général en cas d’injures publiques à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique ou de certains élus, ainsi qu’une circonstance aggravante en cas de harcèlement. Nous garantissons un accès aux assurances pour les locaux politiques.
Le groupe Horizons et apparentés avait émis deux réserves lors du vote de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. D’une part, nous n’étions pas favorables à l’allongement du délai de prescription en cas de diffamation pour les seuls élus. D’autre part, nous avions indiqué qu’il ne nous semblait pas pertinent que les parlementaires soient membres de droit des CLSPD. Ces derniers doivent demeurer des espaces de dialogue fluide entre les maires et le procureur, notamment. Ils offrent un cadre local et pratique pour la coordination de la politique de sécurité ; or la présence des parlementaires leur aurait donné une dimension nationale et risquait de les transformer en espaces politiques.
En votant pour cette proposition de loi, nous envoyons un message clair aux maires et aux conseillers municipaux, qui sont les garants du respect de nos lois et de nos valeurs, un message d’unité, de force et de détermination, afin qu’à travers cette protection particulière dévolue aux maires, la République française et notre modèle démocratique continuent à s’épanouir à l’abri de la haine, du séparatisme et de toute forme de violence.
Dans l’ADN du groupe Horizons est inscrite sa proximité très forte avec les élus locaux. Nous sommes à leurs côtés et nous resterons à leur service. Cette proposition de loi est indispensable à l’édifice de la protection des élus. Il est de notre responsabilité collective de la voter à l’unanimité, même si j’ai bien compris que c’était, hélas, un vœu pieu. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Élodie Jacquier-Laforge.
Mme Élodie Jacquier-Laforge
Nous avons tous été élus pour porter la voix de nos concitoyens. Nous avons accepté cette vocation républicaine et nous avons choisi d’être les représentants du peuple. Malheureusement, nous avons aussi, toutes et tous, été confrontés à la virulence de certains individus, aux attaques physiques ou sur les réseaux sociaux, à des menaces, à des dégradations de notre domicile ou de notre permanence parlementaire. Alors que l’élu local, en particulier le maire, est l’élu préféré des Français, il est aussi le plus proche des colères et de la violence.
C’est pourquoi le Gouvernement s’est saisi du sujet dès 2017, notamment à travers la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui a instauré une protection fonctionnelle pour tous les maires en créant l’obligation pour les communes de souscrire à une assurance dans ce domaine. La loi du 24 janvier 2023 permet, quant à elle, aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile.
À l’écoute des élus de ma circonscription, j’ai constaté à quel point la parole des maires a besoin de se libérer et à quel point parler est difficile, notamment par peur des représailles. Madame la ministre, vous avez entendu ces témoignages lors de votre déplacement en Isère : vous avez constaté, comme moi, combien les élus sont dignes et courageux.
Nous avons tous conscience de la réalité de ces violences et de ce que nos élus vivent au quotidien. La réponse doit être ferme. En 2022, le ministère de l’intérieur a recensé 2 265 plaintes ou signalements pour des faits de violence verbale ou physique à l’encontre des élus, soit 32 % de plus que l’année précédente. La proposition de loi issue du Sénat répond donc à un réel besoin. Nous devons nous tenir aux côtés des élus pour les aider, les soutenir et les défendre avec les leviers à notre disposition, tels l’aggravation des peines en cas de violences contre les élus, prévue par la proposition de loi. Nous améliorons aussi la protection fonctionnelle, en proposant des mesures pour compléter ce volet à la fois répressif et protecteur.
Nous avons un devoir commun : celui de défendre nos élus locaux – ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain. Comme cela a été évoqué, il importe de rassurer les futurs candidats, grâce à une réponse concrète et efficace, susceptible de lever les freins à l’engagement. Avec d’autres propositions de loi, ce texte et les mesures proposées par Violette Spillebout et Sébastien Jumel permettront un choc d’attractivité.
Sur le terrain, toutefois, certaines violences restent en zone grise. Je vous parle des agressions verbales visant des chefs de chantier mandatés par la commune, de la surveillance des domiciles du maire, des adjoints municipaux et de leur famille, de la pression exercée sur les agents afin de freiner l’action communale, et, enfin, des nombreuses procédures intentées contre toutes les décisions de la commune.
M. Raphaël Schellenberger
Ça, c’est juste la démocratie !
Mme Élodie Jacquier-Laforge
Le caractère systématique de ces procédures en fait un point de pression psychologique. Ces actions exercées volontairement sur nos élus, à la limite de la légalité, malheureusement vécues quotidiennement, banalisent les violences et les incivilités. Un élu peut être victime d’une agression physique à la sortie d’un conseil municipal ; il peut aussi être harcelé ou systématiquement dénigré sur les réseaux sociaux, comme l’a évoqué la rapporteure. Face à la proximité de cette violence, ce texte est un premier élément de réponse à destination des élus. Je me félicite de l’accord trouvé avec nos collègues sénateurs ; il démontre que les parlementaires et le Gouvernement sont à l’œuvre pour protéger les élus locaux. Protéger nos élus, c’est protéger la démocratie. Refusons la banalisation de la violence. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR. – Mme la rapporteure et Mme la ministre déléguée applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Delautrette.
M. Stéphane Delautrette
Nous en avons longuement débattu en première lecture et nous abordons régulièrement le sujet au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée : l’engagement public local est en crise. Il s’agit d’abord d’une crise de la démocratie et de la représentation, qui se traduit par la réduction constante de la participation électorale, mais ce phénomène dépasse les élections locales. Ensuite, il s’agit d’une crise des vocations, qui pose des défis considérables, pour le présent comme pour l’avenir. Il n’y a jamais eu autant de démissions d’élus – en particulier de maires – que depuis 2020. Je pense aussi aux 106 communes qui, en 2020, ne comptaient aucun candidat aux élections municipales au soir du premier tour, ainsi qu’aux 323 conseils municipaux incomplets.
Si le Gouvernement est resté en retrait sur cette question – il est dans la réaction et traite principalement les collectivités à travers le prisme des fichiers Excel de Bercy –, le Parlement s’en est pleinement emparé. (M. Raphaël Schellenberger s’exclame.) Depuis le début de cette législature, comme nos collègues sénateurs, nous travaillons – en particulier au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation – à apporter une réponse globale à cette crise des vocations.
Cette réponse passe par la mise en œuvre, longtemps attendue, d’un véritable statut des élus locaux. Une proposition de loi issue des travaux de la délégation vient d’être déposée à la présidence de notre assemblée ; de son côté, le Sénat vient d’adopter, à l’unanimité, sa propre proposition sur le sujet. J’espère que nous pourrons débattre rapidement de l’un ou l’autre de ces textes au sein de notre hémicycle.
En attendant, nous avons travaillé à un texte visant à mieux protéger les élus locaux contre les atteintes dont ils sont victimes, de manière croissante, dans notre pays. Je devrais parler plutôt des maires et des élus avec délégation. En effet, et c’est le principal regret de mon groupe, le Sénat a commis une erreur en n’intégrant pas les conseillers municipaux sans délégation dans plusieurs dispositifs, en particulier celui de la protection fonctionnelle.
Je l’ai dit en première lecture : ceux qui souhaitent s’en prendre à un élu en raison de ce qu’il représente ou de ses choix ne se posent pas la question de l’ordre du tableau du conseil municipal ou des arrêtés de délégation. Avec la nouvelle rédaction du texte, les parents d’un ancien adjoint au maire sont mieux protégés qu’un conseiller municipal sans délégation en exercice. Certes, nous avons renforcé la protection fonctionnelle, mais nous créons une protection à deux vitesses. Je le regrette vivement car l’article 40 de la Constitution ne nous permettait pas de corriger cette erreur et le Gouvernement, qui le pouvait, n’a pas souhaité le faire. Madame la ministre, dès qu’un vecteur législatif approprié se présentera, il vous faudra corriger rapidement le tir.
Nous regrettons également que nos débats aient été ternis par la polémique née de la proposition d’étendre aux seuls élus locaux le délai de prescription pour les délits de presse. Cette proposition des sénateurs avait été reprise par notre assemblée en commission et mon groupe s’y était opposé. Je remercie Mme la rapporteure d’avoir pris le temps d’un échange avec les sociétés de journalistes et d’avoir proposé la suppression totale de l’article afin de lever toute ambiguïté sur l’intention initiale des auteurs de la disposition, ce qui a permis de clore la polémique. Si les débats en CMP n’ont pas mené à un consensus sur ce sujet, ils ont abouti à la meilleure des solutions possibles, la suppression de l’article.
Pour le reste, le groupe Socialistes et apparentés soutient la quasi-totalité des mesures de cette proposition de loi, qui, pour beaucoup, reprennent ou complètent des mesures que nous avions nous-mêmes proposées ces derniers mois. Si ces mesures sont nécessaires, elles ne représentent que la première pierre d’un édifice dont la structure principale sera un véritable statut de l’élu local – traitant de la question de la formation, de l’indemnisation, de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et de l’accompagnement en fin de mandat. Nous prendrons toute notre part à la construction de ce statut.
Madame la ministre, au-delà de ces questions, il faudra aussi travailler à redonner du sens au mandat local, ce qui passe par de réels moyens d’action pour les élus locaux et par une confiance renforcée en l’État. Une nouvelle étape de la décentralisation sera également nécessaire : notre groupe en a esquissé les orientations il y a quelques semaines dans le cadre des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Raphaël Schellenberger.
M. Raphaël Schellenberger
C’est une belle après-midi puisque nous examinons un texte qui nous permet, encore et toujours, de parler d’engagement. Or parler d’engagement à l’Assemblée nationale, c’est toujours passer un bon moment, fût-ce pour constater que, dans notre société, l’engagement se tarit. Nous débattons de l’engagement particulier des élus locaux, mais nos discussions s’inscrivent dans un contexte qui doit nous préoccuper, nous, législateurs, qui incarnons la nation. En effet, qu’il soit associatif, politique ou électif, l’engagement se tarit.
Pourquoi cette baisse de l’engagement politique et électif ? En tant que législateurs, nous y sommes peut-être pour quelque chose. Je me rappelle, quand j’étais élu local, avoir été durement découragé par l’adoption de certaines lois, qui ne me donnaient pas envie de poursuivre mon engagement. Je pense notamment à la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, mais aussi à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi Notre.
M. Fabrice Brun
Ah, la loi Notre !
M. Raphaël Schellenberger
De telles lois font progressivement perdre du sens à l’engagement et à l’action publique locale.
M. Sébastien Jumel
Ça, c’est sûr !
M. Raphaël Schellenberger
Il y a aussi eu, en 2017, une volonté de jeter l’opprobre sur la classe politique : l’urgence était de moraliser la vie publique, à travers le vote des lois organique et ordinaire pour la confiance dans la vie politique. Évidemment, avant 2017, tous les élus étaient amoraux, voire immoraux ! Voilà ce qui a contribué à construire un contexte dans lequel les élus étaient critiqués, y compris par nous-mêmes. Un ministre du budget a été jusqu’à inviter chaque concitoyen à « balancer son maire » s’il venait à ce dernier l’idée d’augmenter les taux d’imposition.
Voilà le contexte dans lequel nous débattons des moyens de revaloriser la place des élus dans notre société et de reconnaître et protéger leur engagement ! Certains, dans cet hémicycle, ne sont pas complètement innocents dans cette affaire.
M. Roger Chudeau
Très juste !
M. Raphaël Schellenberger
Aujourd’hui, il est nécessaire de valoriser l’engagement des élus et de les soutenir. (M. Fabrice Brun s’exclame.) Pour cela, il faut bien sûr les sécuriser et les protéger dans l’exercice de leurs responsabilités. Le groupe Les Républicains votera donc en faveur de cette proposition de loi qui renforce les moyens dédiés à cette tâche. Reste qu’une réflexion globale sur le vivre-ensemble et sur notre capacité à faire nation est indispensable. Comme l’ont dit les orateurs qui m’ont précédé, on ne doit pas oublier ce qu’est l’État. Les élus représentent l’État et la République : en ce sens, ils incarnent, chacun à leur niveau, chacun dans leur territoire, une forme de violence exercée par l’État. Le dire n’est pas une catastrophe : cette situation était déjà décrite par Max Weber. (M. Pierre Cazeneuve et Mme Élodie Jacquier-Laforge s’exclament.) L’État se définit par la revendication de la violence légitime exercée sur un territoire.
Cela ne signifie pas que les violences envers les élus sont acceptables – bien au contraire –, mais cela justifie la nécessité de protéger tout particulièrement les élus parce que ce sont eux qui permettent à l’État de tenir. Il faut donc trouver un point d’équilibre : d’une part, préserver la liberté d’expression ; d’autre part, ne jamais autoriser les actes de violence. De ce point de vue, ce texte est satisfaisant. C’est pourquoi le groupe Les Républicains de l’Assemblée vous a soutenue, madame la rapporteure, lors de la CMP, lorsque vous avez proposé de ne pas retenir la modification de la loi sur la liberté de la presse.
Je souhaite que la réflexion sur l’engagement des élus locaux que nous entamons aujourd’hui ne s’arrête pas à cette proposition de loi : nous devons réfléchir au statut de l’élu local. Vous menez actuellement des travaux en ce sens avec notre collègue Sébastien Jumel, madame la rapporteure, et nous y contribuerons de manière active. Plus largement, nous devons réfléchir à ce qui donne encore du sens à notre envie de vivre ensemble et de nous engager. Nous devons donner des moyens aux collectivités et leur rendre des libertés locales.
Faisons confiance aux élus locaux : ils ne feront pas toujours ce que nous espérons qu’ils fassent, parfois même ils commettront des erreurs et prendront de mauvaises décisions, mais c’est en leur rendant leur liberté que nous leur permettrons de construire de beaux territoires et de soutenir l’innovation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LIOT. – M. Didier Parakian applaudit également.)
M. Fabrice Brun
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes.
Mme Julie Laernoes
Les violences contre les élus ont augmenté de 32 % en 2022 et de 15 % en 2023. Les démissions sont également en hausse. Dans mon département, la Loire-Atlantique, les cas sont nombreux. Je pense à Yannick Morez, ancien maire de Saint-Brévin-les-Pins, dont le domicile a été incendié en mars 2023, mais aussi aux menaces publiques contre Agnès Bourgeais, maire de Rezé, lors d’une réunion publique, ou à l’agression de Sandra Impériale, maire de Bouguenais, en novembre dernier, lorsque quelqu’un s’est introduit dans son bureau, armé d’un couteau. Le choc demeure toujours. Chaque fois qu’un élu est agressé, c’est une part de notre démocratie qui s’affaisse. Car la démocratie doit être une forme de gouvernance sans violence, en tout lieu et en tout temps.
La hausse des violences envers les élus doit toutes et tous nous alerter et nous faire réagir, en tant que parlementaires bien sûr, mais en tant que citoyens surtout. Notre message est clair : quelle que soit leur forme, les violences à l’égard des élus ne sont pas tolérables dans notre société et doivent être condamnées. Il ne s’agit aucunement de faire des élus des citoyens à part, mais d’assurer leur protection dans l’exercice de leurs fonctions.
Le groupe Écologiste-NUPES votera bien sûr pour le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. Nous approuvons la sagesse du Parlement concernant la suppression de l’allongement du délai de prescription du délit de diffamation et d’injure publique contre les élus et les candidats. Si cette disposition ne visait pas la liberté de la presse, les alertes des syndicats de journalistes et de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse ont montré que l’effet de cette mesure n’avait pas été suffisamment évalué. Les risques potentiels contre les droits des journalistes, qui doivent être préservés, ne permettaient pas d’aller dans ce sens. Nous saluons la concertation menée par Mme la rapporteure avec l’ensemble des groupes parlementaires avant la commission mixte paritaire.
Si cette proposition de loi prévoit des mesures nécessaires et attendues, elle ne réglera pas tout : elle ne préviendra pas de nouvelles violences contre les élus locaux, non plus qu’elle ne dédouanera l’État de ses responsabilités. Tout au long de l’examen du texte, nous l’avons répété : le pénal ne peut pas tout ; il permet de punir, pas de prévenir. Ainsi, aggraver les peines encourues ne doit pas nous empêcher de regarder en face les causes multifactorielles des violences : nous ne parviendrons à endiguer le mal qu’en agissant sur ses causes.
Le rapprochement des élus et des citoyens est un chantier vital pour raviver la confiance dans le système démocratique de gouvernement qui régit notre société et qui permet l’accès de chacune et chacun aux institutions sans discrimination. Or, nous le constatons, en pratique, le fonctionnement démocratique écarte et méprise trop souvent la voix de celles et ceux qui n’occupent pas les fauteuils du pouvoir.
Autre terreau des violences : l’abandon à leur sort des personnes en détresse. À portée de baffes, les maires et les élus locaux, les hommes et les femmes politiques les plus proches des citoyens, sont les premières victimes des politiques néolibérales qu’ils n’ont souvent pas décidées : tant que perdureront ces politiques qui appauvrissent les personnes, détruisent nos services publics et déshumanisent les liens sociaux, les violences ne feront qu’augmenter dans notre société.
N’oublions pas non plus l’origine des violences contre Yannick Morez, ancien maire de Saint-Brevin-les-Pins, dont la voiture a été brûlée et la maison incendiée alors qu’il y dormait avec sa famille : l’extrême droite utilise la violence pour imposer sa vision xénophobe et s’opposer à l’installation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile dans une commune où le sujet n’avait jamais causé d’incident ni fait l’objet d’aucune mobilisation. L’extrême droite est de plus en plus décomplexée à mesure que ses thèmes et ses termes se répandent dans les médias et dans les discours des responsables politiques.
Pour toutes ces raisons, chers collègues, ne pensez pas et ne laissez pas penser que seule l’aggravation des peines encourues pour des faits de violences à l’encontre des élus permettra de les réduire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente
Sur l’ensemble du texte de la commission mixte paritaire, je suis saisie par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel
Ce matin, j’ai commencé ma journée en me rendant dans la commune de Callengeville, dans le pays de Bray, où, aux côtés du maire de la commune, du maire de Vatierville et des parents d’élèves, nous étions rassemblés pour réaffirmer notre attachement à l’école en milieu rural et protester contre une fermeture de classe. Quelques heures après, je recevais un texto du maire de Criel-sur-Mer, une autre jolie commune de ma circonscription, qui a toutes les peines du monde à obtenir d’Orange le branchement d’une ligne téléphonique dans la maison de santé pour laquelle il s’est battu pendant plusieurs années. En arrivant à Paris, quelques heures plus tard, c’est le maire de la commune de Beaussault qui m’a contacté : il est préoccupé par l’avenir d’une entreprise de sa commune, bousculée par des injonctions contradictoires de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal).
Le mandat de maire, le plus beau des mandats, est tout cela : l’incarnation de la collectivité du quotidien. Sans les moyens, les outils ou la force d’élus de villes plus importantes ou des parlementaires que nous sommes, ces urgentistes de la République sont parfois en galère pour prendre soin des habitants ou répondre concrètement à leurs besoins.
Alors je le dis d’emblée : prendre soin des élus et les protéger passera par le renforcement du pouvoir d’agir des maires, mais aussi, comme le passionnant travail que j’ai mené avec Violette Spillebout l’a démontré, par notre capacité à normaliser et faciliter les relations entre les maires et les services de l’État. Ces derniers doivent tenter de moins enquiquiner les maires au quotidien et les accompagner davantage.
Prendre soin des élus et les protéger impliquera aussi de renforcer leur statut et leur formation – le mandat d’élu doit permettre un aller et retour permanent entre le monde professionnel et l’engagement citoyen. Plusieurs propositions intelligentes, issues de la réflexion transpartisane des associations d’élus, ont été formulées en ce sens. Pour ne pas renforcer encore sa déconnexion avec la vraie France, la France d’en bas, celle qui tient tout à bout de bras grâce aux piliers de la République que sont les maires, il faudra, madame la ministre, que l’Assemblée apporte sa contribution à la réflexion : j’ai confiance en notre capacité à faire avancer collectivement ces sujets.
Mais avant tout cela, face à l’essoufflement démocratique et à l’explosion des violences, il fallait en passer par l’affirmation d’un symbole clair : on ne touche pas aux élus, on ne touche pas aux maires ; on ne violente pas, on ne bouscule pas, on ne diffame pas ceux qui consacrent leur temps au service des autres, bien souvent uniquement par altruisme. Chers collègues Insoumis, je suis lucide, et je sais que ce texte ne suffira pas ; mais cette petite proposition de loi d’initiative sénatoriale, si insuffisante et incomplète soit-elle – il nous appartiendra de la compléter –, a le mérite de l’affirmer. Je le dis donc sans hésiter ni sourciller : les atteintes aux élus doivent faire l’objet de sanctions exemplaires. Alors que le nombre des démissions explose et que la fracture entre les citoyens et ceux qui les représentent grandit chaque jour un peu plus, nous devons réaffirmer notre volonté de prendre soin des hussards de la République.
C’est dans cet état d’esprit que le groupe GDR a abordé ce débat parlementaire. Grâce au climat de confiance dans lequel nous avons travaillé avec ma collègue rapporteure, Violette Spillebout, nous avons entendu les alertes des journalistes sur les risques liés à l’allongement du délai de prescription pour les élus diffamés. Il faudra y revenir pour trouver une solution consolidée sur le plan juridique et répondre à l’impérieuse nécessité d’envoyer un signal aux élus sans pour autant abîmer la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de ce texte qui vise à prendre soin des élus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE, SOC et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Texte de la commission mixte paritaire
Mme la présidente
J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire. Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisie.
Les amendements nos 2 et 1 du Gouvernement sont des amendements de coordination.
(Les amendements nos 2 et 1, acceptés par la commission, modifiant respectivement les articles 5 et 14, sont successivement adoptés.)
Mme la présidente
Nous avons achevé l’examen des amendements.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 110
Nombre de suffrages exprimés 96
Majorité absolue 49
Pour l’adoption 96
Contre 0
(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
3. Mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales
Commission mixte paritaire
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (no 2224).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme Isabelle Santiago, rapporteure de la commission mixte paritaire.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure de la commission mixte paritaire
C’est avec beaucoup d’émotion que je m’adresse à vous aujourd’hui. La proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (VIF), que nous nous apprêtons à adopter définitivement, s’inscrit dans un combat que j’ai mené avec constance, d’abord en tant que vice-présidente du Val-de-Marne chargée de la protection de l’enfance, puis en tant que parlementaire. Le chemin parcouru est immense.
Je souhaite adresser plusieurs remerciements, et tout d’abord à mes collègues du groupe Socialistes et apparentés et à son président, Boris Vallaud, qui m’ont fait confiance en inscrivant ma proposition de loi à l’ordre du jour de notre niche parlementaire du 9 février 2023. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Je tiens également à remercier le Gouvernement, qui a soutenu ce texte depuis le début et a permis son inscription rapide à l’ordre du jour de nos deux assemblées, ainsi que le cabinet du garde des sceaux pour le travail que nous avons accompli ensemble.
Par deux fois, cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale : pour cela, mais aussi pour votre implication dans ce travail de coconstruction transpartisan, je vous remercie, mes chers collègues.
J’adresse aussi mes remerciements à nos collègues sénatrices et sénateurs qui ont participé à l’élaboration du texte au cours de la navette parlementaire : voilà un bel exemple de travail parlementaire, qui fait honneur à notre République !
Il est temps pour moi d’avoir une pensée pour le juge Édouard Durand, qui a toujours porté la parole des enfants avec beaucoup de justesse : je fais partie de celles et ceux qui souhaitent ardemment son retour à la tête de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), si essentielle au recueil de la parole des victimes.
Enfin, un grand merci à Mélissa Theuriau, qui partage mon combat en faveur de la protection de l’enfance, pour sa présence en tribune aujourd’hui, aux côtés de ceux qui me sont chers.
La protection des mineurs exposés aux violences intrafamiliales doit être notre priorité commune et s’inscrire dans un changement de société profond : l’inversion de la réflexion autour de l’autorité parentale défendue dans ce texte est cruciale pour prioriser le bien-être et la sécurité de l’enfant, mais aussi la sécurité du parent protecteur. Le dispositif proposé dans ce texte est attendu par notre société : en inscrivant dans la loi la suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement durant l’intégralité de la procédure judiciaire, et en posant le principe du retrait total de l’autorité parentale en cas de condamnation pour les infractions les plus graves – sauf décision spécialement motivée du juge –, nous impulsons un véritable changement de paradigme dans la culture pénale.
La proposition de loi répond à l’impérieuse nécessité de dire aux victimes de violences sexuelles qu’on les croit, mais aussi qu’on les protège. Il est temps que nous entendions la voix des plus vulnérables d’entre nous : les enfants. Pour reprendre les mots du juge Édouard Durand, le risque « n’est pas d’inventer des violences et des victimes, c’est de laisser passer des enfants sous [nos] yeux sans les protéger ». De même, Nelson Mandela a eu cette phrase magnifique : « Nous devons à nos enfants – les citoyens les plus vulnérables de toute société – une vie exempte de violence et de peur. »
Mme Isabelle Santiago, rapporteure
Avec l’adoption de ce texte, nous pourrons être fiers d’avoir œuvré en ce sens et nous féliciter de rejoindre l’Espagne et l’Italie en légiférant sur le retrait de l’autorité parentale. À l’échelle européenne, la France possédera ainsi la législation la plus complète sur le sujet. Nous avons le devoir de continuer dans cette direction ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Après une semaine historique placée sous le thème des droits des femmes, nous commençons celle-ci sous le thème de l’enfance, pour parachever une avancée majeure dans la protection de nos enfants. Vous le savez, la protection de l’enfance, comme celle des femmes, constitue l’une des priorités du Gouvernement. Aussi, je me félicite que les deux assemblées soient parvenues à un compromis dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire (CMP).
Il faut dire que le texte était presque arrivé à maturité puisque seul l’article 1er faisait encore l’objet d’un débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Cet article, dans la rédaction qui est aujourd’hui soumise à vos votes, modifie l’article 378-2 du code civil afin d’étendre le mécanisme de suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné. Désormais – enfin ! –, nous appliquerons un principe de précaution pour l’enfant : dès lors que son parent sera poursuivi pour crime ou agression sexuelle sur sa personne, aucun risque ne sera pris et l’enfant n’aura plus aucun contact avec son agresseur présumé jusqu’à l’éventuelle décision de non-lieu du juge d’instruction ou jusqu’à la décision de la juridiction pénale.
Certains ont pu penser qu’une telle suspension portait une atteinte trop importante aux droits parentaux du parent poursuivi, d’autant plus que la nouvelle écriture supprime l’obligation faite au procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) dans les huit jours suivant la suspension. Il n’en est rien, puisque le parent mis en cause a la possibilité de demander au juge aux affaires familiales la mainlevée de la suspension dès le lendemain de son application. S’il ne formule pas cette demande, c’est la démonstration de son désintérêt pour l’enfant. S’il la formule, c’est l’occasion pour lui de démontrer à un juge sa capacité à assurer le bien-être et la sécurité de sa progéniture. L’écriture à laquelle vous avez abouti permet donc d’atteindre nos objectifs de protection de l’enfant en amont de la décision pénale : je ne peux que m’en féliciter.
Je veux ici saluer l’esprit de responsabilité et d’ouverture de Mme la rapporteure Santiago et de l’ensemble des groupes politiques de la majorité et de l’opposition qui ont œuvré à ce compromis. Vous avez su trouver, dans le cadre de la commission mixte paritaire, la voie de passage qui permet l’adoption de ce texte au plus vite. L’article 2, en revanche, a très rapidement fait l’objet d’un large consensus. Cet article élargit les modalités de retrait de l’autorité parentale ou de ses attributs pour renforcer la protection de l’enfant en cas de condamnation de l’un de ses parents, pour une infraction commise sur son enfant ou par son enfant. Un dispositif à triple détente – si je puis m’exprimer ainsi – est ainsi mis en place.
Le premier dispositif concerne les infractions les plus importantes : lorsque le parent est condamné pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse sur son enfant, le juge pénal aura désormais l’obligation d’ordonner le retrait total de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si le juge ne décide pas le retrait total de l’autorité parentale, il ordonnera alors le retrait partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Il s’agit d’une avancée importante puisqu’en l’état du droit positif, ce retrait n’est qu’une simple faculté pour le juge, quelle que soit l’infraction ayant donné lieu à la condamnation.
Le second volet du dispositif concerne tous les délits commis sur l’enfant, autres que l’agression sexuelle incestueuse. En cas de condamnation, le juge pénal aura l’obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de l’exercice de cette autorité.
Le troisième et dernier volet concerne le cas du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un délit commis par son enfant. En cas de condamnation, le juge pénal aura la possibilité d’ordonner le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou de son exercice.
Je le dis et le redis ici devant vous : ces deux premiers articles, ainsi que l’article 3, qui intègre dans le code pénal les dispositions que l’article 2 introduit dans le code civil, constituent une avancée majeure en matière de protection des enfants. De même que la protection des droits des femmes revêt une dimension universelle, les droits des enfants méritent d’être promus et défendus par-delà nos frontières. Aujourd’hui, la France s’engage résolument pour protéger les plus petits d’entre nous. Elle rejoint l’Espagne et l’Italie dans le peloton de tête des pays les plus protecteurs des enfants ! J’irai même au-delà. Une fois ce texte entré en vigueur, notre législation sera la plus complète et la plus protectrice d’Europe, voire du monde, parce qu’elle prévoit dès le début de l’enquête une suspension automatique de l’exercice des droits parentaux sans intervention préalable du juge, et parce qu’elle contraint ou autorise le juge pénal à se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice pour toutes les infractions, de manière proportionnelle à leur gravité.
Mesdames et messieurs les députés, nous pouvons être fiers de la qualité des travaux parlementaires et des échanges qui furent les nôtres car ils ont démontré, si besoin était, notre engagement commun, transpartisan et total au service de la protection de l’enfance, au-delà de toutes nos différences. Ce texte, n’en doutons pas, est très attendu par nos concitoyens, parce qu’il renforce la protection des plus vulnérables d’entre nous, parce qu’il est de notre devoir de protéger l’enfant victime de son parent agresseur et parce que le foyer doit toujours rester un lieu où l’enfant peut grandir en paix et en sécurité.
Après ce vote qui, je l’espère, nous rendra fiers, la France sera à la pointe du combat pour la protection de l’enfance, comme elle l’était la semaine dernière pour la protection des droits des femmes. Décidément, la France des droits des femmes, la France des droits des enfants, la France des droits humains rayonne en ce mois de mars ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem. – M. Boris Vallaud applaudit également.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est au président Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Le juge Édouard Durand explique les choses avec concision et clarté : « L’histoire de l’inceste, […] c’est l’histoire d’un déni. » Quelle meilleure définition sociale et politique d’un tel fléau ? Pendant des siècles, nous avons pensé qu’il fallait protéger les enfants orphelins et vagabonds exposés à la cruauté de l’inconnu, mais que ce qui arrivait aux enfants dans le silence des maisons et des familles ne nous regardait pas. C’était de l’ordre du privé. En réalité, il était davantage tabou de dire l’inceste que de le commettre. Il a fallu briser ce déni, ce silence écrasant qui faisait tant de victimes.
Grâce à l’action des uns et des autres, un basculement est heureusement en train de s’opérer dans la société. Il nous faut l’écouter, l’entendre, le saluer et l’accompagner. À ces 160 000 enfants qui subissent, chaque année, des violences sexuelles en France, à ces 5,5 millions d’hommes et de femmes adultes qui ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance, et pour qui le passé ne passe pas, nous disons : vous n’êtes plus seuls. Le texte que nous votons en est non seulement l’illustration, mais constitue aussi une grande avancée dont nous souhaitons l’adoption la plus large possible.
Ainsi, c’est avec fierté et émotion que le groupe Socialistes et apparentés, par la voix d’Isabelle Santiago, vous propose d’adopter aujourd’hui une loi qui vient reconnaître la parole des enfants victimes de violences intrafamiliales et les protéger.
Je tiens d’abord à remercier les associations pour leur engagement, leur pugnacité et leur obstination. La route a été longue et, nous le savons, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Nous, députés, demeurerons aux côtés des associations. Je veux remercier aussi les parlementaires engagés sur tous les bancs, qui ont contribué, dans un esprit de concorde et de responsabilité, à faire avancer cette juste cause.
Je tiens enfin à remercier chaleureusement la rapporteure, notre collègue du Val-de-Marne, pour le travail qu’elle a fourni, forte de son expérience en matière de protection de l’enfance, en concertation avec la Ciivise, de nombreuses associations et les acteurs de terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Je veux aussi la remercier pour sa détermination, qui a permis, à peine plus d’un an après la première inscription du texte dans la niche socialiste du 9 février 2023, de nous réunir aujourd’hui pour son adoption définitive.
Nous pouvons en être fiers, car cette victoire est collective. Je suis heureux que Mme Santiago inscrive ses pas dans ceux de socialistes qui ont fait avancer avant elle la cause des droits de l’enfant. Je pense à la première grande loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, défendue par Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, mais aussi à la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, défendue par Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, et qui fit sortir la protection de l’enfance de l’angle mort des politiques publiques.
Dans un combat quotidien, nos départements mènent également un travail minutieux et difficile pour protéger les enfants. Enfin, la semaine dernière encore, la loi visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport, proposée par notre collègue Claudia Rouaux et soutenue au Sénat par M. Sébastien Pla, était adoptée définitivement.
Ces combats sont longs, difficiles et appartiennent à tous ceux qui sont attachés à la grande cause de la protection de l’enfance. Ainsi, avec ce texte, un parent poursuivi pour crime contre l’autre parent, ou pour crime ou agression sexuelle sur son enfant, verra ses droits de visite et d’hébergement, ainsi que l’exercice de son autorité parentale, immédiatement suspendus, et ce jusqu’à ce que le juge se prononce sur le fond de l’affaire. Le parent condamné pour ces mêmes infractions se verra automatiquement retirer son autorité parentale, sauf décision spécialement motivée du juge : c’est une grande avancée.
Monsieur le ministre, ce texte nous oblige, vous et nous, parce que reconnaître la parole des enfants, c’est aussi se donner les moyens d’agir et parce que, sans un accompagnement médico-social et psychologique adapté à chacun, les enfants resteront inaudibles. Il nous incombe d’instaurer un suivi de qualité pour eux et d’alléger le fardeau qu’ils traîneront toute leur vie. Parce que, comme le dit le juge Durand, « l’inceste est une humiliation sociale avant tout, par laquelle l’enfant n’a plus de place dans l’histoire des humains », il est de notre responsabilité, non seulement de reconnaître la parole des enfants, mais aussi de leur faire une place dans la société. Je suis convaincu que nous sommes, toutes et tous, déterminés et unis autour de cet objectif. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Dem et LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marianne Maximi.
Mme Marianne Maximi
Je me réjouis que nous débattions d’un texte visant à protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales : celles-ci sont loin d’être un sujet mineur, puisqu’elles concernent près de 400 000 jeunes en France. La proposition de loi doit combler un angle mort du traitement judiciaire de ces violences : jusqu’à présent, en effet, l’autorité parentale d’un adulte poursuivi pour un crime ou des violences sexuelles sur son enfant pouvait être maintenue de nombreuses années, tant les procédures judiciaires sont longues. Ce texte représente donc une avancée ; nous le soutiendrons.
Au-delà des familles où l’un des adultes est capable d’exercer son autorité parentale – objet du présent texte –, j’appelle votre attention sur celles dans lesquelles les deux parents connaissent des difficultés qui mettent en danger leur enfant, et qui sont suivies par les services de la protection de l’enfance. Les enfants placés n’ont fait l’objet de quasiment aucune avancée législative. Entre 2017 et 2023, seules vingt-sept propositions de loi ont été déposées à leur sujet ; la moitié provenaient de la droite et de l’extrême droite et visaient à stigmatiser les enfants migrants, ainsi qu’à réduire leur prise en charge. Au cours de la même période, seules 217 questions écrites relatives à la protection des enfants ont été adressées au Gouvernement – à titre de comparaison, des thèmes comme l’environnement ou les collectivités territoriales ont occasionné, chacun, plus de 5 000 questions.
Le Parlement ne consacre qu’environ 1 % de ses travaux à l’enfance en danger ; c’est déplorable, tant il y a à faire. Même quand des lois sont adoptées, elles ne changent pas grand-chose car, bien souvent, elles ne sont pas appliquées. L’exemple le plus récent est celui de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet : une dizaine de ses décrets d’application se sont fait attendre pendant deux ans. Le décret transitoire censé encadrer les placements en hôtel, avant leur interdiction partielle, n’est même jamais paru. Il aurait pourtant évité à Lily, 15 ans, d’être hébergée dans un hôtel, dans mon département, où elle s’est donné la mort. Il est scandaleux que les lois ne soient pas appliquées.
Par ailleurs, la justice des enfants n’a plus les moyens de fonctionner correctement. Les professionnels de la justice nous expliquent que leurs conditions de travail sont extrêmement dégradées : ils sont en sous-effectifs et n’ont pas de greffier la plupart du temps, les délais ne cessent de s’allonger et les juges doivent abandonner certaines missions, comme les audiences de mainlevée et les visites de lieux de placement.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Il fallait voter les budgets ! Vous ne l’avez pas fait !
Mme Marianne Maximi
Je m’inquiète que le Gouvernement ait décidé d’annuler près de 3 % du budget de la mission Justice d’un trait de plume, par décret. La situation de la justice est à l’image de la chaîne de la protection de l’enfance, qui est en train de s’effondrer sous vos yeux, monsieur le garde des sceaux. Vous pouvez vous targuer d’avoir les meilleurs textes d’Europe et du monde, mais vous ne pouvez pas ignorer les alertes qui affluent de toutes parts : des travailleurs sociaux, des soignants, des professeurs, des magistrats, des personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE), des assistants familiaux et même de la Défenseure des droits et de l’ONU.
Tous les maillons de la chaîne de la protection de l’enfance dysfonctionnent : des enfants appellent le 119 mais n’obtiennent pas de réponse, faute de personnel ; des informations préoccupantes ne sont plus traitées dans les délais ; des mesures ordonnées par les juges ne sont plus exécutées, faute de places ; des enfants sont hébergés dans des lieux inadaptés à leur situation et sont exposés à de graves dangers. En deux mois, deux jeunes de 14 et 15 ans sont décédés dans le cadre de leur placement.
Je dénonce l’absence de réaction des pouvoirs publics alors que les drames se multiplient. C’est pourquoi, avec quatre-vingt-quinze députés de quatre groupes parlementaires, nous avons déposé une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur les carences de l’action publique en matière de protection de l’enfance. J’appelle tous les parlementaires à la soutenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Eva Sas applaudit également.) L’Assemblée doit identifier les causes de l’effondrement de ce service public essentiel et y apporter des réponses urgentes.
Les enfants voient leurs droits reculer dans notre pays : ils sont 3 millions à vivre sous le seuil de pauvreté ; plusieurs milliers d’entre eux sont toujours privés d’abri et vivent dans la rue. L’ONU et la Défenseure des droits s’alarment du recul du droit à l’éducation, en particulier dans les territoires ultramarins et pour les enfants en situation de handicap. Ne l’oublions pas : les droits des enfants ne sont ni une option, ni une variable d’ajustement budgétaire ; la France a l’obligation de les garantir, en vertu d’engagements nationaux et internationaux – même si elle oublie souvent qu’elle est signataire de la Convention internationale des droits des enfants. En la matière, nous attendons bien plus que votre réaction actuelle, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Eva Sas applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-France Lorho.
Mme Marie-France Lorho
Il n’est de civilisation honorable qui ne respecte ses propres enfants. Les atteintes perpétrées contre les plus fragiles, quelle que soit leur forme, sont une infamie que nous devons combattre. S’agissant des violences commises sur les plus jeunes, y compris dans leur propre foyer, la situation est grave : elle imposait que le Parlement s’en saisisse.
La présente proposition de loi, qui vise à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, répond à un contexte dramatique : en 2021, ces violences ont augmenté de 16 % par rapport à l’année précédente et, chaque année, 160 000 enfants déclarent être victimes de violences sexuelles. Cette situation accablante impose de prendre des dispositions législatives pour freiner l’expansion alarmante de ces sévices ; aussi le groupe Rassemblement national approuve-t-il les intentions du texte issu de la commission mixte paritaire.
Nous nous réjouissons de la disparition de l’alinéa 3 de l’article 1er, dont nous avions demandé la suppression en commission des lois : il était nécessaire que la juridiction pénale garde la responsabilité d’un dossier dont elle est la meilleure connaisseuse et sur lequel elle doit pouvoir intervenir en prenant en considération l’ensemble des données qui lui sont fournies. Il ne nous semble pas infondé de considérer comme covictime un enfant qui a assisté à des violences à l’encontre de l’un de ses parents. C’est la raison pour laquelle nous nous réjouissons que le rapport relatif au repérage, à la prise en charge et au suivi psychologique des enfants exposés aux violences conjugales, ainsi qu’aux modalités d’accompagnement parental, dont nous avions demandé la réintroduction à l’article 4, ait été maintenu.
S’il faut se réjouir que la sécurité des enfants soit renforcée dans le cadre intrafamilial, notre rôle est néanmoins d’alerter le Parlement sur les difficultés que rencontrent toutes les familles – difficultés qui, hélas, peuvent être à l’origine de certaines violences. Les familles ne sont pas aidées : la baisse du quotient familial et des allocations, décidée sous la présidence de François Hollande, a plongé nombre d’entre elles dans les difficultés financières. Ce contexte de précarité est un terreau fécond pour les violences, notamment psychologiques, contre les enfants.
Faute de solutions mises à leur disposition, les parents qui travaillent doivent recourir à des auxiliaires multiples, quand ils le peuvent ; ils disposent d’un contingent de jours de congé très limité pour faire face à la maladie de leur enfant. Ce sont autant d’embûches sur le chemin des familles, qui, acculées, sombrent parfois dans la détresse. Loin de moi l’idée de justifier les violences d’une quelconque façon : elles doivent être sévèrement condamnées – c’est pourquoi nous voterons en faveur de ce texte. Cependant, il est urgent de restaurer une véritable politique familiale, garante d’un cadre familial moins tourmenté et par conséquent moins propice à la violence.
Je tire également la sonnette d’alarme pour dénoncer l’absence d’aide aux familles d’enfants handicapés, alors que ces derniers encourent un risque 2,9 fois plus élevé que les autres de subir des violences. Qu’est-il proposé à leurs familles pour les aider au quotidien ? Les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) – qui, heureusement, sont de plus en plus nombreux – ne bénéficient pas d’une vraie reconnaissance. (Mme Béatrice Roullaud applaudit.) Ils ne peuvent pas accompagner les enfants durant le temps méridien. Dans son plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour 2023-2027, le Gouvernement dit porter une attention toute particulière aux enfants en situation de handicap ; or les seules mesures qui les concernent se rapportent aux structures d’accueil et n’abordent pas le cadre intrafamilial.
Prévenir les violences intrafamiliales, c’est aussi permettre aux familles de vivre dans un cadre apaisé – en la matière, l’État faillit à son devoir. Les diplômes d’État liés aux métiers de la petite enfance sont peu valorisés, alors que ces professionnels s’occupent des tout-petits. L’État peine à faire face au harcèlement qui touche près de 1 million d’élèves chaque année. Alors, oui : condamnons sans trembler et avec la plus grande fermeté les violences insupportables faites aux plus fragiles d’entre nous, mais battons-nous aussi pour soutenir les familles qui affrontent un quotidien souvent devenu hostile. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Nous examinons la version définitive d’un texte important, qui a débuté son chemin législatif en décembre 2022. Il permettra de suspendre l’exercice de l’autorité parentale et le droit d’hébergement du parent poursuivi dès l’ouverture d’une enquête pour crime ou violences sexuelles sur l’enfant ou pour crime sur l’autre parent. Dans notre culture, il reste difficile d’envisager le retrait de l’autorité parentale. Pourtant, cette option est devenue nécessaire – et même indispensable – dans l’éventail des moyens de protection de l’enfant victime de sa famille.
La proposition de loi apporte une réponse à la terrible réalité vécue par des centaines de milliers d’enfants victimes d’inceste ou de violences intrafamiliales. Chaque année, en France, près de 160 000 enfants subissent des violences sexuelles. Par ailleurs, 208 000 victimes de violences conjugales ont été recensées en 2021, dont 80 % avaient des enfants. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, publié en octobre 2021, estime même que près de 15 % des femmes et plus de 6 % des hommes majeurs auraient subi une agression sexuelle lorsqu’ils étaient mineurs, soit environ 10 % de la population. C’est dire l’ampleur du phénomène et l’importance de l’enjeu dont nous sommes saisis.
Concrètement, le retrait de l’autorité parentale prive l’un des parents de l’ensemble de ses attributions, y compris les plus symboliques, comme le droit de consentir au mariage de son enfant. Ce retrait revient également à confier exclusivement à l’autre parent le soin de veiller sur l’enfant et de prendre les décisions nécessaires à sa santé, à son éducation, etc. Depuis des décennies, les philosophies des différents acteurs de la protection de l’enfance s’opposent sur le sujet. Le législateur doit trancher : il est indispensable de sanctionner le parent coupable de violences extrêmement graves sur l’enfant et de protéger cet être vulnérable physiquement en l’éloignant juridiquement de l’autorité dont il dépend et qui, hélas, parfois le détruit.
Je tiens à saluer le travail et l’engagement constant dont vous avez fait preuve pour défendre ce texte, madame la rapporteure. Grâce à votre travail, nous allons faire avancer cette cause importante. Depuis quelques années, un chemin a été engagé et des avancées ont été obtenues. Citons la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, défendue par notre collègue Aurélien Pradié, qui a été adoptée à l’unanimité : elle a créé un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour crime contre l’autre parent. Citons également la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : elle a étendu les cas dans lesquels les parents peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale ou son exercice, par une décision expresse du juge pénal, aux situations dans lesquelles un parent a été condamné pour des délits sur l’autre parent.
Notre devoir collectif est de veiller à la protection des enfants, ceux qui n’ont pas leur mot à dire parce qu’ils n’ont tout simplement pas les mots pour raconter. Il nous revient d’agir pour les aider. Rappelons que 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et que, chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles ; dans 90 % des cas, l’agresseur est un homme ; dans la moitié des cas, c’est un membre de la famille.
L’objectif principal qui doit nous guider est la protection des victimes et la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant ; c’est pourquoi les députés du groupe Les Républicains voteront la proposition de loi. Le retrait de l’autorité parentale est une mesure indispensable pour mettre fin à la reproduction des violences familiales de génération en génération. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant
Chaque jour, plus de 200 enfants sont maltraités par leur entourage. Chaque semaine, un enfant meurt sous les coups de ses parents. Chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, dont presque 80 % commises au sein de la famille, là même où ils devraient vivre en toute confiance, en toute sécurité. Entre 2 ans et 4 ans, un enfant sur quatre est régulièrement victime de violences de la part de son responsable légal. La réalité est terrible : à chaque fois que nous montons à la tribune pour défendre cette cause, à chaque fois que nous approfondissons le sujet, les chiffres sont plus glaçants et insoutenables.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait pourtant en 2016 : « La violence à l’égard des enfants est un problème de santé publique, de droits humains et de société, avec des conséquences potentiellement dévastatrices et coûteuses. Ses effets destructeurs nuisent aux enfants de tous les pays, touchant les familles, les communautés et les nations ». En France, les travaux de la Ciivise ont permis de mettre en évidence un phénomène que nous soupçonnions tous, mais dont nous ne mesurions pas l’ampleur, ni les dégâts pour nos enfants et notre société. Alors, aujourd’hui, agissons, avançons, donnons-nous les moyens de mieux protéger les enfants victimes ou covictimes de violences intrafamiliales !
C’est pourquoi nous vous remercions, madame la rapporteure, de cette proposition de loi au sujet épineux, mais essentiel : mieux protéger nos enfants des abus de l’autorité parentale, de son exercice, des droits de visite et d’hébergement, grâce à un nouveau cadre. Je le répète, nous sommes conscients des difficultés que suscite ce sujet et de l’absolue nécessité d’avoir pour guide l’intérêt supérieur des enfants – considération déterminante pour notre réflexion et nos décisions – sans compromettre pour autant les principes fondamentaux du droit. Le travail transpartisan que nous avons effectué à vos côtés, madame la rapporteure, avec le Gouvernement, a débouché sur un texte qui équilibre d’une part la protection de l’enfance, d’autre part la préservation des relations familiales et des liens affectifs, et garantit le caractère proportionné des peines et les droits de la défense. Le vote conforme, en deuxième lecture, de nombreux articles par l’une et l’autre chambre, ainsi que l’obtention d’un accord en commission mixte paritaire, le prouvent.
Désormais, dans les cas les plus graves, notamment en cas d’agression sexuelle incestueuse ou de crime commis par un parent sur son enfant, l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement seront suspendus de plein droit, dès le déclenchement des poursuites par le ministère public ou la mise en examen par le juge d’instruction, jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales. Tel est l’accord auquel nous avons abouti en CMP.
Désormais, la condamnation d’un parent pour crime ou agression sexuelle à l’encontre de l’enfant, ou pour crime à l’encontre de l’autre parent, entraînera le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice ; si la juridiction décide de ne pas ordonner un retrait total, elle sera du moins tenue à un retrait partiel, sauf décision contraire spécialement motivée. Il reviendra donc au juge d’apprécier in concreto la situation et, encore une fois, de motiver son éventuelle décision de maintenir un lien entre le parent condamné et l’enfant.
Désormais, l’autorité parentale, l’exercice de l’autorité parentale, les droits de visite et d’hébergement pourront être suspendus lorsqu’un parent sera condamné pour violence sur l’autre parent. Désormais, dès le stade des poursuites ou de la mise en examen, et en cas de condamnation pour crime sur l’enfant ou agression sexuelle incestueuse, l’aide sociale à l’enfance, ou un membre de la famille qui aura recueilli l’enfant, pourra saisir le juge afin de se faire déléguer l’exercice total ou partiel de l’autorité parentale.
Avec cette proposition de loi, nous pouvons dire aux enfants victimes de violences intrafamiliales que nous les entendons, que nous les écoutons et que nous les protégeons. Nous leur offrons un cadre de vie plus serein où se réparer, se reconstruire et devenir les adultes de demain. Le groupe Démocrate votera donc en faveur du texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Béatrice Descamps applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Poulliat.
M. Éric Poulliat
Tous les ans, près de 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, près de 200 000 personnes, dont 80 % ont des enfants, sont recensées comme victimes de violences conjugales. Derrière chaque statistique se cache l’histoire vraie d’un enfant, une vie perturbée, des rêves arrachés, qui n’auraient jamais dû l’être. En tant que société, en tant que République, il est de notre devoir de reconnaître et de combattre ce fléau insidieux qui perdure dans l’ombre de nos foyers – car ces actes odieux se commettent souvent dans le silence, laissant, sur les âmes innocentes qui méritent notre protection la plus ferme, des cicatrices invisibles que nous connaissons : stress post-traumatique, troubles du développement du cerveau et du système nerveux, addictions, et tant d’autres, hélas. Des centaines de milliers de vies ont été ou continuent d’être broyées dès l’enfance par l’inceste, par les violences intrafamiliales.
Ensemble, nous nous efforçons de lever le voile sur cette réalité déchirante, de faire entendre la voix des victimes trop longtemps réduites au silence. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que chaque enfant ait la chance de grandir en paix, en sécurité, dans un environnement aimant et respectueux.
La lutte contre les violences envers les enfants constitue, je le répète, un devoir moral, un engagement pour la justice, une garantie de l’épanouissement des générations futures. Tel est le sens des actions menées depuis 2017 par le Président de la République : Grenelle contre les violences conjugales, bracelets antirapprochement (BAR), téléphones grave danger (TGD) ou encore création en mars 2021, à la suite des témoignages marquants auxquels a donné lieu #MeTooInceste, de la Ciivise – je souhaite qu’elle puisse reprendre son travail en toute sérénité, dans l’intérêt des victimes qui lui ont accordé leur confiance en se manifestant massivement auprès d’elle.
N’oublions jamais que tous les acteurs de la société doivent être engagés contre les violences intrafamiliales : je pense bien évidemment aux élus, aux institutions, à l’école, aux médias, aux personnalités publiques, mais aussi et surtout aux familles. Écoutons nos enfants, quand ils nous parlent, quand ils se confient à nous ; mesurons toujours, au-delà des polémiques, ce que nous disons. D’autres enfants, murés dans le silence, prêtent l’oreille à nos propos : si nous ne sommes pas là, tous les jours, pour eux, les espoirs qu’ils fondent sur notre compréhension et notre amour s’éteindront.
C’est pourquoi, au nom du groupe Renaissance, je me réjouis que nous ayons su travailler, majorité et oppositions, Assemblée nationale et Sénat, Parlement et Gouvernement, au texte que nous nous apprêtons à adopter. Cette proposition de loi protégera nos enfants en permettant, en cas de crime à l’encontre de l’autre parent ou de crime ou agression sexuelle à l’encontre de l’enfant, la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale dès le stade des poursuites, puis le retrait total de cette autorité s’il y a condamnation.
Je tiens à saluer la détermination de Mme la rapporteure et de tous nos collègues engagés dans l’élaboration de la proposition de loi, avec une pensée toute particulière, au nom de la délégation parlementaire aux droits des enfants, pour Nicole Dubré-Chirat. Je salue également l’engagement constant du Gouvernement tout au long de l’examen de ce texte et je remercie le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, la précédente secrétaire d’État chargée de l’enfance, Charlotte Caubel, et l’actuelle ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles, Sarah El Haïry, de lutter quotidiennement contre ce fléau des violences intrafamiliales.
Ensemble, nous avons su trouver l’équilibre le plus approprié à la protection et à l’accompagnement des enfants victimes ou covictimes ; ensemble, nous devons continuer d’agir afin de créer un monde dans lequel chacun grandit sans crainte des abus. La route sera difficile, mais la cause est noble ; il nous faut plus que jamais la soutenir. Le groupe Renaissance votera pour cette proposition de loi et espère la voir adoptée, une nouvelle fois, à l’unanimité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Mme Béatrice Descamps applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Nous y voilà : après deux lectures dans chaque assemblée, ce texte fait désormais l’objet d’un consensus total, transpartisan, indispensable. Je remercie son auteure et rapporteure, Isabelle Santiago, dont l’engagement et l’écoute ont permis d’aboutir à une proposition de loi équilibrée.
Avant nous, nos prédécesseurs avaient déjà fait évoluer le droit : depuis 2005, nombre de lois ont mis à la disposition des associations et des personnels judiciaires des outils juridiques et pratiques conçus en vue de protéger les enfants, et souvent les femmes. En l’état du droit, l’exercice de l’autorité parentale peut être suspendu de plein droit lorsque l’un des parents est poursuivi pour un crime commis sur l’autre ; le retrait total ou partiel soit de l’autorité parentale, soit de l’exercice de celle-ci, est envisageable en cas de condamnation pénale pour crime ou délit sur l’enfant ou l’autre parent ; en cas d’inceste ou d’atteinte volontaire à la vie de l’autre parent, le juge est obligé de se prononcer sur ce point. Cependant, écrivait Victor Hugo, « toutes les violences ont un lendemain » : celles subies dans l’enfance engendrent des souffrances physiques et psychologiques durables, marquant à jamais la victime devenue adulte. Or les enfants sont témoins de 98 % des violences conjugales et, dans 36 % des cas, eux-mêmes maltraités ! C’est pourquoi il était nécessaire d’aller plus loin. Car l’arsenal juridique demeure perfectible pour protéger les enfants.
Les neuf articles de la proposition de loi tendent à un unique but : renforcer les moyens à la disposition de la justice afin de protéger plus efficacement les victimes. Au terme de longues discussions entre le Sénat et l’Assemblée, l’article 1er a atteint un équilibre qui nous semble juste : l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou mis en examen, soit pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, soit pour une agression sexuelle ou un crime commis sur l’enfant, seront suspendus de plein droit jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales.
En revanche, en cas de condamnation pour violences conjugales ayant entraîné plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT) et lorsque l’enfant a assisté aux faits, cette même suspension, prévue par le texte, en a été supprimée. Dans l’intérêt supérieur de l’enfant, nous partageons la volonté d’élargir les motifs de suspension de plein droit de l’autorité parentale. Par ailleurs, afin de sécuriser toutes les étapes de la procédure, l’article 2 vise au retrait automatique de l’autorité parentale s’il y a condamnation pour les faits que je viens d’évoquer, tout en préservant l’appréciation du juge, qui peut choisir, par une décision spécialement motivée, de ne pas appliquer cette mesure.
Le temps me fait hélas défaut pour évoquer les autres dispositions, non moins essentielles, dont il a été question à plusieurs reprises et au sujet desquelles les deux chambres ont rapidement trouvé un accord, mais vous aurez compris que le groupe Horizons et apparentés sera toujours déterminé à accompagner les évolutions favorables à l’intérêt de l’enfant et à sa protection. Par conséquent, nous voterons pour ce texte avec conviction. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes HOR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Francesca Pasquini.
Mme Francesca Pasquini
Nous nous prononçons aujourd’hui sur la version finale de la proposition de loi de notre collègue Isabelle Santiago. En première et en deuxième lecture, le groupe Écologiste avait déjà affirmé son soutien à ce texte qui vise à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales. En effet, alors que 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, qu’un enfant décède tous les cinq jours à la suite de mauvais traitements et qu’une large part de ces violences est commise au sein du foyer, nous devons agir.
Suspendre l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement d’un parent lorsqu’il est poursuivi ou mis en examen pour un crime commis contre sa compagne, pour une agression sexuelle incestueuse ou pour tout autre crime commis sur son enfant est nécessaire et en plein accord avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Il en va de même du retrait pur et simple de l’autorité parentale en cas de condamnation.
Lorsqu’un enfant dénonce des violences, il faut le croire et le protéger. En cas de violences commises par l’un de ses parents, le principe de précaution doit s’appliquer et l’enfant doit être mis en sécurité. Cela implique de suspendre l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que les droits de visite et d’hébergement, afin de s’assurer que l’enfant n’est plus en contact avec son agresseur et que les violences s’arrêtent – c’est d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit de viols ou d’agressions sexuelles incestueuses.
À l’instar du contrôle judiciaire et de la détention provisoire, la suspension de l’autorité parentale n’est pas contraire à la présomption d’innocence. Simplement, il s’agit d’opérer un choix : celui de ne pas prendre de risques et de faire passer les droits et les besoins de l’enfant avant tout. N’oublions pas qu’un enfant qui révèle des violences et qui n’est pas cru risque de s’effondrer sur le plan psychique, en plus d’être probablement exposé à de nouvelles violences.
Le texte prévoit également la suspension de l’autorité parentale si un crime a été commis contre l’autre parent. Les études sont claires : en cas de violences conjugales, les conséquences sociales et psychologiques sur les enfants sont désastreuses. C’est pourquoi, en tant que covictimes des violences, les enfants doivent être protégés et séparés du parent violent. Rappelons qu’un parent violent n’est jamais un bon parent. Je pense notamment aux auteurs de féminicide sur leur compagne ou ex-compagne : des hommes poursuivis ou condamnés pour féminicide, et qui sont en attente de leur procès ou détenus en prison, conservent leurs droits parentaux, ce qui constitue une extrême violence pour les enfants, comme pour la famille de la victime.
Pour toutes ces raisons, les Écologistes voteront ce texte qui va dans le bon sens. Nous espérons néanmoins qu’il sera le premier d’une longue série car du chemin reste à parcourir pour prévenir les violences et accompagner les victimes. De nombreuses propositions de la Ciivise n’ont pas encore été engagées, à l’image de l’ordonnance de sûreté de l’enfant qui permettrait de protéger immédiatement les enfants dès la révélation des violences et non pas seulement en cas de poursuites du ministère public ou de mise en examen. Il est également nécessaire d’améliorer le parcours judiciaire et de soins des victimes, qui s’apparente souvent à un véritable parcours du combattant.
Alors que les travaux de la Ciivise sont au point mort, nous espérons également que le Gouvernement prendra ses responsabilités et permettra à la Commission indépendante de se remettre au travail et de conserver ses missions initiales. Nous le devons aux millions de victimes qui nous regardent et attendent de nous que nous soyons à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – M. Jiovanny William applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel
Je dois concéder que la présente proposition de loi a été suivie, au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine-NUPES, par notre collègue Karine Lebon que je remplace au pied levé, avec une grande fierté toutefois, tant le sujet qui nous rassemble est important et fait consensus.
Les chiffres des violences faites aux enfants et aux adolescents en France donnent le vertige, voire la nausée, au père de famille que je suis. Près de huit parents sur dix déclarent avoir recours à une violence éducative ordinaire, qu’elle soit physique ou morale. Quelque 1,2 million d’enfants scolarisés sont victimes de harcèlement. J’ai d’ailleurs organisé, il y a quelques semaines, la représentation d’une pièce de théâtre à l’Assemblée nationale – avec l’accord de la présidente – sur le thème du harcèlement, interprétée par plusieurs jeunes de la mission locale de Dieppe. Sept jeunes sur dix de cette mission locale déclaraient avoir été victimes de harcèlement ! Selon l’Unicef, 200 enfants sont maltraités chaque jour et un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l’un de ses parents. Sans oublier les 160 000 enfants victimes d’agression sexuelle. Ces chiffres ont déjà été mentionnés mais les répéter permet d’en souligner le caractère inacceptable.
La proposition de loi de notre collègue Santiago, que je remercie et félicite pour son engagement, est donc salutaire, utile et symboliquement forte. Nous espérons qu’elle sera efficace puisqu’elle vise à mieux protéger les enfants et à prendre soin d’eux. Désormais, plus aucune violence à l’encontre d’un enfant, y compris lorsqu’elle est commise au sein du foyer familial, ne sera tolérée.
C’est donc sans hésitation et sans sourciller que nous voterons ce texte. Toutefois, il faudra continuer à accompagner les acteurs sur le terrain, en renforçant les moyens de la prévention, ceux de la justice – en particulier des juges aux affaires familiales – et ceux des départements dont relève la protection de l’enfance.
Lorsque j’ai commencé à m’engager dans ma ville de Dieppe, il y a une trentaine d’années, j’ai eu la chance de rencontrer le docteur Huguette Bonvoisin qui avait créé l’association En parler, dans le prolongement de l’association La Voix de l’Enfant, afin de faire de cette cause une priorité. Dieppe a ainsi été parmi les premières villes de France à instaurer une unité médico-judiciaire (UMJ) pluridisciplinaire, ce lieu d’écoute où l’ensemble des acteurs sont là pour entendre la parole de l’enfant, sans que celle-ci puisse être fragilisée ni contestée. S’il y a, bien sûr, un consensus sur ce point, force est de constater, le diable se cachant dans les détails, que la question des moyens financiers et humains est primordiale : c’est elle qui nous permettra d’être utiles concrètement, ou non – il faut par exemple disposer de suffisamment de psychologues pour être à l’écoute des enfants.
Je profite donc de ce beau texte pour souligner qu’il faudra que les moyens soient au rendez-vous, tant pour soutenir les UMJ pluridisciplinaires que pour aider les communes qui s’occupent seules, souvent, de trouver des logements de répit, ou de repli, pour mettre les familles à l’abri – ce sont souvent des mamans, avec des enfants malmenés ou maltraités. Nos déclarations d’intention, qui font consensus et ont une portée que je ne sous-estime pas – la force de la loi qui protège a beaucoup de sens – devront se traduire, sur le terrain, par des moyens plus importants. Faisons des droits de l’enfant une cause nationale ! Tel est l’état d’esprit qui m’anime, alors que je porte la voix du groupe communiste pour voter, avec enthousiasme, la présente proposition de loi. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et Écolo-NUPES. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme la présidente
Sur le texte de la commission mixte paritaire, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Béatrice Descamps.
Mme Béatrice Descamps
Les chiffres sont terrifiants mais il convient de les rappeler. En 2021, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) relevait que, chaque année, 400 000 enfants sont exposés à des violences intrafamiliales. Dans ses conclusions intermédiaires, la Ciivise estime que 160 000 enfants sont victimes, par an, de violences sexuelles. Chaque semaine, un enfant meurt sous les coups de ses parents. Selon le ministère de l’intérieur, en 2021, les violences intrafamiliales non conjugales ont progressé de 16 %.
Les violences à l’égard des enfants, en particulier les violences sexuelles incestueuses, sont un fléau pour notre société et la justice doit être tenue à une obligation de résultat en la matière. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires salue le compromis trouvé en CMP et le caractère transpartisan de cette proposition de loi, qui montre la volonté commune d’avancer rapidement sur ce sujet et qui permettra de répondre aux demandes formulées par la Ciivise, visant à renforcer les mesures de suspension et de retrait de l’autorité parentale. Toutefois, notre groupe regrette les difficultés qui affectent cette commission indépendante, alors même qu’elle a effectué un travail essentiel. Le refus de reconduire le juge Édouard Durand dans ses fonctions de président et les récentes démissions en son sein nuisent à son action.
En 2019 et en 2020, deux lois ont permis d’accroître l’arsenal législatif en matière de violences familiales, notamment pour faciliter la suspension de l’autorité parentale en cas de poursuites. La lenteur du système judiciaire ne devant pas pénaliser les victimes, il était nécessaire d’être en mesure de soustraire les enfants de l’emprise du parent violent, même avant une condamnation. En ce sens, l’article 1er est essentiel : il permettra la suspension de l’autorité parentale en cas de crime ou de violences sexuelles incestueuses contre l’enfant. En effet, l’intérêt supérieur de ce dernier doit primer dans ce type de procédures.
À cet égard, nous entendons le choix de la CMP de ne pas maintenir, pour des raisons de sécurité juridique, la suspension de l’autorité parentale en cas de violences conjugales. Cependant, nous tenons à rappeler que les violences conjugales sont aussi des violences familiales qui touchent l’enfant et dont les conséquences peuvent être désastreuses et synonymes de souffrance : troubles affectifs, comportementaux, dépression, anxiété, reproduction de la violence ou encore syndrome de stress post-traumatique.
L’autre grande avancée de ce texte est qu’il incitera le juge pénal à prononcer le retrait de l’autorité parentale de façon plus systématique dès qu’un cas grave se présentera. Face à un cas d’inceste, il est nécessaire que le principe soit celui d’un retrait total. Avec ce texte, seule une décision spécialement motivée du juge pourra en décider autrement ; c’est une avancée très attendue.
Si ces dispositions sont urgentes et nécessaires, il faudra inévitablement qu’elles s’accompagnent d’un renforcement des mesures préventives et d’une augmentation des moyens octroyés, afin que ces violences cessent au sein des foyers. Et parce que ces dernières marquent l’enfant jusqu’à ce qu’il devienne adulte, il est nécessaire de garantir que l’accompagnement psychologique et la prise en charge ne s’arrêteront pas à sa majorité. À cet égard, j’ai souvent dénoncé ici le manque criant de psychologues, de psychiatres et de pédopsychiatres, qui entraîne, il faut bien le dire, un défaut dans le suivi, pourtant indispensable, des enfants.
Notre groupe votera donc la proposition de loi de Mme Santiago – que je remercie –, parce qu’elle représente une avancée majeure et qu’il est urgent d’agir. Nous espérons qu’elle entrera rapidement en vigueur. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 180
Nombre de suffrages exprimés 180
Majorité absolue 91
Pour l’adoption 180
Contre 0
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur tous les bancs.)
M. Jérôme Guedj
Excellent, madame Santiago !
Mme la présidente
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure
Permettez-moi de tous vous remercier. Je n’allongerai pas inutilement les débats, puisque nous avons déjà tout dit dans nos interventions. Je souhaite néanmoins saluer trois femmes qui m’ont beaucoup aidée et ont travaillé, avec moi, sur ce texte : Mathilde, ma collaboratrice, Marine, administratrice à la commission des lois, ainsi que Joséphine, du groupe Socialistes et apparentés. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. Philippe Brun
Bravo, Isabelle !
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
4.
Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
–
Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi et d’un projet de loi organique, adoptés par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (nos 2197, 2305) et du projet de loi organique modifiant la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (nos 2198, 2300).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Présentation commune
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie
Je suis heureux de vous retrouver pour débattre de ce texte important pour la relance de la filière nucléaire. Il y a treize ans jour pour jour, un tsunami au large des côtes japonaises était à l’origine d’un accident nucléaire majeur – celui de Fukushima –, qui a causé la mort de 16 000 personnes et le déplacement de 160 000 autres. Le cœur de trois réacteurs sur les six que comptait la centrale a alors fondu. À la suite de cet accident historique, la France a pris ses responsabilités.
Elle a ainsi amélioré la sûreté de ses installations nucléaires, grâce à la construction de nouveaux diesels de secours résistants aux séismes – j’en ai vu plusieurs à l’occasion de visites des centrales nucléaires, vous aussi, sans doute – et de nouveaux centres de crise, à la mise en place d’une Force d’action rapide du nucléaire (Farn),…
M. Raphaël Schellenberger
À vitesse grand V !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…dotée d’équipes spécialisées mobilisables vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, en cas d’accident nucléaire majeur. À l’époque, la priorité absolue du Gouvernement était la sûreté des installations et la sécurité de nos concitoyens – c’est toujours le cas.
Soyons clairs : ce texte ne revient pas sur les exigences de sûreté – il ne modifie en rien le cadre de sûreté existant.
M. Raphaël Schellenberger
C’est l’un de ses gros défauts, d’ailleurs !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous sommes réunis pour débattre de deux sujets principaux : la création d’une autorité unique de sûreté nucléaire et de radioprotection, et l’adaptation des règles de la commande publique aux projets nucléaires. L’année dernière, quand l’Assemblée nationale a rejeté l’amendement instaurant la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire, vous aviez émis le souhait de disposer de davantage de temps pour débattre et pour mesurer toutes les implications de cette réforme dans un domaine sensible. Vous aviez raison, mesdames et messieurs les députés. Vous avez eu du temps et vous avez été entendus.
Je remercie pour leurs travaux les membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), en particulier Jean-Luc Fugit, qui le représente ici, et le sénateur Stéphane Piednoir, son président, lesquels ont examiné en détail le caractère opportun et les modalités du rapprochement entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Je salue également les sénateurs Patrick Chaize, autre membre de l’Opecst, et Pascal Martin, rapporteur du texte, qui ont travaillé à l’applicabilité du texte. Je me réjouis enfin des travaux menés à l’Assemblée la semaine dernière en commission. Je rappelle que le présent projet de loi est accompagné d’une étude d’impact de 200 pages.
Pourquoi faut-il une nouvelle organisation ? Nous entrons dans une nouvelle ère. Nous avons devant nous vingt ans de relance du nucléaire. Grand carénage, réacteurs de type EPR 2, petits réacteurs modulaires (SMR), réacteurs innovants, recherche et développement, cycle du combustible : nous nous inscrivons dans une démarche de relance complète du nucléaire. Dans une période charnière pour le nucléaire français, nous sommes face à des défis gigantesques : il faut continuer à nous assurer de la sûreté des centrales nucléaires existantes, prolonger leur durée de vie, développer le nouveau nucléaire avec un haut niveau d’exigence, et poursuivre au-delà de 2040 la stratégie française pour l’aval du cycle du combustible – dans la perspective de fermer ce cycle.
Ce projet de loi vise à relever ces défis et à améliorer l’efficacité des moyens que l’État engage dans la relance du nucléaire. Je le répète : je ne comprends pas que ceux qui sont pour le nucléaire puissent voter contre ce texte.
M. Raphaël Schellenberger
C’est tellement caricatural !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous pouvons évidemment en discuter, en débattre, mais le rejeter sans débat préalable est incompréhensible. Certains d’entre vous sont systématiquement contre tout – tout ce qui vient du Gouvernement.
Mme Danielle Brulebois
Eh oui !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Ils s’opposent à ce projet de loi comme à tous les autres.
Mme Julie Laernoes
Nous étions pour l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution !
M. Roland Lescure, ministre délégué
D’autres, précédemment opposés à la relance du nucléaire, à la création de l’ASN et au projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, sont évidemment contre ce texte.
Mme Christine Arrighi
Ça n’a rien à voir !
Mme Anna Pic
Ça n’a aucun rapport ! Ce n’est pas le débat !
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’appelle ceux d’entre vous qui sont pour la relance du nucléaire et qui considèrent que ce texte est perfectible à voter contre la motion de rejet préalable et à continuer à enrichir la discussion.
Pourquoi voulons-nous cette réforme ? Nous souhaitons d’abord accélérer les procédures et les simplifier, afin de disposer d’une entité dimensionnée pour gérer l’inflation du nombre de dossiers et l’intensification des contrôles. Ensuite, nous souhaitons concentrer nos talents – les experts de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sont rares et travaillent dans des métiers en tension. Nous devons faciliter leur travail collectif en encourageant les passages, au cours de leur carrière, de l’expertise au contrôle et inversement. De tels passages entre les deux entités existent déjà – vous le savez –, mais ils sont compliqués par la lourdeur des procédures. Au cours des quinze dernières années, le nombre de personnels de l’IRSN mis à disposition de l’ASN a diminué de plus de 40 %, du fait de difficultés de recrutement et d’un accompagnement insuffisant des personnels à leur retour à l’IRSN.
Mme Julie Laernoes
Vous avez réduit les moyens de l’IRSN !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Enfin, nous souhaitons qu’une organisation optimale permette à l’entité nouvellement créée de se concentrer sur les enjeux de sûreté et de radioprotection plutôt que de se disperser dans des tâches administratives ou de coordination entre structures. La complexité n’est pas un gage de sûreté, mesdames et messieurs les députés. Ce qui garantit la sûreté, c’est la clarté, l’indépendance, la transparence et l’efficacité.
Mme Julie Laernoes
C’est le doute qui crée la sûreté !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Comment voulons-nous mettre en œuvre le rapprochement entre l’ASN et l’IRSN ? Nous souhaitons conserver le niveau de sûreté exigeant qui est déjà le nôtre. Nous recherchons l’excellence dans toutes les activités importantes pour la sûreté du parc nucléaire. Personne ici n’est contre la sûreté ! Imaginer que nous voulions créer cette nouvelle autorité pour baisser la garde sur la sûreté ou pour mettre sous cloche l’indépendance n’a aucun sens.
Mme Christine Arrighi
Publiez le rapport Verwaerde !
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’ai entendu dire ici et là que ce projet de loi nous mènerait au chaos. Je n’ai moi-même jamais affirmé qu’il fallait choisir entre ce texte et le chaos. Laisser entendre qu’en cas d’adoption de cette réforme, point de salut, est tellement caricatural – cela en devient aberrant.
Mme Christine Arrighi
Publiez le rapport Verwaerde !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous souhaitons garder l’essentiel de ce qui existe, qui n’est pas dénué de mérites, notamment la rigueur et les compétences. Mais nous voulons aller plus loin pour disposer d’une organisation qui soit plus puissante, plus efficace, plus indépendante et plus transparente.
Grâce à cette nouvelle entité, nous nous donnons les moyens de faire face à un défi industriel et énergétique sans précédent. Les grandes lignes de la réforme sont les suivantes : nous créons une autorité forte et indépendante, dont le fonctionnement garantit qu’elle restera durablement à la hauteur des enjeux ; j’ajoute qu’elle évoluera dans les meilleures conditions grâce au respect d’un ensemble de principes.
D’abord, nous voulons renforcer son indépendance, alors que l’IRSN est sous la tutelle du Gouvernement. C’est un élément essentiel que je signale à ceux qui voudraient accuser la nouvelle entité de manquer de transparence : sur ce point, l’expertise sera plus indépendante qu’aujourd’hui. Nous voulons aussi renforcer son indépendance vis-à-vis des exploitants, en introduisant des règles de déontologie strictes et rigoureusement appliquées.
Nous souhaitons aussi renforcer la transparence, grâce aux informations mises à la disposition du public. Arrêtons de croire que regrouper les activités diminuerait la transparence !
Mme Julie Laernoes
Commencez par rendre transparent le rapport Verwaerde !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je vais même dire tout haut ce que certains pensent tout bas : la publication systématique d’avis dans les jours qui suivent leur transmission à l’autorité n’est pas nécessairement un gain en matière de transparence.
Mme Delphine Batho
Ben voyons !
M. Roland Lescure, ministre délégué
L’abondance d’informations illisibles et non coordonnées nuit à la transparence…
Mme Julie Laernoes
Donc, c’est caché ! Vous le dites vous-même !
M. Roland Lescure, ministre délégué
On ne cache rien, et on ne cachera rien ! L’indépendance de l’expertise, disais-je, et celle de la décision sont deux piliers de ce processus ; l’expertise doit être indépendante,…
M. Raphaël Schellenberger
Quand le ministre est venu en commission, il a appris des choses !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…la décision doit l’être également et, évidemment, les avis concourant à l’expertise et à la décision continueront d’être publiés. Plusieurs amendements ont trait à ce sujet et nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’y revenir.
Nous souhaitons en outre renforcer l’attractivité des métiers en facilitant les parcours de carrière – le but étant de donner lieu à des carrières plus fluides et plus variées –, mais aussi en encourageant la capacité des membres de chacune des deux organisations à prendre des responsabilités dans ce qui relevait jusqu’à présent de l’autre, et vice versa. Nous voulons aussi dégager – c’est dans le projet de loi – une enveloppe pour augmenter les salariés de l’IRSN dès 2024, et une autre pour augmenter les contractuels de droit public de l’ASN, également dès 2024. Nous augmenterons aussi les fonctionnaires de l’ASN – Christophe Béchu s’y est engagé au Sénat, je m’y engage devant vous ; les montants et les modalités de cette hausse seront précisés au cours de l’année.
Enfin, nous souhaitons assurer une culture de l’excellence, reposant sur des compétences fortes et sur un socle de recherche ambitieux et partenarial. À ce sujet, je souhaite répondre à plusieurs questions qui m’ont été adressées. Les activités de recherche actuellement conduites par l’IRSN conserveront une place centrale au sein de la future entité qui pourra évidemment employer différents profils de chercheurs ; elle pourra en outre conclure des partenariats de recherche, y compris avec les exploitants, mais aussi participer à des programmes de recherche et bénéficier de fonds européens, comme c’était déjà le cas pour l’ASN et pour l’IRSN.
Les principes régissant la future autorité sont-ils conformes aux meilleures pratiques ? La réponse est oui. Ils sont évidemment conformes aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui préconise d’ailleurs que l’autorité de contrôle dispose en interne des compétences lui permettant d’assumer ses responsabilités. La Commission européenne a confirmé, le 9 février dernier, que le projet de loi était pertinent pour transposer les directives applicables. Le rapprochement entre expertise et décision n’est pas la règle partout, mais celui que nous prévoyons n’est pas unique au monde, bien au contraire : aux États-Unis, le système est intégré ;…
Mme Anna Pic
Ça n’a rien à voir ! Ce n’est pas du tout pareil, aux États-Unis !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…il l’est également au Canada, en Espagne ou en Inde. Au Japon, à la suite de l’accident de Fukushima, les autorités ont décidé de simplifier leur organisation : en 2014, elles ont regroupé dans une entité indépendante unique, la NRA – Nuclear Regulation Authority –, l’autorité et son principal appui technique.
Le projet de loi est-il une attaque contre la qualité de travail de l’IRSN ?
M. Sébastien Jumel
Oui ! Et c’est un pronucléaire qui vous le dit !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Non, trois fois non ! (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Mme Christine Arrighi
Trois fois oui !
M. Sébastien Jumel
Ne faites pas les questions et les réponses, monsieur le ministre !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je sais que certains veulent faire courir ce bruit ;…
Mme Julie Laernoes
On ne fait pas courir des bruits : on parle des faits !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…d’autres ont pu le comprendre ainsi en étant, d’une certaine manière, de bonne foi. Je souhaite donc rassurer les employés de l’IRSN : en aucun cas nous ne mettons en cause la qualité de leur travail. Au contraire, ce haut niveau de compétences est une chance pour la France ; demain, il le restera.
Mme Julie Laernoes
Vous ne serez plus là !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous disposons d’infrastructures de qualité à l’IRSN ; d’ailleurs, alors que chacune des deux instances dispose d’une cellule de crise, celle qui résultera de leur regroupement s’inspirera très largement de la structure présente au sein de l’IRSN. Au sein des deux entités, il y a aussi deux directions des ressources humaines (DRH), deux systèmes d’information, deux systèmes de paie mais aussi deux équipes interagissant avec les instances internationales.
Mme Julie Laernoes
C’est faux de dire qu’il y a des doublons, monsieur le ministre !
M. Sébastien Jumel
Il y a de la révision générale des politiques publiques dans l’air !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Est-ce la manière la plus efficace d’agir, ne vaut-il pas mieux que la nouvelle entité se concentre sur ce qu’elle devrait faire ?
Mme Julie Laernoes
En fait, vous allez éparpiller les compétences ! Et vous trouvez cela plus efficace ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous devons avant tout nous assurer que notre système nucléaire est un système sûr, qui garantira – c’est essentiel – la sécurité de nos concitoyens.
Il est primordial que les travaux préfigurant la fusion permettent d’assurer à tous qu’une entité n’absorbera pas l’autre ; c’est pour cela que nous maintenons les garanties prévues pour les agents des deux structures. Mais il est tout aussi essentiel de garantir qu’elles ne seront pas simplement juxtaposées. Ainsi, nous ne souhaitons pas nous contenter de créer une direction de l’expertise au sein de l’ASN : nous souhaitons bel et bien rassembler les deux entités, de manière à les rendre plus efficaces. Et sur ce point, mesdames et messieurs les députés – je le dis au risque de vous choquer un peu –, le travail ne s’arrêtera pas avec le vote du projet de loi : il ne fait au fond que commencer.
Mme Christine Arrighi
Il fallait commencer avant !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Non ! Le rapprochement de deux entités ne peut réussir que grâce au succès de la phase de préfiguration menée par des groupes de travail spécifiques ; or il reste beaucoup à faire, sur le plan opérationnel, d’ici au début de l’année 2025.
Mme Julie Laernoes
Et si ça ne marche pas ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Pour que ce soit fait, et bien fait, je m’engage devant vous à nommer très vite, après le vote du projet de loi à l’Assemblée, un préfigurateur ou une préfiguratrice, mais aussi à suivre de très près la mise en œuvre opérationnelle du rapprochement.
Le but de ce rapprochement, je le rappelle, c’est de créer un collectif plus puissant, plus indépendant, plus transparent et plus attractif. Il nous faut un collectif fort pour une autorité puissante, et c’est ce que permet le projet de loi.
Avant de conclure, j’évoquerai deux autres volets du texte, qui sont tout aussi essentiels. D’une part, nous entendons rattacher le haut-commissaire à l’énergie atomique au Premier ministre, afin de renforcer son implication dans la coordination de la politique nucléaire ; d’autre part, nous permettons aux maîtres d’ouvrage de projets nucléaires, en particulier EDF pour les projets d’EPR 2, de passer des marchés publics selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles…
M. Raphaël Schellenberger
Comment rendre les choses incohérentes !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…et au temps de leur action qui, en matière de nucléaire – vous le reconnaîtrez –, est en général un peu plus long qu’ailleurs.
M. Raphaël Schellenberger
Ça, vous pourrez le mettre dans le projet de loi de finances rectificative !
Mme Christine Arrighi
Publiez le rapport Verwaerde !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Le fait de regrouper ces trois objets dans un même texte a été critiqué, mais je vous rappelle qu’ils ont un but commun : relever, dans les meilleures conditions, le défi que constitue la relance du nucléaire. C’est essentiel et c’est urgent : allons-y !
Je salue enfin le travail parlementaire accompli, et j’espère que je pourrai faire de même concernant les travaux à venir. Celui du Sénat nous a fait progresser, et celui de la commission de l’Assemblée…
Mme Julie Laernoes
La suppression de l’article 1er ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
…a permis notamment de clarifier la portée de la distinction entre expertise et décision. Au fond, c’est l’essentiel. En commission, vous avez voté pour qu’au sein de la nouvelle entité, les responsabilités de ceux qui décident et de ceux qui expertisent soient bien séparées. Vous avez également doté la future autorité d’un conseil scientifique.
En revanche, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé de supprimer l’article 1er (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES)…
M. Sébastien Jumel
Merci, monsieur le président de la commission !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…qui, je vous le rappelle, édicte le principe même du rapprochement ; nous proposerons évidemment de le réintroduire.
Nous sommes par ailleurs attentifs à l’ajout par le Sénat, confirmé par la commission du développement durable de l’Assemblée, d’une demande de rapport à travers lequel le Gouvernement évaluera, au plus tard le 1er juillet prochain, la possibilité d’instituer un préfigurateur chargé de mener la création de la future autorité. Je vous l’ai dit et je vous le répète : nous nommerons ce préfigurateur très vite après le vote du projet de loi, c’est en effet crucial.
M. Sébastien Jumel
Quelle usine à gaz !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi essentiel va nous permettre de procéder de manière accélérée à la relance du nucléaire,…
M. Damien Abad
Très bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…que la grande majorité d’entre vous appelle de ses vœux. Ayons un beau débat et ne rejetons pas le texte avant qu’il ait été examiné ! Débattons, débattons, débattons, et votons ! (Applaudissements sur de très nombreux bancs des groupes RE et Dem.)
Mme Christine Arrighi
Et publiez le rapport Verwaerde !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Pour chacun de nous, il est évident que la réussite de la filière nucléaire repose sur la garantie d’une exploitation sûre et sur un cadre clair du contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. L’organisation actuelle a permis de gérer de façon satisfaisante les enjeux relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioprotection ces vingt dernières années, dans un contexte de calme relatif pour l’industrie nucléaire.
Or le contexte a radicalement changé. Nous sommes au seuil d’un bouleversement d’ampleur du paysage nucléaire français et nous avons de nombreux défis à relever : la prolongation des réacteurs actuels, les impacts du changement climatique, le déploiement d’une filière EPR 2 ou encore l’apparition de nombreuses innovations dans le domaine des petits réacteurs.
Les projets qui émergent dans ce contexte vont accroître significativement et durablement le volume et la complexité des dossiers relatifs à la sûreté et à la radioprotection. Nous devons par conséquent nous interroger sur le fait de savoir si l’organisation actuelle est suffisamment efficace et robuste pour garantir les meilleurs standards de sûreté.
Le système de contrôle actuel, qui repose d’une part sur une autorité de sûreté nucléaire créée en 2006, et d’autre part sur un institut de radioprotection et de sûreté nucléaire créé en 2002, résulte de réorganisations successives s’étalant sur plus d’un demi-siècle. Sans retracer toutes les étapes de cette histoire, je rappelle que l’IRSN est né de la fusion entre l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) et l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (Opri). L’ASN, quant à elle, a d’abord été un service placé sous l’autorité du Gouvernement, avant de devenir indépendante en 2006. Aujourd’hui, les deux entités travaillent ensemble, le plus souvent en « mode projet », « au pied du réacteur », comme le rappelle l’Opecst dans son rapport de juillet 2023.
Alors que l’approche institutionnelle pourrait laisser croire qu’expertise et décision sont séparées de manière rigide, il existe en fait une continuité entre les deux activités. Le présent projet de loi consacre l’indépendance de l’entité chargée du contrôle de la sûreté nucléaire civile et de la radioprotection vis-à-vis du Gouvernement et des exploitants, grâce au statut d’autorité administrative indépendante qui lui est conféré.
En créant une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, l’ASNR, qui intégrera, en plus des missions de l’ASN, l’essentiel des missions d’expertise et de recherche de l’IRSN, le texte permettra de fixer un calendrier unique des priorités et de renforcer le partage d’informations ainsi que le pilotage des moyens. En réunissant les compétences des personnels très bien formés de l’ASN et de l’IRSN et en facilitant leur travail collectif, la réforme améliorera la qualité de l’expertise, de l’instruction et de la décision s’agissant des dossiers soumis à l’autorité de contrôle. Par sa taille et son haut niveau de compétence, la future autorité sera mieux à même d’attirer de nouveaux talents.
Pour consacrer l’indépendance de la nouvelle autorité et garantir son bon fonctionnement, favorable à la fois aux salariés et à la sûreté nucléaire, il est essentiel de rétablir l’article 1er du projet de loi qui a été, à mon grand regret, supprimé en commission. Le texte préserve les principes fondamentaux que sont la distinction entre expertise et décision, la transparence de l’information et la publication des rapports d’expertise. Ces principes sont inscrits à l’article 2 et se déclinent dans d’autres articles. Quant aux exigences d’indépendance, de déontologie et de transparence, elles ont été renforcées lors de l’examen du texte au Sénat. Nous avons précisé ces dispositions en commission, notamment en élargissant le champ de compétence de la commission d’éthique et de déontologie.
Je suis particulièrement attaché à ce que les activités de recherche conduites actuellement à l’IRSN soient maintenues au plus haut niveau d’expertise car la relance du nucléaire est également celle de la recherche et de l’innovation. À cet égard, je me réjouis que, sur ma proposition, notre commission ait décidé de doter la future autorité d’un conseil scientifique.
En matière de dialogue social, le projet de loi prévoit de préserver les statuts privé et public des personnels et de conserver les instances de dialogue social existantes jusqu’à l’instauration d’une entité spécifique. Notons aussi qu’il est prévu, à l’article 11, une revalorisation, dès cette année, des salariés et agents de droit privé. En commission, nous avons également précisé que le rapport d’évaluation des moyens financiers et humains de la nouvelle autorité devra comporter une évaluation des moyens techniques nécessaires à son bon fonctionnement.
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
Nous avons également prévu, à la demande des syndicats, que le changement soit spécifiquement accompagné.
Enfin, j’insiste sur ce point, le Parlement devra suivre avec une attention particulière l’application de la réforme.
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Jean-Luc Fugit, rapporteur
C’est le sens de l’amendement, adopté en commission, qui prévoit de permettre à l’Opecst de suivre l’état d’avancement des travaux préparatoires d’installation de l’ASNR puis de demander au Gouvernement de lui remettre régulièrement des bilans du fonctionnement de cette nouvelle autorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Nous sommes à la veille du plus grand chantier qu’ait connu notre pays depuis les années 1970 : la relance de toute une industrie, de l’enrichissement du combustible à son retraitement, de la construction de centrales à la production d’électricité. Ce chantier, c’est celui de la relance nucléaire, grâce à notre industrie, au service de la transition énergétique.
Pour y parvenir, pour relever le défi de l’urgence, pour maintenir et renforcer la filière qui présente un atout écologique immense et participe de notre souveraineté, plusieurs conditions doivent être réunies.
La première est de disposer des savoir-faire techniques et industriels, ce qui impose de réaliser un effort de formation et d’orientation professionnelle majeur.
La deuxième est de garantir notre capacité à exécuter un chantier de cette ampleur, en simplifiant autant que possible les procédures administratives, en réduisant les délais et en sécurisant au maximum les porteurs de projets qui investissent pour notre pays, pour l’écologie.
C’est l’objet des dispositions dont la commission des affaires économiques a été saisie au fond. On pourrait penser spontanément que leur place n’est pas dans ce texte. À la réflexion, il s’avère qu’elles sont au contraire nécessaires. Elles ont été enrichies et affinées, à la suite de leur examen au Sénat mais aussi au sein de notre commission puis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Enfin, ultime condition : il faut disposer d’un appareil administratif et technique qui garantit la sûreté de notre parc. Nous avons eu cette chance, grâce au plan Messmer. Depuis les années 1970, nous avons fait évoluer tous les dix ans environ l’organisation des instances de sûreté et, aujourd’hui, nous nous apprêtons à les fusionner en une nouvelle autorité indépendante, dont les moyens seraient mutualisés et les procédures simplifiées.
Le contexte l’appelle, du fait du triple défi que nous devons relever : la multiplication des réexamens de sûreté décennaux du fait de la prolongation des cinquante-six réacteurs du parc nucléaire, qui s’étalent à chaque réexamen sur plusieurs années, le lancement des chantiers des nouveaux réacteurs EPR 2, dont la configuration différente imposera de nouvelles expertises, enfin l’émergence de nouvelles technologies déclinées dans plusieurs réacteurs, de taille et de puissance différentes.
À ce propos, je demanderai à ceux qui font les gros yeux lorsqu’ils entendent parler de la technologie nucléaire, de quoi ils ont peur : que la France conserve son leadership dans la course à l’innovation technologique ? Qu’elle prenne de l’avance dans la transition énergétique ? Qu’elle relève ce défi industriel ?
M. Sébastien Jumel
Pas avec des marchands de savonnettes !
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
Que nos start-up fassent la fierté de notre pays dans la course à l’innovation mondiale ?
Mme Julie Laernoes
Nous serions plutôt en retard !
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
Je ne crois pas que nous ayons à craindre quoi que ce soit de l’innovation ou du progrès industriel. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
M. Sébastien Jumel
Il n’y a pas à avoir peur dès lors que la maîtrise reste publique !
M. Raphaël Schellenberger
C’est M. Armand qui devrait être ministre de l’énergie !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Ce n’est qu’une question de temps.
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
C’est ce triple défi qui guide le Gouvernement lorsqu’il propose à l’Assemblée une nouvelle organisation. Forcément, comme cela arrive à chaque fois que l’on fait évoluer une structure, des questions se posent. Elles sont légitimes, elles méritent que l’on y réfléchisse et que l’on y réponde, comme ce fut le cas en commission du développement durable et en commission des affaires économiques. J’en profite pour saluer le travail des présidents des commissions mais aussi celui du rapporteur, Jean-Luc Fugit, avec qui les échanges furent fructueux.
Mais j’y insiste : il s’agit bel et bien d’une nouvelle organisation et non d’un nouveau référentiel de sûreté – le ministre l’a rappelé. Aucun des mots qui définissent notre doctrine de sûreté ne sera changé.
M. Raphaël Schellenberger
C’est dommage.
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
Il ne s’agit pas davantage d’adopter une nouvelle approche méthodologique : les méthodes d’expertise et d’instruction restent inchangées, la séparation entre expertise et décision perdure. Et le dispositif ne perdra pas de sa transparence puisque, au contraire, il est prévu d’inscrire dans la loi des principes qui n’y figuraient pas – je pense en particulier à la séparation entre les personnes chargées de l’expertise et celles amenées à prendre une décision, ou à la publication des décisions et des avis associés.
M. Sébastien Jumel
Qu’est-ce qui change, si rien ne change ?
M. Antoine Armand, rapporteur pour avis
Il vous est proposé, à travers ce texte, une nouvelle architecture, dont la structure pratique, l’organisation technique et scientifique, seront décidées par les instances compétentes, par les partenaires sociaux, bref par les spécialistes. Je salue la préfiguration de cette nouvelle organisation qui sera entourée de toutes les garanties qu’a permises la coconstruction de ce texte au Sénat et à l’Assemblée.
Ne nous trompons pas de combat : soutenir la relance nucléaire, c’est bien être capable de faire évoluer notre organisation de sûreté, précisément pour en maintenir et en renforcer la qualité et l’efficacité. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes RE et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Notre système de sûreté et de sécurité nucléaire doit faire face à de nouveaux enjeux, cruciaux : un environnement géopolitique incertain, le réchauffement climatique dont les conséquences pèsent sur toutes les activités productives, y compris énergétiques, une relance historique du nucléaire pour relever le défi majeur de la décarbonation.
La construction de nouveaux réacteurs EPR 2, la poursuite de l’exploitation du parc actuel, le renforcement des infrastructures du cycle du combustible doivent être réalisés dans un cadre de sûreté nucléaire très élevé. C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet de réorganisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire.
Il s’agit, comme par le passé, d’adapter notre modèle aux nouvelles contraintes qui pèsent sur lui, en faisant évoluer son organisation afin de lui permettre de répondre toujours plus efficacement aux exigences de la sûreté nucléaire. Il nous est donc proposé de regrouper l’IRSN et l’ASN dans une nouvelle autorité administrative indépendante : l’ASNR.
Afin de garantir son indépendance, l’ASNR aura le statut d’autorité administrative indépendante, comme l’ASN actuelle. Elle sera un interlocuteur unique, indépendant du Gouvernement et des exploitants, chargée du contrôle, de l’instruction des dossiers de sûreté et de la radioprotection dans toutes ses composantes.
Ce projet ne vient pas de nulle part, il découle des dix-sept recommandations que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a formulées dans le rapport du député Jean-Luc Fugit et du sénateur Stéphane Piednoir, publié le 11 juillet 2023.
En commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, les nombreuses auditions menées par le rapporteur, en toute ouverture et transparence, et la durée des débats – plus de douze heures –, ont permis à chacun d’exprimer ses doutes et ses interrogations, tout en conservant les avancées du Sénat pour renforcer la transparence, la lisibilité et les garanties d’indépendance. Je tiens à saluer de nouveau le travail de notre rapporteur Jean-Luc Fugit, très investi, qui s’est efforcé de répondre à chacun, et bien évidemment celui de M. le ministre, qui a apporté les précisions demandées. Si des doutes subsistent, il sera de notre responsabilité d’y répondre et je sais que ce sera fait.
J’ajoute enfin que la suppression de l’article 1er par notre commission résulte d’une nouvelle épreuve du vote que j’ai acceptée, dans un esprit constructif,…
Mme Julie Laernoes
Non, vous y avez été contraint !
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
…pour mener les débats dans de bonnes conditions.
M. Raphaël Schellenberger
C’est la démocratie, tout simplement !
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Chacun jugera s’il est étonnant que le résultat obtenu à l’issue de dix minutes de suspension diffère de celui obtenu dix minutes plus tôt. En l’espèce, un minimum de sincérité me semble s’imposer, pour la dignité des débats à venir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Sylvain Maillard
Bravo !
M. Raphaël Schellenberger
C’est hallucinant !
Mme Julie Laernoes
Vous n’avez fait qu’appliquer le règlement !
M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire est évidemment soucieuse que les exigences en matière de gouvernance nucléaire ne soient jamais réduites au profit d’autres considérations, celles d’une logique de filière ou d’activité productive, et elle a souhaité répondre à toutes les inquiétudes. C’est dans cet esprit qu’elle restera attentive à l’avenir, puisque l’article 14 du projet de loi prévoit qu’elle nommera le président de la future ASNR. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques
Le projet de loi relatif à la gouvernance de la sûreté nucléaire que nous nous apprêtons à examiner a fait l’objet d’un travail approfondi du Gouvernement avec l’Autorité de sûreté nucléaire d’une part, et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire d’autre part, afin de créer une nouvelle autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection qui conserverait les mêmes exigences en matière de sûreté nucléaire mais dont les capacités seraient renforcées. Il était important de prendre le temps nécessaire pour bâtir cette réforme dans le cadre d’un projet de loi plutôt que par voie d’amendements comme cela fut tenté l’an passé.
Cette réforme s’inscrit dans la droite ligne du discours de Belfort du Président de la République, en février 2022, qui a décidé de la relance de la filière nucléaire et de la loi d’accélération du nucléaire que nous avons votée l’année dernière. Élu d’un territoire qui accueille les centrales de Flamanville et l’usine de retraitement de La Hague, je soutiens pleinement cette industrie qui nous permet, et nous permettra, de produire une électricité décarbonée et compétitive.
La commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’ensemble du texte, avec une délégation au fond des articles 2 ter, 12 et 16 à 18. Je salue, à cet égard, le travail réalisé par le rapporteur pour avis Antoine Armand.
La commission des affaires économiques et son rapporteur pour avis ont d’abord contribué à l’amélioration des articles non délégués, en supprimant un article superflu, le 4 bis, ainsi qu’un dispositif procédural problématique ajouté par le Sénat à l’article 4. Notre commission a enfin permis de réintroduire, dans les attributions reprises de l’IRSN, les prestations de mesure ou de recherche que l’institut peut aujourd’hui réaliser pour des organismes français ou étrangers.
Il me semble important d’insister sur un point pas assez souvent mentionné : la date retenue pour l’application de cette réforme. Le 1er janvier 2025 n’est que le point de départ légal du processus. Certains choix pratiques, les « incontournables », devront certes avoir été arrêtés à cette date mais les nouvelles modalités de travail seront affinées en prenant le temps nécessaire.
Je terminerai mon propos sur les articles dont nous étions saisis pour avis en saluant le travail du rapporteur Jean-Luc Fugit et de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Néanmoins, en tant que président de la commission des affaires économiques, je me dois de regretter que la compétence de la commission des affaires économiques n’ait pas été maintenue pour émettre un avis, en application de l’article 13 de la Constitution, sur la nomination du président de la future ASNR, tel que cela était prévu par le projet de loi initial.
M. Raphaël Schellenberger
Il faut supprimer la commission du développement durable ! (Sourires.)
M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques
Il est en effet logique que ce soit notre commission, aujourd’hui compétente pour la nomination du président de l’ASN, qui se prononce.
M. Raphaël Schellenberger
C’est évident.
M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques
Nous disposons d’une compétence exclusive et intégrale en matière d’énergie, et la sûreté nucléaire est éminemment liée à des enjeux de production. La commission des affaires économiques du Sénat partage évidemment notre déception. Je compte sur la sagesse de l’hémicycle pour reconnaître la légitimité de la commission des affaires économiques à statuer sur cette nomination.
M. Thierry Benoit
Excellent !
M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques
En ce qui concerne les articles pour lesquels nous avions reçu une délégation au fond, nous avons, à l’article 12, simplifié les dispositions fixant les missions du haut-commissaire à l’énergie atomique, désormais placé sous l’autorité du Premier ministre, afin que ses missions correspondent davantage à son rôle : celui d’un expert technique et scientifique qui conseille le Gouvernement.
Au titre II, les articles 16 à 18, dont nous étions également saisis au fond, se rapportent à des mesures qui permettent de déroger à certaines règles du code de la commande publique pour des projets nucléaires, telles que la construction de réacteurs ou d’installations d’entreposage et de stockage de combustibles. Ces mesures sont fondamentales pour garantir aux exploitants une commande publique qui allie sécurité juridique et efficacité. Elles le sont aussi pour protéger les intérêts essentiels de la nation puisque l’article 18 permet de déroger au code de la commande publique pour les ouvrages nucléaires les plus sensibles. Je me félicite que nous ayons pu parachever le travail du Sénat et apporter quelques précisions quant au champ d’application des dérogations.
Je suis certain que nous pourrons avoir cette semaine des débats de qualité qui permettront d’aboutir à une réforme adaptée aux enjeux de relance de la filière nucléaire et qui prête une attention particulière aux personnels concernés, dans un calendrier qui, je le redis, me semble être le bon. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sacha Houlié, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Raphaël Schellenberger
Commission compétente en matière énergétique !
M. Sacha Houlié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République