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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session extraordinaire

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 30 juillet 2007

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Jean-Marie Le Guen

1. Dialogue social et continuité du service public dans les transports terrestres. - Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence (nos 101, 107)

discussion générale (suite)

Mmes  Muriel Marland-Militello,

Annick Lepetit,

M. Jean-Pierre Nicolas,

Mmes Catherine Coutelle,

Chantal Brunel,

MM. Philippe Goujon,

Jean Mallot,

Jacques Myard,

Étienne Pinte,

Alain Néri,

Jean-Frédéric Poisson,

Éric Ciotti,

Patrice Calméjane.

Clôture de la discussion générale.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.

motion de renvoi en commission

Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : MM. François Brottes, Hervé Mariton, président de la commission spéciale ; Jean-Frédéric Poisson, Christian Eckert, Daniel Paul. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Ordre du jour des prochaines séances

Présidence de M. Jean-Marie Le Guen,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Dialogue social et continuité du service public dans les tranports terrestres

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (nos 101, 107).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme Muriel Marland-Militello.

Mme Muriel Marland-Militello. Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, monsieur le rapporteur, chers collègues, pouvoir si rapidement répondre à l’attente de sept Français sur dix me procure, je l’avoue, une vive satisfaction.

M. Alain Vidalies. Cela ne va pas durer !

Mme Muriel Marland-Militello. Aux nombreux Français qui craignaient que nous n’ayons pas le courage de mener à bien notre projet de permettre à nos concitoyens d’aller travailler en toutes circonstances – y compris de travailler plus pour gagner plus (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) et aux entreprises commerciales et industrielles de fonctionner normalement pour demeurer concurrentielles, à ceux qui pensaient que seul un référendum pouvait venir à bout de ce service minimum, je suis heureuse de dire que le Gouvernement et la majorité parlementaire n’ont pas reculé...

M. Alain Néri. Ils n’ont reculé devant rien !

Mme Muriel Marland-Militello. ...devant la menace d’une rentrée sociale mouvementée. Je les invite à suivre de près les différents dispositifs prévus par le projet du Gouvernement, qui a tout mis en œuvre pour respecter dans les moindres détails les droits et libertés de chacun – salariés, usagers et entreprises de transports publics – et pour garantir à la fois droit de grève et continuité du service public.

Le projet de loi répond à toutes les questions que m’ont posées mes concitoyens tout au long de la campagne des législatives. Quelles étaient-elles ?

« Comment prévenir les conflits sans organiser préalablement des procédures comme la signature d’accords-cadres ou d’accords de branche et développer le dialogue social ? ». Ne vous inquiétez pas, chers concitoyens : le projet le prévoit.

« Comment éviter que les débats ne s’éternisent sans fixer une date butoir pour la signature des accords ? » Ne vous inquiétez pas,…

M. Marc Dolez. On s’occupe de tout !

M. Roland Muzeau. Papa Nicolas est là !

Mme Muriel Marland-Militello. …le projet de loi prévoit que la signature de ces accords doit s’effectuer avant le 1er janvier 2008. Je sais, pour les avoir écoutés, que la rapidité de la mise en œuvre des réformes est très chère à nos compatriotes.

« Mais si la prévention des conflits des conflits ne réussit pas, en cas de grève, comment allez-vous assurer un service minimum ? » Ne vous inquiétez pas : nous l’avons prévu de deux façons, sur lesquelles je ne m’étendrai pas faute de temps.

M. Alain Néri. Nous voilà rassurés !

Mme Muriel Marland-Militello. Il s’agit d’abord d’organiser des dessertes prioritaires dans chaque territoire. « Et les entreprises ? Comment pourront-elles réorganiser leurs services avec les agents disponibles non-grévistes si elles ne savent pas à l’avance le nombre de personnes qui feront grève ? » Ne vous inquiétez pas, dis-je, la loi prévoit que quarante-huit heures avant la grève, les salariés qui souhaitent faire grève doivent en faire la déclaration. « Mais si la grève se prolonge, me direz-vous, comment savoir qui veut la poursuivre ? » Ne vous inquiétez pas, …

M. Roland Muzeau. C’est vraiment Nicolas et Pimprenelle !

Mme Muriel Marland-Militello. ...nous respectons la liberté du droit de grève, en instituant une consultation à bulletins secrets.

« Comment donc protéger le droit des grévistes ? » Là encore, ne vous inquiétez pas, les résultats de cette consultation n’ont aucune incidence sur la possibilité de faire grève. Et vous voici tout à fait rassurés.

En revanche, comment faire comprendre à nos concitoyens, devant lesquels nous avons défendu la valeur travail, qu’ils doivent payer avec leurs impôts des heures non travaillées pour ne bénéficier que d’un service minimum et donc imparfait ? Ah çà, non, ils ne le comprendraient pas… Et d’ailleurs, nous ne nous y essayons pas !

Certains enfin se demanderont pourquoi, alors qu’ils ont payé leur titre de transport, ils ne seraient pas indemnisés. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Que ceux-là non plus ne s’inquiètent pas : nous avons aussi prévu de faire indemniser les usagers qui subiraient un préjudice.

Bien évidemment, je ne pouvais développer dans le détail toutes ces mesures en cinq minutes. Mais je voulais me faire ici le porte-parole de tous les citoyens qui m’ont interpellée dès que le programme de notre président a été connu, et qui seront ravis d’entendre mes réponses.

Je tiens en conclusion à remercier notre gouvernement et notre ministre d’avoir eu le courage d’agir vite et bien. Il est tout de même très agréable pour une députée de proximité comme moi de pouvoir satisfaire rapidement les concitoyens qui l’ont élue dès le premier tour, grâce au programme du Président. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine - applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Roland Muzeau. Il faut savoir un peu décoller de l’événement !

Mme Muriel Marland-Militello. Et je ne terminerai pas sans dire tout le bien que je pense de mon rapporteur et de mon président, qui m’ont très gentiment associée à leurs travaux et à qui je dois beaucoup. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit.

Mme Annick Lepetit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est indéfendable, tant sur la forme que sur le fond.

Alors que le Gouvernement proclame que ce texte est essentiel à nos concitoyens, il le fait examiner en pleine période estivale, à la va-vite, presque en catimini.

M. Jean-Pierre Nicolas. N’exagérons rien !

Mme Arlette Franco. C’était prévu dans son programme !

Mme Annick Lepetit. L’urgence ayant été déclarée, ce projet ne sera discuté qu'une seule fois par la représentation nationale qui vient pourtant d'être élue. De surcroît, nous n'avons disposé que de quelques jours pour l'étudier et déposer des amendements, ainsi que pour auditionner les nombreux acteurs concernés : c'est, en quelque sorte, le service minimum entre l'exécutif et le législatif…

M. Alain Vidalies. Très bien !

Mme Annick Lepetit. Vous avez même oublié le ministre des transports, monsieur le président de la commission spéciale ! Or ce texte porte non seulement préjudice aux salariés, comme l’a démontré mon collègue Alain Vidalies, mais il restera sans effet sur les conditions de transport de nos concitoyens. Pourtant, la qualité de l'offre des transports publics représente le cœur du problème. Je ne saurais trop insister sur ce point.

Selon vous, monsieur le ministre, les grèves seraient responsables des perturbations du trafic subies par nos concitoyens. Vous avez dit au Sénat, et tout à l’heure encore devant notre assemblée : « Un jour de grève, des quais ou des arrêts de bus surchargés, avec des clients qui attendent…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Qui attendent sans information !

Mme Annick Lepetit. …un train ou un bus qui ne viendra peut-être jamais, je ne veux plus, vous ne voulez plus, nous ne voulons plus de telles situations. » En effet, monsieur le ministre, nous voulons un service public des transports qui fonctionne, un service public de qualité, un service public digne de ce nom. Mais, ce que vous feignez d'ignorer ou ignorez peut-être, c'est que les trains, les métros ou les bus retardés, voire arrêtés pendant des heures, il y en a souvent, parfois quotidiennement, notamment en Île-de-France où 12 millions de personnes voyagent chaque jour.

M. Georges Ginesta. Et ailleurs ? Vous au moins, vous avez des vélos !

Mme Annick Lepetit. Moins de 3 % des perturbations dans cette région sont dues à des conflits sociaux. Faire croire qu’elles résultent essentiellement des grèves est un mensonge.

M. Roland Muzeau. Une escroquerie !

Mme Annick Lepetit. En vérité, il n’y a pas eu plus de 0,7 jour de grève par agent en 2006. J’insiste sur ce point, car les orateurs qui se sont exprimés précédemment sur le sujet nous ont fait croire – peut-être le pensaient-ils vraiment – que les plus fortes perturbations étaient dues à la grève.

Monsieur le ministre, vous le savez, les conflits sociaux représentent à peine 2 % des perturbations sur tout le territoire national. Pourtant, l'insatisfaction et le mécontentement des usagers se sont accentués. Ce ne sont donc pas eux qui sont responsables de la très grande majorité des dysfonctionnements. Ce texte ne traite pas des questions de fond et c'est bien dommage.

Il est vrai qu'il est plus simple de légiférer sur le service minimum en visant les agents des services publics que de résoudre les problèmes dus aux défaillances techniques, à la vétusté du matériel roulant et des infrastructures, aux insuffisances en moyens humains et financiers, pour garantir la continuité et la qualité du service public. Depuis 2002, le budget de l'État alloué aux transports publics n'a cessé de diminuer d’année en année : il baisse encore de 4 % dans le budget 2007. Votre projet de loi est un véritable cache-misère qui facilitera la poursuite du désengagement de l'État.

Pour illustrer concrètement mon propos, je prendrai l’exemple de la ligne 13 du métro parisien…

M. Roland Muzeau. Bon exemple !

Mme Annick Lepetit. …que je connais pour l’utiliser depuis longtemps et qui traverse ma circonscription.

Depuis 2002, je n'ai eu de cesse de rencontrer les acteurs concernés et d'alerter les pouvoirs publics sur son engorgement, l’irrégularité de son fonctionnement, son inconfort, son insécurité. J'ai questionné, à plusieurs reprises, le ministre des transports de l'époque, Dominique Perben, sur ses intentions et sur sa position quant au dédoublement de la ligne, qui paraît être la meilleure solution. Pas de réponse... et pas davantage de Nicolas Sarkozy, alors président du conseil général des Hauts-de-Seine, département lui aussi concerné par la ligne 13 ! Le STIF, depuis qu'il est présidé par Jean-Paul Huchon, a permis quelques avancées. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais sans l'État, la transformation d'envergure de cette ligne, qui connaît la plus forte hausse de fréquentation du réseau de la RATP, est impossible. Si les dysfonctionnements répétés étaient dus à des conflits sociaux, cela signifierait qu'il y a une grève toutes les trente minutes sur la ligne 13. Soyons sérieux !

Vous dites vouloir la continuité du service public des transports ; nous aussi. Mais, votre projet de loi est loin de la réalité, loin de ce que subissent nos concitoyens. Il ne changera en rien leur vie quotidienne que, visiblement, vous connaissez mal. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

L'avenir, c'est bien l'investissement massif dans les transports collectifs, ce n'est certainement pas la suppression in fine du droit de grève. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas.

M. Jean-Pierre Nicolas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous ici animés par la défense de l'intérêt général. Aussi le texte qui nous est soumis devrait-il recevoir un large assentiment, voire l'unanimité, car il ne vise pas à opposer mais à rassembler, en plaçant l’usager au centre des préoccupations : c’est lui en effet le maillon faible de la chaîne lors des conflits sociaux, et en même temps le maillon indispensable à notre système économique et social.

Chacun sait bien que le droit de grève est un droit constitutionnel qui ne saurait être remis en cause mais aussi que nous ne pouvons plus laisser les choses en l'état et demeurer passifs lorsque des millions de nos concitoyens sont dans l'incapacité, pour cause de grève, de se rendre sur leur lieu de travail ou de rejoindre leur domicile.

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

Mme Arlette Franco. Mais si !

M. Jean-Pierre Nicolas. Je l’ai vécu !

Nombreux sont les pays européens qui ont largement dépassé ce débat et mis en place un dispositif de service minimum. Quinze sur vingt-sept possédaient déjà un tel dispositif en 2003. Porter le débat devant la nation ne peut que réjouir tout républicain.

Ce projet de service minimum n'est pas une menace sur les services publics. C'est au contraire leur essence même, leur raison d'être. Il ne constitue pas non plus la revanche de l'idéologie du travail sur celle de la grève. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Dans un monde ouvert où chaque salarié, notamment du secteur privé, assume chaque jour de vrais risques professionnels, la liberté des usagers ordinaires mérite d'être défendue face au privilège de grève…

M. Maxime Bono. « Privilège de grève » : voilà un oxymore !

M. Jean-Pierre Nicolas. …dont jouissent certaines catégories protégées du service public, qui sentent bien qu'une évolution est indispensable et qu'à l'évidence il convient de concilier droit de grève, intérêt général, libre circulation et droits des usagers à l'information.

Aucune de ces notions ne s'oppose. Au contraire, chacune contribue à renforcer le lien social et économique que nous devons conforter en permanence.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, n'est ni révolutionnaire ni décalé. Il répond aux attentes de nos concitoyens. Il fait clairement partie des engagements annoncés par le Président de la République que les Français viennent d'élire et répond donc à leurs attentes, comme le confirme d’ailleurs une récente enquête d’opinion selon laquelle nos concitoyens sont très majoritairement favorables à l'installation d'un service minimum dans les transports publics.

Ce texte n'a rien d'idéologique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il est empreint de pragmatisme et de bon sens : vous avez su conjuguer la culture de la négociation avec une meilleure organisation du service en cas de grève et une meilleure information des usagers. Cette culture de la négociation avant tout conflit, qui constitue le premier pilier de ce texte, vous l'avez voulue très décentralisée et vous avez raison car elle doit correspondre aux réalités du terrain qui sont diverses selon qu'il s'agisse de Paris, sa banlieue, de grandes métropoles urbaines comme Lyon, Marseille, de secteurs provinciaux ruraux ou tout simplement de transports scolaires.

Dans tous les cas, le dialogue social est le moteur de l'entreprise. Il doit inverser la tendance qui voulait que l'on fasse grève d'abord...

M. Roland Muzeau. Par plaisir sûrement !

M. Jean-Pierre Nicolas. …et que l'on discute ensuite. C'est ainsi que 84 % des préavis de grève de la SNCF en 2006 n'ont pas été précédés d'une demande de concertation et que 70 % des conflits à la RATP demeurent sans préavis.

Le deuxième pilier de ce texte peut constituer pour certaines entreprises un véritable changement de culture puisqu'il ne s'agit pas seulement de constater l'état de grève mais aussi de mettre en œuvre, avec les moyens disponibles, un véritable plan de couverture des besoins essentiels de la population, définis localement en fixant les dessertes prioritaires et leurs fréquences. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

En effet, les jours de grève, les usagers n'ont pas besoin toute la journée d'un train sur trois, mais d'un service complet aux heures de pointe.

M. Maxime Bono. C’est impossible !

M. Jean-Pierre Nicolas. Le renforcement du droit à l'information des usagers constitue le troisième pilier de ce texte. C'est une disposition légitime car tout usager d'un service de transport peut prétendre disposer, en cas de perturbations annoncées, d'informations précises et fiables sur le service assuré.

Ces informations lui permettront de s'organiser dans les meilleures conditions possibles et sont susceptibles d'éviter des drames, notamment dans le ramassage scolaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Le principe du non-paiement des jours de grève est définitivement tranché par l'article 9.

M. Roland Muzeau. C’était déjà le cas !

M. Jean-Pierre Nicolas. Il permet ainsi de clarifier la situation et apporte une dimension dans le dialogue social. Désormais, chacun prendra ses responsabilités en toute connaissance de cause.

M. Roland Muzeau. Comme d’habitude !

M. Jean-Pierre Nicolas. Cela évitera tout malentendu, tout marchandage et tout désenchantement en fin de conflit, bref ce que j’ai eu l'occasion de connaître, ayant été si je puis dire, des deux côtés de la barrière.

Maurice Thorez lui-même…

M. Roland Muzeau. D’abord Guy Môquet, maintenant Thorez. À quand Duclos ?

M. Jean-Pierre Nicolas. …déclarait qu'il fallait savoir mettre fin à une grève. Le principe de la consultation des salariés de l'entreprise à bulletins secrets, au bout de huit jours de grève, participe de cette idée, et le secret de l'isoloir pourra éviter certaines pressions.

M. André Gerin. Ben voyons !

M. Alain Néri. Dans ce cas, supprimez le préavis de quarante-huit heures !

M. Jean-Pierre Nicolas. Je souhaite cependant que les débats permettent de préciser quels sont les salariés consultés dans ce cadre, s’il s’agit du seul personnel gréviste ou de l'ensemble du personnel dont l'activité dépend des grévistes, dont quelques-uns seulement peuvent paralyser l'ensemble du trafic.

En conclusion, monsieur le ministre, ce texte fait fi de toute idéologie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) au profit du bon sens, de l'intérêt général et de la qualité du service public à la française. Il conjugue respect des usagers, droit de grève et responsabilité des entreprises. Il doit constituer un succès pour les collectivités, pour les organisations syndicales et pour les usagers.

M. Claude Bodin. Très bien !

M. Jean-Pierre Nicolas. À cet égard, la vigilance du « service après vote » sera essentielle pour tirer toutes les conclusions et les prospectives possibles. Monsieur le ministre, vous avez toute ma confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle. Monsieur le ministre, à la hâte et sans concertation, comme pour les autres textes de loi, vous nous demandez de débattre d'un projet de loi intitulé « Dialogue social et continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs »,…

M. Claude Bodin. Beau titre !

Mme Catherine Coutelle. …conformément à une promesse de campagne du Président de la République. Vous vous appuyez sur une attente des Français qui, à 71 %, approuveraient cette initiative. Je voudrais appeler l’attention de nos concitoyens qui écouteraient ces débats, entre la fin du Tour de France et la mort de Michel Serrault…

Mme Arlette Franco. N’importe quoi !

M. Georges Mothron. C’est la cage au folles !

Mme Catherine Coutelle. …sur le fait que si leur attente, leur exigence même des transports publics quotidiens fiables, parce qu’elle est légitime doit être satisfaite, ce projet en trompe-l'œil ne résoudra pas les problèmes auxquels vous être confrontés chaque jour.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Très bien !

Mme Catherine Coutelle. Les Français attendent de pouvoir utiliser sans appréhension ni stress des transports collectifs. Les usagers des transports publics sont captifs, soit parce qu’ils n’ont pas d’autre solution, soit par souci d'économies – savez-vous que lorsqu’on habite à trente-cinq kilomètres de son lieu de travail, le coût d'un véhicule particulier est de 6 000 euros par an, comme l’a chiffré l'ADEME dans le cadre d'un plan de déplacement d’entreprise, ce qui pèse fortement sur les bas salaires ? –, à moins qu’ils n’aient fait ce choix par souci de préserver l’environnement.

Mais qu'ils habitent Paris, la banlieue, la grande couronne, une ville de province ou une commune rurale, de grands efforts restent à entreprendre, comme c’est le cas dans un département comme le mien, pour répondre aux attentes des jeunes ménages qui ont dû partir habiter loin des centres-villes comme des populations vieillissantes qui veulent rester à leur domicile. Tous les usagers sont exigeants.

Les autorités organisatrices des transports doivent répondre à cette attente, car les besoins de déplacements quotidiens augmentent en nombre et en durée. Le temps moyen de trajet est de quatre-vingt-dix minutes par jour, ce qui est considérable sur une journée de travail. C'est pourquoi certains se lèvent très tôt, sans gagner plus et sans jamais être sûrs d'arriver à l'heure, non pas à cause de grèves mais par manque de fiabilité des transports (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),

M. Philippe Vitel. C’est facile !

Mme Catherine Coutelle. …qu’il s’agisse de trains annulés sans annonce, retardés,…

M. Philippe Vitel. Comment marchent-ils, les TER dans les régions socialistes ?

Mme Catherine Coutelle. …ou de bus pris dans les embouteillages.

Les enquêtes approfondies, et pas seulement des sondages express où la question induit la réponse, soulignent les priorités des voyageurs. Ce que l’on sait peut être moins, c'est que parmi cette clientèle des transports publics, les femmes représentent les deux tiers des voyageurs. Ce sont elles les principales usagères des transports publics.

J'ai eu l'occasion de m'intéresser à ce public à travers l’association « Femmes en mouvement ». De nos études, il ressortait que les femmes, clientes souvent captives, parfois par choix, attachent une attention forte aux transports du fait de leur double journée. Leur principale demande, avant la sécurité, c'est la fiabilité, la ponctualité, la fréquence, pour leur permettre de jongler avec sûreté entre activités familiales et vie professionnelle.

Au-delà, toutes les améliorations qui pourront être apportées – être à l’heure, voyager plus vite, être bien informé – profiteront à l'ensemble des usagers.

Les attentes sont donc connues, par ville, par région, par catégorie. L'offre doit suivre. Votre loi ne changera rien à cette demande non satisfaite car sur cent retards ou incidents, seuls deux sont dus à des faits de grève ; quatre-vingt-dix-sept ont d'autres causes.

M. Maxime Bono. On ne le dira jamais assez !

Mme Catherine Coutelle. C'est pourquoi, votre texte est avant tout idéologique. Il cherche à limiter, encadrer, restreindre le droit de grève.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. On l’assume !

Mme Catherine Coutelle. Mais il n'atteindra aucun de ces deux objectifs : développer le dialogue social et assurer des transports publics quotidiens de qualité.

Développer le dialogue social constitue la meilleure voie. La RATP d'abord, la SNCF ensuite en ont donné l’exemple. L'alerte sociale joue son rôle, de l'avis de tous les acteurs, même si des améliorations sont toujours possibles.

Pourquoi casser cette confiance ? Pourquoi à des relations contractuelles négociées vouloir substituer la contrainte ? Pour dialoguer, il faut être deux et se faire confiance.

Mme Arlette Franco. C’est précisément pour ça qu’il faut voter le texte.

Mme Catherine Coutelle. Votre volonté de légiférer à tout va, sans prendre en compte les avancées, sans donner aux transports publics les véritables moyens de remplir leur mission, à la seule fin de vous donner une image d'autorité et d'ordre, risque une fois de plus de dévaloriser le rôle du politique et l'importance de la loi, condamnée à être inutile, puisqu’inefficace. Car ce n'est pas vous qui avez le pouvoir dans ce domaine, mais les autorités organisatrices de transports.

Dans cette loi, vous forcez, vous obligez, vous imposez un « plan pour situations dégradées », mais il ne peut résulter que de discussions entre collectivités, entreprises, salariés et usagers. D’essence purement idéologique, ce texte n'atteindra pas son but. Vous voulez faire croire que vous instituez le « service minimum », mais l’expression ne figure même pas dans votre texte ! Et vous vous déchargez de la question sur les collectivités locales pendant que, dans le même temps, l’État se désengage fortement pour ce qui est des investissements.

Depuis le début de la législature, votre manière de conduire la politique est constante : passage en force, absence de dialogue, d’écoute et de concertation… (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. André Gerin. On a l’habitude !

Mme Catherine Coutelle. ...précipitation extrême du travail parlementaire, accumulation de textes hâtivement rédigés – qui soulèvent plus d’inquiétude qu’ils n’apportent de solutions – et absence de financement des mesures de financement, à l’appui de choix forts. Parmi les promesses du Président de la République figurait le renforcement du rôle du Parlement. Les conditions que vous nous imposez depuis le début du mois ne sont pas dignes. (Mêmes mouvements.)

M. André Gerin. Elle a raison !

Mme Catherine Coutelle. L'injonction ne suffira pas à faire progresser les relations sociales dans notre pays : la suspicion n'aide pas à dialoguer et, de toute façon, cette loi n'est pas à la hauteur des enjeux.

À nouveau, vous stigmatisez une catégorie de la population : aujourd'hui, les syndicalistes ; demain, sans doute tous les fonctionnaires ; ensuite, les chômeurs, les immigrés... Cette manière d'opposer les Français les uns aux autres, la désignation de boucs émissaires créent de violentes tensions dans la société française. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Gerin. Ça vous dérange et ça vous fait mal !

M. Gérard Voisin. Mais ce n’est pas vrai !

M. Philippe Vitel. Arrêtez la démagogie ! Un peu de sérieux !

Mme Catherine Coutelle. Il faudrait un effort important de la nation et des choix budgétaires favorables pour concilier les besoins modernes de mobilité avec les exigences de protection de l'environnement. Enfin, les transports publics sont aussi un facteur de cohésion sociale en ce qu’ils garantissent l’accès de tous au service public et qu’ils luttent contre l'exclusion. Votre loi passe à côté de ces enjeux : exclusivement idéologique, elle ne vise que le droit de grève. L'immense majorité des soucis, agacements, et autres colères – ou stress – des usagers à l'égard des services de transports subsisteront. Le réveil risque d'être douloureux ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis, comme beaucoup d’usagers, de la venue en discussion du projet de loi cadre sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres.

M. Daniel Paul. Ce n’est pas le même discours !

Mme Chantal Brunel. Oui, ce texte est très attendu car il est indispensable !

Élue de la Grande couronne, je suis sans cesse interpellée par les usagers des transports en commun qui se plaignent de leurs conditions de transport, même en temps normal...

M. Alain Néri. À cause du manque de moyens !

M. François Brottes. Ça y est, le mot est lâché !

Mme Chantal Brunel. Alors, que dire en période de grève ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Je n’entends – et je comprends puisque j’en suis également la victime (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) – que plaintes contre le RER A, le RER D ou E et contre les trains. Il serait temps que l’on prenne conscience de l’évolution importante de la population de l’Est parisien et que l’on adapte les moyens de transport en conséquence. Devant de tels dysfonctionnements, beaucoup de Seine-et-Marnais reprennent leur voiture en se disant qu’ils seront sûrs, en dépit des nombreux embouteillages, d'arriver à bon port.

Les conséquences des dysfonctionnements des transports sont considérables. En termes d’emploi, d’abord : le mécontentement des employeurs devant les nombreux retards finit par créer un phénomène de discrimination à l’embauche...

Mme Catherine Coutelle. Eh oui !

M. Roland Muzeau. Absolument !

Mme Chantal Brunel. ...car les employeurs, connaissant les problèmes de transport de l'Est parisien, hésitent à embaucher ceux qui y résident.

M. Alain Néri. Il faut mettre les villes à la campagne !

Mme Chantal Brunel. En termes de stress : les usagers ne sont jamais sûrs de partir et d'arriver à temps. En termes de fatigue enfin : les journées s'allongent au gré des défaillances.

M. Alain Néri. Sans doute, mais cela n’a aucun rapport avec les grèves !

Mme Chantal Brunel. Outre l'irrégularité, qui est l’inconvénient majeur, il y aurait aussi beaucoup à dire sur l'inconfort des transports.

M. Daniel Paul. Très juste !

Mme Chantal Brunel. Les conditions de transport sont quelquefois honteuses : les wagons, souvent vétustes,...

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai !

Mme Chantal Brunel. ...sont bondés,...

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai !

Mme Chantal Brunel. ...la chaleur, l’été, y est insupportable,...

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai !

Mme Chantal Brunel. ...alors que le prix des abonnements, lui, reste élevé !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai !

Mme Chantal Brunel. Bien sûr, aux heures creuses, les conditions sont plus agréables ; mais, dans un pays qui veut privilégier le travail, il faut impérativement améliorer les moyens de s'y rendre.

Ce projet concrétise un droit essentiel : celui du droit des usagers à l'information. Sur la ligne Paris-Lagny-Thorigny, pour prendre un exemple, la SNCF ne sait pas communiquer sur la modification des cadencements, et pas davantage sur les incidents entraînant un retard pour les voyageurs.

M. Alain Néri. Mais que fait Sarkozy ?

Mme Chantal Brunel. Je parle de la SNCF ! Elle a également du mal à communiquer avec le syndicat intercommunal des transports. Dès le moindre incident, les correspondances ne sont plus assurées car les bus sont partis de la gare sans attendre 1'arrivée des trains… Cela ne peut continuer ainsi, monsieur le ministre.

Améliorer le dialogue social, bien sûr, mais le dialogue est indispensable avec les usagers aussi. Or ce dialogue est aujourd'hui au point mort : pas d'informations sur les retards, sur leur durée prévisible, ni sur les moyens de transport alternatifs en cas de panne grave. La région Île-de-France dépense des moyens considérables pour communiquer sur son président et les actions de son président, (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) mais rien n’est prévu sur les transports quotidiens.

À mes yeux, il y a deux urgences fondamentales : d’abord, un plan qualité des transports pour diminuer pannes, incidents, retards ; et un dispositif de communication enfin efficace à destination des Franciliens. Et je prétends, contrairement à ce qui peut être avancé, que ces deux chantiers ne demandent pas nécessairement des moyens financiers très importants.

Je voterai ce texte, monsieur le ministre, parce qu’il prévoit la continuité du service public en cas de grève – ce qui correspond à une réelle nécessité – mais aussi parce qu’il contribuera à assurer la qualité des transports publics au quotidien, ce qui représente une réelle urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Dolez. Votre intervention n’a rien à voir avec le texte !

M. André Gerin. Vous avez même parlé contre le projet de loi !

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour cinq minutes.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en prévenant plus efficacement les conflits par le développement du dialogue social et en garantissant un service réduit, mais connu par avance des usagers, et répondant à leurs besoins prioritaires, ce texte répond à la fois aux attentes d'une très large majorité de nos concitoyens, des collectivités territoriales organisatrices de transports qui exigent un meilleur service de la part des opérateurs, des employeurs qui aspirent à un service de qualité, et des salariés qui veulent bénéficier d'un haut niveau de dialogue social.

La situation est particulièrement sensible en Île-de-France, Chantal Brunel vient de le rappeler, où les habitants de la périphérie sont les principaux concernés. Le trajet bureau-domicile relève pour eux du parcours du combattant. Les transports collectifs représentent plus de 60 % des déplacements mécanisés à Paris, 30 % à l'échelle de la région. À Paris, seulement 44,5 % des ménages disposent d'une automobile, ce qui représente la proportion la plus faible de tous les départements français, si bien que 1,2 million de Parisiens se trouvent en situation de dépendance totale à l'égard des transports publics, situation encore renforcée par la politique de restriction de la circulation menée par la mairie de Paris, pour des raisons notamment environnementales.

M. Roland Muzeau. Paris a le meilleur réseau du monde !

M. Philippe Goujon. Face à des attentes parfois contradictoires, ce projet de loi tente donc de concilier plusieurs principes constitutionnels : le droit de grève, la liberté d'aller et venir, la liberté du travail, celle du commerce et de l'industrie, l'accès aux services publics, la libre administration des collectivités territoriales et la continuité du service public, notamment en cas de monopole. Comment peut-on prétendre défendre le service public et s'opposer à l'instauration d'un service minimum ? Si la continuité n'est pas essentielle, c'est qu'il ne s'agit pas d'un service public !

M. Daniel Paul. Ah ?

M. Philippe Goujon. Depuis vingt ans, colloques et propositions de loi – dont celle de notre rapporteur, cosignée par plus de la moitié des députés ! – ont régulièrement alimenté le débat sur le service minimum, lui-même ravivé par chaque grève paralysante. Même la gauche a été tentée de légiférer en la matière, peu avant les élections de 1993, sur la proposition de notre collègue Christian Blanc, alors président de la RATP.

Et pour quels résultats ? L'alarme sociale qui existe à la RATP depuis 1996 n'a été étendue à la SNCF qu'en 2004. Certes, de la sorte, la conflictualité a reculé dans les services publics de transport. Est-ce pour autant suffisant ? Non, car l'alarme sociale n'étant pas obligatoire, 70 % des préavis de grève à la RATP ne suivent pas la procédure, et 84 % à la SNCF, où 60 % des trains annulés le sont, je le rappelle, pour faits de grève !

La situation de la France est pour le moins singulière en Europe. Il est manifeste que l'ensemble des pays européens reconnaît le droit de grève, et si la moitié d'entre eux ont organisé un service minimum pour les services essentiels, dans l'autre moitié, la culture du dialogue social, comme en Allemagne, ou l’encadrement très strict du droit de grève, comme au Royaume Uni, le rendent inutile. Sur ce point, le cas de l'Italie mérite une attention particulière car les traditions sociales et syndicales y sont proches des nôtres : la loi a permis d'y instaurer un service minimum pour assurer la satisfaction des besoins essentiels de la population, ainsi qu'une information précise et préalable des usagers. Cet exemple nous indique très largement la voie à suivre.

D'une part, conformément au Préambule de 1946 et à la décision du Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982, le législateur est aujourd'hui pleinement dans son rôle en veillant à assurer la continuité des services publics de transport. D'autre part, l'information des usagers est primordiale en cas de perturbation prévisible, n'en déplaise au président de la région Île-de-France, désormais président du STIF, qui tente par avance de s'exonérer – à tort ! – de toute responsabilité en la matière.

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Goujon. Certes, toutes les interruptions de trafic ne sont pas dues à des grèves (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) Vous voyez, je le reconnais. Tout aussi importante est l'amélioration de l'état du réseau.

M. Alain Néri. C’est bien de le reconnaître !

M. Philippe Goujon. Mais les grèves aussi, mes chers collègues, perturbent le trafic !

L'effort doit donc être amplifié en faveur des infrastructures. Les 100 millions supplémentaires annoncés par la présidente de la SNCF pour l'Île-de-France sont un premier pas car, comme l'a déclaré le Premier ministre lors de l'inauguration du TGV Est, la SNCF doit se préoccuper davantage de la desserte locale. Quant à la RATP, elle doit absolument lancer le « métrophérique », devenu indispensable.

En 1979, le Conseil constitutionnel considérait que le droit de grève ne pouvait pas compromettre la satisfaction des besoins essentiels du pays. Aujourd'hui, il s'agit d'assurer la continuité des « services essentiels à la population ». Ce projet de loi, sans remettre en cause le droit de grève,...

M. Roland Muzeau. Si, ne mentez pas !

M. Philippe Goujon. ...malgré les caricatures que l’on en fait sur les bancs de la gauche, en limite les abus les plus insupportables pour les usagers tout en permettant d'instaurer un service minimum par le dialogue social,...

M. Roland Muzeau. Vous n’arrêtez pas de mentir !

M. Philippe Goujon. ...auquel vous aspirez, vous aussi. C'est la voie de la sagesse, mais aussi celle de l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir porte « sur » le dialogue social – vous auriez pu l’intituler « pour » le dialogue social et, comme les débats que nous avons eu le prouvent, sans doute n’est-ce pas un hasard que vous ne l’ayez pas fait – et sur la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

S’agissant du dialogue social, nous avons vu, et continuons de voir, que ce texte va plutôt l’entraver, le rigidifier, introduire des biais et induire des comportements de précaution. Les effets pervers se multiplieront. Et pour ce qui est de la continuité du service public, vous êtes à côté de la plaque ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) !

M. Richard Dell'Agnola. Vous êtes un expert !

M. Philippe Vitel. Tant qu’on reste sur les rails ! (Sourires)

M. Jean Mallot. Les chiffres ayant été rappelés à plusieurs reprises, je ne m’y attarderai pas. En région parisienne, les grèves ne représentent que 2 % des perturbations quotidiennes, la défaillance des infrastructures plus de 15 % – soit sept fois plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) À la SNCF, sur plus de 6 000 incidents relevés en 2006, seulement 140 étaient dus à des mouvements sociaux – soit 2,3 % – contre 1 728 à des défaillances techniques, causées notamment par la vétusté des matériels.

Prenons, pour illustrer le propos, le cas des transports régionaux de voyageurs – les fameux TER.

M. Yves Albarello. En Île-de-France ?

M. Jean Mallot. Savez-vous que la France ne se limite pas à l’Île-de-France ?

Pour l’usager, les choses ne sont pas simples : la région a la responsabilité de fournir le matériel roulant et de financer l’exploitation ; la SNCF joue le rôle de l’opérateur, son personnel faisant rouler les trains sur les voies de Réseau ferré de France. Celui qui paie est-il celui qui décide ? La région a-t-elle le choix de l’opérateur ? Non, elle a un interlocuteur unique, obligé : la SNCF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Vous voulez supprimer le monopole de la SNCF ? Voilà qui est amusant !

M. Jean Mallot. Le constat doit être fait d’une dégradation réelle du service – par exemple, pour sortir un peu de l’Ile-de-France, en Auvergne sur la période 2006-2007. Les raisons en sont multiples : des problèmes de maintenance du matériel, la dégradation des infrastructures et, loin derrière, en dernière position, les grèves. Les suppressions de circulation – notamment, mais pas exclusivement, pour raison de grève – donnent lieu à des pénalités financières pour la SNCF, aux termes de la convention qui la lie à la région. En Auvergne, en 2006, les pénalités s’élèvent à environ 500 000 euros, pour une convention d’un montant de plus de 75 millions – soit moins de 1 % ! Le problème n’est donc pas la propension à la grève. Les vraies difficultés sont bien plus importantes, graves et longues à résoudre : je veux parler de l’état de délabrement du réseau ferroviaire, qui est la cause réelle de la non-continuité du service public dans la plupart de nos régions. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Arlette Franco. Vous plaisantez !

M. Jean Mallot. Venez sur place ! En voilà une illustration concrète : en février 2006, un déraillement s’est produit à Saint-Flour – savez-vous où cela se trouve ? connaissez-vous la géographie de la France ? Les services de la SNCF ont inspecté les voies et ont détecté une dégradation entre Neussargues et Saint-Chelly-d’Apcher, sur la grande ligne reliant Clermont à Béziers – il ne s’agit pas d’une petite ligne perdue dans la nature ! La sécurité n’étant pas assurée, la circulation des trains a été tout simplement interrompue… Voilà au moins un tronçon sur lequel les agents de conduite n’étaient pas tentés de faire grève ! Et en avant les autocars pour les voyageurs, en avant les camions pour le fret ! Il a fallu toute l’énergie du président de région pour faire en sorte que les travaux, initialement prévus pour 2008, soient entrepris sans délais. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ils ont coûté 9 millions d’euros pour 25 kilomètres ! Voyez les montants en jeu ! Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé. Nous ne comptons plus les « ralentissements » – terme qui désigne les tronçons de ligne sur lesquels, par mesure de sécurité, les trains roulent à 40, voire 30 kilomètres-heure.

Mme Arlette Franco. Il ne faut pas abuser !

M. Jean Mallot. C’est la réalité, madame !

Mme Arlette Franco. Je la connais, cette ligne ! Je suis de la région Midi-Pyrénées !

M. Jean Mallot. À l’heure du TGV, cela vous donne la mesure des problèmes ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En Auvergne, sept tronçons de ligne, soit plus de 80 kilomètres, sont identifiés comme dégradés et sujets à des ralentissements. Voilà la réalité ! Et l’on ne fait rien – ou presque ! D’autres tronçons sont menacés du même statut : je pourrais par exemple vous emmener sur la ligne Montluçon-Vierzon – un beau voyage là encore.

La vérité…

M. Yves Albarello. Si je mens ?

M. Jean Mallot. …c’est que le réseau menace ruine. Alors, bien sûr, on nous annonce une centaine de millions d’euros sur trois ans. Mais la région Auvergne, par exemple, absorberait à elle seule plus du quart de cette enveloppe ! Que pourrait-on faire ailleurs ? Les besoins réels ont été évalués à 500 millions d’euros par an, en sus des financements actuels. On est bien loin du compte ! Il est vrai qu’avec les treize milliards du paquet fiscal que le Gouvernement est en train de faire voter, on pourrait remettre en état bien des voies, sur des centaines de kilomètres, renouveler bien des machines, informer les voyageurs – pour le bien du plus grand nombre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Les régions n’ont plus qu’à mettre la main au portefeuille : c’est d’ailleurs ce que vous avez en tête ! Nous voyons venir le coup : le report sur les régions, coupables d’avoir mal voté en 2004, d’une charge financière supplémentaire, afin de les étrangler ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Arlette Franco. Qu’a fait M. Gayssot lorsqu’il était ministre des transports ? Il était pourtant de la région !

M. Jean Mallot. Certaines régions, en particulier celles gérées depuis longtemps par la gauche, ont eu les moyens de s’endetter pour financer, en dehors de leurs compétences, des programmes de rénovation de leur réseau ferroviaire, mais d’autres – comme la mienne, surendettée par votre ami M. Valéry Giscard d’Estaing – n’en ont pas les moyens ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Vitel. Scandaleux !

M. le président. Un peu de calme, s’il vous plaît !

Veuillez conclure, monsieur Mallot.

M. Jean Mallot. On voit où vous voulez en venir : l’usager des TER impute les dysfonctionnements à la région, puisqu’on lui dit que c’est elle qui est compétente, alors qu’ils viennent le plus souvent de ses partenaires : le Réseau ferré de France pour les voies, la SNCF pour la maintenance et l’exploitation.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mallot.

M. Jean Mallot. Si la région inflige des pénalités à la SNCF, la charge se trouvera, à terme, répercutée dans la convention et le contribuable régional paiera ! (Mêmes mouvements.) Et si la région, habilitée à financer la remise en état du réseau en dehors de ses compétences, veut améliorer le service, c’est encore le contribuable qui paiera !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Monsieur le président, les cinq minutes sont écoulées !

M. Philippe Vitel. Monsieur le président a le chronomètre élastique !

M. Jean Mallot. En faisant porter à l’autorité organisatrice régionale la responsabilité du plan de transport adapté, sans moyens supplémentaires, le projet de loi lui transfère la charge de votre pseudo-service minimum ! Vous gardez le beau rôle, monsieur le ministre, mais il est des manœuvres dont les citoyens ne seront pas dupes très longtemps ! Nous prenons date ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. Ah ! Un discours sur l’Europe !

M. Jacques Myard. Monsieur le président, citoyens législateurs – comme disait Portalis –, la France peut s’enorgueillir d’avoir créé la notion de service public, fondée sur l’utilité publique et l’intérêt général, qui commande à l’État de développer le lien social, sans lequel il ne peut y avoir de volonté de vivre ensemble.

M. Roland Muzeau. Jusque-là, ça va !

M. Jacques Myard. De grands auteurs ont contribué à fonder et illustrer ce concept : Duguit, Jèze, Hauriou y ont apporté des contributions significatives et ont conforté l’État de droit. Ce sont eux, ainsi que la jurisprudence administrative, qui ont dégagé les caractères et les principes fondamentaux du service public.

M. Pierre Bourguignon. Quel étudiant de Sciences Po lui a écrit ce discours ?

M. Jacques Myard. Il n’est pas inutile, monsieur le président, monsieur le ministre, de les rappeler ici pour comprendre et affirmer l’objectif de faire respecter le service minimum dans les services publics – et notamment les transports publics.

Mme Arlette Franco. Bravo !

M. André Gerin. Ça se dégrade !

M. Jacques Myard. La continuité des services publics est liée à la permanence de l’État, qui a le devoir de les organiser. Dès 1909, le commissaire du gouvernement Winkel rappelait que la continuité est l’essence du service public ; car il ne saurait y avoir d’utilité publique ou d’intérêt général par intermittence – sauf, sans doute, chez les intermittents du spectacle socialistes ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Provocateur !

M. Jacques Myard. Il en découle que l’autorité publique doit prendre toute mesure nécessaire pour assurer le fonctionnement régulier et ponctuel des services publics. Si tel n’est pas le cas, la jurisprudence est formelle : l’État engage sa responsabilité – à défaut, chers collègues de l’opposition, de la vôtre, qui ne vaut pas un clou ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Roland Muzeau. C’est minable !

M. Jacques Myard. Il incombe également à l’autorité publique d’adapter le service public aux circonstances, en particulier à l’évolution des besoins de nos concitoyens – à défaut, il n’y a pas de service public. À ces deux critères de continuité et d’adaptabilité s’ajoutent l’égalité de traitement des usagers et la neutralité du service, qui confèrent à l’usager, ne l’oublions pas, le droit au fonctionnement du service – la jurisprudence est formelle sur ce point aussi. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. Et l’Europe ?

M. Jacques Myard. Ce sont ces critères qui ont fait la grandeur du service public à la française – qui, je le souligne au passage, n’a rien de commun avec le concept bruxellois de « service universel ». Notre service public ne vise pas à pallier les manquements du secteur privé, mais à assurer l’utilité publique, en dérogeant au besoin aux règles du marché, au nom de la souveraineté.

Votre projet, monsieur le ministre, se fixe pour objectif d’éviter les conflits sociaux en renforçant le dialogue social en amont. C’est une réelle révolution sociale (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), et même culturelle, tant la réalité d’aujourd’hui est souvent aux antipodes de cette volonté, en dépit des progrès réalisés ces dernières années, à la SNCF notamment – malheureusement, nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Certains syndicats commencent par tirer et appellent à la grève, avant de faire des sommations pour négocier en fonction de l’ampleur du mouvement.

M. Roland Muzeau. Vous avez lu cela dans Tintin !

M. Jacques Myard. Dans l’intervalle, des dizaines de milliers d’usagers sont pris en otage. Ce n’est pas acceptable ! Et comme cela a déjà été signalé à cette tribune, ce sont toujours les plus faibles qui sont pénalisés par ceux qui prétendent les défendre, les grévistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Je ne peux donc que saluer la démarche du Gouvernement, logique et de bon sens ; mais elle ne réussira qu’au prix d’une révolution culturelle, de la part non seulement de certains syndicats qui, pour exister aux yeux de leurs troupes, sont enclins à l’épreuve de force, mais aussi – il faut le dire – de dirigeants d’entreprise qui font parfois la sourde oreille tant que les salariés ne se mettent pas en grève, et attendent que le conflit se dénoue de lui-même, par lassitude.

M. Roland Muzeau. Exactement !

M. Jacques Myard. Voilà pourquoi le Gouvernement devra se montrer très ferme pour que l’on négocie vraiment de part et d’autre.

À l’évidence, monsieur le ministre, rien dans votre démarche ne peut être interprété comme une remise en cause du droit de grève. Mais cela suffira-t-il pour atteindre votre objectif ? J’en doute, car un train sur deux en région parisienne, c’est la galère ! Un État moderne se doit, qu’on le veuille ou non, d’assurer la continuité totale du service public (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) À défaut de quoi, il ne peut y avoir de cohésion sociale. Voilà pourquoi je suis persuadé que, tôt ou tard, les Français devront être appelés à se prononcer par référendum sur la primauté de la continuité du service public sur toute autre considération, y compris le droit de grève. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. Il est meilleur sur l’Europe !

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela fait près de vingt ans que la notion de service minimum ou de continuité du service public dans les transports en commun revient périodiquement sur le devant de la scène. Les uns l'appellent de leurs vœux : ce sont les victimes des grèves, nos concitoyens ; les autres l'appréhendent : ce sont les partenaires sociaux, les représentants des salariés. La seule question que nous avons à nous poser est la suivante : pourquoi légiférer en la matière ?

M. Jean Mallot. Voilà une bonne question !

M. Étienne Pinte. Jamais nous n'aurions eu à le faire si les partenaires sociaux avaient pris, et ce depuis longtemps, leurs responsabilités. Est-il en effet normal que ceux-là mêmes qui devraient être les garants du service public soient incapables de prendre les devants pour garantir à nos concitoyens la liberté d’aller travailler, de se rendre dans les établissements scolaires ou d'aller passer leurs examens ?

Lorsque l’on examine la situation chez nos voisins ou d’autres pays susceptibles d'être confrontés aux perturbations dues à des grèves, on constate que la plupart ne possèdent pas de réglementation particulière concernant le service minimum. Certains, comme l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark ou la Grande-Bretagne, encadrent strictement l’exercice du droit de grève. D’autres, tels les États-Unis, le Japon ou la Suisse, ont adopté la notion de « service maximum » ; les employés du secteur public n'ont, en général, pas le droit de grève, mais des conventions collectives en Suisse, des procédures efficaces de médiation, de conciliation et d'arbitrage aux États-Unis, et une qualité du dialogue social, la tradition du consensus et un système de rémunération fondé sur l'ancienneté au Japon permettent d'éviter, dans la grande majorité des cas, le recours à la grève.

Au Japon, où j’ai vécu, lorsque, par extraordinaire, le dialogue social n’aboutit pas, les grévistes partent au travail avec un brassard ou un bandeau autour de la tête, afin de manifester leur état d'esprit, mais, en aucun cas, ils n'arrêtent de travailler.

M. Roland Muzeau. Quel modèle !

M. Étienne Pinte. Enfin, d'autres pays ont réussi à éviter de légiférer dans ce domaine grâce à la signature de conventions collectives contenant souvent une clause selon laquelle les syndicats s'engagent à renoncer à organiser des actions collectives pendant toute la durée d'application de l’accord. C'est le cas, avec des nuances, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l'Irlande ou de la Belgique.

La grève ne doit être que l'ultime recours, en cas d'échec du dialogue social. Elle ne doit pas porter atteinte au service public, surtout lorsqu'elle est trop souvent exercée par des salariés qui bénéficient de la garantie de l'emploi.

J'ai rêvé très longtemps que la représentation syndicale française, qui ne touche actuellement pas plus de 10 % des salariés, réunisse une grande majorité d'entre eux. Si tel avait été le cas, peut-être aurions-nous pu nous passer de la loi. J'aurais, en effet, préféré des conventions collectives négociées par les partenaires sociaux. Malheureusement, cela n'est pas le cas. C'est la raison pour laquelle nous n'avions pas d'autre solution que de légiférer.

Je voterai ce projet en pensant à tous nos concitoyens qui vivent trop fréquemment des journées de galère. Je voterai ce projet car je ne peux accepter que nos voisins européens nous dament trop souvent le pion sur le plan économique parce qu’ils maîtrisent mieux que nous les conflits sociaux. Je voterai enfin ce projet car il donnera, j’en ai la conviction, à nos concitoyens une liberté plus grande pour mieux gérer leur vie de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, aujourd'hui, à l’ouverture de notre débat sur le projet de loi relatif au dialogue social et à la continuité du service public dans les transports terrestres, se pose avec force une question fondamentale : une nouvelle organisation du droit de grève est-elle nécessaire, au point de mériter une déclaration d’urgence, qui plus est à la fin du mois de juillet, en pleine période des vacances ? On peut comprendre pourquoi.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Tout le monde en parle depuis un an !

M. Gérard Voisin. Nous, on n’est pas en vacances !

Mme Arlette Franco. Les vacances, c’est secondaire !

M. Alain Néri. Non, ce texte ne méritait pas une déclaration d’urgence puisque les lois du 31 juillet 1963, du 19 octobre 1982 et du 30 juillet 1987 notamment encadrent déjà fortement le droit de grève dans tous les transports terrestres de voyageurs, qu’ils relèvent du service public – la RATP comme la SNCF – ou d’entreprises privées assurant des missions de service public. Rien ne justifie aujourd'hui un durcissement de la législation et de la réglementation, d’autant que toute législation nouvelle, ne l’oublions pas, monsieur le ministre, représente un exercice difficile, voire particulièrement délicat, au risque de porter une atteinte intolérable à l’exercice du droit de grève, lequel est un droit individuel du salarié inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, issu – faut-il le rappeler, mes chers collègues ? –, du Conseil national de la résistance. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Dolez. Utile référence !

M. Roland Muzeau. Ce rappel les énerve !

M. Alain Néri. En 1979, le Conseil constitutionnel a, de plus, consacré la constitutionnalité du droit de grève, que rappellent également des textes internationaux ratifiés par la France, telles que les conventions de l’Organisation internationale du travail. Par ailleurs la législation en vigueur protège le salarié gréviste contre toute sanction, qu’elle soit d’ordre pécuniaire ou qu’elle se traduise par un licenciement, et punit toute mesure discriminatoire visant des grévistes.

Or, monsieur le ministre, plusieurs articles du projet de loi constitue plus qu’une grave provocation aux travailleurs, c’est une remise en cause de leur droit de lutter pour défendre leurs revendications, y compris par la grève, et d’exercer collectivement ce droit.

Ainsi l’article 5 prévoit dans son II l’obligation pour le salarié d’informer le chef d’entreprise de son intention de participer à la grève, « au plus tard quarante-huit heures » avant qu’elle ne débute, au prétexte fallacieux de permettre à l’entreprise d’établir et de rendre public le niveau du service assuré en cas de grève. Cette obligation est assortie de menaces disciplinaires et pécuniaires : en soumettant le libre choix du salarié à une pression inadmissible, cette disposition traduit bien la volonté de restreindre son libre arbitre et de limiter le droit de grève. Or en droit français, contrairement à certaines législations étrangères, le droit de grève est un droit individuel et non un droit du syndicat, exercé collectivement par les salariés de manière concertée dans le but de faire aboutir leurs revendications. La loi rend obligatoire le dépôt préalable d’un préavis de grève de cinq jours, ce délai devant permettre d’engager une négociation en vue d’apporter une réponse aux revendications et d’éviter ainsi une désorganisation subite de la vie sociale. Ces dispositions sont impérativement prévues par la loi et inscrites dans le code du travail : il suffit tout simplement de les faire respecter, en obligeant le patronat à engager des négociations avec les partenaires sociaux ! Voilà la solution, car ce n’est jamais de gaieté de cœur que les salariés se résolvent à faire grève, d’autant que, contrairement à ce que vous prétendez, les journées de grève ne sont jamais payées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Schneider. Ce n’est pas vrai !

M. Alain Néri. De plus, l’article 5 du projet de loi prévoit que les salariés seront particulièrement soumis au cours de cette période aux pressions, voire aux intimidations de l’employeur. M. Laurent Wauquiez, porte-parole du Gouvernement, l’a du reste reconnu, ce matin, sur les ondes de Radio Monte-Carlo. Comme l’a noté Alain Vidalies dans l’exception d’irrecevabilité, une telle divergence de propos entre vous et M. Wauquiez révèle le double discours du Gouvernement.

La décision du salarié d’exercer un droit légitime en participant à une grève doit être impérativement respectée jusqu’au déclenchement du conflit et pendant toute la durée de celui-ci. Le salarié doit pouvoir à tout moment décider de se joindre au mouvement ou de s’en retirer. Il est intolérable et anticonstitutionnel de porter atteinte à la liberté du salarié d’exercer librement ce droit, surtout sous la menace de sanctions disciplinaires.

Comme si cela ne suffisait pas, vous prévoyez, monsieur le ministre, à l’article 6, que huit jours après le début de la grève un vote est organisé à la demande de l’entreprise qui en définit les conditions afin d’en garantir le secret – telle est du moins la raison invoquée. En réalité, chacun comprend bien que l’objectif est de pousser à la cessation du conflit après échec des négociations ou refus de négocier de la part du patronat. Le projet de loi affirme que la consultation est « ouverte aux salariés concernés par les motifs du préavis ». Mais qui sont ces « salariés concernés » ? S’agit-il des seuls grévistes ou de tous les salariés, grévistes et non grévistes ? En laissant à l’entreprise la liberté de choisir son électorat, votre projet de loi vise à peser sur le climat social et à favoriser la division des salariés. On connaît depuis longtemps votre stratégie : diviser pour mieux régner en dressant les catégories sociales les unes contre les autres.

La conclusion s’impose : votre projet de loi est non seulement inutile, mais de plus provocateur, voire dangereux car il bloquera le dialogue social, que vous ne cessez d’évoquer mais sans rien faire pour le développer. En réalité, votre seul objectif est de limiter le droit de grève. Vous le faites par petites touches, puisque, après le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, M. Hervé Mariton, le rapporteur spécial, a affirmé que le service minimum a vocation à être étendu aux autres services publics de transport, voire à d’autres services publics. (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Dolez. Il faut assumer !

M. le président. Vous devez conclure, monsieur Néri.

M. Alain Néri. M. Mariton a ajouté ne pas vouloir confondre vitesse et précipitation. Les masques tombent ! C’est l’aveu ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous n’avez, je le répète, qu’un seul objectif : limiter le droit de grève ! Les salariés, sachez-le, ne sont pas dupes. C’est à leur côté que nous nous mobilisons et que nous vous disons : ne touchez pas au droit de grève, liberté fondamentale du monde du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd'hui est porteur d’une exigence essentielle d'équilibre. Ses dispositions touchent en effet au respect des principes de notre constitution, des droits des voyageurs et des droits des salariés. Or il est évident que la posture consistant à privilégier l’un de ces trois points de vue – celui du droit, celui des voyageurs ou celui des salariés – conduit à la stricte immobilité, interdisant de trouver une solution à un problème réel rencontré par de nombreux Français : comment concilier la continuité des services de transports et la préservation du droit de grève ? Je tenterai d’apporter trois éléments de réflexion à notre débat.

Premièrement, personne ne conteste la nécessité de renforcer les programmes d'investissement, afin d'améliorer la fiabilité et le confort des installations et des matériels de transport. De la même manière, nul ne méconnaît la baisse notable du « taux de conflictualité » en raison des progrès du dialogue social entre les partenaires, ce dont chacun doit se féliciter. Il n’en reste pas moins que des milliers de personnes voient leur vie affreusement compliquée par les arrêts de travail tant nationaux que locaux.

Je crois par ailleurs utile de rappeler que la manière dont le taux de conflictualité est aujourd'hui déterminé ne permet pas de mesurer avec précision la réalité et l’impact de ces arrêts de travail dans les transports. En effet, ce taux est aujourd'hui calculé en rapportant le nombre de jours non travaillés à l'ensemble des effectifs d'une entreprise. Or l'organisation même de ces entreprises est telle que quelques personnes décidées à contrecarrer l'activité normale sont en mesure de procurer une gêne maximale à des milliers, voire à des dizaines de milliers d'usagers, sur la vie quotidienne desquels nous devons faire porter toute notre attention.

Le rapport du conseiller d'État Mendelkern souligne l’extrême difficulté qu’il y a à mesurer précisément cet impact. Comment quantifier le nombre d'heures perdues par les usagers dans le cadre de grèves, notamment par l’emprunt de trajets de substitution ? Que valent précisément les perturbations qui empêchent les candidats de se rendre à leurs examens, ce qui peut obliger l'éducation nationale à organiser d'autres épreuves ? Peut-on chiffrer précisément la gêne rencontrée par des parents contraints de prolonger le temps de garde de leurs enfants et le coût qui peut en résulter pour les collectivités locales ? Il est certainement compliqué d'avoir une approche précise et quantifiée de cette réalité mais apprécier l’ampleur des grèves sans les mesurer seulement au taux de conflictualité permettrait sans doute de mieux saisir la réalité des arrêts de travail dans les transports, c'est-à-dire leur impact sur les usagers et leurs familles. Il faut donc trouver le moyen de faire entrer la gêne des usagers et sa mesure dans les indicateurs servant de base aux discussions. Ce travail de recherche de l’efficacité réelle, qui constituerait un progrès indéniable en matière de services de transports, serait particulièrement utile au moment où nous cherchons à réformer les politiques publiques.

Deuxièmement, les plans de desserte prioritaire constituent une avancée réelle pour un plus grand respect des usagers. Préparés en concertation avec les salariés, les entreprises et les autorités organisatrices de transports, ils permettent de répondre à la double exigence évoquée par le rapport Mendelkern : favoriser la concertation interne et conduire par la loi les différents acteurs à répondre aux besoins essentiels des usagers tout en respectant scrupuleusement à la fois le droit de grève et la nécessité pratique d’informer les usagers. Le texte du Gouvernement, amendé par le Sénat, est conforme à ces exigences.

Lors de nos travaux en commission spéciale, un débat a surgi autour du délai fixé au 1er janvier 2008, jugé trop court par les uns, suffisant pour les autres. Après avoir entendu les différents partenaires, il me semble que trois situations se dessinent. Les grandes entreprises publiques ne paraissent pas gênées par ce délai : la SNCF et la RATP déclarent même être largement prêtes à se conformer au texte. Les grands opérateurs privés ont, pour leur part, une organisation qui leur permet de connaître avec précision les priorités de leur service. Quant aux petites entreprises, leurs représentants nous ont indiqué que la qualité du dialogue social au sein de leurs organisations permettrait sans doute de respecter le délai imparti. Rien ne s’oppose donc à ce que le délai du 1er janvier 2008 soit respecté, d’autant plus que le décret en Conseil d’État, applicable en l’absence de plan de desserte suffisant, conservera une portée inférieure à l’accord passé dans lesdites entreprises.

Enfin, le délai de quarante-huit heures que les salariés doivent respecter pour signaler, avant la grève, leur intention d’y participer, représente également un point essentiel du texte. Ce délai – je conclus, monsieur le président – n’est pas attentatoire au droit de grève, pour deux types de raisons. Les premières ont été largement exposées par le ministre, par le président de la commission spéciale et par le rapporteur, je n’y reviens pas. Quant aux secondes, elles tiennent à l’esprit même du projet qui vise à mettre au centre du dialogue social les clients des services de transport, qui doivent être informés, capables de s’organiser, et capables de continuer à vivre et à travailler aussi normalement que possible, quelles que soient les circonstances. Cette préoccupation constituera sans doute l’élément central de nos prochains débats. Cela justifie sans doute également le premier pas que réalise ce texte ; premier pas qui, monsieur le ministre, en appelle évidemment d’autres que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet, le dernier inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire, vient opportunément étayer le socle du changement et de la rupture que les Français ont appelé de leurs vœux, et surtout de leurs voix, (Sourires) en votant pour Nicolas Sarkozy et pour notre majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Alain Néri. Modérément au second tour des élections législatives, tout de même !

M. Éric Ciotti. Après la réforme des universités, l’instauration de peines plancher et le soutien au pouvoir d’achat,…

M. Roland Muzeau. Comment cela ?

M. Éric Ciotti. …nous nous attaquons à l’un des grands tabous que personne n’avait osé aborder : l’exigence de continuité du service public. Oui, cette rupture, nourrie par la volonté et le courage, est en marche. Ce texte en apporte, s’il en était besoin, une preuve supplémentaire.

Ce texte garantissant la continuité du service public est attendu avec une immense impatience par nos concitoyens,…

Mme Annick Lepetit. Ils ne vont pas être déçus !

M. Éric Ciotti. …trop fréquemment victimes impuissantes de grèves inutiles. Il est aussi espéré par les entreprises et surtout par les plus petites dont l’activité est entravée, voire paralysée, par ces mouvements sociaux.

M. Christian Eckert. Elles n’en voulaient pas, de ce texte ! Vous feriez mieux de vous taire !

M. Éric Ciotti. Ce texte est légitime au vu du recours abusif au droit de grève. Je rappellerai qu’en 2003, 450 000 jours de grève ont été comptabilisés dans le secteur des transports.

M. Roland Muzeau. C’est tout ?

M. Éric Ciotti. Il est temps que les usagers des services publics des transports cessent d’être pris en otages…

M. Roland Muzeau. Oh ! Il y en a marre de ce mot-là ! Un peu de respect pour les vrais otages !

M. Éric Ciotti. …par une minorité qui agit le plus souvent sans motif sérieux ou compréhensible.

M. Franck Gilard. Très juste !

M. Roland Muzeau. N’importe quoi !

M. Éric Ciotti. Leur exaspération est accentuée par le fait qu’ils se sentent victimes d’agents dont les garanties statutaires sont souvent plus favorables que les leurs. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Roland Muzeau. C’est cela ! Comme s’ils avaient des stocks options !

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, je crois que vous avez reçu les présidents de régions. Que dire de ces présidents de régions socialistes…

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Que du bien !

M. Éric Ciotti. …chargés des transports express régionaux, présidents qui se sont trop souvent transformés en autorités organisatrices de la grève ? (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est scandaleux d’entendre cela !

M. Éric Ciotti. Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les usagers exaspérés par la médiocrité du service et par l’incurie de la région, sont même allés jusqu’à créer un « Comité des naufragés du TER ». (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Leur combat est juste et leur message doit être entendu !

Aussi ce texte répondra-t-il à cette colère et à cette exaspération. Il est temps en effet que la grève ne soit plus le moyen ordinaire de gestion des conflits…

M. Alain Néri. Il n’y a plus de dialogue social !

M. Éric Ciotti. …et ne devienne plus que l’ultime recours quand toutes les autres voies auront été explorées en vain. Répondant aux attentes des usagers sans pour autant remettre en cause le droit de grève, ce projet renforce le cadre juridique en vigueur, inadapté pour garantir le principe de continuité des services publics.

Certes, le droit de grève a été reconnu par les Constitutions de 1946 et de 1958, mais il demeure relatif.

M. Maxime Bono. Ah bon ?

M. Marc Dolez. Absolument pas !

M. Éric Ciotti. D’abord, il doit s’exercer « dans le cadre des lois qui le réglementent », comme le précise le préambule de la Constitution de 1946. Ensuite, son usage doit être concilié avec le respect d’autres principes constitutionnels tout aussi fondamentaux, comme la continuité du service public, la liberté d’aller et venir et la liberté du commerce et de l’industrie.

M. Georges Fenech. Très juste !

M. Éric Ciotti. C’est donc légitimement que le législateur fixe les règles d’utilisation du droit de grève et précise sa cohabitation avec les autres principes fondamentaux.

C’est tout l’enjeu de ce projet qui prévoit d’agir sur trois plans : favoriser le dialogue social, organiser les services et renforcer le droit des usagers en matière d’information en cas de grève. Les outils prévus par le texte permettront d’encourager, en amont, le dialogue social et d’améliorer, en aval, la vie quotidienne des usagers. C’est à ce point d’équilibre que se situe le dispositif, même s’il faudra sans doute aller plus loin. Je souhaite en effet, pour ma part, que les dispositions du projet soient étendues, à terme, à tous les modes de transport et, au-delà, à tous les services publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. André Schneider. Très bien !

M. Alain Néri. C’est un aveu !

M. Christian Eckert. Courage, fuyons !

M. Éric Ciotti. C’est donc avec confiance et détermination que j’apporte mon soutien à un texte qui prend enfin les usagers en considération et leur restitue leurs libertés fondamentales. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Gerin. C’est minable ! Tout ce qu’on a entendu était minable !

M. Roland Muzeau. C’est un vrai festival !

M. le président. La parole est à M. Patrice Calméjane.

M. Patrice Calméjane. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers des voyageurs, présenté par le Gouvernement dans le droit fil du programme présidentiel de notre président Nicolas Sarkozy et inscrit dans le programme législatif de l’UMP, est un bon projet pour l’ensemble des usagers des transports terrestres.

Élu d'une banlieue populaire et utilisateur régulier des transports publics, je peux vous affirmer que la garantie, pour un usager, d’avoir à sa disposition, en contrepartie d’un abonnement ou d’un titre unitaire, des transports tout au long de l’année, est un élément fondamental de la vie quotidienne.

M. André Gerin. Bravo !

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. Patrice Calméjane. Surtout, quand votre emploi, la garde de vos enfants, la réussite à un examen ou à un entretien d’embauche, ou tout simplement le droit de rentrer chez vous après une journée de travail sont en jeu, ce texte constitue un formidable espoir. Nos concitoyens souhaitent en effet, en tant qu’usagers, avoir la garantie d’informations claires et précises en amont pour pouvoir s’organiser quand un mouvement social est annoncé dans le secteur des transports.

Certains, ici, depuis quelques jours en commission et, depuis quelques heures, en séance, nous accusent de vouloir interdire le droit de grève.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Roland Muzeau. C’est vrai !

M. Patrice Calméjane. C’est faux ! La mise en place de l’obligation de se déclarer gréviste ou pas, la possibilité de désigner, dès le début de la grève, un médiateur, mais, surtout, la possibilité, pour l’employeur, les syndicats ou le médiateur d’organiser, après huit jours de grève, une consultation à bulletins secrets, tout cela représente une réelle avancée de la démocratie dans les entreprises.

M. Roland Muzeau. Eh bien, dites donc !

M. Patrice Calméjane. Le moment où un homme, ou une femme, est le plus libre de ses choix, c’est celui où, seul dans un isoloir, il peut choisir son bulletin de vote. Personne ici, je l’espère, ne le conteste. À l'inverse, nous savons tous que les votes à main levée sont sous influence.

M. Roland Muzeau. Ah bon ? Alors pourquoi votons-nous à main levée dans cet hémicycle ?

M. Patrice Calméjane. Aussi ne peut-on nous accuser de restreindre le droit de grève alors que nous redonnons la liberté de choix à chaque salarié – c’est là une des innovations du texte.

En effet, chers collègues, nous allons légiférer. Certains estiment que le projet ne sert à rien, qu’il est de trop. Je ne suis pas d’accord, parce que les usagers, notamment en Île-de-France, se souviennent des grèves de l’hiver 1995 ;…

M. Alain Néri. Merci Juppé !

M. Patrice Calméjane. …le blocage de toute la région pendant de longues semaines est resté dans les esprits, …

M. Daniel Paul. Elles vous ont marqué, n’est-ce pas ?

M. Patrice Calméjane. …même si, depuis, des accords cadres ont été signés à la RATP et à la SNCF. Devant la commission spéciale, Mme Idrac, présidente de la SNCF et M. Mongin, président de la RATP, se sont réjouis que ce débat soit porté devant la nation. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Annick Lepetit. Absolument pas ! Ce n’est pas vrai du tout !

M. Patrice Calméjane. Que des responsables d’entreprises nationales, financées par l’argent public, l’argent des usagers mais aussi l’argent des entreprises, affirment qu’il était temps de mettre en place un cadre législatif,…

M. Roland Muzeau. Cela n’a rien à voir !

M. Patrice Calméjane. …cela confirme que nous sommes sur le bon chemin, et sans mettre en cause le droit de grève.

M. Roland Muzeau. Bien sûr que si !

M. Patrice Calméjane. Nous devons garantir à nos concitoyens que les grèves, sur l’ensemble du territoire, s’inscriront dans un cadre légal, transparent pour l’usager et respectueuse du droit individuel du salarié.

« Faire du dialogue social le moteur du changement » et « mettre le citoyen voyageur au centre des préoccupations des entreprises de transports terrestre », voilà qui n’est pas facile à admettre pour certains dans cette assemblée… Ils ont davantage l’habitude de dialoguer avec des syndicats qu’avec des usagers. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Nous, nous voulons les deux.

M. André Schneider. Très bien !

M. Marc Dolez. N’importe quoi !

M. Roland Muzeau. C’est minable !

Mme Annick Lepetit. Sait-il seulement ce qu’est un usager ?

M. Patrice Calméjane. Je souhaite, au passage, remercier les collègues qui ont travaillé sur le sujet ces dernières années.

Nous voterons ce texte, monsieur le ministre, car il fixe, pour les années à venir, un cadre légal et juste pour l’usager et les salariés des entreprises de transports. À titre personnel, j’ai proposé, avec notre collègue Paternotte, un amendement à l’article 4,…

M. Roland Muzeau. C’est un amendement scélérat !

M. Patrice Calméjane. ...repris et complété par M. le rapporteur, amendement qui demande que « les représentants des collectivités territoriales [soient] informés de manière directe et préalable des plans de desserte et des horaires qui sont maintenus ».

M. Daniel Paul. Gratuitement ?

M. Patrice Calméjane. En effet, si nous sommes les élus de la nation, nous savons que les élus locaux, maires, conseillers généraux et régionaux sont des élus de terrain vers lesquels se tournent nos concitoyens dès qu’un problème se pose. Aussi est-il important qu’ils soient informés. J’espère donc que cet amendement sera adopté à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.

M. Roland Muzeau. Ça reste à voir !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je souhaite répondre aux différentes questions sans prétendre, toutefois, à l’exhaustivité, même si j’essaierai de n’oublier personne.

Tout d’abord, d’où vient ce projet de loi ? Je souhaite souligner, à l’adresse de Mme Coutelle, que nous devons saluer l’intense travail de concertation préalable, mené au sein de l’Assemblée nationale depuis 2004 – le président Ollier l’a opportunément rappelé. Le Gouvernement a voulu parachever cette concertation qui a bien eu lieu, contrairement à ce qu’ont pu susurrer certains orateurs.

En outre, le travail réalisé par Dominique Perben a constitué une source directe d’inspiration du présent texte, le rapport Mandelkern en éclairant tout à la fois le contenu et l’esprit.

Enfin, nous devons prendre en compte la situation de nos voisins européens. À ce sujet, Pierre Lequiller a eu raison de montrer en quoi ce projet n’a pas un caractère exceptionnel ni dérogatoire, tant il est vrai que tous les pays, par des voies qui leur sont propres, cherchent à concilier le droit de grève avec le droit des usagers du service public.

M. Roland Muzeau. Mais non !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Dès lors, pourquoi ce qui se fait dans les pays européens ne serait ni possible ni pensable dans le nôtre ? Voilà dans quel esprit notamment nous avons voulu avancer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Après la question de l’origine du projet, se pose la question de savoir pourquoi le Gouvernement le présente ? C’est qu’il est nécessaire, comme l’a affirmé à l’instant M. Calméjane. Ainsi, monsieur Néri, cela fait vingt ans qu’on en parle... Pas vingt ans que ce sujet est secondaire, mais vingt ans qu’on n’avance pas !

Mme Annick Lepetit. Ce n’est pas vrai ! On a avancé !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. L’opposition nous a reproché de présenter ce texte pendant l’été ; mais regardez ! Vous êtes nombreux ! J’ai quelque expérience des débats parlementaires et rarement j’ai vu autant de députés discuter d’un texte ! Cela montre donc bien que nous ne l’avons pas examiné en catimini. Du reste, le sujet a été abondamment évoqué pendant la dernière campagne présidentielle. Aussi la feuille de route du Gouvernement n’a-t-elle pas été tracée par le seul Président de la République ; elle l’a été aussi par les Français. Le moins qu’on puisse dire est donc que nous tenons nos engagements, des engagements particulièrement précis et clairs à la fois. Voilà dans quel état d’esprit je me présente face à vous ce soir. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Une loi est donc nécessaire si l’on veut donner toute sa portée aux principes de dialogue social et de négociation préalable. Certains parlementaires – sur tous les bancs d’ailleurs – suivent ces questions avec suffisamment de vigilance, depuis de nombreuses années, pour savoir que les accords existants sont dépourvus de base légale. Or si nous voulons justement que la norme sociale s’applique partout et pour tous, il faut voter ce texte.

Quand j’entends certains dire qu’une loi n’est, au contraire, pas indispensable, que n’aurait-on entendu si le Gouvernement avait choisi une autre voie ?

Mme Muriel Marland-Militello. C’est très vrai !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Ainsi, si le Gouvernement avait refusé de s’engager, on lui aurait reproché de ne pas tenir ses engagements.

Je me garderai de me muer en porte-parole de personne, je n’ai pas ce talent…

M. Alain Néri. Mais si !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. …et je n’en éprouve pas l’envie, mais toujours est-il qu’il était de loin préférable d’aller devant la représentation nationale, simplement, parce que face à la représentation nationale, on est face aux Français et face aux engagements que nous avons pris. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Seule une loi pourra conférer un caractère contraignant à de nouvelles obligations applicables aux salariés, comme d’ailleurs aux entreprises et à leur direction. Ainsi que cela a été souligné sur certains bancs, sans que cela ne me choque particulièrement, il existe, en matière de dialogue, des marges de progression partout et pour tous, y compris dans les directions des entreprises, qu’elles soient nationales ou locales.

Quand on invite syndicats et directions à venir discuter autour d’une table, on trouve toujours des solutions, mais les efforts doivent alors – c’est en tout cas ce que j’assume – être partagés.

M. Alain Néri. Puissiez-vous dire vrai !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. En tout cas, là aussi, il existe, c’est le moins que l’on puisse dire, de vraies marges de progrès.

Je tiens à remercier Christian Blanc et Yanick Paternotte d’avoir montré de façon très pédagogique les objectifs de la loi et son approche pragmatique. C’était là leur expérience d’élus de la région Île-de-France qui parlait, mais aussi, monsieur le député Blanc, votre propre expérience. Il arrive parfois que vos travées soient bruyantes, mais ce pragmatisme a su forcer l’écoute.

Cette loi est-elle applicable, s’est demandé M. Bono ? J’ai cru entendre là tous ceux qui nous disent que l’objectif du 1er janvier 2008 ne serait pas raisonnable. Franchement, mesdames et messieurs les députés, depuis le temps que l’on parle de ce sujet, alors que des régions ont déjà avancé sans attendre la loi, ce qui ne se fera pas en cinq mois ne se fera jamais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Voilà pourquoi il faut une approche résolument volontariste. Elle est, en effet, la seule à pouvoir créer une dynamique, laquelle, je le rappelle, est axée sur la négociation.

Comme l’a rappelé M. Ciotti, il est plus que temps, et même impératif de passer à une véritable culture de la négociation. Je le revendique haut et fort : à la culture du conflit qui a pu exister par le passé, je préfère celle du dialogue social, qui donnera davantage de résultats. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Vidalies. Et l’accord signé avec l’UPA ?

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Il est clair, dans mon esprit, que la SNCF et la RATP ne sont pas les seules concernées. Il n’y a pas de raison de différencier les usagers. Ceux des transports scolaires, notamment, ont les mêmes droits que les autres. C’est d’ailleurs pourquoi, comme l’a rappelé M. Poisson, le projet touche également les petites entreprises, grâce à l’accord de branche, qui va ainsi permettre de couvrir l’ensemble du secteur.

M. Alain Vidalies. Et s’il n’y a pas d’accord de branche, qu’est-ce qu’on fait ?

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. La négociation de branche répond à une demande des organisations syndicales, et elle a été prise en compte : le Gouvernement a donné un avis favorable sur ce point au Sénat.

M. Calméjane et M. Poniatowski ont parlé des banlieues, évoquant la gêne occasionnée aux habitants par les mouvements de grève. En visant les déplacements quotidiens, le texte la limitera, mais ne la supprimera pas. Je ne raconterai d’histoire à personne : s’il y a grève, il y aura moins de trains et la gêne pour les usagers subsistera. Néanmoins, on pourra changer considérablement la donne en organisant mieux le service, ce qui permettra de disposer de plus de personnel, notamment de non-grévistes qui, sinon, seraient restés à leur domicile, et en utilisant mieux les moyens techniques. Ainsi pourra-t-on faire face, de meilleure façon qu’aujourd’hui, aux besoins de la population, en particulier en matière de droit à l’information. Je sais pertinemment, car cela m’a souvent été dit, même si je l’ai rarement entendu ici, qu’il constitue une avancée pour tous. Peut-être le débat nous permettra-t-il de voir un peu plus clairement les sentiments profonds des uns et des autres en la matière. En tout cas, nous serons en mesure d’améliorer la situation des usagers sur ce point.

J’ai été particulièrement choqué d’entendre dire que seuls les nantis et les actionnaires seraient ici concernés. J’ai toujours du mal à comprendre que, dans les rangs de l’opposition, on ne prenne pas sur un tel sujet la défense des salariés les plus modestes, qui dépendent des transports en commun pour aller travailler ou pour conduire leurs enfants à l’école. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Comme l’ont rappelé Philippe Goujon et Pierre Lequiller, le projet de loi veut apporter une réponse à ceux de nos concitoyens qui n’ont pas de véhicule. Cela peut sembler surprenant, mais telle est bien une réalité vécue en région parisienne comme d’ailleurs en province – il est bon de le rappeler à cette tribune.

Sans opposer pour autant l’usager du train de banlieue à celui du TGV, et même si j’ai bien conscience, en tant que ministre du travail, de ne pas être en charge des transports, je vous dirai tout de même, après l’avoir dit à ses dirigeants, que la SNCF doit se préoccuper davantage des trains de banlieue. Faire circuler les TGV, c’est bien, faire circuler les TER et les trains de banlieue l’est tout autant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pourquoi ce projet ne concerne-t-il que la grève, ont demandé Marc Dolez et Yves Cochet ? Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat, le texte ne concerne pas que la grève. Il organise également un droit à l’information de l’usager dans le cas d’autres incidents à caractère prévisible. La prévisibilité a vocation à être prise en compte. À chaque fois qu’une perturbation sera prévisible – je pense, notamment, à des plans de travaux – nous améliorerons les choses.

J’ai bien sûr entendu ceux qui faisaient valoir d’autres causes de gêne pour l’usager, ce qui implique, pour les supprimer, des plans d’investissement volontaristes. J’ai rappelé à cet égard – Dominique Bussereau aura l’occasion de s’exprimer sur le sujet demain – le plan de 100 millions d’euros et de 1 000 emplois de la SNCF. Ce n’est pas rien.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas grand-chose !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Je comprends mal, en revanche, la volonté de minimiser l’impact des grèves. Leur nombre a diminué ? Tant mieux. Mais qu’expliquerez-vous aux usagers lorsque le dialogue social aura atteint ses limites ? Ce n’est pas pour leur dire que nous n’avons pas de solution à apporter et pour passer aussitôt à autre chose, que vous et moi faisons de la politique. Nous sommes là pour changer la vie des Français, et le texte améliore justement leur quotidien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Si la grève n’est pas la seule cause de gêne pour les usagers,...

M. Roland Muzeau. 2% !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. ...elle est l’une de celles sur lesquelles les usagers attendent une réaction des responsables politiques. Si 71 à 80 % de nos concitoyens sont favorables au texte, cela montre bien que ce ne sont pas seulement des Français de droite ou de gauche qui l’attendent, et que les clivages politiques sont largement dépassés.

M. Roland Muzeau. Faites donc un sondage sur les salaires !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Et si les Français savent dépasser les clivages sur un sujet comme celui-ci, peut-être n’est-il pas trop tard pour bien faire à notre tour et pour dépasser sur certains points, d’ici à la fin de notre débat, nos propres clivages : tout est possible – oserai-je même dire « Ensemble, tout devient possible » ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je le dis à Annick Lepetit, ce texte répond à une attente de nos concitoyens. S’il est une priorité pour le Gouvernement, c’est en effet parce qu’il y a là aussi une priorité pour les Français. Comme l’a dit Jacques Myard, la continuité est également l’essence du service public : c’est là une vérité qu’il est bon de rappeler.

La loi porte-t-elle atteinte au droit de grève, a demandé Marc Dolez ? Christian Blanc a répondu en grande partie à cette question, en donnant même rendez-vous à celles et ceux qui nous ont d’ores et déjà indiqué qu’ils saisiraient le Conseil constitutionnel.

M. Jean Mallot. Sa décision sera particulièrement intéressante à lire !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Toutes les précautions ont été prises pour assurer un équilibre satisfaisant entre les droits constitutionnels, ainsi que le respect du principe de proportionnalité. Non seulement le texte a été concerté, mais il a été soumis au Conseil d’État. En outre, il s’inspire directement du rapport Mandelkern qui avait très précisément pesé ces questions de constitutionnalité. Tout salarié qui voudra faire grève pourra cesser le travail. Si la question posée était simple, la réponse l’est tout autant.

Toujours par rapport aux problèmes de constitutionnalité, Michel Destot s’est demandé si la loi ne porterait pas atteinte au droit des collectivités locales. Je réponds par la négative : elle fixe un cadre et des principes relatifs au service public et aux droits des usagers, comme c’est précisément le rôle du législateur. Nous sommes donc bien dans les limites posées par le Conseil constitutionnel.

Le cadre ayant été fixé, c’est aux autorités organisatrices qu’il appartient de négocier avec les entreprises de transport. C’est à ces deux acteurs de prendre la main, sans qu’il soit pour autant question de les laisser se débrouiller seuls au prétexte que cela ne serait plus l’affaire de l’État. Nous le savons, celui-ci interviendra en dernier recours. Simplement, leur marge de manœuvre est grande. Le principe de libre administration des collectivités territoriales est parfaitement respecté.

Je le répète, l’État ne restera pas inactif : en cas de carence, il reprendra son rôle normal, car personne ne comprendrait que les usagers en soient victimes. Il me semble d’ailleurs que le conseil d’administration du GART s’est prononcé, le 27 juin dernier, en faveur du texte. Je tiens à l’en remercier, car il a permis, par son esprit de responsabilité, d’avancer – nous aurons l’occasion d’y revenir.

Enfin, j’ai entendu certains d’entre vous dire que la loi représenterait un virage dangereux ou même, selon M. Eckert notamment, un rideau de fumée. Au-delà du caractère excessif de ces propos, je prends le pari devant vous qu’elle marquera plutôt une date importante pour le service public, et cela en faveur tant des salariés que des usagers, et que, d’ici peu, ces termes excessifs apparaîtront singulièrement décalés par rapport à la réalité, celle, tout simplement, d’un service public préservé et renforcé : n’est-ce pas, après tout, ce qu’attendent les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Vidalies. C’était un peu le service minimum, monsieur le ministre ! (Sourires.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. François Brottes, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, avec tout le respect que je dois à vos talents d'orateur, à votre capacité d'expliquer avec pédagogie, douceur et enthousiasme, les dispositions les plus rétrogrades, les plus injustes qui soient, le remède que vous proposez, acte après acte, est bien pire que le mal.

Chacun se souviendra des augmentations d'honoraires que vous avez accordées et qui devront être compensées par toujours moins de remboursement des soins, objet même des fameuses « franchises » à la charge des malades.

Chacun va découvrir les charmes de la TVA antisociale – puisqu'elle coûtera proportionnellement plus cher au plus pauvres – qui va compenser l'absence de contributions sociales sur les heures supplémentaires, celles que ne feront que les salariés autorisés à en faire. Les autres se sentiront bernés ou resteront chômeurs.

M. Alain Vidalies. Eh oui !

M. François Brottes. Fort de votre expertise en la matière, peut-être devrais-je finalement vous appeler docteur Bertrand – d'autres, proches de vous, se faisant bien appeler « doc' Gynéco »...(Sourires.)

Si vous m'autorisez à poursuivre la métaphore, car tout cela n’est pas sans lien avec vos précédentes fonctions de ministre de la santé publique, votre spécialité serait même l'anesthésie,...

M. Jean Mallot. Très juste !

M. François Brottes. ...qui permet d'endormir les gens en douceur afin qu'ils échappent à la douleur.

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Elle permet de soigner aussi.

M. Roland Muzeau. Et parfois de tuer le malade !

M. François Brottes. En toute courtoisie, je vous imagine bien en médecin anesthésiste aux urgences sociales. Certes, le secteur est un peu encombré puisqu'il occupe déjà à plein-temps un haut-commissaire… Mais le besoin est tel qu'il vaut mieux vous y mettre à plusieurs !

Les Français n'ont pas eu le temps de se rendre compte qu'au détour du vote sur le paquet fiscal, votre majorité, il y a quelques jours, a fait cadeau de plus de 6 milliards d’euros à seulement 20 000 contribuables parmi les plus riches de notre pays, contre 25 petits millions d'euros pour plus d'un million deux cent mille titulaires du RMI, c’est-à-dire ceux se situant parmi les plus pauvres.

M. Lionel Tardy. Hors sujet !

M. François Brottes. Mais telle est la magie de 1'anesthésie : votre gouvernement parvient, pour le moment, à faire croire que tout le monde y gagne ! Avec votre politique c'est tous les jours le Loto : 100 % des gagnants ont joué, dit la pub, une formule que nombreux sont ceux qui l’écoutent un peu vite, ayant seulement envie d’entendre que 100 % de ceux qui jouent finissent par gagner… La ressemblance est telle entre les deux formules que l'on peut facilement se laisser endormir.

Il est vrai qu’en cette période, au cœur des bouchons sur l'autoroute A7, où sous un parasol à la plage, entre le tour de France et le tour de la Lybie – « Et toujours le même Président », comme chantait Michel Delpech –, il y a peu d'espace pour le discernement et l'esprit critique !

M. Philippe Vitel. Vous avez l’imagination fertile !

M. François Brottes. Au demeurant, entre l’anesthésie et le dopage, il y a juste place pour un peu de cynisme et beaucoup d'hypocrisie…

Quelle est donc l'arnaque de la semaine ? C’est faire croire aux Français, d'une part, que c'est à cause des grèves dans les transports publics qu'ils n'arrivent pas à l'heure au travail, d'autre part, que le texte instaure un service minimum qui garantit la continuité du service, (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)...

M. Philippe Vitel. C’est pourtant la vérité !

M. François Brottes. ...et qu'enfin, tout cela se passe dans la bonne humeur puisque vous osez même, pour la circonstance, vanter les mérites du dialogue social !

De tout cela il n'en est rien, monsieur le ministre-anesthésiste… Vos « dormez tranquille sur la plage, braves gens, l'UMP s'occupe de tout – y compris sur les plages… », ne nous empêcheront pas de démontrer, au cours du débat, votre triple supercherie.

Premièrement, non, les grèves ne sont pas la cause principale des dysfonctionnements dans les transports en commun.

M. Jean Mallot. C’est juste !

M. François Brottes. C'est même loin d'être le cas puisqu'elles ne représentent que 2 % à 3 % des causes de perturbation,...

M. Lionel Tardy. C’est 2 % à 3 % de trop !

M. François Brottes. De surcroît, année après année, ce pourcentage baisse. La présidente de la SNCF nous a par exemple confirmé – d’autres l’ont rappelé avant moi – que nous n'en étions plus qu'à 0,13 jour de grève en moyenne par salarié et par an sur l'ensemble du réseau ferré national,...

M. Philippe Vitel. C’est encore trop !

M. François Brottes. ...alors même que le nombre de cheminots diminue.

Dans votre réponse, monsieur le ministre, vous avez fait l'amalgame entre « trains annulés » et « perturbations du trafic ».

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Pas l’amalgame : la distinction.

M. François Brottes. Outre que des trains qui ne démarrent pas, qui cumulent les retards ou qui tombent en panne, ne sont pas forcément des « trains annulés », affirmer que 100 % des trains annulés en période de grève le sont pour fait de grève,...

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Je n’ai jamais dit cela.

M. François Brottes. ...c'est comme dire que lorsqu'il pleut, 100 % de l'eau qui tombe est certainement de la pluie !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Vous êtes un pessimiste par nature, monsieur Brottes !

M. François Brottes. Non, ce texte n'instaure pas de service minimum garanti, puisque c'est l'ampleur du mouvement de grève qui déterminera la possibilité de mettre ou non en place une offre de substitution. Une entreprise qui subira un mouvement de grève important ne pourra pas proposer d'offre alternative aux usagers. Donc la promesse n° 85 du projet de 1'UMP, qui évoque clairement une loi instaurant le service minimum garanti dans les transports, ne sera pas tenue. Heureusement, la Constitution n'autorise pas toutes les démagogies. Vous n’aviez pas non plus été gênés de promettre la TVA à taux réduit pour le secteur de la restauration en dépit de son incompatibilité avec la législation européenne. Mais pour vous, en période de campagne électorale, tout fait ventre !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. On s’y perd !

M. Philippe Vitel. Hors sujet !

M. François Brottes. Troisième supercherie, votre projet de loi, quoi qu’en dise avec insistance M. Mariton, ne respecte pas les principes de base du dialogue social,…

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. On a du mal à suivre !

M. François Brottes. …puisqu’il fixe une date butoir, dans quelques semaines,…

M. Lionel Tardy. Dans six mois !

M. François Brottes. …soit le 1er janvier prochain, pour imposer par décret les modalités d'application de vos restrictions du droit de grève. Je connais votre raisonnement : en passant en force dans 1'urgence et pendant l'été, vous espérez que personne ne se rendra compte que ce que vous proposez ne correspond pas vraiment à ce qui a été promis, et que les socialistes n'oseront pas dénoncer un dispositif que, selon vous, 80 % des Français soutiennent.

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. J’ai renoncé à analyser les réactions des socialistes !

M. François Brottes. Détrompez-vous ! Ce que vous êtes en train de faire est trop grave pour que nous restions les bras croisés. Alain Vidalies a parfaitement expliqué de quelle manière vous remettez tranquillement en cause deux principes fondamentaux de notre République : d’une part, la liberté individuelle qu’est le droit de grève, avec l’interdiction de changer d'avis pendant 48 heures et l’instauration d’une intimidation légale et, d’autre part, la libre administration des collectivités territoriales, avec ce que vous voulez imposer aux autorités locales et régionales organisatrices de transports publics, Michel Destot l’a très bien expliqué également. Votre abandon, par pure idéologie, de l'esprit de la charte pour la prévisibilité du service public de transports en période de perturbations montre que vous avez choisi les menaces plutôt que le dialogue.

M. Lionel Tardy. Mon Dieu !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. On pourrait s’arrêter là !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Ce serait dommage, c’est bien ! (Sourires.)

M. François Brottes. Pour notre part, nous sommes favorables à la continuité du service public. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quant à vous, de grâce, ne cherchez pas à vous refaire une virginité sur ce sujet après avoir organisé le démantèlement de La Poste, d'EDF ou de GDF, et supprimé massivement des crédits ! N’avez-vous pas, monsieur le rapporteur du budget des transports Mariton, supprimé purement et simplement en 2003 et 2004 les lignes budgétaires de subventions dédiées au cofinancement par 1'État des transports en commun dans les agglomérations ? Puis, vous avez porté le coup de grâce en privatisant les autoroutes : l’État a décidé de renoncer à près de 40 milliards, destinés prioritairement aux déplacements et aux transports, pour encaisser en une seule fois une recette presque trois fois inférieure.

M. Alain Vidalies. Excellent rappel !

Mme Michèle Delaunay. Très juste !

M. François Brottes. Si vous aviez le service public des transports en commun et la qualité de ses infrastructures à ce point chevillés au corps, jamais vous n'auriez renoncé à la ressource annuelle des autoroutes, qui aujourd'hui fait le bonheur des seules sociétés privées concessionnaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Vous avez coupé les vivres au service public, vous avez inscrit son éthique dans une logique assumée de privatisation et vous voudriez nous faire croire qu'au détour de l'été, vous allez devenir les chantres de la continuité du service public ?

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. C’est vrai !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. C’est bien de le reconnaître !

M. François Brottes. Mais 98 % des problèmes dans les transports ont une autre cause que la grève, et cette dernière sert souvent à dénoncer les manques des pouvoirs publics en matière de qualité du service public !

Je veux le dire ici, les grévistes sont des boucs émissaires. Ils sont un prétexte de plus pour contourner les vrais problèmes et pour vous dispenser de traiter les vraies causes. Cette tactique n'est pas nouvelle de la part de votre majorité. Pour que le peuple ne se retourne pas contre votre façon de gouverner – qui consiste, je le rappelle, à donner toujours plus à ceux qui ont déjà beaucoup –, vous passez votre temps à monter les gens les uns contre les autres. Immigrés, fonctionnaires, enseignants, jeunes des banlieues, syndicalistes : vos cibles sont nombreuses, et cette session extraordinaire du Parlement aura été l'occasion de les stigmatiser les unes après les autres. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C'est une forme accomplie du machiavélisme, autrement dit de la ruse, m'a indiqué mon dictionnaire des synonymes.

Le jour de grève n'est ni un jour de fête ni un jour de gloire, ni pour le gréviste ni pour celui qui en subit les conséquences. La grève n'est pas un acte anodin ni un geste gratuit.

M. Henri Plagnol. Justement !

M. François Brottes. C'est dur de faire grève. C'est courageux. Cela coûte : une perte de salaire, peut être une brimade à venir, la fin d’un espoir de promotion, pas de jouets pour les enfants à Noël (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ou un peu moins de vacances que prévu l'été prochain.

M. Philippe Pemezec. Et pour ceux qui sont bloqués dans les trains et qui ne peuvent pas aller chercher les jouets ?

M. François Brottes. C'est l'angoisse pour la famille parce qu'elle ne sait pas comment les choses peuvent tourner. Mais la grève, c'est aussi le droit constitutionnel, républicain et démocratique, d'exprimer sa colère, sa révolte, son indignation, son droit à la dignité et à la juste reconnaissance du travail accompli. Que ceux qui n'ont jamais fait grève ne tournent pas en dérision ce geste de courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ceux qui l'accomplissent en mesurent parfaitement les conséquences. Lorsqu'ils en arrivent là, c'est qu'on les a poussés à bout et que le dialogue social n'a pas fonctionné. Trop de mépris engendre 1'exaspération. Qu'ils s'appellent Pierre, Gérard, Karim, Monique ou Nicole, c'est toujours la peur au ventre qu'ils font grève, jamais par plaisir. À cet égard, le témoignage de notre collègue Christian Eckert à propos des grèves de mineurs dans sa région était tout à fait édifiant.

M. Philippe Vitel. Moi, je n’ai pas vu beaucoup de grévistes effrayés par la grève !

M. François Brottes. Je vous le dis tout net : ni 1'interdiction par la loi, ni le chantage ou la pression morale, ni même la répression n'ont jamais empêché la colère.

M. Philippe Vitel. Ni le respect de l’autre !

M. François Brottes. Faut-il rappeler que le droit de grève a été obtenu par la grève ? Ce n'est pas en supprimant le pansement que l'on guérit le mal. Avec l'obligation, sous peine de sanction, de se déclarer gréviste 48 heures à l'avance, avec ces référendums à géométrie variable dans l'entreprise, et avec cette épée de Damoclès d'un décret qui va très vite se substituer à tout accord d’entreprise issu du dialogue social, vous préparez une vraie bombe à retardement de colère sociale. C’est votre tentative de réduire le droit de grève et de stigmatiser les grévistes qui va déclencher ou aggraver les situations conflictuelles.

M. Jacques Kossowski, rapporteur spécial. On ne réduit pas le droit de grève !

M. François Brottes. Je sais que la grève est difficile pour ceux qui la subissent. Elle peut avoir des conséquences graves sur leur travail, leurs engagements ou la sécurité des enfants ou des personnes âgées. Mais cela vaut aussi pour les 98 % des perturbations qui n'ont rien à voir avec la grève ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ces perturbations sont liées, vous le savez, à la vétusté des matériels et des réseaux, faute d'investissements suffisants de l’État, quand elles ne sont pas dues à des réductions de personnel.

M. Alain Vidalies. Bien sûr !

M. François Brottes. Si, à 1'inverse de ce que vous faites, vous commenciez par réduire les causes de ces perturbations-là, la question de la grève ne se poserait plus. Je suis persuadé que les 80 % de Français qui sont favorables, dit-on, à votre projet n'ont pas connaissance des causes réelles des perturbations et que vous faites tout pour entretenir cette méconnaissance. C'est tellement pratique de pouvoir taper sur les grévistes !

M. Jacques Kossowski, rapporteur spécial. Il n’est pas question de taper sur les grévistes !

M. François Brottes. Une jeune femme, mère de deux enfants qu’elle vient de déposer à la crèche où elle a la chance d'avoir obtenu des places, attend son train depuis plus d'une heure. Qu’elle s’appelle Chloé ou Djamila, son employeur ne lui fera pas de cadeau si elle est en retard.

M. Lionel Tardy. Eh oui ! Elle n’a pas la garantie de l’emploi !

M. François Brottes. Et comme elle vit seule avec ses enfants, elle ne sait pas encore qui pourra les récupérer à la crèche. Elle est exaspérée, inquiète. Elle ne comprend pas pourquoi d'autres salariés, comme elle, lui posent, ce jour-là, autant de problèmes, en plus de ceux qu'elle a déjà.

M. Lionel Tardy. Ils l’ont, eux, la garantie de l’emploi !

M. François Brottes. Le droit de grève, si elle peut le comprendre, elle ne peut pas l’exercer : elle a un contrat précaire, un contrat nouvelle embauche, depuis quelques mois, mais elle sait bien que c'est fragile, qu'on peut la mettre à la porte du jour au lendemain sans explication. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Imaginez, si elle faisait grève, comme ce serait facile de lui dire d’aller chercher du travail ailleurs, puisque, avec le CNE, il n’y a aucune justification à fournir !

M. Philippe Vitel. Elle s’appelle Cosette, cette pauvre jeune femme !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. C’est du Zola !

M. François Brottes. Ces jours-ci, elle a rêvé, elle aussi, de devenir propriétaire – ils en ont tellement parlé à la télé –, mais elle a bien compris que le remboursement des intérêts d'emprunt n'était pas pour elle : elle n'a pas le premier sou pour acheter le petit jardin de ses rêves pour y voir jouer ses enfants.

M. Philippe Vitel. Son problème, c’est qu’elle est arrivée en France après vingt ans de socialisme !

M. François Brottes. Elle n’oublie pas qu’il faut aussi rembourser le capital ! Sa copine, qui a un vrai contrat à durée indéterminée, s'est lancée dans l'accès à la propriété, mais elle en a pris pour cinquante ans de remboursement. C'est à se demander si elle arrivera à être propriétaire de plein droit de son vivant ! Alors, c'est certain, qu'elle s'appelle Chloé ou Djamila, nul besoin de lui supprimer le droit de grève ou de lui imposer toutes sortes de contraintes pour la dissuader de faire grève : le contrat précaire permanent ou 1'endettement constant sont probablement la meilleure solution pour éviter toute rébellion.

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Où est notre sujet ?

M. François Brottes. Jusqu'au jour où cela craque, mais si la réaction face au désespoir n'est pas collective, dans le mouvement syndical par exemple, il y a de fortes chances pour que l’histoire se termine dans la colonne des faits divers.

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. On s’égare !

M. François Brottes. Ce n'est pas en opposant Pierre et Djamila ou Karim et Chloé que 1'on va résoudre les problèmes. S'il y avait plus de logements sociaux à côté du boulot, la galère du transport serait plus douce à vivre. Si les transporteurs arrêtaient de faire du zèle en supprimant des emplois de maintenance ou de surveillance des installations ferroviaires, les incidents seraient moins nombreux. Si le dialogue social et la représentation syndicale étaient vraiment respectés, la grève, ultime moyen d'exprimer ses revendications, serait moins utilisée.

Mais tout cela est à l'opposé de la conception de la société de la droite. Vous mettez sur un piédestal le seul mérite personnel…

M. Philippe Vitel. Oui, et on l’assume !

M. François Brottes. …et la seule réussite individuelle : chacun pour sa peau et tant pis pour les autres, travailler plus pour les uns et chômage pour les autres.

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Il baisse, le chômage !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Mais où est le rapport avec le sujet ?

M. François Brottes. Je suis en plein dedans, monsieur le président.

Votre texte est tout à la fois une imposture, une illusion, une trahison, un nid à contentieux et une provocation. Il est la négation même du dialogue social. Il va créer des problèmes là où il n'y en a pas. Élaboré dans l'improvisation, il sera en grande partie inapplicable. Sa motivation est strictement idéologique et il constitue, en fait, un « galop d'essai » – formule dont vous êtes l’auteur, monsieur Mariton – pour réduire le droit de grève dans d’autres secteurs.

Il est une imposture, car tout a été parfaitement orchestré, y compris pendant la période électorale,…

M. Franck Gilard. Ah bon, les électeurs seraient des imbéciles !

M. François Brottes. …pour faire croire que les dysfonctionnements et les perturbations des trafics ferroviaires sont essentiellement liés à la grève, alors que cela est faux dans 98 % des cas et que les procédures de prévention des conflits et d'alarme sociale, instaurées par la négociation entre partenaires sociaux, ont permis de limiter le recours à la grève.

Il est une illusion, car il ne garantit nullement un service minimum. S’il met en place des mesures de limitation du droit de grève, d'intimidation des salariés rebelles, de déstructuration des contrats de travail des non-grévistes, qui pourront faire tout et n'importe quoi en remplacement des grévistes, en aucun cas il ne permet de garantir aux usagers une continuité du service. Tout ça pour ça !

Ce texte est une trahison des valeurs républicaines puisqu’il remet en cause une garantie fondamentale accordée aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ainsi que les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Lorsque l'atteinte à la continuité du service public a pour origine le fait de grève dans seulement 2 % des cas, chercher à y remédier en mettant en cause un droit fondamental sans régler les autres problèmes, qu’est-ce donc sinon une trahison du pacte républicain ? Il est un nid à contentieux, car il va poser plus de problèmes qu'il n’en résoudra, en particulier à des milliers de petits transporteurs qui n'avaient jamais eu la moindre difficulté.

M. Patrick Lebreton. Très bien !

M. François Brottes. Les modalités de mise en œuvre de la grève ne sont jamais connues à l'avance : entre ceux qui se déclareront grévistes et qui ne feront pas grève, ceux qui ne feront grève qu'une heure et pas toute la journée, et ceux qui rejoindront le mouvement au dernier moment et qui seront sanctionnés – le texte ne dit d'ailleurs pas comment –, la gestion des conséquences du conflit pour les usagers risque d'être un exercice incertain ! Sans parler des modalités de pénalisation des opérateurs de transport public par les autorités organisatrices et du remboursement de tout ou partie du préjudice subi par les usagers : autant de dispositions aléatoires qui rendent le texte inapplicable.

Voté au cœur de 1'été et dans 1'urgence, sans aucun respect des avis formulés par les entreprises comme par les personnels, ce texte constitue une triple provocation.

D’abord, l’État vient donner des leçons d'organisation du service public, alors qu'il s'est presque totalement désengagé de tout soutien aux investissements dans les transports publics dans les agglomérations et sur le réseau ferré national.

Ensuite, dans quelques semaines, c’est un décret ayant force de loi qui va imposer le mode d'organisation des relations sociales dans 1'entreprise, qui jusqu'à ce jour, résultait de la qualité du dialogue social entre employeurs et salariés.

Enfin, ce texte est un galop d'essai pour limiter partout le droit de grève. Il y a bien eu cette valse-hésitation entre le Premier ministre et le Président de la République pour savoir s’il devait constituer la base d'une expérimentation en vue d’être étendu aux autres secteurs du service public, comme par exemple, l'éducation nationale. Le Président a essayé de calmer le jeu, mais nous avons assisté en commission spéciale à une fronde des députés UMP et du président Mariton contre le rapporteur – le pauvre ! – qui avait osé proposer de supprimer un « apport » du Sénat tendant à faire de cette loi une phase exploratoire à l'élaboration de dispositions du même type dans d'autres secteurs.

Je veux d’ailleurs, une fois n’est pas coutume, remercier les députés de la majorité (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) pour leur franchise.

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Cela se gâte !

M. François Brottes. Ils assument clairement leur volonté de dissuader tout mouvement de grève, où qu'il s'annonce dans le pays. Ils pensent sans doute qu’en cassant le thermomètre, ils feront tomber la fièvre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) La parole de l'Élysée de ne pas élargir le dispositif à d'autres secteurs que les transports terrestres me rappelle celle d'un certain Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie, qui s'était engagé fermement à cette tribune à ne jamais privatiser EDF et GDF. Chacun sait le sort qui fut fait à cette promesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Eh oui !

M. François Brottes. Chacun comprend donc bien que ce qui se joue au coeur de l'été 2007, c’est une remise en cause progressive du droit de grève. Nous n'en sommes pas encore au retour à la loi du 4 octobre 1941, sous le régime de Vichy, dite « Charte du travail » (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui interdisait la grève, mais j'avoue que sous couvert de rénovation du dialogue social, vous ne manquez pas de souffle. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Francina. C’est vous qui ne manquez pas de souffle !

M. François Brottes. Votre texte remet à l'ordre du jour ce parfum liberticide, d'une époque heureusement révolue pour nous tous, sur tous ces bancs.

M. Jean Proriol. Ce n’est pas digne de vous ! Qui était donc aussi à Vichy, monsieur Brottes ?

M. François Brottes. Je pense que la boucle est bouclée.

Je veux vous convaincre, à l'occasion de cette motion de renvoi en commission, que le texte a été conçu dans une logique strictement politicienne de campagne électorale, qu'il a été bâti dans une improvisation qui justifie pleinement son renvoi en commission.

Cette urgence devait-elle justifier la mise en place d’une commission spéciale, dont le président et le rapporteur ont été désignés sans que la très grande majorité des membres de la commission n’aient connaissance, en amont, de la tenue de cette réunion d’installation ?

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Vous auriez souhaité en être le président, monsieur Brottes ?

M. François Brottes. L’urgence justifiait-elle d’empiler les auditions non stop, pendant deux journées – même notre collègue M. Myard l’a reconnu – durant lesquelles les organisations syndicales représentatives des salariés ont été auditionnées « en paquet », sans que chacune d'entre elles puisse présenter en toute quiétude sa propre analyse du sujet, alors que par ailleurs les employeurs, ou le MEDEF, ont été auditionnés séparément.

M. Jean Mallot. Eh oui !

M. François Brottes. L’urgence justifiait-elle des consultations bâclées ? Le ministre des transports n'avait tout simplement pas été prévu dans les auditions. Il a fallu que nous demandions à l'entendre, …

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Heureusement que vous êtes là !

M. François Brottes. … – ce à quoi il était d'ailleurs tout à fait disposé, je le reconnais – quelques heures avant la clôture des travaux, une fois encore sans que tous les membres de la commission spéciale aient pu prendre leurs dispositions, tant le délai était court.

Que dire des consultations d'experts totalement improvisées ? Monsieur le président de la commission, je donnerai l'exemple de l'audition de M. Dieudonné Mendelkern,…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’était un grand moment !

M. François Brottes. …président de section honoraire du Conseil d'État, président de la commission chargée d'analyser les données juridiques relatives à la continuité du service public des transports. Il s'est contenté d’exprimer son bonheur d'être auditionné, en nous avouant, dans le même temps, qu'il n'avait pas pris connaissance du texte de loi dont nous débattions et sur lequel nous devions l'interroger. (Rires.) L’ensemble des commissaires a trouvé cette situation pour le moins ubuesque.

J’évoquerai encore les consultations, au cours desquelles le président et le rapporteur ont eu parfois un comportement totalement autiste. Je pense à la colère des plus petits transporteurs, représentés par l’Union professionnelle artisanale – l’UPA– , qui ont exprimé avec véhémence leur crainte répétée de voir s'appliquer ce texte aux entreprises de moins de cinquante salariés, confirmant ainsi nos propres inquiétudes sur le fait que ce texte allait poser plus de problème qu'il n'allait en résoudre.

Ces consultations, ces auditions n'ont en rien fait bouger la rédaction du texte. C’était un rendez-vous de pure forme, un peu rapide, et destiné à se donner bonne conscience.

J'ai deux exemples en tête. Celui des autorités organisatrices de transport, à l'échelle régionale ou départementale, qui ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas que la loi règle ces questions. Elles pensent qu'il faut faire confiance au contrat et au dialogue social, qui sont seuls garants de progrès durables en matière de qualité du service public, d'autant – chacun l’a noté – que , en la circonstance, l'État, le Gouvernement se défausse complètement sur les régions et sur les départements. C'est clairement un choix tactique, d’ordre politicien, qui n'a rien à voir avec l’intérêt des usagers du service public. L'avenir le démontrera.

L’autre exemple est le signalement par toutes les entreprises privées de transport public, unanimes, de l'absurdité d’inclure le transport scolaire dans le périmètre de cette loi. En effet, les transporteurs considèrent, à juste titre, qu'il est impossible de décréter que tel circuit de ramassage serait prioritaire plutôt que tel autre en cas de perturbation. On nous parle de ceux qui ont un examen à passer, de ceux qui doivent revenir de 1'internat, etc. C'est absurde, car ni les uns ni les autres n'habitent au même endroit. Monsieur le ministre, plusieurs circuits de ramassage – il faut connaître ces questions pour en parler –…

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Je suis aussi élu local !

M. François Brottes. …seraient prioritaires, puisqu'un même circuit assure le ramassage d'élèves de plusieurs niveaux, au cas où cela vous aurait échappé !

C'est la raison pour laquelle, en matière de transports scolaires, c'est non sans motif que les transporteurs pensent qu'il faut raisonner en termes de « tout ou rien » Mais ni le rapporteur ni la majorité n'ont daigné tenir compte de tout cela. Il y a beaucoup de mépris dans leur façon d’écouter.

Bien entendu, je ne prends pas d'exemple du côté des revendications des représentants des salariés, puisque ce texte est clairement dirigé en priorité contre eux.

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Prouvez-le !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Le temps est écoulé !

M. le président. Monsieur Brottes, vous disposez encore de quatre minutes.

M. François Brottes. Parce que ce texte est une faute, qu'il ne répond nullement aux attentes des salariés, qu'il constitue une atteinte lourde aux libertés fondamentales et qu'il a été préparé et conçu dans une totale improvisation, que son étude dans l'urgence a été véritablement bâclée, je vous demande, chers collègues, au nom du groupe socialiste, de voter son renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Après ce que vous avez dit de cette commission ?

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Le propos de notre collègue ne manquait pas d’esprit. Mais, au fond, je crois que, pendant ces longues minutes, il nous a bien démontré qu’il ne fallait pas procéder à un renvoi en commission. À quoi pourrait servir un renvoi en commission ?

M. François Brottes. À permettre à M. Dieudonné Mendelkern de lire le texte, par exemple ! (Sourires.)

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Le projet y gagnerait-il en clarté ? Je vous ai écouté attentivement. Il a été question de qualité du service pour les usagers. Mais vous nous avez dit successivement que la cause principale de la rupture de continuité n’était pas la grève, mais l’état des voies ferrées, des infrastructures. Puis on est passé à une étape supérieure : on trouve cette cause, éventuellement, dans les problèmes de logement. Bref, tout est dans tout ! À poursuivre dans cette voie, nous nous éloignerons par trop du sujet qui nous occupe, sans que nos travaux gagnent pour autant en clarté.

Pourrait-il gagner en précision ? On peut rendre hommage à votre talent, à votre lyrisme, monsieur Brottes. La poursuite de nos travaux permettrait probablement que l’on s’enrichisse des réparties que vous avez fait valoir. Cela apporterait-il davantage de précisions à notre débat ? Je n’en suis pas sûr !

Pourrait-il gagner en sagesse ?

M. Alain Néri. Essayons !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Je pense que les références historiques que vous avez évoquées montrent, à l’évidence, que ce ne serait pas le cas.

D’ailleurs où renverriez-vous ce débat ? Il me paraît paradoxal de vouloir renvoyer le projet à une commission à laquelle vous semblez accorder bien peu de crédit. Vous avez mis en cause la réunion de cette commission. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Vous avez mis en cause ses travaux.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Son installation !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Au fond, compte tenu de ce que vous pensez des travaux qui nous ont réunis pendant de longues heures, y a-t-il vraiment matière à renvoyer ce texte en commission ? Je considère que c’est inutile, que ce soit pour des raisons de clarté, de précision ou de sagesse.

Nous avons procédé à de nombreuses heures d’audition. Le rapporteur a accompli un travail considérable. Nous avons examiné les amendements. La commission a été pleinement éclairée et il faut maintenant poursuivre nos travaux et passer à l’examen des articles.

Cette question a été préparée pendant des années de travaux parlementaires. Ils se concluent aujourd’hui, avec ce projet de loi, avec le travail de notre commission spéciale. Je crois que tout le monde est pleinement éclairé.

Monsieur Brottes, votre talent lyrique n’est pas contestable. Mais faut-il vraiment poursuivre au-delà ? Je pense que la commission n’en est pas convaincue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur Brottes, vous me permettrez de saluer les propos « dauphinois », que vous avez tenus. Si je puis me permettre, pour un propos dauphinois, il était plutôt gratiné. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Je crois percevoir une certaine forme d’amertume que le petit train de La Mure n’entre pas dans les dispositions de ce texte. Je souhaite néanmoins, après ce sourire, regretter, comme le président de la commission spéciale, que vous ayez cru devoir faire référence à des passés historiques qui n’honorent pas nécessairement notre pays. Mais je sais que, tant sur les bancs de la majorité que sur ceux de l’opposition, personne ne songe ici à tuer les libertés fondamentales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez développé, monsieur Brottes, trois types d’arguments. Premièrement, ce texte porterait atteinte aux libertés publiques. Deuxièmement, il constituerait une forme de supercherie électorale. Troisièmement, il représenterait un danger.

M. Alain Néri. Vous avez tout compris !

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela prouve que j’ai écouté attentivement. Maintenant, je vais répondre point par point, et je crains que vous ne soyez un peu moins d’accord.

En ce qui concerne les libertés publiques, l’article 34 de la Constitution précise : « La loi est votée par le Parlement.
La loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques… ». Personne ne peut donc contester qu’il y a bien lieu de voter un texte en cette matière.

Vous avez contesté l’opportunité de ce texte. Cet argument utilisé pour une motion de renvoi en commission ne me semble pas justifié, même si, sur le plan politique, je comprends parfaitement la teneur de votre intervention. Le fait que vous considériez un texte comme inopportun ne doit pas suffire à justifier son renvoi devant la commission.

Le texte est celui de la majorité parlementaire. Le groupe de l’UMP l’assume entièrement ainsi que son opportunité. Le fait que ce projet de loi soit débattu vous permettra, monsieur Brottes comme le rappelait le président de la commission spéciale, d’exercer votre talent oratoire lors de l’examen des articles en séance .

M. Alain Néri. Vous pouvez compter sur nous !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous prétendez, monsieur Brottes, que ce texte est dangereux pour trois raisons.

Premièrement, il ne traiterait pas les vraies questions. Deuxièmement, il constituerait une négation du dialogue social. Troisièmement, il serait bâclé. Je vais répondre sur ces trois points.

Premièrement, j’avoue ne pas comprendre comment on peut, sur les bancs de l’opposition parlementaire, être défiant vis-à-vis d’une loi qui tente d’encadrer le dialogue social.

M. François Brottes. Qui « tente » !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, elle le tente. Nous faisons ce que nous pouvons. Nous en sommes tous là !

Mais n’est-ce pas ce qu’ont fait les grandes lois sociales de 1981, 1982,…

M. Franck Gilard. C’était l’époque Robespierre !

M. Jean-Frédéric Poisson. … 1995, 1997 ? Vous-mêmes, mesdames, messieurs de l’opposition, vous avez eu par le passé recours à la loi, qui est le passage normal pour encadrer le dialogue social et orchestrer, en particulier, le droit de grève.

Deuxièmement, je ne peux, nous ne pouvons être d’accord avec la remarque selon laquelle ce projet de loi constituerait une négation du dialogue social, un danger pour le dialogue social dans les entreprises, qu’il ne permettrait pas aux partenaires sociaux de prendre le temps de se parler pour régler les problèmes . De fait, ce texte est suffisamment précis pour donner toute sa vie au dialogue social, pour lui accorder assez d’espace pour se développer.

Il a été fait référence, au cours de notre débat de ce soir, à la très longue concertation qui s’est déroulée au sein de notre assemblée, dans les commissions, en commission spéciale – où nous avons siégé ensemble quelques heures. On ne peut prétendre que ce texte ait été bâclé. J’en profite pour saluer le travail de M. le président de la commission spéciale et de son rapporteur, qui ne méritaient vraiment pas ce reproche.

Pour toutes ces raisons, le groupe de l’UMP

votera contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Eckert. Notre collègue François Brottes a rappelé les conditions matérielles déplorables dans lesquelles ce texte a été examiné en commission : convocations non parvenues à leurs destinataires, auditions non stop de dix heures à vingt-deux heures – l’audition de M. Bussereau qui avait été annoncée pour vingt-deux heures quinze dans un premier temps a finalement eu lieu à huit heures quarante-cinq le lendemain matin !

Pour de nouveaux députés comme moi, même si nous sommes pleins d’entrain et d’allant et si nous avons le cœur à l’ouvrage, j’avoue que de telles pratiques sont déconcertantes et qu’en tout état de cause, elles ne permettent pas de mener un travail approfondi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Mme Michèle Delaunay. Tout à fait !

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Il y a eu des plateaux-repas ! (Sourires.)

M. Christian Eckert. Le service public, question importante s’il en est, méritait plus de sérénité et de travail de fond. Les amendements ont malheureusement été examinés à la hussarde.

On a dit de certains hommes politiques qu’ils posaient de bonnes questions, mais apportaient de mauvaises réponses !

M. Franck Gilard. Fabius !

M. Christian Eckert. J’ai le sentiment que sur ce texte, vous posez la mauvaise question et apportez la mauvaise réponse. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Vitel. Une très bonne réponse, au contraire !

M. Christian Eckert. La plupart des intervenants l’ont dit : les dysfonctionnements constatés dans le service public par l’ensemble des usagers – les travaux de la commission l’ont montré – ne sont pas ou plus liés aux conflits sociaux.

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale. Au logement ?

M. Christian Eckert. Les causes sont à rechercher dans le manque d’entretien des réseaux lié aux retards d’investissement des grandes entreprises publiques dont le Gouvernement assure plus ou moins directement la gestion.

Au prétexte d’assurer une meilleure prévisibilité du trafic, et au motif fallacieux de promouvoir le dialogue social, vous remettez en cause du droit de grève. Vous divisez les Français : les grévistes contre les usagers. Les autorités organisatrices de transport – AOT – risquent de devenir les boucs émissaires, et vous refilez la patate chaude aux collectivités territoriales, tout en portant atteinte à leur liberté d’administration. Le dialogue social, dans son ensemble, est mis en cause par les provocations contenues dans ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

À un moment, vous annoncez l’extension des dispositions du texte, puis, vous les retirez pour les rétablir ensuite. Bref, on s’y perd ! Et tout cela conduit, comme vient de l’évoquer brillamment notre collègue François Brottes, à en demander le renvoi en commission.

En effet, ce texte est inopérant, s’agissant des transports scolaires notamment, et le calendrier prévu – 1er janvier 2008 – est intenable.

M. Marc Dolez. En effet !

M. Christian Eckert. Il est, en outre, provocateur. Je pense à la règle des 48 heures, mais aussi à l’article 9, dont le Sénat a sensiblement aggravé le contenu.

Dans ces conditions, notre groupe ne peut que voter le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Daniel Paul. Nous ne cesserons de rappeler durant les heures que nous sommes amenés à passer ensemble, monsieur le ministre,…

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. C’est toujours un plaisir !

M. Daniel Paul. …que votre texte n’a pas mis le dialogue social ou la continuité du service public au cœur de ses préoccupations. Vos priorités sont ailleurs. Au demeurant, nos collègues de la majorité l’ont parfaitement expliqué, je reconnais que la stratégie est au point. Il s’agit pour vous d’adapter le pays à son environnement international, en s’inspirant des autres pays européens. Il faut, à tout prix, ressembler, selon vous, à l’Allemagne ou à la Grande-Bretagne, adopter ce qui s’y fait de mieux – mais de ce point de vue, tout est relatif ! Vous nous vantez les mérites de l’interdiction du droit de grève ou la consultation par courrier, comme cela se pratique en Grande-Bretagne, de façon à museler, à corseter le droit de grève.

M. Alain Néri. Et vive Mme Thatcher !

M. Daniel Paul. C’est vers cela que vous voulez que nous nous orientions.

Les réformes que vous projetez pour les mois qui viennent – sans parler des surprises que vous êtes sans doute en train de nous concocter –, comme le fameux rendez-vous que nous aurons l’année prochaine sur les retraites ou le contrat unique, ne manqueront pas de susciter quelques réactions, mais cela, la majorité se garde bien de l’évoquer.

Vous auriez pu, monsieur le ministre, peser sur la négociation dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle allait commencer – le président Ollier l’a rappelé cet après-midi. L’UFT et le MEDEF, il est vrai, à quelques nuances près, ne la souhaitaient pas et préféraient le recours à la loi.

Ainsi que je l’ai déjà indiqué 55 % des entreprises de transport public ne respectent pas loi. Pourquoi, au lieu de faire en sorte qu’elle soit appliquée, préférez-vous recourir à un texte de loi dont vous savez bien qu’il ne correspond pas aux réalités ?

Vous faites le choix de la division. Vous prenez le risque de l’affrontement avec un tel texte.

M. Alain Gest. Pas du tout !

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. M. Gest a raison !

M. Daniel Paul. Personne n’est dupe. Tout le monde le sait, y compris, certains de vos amis. Le problème des transports dans ce pays est celui de l’incapacité d’une entreprise comme la SNCF – et d’autres encore – de garantir non seulement les heures de départ, mais surtout les heures d’arrivée. Quand on prend un train aujourd’hui, on ne sait plus, à un quart d’heure près, sur un trajet donné, Le Havre-Paris par exemple, si on mettra deux heures, deux heures et quart ou deux heures et demie. Voilà la réalité ! Et ces dysfonctionnements n’ont rien à voir avec les grèves et les conflits sociaux !

Inutile, contreproductif, dangereux, tels sont les qualificatifs qui caractérisent ce texte. Le dialogue social dans l’entreprise et la continuité du service public doivent être assurés 365 jours sur 365 ! Mais pour cela, il faut y consacrer des moyens. Et à cet égard, je me réjouis de la présence demain de M. Bussereau, afin que nous abordions les questions concrètes.

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. C’est sympathique pour moi ! Merci de votre confiance !

M. Daniel Paul. Le sujet méritait mieux que ce qui nous est présenté aujourd’hui. La concertation aurait pu aboutir – je l’ai dit cet après-midi – si l’on y avait consacré le temps nécessaire. Vous avez choisi de passer à la hussarde, à la fin du mois de juillet, au cœur du chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens.

M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Et au Sénat, quand ce texte a-t-il été examiné ?

M. Jacques Masdeu-Arus. C’était un engagement du Président de la République.

M. Daniel Paul. Nous aurions pu avoir une bonne discussion, mais tel n’a pas été le cas. Nous voterons donc le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Mardi 31 juillet 2007, à quinze heures, première séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 101, adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs :

Rapport, n° 107, de M. Jacques Kossowski, au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)