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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 30 avril 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Alain Néri

. Hauts revenus et solidarité

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du plan

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

Rappels au règlement

M. Jean-Marc Ayrault

M. Jean-François Copé

M. Roland Muzeau

M. Jean-Marc Ayrault

M. Jean-François Copé

M. Jean-Marc Ayrault

Rappels au règlement

M. Jean-François Copé

M. Jean-Marc Ayrault

Application de l’article 96 du règlement

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

M. Jean-Marc Ayrault

Discussion générale

M. Jérôme Cahuzac

M. Roland Muzeau

M. Michel Sapin

M. Abdoulatifou Aly

Mme Martine Faure

M. Philippe Vuilque

Mme Laurence Dumont

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie

. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Alain Néri,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Hauts revenus et solidarité

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative aux hauts revenus et à la solidarité (nos 1544, 1595).

M. Michel Delebarre. Excellente proposition !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Monsieur le président, madame la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, « Les systèmes actuels de rémunération des dirigeants ont trop souvent mené à des actions de gestion à court terme et parfois à une rémunération de l’échec ». Celui qui s’exprimait ainsi hier n’est pas un socialiste, c’est le commissaire européen au marché intérieur, Charlie McCreevy, plutôt classé parmi les ultra-libéraux.

M. Michel Delebarre. C’est vrai !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. La Commission européenne exprimait ainsi ce que tout le monde ressent aujourd’hui : la nécessité de nouvelles régulations.

Le Forum de stabilité financière recommande d’utiliser la voie législative et parlementaire plutôt que l’engagement volontaire des banques, et le G20, lors du sommet de Londres, a conseillé de suivre ces principes. Eh bien, mes chers collègues, c’est ce que nous vous proposons aujourd’hui avec cette proposition de loi relative aux hauts revenus et à la solidarité.

Cette proposition de loi s’appuie sur trois constats.

Premier constat : la crise est caractérisée par une explosion des inégalités et tout particulièrement par une explosion des rémunérations des dirigeants.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Les hauts revenus captent l’essentiel de l’augmentation de la richesse nationale en France. Depuis 2002, alors que le pouvoir d’achat de 90 % des salariés est resté constant, celui des dirigeants de sociétés s’est envolé, augmentant de plus de 40 %, et la rémunération des dirigeants d’entreprise a été souvent multipliée par quatre ou cinq, pour atteindre la somme de 4,7 millions d’euros annuels pour les dirigeants du CAC 40, c’est-à-dire trois cents fois le SMIC.

Ce creusement des inégalités marque une rupture historique par rapport à la situation qui a prévalu pendant près d’un demi-siècle après la Seconde guerre mondiale. L’écart des rémunérations, qui était de l’ordre de un à vingt ou de un à trente dans les années 60-70 dans la majorité des pays, a littéralement explosé, retrouvant des valeurs que l’on connaissait dans les années 30.

Deuxième constat : il n’existe aucune justification économique à ce niveau de rémunérations.

Celles-ci ne rémunèrent pas le risque puisqu’elles reposent sur des rémunérations variables, les stock-options, les bonus, qui ne sont exercées que si elles sont favorables, et qu’elles s’accompagnent de parachutes dorés et de retraites chapeaux. Elles ne rémunèrent pas non plus la performance. Elles reflètent en grande partie les mouvements de la bourse et une situation de rente, entretenue par l’opacité et le contrôle insuffisant des rémunérations des dirigeants.

Qui peut croire que la valeur travail d’un dirigeant du CAC 40 qui touche trois cents fois le SMIC est réellement cent fois plus élevée que celle d’un patron d’une PME dont la rémunération moyenne est de trois SMIC ?

Cette explosion des rémunérations des dirigeants est indécente pour des entreprises qui font appel au secteur public. Comment accepter que l’argent public serve à verser des rémunérations excessives à des dirigeants dont l’entreprise a été sauvée de la faillite par le contribuable ?

Troisième constat : la question de la justice fiscale du bouclier fiscal se pose avec une acuité particulière dans la conjoncture actuelle.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Au moment où la crise économique exige un effort de tous, il est profondément choquant que les seules personnes qui soient exonérées de tout effort de solidarité soient les plus fortunés de nos concitoyens.

M. Frédéric Cuvillier. C’est un scandale !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. L’argument qu’on a souvent entendu, hier encore, dans la bouche du ministre du budget, selon lequel le bouclier fiscal permet « d’éviter qu’un contribuable travaille un jour sur deux pour l’État » est inexact. Il est impossible d’atteindre la limite prévue par le bouclier par les seuls revenus du travail. Le bouclier fiscal ne joue qu’à raison de la détention d’un patrimoine important. La preuve : 0,08 % des contribuables à l’ISF au titre de la première tranche actionnent le bouclier fiscal, contre 39 % pour la dernière tranche.

M. Michel Delebarre. Tout à fait !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Les contribuables modestes qui ne payent pas l’ISF et qui actionnent le bouclier se partagent seulement 1 % du coût de la mesure. Les montants restitués à ces contribuables ont d’ailleurs diminué de moitié en 2008, selon les chiffres de Bercy. Par ailleurs, autrefois, l’administration fiscale réglait elle-même ces cas particuliers par les remises gracieuses.

Le bouclier fiscal, tous les chiffres le montrent, est d’abord un bouclier pour les grandes fortunes. Les deux tiers du montant du bouclier fiscal bénéficient à des contribuables qui possèdent plus de 15 millions d’euros de patrimoine.

M. Patrick Roy. Eh oui ! Ce sont les habituels amis d’Éric Woerth !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Avec le bouclier version Villepin, chacun a touché, en 2007, un chèque de 231 000 euros en moyenne. En 2008, avec le bouclier version Sarkozy, ce chèque a quasiment doublé puisqu’il s’est monté en moyenne à 368 000 euros.

M. Michel Delebarre. Et ce n’est qu’une moyenne !

M. Patrick Roy. Ce sont les amis du Fouquet’s !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Peut-on accepter, madame la ministre, qu’un Gouvernement verse 368 000 euros aux plus fortunés de nos concitoyens quand, pendant deux ans, il a refusé tout coup de pouce au SMIC ?

M. Michel Delebarre. Elle va répondre « Non ! »

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Le bouclier fiscal favorise la détention de capital et l’optimisation fiscale et instaure un double bonus : en réduisant son revenu imposable grâce aux niches fiscales, non seulement un contribuable peut s’exonérer complètement de l’impôt sur le revenu, mais, en prime, le bouclier fiscal lui rembourse tous ses impôts sur le capital.

M. Frédéric Cuvillier. Scandaleux !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Certes, certaines niches d’assiette ont été encadrées par la loi de finances pour 2009. Toutefois d’une part, cela ne joue pas cette année, et, surtout, plusieurs dispositifs permettront toujours de diminuer son revenu imposable dans des proportions parfois très importantes.

Enfin, le paradoxe du plafonnement des niches fiscales dont se vante le Gouvernement, tient au fait que seul un contribuable ne disposant pas d’un patrimoine important sera appelé, demain, à payer plus d’impôt au titre de ce plafonnement des niches. Pour les plus fortunés qui bénéficient du bouclier fiscal, cela ne changera strictement rien.

À ce triple constat, notre proposition de loi donne une triple réponse.

L’article 1er propose la suppression du bouclier fiscal. (Approbation sur les bancs du groupe SRC.)

L’article 2 instaure un plafond à la rémunération des dirigeants des entreprises recapitalisées…

M. Frédéric Cuvillier. Excellent !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. …lequel sera fonction de la rémunération la plus basse dans l’entreprise. Nous proposons que ce soit vingt-cinq fois la rémunération nette.

M. Michel Delebarre. Ce n’est déjà pas mal !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. C’est effectivement déjà beaucoup !

Cela est à la fois comparable à ce qui existait dans les années 60, 70, 80, avant la dérive des rémunérations, et à la mesure prise par le Président Obama aux États-Unis qui vise à limiter ces rémunérations à 500 000 dollars, soit environ 300 000 euros. Cela est également cohérent avec les rémunérations les plus élevées du secteur public.

L’article 3 interdit l’attribution de stock-options et d’actions gratuites aux dirigeants d’entreprises recapitalisées et, plus généralement, aux personnes rémunérées par ces sociétés.

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Cette disposition vise à interdire tout contournement du plafonnement mis en place à l’article 2 et à éviter que les dirigeants des sociétés recapitalisées bénéficient indirectement des résultats positifs de l’action publique. En effet, donner aujourd’hui des actions gratuites ou des stock-options à des dirigeants dont les entreprises ont été recapitalisées, c’est en fait utiliser l’argent public pour leur fournir des rémunérations scandaleuses plus tard.

M. Michel Delebarre. Exact !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Au-delà des entreprises recapitalisées, la limitation des dérives des hautes rémunérations suppose d’accroître la transparence de celles-ci. C’est pourquoi un amendement à cette proposition de loi propose d’instaurer, dans un article additionnel, un plafond aux rémunérations des dirigeants des grandes entreprises également en rapport à la rémunération la plus basse. Ce rapport serait proposé par le conseil d’administration et validé par l’assemblée générale des actionnaires après consultation du comité d’entreprise.

Sans doute, aujourd’hui, votre majorité va-t-elle faire bloc contre cette proposition de loi, plus particulièrement contre son article 1er qui propose la suppression du bouclier fiscal, l’un des projets phares d’un paquet fiscal en total décalage avec la réalité économique d’aujourd’hui. Mais êtes-vous bien sûr, chers collègues de la majorité, de ne pas le regretter demain ?

M. Frédéric Cuvillier. Ils seront redevables !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Ceux qui siègent dans la partie gauche de cet hémicycle ne sont pas les seuls à souligner l’injustice du bouclier fiscal.

M. Michel Delebarre. Eh oui !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Un certain nombre de nos collègues de la majorité le pensent et l’expriment, parfois à mots couverts, parfois ouvertement.

M. Michel Delebarre. Ils sont là !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Philippe Marini, rapporteur général du budget au Sénat, écrivait récemment : « Si la gestion de l’augmentation de la dette publique impliquait un alourdissement de la fiscalité, il paraîtrait alors difficilement acceptable de ne pas faire participer les plus favorisés de nos compatriotes à l’effort national du fait de l’existence du bouclier fiscal. » Et vous savez très bien que ce que vous proclamez tout le temps, à savoir le plafonnement des niches, n’aura aucun effet pour les titulaires du bouclier fiscal.

Je dirai en conclusion qu’en supprimant le bouclier fiscal et en limitant la rémunération excessive des dirigeants, nous ne nous contentons pas de corriger une injustice ; nous remettons tout simplement la fiscalité des revenus à l’endroit, car son rôle est non pas de protéger les riches en taxant les faibles, mais d’exprimer ce qui fait la force et la cohérence d’une nation : la solidarité. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, après l’intervention de M. le rapporteur je me contenterai de formuler quelques observations sur le bouclier fiscal et m’inscrirai en faux contre certaines idées reçues que la majorité actuelle souhaite faire passer comme des principes incontestables.

Première idée reçue : l’impôt serait confiscatoire s’il s’élève à plus de 50 % du revenu du contribuable. Pour preuve : beaucoup de pays auraient adopté ce principe !

M. Jérôme Cahuzac. Mensonge ! Alibi !

M. Didier Migaud, président de la commission. Le caractère confiscatoire de l’impôt au-delà de 50 % des revenus n’est pas inscrit dans le marbre. Tout est affaire de proportion et de circonstances. L’exemple allemand, tant de fois mis en avant, le prouve : la décision du 22 juin 1995, maintes fois citée, n’a aucunement fait obligation au législateur allemand de limiter le taux des prélèvements à 50 % des revenus.

A propos de l’ISF, la Cour constitutionnelle a constaté que les modes d’évaluation des biens imposables à cet impôt sur la fortune différaient selon la nature des biens : un bien immobilier était compté pour sa valeur en 1964, alors que les valeurs mobilières l’étaient à leur valeur de l’année.

Elle a considéré que ces différences conduisaient à un traitement inégal des contribuables et a imposé au législateur de revoir ces règles d’évaluation dans le sens de l’égalité de traitement pour que l’impôt soit applicable. Le législateur n’ayant pas revu ces règles, l’impôt est resté inappliqué.

Quant aux considérations de la Cour sur les 50 %, elles n’ont pas valeur normative comme l’a montré la décision du 18 janvier 2006 de cette même cour qui a rejeté la demande d’un contribuable imposé à hauteur de 57 % de ses revenus au titre de l’impôt sur le revenu et de la taxe professionnelle. Donc, ce qui est dit sur l’exemple allemand est faux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

D’ailleurs, d’une certaine façon, la décision de la Cour constitutionnelle justifie l’existence possible d’un impôt sur le patrimoine et ne fixe aucun plafond. La Cour dit tout simplement que des proportions doivent être respectées et qu’il faut tenir compte des circonstances. Et lorsqu’elle souligne que l’on ne doit pas en même temps taxer un bien, elle ne dit pas qu’il faut le faire à parts égales. Donc, elle ne fixe aucun plafond à hauteur de 50 %.

Ce qui est valable pour l’Allemagne, l’est aussi pour la Grande-Bretagne, les États-Unis, tous les grands pays. Le dispositif que vous avez mis en place, madame la ministre, et qui contribue à autant d’injustice sur le plan fiscal n’existe nulle part au monde. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Deuxième idée reçue : il n’est pas normal qu’une personne travaille plus d’un jour sur deux pour l’État. Or ce n’est pas le cas et ce n’est pas à cela que sert le bouclier fiscal puisque les revenus pris en compte sont la totalité des revenus, ceux du travail et ceux du capital : loyers, dividendes, plus-values. Les bénéficiaires du bouclier fiscal sont donc des contribuables qui peuvent n’avoir aucune activité professionnelle.

Il serait intéressant, d’ailleurs, de disposer de statistiques sur la composition des revenus des bénéficiaires du bouclier. Cela permettrait de se rendre compte qu’avec le bouclier fiscal, ce sont, pour les plus importants bénéficiaires, les revenus du capital que l’on protège et non pas ceux du travail. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et GDR.) D’ailleurs, les chiffres dont nous disposons montrent bien que le bouclier fiscal sert, pour l’essentiel, dans la catégorie des contribuables à patrimoines importants, à « effacer » entre trois quarts et 100 % de l’impôt de solidarité sur la fortune. En réalité, le bouclier fiscal ne joue qu’à raison de la détention du patrimoine.

Troisième idée reçue : la gauche avait elle-même plafonné l’ISF – d’une certaine façon, vous reconnaissez que nous ne sommes pas pour un impôt confiscatoire, ce dont je vous remercie ! – et que nous serions donc en contradiction avec nous-mêmes. Pas du tout ! Les impôts pris en compte pour le plafonnement n’étaient pas les mêmes. Alors qu’il s’agissait de l’impôt sur la fortune et de l’impôt sur le revenu, le bouclier actuel prend en compte tous les impôts, y compris ceux destinés à financer la protection sociale : CSG et CRDS. D’ailleurs on a bien vu, lorsque le financement du RSA a été discuté, que les bénéficiaires du bouclier fiscal étaient désormais exemptés de toute imposition supplémentaire nécessitée par le financement d’une dépense sociale, dans un temps de crise où la solidarité est particulièrement nécessaire. Par ailleurs, le taux n’était pas le même. La conception du bouclier fiscal actuel est donc très différente de celle qu’en ont les socialistes.

A cause du bouclier, les contribuables qui ont les revenus les plus élevés et les patrimoines les plus importants ne seront pas touchés par le plafonnement des niches fiscales. Il pourra ainsi arriver qu’une personne soit remboursée de toutes ses impositions, y compris en grande partie de la CSG et de la CRDS. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Frédéric Cuvillier. Il faut changer tout ça !

M. Marcel Rogemont. La CSG n’est pas faite que pour les pauvres ! Il faut que les riches la paient !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Je reconnais, madame la ministre, que vous nous apportez toutes les précisions souhaitées dans le cadre de ce débat et je souhaite que nous puissions prolonger celui-ci. Je souligne cependant, au-delà des chiffres qui ont été donnés par le rapporteur Alain Muet, que si 800 contribuables vont se partager 300 millions d’euros, 100 contribuables se partageront plus de 155 millions d’euros.

M. Frédéric Cuvillier. Cadeau aux copains !

M. Didier Migaud, président de la commission. C’est une illustration de l’injustice du bouclier fiscal.

M. le président. Il faudrait conclure, monsieur Migaud.

M. Didier Migaud, président de la commission. Je termine.

Quatrième idée reçue : la sortie de France, pour des raisons fiscales, d’un certain nombre de contribuables représente une perte pour l’économie de notre pays. Nous savons que cela n’est pas vrai et je suis prêt à en débattre.

C’est au prix d’une clarification concernant ces différents éléments qu’une discussion honnête et sérieuse pourra s’engager sur le bouclier fiscal. Avec sa proposition, le groupe SRC nous invite à un débat sur la justice fiscale. Le bouclier fiscal est devenu le symbole d’une fiscalité profondément injuste, de moins en moins redistributrice.

Madame la ministre, vous êtes en charge de la révision générale des prélèvements obligatoires. Je souhaite que cet engagement soit tenu. Cela devrait nous permettre de prolonger au-delà de cette matinée le débat sur une réforme fiscale nécessaire, mais je le répète, et je suis prêt à en débattre avec vous : le bouclier fiscal tel que vous l’avez conçu n’existe dans aucun pays au monde ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Avant de donner la parole à Mme la ministre, je me dois d’informer l’Assemblée nationale que je viens de recevoir une demande de discussion d’une motion d’exception d’irrecevabilité proposée et présentée par M. Jean-François Copé. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Censeur !

M. Marcel Rogemont. C’est de l’obstruction !

Mme Laurence Dumont. Ils sont beaux les pouvoirs de l’opposition !

M. le président. Je la mettrai donc en discussion après l’intervention de Mme la ministre.

La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les députés, la proposition que nous examinons comporte deux articles (« Trois ! » sur les bancs du groupe SRC)

Oui, trois articles.

M. Jérôme Cahuzac. Vous auriez pu la lire !

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir écouter en silence Mme la ministre exposer ses arguments, ce qui donnera de la clarté à notre débat !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous venons d’assister, dans le domaine financier, à ce que j’appellerai une crise des excès, une crise des abus, une crise de l’irresponsabilité générale.

M. Roland Muzeau. Du Gouvernement !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Avec ce texte, vous proposez de mettre en place des mesures de contrainte en matière de rémunérations alors que nous proposons des dispositions fondées sur la responsabilité et le contrat.

M. Philippe Vuilque. Cela ne marche pas !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous souhaitons rétablir ce principe de responsabilité et préserver, en matière fiscale, les principes d’équilibre et de justice. (Murmures sur les bancs du groupe SRC)

M. Marcel Rogemont. La justice, ce n’est pas seulement pour les riches !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous souhaitons préserver la compétitivité de notre pays qui doit s’exercer dans une économie libre de marché.

Vous voulez répondre à la démesure par des propositions qui ne sont pas caractérisées par la mesure.

M. Jean-Paul Bacquet. La démesure, c’est les revenus des patrons du CAC 40 !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Vous proposez de rétablir le blocage des salaires pour les dirigeants, de taxer les revenus au-delà de 50 % si nécessaire (Approbations sur les bancs du groupe SRC) et, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, je crains que vos propositions ne condamnent notre système à une forme de paralysie.

M. Jean-Paul Bacquet. Écoutez ce que dit Juppé !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous voulons, nous, répondre à la démesure par la règle. En taxant les riches, comme vous les appelez, jusqu’à la moitié de leurs revenus nous leur demandons un effort important, mais pas dissuasif. En interdisant les stock-options et les parachutes dorés pour les entreprises aidées par l’État et en exigeant que les autres mettent en place de véritables contrôles à travers leurs comités de rémunérations, nous exigeons que les patrons prennent leurs responsabilités, pas qu’ils abandonnent nos entreprises, et surtout pas qu’ils préfèrent d’autres territoires que le nôtre.

Dans une économie ouverte où les capitaux, les contribuables et les dirigeants peuvent être amenés à travailler en tous lieux du monde et à quitter nos frontières, la politique que nous menons est la seule qui soit raisonnable, la seule qui soit rationnelle dans un souci de compétitivité de notre économie. La France, et nous nous en félicitons tous, est devenue récemment le deuxième pays d’accueil des investissements directs étrangers.

M. Frédéric Cuvillier. Ce n’est pas d’aujourd’hui !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Vous nous proposez simplement, monsieur Muet, de revenir en arrière. Vous l’avez dit vous-même : un retour aux années 60.

M. Marcel Rogemont. Les années 60 sont devant nous ! On a changé de siècle !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Les années 60 sont derrière nous, je regrette !

Nous proposons donc, nous, de regarder vers l’avenir et de nous positionner comme un pays compétitif et libre.

Je commenterai plus particulièrement l’article 2 de votre proposition de loi, celui qui concerne la rémunération des dirigeants. La presse s’est récemment fait l’écho de nombreuses polémiques sur telle ou telle rémunération, telle ou telle attribution de stock-options.

M. Henri Emmanuelli. Et cela continue !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Certaines de ces polémiques étaient parfaitement justifiées. Le malaise est réel. Le problème est sérieux. Au moment où la crise économique mondiale met de plus en plus de salariés au chômage, les dirigeants des entreprises se doivent d’afficher un comportement exemplaire, mesuré et raisonnable en matière de rémunération.

M. Marcel Rogemont. Comme le PDG de Suez : 15 % de plus !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Et s’ils n’y parviennent pas tout seuls, l’État les y aidera ! C’est une question à la fois de justice et de cohésion sociale.

Quelle est votre proposition ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

L’article 2 interdit une rémunération supérieure à « vingt-cinq fois la plus basse rémunération à temps plein après cotisations sociales dans l’entreprise ».

M. Patrick Roy. C’est déjà beaucoup !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Vous voyez : je l’ai lue votre proposition !

Cela pose une question pratique : pourquoi vingt-cinq fois et pourquoi pas vingt-quatre ou trente-sept ? Pourquoi pas quarante si on revient aux années 60 ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. Pourquoi pas 200 !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. D’ailleurs, là n’est pas le plus déterminant. Le plus déterminant, c’est tout simplement une question de principe.

M. Marcel Rogemont. Et le bouclier fiscal ? Pourquoi 50 % et pourquoi pas 30 % ou 10 % ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. L’État a-t-il une légitimité pour fixer dans la loi l’existence d’un plafond des rémunérations ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

C’est précisément cette question de principe qui nous oppose. Nous ne croyons pas que ce soit à la loi de fixer le plafond des rémunérations. D’ailleurs, je croyais que la question avait été tranchée en 1989. Depuis cette date, en effet, on sait qu’une économie administrée ne fonctionne pas. La chute du mur de Berlin nous l’a suffisamment prouvé. (Rires et vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Caricature !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je vous réponds très clairement sur ce point : nous vivons, comme le souhaitent nos concitoyens, dans une économie et un pays libres, où l’État de droit respecte les activités privées soumises à la régulation.

M. Henri Emmanuelli. Vous savez que c’est faux ! C’est l’État qui paie !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. La frontière a été tracée en son temps par les philosophes du droit naturel : relisez Locke et Montesquieu.

L’article 3 de la proposition de loi prévoit d’interdire l’attribution des stock-options dans les sociétés bénéficiant du soutien de l’État. L’idée me paraît juste,…

M. Philippe Vuilque. Alors ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …si juste que nous l’avons mise en œuvre, sans passer par la loi, sans déranger tout le monde, par un simple décret du 30 mars 2009,…

M. Philippe Vuilque. Il n’y a rien dans ce décret !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …puis par un amendement à la loi de finances rectificative du 20 avril, que vous n’avez pas votée, à la différence de la majorité (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP), et que nous avons complétée, le jour de sa publication, par un décret d’application. Reportez-vous au décret du 30 mars, à la loi de finances rectificative du 20 avril et au décret d’application publié le jour même.

M. Philippe Vuilque. Et alors ? Ces textes n’ont rien changé ! Ces pratiques continuent d’avoir cours !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Peut-être, mais si vous proposez un jour ce contre quoi vous vous êtes élevés la veille, personne n’y comprendra plus rien, même si nous finissons par nous mettre d’accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Vergnier. Caricature !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. J’en viens à l’action entreprise par le Gouvernement pour lutter contre les abus en matière de rémunération.

Le problème, dont un certain nombre de journaux se sont fait l’écho, est non que les bons dirigeants soient rémunérés de manière importante, mais que les mauvais dirigeants le soient trop. La meilleure réponse à ce problème tient dans les mesures que nous avons mises en œuvre dans deux textes : la loi NRE et la loi TEPA. Toutes deux se fondent sur le même principe de régulation : celui de la transparence, c’est-à-dire de l’information du conseil d’administration et de l’autorisation de l’assemblée générale des actionnaires.

M. Michel Delebarre. Leurs membres se soutiennent entre eux !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. La loi TEPA du 21 août 2007, que vous n’avez pas votée, a déjà encadré les indemnités de départ ou les parachutes dorés…

M. Frédéric Cuvillier. Quelle réussite !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …en formulant un principe simple : l’interdiction de verser des indemnités de départ quand elles ne sont pas la contrepartie de performances appréciées selon des critères déterminés à l’avance et approuvés par le conseil d’administration.

M. Marcel Rogemont. Au regard de ces critères, des millions d’euros ont été versés de manière injustifiée !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous avons par la suite obtenu que l’AFEP et le MEDEF rédigent un code éthique sur la rémunération des dirigeants. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Dumont. Ah, l’éthique du MEDEF !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. L’opposition a-t-elle jamais pensé à introduire une telle mesure dans la loi ?

Ce code interdit le cumul entre contrat de travail et mandat social, plafonne le montant des indemnités de départ à deux années de rémunération et interdit le versement d’indemnités de départ en cas de départ volontaire ou d’échec.

Je n’ai pas peur de dire que nous préférons le contrat à la contrainte, et la régulation à la réglementation. Si les acteurs eux-mêmes peuvent fixer des règles qu’ils respectent, pourquoi ne pas les laisser opérer ?

Ce code éthique fait l’objet d’un suivi précis. J’ai demandé à l’Autorité des marchés financiers de veiller attentivement à sa mise en œuvre. L’AMF a établi un premier bilan début 2009 et publiera en juillet un rapport complet sur son adoption par l’ensemble des sociétés cotées par le CAC 40 et le SBF 100.

Récemment, le Gouvernement a complété ce dispositif pour les entreprises qui bénéficient d’un soutien de l’État, par les décrets du 30 mars et du 20 avril. Ceux-ci interdisent l’attribution de stock-options et d’actions gratuites aux dirigeants des entreprises que nous soutenons, les rémunérations variables, quand elles ne sont pas la contrepartie de performances vérifiées selon des critères fixés à l’avance, et toutes celles qui seraient fondées sur la seule performance du cours de la bourse. Ils proscrivent aussi les rémunérations variables ou les indemnités de départ, chaque fois que l’entreprise procède à des licenciements de forte ampleur ou recourent de manière massive au chômage partiel. Ils interdisent enfin tous les régimes de retraite chapeau, ainsi que leur extension à de nouveaux bénéfices ou à de nouveaux bénéficiaires.

En vue de compléter ce dispositif, Brice Hortefeux et moi-même avons écrit aux associations représentatives des entreprises pour leur demander de mettre en place un comité des sages. Celui-ci sera chargé de se prononcer sur le caractère adéquat des rémunérations des dirigeants, en particulier dans les situations visées par le décret : licenciements de grande ampleur ou recours au chômage partiel important.

M. Christian Paul. S’ils étaient vraiment sages, cela se saurait !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Les associations travaillent à la préparation de ce comité, qui devra servir de boussole aux entreprises pour adopter des politiques de rémunération.

M. Christian Paul. C’est une plaisanterie ! Il faut une loi, pas une boussole !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous serons fixés la semaine prochaine sur sa composition comme sur les modalités de sa saisine. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Grâce à ces mesures, nous disposons aujourd’hui d’un dispositif complet et strict d’encadrement des rémunérations pour l’ensemble des entreprises qui bénéficient du soutien de l’État. Il s’applique à toutes les entreprises – notamment à celles du secteur automobile – dans lesquelles ont investi la Société de prise de participation de l’État, la Société de financement de l’économie Française ou le Fonds de développement économique et social.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les raisons pour lesquelles ni l’article 2 ni l’article 3 de la proposition de loi ne me semblent justifiés.

M. Frédéric Cuvillier. Elles sont mauvaises !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous avons mis en place un mécanisme de contrôle qui préserve le juste équilibre et privilégie la raison en préférant le contrat et la confiance à la contrainte et à la défiance.

Mme Laurence Dumont. C’est pathétique !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Venons-en à l’article 1er de la proposition de loi, relatif au bouclier fiscal.

Ainsi que nous l’avons constaté, au fil des débats et des séances de questions d’actualité, celui-ci est devenu pour l’opposition une véritable obsession.

Mme Marylise Lebranchu. Oui !

M. Patrick Roy. Supprimez le bouclier fiscal !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Elle a proposé des dizaines de fois de le supprimer. Pour nous, il s’agit d’un instrument de compétitivité économique. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je veux le démontrer.

M. Patrick Roy. Supprimez le bouclier fiscal !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le bouclier fiscal est une mesure de juste équilibre et une mesure efficace. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. Supprimez le bouclier fiscal ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Oui, un plafonnement des impôts directs à 50 % est une mesure de juste équilibre.

M. Patrick Roy. Supprimez le bouclier fiscal !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Même si nous ne sommes pas d’accord sur l’analyse de l’exemple allemand – mais je serais heureuse d’ouvrir ce débat avec vous, monsieur le président de la commission des finances –, cette règle possède une valeur constitutionnelle chez plusieurs de nos voisins. À mon sens, le fait que personne ne soit obligé de travailler plus d’un jour sur deux pour l’État ne me paraît pas une mesure de grande injustice. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Frédéric Cuvillier. C’est une cause perdue !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Nous avons parlé de l’Allemagne ; venons-en à l’Espagne et à la Finlande. Je pourrais également vous parler du Danemark et de la Suède. (« Et pas du Mexique ? » sur les bancs du groupe SRC.)

Auparavant je vous fais remarquer que, si, comme vous l’indiquez, le bouclier fiscal n’est mis en œuvre dans aucune des législations étrangères, c’est qu’elles ne prévoient pas non plus l’impôt sur la fortune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) La France n’est donc pas, à cet égard, un exemple isolé.

M. Frédéric Cuvillier. L’argument est faible !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. L’Espagne, dont le Gouvernement est socialiste,…

M. Patrick Roy. Eh oui !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …disposait, comme la Finlande, d’un plafonnement des impôts directs lorsque l’impôt sur le patrimoine y était encore en vigueur. Mais celui-ci a été supprimé en 2008 par le gouvernement socialiste, comme il a été supprimé en Finlande en 2006.

En Espagne, lorsque le montant de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune excédait 60 % du montant de la base imposable à l’IR, la cotisation de l’impôt sur la fortune était réduite à proportion, la réduction du montant de l’impôt sur la fortune ne pouvant excéder 80 % de la cotisation avant plafonnement. Le même mécanisme s’appliquait en Finlande. On ne peut donc pas prétendre qu’il n’existait pas de bouclier fiscal chez nos voisins.

M. Michel Vergnier. Ce ne sont pas les mêmes bases !

M. Michel Delebarre. Elle rame !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Peut-être est-ce exact en Allemagne, en tout cas selon votre interprétation, mais pas en Espagne ou en Finlande, du moins, je le rappelle, si l’on se reporte à l’époque à laquelle l’impôt sur le patrimoine n’avait pas été supprimé.

Au nom de l’unité nationale, ne cherchez donc pas à stigmatiser les contribuables qui exercent leur droit de restitution. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Mme Laurence Dumont. Incroyable !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Permettez-moi à présent de vous citer quelques chiffres, comme vous l’avez fait tout à l’heure.

Chaque fois qu’une demande de restitution est formulée, celle-ci correspond à un volume d’impôt versé par le contribuable largement aussi important que la somme remboursée. Ainsi, sur les 458 millions remboursés, 1,1 milliard d’impôt avait été versé au préalable. On ne peut regarder la moitié de l’équation en oubliant l’autre.

M. Marcel Rogemont. Et alors ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Et alors ? Cela signifie tout simplement, monsieur le député, que, si une restitution est intervenue, c’est que des sommes considérables avaient été payées à l’État. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Madame la ministre, il faut vous acheminer vers votre conclusion.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Quant aux 834 contribuables qui concentrent 307 millions d’euros de remboursement, et sur lesquels s’acharne l’opposition…

Mme Marylise Lebranchu. En effet !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …au motif qu’ils seraient les plus riches, ils avaient déjà payé 585 millions d’euros.

M. Michel Vergnier. N’est-il pas normal qu’ils paient leurs impôts ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Puisque vous agitez des chiffres dans un sens, vous devriez considérer aussi l’autre aspect de la question, même si cela vous dérange.

Oui, le bouclier fiscal est une mesure de juste équilibre. Je rappelle au passage que deux tiers de ceux qui en bénéficient sont des personnes modestes, qui perçoivent un revenu inférieur à 1 000 euros par mois. (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Dans ce cas, certes, les restitutions sont faibles, je ne le discute pas, mais il n’empêcheque deux tiers des bénéficiaires sont des personnes à revenus modestes.

M. Michel Ménard. En somme, le bouclier fiscal est une mesure en faveur des pauvres ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Cette justice fiscale, nous y sommes attachés, à tel point que, à la fin de l’année dernière, nous avons plafonné plusieurs niches qui permettaient à certains de s’exonérer complètement de l’impôt sur le revenu. Aucun gouvernement auquel avait participé l’opposition actuelle ne l’avait fait.

Le vrai problème, dans notre pays, était non que les impôts d’un citoyen ne dépassent pas 50 % de ses revenus, mais que certains puissent se dispenser totalement de l’impôt alors qu’ils bénéficient de revenus et d’un patrimoine important. Or cette situation, c’est nous qui y avons mis fin. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

D’ailleurs, en matière de niches fiscales, les socialistes ont la mémoire bien courte.

M. Michel Delebarre. Ah ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Les plus belles niches fiscales, celles dont ont bénéficié ceux qui perçoivent des stock-options, ont en effet été instaurées par la gauche de l’hémicycle. (Applaudissements puis huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Sapin. C’est faux !

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Paul Anciaux. Scandaleux !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le bouclier fiscal est par ailleurs une mesure efficace.

M. Jérôme Cahuzac. Pour ses bénéficiaires, je vous l’accorde !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Si l’on regarde attentivement les chiffres, notamment pour l’année 2007, où il a été mis en œuvre, on s’aperçoit que les départs du territoire ont baissé de 15 %, tandis que les retours ont augmenté de 10 %. Les chiffres sont à votre disposition. Vous pouvez les vérifier.

M. Frédéric Cuvillier. Mais alors, où est Johnny ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Posez la question aux banquiers qui gèrent les patrimoines de ceux dont nous sommes heureux de taxer les revenus. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Philippe Vuilque. Nous ne les connaissons pas !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Ils vous répondront que, grâce au bouclier fiscal, nous avons mis un terme à un certain nombre d’exodes fiscaux dont certains étaient coutumiers.

Mme Marylise Lebranchu. Pourtant, Johnny n’est pas revenu !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je serai heureuse de commenter ces chiffres avec vous, la commission des finances le sait.

Nous croyons à la responsabilité des opérateurs, à la régulation, au contrat, bien plus qu’à la défiance et à la contrainte ou, pire encore, au retour en arrière, fût-ce aux années 60 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Henri Emmanuelli. C’est en 1936 que l’on est en train de revenir, pas aux années 60 !

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement, sur le fondement de l’article 58, alinéa 1.

Rappels au règlement

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Tout le monde a pu apprendre il y a quelques instants que le président du groupe UMP, M. Jean-François Copé, entendait défendre une exception d’irrecevabilité.

M. Christian Paul. Scandaleux !

M. Jean-Marc Ayrault. Il est déjà prêt à le faire puisqu’il a son papier entre les mains et s’est avancé afin de pouvoir sauter à la tribune pour en finir le plus vite possible, avec une motion qui essaiera de démontrer que la proposition de loi socialiste est anticonstitutionnelle. M. Copé a décidé – c’est une première sous la Ve République (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) – qu’il n’y aurait même pas de discussion générale.

Vous refusez le débat avec les députés du groupe SRC.

M. Daniel Mach. Oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez décidé d’en finir, tout simplement ! (« Oui ! Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur Copé, vous qui avez été un ardent défenseur de la réforme constitutionnelle, vous en montrez là le vrai visage, lequel sera, dans quelques semaines, celui du nouveau règlement que vous voulez imposer. Ce que vous appelez la coproduction législative, c’est tout simplement vous et l’Élysée, et une opposition muselée !

Vous voulez nous faire taire (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP), nous empêcher de montrer que vous menez une politique conservatrice, une politique de droite, antisociale. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.– Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Et vous entendez le faire la veille de la fête des travailleurs, le 1er mai ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Nous n’acceptons pas que nos collègues inscrits dans la discussion générale ne puissent s’exprimer parce que vous souhaitez imposer le fait majoritaire. Nous continuerons à dénoncer l’injustice sociale du bouclier fiscal, qui est un véritable scandale. Mais nous voulons également plafonner les salaires des dirigeants, supprimer les stock-options et les parachutes dorés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Charles de La Verpillière. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Marc Ayrault. Ne croyez-vous pas qu’il y ait de l’indécence à laisser perdurer ce système ? Ne croyez-vous pas également qu’il y ait une formidable hypocrisie de la part de la droite, de l’UMP, de M. Copé, du Gouvernement, de M. Sarkozy, lequel ne cesse de répéter dans les discours aux médias, pour amuser la galerie, que le libéralisme est le mal (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP), alors que le Gouvernement et la majorité, quand il s’agit de changer les règles, font tout le contraire ! Telle est la réalité de votre politique ! (Pendant que l’orateur poursuit, les députés des groupes SRC et GDR se lèvent et applaudissent longuement. – Claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP.)

Il y a quelques heures, nous avons vu Mme Lagarde, ministre de l’économie, se ridiculiser et ridiculiser la France en arborant à la télévision américaine un béret. Il ne manquait plus que la bouteille de vin rouge et la baguette de pain.

Madame la ministre, quand vous êtes à la tribune de l’Assemblée nationale, ce n’est pas le béret ni la baguette de pain que vous arborez, mais le costume que vous n’avez jamais quitté, celui que vous avez revêtu dès vos prises de fonction : le costume de Guizot, de cette France dure de l’« enrichissez-vous » et tant pis pour les autres ! (Les députés des groupes SRC et GDR, toujours debout, reprennent leurs applaudissements. – Claquements de pupitres et protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Nous n’acceptons pas cette politique. Nous sommes là pour la combattre, mais aussi pour faire des propositions. Les propositions de loi sont là pour ça.

Comme vous voulez bâillonner l’opposition, à la veille même d’un débat sur le règlement de l’Assemblée nationale, comme nous constatons que, à chaque heure qui passe, les règles sont durcies et que, demain, nous ne pourrons plus parler ni amender, je demande, parce qu’on ne peut continuer ainsi, une suspension de séance.

Monsieur le président, je vous demande également d’alerter immédiatement le président de l’Assemblée nationale pour convoquer la conférence des présidents. (Toujours debout, les députés des groupes SRC et GDR applaudissent longuement. – Brouhaha sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je voudrais d’abord rappeler à nos collègues de la majorité…

M. Roland Muzeau. Qu’ils respectent la présidence !

M. le président. …que le temps imparti pour un rappel au règlement est de cinq minutes et que M. Ayrault s’est exprimé pendant quatre minutes et trente-trois secondes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

À présent, monsieur Ayrault, permettez-moi de vous apporter quelques précisions quant au règlement.

Son article 91, alinéa 5, prévoit que, à l’encontre d’un texte discuté dans le cadre d’une séance tenue en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution, c’est-à-dire discuté dans le cadre d’une séance réservée à l’ordre du jour fixé par un groupe, il ne peut être mis en discussion et aux voix qu’une seule motion d’exception d’irrecevabilité. La discussion d’une telle motion est donc conforme au règlement, même si elle est inhabituelle. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Boënnec. Président de gauche !

M. le président. La suspension est de droit, mais je vais d’abord donner la parole à des orateurs qui l’ont demandée pour des rappels au règlement.

La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Christian Paul. Calmez vos troupes, monsieur Copé !

M. Jean-François Copé. J’ai bien écouté le rappel au règlement de M. Ayrault, lequel est rapidement sorti du cadre prévu par notre règlement. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En effet, un rappel au règlement doit normalement porter sur celui-ci. En fait M. Ayrault a fait de la politique.

Je m’en tiendrai, quant à moi, au respect du règlement, en disant à M. Ayrault et à ses amis du groupe socialiste que nous sommes venus débattre avec eux de leurs propositions de loi (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), que nous y passerons, comme eux, la journée, et que ce sera pour nous une manière de leur montrer ce qu’ils font vivre à l’Assemblée nationale depuis deux ans.

Nous passerons ainsi une journée qui nous convaincra tous qu’il est grand temps de changer le règlement de l’Assemblée nationale. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP dont de très nombreux députés se lèvent.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Nous avions décidé d’être présents à cette journée d’initiative parlementaire parce que, même si nous n’avons pas cru un seul instant que ces journées apporteraient un plus de démocratie parlementaire, un vote a eu lieu à Versailles, les institutions ont été modifiées, et le règlement suivra.

Ceux qui ont voté cette modification de nos institutions – et ils sont nombreux dans la majorité – ont commis une grave erreur.

Jamais, je crois, il n’y a eu autant d’atteintes au droit de débattre des parlementaires. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Cardo. C’est faux !

M. Roland Muzeau. Si nous étions habitués, dans le cadre des journées d’initiative parlementaire, à ce que le débat soit interrompu avant l’examen des articles, ce qui était déjà un scandale, la discussion générale se déroulait, quant à elle, normalement.

M. Richard Mallié. Vous déposez des motions sur tous les textes !

M. Roland Muzeau. À présent, même la discussion générale vous insupporte, et vous multipliez les manœuvres. Si vous accusez certains de se cacher derrière des rideaux, vous vous cachez, vous, derrière un nouveau règlement, qui supprimera les droits, déjà peu nombreux, qui permettaient aux parlementaires de s’exprimer sur des sujets dont ils pensent, comme nos concitoyens, qu’ils sont de portée nationale.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, quelle responsabilité prendrait le Gouvernement de laisser faire une telle manœuvre, qui nous empêcherait de parler des salariés de Caterpillar, des salariés des banques, des salariés de toute la France, de celles et ceux qui souffrent et voient des chefs d’entreprise, de hauts cadres dirigeants percevoir des rémunérations indues au moment où des milliers d’emplois sont supprimés !

M. Bernard Gérard. Vous êtes des orfèvres de l’obstruction !

M. Roland Muzeau. Il y a trois milles suppressions d’emplois par jour ! Peut-être que cela fait rire certains au sein du groupe UMP (Protestations sur les bancs du groupe UMP), mais ce n’est pas le cas pour nous !

M. Richard Mallié. Provocation !

M. Roland Muzeau. Vous pourriez au moins accepter – mais je ne me fais aucune illusion – que la discussion générale se déroule jusqu’au bout sur cette proposition de nos collègues du groupe SRC, comme cela se passe pour celles du groupe de la majorité. J’espère que vous reviendrez sur cette décision inique que vient d’annoncer le président Copé. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. M. Copé, comme à son habitude, joue sur les mots lorsqu’il dit que nous allons passer la journée à débattre de nos propositions de loi. Il y en a trois. Après la motion qu’il va défendre, la majorité étant théoriquement majoritaire – théoriquement : peut-être avez-vous peur d’être minoritaires –, ce sera terminé. Vous ne débattrez donc pas avec nous, ni dans la discussion générale ni en examinant les articles.

M. Richard Mallié. Vous le faites, vous, sur chaque texte !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Copé, comme j’ai pu le vérifier, une telle chose ne s’est jamais produite sous la Ve République. En fait, depuis la réforme constitutionnelle, vous procédez à l’application anticipée du nouveau règlement.

M. Richard Mallié. C’est le règlement actuel !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous voulez empêcher que s’expriment ici d’autres voix que la vôtre (Protestations sur les bancs du groupe UMP), celle du peuple français, qui attend autre chose que votre politique injuste. Vous êtes en train de tout faire pour empêcher le débat, discréditer l’opposition, caricaturer ses propositions.

M. Richard Mallié. Provocation !

M. Jean-Marc Ayrault. Si j’ai demandé une réunion de la conférence des présidents, c’est parce que la situation est particulièrement grave.

Nous défendons une proposition de loi. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais acceptez au moins que les députés de mon groupe puissent s’exprimer, ceux du vôtre aussi, pour confronter nos points de vue, nos solutions ! Nous passerons ensuite à la discussion des articles ; si vous n’êtes pas d’accord, vous pourrez les rejeter ou les amender. Nous avons même demandé, pour que toute l’Assemblée nationale puisse se prononcer, un vote solennel, lequel devrait normalement avoir lieu mardi prochain. Cela aussi, vous voulez, par cette motion, l’empêcher.

Croyez-vous que cela soit acceptable pour nous et que nous pourrions n’y voir qu’une banalité, une péripétie parlementaire ? Non : c’est une situation politique particulièrement grave, qui met en péril le bon fonctionnement de notre démocratie et empêche que la colère populaire puisse s’exprimer et être relayée pour que nous y apportions des réponses. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Croyez-vous que, demain, dans les manifestations du 1er mai, nous ne dénoncerons pas ce que vous êtes en train de faire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.), tout comme votre hypocrisie et celle du Président de la République, fustigeant le libéralisme mais n’étant jamais au rendez-vous pour le corriger ? En revanche, vous êtes toujours là quand il s’agit de durcir toujours plus les conditions de vie de ceux qui souffrent, perdent leur emploi. C’est cela, votre politique ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Marc Ayrault. En réalité, vous en êtes particulièrement gênés : moins on en parle, mieux c’est !

Monsieur le président, je vous demande une suspension de séance d’une demi-heure. Je souhaite également que vous interveniez auprès du président de l’Assemblée nationale pour qu’une réunion de la conférence des présidents ait lieu avant la reprise. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Christian Paul. Le censeur en chef !

M. Jean-François Copé. Puisque M. Ayrault a repris la parole, je veux le faire à mon tour, pour dire que personne ici n’est dupe de ce jeu de rôles. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Monsieur Ayrault, je vous entends, depuis tout à l’heure, avec des trémolos dans la voix, nous faire un discours que nous connaissons bien.

M. Marcel Rogemont. Arrêtez de cracher sur le Parlement !

M. Jean-François Copé. Vous avez devant vous des hommes et des femmes qui, comme vous, sont demandeurs d’une modernisation de nos conditions de débat. Ce que nous allons faire aujourd’hui, ce n’est rien d’autre que de vivre ensemble la fin de cet épisode qui a commencé il y a quelques semaines et n’a vraiment pas honoré notre assemblée. Je souhaite que ce soit une manière très symbolique de nous dire, ensemble : « Plus jamais ça ! » (Rires et vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Vous verrez aujourd’hui ce que produit le recours à des procédures qui ne font pas avancer le débat : des motions, des demandes de suspension de séance, peut-être des quorums, après tout ? Nous qui ne sommes pas d’accord avec vos propositions, nous allons faire comme vous quand vous n’êtes pas d’accord avec les nôtres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Cela ne sera peut-être pas très constructif, mais ne durera qu’une journée, et cela permettra de bien graver dans la mémoire de chacun ce qu’est ce système ancien que nous voulons transformer.

Et ne nous faites pas, monsieur Ayrault, le numéro de l’opposition muselée, car vous semblez fouler aux pieds les ouvertures considérables que, au nom de notre groupe, je vous ai proposées ! (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)


Ainsi, désormais, l’opposition pose le même nombre de questions que la majorité lors des questions au Gouvernement, alors que vous aviez supprimé ce droit.

Nous avons aussi proposé qu’une parité soit instaurée en ce qui concerne le contrôle et l’évaluation du Gouvernement, mais vous feignez de l’avoir oublié. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La liste serait longue, mais vous avez à chaque fois la même attitude. (Mêmes mouvements.)

Monsieur Ayrault, cette journée à l’Assemblée nationale ne sera pas tout à fait une journée comme les autres. Puisque, depuis deux ans, vous ne faites pas du tout de fond et que vous vous contentez de faire de la procédure (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR) pendant une journée, nous allons faire comme vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Pour le reste, laissez-moi vous dire que je trouve tout cela désolant lorsque l’on sait que le monde doit faire face à une crise financière, économique et sanitaire extrêmement grave ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Gardons bien en mémoire cette dernière journée, et votons ensemble un règlement qui, pour l’avenir, modernisera notre assemblée et fera enfin du Parlement un parlement moderne à l’image des grands parlements du monde. Vous verrez alors que, même vous qui êtes responsable de l’opposition, vous pourrez vous en féliciter, car, en privé, beaucoup de vos amis me disent qu’il est grand temps de changer tout cela. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marcel Rogemont. C’est faux !

M. Jean-François Copé. Nous le ferons avec ou sans vous ! (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault pour un nouveau rappel au règlement. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Copé veut toujours avoir le dernier mot, ce n’est pas mon cas. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Gérard. Alors, pourquoi reprendre la parole ?

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Copé vient de parler d’une « dernière fois » en précisant que, bientôt, il y aurait un nouveau règlement. Mais sait-il exactement de quoi il parle ? En effet, ce que nous faisons aujourd’hui n’est qu’une anticipation du futur règlement : au lieu de débattre d’une seule proposition de loi tous les trois ou quatre mois, une journée complète est désormais réservée par l’ordre du jour aux différents groupes.

M. Jean-François Copé. Grâce à Nicolas Sarkozy ! Et vous n’avez pas voté la réforme constitutionnelle !

M. Jean-Marc Ayrault. Aujourd’hui, nous ne faisons rien d’autre que d’utiliser cette petite parcelle d’initiative parlementaire laissée à l’opposition. Nous avons donc déposé trois propositions de loi dans lesquelles nous proposons, entre autres mesures, de supprimer le bouclier fiscal.

M. Michel Herbillon. C’est du théâtre !

M. Bernard Gérard. Essayer donc d’être constructif, cela marche aussi !

M. Jean-Marc Ayrault. Que le groupe socialiste, radical et citoyen ait l’opportunité pendant une journée entière de démontrer qu’il propose et ne se contente pas de critiquer la politique du Gouvernement et de s’y opposer, bien sûr, cela gêne M. Copé.

Quand il dit que bientôt nous aurons un « Parlement moderne », cela signifie-t-il que le maigre droit que nous exerçons aujourd’hui en défendant trois propositions de loi nous sera aussi retiré ? C’est, en tout cas, ce que je crois comprendre.

C’est bien le fond qui nous intéresse aujourd’hui : les rémunérations des dirigeants, celles des salariés, la protection des chômeurs, les libertés publiques, ou encore la justice sociale et fiscale. Nous avons la responsabilité de parler de ces sujets, et nous voulons continuer à le faire, malgré la menace et malgré la violence de vos propos.

Monsieur Copé, je peux imaginer votre amertume et votre colère après l’humiliation du 9 avril dernier mais, je le dis solennellement devant tous les députés, ce n’est pas une raison pour aller aussi loin. Depuis une semaine, délibérément, vous avez décidé de créer de la tension et d’ajouter de la tension à la tension. Mardi, vous êtes allé jusqu’à l’insulte ; vous avez recommencé mercredi, et vous continuez aujourd’hui ! Je vous mets en garde.

M. Michel Herbillon. Arrêtez de donner des leçons !

M. Roland Muzeau. Ce sont des méthodes de voyou !

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande une réunion de la conférence des présidents car il me semble que le devoir de la présidence est de faire en sorte que notre débat puisse se dérouler dans le respect des convictions des uns et des autres. Or ce ne sera pas le cas si l’on empêche les députés de parler.

Je rappelle à tous les députés…

M. Michel Herbillon. Respectez le règlement !

M. Jean-Marc Ayrault. …qu’il était prévu que nous débattions après les interventions du rapporteur, Pierre-Alain Muet, puis du président de la commission des finances, M. Didier Migaud et de Mme Christine Lagarde.

Nous en sommes à ce stade, et vous avez parfaitement le droit constitutionnel de déposer une motion d’exception d’irrecevabilité, (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. Tout de même !

M. Jean-Marc Lefranc. Et voilà !

M. Robert Lecou. Le règlement ne profite pas qu’à l’opposition !

M. Jean-Marc Ayrault. Néanmoins, dans le cadre d’une initiative parlementaire, nous savons bien que l’adoption d’une motion de procédure arrêterait le débat. Or nous devions entendre ensuite les interventions des députés de la majorité et de l’opposition dans la discussion générale, puis passer à la discussion des articles. Parmi les amendements déposés, nous devions même examiner des amendements du rapporteur général, M. Gilles Carrez. Mais de tout cela, il ne pourra être question ; telle est la conséquence de la manœuvre de procédure de M. Copé.

M. Jean-Paul Anciaux. Et les cinq minutes ?

M. Jean-Marc Ayrault. Il n’en est peut-être pas fier mais, une fois de plus, il fait de la procédure et clame que les socialistes n’ont rien à dire et se contentent de critiquer le Gouvernement. (« Cinq minutes ! » sur les bancs du groupe UMP.) Nous continuerons pourtant de parler et si vous nous en empêchez ici, nous le ferons dans le pays.

Oui, les socialistes proposent. Ils veulent aussi être une alternative à la politique réactionnaire et antisociale de casse des services publics menée par la majorité et le Président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à onze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

M. Jean-François Copé. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Roland Muzeau. Encore ? Vous abusez ! C’est de l’obstruction !

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roland Muzeau. Putschiste !

M. Jean-François Copé. Monsieur le président, nous souhaitons que cette journée un peu particulière…

M. Christian Paul. C’est la journée de l’arrogance !

M. Jean-François Copé. …soit pour nous l’occasion de méditer sur la manière dont nous pourrions moderniser en profondeur nos méthodes de travail. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ainsi, comme vous l’aurez compris en écoutant le message que j’ai adressé tout à l’heure à mon collègue Jean-Marc Ayrault,…

Mme Laurence Dumont. On a compris qu’il ne servait à rien de s’opposer !

M. Jean-François Copé. …nous entendons illustrer, en l’espace d’une journée, ce que l’opposition fait vivre à notre assemblée depuis deux ans : pas de fond, mais beaucoup de procédure !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Ben voyons !

M. Jean-François Copé. Car n’allez pas croire que le choix des textes proposés par les socialistes aujourd’hui ait un quelconque rapport avec un débat de fond…

M. François Pupponi. Oh !

M. Jean-François Copé. Il s’agit de trois sujets dont nous avons débattu pendant des semaines et sur lesquels tout a été dit – d’autant qu’ils correspondent à des engagements que le Président de la République a pris devant les Français et qu’il a tenus.

Mme Marylise Lebranchu. Non !

M. Jean-François Copé. Le moins que l’on puisse est que nous sommes fidèles à ces engagements. Les débats vont donc se poursuivre, au cours desquels nous montrerons aux socialistes la palette des outils qu’ils utilisent depuis deux ans,…

M. Guy Geoffroy. Une bien belle palette !

M. Jean-François Copé. …afin que chacun puisse méditer, je le répète, sur la manière de moderniser les travaux de notre assemblée.

C’est pourquoi, après en avoir longuement parlé avec mes collègues et amis du groupe UMP, nous avons décidé de retirer notre exception d’irrecevabilité. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Nous passerons donc la journée ensemble, mes chers collègues : certains siégeront, puis partiront, puis reviendront, comme cela se fait lorsque l’on ne veut pas donner une image digne de l’Assemblée. Mais surtout, nous voulons montrer aux Français combien tout cela est décalé…

M. Christian Paul. Quelle marionnette !

M. Jean-François Copé. …par rapport à la priorité que nous nous sommes fixée : nous mobiliser pour répondre aux préoccupations de nos compatriotes et lutter contre une crise financière et économique particulièrement grave, mais peut-être aussi contre une crise sanitaire qui exigerait un véritable esprit de rassemblement, loin de la polémique à laquelle se livre l’opposition depuis ces dernières semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, nous retirons donc notre motion de procédure, afin que les socialistes puissent discuter de ce texte. Quant aux orateurs du groupe UMP, ils ne s’exprimeront pas lors de la discussion générale, puisque nous avons déjà tout dit sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Paul. Quelle comédie pitoyable !

M. le président. Monsieur le président Copé, j’ai bien pris note du retrait de votre exception d’irrecevabilité.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je prends acte du recul de M. Copé. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le groupe SRC lui avait demandé solennellement de retirer son exception d’irrecevabilité ; il l’a fait. Rappelons que si elle avait été défendue et adoptée – comme le président du groupe UMP le souhaitait encore il y a quelques minutes –, elle aurait mis fin à notre discussion et à l’examen du texte.

M. Henri Emmanuelli. Bande de brutes !

M. Jean-Marc Ayrault. Or c’est l’honneur du Parlement que de débattre et de permettre à ses membres de confronter leurs propositions. Et des propositions, nous en avons ! Nous allons donc poursuivre l’examen de notre texte sur le bouclier fiscal, les parachutes dorés, les stock-options et les rémunérations des dirigeants ; nous vous soumettrons d’autres textes sur les salaires et sur la situation des chômeurs.

Nous avons le droit de les défendre. Ce n’est pas parce que le Président de la République a pris des engagements avant de se faire élire que rien ne doit être modifié. Vous avez le droit de rester fidèles à ces engagements, mais vous avez aussi le devoir de tenir compte de ce qui se passe dans le pays et dans le monde. Or nous traversons une crise financière, économique, fiscale et sociale, qui nécessite que d’autres mesures soient prises. C’est ce que nous proposons parce que nous, nous voulons être en phase avec les préoccupations du pays.

Alors, passons à la discussion générale, puis à la discussion des articles. Nous sommes venus pour cela, et nous irons jusqu’au bout, pour défendre les propositions des socialistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Application de l’article 96 du règlement

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Christian Paul. Il n’a plus de boussole !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, compte tenu des circonstances dans lesquelles se sont engagés les débats ce matin, du climat tendu qui règne dans l’hémicycle et du temps qui passe, le Gouvernement estime que les conditions ne sont pas réunies pour débattre sereinement des propositions de loi. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) Il n’est sans doute pas utile de prolonger de telles tensions, qui pourraient nuire à la qualité de vos débats d’aujourd’hui. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Dès lors, monsieur le président, le Gouvernement demande, en application de l’article 96 du règlement, la réserve du vote de l’ensemble des articles et des amendements des trois propositions de loi inscrites aujourd’hui à l’ordre du jour.

M. Henri Emmanuelli. Vous êtes malade !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Nous nous retrouverons ainsi, comme convenu au cours de la conférence des présidents, pour le vote solennel – demandé d’ailleurs par le groupe socialiste – sur les trois propositions de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christophe Caresche. Vous avez peur !

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, la réserve du vote demandée par le Gouvernement est de droit. Nous ferons donc ce que le règlement de l’Assemblée nous impose à tous.

M. Patrick Ollier. Pas le règlement, la Constitution !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le secrétaire d’État, cela signifie-t-il que vous ne voulez pas que nous passions à la discussion des articles ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Pas du tout.

M. Jean-Marc Ayrault. Nous nous prononcerons donc lors du vote solennel que le groupe SRC a demandé et qui aura lieu mardi prochain.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Absolument !

M. Jean-Marc Ayrault. Eh bien, chacun prendra ses responsabilités. Le vote aura bien lieu, malgré vos petites manœuvres. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Si c’est cela que vous appelez apaisement, monsieur Karoutchi, je n’y comprends décidément plus grand-chose. Mais allons-y, commençons, monsieur le président ! (Plusieurs députés du groupe UMP se lèvent et commencent à quitter l’hémicycle.)

M. Marcel Rogemont. Ils fuient !

M. Christian Paul. Vous pourriez tout de même assister aux débats : vous êtes payés pour cela !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Bon week-end !

M. Jean-Marc Ayrault. Par ailleurs, je rappelle que, puisque nous avons demandé un vote solennel sur ces propositions de loi, celles-ci seront de fait inscrites à l’ordre du jour obligatoire de la semaine prochaine. En conséquence, mesdames, messieurs de l’UMP, vous ne pourrez pas échapper au vote sur le bouclier fiscal, ni expliquer dans vos circonscriptions que vous n’avez pas pu y participer ; ce sera intéressant.

Enfin, je souhaiterais revenir sur ce qui a été convenu entre le président Copé et le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. La réserve du vote dispense Mmes et MM. les membres de l’UMP de rester à l’Assemblée : ils peuvent repartir allègrement dans leurs circonscriptions ! Il est vrai qu’obliger les députés UMP – dont le nombre de présents ne dépasse généralement pas quinze sur trois cent dix – à venir à l’Assemblée nationale une semaine complète, c’est leur imposer une épreuve insupportable ! Voilà pourquoi la réserve sur le vote a été demandée : il fallait les ménager et leur permettre de retourner chez eux ! Eh bien, nous, nous restons, pour défendre nos convictions, que le vote ait lieu ou non. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – De nombreux députés du groupe UMP quittent l’hémicycle.)

Mme Marylise Lebranchu et M. Christian Paul. Bon week-end !

M. Jean-Michel Ferrand. À mardi !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Cahuzac. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jérôme Cahuzac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis, au nom de mon groupe, que la discussion générale puisse avoir lieu, ne serait-ce que pour que se tienne ce débat ; un débat que tous, quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégions, nous appelons de nos vœux, mais que nous avons quelques difficultés à aborder véritablement.

Cette proposition de loi comporte trois articles – et non deux, comme vous l’avez cru, madame la ministre –, chacun d’entre eux justifiant un débat parfaitement légitime qui n’a rien de médiocre. Certes, les uns et les autres, nous avons sur ces sujets des positions différentes ; mais cela n’a rien de surprenant dans une démocratie. Au demeurant, si le premier des droits de la majorité est de faire prévaloir son vote, cela ne l’oblige pas à faire montre d’inélégance, quelle que soit la forme que celle-ci puisse prendre.

M. Pierre Bourguignon. Très juste !

M. Jérôme Cahuzac. J’en resterai là, en ce qui concerne la tournure que nos débats ont pu prendre jusqu’alors.

Le premier article de la proposition de loi a trait au bouclier fiscal. Il me semble que le débat sur ce dispositif n’a jamais eu lieu, car la véritable finalité de celui-ci n’a jamais été réellement assumée ni par la majorité, ni par le Gouvernement. En vérité, nous savons que, sur ces bancs, une majorité existe pour supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune. Mais vous n’avez pas eu le courage politique de le faire, bien que vous en ayez eu l’occasion et la possibilité à l’été 2007, préférant utiliser un moyen détourné : le bouclier fiscal.

Ainsi, si le débat sur le bouclier fiscal prend parfois une tournure un peu curieuse, c’est parce qu’aucun des responsables de la majorité – pas plus le président de l’UMP que ses porte-parole ou les membres du Gouvernement – n’a jamais eu le courage de dire publiquement ce qu’au fond, il pense – et c’est son droit –, à savoir que l’impôt de solidarité sur la fortune doit être supprimé. Débat étrange : lorsque nous vous démontrons les aberrations et les errements auxquelles le bouclier fiscal aboutit, vous nous apportez des réponses insatisfaisantes en ce qu’elles ne vous permettent pas de démontrer votre volonté de supprimer cet impôt.

Il est vrai que le bouclier fiscal est extrêmement difficile à défendre. D’où l’argumentation curieuse, et d’ailleurs souvent erronée, qu’utilisent les membres du Gouvernement. Ainsi, selon M. Woerth et Mme Lagarde, un plafonnement identique aurait été mis en œuvre par d’autres pays. Or c’est totalement inexact, ainsi que le président de la commission des finances l’a démontré à propos de l’Allemagne. Du reste, pour répondre à cet argument, Mme Lagarde s’est référée à la suppression par l’Espagne de l’impôt sur la fortune, qui n’a rien à voir avec un plafonnement de la totalité des impôts dus par les citoyens de ce pays.

Oui, mes chers collègues, madame la ministre, nous sommes bien le seul pays au monde où des redevables à l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur la fortune, aux impôts sociaux – CSG, CRDS – et aux impôts locaux bénéficient d’un bouclier fiscal à 50 %. Dans aucun autre pays, je le répète, on ne voit les plus aisés des contribuables ainsi exonérés, et même dispensés de tout effort supplémentaire depuis que la crise a éclaté. Une telle position est indéfendable ; sans doute est-ce pour ne pas avoir à l’assumer que vous préférez suggérer, sans le souhaiter vraiment, un débat sur l’ISF. Comme la plupart des membres de la majorité, vous êtes favorable à la suppression de l’impôt sur la fortune, madame la ministre ; ayez donc le courage politique de proposer cette mesure devant le Parlement : cela nous permettra de prendre connaissance des propositions que vous faites pour compenser le manque de recettes ! Avoir enfin un vrai débat en matière de politique fiscale répondrait à l’attente de bon nombre d’entre nous ; encore faudrait-il pour cela que vous renonciez aux faux-semblants et à cette forme subtile, mais souvent peu élégante, de lâcheté politique, à laquelle vous recourez actuellement.

M. Alain Vidalies. Très bien !

M. Jérôme Cahuzac. Au-delà des arguments que vous avez avancés au sujet de ce qui se fait dans d’autres pays, il est inexact de prétendre que le bouclier fiscal a été mis en place au bénéfice des contribuables modestes : s’ils sont les plus nombreux à en bénéficier, ils sont bien loin d’en profiter autant que les plus aisés de nos concitoyens. Des milliers de Français actionnent le bouclier fiscal et en bénéficient à hauteur de 1 % de la dépense fiscale, c’est-à-dire 4,5 millions d’euros, alors que les cent plus gros contribuables se font restituer 150 millions d’euros, et les huit cent trente-trois premiers 300 millions d’euros ! Mettre en avant les contribuables modestes pour justifier le bouclier fiscal n’est donc qu’une manifestation supplémentaire de l’hypocrisie qui est souvent la conséquence directe de la lâcheté politique.

Vous usez d’un autre argument pour défendre le bouclier fiscal : celui de l’impôt confiscatoire, thème récurrent qui renvoie au spectre de l’égalitarisme, un spectre que tous les gouvernements conservateurs, depuis la Révolution, ont invoqué, et dont Robespierre disait qu’il était un fantôme créé par des fripons pour tromper les imbéciles. En réalité, personne n’est favorable à l’égalitarisme, même si nous savons que les considérables disparités de ressources et de patrimoines sont à l’origine de bien des maux et bien des crimes dans le monde entier. Sans stigmatiser l’opulence, nous sommes néanmoins convaincus que nous devons rendre la pauvreté sinon plus honorable, du moins plus supportable. Pour cela, il ne faut pas attenter au pacte républicain de la juste répartition de la richesse nationale ; or c’est précisément l’effet du bouclier fiscal.

M. Pierre Cardo. Allons !

M. Jérôme Cahuzac. Vous vouliez un débat de fond, mes chers collègues. Je regrette que les bancs de la majorité se retrouvent si peu garnis au moment où nous pouvions avoir ce débat, mais j’attends néanmoins des réponses, notamment de Mme la ministre, sur les points précis que je viens de soulever.

Le deuxième article de la proposition de loi est consacré à la rémunération des dirigeants. Si, sur cette question, vous n’avez pas fait preuve de la même lâcheté politique qu’au sujet de l’ISF, madame la ministre, vos propos comportaient de nombreuses approximations. À vous entendre, plafonner les rémunérations des dirigeants équivaudrait à revenir à une économie administrée. Puisque vous entretenez de bonnes relations avec l’administration du président Obama, je suis sûr que c’est avec tout autant de cœur et de sincérité que vous allez expliquer outre-Atlantique qu’en plafonnant la rémunération des dirigeants, les États-Unis sont passés à une économie administrée qui renvoie à d’autres temps – avant la chute du mur de Berlin – et d’autres lieux. Mais vous ne le ferez pas, car vous savez qu’un tel argument est parfaitement outrancier. Plafonner les revenus des dirigeants d’entreprises n’implique pas le retour à une économie administrée : il suffirait de prendre une loi en ce sens, sans qu’il soit nécessaire de rien modifier par ailleurs. En vous y refusant, vous vous résignez à ce qu’apparaissent, semaine après semaine, de nouvelles révélations sur les rémunérations invraisemblables que s’accordent entre eux certains dirigeants.

Madame la ministre, vous aviez pris du haut de cette tribune des engagements formels au sujet des dirigeants de Dexia, assurant que vous n’accepteriez pas de voir les dirigeants fautifs de cette banque en quasi-faillite empocher, après leur licenciement, des indemnités de départ, des retraites-chapeaux ou des « golden parachutes ». Alors que l’État français est l’un des actionnaires de référence de Dexia, comment expliquez-vous que M. Axel Miller, l’un des principaux responsables de la faillite de l’établissement, parte avec un parachute doré de 835 000 euros ? Pendant combien de temps allez-vous tolérer de voir ainsi bafouer les engagements des principaux membres de notre gouvernement ? Combien de temps encore supporterez-vous de voir vos engagements et les promesses présidentielles ridiculisés de la sorte ? Il en va de l’autorité de l’État : puisque vous avez affirmé que les dirigeants de Dexia partiraient sans compensation d’aucune sorte, empêchez M. Axel Miller de partir avec son parachute doré de 835 000 euros, et M. Pierre Richard avec sa retraite-chapeau qui lui garantit, à vie, 600 000 euros par an ! Mes chers collègues, vous vouliez des éléments précis, je vous les livre, en espérant que l’UMP nous fera part de sa position, au moins sur les cas que j’ai évoqués ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Par ailleurs, le Président de la République n’a pas eu de mots assez durs pour stigmatiser les dirigeants qui partent fortune assurée, alors même qu’ils ont mené leur entreprise à une situation périlleuse. Comment justifiez-vous, madame la ministre, que l’ancien président de l’entreprise Valeo, M. Morin, dont on connaît la situation catastrophique, ait pu toucher une gratification de 3,2 millions d’euros ? Qu’avez-vous dit à cette occasion, madame la ministre ? Rien ! Et ne croyez pas vous en tirer en baissant la tête et en vous affairant à souligner des documents, car j’entends bien obtenir une réponse de votre part !

Parlons également du cas du groupe GDF-Suez, dont l’État est l’actionnaire principal. Pouvez-vous nous dire quelle a été la position des représentants de l’État lorsqu’il s’est agi d’augmenter la rémunération de M. Mestrallet de 15 %, étant précisé qu’il percevait déjà une rémunération fixe de 3,2 millions d’euros ? Qu’a donc fait M. Mestrallet l’année dernière pour mériter une augmentation de 15 %, alors qu’il refuse une augmentation de 0,3 % aux salariés de son entreprise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et qu’a donc fait M. Jean-François Cirelli, qui a augmenté cette année sa rémunération de 183 % – il n’y avait qu’un seul précédent, celui du Président de la République lors de son installation à l’Élysée – et qui lui aussi refuse de lâcher quoi que ce soit sur les salaires ? Ces augmentations indécentes seraient, paraît-il, justifiées par le fait que l’écart de rémunération entre les deux dirigeants de GDF-Suez était trop important. Je m’étonne, madame la ministre, que les représentants de l’État au conseil d’administration n’aient pas suggéré de le réduire en diminuant la rémunération de M. Mestrallet, plutôt qu’en augmentant celle de M. Cirelli ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

En ce qui concerne le groupe EDF où, que je sache, l’État peut encore faire prévaloir ses vues, comment expliquez-vous, madame la ministre, que son président, M. Gadonneix, ait augmenté sa rémunération de près de 10 % ? Qu’a donc fait M. Gadonneix l’année dernière pour mériter cette augmentation de pouvoir d’achat, alors que tous les autres salariés de France ne se voient attribuer que de chiches augmentations, quand elles ne sont pas simplement refusées ?

Vous vouliez du débat, mes chers collègues de la majorité, vous l’avez ! Et puisque le Gouvernement que vous soutenez a laissé procéder à ces augmentations de rémunération alors qu’il avait le pouvoir de s’y opposer, le groupe socialiste vous demandera, lors du vote solennel, de faire part de votre position. Si vous refusez de voter les articles de notre proposition, c’est que vous acceptez ces pratiques. Dans ces conditions, ne les dénoncez plus jamais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Il faut conclure, monsieur Cahuzac.

M. Jérôme Cahuzac. Je conclus en évoquant les stock-options, dont l’esprit a été véritablement détourné. Ce qui à l’origine était un bon moyen, pour les entreprises ne dégageant pas de bénéfices et ne disposant pas de cash, de rémunérer ses salariés avec du papier en espérant qu’il prenne un jour de la valeur, devient une pratique parfaitement illégitime pour des entreprises de plus de cinq ans d’ancienneté et dont les bénéfices sont garantis, dans la mesure où elles sont détentrices de marchés captifs. Interdire ces stock-options ne nous ferait pas revenir à l’économie administrée ; cela permettrait seulement de faire prendre conscience que la disparité des fortunes, des revenus et des patrimoines est source de multiples maux. Se borner à polémiquer et refuser de voir les problèmes auxquels sont confrontés tous les Français, c’est préparer des jours bien malheureux à notre pays. Vous qui appeliez à l’unité nationale, madame la ministre, donnez donc l’exemple en acceptant ces simples mesures de justice et d’équité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons avec cette proposition de loi sur les hauts revenus et la solidarité une question essentielle, celle de la croissance sans précédent des inégalités sociales depuis une dizaine d’années.

Ces inégalités se traduisent d’abord dans les écarts de revenus et de patrimoines, qui se sont creusés de façon si vertigineuse qu’aujourd’hui le centième le plus riche détient à lui seul la moitié du patrimoine financier total, tandis que des millions de nos concitoyens – et ils sont de plus en plus nombreux – se voient, a contrario, condamnés à vivre sous le seuil de pauvreté.

La majorité de droite au pouvoir depuis sept ans porte, à cet égard, une lourde responsabilité. La politique économique conduite durant cette période s’est en effet fixée pour principal, sinon pour unique objectif, la satisfaction des exigences des marchés financiers. La création de valeur pour l’actionnaire est, pour ainsi dire, devenue l’unique critère de l’efficacité économique. La crise que nous traversons aujourd’hui agit comme un révélateur de l’impasse à laquelle nous a conduits votre logique, une logique qui porte en elle la ruine de la plupart dans l’intérêt privé de quelques-uns.

Face aux désastres sociaux du libéralisme sauvage, les Français auraient pourtant pu attendre d’hommes politiques responsables qu’ils se ressaisissent et acceptent enfin d’aborder avec sérieux et détermination la question du mode de financement de l’économie et des moyens à mettre en œuvre pour garantir la défense opiniâtre de l’intérêt général contre les logiques socialement ruineuses du déploiement et de l’emprise croissante des marchés financiers. Nos concitoyens auraient pu espérer que la majorité s’attache à garantir un certain rééquilibrage dans la répartition des richesses qui est le fruit du travail de tous. Or, il n’en a rien été.

Face à la crise actuelle du capitalisme financier, le Gouvernement et le chef de l’État ont choisi de se retrancher derrière les enjeux de moralisation du capitalisme – le coup de force de l’UMP auquel nous avons assisté tout à l’heure était l’illustration de ce comportement. Ce n’est qu’une façon habile et quelque peu hypocrite de faire l’impasse sur les vraies questions et qui ne s’est, du reste, traduite dans les faits que par des mesures d’affichage.

En effet, vous avez en réalité décidé d’opter pour l’attentisme, dans l’espoir que les choses se tasseront, sans prétendre modifier de quelque manière que ce soit les règles qui ont pourtant conduit à la situation où nous nous trouvons. Nous en voyons une première preuve dans votre décision de ne rien changer à votre politique fiscale, qui joue pourtant un rôle majeur dans l’aggravation des inégalités – pour ne rien dire de ses effets désastreux sur l’emploi.

Cette politique n’a eu d’autre objectif, depuis des années, que de faire baisser la fiscalité du patrimoine, de diminuer l’impôt des contribuables les plus riches, au prétexte de l’attractivité de la France. Notre pays n’avait pourtant pas besoin de s’engager dans une concurrence fiscale effrénée avec ses voisins dans l’unique objectif d’attirer sur son sol quelques mercenaires financiers sans foi ni loi, prêts à le quitter demain pour s’installer dans le pays le mieux offrant du moment.

L’imposition des hautes tranches du revenu n’a, au demeurant, jamais joué le rôle démesuré que vous lui prêtez, car son attractivité, la France la doit à la qualité de ses infrastructures, de ses services publics, de son régime de protection sociale, ainsi qu’à la haute compétence de ses salariés. Des éléments d’attractivité que vous vous êtes précisément employés à détériorer en asséchant les comptes publics et sociaux, en amputant l’État des marges de manœuvre qui lui font tant défaut aujourd’hui.

Parmi les nombreuses largesses fiscales accordées aux plus riches figure bien entendu le bouclier fiscal, mécanisme unique au monde de plafonnement de l’imposition des plus hautes tranches, qui a permis aux contribuables les plus riches de bénéficier de baisses d’impôts considérables : les 3 506 contribuables les plus riches de notre pays auront ainsi, cette année, reçu un chèque de l’État d’un montant moyen de 116 193 euros !

Comme le rappelle justement notre rapporteur, l’argument que vous nous assenez selon lequel le bouclier fiscal permet d’éviter qu’un contribuable travaille plus d’un jour sur deux pour l’État ne tient pas. C’est un mensonge, je dirai même que l’argument est honteux et grotesque, puisque les revenus visés par le bouclier fiscal ne sont précisément pas des revenus du travail, mais bel et bien des revenus du patrimoine.

Ce sont les seules impositions sur les revenus du patrimoine que vous avez souhaité baisser ces dernières années, et non celles sur les revenus du travail. On ne compte d’ailleurs plus les niches fiscales que votre majorité a votées en sept ans, uniquement en faveur des détenteurs du patrimoine, autrement dit des rentiers, qu’il s’agisse des mesures de défiscalisation des valeurs mobilières, des mesures visant les droits de succession des seuls ménages les plus riches qui n’en étaient pas encore exemptés, ou encore des diverses mesures de baisses de l’imposition sur la fortune.

Ceux qui n’ont d’autres revenus que le fruit de leur travail, qu’ils soient actifs, privés d’emploi ou retraités, n’ont, eux, connu aucune baisse de leur imposition. La réduction du nombre de tranches de l’impôt sur le revenu, voulue par l’actuel président du groupe UMP alors qu’il était ministre du budget, s’est même traduite dans bien des cas par des augmentations d’impôts. Quels bénéfices ces Français ont-ils tirés de votre politique fiscale ?

Vous n’avez pas davantage entendu remédier au problème sérieux que pose aujourd’hui la répartition des revenus au sein des entreprises. Votre stratégie en la matière, une nouvelle fois, a consisté à favoriser les détenteurs de patrimoine, autrement dit les actionnaires.

Vous vous êtes ainsi toujours refusé à revenir sur l’instrument financier que constituent les stock-options, malgré les préventions de la Cour des comptes. Quant à votre prétendue politique en faveur de l’intéressement des salariés et de la participation, elle n’a eu d’autre effet que d’aggraver les inégalités et d’autre objet que d’accompagner la politique de gel des salaires voulue par la BCE.

Ainsi, le constat s’impose : depuis une quinzaine d’années mais plus encore sur les cinq à six dernières années, les salaires des dirigeants et cadres dirigeants des grandes entreprises ont crû de façon exponentielle, au même titre que les dividendes perçus par les actionnaires, tandis que les salariés se sont continuellement serré la ceinture et, pour bon nombre d’entre eux, perdu leur emploi, au nom des exigences de compétitivité, c’est-à-dire de taux de rentabilité garantissant le versement de juteux dividendes. Il est dans ce contexte fondé de dire que les salaires de nombreux patrons du CAC 40 ont été payés par la suppression de centaines voire de milliers d’emplois.

Cette réalité n’échappe d’ailleurs à personne. Du reste, ce n’est pas seulement la démesure des salaires des patrons qui choque tant de nos concitoyens, mais le fait que des entreprises qui licencient tout en réalisant des profits aient encore le cynisme aujourd’hui de verser des bonus somptueux aux patrons, déficients ou non.

Les dérapages qui ont défrayé la chronique au mois de mars et la défraient régulièrement depuis des années sont le symptôme du pillage des richesses qu’organise la promotion de la seule valeur actionnariat au détriment de la valeur travail. Nos concitoyens ont le sentiment, fondé, que les dirigeants des grandes entreprises et les fonds d’investissement spéculatifs s’enrichissent sur leur dos, que notre société est malade du décrochage entre travail et salaire.

Vous qui proclamez votre attachement à la valeur travail, dès lors qu’il s’agit de faire peser sur les salariés des nouvelles contraintes ou de les priver de leurs droits, que faites vous contre ceux qui ne vivent que de leurs rentes et qui vampirisent l’économie ? Rien. Ou pratiquement rien, si on compare votre politique au volontarisme affiché par des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis.

Il aura fallu la pression de l’opinion publique et un légitime mouvement de protestation populaire de plusieurs semaines pour que vous vous décidiez à agir – sans légiférer pour autant : par simple décret, et un décret dont la portée est du reste fort réduite, puisqu’il ne vaut que jusqu’à 2010 et ne concerne que les bonus des seules entreprises aidées par l’État. Au-delà des six banques et des quatre constructeurs automobiles visés par votre mesure, pour les entreprises aidées indirectement par l’État comme Valéo ou pour celles qui recourent massivement au chômage partiel ou au chômage tout court, c’est le statu quo. Vous avez voulu calmer l’opinion publique par un artifice, en adressant dans le même temps aux grands patrons le message suivant : Attendons que la crise se tasse, et tout pourra recommencer comme avant. Cette posture n’est tout simplement pas acceptable !

Le projet de nos collègues socialistes propose de revenir sur le bouclier fiscal et de limiter la rémunération des patrons des grandes entreprises, de façon à le rendre plus conforme à ce qui se passe dans les PME. S’il ne règle pas toutes les questions soulevées par l’accroissement sans précédent de l’injustice fiscale et de l’inégale répartition des richesses au sein des entreprises – comment le pourrait-il d’ailleurs, dans un temps parlementaire aussi restreint ? –, il propose un premier pas en ce sens. C’est pourquoi les députés communistes républicains le voteront sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Sapin.

M. Michel Sapin. Monsieur le président, mes chers collègues, je me limiterai à quelques remarques, compte tenu des cinq minutes qui me sont imparties et du peu de voix qui me reste…

M. Marcel Rogemont. Mais cela reste une voix socialiste forte !

M. Michel Sapin. La première portera sur le fonctionnement de la démocratie. Il y a deux manières d’éviter le débat démocratique : ou bien l’arrêter, comme M. Copé avait commencé à s’y employer ; ou bien le refuser, et c’est ce que font désormais nos collègues de la majorité. Mais refuser ainsi le débat, c’est faire aveu de sa faiblesse, mesdames et messieurs de la majorité, et vous êtes en faiblesse sur les questions que nous abordons dans cette proposition de loi, et ce pour deux raisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La première, vous le reconnaissez vous-mêmes, c’est que la crise d’aujourd’hui est inouïe par son ampleur et par sa brutalité. Deux chiffres : 25 % de chômeurs de plus en un an ; 35 % de plus chez les moins de vingt-cinq ans. Des chiffres que nous n’avons jamais connus, quels qu’aient été les aléas de la conjoncture depuis une quarantaine d’années. Une crise également d’une brutalité inégalée : toutes les familles, tous les salariés connaissent désormais l’insécurité, lorsqu’ils ne sont pas frappés par les licenciements. Mais dans ce contexte, jamais les plus riches des contribuables français n’ont été autant protégés ni autant avantagés par le mécanisme du bouclier fiscal ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Paul Bacquet. C’est vrai !

M. Michel Sapin. Alors que pratiquement tous les Français sont frappés, jamais les avantages salariaux de toute nature n’auront été aussi importants pour quelques dirigeants. L’injustice fiscale et sociale, l’injustice que constitue la disproportion des rémunérations sont, dans ces conditions, inacceptables et insupportables. C’est pourquoi nous vous proposons, par nos propositions de loi, d’y mettre fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La deuxième raison, c’est que vous vous retrouvez en situation de très grande faiblesse par le fait que vous persistez à traiter la crise comme une simple parenthèse, attendant qu’elle passe pour en revenir à l’état de choses antérieur. Or nous pensons, nous, que c’est dans la crise qu’il convient de remédier à un certain nombre de dysfonctionnements profonds qui en sont à l’origine.

Je ne reviendrai pas en détail sur les dysfonctionnements du système financier international, du système monétaire international – il n’existe même plus ! – ou du commerce international. Je parlerai en revanche de la distorsion des rémunérations entre la base et le sommet de la hiérarchie des entreprises, elle aussi à l’origine du phénomène. À l’image de ce qui existait dans d’autres pays, c’est au cours de ces dernières années que les salaires des grands patrons français ont le plus augmenté. Il faut remédier dès à présent à cette situation, et c’est la raison pour laquelle nous faisons avec ce texte de vraies propositions pour que cessent demain, au sortir de la crise, l’injustice fiscale et l’injustice sociale, insupportables quelle que soit la conjoncture. Tel est le sens de notre proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous refusez le débat, mais vous n’empêcherez pas qu’il ait lieu dans le pays, car ce que nous disons ici n’est que l’écho de ce qu’éprouvent les Français qui nous regardent et qui doivent se battre, jour après jour, pour défendre leur emploi ou obtenir des indemnisations décentes à la suite de leur licenciement. Ces Français qui se battent pour quelques milliers d’euros ne peuvent supporter que certains dirigeants partent avec des centaines de millions. À cette situation, vous ne répondez que par votre absence sur ces bancs, et vous avez tort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Abdoulatifou Aly.

M. Abdoulatifou Aly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais en préambule insister sur l’importance de nos discussions d’aujourd’hui. Dans une démocratie, le respect des droits de la minorité – en l’occurrence de l’opposition parlementaire – et de sa capacité d’initiative et de proposition est une dimension fondamentale.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Abdoulatifou Aly. À cet égard, je ne peux que regretter l’incident de ce matin, même s’il a connu une fin plus positive et constructive. Je forme le vœu que tout cela augure bien de nos nouvelles procédures parlementaires. Autant vous dire que je n’en suis pas tout à fait sûr…

M. Marcel Rogemont. Nous non plus !

M. Abdoulatifou Aly. Sur le fond, j’aborde chacun des trois débats d’aujourd’hui avec la liberté dont se revendiquent les parlementaires du Mouvement Démocrate. C’est donc sans parti pris, sans dogmatisme et en conscience que je me prononcerai sur chacun de ces textes.

Cette première proposition de loi que nous examinons contient deux volets : la suppression du bouclier fiscal et la rémunération des dirigeants d’entreprises recevant des aides publiques. Je m’y intéresserai donc successivement.

Sur le premier point, autant le dire d’emblée : nous partageons les motivations et les conclusions des auteurs de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) François Bayrou était d’ailleurs parmi les tout premiers, en juillet 2007, à dénoncer les dispositions prises dans le cadre de la loi TEPA et dans lesquelles l’injustice sociale le dispute à l’erreur économique.

Injustice sociale, parce qu’il est inconcevable de protéger les plus favorisés de l’effort collectif. Rappelons les chiffres de la mise en œuvre du bouclier fiscal : un peu moins d’un millier de foyers a reçu 300 millions d’euros… ce sont des chiffres choquants ! Déjà injuste en période de croissance, le bouclier fiscal devient véritablement indécent dans la période de crise que nous traversons. Comment expliquer que certains seront exonérés de toute contribution supplémentaire, alors que la situation dramatique de nos comptes publics – 105 milliards d’euros de déficit – appellera inévitablement un effort accru ? Dans notre société fragile, cette situation sera inévitablement vécue comme une provocation.

Erreur économique, dans la mesure où, non content de concentrer la charge fiscale sur les classes moyennes, dont la reprise de la consommation est pourtant un des facteurs de la relance, le bouclier fiscal contribue à priver l’État de marges de manœuvre supplémentaires, au moment où celui-ci doit contribuer à la relance et parfois même lui donner son impulsion.

Votre ami – ou à tout le moins membre de votre majorité – Alain Juppé ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que, dans un contexte de crise, le bouclier fiscal « apparaît difficilement explicable » et qu’il faut le réformer afin d’« envoyer un signal d’équité et de justice ». Il faut plus que le réformer, il faut l’abroger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Sur le deuxième volet du texte, à savoir les articles 2 et 3, j’ai tendance à considérer que la proposition de loi apporte une réponse plus symbolique que vraiment réfléchie à une question importante : la rémunération des dirigeants d’entreprises, et notamment de celles bénéficiant d’aides publiques. Nos concitoyens sont en effet profondément scandalisés par certaines pratiques étalées dans la presse et qui dépassent toute mesure. Aussi est-il prévu, dans deux dispositions s’appliquant aux entreprises recapitalisées par les pouvoirs publics, de plafonner la rémunération maximale à vingt-cinq fois la rémunération la plus basse et d’interdire la remise d’actions aux dirigeants.

J’enregistre ces propositions, qui constituent des pistes de travail, mais en y apportant un bémol : prenons garde à ne pas tomber dans les errements d’une économie administrée ou les illusions d’une économie refermée sur la sphère nationale, dont nous savons qu’elles ont échoué partout où elles ont été mises en œuvre. Il faudra sans doute aller beaucoup plus loin dans la réflexion avant de prendre les décisions qui s’imposent.

La suppression du bouclier fiscal est donc l’idée majeure de ce texte ; c’est sa raison d’être principale. C’est la raison pour laquelle je me prononce globalement en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Faure.

Mme Martine Faure. Nous devons le rappeler encore et encore : notre pays affronte une grave crise économique et sociale, la plus grave qu’il ait connue depuis la deuxième guerre mondiale. Licenciements en cascade, destructions d’emplois par milliers, pouvoir d’achat en constante régression : cette angoissante litanie vous est connue, mais nous devons la redire. Je sais qu’il n’est pas nécessaire de noircir le tableau pour dépeindre l’avenir qui guette des millions de nos concitoyens.

Loin de prendre la mesure de la situation et de la regarder en face, le Gouvernement n’a toujours pas adopté un vrai plan de relance et, plus incroyable encore, continue grâce au mécanisme du bouclier fiscal de protéger les plus favorisés.

M. Patrick Roy. Ses copains !

Mme Martine Faure. Injuste à son origine, le bouclier fiscal est devenu insupportable en période de crise. Tous les Français se sentent menacés, à l’exception de quelques privilégiés définitivement exemptés de toute contribution à l’effort de solidarité nationale par un dispositif qui, par ailleurs, favorise la détention de capital et les comportements d’optimisation fiscale et dont les effets pervers sont indéniables.

M. Pascal Clément. C’est ridicule ! C’est le discours que tenait Georges Marchais il y a vingt ans ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Cela prouve qu’il avait raison il y a vingt ans !

Mme Martine Faure. Je vous dispense de vos commentaires, monsieur Clément.

Alors que le déficit budgétaire dépasse les 100 milliards d’euros, quelque 14 000 heureux contribuables ont été gratifiés d’un remboursement de 458 millions pour l’année 2008, soit une moyenne de 33 000 euros par bénéficiaire. Selon le rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale, et contrairement aux prévisions de Bercy, le bilan du bouclier fiscal révèle « une très forte concentration de la mesure sur les contribuables dont les patrimoines sont élevés ». Les Français non assujettis à l’impôt sur la fortune et bénéficiant du droit à restitution représentent certes 60 % des personnes concernées, mais ils se partagent seulement 1 % du coût de la mesure : une misère !

Ce dispositif coûteux et injuste contribue à réduire la fiscalité applicable à ceux qui disposent des revenus et des patrimoines les plus élevés alors que les rémunérations des dirigeants des grands groupes explosent et que les inégalités salariales s’accroissent de façon vertigineuse.

M. Patrick Roy. Ce sont les copains des ministres, ils les aiment bien !

Mme Martine Faure. Ainsi, les plus fortunés sont assurés d’échapper à tout impôt supplémentaire – comme ce fut le cas lors de l’instauration de la taxe additionnelle à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale destinée à financer le revenu de solidarité active. Dans le même temps, le Gouvernement instaure les franchises médicales qui pénalisent les Français les plus modestes à l’égard d’un droit précieux entre tous : le droit à la santé.

M. Patrick Roy. Supprimez les franchises !

Mme Martine Faure. Le président de la République clame qu’il n’a pas été élu pour augmenter les impôts : cela dépend pour qui ! Il y a en effet une catégorie de Français qui est dispensée de participer à l’effort commun – et c’est précisément cette catégorie-là qui cumule tous les avantages. Mais que se passera-t-il quand la nécessité d’un tour de vis fiscal se fera sentir pour purger la dette publique ? Que se passera-t-il en cas de hausse générale des prélèvements ? L’inamovible bouclier fiscal étendra-t-il toujours sa protection aux plus favorisés de nos compatriotes, quitte à fragiliser toujours plus le budget de la France ?

Le bouclier fiscal est coûteux, injuste, sans effet sur la croissance économique. Il est de plus en plus critiqué, jusque dans les rangs de votre majorité – dont les bancs se sont vidés. Il est devenu le symbole de l’inégalité et il hypothèque lourdement l’avenir. Par la présente proposition de loi, nous en demandons la suppression immédiate. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Nous examinons ce matin une proposition de loi qui répond à une double exigence : mettre un terme aux injustices sociales et fiscales créées par le bouclier fiscal, et encadrer la rémunération de certains dirigeants d’entreprise qui perçoivent des sommes indécentes.

C’est une proposition courte, précise, et ajouterai-je particulièrement bienvenue.

L’article premier vise à supprimer le bouclier fiscal, qui est un pur scandale – un scandale en temps normal, et plus encore un scandale en temps de crise. Il est socialement injuste et économiquement inefficace.

Au moment où la crise économique et sociale exige un effort de solidarité de tous, il est aussi aberrant que scandaleux que les plus fortunés soient exonérés de tout effort et qu’ils ne participent pas à la solidarité nationale.

Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ce ne sont pas les revenus du travail qui sont concernés par ce bouclier fiscal ; ce sont essentiellement les revenus du capital. Les patrimoines supérieurs à 15,5 millions d’euros bénéficient d’une restitution moyenne de 368 000 euros, soit, comme l’a rappelé tout à l’heure notre rapporteur Pierre-Alain Muet, l’équivalent de trente années de SMIC.

C’est d’autant plus ahurissant que ce bouclier fiscal s’applique à tous les prélèvements, CSG et CRDS compris.

Il est temps, madame la ministre, d’y mettre fin, comme l’a démontré chiffres à l’appui notre excellent collègue Cahuzac.

Un autre sujet menace peut-être plus encore la cohésion sociale : c’est cette indécente rémunération des grands dirigeants d’entreprises – entreprises qui ont en outre souvent reçu des aides publiques. Alors que 170 000 de nos concitoyens ont perdu leur emploi depuis le début de l’année, certains grands dirigeants se goinfrent !

M. Roland Muzeau. Oui, ils se goinfrent !

M. Philippe Vuilque. Ils se goinfrent aux frais du contribuable. Il n’existe aucune justification économique à cette dérive, aucune justification par l’intérêt général de l’entreprise.

Le résultat de cette incroyable irresponsabilité est un divorce saisissant entre la société civile et les dirigeants d’entreprise, avec les inévitables risques d’amalgame. Les salariés, l’opinion publique, sont à juste titre écœurés par ces pratiques. Mais ils n’y a pas qu’eux ! Les dirigeants des petites et moyennes entreprises que nous côtoyons sont tout aussi écœurés, alors qu’ils ont les pieds et les mains dans la boue pour maintenir les emplois de leurs salariés. Ils ne comprennent pas cette indécence !

En 2007, la rémunération moyenne des dirigeants mandataires sociaux des cent sociétés françaises les plus importantes a atteint 3 millions d’euros, et 4,7 millions d’euros pour les entreprises du CAC 40. Cette situation ne reflète en rien celle de milliers de chefs de petites et moyennes entreprises. La crise rendait nécessaire chez les principaux dirigeants des entreprises du CAC 40 de la modestie, de la mesure, de la décence – et non une crispation sur des droits acquis. Leur attitude est d’autant plus scandaleuse qu’eux-mêmes n’ont eu de cesse de stigmatiser ce même comportement chez les Français en général et chez leurs salariés en particulier.

Il était donc urgent de réfléchir aux moyens d’intégrer la rémunération et les comportements des dirigeants dans les exigences de la responsabilité sociale, au nom de l’intérêt général.

La réponse qu’ont tenté de donner le MEDEF et le Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux. D’où la nécessité de légiférer.

La tentative d’auto-régulation du MEDEF est un échec patent. La mission d’information sur les nouvelles régulations économiques mise en place par la commission des lois, dont j’ai l’honneur d’être vice-président, a procédé à des auditions : nous avons entendu Mme Parisot, patronne du MEDEF, et M. Fontanet, PDG d’Essilor et co-auteur de la charge éthique du MEDEF. Ces entretiens ont confirmé, outre la gêne – c’est le moins que l’on puisse dire – des responsables du MEDEF, le manque de crédibilité et d’efficacité de règles conventionnelles définies par ceux-là même qui, bien souvent, doivent se les appliquer. Les atermoiements du MEDEF sur la mise en place du comité des sages illustrent, une fois de plus, son efficacité sur le sujet…

Je note d’ailleurs avec intérêt l’évolution de nos collègues de l’UMP au fil des auditions – je pense au président de la commission des lois, M. Warsmann, et au rapporteur M. Houillon – qui ont fini par admettre que cela ne pouvait plus continuer ainsi et qu’il allait falloir légiférer sur le sujet. Saisissez-vous donc, chers collègues, de l’occasion qui vous est offerte aujourd’hui pour faire avancer le débat et faire en sorte que cette situation s’améliore !

La réaction du Gouvernement n’est pas non plus à la hauteur des enjeux. Le décret du 30 mars sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises bénéficiant du soutien de l’État que vous évoquiez tout à l’heure, madame la ministre, est plus un placebo à finalité médiatique qu’une véritable réponse.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Jérôme Cahuzac y faisait allusion tout à l’heure : aujourd’hui, l’Europe commence aussi à réagir et à faire des propositions. Nous devrons prévoir une obligation de transparence sur la rémunération des opérateurs financiers ; nous devrons moraliser davantage les régimes de retraite supplémentaires, mieux encadrer les recours aux stock-options, limiter les fameux golden parachutes et les fameuses retraites chapeaux. Oui, madame la ministre, nous devrons le faire : c’est une nécessité sociale et c’est une nécessité d’intérêt public ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. Nous voulons en fait par ce texte légiférer sur les dérives d’un capitalisme forcené que les gouvernements de droite successifs ont encouragées et amplifiées.

Espérer du capitalisme qu’il devienne intrinsèquement moral – comme vous vous y être encore employée ce matin, madame la ministre – est une illusion. Il ne faut pas compter sur la morale pour corriger les excès du capitalisme, mais sur le droit, les États et la politique. Contrairement aux allégations du MEDEF et du Gouvernement, le capitalisme ne peut se réguler de lui-même. Alors attelons-nous à fixer des limites à ce système incapable d’en produire spontanément !

Il est en effet indécent et inconcevable – plus encore dans la période de crise que nous traversons – de ne pas limiter la rémunération des grands patrons, en progression constante alors même que les licenciements sont innombrables et que l’État renfloue même certaines de ces entreprises. Il est inconcevable de vider les caisses des entreprises pour des rémunérations démesurées, déconnectées de toute performance au détriment de l’entreprise et des salariés. Si l’égalité n’est ni envisagée ni envisageable, rien, absolument rien, ne justifie les écarts indécents que l’on constate entre les rémunérations dans une même société, écarts qui peuvent aller de un à 400 ou 500.

Depuis dix ans, les inégalités en matière de revenus connaissent une explosion sans précédent, accentuée par des mesures fiscales toujours plus favorables aux gros revenus. Le bouclier fiscal en constitue le point d’orgue. Nous vous demandons, au nom de la justice sociale et de la nécessité de sortir notre pays de la crise, de le supprimer.

En effet, la politique fiscale mise en place tout comme la permissivité en matière de rémunération des grands patrons se sont avérées contre-productives. L’incroyable enrichissement de certains dirigeants constitue un accaparement de la richesse créée par l’entreprise au profit d’une infime minorité de ses acteurs – le système de part variable de leur rémunération permettant d’aligner les objectifs des dirigeants sur ceux des actionnaires, avides de profits. On court donc à une déstabilisation d’un système qui amène les dirigeants à se focaliser sur la maximisation des cours pour les actionnaires, ce qui n’est pas forcément compatible avec le développement à long terme de l’entreprise.

La liste est longue. En 2008, on aura ainsi distribué plus de 2,2 milliards de stock-options ou d’actions gratuites. Le PDG de Valeo, pour n’en citer qu’un, touchera plus de 3 millions d’euros quand, dans le même temps, son groupe prévoit la suppression de 1 600 emplois.

M. Roland Muzeau. Voleur !

Mme Laurence Dumont. La liste est longue, alors même que nombre de ces entreprises reçoivent des aides de l’État ou du Fonds social d’investissement.

Même si certains dirigeants ont renoncé à ces avantages extravagants depuis qu’ils ont été annoncés, peut-on honnêtement croire, comme vous, madame la ministre, que la charte d’éthique du MEDEF suffira à rendre les patrons plus raisonnables ?

Mme Marylise Lebranchu. Non, évidemment !

M. Patrick Roy. Les patrons s’en foutent !

Mme Laurence Dumont. Non, bien sûr que non ! C’est le système lui-même qui est mauvais. Il est condamné à ces dérives si nous ne légiférons pas. Ce n’est pas le décret pris a minima par le Gouvernement pour une durée fort limitée, du reste, qui permettra de changer la donne.

Il n’est plus temps de s’indigner : il est temps d’agir.

C’est pourquoi nous proposons d’encadrer de façon pérenne les rémunérations fixes et variables des dirigeants des grandes entreprises. Les Français le souhaitent, l’Europe le préconise, plusieurs pays européens légifèrent déjà à ce sujet et les États-Unis ont pris les choses en main. Il est de notre devoir d’intervenir pour corriger ces excès.

Enfin, le plafonnement des rémunérations fixes et variables doit être accompagné d’une réforme de la fiscalité, seule à même d’encadrer efficacement les hautes rémunérations sur le long terme, cette réforme fiscale devant bien évidemment commencer par l’abrogation du bouclier fiscal.

Madame la ministre, il est toujours utile de le rappeler : le bouclier fiscal vous a permis de faire un cadeau – c’est le mot exact – de 368 000 euros aux quelque 834 contribuables français dont le patrimoine s’élève à plus de 15 millions d’euros : 834 personnes qui ont reçu, chacune, l’équivalent de trente années de SMIC au titre du bouclier fiscal 2008 !

M. Patrick Roy. C’est scandaleux !

M. Pascal Clément. Quelle démagogie !

Mme Laurence Dumont. Or il s’agit parfois de ceux au profit desquels vous refusez aujourd’hui toute réglementation pérenne de leurs rémunérations extravagantes.

Mes chers collègues, je vous le demande sincèrement : n’est-il pas grand temps de revenir à un peu plus de solidarité et de justice dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Madame la ministre, je souhaite répondre à votre intervention en commentant notamment les chiffres de Bercy que vous avez cités, selon lesquels les deux tiers des bénéficiaires du bouclier fiscal sont des contribuables modestes : il faut à mon sens regarder ces chiffres d’une double façon.

Il est vrai que ces deux tiers ne sont pas assujettis à l’ISF, mais il convient aussitôt d’ajouter qu’ils ne perçoivent que 1 % du montant du même bouclier fiscal !

Mme Marylise Lebranchu. Voilà la vérité !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Encore ce montant a-t-il été divisé par deux dans la version « Nicolas Sarkozy » du bouclier fiscal, puisqu’il est passé de 9 millions d’euros à moins de 5 millions. Autrement dit, et vous le savez bien, madame la ministre, 99 % du montant du bouclier fiscal profitent à ceux qui possèdent un grand patrimoine et paient l’ISF. Les injustices que beaucoup sur vos bancs condamnent en privé, et même parfois lors des réunions des commissions, tiennent au fait que le bouclier permet de profiter d’un double bonus : non seulement vous avez pu optimiser votre revenu pour ne plus, ou pratiquement plus payer d’impôt sur le revenu, mais on vous rembourse tous les autres, à savoir les divers impôts sur le patrimoine et même, dans certains cas, la CSG que vous avez ajoutée dans le paquet fiscal de 2007 ! Les seuls qui arrivent à être exonérés de CSG possèdent, parfois, un patrimoine de 15 millions ! C’est tout à fait scandaleux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Trouvez-vous normal, madame la ministre, qu’au moment où on parle de solidarité nationale, les seuls qui échappent à tout effort en la matière soient ceux qui possèdent le plus gros patrimoine ? Je rappellerai un exemple que j’ai cité dans mon rapport : sur deux contribuables qui ont atteint le plafond des niches fiscales, le détenteur d’un patrimoine « normal », si je puis dire, paiera plus d’impôt sur le revenu que le propriétaire d’un énorme patrimoine qui bénéficie du bouclier fiscal ; celui-ci, même après plafonnement des niches fiscales, ne paiera pas un euro supplémentaire d’impôt ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Serge Blisko. C’est invraisemblable ! Incroyable !

M. Pascal Clément. La responsabilité en revient aux niches fiscales, pas au bouclier !

M. Pierre Cardo. Ceux-là au moins paient déjà 50 % d’impôt sur leurs revenus, alors que ceux qui bénéficient à plein des niches ne paient aucun impôt sur le revenu !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Non, c’est le bouclier qui rend inefficace le plafonnement des niches !

Trouvez-vous normal que lorsqu’on dispose d’un patrimoine de 15 millions d’euros et de plus de 40 000 euros de revenus, le fisc vous en rembourse 368 000 ?

M. Pascal Clément. Ils repartiront !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Est-ce normal alors même que, depuis deux ans, vous avez refusé toute augmentation du SMIC ?

Vous nous avez demandé, madame la ministre, la raison pour laquelle nous voulions plafonner la rémunération des grands dirigeants à vingt-cinq fois le SMIC. Pourquoi vingt-cinq ? Rappelons que la rémunération des dirigeants du CAC 40 tourne aujourd’hui autour de 4,7 millions d’euros, soit 300 fois le SMIC, alors que dans les années où l’économie fonctionnait relativement bien, l’échelle était de 1 à 30. Par ailleurs, la rémunération moyenne d’un patron d’une petite et moyenne entreprise s’élève à trois fois le SMIC et à cinq ou six fois celle d’un patron salarié de n’importe quelle entreprise, quelle que soit la taille de cette dernière. Dans ces conditions, le plafonnement à vingt-cinq fois le SMIC des rémunérations actuelles des grands dirigeants permettrait de les ramener à une échelle moins exorbitante, plus normale, celle qui était la leur par le passé. Cette proposition me paraît du reste d’un ordre comparable à la politique menée par Barack Obama aux États-Unis, qui a limité la rémunération des patrons américains qui font appel à l’argent public à 500 000 dollars, soit 300 000 euros, ce qui représente un rapport de 1 à 25. Or il a pris une telle décision dans le cadre d’une économie où la rémunération moyenne des patrons des 500 plus grandes entreprises américaines s’élève à 10 millions de dollars. La mesure prise par le président des États-Unis est donc plus forte que ce que nous préconisons et qui correspond à ce qu’ont décidé les pays qui veulent remettre un peu d’ordre dans leur politique des revenus. Ils ne sont pas très nombreux, assurément, mais nous devons suivre leur exemple, du moins le pensons-nous. Cette mesure serait raisonnable au regard de l’échelle de l’ensemble des revenus.

Supprimer le bouclier fiscal et remettre de l’ordre, j’allais dire un ordre juste (Sourires) dans les rémunérations des patrons permettraient d’apporter une réponse cohérente à la crise que nous traversons. Car si cette crise est le fruit de dérives financières, celles-ci ont été alimentées par une dérive des rémunérations dans tous les pays, particulièrement dans le nôtre.

Mme Marylise Lebranchu, M. Philippe Vuilque et M. Patrick Roy. Bien sûr !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Ce qu’il faut redonner aujourd’hui à nos concitoyens, c’est un peu plus de cohérence et de solidarité.

M. Marcel Rogemont. Et un peu plus de morale !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. Telle est la raison pour laquelle nous avons déposé cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je souhaite brièvement répondre à certains des arguments évoqués par les orateurs dans le cadre de ce débat – auquel je participe.

Mme Laurence Dumont. C’est la moindre des choses !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je rappellerai tout d’abord qu’il convient d’évoquer l’intégralité des chiffres.

Monsieur le rapporteur, je ne conteste pas les chiffres que vous avez indiqués : il n’en reste pas moins vrai que ce sont bien deux tiers des ménages à faibles revenus qui, aujourd’hui, bénéficient du mécanisme du bouclier fiscal,…

M. Marcel Rogemont. C’est une pirouette ! Auparavant, ils bénéficiaient de dégrèvements ou d’exonérations !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …même s’ils en bénéficient – je vous l’accorde – à concurrence d’une faible proportion du montant des restitutions. Toutefois, ceux qui bénéficient de parts importantes de restitution contribuent largement par leurs impôts, toutes catégories confondues, au bien public – entretien des routes ou financement de l’ensemble des services publics.

M. Roland Muzeau. C’est normal !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je ne prétends pas que ce soit anormal : j’affirme simplement qu’il convient, par honnêteté intellectuelle, de rappeler aussi ces chiffres-là. Du reste, ils figurent dans des rapports qui sont à la disposition de tous les députés : ceux auxquels le fisc a restitué en 2008 une moyenne de 381 782 euros ont versé, en moyenne, 364 734 euros d’impôt.

M. Roland Muzeau. Autrement dit, ils y ont gagné !

M. Patrick Roy. Ils ont trop de pépettes !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. On ne saurait parler de la restitution sans parler aussi de la contribution !

Je tiens également à évoquer l’excellent rapport récemment publié par le Conseil des prélèvements obligatoires, lui aussi à la disposition de tout un chacun et dont les conclusions sont corroborées par le rapport de l’OCDE de mars 2009.

M. Jean Mallot. Il y a aussi l’excellent rapport de M. Muet !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Ces rapports nous apprennent que la fiscalité du patrimoine des ménages est plus élevée en France que dans le reste de l’Europe – étant à peu près à égalité avec celle en vigueur au Royaume-Uni. Prétendre que la fiscalité favoriserait, en France, les ménages les plus fortunés est-il inexact puisque la fiscalité du patrimoine est plus élevée chez nous. Monsieur Cahuzac, nous avons déjà évoqué le sujet à plusieurs reprises : je n’y reviens pas, mais ce fait éclaire d’un jour différent notre débat sur le bouclier fiscal.

En ce qui concerne certains aspects techniques, notamment les erreurs que j’aurais pu, selon vous, commettre sur le bouclier fiscal, dont le caractère totalement original et exclusif le ferait entrer dans le patrimoine fiscal français, je tiens à affirmer que c’est faux. On a évoqué l’Allemagne : la Cour constitutionnelle allemande a bien fait application du plafonnement à 50 % – c’est ainsi qu’on nomme le bouclier en Allemagne –, laquelle a entraîné la suppression de l’ISF. Je tiens par ailleurs à votre disposition des informations sur l’Espagne et la Finlande. Dans ces deux pays existait un plafonnement des impôts directs qui s’appliquait à l’impôt sur le revenu et à l’équivalent de l’ISF – c’était du reste la même chose en Irlande – : or ces plafonnements ont existé dans chacun de ces pays aussi longtemps que l’impôt sur la fortune y a été conservé. Lorsque la Finlande, en 2006, a décidé de supprimer l’ISF, elle a supprimé le bouclier fiscal. L’Espagne a fait de même en 2008.

Enfin, comme vous le savez, puisque vous connaissez très bien la question, l’équivalent du bouclier fiscal existe toujours dans deux pays nordiques : le Danemark et la Suède. Ce plafonnement couvre, au Danemark, l’impôt sur le revenu national, l’impôt communal et la taxe de santé et, en Suède, l’impôt national et l’impôt communal. Certains pays ont donc bien conservé le bouclier fiscal et ceux qu’ils l’ont supprimé ne l’ont fait que parce qu’ils supprimaient corrélativement l’impôt sur la fortune.

Monsieur Muzeau, vous me donnez des leçons en matière de niches fiscales. Dois-je rappeler que c’est nous qui les avons données puisque nous avons, dans un premier temps, tenté de supprimer les niches fiscales ? Cela n’a pas été possible en raison d’un certain recours devant le Conseil constitutionnel, qui ne nous a pas facilité la tâche. Nous sommes revenus à la charge et la majorité a réussi à faire adopter le plafonnement global des niches fiscales.

M. Roland Muzeau. Aujourd’hui, il y a 45 % de plus de niches fiscales qu’en 2002 !

M. Patrick Roy. C’est cela le bilan du Gouvernement, en sept ans seulement !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Pour votre information complète,…

M. Patrick Roy. Le voilà, le terrible bilan de cette majorité !

M. Pierre Cardo. Monsieur le président, ne serait-il pas possible d’exiger le respect du débat ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …je tiens à ajouter qu’en matière de niches et de créativité fiscales, vous n’avez pas été en reste, surtout si on se tourne vers deux produits spécifiques : les stock-options et les carried interests ce que je traduirai, pour éviter toute accusation d’américanisme, par les parts de fonds à dividende préférentiel : or, c’est bien la partie gauche de l’hémicycle et non l’actuelle majorité qui est à l’origine du régime fiscal complaisant dont ont bénéficié ces deux produits.

Quant à l’exemple que vous avez cité, monsieur le rapporteur, nous en avons déjà discuté : il ne peut pas se produire dans la mesure le texte voté par la majorité prévoit le plafonnement global des niches, sans compter les mesures concernant l’ensemble des niches fiscales spécifiques. Je ne vous mets au défi de rien mais je me tiens à votre disposition, avec mes services, pour examiner les contribuables les uns après les autres, si nécessaire, afin de vérifier si votre exemple est possible. Très honnêtement, je ne le crois pas.

En ce qui concerne les leçons de justice fiscale et sociale,…

M. Henri Emmanuelli. Oh oui !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …je ne mets pas en doute, monsieur Sapin, le fait que nous nous trouvons dans une situation économique des plus difficiles. Je vous signale au passage la première page du journal Les Échos, selon laquelle la France ne se débrouille pas si mal, si l’on s’en tient aux chiffres de prévision de l’OCDE.

M. Henri Emmanuelli. C’est ça…

Mme Laurence Dumont. Tout va donc très bien !

M. Michel Ménard. Allez le dire aux victimes de la crise !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je vous indique en outre que le rapport de l’OCDE souligne que les réformes engagées ont plutôt aidé la France à passer une phase fort délicate et, ce qui n’a échappé ni aux uns ni aux autres, douloureuse pour un grand nombre de nos compatriotes.

Mais franchement, qui a amélioré les conditions du chômage partiel ? C’est notre majorité. Qui a baissé, dans le cadre du dispositif le plus récent du plan de relance, la fiscalité des ménages les plus modestes en les exonérant des deuxième et troisième tiers sur la tranche à 5,5 % ? C’est notre majorité. Qui a mis en place le RSA ? (Murmures sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Notre majorité.

M. Henri Emmanuelli, Mme Catherine Génisson et Mme Françoise Olivier-Coupeau. Qui paie ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Qui a plafonné les niches fiscales ? Encore notre majorité. Et je pourrais continuer ainsi mais je ne veux pas polémiquer. Mais je ne supporte pas l’argument selon lequel, sous prétexte que nous serions la majorité, nous n’aurions pas conscience de la gravité de la situation et ne prendrions pas les mesures qui s’imposent pour soutenir les ménages les plus défavorisés et pour tenter de relancer l’économie, ce dont, je crois, nous ne nous acquittons pas trop mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Très juste !

M. Jean-Jacques Urvoas. C’est cela, tout va très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je reviens maintenant sur les arguments de certains au sujet des mécanismes de rémunération.

M. Patrick Roy. Tout va très bien, madame la marquise, tout va très bien, tout va très bien…

M. Pierre Cardo. Un peu de sérieux, monsieur Roy !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Monsieur Roy, je viens précisément de dire le contraire, à savoir que nous avions conscience que la situation était difficile ; mais si vous ne comprenez pas ou n’écoutez pas, ce n’est pas ma faute. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Soyez sérieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

J’en viens donc à la question des rémunérations de certains grands dirigeants et plus particulièrement au cas d’un établissement bancaire – dossier sur lequel mes services et moi-même avons beaucoup travaillé – dont nous avons eu à cœur de restaurer la situation financière : je veux parler de Dexia, évoqué par M. le député Cahuzac.

Rappelons pour commencer quelques éléments techniques qu’il m’apparaît nécessaire de mentionner : Dexia est un établissement de droit belge dont les capitaux sont belges, luxembourgeois et français. L’État français en détient à peine plus de 5 %.

M. Henri Emmanuelli. Et la Caisse des dépôts, combien ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Quelle que soit la situation, les révisions des stipulations dans l’affaire qui nous occupe ne peuvent être décidées que selon le droit belge et, bien sûr, en fonction de la législation en vigueur au moment des faits.

En ce qui concerne les conditions de départ des deux dirigeants auxquels vous avez fait allusion, les représentants de l’État français ainsi que ceux de la Caisse des dépôts et consignations ont voté contre les dispositions financières proposées. En outre, grâce au débat que nous avons mené avec force pendant ce conseil d’administration, nous avons obtenu la diminution des deux tiers des rémunérations prévues par les contrats validés par les conseils d’administration précédents, contrats soumis, j’y insiste, au droit belge.

M. François Loncle. Et les autres ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. On peut certes mettre en avant le caractère scandaleux des « paquets » ainsi négociés. Reste que l’État français, par l’intermédiaire de ses représentants, je le répète, s’est élevé contre l’attribution d’une rémunération qui, au final, aura été diminuée des deux tiers.

Enfin, vous avez tous fait allusion au dispositif mis en place par le Président des États-Unis d’Amérique dans le cadre du TARP, autrement dit du paquet financier destiné à soutenir certains établissements financiers et bancaires en difficulté. Trois d’entre eux sont obligatoirement soumis au dispositif qui plafonne à 500 000 dollars la rémunération annuelle fixe des dirigeants, autrement dit compte non tenu de la rémunération variable sur laquelle il resterait un certain nombre de choses à dire. Rappelons que les trois établissements en question sont confrontés à des difficultés financières énormes, ce qui n’est le cas d’aucun établissement bancaire français – ni d’aucun groupe automobile français.

Mais surtout, il convient de veiller très attentivement à ce que l’on fait si l’on souhaite que les établissements financiers rassemblent les meilleurs talents, les meilleurs dirigeants. Or, que constate-t-on aux États-Unis ? Les établissements financiers qui ont bénéficié du soutien de l’État en contrepartie, notamment, de contraintes en matière de rémunérations, s’empressent de rembourser dans les meilleurs délais les financements dont ils ont bénéficié, au risque de mettre en péril les actions de relance qui s’imposent – à l’instar de celles que prévoient notre plan de relance de l’économie et notre plan de soutien aux fonds propres des banques, et qui visent à financer l’économie française.

Pour finir, et sans vouloir polémiquer, parler des gros patrimoines, des gros patrons, du grand capital, c’est franchement un langage d’autrefois. (Protestations continues sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Surtout, de quoi avons-nous envie ? D’une économie qui fonctionne, qui produise des emplois, qui attire des talents ! Pour cela, il faut donner envie à ces talents de rester sur le territoire français et de ne pas se délocaliser pour créer des emplois ailleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la proposition de loi relative aux hauts revenus et à la solidarité ;

Proposition de loi relative à l’augmentation des salaires et à la protection des salariés et des chômeurs ;

Proposition de loi visant à la suppression du délit de solidarité.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)