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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 14 septembre 2010

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Souhaits de bienvenue à une délégation de la Diète de la République de Pologne

2. Questions au Gouvernement

Aides à l’accession à la propriété

M. Jean-Pierre Abelin

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme

Réforme des retraites

M. Roland Muzeau

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Réforme des retraites

M. Michel Heinrich

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Sources des journalistes

Mme Élisabeth Guigou

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales

Sources des journalistes

Mme Aurélie Filippetti

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement

Réforme des retraites

M. Yves Nicolin

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Entreprise Plysorol

M. Claude Leteurtre

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie

Indépendance de la justice

M. Christian Eckert

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la justice

Aides à l’accession à la propriété

M. Gilles Carrez

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme

Circulaire du ministère de l’intérieur

M. Bruno Le Roux

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales

Résultats du plan de relance

M. Arnaud Richard

M. Patrick Devedjian, ministre en charge de la mise en œuvre du plan de relance

Réforme des retraites

M. Pascal Terrasse

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Soutien à l’élevage

M. Marc Laffineur

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement

Inondations au Pakistan

M. Paul Giacobbi

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Internats d’excellence et établissements de réinsertion scolaire

M. Jacques Myard

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement

Présidence de M. Marc Laffineur

3. Suspension des travaux de l’Assemblée nationale

4. Calendrier prévisionnel des travaux

5. Réforme des retraites

Rappels au règlement

M. Jean-Marc Ayrault

M. Jean-Marc Ayrault

M. Alain Vidalies

M. Jean-Marc Ayrault

Discussion des articles (suite)

Article 25 (suite)

Amendements nos 213, 367, 463

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Amendements nos 54, 27, 631, 214, 217, 522, 465

Rappel au règlement

M. Yves Cochet

Amendements nos 471, 466, 467, 524, 131, 132, 216, 47, 248 rectifié, 527, 244, 218, 525, 129, 564, 566, 571, 569 rectifié, 219, 130, 133, 245, 545, 247, 500

Après l’article 25

Amendements nos 541, 535, 540

Après l’article 25 (suite)

Amendements nos 542, 550

Rappel au règlement

M. Jean-Marc Ayrault

Après l’article 25 (suite)

Amendements nos 730 rectifié, 758 (sous-amendement), 759 (sous-amendement), 760 (sous-amendement), 761 (sous-amendement), 756 (sous-amendement), 757 (sous-amendement), 765 (sous-amendement), 746 (sous-amendement), 762 (sous-amendement)

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue à une délégation
de la Diète de la République de Pologne

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de la Diète de la République de Pologne, conduite par M. Aleksander Chłopek, président de son groupe parlementaire Pologne-France. (Mmes et MM les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Aides à l’accession à la propriété

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Abelin, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Pierre Abelin. Monsieur le secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme, le Président de la République a présenté ce matin la réforme des aides publiques à l’accession à la propriété et l’abandon du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, prévu par la loi TEPA de juillet 2007. Les objectifs de la réforme sont clairs. Il s’agit de relancer l’accession à la propriété – qui, tout comme le locatif, a connu les effets de la crise –, de cibler le dispositif sur les primo-accédants des classes moyennes et modestes et de consolider la reprise de la construction de logements, tout en réduisant le coût de ces aides pour les finances publiques et en simplifiant les différents dispositifs.

Les députés du Nouveau Centre réaffirment leur total soutien à cette volonté de permettre au plus grand nombre de Français qui le souhaitent de devenir propriétaires de leur logement, la propriété étant souvent un gage de sécurité économique et sociale pour nos concitoyens, notamment à l’heure de la retraite ; or seuls 58 % d’entre eux sont actuellement propriétaires de leur logement. Nous sommes également sensibles à la volonté du Gouvernement de ne pas laisser filer les dépenses publiques liées à la déduction des intérêts d’emprunt – 1 milliard d’euros en 2010, 3 milliards prévus en 2013.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous présenter les grands axes de la réforme (« Allô ? » sur les bancs du groupe SRC) ainsi que son impact sur l’économie et le bâtiment et nous préciser que c’est bien l’ensemble du territoire national qui bénéficiera de ces nouvelles mesures, les zones tendues comme les zones moins tendues ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. Patrick Roy. Et vive le téléphone !

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme. Monsieur le député Jean-Pierre Abelin, le Président de la République a présenté ce matin la réforme visant à mettre en œuvre son ambition d’une France de propriétaires.

Il s’agit, non pas d’une simple réforme, mais d’un véritable projet de société. Nous voulons en effet que les 8 millions de locataires du parc privé et les 4 millions de locataires du parc HLM puissent accéder à la propriété. Devenir propriétaire ne doit pas être un rêve réservé aux plus riches. C’est pourquoi nous avons décidé de remettre entièrement à plat les outils de l’accession à la propriété. En effet, depuis une quinzaine d’années, les prix de l’immobilier ont tellement progressé qu’un couple de professeurs des écoles ou de salariés ne peut plus aujourd’hui, dans les grandes villes de notre pays, accéder à la propriété.

M. Alain Néri. Parlons-en, des salariés !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Cette remise à plat a pour objet de rendre les aides plus simples et plus efficaces. Elles seront plus simples grâce à la fusion de trois produits – le Pass foncier, le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt et le prêt à taux zéro – en un seul dispositif : le nouveau prêt à taux zéro plus. Elles seront plus efficaces, car nous pourrons mieux prendre en compte la diversité des prix de l’immobilier sur notre territoire – qui varient de 1 à 5 selon que l’on se trouve en zone rurale ou urbaine –, tout en maintenant une aide très forte pour le neuf comme pour l’ancien, notamment dans les zones rurales, auxquelles vous êtes attaché. La réforme permettra, en outre, de booster la production de logements neufs.

Bref, cette réforme correspond aux annonces du Premier ministre. Nous souhaitons en effet dépenser moins d’argent et le dépenser de façon plus efficace. Grâce à cette réforme, nous allons économiser 1,5 milliard d’euros (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), tout en faisant passer les fonds destinés au prêt à taux zéro d’1,2 milliard à 2,6 milliards. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Patrick Lemasle. Le voilà, l’aveu !

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Roland Muzeau. Monsieur le Premier ministre, des millions de nos concitoyens sont descendus dans la rue pour demander le retrait de votre réforme. Les syndicats unanimes et 73 % des Français condamnent votre texte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous répétez à longueur de temps vouloir « protéger la retraite des Français ». Mais est-ce les protéger que d’imposer le recul de l’âge de la retraite à 62 et 67 ans ? Est-ce les protéger que d’allonger la durée de cotisation ? Est-ce les protéger que d’interdire à ceux qui ont exercé des métiers pénibles de partir avant 60 ans et d’imposer des conditions si restrictives qu’une infime minorité seulement y aura droit ? Est-ce protéger la santé des salariés que de placer la médecine du travail sous la tutelle des employeurs, comme vous venez de le faire ? Cessez de vous moquer du monde ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Votre volonté n’est pas de préserver notre système de retraite, mais de rassurer les milieux financiers, rien de plus ! Votre ministre, M. Woerth, l’a admis en séance publique : l’argument démographique que vous brandissez à tout propos n’est que prétexte à une manipulation de l’opinion. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche ont apporté la preuve qu’il n’y aura pas de solution au financement des retraites sans création d’emplois et sans augmentation des salaires, et ont démontré qu’une autre répartition des richesses est possible, déposant une proposition de loi en ce sens.

Comment avez-vous l’audace d’imposer à nos concitoyens de nouveaux sacrifices à l’heure où l’on apprend que les groupes du CAC 40 ont engrangé 41,5 milliards de bénéfices ces six derniers mois ? Vous devriez vous rendre l’évidence : vous avez été désavoués et battus sur la Constitution européenne comme sur le CPE. Vous serez demain, soyez-en sûr, contraints de plier devant l’ampleur de la mobilisation populaire ! (Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine applaudissent, se lèvent et brandissent des pancartes sur lesquelles on peut lire : « Taxer le capital », « La lutte continue » et « Retraite à 60 ans » – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Mesdames et messieurs les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je vous demande de replier ces papiers sur le champ ! J’ai déjà convoqué votre président de groupe la semaine dernière pour lui signifier que ces manifestations n’ont pas leur place ici ! Messieurs les huissiers, veuillez saisir ces pancartes !

M. Patrick Ollier. C’est un scandale !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Oui, monsieur Muzeau, nous protégeons les Français en reculant l’âge de la retraite. (Un brouhaha persistant sur les bancs des groupes GDR et SRC couvre les propos du ministre.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue !

(La séance, suspendue à quinze heures sept, est reprise à quinze heures huit.)

M. le président. La séance est reprise. (« Sanctions ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mes chers collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je vous rappelle que j’ai convoqué votre président de groupe la semaine dernière et que vous avez déjà fait l’objet d’un avertissement. Votre comportement n’est pas acceptable dans l’enceinte de notre assemblée. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR. – « Ce sont des guignols ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Ollier. Ils ne respectent pas l’institution !

M. le président. Monsieur le ministre, vous avez la parole. Je vous remercie de bien vouloir reprendre votre réponse depuis le début. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Woerth, ministre du travail. Oui, monsieur le député, avec notre réforme, nous protégeons les Français. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Relever l’âge de la retraite, c’est évidemment assurer le financement des retraites (« Non ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC), c’est protéger la retraite par répartition, c’est faire en sorte que les Français aient l’assurance, dans les dix ans qui viennent, que leur retraite leur sera versée (« C’est faux ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC), ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Il faut être à la hauteur des réformes, monsieur le député. Oui, nous protégeons les Français avec le dispositif de pénibilité. (« C’est nul ! » sur les bancs du groupe GDR.) Pour la première fois en Europe, ce dispositif va permettre d’intégrer celles et ceux qui ont été exposés à des facteurs de pénibilité, les caissières de supermarché, les ouvriers et ouvrières de l’agroalimentaire, de l’industrie, qui, au travail, souffrent dans leur corps.

M. Alain Néri. Ça ne va rien permettre du tout !

M. le président. Du calme, monsieur Néri !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Oui, nous allons prendre en compte la pénibilité, alors qu’aucun Gouvernement ne l’a fait auparavant.

Oui, monsieur le député, nous protégeons les Français ! Grâce à nous, ceux qui ont commencé à travailler tôt, à quatorze ans, quinze ans, seize ans, ou dix-sept ans, pourront continuer à partir à 60 ans et avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Gerin. Mensonges !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Ce sont 150 000 à 160 000 Français, sur 700 000 personnes partant à la retraite, qui conserveront la retraite à 60 ans, grâce à un système juste et efficace. Ce n’est pas avec des affiches qu’on fait des réformes, monsieur le député ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Michel Heinrich, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Michel Heinrich. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique et porte sur la sauvegarde de notre système de retraite. Cela fait maintenant une semaine que nous débattons du projet de loi sur les retraites, avec toujours le même objectif de défendre et de sauvegarder notre système de retraite par répartition, un système solidaire, juste et équitable, auquel les Français sont très attachés. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Je voudrais remercier Éric Woerth et Georges Tron pour la qualité de l’écoute dont ils ont fait preuve tout au long de la préparation puis de la discussion de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) En effet, suite aux échanges longs et approfondis que vous avez pu avoir avec les partenaires sociaux (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC) et suite à la prise en compte des propositions que vous ont faites les députés – principalement de la majorité –, ce texte a connu des évolutions importantes.

Ces évolutions concernent notamment les polypensionnés, la pénibilité, la prévention de la pénibilité, l’extinction plus progressive du dispositif « quinze ans de service, trois enfants » de la fonction publique. D’autres sujets ont été débattus, comme la meilleure prise en compte du temps de l’apprentissage, ou encore le paiement des pensions en début de mois.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, faire pour nous le point sur l’ensemble des avancées qu’a connues ce texte au cours de la semaine qui vient de s’écouler ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Martine Billard. Aucune !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Monsieur le député, vous avez, c’est vrai, beaucoup participé au débat, et je remercie l’ensemble des députés, de droite comme de gauche, qui ont apporté leur contribution à ce débat. Depuis mardi dernier, nous discutons des retraites et nous nous opposons, ce qui est bien naturel lorsqu’il s’agit d’une réforme de cette nature et de cette ampleur, qui conditionne l’avenir des retraites.

Ce débat parlementaire fait suite à un dialogue extraordinairement long, constructif et dense, avec les partenaires sociaux et la société civile. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous sommes allés au bout des arguments avec l’ensemble des partenaires sociaux et connaissons parfaitement les situations des uns et des autres et les différentes propositions qui ont été formulées.

Nous avons évolué durant ce débat, comme nous avons déjà évolué lors des débats en commission, à la fin du mois de juillet. La question de la pénibilité est l’exemple clé de cette réforme. Pour la première fois, un gouvernement va intégrer, dans un texte sur les retraites, la prise en compte de la pénibilité. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. André Gerin. Insupportable !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Aucun autre pays ne l’avait encore fait, contrairement à ce que j’ai entendu, notamment à la télévision. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Les Pays-Bas et la Belgique sont en train d’y réfléchir, l’Italie n’a pas pris les décrets d’application, et l’Allemagne a adopté un système tout à fait différent. Nous sommes donc bel et bien le premier pays à intégrer dans notre droit positif la prise en compte de la pénibilité d’une carrière.

M. André Gerin. C’est faux !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Pour le faire de la façon la plus juste possible, nous avons décidé de ramener de 20 % à 10 % le taux d’incapacité permettant de continuer à bénéficier de la retraite à 60 ans. De même, nous avons demandé aux branches de négocier sur l’allongement des carrières, tout en prévoyant l’aménagement des carrières. Notre réforme est donc une réforme juste et efficace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Gerin. Mensonges ! C’est insupportable !

Sources des journalistes

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Élisabeth Guigou. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Dans l’affaire Bettencourt-Woerth, dont le journal Le Monde est maintenant victime (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), ce sont plusieurs valeurs et principes fondamentaux de la République qui sont attaqués.

Premier principe, violé : la liberté de la presse, un des piliers de toute démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), et la protection des sources des journalistes, qu’une loi de janvier 2010 a renforcée et qui est aujourd’hui violée. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Grosperrin. Et Mitterrand ?

Mme Élisabeth Guigou. Deuxième principe, bafoué : l’égalité de tous les citoyens, garantie par l’indépendance de la justice et le contrôle de la justice sur les enquêtes de la police.

Troisième principe, piétiné : l’impartialité de l’État et la protection des citoyens contre les abus du pouvoir, qui sont normalement garantis par des lois et des règles très strictes, qu’il s’agisse de l’utilisation de moyens exceptionnels comme les écoutes téléphoniques ou de l’examen de ce que l’on appelle les « fadet », c’est-à-dire les listes d’appels téléphoniques.

Je rappelle que les services secrets ne peuvent mener leurs enquêtes que dans le cadre de la loi. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Ils ne peuvent procéder à des écoutes téléphoniques ou avoir accès aux listes d’appels que sur ordre du Premier ministre, qui décide sur demande écrite de seulement trois ministres – ceux de l’intérieur, de la défense ou des finances –, et après avis de la Commission nationale indépendante. Or celle-ci ne donne un avis favorable que pour les atteintes les plus graves à la sécurité nationale.

Monsieur le Premier ministre, je vous demande donc de répondre à plusieurs questions.

Les services secrets ont-ils enquêté dans le cadre légal que je viens de rappeler ou ont-ils été utilisés par le pouvoir pour protéger des intérêts particuliers ?

Qui a autorisé cette enquête menée en dehors de tout contrôle judiciaire ?

Qui a déclenché les écoutes ? (« Mitterrand ! Mitterrand ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

Mme Élisabeth Guigou. Les avez-vous ordonnées, monsieur le Premier ministre, dans le cadre de la loi de 1991 ? (Les députés du groupe UMP continuent de scander : « Mitterrand ! Mitterrand ! »)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

Mme Élisabeth Guigou. Allez-vous accepter qu’un juge d’instruction indépendant soit désigné pour faire toute la lumière sur cette affaire et garantir que les moyens de l’État ne sont pas confisqués au profit du pouvoir ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

M. Christian Paul. Voici le cabinet noir !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Madame Elisabeth Guigou, permettez-moi d’abord de rappeler une règle de droit essentielle pour le fonctionnement de l’État : en vertu de l’article 26 de la loi de 1983, tout fonctionnaire est soumis à une obligation de respect du secret professionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Patrick Lemasle et M. Patrick Bloche. Ce n’est pas la question !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur. Que s’est-il passé ? Une information est parvenue aux services de police, selon laquelle un fonctionnaire, magistrat, travaillant à la Chancellerie, aurait divulgué et diffusé des procès-verbaux d’enquête en cours d’instruction. Donc je vous le dis, mesdames et messieurs les députés : il était du devoir de la direction du renseignement intérieur de vérifier cette affirmation. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Bloche. C’est faux !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur. Dans le cadre de la mission de protection de la sécurité, des vérifications techniques ont effectivement eu lieu, semblant corroborer cette information communiquée à la police.

Dès lors, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, qui s’impose à chacun, le directeur central du renseignement intérieur a transmis cette information au procureur de Paris et je vous précise que le parquet a ouvert parallèlement une information judiciaire pour violation du secret de l’enquête.

Cela signifie très simplement, mesdames et messieurs les députés, qu’il n’y a eu aucune consigne, (Exclamations et huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.) aucune demande de l’Élysée à quelque niveau que ce soit. Il n’y a eu aucune demande d’écoute téléphonique et il n’y a eu aucune écoute, ne serait-ce que parce qu’elles sont effectivement autorisées par une commission dans laquelle siège un parlementaire membre de votre groupe, M. Daniel Vaillant.

Mais, puisque vous posez cette question d’une telle manière, je me permets aussi de souligner que nous sommes bien loin d’une époque où il y avait un cabinet noir à l’Élysée (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Vous feriez mieux de vous taire !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur. …qui, en toute illégalité, procédait à de très nombreuses écoutes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement.)

Sources des journalistes

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le ministre de l’intérieur, j’ai sous les yeux une dépêche qui indique : « La procédure invoquée pour obtenir des données téléphoniques afin d’identifier une source du Monde n’est pas valable juridiquement, a fait valoir lundi la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mais ma question s’adresse au Premier ministre. Sans liberté de la presse il n’y a pas de démocratie, et sans protection des sources des journalistes, il n’y a pas de liberté de la presse. Ces principes fondamentaux de la République, vous devriez les rappeler à l’Élysée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Non, en démocratie, on n’entrave pas la libre investigation des journalistes pour tenter d’étouffer une affaire touchant aux intérêts particuliers d’un de ses ministres – et de l’UMP tout entière.

M. Christian Paul. Il aurait dû démissionner !

Mme Aurélie Filippetti. Déjà, cet été, des attaques indignes envers le site d’information Mediapart (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) montraient que l’Élysée voulait imposer sa version officielle de l’affaire Woerth-Bettencourt et faire taire toutes les autres.

C’est d’autant plus grave que la justice elle aussi est maintenue sous le boisseau et que nous attendons toujours un juge d’instruction.

Cette fois, c’est le contre-espionnage français qui fouille dans les listings téléphoniques pour identifier les sources d’un journaliste du Monde, jusque dans les cercles les plus proches de Mme la ministre d’État.

M. Christian Paul. Quelle honte !

Mme Aurélie Filippetti. S’il y a eu trafic d’influence, nos concitoyens ont le droit de le savoir, les journalistes le droit de l’écrire, et vous n’avez pas le droit de les en empêcher ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

L’ironie de l’histoire, c’est que nous avons débattu il y a moins d’un an d’une loi sur la protection des sources des journalistes, qui dispose : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que [pour] un impératif prépondérant d’intérêt public ». Où est l’intérêt public ici, si ce n’est l’intérêt de l’Élysée à étouffer ce qui prend les allures d’un Watergate à la française ? (Rires sur les bancs du groupe UMP. Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame Filippetti, la manœuvre est un peu grosse. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous voudriez faire croire aux Français que le Gouvernement viole la liberté de la presse. (« Oui ! Oui ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !

M. Luc Chatel, porte-parole du Gouvernement. Mais j’ai une question à vous poser : qui a mis en place les états généraux de la presse écrite pour sauver nos journaux (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.),dont le modèle économique est menacé ? C’est le Gouvernement de François Fillon.

Qui a proposé une loi pour renforcer la protection des sources des journalistes… (Exclamations continues sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Patrick Bloche. Elle a été violée !

M. le président. Monsieur Bloche, taisez-vous !

M. Luc Chatel, porte-parole du Gouvernement. …que vous n’avez pas votée, madame Filippetti ? C’est cette majorité !

Et, madame la députée, dans l’affaire que vous signalez, je dois vous dire que jamais – je dis bien : jamais – le Gouvernement n’a entravé la liberté de la presse. Jamais le Gouvernement n’a porté atteinte à la protection des sources des journalistes. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Il est normal, il est naturel que les journalistes enquêtent et travaillent avec des informateurs et, encore une fois, c’est notre Gouvernement, notre majorité qui ont voulu l’inscrire dans la loi.

M. Christian Bataille. Qu’est-ce que vous en faites ?

M. Luc Chatel, porte-parole du Gouvernement. Mais, de la même manière, et comme Brice Hortefeux l’a rappelé à l’instant, il est absolument inadmissible qu’un haut fonctionnaire, membre d’un cabinet, puisse divulguer des informations confidentielles, violant par là même le secret professionnel et le secret de l’enquête. Vous ne pouvez pas cautionner cela, madame Filippetti. (« Guéant ! Guéant ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! !

M. Luc Chatel, porte-parole du Gouvernement. La vérité, c’est que personne n’est dupe de cette manœuvre de diversion : en cette rentrée des classes, Mme Aubry, dans une conférence de presse, nous annonçait une  « rafale de propositions ». Eh bien, on a vu la rafale, mais on attend encore les propositions ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Yves Nicolin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Yves Nicolin. Monsieur le ministre du travail, le Président de la République avait annoncé, lors de son intervention devant le Congrès réuni à Versailles, sa décision de réformer notre régime de retraite afin de préserver la retraite de nos compatriotes.

M. Patrick Roy. C’est raté !

M. Yves Nicolin. Après la crise économique, cette réforme, essentielle, est devenue vitale. Elle n’est ni de droite, ni de gauche ; c’est tout simplement une réforme courageuse.

Ce texte est à la fois nécessaire, progressif et juste. Il est nécessaire parce qu’il vise le retour à l’équilibre de nos régimes de retraite ; il est progressif parce que les 62 ans s’appliqueront seulement en 2018 ; il est juste parce que les efforts sont partagés…

M. Jean-Paul Lecoq. Et le capital, il partage quoi ?

M. Yves Nicolin. …et qu’il ménage les personnes qui ont commencé à travailler jeunes et celles dont la santé est altérée en raison de la pénibilité de leur travail.

Certains au Parti socialiste – dont Ségolène Royal et Martine Aubry – affirment la main sur le cœur qu’ils abrogeront le recul de l’âge légal de départ en retraite. (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) De deux choses l’une : soit ils sont irresponsables, soit ils mentent effrontément aux Français !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Les deux !

M. Yves Nicolin. Je voudrais ici dénoncer une imposture : celle du Parti socialiste, qui dans cette affaire porte l’hypocrisie à son summum.

Comme l’a rappelé ce week-end le secrétaire national du Parti communiste, Pierre Laurent,…

M. Jean-Paul Lecoq et M. Roland Muzeau. Excellente référence ! (Sourires sur les bancs du groupe GDR.)

M. Yves Nicolin. …aucun dirigeant socialiste ne parle d’abroger la réforme de 2003, ni la réforme des régimes spéciaux, alors qu’à cette époque ils avaient déjà chanté aux Français le même refrain : « Élisez-nous, nous reviendrons en arrière ! » Comment revenir en arrière alors que les vingt-six autres pays européens ont déjà repoussé l’âge de départ en retraite au-delà de 60 ans, le plus souvent pour aller jusqu’à 65 ans ?

Monsieur le ministre, pouvez-vous exposer aux Français qui nous regardent…

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Non, le Parti socialiste, s’il revenait au pouvoir un jour, ne reviendrait pas sur la réforme des retraites. Bien sûr que non ! Le Parti socialiste n’est pas revenu sur la réforme des retraites de M. Balladur, ni sur la réforme des retraites de 2003. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Sapin. Et pour cause ! Nous n’étions pas au pouvoir !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Le Parti socialiste a toujours une réforme des retraites de retard ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.) La seule chose qu’il ait faite, c’est de créer le Fonds de réserve pour les retraites, justement pour éviter d’avoir à faire une réforme ! (Huées sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, du calme !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Nous sommes, nous, majorité présidentielle, Gouvernement, Président de la République, face à un défi : assurer le paiement des retraites des Français. Nous devons sauver le régime par répartition. (Mêmes mouvements.)

M. Albert Facon. Avec l’argent de qui ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Nous devons consolider notre régime par répartition parce qu’il est juste. La solidarité, qui permet aux chômeurs de continuer à cotiser et aux femmes de mener une vie de famille tout en cotisant, doit continuer à exister. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Voilà ce que nous voulons sauvegarder ! (« Bettencourt ! Bettencourt ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Le Parti socialiste est terriblement divisé sur les retraites : d’un côté, Mme Royal fait de l’électoralisme et de la démagogie ; de l’autre, Mme Aubry ne dit pas ce qu’elle pense. À un moment donné, elle a dit ce qu’elle pensait, c’est-à-dire qu’il fallait augmenter l’âge de la retraite – mais elle a été reprise par les vieux démons de la démagogie ! M. Strauss-Kahn et ses amis sont plus cohérents : ils vont dans la direction qui a été empruntée par l’ensemble des pays d’Europe.

Il n’y a pas un seul pays aujourd’hui qui n’ait réformé son système de retraite dans le sens du recul de l’âge de départ. La durée de vie augmente ; et lorsque la durée de la vie augmente, la durée de vie au travail augmente aussi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Entreprise Plysorol

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le ministre de l’industrie, vous plaidez constamment pour une nouvelle politique industrielle. C’est une nécessité, comme l’illustre la décision prise mercredi par le tribunal de commerce de Lisieux, qui a prononcé la liquidation judiciaire du groupe Plysorol.

Ce groupe, ce sont 431 emplois répartis sur trois sites : Lisieux, Fontenay-le-Comte et Épernay ; ce sont surtout des installations et une concession de 600 000 hectares de forêts au Gabon. Plysorol a été racheté par un investisseur chinois au mois de mars 2009. Dès le mois de septembre 2009, répondant à notre collègue Dominique Souchet, député de Vendée, vous aviez exprimé votre crainte – que j’ai toujours partagée – que le groupe n’ait été racheté que pour sa concession de bois au Gabon.

Cette concession représente en effet le principal actif du groupe ; c’est le seul atout pour qu’une proposition de repli puisse encore être formulée ; c’est également le seul moyen financier pour mettre en œuvre un plan social. En effet, le groupe étant en règlement judiciaire et l’actionnaire chinois ne se trouvant plus en France, c’est l’AGS – Association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salariés – qui prendrait en charge les indemnités des salariés. Cela veut dire que certains ne toucheraient même pas ce que la loi prévoit en cas de licenciement.

Les actifs gabonais de Plysorol doivent donc impérativement demeurer au sein de l’entreprise. Monsieur le ministre, quelle mesure le Gouvernement compte-t-il prendre pour saisir la dernière chance de reprise ? Comment s’assurer que le jugement du tribunal de commerce de Lisieux sera bien appliqué au Gabon ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie. Monsieur le député, je sais que vous avez été très présent depuis le début des difficultés de Plysorol dans votre circonscription du Calvados ; je sais que aussi c’est le cas des élus locaux des deux autres sites de Plysorol, en Vendée et dans la Marne.

Vous savez combien le Gouvernement s’est lui aussi mobilisé, auprès des créanciers, des clients et des fournisseurs de Plysorol, mais aussi auprès des autorités gabonaises, notamment pour que la concession forestière au Gabon demeure la propriété de l’entreprise. Tout cela se déroule dans un contexte particulièrement difficile puisque, comme vous le savez, les dirigeants chinois de Plysorol n’ont – malgré toutes nos mises en garde – respecté aucun de leurs engagements financiers. Ce sont eux qui nous ont conduits à la situation actuelle : la liquidation judiciaire avec poursuite d’activité.

Une enquête pénale pour abus de biens sociaux est d’ailleurs ouverte pour définir la part de responsabilité des dirigeants.

Le Gouvernement conserve d’importants leviers d’action. Nous continuons d’agir auprès des autorités gabonaises, notamment grâce à l’ambassadeur de France à Libreville, afin de bien garantir que la concession forestière demeure la propriété de Plysorol.

Demain, 15 septembre, les offres de reprises doivent avoir été déposées. Afin que nous puissions accompagner tout repreneur potentiel, j’ai invité l’ensemble des élus concernés à mon ministère, pour que nous examinions ensemble ces offres. En même temps, je poursuivrai le dialogue social avec l’ensemble des salariés, afin que personne ne soit laissé sur le bord du chemin. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Indépendance de la justice

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Eckert. Ma question s’adresse au ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

Monsieur Woerth, à votre corps défendant, vous incarnez toutes les fautes de ce régime. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Sur le plan moral : il est désormais avéré que vous avez menti au Parlement, aux policiers et à la justice sur la réalité des liens qui vous unissent aux protagonistes de l’affaire Bettencourt. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Plus les révélations s’accumulent, plus vous apparaissez comme la cheville ouvrière de ce système de confusion d’intérêts entre le pouvoir et les élites fortunées. Comment accepter aujourd’hui que vous demandiez aux Français de sacrifier leur retraite quand vous assurez celle des plus riches ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Sur le plan judiciaire : nous n’avons jamais demandé autre chose que la recherche de la vérité, dans le respect de la présomption d’innocence. Encore aurait-il fallu que la justice puisse mener dans des procédures indépendantes le travail d’investigation qui devrait être le sien !

Sur le plan politique : vous avez été l’artisan, au ministère du budget, de la politique fiscale qui fait payer depuis trois ans aux Français les frasques et les privilèges de ses millionnaires. L’affaire Bettencourt en aura été le révélateur, qui permet à la première fortune de France de payer moins d’impôts qu’un cadre ou qu’un ouvrier. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Je vous fais trois propositions pour redonner sens et dignité à notre République.

Tout d’abord, pour vos mensonges, par omission, par amnésie ou par peur de la vérité, proférés ici même ou devant la police, vous devez pour le moins aux Français et au Parlement des excuses ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ensuite, pour protéger la République et vous-même, vous devez demander au Président de la République de faire saisir un juge d’instruction pour instruire à charge et à décharge. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Enfin, pour donner sens à la justice sociale et fiscale dans notre pays, vous devez faire exploser le bouclier fiscal, pas avec un canif, un rabot ou une lime à ongle, et revoir votre projet de réforme des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la justice. (Huées sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la justice. Monsieur le député, je m’étonne que vous prétendiez décider qui doit et qui ne doit pas enquêter, quel magistrat vous convient ou ne vous convient pas pour telle ou telle procédure. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Avec Mme la garde des sceaux, qui se trouve aujourd’hui au Sénat, et l’ensemble du Gouvernement, nous attachons une grande importance à l’indépendance de la justice. Nous avons trop confiance dans le travail des magistrats pour imaginer un seul instant nous immiscer ou l’instrumentaliser. Nous pensons que la justice doit suivre son cours et que les enquêtes doivent être menées – et elles le sont de façon sereine et indépendante.

M. Pascal Terrasse. Mais bien sûr !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je déplore d’ailleurs que vous fassiez passer, une fois de plus, les membres du parquet, les magistrats du parquet pour des magistrats serviles, aux pensées sombres ou torturées. Vous savez que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, les investigations se poursuivent de façon méthodique et rigoureuse dans le respect du droit. Tous les éléments sont vérifiés par les services de police, avec pour seul objectif la manifestation de la vérité.

M. Henri Emmanuelli. Minable !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Monsieur Eckert, en vous écoutant tout à l’heure, j’ai eu le sentiment que c’est vous, en votre âme et conscience, qui auriez dû vous excuser de vos paroles à l’encontre du ministre Éric Woerth. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Je tiens à réaffirmer notre attachement profond à l’indépendance de la justice et mon intime conviction de l’intégrité totale d’Éric Woerth. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Aides à l’accession à la propriété

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gilles Carrez. Monsieur le secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme, malgré la crise économique, la construction de logements dans notre pays est resté à un niveau très élevé ; c’est là un des exemples de la réussite du plan de relance conduit par le Gouvernement avec le soutien de la majorité.

Par exemple, en matière de logement locatif social, en 2009, et à nouveau en 2010, plus de 120 000 logements ont pu être financés, soit le double du rythme d’il y a dix ans.

M. Pierre Gosnat. Mais il n’y a toujours que 5 % de logements locatifs au Perreux !

M. Gilles Carrez. Nous avons réalisé en 2009 216 000 prêts à taux zéro. Il faut souligner à quel point le soutien qui a été apporté aux banques a permis de maintenir le crédit immobilier sans lequel il n’y a pas de logements.

Autrement dit, le plan de relance a connu un plein succès.

Il faut poursuivre cet effort, en particulier pour répondre à l’aspiration profonde de nos concitoyens de devenir propriétaires de leur logement même avec des revenus modestes.

Le prêt à taux zéro est le meilleur instrument pour faciliter l’accession sociale à la propriété. Vous proposez, monsieur le secrétaire d’État, d’y fondre le dispositif de crédit d’impôt sur les intérêts pour l’achat de la résidence principale. C’est une très bonne réforme qui améliorera la solvabilité des ménages, en particulier dans les zones tendues.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous donner les grandes lignes de cette réforme, qui, j’en suis sûr permettra à un très grand nombre de familles françaises d’accéder à leur rêve, c’est-à-dire de devenir propriétaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme. Monsieur le rapporteur général du budget, vous venez de le rappeler, les efforts du Gouvernement à l’occasion du plan de relance ont permis de sauver le secteur de la construction dans notre pays : près de 150 000 emplois ont été ainsi sauvegardés. Les efforts du ministre de la relance, Patrick Devedjian, ont permis le rachat par les bailleurs sociaux de 30 000 logements construits par les propriétaires immobiliers. Par ailleurs, le doublement du prêt à taux zéro nous a permis de sauver l’accession à la propriété. Enfin, le dispositif créé par François Scellier a permis de booster la construction dans notre pays.

M. Frédéric Cuvillier. Les pauvres aident les riches !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Nous avons eu la capacité de construire, en 2009, 330 000 logements et nous sommes en progression puisque, en 2010, nous escomptons la construction de 350 000 logements.

Pour autant, nous savons tous que l’augmentation des prix de l’immobilier, qui ont été multipliés par 2,6 ces quinze dernières années alors que les revenus n’ont augmenté que de 1,6, a désolvabilisé une grande partie de la classe moyenne.

L’ensemble des professionnels, et en premier lieu les parlementaires que nous avons rencontrés pour préparer cette réforme, nous ont demandé de simplifier le dispositif et de fusionner le crédit d’impôt TEPA, le Pass foncier et le prêt à taux zéro. Cela nous permettra d’avoir un prêt à taux zéro plus simple, mais plus efficace également car plus concentré sur les classes moyennes et sur la primo-accession.

Je voudrais vous donner un exemple chiffré très précis : au Perreux, commune que vous connaissez particulièrement bien, un couple avec deux enfants gagnant 3 000 euros par mois pouvait emprunter 27 000 euros sur six ans.

M. Roland Muzeau. Il n’y a pratiquement pas de logements sociaux au Perreux !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Demain, avec ce nouveau prêt à taux zéro, il pourra emprunter 125 000 euros avec un différé de vingt-six ans. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) C’est cela, la politique que nous menons au bénéfice de ces familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Circulaire du ministère de l’intérieur

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, alors que le Parlement européen a voté jeudi dernier une résolution condamnant votre politique d’expulsions ciblées, M. Besson a soutenu à plusieurs reprises que la France n’avait pris aucune mesure spécifique à l’encontre des Roms.

M. Christian Paul. Un mensonge de plus !

M. Bruno Le Roux. Une circulaire du ministère de l’intérieur vient malheureusement contredire ces déclarations.

Comment le ministre de l’intérieur a t-il pu fixer sur du papier à en-tête de la République un délai – trois mois –, un objectif – trois cents camps – et, surtout, le type, l’ethnie même, des personnes visées, c’est-à-dire les Roms ?

Comment le ministre de l’immigration pouvait-il ignorer une circulaire qui communiquait aux préfets la volonté du Président de la République, alors même qu’il se félicitait, dès le 19 août dernier, des premiers résultats de la politique d’expulsion des Roms ?

Plus de six semaines se sont écoulées depuis l’envoi de cette circulaire discriminatoire. Ce qui est choquant, monsieur le Premier ministre, c’est qu’il vous soit si facile de bafouer les principes républicains et le droit. Ce qui est choquant, c’est de faire d’une communauté un bouc émissaire commode et de renvoyer à une question d’ordre public ce qui est en réalité une question posée aux européens.

Cette rédaction ne relève pas d’un malentendu. Elle est, comme le souligne M. Bertrand, la traduction d’une politique. Alors, monsieur le Premier ministre, il ne peut simplement s’agir d’une petite erreur dont personne ne voudrait partager la honte.

Face à une telle remise en cause des principes républicains, il doit y avoir un principe de responsabilité. Je vous demande si vous avez pris vous-même la décision de l’envoi de cette circulaire, si vous en avez validé le contenu et la formulation et, dans le cas contraire, qui a validé la formulation de cette circulaire antirépublicaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le député, nous sommes dans un État de droit et, dans un État de droit, la loi est faite pour être respectée et appliquée.

M. Michel Sapin. Par vous en premier !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur. Notre constitution protège le droit de propriété et, en France comme dans n’importe quel autre pays du monde, on ne s’installe pas sur un terrain, sur une surface, sur une aire, sur un espace sans y être autorisé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Par conséquent, les campements illicites, qui constituent un violation du droit de propriété, doivent être évacués lorsque le juge judiciaire l’a décidé. C’est ce que fait le Gouvernement, ni plus ni moins ! Nous n’évacuons pas les campements illicites parce qu’ils sont roms, nous les démantelons parce qu’ils sont illégaux. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

C’est donc dans le strict de ces règles que, depuis le 1er août, je vous le confirme, 441 campements illicites ont été démantelés. Et j’ai demandé hier au préfet, dans une instruction que j’ai personnellement signée, que ces opérations soient poursuivies dans le respect du droit.

Je voudrais en profiter pour vous rafraîchir un peu la mémoire. Il y a quelques mois, une grande commune a demandé l’évacuation d’un campement de vingt-neuf personnes. (« C’est Lille ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Lundi dernier, le tribunal de grande instance a jugé que cette procédure était illégale et a demandé à cette commune de procéder à l’indemnisation de ceux qui avaient été évacués.

M. Yves Durand. Ce n’est pas vrai !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur. Cette commune, c’est celle de Nantes, et je ne jette pas la pierre au maire de Nantes, mais cela rappelle que tous les élus locaux doivent faire face aux problèmes de sécurité et de salubrité que posent ces camps.

Alors, au lieu de le regretter vous devriez être heureux que le Gouvernement agisse tout simplement dans la légalité et fasse appliquer la loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Durand. C’est honteux !

Résultats du plan de relance

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Arnaud Richard. Ma question s’adresse au ministre en charge de la mise en œuvre du plan de relance. Permettez-moi d’y associer mes collègues Cécile Dumoulin, Sophie Primas et David Douillet.

J’étais de bonne humeur ce matin en entendant François Baroin égrener les bons résultats de l’économie française. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Briand. Bravo ! C’est bien Baroin !

M. Arnaud Richard. Enfin, un peu d’optimisme dans cet hémicycle !

Manifestement, monsieur le ministre, les indicateurs se mettent au vert progressivement. Les chiffres de l’INSEE annoncés la semaine dernière témoignent d’une amélioration en matière d’emploi. L’investissement des entreprises privées est reparti. Les prévisions de croissance ont été révisées à la hausse, à plus 1 %, et les surplus de recettes seront affectés à la réduction de l’endettement du pays. Monsieur le ministre, le plan de relance a manifestement été une réussite.

M. Philippe Briand. Bravo Baroin !

M. Arnaud Richard. Bref, toutes ces bonnes nouvelles, tous ces chiffres encourageants témoignent du volontarisme du Président de la République pour préparer l’avenir.

Monsieur le ministre, je vais poser ma question sur l’emploi, mais, avant tout, je me permettrai de citer le préambule du plan de cohésion sociale présenté dans cet hémicycle il y a six ans, jour pour jour : « La force d’une nation est dans sa ressource humaine. Un pays n’est puissant que par les hommes et les femmes qui le composent, par l’envie qu’ils ont de vivre et de construire ensemble, par le rayonnement de leur confiance dans l’avenir et par la cohésion sociale qui les unit. »

Monsieur le ministre, pouvez-vous présenter à la représentation nationale l’ensemble des mesures et des résultats du plan de relance en matière d’emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre en charge de la mise en oeuvre du plan de relance.

M. Patrick Devedjian, ministre en charge de la mise en œuvre du plan de relance. Monsieur le député, au mois de janvier 2009, cette assemblée était la proie de polémiques aussi vives que celles que nous vivons aujourd’hui, eu égard à la politique alors engagée par le Président de la République pour lutter contre la crise. Aujourd’hui, les résultats sont là.

Ce matin même, la Cour des comptes soulignait les résultats extrêmement positifs du plan de relance décidé par la France. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je rappelle qu’elle est présidée par M. Didier Migaud.

M. Pascal Terrasse. Il n’a pas dit ça !

M. Patrick Devedjian, ministre en charge de la mise en œuvre du plan de relance. Mais si, c’est dans son rapport écrit !

Les résultats du plan de relance se mesurent très facilement avec un seul chiffre : en 2009, la France a connu une récession de 2,5 %, c’est-à-dire la plus petite récession de toute l’Europe, de toute l’OCDE. Or, cette année-là, l’opposition ne manquait pas de critiquer les orientations du Gouvernement. À titre de comparaison, en 2009, l’Allemagne, si souvent admirée, a fait moins 4,9 % et la Grande-Bretagne, qui a appliqué la politique du parti socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), moins 4,6 %. C’est donc la France qui a les meilleurs résultats.

En ce qui concerne l’emploi, depuis le début de cette année, le chômage a baissé grâce à la création de 59 000 emplois. Par conséquent, les choses vont de mieux en mieux. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Les prévisions de croissance ont été augmentées, passant à 1,5 %, tandis que la prévision de l’Union européenne elle-même est de 1,6 %.

La politique qui est critiquée aujourd’hui avec autant de vivacité qu’elle l’était début 2009 donnera aussi des résultats dont tout le monde devra se féliciter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Pascal Terrasse. Monsieur le Premier ministre, la France est inquiète. Les Français ne croient plus à vos dissimulations !

M. Patrick Roy. Ça non !

M. Pascal Terrasse. Leur déception est à la hauteur des espoirs suscités lors de l’élection présidentielle.

Vous avez abusé les Français en les laissant croire à des slogans stupides. La France qui se lève tôt va subir les pires injustices avec votre réforme.

Le chef de l’État a annoncé trois mesures visant à corriger les inégalités les plus choquantes : polypensionnés, carrières longues et pénibilité. Encore une fois, ce sont des effets d’annonce et des manipulations de langage.

Vous confondez pénibilité et handicap. Les élus de l’UMP eux-mêmes n’y croient plus !

Mme Claude Greff. N’importe quoi !

M. Pascal Terrasse. Le président de l’Assemblée a dû lever la séance cette nuit en raison de la défaillance de votre majorité.

Sur les carrières longues, vous dissimulez aux Français qu’il leur faudra quarante-quatre années de cotisations pour en bénéficier. Ceux qui travaillent dur apprécieront.

Vous trompez les Français, vous ne leur dites pas la vérité ! Vous avez décidé encore une fois d’épargner les bénéficiaires du bouclier fiscal !

Votre réforme va se traduire par une baisse massive des pensions de retraite, par la spoliation du droit à la retraite des générations nées après 1960.

Votre réforme est injuste, et financièrement déséquilibrée.

Attendre 67 ans pour obtenir une retraite à taux plein est une insulte faite aux femmes, à celles et ceux ayant commencé tôt ou interrompu leur carrière en raison du chômage.

Vous avez décidé de tourner le dos à près de cinquante ans de progrès social et de vous payer le luxe de snober le dialogue et la concertation avec les organisations syndicales.

Les socialistes vous le disent les yeux dans les yeux : nous reviendrons en 2012 sur cette réforme. En 1997, nous avions abrogé la loi Thomas sur les fonds de pension que votre majorité avait votée, nous reviendrons sur cette loi, pour y apporter plus de justice et d’égalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Monsieur le député Terrasse, les yeux dans les yeux, je dis que vous ne reviendrez pas sur cette réforme : vous n’aurez jamais le courage d’y revenir… Vous n’avez pas le courage qu’a cette majorité de réformer les retraites. Vous ne faites qu’éviter le sujet depuis des dizaines d’années. Jamais le Parti socialiste n’a proposé de réforme des retraites, alors que dans les autres pays, tous les autres gouvernements de gauche ont accepté d’affronter la réalité. Vous, vous la niez, vous ne voulez pas la voir. Votre projet, vos propositions sont fondées sur du sable. Vous voulez construire la retraite des Français sur des recettes qui n’existent pas, nous l’avons démontré hier pendant des heures. Votre projet est un projet fiscal, c’est un bombardement fiscal de la France. Bombarder fiscalement les entreprises, c’est créer du chômage ! Bombarder fiscalement les classes moyennes, c’est encore une fois attaquer leur pouvoir d’achat.

M. Pascal Terrasse. Caricature !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Ce n’est pas la bonne réponse pour les retraites. La bonne réponse est d’allonger l’âge de départ, 62 ans pour les Français ; c’est un âge inférieur à celui que connaissent d’autres pays. La bonne réponse est aussi d’accepter de considérer que si nous travaillons plus longtemps, alors nous prenons en compte la difficulté des carrières. C’est le cas des carrières longues et c’est le cas de la pénibilité.

Mme Aurélie Filippetti. C’est une injustice !

M. Éric Woerth, ministre du travail. C’est pour cela que notre projet est juste, et c’est pour cela que le vôtre est égoïste et injuste. Égoïste parce que vous considérez que ce seront les autres qui paieront, ce seront eux qui travailleront plus, ce sont les autres générations qui feront cet effort, plutôt que les Français d’aujourd’hui. Injuste parce qu’il ne conduit pas à l’équilibre financier des retraites ; et quand il n’y a pas d’équilibre financier des retraites, ce sont les plus fragiles qui trinquent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Soutien à l’élevage

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. Ma question s’adresse au ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche. Le monde agricole est en crise, nous le savons tous, et depuis 2007 les éleveurs bovins et porcins font face à une crise sans précédent.

Cette crise est due à une hausse du coût de la production et une baisse des prix des animaux ; pourtant le consommateur a une viande de plus en plus chère dans son assiette. La sécheresse dans l’Ouest de la France, particulièrement sévère, a obligé les producteurs à puiser dans les réserves alimentaires de l’hiver. Le désespoir est grand, et les revenus sont parfois inférieurs à 500 euros par mois.

Il est indispensable de redynamiser et de donner à nouveau du sens au travail des éleveurs ; de leur rendre la reconnaissance et la dignité qui leur revient de droit en adoptant un véritable plan stratégique pour donner des perspectives à ces filières, et de l’espoir au milieu agricole. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Laffineur, je vous prie d’excuser le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, actuellement à Berlin pour signer une position commune franco-allemande sur l’avenir de la politique agricole commune ; auparavant, il s’était rendu ce matin à Rennes, au salon Space, où il a eu l’occasion de présenter le plan stratégique à destination des éleveurs, que vous appelez de vos vœux.

Il a d’abord rappelé qu’il fallait une réponse immédiate aux difficultés de trésorerie qui menacent aujourd’hui l’avenir de nos exploitations, et puis il a présenté des réponses en matière de compétitivité de l’élevage dans notre pays. Pour répondre à l’urgence, Bruno Le Maire a annoncé une aide de 30 millions d’euros pour les éleveurs en difficulté qui sont confrontés à des prix bas à la production depuis plusieurs mois, et dès demain, une avance sur les aides de la PAC sera versée pour les indemnités compensatrices de handicap naturel.

Bruno Le Maire a par ailleurs demandé à la Commission européenne le paiement d’une avance sur les aides du 16 octobre. Elles concerneront notamment la prime herbagère agro-environnementale et les aides couplées aux ovins et caprins. Au total, ce sont 3 milliards d’euros d’aides pour renforcer la trésorerie des exploitations.

Pour répondre de manière plus structurante aux défis de compétitivité de ce secteur, Bruno Le Maire a annoncé la mise en place de plans de développements. 300 millions d’euros seront débloqués pour financer les plans de développement nécessaires à la modernisation de nos exploitations, et la consolidation des filières laitières, bovines et porcines. Et d’autres efforts significatifs pour près de 60 millions d’euros seront consentis en matière de mises aux normes sur le bien-être animal ou encore en faveur des jeunes agriculteurs. Vous le voyez, le Gouvernement tient à souligner que malgré les difficultés budgétaires que nous connaissons, l’avenir de l’agriculture reste une priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Inondations au Pakistan

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le Premier ministre, avec plus de cinq mille morts ou disparus et dix millions de sans-abri, c’est une véritable tragédie qui frappe le Pakistan.

Malheureusement, ni l’ampleur du désastre, ni ses conséquences humaines et économiques, ni la fidélité de ce pays à l’Alliance atlantique, ni le fait qu’il soit la seule nation disposant de l’arme nucléaire dans le monde musulman, ne parviennent à tirer l’Occident de son indifférence.

L’aide financière de la communauté internationale dépasse à peine aujourd’hui la moitié de ce que l’ONU juge indispensable. L’aide en nature, celle qui se voit sur le terrain, est, quant à elle, dérisoire. A ce jour, l’OTAN s’est bornée à transporter 48 tonnes d’aide humanitaire auxquelles s’ajoutent 27 tonnes fournies par la France, et 36 par le Danemark.

Aider massivement le Pakistan, et de manière visible, comme l’avaient fait les États-Unis lors du tremblement de terre de 2005, serait pourtant un geste qui valoriserait l’Occident aux yeux de la population, comme cela avait été observé et mesuré à l’époque. Comme autrefois lors du retrait soviétique d’Afghanistan, nous sommes aujourd’hui indifférents au sort du Pakistan, et l’OTAN ne sait répondre à la pression grandissante de l’insurrection islamiste au nord-ouest que par des frappes aériennes répétées qui contribuent plus à déstabiliser le pays qu’à renforcer son gouvernement.

Dans un moment où la France est, à juste titre, engagée militairement en Afghanistan et où elle tente d’y faire prévaloir une stratégie de pacification et de dialogue, ne serait-il pas utile, pour ne pas dire indispensable, que notre pays montre l’exemple d’un engagement humanitaire massif et visible envers une nation dont nos autorités semblaient bien plus se préoccuper quand il s’agissait, il y a une quinzaine d’années, de lui vendre les productions sophistiquées de nos industries d’armement ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, vous avez très largement raison : l’aide n’est jamais suffisante. Même s’il faut compléter les chiffres que vous avez cités en mentionnant les trois avions qui sont partis la semaine dernière et l’aide que nous apportons au Pakistan dans les domaines précis où il nous le demande, vous avez raison : de l’aide, il n’y en a pas assez.

Une raison – et non pas une excuse – est que les sinistrés n’étaient pas accessibles. Comme nous n’avons pas pu envoyer d’hélicoptères tout de suite – mais il y en avait sur place –, nous allons pouvoir, maintenant que eaux se retirent, ajuster notre aide.

La France a répondu à l’appel des autorités pakistanaises et des autorités internationales, auxquelles l’argent est confié. Maintenant, nous allons pouvoir faire plus. Je rappelle que l’Europe mobilise 230 millions d’euros pour cette aide, la Commission ayant débloqué 70 millions.

Je sais bien qu’il faut aider les gens sur le terrain, en étant à leurs côtés. Ce n’est pas la main-d’œuvre qui manque au Pakistan, c’est l’aide spécialisée, par exemple pour rendre l’eau potable. Grâce à la rotation aérienne de la semaine dernière, nous avons pu distribuer des machines à ceux qui peuvent les utiliser. Nous allons continuer, en ajustant notre aide en fonction des indications de la commission pakistanaise qui s’est constituée dès les premiers jours du désastre, et qui nous demande une aide spécifique pour des villages bien désignés.

Internats d’excellence et établissements de réinsertion scolaire

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre de l’instruction publique – c’est à dessein que j’emploie ce vocable de la Troisième République triomphante (Sourires) –, nous avons assisté jeudi dernier, à Marly-le-Roy, à l’inauguration d’un internat d’excellence par le Président de la République. Ensemble, nous avons vu ces adolescents de toutes origines qui, chez eux, n’ont pas toutes les conditions matérielles pour bien étudier, et qui se trouvent désormais dans un milieu encadré, avec des moyens matériels suffisants pour réussir leurs études.

Dans le même temps, vous mettez en place des internats de réinsertion scolaire à l’intention de celles et ceux qui sont, malheureusement, perturbateurs, et qui ont besoin de retrouver le sens de la discipline et de l’autorité pour leur propre bien.

Pouvez-vous nous donner d’avantage d’éclaircissements sur ces établissements où l’on sent se lever de nouveau le souffle salvateur de la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Myard, les internats d’excellence et les établissements de réinsertion scolaire dont vous faites état sont une innovation pédagogique pour la rentrée qui illustre notre politique, qui est de tenter de trouver une solution pour chaque élève.

Il s’agit d’abord d’élèves issus de milieux défavorisés et qui n’ont pas chez eux les conditions humaines et matérielles de la réussite scolaire – comme ceux que nous avons rencontrés à Marly-le-Roi avec le Président de la République la semaine dernière. Ils vont trouver une structure d’encadrement et une pédagogie adaptée. Ce sont des élèves méritants, qui réussissent plutôt bien à l’école, mais dont le maintien dans la cellule familiale risque d’hypothéquer les chances de réussite dans l’institution scolaire.

Ensuite, la mise en place des établissements de réinsertion scolaire est un élément de réponse face à des élèves très perturbateurs. Un ou deux d’entre eux suffisent pour polluer la vie de tout un établissement de mille élèves. (« Roy ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Nous avons décidé de créer une dizaine de ces établissements. Hier, aux côtés d’Éric Ciotti et de Christian Estrosi, je suis allé inaugurer le premier d’entre eux, à Saint-Dalmas-de-Tende. L’objectif est de créer un encadrement renforcé pendant une année et de sortir ces élèves de leur environnement familial et éducatif pour leur permettre de réintégrer le système scolaire.

Ces deux types d’établissements illustrent bien notre volonté d’apporter une réponse à chacun et de faire en sorte qu’il y ait bien une solution pour chaque élève au sortir de l’école. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Marc Laffineur.)

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Suspension des travaux
de l’Assemblée nationale

M. le président. La conférence des présidents propose à l’Assemblée de suspendre ses travaux, en application de l’article 28, alinéa 2, de la Constitution, du jeudi 23 décembre 2010 au dimanche 9 janvier 2011.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

4

Calendrier prévisionnel des travaux

M. le président. Conformément à l’article 48, alinéa 3 du règlement, la conférence des présidents a arrêté le calendrier prévisionnel de la session ordinaire, jusqu’à la fin du mois de décembre. Ce calendrier sera affiché et mis en ligne.

5

Réforme des retraites

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant réforme des retraites (nos 2760, 2770, 2768, 2767).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures cinquante-cinq minutes pour le groupe UMP, cinq heures onze minutes pour le groupe SRC, dont soixante-quatre amendements restent en discussion, quarante minutes pour le groupe GDR, dont quarante-huit amendements restent en discussion, trois heures quarante-deux minutes pour le groupe NC, dont trente-cinq amendements restent en discussion, et deux minutes trente et une seconde pour les députés non inscrits, dont deux amendements restent en discussion.

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Ce rappel au règlement s’inscrit dans le cadre de l’organisation de nos travaux. Vous étiez vous-même présent, monsieur le président, lorsque j’ai informé la conférence des présidents de ce que de nombreux collègues de mon groupe ont manifesté leur intention d’utiliser la possibilité que leur offre l’article 49, alinéa 13, de notre règlement de procéder à une explication de vote individuelle.

Il est bien évident que l’organisation de la séance de cet après-midi, de celle de ce soir, de celles de demain, a des conséquences pour chacune et chacun d’entre nous. Je souhaiterais donc, très simplement, connaître les conditions dans lesquelles vont s’organiser nos prochaines séances. Je voudrais notamment savoir quels sont les horaires de conclusion de nos travaux que vous envisagez pour ce soir. Je pense que c’est une question importante. Y répondre est une manière de respecter le Parlement. Je vous dis les choses très clairement, très courtoisement, mais fermement : il n’est pas acceptable que les parlementaires découvrent à minuit, comme cela a été le cas chaque soir de la semaine dernière, jusqu’à quelle heure ils auront à siéger. Vendredi soir, il a fallu batailler pour que l’on termine à une heure « raisonnable », c’est-à-dire deux heures du matin. Et la nuit dernière, on nous proposait de terminer à cinq heures. Heureusement, faute de combattants, notamment du côté de la majorité – ils ont déclaré forfait –, on a pu s’arrêter autour de deux heures du matin.

Par respect pour notre institution, pour le Parlement, par souci de l’image que nous donnons à l’extérieur, et s’agissant d’un texte aussi important pour l’avenir du pacte social français, je ne voudrais pas qu’un épisode de ce genre se reproduise pour la énième fois cette nuit. J’aimerais donc, monsieur le président, que vous nous disiez, concrètement, précisément, comment les choses vont se dérouler. Il est seize heures quinze passées. La présente séance sera levée avant le dîner. Elle sera suivie d’une séance ce soir. Votre réponse est très importante si l’on veut que les débats se déroulent dans un climat constructif et serein. Sinon, je crains malheureusement que la tension remonte, comme cela a été le cas ces dernières heures, et je ne suis pas partisan de cette façon de faire, s’agissant, en tout état de cause, d’un projet aussi important pour les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Monsieur le président Ayrault, nous en sommes à la séance de cet après-midi, et nous allons faire en sorte qu’elle se déroule de la manière la plus constructive possible. On verra ce soir, suivant ce qu’aura été le débat d’ici là.

Mme Catherine Coutelle et Mme Pascale Crozon. Ce n’est pas une réponse !

M. le président. Vous le savez bien, car vous n’êtes pas un nouveau député, il y a toujours eu des séances de nuit dans cette assemblée, et bien avant que vous ou moi y siégions. Une séance est prévue ce soir, et je ne suis pas capable de vous dire, en cet instant, combien de temps elle durera. Cela dépend aussi de tous nos débats.

Mme Laurence Dumont. Allons-nous siéger demain matin ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, vous ne répondez pas à ma question. Mon rappel au règlement porte bien sur l’organisation de nos travaux. Vous répondez évasivement, alors que vous savez fort bien que la possibilité a été actée par la conférence des présidents, à la demande du Gouvernement, d’ouvrir une séance demain matin, à neuf heures trente. Si vous voulez respecter la dignité de notre assemblée, il est important que vous disiez, avant que ne commencent nos travaux de cet après-midi et de ce soir, que l’on ne va pas décider de mesures concernant la pénibilité, la retraite des femmes, les carrières longues, à cinq, six, voire sept heures du matin. Sur un sujet aussi grave, nous ne pouvons pas légiférer comme cela, en pleine nuit, et l’on ne peut pas nous faire croire que c’est normal, que c’est l’habitude de travailler la nuit. Non, ce n’est pas l’habitude !

Mme Valérie Rosso-Debord. Mais si !

Mme Laurence Dumont. D’ailleurs, la droite n’était pas dans l’hémicycle cette nuit !

M. Jean-Marc Ayrault. Au maximum, nous arrêtons vers une heure trente, pour reprendre le lendemain. Je vous demande, monsieur le président, de dire clairement comment vous entendez organiser nos travaux pour respecter la dignité de notre assemblée, c’est-à-dire aussi de tous ceux qui sont ici et qui représentent les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Monsieur le président Ayrault, je vous ai répondu le plus clairement possible. Il est bien entendu que cela va dépendre des débats que nous allons entamer à partir de maintenant. Par conséquent, ne perdons pas de temps, et entrons dans la discussion des amendements. Nous verrons ensuite quel temps restera imparti pour les uns et pour les autres.

M. Patrick Roy. Le président patauge !

Mme Laurence Dumont. Ce n’est pas sérieux !

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, la réponse que vous venez de faire au président de notre groupe avait un sens du temps de l’ancien règlement. Autrefois, on avait effectivement des incertitudes sur ce qu’allait être la durée du débat. Aujourd’hui, la seule chose qui est certaine, c’est que nous ne pourrons pas parler plus que le temps que vous avez bien voulu octroyer à chacun des groupes. Notre temps de parole est décompté, et nous délibérons sous la pression du sablier, ce qui constitue une circonstance singulière.

Le problème n’est donc pas celui-là. Vous savez parfaitement combien de temps le débat va durer. Simplement, vous avez décidé, ou plus exactement, « on » a décidé, que le vote devait avoir lieu demain, à quinze heures. À partir de là, peu importe que l’on soit amené à débattre dans des circonstances totalement indignes, pas seulement pour nous, mais pour l’ensemble des parlementaires !

Y a-t-il un sens à ce que nous engagions maintenant, à seize heures vingt, un débat dont nous savons que vous avez probablement l’intention de le voir s’achever demain matin vers sept heures ? Naturellement, nous allons participer à ce débat. Mais tout cela est-il digne ? Ce passage en force est-il digne d’une assemblée ? C’est la seule autorité qui vous reste, celle qui consiste à essayer de nous broyer et de nous amener dans cette situation-là. Mais franchement, vous pourriez partir de l’idée que les groupes ne vont pas parler plus de temps que celui qui leur a été octroyé, et organiser les choses dans la dignité, et non en fonction d’une échéance déjà arrêtée.

Si vous voulez, ce que nous regrettons, laisser beaucoup trop de Français penser que cet endroit est, au fond, un théâtre d’ombres, où les jeux sont faits d’avance, où le débat n’a pas d’importance et où la seule chose qui compte, c’est d’arriver au bout, vous n’avez qu’à continuer comme cela. Vous prenez une lourde responsabilité.

Dans tous les cas, nous vous demandons de respecter la dignité du Parlement et des parlementaires. Vous pouvez nous imposer le temps programmé, mais vous ne pouvez pas nous imposer le programme du Président, ni ce que vous avez choisi. Sur un débat aussi important, les Français ont droit à un autre traitement de leur Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Monsieur Vidalies, vous admettrez avec moi que ce n’était pas un rappel au règlement. C’était la troisième intervention pour dire la même chose. Par conséquent, elle sera déduite du temps de parole de votre groupe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Je le répète, il y a un temps imparti pour la discussion. Ce temps est un maximum. Je vous rappelle d’ailleurs que jusqu’à présent, la durée des débats n’a jamais atteint ce temps maximal prévu. Par conséquent, je ne suis pas capable de vous dire maintenant combien de temps va durer la discussion.

Mme Laurence Dumont. Dites-nous au moins si nous siégeons demain matin !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de cinq minutes, pour rencontrer le président de l’Assemblée nationale. Je souhaite m’entretenir avec lui parce que votre réponse n’est pas acceptable. Vous nous dites : « Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. » Mais l’organisation des travaux, les horaires de travail, c’est quand même de la responsabilité de la présidence. Même le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui est ici présent, avait proposé de siéger demain matin.

Je vous dis franchement que votre réponse n’est pas acceptable. J’ai fait des rappels au règlement qui entrent bien dans le cadre de l’organisation de nos travaux, comme l’a fait Alain Vidalies. Ne nous dites pas, par pure provocation, que vous allez décompter nos interventions du temps de parole de notre groupe.

J’attends toujours ma réponse. Je demande donc une suspension de séance de cinq minutes, pour rencontrer le président de l’Assemblée, Bernard Accoyer, et traiter au fond avec lui la question que je vous ai posée et à laquelle vous n’avez pas répondu.

M. le président. Le président qui préside la séance est tout à fait apte à vous répondre.

M. Alain Bocquet. Alors répondez !

M. le président. C’est lui qui préside cette assemblée. Néanmoins, puisque vous demandez une suspension de séance de cinq minutes, je vais vous l’accorder. Elle sera bien entendu décomptée du temps de parole du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Épiciers !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise. Nous en arrivons à la discussion des amendements.

M. Gaëtan Gorce. Il n’y a pas réponse à la question ?

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant aux amendements identiques nos 213, 367 et 463, tendant à supprimer l’article 25.

Article 25 (suite)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour soutenir l’amendement n° 213.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, par cet amendement de suppression, nous ne remettons en cause ni l’utilité du dossier médical ni la nécessité de généraliser la traçabilité des risques auxquels les salariés sont exposés tout au long de leur carrière professionnelle. Nous pensons que ces dispositions essentielles à la construction d’une politique de prévention des risques professionnels et de la pénibilité n’ont pas leur place dans un projet de loi traitant de la réforme des retraites, mais relèvent d’une réflexion plus globale sur la santé au travail.

Incomplet, imprécis cet article 25 a été voulu par le Gouvernement uniquement parce que le dossier médical en santé au travail comme le document d’information sur l’exposition aux risques sont des supports nécessaires au dispositif maintenant à 60 ans l’âge de départ à la retraite pour les salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et justifiant d’un taux d’incapacité d’au moins 20 %, dispositif supposé compenser la pénibilité au travail.

Les médecins du travail que nous avons auditionnés nous ont dit souffrir de leur manque d’indépendance vis-à-vis des employeurs, être empêchés de mener à bien leur mission en raison de l’espacement des visites, faute de pouvoir se rendre dans l’entreprise et de disposer de moyens juridiques contraignants vis-à-vis de l’employeur, pour que cessent véritablement les mises en danger de certains salariés. Ils se sont montrés plus que sceptiques concernant cet article, craignant que tels qu’envisagés, pour ne pas dire instrumentalisés par le Gouvernement, ces outils, au lieu d’être au service de la santé des salariés, renforcent en fait la mainmise des employeurs sur la médecine du travail.

Nous jugeons totalement irresponsable le projet du Gouvernement s’agissant de l’obligation de résultat de l’employeur en matière d’évaluation et de prévention des risques professionnels, et plus précisément de la traçabilité de l’exposition aux risques. À croire que le Gouvernement méconnaît le code du travail, l’existence du document unique dans lequel l’employeur est tenu de transcrire et de mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques, identifiés dans chaque unité de travail ! Monsieur le ministre, n’avez-vous jamais entendu parler de l’obligation pour l’employeur de remettre au salarié une attestation d’exposition à certains agents cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction ou à un agent chimique dangereux ?

Le recensement des postes pénibles en vue de l’amélioration des conditions de travail et de la mise en place de surveillance post-professionnelle renforcée devrait se faire dans ce cadre général. Les nombreux amendements à l’article 25 tendent en vain à raccrocher ce dispositif avec ceux existants, afin de retrouver un peu de cohérence. Ils sont une preuve supplémentaire de l’impréparation totale du Gouvernement.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 25. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour défendre l’amendement n° 367.

M. Apeleto Albert Likuvalu. J’ajouterai aux raisons fournies par les « camarades » pour la suppression de l’article 25 l’exposition à des produits cancérigènes, à l’amiante, exclus du dispositif, dont les effets sont souvent différés sur la santé. Nous savons que les cancers professionnels surviennent après l’âge de 65 ans. Ils ne sont donc pas diagnostiqués avant, c’est-à-dire lors des visites médicales.

Mon collègue a évoqué la pénurie des médecins du travail en métropole comme en outre-mer. À Wallis-et-Futuna, nous n’avons pas de médecin du travail. Les diagnostics ne sont donc pas effectués sur les malades suite à l’exposition à l’amiante que l’on trouve dans les écoles, les hôpitaux et les établissements publics.

Nous souhaitons la suppression de cet article, car il ne prend pas en compte la réalité de la pénibilité.

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie, pour défendre l’amendement n° 463.

M. Daniel Boisserie. Nous souhaitons la suppression de l’article 25, car il ne correspond pas du tout à la réalité de la pénibilité, non plus qu’à certains engagements pris par le ministre précédent. J’avais interrogé M. Darcos, au mois de novembre 2009 sur la pénibilité et évoqué les personnes travaillant dans le bâtiment. Il avait alors dit : « Nous devons nous poser la question de la pénibilité du travail dans la prise en compte de l’âge de la retraite. Nous proposons plusieurs pistes. D’abord je présenterai à la fin de l’année un plan de santé au travail qui portera sur la période 2010-2014 et qui évoquera ces questions de pénibilité. »

Qu’est devenu ce dossier ?

Il avait aussi dit : « Ensuite, il faut responsabiliser les entreprises. En effet, ce n’est pas seulement la solidarité nationale qui doit se charger de l’accompagnement d’un salarié affecté à un travail pénible, il faut l’accompagner tout au long de sa carrière. Il ne faut pas non plus considérer que la solution soit de le mettre en préretraite, car des gens qui ont acquis une expérience peuvent travailler autrement, moins sans doute, dans le cas du tutorat. » Nous avons oublié le tutorat, comme l’a relevé hier soir Daniel Garrigue.

« Bref, je vous l’assure, la question de la pénibilité au travail sera traitée », avait-il encore affirmé. Elle n’est pas traitée comme cela avait été prévu.

Je voudrais ouvrir une parenthèse pour évoquer le cas de ces personnes en incapacité de travail qui viennent à la mairie, dans nos permanences, pour exposer leur cas : ne pouvant plus travailler sur une charpente, soulever des poids dans la maçonnerie, elles ont été licenciées au bout de quelques mois, puis se retrouvant sans indemnités, elles sollicitent dans les services municipaux un emploi ne nécessitant pas de soulever de poids, par exemple.

Voyons ce qui se passe dans d’autres pays européens. J’ai rappelé hier qu’en Italie une loi avait été votée en 2007, qui prévoyait le principe de la retraite anticipée en raison de la pénibilité. Elle n’est jamais entrée en vigueur parce que la droite est revenue au pouvoir. C’est ce principe que nous souhaitons voir appliquer aujourd’hui. Aux Pays-Bas, le projet de loi qui va être voté prévoit que les personnes ayant exercé des métiers pénibles pendant trente ans au moins devront se voir proposer des tâches moins pénibles, moins fatigantes. En Allemagne, la liste des métiers pénibles va être définie. Les salariés auront droit à une retraite anticipée pour incapacité, courant jusqu’à l’âge de la retraite. Cette mesure concernera 160 000 personnes par an.

Pour ces raisons, nous souhaitons le rejet de l’article 25.

M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Si nous voulons voir disparaître en France les mots « pénibilité au travail », il faut mettre en place une vraie politique de prévention de cette pénibilité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. C’est seulement le mot qui vous dérange !

M. Denis Jacquat, rapporteur. Aussi cet article est-il extrêmement important, car il s’agit du traitement préventif de la pénibilité par une meilleure prévention et surtout par une meilleure traçabilité.

Il comporte plusieurs éléments. Premièrement, la détermination des critères – cela a été examiné avec les partenaires sociaux.

M. Daniel Boisserie. Allez le dire sur le terrain !

M. Denis Jacquat, rapporteur. Deuxièmement, il va consacrer dans la partie législative du code du travail le carnet de santé au travail. Celui-ci est rempli par le médecin du travail.

Enfin, un document dédié spécifiquement à la consignation des expositions aux facteurs de risques sera mis en place. C’est l’employeur qui le remplira. La conjugaison du carnet de santé au travail et du document d’exposition nous permettra de mettre en place enfin une vraie politique de prévention de la pénibilité au travail dans notre pays.

M. Jean-Paul Anciaux. Très bien !

M. Denis Jacquat, rapporteur. Nous sommes les premiers à attaquer de front cette situation et nous allons continuer.

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

Mme Martine Billard. C’est faux ! Il y a la Finlande !

M. Denis Jacquat, rapporteur. La commission a rejeté les trois amendements identiques.

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. La clef de la prévention, c’est la traçabilité, comme l’a indiqué M. le rapporteur. Nous sommes au cœur de la traçabilité. D’autres articles traitent de la prévention.

La construction de ce texte répond à deux impératifs : la prévention puis la réparation en termes de retraite. Nous simplifions les choses par rapport à ce qui existe déjà.

Nous verrons dans les amendements suivants le carnet médical de suivi sous la responsabilité du médecin du travail, sur la base de facteurs de pénibilité identifiés avec les partenaires sociaux, une fiche d’exposition, qui relève de la responsabilité de l’employeur, alors qu’il en existe aujourd’hui de plusieurs types. Vous savez également que, souvent, les PME ne les remplissent pas. Cette fiche d’exposition viendra nourrir le carnet de santé. Il n’y a donc plus qu’un seul document de traçabilité.

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. En qualité de président du groupe GDR, je m’associe aux propos tenus tout à l’heure par M. Ayrault, président du groupe socialiste. Il est tout à fait scandaleux, tant du point de vue de la démocratie que de la bonne tenue de l’Assemblée, que les députés ne connaissent pas exactement l’horaire de travail qui leur sera proposé par la présidence.

Il est légitime que nous puissions nous organiser. Nous travaillons beaucoup et c’est normal, mais lorsque l’on pose une question sur l’heure de levée de la séance – une heure, deux heures, cinq heures, sept heures ou neuf heures trente du matin – sans obtenir de réponse, cela me semble antidémocratique.

Je vous renouvelle donc la question, monsieur le président, et par votre intermédiaire à M. Accoyer.

S’agissant de l’article 25 qui concerne la pénibilité, nous souhaitons également nous associer aux arguments présentés par nos collègues précédents pour en demander la suppression. Vous commettez une erreur méthodologique en considérant chaque travailleur individuellement et son suivi par un carnet personnel. Il s’agit presque d’une erreur ontologique : vous ne voyez la société que comme un certain nombre d’individus quelle que soit leur inscription dans une classe sociale ou des branches professionnelles. Cela ne marche pas du tout de cette façon. Vous faites la même erreur que Margareth Thatcher, il y a vingt-cinq ans. Elle ne voyait qu’une somme d’individus, et, pour elle, la société n’existait pas.

La société, tout comme les branches professionnelles, cela existe, monsieur le ministre. Puis-je vous rappeler les statistiques, même si vous les connaissez, car il s’agit d’une question de justice ? Les ouvriers vivent six ans de moins que les cadres et dix ans de moins sans incapacité.

M. Jean-Paul Anciaux. Les enseignants aussi ont une espérance de vie moindre.

M. Yves Cochet. Depuis la réforme de 2003 de M. François Fillon – actuellement Premier ministre –, les négociations sur la pénibilité n’ont pas avancé alors qu’elles étaient prévues. En fait, il ne s’est rien passé depuis cette date. Il est indispensable de prendre en compte l’impact des métiers pénibles. Sans individualiser la question, il faut oser dire qu’il est plus pénible de travailler dans le bâtiment que d’être député ou enseignant. Je ne veux stigmatiser aucun métier, mais je vous invite à vous pencher sur les statistiques, notamment celles de la DARES.

Il faut tenir compte de l’impact des métiers pénibles et des expositions professionnelles à trois facteurs de risques connus pour affecter l’espérance de vie sans incapacité. Le premier est lié au travail en horaires alternés. Le travail posté – les 3 x 8 ou les 4 x 8 – use, en effet, davantage qu’un travail régulier. Le deuxième est l’exposition aux produits toxiques et dangereux. Chacun se souvient, hélas ! de l’exemple de l’amiante, longtemps nié.

M. Patrick Roy. Hélas !

M. Yves Cochet. Le troisième est un travail qui exige des efforts physiques violents et prolongés, notamment dans le bâtiment, mais d’autres secteurs d’activité sont également concernés.

La qualité de vie au travail est un autre aspect de la question. Certes, on peut envisager – et c’est ce que vous faites – de reporter l’âge de départ à la retraite sans se donner comme priorité l’amélioration des conditions de travail : ce n’est pas notre vision. Vous estimez qu’il faut travailler deux ans de plus pour des raisons démographiques. Nous pensons, nous, que cela n’est pas indispensable, notamment si l’on prend en compte la qualité de vie au travail.

Les entreprises ont actuellement tendance à favoriser le départ des salariés dits « vieillissants » – avec des salaires plus importants liés à leur ancienneté –, qu’elles considèrent à tort comme moins productifs que les jeunes, ceux-ci supportant plus l’intensification du travail observée ces dernières années. Il faut en finir avec cette pression toujours plus forte imposée aux salariés, comme l’ont fait les pays de l’Europe du Nord et apporter un soutien technique aux entreprises pour améliorer les conditions de travail et sanctionner celles qui ne s’engagent pas dans un tel processus. La dégradation des conditions de travail, et notamment la pénibilité, nous encourage, à l’instar de nos collègues de l’opposition qui se sont déjà exprimés, à demander la suppression de l’article 25.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. M. le rapporteur a finalement« craché » le morceau ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il est évident que c’est uniquement le mot « pénibilité » qui vous intéresse. C’est du pur affichage.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais non !

M. Jean Mallot. C’est déjà la deuxième fois que vous essayez de nous leurrer avec le mot « pénibilité »,…

M. Denis Jacquat, rapporteur. Oh !

M. Jean Mallot. …sans en tirer la moindre conclusion pour les régimes de retraite.

M. Roland Muzeau. Ce sont des récidivistes. Il faut leur appliquer la peine plancher !

M. Jean Mallot. L’article 12 de la loi de 2003 était pourtant clair : dans un délai de trois ans après la publication de la loi, les organisations professionnelles et syndicales devaient engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité. Si la définition a trouvé un aboutissement, ce ne fut pas le cas de la prise en compte, faute d’un accord du MEDEF. Cela aurait dû conduire le Gouvernement à prendre ses responsabilités et à donner un débouché aux négociations. Il n’a pas tiré les conclusions qui s’imposaient : notamment accorder la possibilité de partir à la retraite de façon anticipée. S’il ne l’a pas fait, c’est que telle n’était pas son intention et cela, dès le départ, en 2003.

Dans un premier temps, vous affirmez que la pénibilité est un concept assez complexe, qu’il n’est pas vraiment possible de la prendre en compte et qu’aucun pays ne l’a fait, ce qui est faux. Dans un second temps – en fait, dix minutes après –, vous affirmez sans ciller que vous êtes les premiers à prendre en compte la pénibilité !

M. Guy Lefrand. Absolument.

M. Jean Mallot. Il faudrait savoir ! C’est impossible ou vous êtes les premiers ?

M. Paul Jeanneteau. Ce serait miraculeux si M. Mallot comprenait !

M. Jean Mallot. Les critères de pénibilité sont connus et il est extrêmement simple de les prendre en compte. Il suffit que vous suiviez nos propositions. La réalité, c’est que vous ne le voulez pas. Seul le mot, monsieur Jacquat, vous importe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Denis Jacquat, rapporteur. M. Mallot, qui est une personne instruite et intelligente, joue de façon fort désagréable sur les mots. Nous prenons le mot « pénibilité » dans une acception large, car nous souhaitons tous que plus personne ne dise exercer un travail pénible. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de mener une politique de prévention.

J’ai proposé – et la commission l’a accepté – de modifier l’intitulé du titre IV « Pénibilité » en « Pénibilité du parcours professionnel ».

M. Jean Mallot. Des mots !

M. Denis Jacquat, rapporteur. Alors cessez de dire que nous refusons de prendre en compte la pénibilité. Nous voulons au contraire que vous vous joigniez à nous afin de faire en sorte qu’il n’y ait plus de pénibilité professionnelle dans ce pays.

Mme Martine Billard. Il ne suffit pas d’un titre pour cela !

M. Paul Jeanneteau. Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. Quel baratin !

(Les amendements identiques nos 213, 367 et 463 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 54, 27 et 631, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements n°s 27 et 631 sont identiques.

La parole est à M. Daniel Garrigue, pour soutenir l’amendement n° 54.

Mme Martine Billard. Il ne dispose plus que de deux minutes et trente et une secondes !

M. Daniel Garrigue. Cet amendement s’inspire de la loi Fillon de 2003 qui prévoyait une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité. La négociation s’est engagée à partir de 2005. Même si elle n’a pas abouti, notamment sur les modalités de mise en place de la retraite anticipée, elle a tout de même permis de progresser significativement sur la définition des critères de la pénibilité.

Je rappelle que, dans le passé, on a déjà légiféré dans ce domaine. Des lois antérieures, notamment la loi du 30 décembre 1975 relative aux conditions d’accès à la retraite de certains travailleurs manuels, présentée par le gouvernement de Jacques Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, avaient pris en compte la pénibilité du travail. Il est vrai que le texte a été remis en cause par l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans, mais il est la preuve que l’on peut à la fois négocier et légiférer sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour présenter l’amendement n° 27

M. Gérard Cherpion. Cet amendement vise à créer un seul document sur lequel seraient consignées l’exposition à des facteurs de pénibilité ainsi que les mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur tout en garantissant la confidentialité des informations relatives à l’état de santé du salarié.

Le présent article, dans sa rédaction initiale, donne une valeur législative au dossier médical en santé au travail, « constitué par le médecin du travail », retraçant notamment les « conséquences constatées des expositions » auxquelles le salarié a été soumis. Parallèlement, il impose une obligation déclarative à l’employeur qui devra, en lien avec le médecin du travail, consigner « les conditions de pénibilité auxquelles le salarié est exposé et la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ».

L’articulation entre ces deux documents n’est pas précisée. Il est proposé de créer un seul document sur lequel l’employeur consignerait à la fois l’exposition aux facteurs de pénibilité et les mesures de prévention mises en œuvre pour éliminer ou réduire ces facteurs. Ce document serait transmis au médecin du travail qui le complèterait par des informations relatives à l’état de santé du salarié qui resteraient strictement confidentielles.

Le dernier alinéa du présent article, dans sa rédaction initiale, prévoit qu’une copie de ce document sera remise au salarié à son départ de l’entreprise. Cette disposition n’est pas sans risque, un nouvel employeur pouvant exiger ou tenter d’obtenir la copie du document avant toute décision d’embauche. Afin de protéger le salarié, il est proposé que celui-ci puisse obtenir une copie de ce document uniquement à sa demande.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Robinet, pour soutenir l’amendement n° 631.

M. Arnaud Robinet. Mon amendement est identique au précédent. L’existence d’un document unique est très importante pour le salarié et permet au médecin du travail de mieux remplir sa fonction.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. La commission a repoussé ces différents amendements. Dans une politique de prévention et de suivi de la pénibilité, il est capital qu’il y ait deux documents. D’une part, le carnet de santé et, d’autre part, le document d’exposition aux facteurs de risques professionnels.

Le médecin du travail remplit le carnet de santé. Quant à l’employeur, il remplit le document d’exposition, lequel complète le carnet de santé. À cet égard, nous avons adopté un amendement de M. Vercamer concernant le lien entre le carnet et le document.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Les amendements de M. Cherpion et de M. Robinet sont satisfaits. Comme ils le souhaitent, il y a un seul document, le carnet de santé dans lequel vient s’intégrer la fiche d’exposition.

M. André Wojciechowski. Très bien ! Il faut simplifier.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Il y avait trois ou quatre documents. Maintenant, il n’y en a plus qu’un seul qui relève de la responsabilité conjointe du médecin du travail et de l’employeur. Vos propositions ont donc été entendues.

En revanche, je ne suis pas favorable à l’amendement de M. Garrigue tout en estimant que son amendement est également satisfait dans la mesure où l’on prévoit des accords de branches.

Mme Marisol Touraine. Pas du tout !

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie.

M. Daniel Boisserie. Les trois amendements sont complètement différents, monsieur le président.

Mme Marisol Touraine. Absolument.

M. Daniel Boisserie. L’amendement de M. Garrigue est tout à fait intéressant. Il propose qu’un accord interprofessionnel identifie les travaux ou fonctions pénibles, compte tenu de l’espérance de vie et des contraintes physiques entre autres. C’est ce que nous demandons également.

Vous avez parlé de prévention, monsieur le rapporteur. Mais c’est totalement utopique ! Allez parler de prévention à des ouvriers du bâtiment, au maçon qui, à 50 ans, est déjà complètement cassé.

Mme Michèle Delaunay. Tout à fait !

M. Daniel Boisserie. C’est quoi la prévention pour lui, à votre avis ? Votre position est tout à fait ridicule sur ce sujet.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Nous nous opposons à l’amendement n° 27 défendu par notre collègue Cherpion.

Il est fondamental de dissocier l’analyse de l’exposition aux risques et des conditions de travail de la tenue du carnet de santé.

M. André Wojciechowski. Il faut que cela soit lisible !

Mme Catherine Génisson. En ce qui nous concerne, nous souhaitons l’appeler « dossier médical de santé au travail ». Ce dossier doit être protégé par le secret médical…

Mme Martine Billard. Absolument !

Mme Catherine Génisson. …alors même qu’il peut y avoir des documents partagés par l’ensemble des acteurs du monde de l’entreprise, y compris l’employeur, concernant les conditions de travail.

Il faut dissocier les deux.

Au vu de cet amendement et d’un amendement du Gouvernement qui prévoit une relation hiérarchique entre l’employeur et le médecin du travail, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter.

(L’amendement n° 54 n’est pas adopté.)

M. Patrick Roy. Hélas !

M. le président. Monsieur Cherpion, retirez-vous l’amendement n° 27 ?

M. Roland Muzeau. L’amendement de Mme Parisot !

M. Gérard Cherpion. Eu égard à la réponse de M. le ministre, évidemment, je le retire. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Le « évidemment » est savoureux !

M. le président. L’amendement n° 631 est-il également retiré, monsieur Robinet ?

M. Arnaud Robinet. Oui, monsieur le président.

(Les amendements n°s 27 et 631 sont retirés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 214.

La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. L’amendement est défendu.

(L’amendement n° 214, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 217 et 522, pouvant être soumis à une discussion commune.

L’amendement n° 217 est-il défendu ?

Mme Martine Billard. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse pour soutenir l’amendement n° 522.

Mme Michèle Delaunay. Excellent amendement !

M. Pascal Terrasse. Nous nous opposons à la vision très étroite que vous avez de la pénibilité. Hier, nous avons eu l’occasion, jusqu’à la levée de séance due à l’absence des élus UMP dans l’hémicycle, de rappeler quelques vérités sur la pénibilité.

M. André Wojciechowski. La pénibilité n’est ni de gauche ni de droite !

M. Pascal Terrasse. Il y a dans cet hémicycle un certain nombre de membres du Conseil d’orientation des retraites qui ont largement contribué au rapport sur la pénibilité. Il me semblait qu’à la suite du rapport d’Yves Struillou, nous étions tous tombés d’accord sur une définition de la notion de pénibilité, qu’un réel consensus s’était dégagé quant à sa prise en charge.

L’une des deux écoles en présence privilégiait, comme le projet du Gouvernement, une approche médicale de la pénibilité. De leur côté, ceux qui ont travaillé sur ce secteur en avaient généralement une approche plus fonctionnelle, qui varie en fonction des métiers et du travail fourni par chaque salarié. Le projet gouvernemental ne prend pas en considération cette dernière approche.

Votre conception de la pénibilité est étroite : elle la réduit au handicap. De fait, lorsque l’on examine de près les dispositions qui existent déjà en la matière, et que l’on se réfère à l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, on constate que les textes permettent déjà aux salariés en situation de handicap ou d’invalidité de disposer d’une pension d’invalidité qu’ils peuvent liquider avant d’avoir atteint 60 ans. Ainsi, dans le projet que vous nous présentez, il n’y a rien de nouveau. Vous vous contentez de masquer, de travestir par la question de la pénibilité un dispositif qui existe déjà.

M. André Wojciechowski. Oh !

M. Pascal Terrasse. Vous savez très bien qu’une personne peut poursuivre son activité sans la moindre invalidité ; on l’a abondamment rappelé hier.

Je rappelle que la notion de pénibilité a été inscrite dans la nomenclature de la loi du 30 juillet 1975, qui permettait à certains salariés exerçant certains métiers ou certaines fonctions de bénéficier d’une retraite anticipée. Il ne nous semble donc pas inutile d’évaluer la durée d’assurance vieillesse minimale par rapport à ce qui relève du salaire annuel moyen, et de définir des conditions d’âge minimal pour liquider la pension au moyen de bonifications.

Tel est notre projet, contenu dans ce carnet de santé qui rendrait possible une véritable traçabilité et permettrait d’évaluer les pathologies et les troubles professionnels et d’avoir une vision globale du parcours professionnel.

La pénibilité comporte plusieurs enjeux, le premier étant collectif. À cet égard, monsieur le ministre, on ne peut nier que nous sommes d’accord sur un point : s’agissant de l’aspect classique de la pénibilité – l’environnement professionnel –, la prévention doit être essentielle. On ne peut exonérer les employeurs par un dispositif qui leur faciliterait la tâche. Cet aspect est bien connu. Un autre aspect, plus novateur, est celui de la gestion des carrières, des âges, du stress au travail. À cet égard, votre projet ne va pas encore assez loin. Or on sait que de nombreux Français sont confrontés à ce type de difficultés.

Parallèlement au plan collectif, il y a la prise en considération individuelle, qui se traduit nécessairement par des bonifications, des départs anticipés dont bénéficient certains métiers. Cela existe pour les militaires, par exemple. De fait, votre dispositif législatif maintient en l’état, ou presque, les bonifications dont jouissent ces derniers, ainsi que les pompiers, les policiers et plusieurs autres métiers.

Nous demandons simplement que ces conditions soient étendues à d’autres secteurs d’activité, comme le bâtiment ou l’agriculture. Car il ne saurait être question de faire coexister dans notre pays deux types de prise en charge.

Tel est le sens de l’amendement n° 522.

M. Patrick Roy. Excellent !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Nous avons discuté assez longuement en commission de l’appellation de ce carnet, d’une part, et de sa vocation, d’autre part.

Son appellation résulte d’une demande de plusieurs partenaires sociaux, qui préféraient au terme de « dossier » celui de « carnet », moins administratif et moins contraignant à leurs yeux. Le terme « santé » correspond pour sa part au caractère médical que ce document doit revêtir.

Quant à sa vocation, je l’ai évoquée en m’exprimant sur l’amendement précédent.

La commission a donc repoussé cet amendement, comme le précédent.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Défavorable à ces deux amendements.

« Carnet de santé » dit bien ce que cela veut dire.

Toutefois, je crois que nous aurions pu tomber d’accord sur cet amendement, monsieur Terrasse – c’est suffisamment rare pour ne pas en profiter ! (Sourires.)

M. Pascal Terrasse. À qui la faute ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. À l’opposition, bien sûr ! Mais nous y étions préparés.

Nous aurions pu tomber d’accord, car nous simplifions la situation, en garantissant la traçabilité, la responsabilité du médecin du travail et en modifiant les missions du service de santé au travail, selon un dispositif bien construit. Dont acte.

Par ailleurs, les bonifications que vous évoquez reviendraient à ressusciter les régimes spéciaux. Vous le savez fort bien, du reste.

Mme Catherine Génisson. Non !

Mme Marisol Touraine et M. Jean Mallot. Pas du tout !

Mme Catherine Génisson. C’est l’individualisation du risque qui est en question !

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. M. le ministre vient de le dire, les mots ont un sens. Ainsi, l’appellation « carnet de santé » n’évoque nullement la pénibilité ; en outre, elle individualise l’approche de ce problème.

L’un de nos sujets de désaccord, et même le sujet essentiel, est cette distinction entre le parcours individuel d’un salarié, lequel pourrait, à la limite, justifier un carnet de santé, et la reconnaissance des métiers, des pratiques et des environnements qui peuvent entraîner des difficultés.

Je ne suis pas du tout d’accord avec vous, monsieur le ministre : il ne s’agit absolument pas d’identifier des métiers qui donneraient lieu à de nouveaux régimes spéciaux, mais d’admettre que certains environnements, certaines conditions de travail, certains matériaux induisent la pénibilité.

Dans notre amendement, nous insistons donc sur la nécessité de remplacer le « carnet de santé » – nom que vous défendez, monsieur le rapporteur – par un « dossier d’exposition aux risques professionnels tout au long de la vie ». La notion de risque professionnel englobe celle de pénibilité, à la différence du seul terme de « santé ». Quant à l’expression « tout au long de la vie », nous savons d’expérience que l’on peut partir à la retraite en bonne santé et n’être confronté qu’ensuite à des problèmes de santé que ce dossier d’exposition permettra de reconnaître. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. C’est incroyable : on risque bien de mourir un jour !

M. Paul Jeanneteau. Quarante ans après la retraite !

Mme Claude Greff. Vivre, c’est risquer de mourir !

(L’amendement n° 217 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 522 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 465.

La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Nous voilà confrontés une nouvelle fois – ce n’est pas la première, loin s’en faut ! – à un gouvernement du mensonge. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’entends les protestations de vierges effarouchées…

M. Denis Jacquat, rapporteur. Je ne suis pas une vierge effarouchée, moi ! (Sourires.)

M. Patrick Roy. Vous savez bien que vous n’y croyez pas vous-même, pas plus qu’à ce que vous tentez de faire croire aux Français.

Gouvernement du mensonge, car, depuis de nombreuses années, inlassablement, vous faites des promesses que vous ne tenez pas, quand vous ne faites pas le contraire de ce que vous avez promis. Tout cela devient extrêmement pesant.

Votre dernier mensonge remonte à moins d’une heure : M. Woerth, répondant à l’un de nos sympathiques députés socialistes qui affirmait que nous reviendrions sur la réforme que vous voulez faire passer en force,…

M. Charles de La Verpillière. Mensonges ! C’est l’opposition qui ment !

M. Patrick Roy. …ce qui prendra peut-être toute la nuit, M. Woerth, donc, a dit que Martine Aubry n’était pas revenue sur la réforme de 2003.

Mme Valérie Rosso-Debord et Mme Marie-Christine Dalloz. Il n’y avait rien dans le programme socialiste !

M. Patrick Roy. Monsieur Woerth, il vous a apparemment échappé que, depuis 2003 – à moins que je ne sois victime d’un Alzheimer soudain –,…

Mme Valérie Rosso-Debord et Mme Marie-Christine Dalloz. Le programme ! Le programme !

M. Patrick Roy. …la gauche et le parti socialiste ne sont pas au Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. Et 1993 ? Parlez du fond !

M. Patrick Roy. Attendez que nous revenions au pouvoir : je vous assure que, dès 2012, nous nous emploierons à revenir sur la réforme…

M. Charles de La Verpillière. Mensonges !

M. Patrick Roy. …afin de vous montrer que nous sommes des gens de parole.

M. Charles de La Verpillière. Oh là !

M. Patrick Roy. Eh oui, mon cher collègue !

Un autre mensonge porte sur cette affaire de pénibilité. À ce sujet, nous nous répétons inlassablement. Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, vos arguments sont inopérants lorsque l’on écoute les salariés. Vous n’êtes pas en train d’instaurer une politique de lutte contre la pénibilité. Nous vous le répétons sans cesse, mais vous faites la sourde oreille ! En réalité, vous adoptez une politique – modeste – de lutte contre l’incapacité, le handicap, la maladie, mais absolument pas contre la pénibilité !

Pour parler d’un domaine que je connais bien, comme plusieurs d’entre nous, les travailleurs exposés à l’amiante ont obtenu des avantages non négligeables, et même tout à fait intéressants, bien que non encore suffisants, grâce au ministère de Mme Aubry – je me tourne vers Mme Génisson –, une dame de parole. Mme Aubry avait alors pris en considération le fait que les travailleurs étaient exposés à l’amiante. En effet, monsieur le ministre, on peut être exposé à l’amiante, être jugé en bonne santé à l’issue de consultations et d’examens médicaux, et déclarer brutalement un cancer meurtrier.

Quant à cet amendement, qui se veut de repli par rapport au précédent, nous sommes attachés à l’existence non pas d’un carnet de santé – pour toutes les raisons que je viens d’évoquer –, mais d’un dossier d’exposition aux risques professionnels. C’est très différent, et, si vous faites preuve d’honnêteté intellectuelle, vous voterez ce bel amendement !

M. Charles de La Verpillière. C’est trop long ! On vous a dit d’arrêter !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. M. Roy vient de parler d’honnêteté intellectuelle. Il n’a pas dû entendre ce que j’ai dit tout à l’heure à propos d’un précédent amendement : ce sont plusieurs partenaires sociaux, dont des syndicats de salariés, qui nous ont demandé de changer le nom du document. Le rôle du rapporteur est d’écouter et de formuler des propositions. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) On nous a majoritairement demandé de changer le nom ; nous vous proposons donc le terme de « carnet ».

Il n’y a là aucune malhonnêteté intellectuelle ; cela montre simplement que nous sommes à l’écoute et que nous voulons vaincre la pénibilité au travail dans notre pays.

À titre personnel, je tiens enfin à vous indiquer, monsieur Roy, que nous ne sommes absolument pas sourds : dans une vie antérieure, j’étais ORL ! (Rires et exclamations sur divers bancs.)

Mme Martine Billard. Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Monsieur Roy, en répondant tout à l’heure à votre collègue lors de la séance de questions au Gouvernement, j’avais à peu près à l’esprit le fait que, depuis 2003, vous n’avez pas été au pouvoir.

Mais, à propos de la présente réforme, vous n’avez pas remis en cause celle de 2003. C’est cela que j’ai voulu dire.

M. Pascal Terrasse. Et la loi Thomas sur les fonds de pension, qui l’a abrogée ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Et, dans les propositions du parti socialiste – vous voyez que j’ai de bonnes lectures, madame Touraine –, ces propositions de bombardement fiscal de la France, des dispositions sur la durée de cotisation sont prévues jusqu’en 2020.

Cela revient à entériner la réforme Fillon de 2003.

M. Charles de La Verpillière. Eh oui ! La main dans le sac !

M. Patrick Roy. Oh !

M. Jean Mallot. Le sac, c’est plutôt vous !

Mme Martine Billard. Il est rempli de bijoux, le vôtre !

M. Charles de La Verpillière. Je vous renvoie à Mitterrand !

M. le président. La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord. Nous avons déjà longuement débattu de la pénibilité en commission.

Plusieurs orateurs, dont le dernier, M. Roy, viennent de soutenir que le Gouvernement et la majorité ne prendraient pas la pénibilité en considération.

M. Patrick Roy. Hélas !

M. Dominique Dord. Monsieur Roy, si vous faisiez partie des salariés concernés, pensez-vous sincèrement que vous accorderiez la moindre importance à la distinction entre « dossier », « carnet » et « livret » ?

Ne seriez-vous pas un peu plus intéressé par la proposition du Gouvernement qui vous permettrait de partir plus tôt si vous aviez commencé à travailler à 14, 15, 16 ou 17 ans…

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Cela fait quarante-quatre ans de cotisation !

M. Dominique Dord. …ou si vous aviez une incapacité de travail reconnue de 20 % et, maintenant, de 10 % grâce à l’amendement du Gouvernement ?

Mme Martine Billard. C’est faux et vous le savez !

M. Dominique Dord. Alors, monsieur Roy, alors, chers collègues de l’opposition, vous êtes bien gentils d’ergoter sur les mots. La vraie question derrière tout cela, c’est qu’il y a des salariés qui souffrent et qui ont besoin de concret. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Thierry Benoit. Parfait !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. La question de la prise en compte et de la définition de la pénibilité suscite entre nous une opposition frontale.

Vous êtes pour la médicalisation de la pénibilité, il faut le répéter, et votre argumentaire se résume uniquement à cela, avec l’arrière-pensée que seront prises en compte 10 000 ou 20 000 personnes. De plus, vous vous appuyez sur une argutie s’agissant de la mesure supplémentaire annoncée, car l’abaissement du seuil de 20 % à 10 % entraîne le passage de la personne concernée devant une commission.

Nous qui sommes très sensibles à la question de la reconnaissance de l’invalidité et de l’incapacité dues à la pénibilité du travail pour les mineurs de fond, nous savons que les commissions qui ont eu à statuer sur ces questions ont parfois eu des comportements qui allaient totalement à l’encontre de l’intérêt de ces travailleurs. À cet égard, je veux indiquer que la Cour des comptes a rappelé dans un récent rapport que l’incapacité et l’invalidité comme le handicap étaient très mal pris en compte par les commissions ad hoc.

M. Christophe Sirugue. Tout à fait !

M. Dominique Dord. La vérité, c’est que vous ne savez ni définir ni prendre en compte la pénibilité !

Mme Catherine Génisson. Ces commissions ont en effet publié des comptes rendus totalement illisibles et retenu des conditions de prise en charge qui différaient totalement les unes des autres.

Pour notre part, nous considérons que la médicalisation de la pénibilité n’est pas la bonne réponse à apporter. Nous souhaitons qu’une personne ayant exercé un travail pénible puisse vivre ses années de retraite en bonne santé.

M. Dominique Dord. Vous ne savez pas le mettre en équation !

Mme Catherine Génisson. Il ne faut pas être un accidenté de la vie pour qu’on reconnaisse la pénibilité de votre travail.

Contrairement à ce que vous avez indiqué, monsieur le ministre, nous ne sommes pas favorables au retour aux régimes spéciaux. Nous considérons qu’au sein d’un même métier pénible, chacun doit pouvoir se voir appliquer les mêmes conditions de prise en charge de la pénibilité, compte tenu de la durée d’exposition aux risques.

Mme Claude Greff. Il faut bien un avis médical !

M. Pascal Terrasse. De telles procédures existent déjà pour les militaires !

Mme Catherine Génisson. Il faut éviter qu’on puisse avancer qu’un tel subit davantage la pénibilité parce qu’il aurait tel ou tel antécédent médical personnel.

S’agissant de la prise en charge de la pénibilité, si nous sommes favorables à son individualisation, nous considérons qu’elle doit avant tout prendre en compte les conditions de travail de tous les travailleurs concernés et non pas uniquement la situation individuelle de chacun, position que vous défendez avec des arguties pour le moins contestables que je n’oserai même pas répéter.

M. Dominique Dord. Et ça rapporte combien ce genre d’arguments ?

Mme Claude Greff. Les conditions de travail, ce n’est pas la retraite. Vous les socialistes, vous confondez vraiment tout ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Cochet. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Dans le cadre de ce rappel au règlement, je souhaiterais adresser une sorte d’avertissement à nos collègues de l’opposition et à vous-même, monsieur le président.

Depuis le début de la séance, les membres du groupe GDR, pour défendre leurs amendements, comme vous avez pu l’observer et comme vous l’observerez à nouveau cet après-midi et cette nuit, indiquent simplement qu’ils sont défendus. Certains se demanderont peut-être pourquoi ils ne défendent plus leurs amendements comme ils l’ont fait depuis une semaine sur ce projet de loi sur lequel ils ont tant travaillé. C’est tout simplement parce que nos débats se déroulent dans le cadre du temps programmé et que pour ce type de projet de loi très important,…

M. Dominique Dord. Vous venez d’arriver : on ne vous a pas vu depuis le début de la discussion !

Mme Valérie Rosso-Debord. Où étiez-vous ?

M. Yves Cochet. …cette procédure nous prive d’une partie de notre temps de parole ! Il en est allé ainsi pour le Grenelle 2 où nous n’avons pu nous exprimer pendant le dernier tiers de la discussion ainsi que pour le projet de loi sur La Poste.

Mme Valérie Rosso-Debord. Où étiez-vous ?

M. Yves Cochet. Pour des projets de loi de cette importance, il faudrait octroyer aux orateurs le temps de parole nécessaire pour développer leurs arguments. Quand un projet de loi comporte beaucoup d’articles et beaucoup d’amendements, il est toujours plus important qu’un projet de loi n’ayant que cinq articles et cinquante amendements. C’est une chose que je regrette, je le dis une dernière fois.

Je vous demande donc de nous excuser lorsque nous dirons seulement : « Défendu ! ». Nous n’aurons pas la possibilité chronométrique de défendre nos amendements alors même que nous en avons la volonté politique.

Mme Valérie Rosso-Debord. Vous consommez du temps de parole pour rien !

M. Pierre Gosnat. La droite ferait mieux de se taire : ce matin, à deux heures, il n’y avait plus personne du côté de la majorité !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail.

M. Éric Woerth, ministre du travail. La réalité, madame Génisson, c’est que le parti socialiste, s’agissant de la pénibilité comme du reste du texte, est sur la défensive. Vous tentez de répondre aux propositions du Gouvernement. Ces propositions précises et concrètes (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) font de la pénibilité un nouveau droit social pour les salariés, qui s’inscrit dans un dispositif opérationnel. Ce qui importe, ce n’est pas seulement d’avoir de bonnes intentions, c’est d’être efficace.

Je me réfère à vos textes – texte pour texte, madame Touraine – et constate que vos propositions ne sont pas opérationnelles. Il n’y a pas de traçabilité possible car vous refusez la médicalisation. Rien n’est réalisable.

M. Pierre Gosnat. Mais si !

M. Pascal Terrasse. Ce sont les propositions du COR !

M. Éric Woerth, ministre du travail. D’un côté, il y a vos propositions qui entendent prendre en compte les facteurs de pénibilité mais sans préciser lesquels, ni dans quelles conditions ils doivent être pris en compte ou faire l’objet d’une traçabilité.

D’un autre côté, il y a le texte du Gouvernement, texte précis qui permet à 30 000 salariés de bénéficier d’un départ à la retraite à 60 ans parce qu’ils auront été exposés à des facteurs de pénibilité.

M. Alain Vidalies. Franchement, ce n’est plus possible !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Texte qui renvoie à des conventions passées avec les branches ou des accords d’entreprise pour apporter des précisions en matière d’ajustements de fin de carrière. Texte qui prévoit qu’un comité scientifique travaille sur le lien entre exposition à des facteurs de pénibilité et usure physique.

Mme Marisol Touraine. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Alain Vidalies. Vous racontez n’importe quoi !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Vous êtes sur la défensive parce qu’en matière de pénibilité, vous n’êtes jamais parvenus à construire un dispositif qui tienne la route. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Dominique Dord. Absolument !

M. Pascal Terrasse. C’est vous qui êtes sur la défensive !

M. Pierre Gosnat. Trente mille salariés sur combien de travailleurs concernés ?

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, c’est vous qui êtes à la peine sur ce sujet. La façon dont ce texte a été construit le montre bien. Vous choisissez d’attaquer plutôt que de vous défendre mais les faits sont là.

Votre projet de loi est tout entier construit sur le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous avons voté l’article 5 !

M. Gaëtan Gorce. Il faut un bien curieux sens du paradoxe pour démontrer à nos concitoyens ou à la représentation nationale que cette disposition représente un progrès social. Pour masquer ou atténuer ce qui ne peut être qu’une régression, vous avez donc tenté d’apporter un début de réponse en introduisant une disposition sur la pénibilité mais, en réalité, ce n’est qu’un ersatz de réponse.

Vous et votre majorité, monsieur le ministre, avez un vrai problème avec la question du travail. Lorsque vous avez été élus en 2007, vous aviez promis de revaloriser le travail.

Mme Claude Greff. Et nous l’avons sauvé !

M. Gaëtan Gorce. Or, comme je l’ai dit hier, ni sur l’emploi, ni sur le pouvoir d’achat, ni aujourd’hui sur la pénibilité, vous ne faites avancer les choses. Ceux qui travaillent ont, au contraire, tout à redouter de ce que vous décidez.

Mme Claude Greff. Arrêtez !

M. Gaëtan Gorce. Citons des exemples.

S’il y a eu un changement de position par rapport au texte de 2003, il vient de vous et non pas de la gauche. En 2003, la droite était favorable à un allongement des durées de cotisation comme réponse au problème démographique ; aujourd’hui, elle privilégie la modification de l’âge légal de départ. Ce sont deux logiques différentes !

Nous défendons une même logique qui tend à considérer que c’est par l’allongement de la durée de cotisation que passe la réponse et au problème démographique et au problème social.

M. Dominique Dord. Vous avez changé d’avis depuis 2003 !

M. Gaëtan Gorce. Ce problème social lié à la pénibilité, vous ne l’abordez pas directement. Pourquoi ?

Parce que, dans ce débat, vous avez la même vision du travail que celle que vous défendiez à propos des heures supplémentaires ou de la possibilité de travailler au-delà de 35 heures : une vision totalement individuelle du travail qui reste pourtant, que vous le vouliez ou non, une organisation collective.

Ce à quoi est confronté le salarié, ce sont des situations particulières liées à sa complexion personnelle dans l’exposition à certains risques et à certaines maladies,…

Mme Claude Greff. Il faut les définir !

M. Gaëtan Gorce. …mais c’est avant tout un mode d’organisation qui produit les situations que nous connaissons aujourd’hui.

Il est assez surréaliste de constater que nous débattons de cette question alors qu’il y a quelques semaines encore, les suicides à France Télécom faisaient les gros titres de la presse et soulevaient l’émotion légitime des parlementaires, des spécialistes du social et plus globalement de nos concitoyens.

Mme Claude Greff. Ce n’est pas le régime des retraites qui résoudra ce problème !

M. Gaëtan Gorce. Il y a un malaise au travail dans notre pays, que vous le vouliez ou non, et ce malaise, vous l’avez accentué.

Mme Valérie Rosso-Debord. Il ne faut pas tout mélanger !

M. Gaëtan Gorce. Il est lié à une organisation du travail qui ne laisse pas suffisamment de place à la négociation, qui ne tient pas compte de la situation passée et des carrières professionnelles des salariés et qui ne prend en compte ni leur âge ni leurs qualifications.

Sur tous ces sujets, vous n’avancez pas. Vous ne traitez la question que d’un point de vue individuel et, s’agissant de la pénibilité, que d’un point de vue médical.

Mais ce problème, il faut maintenant le traiter au fond.

M. Dominique Dord. Carnet ou livret ? Oui, c’est une question de fond !

M. Gaëtan Gorce. Dès lors que vous augmentez l’âge légal de départ à la retraite, il importe de corriger l’impact inéluctable de cette disposition sur la situation de nombre de salariés par des bonifications de trimestres calculées à partir de l’exposition à des situations collectives comme le travail posté ou semi-posté, en reprenant, comme M. Garrigue l’a indiqué, les dispositions qui figuraient dans la loi de 1975 parce que ce sont là des garanties collectives que nous apporterons à l’ensemble des salariés.

Pour le reste, c’est un rideau de fumée que vous essayez de dresser pour masquer les conséquences sociales de votre texte.

On nous a déjà expliqué que les heures supplémentaires constituaient un progrès ; personnellement, j’ai du mal à comprendre comment l’augmentation du temps de travail peut être un progrès, surtout dans les conditions qui sont décrites.

Mme Claude Greff. Restez chez vous alors, vous ne nous ennuierez plus comme ça !

M. Gaëtan Gorce. On nous explique aujourd’hui que le report de l’âge légal est un nouveau progrès ; beaucoup ont du mal à le comprendre.

Vous prétendez que les socialistes ne reviendront pas sur cette loi. Sachez qu’ils entendent, au contraire, revenir sur le report à 62 ans, notamment parce que la question de la pénibilité n’aura pas été traitée convenablement, c’est-à-dire d’un point de vue collectif.

Je n’aurai pas la cruauté, monsieur le ministre, de vous demander si vous tenez vos informations sur la position des socialistes de renseignements fournis par le contre-espionnage à travers des listings téléphoniques. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est nul !

M. Gaëtan Gorce. Je vais vous dire très clairement et très directement, sans que vous ayez besoin de recourir à ces méthodes, que nous reviendrons sur ces dispositions, car elles ne sont ni efficaces ni justes.

Mme Valérie Rosso-Debord. Comme en 1993 !

M. Gaëtan Gorce. Il faut regarder le travail comme il est : il s’inscrit dans un cadre collectif, ce qui suppose d’associer les partenaires sociaux. Il faut avoir une vision vraie du travail.

M. Dominique Dord. Comme pour les 35 heures !

M. Gaëtan Gorce. Le travail est de plus en plus difficile pour nos concitoyens. Tous les chiffres en attestent : maladies professionnelles, accidents du travail, malaises au travail mesurés par les sondages et les enquêtes. Ce n’est pas seulement d’un point de vue social mais aussi d’un point de vue économique qu’il faut y apporter des corrections, car cette réalité-là nuit à l’efficacité de notre économie et de nos entreprises.

Bien évidemment, vous n’avez nullement l’intention d’agir en ce sens, car votre approche est uniquement financière et comptable, et elle est, de ce point de vue, très insuffisante.

Mme Claude Greff. Supprimez le travail en France, c’est la meilleure solution !

Mme Valérie Rosso-Debord. Je vois que votre intervention recueille des applaudissements nourris !

Mme Martine Billard. Combien de Français sont contre le projet de loi ?

M. le président. La parole est à Mme Michèle Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. J’avoue que j’ai été très choquée d’entendre M. le ministre dire que nous étions sur la défensive alors qu’il est lui-même dans la surdité.

M. Dominique Dord. Mieux vaut la surdité que l’absurdité !

Mme Michèle Delaunay. Depuis le début de cette discussion, nous n’avons fait qu’avancer des propositions en matière de pénibilité. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.) Il s’agit pour nous de définir la pénibilité à partir des connaissances que nous avons…

Mme Claude Greff. Et qui la mesure ?

Mme Michèle Delaunay. …par branche, par profession et non pas d’en faire une symptomatologie individuelle, à établir une fois que les dégâts ont été faits.

J’ai été atterrée par les propos de M. Dord qui a tenté de ridiculiser nos propositions en affirmant que les salariés se moquaient d’avoir un carnet ou un dossier de santé. C’est faux ! Pour ma part, j’ai manié les deux. Monsieur Dord, nous ne travaillons pas dans les mêmes secteurs.

M. Dominique Dord. Ça, c’est sûr !

Mme Michèle Delaunay. Personnellement, je m’en flatte ! Un carnet de santé est un document où l’on note rapidement un signe constaté, qui est lui-même la marque d’une pathologie déjà déclarée. À l’inverse, un dossier de santé permet de chercher les facteurs de cet éventuel signe, les éléments qui peuvent le déterminer, les signes avant-coureurs, de manière à prévenir l’apparition de pathologies et à les dépister afin de soustraire le travailleur aux risques. Nous savons que la prolongation de l’exposition peut être en elle-même un facteur de risque et d’aggravation de la pénibilité.

Vous pouvez toujours rire, chers collègues, vous n’avez pas vécu ces situations.

M. Dominique Dord. Qu’est-ce que cela apporte concrètement aux salariés concernés ?

Mme Michèle Delaunay. La réponse est très simple, monsieur Dord : mieux vaut découvrir les facteurs d’un risque que d’en constater les dégâts ; mieux vaut déterminer les signes avant-coureurs d’une pathologie que se contenter d’en traiter les conséquences, comme vous le prévoyez. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’essaie de me mettre à la place d’un observateur extérieur qui prendrait en cours notre débat sur la pénibilité.

M. Dominique Dord. Il serait affligé !

Mme Marie-Christine Dalloz. Il est clair que nous n’avons pas la même vision de la pénibilité que l’opposition.

Mme Michèle Delaunay. C’est incontestable !

Mme Marie-Christine Dalloz. Le groupe socialiste est favorable à une reconnaissance collective de la pénibilité, c’est-à-dire par métier. (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC.) Il souhaite flécher le métier de maçon, celui de charpentier, de charcutier, de boulanger, d’instituteur, d’infirmier,...

M. Pascal Terrasse. D’accidenté du suffrage universel.

Mme Marie-Christine Dalloz. …et j’en passe, avec une connotation pénible. Mais, une fois cela fait, comment traitera-t-il le problème concrètement ?

M. Christophe Sirugue. Ce n’est pas ce que l’on dit !

Mme Marie-Christine Dalloz. Pour une fois, vous êtes d’accord entre vous sur le fait qu’il faut reconnaître tous les métiers pénibles.

Pour avoir fait plus d’une vingtaine d’auditions sur le thème de pénibilité, je peux vous affirmer que je n’ai pas rencontré une seule profession qui ne m’ait pas dit qu’il y avait des aspects de pénibilité dans son activité professionnelle.

Mme Claude Greff. Tous les métiers ont des aspects pénibles ! Prenez le nôtre : c’est pénible d’entendre le groupe socialiste !

Mme Marie-Christine Dalloz. Comment comptez-vous financer cette pénibilité ? Bien sûr, vous me répondrez que vous allez trouver quelques milliards grâce à une pression fiscale supplémentaire.

La démarche du Gouvernement est à la fois novatrice et très volontariste en ce qu’elle a prévu d’abaisser à 10 % le taux d’incapacité physique requis pour partir en retraite anticipée. Je le rappelle, il ne s’agit pas d’invalidité mais d’incapacité permanente. C’est une reconnaissance individuelle car, je le rappelle, qu’on le veuille ou non, nous ne sommes pas égaux devant la santé ou devant la mort.

M. Gérard Charasse. Devant la richesse non plus !

Mme Catherine Génisson. Arrêtez !

Mme Marie-Christine Dalloz. Certaines personnes sont plus fragiles que d’autres. De ce fait, elles méritent une vraie reconnaissance, et je remercie les ministres pour cette disposition qui figure dans le texte de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine. Quel débat ! On assiste à une succession de déclarations plus invraisemblables les unes que les autres, de contrevérités assenées sur le ton de l’évidence qui ne trompent personne.

Madame Dalloz, vous méritez mieux que les propos que vous venez de tenir !

M. Dominique Dord. Qu’est ce que c’est que ce ton méprisant ?

Mme Marisol Touraine. Qui a dit que nous voulions procéder à une reconnaissance des métiers et créer des régimes spéciaux ? Monsieur le ministre, vous étiez mieux éclairé lors des débats que nous avons eus à huis clos et que j’ai relus avant la séance. Vous nous aviez dit alors que vous ne nous faisiez pas de procès. Ce que vous ne faites pas en privé, ne le faites donc pas en public !

À aucun moment nous n’avons dit que les charcutiers, les chaudronniers ou autres seraient classés comme catégories pénibles. En revanche, nous considérons que l’exposition à un certain nombre de facteurs de pénibilité doit ouvrir droit à la reconnaissance de l’impact dans la durée de cette exposition, et donc ouvrir droit à une diminution de la durée de cotisation et de la durée d’assurance. Voilà ce que nous disons, et nous ne disons rien d’autre.

Mme Claude Greff. Qui va définir cela ? Ce ne peut être que le médecin !

Mme Marisol Touraine. Nous ne voulons pas de médecin, car il ne s’agit pas d’un problème médical.

Quant à la question de la traçabilité sur laquelle vous nous reprochez de ne pas être opérationnels, il suffit que vous le décidiez pour qu’elle soit établie, car on sait parfaitement aujourd’hui, dans 70 % à 80 % des cas, par quelles situations professionnelles sont passés les salariés. On peut reconstituer leurs carrières et identifier la pénibilité éventuelle à laquelle ils ont été exposés. Il vous appartient, si vous le souhaitez – mais vous ne le souhaitez pas –, de mettre en place des dispositifs permettant aux 20 % à 30 % de salariés restants de faire valoir leurs droits et de créer une instance qui permettra d’évaluer ou d’apprécier les situations de conflits.

Mme Claude Greff. C’est bien flou !

Mme Marisol Touraine. Vous avez les moyens, en tant que pouvoir exécutif, de mettre en place la prise en charge collective de ce droit nouveau que serait la pénibilité. Vous ne pouvez pas, vous, ministre de la République, vous réfugier derrière l’absence de dossiers de traçabilité pour récuser la mise en place de ce droit.

Ayez un peu d’honnêteté, dites-le clairement : vous ne voulez pas reconnaître la pénibilité parce que vous considérez qu’il s’agit d’un sujet marginal et que cela ne doit pas interférer avec les données démographiques sur lesquelles votre réforme est exclusivement fondée.

Mme Claude Greff. Vous dites n’importe quoi !

M. Denis Jacquat, rapporteur. C’est faux !

Mme Marisol Touraine. Il y a une mesure démographique qui s’impose à tous : l’allongement de l’espérance de vie ne profite pas à tout le monde de la même manière. C’est cette différence d’espérance de vie que nous, nous voulons prendre en compte et que vous, vous récusez. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Arnaud Robinet. Et les enseignants ?

M. le président. Mes chers collègues, je vais donner successivement la parole à MM. Vidalies, Vercamer, Benoit, Lurel, Ménard et Lefrand. Puis nous passerons au vote sur cet amendement.

La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Madame Touraine, s’agissant des mesures sur la pénibilité que nous avons mises en place, finalement vous n’êtes pas sur la défensive, vous faites plutôt du suivisme.

M. Christophe Sirugue. Il faudrait savoir !

M. Éric Woerth, ministre du travail. En fait, on pourrait presque inscrire votre dispositif dans le nôtre. Toutefois, pour le futur, il faut bien une traçabilité des éléments de pénibilité, ce que vous ne proposez pas.

D’une certaine façon, en disant que certaines personnes pourront bénéficier de la retraite à 60 ans, il s’agit d’une bonification de retraite par rapport à l’évolution de l’âge de la retraite à 62 ans. Du reste, vos projets font état de deux années de bonification. Et la durée de travail est bien réduite par rapport aux autres travailleurs. Mais nous estimons que cela doit faire l’objet d’une vérification, car les tableaux des maladies professionnelles ne sont pas suffisamment détaillés et ne permettent pas de faire le lien collectif entre le facteur d’exposition et l’usure physique prématurée d’un salarié. (« Si ! » sur les bancs du groupe SRC.) La vérification se fait sur le plan médical. Les médecins ne sont pas les ennemis des travailleurs ni ceux de la République.

M. Daniel Boisserie. Vous ne répondez pas sur l’espérance de vie !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Il faut bien que la sécurité sociale effectue des vérifications pour établir le taux d’incapacité de 10 % applicable aux cas qui ont été cités sur France 2, il y a quelques jours, par Mme Royal porte-parole du parti socialiste sur les retraites. Au cours de cette émission, elle a parlé notamment du cancer de la plèvre, qui relève la plupart du temps des dispositifs liés à l’amiante. Pour ces cas très douloureux, les dispositifs mis en place sont poursuivis et rentrent bien dans celui que le Gouvernement a élaboré pour la pénibilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. Belle démonstration !

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le ministre, j’ignore pourquoi vous avez changé de ton et pourquoi vous êtes dans un tel état d’énervement.

M. Dominique Dord. Non ! Le ministre est d’un calme olympien !

M. Alain Vidalies. Vos propos ne sont pas cohérents avec ceux que vous avez tenus hier. Et cela a commencé cet après-midi lors des questions au Gouvernement.

Jusqu’à quand allons-nous recevoir des leçons ? Comme l’a dit M. Garrigue, vous ne pouvez pas continuer de dire aux Français, en direct à la télévision, que la pénibilité n’a jamais été prise en compte. Vous savez que c’est faux, car la loi de 1975, qui avait été votée par un gouvernement de droite, prenait justement en compte la pénibilité. Pourquoi l’avoir nié, tout à l’heure, devant les caméras ? Pourquoi mentez-vous délibérément ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) On n’a pas inventé le dispositif CATS ; il existe bel et bien, mais vous avez dit le contraire. On ne peut pas continuer la discussion dans de telles conditions.

M. Patrick Roy. Le ministre ment !

M. Alain Vidalies. Hier soir, pour les carrières longues et la pénibilité, vous faisiez état de 120 000 bénéficiaires. Aujourd’hui, devant les caméras, il est question de 180 000.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Non !

M. Alain Vidalies. Si, et je l’ai noté !

Lorsque vous êtes en commission, et que vous avez en face de vous des gens qui essaient de comprendre les choses, votre discours est cohérent. Mais dès que vous vous adressez aux Français dans des opérations de communication, vous vous livrez à de la désinformation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Dominique Dord. Et vous, vous ne faites pas de la communication lorsque vous dites que si vous revenez au pouvoir, vous rétablirez la retraite à 60 ans ?

M. Alain Vidalies. Aujourd’hui, vous êtes en train de déraper.

Nous avons des positions différentes, et vous ne pouvez pas dire, comme vous l’avez fait il y a cinq minutes, que c’est exactement la même chose et que les travailleurs auront droit de partir à la retraite à 60 ans grâce à la prise en compte de la pénibilité. Non, ce n’est pas la même chose. En effet, avec votre système, il leur faudra quarante-trois annuités de cotisation alors que nous leur proposons une retraite à taux plein à 60 ans dès lors qu’ils auront quarante et une annuités de cotisation. Et, en cas de pénibilité, ils bénéficieront d’une retraite à taux plein même s’ils n’ont pas l’ensemble des annuités.

M. Dominique Dord. C’est mieux que le loto !

M. Alain Vidalies. Le problème, c’est bien la pénibilité, et vous le savez parfaitement. Vous avez tous changé de position sur cette affaire. Au moment de la vague de suicides à France Télécom, on a vu une certaine convergence. Pour notre part, nous avions mené des travaux en parallèle. Mais aucune des conclusions de la convention de l’UMP n’a été retenue dans votre projet. Vous avez renoncé, car c’est d’abord une réforme financière.

Est-on capable de mesurer la pénibilité ? C’est une vraie question. On peut faire le choix politique de considérer la pénibilité non pas en constatant les dégâts, mais en pensant que le travail effectué dans certaines conditions risque de limiter l’espérance de vie en bonne santé. Dans ce cas, il y a un aléa puisque, par exemple, tous les gens qui ont été au contact de l’amiante ne développeront pas nécessairement un cancer de l’amiante. Mais, parce que cet aléa existe, faut-il ignorer tous ceux qui développeront ce cancer ?

Mme Michèle Delaunay. Très bien !

Mme Claude Greff. Vous mélangez tout ! Ce n’est pas la problématique des retraites !

M. Alain Vidalies. Vous nous reprochez de vouloir rétablir des régimes spéciaux. Non, nous essayons de tirer, comme vous, les leçons du passé. Voilà pourquoi nous ne parlons pas des métiers mais de l’exposition au risque, car l’expérience nous montre que, pour une même activité, la situation peut être différente d’une entreprise à l’autre. Vous savez bien que dans les grandes entreprises où les syndicats sont présents, on respecte la santé au travail, tandis que, dans le cadre de la sous-traitance, on transfère le risque sur les salariés des petites entreprises.

M. Pascal Terrasse. Tout à fait !

M. Alain Vidalies. Voilà pourquoi le critère à retenir doit être l’exposition au risque. En la matière, vous le savez, tous les travaux, et notamment ceux du COR et le rapport Lasfargues, montrent que le constat est scientifiquement établi. J’en rappelle les conclusions : « Si l’objectif est une bonification, du type cessation anticipée d’activité, pour des personnes longtemps soumises à ces contraintes dans leur vie professionnelle, il est souhaitable de retenir des critères simples, applicables à un échelon interprofessionnel : un cumul durable des facteurs de pénibilité physique à l’origine d’incapacités, d’usures prématurées ou d’effets à long terme dans une attractivité à risque reconnu élevé de troubles musculo-squelettiques ».

Vous avez renoncé à faire la réforme à laquelle vous aviez pensé. Assumez cette décision, et surtout ne dénaturez pas nos propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Claude Greff. L’intervention de M. Vidalies était tout de même meilleure que celle de Mme Touraine ! C’est plus clair !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Denis Jacquat, rapporteur. M. Vidalies se réfère à un texte de 1975, alors que Jacques Chirac était Premier ministre. Ce texte a été supprimé par ordonnance en 1982. À ce moment-là, vous auriez pu proposer, pour ces catégories de personnes, de passer de 60 à 55 ans.

Je rappelle que nous sommes sensibles à la question de la pénibilité au travail depuis très longtemps et que le présent texte y consacre un titre entier. En fait, vous ne supportez pas que ce soit nous qui en parlions ni que nous avancions sur le sujet. Comme l’a dit M. le ministre, nous souhaitons que ceux qui travaillent arrivent à la retraite en bonne santé.

Mme Claude Greff et M. Dominique Dord. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Le parti socialiste est en effet quelque peu agacé que le Gouvernement propose cette avancée sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est la première fois que la législation en matière de retraites prévoit des dispositions relatives à la pénibilité. Vous auriez pu y penser quand vous étiez au Gouvernement, mes chers collègues, après la publication du Livre blanc. Vous êtes donc ulcérés de constater que la majorité, elle, prend en compte la pénibilité au travail.

M. Yves Bur. Le financement des retraites, ce n’était pas leur problème !

M. Francis Vercamer. Certes, il ne s’agit pas d’un texte sur la prévention mais sur la prise en compte de la pénibilité au travail, même s’il comporte un volet « prévention ». J’aurais aimé que nous travaillions davantage sur la prévention mais je suppose qu’un prochain texte nous en donnera l’occasion. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Votre attitude est la même que celle qui aurait consisté à ne pas considérer l’instauration des congés payés comme une avancée sociale sous prétexte qu’ils n’étaient que de deux semaines alors que vous en auriez voulu cinq d’emblée.

M. Pierre Gosnat. Ridicule !

M. Francis Vercamer. Contrairement à ce que vous pensez, la proposition de la majorité en matière de pénibilité me paraît constituer une ouverture et pourra évoluer au fur et à mesure des discussions à venir.

Je maintiens que le dispositif prévu devra prendre en compte les effets différés des maladies et certains risques nouveaux. Les discussions entre partenaires sociaux et Gouvernement feront peut-être évoluer le texte dans ce sens.

M. Gorce évoquait le stress au travail, mais j’en parlais déjà hier soir. Vous vous targuez en permanence que les 35 heures ont augmenté la productivité (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) ; eh bien, c’est cela qui est à l’origine des risques psychosociaux qui, auparavant, n’existaient pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Vous pratiquez la méthode Coué !

M. Francis Vercamer. C’est le résultat de la politique que vous avez menée. Peut-être avez-vous été mal renseignés, qui sait par la cellule antiterroriste de l’Élysée de l’époque ? Les Irlandais de Vincennes vous auront trompé, monsieur Gorce. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pierre Gosnat. Vous vous trouvez drôle ?

Mme Élisabeth Guigou. Ça ne vole pas haut !

M. Francis Vercamer. Le texte évoque la traçabilité qui permettra, en cas de risques différés, de remonter dans le temps et de discerner la nature des risques auxquels a été exposé le salarié, de repérer en particulier les produits qui n’étaient pas considérés comme dangereux à l’époque où il travaillait et donc de prendre plus rapidement des mesures de prévention.

L’important est bien évidemment d’améliorer les conditions de travail, de réduire la pénibilité et de ne pas se contenter de la prendre en compte dans le calcul de la retraite. Cela me fend le cœur qu’on ne parle de la pénibilité que dans le cadre des retraites sans chercher à améliorer les conditions de travail.

Vous nous reprochez d’évoquer souvent les régimes spéciaux, M. Juanico soulevant la question de la prise en compte collective de la pénibilité. Ne s’agit-il pas des régimes spéciaux ? Ce n’est pas M. le ministre qui en a parlé, c’est moi et j’assume mes propos.

M. Dominique Dord. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Je commencerai par poser quelques principes : le travail…

M. Michel Issindou. C’est la santé !

M. Thierry Benoit. …n’est pas aliénant et les Français veulent travailler. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements et rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.) J’approuve notre collègue Francis Vercamer : la réduction hebdomadaire du temps de travail…

Mme Martine Billard. Fut une grande avancée !

M. Thierry Benoit. …s’est traduite par une augmentation de la pression et de la tension dans les entreprises et notamment dans le secteur de l’industrie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Exactement, c’est très vrai !

M. Thierry Benoit. Enfin, fort de mes discussions dans la rue,…

M. Pierre Gosnat. Entre Bastille et République ?

M. Thierry Benoit. …mon sentiment personnel – mais je sais qu’il est partagé par un certain nombre – est que la décision de 1983 de ramener l’âge de la retraite à 60 ans a été prise à courte vue puisque dès 1988 se posait la question du financement des retraites.

M. Roland Muzeau. La retraite à 60 ans est un progrès social !

M. Pascal Terrasse. On enverra votre intervention à vos électeurs !

M. Thierry Benoit. Un de nos collègues a évoqué la réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail. Elle coûte environ 30 milliards d’euros par an au budget de l’État,…

M. Pierre Gosnat. C’est l’équivalent du bouclier fiscal !

M. Thierry Benoit. …sans compter la défiscalisation des heures supplémentaires. Or, le texte que nous voterons demain est une étape qui en précède une autre.

Mme Marisol Touraine. Quelle est l’autre étape ?

M. Thierry Benoit. Nous n’échapperons pas à un débat sur la durée hebdomadaire du temps de travail (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC),…

Mme Marie-George Buffet. Et aussi à un débat sur les congés payés ?

M. Thierry Benoit. …notamment lorsque l’on se trouve dans la force de l’âge, entre 20 et 55 ans.

M. Christophe Sirugue. Travailler plus… on a compris !

M. Thierry Benoit. Ensuite seulement, après l’âge de 55 ans, nous devrons envisager un aménagement de carrière, poser la question du parrainage, du tutorat, bref la question de la transmission du savoir-faire.

M. Pierre Gosnat. Les jeunes n’ont plus de travail !

M. Thierry Benoit. Parallèlement à la notion de pénibilité, nous devrons donc intensifier nos efforts sur l’aménagement de carrière au-delà de 55 ans.

M. Roland Muzeau et Mme Marie-George Buffet. Et qui met les quinquagénaires au chômage ?

M. Thierry Benoit. Nous ne devons pas réduire le débat à la pénibilité, à la recension d’une liste de métiers pénibles – personnellement, je ne vois pas comment on peut y procéder –,…

M. Pierre Gosnat et M. Roland Muzeau. Nous allons vous montrer !

M. Thierry Benoit. …mais l’élargir, j’y insiste, à l’aménagement de carrière, au tutorat, au parrainage au-delà de 55 ans.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. M. Benoit refait l’histoire vingt-sept ans après les faits. Il est facile, ainsi, d’ignorer le contexte de l’époque et d’en tirer des conclusions péremptoires, des lois sociales à prétention scientifique. Il s’agit d’une logique identique à celle qui consiste à élaborer des projections démographiques contestables puisque renvoyant à l’horizon 2050 et en fonction desquelles il faudrait tout bouleverser.

Il y aurait beaucoup à dire sur la pénibilité. Je vous entretiendrai d’un cas d’école, celui de plusieurs milliers de personnes ayant travaillé dans le secteur de la banane en Guadeloupe et à la Martinique. Des années durant, ils ont été soumis à des produits de la famille des organochlorés, en particulier du chlordécone, produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, donc à effets différés. Des années plus tard, ces personnes, nombreuses – exploitants agricoles, associés d’exploitations, collaborateurs, conjoints, mais aussi ouvriers agricoles –, ont été victimes du cancer de la prostate. Il s’agit de faits établis scientifiquement par l’université et par le centre hospitalier universitaire.

Mme Michèle Delaunay. Très juste !

M. Victorin Lurel. Or votre texte ne tient pas compte de cette situation parce que vous raisonnez en termes d’incapacité constatée a posteriori. Comment, par conséquent, prendre en compte l’exposition durable à ces produits toxiques ? Nous ne demandons pas la création de régimes spéciaux, mais souhaitons savoir dans quelle mesure les dispositions que vous prévoyez, fondées, je le répète, sur un constat d’incapacité constatée a posteriori, permettraient-elles de prendre en charge les cas dont je viens de vous entretenir ?

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Guy Lefrand.

M. Guy Lefrand. Nous devrions avancer sur la notion d’individualisation. Marisol Touraine a déclaré vouloir faire indemniser la pénibilité par une ponction fiscale supplémentaire (Protestations sur les bancs du groupe SRC), alors que nous souhaitons, pour notre part, nous opposer à la pénibilité. Vous vous engagez dans un cercle bien peu vertueux alors que nous voulons pousser les employeurs à lutter contre la pénibilité.

M. Roland Muzeau. Racontez ça sous les préaux d’école, pas ici !

M. Guy Lefrand. Vous avez encore, malheureusement, quelques dizaines d’années de retard.

M. Jean Mallot. Vous êtes en plein délire !

M. Patrick Roy. Faites payer Liliane !

M. Guy Lefrand. Nous ne sommes plus dans le médico-juridique, nous devons passer au médico-sanitaire. Ce qui vous intéresse, et c’est pourquoi vous avez sans doute du mal à faire le lien avec la médecine du travail, c’est que les médecins du travail fassent passer une visite aux fonctionnaires tous les deux ou cinq ans et leur diagnostiquent un syndrome de la coiffe des rotateurs ou du canal carpien. Ce qui nous importe, c’est d’éviter qu’ils en soient affectés. Voilà tout ce qui nous différencie. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. C’est n’importe quoi !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Deux réflexions, monsieur le président. Premièrement, Mme Touraine…

Mme Claude Greff. Elle n’est pas là !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. …est proche de la caricature (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) lorsqu’elle prétend que nous ne faisons rien pour la pénibilité.

M. Patrick Roy. C’est l’aveu de la droite !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. J’attends qu’elle réponde à cette question simple : dans quel pays d’Europe 130 000 personnes peuvent-elles partir à 60 ans ou avant avec une retraite complète ?

Deuxièmement, en politique, les intentions sont toujours bonnes. Mais rappelez-vous : en 2002, vous ne vous intéressiez pas aux métiers pénibles ni ne vous inquiétiez de voir les ouvriers partir après quarante-trois, quarante-quatre ou quarante-cinq années d’activité ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marylise Lebranchu. Eh bien, nous avions tort !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. À l’inverse, vous défendiez avec beaucoup de vigueur ceux qui, dans la fonction publique, partaient après trente-sept années et demie. Alors, un peu de modestie, s’il vous plaît ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Simon Renucci.

M. Simon Renucci. Le dialogue de sourds, entamé il y a plusieurs années, se poursuit péniblement, tout au moins tranquillement, d’autant que le vrai travail, vous l’avez bien fait : vous abordez les véritables questions, mais vous vous bornez simplement à nous faire avaler, comme à tous les Français, le principe du report de deux ans de l’âge légal du départ à la retraite, qui reste l’alpha et l’oméga de votre réforme. La démocratie, disait Gandhi, devrait assurer au plus faible les mêmes opportunités qu’au plus fort. Peut-être pourrons-nous mieux nous entendre dans le silence. Mais je sais que, lorsqu’on est ORL, un des risques est de devenir sourd, et c’est alors une grande souffrance, plus grande encore que la cécité.

Le problème essentiel aujourd’hui, c’est le flou qui entoure la notion de pénibilité dans votre texte. Vous la réduisez à un handicap, c’est-à-dire à une invalidité, de sorte que vous traitez ce sujet majeur sur le plan individuel plutôt qu’au plan collectif. Savez-vous que c’est à 62 ans, c’est-à-dire à l’âge auquel vous voulez fixer le départ à la retraite, qu’apparaissent les maladies les plus graves ? Prendre sa retraite à 60 ans, c’est bénéficier d’une éclaircie pour prévenir ces maladies, particulièrement difficiles à traiter. Obliger les gens à attendre 62 ans, c’est prendre une mesure de désespérance de vie.

Ajoutons que la pénibilité ne se traduit pas forcément par une invalidité ; il y a des critères multifactoriels dans le travail. N’oublions pas non plus la nécessité d’un véritable dialogue social et de la mise en place d’une médecine préventive efficace. Reste que nous parlons de maux à venir : le dossier médical, dont nous avons voté la création il y a quelques années dans le cadre d’un PLFSS, permettrait de suivre ces patients ; nous l’attendons toujours. La médecine préventive est-elle organisée de manière à défendre l’indépendance et la liberté des médecins, que je connais bien ? Qui vérifie le suivi des patients ? Retarder l’âge de départ à la retraite tout en traitant la pénibilité sous l’angle de l’invalidité, c’est injuste. D’autant que la prise en compte de l’impact de la pénibilité sur l’espérance de vie est la priorité majeure, le souci permanent des gens dès lors qu’ils vieillissent.

Il faut que tout travail pénible – travail de nuit, à la chaîne, port de charges lourdes, exposition à des produits toxiques – ouvre droit à une majoration des annuités qui permette de partir plus tôt à la retraite. Nous proposons de consacrer 5 milliards d’euros au financement de cette mesure et à la revalorisation des petites retraites. Votre projet nie les inégalités sociales en matière de santé et cela n’est pas acceptable. Quant à la santé durable, c’est une notion qui mérite d’être définie. Votre dispositif ne tient pas véritablement compte de la pénibilité au travail, puisque celle-ci est définie comme une simple réduction de l’espérance de vie future.

Pour conclure, je regrette que, lors du débat et tout au long de la législature, on n’ait pas tenu compte des arguments de l’opposition. En rejetant systématiquement la faute sur elle, vous lui avez laissé peu de place pour participer avec vous à l’élaboration d’un projet majeur. Ce sujet méritait pourtant un consensus national et une reconnaissance collective.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Simon Renucci. Mais qu’entendons-nous ? Des accusations, des récriminations, des reproches. On nous accuse de ne pas avoir fait ceci ou cela. Pourquoi ne pas remonter à Ravaillac, tant que vous y êtes ? Quoi qu’il en soit, je souhaite qu’un consensus puisse se dessiner à propos de ce qu’il y a de plus important dans la retraite : la santé. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Je suis un peu surpris d’entendre de telles affirmations. Est-ce à dire qu’on ne tombe malade qu’à partir de 62 ans – comme par hasard ? J’ignorais cette donnée médicale… Il me semblait que l’on pouvait être malade bien avant ou bien après. Il est vrai que les infarctus du myocarde surviennent fréquemment au moment du départ à la retraite,…

M. Thierry Benoit. Quand on s’arrête !

M. Bernard Debré. …quel qu’en soit l’âge, car c’est un bouleversement. Un infarctus peut tout aussi bien survenir à 65 ans comme à 67 ans : il est surtout lié à ce changement de vie fondamental.

M. Thierry Benoit. Mieux vaut ne jamais s’arrêter, comme les députés !

M. Bernard Debré. M. Lurel avance un autre argument : il peut arriver, dit-il, que l’on s’aperçoive seulement a posteriori qu’un produit est toxique. Dans ce cas, il faut appliquer le principe de précaution : tout le monde doit arrêter de travailler… Car, tout au long de la vie et dès l’âge de quinze ou dix-sept ans, on risque d’être exposé à des produits qui, un jour, pourront se révéler dangereux. ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Quelle caricature !

M. Bernard Debré. La pénibilité est une avancée fondamentale de ce projet de loi. Faites attention à ne pas dire n’importe quoi sur le sujet ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Marylise Lebranchu. Qu’un médecin dise cela, c’est fort !

M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous m’avez interpellée et demandé quels autres pays européens avaient mis en œuvre des dispositifs permettant la prise en compte de la pénibilité. Au fond, c’est le débat que nous avons depuis deux jours, mais je me répéterai bien volontiers.

En France, une loi de 1975, votée sous le gouvernement Chirac, a créé un dispositif concernant la pénibilité,…

M. Denis Jacquat, rapporteur. Supprimé en 1982 !

Mme Marisol Touraine. …qui n’a été remis en cause qu’au moment de la généralisation de la retraite à 60 ans à l’ensemble des salariés français. En France toujours, à partir de 1997, un certain nombre de mesures, ciblant cette fois des professions, ont permis la prise en compte de la pénibilité. Mais l’enjeu, aujourd’hui, est de prévoir l’ouverture d’un droit, plutôt que de viser des métiers ou des catégories professionnelles spécifiques.

S’agissant de ce qui se fait à l’étranger, je vais vous citer des éléments qui figurent dans l’étude d’impact qui nous a été transmise par le Gouvernement. En Pologne, une réforme de janvier 2009 a permis à environ 300 000 personnes de bénéficier d’un départ anticipé. En Italie, une loi a été votée. Certes, les décrets d’application n’ont pas été pris. Mais – et peut-être y a-t-il un clivage idéologique en la matière – la loi a été votée en 2007, sous le gouvernement Prodi, et c’est le retour de Silvio Berlusconi au pouvoir qui l’a privée de ces décrets d’application. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Et voilà !

Mme Marisol Touraine. Y a-t-il meilleure illustration du fait que c’est la gauche qui prend en compte la question de la pénibilité, quand la droite refuse, pour sa part, de s’engager dans cette voie ? On ne pouvait trouver mieux…

Mme Valérie Rosso-Debord. Qui est au pouvoir ? Vous ? La mauvaise foi a des limites !

Mme Marisol Touraine. Mais ce sujet n’est pas nécessairement idéologique. Aux Pays-Bas, la notion de pénibilité a elle aussi été prise en compte dans la fonction publique grâce à la création d’un compte épargne-temps permettant de financer une préretraite. Le dispositif est donc différent du nôtre, puisqu’il s’agit ici de compenser financièrement la pénibilité. Pour le privé, un projet de loi est actuellement en discussion.

En Belgique, un dispositif permet de partir à la retraite à cinquante-huit ans, dès lors que l’on a exercé son activité professionnelle pendant trente-cinq ans, dont cinq dans les quinze dernières années dans un métier dit « lourd », c’est-à-dire pénible. Je pourrais également évoquer les États-Unis, mais nous nous éloignerions de l’Europe. Enfin, en Grande-Bretagne, il n’existe en effet aucun dispositif de ce type.

Vous voyez, monsieur le président de la commission, qu’un certain nombre de choses se font dans d’autres pays d’Europe. Dans les dispositifs que je viens de citer, on ne considère pas que l’ensemble des professions difficiles ouvrent droit à une prise en compte de la pénibilité ; on cible un certain nombre de situations. C’est ce que nous proposons.

Je pense vous avoir apporté la réponse que vous me demandiez, monsieur le président de la commission. Nous sommes plus sérieux que vous n’avez l’air de le dire.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je souhaitais répondre à M. le président de la commission des affaires sociales, mais Marisol Touraine a tout dit. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Ménard.

M. Michel Ménard. M. Benoit estime que l’instauration, en 1983, de la retraite à 60 ans a été une erreur. Qu’il le dise à ceux de ses électeurs qui, grâce à ce véritable progrès social, ont pu partir cinq ans plus tôt.

M. Daniel Mach. Ça, c’est facile !

M. Michel Ménard. Je ne suis pas sûr qu’ils soient d’accord avec lui.

M. Patrick Roy. Ils le lui rappelleront en 2012 !

M. Michel Ménard. Par ailleurs, M. Vercamer a indiqué que les deux semaines de congés payés octroyées en 1936 étaient insuffisantes. Certes, mais je lui rappelle que les congés payés ont été acquis soit quand la gauche était au pouvoir, soit grâce aux luttes sociales. La droite n’a jamais voté de nouveaux droits de ce type.

M. Francis Vercamer. La pénibilité, c’est grâce à elle !

M. Michel Ménard. J’en viens à la pénibilité. L’article 25, qui s’intitule « Pénibilité du parcours professionnel » porte un titre inadapté. En effet, il n’y est pas question de pénibilité, mais d’incapacité permanente. Dans la rédaction initiale du projet de loi, le Gouvernement avait fixé le taux d’incapacité à 20 %. Suite à la manifestation du 7 septembre, le Président de la République a indiqué que ce seuil serait abaissé à 10 %, et le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens. Mais cela ne change rien au fait que vous ne prenez pas en compte la pénibilité telle qu’elle a été définie par les partenaires sociaux, c’est-à-dire – Régis Juanico nous l’a rappelé hier – comme un phénomène résultant de sollicitations physiques ou psychiques, de certaines formes d’activité professionnelle qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé des salariés et qui sont susceptibles d’influer sur l’espérance de vie.

Selon vous, seuls les salariés malades à 60 ans pourraient prétendre avoir exercé un métier pénible. Or, nul ne peut nier que des millions de personnes exercent leur métier dans des conditions pénibles, que celles-ci soient dues à des contraintes difficile – manutention de charges lourdes, travail avec des machines ou outils vibrants, gestes répétés –, à un environnement agressif – exposition à des produits chimiques, à des bruits nocifs – au travail de nuit ou à des horaires décalés.

Régis Juanico nous a rappelé hier un certain nombre d’éléments sur ce sujet. Bien sûr, après nous être mis d’accord sur une définition, que j’ai rappelée tout à l’heure, il faut lister les métiers concernés. Toutefois, comme l’ont souligné certains de nos collègues, ce n’est pas suffisant : il faut également préciser la durée d’exercice de ces métiers ouvrant droit à une bonification de durée d’assurance, l’identification de la pénibilité, la nature du risque et la durée de l’exposition du salarié.

Malheureusement, vous avez voulu préparer l’examen de ce texte en quelques mois, alors que d’autres pays ont mis des années pour trouver les moyens d’un accord, sinon total, au moins majoritaire, avec les partenaires sociaux, et entre la majorité et l’opposition. Le fait de vouloir aller très vite, de boucler cette loi en quelques mois est à l’origine de ces désaccords importants et explique que des millions de manifestants sont dans la rue, avec le sentiment justifié qu’ils ne sont pas entendus.

Rappelons enfin que l’espérance de vie d’un ouvrier de trente-cinq ans est inférieure de six ans à celle d’un cadre du même âge – et même de dix ans lorsque l’on compare l’espérance de vie sans incapacité majeure. Comme vous le voyez, la question de la pénibilité doit prendre en compte l’exercice du métier et l’exposition au risque, et pas simplement le fait d’être malade ou non à 60 ans. C’est d’ailleurs ce qui amène les partenaires sociaux à demander que nous prenions le temps de définir des critères objectifs pour une juste prise en compte de la pénibilité. Vous jouez la confusion entre incapacité et pénibilité…

Mme Valérie Rosso-Debord. Ce n’est pas nous qui jouons la confusion !

M. Michel Ménard. …ce qui vous permet de faire croire aux Français que vous vous préoccupez de la pénibilité alors qu’il n’en est rien.

M. Woerth a affirmé que les cas cités par Ségolène Royal – notamment celui du cancer de la plèvre – sont prévus par la loi : ce n’est pas vrai.

Mme Valérie Rosso-Debord. Ah si !

M. Michel Ménard. En effet, un salarié qui n’aura pas un cancer déclaré à 60 ans ne bénéficiera pas de l’article 25 sur la pénibilité.

M. Bernard Debré. Bien sûr que si !

M. Michel Ménard. Si ce cancer se déclare à 62 ou 63 ans, le salarié n’aura pas vu son temps de travail réduit, alors qu’il subira bien les conséquences de l’exposition au risque. Il est encore temps d’apporter des modifications à ce texte, ce dont nous débattons est trop important pour qu’il en soit décidé en l’état aujourd’hui ou demain.

M. Bernard Debré. Quels sont les métiers non pénibles ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Denis Jacquat, rapporteur. J’écoute attentivement tout ce qui se dit, mais il y a des propos que je ne peux laisser passer. Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Ménard, vous avez critiqué notamment l’intitulé du titre IV – « Pénibilité du parcours professionnel » –, alors que vous êtes cosignataire de l’amendement présenté par Christophe Sirugue pour le groupe socialiste, un amendement qui « exprime la nécessité de prendre en compte la pénibilité tout au long du parcours professionnel dans l’intitulé du titre ». Cet amendement qui a reçu un avis très favorable a été adopté à l’unanimité par la commission. Vous comprendrez donc que j’aie l’impression d’assister à un festival de mauvaise foi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Ménard. Je parlais de l’article !

(L’amendement n° 465, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 471.

La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing.

M. Louis Giscard d’Estaing. J’ai été très attentif aux arguments qui ont été échangés hier et aujourd’hui et j’aimerais rappeler quelques points.

Premièrement, comme Daniel Garrigue l’a dit tout à l’heure, la loi votée en 1975 comportait un certain nombre d’avancées. On a rappelé qui était alors le Premier ministre ; chacun se souviendra aussi du nom du Président de la République qui avait alors insisté, notamment avec la nomination d’un secrétaire d’État à la revalorisation du travail manuel – Lionel Stoléru – pour qu’un certain nombre de problèmes industriels et de conditions de travail soient pris en compte dans notre pays.

M. Henri Jibrayel. Papa ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Louis Giscard d'Estaing. Vous pouvez sourire, mes chers collègues ; mais après tout, certains parmi vous ne se considèrent-ils pas comme les fils spirituels du Président de la République élu en 1981 ?

M. Michel Vergnier. Il est certain que nous l’aimions davantage que son prédécesseur !

M. Louis Giscard d’Estaing. Il est un peu dommage que vous ne puissiez pas apporter d’éléments concrets justifiant de la traduction dans la législation de votre prise en compte de la pénibilité lorsque vous et vos amis étiez aux responsabilités – n’est-ce pas, monsieur Mallot ?

Il est intéressant de se pencher sur certains éléments statistiques, notamment sur le nombre d’années passées en retraite parmi les pays d’Europe. Selon EUROSTAT, le nombre d’années en retraite pour un homme est actuellement de 18 années en Grande-Bretagne, de 19,8 années en Allemagne, de 21 années en Italie et de 24,5 années en France ; pour les femmes, les chiffres sont de 22,6 années pour la Grande-Bretagne, de 24,5 années pour l’Allemagne et de 28,1 années pour la France. C’est donc bien que nous avons su prendre en compte certains éléments dans les parcours professionnels, sans quoi notre pays n’afficherait pas ces chiffres – qui nécessitent, en contrepartie, que nous assurions un financement suffisant dans le cadre de la répartition.

La constitution d’un dossier médical constitue l’une des avancées de ce texte. Comme l’a dit Mme Génisson, en matière de prise en compte de la pénibilité, il n’y a pas de rétroactivité possible : on ne va pas aller rechercher, vingt ans en arrière, un dossier médical qui n’aurait pas été constitué selon les règles qui nous sont proposées aujourd’hui.

Mon amendement n° 471 vise à ce que le dossier médical en santé au travail s’intitule « dossier médical en suivi de santé tout au long de la vie professionnelle », ce qui correspond parfaitement à l’esprit du texte, car c’est bien tout au long de la vie professionnelle que le suivi doit s’effectuer, quelle que soit la branche. Certaines branches d’activité, nous dit-on, sont beaucoup plus difficiles et pénibles que d’autres. Mais il est bien évident qu’à l’intérieur d’une branche donnée, on trouve des formes de travail très disparates. À l’intérieur d’une même entreprise, un poste peut évoluer durant une vie professionnelle. La prise en compte doit forcément être individualisée dans le cadre du suivi personnel d’un dossier de santé.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Cet amendement soulève des difficultés d’application, car il présuppose une transmission systématique du carnet de santé en cas de changement d’entreprise. Or, nous savons fort bien que l’employé peut s’y opposer.

Mme Marylise Lebranchu. Je ne vois pas ce que ça change !

M. Denis Jacquat. La commission a donc repoussé cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Je remercie Louis Giscard d’Estaing pour son intervention : nous allons dans le même sens, dans la mesure où notre carnet de santé au travail est très peu éloigné de la solution qu’il propose. Nous sommes bien sur la même longueur d’onde.

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing.

M. Louis Giscard d’Estaing. J’ai bien entendu les explications de M. le rapporteur sur les difficultés pratiques que peut entraîner ma proposition. Sous réserve que le dossier médical qui va être mis en place soit conçu comme un suivi tout au long de la vie professionnelle, comme je le souhaitais le préciser, je retire mon amendement.

M. Patrick Roy. À la niche !

(L’amendement n° 471 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 466.

La parole est à M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. La notion de pénibilité est décidément le talon d’Achille de votre réforme – encore qu’elle ait bien d’autres points faibles, notamment les 62 ans et le financement –, ce qui explique que la discussion sur ce point soit si difficile. S’il en était besoin, la préoccupation qu’expriment les Français à ce sujet serait une nouvelle preuve du fait qu’il y a là un vrai problème. Vous dites avoir consulté les syndicats, monsieur le ministre, mais vous ne semblez pas les avoir convaincus… Les consulter, c’est bien, les convaincre, c’est mieux !

Ce matin, je suis tombé par hasard sur l’émission Les quatre Vérités, sur France 2, dont M. Copé était l’invité.

M. Alain Néri. Commencer la journée comme ça, ce n’est pas de chance ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Vergnier. Ça, c’est de la pénibilité !

M. Michel Issindou. En dépit du titre de l’émission, j’ai entendu proférer un mensonge. M. Copé a dit, sans trop de conviction, qu’il avait été tenu compte de la pénibilité des métiers. Or, ce n’est pas du tout de pénibilité des métiers qu’il est question. Il semblait d’ailleurs ne pas être très à l’aise sur ce sujet, et bafouillait quelque peu. L’expression « pénibilité des métiers » est un raccourci qui fait croire que tous les Français seront pris en compte dans leur pénibilité, alors que l’on sait bien qu’il n’en est rien ! Les mots ont un sens, comme l’a dit l’excellent Patrick Roy tout à l’heure…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Excellent ? Cela se saurait !

M. Michel Issindou. Pourquoi employer le mot « pénibilité » dans un dossier où l’on ne parle que d’incapacité ou d’invalidité ? Il n’y a rien de honteux à employer les mots qui conviennent, si ce n’est que faire référence à ces notions qui existent déjà en droit du travail – à l’heure actuelle, nombre de personnes en invalidité ne sont plus au travail – reviendrait à reconnaître que votre texte ne comporte aucune réelle avancée en la matière : vous ne faites que confirmer ce qui existait déjà.

Le carnet de suivi de santé au travail a tout à la fois beaucoup de sens et aucun sens. Si le fait de recenser toutes les personnes exposées à certains risques peut présenter un intérêt, cela ne sera d’aucune utilité en pratique, puisque même les personnes exposées durant plus de quarante ans à un risque donné ne bénéficieront d’aucun traitement particulier si elles n’ont pas déclaré une pathologie justifiant qu’elles soient placées en incapacité ou en invalidité. Ce recensement incitera peut-être les entreprises à faire de la prévention, mais guère plus, si vous n’avez pas la volonté que le suivi se traduise par quelque chose de concret.

Par ailleurs, vous aggravez encore la situation en repoussant la retraite à 62 ans. C’est la double peine : vous obligez les personnes déjà fatiguées par des métiers difficiles à travailler deux ans de plus. Ces métiers qui conduisent les gens à l’épuisement existent réellement, vous semblez l’ignorer ! La fonction de député n’en fait pas partie, et sans doute cela nous ferait-il du bien à tous d’aller visiter quelques entreprises, de nous rendre sur le terrain, au sein de PME. Je me demande vraiment si vous le faites assez… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Thierry Benoit. On ne vous a pas attendus !

M. Michel Issindou. …car si vous voyiez plus souvent des personnes exercer un travail difficile, je crois que vous ne tiendriez pas le même discours.

En 2003, que de promesses de la part de M. Fillon et de M. Bertrand ! Les syndicats ont planché sur la question pendant trois ans pour essayer de trouver un accord avec un MEDEF qui faisait barrage en permanence. Finalement, des critères ont été dégagés, qui manquent certes un peu de finesse ; mais, aussi rustiques soient-ils, ils ont au moins le mérite d’exister. Au moins savons-nous maintenant – c’est le rapport Poisson qui le dit – qu’un million de Français pourraient actuellement être reconnus comme exerçant un travail difficile. Pourquoi ne pas en faire acte, ce qui serait un premier pas vers une extension éventuelle ?

La frustration dans la rue est terrible. Elle s’est manifestée dans la rue il y a quelques jours et vous l’entendrez à nouveau dans quelque temps, puisque vous n’avez pas fait le moindre geste de solidarité. L’article 25 est à l’image de votre réforme et de votre politique depuis de nombreuses années : dure pour les faibles, douce pour les forts. Apparemment, vous n’avez pas voulu entendre le Président de la République, qui avait déclaré vouloir épargner les gens qui se lèvent tôt pour travailler dur. Vous aviez là une occasion de le faire, mais vous l’avez laissée s’échapper. Cela augure mal de la réforme que vous voulez mettre en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Cet amendement de précision a été accepté par la commission. Cependant, après réflexion, j’estime à titre personnel que la rédaction initiale était moins restrictive que celle qui nous est proposée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Le carnet de suivi est un outil de prévention, qui doit contenir tous les éléments liés à la santé du salarié. Je trouve assez curieux qu’on le restreigne aux facteurs de pénibilité, qui figurent dans la fiche d’exposition aux risques. Si un salarié est exposé à des facteurs de pénibilité, cela est indiqué dans le carnet de santé, mais ce document ne doit pas se résumer à ce seul aspect. Je ne suis donc pas favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle. Après l’excellente intervention de Michel Issindou, je voudrais insister sur un point dont nous avons peu parlé jusqu’à présent : la pénibilité et les incapacités liées au rythme de travail – qui n’apparaissent pas, d’ailleurs, au moment du départ en retraite. Les rythmes de travail concernent un certain nombre de métiers aux horaires décalés, irréguliers, hachés : les salariés sont amenés à travailler tantôt le matin, tantôt le soir, sans délai de prévenance suffisant, ce qui ne leur permet pas de s’organiser.

Je vous ai déjà fait part du mécontentement des métiers de la santé, en particulier des infirmières. La réforme des retraites des infirmières et des métiers de santé ne comportait aucune mesure relative à la pénibilité des horaires de nuit, ce qui montrait bien le peu d’intérêt que vous portiez à cette question.

Or les horaires décalés concernent souvent des métiers exercés par des femmes – je pense aux caissières, aux services à la personne ou encore aux centres d’appel. Depuis vingt ans, la forte hausse de l’activité des femmes – elles représentent maintenant à peu près à 48 % de la population active – s’est faite essentiellement sur du temps partiel. Ce qui explique les « petites carrières », comme vous le dites souvent, monsieur le ministre ; mais aussi les horaires décalés et hachés.

Au moment de prendre leur retraite, les femmes font le rapport entre ce que va leur rapporter leur carrière incomplète et la pénibilité qu’elles y ont subie. Or aujourd’hui 30 % d’entre elles doivent aller jusqu’à 65 ans pour avoir une carrière complète. Autrement dit, 30 % des femmes, dans ces métiers à horaires décalés qui sont des métiers pénibles, devront attendre jusqu’à 67 ans.

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

Mme Catherine Coutelle. Il faut le dire : dans les hôpitaux, on trouvera des infirmières et des aides-soignantes qui auront 67 ans ; dans le secteur des aides à domicile en milieu rural, on verra des femmes de 67 ans venir chez les personnes dites âgées pour les aider dans leurs travaux.

Au début du mois, j’étais au Canada dans le cadre d’une mission interparlementaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Grand bien vous fasse !

Mme Catherine Coutelle. Dans ce pays – comme dans d’autres – on voit travailler des personnes très âgées. Je ne sais pas quel est votre sentiment mais, pour ma part je ressens un certain malaise à voir ces gens ainsi obligés de continuer à travailler.

J’insisterai, pour terminer, sur un autre sujet, dont nous n’avons pas encore parlé aujourd’hui. L’Observatoire des inégalités, dont je vous invite à consulter les travaux, montre que si les femmes bénéficient d’une espérance de vie supérieure aux hommes d’environ sept ans, cette donnée est tout à fait théorique. Certes, elles vivent plus longtemps que les hommes, mais leur santé est relativement moins bonne. Savez-vous qu’à 60 ans, l’écart d’espérance de vie sans incapacité dans les activités en général n’est plus que d’1,3 année entre les hommes et les femmes ? Vous le voyez bien : l’inégalité au travail, dans la vie active et dans le partage des tâches ménagères se retrouve aussi à la retraite.

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier.

M. Michel Vergnier. Je regrette que M. Giscard d’Estaing nous ait quittés car je voulais apporter un peu de détente à ce moment de la journée.

Figurez-vous que j’ai un point commun avec lui : nous connaissons tous les deux Clermont-Ferrand. (Sourires.) Je sais qu’il n’est pas de coutume de parler d’expériences personnelles, ce que d’ailleurs je n’aime pas faire. Reste que mon papa était ouvrier chez Michelin – pas le sien. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous ne fréquentions pas les mêmes milieux.

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est nul !

M. Michel Vergnier. Laissez-moi finir ! Je n’ai pas pu lui répondre tout à l’heure.

Eh oui, la différence, c’est que moi j’ai vécu…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est du racisme social !

M. Michel Vergnier. Où est le racisme ? Nous n’avons tout simplement pas fréquenté les mêmes milieux et nos enfances ne sont pas déroulées dans les mêmes conditions. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. C’est vraiment minable !

M. Michel Vergnier. Encore une fois, laissez-moi finir ! Mes propos vous choquent-ils ? Mais peut-être que cela vous gêne !

Moi, j’ai vécu à la maison la vie d’un petit garçon dont le papa a fait les trois-huit toute sa vie.

M. Dominique Dord. Et les parents de M. Fabius, ils ont connu les trois-huit ?

M. Michel Vergnier. Les trois-huit, cela voulait dire : de cinq heures du matin à treize heures pendant quinze jours, puis de treize heures à vingt et une heures les quinze jours suivants et enfin de vingt et une heures à cinq heures du matin !

M. Dominique Dord. Et aujourd’hui, vous êtes en train de plastronner ! Moi aussi, je peux raconter ma vie !

M. le président. Seul M. Vergnier a la parole. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Michel Vergnier. Ce que je voulais dire à travers cette illustration, c’est qu’il faudrait que M. Giscard d’Estaing aille expliquer aux ouvriers de chez Michelin qui font les trois-huit que, s’ils n’ont pas la chance d’être physiquement en mauvaise santé à 60 ans – car il y en a qui résistent, voyez-vous –, eh bien, ils vont devoir aller jusqu’à 62 ou 67 ans. Et cela, vous aurez du mal à le leur expliquer.

M. Dominique Dord. Quand a-t-il commencé à travailler, votre papa ?

M. Michel Vergnier. Oui, il y a des métiers – je visitais il y a quelques jours un centre d’équarrissage – où tout ce que vous pouvez dire sur vos 10 % ou 20 % n’a pas de sens.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Ah bon ?

M. Michel Vergnier. Cela n’a pas de sens, parce que c’est le métier lui-même qui use, jour après jour, nuit après nuit. Ces gens-là, ils ont droit à une retraite à 60 ans ! Vous aurez beau leur expliquer sur tous les tons…

Mme Valérie Rosso-Debord. Ça s’appelle les carrières longues !

M. Michel Vergnier. Allez donc leur expliquer, madame !

Mme Valérie Rosso-Debord. Mais oui, nous le faisons !

M. Michel Vergnier. Vous êtes dans la majorité, prenez vos responsabilités…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Nous les prenons !

M. Michel Vergnier. …et laissez-moi, puisque je suis dans l’opposition, vous dire tranquillement ce que j’en pense. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Au reste, je pourrais rappeler quelle était votre attitude lorsque vous étiez dans l’opposition – à propos des 35 heures, par exemple. Mais je ne vous ferai pas cette injure.

Permettez-nous de le dire tranquillement : oui, vous faites fausse route, et pour une simple raison : financer la pénibilité, cela coûte plus cher, et vous ne voulez pas vous donner les moyens de le faire, parce que vous ne voulez pas aller chercher l’argent là où il y en a.

Vous voulez faire payer les seuls salariés : évidemment, dans ces conditions, vous n’y arrivez pas. M. le ministre le sait très bien : des études montrent que la définition de la pénibilité n’est pas difficile à fournir dès lors que l’on raisonne emploi par emploi, ce que tous les spécialistes ont fait. Lles syndicats eux-mêmes étaient tout près d’un accord sur ce point. Mais, entre 2003 et 2010, vous n’avez pas voulu avancer sur ce sujet, parce que vous n’avez pas l’intention de financer la pénibilité. Voilà pourquoi je me suis permis de rappeler, en rapportant une réalité vécue, la connaissance qu’en ont les uns et la méconnaissance qu’en ont les autres. C’est ainsi !

Mme Valérie Rosso-Debord. Vous n’avez pas parlé de votre maman !

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. J’ai écouté mon collègue Vergnier ; moi aussi je suis de Clermont-Ferrand (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) et moi aussi j’ai été élevé dans le quartier populaire de Montferrand, où sont les usines Michelin.

M. Dominique Dord. C’est le degré zéro de l’argumentation ! Si l’on ne devait connaître que ce que l’on a soi-même vécu…

Plusieurs députés du groupe SRC. L’Oréal ! L’Oréal !

M. Alain Néri. Et vous, monsieur Dord, vous n’avez aucune argumentation du tout ! D’ailleurs, pourquoi vous énervez-vous ?

Monsieur le président, plutôt que de décompter du temps de parole du groupe socialiste les interruptions de nos camarades de l’opposition, pourriez-vous les imputer sur leur compte ?

Je reprends mon propos. Ce que nous disons ne vous fait pas plaisir, et c’est bien dommage : nous essayons de vous rendre service et vous ne le comprenez pas !

Les trois-huit, c’est seulement une partie de la pénibilité, mais il faudra bien la prendre en compte.

Il y a aussi des gens, dans notre région, qui ont travaillé chez Amisol. Ils passaient leur temps dans un nuage d’amiante ! Pendant des années, personne ne s’en est préoccupé, jusqu’au moment où on s’est aperçu que cela avait de graves conséquences sur la santé, avec de nombreux cancers. Pour ceux qui ont travaillé chez Amisol, l’espérance de vie est particulièrement réduite ! Qui plus est, ces gens-là n’avaient, pour la plupart, pas d’autre choix que ce travail extrêmement difficile.

M. Dominique Dord. Vous êtes meilleur quand vous parlez vélo ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Néri. Quand on vous parle de pénibilité, vous répondez invalidité. Ce n’est la même chose : on peut – malheureusement – devenir invalide sans nécessairement avoir un travail pénible, comme on peut être usé par la pénibilité sans être à proprement parler invalide.

M. Dominique Dord. On peut aussi être usant ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Néri. Le problème est bien là : dans certains cas, l’usure va se manifester après le départ à la retraite. Dans ces conditions, j’attends simplement une explication de M. Jacquat ou de M. le ministre.

Monsieur le rapporteur, vous qui êtes médecin,…

M. Denis Jacquat, rapporteur. Oui !

M. Alain Néri. …pouvez-vous nous rassurer sur le cas des personnes pour lesquelles l’usure due à la pénibilité du travail ne se manifeste que quatre ou cinq ans après la retraite ? Cela peut être lié aux trois-huit, à un environnement pollué, au rythme de travail ou encore au bruit – bref à des conditions pénibles, reconnues comme telles par les uns et par les autres. Pouvez-vous nous dire dans quelles conditions vous allez leur accorder la bonification ?

Mme Marie-George Buffet. Eh oui ! Vous n’avez pas répondu !

M. Daniel Paul. Et l’amiante ?

M. Alain Néri. Vous nous parlez d’équité, mais où est-elle ? Pour eux, ce sera trop tard : ils seront partis ! C’est pourtant une simple question de bon sens !

Pouvez-vous m’indiquer aujourd’hui, monsieur le rapporteur – ou bien vous, monsieur le ministre, mais je compte davantage sur le rapporteur, parce qu’il est médecin – ce que seront les conditions ? Pouvez-vous m’assurer que l’on rendra justice à celui pour lequel on pourra déterminer seulement trois ou quatre ans après son départ en retraite qu’il est usé par un travail pénible, et qui n’aura pas bénéficié de bonifications pour un départ anticipé ? Comment, monsieur le rapporteur, avec le souci d’égalité et d’équité sans pareil qui est le vôtre, pourrez-vous lui rendre justice ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Si vous pouviez nous l’expliquer, nous serions prêts à voter votre amendement. Mais cela, vous êtes dans l’incapacité de le faire. Si vous le faites, je vous dirai que vous êtes vraiment un formidable rapporteur. Hélas ! j’ai peur que nous ne soyons, en réalité, que face à un petit rapport – j’ai trop d’estime à votre endroit pour vous qualifier de petit rapporteur. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. Ça, c’est très méprisant, monsieur Néri !

M. Alain Néri. Mais je constate que vous ne m’écoutez même pas. Comment voulez-vous nous répondre ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais si, je vous écoute !

M. Alain Néri. Eh bien, alors, nous attendons votre réponse !

M. Yves Bur. Quel bavardage !

M. Alain Néri. Mais j’ai peur que vous n’ayez pas les moyens de nous convaincre, et vous ne pourrez davantage convaincre ceux qui ne bénéficieront pas, à la retraite, d’une espérance de vie égale à celle de ceux qui auront travaillé dans des conditions moins pénibles. Monsieur Jacquat, monsieur le ministre, nous attendons votre réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Monsieur Néri, le groupe UMP, à l’instigation de Pierre Méhaignerie et de moi-même, a déposé un amendement qui reprend exactement ce que vous venez d’indiquer ; et j’espère que vous le voterez lorsqu’il sera appelé dans le cours de la discussion !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Monsieur Néri, l’entreprise que vous citez – Amisol – est classée au FCATA. Les salariés ont donc la possibilité de partir à cinquante ans. Sinon, ils peuvent partir avec un tiers de leur durée de travail déduite de la durée légale. Il y a donc bien une prise en compte de la pénibilité.

La réponse que vous nous demandiez, c’est le projet du Gouvernement, qui s’inscrit clairement dans cette perspective. Encore une fois, tous vos propos témoignent d’une attitude défensive sur ce sujet.

En ce qui concerne les salariés de Michelin, je suis persuadé que, dans cette grande entreprise, il existe des aménagements pour les fins de carrière.

Nous proposons, au travers du dispositif évoqué par M. le rapporteur, qui a été présenté par le président de la commission des affaires sociales et sur lequel le Gouvernement donnera un avis favorable, d’aller vers des accords de branches et d’entreprises afin d’aménager les fins de carrière des travailleurs soumis à la pénibilité.

M. le président. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Je ne vais pas vous redire, monsieur le ministre, toutes mes positions sur votre pseudo-prise en charge de la pénibilité… (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je pourrais en remettre une couche, mais vous les connaissez. À moins, bien sûr, que vous n’insistiez ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

La position socialiste a été une nouvelle fois clairement définie par Marisol Touraine et tous nos camarades ici présents. Nous ne sommes pas pour une liste de métiers, mais nous sommes encore moins pour votre solution, très individuelle et fondée uniquement sur l’incapacité et la maladie.

Si j’ai demandé à nouveau la parole, c’est parce que, tout à l’heure, notre collègue M. Issindou, dont vous savez à quel point il est remarquable, a montré une nouvelle fois combien nous avions affaire à un Gouvernement et à une majorité de mensonges ; ce sont des menteurs, des Pinocchios avec des nez qui s’allongent. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

À propos de mensonge, je vois que le ministre s’enfuit ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ce matin même à la télévision, Jean-François Copé – qui dispose, je crois, d’une certaine influence au sein de la majorité – bafouillait, s’enlisait, se noyait en prétendant que les dispositions sur la pénibilité prenaient en compte les métiers. Quelques heures après, dans l’hémicycle, le ministre disait le contraire – mais je le vois revenir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est minable !

Mme Valérie Rosso-Debord. Soyez donc aussi présent que lui !

M. Patrick Roy. La majorité est donc profondément divisée sur la question.

M. Dominique Dord. Dans vos rêves !

M. Patrick Roy. Ou alors, il s’agit d’une diversion, d’un mensonge de plus. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous pouvez bien nier, mais les propos de M. Copé ont été enregistrés, donc très facilement vérifiables. Demandez à mon collègue socialiste, il se fera un plaisir de vous dire à quelle seconde précise Jean-François Copé a tenu des propos totalement contraires à ceux du ministre.

Monsieur le ministre, qui ment ?

M. Guy Lefrand. Vous !

M. Patrick Roy. Qui a raison ? Quelle est la position de la majorité ? Éclairez-nous !

M. Dominique Dord. Voilà une intervention décisive !

M. Alain Suguenot. Le débat a progressé !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. J’étais présent en 2003 lorsque la réforme Fillon a été discutée. Je ne reviens pas sur les nombreux engagements du ministre du travail et des affaires sociales de l’époque – ils ont été évoqués la semaine dernière. Mais l’un d’eux, très clair, tout à fait formel, portait sur la pénibilité, et ce qu’il en est advenu montre l’échec de cette réforme. On nous promettait une négociation et la conclusion d’un accord avec les partenaires sociaux. Tout devait être réglé dans les trois ans : on sait ce qu’il en est…

Les organisations syndicales éprouvent à l’égard de vos discours une très grande méfiance. L’expérience les a échaudés !

Ségolène Royal disait l’autre soir à la télévision qu’on n’entendait pas beaucoup le MEDEF ces jours-ci. Mais, ajoutait-elle, c’est pour une bonne raison : le Gouvernement parle pour le MEDEF ; c’est le projet du MEDEF. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. C’est tellement caricatural que ça ne peut convaincre personne !

M. Jean-Marc Ayrault. Et si la négociation sur la pénibilité n’a pas abouti, ce n’est pas parce que nous ne disposons pas de statistiques et de données objectives, mais bien parce quele patronat, et particulièrement le MEDEF a de façon permanente et déterminée refusé tout accord sur la pénibilité dans la discussion avec les représentants des salariés !

Voilà où nous en sommes. Comment, dès lors, croire que vous traiterez ce problème par la loi ? Les organisations syndicales avaient demandé que le législateur s’empare du sujet si aucun accord n’était conclu dans les trois ans. Voilà que le législateur est à l’œuvre. Sera-t-il en mesure de prendre ses responsabilités ?

Mme Valérie Rosso-Debord. Oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Sur la base du projet du Gouvernement, à l’évidence, non.

Depuis le début de nos débats, une confusion s’est d’ailleurs installée entre « pénibilité » et « invalidité ». Vous parlez toujours d’invalidité, même si vous avez apporté quelques correctifs par amendement. Mais je rappelle que 700 000 salariés partent chaque année à la retraite ! Vos premières propositions ne consistaient pas à prendre en compte la pénibilité de façon préventive, mais l’approchaient sous le seul angle de l’invalidité : elles ne concernaient qu’environ 10 000 salariés par an. Les amendements que vous proposez ne vont pas relever ce nombre de façon bien notable. Les salariés concernés par la question de la pénibilité, en revanche, font déjà l’objet d’un excellent rapport parlementaire, celui de Jean-Frédéric Poisson, alors député UMP.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Vous aviez voté contre !

M. Jean-Marc Ayrault. Il estimait à 20 millions le nombre d’actifs concernés par au moins un des critères de pénibilité. Cela fait beaucoup de monde ! Tout le monde, évidemment, n’est pas concerné au même degré. C’était d’ailleurs l’objet de la négociation : il s’agissait d’arriver à un compromis qui permette aux salariés les plus exposés à la pénibilité – ceux que mes collègues ont décrit il y a quelques instants – de partir plus tôt à la retraite.

Pourquoi partir plus tôt ? Mais tout simplement pour bénéficier de sa retraite ! On sait très bien que les cancers liés au travail se déclarent souvent bien après le départ à la retraite. Les statistiques sont claires, et elles ont encore été précisées ces derniers jours. Il en va de même pour ceux qui travaillent la nuit ; il en va de même pour ceux qui souffrent de troubles musculo-squelettiques.

Ce qui est sûr, c’est que tant la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail que l’INSEE ont démontré qu’à trente-cinq ans, les hommes cadres supérieurs peuvent espérer vivre encore en moyenne pendant quarante-sept ans, dont trente-quatre indemnes de toute incapacité majeure. Mais les hommes ouvriers n’ont pas cette chance : à trente-cinq ans, leur espérance de vie est inférieure de six ans à celle des cadres, et leur espérance de vie sans incapacité est plus courte de dix ans que celle des cols blancs. Il y a donc bien un problème !

Et c’est un problème que vous ne traitez pas du tout, monsieur le ministre. Ce que vous nous avez encore dit il y a quelques instants le montre !

La pénibilité, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Il y a les témoignages eux-mêmes, il y a les témoignages rapportés par mes collègues, notamment celui de Michel Vergnier, sur lequel vous avez ironisé, alors qu’il parlait non seulement comme parlementaire, mais aussi comme fils d’ouvrier, sachant exactement de quoi il parlait ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Louis Giscard d’Estaing. Cela ne l’autorisait pas à dire les choses qu’il a dites ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Ayrault. Ce qu’il disait touche beaucoup de gens qui nous écoutent. C’est du vécu ! Mais malgré cela, il est important de partir de chiffres, de statistiques.

M. Dominique Dord. Heureusement qu’on a le droit de parler de choses qu’on n’a pas vécu : cela s’appelle la connaissance, l’éducation !

M. Jean-Marc Ayrault. C’est précisément ce que je vais faire, monsieur le trésorier de l’UMP et ancien salarié de L’Oréal ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. C’est nul !

M. Jean-Marc Ayrault. Je suis désolé, mais tous les trésoriers de l’UMP et tous ceux qui tournent autour de l’affaire Bettencourt ont un rapport avec L’Oréal, c’est extraordinaire. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. C’est énorme, stratosphérique !

M. Jean-Marc Ayrault. Si ce que je dis vous énerve, vous n’étiez pas obligé de m’interrompre.

M. Charles de La Verpillière. C’est lamentable !

M. Jean-Marc Ayrault. J’en arrive justement, après les témoignages vécus, à la réalité statistique.

Savez-vous, par exemple, que 1,35 million de salariés sont astreints à une manutention de charges au moins vingt heures par semaine ? Voilà du concret ! De même, 15 % des salariés, soit plus de 2,6 millions d’entre eux, doivent maintenir leurs bras en l’air. Quand on est jeune, cela n’a peut-être pas beaucoup d’effet sur la santé ; quand on le fait une heure, ce n’est pas grave ; mais si vous le faites pendant plus de vingt heures par semaine, vous finissez par souffrir d’un vrai handicap !

Pour les salariés concernés, la question de la pénibilité est essentielle. La possibilité, le droit, la liberté de partir à 60 ans – que vous voulez remettre en cause définitivement – est déjà une première réponse à cette question.

M. Patrick Roy. Bravo !

M. Jean-Marc Ayrault. Certes, cela ne répond pas à tout : c’est pourquoi nous souhaitons qu’un cadre soit fixé par la loi, et que des négociations permettent de définir les conditions de bonification du départ à la retraite.

Vous dites qu’il faut améliorer les conditions de travail. Bien sûr. Mais il faut jouer sur les deux tableaux ! Il faut améliorer les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, entreprise par entreprise, branche par branche : il y a, c’est vrai, des progrès considérables à faire. Voilà pour l’action préventive. Mais ceux qui sont aujourd’hui exposés à ces conditions de travail beaucoup plus difficiles qu’on appelle la pénibilité doivent pouvoir partir plus tôt à la retraite, au moins à 60 ans, parfois plus tôt.

Sinon, ils ne bénéficieront pas durablement de leur retraite. C’est la question centrale, celle à laquelle vous ne voulez pas répondre parce que vous ne voulez pas mettre les moyens nécessaires pour assurer la solidarité avec ceux qui travaillent plus que les autres, ceux qui se lèvent tôt, ceux à qui le candidat Sarkozy avait fait bien des promesses, que vous être en train d’oublier avec lui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Dominique Dord. Baratin !

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, ministre du travail.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Décidément, la France serait-elle le seul endroit au monde où le travail serait pénible ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous nous citez à peu près tous les salariés de ce pays : 20 à 25 millions de salariés ! Comment cela se passe-t-il en Allemagne, en Pologne, aux Pays-Bas ? Il n’y a tout de même pas qu’un seul pays où le travail soit pénible, alors qu’il ne le serait pas dans les autres !

Parce que c’est dans la tradition sociale française, nous avons considéré qu’il fallait réaliser des avancées sur le système de pénibilité. Ces avancées sont puissantes, fortes.

M. Alain Cacheux. Allons, vous n’en croyez pas un mot !

M. Marcel Rogemont. C’est cosmétique !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Vous contestez cette réforme, mais vous êtes sans arrêt sur la défensive, parce que votre propre proposition est extraordinairement floue. Ce que vous dites n’est pas applicable ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous parlez sans cesse du rapport Poisson ; cela devient le rapport de référence. Mais lorsqu’il l’a remis, vous disiez qu’il était la voix du MEDEF ! Je sais bien que c’est une insulte, chez vous. Mais comment un rapport mauvais il y a quelques semaines peut-il être devenu le meilleur des rapports ? Il y a des limites !

Nous devons mesurer la pénibilité ; si nous ne créons pas un lien entre une situation pénible, un facteur d’exposition, d’un côté, et un risque de l’autre, alors il y a une forte injustice vis-à-vis de tous ceux qui ne pourront pas en bénéficier.

M. Alain Cacheux. Vous faites vraiment le minimum !

M. Jacques Valax. Vous donnez des leçons de justice ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Nous devons continuer à travailler sur le sujet, car nous devrons certainement évoluer dans les années qui viennent. Nous créons un droit nouveau, et nous créons aussi les conditions de l’évolution, avec le comité scientifique.

Mme Laurence Dumont. Vous reconnaissez vous-même que votre texte n’est pas abouti.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Sur les 700 000 salariés partant à la retraite chaque année, 150 000 à 160 000 continueront à partir à 60 ans. Il y a les carrières longues – ceux qui ont eu des carrières longues ont souvent été aussi exposés à des facteurs de pénibilité. Il y aura 30 000 personnes directement concernées par la pénibilité. N’oublions pas non plus la catégorie active pour les fonctionnaires : c’est la méthode de mesure pour la fonction publique.

En additionnant ces trois catégories, vous atteignez 150 000 à 160 000 Français qui partiront à 60 ans, voire avant.

Dans cette réforme des retraites, nous avons donc traité la pénibilité de façon sérieuse, responsable et vraiment humaine, vraiment appropriée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le ministre, je vous remercie de nous répondre ; c’est la moindre des choses dans un dialogue à l’Assemblée nationale, bien sûr, mais vous vous y prêtez de bonne grâce et je tiens à le souligner.

Je vous réponds à mon tour : je ne suis pas d’accord avec ce que vous avez dit.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Ça, on s’y attendait !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous laissez entendre qu’au fond, mes observations sur la pénibilité seraient si approximatives qu’elles rendraient impossible toute initiative pour améliorer la retraite des salariés concernés.

Je ne suis pas ici le simple relais des organisations syndicales. Mais puisque – vous nous l’avez dit plusieurs fois – vous prétendez les respecter, je souligne que je n’ai fait que reprendre ce qu’ont dit les organisations syndicales. Elles ne se satisfont pas des mesures que vous avez prises, et elles recommandent de partir des réalités que je viens de décrire, pour, à partir de vraies négociations, en arriver à de vrais accords définissant qui peut partir à la retraite plus tôt, afin que chacun puisse bénéficier d’une vraie retraite.

Vous dites aussi qu’il y aurait une exception française, que nous serions incapables de voir ce qui se passe ailleurs. D’abord, il est toujours très difficile de comparer les systèmes de retraite d’un pays à l’autre : il est trop facile d’isoler quelques éléments qui vous arrangent, et ce n’est pas très utile pour faire avancer le débat. Reste que je sais quand même deux ou trois choses. Ainsi, la Pologne – que vous évoquiez tout à l’heure – a mis en place des dispositifs de cessation anticipée d’activité : ils concernent 270 000 salariés, et soixante-quinze activités professionnelles. Il y a donc bien eu négociation, et définition. Vous évoquez l’Italie, mais le gouvernement Prodi avait bien arrêté des mesures permettant de partir plus tôt. Simplement, le gouvernement Berlusconi refuse de prendre les décrets d’application. Ces mesures devaient concerner 1,4 million de salariés.

Quant à cette Allemagne que vous invoquez souvent, il faut savoir que le dialogue social y est beaucoup plus puissant. Dans les branches, des accords collectifs permettent à des salariés exposés à des conditions de travail pénibles de partir plus tôt à la retraite.

M. Michel Issindou. Voilà la différence !

M. Jean-Marc Ayrault. Cette question se pose donc partout, mais nous, nous n’avons pas la réponse.

Vous nous parlez d’invalidité, monsieur le ministre, mais êtes-vous prêt à reconnaître qu’entre la pénibilité et l’invalidité, il y a une différence ? Ou pensez-vous que ce soit la même chose ? Certains entretiennent la confusion à dessein. Ainsi, Jean-François Copé affirmait que plusieurs mesures étaient prises sur la pénibilité, alors que nous sommes toujours sur l’invalidité. Monsieur le ministre, pouvez-vous éclairer l’Assemblée nationale sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Denis Jacquat, rapporteur. Il l’a déjà fait.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Il y a bien une différence entre les dispositifs d’invalidité et les dispositifs d’incapacité, ce n’est pas le même sujet. Nous avons bien distingué les choses. Nous sommes dans un dispositif d’incapacité au sens de la branche AT-MP. L’Allemagne a un dispositif d’invalidité.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. Je voulais évoquer un autre amendement à l’occasion de celui-ci, mais nous nous sommes tellement écartés du point que je voulais évoquer que je préfère attendre que l’amendement soit appelé.

M. le président. La parole est à M. Georges Colombier.

M. Georges Colombier. Tout à l’heure, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt le témoignage de notre collègue Vergnier sur son père qui travaillait comme ouvrier chez Michelin, et je me suis dit qu’il serait bon que je témoigne aussi, posément mais avec force, sur ma propre expérience.

En effet, j’ai été salarié de l’industrie pendant vingt-huit ans, de 1958 à 1986. J’ai travaillé en deux huit et en trois huit pendant toute cette période. Je sais donc de quoi je parle. Vingt-quatre ans après, puisqu’il y a vingt-quatre ans que je suis élu à l’Assemblée, je n’ai pas oublié ce qu’était le travail posté.

Avant la loi de 2003, rien n’était prévu pour les carrières longues. Nous avons voté alors un dispositif en leur faveur, que le présent projet de loi élargit puisque les personnes qui ont commencé à dix-sept ans seront désormais concernées.

Quant à la pénibilité, elle n’a jamais été traitée jusqu’à aujourd’hui, pas plus par vous que par nous. Certes, en tant qu’ancien salarié, j’aurais souhaité qu’on aille plus loin, mais je pense que l’amendement de Pierre Méhaignerie, que j’ai cosigné et qui viendra en discussion tout à l’heure, va dans le bon sens. Je ne suis pas de Clermont-Ferrand, je viens de l’Isère, mais quand je rencontre mes collègues qui, aujourd’hui encore, travaillent en deux huit ou en trois huit, je ne me fais pas agresser, ils savent que je suis sincère, même si je diffère peut-être de vous dans mes réflexions, chers collègues de l’opposition. En tout cas, je ne pense pas que nous ayons à rougir de ce que nous faisons ici, et je souhaite au contraire que nous soyons nombreux à progresser dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing.

M. Louis Giscard d’Estaing. J’avais demandé la parole pour répondre à notre collègue Michel Vergnier, mais je n’ai même pas besoin de le faire car l’intervention que vient de faire Georges Colombier est la meilleure réponse : ce n’est pas en fonction de nos antériorités personnelles, monsieur Vergnier, que nous sommes sensibles ou non à la question des carrières longues, nous l’avons démontré.

Vous siégiez dans la majorité avant que je n’arrive dans cette assemblée, monsieur Vergnier. Pendant les cinq années où vous avez été majoritaires, le groupe communiste n’a cessé de vous demander, à vous socialistes, de prendre en compte les carrières longues, de prendre en compte les problèmes de ceux qui avaient commencé à travailler par la filière de l’apprentissage à quatorze, quinze ou seize ans. Mais c’est nous qui avons pris des mesures dans la réforme Fillon.

M. Michel Vergnier. C’est vrai.

M. Louis Giscard d’Estaing. Merci, monsieur Vergnier, de m’avoir permis de vous rappeler que nous pouvions être au moins aussi sensibles à certaines problématiques, sur les carrières longues comme sur la pénibilité, et surtout de vous rappeler que nous, nous mettons en œuvre des mesures. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet.

M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le ministre, la réponse que vous avez faite à Jean-Marc Ayrault est caricaturale. Dire que seule la France a des métiers pénibles, ce n’est pas digne, ce n’est pas du niveau d’un ministre. Tout le monde sait qu’il y a des métiers pénibles dans tous les pays. Mais l’honneur de notre pays, c’est justement d’avoir tenu compte des métiers pénibles.

M. Éric Woerth, ministre du travail. C’est exactement ce que nous faisons !

M. Jean-Paul Bacquet. C’est d’avoir fait en sorte jusqu’à présent que l’on n’use pas un travailleur jusqu’au bout. C’est bien là tout le problème : vous êtes caricatural.

Je voudrais évoquer un sujet que je connais un peu, comme vous d’ailleurs, monsieur le président.

M. Dominique Dord. Clermont-Ferrand ?

M. Jean-Paul Bacquet. Non, justement, je ne vais pas parler de Clermont-Ferrand, monsieur Dord.

M. Dominique Dord. Ça change tout !

M. Jean-Paul Bacquet. Je vais essayer de vous dire la différence entre la pénibilité, l’invalidité et même l’inaptitude. C’est un point fondamental.

Pour qu’il y ait rente d’accident de travail ou de maladie professionnelle, il faut d’abord qu’il y ait un accident ou une maladie. On soigne, on « répare » celui qui est atteint, et après, soit il y a restitution ad integrum et les choses s’arrêtent là, soit il y a séquelles et on indemnise par une rente. On intervient donc après l’accident ou l’incident de santé.

La pénibilité, ce n’est pas cela. Elle exige qu’on intervienne en amont par rapport au risque qui est encouru par celui qui travaille, en fonction de ses conditions de travail et des risques auxquels il est exposé.

Mme Michèle Delaunay. Exactement !

M. Jean-Paul Bacquet. On n’attend pas qu’il soit atteint ou détruit pour l’indemniser : on compense le handicap potentiel par rapport au risque. C’est totalement différent.

Sur l’inaptitude, je ne comprends pas le silence du Gouvernement. Aujourd’hui, le travailleur en situation d’inaptitude bénéficie automatiquement de la retraite à 60 ans à taux plein, quel que soit le nombre d’années travaillées.

M. Michel Issindou. Eh oui !

M. Jean-Paul Bacquet. Avec votre projet, cette disposition disparaît.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Paul Bacquet. Je ne comprends pas. J’ai cru comprendre que l’on aurait un taux de 20 %, de 10 % maintenant, qui serait fixé par une commission Théodule. Va-t-on réinventer les COTOREP ?

Monsieur le ministre, qui fixe actuellement les taux d’invalidité ? Qui fixe l’inaptitude ? Ce sont les médecins-conseil de la sécurité sociale, et vous connaissez les contestations et les voies de recours qui existent.

M. Dominique Dord. Il y a toujours des contestations !

M. Jean-Paul Bacquet. Les taux d’invalidité ne sont pas toujours définitifs, les pensions non plus, elles peuvent être rachetées et quand elles sont rachetées, on perd ses droits. Sur quels critères allez-vous vous fonder après le départ à la retraite anticipée ?

Un travailleur de l’amiante qui n’a pas de lésion à 60 ans n’aura pas droit à la retraite, mais il peut décéder à 62 ans d’un mésothéliome, sans avoir bénéficié de la retraite à 60 ans parce que considéré comme n’ayant rien.

M. Alain Néri. Et voilà !

M. Jean-Paul Bacquet. C’est inacceptable et contradictoire.

D’un côté, il y a la compensation d’un risque, de l’autre l’indemnisation en fonction d’une pathologie. C’est très différent.

M. Michel Vergnier. Tout à fait !

M. Jean-Paul Bacquet. C’est un point fondamental qui nous sépare, et je voudrais, monsieur le ministre, que vous en preniez conscience, comme je voudrais que vous preniez conscience que d’autres avant nous ont fait la différence entre l’invalidité et le risque compensé : Lionel Stoléru en 1975 à propos du travail posté, Martine Aubry en 2000. Vous l’avez totalement oublié.

Nous avons donc raison de vouloir ajouter, à la première phrase de l’alinéa 2 de l’article 25, les mots : « liées à des contraintes physiques marquées, à un environnement agressif ou à certains rythmes du travail », car ce sont bien cet environnement agressif, ces rythmes de travail, ces contraintes physiques qui représentent le risque que l’on doit compenser. On ne doit pas attendre que les lésions et la pathologie apparaissent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Le débat, que j’ai suivi attentivement, montre qu’il y a un vrai problème. Le Gouvernement et sa majorité continuent de mentir à nos concitoyens, en leur faisant croire qu’il est impossible de fixer des critères concernant les questions de pénibilité et les accès à une retraite anticipée avant 60 ans.

Des intervenants ont relevé qu’il existait des accords. Ce ne sont pas des chiffons de papier : ces accords existent, ils ont été signés par les partenaires sociaux, comme on dit maintenant couramment.

J’ai sous les yeux un accord signé dans une grande entreprise dont l’État est un actionnaire important : la SNECMA. Cet accord, signé par l’ensemble des organisations syndicales – CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, CGT-FO –, est le troisième accord du genre ; ce n’est pas un simple renouvellement.

Les signataires n’ont eu aucune difficulté pour établir des critères dans l’entreprise. Le préambule évoque des critères reconnus de pénibilité physique et physiologique, intègre certains facteurs d’ambiance ou de nuisance admis comme éprouvants, prend en compte la nature des horaires de travail pratiqués – contrairement à ce que dit M. Jacquat, le travail de nuit, ça tue – ainsi que le nombre d’années de travail, prévoit enfin une modulation des conditions de départ, donnant ainsi au salarié une plus grande latitude de choix. Que voulez-vous de mieux ?

Des tableaux sont joints à cet accord, avec les critères de pénibilité d’un côté, les activités afférentes de l’autre. Les activités afférentes, ce sont les métiers et les postures de travail. Tout ceci existe. Je m’arrêterai là pour le moment parce qu’il ne nous reste plus que trente minutes.

M. Alain Cacheux. C’est un scandale !

M. Roland Muzeau. En effet. Nous sommes obligés d’économiser notre temps sur des questions qui nous passionnent et nous motivent tout au long de l’année, mais nous vous démontrerons, y compris sur les amendements du Gouvernement, combien il est aisé, quand on le veut bien, de pratiquer des accords satisfaisants pour les salariés. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Hollande.

M. François Hollande. Nous étions un certain nombre ici en 2003 lors de la discussion de la réforme Fillon. Comme l’a indiqué Jean-Marc Ayrault, entre le texte de 2003 et le texte que nous examinons aujourd’hui, il y a une régression.

Nous pouvions être en désaccord sur la réforme Fillon, mais ses promoteurs, pour justifier – c’était une logique – l’allongement de la durée de cotisations, qui devait passer de quarante ans à quarante et une années en 2011 puis à quarante et une années et demie en 2020, ont dit à l’époque qu’il fallait tenir compte de la pénibilité afin que des salariés effectuant des métiers pénibles, difficiles, durs, puissent échapper à cette contrainte forte de devoir travailler quarante et une années pour prétendre à un droit à la retraite à taux plein.

C’est pourquoi le texte prévoyait l’obligation de discuter la question de la pénibilité au niveau des branches. Je peux entendre les explications de certains de nos collègues. Mais M. Woerth nous a dit que la pénibilité n’avait pas de sens, alors même que nous avons légiféré en 2003 sur cette notion.

M. Michel Issindou. Il a oublié !

M. François Hollande. Comment comprendre que, entre 2003 et 2010, l’on ait occulté la notion de pénibilité pour en revenir à celle d’invalidité, qui existe d’ailleurs depuis longtemps dans notre droit social ? La meilleure preuve de cette évolution, c’est que le Conseil d’orientation des retraites, qui rassemble des parlementaires de toutes sensibilités et des experts, a lui-même débattu de la notion de pénibilité et a convenu, de manière consensuelle, qu’il y avait des critères pour expliquer celle-ci.

M. Michel Vergnier. Bien sûr !

M. François Hollande. Moi, je ne fais que constater qu’entre 2003 et 2010, notre droit social a régressé et que l’apport de 2003, à savoir la prise en compte de la pénibilité, vient de disparaître.

M. Michel Issindou. C’est vrai !

M. François Hollande. C’est d’autant plus grave que, votre texte reportant l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, ceux qui pouvaient encore bénéficier du dispositif « carrières longues » et qui, pour certains, en seront écartés – je pense notamment à ceux qui ont commencé à travailler à dix-huit, dix-neuf ou vingt ans –, non seulement devront travailler plus longtemps, mais se verront écartés de tout dispositif permettant de reconnaître la pénibilité. Voilà pourquoi je dis que le droit social régressera si nous ne changeons pas votre projet. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

(L’amendement n° 466 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 467.

M. Jean Mallot. Je regrette que Louis Giscard d’Estaing ne soit pas resté avec nous.

M. Dominique Dord. C’est une fixation !

M. Jean Mallot. Tout à l’heure, quand il s’est levé pour défendre un amendement, j’ai cru qu’il allait nous présenter sa dernière proposition de loi, n° 2758, qui vise à donner un statut à la profession de conseiller en gestion de patrimoine. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Bur. C’est un métier pénible !

M. Jean Mallot. C’est très intéressant et je me suis dit que, compte tenu de l’actualité, le débat sur une telle proposition n’aurait pas manqué de sel, mais peut-être n’est-ce que partie remise, peut-être le groupe UMP va-t-il inscrire ce texte à l’ordre du jour de sa niche, comme on dit – le terme de « niche » est plutôt bien choisi en l’espèce !

L’amendement n° 467 est relatif à la pénibilité, qui est au cœur de la problématique. Nous avons tous fait l’exercice, dans nos circonscriptions – je l’ai fait dans la mienne, pour ce qu’il en reste ! –consistant à dire aux gens que le Gouvernement avait la volonté de repousser l’âge légal de départ à la retraite et que cette uniformisation était très injuste à l’égard de celles et ceux qui avaient commencé à travailler tôt. Mais il est un critère que nous avons tous utilisé pour essayer de différencier les situations, c’est celui de la pénibilité. Les gens nous disent que ce qui est proposé n’est pas juste parce que certains ont une espérance de vie plus longue que d’autres. À trente-cinq ans, un ouvrier a une espérance de vie en bonne santé de dix ans inférieure à celle d’un cadre. C’est une réalité.

M. Dominique Dord. Tout à l’heure, c’était six ans !

M. Jean Mallot. Quand on est dans cette situation, on risque donc d’arriver à la retraite malade, voire de ne pas y arriver, en tout cas d’avoir une espérance de vie à la retraite extrêmement courte. Tout le monde en convient donc, il faut discriminer, en quelque sorte, entre les situations, sur la base même de ce critère de pénibilité, puisque certains occupent des emplois pénibles alors que d’autres occupent des emplois qui ne le sont pas.

Le débat sur la pénibilité, nous l’avons eu, nous le poursuivons. Il fait apparaître qu’il faut distinguer pénibilité et incapacité. La clef de ce débat, c’est la prise de conscience du fait que l’exposition à des risques, à des facteurs de pénibilité, a des effets sur la santé qui sont différés, qui peuvent ne pas apparaître au moment de l’examen médical, du départ à la retraite. Telle maladie, tel handicap, tel cancer peut en effet n’apparaître que plus tard.

J’évoquerai, à l’appui de cette démonstration, un rapport présenté au Conseil économique, social et environnemental en juillet 2010 par M. François Édouard, qui porte sur le travail de nuit et s’intitule : « Le travail de nuit : impact sur les conditions de travail et de vie des salariés. » Je vais vous en lire deux extraits.

« La tendance observée depuis un certain temps est celle d’un développement du travail de nuit, principalement dans le secteur des services et pour la population féminine, dans un contexte plus général d’accroissement des rythmes de travail atypiques. C’est aujourd’hui près d’un salarié sur cinq qui travaille habituellement la nuit. »

Ce rapport se penche sur les conséquences du travail de nuit sur la vie, la santé et le devenir des salariés – et voici le second extrait :

« Diverses études, dont celle du Centre international de recherche sur le cancer, dépendant de l’OMS, font un lien entre le travail de nuit posté et la probabilité de cancer, notamment cancer du sein et cancer colorectal, en raison de la perturbation des rythmes circadiens et de l’affaiblissement des défenses immunitaires résultant d’une insuffisance de mélatonine. Du fait de l’exposition nocturne à la lumière, les femmes se trouvent exposées à des risques spécifiques liés à la grossesse. »

Je pourrais continuer mes citations. Ce rapport fourmille d’exemples et je vous en recommande la lecture. Il montre la réalité des dégâts causés à la santé par les facteurs de pénibilité que nous avons énoncés. Ce sont des critères sur la prise en considération desquels les partenaires sociaux sont arrivés à un consensus. Sur ces critères nous souhaitons construire – nous, mais pas vous ! – une véritable prise en compte de la pénibilité pour distinguer entre celles et ceux qui, occupant des emplois pénibles, auront une espérance de vie plus courte et ne pourront pas bénéficier de leur retraite et celles et ceux qui – tant mieux pour eux ! – pourront en bénéficier. C’est notre projet ; ce n’est pas le vôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. La pénibilité ne peut s’apprécier de la même façon si l’on doit travailler jusqu’à 62 ans, au lieu de 60, voire jusqu’à 67 ans pour avoir une pension complète sans décote, et si la durée d’assurance est de 41,5 ans, comme aujourd’hui, au lieu de 37,5 ans. À 60 ans, avec 37,5 ans de cotisation, les carrières étaient de toute façon plus courtes, la question ne se posait donc pas de la même manière.

Il est vrai qu’en 2003 vous avez introduit la notion de pénibilité, que certains partenaires sociaux ont même signé des accords, mais j’ai aujourd’hui le sentiment qu’ils ont été quelque peu bernés, après trois ans de négociations. M. Jacquat nous a dit plusieurs fois dans la journée que nous n’écoutions pas, contrairement à lui, mais justement nous évoluons au fur et à mesure que nous lisons des rapports. Et nous disons tous exactement la même chose, nous socialistes : un ouvrier a effectivement six ans d’espérance de vie et dix ans d’espérance de vie en bonne santé de moins qu’un cadre. Vous avez eu l’air surpris, monsieur Dord, lorsque M. Mallot l’a dit, mais nous tenons tous le même discours depuis trois jours ! Et nous pensons qu’il faut aujourd’hui tenir compte de cette différence d’espérance de vie.

Nous avons lu le rapport de M. Poisson. Vous dites que nous n’étions pas d’accord avec lui, mais nous y avons largement participé – M. Juanico a été présent en permanence. Nous avons également lu le rapport du COR et l’étude de François Édouard que M. Mallot vient de citer. Nous évoluons donc, nous travaillons, et ce que nous vous demandons aujourd’hui, c’est, comme le souhaitent les partenaires sociaux, de retenir quatre critères qui sont à l’origine de différences d’espérance de vie : la mécanisation des tâches, les troubles musculo-squelettiques, le travail de nuit et l’exposition à des produits cancérigènes. Et, parce que nous avons travaillé ces questions, nous savons qu’un salarié, après avoir été exposé à des produits cancérigènes, va avoir une maladie, ou un cancer, qui ne sera peut-être pas détectable à 60 ans, mais qui surviendra après.

De même, nous connaissons les conséquences du travail de nuit. M. Mallot et Mme Coutelle ont évoqué la question des femmes et je vais y revenir. Le nombre de femmes travaillant la nuit est passé de 495 000 à 994 000 entre 1991 et 2008. Cela s’explique notamment par le développement des services d’aide à la personne, mais cela signifie que de plus en plus de femmes, celles qui ont des carrières hachées, qui font du temps partiel, vont devoir cotiser jusqu’à 67 ans, et si, le jour de la visite médicale, à 60 ans, elles sont plus en forme que le lendemain, elles n’auront pas droit à un départ anticipé.

Monsieur le ministre, vous dites qu’il n’y a pas de traçabilité, mais il y a tout de même des fiches de paie, des certificats de travail. Nous savons ce qu’a fait un salarié tout au long de sa vie. Nous attendons ce fameux dossier médical partagé que nous n’avons toujours pas, mais nous savons quelles ont été les tâches accomplies par le salarié. Les quatre critères dont je viens de parler, ce n’est pas le bout du monde, ce n’est même pas les régimes spéciaux ! Ils ont été débattus pendant trois ans et vous auriez pu décider de faire mieux en l’espèce si vos amis du MEDEF l’avaient souhaité, mais cela n’a pas été le cas. Nous vous demandons de tenir compte de ces critères pour parvenir à une forme d’équité, afin que la possibilité de partir un peu plus tôt à la retraite ne dépende pas d’un seul médecin, d’une seule visite médicale.

M. le président. La parole est à M. Christian Hutin.

M. Christian Hutin. J’étais intervenu sur ces amendements touchant à la pénibilité et à l’invalidité lors de nos séances à huis clos du mois de juillet. Chacun ici utilise son expérience professionnelle, qu’elle soit médicale, familiale ou même génétique. Nous sommes un certain nombre de médecins dans l’Assemblée, et je dois être un des moins « capés » de ceux qui sont présents ici. Permettez-moi néanmoins de vous dire qu’en quatrième année de médecine, si vous répondez « invalidité » au lieu de « pénibilité », vous ne passez pas en cinquième année !

M. Alain Cacheux. Bravo !

M. Christian Hutin. Je voudrais également rebondir sur ce qu’a très justement dit Jean-Paul Bacquet. Je suis un modeste médecin généraliste, mais qui exerce encore, dans la région de Dunkerque. C’est dans ce secteur qu’a été déchargé environ 80 % de l’amiante, mon collègue Decool le sait, et il y a chaque semaine, en moyenne, trois décès dus à l’amiante. Il faut imaginer ce que cela représente pour une agglomération de 300 000 habitants.

La remarque de Jean-Paul Bacquet est donc très juste, tout comme celle de M. le ministre concernant les mesures spéciales concernant l’amiante, pour lesquelles nous nous sommes battus. Dans le cas de l’amiante, on ne parle même pas de retraite à 60 ans : une grande partie des salariés exposés sont déjà morts à cet âge. On pratique des radios des poumons à 55 ou 57 ans, j’en fais régulièrement, et l’on ne voit rien. Mais deux ans ou dix-huit mois après, on peut être mort.

La réforme nous annonce un énorme progrès en réduisant le taux d’invalidité de 20 % à 10 %. Mais pour faire un dossier d’invalidité à 20 %, le docteur généraliste a déjà beaucoup de travail. Je peux vous assurer qu’il faut presque être cul-de-jatte ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’était plus facile à une époque, je parle d’expérience, peut-être même trop facile, mais actuellement c’est très difficile. Je peux vous montrer un certain nombre de cas dans lequel les gens travaillent encore, et un taux d’invalidité de 20 %, il faut vraiment se démener pour l’obtenir à l’heure actuelle.

Dans la première mouture de la loi, à 20 % d’invalidité, le départ était presque automatique. L’amendement du Gouvernement qui abaisse le taux à 10 % va rendre les choses encore plus dures, du fait de cette commission dont on ne connaît ni la composition, ni les critères.

Avec l’amiante, certaines personnes ont des plaques, et développeront la maladie. Imaginez l’épée de Damoclès que représente une exposition à l’amiante, avec des plaques pleurales qui vous valent une simple invalidité à 5 %. C’est terrible de savoir qu’on va mourir, sans savoir quand, mais qu’on n’est pas reconnu. Avec cette pseudo-avancée sociale des 10 %, ce qui va se passer est que l’on aura des taux d’invalidité de 5 %, de 7 %, ou de 9,99 % comme dans les supermarchés, mais on n’atteindra jamais les 10 %.

M. Alain Cacheux. Très bien !

M. Christian Hutin. Hier soir, le docteur Préel avait eu un diagnostic un peu rapide sur la « lourdeur de pensée » d’un certain nombre de nos collègues. Je me suis demandé si je n’avais pas la même lourdeur de pensée en n’imaginant pas que la pénibilité et l’invalidité, ce soit la même chose. Peut-être était-ce l’heure tardive ? Ou peut-être ma lourdeur de pensée était-elle due au fait que j’ai entendu tellement de choses agressives vis-à-vis des fonctionnaires, dont faisait partie mon père ?

Si j’explique cela, c’est aussi parce que, dans nos réunions d’associations de victimes de l’amiante – je le dis à ceux de nos collègues qui sont proches du patronat –,de plus en plus de petits patrons viennent adhérer à ces associations.

Ce ne sont pas les patrons des fonds de pension, que l’on ne voit jamais et avec lesquels on ne peut pas discuter : le seul risque qu’ils courent est d’être ensevelis sous les bénéfices qu’ils vont toucher. Ce ne sont pas non plus ces patrons qui touchent les retraites « chapeaux », dont l’épaisseur est telle qu’ils seront protégés de tout, bien mieux que par un casque de chantier ! Ce ne sont pas non plus les titulaires de parachutes dorés, qui ne risquent qu’une légère fracture du tibia si le parachute s’ouvre mal. Ce sont les petits patrons qui se baladent encore dans les ateliers, ce sont par exemple les carrossiers qui vont souffrir de cancer de la vessie dans les années qui viennent.

Méfiez-vous, mesdames et messieurs de la majorité : quand on a tendance à trop soigner la crème, le lait vient à bouillir et tout commence à s’effondrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n° 467 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Delaunay, pour soutenir l’amendement n° 524.

Mme Michèle Delaunay. Tout le débat sur la pénibilité repose sur l’existence d’un médecin du travail, et d’un service de médecine du travail pour la totalité des salariés. Or, nous savons bien que tous les salariés ne bénéficient pas d’un médecin du travail. Et c’est particulièrement le cas de professions pour lesquelles on peut parler de travail pénible, en particulier pour le personnel de ménage, qui a bien souvent des horaires à temps partiel, des emplois du temps s’étalant sur toute la journée, et qui cumule donc un certain nombre de facteurs difficiles.

Je crois donc que nous mettons la charrue avant les bœufs : nous devrions attendre que tous les salariés puissent en bénéficier avant de mettre en place ce point de la réforme ainsi que les amendements dont vous parlerez à propos de la médecine du travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Défavorable également.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet.

M. Jean-Paul Bacquet. Notre collègue Michèle Delaunay mentionnait les professions qui n’étaient pas couvertes par la médecine du travail.

Lors du transfert des personnels TOS aux régions, nous avons découvert qu’ils ne bénéficiaient pas de la médecine du travail. Les régions progressistes, puisqu’elles étaient presque toutes à gauche, ont mis en place une médecine du travail et ont donc pris en charge la médecine du travail. C’était non seulement un transfert non compensé, mais en plus une anomalie grave.

En ce qui concerne la médecine du travail, nous avons tout à l’heure fait référence à une entreprise importante de Clermont-Ferrand. Dans cette entreprise, lorsque quelqu’un veut embaucher, il doit passer une visite de pré-embauche à la médecine du travail. Et si, lors de cette visite, il apparaît qu’il a, par exemple, une cicatrice de hernie discale, il ne sera pas embauché.

Cela veut dire que le médecin du travail mesure, par rapport à la pénibilité du travail qui va être effectué, s’il y a un risque pour celui qui pourrait être embauché – risque d’accentuation de sa pathologie, risque d’arrêt de travail répété, risque d’invalidité. Et que, pour ne pas prendre ce risque, on ne l’embauche pas.

La pénibilité considérée comme un risque est donc déjà reconnue par la médecine du travail. Vous comprenez bien qu’il serait absurde d’attendre que la pathologie survienne, avec ses conséquences, pour l’indemniser à 10 %. C’est la prise de conscience du risque qui mérite compensation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L’amendement n° 524 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n° 131.

M. Jean-Pierre Decool. Il s’agit de l’utilisation du carnet de santé au travail. Cet amendement vise à étendre le droit de communication de ce document au juge lorsque c’est indispensable à la recherche de la vérité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Il est essentiel de préserver le secret médical. Avis défavorable.

(L’amendement n° 131, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n° 132.

M. Jean-Pierre Decool. Il est utile de préciser par cet amendement que le carnet de santé est détenu par la médecine du travail sans limite de durée.

M. Jean Mallot. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

(L’amendement n° 132, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 216.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

(L’amendement n° 216, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard, pour soutenir l’amendement n° 47.

M. Bernard Gérard. Nous souhaitons, après l’alinéa 2, nous souhaitons insérer l’alinéa suivant : « Un décret prévoit les conditions dans lesquelles l’employeur peut avoir connaissance du contenu de ce carnet de santé au travail ainsi que de ses possibilités de recours en cas de désaccord. » (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Roland Muzeau. Et puis quoi, encore ?

M. Jean-Paul Bacquet. Honteux !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. L’employeur n’a pas à avoir accès au carnet de santé du salarié. Avis défavorable.

(L’amendement n° 47, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n° 248 rectifié.

Mme Jacqueline Fraysse. Les conditions actuelles de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles n’incitent pas assez les entreprises à privilégier la prévention des risques. Un rapport de l’IGAS sur ce thème a montré que les entreprises les plus touchées par les risques professionnels n’étaient guère plus pénalisées financièrement que celles mettant effectivement en œuvre des actions de prévention et agissant pour transformer les conditions de travail.

Connaissant la sensibilité des employeurs aux incitations financières, nous proposons, par cet amendement, de renforcer la logique de pénalisation du dispositif de tarification AT-MP en majorant les cotisations des seuls employeurs exposant durablement leurs salariés à des conditions de travail de nature à entraîner une usure prématurée et irréversible de leur santé.

L’exposition des salariés à des produits cancérigènes, mutagènes ou toxiques, ou bien le travail de nuit, pour prendre ces exemples, ont des incidences indiscutables sur la santé des salariés, mais des effets non visibles immédiatement. Les employeurs à l’origine de ces risques ne sont guère responsabilisés par le dispositif actuel de tarification des AT-MP, puisqu’il varie d’une année sur l’autre en fonction des accidents déclarés et des maladies professionnelles reconnues, alors que les effets de l’exposition à ces risques sont différés. Notre amendement vise donc à traiter ces situations de manière concrète et efficace, au-delà des discours.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Si la logique de cet amendement est compréhensible, sa rédaction très floue le rend presque inapplicable. Aussi la commission a repoussé cet amendement en indiquant que le dispositif gouvernemental de l’article 27, qui prévoit également un financement par les cotisations AT-MP, est plus opérationnel.

(L’amendement n° 248 rectifié, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 527, présenté par Mme Marisol Touraine, est défendu.

(L’amendement n° 527, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 244.

Mme Martine Billard. Il est défendu.

(L’amendement n° 244, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 218.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

(L’amendement n° 218, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 525, présenté par Mme Marisol Touraine, est défendu.

(L’amendement n° 525, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n° 129.

M. Jean-Pierre Decool. Il s’agit de mieux tenir compte de la pénibilité, en l’étendant à tous les emplois susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur la santé du travailleur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Elle a accepté cet amendement de précision.

(L’amendement n° 129, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour soutenir l’amendement n° 564.

M. Francis Vercamer. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai également mes amendements nos 566, 571 et 569 rectifié.

M. le président. Je vous en prie.

M. Francis Vercamer. L’amendement n° 564 supprime, à la première phrase de l’alinéa 4, les mots : « en lien avec le médecin du travail », afin d’éviter que l’on confonde les responsabilités de ce dernier et celles de l’employeur.

L’amendement n° 566 précise que c’est dans une fiche que l’employeur consignera ces données.

L’amendement n° 571 substitue « travailleur » à « salarié » par cohérence avec la directive européenne.

Enfin, l’amendement n° 569 rectifié replace la fiche unique d’exposition dans la démarche globale d’évaluation des risques menée par l’employeur et réintroduit la mention des services de santé au travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Elle a accepté ces quatre amendements de précision.

(Les amendements nos 564, 566, 571 et 569 rectifié, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 219.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

(L’amendement n° 219, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir les amendements, nos 130 et 133, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

M. Jean-Pierre Decool. L’amendement n° 130 complète l’alinéa en prévoyant que le médecin du travail se substitue à l’employeur après avoir recueilli ses explications, en cas de carence de ce dernier dans l’établissement du document consignant les conditions de pénibilité.

L’amendement n° 133 vise à informer le salarié de ses possibilités de contestation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Le premier introduit un risque de confusion ; le second semble satisfait par le droit existant. La commission les a donc repoussés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Même avis défavorable. Le premier amendement serait déresponsabilisant pour l’employeur. Il faut vraiment qu’il remplisse les fiches d’exposition.

(Les amendements nos 130 et 133 sont retirés.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l’amendement n° 245.

M. Roland Muzeau. Il est défendu.

(L’amendement n° 245, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour soutenir l’amendement n° 545.

M. Francis Vercamer. L’amendement n° 545 réaffirme que les informations sont confidentielles et ne peuvent servir à pratiquer une discrimination à l’embauche.

(L’amendement n° 545, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 247.

Mme Martine Billard. Il est défendu.

(L’amendement n° 247, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement n° 500.

M. Jean-Pierre Decool. La prévention de la pénibilité du travail passe par l’amélioration de l’organisation et des conditions de travail non seulement physiques, mais psychologiques. C’est le rôle de l’ergonomie, ainsi que de la valorisation et la reconnaissance du travail. Cette prévention sera d’autant plus efficace que le cursus professionnel sera tracé et connu avant la mise en place du dossier de suivi des expositions au risque professionnel. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Le dispositif paraît imparfait. La commission a donc repoussé l’amendement.

(L’amendement n° 500, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 25, amendé, est adopté.)

Après l’article 25

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 25.

La parole est à M. Francis Vercamer, pour soutenir l’amendement n° 541.

M. Francis Vercamer. Cet amendement étend les obligations de l’employeur aux actions de prévention de la pénibilité du travail, indépendamment des risques professionnels. Il s’inscrit dans une approche globale de la pénibilité au travail, qui comprend la prévention comme la réparation, l’objectif étant de réduire le coût de la pénibilité grâce à des politiques actives d’amélioration des conditions de travail et de gestion des âges dans l’entreprise.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Cet amendement de précision est important. La commission l’a adopté.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, vous venez d’ouvrir le débat sur une réforme importante, celle de la médecine du travail. Dans ces conditions, nous risquons de poursuivre la séance au-delà de tout ce qui a pu se pratiquer dans l’Assemblée. Il n’est pas très raisonnable d’engager ce débat maintenant et de nous soumettre ces amendements, mais on voit bien où vous voulez aller. Mais je vous le dis : ou vous levez la séance maintenant, ou nous engageons la discussion générale, et l’on verra bien jusqu’où vous irez.

Je ne sais pas si le ridicule tue, mais au point où nous en sommes arrivés, et vu la façon dont vous organisez ce débat, je tiens à vous le dire : nous ne sommes pas ici dans un théâtre d’ombres, nous sommes à l’Assemblée nationale. Des millions de Français doivent savoir comment nous sommes traités et ce que vous vous apprêtez à faire. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Les choses sont dites clairement. Si vous persistez, je demanderai la parole pour faire un rappel au règlement qui risque d’être fort long, car nous serons nombreux à intervenir sur la question de la médecine du travail.

Il est d’autant moins sérieux d’engager le débat maintenant que c’est à partir d’une disposition que le Gouvernement introduit par amendement. Le ministre aura sûrement, lui aussi, beaucoup de choses à nous dire. En tout cas, il est difficile de faire passer cet amendement comme si de rien n’était.

(L’amendement n° 541 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour soutenir l’amendement n° 535.

M. Francis Vercamer. Si vous le permettez, monsieur le Président, je défendrai également l’amendement n° 540, puisque tous deux ont trait à la définition de la pénibilité.

M. le président. Je vous en prie.

M. Francis Vercamer. L’amendement n° 535 s’inspire de la position des partenaires sociaux, qui n’a pas donné lieu à un accord. L’amendement n° 540 est un amendement de repli.

(Les amendements nos 535 et 540, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. À la demande de M. Muzeau, je suspends brièvement la séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Après l’article 25 (suite)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour défendre les amendements nos 542 et 550, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

M. Francis Vercamer. Par l’amendement n° 542, je propose que des conventions ou accords collectifs de branche précisent, s’il y a lieu, les modalités de prise en compte de la pénibilité dans le cadre de l’amélioration des conditions de travail. Il ne faut pas confondre la prise en compte de la pénibilité pour les retraites, ce qui est le cas dans ce texte, et sa prise en compte dans le cadre du travail. Il me semble important que, dans les différentes branches, les partenaires sociaux s’intéressent à ce sujet et essaient de diminuer la pénibilité au travail, dans le cadre de la prévention.

L’amendement n° 550, quant à lui, donne un rôle au comité d’hygiène et de sécurité dans l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. La commission a repoussé le premier, mais accepté le second.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Également favorable à l’amendement n° 550. Quant à l’amendement n° 542, un amendement du président de la commission des affaires sociales devrait régler le problème. Je demanderai donc à son auteur de bien vouloir le retirer.

(L’amendement n° 542 est retiré.)

(L’amendement n° 550 est adopté.)

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je renouvelle mes critiques sur l’organisation des travaux de l’Assemblée. Il est vingt heures : il serait logique que vous nous permettiez de faire une pause dans nos travaux, même si elle n’est pas motivée par la pénibilité – je ne jouerai pas avec les mots dans ce débat…

M. Yves Bur. Il faut pourtant avouer qu’il est assez pénible de vous entendre aussi longuement ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marisol Touraine. Quelle finesse !

M. Jean Mallot. Bravo ! Continuez comme cela !

M. le président. Mes chers collègues, gardons notre calme !

M. Yves Bur. Évidemment, monsieur Ayrault, je ne vous visais pas personnellement ; il s’agissait d’une adresse collective.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Bur, je sais bien qu’il ne s’agissait pas d’une attaque personnelle : ce ne serait pas de votre niveau.

Cela dit, honnêtement, chers collègues, trouvez-vous digne que les articles relatifs à la pénibilité soient soumis au vote de l’Assemblée nationale au cœur de la nuit ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Rosso-Debord. Il est vingt heures : ce n’est pas le cœur de la nuit !

M. Jean-Marc Ayrault. Mesdames, messieurs les députés de l’UMP, êtes-vous fiers de ce que l’on vous fait faire ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Je n’ai cessé de demander à la Présidence comment elle entendait organiser la suite des travaux. Monsieur le président, je réitère ma question, puisque le Président de l’Assemblée n’a pas voulu me répondre.

Il est vingt heures ; un minimum de décence s’impose. Il est indispensable que vous éclairiez la représentation nationale sur la manière dont vous entendez organiser la suite du débat. Monsieur le président, j’attends votre réponse.

Après l’article 25 (suite)

M. le président. Nous en arrivons à l’amendement, no 730 rectifié, du Gouvernement. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR).

M. Jean-Paul Bacquet. Scandaleux !

M. le président. Il fait l’objet de plusieurs sous-amendements.

La parole est à M. le ministre, pour le soutenir. (Mêmes mouvements.)

M. Éric Woerth, ministre du travail. Il s’agit d’un amendement très important sur la médecine du travail. La prévention doit demeurer la priorité des priorités, c’est pourquoi le Gouvernement lie la réforme de la médecine du travail à la question de la pénibilité.

Cet amendement redéfinit les missions de la médecine du travail, qui doivent intégrer la prévention de la pénibilité et assurer, en conséquence, la traçabilité des facteurs d’exposition tout au long de la carrière. À ce jour, le code du travail définissait la mission des médecins du travail, pas celle des services de santé au travail. C’est ce que nous faisons, en réaffirmant le caractère pluridisciplinaire de ces services.

Ce sujet a fait l’objet d’un travail très approfondi avec les partenaires sociaux et avec les médecins du travail. Malheureusement, les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à se mettre d’accord.

Mme Martine Billard. Le MEDEF a refusé : c’est différent !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Le Gouvernement prend donc une initiative, comme je l’avais préalablement annoncé en mai dernier, à la suite de mon prédécesseur qui s’était exprimé lors d’un conseil d’orientation sur les conditions de travail.

Nous voulons qu’une équipe pluridisciplinaire de santé travaille au sein de chaque service de médecine du travail. Ces services doivent devenir un véritable réseau d’acteurs de proximité pour la prévention de la pénibilité dans les entreprises, à côté d’autres services comme ceux de l’État ou comme la branche AT-MP de la sécurité sociale.

J’ai entendu des inquiétudes s’exprimer lors de la réunion de la commission. Je voudrais donc rassurer ceux d’entre vous qui s’inquiètent : cette réforme ne modifie rien à l’indépendance des médecins du travail.

Mme Martine Billard. C’est faux !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Il n’est nullement question que cette indépendance soit remise en cause d’une quelconque manière.

Nous voulons une médecine du travail plus proche des assurés, plus pluridisciplinaire, et des services de santé au travail dont la mission soit définie et porte essentiellement sur la prévention de la pénibilité. Tel est l’objet de notre amendement.

M. le président. Nous en venons aux sous-amendements.

M. Jean Mallot. Nous voudrions parler !

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour soutenir le sous-amendement n° 758.

M. Michel Issindou. Vous êtes pressés d’en finir !

M. Jean Mallot. Vous avez honte de ce que vous faites !

M. Francis Vercamer. J’ai déposé plusieurs sous-amendements à l’amendement du Gouvernement afin qu’il puisse se rapprocher de mes propres propositions, notamment sur la question des missions des services de santé au travail et sur la pluridisciplinarité.

M. Jean Mallot. M. Vercamer est un supplétif de l’UMP !

M. Jean-Paul Bacquet. Il vise un secrétariat d’État !

M. le président. Monsieur Vercamer, peut-être pourriez-nous présenter en bloc tous vos sous-amendements ?

M. Francis Vercamer. Dans l’ensemble, il s’agit de réorganiser les services de santé au travail en clarifiant leurs différentes missions.

Le sous-amendement n° 758 vise à supprimer, à l’alinéa 4, la mention du maintien dans l’emploi, afin de la réintroduire à l’alinéa suivant.

Le sous-amendement n° 759 vise à introduire, à l’alinéa 5, la prévention de la pénibilité au travail. Il faut qu’elle soit explicitement mentionnée parmi les missions des services de santé au travail. Le médecin du travail doit être chargé de prévenir et de réduire la pénibilité au travail, il le fait, notamment, par ses préconisations aux chefs d’entreprise.

Le sous-amendement n° 760 permet de compléter l’alinéa 6 afin que la surveillance de l’état de santé des travailleurs s’opère aussi en fonction de la pénibilité au travail et de leur âge.

Le sous-amendement n° 761 concerne la traçabilité des expositions professionnelles. Nous avons déjà adopté l’un de mes amendements prévoyant d’inclure la traçabilité dans les fiches d’exposition aux risques professionnels, je propose de l’inclure parmi les missions des services de santé.

Les sous-amendements nos 756 et 757 réaffirment l’indépendance des services de santé. Celle-ci est indispensable, car on ne peut décemment se satisfaire de l’existence d’un lien hiérarchique entre l’employeur et le médecin du travail qui doit lui faire des préconisations de manière indépendantes. Il n’est pas seulement chargé de faire passer des visites médicales, il doit aussi veiller aux conditions de travail et traiter les problèmes de pénibilité.

Dans le cadre de l’avis budgétaire consacré à la mission « Travail et emploi » que j’ai remis l’année dernière, j’ai constaté que cette indépendance n’était pas toujours de mise, notamment dans les grandes entreprises lorsque le service de santé au travail est intégré. Évidemment, ce constat ne vaut pas si le service de santé au travail est mutualisé entre plusieurs PME.

Nous évoquions tout à l’heure une entreprise de téléphonie : je me souviens d’avoir été ulcéré de constater que l’employeur s’asseyait sur les préconisations du service de santé. Le Sénat avait fait une remarque acerbe à ce sujet, et le Gouvernement en avait tiré un certain nombre de conséquences.

Le plan « Santé au travail » a préconisé des améliorations relatives à certains risques. La réforme de la médecine du travail faisait partie de ce plan et je l’avais moi-même évoquée dans mon avis budgétaire en proposant des modifications relatives aux missions, à la pluridisciplinarité – ce que nous retrouvons aujourd’hui.

J’avais aussi proposé de réformer la gouvernance, mais elle n’est pas traitée dans le projet de loi, et je ne peux déposer un sous-amendement sur ce sujet sans qu’il soit considéré comme un cavalier. Il reste qu’il faudra revenir sur ce point, car la gouvernance actuelle est trop complexe en raison d’interférences entre les niveaux régional et national.

M. le président. La parole est à M. Paul Jeanneteau, pour soutenir le sous-amendement n° 765.

M. Paul Jeanneteau. Il vise à ne pas limiter le temps de prise en compte du devenir professionnel des salariés aux seules situations de rupture. Il sera ainsi précisé que les services de santé agissent afin de prévenir la désinsertion professionnelle et de faciliter le maintien dans l’emploi.

M. le président. La parole est à M. Guy Lefrand, pour soutenir le sous-amendement n° 746.

Mme Martine Billard. Il est gratiné, celui-là !

M. Jean Mallot. Nous voudrions pouvoir nous exprimer !

M. le président. Nous procédons comme nous en avons l’habitude. J’ai bien noté que Mme Touraine et M. Muzeau souhaitaient intervenir ; je leur donnerai naturellement la parole.

M. Guy Lefrand. Nous nous félicitons que l’amendement du Gouvernement nous permette enfin de passer d’une médecine médico-juridique de prévention tertiaire à une médecine de prévention primaire et secondaire. Il insiste sur la nécessité de la mutualisation des compétences et propose une rénovation de la gouvernance et de la réorganisation actuelle.

Notre sous-amendement est cohérent avec la loi HPST car il tient compte de la régionalisation et des agences régionales de santé qui ont aujourd’hui la compétence santé publique – sujet que l’on ne peut traiter sans aborder la santé au travail. Il assure notamment cette cohérence en créant un contrat d’objectifs et de moyens, conclu entre les services de santé au travail, les autorités administratives, l’agence régionale de santé et les organisations de salariés et d’employeurs.

M. le président. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous donner l’avis de la commission après nous avoir présenté votre propre sous-amendement ?

M. Denis Jacquat, rapporteur. Le sous-amendement n° 762 vise à préciser les conditions à même de garantir les règles d’indépendance des professions médicales et des personnes et organismes concernés. Afin d’éviter toute ambiguïté, il reprend la rédaction actuelle du code du travail.

À titre personnel, je suis favorable aux sous-amendements nos 758, 759, 760, 761, 757 et 746.

Je suis défavorable, en revanche, au sous-amendement n° 765, qui est satisfait par le sous-amendement n° 759. Je suis également défavorable au sous-amendement n° 756, car je lui préfère logiquement la rédaction de mon sous-amendement n° 762. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les sous-amendements ?

M. Éric Woerth, ministre du travail. Le Gouvernement est favorable aux sous-amendements nos 758, 759, 760 et 761, présentés par M. Vercamer.

Monsieur Jeanneteau, j’approuve le fond de votre sous-amendement n° 765, mais je relève un problème de rédaction : il n’est pas cohérent avec le sous-amendement n° 759. J’y suis donc défavorable.

Je suis favorable également au sous-amendement n° 746 de M. Lefrand.

Mme Martine Billard. C’est scandaleux !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Enfin, je suis défavorable au sous-amendement n° 756, car le sous-amendement n° 762 du rapporteur semble meilleur.

M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine. Monsieur le président, je voudrais intervenir sur l’amendement du Gouvernement, et j’entends que cela s’impute sur le temps supplémentaire qui nous est accordé dans ce cadre.

Ce à quoi nous sommes en train d’assister est tout de même assez sidérant. Au détour d’un amendement, le Gouvernement est en train de mettre à bas toute l’organisation du système de santé au travail. Avant l’été, on nous avait annoncé un texte de loi qui viendrait réorganiser, refonder la médecine de travail. Nul ne conteste que celle-ci a besoin d’être consolidée, renforcée dans ses missions, sans doute réorganisée pour mieux répondre à un certain nombre de besoins. Les médecins du travail le disent eux-mêmes, ils sont insuffisamment nombreux, ils sont surchargés de travail et ne peuvent faire face à l’ensemble de leurs missions.

Mais ce que vous proposez, dans un amendement qui n’a strictement rien à voir avec la question des retraites, c’est purement et simplement d’accentuer la crise que traverse aujourd’hui la médecine du travail et de détricoter les droits qui existent en la matière.

D’une part, vous nous proposez quelque chose qui va à l’encontre des principes fondamentaux régissant la médecine du travail, à savoir que les services de santé au travail d’entreprise soient désormais placés sous l’autorité de l’employeur. Autrement dit, le principe même de l’indépendance de la médecine du travail, principe essentiel si l’on veut que les salariés soient effectivement protégés, est remis en cause au détour d’un simple amendement.

D’autre part, vous indiquez, toujours dans le texte même de cet amendement, que l’employeur va désigner lui-même les salariés chargés de s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels. Cela veut dire que nous aurons, au sein des entreprises, des salariés qui ne seront pas élus, qui ne seront pas choisis par les organisations syndicales ou par les salariés directement, mais désignés, choisis par l’employeur.

D’un côté, une médecine du travail sous l’autorité de l’employeur ; de l’autre, des salariés chargés des missions de prévention et de protection désignés par l’employeur. On voit bien le démantèlement auquel nous sommes en train d’assister, et qui est particulièrement préoccupant.

Il a déjà été fait allusion, à plusieurs reprises, aux travaux de l’UMP sur les risques psychosociaux au travail. Dans le cadre de ces travaux, auxquels M. Méhaignerie avait directement participé, vous étiez arrivés à la conclusion que le renforcement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail s’imposait. Cette orientation, même si nous pouvions discuter des modalités que vous souhaitiez lui donner, nous la partageons plutôt. Pour favoriser, dans les entreprises, une meilleure prévention, une meilleure prise en charge des situations de risques, de meilleures préconisations en termes d’organisation du travail afin de limiter les risques psychosociaux, il nous semble en effet opportun, entre autres mesures, de renforcer les CHSCT.

Dans le cadre de la mission que je préside, et qui a procédé à un certain nombre d’auditions sur le sujet, un consensus s’est dégagé, aussi bien parmi les personnes entendues que parmi les membres de la mission, pour considérer qu’il fallait s’engager dans cette voie-là. Pourquoi cela ne figure-t-il pas dans l’amendement, ni dans les autres propositions que vous faites pour réorganiser la médecine du travail ?

La vérité, c’est que vous êtes engagés dans un processus qui aboutit à affaiblir le rôle de la médecine du travail, à externaliser, en quelque sorte, une partie de ses missions actuelles vers les médecins généralistes ou les médecins de ville. Nous aurons l’occasion de le constater, puisque d’autres amendements, non pas d’origine gouvernementale mais présentés par des députés UMP, proposent que, désormais, certaines catégories de salariés ne relèvent plus de la médecine du travail, mais soient renvoyés vers la médecine générale. La conséquence, c’est qu’iront en consultation ceux qui le pourront, qui en auront les moyens.

On voit bien quel est le système qui se met en place. Vous parlez de pénibilité et de prévention des risques, mais, en réalité, vous êtes en train de faire évoluer notre système vers un dispositif qui sera réduit à la portion congrue, dans lequel seule une minorité de salariés aura accès à la médecine du travail, et dans lequel, de plus en plus, l’employeur dictera au médecin du travail la manière d’apprécier les situations de risque au sein de l’entreprise.

C’est pourquoi nous sommes résolument opposés à cet amendement. Nous le sommes d’autant plus que, je le répète, il est très choquant que ce bouleversement de la loi existante intervienne au détour d’un amendement. Monsieur le ministre, la médecine du travail méritait mieux. Nous aurions pu, tout en n’étant pas d’accord avec vos propositions, en débattre dans le cadre de l’examen d’un projet de loi spécifique, traitant de toute une série de sujets que vous aviez évoqués et que l’on trouve disséminés, de-ci de-là, dans les amendements : les équipes pluridisciplinaires, le rapport des médecins avec des professionnels de santé qui ne sont pas médecins, l’articulation entre la médecine du travail et les agences régionales de santé, entre la médecine du travail et les CHSCT, etc. Nous étions prêts à nous engager dans cette discussion. Les organisations syndicales y étaient prêtes aussi.

Vous ne pouvez pas vous prévaloir des discussions que vous avez eues avec les organisations syndicales, car elles ont fait part de leur profondément mécontentement face aux amendements déposés : mécontentement de voir le mépris dans lequel vous les tenez, mécontentement de voir bâclée une réforme qu’elles estiment absolument nécessaire dans l’intérêt même des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. La mise en place d’une vraie réforme de la prévention en santé au travail, dans l’intérêt exclusif de la santé des salariés, mérite beaucoup mieux que le passage en force contre la médecine du travail qu’entend mener scandaleusement la droite à l’occasion de notre débat sur les retraites.

Pour des raisons de forme et de fond, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche s’opposent avec force à l’amendement du Gouvernement, complété par la pléthore de propositions du Nouveau Centre et de l’UMP, toutes inspirées par la même volonté d’organiser les services de santé au travail en donnant un total pouvoir aux employeurs, les missions fort peu ambitieuses des services de santé au travail devant désormais être exercées « sous l’autorité de l’employeur » selon le texte gouvernemental, quand la loi actuelle confie la mission de prévention aux médecins assistés de l’équipe pluridisciplinaire, à charge pour le directeur du service de santé au travail d’assurer la mise en place des moyens nécessaires à sa réalisation.

En juillet dernier, lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, la nécessité de réformer les services de santé au travail a naturellement été abordée. Nous sommes les premiers à défendre l’exigence d’une telle réforme, redéfinissant le sens des missions des médecins du travail, garantissant leur autonomie, leur indépendance vis-à-vis des employeurs. Mais jamais il n’a été question de le faire en catimini, au détour de la discussion des articles du présent projet de loi traitant de la pénibilité, le ministre ayant annoncé le dépôt d’un texte autonome sur le sujet.

Après le rejet unanime par les organisations syndicales, en septembre 2009, du protocole du MEDEF détournant les services de santé au travail de la vraie médecine du travail, et ce en faveur des employeurs et au détriment des salariés, « violant le cadre de la responsabilité du médecin du travail pour qu’il serve de bouclier et protection aux employeurs » selon les termes mêmes de l’appel des médecins, inspecteurs, contrôleurs du travail et acteurs de santé au travail, signé par de nombreuses personnalités, la moindre des choses aurait été de remettre à plat les termes du débat.

Au lieu de cela, le Gouvernement, par l’intermédiaire de M. Darcos puis de vous-même, monsieur Woerth, a fait le choix de reprendre à son compte les grands axes de la réforme tels que posés par le MEDEF seul, Jean-René Buisson, chef de file de la délégation patronale, souhaitant que « les pouvoirs publics transposent rapidement et fidèlement le texte » du MEDEF. Son vœu est en passe d’être exaucé. Sans vrai débat démocratique, sans concertation avec les organisations syndicales, via des amendements échappant à l’obligation de consultation préalable des partenaires sociaux dès lors que des dispositions touchent au code du travail, on nous propose, des amendements déposés à la dernière minute sur un projet de loi lui-même examiné selon la procédure accélérée, proposent de démanteler purement et simplement ce qui fait aujourd’hui la spécificité de la médecine du travail en France.

On ne peut prétendre améliorer la connaissance et la prévention des risques professionnels, inscrire la santé au travail dans le champ de la santé publique, et remettre en cause, dans le même temps, l’existence même du médecin du travail, professionnel protégé, rendre son intervention facultative, supprimer le contact direct avec les salariés et l’observation des postes de travail.

En mai dernier, prenant la mesure du danger d’un « transfert de mission du médecin du travail, salarié techniquement indépendant et protégé, vers le directeur de service de santé au travail mis en place par des employeurs, et bien sûr sous leur direction », des syndicats, des médecins du travail de la CFE-CGC vous ont écrit, monsieur le ministre. Ils attendent toujours une réponse. Je cite des extraits de ce courrier : « Ce transfert de mission préconisé par un syndicat autonome de directeurs de service de santé au travail placerait ces services directement sous l’emprise des employeurs et transférerait de ce fait les missions et les objectifs des médecins du travail aux employeurs et à leurs délégataires. » ; « Qui assurera de manière indépendante la coordination de l’équipe pluridisciplinaire ? Quelle compétence, voire quelle responsabilité, peut avoir un directeur de service de santé au travail non médecin à assurer la prévention de la santé des salariés ? » ; « Qu’en sera-t-il de l’indépendance des directeurs de service, ainsi que des professionnels non médecins, infirmiers, qui n’ont pas plus d’autorité scientifique que d’indépendance statutaire ? », vous demandaient ces professionnels de santé.

Dernière observation à l’appui de notre opposition à l’amendement du Gouvernement et à ceux de nos collègues de droite : je voudrais que le ministre nous explique en quoi ce serait un progrès que, par accord de branche ou par simple décret, il puisse être dérogé au droit commun en matière d’organisation de ces services, de modalités de surveillance de l’état de santé des travailleurs, s’agissant des intermittents du spectacle, des employés de maison, des salariés temporaires, des stagiaires de la formation professionnelle, des travailleurs saisonniers. Qu’il nous dise en quoi ce serait un progrès que ces salariés, pour qui la visite médicale représente parfois la seule consultation médicale de l’année, soient suivis par des médecins non spécialisés en médecine du travail ? Est-ce un progrès de rendre caducs les accords collectifs « mieux disants » permettant une périodicité de visites plus importantes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. La méthode est détestable, et le fond est inacceptable.

On engage, après la loi de 2003, un débat sur les retraites, à la suite d’un débat entre les partenaires sociaux qui a échoué. Parallèlement, une question est posée sur la médecine du travail, qui donne lieu à des travaux approfondis, notamment ceux du Conseil économique et social, qui est le lieu où les partenaires naturels, tous les gens qui sont intéressés par la médecine du travail, se rencontrent.

En 2007, le Gouvernement demande au Conseil économique et social de réfléchir sur l’avenir de la médecine du travail. Celui-ci lui remet un rapport, rédigé par M. Dellacherie, autour duquel se fait un certain consensus, y compris sur ce qu’il convient de faire. Le rapport propose plusieurs pistes. Premièrement, il réaffirme l’originalité et la spécificité du système de santé au travail en France. Les autres pays n’ont pas ce modèle d’organisation. Deuxièmement, il relève un certain nombre de difficultés dans le fonctionnement de ce système, qu’il s’agisse des problèmes nés de la démographie médicale, de la nécessité de la pluridisciplinarité, ou encore une certaine atomisation de l’organisation de ses services.

À la suite de ce rapport, des négociations s’engagent. Elles vont aussi échouer.

Nous, parallèlement, nous parlons ici de la retraite et de la pénibilité, et jamais vous n’abordez la question de la médecine du travail. Et voilà que vous déposez des amendements modifiant le statut de la médecine du travail, qui concerne 15 millions de salariés. Avec l’accord de qui ? Des organisations syndicales ? Non.

Pourquoi recourez-vous à cette méthode détestable ? Vous voulez signer votre passage au ministère du travail par cette originalité consistant à toucher à ce qui ne faisait pas forcément difficulté entre nous et sur quoi tout le monde était prêt à discuter ? Quels sont vos objectifs dans cette affaire ? J’aimerais savoir ce que pense de tout cela le président Méhaignerie.

Nous avons fait des travaux communs, plus exactement des travaux parallèles, au moment où l’opinion publique était, à juste titre, interpellée par ce qui se passait à France Télécom. Les groupes UMP et SRC – je suppose qu’il en a été de même du groupe GDR – ont travaillé, et souvent reçu les mêmes experts. Nous avons déposé un rapport à quarante-huit heures d’intervalle. Il existait entre nos rapports beaucoup de points communs.

D’abord, le renforcement des comités d’hygiène et de sécurité, leur indépendance, leurs moyens, leur élection directe par les salariés – cette solution était également développée dans la plateforme de l’UMP.

Ensuite, l’affirmation de l’indépendance de la médecine du travail, de son rôle spécifique, avec un changement de structure – selon des modalités sans doute différentes, mais tout le monde jugeait que l’échelon pertinent était l’échelon régional.

Enfin, le choix du paritarisme. Il y avait donc là, pour une fois, les bases d’une réflexion commune.

Mais rien ne vous résiste. Vous avez tout piétiné, dans la forme et sur le fond. Puis vous avez déposé un amendement – vous allez protester, prétendre que ce n’est pas vrai. Mais lorsque vous lirez, mesdames et messieurs de la majorité, le communiqué publié il y a une demi-heure par la FNATH, association que vous fréquentez tous car elle est présente dans nos circonscriptions, sur ce que l’on vous demande de voter, vous allez comprendre. Ce communiqué est extrêmement violent, tout à fait en phase avec ce qu’ont compris les usagers de la médecine du travail. Pour eux, l’essence même de la médecine du travail, c’est-à-dire son indépendance, est remise en cause par cet amendement. Tout le reste, passez-moi l’expression, n’est que chansons. À partir du moment où le service de santé au travail se trouvera sous la responsabilité de l’employeur, on marchera sur la tête.

Au moment où nous parlons de la pénibilité, de ce qu’il faut faire pour l’éviter, où nous évoquons la prévention, voici que vous en profitez pour mettre la médecine du travail sous la houlette de ceux à qui, justement, on demande de respecter la santé au travail des salariés, c’est-à-dire les employeurs. Quelle régression ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Vous touchez là à quelque chose d’essentiel. Je ne peux comprendre que, sur cette affaire qui faisait consensus, vous ayez pris le risque d’engager cette bataille, car les gens sont en train de découvrir ce que vous faites.

Vous allez nous répondre qu’il ne faut pas dire cela, que tout le monde se trompe sauf vous. Mais lorsque vous aurez pris connaissance des communiquées de la FNATH, de l’ANDEVA, de l’ensemble des organisations, de la plupart des médecins du travail, vous aurez plus mauvaise grâce à continuer de mentir aux Français et de prétendre que tout le monde se trompe. La vérité figure dans ce texte où deux dispositions du code du travail sont abrogées : les articles qui, justement, prévoyaient l’existence spécifique de médecins du travail.

Il n’est pas acceptable d’agir ainsi. La méthode est détestable, et le fond est inacceptable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Monsieur Vidalies, je ne suis pas sûr que, derrière vos effets de manche, ce soit bien de l’amendement que vous parlez. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, ce ne sont que des effets de manche, car vous ne parlez pas de l’amendement que nous avons déposé. Celui-ci a fait l’objet de vingt-cinq réunions de concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux et les médecins du travail. (« C’est faux ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cet amendement, que vous n’avez même pas lu, monsieur Vidalies (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC), est issu du rapport Dellacherie, voté à la quasi-unanimité par le Conseil économique et social en 2008, et que nous avons repris in extenso dans l’amendement. (« Mensonge ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur Vidalies, ce que vous dites sur la médecine du travail est honteux. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La manière dont vous parlez des médecins du travail est scandaleuse. (« Menteur ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

La caricature est si forte que personne ne peut vous croire un seul instant. Nous remettons la médecine du travail au cœur des préoccupations de l’entreprise. (« Menteur ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Nous mettons les équipes pluridisciplinaires au cœur du fonctionnement des services de santé au travail et nous acceptons le paritarisme dans le domaine de la gestion des services de santé au travail.

M. Alain Néri. Menteur professionnel !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Vous n’avez pas le droit d’intenter ce procès au Gouvernement. C’est une avancée considérable pour la médecine du travail. Vous n’avez pas lu ce qui est écrit. Vous faites de la politique !

Monsieur Vidalies, vous nous dites que les CHSCT ne sont pas présentes dans le texte. La réalité n’a rien à voir avec ce que vous prétendez.

M. Alain Vidalies. C’est scandaleux !

M. Éric Woerth, ministre du travail. Les organisations syndicales sont en train de négocier sur les institutions représentatives du personnel. Nous respectons bien évidemment cette négociation. C’est pour cela que les CHSCT ne figurent pas dans l’amendement.

La question de la pénibilité, la réforme des retraites et celle des services de santé au travail sont indissociables. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous avons la volonté de montrer clairement que la médecine du travail est au cœur de l’ensemble des dispositifs de prévention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance. (Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heure trente :

Suite du projet de loi portant réforme des retraites.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)