Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 6 décembre 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

. Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration

M. François Fillon, Premier ministre

M. Jean-Marc Ayrault

M. Didier Quentin

M. Jean-Paul Lecoq

M. Stéphane Demilly

M. Daniel Garrigue

2. Élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen

3. Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration (suite)

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

4. Projet de loi de finances rectificative pour 2011

Explications de vote

M. Charles de Courson, M. Jérôme Chartier, M. Christian Eckert, M. François de Rugy

Vote sur l’ensemble

5. Responsabilité civile et pénale du Président de la République

Explications de vote

M. Noël Mamère, M. Claude Leteurtre, M. Philippe Houillon, M. Jean-Jacques Urvoas

Vote sur l’ensemble

Présidence de Mme Catherine Vautrin

6. Position abolitionniste de la France en matière de prostitution

Discussion générale

Mme Danielle Bousquet

7. Élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen

8. Position abolitionniste de la France en matière de prostitution (suite)

Discussion générale (suite)

M. Guy Geoffroy

Présidence de M. Marc Le Fur

M. Jean-Paul Lecoq

M. Raymond Durand

9. Élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen

10. Position abolitionniste de la France en matière de prostitution (suite)

Discussion générale (suite)

M. Élie Aboud

Mme Marie-Françoise Clergeau

M. Philippe Goujon

M. Armand Jung

Mme Laurence Dumont

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Article unique

Explications de vote

M. Élie Aboud, Mme Pascale Crozon, M. Jean-Paul Lecoq, M. Claude Leteurtre

Vote sur l'article unique

11. Rénovation du réseau express régional d’Île-de-France

M. Yanick Paternotte, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Discussion générale

Mme Annick Lepetit

Mme Jacqueline Fraysse

M. Claude Leteurtre

M. Pierre Morange

M. Jean-Marie Le Guen

M. Didier Gonzales

Vote sur l’article unique

12. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Déclaration du Gouvernement
préalable au Conseil européen
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l’Europe traverse des heures difficiles. Ce n’est pas la première fois, mais je crois que l’on peut dire que cette crise est la plus sérieuse et la plus complexe de son histoire.

M. Roland Muzeau. Vous pouvez être fiers !

M. François Fillon, Premier ministre. Le basculement de l’économie mondiale place l’Europe sous un éclairage cruel qui met en lumière ses faiblesses. La peur des investisseurs face à la montagne des dettes accumulées depuis des décennies est l’expression d’un doute fondamental sur la capacité politique et économique de l’Union européenne à demeurer l’un des grands pôles du monde à venir.

M. Jean Mallot. Cela fait dix ans que vous êtes au pouvoir !

M. François Fillon, Premier ministre. Les Français sont légitimement désemparés face à la succession des événements. La crise invite à sa table tout un cortège de faux prophètes et de populistes, et nous sommes tous ensemble invités à agir avec sang-froid.

L’Europe doit sortir par le haut de cette crise et en se réinventant. Elle est mise au défi de montrer sa cohérence, sa crédibilité et sa force d’action. Le déclin n’est pas une fatalité et le Conseil européen de cette semaine sera un moment important pour reprendre la main.

M. Roland Muzeau. C’était déjà le cas la semaine dernière !

M. François Fillon, Premier ministre. La crise de la zone euro a commencé par toucher la Grèce, puis l’Irlande, enfin le Portugal.

M. Jean Mallot. À quand la France ?

M. François Fillon, Premier ministre. Elle a aujourd’hui atteint des pays du cœur de la zone : l’Italie ou encore l’Espagne. La France n’est pas épargnée et, d’ailleurs, aucun pays ne l’est.

Des pays traditionnellement considérés comme très vertueux sont à leur tour affectés ; je pense à l’Autriche, aux Pays-Bas, à la Finlande. Ces trois pays ont vu leurs écarts de taux avec l’Allemagne se creuser de façon inédite. L’Allemagne elle-même ne pourra pas être durablement épargnée si l’ampleur de la crise s’intensifie et si sa contagion à l’ensemble de la zone euro se poursuit.

Le coût d’un éclatement de la zone euro serait exorbitant. Certains le chiffrent à près de 25 % du produit intérieur brut pour les économies les plus fortes et à environ 50 % pour les économies plus faibles. Le continent européen serait de fait ruiné.

L’avertissement lancé hier par une agence de notation est un avertissement collectif, qui concerne tous ces pays. On peut le juger inopportun, on peut considérer qu’il est excessif, on peut souligner à l’infini le décalage entre le mode de raisonnement immédiat et brutal des marchés et celui des États. Mais la question n’est pas là et j’ajoute que je n’indexe pas notre intérêt national ni l’intérêt de l’Europe sur le seul avis des experts. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Roland Muzeau. Bravo !

M. François Fillon, Premier ministre. La vérité, c’est que l’Europe doit se réorganiser et qu’elle doit se désendetter – c’est un fait.

M. Daniel Paul. Qui va payer ?

M. François Fillon, Premier ministre. Ce que nous signifie cette agence, c’est que pour les investisseurs, la zone euro et l’Europe ont besoin d’un cadre politique rigoureux, structuré, efficace, capable sur le moyen et sur le long terme de tenir ses engagements. D’une certaine façon, il s’agit d’un appel à une gouvernance politique et économique plus solide et notre réponse est sans ambiguïté : c’est l’accord franco-allemand élaboré hier par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Pierre-Alain Muet. Vous n’avez peur de rien !

M. François Fillon, Premier ministre. Il y a aussi, dans l’avis de cette agence, un message d’inquiétude sur la croissance et sur les conséquences de mauvais chiffres en la matière quant à la tenue de notre trajectoire budgétaire.

M. Roland Muzeau. Elles sont élues par qui, les agences ?

M. François Fillon, Premier ministre. Je l’affirme sans ambiguïté : nos engagements budgétaires sont intangibles et le Gouvernement fera tout pour qu’ils soient strictement respectés.

Le budget pour 2012 est construit sur une hypothèse de croissance de 1 % du PIB. Vous le savez, nous avons constitué une réserve de 6 milliards d’euros qui correspondent très exactement à la différence entre cette prévision initiale et celles établies aujourd’hui par la plupart des instituts – réserve qui nous permet donc d’absorber un aléa négatif en termes de croissance.

M. Pierre-Alain Muet. Cette réserve est déjà consommée !

M. François Fillon, Premier ministre. En tout état de cause, comme le reconnaissent les agences de notation elles-mêmes, le Gouvernement a démontré sa réactivité et sa capacité à s’ajuster à toutes les circonstances, et il continuera de le faire.

Mesdames et messieurs les députés, la crise actuelle n’est pas une crise de l’euro, mais une crise de la zone euro et de sa gouvernance. Nous nous sommes dotés d’une monnaie commune mais sans mettre en place les institutions politiques et financières nécessaires à sa stabilité et à sa solidité. Et nous avons fait collectivement le choix de la facilité en optant pour une fuite en avant dans l’endettement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pierre-Alain Muet. C’est vous qui êtes responsables !

M. Patrick Lemasle. Voilà dix ans que vous êtes au pouvoir !

M. François Fillon, Premier ministre. Cette dérive s’est paradoxalement aggravée avec l’euro qui a joué un rôle d’anesthésiant et qui nous a permis de repousser au lendemain l’effort que nous devions fournir.

Maintenant, toutes les nations européennes solidaires doivent consentir des efforts pour rétablir leur souveraineté financière. C’est un devoir moral vis-à-vis de nos enfants…

M. Roland Muzeau. Le capitalisme n’a pas de morale !

M. François Fillon, Premier ministre. …et c’est un devoir politique si nous voulons maîtriser notre destin. Cela vaut évidemment pour les États membres qui ont dévié de la trajectoire qu’ils auraient dû suivre.

M. Pierre-Alain Muet. En effet !

M. François Fillon, Premier ministre. À cet égard, les décisions prises par plusieurs de nos partenaires sont encourageantes. Après plusieurs semaines de très grande incertitude, la Grèce a donné les gages d’un soutien politique large pour mener les réformes attendues en contrepartie de l’aide exceptionnelle octroyée ces derniers mois, ce qui permet d’ailleurs de débloquer une nouvelle tranche de 8 milliards d’euros.

Les autres pays européens qui connaissent d’importantes difficultés de refinancement – l’Italie ou l’Espagne – ont réitéré leur détermination à mettre en œuvre de manière rigoureuse des politiques de redressement de leurs finances publiques. Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour dire notre respect pour le plan très ambitieux que vient de présenter le gouvernement de M. Mario Monti en Italie.

M. Jean-Pierre Brard. Goldman Sachs !

M. François Fillon, Premier ministre. Les dates du retour du déficit à moins de 3 % du PIB ou du retour à l’équilibre budgétaire doivent être confirmées et « sécurisées ». Sur ce point, aucune dérive n’est permise.

Les décisions se prennent avant tout au niveau national mais l’Europe doit accompagner nos efforts. Les derniers mois nous ont permis de réaliser davantage de progrès que nous n’en avions faits en vingt ans en matière de gouvernance européenne.

Ainsi les mesures adoptées en septembre par le Conseil européen et par le Parlement européen représentent déjà un acquis substantiel puisqu’elles permettront une surveillance accrue des déséquilibres budgétaires et macroéconomiques.

Lors du sommet de la zone euro du 26 octobre dernier, nous avons ajouté plusieurs mesures reprises dans les propositions que vient d’adopter la Commission européenne. Il nous faut cependant aller plus loin et plus fort, comme l’ont souligné, hier, le Président de la République et la chancelière allemande.

Que souhaitons-nous ? D’abord un gouvernement économique de la zone euro. Pour nous, en effet, l’Europe est avant tout une affaire politique et c’est par la politique que l’Europe avance et c’est par la politique que l’on rend des comptes aux peuples.

M. Jean-Pierre Brard. Goldman Sachs !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous avons décidé, à l’issue du dernier sommet de la zone euro, que les chefs d’État et de gouvernement se réuniraient au moins deux fois par an. (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe SRC.)

Le Président de la République et la chancelière allemande proposent que ces réunions soient désormais mensuelles, sur la base d’un ordre du jour précis. Elles permettront d’aborder des sujets tels que la stabilité financière, mais aussi la convergence économique et fiscale ou encore la stratégie de soutien à la croissance et à la compétitivité. Voilà plusieurs années que la France réclame la mise en place d’un gouvernement économique de la zone euro, nous disposons à présent d’un accord solide avec l’Allemagne pour le réaliser. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Ensuite, nous devons assurer plus de discipline au niveau européen.

M. Jean-Pierre Brard. La schlague !

M. François Fillon, Premier ministre. Cette discipline reposera d’abord sur un volet préventif plus fort, à savoir la règle d’or dont le principe et le contenu doivent être fixés au niveau européen afin qu’elle soit ensuite transposée par chaque État dans son droit national.

La Cour de justice de l’Union européenne, comme c’est son rôle, pourra vérifier que la transposition aura été correcte. Mais c’est ensuite à chaque juge national qu’il appartiendra de l’appliquer. Bref, comme le souhaitait la France, la Cour de justice de l’Union européenne ne pourra en aucun cas se prononcer sur le budget d’un État membre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Henri Emmanuelli. Ah oui ?

M. François Fillon, Premier ministre. Cette discipline reposera ensuite sur un volet correctif plus efficace. Lorsque le déficit d’un État dépassera le seuil de 3 %, il s’exposera à des sanctions adoptées par le Conseil européen sauf si une majorité qualifiée s’y oppose.

Il est temps de comprendre que ce ne sont pas les sanctions qui minent la souveraineté nationale,…

M. Roland Muzeau. C’est votre politique !

M. François Fillon, Premier ministre. …mais le laxisme des États qui ignorent leurs engagements vis-à-vis de leurs partenaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Veuillez vous calmer, mes chers collègues !

M. François Fillon, Premier ministre. Mais nos efforts de discipline seraient vains sans davantage de solidarité entre les pays européens. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Nous avons ensemble partagé les bénéfices de l’Europe et de l’euro.

M. Pierre-Alain Muet. En dix ans, vous avez mis la France en état de faillite !

M. François Fillon, Premier ministre. Ensemble, nous devons la protéger contre les menaces de tension ou d’éclatement.

M. Roland Muzeau. Dix ans !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous ne devons laisser aucun doute aux investisseurs sur notre détermination à défendre la zone euro.

À cet égard, nous devons affirmer clairement que les solutions appliquées à la Grèce sont exceptionnelles et qu’elles ne s’appliqueront plus à aucun autre État membre.

M. Henri Emmanuelli. Dix ans !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous allons ainsi envoyer un message puissant en Europe (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC) : celui selon lequel les États respectent et honorent leur signature souveraine. Il s’agit d’un message central pour rebâtir la confiance.

M. Jean-Pierre Brard. Promesse de Gascon !

M. François Fillon, Premier ministre. Il n’y aura pas, à l’avenir, d’implication des investisseurs privés dans la restructuration d’une dette souveraine dans la zone euro. Aucun épargnant ne risquera de perdre son argent en le prêtant à un pays de la zone euro.

Mesdames et messieurs les députés, il s’agit d’un point fondamental et sans doute, même, le plus important de l’accord conclu hier.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. François Fillon, Premier ministre. La vérité, en effet, c’est que la crise a pris la dimension que nous lui connaissons au moment où il a été décidé – il s’agissait d’ailleurs d’une demande forte de l’Allemagne – d’impliquer le secteur privé dans la restructuration de la dette souveraine de la Grèce.

Écarter ce risque, c’est revenir progressivement à un fonctionnement normal du financement des États de la zone euro et c’est la condition pour faire de l’euro et du système financier européen un pôle de stabilité et d’attractivité pour les capitaux étrangers.

M. Roland Muzeau. Les banquiers vous disent merci !

M. François Fillon, Premier ministre. Dans notre esprit, plus de solidarité suppose deux conditions : d’abord, le renforcement de l’effet de levier du Fonds européen de stabilité sur la base des décisions prises par les ministres des finances la semaine dernière ; ensuite, la transformation du futur mécanisme européen de stabilité en un véritable fonds monétaire européen capable de venir en aide aux pays en difficulté. Ce fonds doit pouvoir prendre le relais du Fonds européen de stabilité dès l’année prochaine et non pas en 2013 comme il avait été prévu et il doit pouvoir prendre ses décisions à une majorité qualifiée et non plus à l’unanimité comme c’était le cas précédemment. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

Quant à la Banque centrale européenne, son indépendance doit être intégralement respectée. C’est ainsi qu’elle pourra continuer à jouer le rôle déterminant qui est le sien dans cette période exceptionnelle. Plus rigoureuse, plus solidaire, cette nouvelle gouvernance doit être aussi plus démocratique. Compte tenu de leur importance, les décisions dont nous avons besoin doivent être prises par des responsables politiques démocratiquement élus et rester sous le contrôle des parlements nationaux.

M. Jean-Pierre Brard. C’est mal parti !

M. François Fillon, Premier ministre. Personne ne souhaite un gouvernement des juges qui se substituerait à la délibération et à la décision démocratique. Il est clair que les sommets des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro seront la clé de voûte intergouvernementale de cette nouvelle gouvernance de la zone euro.

M. Jean-Pierre Brard. Autoritarisme !

M. François Fillon, Premier ministre. Pour mettre en place ces éléments qui permettent de refonder la zone euro, nous avons besoin d’un traité. Le Conseil européen de cette semaine devra déterminer quelle doit être la voie à suivre pour ce traité. Dans l’idéal, il devrait prendre la forme d’une révision des actuels traités européens, donc passer par un accord unanime des Vingt-sept.

M. Jacques Desallangre. Dans combien de temps ?

M. François Fillon, Premier ministre. S’il apparaît, dès le week-end prochain, que cela n’est pas possible, alors nous sommes déterminés à aller de l’avant sans attendre, entre les dix-sept États membres de la zone euro et ceux qui seraient volontaires pour les rejoindre, comme l’ont proposé, hier, le Président de la République et la Chancelière.

M. Jean-Pierre Brard. Et si les dix-sept ne sont pas d’accord ?

M. François Fillon, Premier ministre. Notre objectif est de conclure un accord au mois de mars 2012, celui-ci devant être ratifié avant la fin de l’année 2012.

Mesdames, messieurs les députés, tous nos efforts visent à recréer la confiance en Europe et à préparer le chemin de la croissance. La crise a montré que ce qui était en jeu, c’est moins le niveau de la dette publique en soi que la soutenabilité de cette dette.

M. Roland Muzeau. Ce sont vos politiques qui l’ont creusée !

M. François Fillon, Premier ministre. Or, sans croissance, pas de dette soutenable. À court terme, ce Conseil européen va lancer le semestre européen, avec l’objectif de fixer les priorités de nos politiques économiques dans l’année qui vient. C’est une étape significative pour coordonner les réformes. À moyen terme, nous voulons aussi déterminer le rythme de consolidation que nous devons adopter pour ne pas mettre en péril la croissance. Protéger la croissance tout en sécurisant nos objectifs budgétaires, telle est la double nécessité qui préside à l’ensemble de nos choix.

Pour cette raison, la France sera très vigilante à l’équilibre des dispositions que nous pourrions introduire dans les traités.

Ces dispositions devront favoriser une meilleure coordination de nos politiques, non pas uniquement de nos politiques budgétaires mais aussi de nos politiques fiscales, sociales, et en matière de régulation des marchés financiers. Une Europe au service de la croissance, cela signifie des programmes européens de recherche plus efficaces et mieux ciblés, développer, comme la France l’a proposé, le capital-risque européen, mettre en place un fonds européen des brevets, installer un environnement réglementaire qui soit favorable à l’économie numérique et à l’instauration de grands champions européens dans la compétition mondiale.

C’est un des enjeux des discussions qui s’ouvrent sur le prochain cadre financier pluriannuel 2014-2020. Le Conseil européen de jeudi et vendredi devra donner un mandat à la présidence danoise pour progresser sur ce dossier, avec comme objectif un accord avant la fin de l’année 2012.

M. Roland Muzeau. Et la justice sociale, c’est pour quand ?

M. François Fillon, Premier ministre. Avec ce budget européen qui sera forcément contraint, il faudra préserver la politique agricole commune tout en ciblant les dépenses les plus utiles à la croissance et à l’emploi. Au-delà des chiffres, cela veut dire qu’il faudra progresser vers le « dépenser mieux » pour les politiques communes qui ne sont pas, aujourd’hui, adaptées au contexte de crise et de concurrence internationale. Je pense à la politique de cohésion et à celles de l’innovation et de la recherche.

Mesdames, messieurs les députés, aucune institution européenne n’a plus la crédibilité nécessaire pour revendiquer le monopole de l’intérêt général européen.

M. Jean-Pierre Brard. C’est gentil pour Barroso !

M. François Fillon, Premier ministre. C’est ensemble que nous travaillons à l’intérêt général, à Bruxelles, à Strasbourg, à Luxembourg, mais aussi dans chacun des États membres et dans chacun des parlements nationaux. Ici, vous êtes tous les interprètes de notre nation, mais l’histoire vous porte à être aussi ceux d’une Europe qui a besoin de chacun d’entre nous.

M. Roland Muzeau. Et ceux du capital ?

M. François Fillon, Premier ministre. Au-delà des clivages et des échéances électorales, nous devons afficher une volonté politique commune, une volonté française. Ensemble, mesdames, messieurs les députés, rappelons pourquoi nous nous battons pour sauver l’euro et pour sauver l’Europe. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Rappelons, sans démagogie, pourquoi nous ne distinguons pas l’intérêt national de l’intérêt européen.

M. Philippe Briand. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. Rappelons pourquoi l’unité franco-allemande est l’un de nos biens les plus précieux (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC) et pourquoi, entre nos deux nations, il ne peut pas y avoir de vainqueur ou de vaincu, mais la volonté permanente d’avancer ensemble par des compromis et par le respect mutuel.

M. Jean-Pierre Brard. Vive Rosa Luxemburg !

M. François Fillon, Premier ministre. Ensemble, rappelons que l’Europe, bien plus que des institutions, c’est une culture, une histoire, une rencontre entre des nations anciennes et brillantes. Je crois à la présence d’une civilisation européenne.

M. Jean-Pierre Door. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. L’humanisme, la solidarité, l’État de droit, la confiance placée dans la science, dans l’innovation, dans le progrès, toutes ces valeurs disent où commence et où s’épanouit l’Europe. Je crois que ces valeurs peuvent faire de l’Europe l’un des grands pôles du XXIe siècle.

Ne laissons pas le monde s’habituer à une Europe faible et déclinante que l’on pourrait traiter avec condescendance. Quand je compare l’Europe moderne à ce qu’elle était hier, je vois les résultats de l’audace de nos pères. Je vois des hommes qui ont brisé une tradition millénaire de conflits et de violence. Je vois dix-sept pays soudés autour d’une monnaie unique. Je vois vingt-sept jeunesses appelées à grandir ensemble sans défiance, vingt-sept peuples unis qui nous interdisent de jouer les blasés ou les indifférents.

M. Christian Eckert. Comme c’est beau !

M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les députés, la crise nous impose de redéfinir le projet européen. Elle nous commande de nous affirmer comme une puissance capable de réagir rapidement et concrètement aux chocs. Nous devons relever le défi et montrer que nous avons décidé d’être debout et nous-mêmes pour la France et pour l’Europe. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes UMP, dont de nombreux membres se lèvent, et NC.)

M. le président. Nous en venons au débat, le porte-parole de chaque groupe disposant de dix minutes.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. (« Hollande ! Hollande ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Ce débat est d’importance, je vous demande de vous écouter dans le respect mutuel. Vous avez la parole, monsieur Ayrault. (Mêmes mouvements.)

M. Yves Nicolin. Donnez la parole à Montebourg ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Ayrault. Que se passe-t-il, monsieur le président ? Puis-je parler ou non ?

M. le président. Je vous en prie, monsieur Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je vous remercie, monsieur le président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, ce matin, un grand journal réputé pour sa capacité à interpréter les désirs du chef de l’État (Protestations sur les bancs du groupe UMP) présentait l’accord Merkel-Sarkozy comme celui qui refonderait l’Europe, rien de moins ! Si telle est son ambition, il est regrettable que le débat ne puisse pas avoir lieu dans des conditions normales.

M. Pierre-Alain Muet. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Il a fallu que je demande, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, que l’Assemblée nationale puisse vous entendre, monsieur le Premier ministre, et que nous puissions avoir un débat d’une heure, ce qui est peu lorsque le sujet est aussi important que l’avenir de la France et de l’Europe.

M. Jean-Marc Lefranc. Hollande est à Berlin !

M. Jean-Marc Ayrault. Les choix décisifs ne peuvent être pris sans consulter les représentants du peuple : c’est la leçon que chacun aurait dû tirer, quel qu’ait été son choix, du référendum de 2005. Ce vrai débat, nous le rendrons public pendant la campagne présidentielle et nous le ferons trancher par le peuple français !

Vous disiez que ce sommet était celui de la dernière chance pour sauver l’euro,...

M. François Fillon, Premier ministre. Je n’ai pas dit cela.

M. Jean-Marc Ayrault. …tout comme les vingt-trois précédents, qui devaient tout résoudre. « Toujours trop peu, toujours trop tard » : ce n’est pas moi qui le dis, mais Romano Prodi, l’ancien président de la Commission européenne. Aujourd’hui, pour faire face à l’urgence, on nous propose comme seules réponses un traité, qui prendra de longs mois, peut-être un an minimum, et toujours plus d’austérité pour les peuples, mais toujours rien de concret contre les attaques des spéculateurs.

Le couple franco-allemand, en effet, est devant une responsabilité historique. Dans ce tête-à-tête, la France devrait aujourd’hui infléchir la position des conservateurs allemands. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé hier à Paris.

M. Henri Emmanuelli. C’est l’inverse !

M. Jean-Marc Ayrault. Mme Merkel refusait l’évolution du rôle de la Banque centrale européenne : elle a eu gain de cause. Elle ne voulait pas des eurobonds : M. Sarkozy dit que ce n’est plus une solution.

M. Jean-Pierre Brard. Il s’est couché !

M. Jean-Marc Ayrault. La chancelière allemande voulait un nouveau traité budgétaire : il sera présenté en mars. Elle plaidait pour des sanctions automatiques : elles seront mises en place.

M. Dominique Dord. Non !

M. Jean-Marc Ayrault. Quel est le poids de la France aujourd’hui ?

M. Henri Emmanuelli. Zéro !

M. Jean-Marc Ayrault. Quel est son crédit ? Pourquoi Nicolas Sarkozy est-il contraint de suivre Mme Merkel sans obtenir de véritable contrepartie ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Parce que M. Sarkozy s’est affranchi, depuis le début de son mandat, de la règle d’or des 3 % de déficit posée par le traité de Maastricht. (Mêmes mouvements.) Parce que M. Sarkozy n’a pas davantage respecté l’article 34 de la Constitution, qu’il a lui-même fait voter en 2008 et qui fixe l’objectif d’équilibre des comptes.

M. Dominique Dord. Élevez un peu le niveau !

Mme Françoise Hostalier. Fossoyeurs de la France !

M. Jean-Marc Ayrault. Au lieu de désendetter la France, il a préféré dès 2007, alors que vous aviez parlé, monsieur le Premier ministre, de faillite, dilapider au profit de quelques-uns 75 milliards d’euros de cadeaux fiscaux, qui manquent aujourd’hui dans les caisses de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Et vous, combien avez-vous dilapidé ?

M. Jean-Marc Ayrault. La vérité, c’est que cette gestion insensée affaiblit la France. Quant à l’accord avec nos partenaires, quel signal envoie-t-il aux marchés ? Y a-t-il seulement un signal ? Même pas ! Cette nuit, une agence de notation a lancé une alerte sur l’ensemble des pays de la zone euro, dont la France et l’Allemagne. En dépit du nouvel exercice d’autosatisfaction de M. Sarkozy, c’est maintenant la faiblesse générale de la croissance qui inquiète, et l’indécision des responsables politiques de l’Europe après vingt-trois sommets de la dernière chance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Alors que la récession est à nos portes, la véritable règle d’or est celle qui conjugue la stabilité budgétaire, l’élargissement de la solidarité et l’initiative de croissance. (Mêmes mouvements.) La disciplinaire budgétaire est un principe partagé,…

M. Bernard Deflesselles. C’est Noël !

M. Jean-Marc Ayrault. …et François Hollande s’est engagé à atteindre l’objectif des 3 % en 2013 et l’objectif d’équilibre en 2017. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Huées sur les bancs du groupe UMP.)

L’austérité et les sanctions ne peuvent constituer l’avenir indépassable des peuples européens. Or le traité que vous nous proposez conduit à mettre en place des règles automatiques de sanction, privant toute possibilité d’appréciation et de décision politique et démocratique. C’est inacceptable !

Mes chers collègues, une autre voie est possible. J’étais hier à Berlin avec François Hollande. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il n’est pas exact de dire que les Allemands partagent tous votre vision conservatrice qu’il faudrait imposer à partir d’un directoire européen.

J’ai eu la chance d’entendre l’ancien chancelier Helmut Schmidt, ce grand monsieur de quatre-vingt-douze ans, qui a plus de lucidité que bien des dirigeants actuels. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Il est venu demander à ses amis de ne pas laisser l’Allemagne s’isoler derrière ses excédents budgétaires. Je l’ai entendu plaider pour la solidarité européenne, pour le financement de projets créateurs de croissance. Je vais le citer parce que j’aimerais que sa voix grave, celle de la distance historique, parvienne jusqu’à vous : « Celui qui croit que l’Europe pourrait retrouver la santé financière uniquement à travers des économies budgétaires devrait étudier à deux fois les conséquences tragiques de la politique de déflation qui a provoqué une dépression économique, une extension insupportable et déclenché la chute de la première démocratie allemande ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Une autre voie est possible. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Dord. Laquelle ? Dites-nous !

M. Jean-Marc Ayrault. Dans les échanges que nous avons eus avec les dirigeants européens du SPD, nous avons trouvé matière à convergences nombreuses : oui aux euro-obligations ; oui à une initiative de croissance européenne ; oui à un budget financé pour partie par une taxe sur les transactions financières (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) ; oui à un fonds de stabilité financière mieux doté !

M. Bernard Deflesselles. Paroles, paroles !

M. Jean-Marc Ayrault. Sur le rôle de la Banque centrale européenne, nous avons bénéficié d’une écoute attentive qui peut préfigurer l’ouverture d’une négociation équilibrée au service de la croissance et de l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, une autre voie est possible. Qui peut croire que l’Europe doive se transformer en simple agence de notation pour ses propres États-membres ? La croissance doit être notre objectif prioritaire.

Il faut renforcer l’Europe des coopérations industrielles, notamment dans la recherche et l’innovation. Jacques Delors plaide depuis des années pour une communauté européenne de l’environnement et de l’énergie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Oui, l’objectif de la transition énergétique de réduire de 25 % la part du nucléaire dans l’électricité est le même pour la France et pour l’Allemagne. (Même mouvement.) Voilà un champ formidable d’investissement permettant la création de millions d’emplois dans toute l’Europe pour réussir la transition énergétique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

L’Europe, c’est aussi celle qui lutte contre la spéculation avec la taxe sur les transactions financières. C’est aussi une Europe sociale, celle de la coopération, qui permet, avec un salaire minimum dans chacun des États, de répondre aux inégalités sociales. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce sont des normes communes en matière de santé et d’éducation. C’est cela que nous voulons partager avec les Européens, et qui va rendre de l’espoir et de la confiance aux peuples européens qui n’en peuvent plus de ces plans d’austérité qui démoralisent et détruisent le lien social, en France en premier lieu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mes chers collègues, je voudrais vous rappeler que ce qui se joue sous nos yeux, c’est le maintien de la souveraineté des États, à travers l’affirmation du projet européen. Faudra-t-il demain faire appel à la Chine, au Brésil, ou trouverons-nous enfin en nous-mêmes la force de résister, et de nous relever ? La France devra trouver cette force dès 2012, refuser la fatalité et rendre confiance aux peuples français et européens.

Permettez-moi de vous citer un autre grand Européen : « Si les Européens ne prennent pas en main leur propre destin, qui le fera ? Le Japon, la Chine, le Nigeria, le Brésil, le Texas, enfin, je ne sais qui… Si vous ne décidez pas vous-même de votre sort, quelqu’un s’en chargera, soyez-en sûrs (…) » Celui qui disait cela était François Mitterrand, un grand homme d’État, grand européen, dans un discours prononcé à la fin de sa carrière et de sa vie. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Qui a remplacé les grands hommes de l’histoire européenne ? Les grands chanceliers tels que Helmut Kohl, les hommes tels que François Mitterrand, il nous faut aujourd’hui les trouver. Nous avons la possibilité d’engager en 2012 un nouveau cycle d’espoir pour l’Europe : c’est le combat pour l’alternance que nous menons avec François Hollande. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’ai confiance dans les capacités de la France, et je ne suis pas de ceux qui démissionnent et qui se résignent.

Monsieur le Premier ministre, après avoir sonné le tocsin en 2007 en disant que la France était en faillite, vous avez pris la responsabilité d’aggraver la situation de la France et de l’affaiblir. Nous, nous prenons l’engagement de relever la France et de relever l’Europe ! (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent longuement. – Huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de remercier le président d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat au lendemain de la rencontre décisive entre le président Sarkozy et la chancelière Merkel et de leur accord sur le renforcement de la gouvernance de la zone euro. Cet accord a reçu cet après-midi une bonne note de la part d’un grand quotidien du soir, ce qui n’est pas si fréquent ! Notre débat se déroule également à la veille du Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochains à Bruxelles. Ce conseil européen nous est présenté depuis quelques jours dans la presse comme le sommet de la dernière chance pour l’euro.

Ce sommet sera également l’occasion de signer le traité d’adhésion avec la Croatie. Au terme de ce processus, le 1er juillet 2013, la Croatie deviendra le vingt-huitième État-membre de l’Union européenne. La Croatie sera ainsi le deuxième État issu de l’ex-Yougoslavie à devenir membre de l’Union européenne après la Slovénie. Il s’agit surtout du premier des ex-belligérants de la guerre de 1991-1995 à intégrer l’Union. L’Union européenne reste donc attractive et demeure cet espace de paix et de démocratie voulu par ses pères fondateurs. Cela me semble important à rappeler en ces temps difficiles : il ne faut jamais oublier l’essentiel.

La crise que traverse la gouvernance de la zone euro ne doit pas nous faire oublier que l’Union poursuit son chemin, qu’elle travaille, qu’elle se préoccupe toujours des questions agricoles, climatiques, migratoires, énergétiques, qui sont elles aussi à l’ordre du jour de ce sommet, même si beaucoup ont tendance à l’ignorer.

Notre attention est tout entière focalisée sur la crise des dettes souveraines qui frappe la zone euro. Cet endettement, nous en sommes tous, à des degrés divers et des moments divers, comptables et responsables devant nos concitoyens. Pas un seul budget n’a été voté en équilibre depuis 1974.

Comme le Président de la République l’a rappelé lors de son discours à Toulon jeudi dernier, cet endettement s’est accumulé depuis des années. Il s’est agi d’une facilité coupable et illusoire, une sorte d’EPO à laquelle tous les gouvernements se sont dopés pour préserver notre niveau de vie et notre modèle social dans un monde en pleine mutation.

M. Roland Muzeau. Depuis dix ans que vous êtes au pouvoir, cela fait de vous de graves drogués !

M. Didier Quentin. Cette crise marque la fin de ce cycle. Faut-il même encore parler de crise ? Il s’agit d’un véritable changement de système, d’un changement de monde. Nous ne pouvons plus continuer ainsi, et nous le savons.

Pour la plupart d’entre nous, nous le savions depuis longtemps, nous sommes rattrapés par la dure réalité.

Oui, il nous faut faire des efforts. Oui, il nous faut maîtriser nos dépenses. C’est une ardente obligation pour réduire les pressions que nous subissons. Maîtriser nos comptes, ce n’est pas plier devant les agences de notation, c’est chercher à réduire notre dépendance à l’égard des marchés financiers, et donc veiller au maintien de notre indépendance.

M. Mario Monti, président du conseil italien,…

M. Jean-Pierre Brard. Goldman Sachs !

M. Didier Quentin. …en présentant un nouveau plan d’économies de vingt milliards d’euros ce week-end, a mis en avant la faute des Italiens, pas de l’Europe. Ce nouveau plan italien est soutenu à la fois par la gauche et la droite dans la péninsule, tout comme les socialistes allemands ont voté la règle d’or. J’espère qu’ils l’ont rappelé à M. François Hollande durant ce week-end. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Pierre-Alain Muet. C’est une règle de papier sans intérêt !

M. Didier Quentin. Vérité d’un côté du Rhin, vérité de l’autre ! Les difficultés qui touchent actuellement notre continent méritent mieux que les basses polémiques auxquelles nous assistons depuis quelques jours.

Les mots ont un sens, ils renvoient pour certains d’entre eux aux heures les plus noires de notre histoire. Dire que la chancelière Merkel mène une politique à la Bismarck visant à imposer ses vues à l’Europe alors que nous savons très bien qu’elle doit faire face à une opinion publique hostile à toute idée de solidarité trop poussée en Europe est profondément choquant.

Mme Françoise Hostalier. Honteux !

M. Jean-Pierre Brard. C’est désobligeant pour Bismarck !

M. Didier Quentin. Il y a quelques mois, l’Allemagne a, pour la première fois, accepté la mise en place d’une gouvernance économique de la zone euro à laquelle elle s’était toujours montrée réticente. Elle a aussi accepté la création du Fonds européen de stabilité financière. Eh bien, souvenons-nous qu’à l’époque la chancelière s’était vue accusée par son opposition, et au sein même de son parti, d’être à la traîne du président Sarkozy et des positions françaises.

Sachons garder le sens de la mesure, ne tombons pas dans un manichéisme caricatural conduisant certains à accuser le Président de la République de se comporter comme Édouard Daladier signant les accords de Munich avec Adolf Hitler en 1938.

M. Bernard Deflesselles. Quelle honte !

M. Didier Quentin. Monsieur Ayrault, je me serais attendu, venant de l’homme de culture et du germanophone distingué que vous êtes, à une prise de distance à l’égard de ces déclarations. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)

Nous ne pouvons pas accepter de tels propos à l’égard du Président de la République et de notre principal partenaire. Paraphrasant une formule bien connue, on pourrait dire que l’antigermanisme est le socialisme des imbéciles.

Plusieurs de nos collègues du Bundestag nous ont fait part de leur incompréhension devant de tels amalgames. Je tiens, au nom du groupe UMP, à leur dire combien nous avons été choqués par ces insinuations. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Tous les présidents de la Ve République, sans aucune exception, pourraient avoir prononcé les paroles de Nicolas Sarkozy à Toulon : « L’Allemagne et la France unies, c’est l’Europe tout entière qui est unie et forte. La France et l’Allemagne désunies, c’est l’Europe tout entière qui est désunie et qui est affaiblie. »

Certains, du côté du candidat socialiste, se prenant pour Zorro, parlent de rétablir une relation franco-allemande équilibrée. Que cela veut-il dire ? En quoi notre relation est-elle déséquilibrée ? Il ne s’agit pas d’abandon de souveraineté, mais de souveraineté partagée. Quelle est la souveraineté du coq dans le poulailler ouvert aux renards ? Ne vaut-il pas mieux s’associer à l’aigle pour fermer la porte ? Cela crée la nécessité de trouver des compromis, comme l’a rappelé le Président de la République lundi, à l’issue de sa réunion avec Angela Merkel.

Travailler à des compromis avec des partenaires ayant chacun des histoires, des cultures, des institutions et des traditions est autrement plus compliqué que d’asséner des discours d’un volontarisme incantatoire.

C’est dans cet esprit de compromis, réaliste et néanmoins ambitieux, qu’un groupe de travail sur la gouvernance de la zone euro a été créé à l’initiative du président Accoyer et de son homologue du Bundestag Norbert Lammert. Sept parlementaires français, de la majorité et de l’opposition, se sont mobilisés pour rapprocher les positions entre groupes parlementaires du Bundestag et de l’Assemblée nationale sur le renforcement de la gouvernance de la zone euro en complément des échanges entre les deux exécutifs.

Ce groupe de travail a trois objectifs. Premièrement, rassurer sur la capacité de réponse de la zone euro face aux spéculations. Deuxièmement, renforcer le pacte de stabilité et de croissance pour éviter une répétition des dérives budgétaires ou bancaires observées dans certains pays. Troisièmement, mieux associer les parlements à la gouvernance de la zone euro.

C’est ainsi que lors de la préparation du budget, un commissaire européen chargé de l’euro pourrait être auditionné devant chaque commission des finances des parlements pour rendre un avis sur la sincérité du projet de budget.

M. Roland Muzeau. Et pourquoi pas un procureur ?

M. Didier Quentin. En conclusion, il nous faut être plus que jamais conscients que la relance de l’Europe passe par une forte impulsion franco-allemande, non seulement sur le plan budgétaire mais également pour les politiques d’innovation et de croissance. La coordination européenne ne doit pas oublier cette dimension essentielle pour continuer à être source de confiance, de croissance et d’espérance. Comme l’a écrit Bernanos : « L’espérance est un risque à courir. »

Monsieur le Premier ministre, ce beau risque de l’espérance, le groupe UMP est prêt tout entier à l’assumer à vos côtés et derrière le Président de la République. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, l’Europe est au bord du gouffre. Tous les responsables européens le reconnaissent et s’agitent depuis plusieurs mois sans le moindre résultat, si ce n’est la propagation de la crise.

Onze sommets ont été tenus en vingt mois, au terme desquels Nicolas Sarkozy s’est régulièrement félicité que l’Europe soit parvenue à une solution ambitieuse et durable, avant d’être démenti, chaque fois, par les marchés financiers.

Depuis l’explosion de la dette publique grecque, on a pu constater la contagion de la crise de la dette à l’ensemble de la zone euro. Elle s’est d’abord propagée aux pays dits périphériques et touche désormais le cœur de la zone euro : la France, l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas, la Belgique et maintenant l’Allemagne.

Le constat est sans appel. L’échec et la responsabilité du couple Sarkozy-Merkel sont patents.

Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, qui ont pris les rênes de la zone euro, ont échoué à résoudre la crise de la dette souveraine.

Toujours en retard sur les événements, négociant des compromis boiteux et refusant d’agir sur les raisons profondes de la crise, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont choisi de satisfaire les exigences des marchés financiers et de faire payer aux peuples cette énième crise du capitalisme.

L’ampleur des déficits et de la dette publique sert aujourd’hui de prétexte en France, comme dans tous les pays de l’Union européenne, à de nouvelles restrictions budgétaires et à de dangereuses mesures d’austérité.

Des plans d’austérité ont été mis en place partout en Europe. Après la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la France, la Grande-Bretagne et même l’Allemagne, que vous érigez en modèle et dont le taux de pauvreté est parmi les plus élevés d’Europe – 17 %, merci pour le modèle ! –, ont décrété une offensive contre les dépenses publiques et les droits sociaux en Europe : blocage des salaires, réduction du nombre des fonctionnaires, réformes des retraites, de l’assurance-maladie, mise en cause des politiques et prestations sociales, privatisations. Les méfaits de l’austérité sont pourtant connus et dénoncés par d’éminents économistes. L’austérité pénalise l’activité économique. Elle engendre le chômage et la récession.

Alors pourquoi faire de tels choix politiques ? Il n’y aurait pas d’autre alternative, nous dit-on. Pourtant, l’exemple du Japon prouve le contraire. Ce pays frappé de plein fouet par la crise économique et financière, à laquelle s’ajoutent des cataclysmes naturels, avec une dette publique record – plus de 200 % de son PIB –, n’est, pour le moment, pas concerné par la crise de la dette publique. Il emprunte à très faible taux – 1 % – et, au lieu d’adopter des mesures d’austérité, procède à une rallonge budgétaire pour relancer l’économie. Et la monnaie nipponne, au lieu de chuter, continue de grimper. Cet exemple montre que, contrairement à ce que l’on souhaite nous faire croire, la « crise de la dette » n’est pas un phénomène économique déconnecté, mais résulte directement des choix politiques des États. Il aurait suffi d’instaurer une pratique plus restrictive de la libre circulation des capitaux pour permettre aux États de soustraire leur dette à la spéculation, comme l’a fait le Japon.

Tant que les dirigeants refuseront d’admettre que ce sont les choix politiques inscrits dans les traités de Maastricht, de Lisbonne, que vous avez tous votés contre l’avis du peuple français et que les communistes ont rejeté, qui ont mis l’euro dans cette situation, nous ne sommes pas près de nous en sortir.

Comme le souligne Thomas Coutrot, économiste statisticien au ministère du travail, membre de l’Association des économistes atterrés et coprésident d’ATTAC, il est difficile de croire que les dirigeants qui ont imposé des mesures d’austérité ne se doutaient pas de leur impact récessif. S’ils s’acharnent à mener de tels politiques c’est « pour préserver quelque chose de plus important à leurs yeux que la stabilité économique et le bien-être des populations. Il s’agit de sauver à tout prix l’édifice institutionnel de la zone euro ». Cet édifice même qui est à l’origine de la crise que nous traversons.

Ce sont bien les caractéristiques, les fondements mêmes de la construction de la monnaie européenne qui sont en cause.

Monsieur le Premier ministre, la vérité, c’est que l’idéologie politique qui a conduit et accompagné la construction de la monnaie européenne depuis le traité de Maastricht – souvenez-vous, nous pensions la même chose à l’époque – a entendu renforcer le rôle des marchés financiers.

Les États ont entendu garantir la libre circulation des capitaux entre les États membres, tout en étendant le bénéfice aux capitaux venant d’États tiers. Ensuite, les États européens ont garanti la libre prestation des services financiers et le libre établissement des sociétés de crédit européennes, tout en étendant au secteur financier les règles relatives à la libre concurrence, que nous avons combattues.

Enfin, les États ont expressément exclu l’utilisation des banques centrales pour le financement de la dette. Ces choix conduisent à préférer et, dans plusieurs cas, à substituer une dette vis-à-vis des établissements de crédit étrangers à une dette vis-à-vis de la banque centrale nationale et vis-à-vis de ses propres citoyens.

Ensuite, l’interdiction de financer la dette par la monnaie, inscrite dans les traités, est directement en cause. La vérité, c’est que les traités interdisent à la Banque centrale européenne de financer le budget des États membres.

Tel qu’il est rédigé, le texte de l’article 123 tend à exclure toute forme de facilité financière accordée par la BCE aux États. Cependant, parce que le texte prévoit expressément l’interdiction de l’achat « direct » par la BCE des obligations émises par les États, le vent de la crise a conduit à interpréter ce texte comme permettant à la BCE d’acheter la dette sur le « marché secondaire ». En vertu de cette curieuse interprétation, la Banque centrale européenne prête aux banques privées à un taux proche de zéro. Les banques privées utilisent cet argent pour prêter aux États à un taux bien plus élevé. Puis la BCE rachète à ces banques privées les obligations étatiques assorties de cet intérêt. En pratique, le résultat est que la Banque centrale européenne finit par payer des intérêts aux banques privées, qui empruntent chez elle. Cherchez l’erreur !

M. André Chassaigne. Excellente démonstration !

M. Jean-Paul Lecoq. Ce système insensé est le résultat de choix inadaptés et de la nécessité de les contourner.

En réalité, l’achat indirect des obligations d’État vise à éviter l’interdiction de financer les États et de monétiser la dette. Ce système est tout aussi illégal, au regard des traités, que la « monétisation » de la dette des États. Si on avait prévu, dans les traités, que la BCE puisse intervenir et aider directement les États, nous n’en serions pas là.

Aujourd’hui, l’urgence exige de mettre fin à cette course au désastre et de construire des solutions alternatives fortes à l’échelle de l’Union européenne.

Malheureusement, les dirigeants européens, au premier rang desquels figure le couple franco-allemand, poursuivent inlassablement la même logique et persistent dans l’aggravation de la discipline budgétaire fixée par le pacte de stabilité.

Ils veulent modifier les traités européens pour y graver la règle d’or budgétaire et entendent renforcer le pacte de stabilité en instaurant, d’une part, un contrôle préventif, des technocrates européens, destiné à surveiller les projets de lois de finances des États, et, d’autre part, un contrôle a posteriori des juges de la Cour de justice européenne en cas de contestation des lois de finances votées par les États. Ces mesures touchent de plein fouet la souveraineté des peuples et sont contraires à la démocratie.

Nous le disons solennellement, toute révision des traités européens devra être ratifiée par référendum. Vous ne pouvez pas, vous ne devez pas museler le peuple. Notre histoire vous le commande.

Ne nous y trompons pas, cette Europe ne nous prémunira pas contre de nouvelles attaques des marchés financiers, mais, au contraire, renforce leur tutelle au prix de l’abandon de toutes les grandes avancées sociales du siècle précédent et du dessaisissement démocratique des citoyens et des peuples

Pour notre part, nous, députés communistes et du parti de gauche, avons proposé des solutions pour sortir de cette spirale. Nous réaffirmons la nécessité de refondre les institutions de la zone Euro et du système financier international, de prendre des mesures concrètes pour mettre fin aux fonds spéculatifs, aux fonds de capital investissement, aux paradis fiscaux et à l’évasion fiscale,…

M. Bernard Deflesselles. Paroles ! Paroles !

M. Jean-Paul Lecoq. Laissez-nous faire et vous verrez ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Deflesselles. On a déjà donné !

M. Jean-Paul Lecoq. …pour dompter le marché des produits dérivés en le soumettant à des régimes d’autorisation contraignants.

Nous jugeons également indispensable de démanteler les agences de notations, de remplacer le pacte de stabilité et de croissance devenu obsolète par un pacte de solidarité sociale pour l’emploi et la formation.

Enfin, il faut que l’Union s’attache tant à promouvoir la taxation des mouvements des capitaux spéculatifs qu’à redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne. Cette réforme de la BCE pourrait s’accompagner de la création d’un grand pôle financier public européen constitué en partenariat avec les grandes banques européennes préalablement nationalisées – fonds qui serait également abondé par une taxe sur les transactions financières et une taxe européenne sur les hauts revenus à hauteur de 5 %.

M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Paul Lecoq. L’action prioritaire de ce fonds pourrait être la restructuration, le rachat de la dette souveraine des pays en difficulté.

Il n’est que temps de tirer les leçons des cinglants démentis apportés, semaine après semaine, aux dogmes de l’idéologie néolibérale inscrite au cœur même des traités européens.

C’est cette voix que nous vous demandons de faire entendre au prochain Conseil européen, celle du peuple français qui, en se prononçant massivement par référendum en 2005, avait souhaité une transformation radicale de la construction européenne. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe GDR.)

M. le président. Pour le groupe du Nouveau Centre, la parole est à M. Stéphane Demilly.

M. Stéphane Demilly. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, à la veille d’un Conseil européen dont l’enjeu sera historique, à n’en pas douter, pour l’Europe et l’avenir de la zone euro, le débat que nous avons dans cet hémicycle prend un sens tout particulier.

Nous sommes peut-être à l’un de ces tournants que connut l’Europe dans son histoire, semblable à la création du système monétaire européen ou à la signature de l’Acte unique européen en 1986.

M. Jean-Pierre Brard. Et à la prise de Byzance !

M. Stéphane Demilly. Pour nous, centristes, profondément européens, fidèles à l’héritage de Robert Schuman et de Jean Monnet, fédéralistes de toujours, ce débat est l’occasion de préciser quelles perspectives nous voulons tracer pour l’avenir de l’Europe.

Recapitalisation des banques, abondement du Fonds européen de stabilité financière, amélioration de la gouvernance de la zone euro : les dirigeants européens ont démontré, à l’occasion du dernier sommet européen, leur indéfectible volonté de sauver la zone euro.

Et ils l’ont notamment fait sous l’impulsion de notre Président de la République, qui n’a pas hésité – permettez-moi d’employer une expression un peu cavalière – à « mouiller sa chemise » et nous devrions tous le reconnaître et nous en féliciter. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Pour autant, c’est la nature de l’Union européenne elle-même que la gravité de la situation actuelle nous oblige à reconsidérer.

Voulons-nous une Europe limitée à une vaste zone de libre-échange, ou voulons-nous une Europe politique, une Europe intégrée, une Europe où la solidarité entre les peuples soit le ciment commun ? Si nous voulons une Europe capable de voler de ses propres ailes, alors l’exemple d’Airbus est tout trouvé. Car c’est bien le savoir-faire spécifique, et en même temps collectif, de chaque pays membre qui a permis à notre avion européen de remporter le formidable succès que l’on connaît.

Tout d’abord, face à la tentation du repli national dans le contexte de crise que nous connaissons, face aux craintes qu’on entend ici ou là d’un abandon de la souveraineté budgétaire, je veux rappeler le rôle primordial qu’a joué l’euro.

L’euro, c’est, en quelque sorte, l’Europe dans la poche du citoyen. Seule réalisation véritablement fédérale de la construction européenne, la monnaie unique nous a protégés des dangers de l’inflation et a créé les conditions de la stabilité monétaire à l’intérieur du marché unique.

Il lui manque cependant encore de pouvoir s’appuyer sur un socle de minima sociaux et fiscaux communs aux pays de l’Union, afin d’éviter les effets dévastateurs de la concurrence intracommunautaire.

C’est un sujet qui doit être traité avec efficacité en se fixant des étapes intermédiaires de convergence, tout comme d’ailleurs les éventuelles intégrations supplémentaires de pays qui ne doivent pas se faire sans l’exigence de certaines avancées démocratiques.

Par ailleurs, nous n’avons cessé de l’affirmer au Nouveau Centre depuis le début de cette législature, dans le contexte de crise que nous connaissons tous, les États doivent plus que jamais prendre leurs responsabilités, c’est-à-dire appliquer des mesures de rigueur budgétaire.

Aussi, je tiens à saluer l’engagement, lors du précédent sommet européen des dix-sept chefs d’État de la zone euro, d’adopter une règle d’or budgétaire. Cette mesure va dans le sens d’une amélioration de la gouvernance de la zone euro, dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Cette règle d’or, certes tardive, relève de l’intérêt supérieur de la nation et de notre espace européen. Il est vraiment dommage que certains qui aspirent à gouverner n’aient pas su s’élever au-dessus de leurs petits calculs politiciens (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) pour appuyer cette légitime démarche et donner ainsi à l’Europe, mais aussi au monde entier, une belle image unie de notre pays.

Mais il faut aller plus loin. Les députés centristes l’affirment depuis longtemps : si nous voulons sauver l’euro, un fédéralisme économique et budgétaire s’impose, car une monnaie unique sans politique économique et financière fédérale est naturellement vouée à l’échec.

Au-delà d’une simple gouvernance, nous devons désormais mettre en place un véritable gouvernement économique européen. À ce titre, nous ne pouvons qu’encourager les gouvernements européens à faire la pédagogie de l’Europe auprès de leurs opinions publiques et à ne pas laisser le champ libre aux démagogues de tout poil…

M. Roland Muzeau. C’est vous qui fabriquez les démagogues !

M. Stéphane Demilly. …qui veulent faire de l’Europe le bouc émissaire de tous les problèmes.

Mes chers collègues, l’Europe est une très belle invention, dont nous, centristes, sommes très fiers de porter l’étendard, et les difficultés du moment doivent nous inviter à aller plus loin, plus haut et plus fort pour parfaire notre édifice commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Par exemple, le système de financement actuel de l’Union européenne semble avoir démontré ses limites.

À ce titre, afin de remédier aux dysfonctionnements des mécanismes budgétaires européens, la mise en place d’un fédéralisme budgétaire doit se traduire par l’affectation à l’Union de ressources propres, aboutissant à l’instauration d’une véritable fiscalité européenne, ne serait-ce, pour commencer, que par la taxation des produits financiers.

La mise en place d’un fédéralisme économique et budgétaire européen doit s’appuyer sur un traité fédéral de la zone euro, prévoyant notamment une redéfinition du rôle et des objectifs de la Banque centrale européenne ainsi que la création d’un fonds monétaire européen susceptible de contrer la contagion de la crise à tous les États de la zone euro.

Cette période difficile que nous vivons doit nous amener à clarifier le rôle central de défense de l’euro de la BCE, pour laquelle certaines ambiguïtés doivent, de toute évidence, être levées.

Ce traité devrait également définir les mécanismes de convergence fiscale et sociale entre les États membres, ainsi que je l’évoquais précédemment. À ce titre, nous regrettons que la création d’euro-obligations ne fasse pas l’objet d’un consensus au sein du couple franco-allemand.

La possibilité de « communautariser » une partie de la dette européenne par l’émission d’euro-obligations uniquement destinées à financer des investissements d’avenir serait un moyen efficace de répondre à la crise des dettes souveraines et de financer un ambitieux plan de relance européen.

M. Jean-Pierre Brard. Vous prêchez dans le désert !

M. Stéphane Demilly. Autre mesure qui devrait, selon nous, permettre d’instaurer un véritable gouvernement économique de la zone euro : la représentation unique de la zone euro dans les institutions monétaires et financières internationales. Toujours la question du numéro de téléphone de l’Europe dont parlait Kissinger…

M. Roland Muzeau. Goldman Sachs !

M. Stéphane Demilly. Tout en veillant à ne pas tomber dans une gouvernance purement punitive, il peut être également envisagé de substituer, ou de coupler, aux procédures de sanction financière pour déficits excessifs la mise en place de sanctions politiques et la suspension des droits de vote des États pris en flagrant délit de violation grave des principes de base de l’Union économique et monétaire.

Enfin, il faut réfléchir aux moyens d’améliorer le fonctionnement de toute l’Europe. Les mesures destinées à sauver la zone euro ne suffiront pas si elles ne sont pas accompagnées d’une remise en cause profonde de l’architecture des institutions européennes. La situation actuelle le démontre, l’absence de structures efficaces ne permet pas de créer une véritable impulsion européenne.

Nous sommes face à une Europe plus intergouvernementale que véritablement intégrée, où la somme des intérêts des États semble faire office d’intérêt général, au détriment de la Commission, plus que jamais en retrait dans les processus décisionnels.

La règle de l’unanimité intergouvernementale instaurée par le traité de Lisbonne semble paralyser l’action de l’Union européenne et devrait laisser place, pour plus de souplesse, à la généralisation du vote à la majorité qualifiée.

Aussi, afin de mettre en place une Europe véritablement politique, nous proposons de doter l’Union européenne d’une présidence unique, issue de la fusion des fonctions de président du Conseil européen et de président de la Commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Enfin, nous ne pourrons donner un nouveau souffle à l’Europe qu’en la refondant autour de nouvelles politiques et de nouvelles solidarités, à savoir une politique d’innovation et de recherche, mais également une véritable politique industrielle, indispensable à sa survie.

M. Roland Muzeau. C’est une révélation !

M. Stéphane Demilly. Car, si l’Europe doit promouvoir ses valeurs, elle doit aussi défendre ses intérêts pour continuer à peser sur la scène internationale.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour conclure, vous me permettrez de citer une grande figure du centrisme et de la cause européenne, mon ami Jean-Louis Bourlanges, qui tenait, lors d’un débat sur l’identité de l’Europe en janvier 2010, des propos plus que jamais d’actualité que je souhaite citer :

« L’Union européenne hésite entre deux modèles : les États-Unis d’Europe et… l’Union postale universelle.

« D’un côté, un acteur global, des frontières stables, d’importantes ressources institutionnelles, financières et militaires, une volonté de présence et d’influence.

« De l’autre, une simple organisation internationale, un territoire illimité, des moyens chichement mesurés, une raison sociale spécialisée, non certes dans l’acheminement du courrier, mais dans la diffusion des échanges et du droit à l’intérieur d’un cercle sans cesse élargi. »

Pour le Nouveau Centre, mes chers collègues, il n’y a pas d’hésitation et le choix est extrêmement clair, c’est celui des États-Unis d’Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue, au titre des députés non-inscrits.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà un patriote ! Un homme courageux, mais isolé !

M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est peu dire que l’accord franco-allemand de lundi, nous laisse, comme les précédents, dans une profonde insatisfaction.

D’abord, des engagements sans portée immédiate. Nous sommes devant une crise gravissime, et le plus désespérant est de voir qu’il y a, chez la plupart des observateurs, un fort consensus sur les mesures à engager – intervention de la Banque centrale européenne, fermeté budgétaire, euro-obligations –, mais que, faute de fermeté d’un côté et de lucidité de l’autre, on ne parvient pas à les mettre en oeuvre. Comme l’a rappelé il y a quelques jours François Bayrou, en d’autres temps, la France aurait affirmé sa position avec clarté et avec vigueur.

M. Jean-Paul Lecoq. Il a raison !

M. Daniel Garrigue. Et je note que, pour la partie allemande, l’ancien chancelier Helmut Schmidt a dit à peu près la même chose.

Ensuite, une superposition de règles qui ne remplaceront jamais, ce qui a fait le plus défaut jusqu’ici et dont nous avons le plus besoin aujourd’hui, à savoir la détermination politique.

Nous avions le pacte de stabilité. Vous ajoutez la règle d’or. Vous instituez des contrôles juridictionnels à étages : celui de la Cour de justice européenne sur la règle d’or elle-même, celui des juges constitutionnels nationaux sur le respect de celle-ci dans chacun des États. Prenons garde à ne pas glisser dans le byzantinisme !

Il y a un an, nous nous étions presque unanimement ralliés à la procédure du semestre européen. Ne convenait-il pas, pour soutenir efficacement le pacte de stabilité, de donner plus de fermeté à cette procédure et pour respecter la souveraineté budgétaire des nations, d’impliquer plus en amont les parlements nationaux et pour garantir le suivi, de leur assurer une représentation permanente auprès de la Commission et du Parlement européen ?

Les règles existent. Appliquons-les enfin et donnons-leur le supplément de démocratie qui leur manque.

Enfin, il y a la tentation répétée d’instrumentaliser le couple franco-allemand. Nous savons tous le rôle majeur du franco-allemand dans les moments difficiles de la construction européenne. Mais le franco-allemand exige un minimum de solennité, de vérité et de fermeté de la part de chacun des deux acteurs. On ne peut pas affirmer un jour que l’on veut des euro-obligations et clamer le lendemain qu’elles ne sont pas d’actualité.

M. Jean Mallot. Eh oui !

M. Daniel Garrigue. Il est important de ne pas donner à nos partenaires le sentiment qu’ils sont à l’écart et qu’il n’y a plus de place pour la méthode communautaire.

Nous sommes à un moment décisif pour l’Europe, et sans nul doute au-delà de l’Europe. Nous savons quels sont les instruments à mettre en œuvre. Il ne tient qu’à nous et à nos partenaires de nous donner la capacité de décider par nous-mêmes et non selon les calculs des agences américaines de notation. Ne laissons pas dériver la construction européenne. Retrouvons pour nous la capacité de parler avec clarté et détermination, et avec nos partenaires, la volonté de nous engager ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

2

Élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen

M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole au ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, je vous rappelle que nous allons procéder à l’élection par scrutin de liste, dans les salles voisines de la salle des séances, de deux représentants supplémentaires au Parlement européen.

Les listes de candidats ont été affichées et publiées et des bulletins imprimés sont à votre disposition.

Je rappelle que le scrutin est secret et qu’il ne peut y avoir de délégation de vote.

Je rappelle également que l’élection sera acquise au premier tour si le nombre de votants est supérieur à la moitié du nombre des membres de l’Assemblée nationale, soit 281 votants. Les sièges seront répartis à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne.

J’ouvre le scrutin qui est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Il sera clos à dix-sept heures trente.

3

Déclaration du Gouvernement
préalable au Conseil européen
et débat sur cette déclaration (suite)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je ne reviendrai pas sur ce qu’a excellemment dit le Premier ministre en vous présentant l’accord qui a été conclu hier entre la chancelière Merkel et le président Sarkozy. Je voudrais remercier Didier Quentin du soutien que le groupe UMP apporte à l’action du Gouvernement ainsi que d’avoir rappelé que nous sommes tous, depuis 1974, responsables de l’alourdissement de la dette française.

M. Marc Dolez. Surtout vous !

M. Jean Mallot. Dix ans !

M. Alain Juppé, ministre d’État. C’est une preuve de lucidité qui ne me surprend pas de sa part. Je le remercie également d’avoir bien voulu rappeler que l’initiative de ce débat revient au Président de l’Assemblée nationale.

Je ne tenterai pas de convaincre M. Lecoq que ma vision de l’Europe est meilleure que la sienne.

M. Jean-Paul Lecoq. Essayez tout de même ! (Sourires.)

M. Alain Juppé, ministre d’État. J’y renonce d’emblée. Vous rejetez Maastricht, vous rejetez Lisbonne.

M. Jean-Paul Lecoq. Comme le Premier ministre !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Vous suivez votre logique, que je respecte bien entendu.

Je voudrais seulement vous rendre attentifs au fait qu’un programme généralisé de nationalisation des banques européennes, alimenté par une taxe sur les transactions financières également européennes est un projet extrêmement ambitieux, dont je vois mal la faisabilité dans les décennies qui viennent.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est sûr, il faut du courage !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Quant à M. Demilly, qui a insisté sur la nécessité de construire une Europe plus intégrée, de construire les États-Unis d’Europe, je ne suis pas loin de partager son sentiment, avec une nuance cependant : je ne suis pas sûr que l’Europe intergouvernementale que nous essayons de construire ne soit pas une meilleure réponse qu’une Europe intégrée ou fédérale. Je lui fais observer que nous avons progressé dans la voie de l’extension de la majorité qualifiée au détriment de l’unanimité. C’est l’un des points de l’accord qui a été conclu hier.

M. Bernard Deflesselles. Bien sûr !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Dans le cadre du mécanisme européen de stabilité, les décisions se prendront à la majorité superqualifiée, ce qui facilitera cette prise de décision.

M. Alain Gest. Très bien !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je ne peux que rejoindre M. Demilly lorsqu’il parle de la nécessité de développer des politiques d’innovation, une politique industrielle et une nouvelle approche de la politique de concurrence de l’Union européenne. Ce sont des points sur lesquels nous travaillons activement.

J’ai bien écouté aussi M. Garrigue et sa profonde insatisfaction.

M. Jean Mallot. Il a raison !

M. Alain Juppé, ministre d’État. J’ai eu une petite surprise lorsque je l’ai entendu citer François Bayrou.

M. Jean-Pierre Brard. C’est vrai, c’était surprenant !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je me suis dit que de nouveaux axes politiques étaient en train de se constituer. (Sourires.) J’ai été surpris aussi lorsque je l’ai entendu faire l’éloge de la méthode communautaire plutôt que la méthode intergouvernementale. Il y a ainsi des évolutions qui sont intéressantes à noter. Je voudrais simplement lui rappeler que, dans le cadre du semestre européen, les parlements nationaux sont bien impliqués et que l’accord d’hier ne remet pas en cause la procédure du semestre européen.

Je m’attarderai un peu plus longtemps sur le propos de M. Ayrault. Il nous a indiqué que l’Europe serait au centre de la prochaine campagne électorale. Chiche !

Nous allons effectivement en faire l’un des axes forts de notre campagne car après vous avoir entendu, j’ai la conviction que nous avons beaucoup plus de choses à dire sur l’Europe que vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

J’ai été quelque peu déçu, je l’avoue, par votre discours. La véhémence ne saurait tenir lieu d’imagination. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.) C’était plutôt un discours de préau d’école qu’un discours adapté à la gravité de la crise actuelle. (Mêmes mouvements.)

J’ai été frappé par la grande misère de la pensée socialiste sur l’Europe. (Mêmes mouvements.) Vous nous dites en effet qu’il faut faire de la croissance la priorité absolue. Qui serait en désaccord sur ce point ? À l’appui de cette affirmation à laquelle tout le monde peut souscrire, vous apportez des idées aussi révolutionnaires qu’une politique de recherche, une politique de l’énergie, une politique de l’environnement, une idée un peu bateau, si je puis dire (« Le capitaine du pédalo ! » sur quelques bancs du groupe UMP), et dépourvue de tout mode opératoire comme de toute proposition concrète. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Lemasle. Nous avions dix minutes seulement !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Vous avez découvert, il faut le dire, une idée tout à fait intéressante et innovante : la taxe sur les transactions financières. Mais si cette taxe a la moindre chance de voir le jour – et je crois qu’elle a des chances de voir le jour –, à qui va-t-on le devoir, sinon au président Sarkozy, qui a obtenu au G20 de faire bouger les choses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Et qui a obtenu que la Commission européenne fasse des propositions extrêmement concrètes en ce sens ? (Mêmes mouvements.)

En vous écoutant, monsieur Ayrault, je me suis demandé si votre parti n’était pas resté un peu au siècle dernier ou même au siècle d’avant. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous nous parlez beaucoup de Bismarck, de la déflation des années 1930, de Munich, mais également de François Mitterrand.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous évoquez bien de Gaulle !

M. Alain Juppé, ministre d’État. C’est un peu daté ; il faudrait peut-être entrer dans le XXIe siècle. François Mitterrand, du reste, doit se retourner dans sa tombe en entendant certaines déclarations de vos amis, notamment sur Bismarck et Munich. Sans esprit polémique, je vous ferai remarquer que si le traité de Maastricht – que pour ma part j’ai voté –,…

M. Jean-Marc Ayrault et M. Daniel Vaillant. Pas M. Fillon !

M. Alain Juppé, ministre d’État. …avait été un peu mieux fagoté, nous n’en serions pas là où nous en sommes aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Car ce traité a prévu un certain nombre de critères à appliquer, mais aucune des méthodes permettant de respecter ces critères. C’est bien là où nous en sommes aujourd’hui.

Enfin, je voudrais vous dire qu’il y a parfois des incohérences difficiles à suivre. Comment M. François Hollande peut-il s’engager devant le SPD hier…

M. Jean-Marc Ayrault. Il l’a vu avant.

M. Alain Juppé, ministre d’État. …– il est vrai que c’était à Berlin – à 3 % de déficits dès 2013,…

M. Jean Auclair. En Corrèze !

M. Alain Juppé, ministre d’État. …0 % dès 2017, mais, à Paris, promettre 300 000 emplois aidés, 60 000 emplois d’enseignants, un contrat intergénérationnel qui coûte des milliards d’euros (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et, surtout, un retour à la retraite à soixante ans qu’aucun parti socialiste, nulle part en Europe, ne promet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Il y a une certaine incohérence dans ce double propos. (Mêmes mouvements.)

Enfin, et je terminerai par là, vous ne pouvez pas vous laisser emporter, monsieur Ayrault – puisque vous êtes un homme politique responsable (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP) – par la démagogie qui a consisté, au début de votre propos, à expliquer que c’était Mme Merkel qui avait tout gagné hier. C’est totalement faux !

Je ne rentrerai pas dans ce débat du « qui perd gagne », qui est un peu puéril, mais je pourrais vous expliquer que Mme Merkel, radicalement hostile il y a deux ans au gouvernement économique, nous demande aujourd’hui de réunir le conseil des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro tous les mois. Voilà une idée française qui a progressé.

Je pourrais aussi vous expliquer qu’en matière de règle d’or, autre idée française, nous ne voulions pas que la Cour de justice européenne puisse annuler les budgets nationaux. Nous n’avons pas accepté et nous avons gagné.

M. Jean-Marc Ayrault. Si, vous avez accepté !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je pourrais encore vous expliquer que la suppression de ce qu’on appelle, d’un mot un petit peu barbare, l’investissement du secteur privé dans la solution de la dette, la France n’en voulait pas, et que nous avons eu gain de cause.

M. Jean-Marc Ayrault. Qui a téléphoné au président chinois ?

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je pourrais vous démontrer point par point que, dans ce débat, il y a eu des idées françaises – j’ai évoqué plus haut le mécanisme de stabilité – comme il y a eu des idées allemandes. Nous nous sommes ensuite rapprochés et cela a abouti à un « mariage de raison », comme le souligne le journal Libération, dont la une, pour une fois, me convient bien. Et vous savez, monsieur Ayrault, les mariages de raison sont parfois plus solides que les mariages de passion. Chacun en conviendra ici.

M. Jacques Myard. Allons, allons !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Ce procès qui nous a été fait d’accepter le diktat allemand est injuste et surtout – j’appelle votre attention sur ce point – c’est un procès dangereux. À force de dénoncer l’hégémonie allemande,…

M. Jean-Marc Ayrault. Je n’ai jamais employé un tel terme !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Pas vous, mais beaucoup de vos amis, et c’est dans la logique de votre présentation des choses. Lorsque l’on dit que la France s’est couchée devant l’Allemagne, on alimente cette résurgence de la germanophobie, qui est un poison dans les relations franco-allemandes aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Je peux vous le dire en connaissance de cause : j’étais hier à Bonn et j’ai bien vu l’émotion que de telles réactions suscitaient en Allemagne.

De grâce, élevons-nous un peu au-dessus des préoccupations partisanes. Devant un accord comme celui d’hier, que je ne le qualifierai pas d’historique car le mot est galvaudé mais qui est un accord extrêmement important qui va nous permettre de sauver la zone euro, faisons preuve d’un peu d’esprit de consensus et d’union nationale plutôt que d’esprit critique systématique. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Projet de loi de finances rectificative pour 2011

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 2011 (nos 3952, 4066).

Explications de vote

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, devant la difficulté à prévoir la situation économique en 2012, il faut s’adapter, et nous ne pouvons qu’admettre l’urgence et la nécessité de ce collectif. Si ce dernier a été examiné, cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises au cours des débats, dans des conditions difficiles, soulignons plutôt la réactivité du Gouvernement et l’esprit de responsabilité qui anime tous les députés de la majorité : ils nous ont permis d’améliorer ce texte.

Mme Catherine Vautrin. Très bien !

M. Charles de Courson. Cependant, la poursuite du ralentissement économique peut se traduire par une perte de 0,1 à 0,2 point de PIB en 2011, et plutôt de 0,5 à 0,7 point en 2012, ce qui nécessitera de nouveaux ajustements, de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros, dès l’année prochaine.

M. Christian Eckert. Et voilà !

M. Charles de Courson. Face au ralentissement économique que connaît toute l’Europe, ce projet de loi de finances rectificative vise à respecter l’objectif pour 2011 d’un déficit du budget de l’État de 95 milliards d’euros et à mettre en œuvre pour 2012 des mesures budgétaires qui permettront de maintenir ce déficit à 82 milliards.

Nous, centristes, ne pouvons que partager ce double objectif : la direction est la bonne, même si nous aurions dû la suivre plus tôt et plus vite.

Le groupe Nouveau Centre a connu, au cours de la discussion de ce texte, quelques satisfactions et quelques déceptions.

Au chapitre des satisfactions, je tiens à féliciter le Gouvernement pour l’esprit de consensus et d’ouverture qu’il a montré dans cet hémicycle au moment du vote de l’article 7 de ce projet de loi. La transformation du Fonds d’amortissement des charges d’électrification en compte d’affectation spéciale n’était pas notre choix initial, notre préférence allant plutôt à un établissement public ; mais un accord a été trouvé à la fois sur la fourchette de taux et sur le rapport du simple au quintuple entre taux rural et taux urbain, gage de maintien d’une vraie péréquation au sein de notre pays. Nous avons également trouvé un accord sur la surveillance du bon fonctionnement du Fonds d’amortissement des charges d’électrification, dont l’importance pour l’aménagement rural a été largement démontrée et défendue dans cet hémicycle.

Malgré les réserves que nous avions exprimées concernant la création d’un second taux réduit de TVA – quand il aurait fallu, selon nous, créer un véritable taux intermédiaire entre 5,5 et 19,6 %, de l’ordre de 11 à 12 % – je veux réaffirmer la position du Nouveau Centre sur l’exclusion des cantines scolaires de l’augmentation du taux réduit de 5,5 à 7 %. Je me félicite que cet amendement ait été adopté à la quasi-unanimité, tout en regrettant que sa logique n’ait pas été étendue aux transports scolaires. Si j’ai bien entendu l’argument du Gouvernement pour justifier ce refus, il faut souligner que le vote de cet amendement – au coût peu important, estimé à quelque 15 millions par le Gouvernement lui-même – aurait évité une trop grande distorsion de coûts entre la gestion en régie et la gestion déléguée ; de plus, ces coûts seront, rappelons-le, imputables entièrement aux départements les plus ruraux.

Enfin, le groupe Nouveau Centre approuve le compromis trouvé vendredi sur la taxation des retraites chapeau. Sans aller aussi loin que le texte initialement présenté par M. le rapporteur général, l’amendement adopté a non seulement démontré que certains comportements ne sont plus admis, mais aussi permis d’entamer une réflexion plus profonde. À l’heure où nous voulons tous, mes chers collègues, rendre plus juste l’équilibre entre la taxation des revenus du travail et celle des revenus du patrimoine, nous nous devions de refuser l’impunité pour toutes ces formes de revenus qui n’ont pas le moindre rapport avec la réalité du travail effectué.

Nous aurions pu aller plus loin concernant les revenus excessifs de certains dirigeants sociaux d’entreprises, en imposant par exemple que le montant de leurs revenus soit décidé par l’assemblée générale des actionnaires, selon le – récent – modèle britannique, et non pas par une sous-commission du conseil d’administration, instance au sein de laquelle, on le sait bien, la consanguinité est grande. Mais l’existence d’un problème est aujourd’hui reconnue : nous n’avons qu’amorcé son règlement, mais c’est déjà une avancée qu’il convient de souligner.

Enfin, je regretterai que n’ait pas été adopté l’amendement visant à la disparition des sacs pour fruits et légumes en matière plastique non biodégradables, alors même qu’il avait été très largement approuvé en commission. Il en est de même pour la fiscalité de l’alcool non dénaturé distribué dans les officines. Mais soyez rassurés, nous nous emparerons à nouveau de ces sujets lors de la deuxième lecture : je présenterai à nouveau ces amendements, et je ne doute pas que le Gouvernement nous donnera son accord !

Conscients que nos concitoyens et nos partenaires européens attendent de nous une politique budgétaire visant à un redressement rapide de nos comptes publics, le groupe Nouveau Centre votera ce collectif budgétaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. Pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. Ce vote intervient dans des conditions bien particulières : chacun sait que, depuis hier, l’agence de notation Standard and Poor’s a mis sous surveillance négative l’ensemble des pays de la zone euro qui bénéficient d’une notation triple A.

Si je fais le lien entre cette perspective et le vote du projet de loi de finances rectificative,…

M. Christian Eckert. Allons bon, ça va encore être notre faute !

M. Jérôme Chartier. …c’est tout simplement parce que, si le Gouvernement a présenté ce collectif, c’est pour tenir la trajectoire que nous nous sommes fixée de réduction du déficit budgétaire à 4,5 % du PIB pour 2012 et à 3 % pour 2013, et cela malgré des conditions économiques mondiales qui doivent plutôt inspirer une grande prudence en matière de prévision de croissance.

M. Patrick Lemasle. Vous ne la tenez pas, cette trajectoire !

M. Jérôme Chartier. C’est la raison pour laquelle nous avons, dans ce projet de loi de finances rectificative, fixé la croissance à 1 % et pris les mesures nécessaires pour tenir la trajectoire de réduction du déficit public, tout en continuant de financer les politiques publiques.

Nous avons également prévu, dans le projet de loi de finances pour 2012, une réserve de précaution de 6 milliards d’euros. Ainsi, si la croissance venait à se dégrader et à tomber en dessous de nos prévisions, nous pourrions respecter notre objectif de réduction du déficit budgétaire à 4,5 %. Il est cette année à 5,7 % ; nous prévoyons qu’il sera à 3 % en 2013, pour atteindre zéro en 2016.

Vous le voyez, chers collègues, devant le refus réitéré de l’opposition de voter la règle d’or alors que nous lui avions tendu la main au mois de juin dernier, dans le cadre de notre réflexion sur la nécessité d’une stratégie d’union nationale pour défendre le financement de nos politiques publiques, la majorité UMP a adopté sa propre règle d’or : nous avons fixé la trajectoire de réduction du déficit public, avec un aboutissement en 2016, et nous nous donnons chaque année les moyens de la respecter. Ce projet de loi de finances rectificative en est la parfaite illustration.

M. Hollande nous a dit que l’an prochain, s’il était – malheureusement pour tous les Français et malheureusement pour la France (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) – élu Président de la République française, il prévoyait un niveau de déficit public de 3 % en 2012.

M. Patrick Lemasle. Quel est le rapport avec le collectif budgétaire ?

M. Jérôme Chartier. Nous en prévoyons 4,5 % et si, d’aventure, il venait aux responsabilités, ce serait forcément avec une majorité, donc pas avant la fin du mois de juin.

Alors, je pose cette simple question : comment M. Hollande parviendrait-il à ramener le déficit de 4,5 % à 3 %, alors que 60 % des crédits budgétaires seraient engagés et que l’ensemble des moyens au titre de l’impôt ne pourraient pas être levés à ce moment-là ?

Eh bien, je vais vous donner la réponse : pour atteindre cet objectif, le seul moyen pour lui serait d’agir sur la TVA, ce qui signifie ni plus ni moins que l’augmenter de 3 %.

Voilà le type même des solutions proposées par l’opposition. Elles ne sont ni crédibles, ni réalistes. Elles illustrent bien sa démarche : soit la critique systématique, soit l’incantation oratoire, mais jamais de solution concrète ni précise, bref, jamais de solution sérieuse.

Voilà pourquoi le groupe UMP votera en confiance ce projet de loi de finances rectificative, pour tenir cette trajectoire raisonnable, sérieuse, de réduction du déficit budgétaire, tout en continuant de regretter l’opposition systématique du parti socialiste à la règle d’or, alors même que M. Hollande s’est rendu à Madrid, où elle a été votée, et à Berlin, où elle l’a également été. Pire, le parti socialiste continue sa stratégie d’augmentation des dépenses. J’en veux pour preuve qu’hier, au Sénat, les socialistes sont revenus sur la journée de carence maladie des fonctionnaires, pourtant votée par la majorité. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Une telle attitude augure bien mal de la trajectoire des finances publiques si d’aventure M. Hollande était élu Président de la République, ce que je ne souhaite pas. Ce ne serait responsable ni pour la France, ni pour les Français, ni pour l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Pour le groupe SRC, la parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, permettez-moi tout d’abord de vous rappeler les conditions épouvantables dans lesquelles ce texte a été examiné. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Pourquoi avoir présenté ce projet de loi de finances rectificative ? Tout simplement parce le projet de loi de finances initiale avait été établi sur la base d’une prévision de croissance de 1,75 %. Or force est de constater que cette prévision ne sera pas atteinte, comme nous vous l’avions dit et redit.

M. Jean-Pierre Dufau. Eh oui !

M. Christian Eckert. Vous inscrivez maintenant une prévision de 1 % que vous savez vous-même ne pas pouvoir tenir.

Monsieur Chartier, vous avez raison de rappeler les prévisions des agences de notation. Ce n’est pas seulement la dette qu’elles jugent, mais surtout le fait que la récession est mise en place dans nos pays d’Europe à cause des plans de rigueur successifs. Nous en sommes au deuxième plan de rigueur, et chacun sait bien qu’il y en aura un troisième, malgré votre réserve de précaution, ce qui nous fait rire. Le rapporteur général lui-même rappelait que généralement, dès les premiers mois d’exercice, les trois quarts des réserves de précaution étaient débloqués, pour les raisons que vous savez.

Venons-en au contenu. Commençons, chers collègues de la majorité, par ce que vous avez refusé.

Vous avez refusé la taxation des transactions financières que nous avons proposée par amendement.

Vous avez refusé la taxation des revenus variables extravagants que nous vous avons proposée.

Vous avez refusé la suppression de la fameuse niche Copé, Mme la ministre du budget ayant même déclaré que cette niche n’existait pas. Quelle amnésie, quelle ironie !

Vous avez refusé la détaxation des heures supplémentaires, qui coûte plus de 3 milliards d’euros par an à notre budget.

Par contre, et les Français doivent le savoir, vous avez gelé le barème de l’impôt sur le revenu. Cela veut dire que les Français vont payer plus d’impôt et qu’une partie de ceux qui n’en paient pas aujourd’hui va commencer à en payer.

Vous avez également bloqué la revalorisation des allocations, en particulier sur le logement.

Surtout, vous avez augmenté la TVA.

Monsieur Chartier, plutôt que de prétendre que M. Hollande pourrait, peut-être, augmenter la TVA de 3 %, vous feriez mieux de rappeler que votre majorité vient de l’augmenter de 1,5 % ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et vous ne l’avez pas augmentée sur n’importe quoi : sur les transports publics, sur les tarifs de l’eau, sur ceux de l’assainissement, sur le livre, sur les cantines d’entreprise, sur la collecte des ordures ménagères. Vous pouvez toujours ironiser sur ce qui pourrait arriver l’an prochain, mais c’est aujourd’hui, dans quelques minutes, que vous allez voter l’augmentation de la TVA pour tous les Français, mais pas sur le homard, certes, qui est toujours à vos yeux un produit de première nécessité.

À elles seules, ces deux mesures représentent 3,5 milliards d’euros. C’est le double de l’allégement de l’ISF que vous avez décidé il y a quelques mois.

M. Jean-Michel Ferrand. Bla-bla-bla !

M. Christian Eckert. Mes chers collègues, nous sommes prêts et les Français sont prêts à faire des efforts, mais des efforts partagés. Ceux que vous proposez dans ce projet de loi de finances rectificative ne le sont pas. Vous l’aurez compris, nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, restons calmes. Écoutons les orateurs dans un climat de respect mutuel. Ceux-ci s’expriment avec modération, comme d’habitude.

Pour le groupe GDR, la parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Ce projet de loi de finances rectificative vient après beaucoup d’autres et montre l’inconséquence de la politique fiscale et budgétaire du Gouvernement. À peine le projet de budget pour 2012 adopté, voilà que survient un nouveau correctif, imposé par des prévisions de croissance revues à la baisse.

Et alors que nous sommes appelés à voter cette nouvelle mouture, une potion bien amère, concoctée à partir d’une prévision de croissance de 1 %, voilà que les organismes spécialisés – et je ne parle même pas des agences de notation – nous annoncent une croissance inférieure de moitié à celle que vous avez retenue dans cette loi de finances rectificative.

Le texte que nous sommes donc appelés à adopter aujourd’hui est donc déjà, comme le projet de budget pour 2012, caduc. Il l’est du fait de la conjoncture, mais aussi du fait des obligations que le Président de la République et la Chancelière allemande négocient en ce moment même dans la plus grande opacité. Car le texte que vous nous présentez ne satisferait même pas aux obligations que le duo infernal de la politique européenne s’apprête à imposer aux autres États membres de l’Union.

Je le disais en préambule : le citoyen ne comprend plus rien à votre stratégie budgétaire et fiscale, ou plutôt il comprend de plus en plus clairement que c’est aux classes moyennes que vous allez présenter la facture de votre politique.

Contre toute évidence, vous refusez de reconnaître que l’essentiel de vos mesures prises en 2007 nous ont conduits à l’échec. Pressés par la dure réalité des faits, vous avez successivement dû raboter un certain nombre de dogmes : celui du bouclier fiscal, celui des heures supplémentaires défiscalisées, et même celui, plus récent, de la TVA à 5,5 % sur la restauration. Mais comme vous ne voulez pas perdre la face, et parce que les dogmes ont la vie dure, vous êtes revenus à demi sur ces erreurs fondatrices du quinquennat présidentiel.

Et comme vos mesures de 2007 ont conduit à un creusement sans précédent de notre dette publique, vos demi-mesures de 2011 vous contraignent à des exercices de haute voltige budgétaire, qui se traduisent par la multiplication des lois de finances, lesquelles n’empêchent pas une absence de résultats.

Par exemple, l’exonération des cotisations sur les heures supplémentaires n’a pas été supprimée. Le chômage en pâtit directement. Je suis d’ailleurs frappé de constater – et il suffira à chacune et à chacun de se référer aux comptes rendus de nos débats pour le vérifier – à quel point cette question de l’emploi a été totalement absente de nos débats, à quel point vous vous êtes résolus à voir la courbe du chômage s’envoler, sans rien y faire. Une politique fiscale qui n’a pas pour but principal d’accompagner l’emploi en ces temps de crise sociale aiguë, c’est une politique fiscale criminelle.

Vous aviez l’occasion, avec ce projet de loi de finances rectificative, de vous inspirer de l’exemple allemand, que vous aimez citer, en favorisant, par exemple, une bonne indemnisation du recours au chômage partiel. Or vous vous êtes entêtés dans la défiscalisation des heures supplémentaires. Le résultat est là, dramatique : un million de chômeurs supplémentaires depuis 2007.

Le Président de la République continue à prétendre « ne pas avoir été élu pour augmenter les impôts ». Mais pendant ce temps, séance de l’Assemblée après séance de l’Assemblée, la majorité UMP se charge en quelque sorte du sale boulot. En ne procédant pas à l’indexation sur l’inflation des barèmes de l’impôt sur le revenu, comme cela se fait chaque année, vous procédez, de fait, à une augmentation générale de cet impôt, au moins pour celles et ceux qui le paient, c’est-à-dire les classes moyennes.

En juillet dernier, en échange de la suppression du bouclier fiscal, d’ailleurs étalée sur plusieurs années, vous avez profondément modifié le mode de calcul de l’impôt de solidarité sur la fortune – en fait, vous l’avez supprimé pour moitié.

M. Jean-Michel Ferrand. Tout cela, c’est du bla-bla ! Vous ne croyez pas ce que vous dites !

M. François de Rugy. Nous vous avions mis en garde contre le coût généré pour le budget de l’État : 1,8 milliard. C’est exactement la recette que vous espérez aujourd’hui avec la hausse du taux réduit de TVA.

Vous pourrez triturer les chiffres comme vous le voudrez, pour les Français la vérité est là : la hausse de 27 % du taux de TVA que votre majorité s’apprête à adopter aujourd’hui – car passer de 5,5 % à 7 % représente bien une hausse de 27 % – ne vient rien faire d’autre que financer la baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune accordée cet été à des contribuables dont le niveau de patrimoine est en moyenne, tenez-vous bien, huit fois supérieur à celui de la moyenne des Français.

M. le président. Merci de conclure, monsieur de Rugy.

M. François de Rugy. Je conclus, monsieur le président.

Vous prétendez que ces textes successifs sont la conséquence de la crise. Mais la crise, elle vient aussi de votre inconséquence. En 2007, le Président de la République déclarait…

M. le président. Merci d’indiquer le sens du vote de votre groupe, monsieur de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, je m’apprêtais à citer le Président de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’espère tout de même que vous m’y autorisez, monsieur le président. Il disait : « Une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir ».

M. le président. L’Assemblée a compris que votre groupe ne votera pas ce texte.

M. François de Rugy. On ne saurait relire ces propos aujourd’hui avec un autre regard…

M. le président. Merci, monsieur de Rugy. (Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi. (Protestations sur les mêmes bancs.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Nous ne sommes pas prêts !

M. le président. Qu’y a-t-il, monsieur Mamère ?

M. Noël Mamère. Il y a que nous ne sommes pas contents !

M. le président. Chacun doit respecter son temps de parole.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 507

Nombre de suffrages exprimés 505

Majorité absolue 253

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Que ceux qui viennent de protester constatent qu’ils sont aussi les premiers à quitter l’hémicycle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

5

Responsabilité civile et pénale du Président de la République

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle établissant la responsabilité civile et pénale du Président de la République pour les actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci, et supprimant la Cour de justice de la République (n° 3817).

Jeudi dernier, le Gouvernement a demandé à l’Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles et sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe GDR.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, vous nous aviez habitués à plus de modération. Nous sommes un peu étonnés de voir avec quel empressement vous interrompez l’un des orateurs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine…

M. le président. Monsieur Mamère, seule la présidence contrôle le respect par chacun de son temps de parole. M. de Rugy avait dépassé le sien de trente secondes.

Veuillez poursuivre.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, nous ne sommes pas dans une classe de CM2, nous sommes à l’Assemblée nationale ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez interrompu l’orateur au moment même où il allait citer les propos du Président de la République. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP.)

C’est donc du Président de la République et de son statut qu’il s’agit dans la proposition de loi que nous avons eu l’honneur de défendre la semaine dernière devant un hémicycle quasiment vide, ce qui est d’ailleurs l’un des effets de la réforme en trompe-l’œil que le Président de la République et sa majorité ont voulue. Elle visait, paraît-il, à donner plus de pouvoir au Parlement, mais les propositions de loi de l’opposition ne peuvent pas être réellement discutées puisque vous proposez à chaque fois un vote bloqué, en vertu de l’article 96 de notre règlement.

Avec la proposition de loi sur laquelle vous allez vous prononcer dans un instant – et avec celle relative à la transparence de la vie publique et à la prévention des conflits d’intérêts, dont François de Rugy a été rapporteur et qui sera mise aux voix demain –, les écologistes que nous sommes veulent donner une concrétisation à ce que nous appelons la République exemplaire.

Nous nous référons d’ailleurs en cela au discours du Président de la République à Épinal, en 2007, quand il parlait de la République irréprochable et de la responsabilité du Président de la République.

En effet, depuis un certain nombre d’années, en particulier depuis l’épisode Roland Dumas et Jacques Chirac, épisode assez scandaleux pour notre démocratie où le président du Conseil constitutionnel a accordé l’impunité la plus totale au Président de la République, nous considérons que le Président, dans une grande démocratie, ne peut pas bénéficier de l’injusticiabilité, qui vaut en fait impunité car elle lui permet de ne pas avoir à répondre de faits commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachable de sa fonction.

M. Alain Gest. Noël Mamère ne sera jamais Président de la République !

M. Noël Mamère. La majorité est en train de tordre le coup à un principe édicté dès 1789, selon lequel tous les citoyens sont égaux devant la loi, puisque le Président de la République, pour des faits antérieurs à sa prise de fonction ou détachables de sa fonction, ne peut pas être un justiciable comme les autres.

Dans notre proposition de loi sur laquelle vous allez être appelés à voter, mes chers collègues, il n’est pas question de remettre en cause l’inviolabilité du Président de la République pour des actes liés à sa fonction puisque, bien évidemment, nous croyons non seulement à la continuité républicaine mais aussi à la nécessité d’assurer la protection du premier des Français, le plus haut magistrat de ce pays. Je rappelle que notre pays avait une doctrine en la matière, qui datait de la IIIe République, selon laquelle le Président de la République était responsable. Cette doctrine a été illustrée, en 1974, par une décision qui a valeur de jurisprudence : le premier candidat écologiste, René Dumont, avait attaqué le Président de la République récemment élu, Valéry Giscard d’Estaing, pour avoir enfreint les lois relatives à l’affichage politique. La justice s’était estimée compétente pour juger de cette affaire. Certes, le Président avait été relaxé, mais une décision avait été rendue : cela voulait donc dire que, dans notre droit, il devait pouvoir aller devant la justice pour s’expliquer de faits commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de sa fonction.

Mais cette doctrine a été battue en brèche dès les années 90, et nous proposons d’y revenir avec la réforme de l’article 67. En effet, nous considérons que la commission Avril, du nom du juriste qui l’a présidée, n’a fait que contribuer à renforcer encore un peu plus l’impunité, ou l’inviolabilité, ou l’injusticiabilité du Président de la République. La réforme de 2007 n’a pas abouti puisque l’article 68 n’a toujours pas donné lieu à une loi organique. Certes, notre commission des lois a été saisie d’un projet de loi, dont notre collègue Philippe Houillon a été désigné rapporteur, mais ce texte arrive au terme de la mandature : il y a donc fort à parier qu’il ne sera pas inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée. Une fois de plus, il s’est agi, à travers cette réforme, d’une opération de communication, d’un effet d’annonce visant à faire croire que l’on donnait plus de pouvoir à notre Parlement et que le Président de la République pouvait être contrôlé comme tous les autres citoyens.

M. le président. Monsieur Mamère, je vous remercie de conclure.

M. Noël Mamère. Décidément, monsieur le président, vous êtes pris d’une certaine fièvre cet après-midi (Protestations sur les bancs du groupe UMP), qui vous incline…

M. le président. Bien. Merci, monsieur Mamère. Nous avons compris le sens du vote de votre groupe.

La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, chers collègues, en proposant de modifier le dispositif constitutionnel existant en matière de responsabilité pénale et civile du Président de la République, nos collègues du groupe GDR ont ouvert le débat sur des questions qui touchent aux fondements mêmes de notre démocratie.

La révision constitutionnelle de 2007, étape importante de la précédente législature, aura permis de mettre un terme au flou juridique et constitutionnel qui entourait le statut du chef de l’État. Objet de positions divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, la question du régime pénal applicable aux infractions commises par le Président de la République méritait en effet d’être clarifiée.

En l’état actuel du droit, le Président de la République est irresponsable civilement et pénalement pour des faits liés à sa fonction. Mais une procédure de destitution permet de mettre en cause sa responsabilité politique en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Enfin, et c’est cette disposition que la présente proposition de loi nous propose de modifier, l’inviolabilité du Président de la République le protège, pendant la durée de son mandat, des poursuites judiciaires, de tout acte d’enquête et de toute mesure privative ou restrictive de liberté.

Cette proposition de loi propose de mettre un terme au principe de l’inviolabilité temporaire du Président de la République pour les actes détachables de sa fonction. Ainsi, le chef de l’État serait susceptible d’être poursuivi pendant la durée de son mandat devant les juridictions civiles et pénales de droit commun pour des actes antérieurs ou extérieurs à sa fonction et détachables de celle-ci.

Or, loin de permettre l’impunité du Président de la République, son inviolabilité temporaire repose sur deux principes fondamentaux que sont la séparation des pouvoirs et la continuité de l’État. Clé de voûte de nos institutions, le Président de la République représente la nation et doit, à ce titre, bénéficier des immunités qui s’attachent à cette qualité. Ces immunités ont pour fonction de permettre au chef de l’État d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Aucun État, dans les grandes démocraties, ne fait exception au principe de protection de la fonction présidentielle.

En conséquence, bien qu’elle ne mette pas en cause l’irresponsabilité du Président de la République à raison des actes accomplis dans le cadre de son mandat, cette proposition de loi modifierait considérablement notre système et risquerait, à terme, de déstabiliser ce qui constitue le fondement même de notre démocratie.

Pour autant, notre constitution ne fait pas du chef de l’État un citoyen intouchable car les actes détachables de sa fonction ou commis antérieurement à son mandat peuvent être poursuivis une fois celui-ci achevé.

Est-il nécessaire, mes chers collègues, de rappeler que c’est bien le Président de la République actuel qui, conformément à son engagement sur la transparence du budget de l’État, a décidé de soumettre les comptes de la Présidence au contrôle de la Cour des comptes ?

Enfin, une autre mesure phare de cette proposition de loi consisterait à faire de chaque ministre un justiciable ordinaire en supprimant la Cour de justice de la République. Or en confiant ce contentieux à une juridiction spécifique, le constituant a souhaité éviter que des recours infondés ne viennent paralyser l’action du Gouvernement.

Comment peut-on imaginer un Président de la République en exercice devant une juridiction pénale ou civile ?

Ainsi, parce que les dispositions de cette proposition de loi risqueraient de déstabiliser un système qui, à ce jour, garantit l’équilibre et le bon fonctionnement de nos institutions, le groupe Nouveau Centre ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour le groupe UMP.

M. Philippe Houillon. Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte proposé par le groupe GDR, qui ne tend à rien de moins qu’à supprimer la Cour de justice de la République et l’inviolabilité dont bénéficie le Président de la République pendant son mandat. Je le dis immédiatement : ce texte ne peut recueillir notre accord et nous ne le voterons pas.

La réforme constitutionnelle de 2007 a retenu un dispositif équilibré, conforme à celui de la quasi-totalité des pays démocratiques ; nous en avons débattu et nous avons modifié les articles 67 et 68 de la Constitution. L’article 67 consacre le principe de l’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité. Cette irresponsabilité est définitive mais limitée dans son champ. Le même article établit, en outre, un régime d’inviolabilité absolue, mais temporaire, du chef de l’État. Quant à l’article 68, il permet à la Haute Cour de destituer le Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Cette double protection est conforme à l’esprit de notre constitution aux termes de laquelle le Président de la République est la clé de voûte de notre système institutionnel. L’importance de ses fonctions justifie qu’il puisse exercer le mandat dont il est investi en toute indépendance, à l’abri de toute pression qui l’empêcherait de mener à bien sa mission. Il ne peut être considéré comme un justiciable comme les autres.

En fait, la seule innovation véritable de la proposition de loi se situe dans le régime de l’inviolabilité du Président de la République, à laquelle elle souhaite mettre fin en permettant la poursuite du chef de l’État pour les actes commis antérieurement à l’exercice de ses fonctions ou qui n’ont aucun lien avec celles-ci et en sont détachables, ainsi que son arrestation et son incarcération après autorisation de l’Assemblée nationale. Cela pose nombre de problèmes, notamment du fait de la séparation des pouvoirs. Et puis, la réponse existe déjà : si le chef de l’État a commis un acte d’une gravité telle qu’elle pourrait conduire à son incarcération, c’est la procédure de l’article 68 qui serait utilisée pour mettre fin à son mandat. Des réponses existent donc déjà, dans les textes que nous avons adoptés récemment et encore dans celui que la commission des lois a voté il y a une dizaine de jours à peine.

Quant à la suppression de la Cour de justice de la République, notre collègue Noël Mamère nous a expliqué en commission que rien ne justifie que les membres du Gouvernement bénéficient d’un privilège de juridiction leur permettant d’être jugés par des magistrats et des parlementaires pour des infractions de droit commun commises dans l’exercice de leurs fonctions. Mais, malgré tout, il maintient un système dérogatoire de filtre qui, au bout du compte, ressemble à s’y méprendre à la commission des requêtes de la Cour de justice de la République. C’est bonnet blanc et blanc bonnet.

Voilà pourquoi nous ne soutiendrons pas un texte qui, en l’état, ne présente strictement aucune utilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour le groupe SRC.

M. Jean-Jacques Urvoas. La proposition de loi défendue par Noël Mamère pose une question assez simple : le Président de la République n’est pas un citoyen ordinaire ; doit-il être un justiciable ordinaire ?

Dans la plupart des régimes démocratiques, la réponse va de soi. Si les chefs d’État bénéficient d’une irresponsabilité politique, ils sont, pour les actes commis en dehors de leur fonction, soumis aux juridictions de droit commun moyennant une procédure de filtrage. C’est le cas en Allemagne, où le Président peut être traduit devant les tribunaux ordinaires selon le même mécanisme que les parlementaires – ce sont les articles 46 et 60 de la Loi fondamentale. C’est le cas aussi en Autriche, où le Président est élu comme en France au suffrage universel. Après accord du Parlement, les poursuites sont permises devant les tribunaux de droit commun. Aux États-Unis, sur le plan civil, la Cour suprême a expressément reconnu, dans une décision de 1997, la justiciabilité présidentielle.

Tel n’est pas le cas dans notre pays. La révision constitutionnelle a édifié en 2007 une muraille totalement étanche entre le Président et l’autorité judiciaire. Que ce soit pour la plus banale des affaires de droit commun, tel le défaut de paiement des loyers, ou la plus grave, tel le crime de sang, en passant par des délits mineurs – par exemple, un excès de vitesse –, le chef de l’État bénéficie d’une immunité judiciaire absolue : il ne s’agit pas seulement des poursuites, puisqu’il ne peut même pas être requis de témoigner devant une juridiction !

Par contre, il peut parfaitement porter plainte. L’actuel chef de l’État ne s’en prive d’ailleurs pas, rompant ainsi avec une tradition presque constante de la Ve République. Ainsi, au cours des deux premières années de son mandat, Nicolas Sarkozy a engagé des procédures privées : en octobre 2007, contre un fabricant de tee-shirts ; en janvier 2008, contre une compagnie aérienne pour atteinte au droit de l’image ; en février 2008, contre le site internet du Nouvel Obs pour faux et usage de faux à la suite de la publication du contenu d’un SMS ;…

M. Daniel Mach. Et alors ?

M. Jean-Michel Ferrand. Cela n’a rien d’anormal !

M. Jean-Jacques Urvoas. …en octobre 2008, contre une maison d’édition pour violation du droit à l’image car elle commercialisait des poupées vaudous à son effigie ; en décembre 2008, contre l’ancien directeur des renseignements généraux, pour atteinte à la vie privée.

M. Jean-Paul Garraud. Ces plaintes n’étaient pas infondées !

M. Jean-Jacques Urvoas. Mais le Président de la République peut aussi se constituer partie civile, et même obtenir des condamnations. Ce fut le cas en janvier 2010, quand la Cour d’appel de Versailles a condamné une personne reconnue coupable d’une escroquerie à sa carte bancaire.

M. Jean-Michel Ferrand. Et alors ? C’est anormal ?

M. Jean-Jacques Urvoas. Ce fut encore le cas en juillet 2010, quand le tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Sonora Média, éditrice d’un journal satirique pastiche du Monde.

Un tel déséquilibre – bénéficiaire d’une immunité d’un côté, procédurier de l’autre – peut-il se poursuivre ? Nous ne le pensons pas. Une conception aussi étendue de l’irresponsabilité présidentielle nous semble contraire au principe du droit au procès équitable posé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Évidemment, il faut protéger le Président de la République pour les actes qui relèvent de sa fonction. Mais il est tout aussi logique qu’un « Président de la République réponde pénalement des actes détachables de sa fonction devant les juridictions de droit commun ». Je viens de citer Jean Foyer, juriste aussi respectueux de la fonction présidentielle qu’attaché aux institutions de la VRépublique.

Or le Président de la République est actuellement le seul Français, le seul élu « sous cloche immunisante » comme le disait Robert Badinter en février 2007. Il ne répond de rien pendant la durée de son mandat.

Certes, je le concède aisément, il ne peut exister de système juridique pleinement satisfaisant pour traiter d’une situation qui ne devrait pas se rencontrer : celle d’un Président ayant maille à partir avec les tribunaux.

Aussi, ne serait-il pas plus simple d’en revenir à une évidence, c’est-à-dire au principe fondamental du droit civil en vertu duquel tous les Français sont égaux devant la loi civile ? Cela s’appliquait sous Napoléon ; cela devrait pouvoir être encore valable sous Nicolas Sarkozy.

Ce texte le propose ; le principe nous sied ; des modalités étaient discutables, mais le Gouvernement a refusé que le débat ait lieu. Nous allons donc voter en faveur de cette proposition de loi, qu’il faut entendre comme le souhait de réformer le statut du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 433

Nombre de suffrages exprimés 426

Majorité absolue 214

(La proposition de loi constitutionnelle n’est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

Position abolitionniste de la France en matière de prostitution

Discussion d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de Mme Danielle Bousquet, M. Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution (n° 3522).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Danielle Bousquet.

Mme Danielle Bousquet. Madame la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, mes chers collègues, c’est avec une certaine fierté et aussi beaucoup d’émotion que je prends aujourd’hui la parole devant vous pour défendre cette proposition de résolution.

Il s’agit de réaffirmer que les principes de l’abolitionnisme, officiellement adoptés par la France, doivent être proclamés haut et fort, à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe.

Cette position est un préalable indispensable à l’adoption de mesures efficaces de lutte contre la traite de la personne humaine, le proxénétisme et les réseaux de prostitution, et contre le sexisme qui est encore largement présent dans nos sociétés.

Il était nécessaire de réaffirmer que nous voulons aller vers une société libérée de la prostitution, tout simplement parce que, depuis plusieurs années, la position de la France apparaissait comme floue sur la scène internationale, en particulier du fait de la loi relative à la sécurité intérieure qui, en 2003, avait instauré le délit de racolage passif, ce qui avait pour effet de transformer en délinquantes passibles d’une forte amende, voire de prison, les personnes prostituées et victimes de la traite des êtres humains.

Si nous revendiquons à nouveau aujourd’hui la France abolitionniste, c’est pour affirmer que notre pays refuse la réglementation de la prostitution, que nous voulons mettre l’accent sur la prévention de la prostitution et sur la réinsertion des personnes prostituées, et faire en sorte que rien ne fasse obstacle à une société libérée de la prostitution. C’est d’ailleurs l’ambition de la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ce refus initial de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles d’inciter à la prostitution disparaissent. Tout doit être mis en œuvre pour proposer des alternatives crédibles à la prostitution, afin de rétablir la liberté de choix des personnes prostituées qui souhaitent cesser cette activité. Qui plus est, leurs droits fondamentaux doivent être garantis, quelle que soit leur situation administrative, et, au premier rang de ces droits, celui de pouvoir porter plainte et d’accéder à la justice.

C’est donc d’une vision politique de l’abolition que nous voulons nous prévaloir, celle qui nous fait dire dans quel type de société nous voulons vivre.

La France est devenue abolitionniste en choisissant de fermer les maisons closes en 1946 et en ratifiant, en 1960, la Convention de l’ONU de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de 1’exploitation de la prostitution d’autrui. À l’époque, le contexte était devenu plus favorable à la protection des droits et à la liberté des personnes – en particulier des femmes. Nous percevons bien ici le lien historique, voire consubstantiel, qui existe entre le système abolitionniste et l’égalité entre les femmes et les hommes.

Et pourtant, en ce début de XXIe siècle, la prostitution et les trafics qui lui sont intimement liés ont atteint des proportions inédites dans l’histoire de l’humanité. Cette situation découle de la mondialisation du libre marché, qui a permis à des mafias d’étendre leurs réseaux d’affaires en utilisant des étrangères sans papiers et qui a aussi rendu plus facile le travail des trafiquants.

En France, ces trafiquants sont rarement français. Ils viennent le plus souvent des pays d’origine des victimes : les Russes fournissent des Russes et des Ukrainiennes ; les Nigérians exploitent des femmes de leur propre pays. Partout en Europe, les pays qui proposent la légalisation du commerce du sexe sont bien conscients que ce ne sont pas leurs propres ressortissantes qui sont prostituées, mais les femmes d’autres pays qui sont prêtes à tout pour survivre.

Cette proposition de résolution est l’aboutissement d’un long travail, réalisé en étroite collaboration avec mon collègue Guy Geoffroy, travail qui a permis qu’elle soit cosignée par tous les présidents de groupe de l’Assemblée nationale et, pour le groupe GDR, par les représentants de chacune de ses composantes. Elle est la concrétisation de l’important travail de documentation mené au cours des huit mois de son élaboration.

Nous avons rencontré plus de deux cents personnes, dont une quinzaine de personnes prostituées ou s’étant prostituées. À l’occasion de chacun de nos déplacements, nous avons souhaité rencontrer tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse d’associations qui viennent en aide aux personnes prostituées, d’infirmiers, de médecins, de policiers ou d’associations de personnes prostituées. Nous avons en outre auditionné, bien sûr, les ministres français de la cohésion sociale, de la justice et de l’intérieur.

Nos déplacements à l’étranger ont certainement été l’aspect le plus intéressant de nos travaux. Nous nous sommes ainsi rendus en Belgique, aux Pays-Bas, en Suède et en Espagne. Nous avons pu voir, je le souligne, toute la mosaïque des réponses apportées à la prostitution, depuis la zone industrielle de La Jonquera, de l’autre côté de la frontière espagnole, où se concentrent certains des plus grands bordels d’Europe, jusqu’aux rues de Stockholm, en passant par les quartiers rouges de Bruxelles et de La Haye et les puticlubs de Madrid.

Ce travail a été pour nous une véritable aventure humaine. Il nous a donné à voir l’exploitation la plus vile de l’homme par l’homme, mais aussi les capacités de résilience hors normes de certaines personnes prostituées, et l’engagement passionné – parce que la question de la prostitution passionne – de nombreuses personnes, que ce soit pour l’abolition de la prostitution, pour sa reconnaissance en tant que métier ou tout simplement pour venir en aide aux personnes prostituées. À plusieurs reprises, nous avons vu la détresse absolue de femmes et d’hommes qui faisaient littéralement figure de survivants de la prostitution et qui ne pouvaient évoquer cette expérience sans souffrances et sans larmes.

Ce que notre travail nous a permis de constater, tout d’abord, c’est que la plus grande part de la prostitution – en Europe occidentale tout au moins – est le fruit de la traite des êtres humains. Le nombre de personnes prostituées en France est difficile à établir, mais on l’estime à environ 20 000, dont 85 % de femmes, 90 % de celles-ci étant étrangères, le plus souvent en situation irrégulière, avec des réseaux qui sont bien connus des services de police.

Rappelons que, dans les années quatre-vingt-dix, les personnes prostituées étaient françaises à 80 %. C’est dire l’évolution de la nature de la prostitution en vingt ans et la nécessité de réaffirmer aujourd’hui notre position abolitionniste, compte tenu de cette nouvelle situation.

Ces personnes prostituées sont donc étrangères, victimes de la traite, et le plus souvent, elles arrivent en Europe occidentale sans savoir ce qui les attend, pensant travailler comme serveuses, comme femmes de ménage. Dans quelques cas, elles savent qu’elles devront se prostituer, mais elles ignorent dans quelles conditions.

D’autres sont vendues par leur famille à des réseaux et subissent ce que l’on appelle un parcours de dressage. Celles qui viennent d’Afrique subsaharienne sont « envoûtées » par le biais d’un rite vaudou. Dans tous les cas, des menaces pèsent sur leur famille, ce qui les asservit totalement.

Il est vrai, aussi, que la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ne recouvre pas l’intégralité des situations de prostitution, puisque l’on trouve aussi des jeunes, en rupture familiale ou exclus socialement, des personnes en grande précarité économique ou encore en grande vulnérabilité psychologique du fait de violences sexuelles subies antérieurement.

Nous avons analysé ces réalités de la prostitution à l’aune de ces principes les plus fondamentaux de notre droit que sont la non patrimonialité du corps humain et son intégrité, à l’aune, aussi, du principe constitutionnel d’égalité entre les femmes et les hommes.

Accepter, voire promouvoir, l’existence d’une sous-classe de femmes qui n’auraient pas les mêmes droits que les autres contrevient absolument à l’affirmation de cette égalité. Ces personnes prostituées sont le plus souvent exploitées par des réseaux, toujours surexposées aux risques de contamination par le VIH, à la violence des clients, des proxénètes et de la société tout entière. Quand la société considère que le corps des femmes peut être une marchandise comme une autre, il n’est pas possible de penser les rapports entre les femmes et les hommes de manière égalitaire. Il n’y aura jamais d’égalité, de parité, de respect des femmes, de toutes les femmes, tant que certaines d’entre nous verront leur corps mis en vente ou en location, seront enfermées dans une réserve, dans un système d’exploitation à des fins de profit.

La prostitution est un asservissement, une violence, principalement une violence contre les femmes, et c’est ainsi qu’elle fait gravement obstacle au principe d’égalité.

Si la prostitution peut sembler lointaine, si, pour certains, elle n’est pas un problème, c’est parce que nos proches y sont rarement impliqués. La banalisation actuelle de la prostitution chez les jeunes, qu’ils soient lycéens ou étudiants, à une époque où la précarité s’aggrave, devrait pourtant interpeller tous les citoyens.

Ce que nous voulons voir affirmer devrait être une évidence : le corps humain n’est pas une marchandise et l’on doit avoir la liberté de disposer de son corps, pas de celui de l’autre.

C’est pourquoi il faut expliquer aux enfants, dès leur plus jeune âge, qu’une personne ne peut être ni achetée, ni vendue, ni exploitée. Car, dans nos sociétés, les garçons continuent d’être socialisés de manière à devenir de potentiels clients de la prostitution : l’usage de la pornographie, l’image des femmes, la banalisation des établissements de « commerce du sexe » y contribuent. La prostitution ne pourra donc régresser que lorsque prévention et éducation permettront au client d’être informé du rôle qu’il joue et de sa responsabilité dans la perpétuation du système prostitutionnel.

Voter la résolution que nous vous proposons, mes chers collègues, c’est vouloir que la France, sans régir les comportements des individus, affirme un certain nombre de valeurs collectives, comme le refus d’organiser et de promouvoir la marchandisation des êtres humains, comme l’égalité entre les femmes et les hommes, comme le respect de soi et de l’autre. (Applaudissements sur tous les bancs.)

7

Élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen

Clôture du scrutin

Mme la présidente. Mes chers collègues, je fais maintenant annoncer la clôture du scrutin pour l’élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen.

8

Position abolitionniste de la France
en matière de prostitution
(suite)

Mme la présidente. Nous poursuivons l’examen de la proposition de résolution.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Danielle Bousquet, à qui je succède à la tribune, comme je remercie tous les collègues, sur tous les bancs de cette assemblée, qui ont participé aux travaux de notre mission d’information. Ceux-ci constituent déjà pour notre assemblée et constitueront dans un avenir proche pour notre pays une masse considérable de réflexions et d’éléments de mobilisation, à partir desquels il nous faut introduire davantage de responsabilité dans notre société.

« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. » C’est le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celui de celle de 1958, qui le dit.

« La prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine. » Ces propos sont-ils tenus par des pudibonds ou des moralistes de tout poil, dont nous pourrions être et dont la réflexion n’aurait pu trouver d’autre terrain que celui, évident, de ce fameux « plus vieux métier du monde » ? Non : ces propos figurent, à la lettre, dans la Convention de l’ONU du 2 décembre 1949, ratifiée par la France en 1960. À quelques jours près, elle a soixante-deux ans, mais, déjà, à l’époque, elle soulignait ce lien ténu mais permanent qui unit la prostitution et la traite des êtres humains.

« Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. » Est-ce là une pétition de principe des pudibonds que j’évoquais ou une règle qu’ils voudraient imposer à la société française ? Non. C’est l’article 16-5 de notre code civil.

On le voit, dans notre pays, les choses ont déjà été dites, et elles doivent être considérées comme ayant déjà une forte valeur politique, qui vaut pour le passé, pour le présent et pour l’avenir.

Pourquoi, dès lors, ajouter, au terme de ce travail dont Danielle Bousquet a superbement rendu compte, cette proposition de résolution et, au-delà, une proposition de loi, comme elle et moi en avons l’intention ? C’est que la question de la prostitution, à propos de laquelle la France assumait et continue d’assumer sa position abolitionniste, pèse d’un poids de plus en plus lourd sur une société qui veut se masquer la réalité, qui a peur de l’affronter – ce que l’on peut comprendre –, et ce fléau risque d’autant plus de se développer que la précarité ne cesse de s’installer.

Tout au long de nos travaux, nous avons passé au crible de nos analyses, de nos constats et de nos réflexions toute une série de ce que l’on pourrait appeler des poncifs, des idées reçues, ces quasi-évidences dont on voudrait conclure qu’il ne sert à rien de prétendre changer les choses et que la prostitution fait bel et bien partie de la vie ordinaire de toute société. Au terme de nos travaux, nous avons la certitude, au contraire, que la prostitution n’est ni une fatalité ni un mal nécessaire.

Elle réduirait, paraît-il, le nombre de viols. Au contraire, il faut en convenir, mes chers collègues, il y a plus de viols dans les comtés du Nevada qui ont réglementé, donc autorisé, la prostitution que dans les autres comtés de cet État américain, qui, eux, ont une position abolitionniste. À l’inverse, le nombre de viols n’a pas augmenté en Suède, où a été mise en place en 1999 une politique responsabilisante, qui menace de sanction les clients de la prostitution. L’idée selon laquelle la prostitution empêche le viol est donc une idée reçue dramatique, contre laquelle il fallait s’élever.

Les prostituées seraient des assistantes sociales, à l’écoute d’hommes atteints d’un besoin irrépressible qu’il faudrait bien satisfaire et auquel elles répondraient. C’est l’une des prostituées que nous avons entendues qui nous a démontré le contraire. « S’il y a des assistantes sociales, nous a-t-elle dit, ce n’est pas pour rien. Nous ne sommes pas des assistantes sociales : notre corps est engagé, on ne se contente pas d’écouter. »

Les clients seraient dans la misère sexuelle. Plus des deux tiers d’entre eux, pourtant, vivent ou ont vécu en couple, et 50 % sont pères de famille. À partir de quand y a-t-il misère sexuelle ? Quelle est donc la définition précise de cette « misère sexuelle » ? Quelle est cette nécessité irrépressible de voir satisfait, moyennement finances, un besoin qui ne le serait pas moins ?

La prostitution serait librement choisie. Nous avons malheureusement la certitude du contraire, à l’issue de l’ensemble des échanges que nous avons eus, partout en Europe, avec des personnes qui ont été prostituées. Toutes nous disent quel fut leur parcours de souffrance, leur parcours de violence, leur parcours de douleur. Toutes restent marquées dans leur vie et leur personne, probablement jusqu’à la fin de leurs jours.

Autre preuve que l’idée d’un libre choix de la prostitution n’est qu’une idée reçue, Ulla, la célèbre prostituée lyonnaise qui prétendait, dans les années 1970, que se prostituer était le summum de la liberté, nous a fait savoir il y a quelque temps que, si nous l’avons crue à l’époque, nous avons été bien sots de le faire, car la quasi-totalité des personnes qui se prostituent y sont contraintes, soit par ceux qui les ont placées dans cette situation, soit par leurs conditions d’existence passées ou présentes.

Alors, oui, Danielle Bousquet a eu raison de le dire et je le réaffirme très tranquillement, sans faire œuvre de moralisme bêtifiant mais avec toute la responsabilité de l’acteur public que chacun d’entre nous, représentant de la nation, est dans cet hémicycle : la non patrimonialité du corps humain est un principe fondamental de notre démocratie et de notre République. Elle signifie que l’on ne peut pas faire commerce du corps, ni pour le vendre, ni pour l’acheter, ni pour le louer. Je citerai, à cet égard, un client, disant de la prostitution : « C’est comme si on entrait dans un supermarché et qu’on choisissait sa marchandise. On lit l’étiquette, ça plaît ou ça ne plaît pas, on prend, ou on ne prend pas ».

Quant au principe de l’intégrité de la personne humaine, nous avons beaucoup travaillé, dans cette assemblée, sur les violences faites aux femmes. Eh bien, la prostitution est une violence de plus faite aux femmes, une violence de plus faite aux personnes prostituées. Toutes les personnes que nous avons rencontrées nous ont dit que la prostitution les a beaucoup abîmées, probablement pour le restant de leurs jours.

Et puis, il est un autre principe fondamental de notre République : l’égalité entre les sexes.

Alors oui, mes chers collègues, ce que nous proposons aujourd’hui, c’est tout d’abord de réaffirmer la position abolitionniste de notre pays. Même si le débat ne fait que s’ouvrir, on attend notre pays dans ses propres profondeurs, mais aussi en Europe.

Notre position sera déterminante pour qu’un débat à l’échelle européenne mette en cohérence la volonté affichée de tous les peuples et de tous les gouvernements de lutter contre la traite des êtres humains. Car, bien que la traite des êtres humains soit au cœur de 90 % de la prostitution, l’on considère trop souvent que ce sont là deux questions différentes.

Un monde sans prostitution, est-ce une utopie ? Mes chers collègues, j’ai la conviction que non.

Nos amis suédois, puis nos amis islandais et norvégiens ont fait ce parcours de réflexion, de sensibilisation et de conviction. Cela les a amenés à mettre en place non seulement un changement radical de l’optique sociétale mais également des mesures sur une base pénale assurée qui ont conduit à une profonde évolution et à de profondes modifications dans les comportements.

Il n’a pas fallu envoyer un seul Suédois en prison, il n’a pas fallu en condamner beaucoup à des peines d’amendes pour que la prostitution diminue de moitié dans ce pays, sans qu’il soit constaté, par ailleurs, un transfert vers les autres formes de la prostitution.

Mes chers collègues, madame la présidente, madame la ministre, avec cette proposition de résolution, c’est tout simplement la République que nous souhaitons réaffirmer.

La République qui nous dit que l’égalité entre les hommes et les femmes est le chemin obligé de notre avenir. La République qui nous dit que toutes les violences doivent être combattues, notamment les violences de genre et celles dont les femmes sont victimes, qui incluent bien évidemment la prostitution. La République qui nous dit que le corps humain et la personne humaine ne sont pas une valeur marchande, qu’ils sont au-dessus de toutes ces considérations.

En approuvant ce projet de résolution, non seulement nous aurons dit encore plus haut et encore plus fort ce que nous ne cessons de dire officiellement depuis plus de cinquante ans, mais nous aurons probablement marqué une étape importante de la responsabilisation de notre société et, au sein de cette société, de chacun de celles et de ceux qui ont à travailler ensemble pour un avenir plus lumineux, plus démocratique et plus républicain. (Applaudissements sur tous les bancs.)

(M. Marc Le Fur remplace Mme Catherine Vautrin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Mes chers collègues, aujourd’hui, à cette tribune, nous affirmons que la France ne doit pas se résigner à ce que des hommes et des femmes soient contraints à vendre leur corps.

Prostitution de rue, prostitution étudiante, prostitution sur internet, trafic d’êtres humains : ces réalités sont les différentes facettes d’un même phénomène.

Cosigné par Marie-George Buffet et Martine Billard au nom du groupe GDR, le texte sur lequel nous sommes appelés à nous exprimer porte haut et fort la revendication de l’abolition de la prostitution. Il s’agit là d’un combat de longue date pour le parti communiste français.

Dix-sept associations se sont réunies pour porter le projet d’une loi d’abolition, parmi lesquelles ATTAC ou « Choisir la cause des femmes ».

Ce mouvement réclame dans son appel, « Abolition 2012 », la pénalisation des clients, le renforcement de la lutte contre le proxénétisme ou encore la mise en place de politiques publiques d’éducation.

Avec lui, nous pensons qu’il faut supprimer les mesures répressives mises en place par Nicolas Sarkozy à l’encontre des victimes de la prostitution.

Avec ce mouvement, nous militons pour la mise en place d’un système d’accompagnement social – incluant l’accès à la santé et au logement – et l’ouverture de droits effectifs pour toutes les personnes prostituées, y compris étrangères.

Cet appel a été signé par de très nombreuses féministes ainsi que par beaucoup d’élus communistes et du Parti de gauche. Nous pensons en effet que la France doit s’engager plus avant dans le combat abolitionniste.

Ayant ratifié en 1960 la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, notre pays reconnaît la prostituée comme victime d’un système prostitutionnel et le proxénétisme est condamné par la loi.

Mais en dépit de ce positionnement sur la scène internationale, quel a été le signal envoyé ces dernières années ?

La création du délit de racolage passif par Nicolas Sarkozy et sa majorité UMP a concentré la répression sur les prostituées, fragilisant par là même leur rapport aux clients et aux proxénètes.

La loi sur la sécurité intérieure de 2003 a chassé les prostituées des centres urbains et des quartiers résidentiels, où elles risquaient l’interpellation par les forces de l’ordre. Reléguées à la périphérie des villes, elles se trouvent donc fragilisées, à la merci des agressions comme des mafias.

La totalité des associations traitant de la prostitution, qu’elles soient abolitionnistes ou réglementaristes, réclament depuis près de dix ans la suppression du délit de racolage passif. Il est plus que temps d’agir dans ce sens.

Citons le Mouvement du Nid, association très mobilisée pour l’abolition : « Bien qu’excellente, cette proposition [de résolution] n’est pas à la hauteur de nos attentes puisqu’elle ne demande pas l’abrogation immédiate du délit de racolage. Pour nous, c’est le préalable indispensable à la pénalisation des clients que nous demandons par ailleurs. […] La première mesure d’abolition du système prostitueur doit être la suppression de toute forme de répression à l’encontre des personnes prostituées. » Le message est clair.

À ce sujet, mes chers collègues de l’UMP, je me réjouis que vous ayez cosigné cette proposition de résolution et que vous vous apprêtiez à la voter. Je suis certain que vous faites partie de ceux qui, comme nous, s’opposent à l’expulsion des prostituées sans papiers, et qui refusent d’envoyer les polices municipales déloger les filles des quartiers résidentiels. Je suis persuadé que, comme nous, vous n’approuvez pas la commisération et les discours de charité de certains de nos collègues qui prétendent tendre la main aux personnes prostituées tout en leur rendant par ailleurs la vie impossible.

Voter ce texte, c’est prendre un engagement fort. En effet, trois principes y sont développés.

Premièrement, celui de la non patrimonialité et du refus de la marchandisation du corps, auquel nous, communistes, sommes particulièrement attachés.

Que la sphère de l’échange marchand se soit étendue jusqu’aux relations sexuelles, c’est un autre symptôme, une autre preuve des carences du système capitaliste, plus que jamais créateur d’aliénations.

Que le fétichisme de la marchandise ait triomphé au point de faire du vivant et des organes du corps humain eux-mêmes l’objet de transactions, c’est la preuve qu’il nous faut transformer ce système.

Deuxièmement, il s’appuie sur le principe du respect de l’intégrité du corps humain. Nous considérons en effet que la relation prostitutionnelle induit une violence dont sont victimes les prostituées.

Cette violence se matérialise bien sûr par les agressions physiques auxquelles elles sont exposées, mais aussi par les viols, sans parler de la violence invisible, celle des relations contraintes.

Il ne faut pas oublier que les réseaux de proxénétisme n’exploitent pas seulement des femmes, mais aussi des enfants. La France est d’ailleurs signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant qui condamne la prostitution des enfants dans son article 34.

Troisièmement, la présente résolution repose sur le principe de l’égalité entre les sexes. La pierre de touche du combat abolitionniste, c’est de considérer qu’il ne pourra y avoir d’égalité véritable entre les hommes et les femmes tant que la prostitution demeurera. Car la grande majorité des clients sont des hommes et la grande majorité des personnes prostituées sont des femmes.

L’égalité entre les sexes aura beau progresser par les lois, par les actes, dans les mentalités, l’existence des relations de sujétion permises par le système prostitutionnel demeurera une butée, un point d’achoppement empêchant l’achèvement du processus égalitaire.

Il ne peut y avoir d’égalité accomplie entre les sexes sans que soient bannies les possibilités d’emprise mercantile d’un sexe sur l’autre.

Il est à noter que, sur ces fronts, les institutions européennes semblent aller dans la bonne direction. Ainsi, la directive du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 5 avril 2011 a posé les jalons d’un renforcement de la lutte contre la traite dans les pays membres.

Ce texte récent établit des règles minimales pour la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains. Il introduit des dispositions communes pour renforcer la prévention de cette infraction et la protection des victimes. Il prévoit, dans son article 8 que « les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains ». Cela doit être entendu sur tous ces bancs.

Puisque, sur ce sujet, les institutions européennes ne promeuvent pas l’extension infinie du marché, ne boudons pas notre plaisir : c’est suffisamment rare pour être souligné.

Les élus du Front de gauche sont conscients que la pénalisation des clients ne saurait à elle seule éteindre les relations prostitutionnelles et améliorer le quotidien des personnes prostituées. Personne ne se fait d’illusion : il ne suffit pas de décréter l’interdiction des relations tarifées entre adultes pour qu’elles cessent soudainement. Les aliénations qui en sont la racine ne seront pas dissoutes par un texte de loi.

Nous demandons donc que l’État mette en place des politiques d’accompagnement social des personnes prostituées, fondées sur des campagnes de prévention, d’accueil et de réinsertion, sur un renforcement des aides au logement et au retour à l’emploi pour les victimes des réseaux de proxénétisme.

Si nous saluons l’indispensable travail des associations sur ces questions, force est de constater que c’est à l’État que devraient incomber de telles missions.

La revendication d’une aide réelle à la sortie de la prostitution est importante, car, une fois voté le principe d’une pénalisation des clients, que deviendront les personnes prostituées, comment et où vivront-elles ? Il faut organiser concrètement la sortie du régime prostitutionnel et ne pas s’en tenir aux déclarations solennelles.

Ce qui importe, c’est aussi de responsabiliser les clients, afin de faire prendre conscience que leur demande maintient et alimente le système prostitutionnel dans son ensemble. Cette responsabilisation doit se faire de façon intelligente, pour ne pas pénaliser encore plus les personnes prostituées, pour ne pas induire une clandestinisation supplémentaire.

Une chose est sûre, il nous faut lutter contre la résignation, celle qui pousse certains d’entre nous à accepter le phénomène prostitutionnel comme un moindre mal.

Le combat abolitionniste sera long et difficile, il n’en reste pas moins qu’il est la seule voie vers l’émancipation des femmes et des hommes. Il est la condition indispensable du progrès humain véritable.

Vous l’avez compris, les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche voteront cette résolution en considérant qu’il s’agit là d’un premier pas, et en regrettant – mais le travail législatif se poursuivra avec nos collègues auteurs de la proposition – qu’elle n’envisage pas clairement la suppression du délit de racolage passif. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Durand.

M. Raymond Durand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de résolution, signée par l’ensemble des responsables des groupes politiques et qui, à cet égard, fait l’objet d’un relatif consensus, nous permet de débattre de ce sujet important de notre société qui concernerait plusieurs milliers de personnes, dans un climat apaisé et loin de tout clivage partisan.

Ces conditions sont nécessaires à la mise en œuvre de politiques publiques adaptées aux réalités de la prostitution et conformes aux principes républicains de notre pays.

Il convient en effet, plus de cinquante ans après la ratification de la Convention internationale des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, de réaffirmer et de définir avec précision la politique que la France entend poursuivre en matière de prostitution.

En premier lieu, la proposition de résolution qui nous est présentée entend mettre un terme aux idées fausses, comme l’idée selon laquelle la prostitution permettrait de faire reculer le nombre de viols.

En ce sens, faire prendre conscience à nos concitoyens de la réalité de la prostitution, c’est avant tout démontrer que la prostitution constitue bien une forme de violence, tant physique que psychologique, subie par les personnes prostituées.

C’est également souligner l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution. En témoigne le nombre croissant de femmes prostituées de nationalité étrangère, venant essentiellement de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria et de Chine, qui envahissent les trottoirs de nos villes.

Cette réalité n’est pas acceptable dans un pays comme le nôtre, au regard des principes qui fondent notre société, à savoir la non patrimonialité et l’intégrité du corps humain, l’égalité entre les sexes et la lutte contre les violences de genre.

Selon le principe de la non patrimonialité du corps humain, inscrit dans notre code civil, aucun droit de propriété ne peut être reconnu sur le corps humain, ses éléments et ses produits. Indéniablement, la prostitution ne peut être assimilée à une activité professionnelle semblable à toutes les autres.

La France a fait le choix d’abolir toute forme de réglementation de la prostitution, dans le but de ne pas encourager celle-ci par une quelconque reconnaissance juridique, et avec l’objectif, à terme, d’une société sans prostitution.

À la différence des Pays-Bas, qui considèrent la prostitution comme un fait social et ont donc choisi de la réglementer, la France refuse de l’accepter comme une fatalité, comme un phénomène inhérent à toute vie sociale, mais la tient pour une contrainte, puisque, le plus souvent, on l’exerce pour des raisons de nécessité économique.

Du proxénétisme de soutien au proxénétisme de contrainte, l’incrimination de proxénétisme dans notre droit couvre un champ particulièrement large, certains cas de proxénétisme aggravé recevant même une qualification criminelle. Cependant, si les dispositions relatives à la lutte contre le proxénétisme présentent des résultats plutôt satisfaisants, le bilan est nettement plus nuancé en ce qui concerne l’utilisation de l’infraction relative à la traite des êtres humains. En effet, l’examen de cette proposition de résolution est aussi l’occasion de constater qu’il nous reste à accomplir de nombreux progrès, tant dans le domaine de la lutte contre les réseaux de prostitution que dans la mise en œuvre des dispositions tendant à protéger les victimes de la traite.

Si la réaffirmation de la position de la France fait l’objet d’un relatif consensus, les moyens à employer pour parvenir, à terme, à une société sans prostitution sont davantage problématiques.

La question de la pénalisation des clients – dont nous débattrons prochainement, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi tendant à responsabiliser les clients, qui s’exposeraient à une peine de six mois de prison et 3 000 euros d’amende – constitue, en la matière, l’un des sujets les plus polémiques. Selon l’une des personnes auditionnées dans le cadre de la mission d’information, « le client est la personne qui contribue le plus à la traite ». Sans clients, la prostitution et la traite des êtres humains qui en résulte n’existeraient pas. Partant de ce principe, on constate, en Europe, un mouvement de fond en direction de la pénalisation des clients, qui pourrait tendre, comme le démontrent les expériences de nos voisins, à la diminution globale de la prostitution.

Enfin, si l’abolitionnisme implique de lutter contre l’exploitation sexuelle et en faveur du maintien de l’ordre public, il est indispensable que ces actions puissent s’accompagner de la mise en place de moyens de protection et d’accompagnement social des personnes prostituées. Ces dernières, notamment celles en situation irrégulière, n’ont que difficilement accès aux soins et aux prestations sociales, et les dispositifs qui leur sont destinés se révèlent insuffisants. Pour ces personnes, l’accès aux soins et aux droits doit donc être renforcé. À ce titre, il est indispensable de développer le versant social de la politique abolitionniste de la France.

Parce qu’il considère la prostitution comme une forme de violence, incompatible avec les principes les plus fondamentaux de notre République, le groupe Nouveau Centre accueille favorablement cette proposition de résolution.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Très bien !

9

Élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen

Proclamation des résultats

M. le président. Mes chers collègues, avant de poursuivre l’examen de la proposition de résolution, voici les résultats du scrutin pour l’élection de deux représentants supplémentaires au Parlement européen.

Nombre de votants : 384.

Suffrages exprimés : 371.

Liste composée de M. Jean Roatta, Mme Valérie Boyer, M. Michel Rossi et Mme Pascale Gruny : 226 voix.

Liste composée de M. Yves Cochet, Mme Claude Darciaux, M. Didier Mathus et Mme Anny Poursinoff : 145 voix.

Par conséquent, sont élus représentants au Parlement européen : M. Jean Roatta et M. Yves Cochet.

En conséquence, le mandat de député de M. Jean Roatta et de M. Yves Cochet prendra fin aujourd’hui, mardi 6 décembre 2011, à minuit.

Le résultat de cette élection sera notifié à M. le Premier ministre.

10

Position abolitionniste de la France en matière de prostitution (suite)

M. le président. Nous poursuivons la discussion de la proposition de résolution.

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à M. Élie Aboud.

M. Élie Aboud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous rassemble aujourd’hui est majeur et grave. Il implique un certain regard sur la personne humaine et sur sa dignité. S’agissant de la prostitution, on ne peut s’en tenir à des rodomontades ou à des déclarations de principes machistes ignorant les réelles souffrances provoquées par cette activité.

Dès 1960, la position de notre pays sur le sujet a été claire. La France a ratifié la Convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Depuis, notre pays n’a jamais dérogé aux fondements juridiques les plus élémentaires de notre code civil : l’intégrité du corps humain, sa non marchandisation, l’égalité entre les sexes, la lutte contre les violences. À cet égard, le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes de 2011 reste exemplaire.

J’observe avec intérêt que la proposition qui nous est soumise aujourd’hui a été cosignée par tous les groupes parlementaires. C’est l’honneur de l’Assemblée nationale d’être unie lorsque l’intégrité des personnes est mise en danger.

La réalité de la prostitution oblige, en effet, à un certain nombre de constats. Comment oserait-on faire croire que, parmi les 20 000 personnes prostituées en France – dont, d’ailleurs, 85 % sont des femmes –, une immense majorité n’a pas été contrainte ?

La loi, expression de la volonté générale, doit toujours être élaborée en fonction de l’intérêt commun. Si quelques personnes s’adonnent à cette pratique par choix personnel, nous devons cependant protéger toutes celles et tous ceux qui subissent des pressions, voire des agressions.

La pratique de la prostitution est-elle un long fleuve tranquille ? Évidemment non. Elle donne lieu, tout le monde le sait, à des violences physiques et psychiques particulièrement graves. L’emprise croissante des réseaux s’affirme au-delà des frontières. Il serait dérisoire et navrant de faciliter la tâche des proxénètes. Or voilà que les laudateurs de la prostitution banalisée utilisent les plus vils arguments pour la justifier. La vérité est qu’ils ont intérêt à une pratique commerciale de la sexualité, en omettant totalement les souffrances qui y sont liées – traites humaines, drogues, syndromes de stress post-traumatique.

Saluons ici le travail essentiel de la police et de tous les services qui ont permis d’endiguer, pour une large part, la prostitution de rue. Je voudrais rendre hommage également à tous les acteurs du domaine médico-social, qui réalisent au quotidien un exceptionnel travail de préventologie dans des conditions extrêmement difficiles.

Pour toutes les raisons ici évoquées, il convient de reprendre le flambeau de 1960 pour compléter le dispositif législatif par cette proposition, ainsi que celle relative à la pénalisation des clients.

Elle repose essentiellement sur les faits. M. Geoffroy a rappelé avec élégance et émotion ce qui se passe en Suède où, dès 1999, la pénalisation des clients a permis de lutter activement contre la prostitution sans que le taux de viols n’ait augmenté, ce qui dément toutes les théories qu’on a pu entendre. Au contraire, dans les comtés de l’État du Nevada où la légalisation a été adoptée, le nombre des viols s’est considérablement accru. L’observation montre qu’il n’y a donc pas de lien explicite entre la lutte contre la prostitution et l’augmentation des viols. Dans la plupart des cas, la prostitution est bien une activité contrainte, subie par les plus faibles. Il convient par conséquent de la limiter au maximum.

Bien sûr, en réaffirmant sa position abolitionniste pour protéger le plus grand nombre, la France se doit de revisiter l’ensemble de son droit régalien et de développer des politiques publiques ambitieuses, de nature à rendre cohérents les objectifs affichés. Les droits fondamentaux des personnes prostituées, notamment, doivent être garantis. Un effort supplémentaire doit être réalisé en matière d’information, de prévention, d’éducation et de réinsertion.

Cette proposition de résolution n’est pas un message que nous envoyons pour nous donner bonne conscience, mais une exigence pour tous les républicains que nous sommes, sensibles à la dignité de la personne humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution, que nous examinons aujourd’hui, s’inscrit dans la suite logique du travail conduit par la mission d’information sur la prostitution.

Nous nous étions fixé deux grands objectifs : d’une part, établir un état des lieux partagé et objectif de la prostitution en France et, d’autre part, dresser un bilan des politiques publiques menées en la matière. Nous avons ensuite formulé des préconisations pour améliorer les dispositifs existants et mieux lutter contre la prostitution.

Ce qui m’a frappée au cours des travaux de cette mission, c’est que le sujet suscite toujours beaucoup de réactions et fait encore débat aujourd’hui. Certains considèrent encore la prostitution comme « le plus vieux métier du monde » et lui attribuent même une certaine utilité sociale : ceux-là ne comprennent pas l’affirmation de la position abolitionniste. La prostitution n’est pas redevenue, comme je l’ai lu récemment, « la cible des moralistes ». La position abolitionniste représente un enjeu de société.

Ceux qui veulent banaliser la prostitution et couper court aux débats ont volontiers recours aux lieux communs. Pourtant, la réalité est tout autre. La prostitution est une violence exercée à l’encontre des hommes et des femmes qui la subissent. Certes, vous trouverez toujours quelques exemples pour accréditer l’idée qu’elle est une activité librement choisie. Mais s’il existe de rares cas de prostitution libre et choisie, ils sont l’exception, et non la règle. La prostitution est le plus souvent l’aboutissement d’un parcours personnel difficile, de violences, de rupture familiale, de misère sociale. Elle est exercée sous la contrainte – contrainte physique de réseaux mafieux de prostitution, contraintes économiques et sociales de personnes vivant dans la précarité.

Plus de 80 % de la prostitution est effectuée dans le cadre d’un réseau criminel. L’idée du prostitué ou de la prostituée libre et indépendante, qui choisit cette activité comme n’importe quelle autre profession est en total décalage avec la réalité. La prostitution est un marché, qui rapporterait plus de 3 milliards d’euros par an aux réseaux criminels en France. C’est bien une affaire d’argent. Il faut renforcer la lutte contre ces réseaux qui organisent de véritables trafics humains, très lucratifs.

Aujourd’hui, 85 % des personnes prostituées sont des femmes. À 80 %, il s’agit de personnes étrangères. Elles arrivent en France avec l’espoir d’une vie meilleure, mais sont condamnées à se prostituer pour payer leur passage, pour survivre, pour protéger leur famille restée au pays et qui est souvent menacée par les réseaux mafieux. Cette réalité-là, cette misère, cette détresse d’hommes et de femmes sous la contrainte, il faut la rappeler.

La mise en place de moyens de protection et d’accompagnement social, incluant l’accès à la santé et au logement pour les personnes prostituées, la mise en place de véritables alternatives à la prostitution pour sortir ces hommes, et le plus souvent ces femmes, de la précarité, est nécessaire.

Certes, il faudra responsabiliser le client pour faire baisser la demande. Mais l’important, c’est aussi de se donner les moyens d’agir sur la prise en charge et l’accompagnement des personnes prostituées par un travail en réseau des acteurs publics, pour les aider notamment à travers l’accès à un titre de séjour pour les prostituées étrangères qui veulent sortir de leur réseau, ou par l’accès à un revenu de substitution.

Quant au délit de racolage institué par la loi de sécurité intérieure de mars 2003, il n’a pas prouvé son efficacité, puisque la prostitution n’a pas diminué dans notre pays. Elle est davantage masquée, sur internet, dans de prétendus salons de massage ou dans des bars à hôtesses. Mais ce n’est pas en s’attaquant aux prostituées que l’on réglera le problème. C’est davantage en les accompagnant et en les aidant à se sortir de leur situation. Il faudra donc revenir sur ce texte de 2003.

Autre point sur lequel je souhaite vraiment insister, l’éducation. Il est nécessaire de progresser en matière d’éducation sexuelle, d’apprendre aux jeunes que la relation sexuelle est le fait d’adultes consentants et responsables, respectueux du corps et du désir de l’autre, et qu’un corps ne s’achète pas, ne se marchande pas. Ces politiques d’éducation sont indispensables si l’on veut faire reculer, dans notre pays, la prostitution par une prise de conscience.

Parce que nous défendons les principes de non patrimonialité du corps humain, d’intégrité et d’égalité entre les sexes, nous devons lutter contre la traite des êtres humains. La prostitution n’est pas une activité banale, il ne faut pas cesser de le dire.

Aussi, mes chers collègues, je vous invite à voter cette résolution – mais je sais que nous la voterons tous –, qui rappelle clairement la position abolitionniste de la France et invite à la mise en œuvre de politiques cohérentes et plus efficaces pour l’abolition de la prostitution. Nous voterons donc cette résolution avec conviction. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 13 avril dernier, la mission d’information sur la prostitution rendait son rapport.

Le constat a été unanime : la prostitution est inacceptable. Elle est, en premier lieu, une violence faite aux femmes, aux lourdes, très lourdes, conséquences physiques, psychiques et psychologiques.

Elle est également une aubaine pour les réseaux criminels de traite des êtres humains qui exploitent ces victimes, du stade de l’immigration à celui de la pratique prostitutionnelle, puisque 90 % des prostituées, dans notre pays, sont d’origine étrangère, contre 20 % dans les années soixante, ce qui démontre la prédominance nouvelle d’une véritable « prostitution de la misère ».

Il est du devoir du législateur de protéger les victimes de la prostitution, comme de mettre fin aux trafics criminels qui l’entretiennent.

Nous disposons déjà, dans notre pays, d’un arsenal répressif, qu’il faut maintenir et qui va de l’incrimination de l’exhibitionnisme à celle du proxénétisme sous toutes ses formes et du racolage, actif comme passif. Il faut maintenir ce dispositif en complément de toutes les mesures prises en faveur des victimes de la prostitution et faire en sorte, pour qu’il soit efficace, que les tribunaux appliquent les sanctions prévues. Il serait également opportun de sanctionner les petites annonces qui prolifèrent dans la presse et sur internet, et que le code pénal ne prend pas en compte aujourd’hui.

Je voudrais insister, en tant qu’élu parisien, pour que ne soit pas remis en question le délit de racolage passif ; il s’agit d’une incrimination ancienne – 1930 –, réapparue en 1958, réactivée par la LOPPSI de 2003 et qui, au moins dans un premier temps, a quasiment éradiqué la prostitution de voie publique dans les quartiers où elle tenait le haut du pavé, rendant impossible, avec les multiples trafics qui y sont liés, notamment de drogue, la vie quotidienne des riverains.

Un double objectif était poursuivi : limiter les troubles à l’ordre public et poursuivre les proxénètes à travers leurs victimes. J’en ajouterai un troisième : extraire les prostituées de leur milieu.

Il est à regretter qu’aujourd’hui, près de la moitié des interpellations pour racolage à Paris soient classées sans suite et que, parmi les autres, seulement 5 % soient l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel, 89 % faisant l’objet, le plus souvent, d’un simple rappel à la loi non dissuasif. Il revient au parquet de déférer davantage, car la situation se dégrade, au moins en attendant la mise en œuvre de la pénalisation du client.

De ce manque de fermeté manifeste résulte un fort sentiment d’impunité chez ceux qui exploitent cette misère humaine, et les clients des prostituées en font partie. C’est l’honneur de cette mission d’information que d’avoir retenu unanimement la pénalisation du client, non pour le réprimer à tout prix, mais avant tout pour l’éduquer et le responsabiliser, comme le fait la Suède, qui affiche des résultats probants.

Je voudrais d’ailleurs faire part d’une expérience personnelle démontrant l’efficacité de telles mesures à destination des clients. Il s’agit de la fermeture du bois de Boulogne dans les années quatre-vingt-dix. La politique mise en œuvre conjointement par le maire de Paris de l’époque, Jacques Chirac, dont j’étais l’adjoint en charge de la sécurité, le préfet de police et le procureur de la République, a consisté principalement à harceler le client. La prostitution y avait alors spectaculairement chuté.

C’est pourquoi je crois, à l’instar de la présidente et du rapporteur de la mission d’information, tout comme vous, madame la ministre, et aussi comme le ministre de l’intérieur, qui le rappelait encore hier, en cette mesure innovante, assortie d’une campagne de communication grand public.

Ce faisant, notre pays s’inscrirait dans le droit-fil de la posture abolitionniste qui a été la sienne depuis la ratification, en 1960, de la Convention pour la répression de la traite des humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Il s’inscrirait également en cohérence avec le mouvement européen qui s’esquisse avec l’adoption, par l’Islande et la Norvège, et bientôt par l’Irlande et les Pays-Bas, d’une législation similaire.

La France, par son rayonnement et son exemplarité, provoquerait sans nul doute un mouvement mondial. Elle est attendue là par beaucoup de pays et d’associations.

La force de cette proposition de résolution réside aussi dans le fait qu’elle transcende les clivages partisans. À l’unanimité de ses groupes politiques, le Parlement exprime, par son intermédiaire, la position abolitionniste de la France et lance un signal fort, aussi bien aux victimes, à qui est proposée toute une gamme de dispositions pour les aider à sortir de leur enfer, qu’aux réseaux criminels qui les exploitent, à qui nous devons livrer, plus que jamais, une lutte sans merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat pour réaffirmer la position abolitionniste de la France en matière de prostitution n’est pas un exercice quelconque ou anodin. Il touche à ce qu’il y a de plus sensible, de plus intime dans notre personne, dans notre humanité, à savoir notre sexualité, notre rapport à l’autre.

Je ne suis pas connu pour être un puritain. Je ne suis animé par aucune considération philosophique ou religieuse. Mais, dans ce débat sur la conception et le sens des relations physiques et sentimentales entre les humains, les mots ont un sens et la sémantique utilisée n’est pas neutre. Dans le journal Le Monde, récemment, Mme Elisabeth Badinter, hélas, laisse entendre que les femmes, pour gagner plus et travailler plus librement, auraient plus intérêt à la prostitution qu’à être « caissières de supermarché ». Dans le même journal, ce qui est rappelé aujourd’hui dans Libération, une responsable du Syndicat du travail sexuel déclare que « certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir ou s’occuper de personnes âgées ».

À partir d’un tel constat, primaire et simpliste, tout devient possible et acceptable, sans arrière-pensée, tout vaut mieux que de travailler en usine, sans patron et sans horaires. Quelle imposture ! À qui veut-on faire croire de telles contrevérités ? Même les milieux les plus réglementaristes que j’ai rencontrés ont reconnu que le libre choix n’était finalement qu’un leurre, une désillusion et, en fin de compte, un désespoir, un désespoir personnel, affectif et parfois physique. Non seulement, dans ce domaine particulièrement sensible, les mots ont un sens – caissières, abattoir, usine –, mais les grands principes auxquels se réfèrent les tenants du réglementarisme sont dévoyés : liberté, égalité, amour. De quelle liberté parle-t-on ? De quelle égalité hommes-femmes ? Et surtout, où est l’affection, où est l’amour censé régir nos relations personnelles et sociales ?

Chers collègues, il n’y a pas de « plus vieux métier du monde », rien n’est écrit, rien n’est inéluctable. Nous ne sommes ni des juges ni des censeurs de la vie sexuelle des uns et des autres, mais nous avons le droit, et même l’obligation, à moins de nous renier, de nous exprimer, d’exprimer notre désapprobation face à la marchandisation du vivant, face à l’exploitation du corps humain, que ce soit pour de la chair à canon, des ventres à reproduire ou du sexe à vendre.

Des intégristes de tous bords veulent dénier au Parlement le droit de légiférer sur des problèmes de société : la bioéthique, la famille, le couple homme-femme. Telle n’est pas ma conception du rôle du législateur, qui doit penser l’éducation de la société dans son ensemble. C’est pourquoi je voudrais saluer le travail réalisé par la mission d’information sur la prostitution en France, présidée par notre collègue Danielle Bousquet et rapportée par Guy Geoffroy. Je voudrais également rendre hommage à l’action menée par de nombreuses associations, notamment à l’action quotidienne sur le terrain du Mouvement du Nid, dont j’ai pu apprécier personnellement la sensibilité et l’efficacité.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ? La France se définit toujours comme abolitionniste. En 2003, la loi sur la sécurité intérieure a renforcé l’interdiction de la traite des êtres humains, de la prostitution des mineurs, et introduit le délit de racolage passif. Ce dispositif n’a pas eu les effets escomptés : la prostitution, notamment d’origine mafieuse, est plus que jamais active, les femmes restent les principales cibles, les principales victimes que l’on montre du doigt, mais sans leur tendre la main pour leur venir en aide.

Je demande la suppression de ce délit qui stigmatise uniquement la prostituée. Je souhaite la mise en œuvre de dispositifs plus dignes pour accueillir ces femmes et leur donner la possibilité et l’espoir d’une autre voie, d’une autre vie.

Alors, que faire ? Je ne peux me résoudre à l’inaction. Au-delà de la réaffirmation de la position abolitionniste de la France, je propose, avec d’autres collègues, de tous bords politiques, que la loi responsabilise le client, au sens pénal du terme, ce qui porterait à l’évidence un coup très dur à la prostitution, à sa légitimité et à son essence même.

Plusieurs pays, en Europe et ailleurs, mettent en œuvre cette solution. Elle donne des résultats probants. Nous devons nous engager dans cette voie, au nom de nos valeurs communes. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce soir, dans cet hémicycle, nous nous répétons, et c’est tant mieux ! Dernière oratrice inscrite, je ne vais pas déroger.

Selon le dictionnaire, l’action de prostituer consiste à « avilir et dégrader quelque chose de respectable ». Cette « chose respectable », en l’occurrence, n’est autre que le corps humain, que nous nous devons de protéger. En effet, la prostitution n’est rien d’autre qu’une atteinte à l’intégrité du corps humain, auquel une valeur patrimoniale est attribuée et qui, à ce titre, fait l’objet de commerce et de traite.

La prostitution ne relève pas de la liberté sexuelle, dans la mesure où le libre choix n’existe pas, ou de façon marginale. Comment peut-on parler de liberté quand 80 % des prostituées sont d’origine étrangère, « importées », pourrait-on dire, maltraitées, menacées, sans droits, quand toutes les prostituées sont victimes de violences ? Où est le choix ?

Et quand bien même cette liberté existerait, elle trouverait ses limites dans les principes fondamentaux qui nous régissent, au premier rang desquels figurent le respect de l’intégrité du corps humain ou l’égalité hommes-femmes.

La prostitution n’est pas une nécessité sociale permettant de diminuer les agressions sexuelles, comme on l’entend trop souvent. Ce postulat intolérable nie les droits les plus élémentaires de la femme, et donne une lecture rétrograde de la sexualité masculine. Se cacher derrière ce postulat est indigne de notre République. S’il existe un réel consensus sur ces constats, il doit en être de même pour la proposition d’abolir la prostitution.

Certes, la France est abolitionniste depuis 1960, mais les politiques publiques en France sont ambivalentes et incomplètes. Si la lutte contre la traite des êtes humains est réelle et en constante progression, les actions en faveur de l’abolition de la prostitution manquent de cohérence et de moyens.

Elles manquent de cohérence, car on prétend vouloir abolir la prostitution, mais on la reconnaît fiscalement.

Elles manquent de cohérence, car on prétend vouloir aider à la sortie de la prostitution, mais on punit la victime en la traitant de « délinquante » – c’est la fameuse loi de sécurité intérieure, à l’époque où M. Sarkozy était ministre de l’intérieur – et on laisse les clients libres de leurs actes.

Par ailleurs, elles manquent de moyens, car on a laissé à l’abandon les politiques d’accompagnement des prostituées, prévues pour les aider à s’en sortir.

Il faut d’ailleurs, ici, saluer le travail et le dévouement des associations sur le terrain, qui, malgré les baisses de financements constantes, maintiennent une présence et une aide à ces personnes en situation de détresse.

Mes chers collègues, la résolution que nous proposons aujourd’hui souhaite poser clairement la manière dont la France entend parvenir à l’abolition de la prostitution. Pour cela, il est impératif de ne pas réprimer les prostituées, mais de responsabiliser les clients. C’est en effet la demande des hommes qui génère la prostitution, laquelle est une forme de domination de l’homme sur la femme. Pourtant, dans notre société, c’est la personne qui vend son corps qui est moralement condamnable et condamnée, alors que celle qui l’achète est dédouanée de toute responsabilité.

Il est impératif de refuser la légitimation de la prostitution au motif qu’elle serait un mal prétendument nécessaire répondant à des besoins sexuels masculins irrépressibles.

Il est également impératif d’assurer un accompagnement réel de la sortie de la prostitution.

Enfin, il est impératif de maintenir et d’amplifier la lutte contre la traite des êtres humains.

La France, madame la ministre, a signé l’ensemble des textes internationaux contre la traite des êtres humains et la prostitution. Elle se doit aujourd’hui d’aller plus loin dans leur mise en œuvre.

Mes chers collègues, parce qu’elle est avant tout violence, parce qu’elle détruit, parce qu’elle nie la dignité humaine, parce qu’elle considère le corps humain comme une marchandise, la prostitution doit être combattue.

Pour conclure, je vous citerai un extrait du manifeste d’un collectif d’hommes regroupés dans un combat laïc et républicain, le réseau ZéroMacho.

Voter ce texte permettra, disent-ils « de donner toute sa place à une liberté véritable, la liberté d’avoir le choix, la liberté de disposer de son corps sans abuser du corps d’autrui, la liberté de pouvoir vivre sans avoir besoin de se prostituer. »

Comme le disait Danielle Bousquet en introduction, voilà la société dans laquelle nous voulons vivre. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le président, madame la présidente de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, éclairer sur la réalité de la prostitution aujourd’hui, interpeller sur sa légitimité dans une démocratie comme la nôtre, telle est l’ambition que s’est donnée la mission d’information sur la prostitution de l’Assemblée nationale.

J’ai déjà eu l’occasion de saluer votre travail, chère Danièle Bousquet, cher Guy Geoffroy, chers parlementaires qui avez participé à ce travail, et je me suis également exprimée sur cette question qui nous rassemble lorsque vous m’avez auditionnée le 30 mars 2011.

J’ai lu, vous l’imaginez, avec beaucoup d’intérêt votre rapport publié le 13 avril 2011. Ce rapport et ses recommandations contribueront à faire évoluer notre politique en matière de prostitution, comme le prévoit le troisième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes.

Je tiens à le rappeler ici solennellement, la prostitution est une négation de nos principes fondamentaux : celui de la dignité de la personne humaine, celui de l’égalité entre les femmes et les hommes, celui de la non-patrimonialité du corps humain qui s’oppose à ce que le corps humain soit traité comme un bien marchand.

Au regard de ces principes, quelle légitimité accorder dès lors à la prostitution dans notre société ? Nous le savons tous, meurtres, actes de torture, viols, agressions, humiliations sont le lot quotidien des personnes prostituées. Faut-il encore rappeler que les personnes prostituées sont principalement des femmes tandis que les clients sont pratiquement toujours des hommes ?

Je le réaffirme ici : la prostitution est une violence faite aux femmes, une violence de genre. J’ai déjà eu l’occasion de souligner que les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, mais des faits majeurs parce qu’elles constituent des crimes. Je l’ai tout récemment encore rappelé à la presse, le 24 novembre, à l’occasion du lancement de la campagne 2011 de lutte contre les violences faites aux femmes. Je tiens d’ailleurs à remercier vivement tous les parlementaires qui ont accepté de porter le ruban blanc, symbole international depuis 1991 de la lutte contre les violences faites aux femmes. Ils auront ainsi témoigné de leur attachement à cette cause.

Comme vous le savez, le slogan de cette campagne est «Oser en parler », parce que parler des violences faites aux femmes est une nécessité absolue dans une démocratie. Le rapport de la mission s’inscrit dans ce même état d’esprit humaniste et féministe. Il contribue à lever le tabou de la prostitution pour nous aider à mieux réagir collectivement. En tant que ministre chargée des droits des femmes, je veux combattre avec toute mon énergie cette atteinte grave à la dignité humaine et à l’égalité entre les femmes et les hommes qu’est la prostitution.

Les médias se sont récemment fait l’écho de cette question – je pense aux dossiers consacrés en avril et encore tout récemment, fin novembre, aux débats sur la prostitution. Non, la prostitution n’est ni une activité professionnelle ni une activité « glamour », qui serait moderne ou socialement acceptable. La complaisance envers ce fléau ne peut que favoriser le développement de nouvelles formes de prostitution – celles des jeunes – et de nouveaux vecteurs – internet – moins visibles, donc plus difficiles à combattre.

Non, comme Armand Jung, Laurence Dumont ou d’autres, je ne crois pas à la prostitution libre ou choisie. La notion de consentement est pour moi, dans ce domaine, totalement inopérante. Il suffit, d’ailleurs, de confronter le discours de cette minorité de personnes, auto-désignées comme porte-parole des prostituées, avec la parole de celles qui se présentent comme anciennes professionnelles, pour que la réalité des souffrances vécues apparaisse, ce que Guy Geoffroy a très justement appelé leur « parcours de douleur ». Je vous renvoie également à l’admirable livre sur ce sujet de Jeanne Cordelier : La Dérobade.

C’est également pour toutes ces raisons que je suis fermement opposée à l’assistance sexuelle pour les personnes handicapées. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet, lors de mon audition en mars dernier, devant la mission parlementaire. Les « aidants sexuels » représenteraient une forme de prostitution professionnalisée et spécialisée. Cela ne peut que heurter profondément ma conception de la dignité de la personne humaine, celle de la personne handicapée, celle de la salariée au titre de services sexuels. Non, le corps de la femme n’est pas un objet devant répondre aux besoins prétendument irrépressibles de la sexualité masculine. Au nom de la dignité humaine, nous devons réaffirmer avec Danièle Bousquet et vous toutes et tous la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Cette position vise à protéger les droits fondamentaux des personnes prostituées et à décourager la prostitution.

Nous le savons tous, la prostitution a, depuis ces dernières années, un nouveau visage : elle est alimentée par la traite des êtres humains. Vous avez pratiquement tous rappelé ce chiffre : les femmes de nationalité étrangère représentent près de 90 % des femmes se prostituant dans l’espace public. La plupart sont sous la coupe de réseaux criminels organisés. Nous le savons, il n’est pas possible de combattre efficacement la prostitution sans combattre la traite des êtres humains. Les deux combats sont indissociablement liés, car la traite et la prostitution se nourrissent mutuellement. Ces combats sont l’affaire et la responsabilité de tous.

De quel arsenal juridique disposons-nous ? Notre cadre juridique est aujourd’hui axé sur la condamnation du proxénétisme, c’est-à-dire l’exploitation de la prostitution d’autrui, même avec son consentement. En revanche, l’activité prostitutionnelle en elle-même n’est pas interdite. Seules certaines de ses manifestations troublant l’ordre public sont sanctionnées – Philippe Goujon en a utilement rappelé le cadre. Face à l’ampleur du phénomène de la traite et du proxénétisme qui, par définition, n’a pas de frontières, et dépasse les frontières, il est urgent de renforcer la lutte en ce domaine et de garantir les droits fondamentaux des victimes de l’exploitation sexuelle. Plusieurs conventions internationales y engagent la France ; j’en citerai deux, que vous avez, vous aussi, rappelées à raison. Dans le cadre des Nations unies, la convention du 2 décembre 1949 a ouvert la voie pour qu’au fil des générations, on puisse construire des sociétés qui refusent l’asservissement de l’autre, donc la prostitution. Cette convention phare, que la France a ratifiée voilà plus de cinquante ans, réaffirme que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine… » Au niveau européen, le cadre juridique s’est récemment enrichi avec l’adoption, en avril dernier, par l’Union européenne, d’une nouvelle directive sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains. Cette directive prévoit notamment, dans son article 3, que « les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains ».

M. Jean-Paul Lecoq. Exactement.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Elle devra être transposée en France d’ici à deux ans. Ces instruments internationaux engagent la France à aller encore plus loin pour lutter contre la prostitution et garantir aux personnes prostituées leurs droits fondamentaux.

Où en sommes-nous à cet égard ? Le Gouvernement agit pour la prévention et la lutte contre la prostitution. En témoigne en particulier, Elie Aboud l’a rappelé, le troisième plan interministériel 2011-2013 de lutte contre les violences faites aux femmes que je pilote. Ce plan engage au total 31,6 millions d’euros, soit une augmentation de 30 % par rapport au plan précédent. Il s’inscrit dans la continuité des actions menées en 2010, année de la grande cause nationale consacrée à la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes.

Ce plan va plus loin que les précédents – 2005-2007 et 2008-2010 – en accordant une place spécifique à la prostitution. Le plan 2011-2013 définit plusieurs mesures pour la combattre. La prévention : il s’agit de faire évoluer les mentalités, en informant sur la prostitution, sur les violences faites aux femmes. Quand je vois les manifestations médiatiques de radios et de télévisions sur ce dossier, je me dis qu’il nous reste du chemin à faire.

Mme Danielle Bousquet. En effet !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est pourquoi le plan interministériel programme trois campagnes d’information à destination du grand public. Vous avez déjà pris connaissance de la première, lancée le 25 novembre dernier, qui porte sur les violences conjugales, les viols et les agressions sexuelles. La deuxième sera engagée début 2012 et portera sur les violences sexistes et sexuelles au travail. Mais pour la première fois, une troisième campagne sera lancée, qui mettra en exergue les liens existants entre prostitution et traite des êtres humains. Il s’agira notamment de sensibiliser au rôle que joue le client, par sa demande, dans l’alimentation des réseaux de prostitution et dans la traite des êtres humains. S’agissant des jeunes, faut-il encore rappeler la nécessité de lutter, dès le plus jeune âge, contre le sexisme, les violences sexistes et sexuelles, les stéréotypes de genre imposés aux filles et aux garçons ? Oui, il faut absolument diffuser très tôt une culture de l’égalité entre les filles et les garçons et du respect mutuel. C’est ainsi que nous pourrons construire, à terme, une société où l’égalité est une réalité quotidienne.

Il convient également de renforcer la lutte contre le proxénétisme. Le plan interministériel confie à l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale deux missions : recenser les nouvelles formes de proxénétisme et développer des pratiques innovantes pour mieux lutter contre le proxénétisme.

Je rejoins Marie-Françoise Clergeau : l’accueil et la prise en charge des personnes prostituées sont une ardente obligation. Nous le savons tous, l’accompagnement de ces personnes est essentiel pour les aider à sortir de la prostitution et à retrouver le chemin d’une vie normale. Oui, il en faut, du courage, pour fuir la prostitution ou s’échapper de l’emprise d’un réseau criminel. Je tiens à mon tour à saluer l’action des associations, partenaires clés des pouvoirs publics. Elles accompagnent et prennent en charge les personnes prostituées sur plusieurs plans : sanitaire, physique et psychologique, hébergement, logement, réinsertion, aide matérielle et administrative, régularité du séjour en France. Je rappelle d’ailleurs que l’on peut délivrer des autorisations de séjour à une personne prostituée qui témoigne ou porte plainte contre une personne poursuivie pour trafic d’êtres humains ou proxénétisme. Enfin, le plan prévoit de faire évoluer le cadre juridique de la prostitution. Il s’agit d’étudier l’opportunité d’une pénalisation des clients en s’inspirant des modèles suédois, norvégien notamment.

Lors de mon audition devant la mission parlementaire, j’ai eu l’occasion de vous dire que je suis favorable, à titre personnel, à la pénalisation des clients. C’est d’ailleurs un combat que je mène depuis fort longtemps ; certaines et certains le savent ici. C’est également l’une des préconisations phare de votre rapport. Il est essentiel que le client prenne conscience qu’en achetant un acte sexuel, il perpétue le système prostitutionnel. Ce système se nourrit de la détresse, de la vulnérabilité de nombreuses personnes. Je le réaffirme avec fermeté : la prostitution n’est pas un acte anodin, mais une violence qui entraîne de graves conséquences physiques et psychologiques extrêmement destructrices. La sensibilisation à cette réalité et la responsabilisation du client peuvent, j’en suis convaincue, contribuer à faire reculer la prostitution.

N’oublions pas que notre lutte contre la prostitution, c’est également notre lutte en faveur d’une politique cohérente de l’égalité entre les femmes et les hommes dans notre société. C’est une politique de défense des droits humains. Je vous en remercie. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La discussion générale est close.

Article unique

M. le président. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Élie Aboud, pour le groupe UMP.

M. Élie Aboud. Je me suis déjà largement exprimé sur le fond, mais je profiterai de l’occasion qui m’est donnée pour remercier, au nom du groupe UMP, Mme la ministre pour son combat et son engagement personnels dans ce domaine.

Je pense également être dans mon rôle pour remercier Mme la présidente Bousquet et M. le rapporteur Guy Geoffroy qui ont accompli un travail exceptionnel, tout à la fois rétroactif et prospectif. Ils ont en effet auditionné tous les acteurs concernés par la prostitution en France et au-delà de nos frontières.

IL ne s’agit pas, mes chers collègues, d’un combat politiquement ou médiatiquement correct ; pour nous, c’est un combat éthiquement obligatoire, et c’est l’honneur des représentants de la nation de débattre d’un tel sujet.

Le groupe UMP est, bien sûr, favorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Le mythe du « plus vieux métier du monde » a décidément la vie dure. La réalité de la prostitution n'est pourtant pas celle d'un choix professionnel librement consenti ; la réalité, ce sont les violences sur les personnes prostituées, c’est le proxénétisme, c’est la traite d'êtres humains à travers des réseaux mafieux, c’est enfin la marchandisation du corps.

Vous l’avez dit et répété : 85 % des personnes prostituées en France sont des femmes et 90 % d’entre elles sont étrangères, en grande majorité en situation irrégulière, donc en situation de grande fragilité et de dépendance. C'est bien là, malheureusement, le signe du rôle prédominant que jouent les réseaux de traite sur le système prostitutionnel actuel.

La proposition soumise au vote de notre assemblée, aujourd'hui, est le résultat d’un consensus traversant nos différents courants politiques. La France se doit d’être à la fois un moteur et un modèle en matière de lutte contre toute forme de prostitution.

Cette proposition de résolution poursuit trois objectifs très clairs : montrer que la prostitution est incompatible avec les idéaux d'émancipation de la République, battre en brèche les clichés qui lui sont associés et réaffirmer que la lutte contre la prostitution ainsi que la protection des personnes prostituées sont une priorité. La République ne peut tolérer la perpétuation de l'idée selon laquelle la sexualité serait un droit devant être satisfait à n'importe quel prix. Tout acte sexuel non désiré constitue une violence pour la personne qui la subit et porte atteinte au principe fondamental qu'est le respect de la dignité humaine. Comme le montre le rapport d'information sur la prostitution en France, la majorité des personnes qui se prostituent ne le font pas au nom d'un libre choix. Comment prétendre cela lorsqu'on constate la prostitution de mineures ou d'étudiantes ?

Il est tout aussi essentiel de garantir les droits fondamentaux des personnes prostituées et de lutter ardemment contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Nous ne pouvons que nous féliciter que la majorité accepte de les regarder comme des victimes. La création du délit de racolage passif, la lutte contre la visibilité de la prostitution n'ont pas simplement culpabilisé les prostituées ; on a en réalité aggravé le danger qui pèse sur ces personnes en les rejetant dans l'ombre. Nous avons raté l'occasion, avec la loi du 9 juillet 2010, de protéger les victimes de traite au même titre que celles de mariage forcé. Cette résolution marque donc une évolution dont nous nous félicitons et que nous ne pouvons que vous encourager à poursuivre. Il s'agit de mettre en place une politique volontariste et ambitieuse visant, bien sûr, à changer les mentalités et à bousculer les idées reçues sur la prostitution et les personnes contraintes de la pratiquer. Un des objectifs de cette résolution porte justement sur l'effort à consacrer à l'information, la prévention, l'éducation et la responsabilisation des clients, mais également de toute la société. La volonté politique est au cœur d'une possible évolution.

Parce que le groupe socialiste, radical et citoyen et divers gauche est profondément attaché aux principes qui fondent notre République, à savoir l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité humaine et la lutte contre toutes formes de violences, notamment les violences de genre, il votera bien évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le groupe GDR.

M. Jean-Paul Lecoq. Je voudrais aussi, à mon tour, me féliciter de cette initiative, même si j’ai déjà eu lieu de m’en réjouir à la tribune. Elle doit permettre à notre société de progresser sur le chemin du respect de la personne humaine et de l’égalité des hommes et des femmes. Notre démarche ne participe pas d’une attitude moralisatrice : elle se veut résolument éthique.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Jean-Paul Lecoq. Éthique : le mot a déjà été utilisé, et c’est bien lui qui fonde la lutte contre toute marchandisation du corps humain.

On ne peut que se réjouir de voir une ministre de la République porter l’engagement à ce niveau ; et en vous écoutant, madame la ministre, j’ai aussi mesuré combien il était essentiel, s’agissant des relations entre les garçons et les filles, de les éduquer dès leur plus jeune âge…

M. Élie Aboud. Excellent !

M. Jean-Paul Lecoq. …et de porter, de manière générale, un regard sur la société. Nous sommes en retard sur ce point, non au niveau de la pensée, mais au niveau de l’action.

Je pense également que, pour agir contre la prostitution, il faut également agir sur les causes, sur celles qui font qu’à un moment donné un individu – un jeune, une jeune, une étudiante – choisit ce moyen-là pour atteindre un objectif : payer ses études ou avoir une vie que ses parents ne peuvent peut-être lui offrir, faute de moyens. Il est donc indispensable d’agir sur ces causes, afin que chacun puisse avoir un travail et en vivre, que le travailleur manuel puisse vivre de la force de travail de ses bras, et l’intellectuel puisse vivre des ressources de son esprit, et qu’ils n’aient point besoin de recourir à d’autres moyens pour gagner leur vie. La lutte contre le chômage est à cet égard un élément important.

Si je m’associe aux remerciements adressés à la mission pour son travail, je tiens également à remercier tous les collègues qui, quels que soient leurs bancs, nous représentent au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, et qui, avec les autres États du Conseil de l’Europe, luttent pour cette cause et pour que ces valeurs, cette éthique soient partagées par tous les pays. Il faut également, et c’est l’objet des résolutions du Conseil de l’Europe, que des partenariats se tissent, entre nos polices, par exemple, pour que la victime ici soit protégée, mais pour que sa famille, restée au pays, le soit également. Si l’on n’agit pas aux deux bouts de la chaîne, le combat est perdu d’avance.

Enfin, madame la ministre, j’ai bien noté qu’il était essentiel pour vous de considérer la victime comme une quasi-réfugiée dès lors qu’elle ose agir pour sortir de sa situation. Nous lui devons protection et veiller à ce qu’elle reste chez nous le temps qu’il faut, y compris éventuellement pour se soigner, car cette activité n’est pas sans risques, nombre de collègues l’ont souligné.

C’est un grand moment que ce vote : il nous rassemble sur des valeurs qui font la grandeur de notre République et de notre pays. Les députés communistes et du Parti de gauche sont fiers de s’y associer. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Claude Leteurtre. Le groupe Nouveau Centre, comme l’a fort bien expliqué Raymond Durand, votera bien évidemment cette proposition de résolution.

Je n’ajouterai pas beaucoup d’observations, mais j’en profiterai pour remercier Mme la ministre pour son combat opiniâtre et persévérant. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Claude Leteurtre. Elle a voulu ce vote. Je tiens également à associer à ces remerciements Danièle Bousquet, Guy Geoffroy et tous les membres de la mission.

M. Patrick Lemasle. C’est en effet le travail d’une mission !

M. Claude Leteurtre. En effet, et nous devons le dire, car cela a représenté beaucoup de temps et de volonté. Comme toujours dans le combat politique, il faut faire preuve de persévérance.

Les principes, dont celui de la non-patrimonialité, doivent bien sûr être rappelés. Nous avons, là, globalement fait œuvre utile. La suite à donner est essentielle. Mon collègue Lecoq le rappelait tout à l’heure : nous devons maintenant passer aux travaux pratiques. Je sais, madame la ministre, que telle est votre intention. L’étape suivante doit être la transposition de cette disposition dans le code pénal. Peut-être convient-il parfois de taper là où ça pose problème parfois, en responsabilisant le client.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Claude Leteurtre. Dans l’immédiat, nous voterons cette proposition de résolution avec beaucoup de foi. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Vote sur l'article unique

M. le président. Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution.

(L'article unique de la proposition de résolution est adopté.)

(Applaudissements sur tous les bancs.)

11

Rénovation du réseau express régional d’Île-de-France

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Pierre Morange et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d’enquête relative aux modalités de fonctionnement, au financement ainsi qu’à l’impact sur l’environnement du projet de rénovation du réseau express régional d’Île-de-France et notamment de la ligne A du RER (nos 3259, 4015).

La parole est à est M. Yanick Paternotte, rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Yanick Paternotte, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, présentée par notre collègue Pierre Morange et plusieurs de nos collègues franciliens au printemps dernier, la présente proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête de trente membres, dont les travaux se dérouleront dans les quelques semaines qui nous séparent de la fin de la treizième législature. L’urgence de cette démarche se justifie à plus d’un titre.

Tout d’abord, le thème de travail proposé : les modalités, le financement et l’impact sur l’environnement du projet de rénovation du réseau RER d’Île-de-France, intéresse les onze millions de Franciliens voués à emprunter ce mode de transport victime de trop longues années de sous-investissement et, paradoxalement, de son succès grandissant, les besoins de mobilité à l’échelle de la région capitale étant plus forts que jamais.

Ensuite, comme l’attestent, notamment, les reports successifs du débat parlementaire sur le schéma national des infrastructures de transport, force est de constater que la représentation nationale reste trop peu associée à la définition des grands choix stratégiques structurants qui engagent l’avenir et mobilisent l’argent du contribuable. Or le Parlement doit en toute occasion s’attacher à exercer la fonction de contrôle que la Constitution lui reconnaît et qu’il a, hélas ! trop souvent tendance à négliger ou à déléguer à des autorités moins légitimes que lui.

Enfin, la commission d’enquête est un outil d’intervention adapté, en ce qu’elle permet, au-delà des effets d’annonce de certains responsables publics, d’approfondir la connaissance des enjeux et d’obtenir des précisions fiables sur le déroulement des projets. Comme j’ai pu le constater en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire, créée à l’initiative de nos collègues du groupe GDR, la grande rigueur qui est d’usage dans ce cadre constitue une garantie, face à des enjeux aussi essentiels que la maîtrise des coûts ou le respect de l’environnement. J’ai eu l’occasion de le dire en commission du développement durable : j’ai été surpris en découvrant que, dans le cadre d’une commission d’enquête, on parvient à recueillir des témoignages et des données que l’on ne trouve parfois nulle part ailleurs.

Comme je l’ai également déjà fait en commission, il est de ma responsabilité de vous indiquer que la présente proposition de résolution satisfait les exigences posées par le règlement de l’Assemblée nationale, au nombre de trois.

Tout d’abord, la proposition de résolution porte sur des faits déterminés, puisqu’elle tend à analyser les modalités, notamment financières, et les conséquences de tous ordres du projet de rénovation du RER. Son objectif satisfait donc aux exigences posées par l’article 137 du règlement.

Ensuite, elle remplit les conditions posées par l’article 138 du règlement, puisqu’aucune commission d’enquête ou aucune mission réalisée dans les conditions prévues à l’article 145-1 n’a effectué des travaux sur ce même sujet depuis douze mois.

Enfin, la dernière condition de recevabilité d’une proposition de résolution concerne la mise en œuvre du principe de séparation entre le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire, qui interdit aux assemblées parlementaires d’enquêter sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires en cours. Cette condition est satisfaite : aucune procédure en cours n’entre dans le champ d’étude proposé, ainsi que l’a indiqué par courrier, le 14 avril dernier, M. le garde des sceaux au président de l’Assemblée nationale, en réponse à la lettre qui lui avait été envoyée le 29 mars.

Je souligne au passage, monsieur le ministre, que la présente proposition de résolution a été déposée en février. Certains de nos collègues ne manqueront pas, je suppose, de nous reprocher la lenteur de son examen. Je regrette que l’on n’ait pu trouver plus promptement pour ce texte une place dans l’agenda parlementaire.

Mes chers collègues, la commission d’enquête qu’il vous est proposé de créer aura pour ambition d’analyser les modalités et les conséquences de tous ordres d’un projet d’intérêt général : la rénovation du réseau RER, dont l’urgence et la nécessité sont indiscutables.

Le réseau RER date de 1962. Sa réalisation s’est étalée jusqu’en 1979 pour les quatre premières lignes. Aujourd’hui, cela représente 587 kilomètres sur cinq lignes, 2,7 millions de passagers par jour, dont 1,2 million sur la ligne A et plus de 500 000 sur la ligne D, dans sa partie nord.

Du fait de la dégradation d’un réseau par ailleurs plutôt bien conçu et à l’époque riche de potentialités, du risque de saturation du système – ce qui, paradoxalement, valide sa pertinence – et de la réalité de la gêne qui en résulte pour les usagers, la nécessité d’une rénovation ne fait pas débat en Île-de-France. S’agissant d’un projet d’intérêt général, il est d’autant plus légitime que s’en saisisse la représentation nationale que les élus des territoires concernés sont quotidiennement interpellés à ce sujet. Pour ma part, élu de l’est du Val-d’Oise, je peux vous dire que la ligne D est l’objet d’un débat récurrent et d’une insatisfaction permanente de la part des habitants de ces territoires.

Le premier constat justifiant une démarche d’investigation, c’est que le réseau et le service du RER se sont dégradés du fait d’une trop longue période de sous-investissement. Dès lors, il conviendra, après avoir analysé les causes de ce phénomène, de proposer des solutions pour y remédier, dans une recherche de complémentarité avec les autres projets qui concernent la région, en particulier le réseau de métro automatique du Grand Paris, le Grand Paris Express.

Un effort particulier doit être entrepris pour moderniser le matériel roulant, fiabiliser les infrastructures, pour prévenir les incidents techniques qui perturbent de manière répétée la régularité des trains, conforter les efforts déjà accomplis en matière de rationalisation du service, notamment en ce qui concerne le partage des responsabilités entre la RATP et la SNCF – on, ne peut pas vraiment dire que ce soit un atout extraordinaire –, enfin et peut-être surtout, pour sécuriser les voyageurs, qui se sentent parfois bien seuls dans des rames relativement vides en dehors des heures de pointe.

Il convient de noter que la ligne A et une partie de la ligne D figurent parmi les douze lignes identifiées par la SNCF au début de l’année 2011 comme « sensibles » et devant à ce titre faire l’objet de projets de services spécifiques.

En matière de plans de financement, il conviendra que les membres de la commission d’enquête obtiennent des données précises et fiables précisant les indicateurs à partir desquels elles ont été établies. En effet, tant l’analyse des avant-projets successifs du SNIT, qui s’est étalée de novembre 2010 à novembre 2011, en trois étapes, que le contrôle de la mise en application de la loi relative au Grand Paris ont montré combien il était difficile de recueillir des données précises, j’oserais dire objectives, garanties par les opérateurs – et parfois tout simplement réalistes quant au financement.

Les deux nouvelles rames à deux étages mises en service hier sur la ligne A, d’une capacité augmentée de 60 % par rapport à celles qui circulent actuellement – passant de 1 700 à 2 600 voyageurs potentiels – ne manqueront pas d’améliorer les conditions de transport sur la ligne, en attendant que de telles rames arrivent sur la ligne D puis sur les autres lignes. Si elles disposent d’une plus grande capacité et de meilleures prestations d’accessibilité et de confort, la qualité de service reste perfectible, comme l’a du reste admis le PDG de la RATP lors de sa dernière audition par notre commission du développement durable, le 22 juin.

Du reste, lors de la présentation du bilan des débats publics conjoints sur le réseau de transport public du Grand Paris et sur le projet régional Arc Express, avant que les deux ne fusionnent dans le Grand Paris Express, débats organisés fin 2010, le préfet Philippe Deslandes, président de la commission nationale du débat public, n’a pas hésité à parler de « souffrance » pour qualifier la situation des Franciliens soumis à d’incessantes perturbations de transport, en particulier sur le réseau RER. L’urgence d’améliorer cette situation est donc d’autant plus grande que la souffrance des usagers est vive.

En outre, malgré une relative stabilisation de la conflictualité sociale et une application globalement satisfaisante de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public, dite « loi sur le service minimum », les perturbations liées aux grèves restent une source d’anxiété pour les voyageurs, notamment parce qu’elles mettent en évidence leur dépendance vis-à-vis d’un mode de déplacement dont ils ne maîtrisent pas toutes les variables. Sont en effet pris en otage les usagers sans solution alternative, comme ceux de la branche nord de la ligne D, dans le Val-d’Oise, et les plus fragiles, ceux qui n’ont pas de véhicule.

Pour toutes ces raisons, la mise en œuvre de la rénovation du RER doit faire l’objet d’un suivi attentif du Parlement. Dans son exposé sommaire à l’appui de cette proposition de résolution, notre excellent collègue Pierre Morange, que je salue, insiste à raison sur la nécessité de bien dimensionner les opérations de rénovation aux besoins réellement constatés, car il est essentiel d’évaluer « tant la capacité d’absorption du projet de réseau d’un afflux ponctuel de voyageurs – par exemple, en cas de pannes de machines ou de grèves – que l’augmentation prévisible du trafic à trente ans, en fonction de l’accroissement prévisible du nombre d’usagers ».

Je ne peux que souligner la justesse de cette analyse. Prévoir un projet de rénovation a minima, en vue de ne résoudre que les incidents constatés au cours des dernières années, serait à notre avis une expérience sans grand avenir. La commission d’enquête devra par conséquent porter une attention particulière aux études qui pourront lui être présentées afin de vérifier que toutes les solutions envisagées sont conformes aux prévisions de charge qui dimensionnent le réseau rénové.

Enfin, elle devra se rapprocher des bons interlocuteurs pour exprimer sa préoccupation que les projets de développement prennent bien en compte les problèmes environnementaux, pour ce qui concerne tant la préservation des milieux desservis que le choix de solutions techniques et d’un matériel roulant aux nuisances aussi limitées que possible.

La commission du développement durable a souhaité apporter quelques modifications à cette proposition de résolution. Elles sont toutes d’ordre rédactionnel, à une exception près : nous avons décidé d’élargir le champ initialement proposé à tout le réseau RER et non de le limiter à la seule ligne A, comme je viens de l’exposer. C’est l’ensemble du réseau que devra examiner la commission d’enquête.

Notre commission du développement durable a adopté cette proposition de résolution déposée à l’initiative de notre collègue Pierre Morange et qu’à titre personnel je soutiens avec force. Pour toutes les raisons que j’ai exposées, je vous invite, mes chers collègues, à la voter.

M. Pierre Morange. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Lepetit.

Mme Annick Lepetit. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le sujet qui nous intéresse aujourd’hui est pour le moins surprenant dans cette enceinte. La mise en place d’une commission d’enquête parlementaire concernant le réseau express régional d’Île-de-France me paraît en effet une décision quelque peu disproportionnée et, surtout, inadaptée.

Ce n’est pas que je méconnaisse ou sous-estime la situation des usagers, bien au contraire : je trouve d’ailleurs intéressant de voir la majorité se pencher aujourd’hui sur la question des conditions de transport des Franciliens. Je me suis en effet souvent sentie un peu seule lorsque je dénonçais la saturation des réseaux existants et la souffrance des usagers du RER ou de certaines lignes de métro – la ligne 13, par exemple. Toutefois, je ne pense pas qu’une commission d’enquête soit adaptée au sujet, que ce soit en termes de légitimité, de moyens ou de calendrier.

J’ai noté qu’à la page 8 du rapport, la création d’une commission d’enquête est justifiée ainsi : « S’agissant d’un projet d’intérêt général, il est d’autant plus légitime que la représentation nationale s’en saisisse que les élus des territoires concernés sont quotidiennement interpellés à ce sujet. » Certes, mais je suis, tout comme vous, constamment interpellée sur nombre d’autres sujets : le manque d’emplois, l’absence de policiers dans les quartiers difficiles, les classes surchargées et les jeunes professeurs mis devant des élèves sans la moindre formation, ou encore l’accroissement des inégalités entre les riches et les pauvres… Bref, si l’Assemblée nationale organise une commission d’enquête sur les retards du RER, chacun des sujets que je viens d’évoquer le mérite, à mes yeux, tout autant.

La commission d’enquête apparaît comme une solution surdimensionnée, mais surtout inadaptée. Pourquoi, par exemple, ne pas demander au président du STIF, dans le cadre de ses compétences, de constituer un groupe de travail sur le fonctionnement du RER, dans lequel les parlementaires intéressés seraient associés ? Cela me paraîtrait plus efficace et plus en adéquation également avec les lois sur la décentralisation.

Je reviens sur le rapport et plus particulièrement sur sa page 11 : « Il est donc indispensable que les responsables politiques orientent les choix et valident les modalités envisagées pour les mettre en œuvre ». Je suis tout à fait d’accord avec cela mais, mes chers collègues, il ne vous a pas échappé que les lois Raffarin ont confié cette mission au STIF… Or la loi sur le Grand Paris, suivie de la réforme territoriale, puis ce projet de résolution aujourd’hui, témoignent d’une volonté certaine de recentraliser des compétences que vous avez hier confiées aux collectivités – comme si vous regrettiez d’avoir voté ces lois en 2004.

Quel intérêt de créer une commission d’enquête au moment où sont livrées les nouvelles rames de la ligne A ? Je sais que vous avez élargi le champ d’investigation – nous en avons discuté en commission, un amendement a été déposé –, mais c’est bien cette ligne qui était avant tout ciblée par notre collègue Pierre Morange.

M. Pierre Morange. Non, au départ, je visais bien l’ensemble du RER !

Mme Annick Lepetit. Croyez-vous vraiment qu’une commission d’enquête parlementaire permettra d’accélérer le calendrier prévu ? Les rames seront livrées de 2012 à 2017. Croyez-vous vraiment qu’une commission d’enquête parlementaire va faire baisser le coût de la rame,…

M. Henri Plagnol. Nous l’espérons bien !

Mme Annick Lepetit. …passé de 10 à 15 millions d’euros, et négocié par la seule RATP ? Alors que les fameuses lois de décentralisation que j’ai évoquées ont conféré au STIF des prérogatives en matière de transport, on en a profité pour évacuer du conseil d’administration de la RATP les élus, notamment les parlementaires. C’est dommage.

M. Henri Plagnol. Cela fait partie des sujets qu’examinera la commission d’enquête !

Mme Annick Lepetit. En vous entendant évoquer l’urgence de constituer cette commission, à six mois des élections présidentielles, cela me rappelle le débat sur la loi sur le Grand Paris, que vous trouviez tout aussi urgent. L’urgence pour vous, c’était alors les élections régionales toutes proches… Et cette tentative de coup politique ne vous avait pas franchement réussi, du moins si l’on s’en tient aux résultats de ces élections. J’ai le sentiment de retrouver la même situation, avec des élections toutes proches, un Président qui prend le RER et tire à lui la couverture pour récupérer et le travail et les investissements des collectivités, et un texte qui arrive à l’Assemblée pour appeler de toute urgence à s’occuper des transports franciliens… Il y a là comme une impression de déjà-vu !

Il faut bien sûr se montrer sérieux au sujet des transports franciliens, s’en préoccuper mais je pense que nos concitoyens ne sont pas dupes de cette manipulation. D’ailleurs, à en croire le sondage paru hier sur le site du Figaro, peu connu pour ses tendances gauchisantes,…

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Pourquoi ? Les autres journaux sont tous gauchisants ?

Mme Annick Lepetit. …les Français sont déjà plus de 70 % à penser que cette commission d’enquête ne changera rien.

Sur le fond, si vous ne cherchez qu’à faire un rapport à charge contre la gestion des transports par la région et le STIF, vous risquez d’être déçus par ce que vous trouverez et par les conclusions que vous serez forcés d’en tirer.

Souvenons-nous de ce qui s’est passé : c’est en 2006 que le président de la région Ile-de-France a pris la tête du STIF. Je relève donc, à ce sujet, une approximation dans l’exposé des motifs de la résolution, que j’ai déjà souligné en commission : vous expliquez que l’État et la région se renvoient la balle depuis deux décennies. Or, avant 2006, seul l’État a eu la responsabilité du sous-investissement dans les RER et donc de l’absence de moyens consacrés à l’amélioration de la fiabilité du réseau. D’ailleurs, au moment de cette décentralisation, les administrateurs du STIF avaient unanimement demandé un état des lieux du réseau, mais sans succès.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. C’est bien pourquoi il faut le faire !

Mme Annick Lepetit. On aurait mieux fait de le faire à cette époque…

Dès le mois de mai 2006, un vaste programme de rénovations et d’acquisitions des rames a été engagé. Puis la priorité du président du STIF a été d’établir et de mettre en œuvre le plan de mobilisation pour les transports. Celui-ci, voté à l’unanimité, s’élevait à près de 19 milliards d’euros et était porté par la région et ses huit départements. Il prenait en compte à la fois la rénovation de l’existant et le développement de nouveaux projets tels que le prolongement de la ligne 14 pour désaturer la ligne 13 ainsi qu’Arc Express. Il contenait notamment un volet « urgences », qui visait à traiter les problèmes de régularité, de saturation et d’accessibilité des métros et des RER. Il prévoyait par exemple un peu plus de 1 milliard d’euros pour renouveler le matériel roulant du RER A.

Les collectivités locales s’engageaient à hauteur de 12 milliards d’euros et demandaient à l’État de prendre sa part, comme cela se passe pour n’importe quel autre programme de transports ailleurs qu’en Île-de-France. Ce plan d’urgence a donc été déposé en 2008 sur le bureau de Jean-Louis Borloo, mais le Gouvernement n’a pas jugé utile d’y apporter alors une réponse. Les transports franciliens ne semblaient pas être une priorité et je ne me souviens pas que beaucoup de députés signataires de la présente résolution s’en soient émus à l’époque. Un temps précieux fut donc perdu, qui obligea la région à débuter les programmes sans savoir si elle pourrait ou non compter un jour sur le soutien de l’État.

Au lieu de cela, un ministre du Grand Paris fut nommé dans l’optique affichée d’empiéter sur les prérogatives de la région et en contradiction complète avec l’esprit de la décentralisation. Je ne reviens pas sur les débats relatifs au Grand Paris mais, souvenez-vous, certains députés UMP, tout comme les socialistes ou des députés d’autres appartenances, avaient présenté des amendements, notamment celui visant à prendre en compte le réseau existant.

Il a fallu attendre que la gauche remporte largement les élections régionales en 2010 pour que l’État daigne s’intéresser aux transports franciliens existants, ceux-là mêmes dont il est question aujourd’hui. Or les deux débats publics sur Arc Express et sur le Grand Paris ont démontré à quel point nos concitoyens considéraient la remise en état des transports qu’ils utilisent au quotidien comme une priorité. Cette prise de conscience tardive fut enfin formalisée dans l’accord du 26 janvier 2011 entre l’État et la région sur le Grand Paris Express.

Rappelons qu’entre 2006 et 2009, les collectivités membres du STIF ont permis un développement de l’offre en augmentant de 450 millions d’euros leur contribution, passée de 680 millions d’euros à plus de 1 milliard d’euros. Vous trouverez peu d’exemples d’une aussi grande implication financière des collectivités dans les transports régionaux.

En conclusion, je ne considère pas cette résolution comme une proposition constructive permettant d’améliorer les conditions de transport des usagers, mais davantage comme une provocation à quelques mois des élections. Je le pense sincèrement, et je trouve dommage que vous cherchiez à faire un coup politique concernant les transports, même si nous commençons à en avoir l’habitude. Alors que la mission Carrez sur les financements et l’accord entre la région et l’État avait montré qu’il était parfois possible de dépasser les clivages pour améliorer les conditions des transports des Franciliens, vous en revenez aujourd’hui aux vieilles méthodes de la confrontation frontale chères à Christian Blanc quand il était en fonction. Je doute que vous obteniez aujourd’hui de meilleurs résultats que lui.

M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête devait initialement se focaliser sur les dysfonctionnements constatés sur la ligne A du RER, mais son objet a été étendu à l’ensemble du réseau express régional d’Île-de-France, ce qui est une bonne chose, les dysfonctionnements constatés sur la ligne A n’ayant rien à envier à ceux subis sur les autres lignes du RER, et notamment sur la ligne B, probablement la plus catastrophique.

Mon intervention portera néanmoins principalement sur la ligne A, celle que je connais mieux et la plus importante avec plus d’un million de voyageurs par jour. Son trafic s’est considérablement dégradé, héritage de décennies de manque d’investissements.

Le livre blanc rédigé par les élus des communes concernées pointe notamment les retards quotidiens, les rames surchargées, l’absence ou l’insuffisance des moyens de substitution en cas d’incident, le matériel obsolète, les arrêts trop peu nombreux dans certaines gares comme Nanterre-Ville, ou encore les temps d’attentes subis par les usagers à Nanterre-Préfecture du fait des changements de conducteurs.

Je voudrais saluer ici ces centaines de milliers de citoyens qui voyagent quotidiennement dans ces conditions inhumaines et qui ont le sentiment d’être méprisés, ainsi que les salariés, notamment les conducteurs qui, sur certaines rames, ont la responsabilité de plus de 2 500 passagers et font face à des conditions de travail très difficiles.

J’invite les futurs membres de cette commission d’enquête, si le principe en est voté, à tenter de prendre le RER à Châtelet entre huit heures trente et neuf heures afin qu’ils apprécient concrètement les conditions endurées par les usagers de cette ligne.

Si la situation du RER A s’est brusquement dégradée ces dernières années, les causes en sont profondes et ne datent pas d’hier. C’est à partir de 1992, à la suite de l’ouverture du parc Eurodisney à Marne-la-Vallée, que la ligne A a connu un développement exponentiel.

M. Henri Plagnol. C’est tout à fait vrai !

Mme Jacqueline Fraysse. L’immobilier s’est développé très fortement à l’Est de la région, tandis que les emplois étaient à l’Ouest, à la Défense notamment. Ce développement déséquilibré s’est poursuivi jusqu’aujourd’hui,…

M. Henri Plagnol. Hélas !

Mme Jacqueline Fraysse. …au point d’aboutir à une ligne constamment au bord de la rupture, avec un train toutes les deux minutes et une marge de tolérance, dans le tronçon central, qui ne dépasse pas cinq secondes par station, le tout avec un matériel vieillissant et des infrastructures très dégradées.

Car, pendant que l’usage de la ligne A se développait, les moyens qui y étaient affectés ne suivaient pas. Les seuls travaux réalisés sur cette ligne se sont limités à la prolonger jusqu’à Marne-la-Vallée. Quant à la SNCF, elle concentrait ses efforts sur le TGV, délaissant les réseaux de proximité, RER et TER.

Ce petit rappel historique permet de montrer que le syndicat des transports d’Ile-de-France, autorité régulatrice, est loin de porter seul la responsabilité de la situation dégradée du RER. Au contraire, depuis que la région en a pris les commandes à la place de l’État, en 2005, le STIF a engagé des mesures qui, espérons-le, devraient améliorer la situation.

Dès 2008, il a demandé à la RATP, qui gère l’essentiel de la ligne, d’élaborer un programme d’amélioration, avec des mesures d’exploitation, de maintenance et d’investissement. C’est ainsi qu’il a pris la décision de renouveler les 130 rames de la ligne à partir de cet automne, afin de n’avoir plus, d’ici à 2017, que des rames à deux niveaux qui permettront d’augmenter la capacité d’accueil de 30 %.

Le STIF a par ailleurs mis sur pied un comité de ligne, lieu d’échanges entre les différents acteurs concernés, et demandé à la SNCF, à la RATP et à RFF d’accroître leurs budgets de maintenance et d’investissement et d’engager un schéma directeur de la ligne A afin de coordonner leurs actions.

Si ces mesures sont indiscutablement intéressantes, elles ne vont cependant pas résoudre tous les problèmes du jour au lendemain. M. le rapporteur met en garde contre « un réseau surdimensionné ». Je crois pouvoir lui dire que le nombre actuel de voyageurs et les perspectives d’évolution de la Défense permettent d’emblée d’écarter cette hypothèse. Je crains plutôt le contraire…

En effet, ces dysfonctionnements ont d’autres causes qui ne dépendent pas du STIF. Je pense notamment aux prix des logements, qui ont explosé ces vingt dernières années, repoussant de plus en plus loin de Paris les ménages modestes et les classes moyennes.

Le STIF n’est pas davantage responsable des décisions prises en matière d’aménagement du territoire car, malgré les lois de décentralisation, la France reste un pays très centralisé autour de Paris et de l’Ile-de-France qui ne représente que 2 % du territoire national, mais concentre 18 % de la population et 29 % du PIB.

Au sein même de la région Ile-de-France, le développement économique se révèle très inégal, les emplois, je l’ai déjà dit, étant plutôt localisés à l’Ouest. Le schéma directeur régional d’Ile-de-France s’est d’ailleurs fixé pour objectif de rééquilibrer le développement économique à l’Est de la région afin de réduire la pression foncière et de limiter le nombre de déplacements.

Le quartier d’affaires de la Défense est à ce titre symptomatique de ce déséquilibre puisqu’il concentre sur un territoire somme toute réduit très peu de logements, mais 150 000 salariés dont 90 % viennent travailler en utilisant les transports en commun.

Et cela va se poursuivre, car le modèle de développement de la Défense est lui-même exponentiel. En effet, l’aménagement en est confié à un établissement public – l’EPADESA – qui, pour assurer son équilibre financier, doit construire toujours plus de bureaux,

M. Patrick Ollier, ministre. Il s’en occupe justement !

Mme Jacqueline Fraysse. …ce que n’a pas manqué de dénoncer dernièrement encore le maire de Nanterre.

M. Patrick Ollier, ministre. J’étais précisément avec lui !

Mme Jacqueline Fraysse. Ainsi, pour éponger son déficit actuel, l’EPADESA doit construire entre 500 000 et un million de mètres carrés de bureaux en plus d’ici à 2020, soit entre 35 000 et 65 000 emplois supplémentaires sur la dalle de la Défense !

Quant au logement de ces salariés – sans parler des équipements publics –, personne ne s’en préoccupe et, pire, la ville de Nanterre a dû se battre pour imposer la présence de logements – en particulier de logements accessibles – dans le projet d’aménagement Seine-Arche, entièrement situé sur son territoire.

C’est pourquoi, dans ce contexte, la question se pose de l’opportunité d’une commission d’enquête sur le RER. Si l’action de la région sur cette question des transports en Île-de-France, depuis 2005 qu’elle est majoritaire au STIF, demeure perfectible, elle aura au moins rompu avec l’immobilisme qui avait prévalu jusque-là.

On peut donc s’interroger sur cette proposition, qui arrive au moment où les choses commencent à bouger, mais aussi à quelques mois de l’élection présidentielle et au lendemain de l’inauguration par le Président de la République de la première nouvelle rame du RER financée par le STIF. Tout cela n’est, bien entendu, pas dénué d’arrière-pensées politiques : comment comprendre autrement ce qui pousse nos collègues du Vaucluse, des Pyrénées-Orientales, des Ardennes et d’ailleurs à se passionner subitement pour les problèmes de transports des Franciliens et à cosigner cette proposition de notre collègue Pierre Morange ?

Si, a priori, cette proposition de création d’une commission d’enquête sur le réseau express régional d’Île-de-France peut être intéressante, nous mettons en garde contre son instrumentalisation pour d’autres objectifs, comme ce fut le cas, par exemple, de la mission d’information sur les fraudes sociales, dont le rapport final, focalisé sur les fraudes aux prestations, a outrageusement contredit le contenu de la quasi-totalité des auditions qui insistaient, au contraire, sur les fraudes aux prélèvements.

Après cette expérience, je suis particulièrement interrogative, même si je veux m’efforcer de croire qu’il s’agit là d’une démarche constructive. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte.

Mme Annick Lepetit et M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un provincial qui, au nom du groupe Nouveau Centre, va s’exprimer sur un problème francilien…

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Très bien ! Le RER va jusque dans l’Oise, ne l’oublions pas !

M. Claude Leteurtre. …et soutenir la proposition de résolution. Tout ce qui concerne la capitale nous intéresse, et c’est logique parce qu’il nous arrive de prendre le métro et le RER, et de voir dans quelles conditions ils fonctionnent. Ainsi, nous connaissons parfaitement la ligne 13,…

M. Henri Plagnol. Excellent !

M. Claude Leteurtre. …et le réseau express régional. Certains d’entre nous ont de la famille en Île-de-France et savent quelle galère insupportable elle vit. Je suis surpris, madame Lepetit, de votre position. Moi qui fréquente régulièrement une ligne SNCF classée dans les douze plus mauvaises lignes nationales, j’eusse aimé qu’une telle commission puisse exister.

M. Jean-Marie Le Guen. Que ne le fîtes-vous ! Déposez un amendement ! Un problème, une commission !

Mme Annick Lepetit. C’est un peu facile !

M. Claude Leteurtre. Lorsqu’on aborde un problème, rien n’est simple. Il faut en voir toutes les dimensions.

Mme Annick Lepetit. Des problèmes, il y en a partout, pas seulement en Île-de-France !

M. Claude Leteurtre. Il nous est proposé de créer une commission d’enquête sur la rénovation de la ligne A du RER, avec pour ambition d’analyser et d’apporter des réponses à une source de souffrance pour 11 millions de Franciliens. Je fais miens, ici, les mots du président de la commission du débat public qui a dressé ce constat de souffrance.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Eh oui !

Mme Annick Lepetit. Vous n’y êtes pas pour rien !

M. Claude Leteurtre. Rappelons que, tous les jours, 3 millions de voyageurs prennent le RER. L’étalement urbain qui prévaut depuis les années 1960, l’explosion continue des prix de l’immobilier, l’évolution démographique ont conduit les Franciliens à devoir accomplir des trajets quotidiens domicile-travail toujours plus longs et pénibles.

Mme Annick Lepetit. Eh oui ! Et on continue !

M. Claude Leteurtre. Si la loi sur le service minimum a été un soulagement pour nombre d’usagers quotidiens des lignes de RER, les incidents, les grèves ou encore les retards et avaries en tout genre restent une source d’anxiété pour les voyageurs et de perturbations tant au niveau de leur vie de famille que de leur vie professionnelle.

Grâce à l’examen en commission du développement durable, cette commission a été élargie à l’ensemble des lignes de RER. C’est une bonne chose, car les lignes D et B souffrent aussi beaucoup.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Surtout la D.

M. Claude Leteurtre. Mme Fraysse le disait tout à l’heure et mon collègue Jean-Christophe Lagarde ne me contredira pas, lui qui reçoit quotidiennement des plaintes à ce sujet de la part de ses administrés.

Historiquement, le dense réseau francilien de transports collectifs a été créé pour porter la croissance de l’activité économique de la région. Toutefois, la congestion actuelle du réseau pousse à remettre en question l’effet d’entraînement que le RER est supposé permettre. La prise de conscience de la nécessité de procéder à des investissements a permis la mise en œuvre de projets de rénovation et de développement.

Les projets de développement sont liés au Grand Paris, bien sûr. Je voudrais, quant à moi, saluer le travail accompli par Christian Blanc, même s’il a pu adopter une manière brutale.

M. Jean-Marie Le Guen. Pourquoi n’est-il pas là ?

Mme Annick Lepetit. Vous êtes complètement contradictoire. Christian Blanc n’a rien à voir avec le réseau existant !

M. Claude Leteurtre. Christian Blanc a travaillé sur le Grand Paris, et sa ténacité et sa persévérance ont fait évoluer les choses et ont permis d’avoir une vision d’ensemble.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Tout à fait !

M. Claude Leteurtre. Il faut également saluer le travail d’André Santini et, actuellement, de Maurice Leroy.

Les projets de rénovation seront analysés par la commission que nous allons créer. Ils concernent notamment le plan de remplacement des rames de la ligne A du RER : le nouveau matériel permettra d’augmenter significativement les capacités des anciens trains et d’embarquer jusqu’à 2 600 personnes contre 1 700 actuellement. Ce plan est évalué à un total de près de 2 milliards d’euros. Les députés du Nouveau Centre souscrivent à la volonté d’évaluation du projet proposé. S’agissant d’un projet d’intérêt général, il est légitime que la représentation nationale puisse s’en saisir, comme il est légitime et logique de prendre en compte tous les éléments organisationnels.

Appréciant que la commission ne s’intéressera pas seulement à la ligne A mais à l’ensemble du réseau express régional, les députés centristes apporteront leur soutien à la proposition de résolution, remerciant tout particulièrement Pierre Morange de son initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. Yanick Paternotte, rapporteur. Excellent !

M. le président. La parole est précisément à M. Pierre Morange.

M. Jean-Marie Le Guen. Voilà une continuité intéressante ! Va-t-il nous parler de l’hôpital de Chambourcy ?

M. Pierre Morange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 mars 2011, donc depuis plus de quelques semaines, j’ai déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête relative aux modalités de fonctionnement, de financement ainsi qu’à l’impact sur l’environnement du projet de rénovation du réseau express régional, mais pas seulement de la ligne A, notamment de la ligne A, avais-je précisé. Je souhaite remercier notre excellent rapporteur de la commission saisie sur le fond, Yannick Paternotte, qui a permis d’en alléger la rédaction.

Ce texte répond aux exigences de l’article 51-2 de la Constitution, qui donne un fondement constitutionnel à la création de commissions d’enquête au sein des assemblées parlementaires. Je me réjouis que cette proposition de résolution ait été validée en conférence des présidents de notre assemblée, le mardi 29 novembre, puis, comme l’exige la procédure, par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, lors de sa séance du 30 novembre 2011.

Permettez-moi de remercier ici l’ensemble des membres de cette commission, et plus particulièrement son président, Serge Grouard, ainsi que notre collègue Yannick Paternotte, qui a bien voulu accepter d’en être le rapporteur en son sein.

La motivation de cette demande de commission d’enquête, vous la connaissez : elle est née du constat partagé de la saturation du réseau express régional d’Île-de-France. Ce réseau transporte, tant bien que mal, près de 2,7 millions de voyageurs au quotidien, dans des conditions d’accueil dégradées. La France, cinquième puissance mondiale, doit permettre à ses concitoyens de se déplacer correctement, avec des temps de transport vivables et acceptables. C’est aussi un élément d’attractivité du territoire dans la compétition internationale. La représentation nationale a donc le devoir de se saisir de ce sujet.

Ma volonté n’est en rien de jeter l’opprobre sur des catégories professionnelles motivées et compétentes ni de faire un procès d’intention aux autorités de tutelle, ce qui n’aboutirait qu’à un exercice stérile où chacun se renvoie la balle des responsabilités, elle est d’identifier et d’analyser de façon lucide les points de blocage et de trouver des solutions concrètes à court, moyen et long termes.

M. Henri Plagnol. Très bien !

M. Pierre Morange. Quelques chiffres témoignent de la complexité de la situation. Paris intra muros compte en habitants 19 % des quelque 12 millions de Franciliens, mais offre à lui seul 32 % des emplois de la région Île-de-France, desservis par un réseau ferroviaire de type radiaire inchangé depuis vingt ans. L’augmentation du nombre de voyageurs représente 30 % ces dix dernières années et est estimée à encore 30 % pour la prochaine décennie.

En novembre 2010, un rapport sur ce thème de la Cour des comptes a émis plusieurs observations.

M. Henri Plagnol. Très bon rapport !

M. Pierre Morange. La baisse, voire l’absence d’investissements pendant près de deux décennies, associée à une augmentation inexorable de la fréquentation, a abouti à une dégradation des conditions de transport des Franciliens. La coordination, parfois laborieuse, d’acteurs multiples – SNCF, RATP, STIF, Réseau ferré de France, Société du Grand Paris désormais, collectivités territoriales et État – témoigne des problèmes organisationnels malgré des contractualisations successives.

La multiplicité des critères ayant pour ambition d’analyser et de refléter la qualité du service rendu aux usagers se caractérise surtout par son manque de lisibilité, voire d’objectivité. Ces critères ne reflètent pas la réalité du vécu des passagers, tant en termes de confort que de ponctualité, notamment du fait de l’irrégularité des dessertes, dont le taux d’anomalie varie de 12 % à plus de 37 % sur les lignes A et B. Ce constat, on le retrouve dans le Livre blanc des élus sur les dysfonctionnements du RER A, ligne urbaine la plus empruntée d’Europe, voire du monde.

Au total, un réseau devenu inadapté aux besoins de la population, une qualité de service dégradée, une affirmation insuffisante de l’autorité organisatrice, un nécessaire rattrapage des investissements sur le réseau existant et des procédures de sélection de projets à améliorer : telles étaient les remarques de la Cour des comptes en novembre 2010.

En inaugurant, hier, les nouvelles rames à double étage sur la ligne A, le chef de l’État a tenu à rappeler son engagement sur ce dossier dès 2008. Près de trente trains similaires, dotés de systèmes de vidéo protection à double étage, seront définitivement livrés d’ici à 2014. Ainsi que le rappelait le Président de la République Nicolas Sarkozy, le schéma de transport du Grand Paris, conclu en janvier, entre l’État et la région, marque une nouvelle étape en matière d’investissement. Il ne se limite pas à la construction d’un nouveau réseau de métro automatique de quelque 155 kilomètres, mais s’attache aussi à la modernisation du réseau existant, financée à hauteur de 12,5 milliards d’euros.

La convention spécifique, signée en septembre dernier entre l’État et le président de la région, M. Jean-Paul Huchon, vise à abonder l’actuel contrat de projet 2007-2013 à hauteur de 1 milliard d’euros pour l’État et de 1,5 milliard pour la région, afin d’accélérer la modernisation du réseau RER et de ses cinq lignes. C’est donc une volonté très concrète et ambitieuse de rattrapage face au constat partagé d’une carence en matière d’investissement.

Il n’en reste pas moins qu’au titre du fonctionnement en termes de qualité de service, d’environnement ou encore de rationalisation des moyens, et donc de financement, des progrès restent à accomplir. De l’impact environnemental à l’aménagement du territoire, qui a conduit à l’exode des Franciliens, motivés par le surcoût du foncier, vers la périphérie, le transport impacte les conditions de vie de nos concitoyens dans leur quotidien. Pour des raisons pécuniaires, bien sûr, mais aussi, très souvent, pour concilier une vie familiale et professionnelle, les usagers n’ont d’autre choix que d’être tributaires des transports en commun. L’exaspération actuelle, relayée par les associations d’usagers, ne relève pas du fantasme mais d’une réalité que nul ne peut ignorer.

À cet égard, les enquêtes de qualité de service ne reflètent pas le vécu des Franciliens et dévoient le système de bonus-malus supposé incitatif pour les entreprises de transport. C’est la raison pour laquelle les usagers doivent impérativement être mis au centre de ce système d’évaluation.

Cette commission d’enquête peut donc s’avérer être un véritable catalyseur au service de nos concitoyens. En tant que représentant de la nation, je crois que nous avons le devoir d’en valider la création. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Mes chers collègues, comme l’a dit Annick Lepetit, il y a dans votre initiative beaucoup de confusion.

Confusion d’abord entre les niveaux de responsabilité. Pourquoi notre Assemblée se saisit-elle tout à coup de ce dossier ? Certes, elle peut se saisir de toutes les questions, mais pourquoi celui-ci, et à ce moment-là, alors même que vous venez de voter une loi ayant pour effet de transférer au STIF, et à la région, mais de manière hélas insuffisante, les responsabilités principales dans ce domaine ?

La confusion naît également de l’attention portée aux RER, sans prendre en considération l’ensemble des transports sur l’Île-de-France, et sans même prendre en considération les problèmes globaux qui se posent. Notre collègue Jacqueline Fraysse rappelait à juste titre que lorsqu’on laisse partir l’aménagement sans aucune vision d’ensemble, il ne faut pas s’étonner que le RER A soit particulièrement surchargé : on a amassé, pour des raisons purement financières, des bureaux à la Défense sans que des logements et des transports aient été prévus afin de permettre aux salariés de vivre dans de bonnes conditions.

Cela pose le problème de votre approche à propos de cette commission, mais plus généralement de l’approche du Président de la République sur la question du Grand Paris. Je fais partie des militants convaincus de l’urgence du Grand Paris, mais à condition que l’on traite les problèmes collectifs de cette agglomération à tous les niveaux : déplacements, logement, solidarité financière, développement économique, développement durable, autant d’éléments majeurs qui devraient aujourd’hui aller de pair pour façonner une métropole digne de notre pays, facteur de compétitivité du territoire national.

M. Yanick Paternotte, rapporteur. C’est le rôle du SDRIF !

M. Jean-Marie Le Guen. Malheureusement, cette réflexion est absente puisque la seule dimension aujourd’hui portée par le Gouvernement est celle de la fameuse société du Grand Paris, qui est d’ailleurs venue percuter les problèmes que vous posez aujourd’hui.

N’aurait-il pas été plus raisonnable de donner la priorité au plan de mobilisation décrété par la région, qui aurait réuni tous les moyens, l’intensité, voire la rapidité, plutôt que de rêver à des métros automatiques dans les champs de patates à l’horizon 2030 ?

N’aurait-il pas été plus efficace de mettre plus d’intensité politique, plus de moyens exceptionnels pour tous les transports qui font la réalité douloureuse de nos concitoyens, dont les fameux RER ?

Vous nous parlez du RER A, mais vous supprimez la lettre A – je le comprends, le A ne vous porte pas chance par les temps qui courent. (Sourires.) Et pourtant, cela a un rapport direct avec notre sujet, parce que les moyens d’investissement dont vous avez promis de doter la société du Grand Paris ne seront pas là et, selon toute vraisemblance, ce sera précisément à cause de ce A qui risque fort de faire partir tout le chantier ouvert par le Président de la République et tous ses engagements en matière de transports au cimetière des promesses jamais réalisées. Mais des promesses qui nous auront distraits de la réalité quotidienne, celle sur laquelle vous vous interrogez à juste titre…

Il y a encore quelques mois, lorsque vous étiez confrontés à un problème de société, la solution que vous proposiez, c’était d’adopter une loi. Aujourd’hui, pour répondre aux difficultés, vous n’avez plus l’ambition de faire des lois : vous faites des commissions… Nous avons un problème de société majeur : les transports et la qualité des transports en Île-de-France. La région, avec son plan de mobilisation, a apporté des réponses. Plutôt que de détourner l’attention des contribuables franciliens et nationaux sur des projets qui risquent de ne jamais voir le jour, il eût été beaucoup plus utile que votre attention, la volonté du Président de la République et les moyens limités de notre République se concentrent sur l’amélioration des RER existants et des transports là où se situent les difficultés. Cela aurait mieux valu que de nous faire rêver à des lendemains qui ne chanteront absolument pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Gonzales.

M. Didier Gonzales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la loi sur le Grand Paris, c’est un nouveau réseau de métro automatique qui va voir le jour : un nouveau réseau qui abandonne le traditionnel système en étoile centré sur Paris, un nouveau réseau qui développe les liaisons de banlieue à banlieue.

Mais préparer l’avenir ne doit pas nous empêcher de réparer le présent. Or le présent, c’est celui que vivent des millions de Franciliens chaque jour : retards, matériel en panne, réseaux vieillissants, trains bondés. Tel est le quotidien des usagers des lignes du RER.

En attendant le réseau du Grand Paris, en attendant un rééquilibrage de l’aménagement du territoire francilien, en attendant la fin des transhumances quotidiennes entre les logements à l’est et les emplois à l’ouest de la capitale, prendre le RER aujourd’hui n’est pas un choix. Les pouvoirs publics ont donc une obligation de résultat et de performance. Certes, l’accord Grand Paris Express prévoit près de 12 milliards d’euros pour la modernisation du réseau existant. Certes, les responsables des lignes RER travaillent sans relâche pour améliorer le confort des usagers, et notamment renforcer la convivialité et l’information. Mais il reste encore beaucoup à accomplir.

Premier objectif : de garantir une meilleure régularité des trains. En 2008, la ligne D a connu 18 % d’irrégularités. Sur la ligne A, pour faire entrer les trains à l’heure dans le tronçon central, la RATP demande aux conducteurs de ne pas s’arrêter à certaines stations, transformant des omnibus en semi-directs, avec un effet immédiat pour les voyageurs en gare et pour ceux qui devaient descendre !

Deuxième objectif : offrir des trains confortables et en nombre suffisant. Un million de voyageurs empruntent la ligne A les jours ouvrables, la plus chargée du monde. Le choix a été fait à une époque de rénover les vieilles rames au lieu d’acquérir des rames à deux niveaux. Aujourd’hui, les rames à deux niveaux sont mises en circulation, mais au compte-gouttes. Soixante rames ont été financées, mais quid des soixante-dix autres prévues ? Sur la ligne D le trafic voyageur a augmenté de 40 % en huit ans sans qu’aucun investissement sérieux n’ait été réalisé sur cette ligne.

Troisième objectif : simplifier la gestion du réseau. Régler tout d’abord les difficultés issues de la cogestion historique des lignes A et B par la RATP et la SNCF. Quant à la ligne C, ses 187 kilomètres sont répartis en trois branches et pas moins de sept sous-branches ! Le moindre retard se répercute sur l’ensemble de ce réseau tentaculaire.

Les Franciliens ne sont pas les seuls à se poser ces questions tous les jours : les voyageurs venus de province, les touristes et les hommes d’affaires étrangers se les posent également, car le seul moyen de rejoindre l’aéroport de Roissy est d’emprunter le RER, quand tous les aéroports internationaux possèdent des lignes dédiées. Sans même parler d’Orly : sa desserte par les transports publics est l’une de ses faiblesses structurelles.

Face à la multiplicité des opérateurs et des financeurs, la représentation nationale doit se pencher sur les modalités de fonctionnement de ce réseau express régional qui, petit à petit, a perdu son caractère express. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l’article unique

M. le président. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

(L’article unique est adopté.)

M. le président. Afin de permettre la constitution de la commission d’enquête dont l’Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l’article 25 du règlement, avant le mardi 13 décembre 2011, à 18 heures, le nom des candidats qu’ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

12

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Proposition de loi visant à renforcer les conditions de sécurité des mineurs accueillis dans le cadre d’un séjour à l’étranger.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)