Troisième séance du jeudi 12 janvier 2023
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Revivifier la représentation politique
- Présentation (suite)
- Discussion générale
- Mme Béatrice Roullaud
- Mme Raquel Garrido
- M. Xavier Breton
- Mme Mathilde Desjonquères
- M. Johnny Hajjar
- M. Didier Lemaire
- M. Jérémie Iordanoff
- Mme Elsa Faucillon
- M. Stéphane Lenormand
- M. Gilles Le Gendre
- Mme Emmanuelle Ménard
- M. Bruno Bilde, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Discussion des articles
- Article 1er
- Mme Marine Le Pen
- Mme Eléonore Caroit
- M. Xavier Breton
- Amendements nos 12, 25, 30 et 31
- Article 2
- M. Jean-Philippe Tanguy
- M. Xavier Breton
- M. Gilles Le Gendre
- Amendements nos 13 et 26
- Article 3
- M. Jean-Philippe Tanguy
- Amendements nos 14 et 27
- Article 4
- M. Xavier Breton
- Mme Marine Le Pen
- Amendements nos 15 et 28
- Article 1er
- 2. Modification du calcul de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Naïma Moutchou
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Revivifier la représentation politique
Suite de la discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à revivifier la représentation politique (nos 555 rectifié, 615).
Présentation (suite)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité
Nous sommes réunis dans le cadre de la niche du Rassemblement national pour débattre d’une proposition de loi du député Bruno Bilde visant à « revivifier la représentation politique ». Derrière ce titre, il s’agit en fait d’organiser les élections législatives sous la forme d’un scrutin proportionnel intégral à un seul tour. Ce sujet n’est pas nouveau. Il a été évoqué à plusieurs reprises dans le cadre de la réflexion sur d’éventuelles évolutions de nos institutions et il a été mis sur le devant de la scène par certains groupes de votre assemblée par le passé.
Si la question de la vitalité de notre démocratie mérite d’être posée, si celle de la représentativité des élus doit être débattue, il importe tout autant de ne pas faire croire qu’une telle proposition de loi mettrait un terme à toutes les interrogations qui traversent notre démocratie.
Conscient du problème, le Président de la République s’est prononcé en faveur d’une introduction de la proportionnelle, notamment dans le cadre d’une ambitieuse réforme constitutionnelle, dès 2017. Les équilibres parlementaires que vous connaissez n’ont pas permis ces évolutions, démontrant que celles-ci ne peuvent être le résultat que d’un large travail transpartisan.
En 2022, le Président de la République a rappelé une nouvelle fois qu’il était favorable au vote à la proportionnelle, précisant toutefois qu’il ne revenait pas à un seul homme de décider d’une telle question et que celle-ci devait être discutée dans le cadre d’une « commission transpartisane ».
Cette commission devra faire naître des propositions collectives d’évolution et élaborer des solutions complètes et opérationnelles du point de vue législatif et constitutionnel. Or votre proposition de loi, essentiellement fondée sur le modèle des élections législatives de 1986, comporte plus de lacunes qu’elle n’apporte de solutions.
En effet, tel que le texte est rédigé, il prévoit un mode de scrutin identique à celui de 1986 : un scrutin de liste à un seul tour avec répartition des sièges à la proportionnelle ; la répartition des sièges des députés par département et l’établissement du département comme circonscription d’élection ; une attribution des sièges à la plus forte moyenne entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
Outre qu’il serait intéressant, pour ne pas dire essentiel, d’identifier l’ensemble des mesures de coordination à introduire si cette proposition de loi était adoptée, travail qui n’a pas ici été effectué, il importe de souligner que l’introduction d’un scrutin de liste impliquerait nécessairement l’adoption d’une loi ordinaire, afin de modifier les circonscriptions définies à l’article L. 125 du code électoral ; d’habiliter le Gouvernement à redécouper par voie d’ordonnance les circonscriptions législatives ; de répartir les sièges de députés en fixant des critères précis d’équilibre démographique et de continuité territoriale ; de définir les dispositions caractéristiques d’un scrutin de liste ; enfin, de redéfinir les modalités d’établissement de l’aide publique aux partis politiques fixées dans la loi du 11 mars 1988 – autant d’éléments qui n’ont pas été étudiés dans le cadre de cette proposition de loi. L’adoption d’une loi organique serait également nécessaire pour introduire des dispositions spécifiques en cas de remplacement d’un député élu au scrutin de liste en cours de mandat par le suivant de liste et en cas d’inéligibilité. Enfin, il faudrait consulter la commission prévue à l’article 25 de la Constitution, qui « se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».
De plus, il apparaît difficile d’envisager une telle réforme sans mettre à jour la répartition des sièges de députés au regard des évolutions démographiques depuis 2009. En effet, en application du principe d’égalité devant le suffrage, le Conseil constitutionnel a par le passé déjà insisté pour que le législateur redécoupe les circonscriptions législatives afin de mettre la carte électorale en conformité avec les évolutions démographiques.
En clair, du point de vue législatif et technique, introduire de telles modifications nécessite un travail en profondeur de l’ensemble des parlementaires pour évaluer les dispositions à prendre. Ce travail ne peut décemment pas se faire dans l’urgence d’une niche parlementaire. Plutôt que de faire évoluer de façon pérenne, rationnelle et pragmatique notre démocratie, ce qui aurait exigé un long travail de préparation et de consultation, le groupe Rassemblement national semble préférer faire de ce sujet sérieux un objet médiatique au sein de sa niche.
Il est vrai que depuis quelques années, le paysage politique se recompose et que la question de la proportionnelle s’est légitimement posée, notamment pour assurer une meilleure représentativité de toutes les forces politiques, certains arguant que l’abstention grandissante est la conséquence directe de cette mauvaise représentativité. Cependant, l’instabilité parlementaire qui découle d’une mécanique proportionnelle, comme ce fut le cas sous les IIIe et IVe Républiques, n’est pas à négliger. Les accords politiques, ponctuels, parfois contre-nature,…
M. Laurent Jacobelli
Comme ceux que vous concluez en ce moment !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
…qui se nouent pour faire naître des majorités fragiles et instables ne sont pas forcément, à moyen terme, des signaux plus positifs envoyés à nos concitoyens.
À l’heure où ceux-ci se sentent de plus en plus éloignés de leurs élus, notamment des parlementaires,…
Mme Raquel Garrido
Et pas du Président de la République ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
…le choix d’une liste départementale, dans le cadre d’un scrutin à la proportionnelle, pose la question de l’identification des élus par les électeurs. Comme nous le constatons dans d’autres scrutins, les élections régionales par exemple, la constitution des listes se fonde souvent sur le poids électoral plutôt que sur la représentativité du territoire, au moins pour les places les plus éligibles.
Dans les territoires ruraux notamment, auxquels je suis particulièrement attachée, la relation entre députés et citoyens est encore très personnelle et riche. Qu’en sera-t-il demain si le ou la députée élue ne connaît que la ville principale du département, pourvoyeuse du plus grand nombre de voix ?
M. Jean-Philippe Tanguy
Ça n’arrivera pas !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
En voulant mieux représenter les citoyens dans cet hémicycle, veillons aussi à ne pas les éloigner de nous. Vous l’aurez compris, l’introduction de la proportionnelle dans le cadre des élections législatives est un sujet complexe, qui mérite une large concertation de l’ensemble des forces politiques.
M. Laurent Jacobelli
Ça tombe bien, elles sont toutes là ce soir !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
C’est un sujet qui mérite de la préparation et du sérieux. Ce débat doit être ouvert, dans sa complexité législative, constitutionnelle, politique et démocratique. Il faut lui donner le temps que notre démocratie mérite.
M. Frédéric Boccaletti
Ça fait plus de cinq ans que nous attendons !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
Le Président de la République a souhaité que cette question soit étudiée au sein d’une commission transpartisane (Exclamations sur les bancs du groupe RN) qui pourra prendre le temps de construire des propositions complètes et consensuelles.
M. Laurent Jacobelli
Six ans que vous nous dites cela !
M. Frédéric Boccaletti
Il y en a marre, des commissions !
M. Jean-Philippe Tanguy
Elle aura un numéro vert ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
Le Gouvernement est ouvert à ce débat et je souhaite que, lorsque celui-ci aboutira, les propositions qui en émaneront soient bénéfiques pour la démocratie et nos concitoyens et ne se limitent pas à un effet d’aubaine politique.
M. Jean-Philippe Tanguy
N’importe quoi !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
Durant toute ma vie d’élue, j’ai respecté les électeurs et je leur ai fait confiance pour faire des choix représentatifs de leur volonté. Cet hémicycle est plus représentatif que jamais de la volonté de nos concitoyens et nous oblige à un travail législatif concerté. Si je suis convaincue que le débat sur la proportionnelle et la vitalité de la représentation politique mérite d’être ouvert, je suis certaine qu’il doit l’être plus largement et plus sérieusement. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
M. Laurent Jacobelli
Au moins, c’est clair !
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Béatrice Roullaud.
Mme Béatrice Roullaud
D’après un sondage Ipsos de septembre 2022, 70 % des Français considèrent que la démocratie fonctionne mal. Ce sentiment se vérifie dans les urnes puisque les Français votent de moins en moins, chacun a pu s’en rendre compte. L’abstention progresse de façon constante à l’échelon local. Ainsi, le taux d’abstention a atteint 55,4 % aux élections municipales de 2021 et 66 % aux élections départementales et régionales de la même année. Peut-on continuer à se satisfaire d’une telle situation et quelle est la raison de cette désaffection pour les urnes ? Pour Jérôme Sainte-Marie, auditionné en décembre, les Français sont prêts à voter lorsqu’ils ont l’impression que leur vote servira. Mettre un bulletin dans l’urne permettra-t-il de changer mon quotidien et la personne élue pourra-t-elle agir sur celui-ci ? Si la réponse à ces questions est négative, les Français n’ont pas envie de se déplacer.
Faudrait-il donc remplacer le scrutin majoritaire à deux tours par un scrutin proportionnel à un tour, comme le propose notre collègue Bruno Bilde, pour permettre à tous les Français de se sentir représentés et donc concernés ? Nous le pensons.
M. Philippe Vigier
Aux régionales, ça ne marche pas.
Mme Béatrice Roullaud
En effet, certains partis politiques sont sous-représentés. C’était particulièrement vrai pour le Rassemblement national il y a encore peu de temps. Faut-il rappeler qu’en 2017 ce parti, après avoir recueilli près de 11 millions de voix, n’a envoyé que huit députés à l’Assemblée nationale, tandis que les partis La France insoumise et Les Républicains qui, eux, n’avaient pas pu accéder au second tour de l’élection présidentielle obtenaient respectivement 17 et 112 députés ? Une telle disproportion – pour ne pas dire une telle injustice – crée sinon un rejet du système électoral, du moins un sentiment de frustration à proscrire. Le système proportionnel assurant une meilleure représentativité, il est beaucoup plus juste et plus démocratique. Si les citoyens étaient persuadés que leurs candidats, c’est-à-dire leurs idées, étaient représentés, ils se sentiraient concernés par l’élection.
Certains évoquent un risque d’instabilité, mais cet argument ne résiste pas longtemps à l’analyse, puisque les études montrent que les alliances qu’impose dans les faits la proportionnelle sont généralement stables. En Allemagne, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Suède, pays qui privilégient les scrutins mixtes ou proportionnels, le système fonctionne plutôt bien. Ainsi, depuis l’an 2000, l’Allemagne n’a connu que sept gouvernements quand la France, elle, en a eu dix-sept. Comme le faisait remarquer le constitutionnaliste Benjamin Morel, « Angela Merkel a donné le change à quatre présidents de la République ». La France reste d’ailleurs, avec le Royaume-Uni, le seul pays européen à ne pas appliquer la proportionnelle, alors que tous les autres pays l’ont adoptée. L’instauration d’un régime proportionnel n’a donc pas de quoi inquiéter. En outre, le seuil de 5 % retenu dans la présente proposition de loi pour l’obtention d’un siège a de quoi rassurer puisque seuls les membres des partis représentatifs pourront être élus, les candidatures marginales ou fantaisistes étant exclues.
D’ailleurs, Emmanuel Macron avait lui-même « vendu » – pardonnez-moi l’expression – la proportionnelle dans son programme présidentiel de 2017. Des partis comme le Mouvement démocrate ou La France insoumise – en 2021, pour ce dernier – ont également déposé des propositions de loi en ce sens, de sorte qu’on ne comprendrait pas que cette proposition ne suscite pas l’adhésion, l’instauration d’une proportionnelle ayant été proposée par presque tous les groupes.
Ce système permettrait à ceux dont les idées sont partagées par de nombreux Français d’être automatiquement représentés – s’ils sont représentatifs – sans risquer d’être écartés par le couperet injuste du deuxième tour où se nouent des alliances contre-nature, artificielles et non représentatives du choix des électeurs. Enfin, il est édifiant de constater que le système actuel du scrutin uninominal majoritaire à deux tours permet au parti arrivé en tête d’être représenté entre quatre et trente fois mieux que le scrutin proportionnel. Ainsi, selon le tableau figurant dans le rapport, en France, le parti arrivé en tête est surreprésenté de 31,9 % ; en Italie, il ne l’est que de 8,9 % et aux Pays-Bas, de 0,7 % – le phénomène est donc quasiment absent dans ce pays. Pourquoi n’est-ce pas le cas chez nous ?
Les Français rejettent ce manque de démocratie. Depuis très longtemps, le Rassemblement national considère que l’instauration d’un scrutin proportionnel au niveau départemental, avec un seuil de 5 %, permettrait une juste représentation des Français et renforcerait le rôle et le pouvoir du Parlement. Il contribuerait en outre à résoudre la grave crise démocratique que nous connaissons, les Français ne daignant plus aller voter aux élections intermédiaires car ils ne se sentent ni représentés, ni écoutés.
C’est la raison pour laquelle je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi. Contrairement à ce que je viens d’entendre, et qui m’a étonnée, il ne s’agit pas d’une proposition médiatique puisque le Rassemblement national soutient ce système depuis des décennies.
M. Xavier Breton
Cela date de Jean-Marie Le Pen ! C’est cohérent.
Mme Béatrice Roullaud
Nous défendons le scrutin proportionnel parce qu’il est plus juste et plus représentatif ; c’est ainsi qu’on donnera aux électeurs le goût d’aller voter. Au siècle passé, Alfred Emanuel Smith, gouverneur de New York, n’estimait-il pas que tous les méfaits de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Raquel Garrido.
Mme Raquel Garrido
La souveraineté est la caractéristique de celui qui n’a pas de maître. En France, depuis la grande Révolution, qui est le souverain ? Le peuple. En France, être démocrate, c’est être républicain, c’est être pour la souveraineté du peuple. La question démocratique est un sujet primordial dont cette assemblée doit absolument se saisir.
M. Philippe Vigier
Eh oui.
M. Jocelyn Dessigny
Donc vous allez voter pour ?
Mme Raquel Garrido
Pour cela, il faut correctement identifier le problème à résoudre. La démocratie française souffre d’un mal très précis : la monarchie présidentielle. Conçue il y a plus de soixante-cinq ans, la Constitution de 1958 est un contre-modèle démocratique. Pourquoi ? Dans une démocratie saine, les personnes qui disposent du pouvoir gouvernant sont responsables politiquement, c’est-à-dire qu’entre les scrutins, elles rendent des comptes et peuvent être démises. À rebours de ce principe de bon sens, le Président de la République concentre énormément de pouvoirs tout en étant irresponsable politiquement, notamment devant nous, le Parlement. L’irresponsabilité politique, statut constitutionnel du président, conduit à une culture de l’impunité politique.
L’impunité politique, c’est par exemple faire campagne en promettant de ne pas toucher à la retraite à 60 ans, puis trahir son engagement une fois au pouvoir. Les Français l’ont subi trois fois déjà : en 2007 avec Nicolas Sarkozy, en 2012 avec François Hollande et en 2017 avec Emmanuel Macron. En 2022, quand Emmanuel Macron a promis de retarder l’âge de départ à la retraite, quel a été son score ?
Mme Prisca Thevenot
Il a été élu !
Un député du groupe RN
Grâce à vous, madame Garrido !
Mme Raquel Garrido
Il a obtenu 27,8 % des voix au premier tour : on est très loin du compte ! Et les moins de 5 % de Mme Pécresse ne lui auraient pas permis de constituer une majorité, loin de là.
M. Jocelyn Dessigny
Heureusement que LFI était là !
Mme Raquel Garrido
Les Français en ont assez. L’abus de pouvoir est un puissant facteur de dégoût, le dégoût de la politique étant lui-même une atteinte à la souveraineté du peuple car le corps électoral est amputé de presque 3 millions de Français qui ne s’inscrivent pas sur les listes électorales. En outre, il est amputé de 10 millions de personnes qui s’abstiennent – et même 13 millions au second tour de la présidentielle –, auxquelles il faut ajouter les personnes qui votent nul ou blanc.
Qui sont les premières victimes de ce dégoût ? Ce sont les classes populaires. Alors que fait-on ? S’en arrange-t-on, en se satisfaisant en douce que les plus concernés ne participent plus, ou pas, à la prise de décision ? Ou entend-on le SOS démocratique qui émane du pays ?
Malgré l’abstention de masse, et malgré le mode de scrutin, un événement important est venu mettre un grain de sable dans la mécanique élyséenne : depuis juin 2022, notre assemblée est désormais bien plus représentative qu’avant.
Un député du groupe RN
Qu’en pense Brigitte Macron ?
Mme Raquel Garrido
Cela a-t-il empêché l’exécutif de nous rouler dessus avec le 49.3 ? Non. Mais ce n’est pas tout : vous avez aimé le 49.3, vous adorerez le 47-1 ! Se sachant très minoritaire sur son projet de réforme des retraites, le Gouvernement a peur de nous le présenter comme il se doit, dans le cadre d’une procédure ordinaire. Il ose présenter ce texte, si important pour les Français, dans le cadre d’un projet de loi budgétaire rectificatif, synonyme de procédure bâillon puisque l’article 47-1 de la Constitution permet à l’exécutif de couper la parole aux députés au bout de vingt jours et au Parlement au bout de cinquante jours, pour procéder ensuite par ordonnance.
Mme Prisca Thevenot
On n’est pas sur les retraites, là ! Vous ne parlez pas du bon texte !
Mme Raquel Garrido
La retraite à 64 ans par ordonnance : inimaginable, sauf en monarchie présidentielle ! Je vois bien…
Mme Prisca Thevenot
Non, vous ne voyez rien !
M. Laurent Jacobelli
Alors, vous allez voter pour ?
Mme Raquel Garrido
…qu’avec sa proposition de loi qui copie-colle le programme de La France insoumise, le RN veut jouer aux démocrates.
M. Jocelyn Dessigny
On l’a toujours demandé !
Mme Raquel Garrido
Mais cela ne trompe personne. Nous voterons contre votre proposition de loi car l’élection de députés à la proportionnelle n’est pas, à elle seule, une mesure susceptible de donner plus de pouvoirs aux citoyens. (Rires sur les bancs du groupe RN.)
M. Frédéric Boccaletti
Franchement !
M. Thomas Ménagé
Vous êtes au fond et vous creusez encore !
Mme Raquel Garrido
Lorsque le groupe LFI présentait une proposition de loi pour instaurer la proportionnelle, il en déposait une autre permettant de révoquer les élus en cours de mandat et pour le droit au référendum d’initiative citoyenne (RIC). (« Alors amendez ! » sur les bancs du groupe RN.)
Cela donne plus de pouvoirs aux citoyens ! (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) J’ai déposé deux amendements à votre proposition de loi afin que les votes blancs et nuls soient considérés comme des votes exprimés et que le scrutin soit invalidé si ces votes représentent plus de 50 % de ceux exprimés. Malheureusement, ils ont été déclarés irrecevables. Votre proposition de loi n’est un « plus » que pour les partis, pas pour les citoyens.
Et puis, est-ce vraiment aux députés de dire comment doivent être élus les députés ?
Plusieurs députés du groupe RN
Oui ! À qui d’autre ?
M. Laurent Jacobelli
Ce n’est pas au bureau politique de LFI !
Mme Raquel Garrido
Il y a comme un conflit d’intérêts, non ? Le bon chemin vers une meilleure démocratie, c’est la convocation d’une assemblée constituante. Si nous, députés, voulons faire œuvre utile à la démocratie, engageons promptement un processus constituant pour passer pacifiquement à la VIe République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES. – « Quelle blague ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Laurent Croizier
Vous ne pensez pas un mot de ce que vous avez dit…
Mme Elsa Faucillon
Ah si ! Quand Raquel parle, elle croit ce qu’elle dit !
Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton
Dans quel contexte s’inscrit ce débat sur la nécessité de revivifier la représentation politique ? Celui d’une démocratie qui s’essouffle, nous le constatons tous. On entend parler de « fatigue démocratique » ; ce terme doit nous interroger et toute initiative qui vise à débattre de la participation et de la vie démocratique est bonne à prendre.
Nous ne rentrerons pas dans une logique de vote contre parce que la proposition de loi a été déposée par le groupe Rassemblement national. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Pierre Desproges disait qu’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. C’est tout le contraire : on peut rire avec n’importe qui, mais pas de n’importe quoi. C’est ce qui différencie culturellement la droite de la gauche : en matière de vote, nous ne pouvons pas voter n’importe quoi, mais nous pouvons voter avec n’importe qui. (Sourires sur les bancs du groupe RN.) À l’inverse, la gauche est prête à voter n’importe quoi, mais pas avec n’importe qui ; telle est précisément notre différence culturelle.
M. José Beaurain
Eh oui !
Mme Raquel Garrido
Je n’ai rien compris.
M. Xavier Breton
Je le répète, cette initiative est bienvenue pour faire vivre le débat, cependant nous voterons contre la proposition de loi, non par principe, mais par cohérence.
Monsieur le rapporteur, vous indiquiez que tous les groupes avaient changé d’avis. Ce n’est pas notre cas : nous sommes toujours pour le scrutin majoritaire, et nous l’assumons. Avant d’expliquer pourquoi,…
M. Thomas Ménagé
Expliquez-nous !
M. Xavier Breton
…je tiens à remercier le rapporteur pour son initiative. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble lors de la précédente législature puisque nous participions tous les deux à la mission d’information visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale. Nous avons alors trouvé des points d’accord – et constaté quelques désaccords – pour revivifier la vie démocratique.
Pourquoi sommes-nous opposés à votre proposition de loi ? Le choix d’un mode de scrutin peut avoir deux finalités. La première, c’est la représentation, le mode de scrutin devant permettre d’exprimer toute la diversité et le pluralisme des opinions politiques – et dans un deuxième temps, on voit comment faire pour gouverner. La seconde conception cherche d’abord à dégager une majorité pour gouverner, pour en finir avec l’instabilité,…
M. Emeric Salmon
Cela ne marche plus !
M. Xavier Breton
…avant de chercher à représenter. Bien sûr, on essaie de concilier les deux objectifs, mais il faut choisir. Nous assumons notre choix, celui d’un mode de scrutin qui permet de dégager une majorité. C’est la base de la Ve République.
M. Grégoire de Fournas
Où est la majorité, là ?
M. Xavier Breton
Bien sûr, parfois, il n’y a plus de majorité absolue, comme c’est le cas actuellement. Mais notre Constitution – c’est tout son intérêt – prévoit des mécanismes qui évitent l’instabilité. Au-delà des alternances et des cohabitations, nos institutions sont solides.
Au reste, ceux qui sont favorables à la proportionnelle sont aussi ceux qui combattent la Ve République. (Protestations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon et M. Laurent Jacobelli
Pas du tout !
M. Xavier Breton
Ce sont bien sûr les Insoumis, dont je respecte la cohérence – même si je ne m’y retrouve pas –, et leur plaidoyer pour la VIe République ; ce sont les socialistes – François Mitterrand a voté contre lors du référendum sur la Constitution de 1958 ; et c’est le Rassemblement national, héritier du Front national de Jean-Marie Le Pen qui ne se reconnaissait pas dans les institutions de la Ve République.
Mme Raquel Garrido
Et Gaston Monnerville, vous l’avez lu ?
M. Xavier Breton
Soyons clairs sur nos fidélités et assumons l’histoire des idées politiques. Pour notre part, nous souhaitons que le mode de scrutin permette de dégager une majorité et assure la stabilité institutionnelle.
Nous sommes également contre ce texte pour une deuxième raison : le risque d’éloignement. L’éloignement est d’abord lié au scrutin de liste : on sait bien que, lors d’une élection proportionnelle, les partis politiques placent en tête des apparatchiks plutôt que des élus en lien avec leur territoire.
Mme Caroline Abadie
Eh oui !
M. Xavier Breton
En outre, les territoires ruraux risquent d’être écrasés.
M. Emeric Salmon
Mais non !
M. Xavier Breton
Dans un département élisant trois, quatre ou cinq députés, que va-t-il se passer ? Le réflexe est logique, mathématique : les partis vont placer en tête de liste des candidats issus des zones les plus denses et les plus urbaines. In fine, seules les zones urbaines seront représentées et les territoires ruraux vont se retrouver écrasés.
Enfin, en passant de la circonscription au département, c’est la fin des bastions locaux comme nous en avons tous dans nos départements. Leurs spécificités vont se retrouver lissées au niveau départemental. C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi.
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Desjonquères.
Mme Mathilde Desjonquères
Vous attendez tous avec impatience la position de notre groupe sur ce texte, tant le mode d’élection des représentants du peuple est central pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Non sans malice, vous avez inscrit à votre ordre du jour une proposition de loi quasiment similaire à celle que nous avions déposée lors de la précédente législature, puis redéposée lors de la présente législature et annoncée comme pouvant faire partie de notre première niche, le 6 octobre dernier.
M. Philippe Vigier
Eh oui ! Et ça, ce n’est pas joli…
Mme Mathilde Desjonquères
Vous l’aurez noté, nous avons retiré ce texte pour différentes raisons, toujours d’actualité. Nous l’avions présenté afin d’ouvrir le débat et d’affirmer la nécessité de conduire une réflexion sur le mode de scrutin pour désigner les parlementaires.
Par leur abstention massive aux élections législatives, les Français nous adressent un message sans équivoque : celui de leur désintérêt pour cette élection, peut-être lié à leur incompréhension du rôle des députés. Cela nous oblige et nous leur devons de continuer à travailler sur le sujet.
Toutefois, lorsque nous étudions la question du scrutin proportionnel, que nous rencontrons les experts, que nous interrogeons les citoyens, il est intéressant de voir que le débat se déporte très rapidement sur les institutions. En conséquence, avant même d’envisager l’évolution du mode de scrutin des élections législatives, le débat devrait porter sur un autre sujet, primordial : nos institutions.
Experts, constitutionnalistes, sociologues, politistes, tous nous le disent : l’élection des députés de l’Assemblée nationale n’est qu’une pièce de l’édifice, non la solution miracle à tout. La question de l’évolution vers le scrutin proportionnel doit s’intégrer dans une réflexion d’ensemble sur les institutions.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe Démocrate a retiré son texte. Nous voulons dialoguer avec tous les partenaires, avec tous les acteurs de la vie politique du pays. Nous voulons aussi mener une réflexion globale plus approfondie sur nos institutions, sur leur articulation avec la décentralisation, sur la démocratie participative, sur l’engagement citoyen. Cette réflexion, c’est essentiel, doit être transpartisane.
Aussi le groupe Démocrate attend-il avec impatience que le Président de la République crée la commission transpartisane. Elle aura pour mission d’envisager les différents aspects d’une éventuelle refonte de l’organisation de nos institutions, afin de consolider la démocratie et la représentation du peuple.
M. Laurent Jacobelli
Il fait ça dans combien de temps ?
Mme Mathilde Desjonquères
Au-delà d’une simple réflexion, elle doit aboutir à proposer des évolutions concrètes et substantielles, recueillant l’approbation la plus large possible des groupes politiques de notre assemblée. Ainsi, l’annonce par la Première ministre que cette commission serait créée ce trimestre est très heureuse.
Votre texte, chers collègues du groupe Rassemblement national, est strictement identique au nôtre. Bien qu’il répare de façon bienvenue un oubli de notre part en matière de parité, il reste incomplet, comme l’était le nôtre. En effet, il ignore le problème du financement de la vie politique, qui repose sur la répartition opérée en fonction du résultat du scrutin uninominal à deux tours. Si ce texte était adopté sans qu’ait été résolue la question du financement des partis, nous pourrions rencontrer des difficultés.
M. Emeric Salmon
Hein ? Pourquoi ?
M. José Beaurain
Parce qu’ils ne voteront pas le texte.
Mme Mathilde Desjonquères
Les débats doivent donc continuer. Le travail de la commission transpartisane sera fondamental sur ce sujet. Bien évidemment, le groupe Démocrate ne votera donc pas ce texte :…
M. José Beaurain
Voilà.
Mme Mathilde Desjonquères
…nous n’avons pas retiré le nôtre pour voter le vôtre quelques semaines plus tard !
M. Sébastien Chenu
Quelle cohérence !
Mme Mathilde Desjonquères
Nous appelons de nos vœux un travail plus global sur ce sujet : plus encore que sur tout autre, nous devons tenter de rassembler, d’aboutir à un consensus qui réunisse chacun d’entre nous, comme l’ensemble des Français et des Françaises. Nous n’y sommes pas – soyons patients ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Sébastien Chenu
Soyons patients !
M. Emeric Salmon
Ce n’est que le premier tour des élections législatives !
Mme la présidente
La parole est à M. Johnny Hajjar.
M. Johnny Hajjar
La proposition de loi déposée par le groupe Rassemblement national tient en une disposition majeure, qui vise à faire élire tous les députés au scrutin proportionnel à un tour, à la plus forte moyenne. Exit le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
On notera que le titre, qui évoque la revivification de la vie politique, aurait pu être « De l’élection de l’ensemble des députés au scrutin de liste à la proportionnelle », ce qui aurait été plus simple et moins trompeur.
Je le reconnais, cette proposition peut avoir du sens, puisqu’elle fait présumer une meilleure représentation.
M. Emeric Salmon
C’est ce qu’avait fait Mitterrand !
M. Johnny Hajjar
Ce mode de scrutin présente un intérêt certain, et des avantages dans certains cas. Mais il n’est pas la clé de tout, ni la solution à tous les problèmes, notamment celui de l’abstention électorale. Il est parfois contestable, car il présente aussi des inconvénients majeurs, qui nous amènent à voter contre cette proposition de loi, laquelle constitue en fait une fausse bonne solution.
Il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’utiliser cet outil pour une élection à l’une des plus hautes institutions de l’État, l’Assemblée nationale. D’abord, l’élection au scrutin de liste à la proportionnelle a le défaut majeur de privilégier l’idéologie des partis, au détriment de la relation directe et personnelle avec l’électrice et l’électeur, donc d’éloigner les députés du peuple. Autrement dit, le poids de l’idéologie est plus fort, aux dépens de la représentation directe, qui repose sur le choix d’une personne dans un espace donné, au plus proche du peuple.
Ensuite, les électrices et les électeurs n’auront plus à choisir une personnalité clairement identifiée, mais une liste, une équipe, sans savoir qui les représente réellement, donc sans savoir s’ils ont véritablement un représentant. Pire, dans ce mode de scrutin avec une liste limitée, les grands territoires, dont le poids électoral est le plus important, seront surreprésentés et occuperont toutes les places, au détriment des petits territoires, dont le poids électoral est faible et qui seront effacés de la représentation nationale. Ce sera encore plus flagrant dans les territoires ultramarins.
Troisièmement, les électrices et les électeurs auront mécaniquement un choix réduit à des partis ou à des alliances qui auront des moyens, ce qui peut se révéler discriminant et dommageable au niveau national. Les dangers sont nombreux : déposer l’élection entre les mains des partis ou des groupements politiques présente des risques graves, comme la constitution d’alliances postélectorales. La proportionnelle pousse les partis à conclure des accords après les élections,…
M. Emeric Salmon
Non, avant ! C’est exactement l’inverse !
M. Johnny Hajjar
…dans le dos des électeurs, si j’ose dire, tandis que le scrutin majoritaire à deux tours favorise des accords avant les élections.
De nombreux exemples récents, dans des pays où le scrutin est proportionnel, ont mis en évidence que les partis, après avoir juré de ne pas faire alliance avec leurs concurrents, ont constitué une majorité de gouvernement avec ces derniers, reniant les engagements passés devant les électeurs.
Un autre risque est de couper les élus du réel. Alors même que la clé de l’efficacité est la déclinaison des politiques publiques au plus près des citoyens, le scrutin proportionnel, même exercé dans un cadre départemental, accélérerait l’amenuisement des relations de proximité entre les élus et la population. Il éloignerait donc le représentant parlementaire des problèmes du quotidien, alors même qu’il est censé proposer ou modifier des lois en agissant au plus près des réalités des personnes, des entreprises et des territoires.
Faire de l’appareil qui investit les candidats l’acteur essentiel de la vie politique, c’est ôter encore un peu aux députés de leurs racines locales. Le candidat, puis l’élu, ne dépend que du parti ; il est facilement coupé de ses liens avec son territoire ; il est dépendant de celui qui l’a fait. Quid de la compétence ? Il est le vassal de l’appareil et le télégraphiste des consignes nationales !
En clair, le scrutin proportionnel n’a rien à voir avec le scrutin majoritaire à deux tours, un scrutin territorial qui lie le député à sa circonscription, alors que la représentation proportionnelle distend le lien entre le député et le territoire. Le scrutin majoritaire amène le député à labourer sa circonscription, à rencontrer ses habitants et à confronter les consignes et politiques nationales avec le pays tel qu’il est, à convaincre et à opérer au mieux la synthèse de ces éléments.
Dans le cadre précis de cette proposition de loi, le scrutin proportionnel risquerait de provoquer un surcroît d’instabilité, comme plusieurs l’ont démontré. Avec le scrutin majoritaire à deux tours, la diversité des courants de pensée peut se trouver représentée à l’Assemblée nationale.
Mme la présidente
Merci de conclure, monsieur Hajjar.
M. Johnny Hajjar
A contrario, beaucoup de proportionnelle impose l’idéologie, s’oppose à la transparence, amenuise la territorialité, efface les petits territoires et nuit à l’efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Xavier Breton applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Lemaire.
M. Didier Lemaire
Vous soumettez à l’examen de notre Assemblée un texte visant à revivifier la représentation politique. L’intention est louable. La manière d’y parvenir, en revanche, qui consiste à réformer l’élection des députés en instaurant un scrutin proportionnel intégral à un tour, à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, laisse à désirer.
Vous prévoyez que chaque département formerait une circonscription, dans laquelle seraient présentées des listes paritaires. Ensuite, seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés seraient admises à la répartition des sièges.
Depuis longtemps, vous avez fait vôtre l’argument selon lequel le scrutin majoritaire à deux tours, tel qu’il existe aujourd’hui, empêche certains groupes politiques d’être justement représentés au sein de l’Assemblée nationale. Pourtant, la composition inédite de notre assemblée depuis les dernières élections législatives montre que cet argument est fallacieux et tombe dès lors qu’il est confronté à la réalité.
Mme Béatrice Roullaud
Ce n’est pas parce qu’il tombe pour vous qu’il ne reste pas valable pour d’autres ! Nous sommes plus larges d’esprit !
M. Didier Lemaire
Dès le lendemain des élections législatives de 2017, la nécessité d’introduire une dose de proportionnelle a fait consensus. En effet, il est incontestable qu’un bon mode de scrutin permet la représentation des territoires et celle des idées, sans pour autant mettre à mal une indispensable stabilité de l’équilibre institutionnel. Sans surprise, l’ensemble du groupe Horizons défend cette position, dans la droite ligne des choix opérés par les constituants de la Ve République. En effet, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours apparaissait à l’époque comme la solution la plus pertinente pour faire émerger une majorité claire et une opposition cohérente, afin de donner à la France une stabilité politique et institutionnelle.
Cependant, mes collègues du groupe Horizons et moi-même sommes conscients que notre démocratie représentative s’essouffle et que de moins en moins d’électeurs et d’électrices se rendent aux urnes. Aussi ne pouvons-nous que partager l’idée qu’il est nécessaire d’ouvrir une réflexion globale sur le fonctionnement de nos institutions.
Cela ne fait pas débat, nous devons favoriser la représentation de partis ou de groupements politiques qui réalisent des scores significatifs à chaque scrutin ; assurer une meilleure représentation de la diversité des opinions du corps électoral devient crucial dans l’exercice démocratique. Toutefois, il est impératif, pour l’équilibre constitutionnel, que des majorités stables soient en mesure d’émerger. Ce faisant, l’action publique évite toute situation de blocage. Aussi, vous l’avez compris, nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mme Sophie Mette applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Iordanoff.
M. Jérémie Iordanoff
Dès 1958, la Ve République fut construite selon un principe vertical. Puis vint le référendum de 1962, qui instaura l’élection du président de la République au suffrage universel direct. De là, un glissement irrépressible s’est opéré, qui aboutit à une concentration à l’Élysée de l’ensemble de la décision politique. Sauf exception, comme cette législature, le président est assuré de disposer de tous les moyens législatifs pour mener sa politique ; l’Assemblée nationale est réduite à n’être qu’une chambre d’enregistrement.
M. Emeric Salmon
Sauf en 86 et en 93 !
M. Jérémie Iordanoff
Notre parlement est l’un des plus faibles d’Europe. Cette subordination est accentuée par le fait que les élections législatives se déroulent au lendemain de l’élection présidentielle.
M. Emeric Salmon
Ça, c’est le quinquennat !
M. Jérémie Iordanoff
Il serait salutaire, au minimum, de disjoindre ces deux moments. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Les membres du groupe Écolo-NUPES pensent que la concentration, et au bout la solitude, de la décision politique, ne sont pas un gage de pertinence et d’efficacité. Nous croyons aussi que cette solitude fragilise désormais la pérennité même de nos institutions démocratiques. Nul ne peut écarter d’un revers de main l’éventualité d’une vague autoritaire. Et non, le scrutin majoritaire n’est plus une digue contre le populisme.
Il y a donc urgence à tout réécrire, mais en France, on attend les crises de régime pour changer de constitution. Examinons, en attendant, le choix du scrutin proportionnel. Les écologistes y sont historiquement favorables. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Mais ils voteront contre !
M. Jérémie Iordanoff
Le mode de scrutin que nous défendons pour l’Assemblée nationale doit répondre à deux impératifs. Premièrement, il faut atteindre la parité entre femmes et hommes, réelle, in fine, sur nos bancs. Deuxièmement, la représentation des opinions doit être fidèle et complète. La représentation nationale ne peut se résumer à une ombre portée, qui exagère et simplifie le paysage politique. Nous ne voulons ni prime majoritaire ni multitude de circonscriptions, qui mécaniquement entraînerait un effet de prime. J’en entends déjà crier à l’instabilité gouvernementale : des mécanismes existent pour nous en prémunir. Je pense en particulier à la motion de censure constructive. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Quoi qu’il en soit, cette XVIe législature montre, si besoin était, que sortir du fait majoritaire entraîne un léger rééquilibrage en faveur du pouvoir législatif. La proportionnelle permettrait de stabiliser une situation accidentelle ; ce serait déjà ça. (Mêmes mouvements.)
Les choses ont un sens : ce mode de scrutin s’inscrit dans une philosophie générale, celle d’un parlementarisme assumé et d’une démocratie renforcée. Il s’agit d’organiser l’ensemble du débat politique dans l’enceinte des institutions, mais pas seulement. Il s’agit aussi de considérer que le pouvoir législatif est un contrepoids salutaire au pouvoir exécutif, d’affirmer la nécessaire indépendance du pouvoir judiciaire et de reconnaître comme supérieur l’état de droit et la garantie des libertés publiques.
Eu égard au soutien affiché par le Rassemblement national aux régimes illibéraux d’un Trump, d’un Bolsonaro ou d’un Orbán, quand ce n’est pas d’un Poutine (Protestations sur les bancs du groupe RN),…
M. Benjamin Lucas
Exactement ! Il a raison !
M. Jérémie Iordanoff
…et compte tenu de vos attaques répétées contre l’État de droit, de votre défiance à l’égard des libertés publiques et de votre mépris pour l’indépendance de la presse, on ne peut qu’être pris d’un doute quant à la sincérité et la cohérence de votre démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
M. Benjamin Lucas
Il a raison !
M. Jérémie Iordanoff
Pendant la campagne présidentielle, Marine Le Pen avait défendu le principe d’une proportionnelle assortie d’une prime d’un tiers, rendant caducs tous les bénéfices de ce mode de scrutin. Elle n’a pas signé la présente proposition de loi. Quelle est réellement votre proposition ? En avez-vous seulement une ? Vous êtes dans une forme de parasitisme (Mêmes mouvements),…
M. Laurent Jacobelli
Je serais vous, je m’inquiéterais !
M. Jérémie Iordanoff
…dans une manœuvre qui consiste à vous donner une apparence de respectabilité. Vous essayez de vous faire passer pour les défenseurs de la démocratie, alors que votre projet est fondamentalement antiparlementariste, autoritaire et illibéral. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – Protestations sur les bancs du groupe RN.)
M. Benjamin Lucas
Il a raison !
M. Jérémie Iordanoff
Les contradictions sont de votre côté ; vous ne trompez personne.
M. Benjamin Lucas
Personne !
M. Laurent Jacobelli
Si jeune et déjà si vieux !
M. Jérémie Iordanoff
Le groupe Écologiste refuse d’être l’instrument de votre petit jeu et votera donc contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
M. Laurent Jacobelli
Très laborieux !
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Je vais le dire très directement : le groupe Gauche démocrate et républicaine ne fabrique pas la démocratie avec celles et ceux qui veulent en éteindre les lumières. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – M. Jérôme Guedj applaudit également.)
M. Benjamin Lucas
Excellent !
Un député du groupe RN
Et ça se passait comment, en URSS ?
Mme Cyrielle Chatelain
Et le Brésil, on en parle ?
M. Jean-Philippe Tanguy
Et Cuba ?
Mme Cyrielle Chatelain
Et la Hongrie ?
Mme Elsa Faucillon
Par la réforme proposée du système électoral, le Rassemblement national entend répondre à l’aggravation de la crise démocratique. Pour nous, il en est un symptôme. En reprenant quasiment à l’identique les propositions de loi des groupes Démocrate et La France insoumise, examinées lors de la précédente législature, vous poursuivez vos pratiques manœuvrières. Disons-le : elles sont grossières.
Le Rassemblement national nous invite à laisser « nos clivages de côté » – je reprends les termes du rapporteur en commission des lois – et prétend donner un « nouveau souffle à notre démocratie représentative ». En réalité, en tous points, dans vos programmes comme dans vos pratiques, c’est l’opposé que vous prônez. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.) C’est précisément le programme xénophobe, autoritaire et inconstitutionnel du Rassemblement national qui, loin de revivifier la démocratie, risque de l’anéantir. (Protestations sur les bancs du groupe RN.)
M. Benjamin Lucas
Eh oui ! Implacable !
Mme Elsa Faucillon
Celles et ceux qui entretiennent la crise de régime en leur passant les plats sont tout aussi coupables. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Philippe Tanguy
Et Nicolás Maduro, il va bien ?
Mme Elsa Faucillon
Au-delà du jeu de dupes auquel vous vous livrez, je veux insister sur le fait que l’instauration de la proportionnelle est devenue ces dernières années un serpent de mer institutionnel. Promise à intervalles réguliers, elle est sans cesse repoussée aux calendes grecques. Emmanuel Macron s’y était engagé ; c’est une promesse de plus non tenue. L’instauration de la proportionnelle intégrale est une proposition que notre formation politique formule depuis de nombreuses années.
M. Jean-Philippe Tanguy
Eh ben alors ?
Mme Elsa Faucillon
Dans le même temps, nous luttons pour la VIe République. Nous considérons en effet que le scrutin majoritaire engendre un déficit de représentation et renforce la défiance institutionnelle.
Les différentes enquêtes menées année après année mettent en lumière l’insatisfaction grandissante des Français quant au fonctionnement de la démocratie. C’est particulièrement vrai pour les classes populaires, tant la politique et la démocratie semblent se faire sans elles et contre elles.
M. Laurent Jacobelli
C’est pour ça qu’elles ne votent pas du tout pour vous !
Mme Elsa Faucillon
La proposition de réforme du système électoral pour les élections législatives passe sous silence à la fois la dévalorisation du Parlement et l’hyperprésidentialisation du régime. Or, depuis l’accession à la présidence d’Emmanuel Macron en 2017,…
M. Emeric Salmon
Grâce à vous !
Mme Elsa Faucillon
…on assiste moins à un renouveau de la pratique des institutions qu’à la reproduction caricaturale de ses déviances : concentration et centralisation du pouvoir à l’Élysée, neutralisation de la fonction primoministérielle, dévalorisation du Parlement, défiance à l’égard des contre-pouvoirs en général et à l’encontre des syndicats en particulier.
M. Emeric Salmon
Vous l’avez fait élire deux fois !
Mme Elsa Faucillon
Le renforcement des déséquilibres si caractéristiques de la Ve République est tel qu’il met en péril la démocratie. Sont ainsi marqués du sceau du mépris à l’égard de la représentation nationale, de l’institution parlementaire et donc, de la démocratie : le recours à l’arme antiparlementaire du vote bloqué, le recours à l’article 49.3, le recours banalisé aux ordonnances et à la procédure accélérée, la restriction du temps de parole et du droit d’amendement des parlementaires.
Mme Béatrice Roullaud
Le sujet, c’est la proportionnelle !
Mme Elsa Faucillon
Dans la démocratie technocratique d’Emmanuel Macron, la décision politique échappe définitivement aux parlementaires pour être monopolisée par un président de la République conseillé et assisté par des cabinets de conseil au service d’une vision profondément technocratique.
M. Laurent Croizier
Vous valez mieux que ça !
Mme Elsa Faucillon
Nous considérons que l’instauration d’un scrutin proportionnel intégral pour les élections législatives est indissociable de nos propositions visant à revaloriser le pouvoir du Parlement, à freiner l’hypertrophie présidentielle (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES), à inverser le calendrier électoral, à protéger le dialogue social et la négociation collective, à instaurer un véritable référendum d’initiative populaire, afin de renforcer et d’amplifier la souveraineté directe du peuple, ou encore à supprimer les dispositions contraires à l’expression démocratique du Parlement comme l’article 49.3, le recours aux ordonnances et les procédures d’urgence. (Mêmes mouvements.)
M. Jocelyn Dessigny
Dites-le, vous avez peur ! C’est la peur qui vous guide !
Mme Elsa Faucillon
Nous voterons résolument contre cette proposition de loi du groupe Rassemblement national, avec lequel nos clivages sont toujours indépassables.
M. Benjamin Lucas
Bravo !
Mme Elsa Faucillon
La démocratie ne peut se construire avec celles et ceux qui en tous points défendent l’arbitraire, dont elle est le contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
M. Laurent Jacobelli
De la part de communistes, c’est savoureux !
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand
S’il y a un point au moins sur lequel nous sommes à peu près unanimes ce soir, c’est que notre démocratie est en souffrance.
M. Jean-Philippe Tanguy
Pour faire du blabla, il y a du monde !
M. Stéphane Lenormand
Ce n’est pas faux. (M. Jean-Philippe Tanguy sourit.) Nombreux sont les citoyens qui demandent une réforme globale, pour redonner un nouvel éclat aux institutions. Si nous n’écoutons pas ces revendications, qui sont en grande partie légitimes, nous risquons d’aggraver la fracture entre une partie non négligeable de la population et la représentation politique. Cela étant, faut-il en une seule soirée faire table rase de soixante-cinq ans de scrutins ?
M. Emeric Salmon
Non, il y a eu 1986 !
M. Stéphane Lenormand
Je ne le crois pas, soyons réalistes. Bouleverser notre régime électoral à l’occasion d’une niche de groupe n’est ni raisonnable ni souhaitable. Ce n’est pas en quelques heures que l’on rénove ou que l’on revivifie une démocratie.
Toutefois, il ne faut pas nier les failles du scrutin uninominal majoritaire actuel. Comme tous les modes de scrutin, il est largement perfectible ; il est vrai qu’il conduit à une surreprésentation de certains mouvements politiques. Cependant, croire que passer brutalement à une logique proportionnelle réglerait la question de l’abstention n’est pas non plus sérieux. Faire feu sur le scrutin majoritaire serait sans doute contre-productif. Je prends acte de votre détermination, monsieur le rapporteur, mais je crois que l’organisation du mode de scrutin mérite mieux qu’une simple proposition de loi présentée dans une niche – quel que soit le groupe qui la présente.
Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, constitué de représentants d’une grande variété de territoires, a longuement discuté de ce sujet : nos sentiments sont partagés et les avis divergent. Cela prouve bien qu’un travail de réflexion et des échanges sont nécessaires. À titre personnel, je suis favorable au scrutin proportionnel. Indéniablement, le scrutin majoritaire a montré ses limites au fil des années ; il conduit à une distorsion entre le nombre de voix octroyées par les citoyens et les sièges effectivement obtenus par les différentes tendances politiques. Ce constat est de nature à entretenir le sentiment de défiance des citoyens.
Un rapide tour d’horizon de l’Europe montre que la France fait figure d’exception. L’Autriche, l’Allemagne, l’Espagne, le Danemark, la Belgique ou encore le Portugal ont adopté un mode de scrutin à la proportionnelle. Toutefois, les règles de seuil et la répartition des sièges diffèrent fortement ; il y a autant de modes de scrutin à la proportionnelle que de pays. Je veux insister sur ce point, parce qu’il existe des divergences parmi les défenseurs de ce mode de scrutin, même en France. La question se pose : quel mode de scrutin à la proportionnelle choisir pour notre État ?
La présente proposition de loi vise à instaurer une proportionnelle totale, avec une élection dans les départements. Après avoir écouté une bonne partie des forces politiques représentées dans l’hémicycle, je constate qu’il n’y a pas de consensus sur la voie à suivre. Certains parlent d’une proportionnelle totale par département ou par région, d’autres préfèrent une simple dose de proportionnelle ou encore une démocratie participative. C’est la raison qui me pousse à vous dire, monsieur le rapporteur, qu’un débat plus global est nécessaire ; cette réforme ne pourra se faire en quelques heures à la fin d’une journée de niche.
J’estime en outre que toute réforme devra assurer une juste conciliation entre représentativité et proximité. Ainsi, nous sommes députés de la nation, mais aussi issus d’un bassin électoral déterminé. C’est d’ailleurs la richesse de cette chambre que de représenter non seulement les diversités politiques, mais également les diversités territoriales. Un député noue un lien privilégié et précieux avec un territoire identifié, lien qu’il est de notre devoir d’entretenir. Réviser le mode de scrutin devra donc se faire dans le respect des liens et des territoires.
Les doutes qui subsistent parmi les membres du groupe LIOT sur la méthode à suivre montrent à quel point seule une réflexion de fond pourra apporter une réponse à la hauteur des enjeux et des difficultés que traversent nos institutions. C’est pourquoi le groupe LIOT appelle à une réforme globale, qui prendra sans doute la forme d’une loi constitutionnelle et d’une loi ordinaire englobant la question sous toutes ses dimensions. N’oublions pas que pour lutter contre l’abstention, il nous faudra aussi prévoir le renforcement des règles et des droits du Parlement, ainsi qu’un troisième acte de la décentralisation pour confier plus de pouvoirs aux collectivités locales. Pour toutes ces raisons, le groupe LIOT ne donnera pas de suite favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
M. Bertrand Pancher
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à M. Gilles Le Gendre.
M. Gilles Le Gendre
« Le coucou gris s’applique à pondre dans le lit d’une autre espèce […], lui laissant la charge de la couvaison et de l’alimentation du petit. » C’est avec cette métaphore zoologique que le journal Le Monde décrit les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour par le groupe Rassemblement national. (Protestations sur les bancs du groupe RN.)
Mme Marine Le Pen
Ça fait cinquante ans qu’on réclame ça !
M. Benjamin Lucas
Il y a cinquante ans, c’était quoi le programme du FN ?
M. Gilles Le Gendre
Le texte qui nous est soumis, visant à élire la totalité des députés au scrutin proportionnel départemental, illustre à merveille cette stratégie du coucou, à moins qu’il n’évoque, dans le même registre animalier, le célèbre voleur de poules ! (Mêmes mouvements.) En effet, il reprend mot pour mot la proposition du groupe MODEM du 23 février 2011,…
M. Philippe Vigier
Droits d’auteur !
M. Gilles Le Gendre
…elle-même réplique de la loi de 1985 instaurant, pour la première et la dernière fois de la Ve République, la proportionnelle intégrale.
M. Laurent Jacobelli
On s’ennuie déjà !
M. Gilles Le Gendre
Dans une première version, monsieur le rapporteur, vous aviez même plagié une proposition de La France insoumise de mars dernier.
M. Benjamin Lucas
C’est pas bien, de copier sur les autres ! Même avec un uniforme !
M. Gilles Le Gendre
Décidément, au Rassemblement national, c’est la photocopieuse qui fait la loi ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Protestations sur les bancs du groupe RN.)
Sans être dupe du piteux piège que vous avez essayé de nous tendre, je ne vous en ferai pas grief. Le groupe Renaissance accepte ce débat sur le mode de scrutin ; mieux, il le souhaite.
M. Jocelyn Dessigny
Alors vous allez voter pour !
M. Gilles Le Gendre
En 2018, puis en 2019, notre majorité avait soutenu le projet d’intégrer une dose de proportionnelle aux élections législatives.
M. Emeric Salmon
Où est-elle ?
M. Jocelyn Dessigny
Vous attendez quoi ?
M. Gilles Le Gendre
Nous n’y avons pas renoncé (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN), comme en témoignent les propos du Président de la République lors de la campagne présidentielle, laissant volontairement ouvertes toutes les options. Mais pas maintenant (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN), pas comme ça.
M. Jocelyn Dessigny
Vous êtes plus rapides quand il s’agit de sortir le 49.3 !
M. Gilles Le Gendre
C’est pourquoi le groupe Renaissance ne votera pas ce texte, tout comme il s’était récemment opposé à la proposition de La France insoumise sur le référendum d’initiative partagée, quel que soit l’intérêt qu’elle revêtait.
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Jérôme Buisson
Vous prenez les Français pour des pigeons !
M. Gilles Le Gendre
On ne change pas de mode de scrutin à la sauvette, entre l’uniforme à l’école et les ordures ménagères. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Notre démocratie exige une profonde refondation, nous partageons cette conviction sur tous les bancs. Améliorer la représentation des sensibilités composant la nation, encourager la culture de coalition qui en découle, voilà qui peut contribuer à faire respirer nos institutions.
Mais nous sommes tout autant convaincus qu’à elle seule, une telle réforme ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé.
M. Laurent Jacobelli
Cela fait six ans que vous ne faites rien !
M. Jocelyn Dessigny
Ce n’est pas à vous d’en décider mais au peuple !
M. Gilles Le Gendre
L’instauration d’une petite ou d’une grande dose de proportionnelle n’est qu’une brique de la reconstruction démocratique que les Français attendent.
M. Jocelyn Dessigny
Vous êtes bien loin des attentes des Français !
M. Gilles Le Gendre
Bien d’autres seront nécessaires pour réussir ce chantier : la rénovation du travail parlementaire, le développement d’outils de démocratie directe ou délibérative, la transformation en profondeur de l’action publique.
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Laurent Jacobelli
Bla bla bla !
M. Gilles Le Gendre
Le défi de la commission transpartisane promise par le président Macron (Protestations sur les bancs du groupe RN) consistera à poser ces briques pour garantir que l’édifice tient durablement debout. C’est dans ce cadre que devra être tranchée la question de la proportionnelle.
M. Jocelyn Dessigny
Ben voyons !
M. Gilles Le Gendre
Je voudrais conclure mon propos sur ce point.
Un député du groupe RN
Enfin une bonne nouvelle !
M. Gilles Le Gendre
Tout d’abord, à l’adresse de l’ensemble de nos collègues : l’intérêt majeur que nous portons tous à la question démocratique et institutionnelle…
M. Jocelyn Dessigny
Pas vous, sinon vous l’auriez déjà fait !
M. Gilles Le Gendre
…se traduit par de nombreuses propositions de loi. Nous vous proposons de le manifester dans cette commission transpartisane.
Quand il s’agit de définir la règle du jeu, toutes les équipes doivent se mettre d’accord et réserver leurs oppositions pour l’heure du match.
Ensuite, à l’adresse de nos collègues du groupe Rassemblement national : votre proposition d’instaurer la proportionnelle intégrale trahit un terrible aveu, tranchant avec votre apparente assurance et votre habituelle geste guerrière. Auriez-vous donc définitivement renoncé à profiter de l’effet amplificateur du scrutin majoritaire ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe RN.) Nous en sommes nous-mêmes persuadés et ce constat n’est pas pour nous déplaire.
M. Jocelyn Dessigny
L’intérêt général des Français, ça vous parle ?
M. Gilles Le Gendre
Le coucou pense lui-même qu’il ne volera jamais de ses propres ailes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Protestations sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard
Alors que le fossé entre citoyens et élus ne cesse de se creuser, ce texte a le mérite de poser des questions auxquelles nous ne pouvons plus nous soustraire. Mais débattre du mode du scrutin, c’est ne voir qu’une partie de la défiance des Français envers les institutions politiques. La rupture est profonde. Elle n’est pas nouvelle. Et l’abstention massive lors des dernières élections législatives dit clairement le désintérêt ou l’incompréhension des Français pour le travail législatif dont nous avons la charge.
Ne nous en déplaise, l’âge d’or du Parlement est bien loin et les assemblées n’inspirent désormais le plus souvent que dédain, irritation ou nostalgie. Alors méfions-nous des bonnes intentions. La refonte législative du mode de scrutin, telle qu’elle nous est proposée aujourd’hui, ne me convainc pas – de même que ne m’avait pas convaincue la proposition de Jean-Luc Mélenchon au mois d’avril 2021, qui visait à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif.
L’élection des députés à la proportionnelle au niveau départemental pose en effet des difficultés qui ne peuvent être ignorées. Passer de la circonscription au département risque d’accentuer plus encore la distance qui existe entre élus et citoyens. Les citoyens souhaitent l’inverse de ce que prévoit cette proposition de loi : des élus ancrés, enracinés, proches, accessibles et auxquels ils peuvent s’identifier. On comprend pourquoi les maires sont et restent les élus préférés des Français.
Être député, c’est créer une histoire parfois intime avec ses concitoyens qui repose sur la confiance, le service, la disponibilité, le respect et l’écoute. Une circonscription, c’est un territoire bien déterminé. Ce qui fait la richesse de notre assemblée, c’est la diversité politique de ces territoires. J’ai souvent eu l’occasion de le dire lors de la précédente législature : l’instauration de la proportionnelle, c’est la prime aux partis politiques et aux appareils dans lesquels les Français peinent à se reconnaître et qu’ils se mettent même parfois à détester – non sans quelques raisons, convenons-en. C’est une réduction de l’offre de proximité au profit de listes anonymes. La proportionnelle intégrale, c’est la fin programmée des députés qui refusent d’adhérer à un parti. Or il serait bien dommage pour notre assemblée nationale – pardonnez ce plaidoyer pro domo – de se passer de la liberté d’expression de ces derniers !
Surtout, c’est le risque de voir des professionnels de la politique parachutés dans des territoires qu’ils ne connaissent pas. C’est le risque de fabriquer des élus hors-sol qui ne représenteraient qu’eux-mêmes. Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas non plus de tomber dans l’excès inverse, d’être des députés d’arrondissement qui sacrifieraient l’intérêt général à celui d’une circonscription.
L’adoption de cette proposition de loi créerait une nouvelle difficulté : dans les départements composés de grands centres urbains et de territoires ruraux, elle aurait pour effet mécanique d’affaiblir la représentativité des territoires que d’aucuns jugent périphériques. Ils ont déjà été largement affectés par la loi, dite Notre, portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui a créé des intercommunalités toujours plus grandes, toujours plus déconnectées des difficultés locales dont souffrent nos concitoyens.
Au-delà du mode de scrutin, il ne tient qu’à nous, parlementaires, d’être compris des Français et de revivifier des débats trop souvent soumis à une logique de parti et à un jeu politique. Il ne tient qu’à nous de sortir de l’artifice parlementaire et du gouvernement des couloirs. Il ne tient qu’à nous d’être présents sur le terrain et de chercher toujours à mieux répondre aux demandes qui nous sont adressées. Il ne tient qu’à nous d’être compris.
Pourtant, la nature de nos institutions doit faire l’objet d’un véritable débat de fond. Pourquoi, par exemple, ne pas rétablir le septennat présidentiel ou prendre en considération les votes blancs ? Pourquoi ne pas obliger les députés à avoir exercé un mandat d’élu local ? Pourquoi même ne pas transformer le mode de scrutin actuel en scrutin uninominal majoritaire, afin d’éviter le fameux front républicain qui n’a d’autre effet que de contourner la volonté des Français ? Autant de pistes qui doivent retenir notre attention.
Sans tomber dans une pseudo-morale souvent démagogique, il nous reste à vouloir, à faire en sorte que les quatre dernières années de ce mandat soient l’occasion de renouer avec un débat de qualité et de sincérité qui parlerait enfin largement aux Français.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à M. Bruno Bilde, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Bruno Bilde, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mon texte est le même que celui de 1986,…
M. Sylvain Maillard
1985 !
M. Bruno Bilde, rapporteur
…donc personne n’a copié personne. Monsieur Le Gendre, vous nous avez expliqué que vous n’étiez pas contre l’instauration de la proportionnelle (Sourires sur les bancs du groupe RN), mais pas maintenant. En somme, ni pour, ni contre, bien au contraire !
Les députés du groupe La France insoumise, vous êtes contre le texte que Jean-Luc Mélenchon a présenté, à la virgule près, en 2019.
M. Benjamin Lucas
Nous ne partageons pas nos virgules avec vous !
M. Bruno Bilde, rapporteur
Ce soir, vous allez donc voter contre votre propre texte par sectarisme et par hypocrisie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Alors que François Bayrou en a fait un de ses principaux combats, les députés du groupe Démocrate voteront également contre leur propre texte ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Benjamin Lucas
C’est la preuve que vous ne pouvez rassembler personne ! Personne ne veut de vous ! Vous êtes les mal-aimés du Parlement !
M. Bruno Bilde, rapporteur
Quant au Parti socialiste, il a trahi tout le monde, y compris François Mitterrand ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.
Article 1er
Mme la présidente
La parole est à Mme Marine Le Pen.
Mme Marine Le Pen
Monsieur Le Gendre, je vous ai vu plongé dans un abîme de perplexité. Le Rassemblement national, promis à une majorité absolue lors de futures élections au scrutin majoritaire à deux tours, y renoncerait ? Incroyable !
Eh oui, monsieur Le Gendre ! Je ne m’attends pas à ce que vous compreniez que nous ne nous battons pas pour nos intérêts personnels…
M. Gilles Le Gendre
Oh ! Jamais !
Mme Marine Le Pen
…et politiciens, bien entendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Je comprends que vous ne compreniez pas puisque c’est ce que vous faites en toute circonstance. Je comprends que vous ne compreniez pas que ce qui nous intéresse, c’est l’intérêt supérieur de la démocratie et le sentiment de chaque Français d’être représenté.
Ce mode de scrutin nous sera peut-être plus défavorable que le scrutin majoritaire à deux tours. Pourtant, nous le défendons depuis cinquante ans (Applaudissements sur les bancs du groupe RN)…
M. Benjamin Lucas
Il y en a, des choses que vous défendez depuis cinquante ans !
Mme Marine Le Pen
…et nous continuerons à le défendre, précisément parce qu’il est susceptible de rapprocher les électeurs de leurs élus et de revivifier la démocratie.
Par ailleurs, lorsque j’entends les différents groupes ayant déposé le même texte nous expliquer que, tout en étant favorables à la proportionnelle, ils voteront contre cette proposition de loi – j’imagine la réaction des Français qui les écoutent –,…
M. Thomas Ménagé
C’est intenable !
Mme Marine Le Pen
…je me dis que, plutôt que le mode de scrutin, c’est leur comportement qui éloigne les Français de la vie politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs du groupe RE.)
M. Sébastien Chenu
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à Mme Eléonore Caroit.
Mme Eléonore Caroit
Nous venons d’écouter Mme Le Pen nous dire qu’en fait, ce texte ne sert pas les intérêts du Rassemblement national.
Un député du groupe RN
Exactement !
Mme Eléonore Caroit
C’est faux et je vais vous expliquer pourquoi, en soulevant un point technique très simple. (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.)
M. Jocelyn Dessigny
Mettez-vous d’accord avec M. Le Gendre !