Deuxième séance du jeudi 30 mai 2024
- Présidence de Mme Élodie Jacquier-Laforge
- 1. Rappels au règlement
- 2. Constitutionnaliser la sécurité sociale
- Présentation
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Avant l’article unique
- Suspension et reprise de la séance
- Amendement no 6
- Article unique
- M. Mathieu Lefèvre
- Mme Edwige Diaz
- Mme Raquel Garrido
- M. Frédéric Petit
- Amendements nos 35, 32, 17, 34, 19, 28, 30, 1, 29, 33, 20, 22 et 21
- Vote sur l’article unique
- Application de l’article 84, alinéa 2, du règlement
- 3. Améliorer la réussite scolaire des jeunes ultramarins grâce à l’apprentissage des langues régionales
- 4. Prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Élodie Jacquier-Laforge
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Rappels au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Emeric Salmon, pour un rappel au règlement.
M. Emeric Salmon
Il se fonde sur le troisième alinéa de l’article 70, en vertu duquel tout membre de l’Assemblée « qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces » peut faire l’objet de peines disciplinaires.
Le site linsoumission.fr, dont le directeur de la publication est Antoine Léaument, vient de publier une liste de noms – cela rappelle de mauvais souvenirs –, celle des députés qui ont voté en faveur de la sanction contre Sébastien Delogu.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Cela n’a rien à voir avec la séance !
M. Emeric Salmon
M. Léaument met ainsi une cible dans le dos des députés Renaissance, MODEM, LIOT, LR et RN, ce qui est grave et même inadmissible. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Je demande que le bureau soit saisi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
Nous prenons bonne note de votre demande, qui sera transmise au bureau.
La parole est à Mme Raquel Garrido, pour un autre rappel au règlement.
Mme Raquel Garrido
Il se fonde sur l’article 100 du règlement. Je rappelle que les votes à scrutin public sont, comme leur nom l’indique, publics, conformément à la transparence dont notre assemblée fait traditionnellement preuve.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Certains préfèrent les dénonciations anonymes !
Mme Raquel Garrido
Autrefois, nos concitoyens comptaient sur la presse, les dessins et les sculptures de Daumier pour s’informer. De nos jours, tout est public, les réseaux sociaux donnant accès à l’information en temps réel. Il n’y a rien de plus important que le lien entre les parlementaires et les citoyens. Nous ne sommes pas toujours très nombreux dans l’hémicycle, mais tout ce que nous y disons découle d’un mandat donné par les électrices et les électeurs.
Mme la présidente
Merci, chère collègue.
Mme Raquel Garrido
Informer les citoyens des votes des députés est tout à fait conforme au règlement. (M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit.)
Mme la présidente
En tout état de cause, ce n’est pas à nous d’en juger, mais au bureau, s’il est saisi.
2. Constitutionnaliser la sécurité sociale
Discussion d’une proposition de loi constitutionnelle
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à constitutionnaliser la sécurité sociale (nos 2472, 2641).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Dharréville, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Pierre Dharréville, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Y a-t-il un geste de solidarité plus puissant que celui que la sécurité sociale fait chaque jour ?
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Ce geste par lequel nous nous assurons mutuellement des droits tout au long de l’existence, face aux aléas de la vie. Ce geste par lequel on se soigne, on goûte à la retraite, on affronte un accident du travail ou une maladie professionnelle, on subvient à l’éducation des enfants. « Ce qu’elle donne aux Français ne résulte pas de la compassion ou de la charité, elle est un droit profond de la personne humaine. » Voilà ce qu’Ambroise Croizat disait de la sécu, comme on l’appelle par son petit nom, parce qu’elle nous est familière, parce qu’elle nous appartient, parce qu’elle est notre bien commun. Et pourtant, elle ne figure que dans un recoin de notre loi fondamentale, comme par raccroc, et elle n’y figure que pour ce qu’elle coûte, dans la description de la tuyauterie des lois de financement. Où est le sens, où sont les principes, où est l’ambition ?
Cette anomalie nous a sauté aux yeux lors d’une tentative de remplacer l’expression « sécurité sociale » par « protection sociale » il n’y a pas longtemps. La sécurité sociale n’est-elle pas, depuis la Libération, une institution fondamentale de la République, une traduction essentielle de la république sociale ? Il ne surprendra personne que nous souhaitions la protéger et même la proclamer, non pas au nom du passé, mais au nom de l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.) Comment est-il possible que la sécurité sociale ne soit pas reconnue dans la Constitution comme une institution fondamentale ? Comment se fait-il que ses ambitions et ses principes n’y soient pas énoncés ? Pourquoi ne pas le faire aujourd’hui ? Qu’on me donne un seul argument valable contre cette proposition.
Toutes les fleurs ne sont pas sans épines, mais tout le monde ou presque ne parle de la sécurité sociale qu’avec des fleurs à la bouche. Même quand il s’agit de la raboter, en rognant les droits et les vies, les fleurs demeurent dans les discours. Si les mots sont sincères, alors il faut placer la sécurité sociale à sa juste place dans la Constitution, où elle occupe, au moment où je vous parle, une place inversement proportionnelle à son rôle. Elle est plus qu’une simple politique publique, elle est une institution structurante.
La rédaction de la proposition de loi constitutionnelle est simple et directe. Elle préserve les prérogatives du législateur et la marge d’interprétation du juge, mais elle leur donne une indication nouvelle. L’élévation de la protection de la sécurité sociale au niveau constitutionnel aura des effets concrets dans l’interprétation du droit. Elle figurera dans l’identité constitutionnelle de la France, au cas où notre modèle social serait mis en cause. Nous avons vu avec quelle brutalité le Rassemblement national considère la sécurité sociale, cherchant à la torpiller en la privant de ressources et à la plier au principe antirépublicain de la préférence nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
M. Pierre Dharréville, rapporteur
S’il y a des projets dans les tiroirs que notre initiative viendrait contrarier, c’est le moment de le dire ! Il est vrai que certaines réformes, notamment celle des modes de scrutin, faites isolément, auraient des effets problématiques, mais il y a eu récemment quatre ou cinq projets de modification de la Constitution et l’argument selon lequel il ne faudrait la réviser que dans le cadre d’une révision générale est faible, cette perspective demeurant nébuleuse. Et c’est un partisan de la VIe République qui vous le dit.
La proposition de loi constitutionnelle vise à insérer un nouvel article après l’article 1er de la Constitution pour renforcer la notion de république sociale, dont la base juridique doit être consolidée. Contrairement à la position croissante du Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence, la solidarité ne se limite pas au soutien des plus défavorisés. En la reconnaissant comme institution de rang constitutionnel, nous énonçons ses principes fondateurs et rappelons le préambule de la Constitution de 1946, qui n’évoque pas la sécurité sociale à proprement parler : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Nous faisons ici œuvre de couture, de soudure. Nous affirmons le lien et la continuité.
Si la sécurité sociale s’est imposée, dans une bataille qui n’a jamais vraiment cessé, c’est parce que, face au drame incommensurable de l’occupation nazie et de la collaboration, face au danger fasciste, il fallait un antidote à la hauteur. Il fallait renouer avec l’espoir fondamental de la Révolution française. Il fallait un grand geste d’émancipation partagée, un grand geste d’affirmation de la dignité humaine. Il se dit en peu de mots, ce grand geste : « De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ». Les adversaires de la sécurité sociale l’affirment parfois pour la discréditer : il y a quelque chose du communisme dans la sécurité sociale.
M. Sébastien Jumel
Oui, bien sûr !
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Mais je ne m’arroge pas sa propriété : elle est le patrimoine commun de notre peuple, inscrite dans ce que le général de Gaulle nommait « une démocratie sociale [...] garantissant la dignité et la sécurité de tous ». Elle « doit appartenir à tous les Français et toutes les Françaises, sans considération politique, philosophique ou religieuse », disait Ambroise Croizat.
Pour nous, il est urgent de lui donner un nouvel élan, pour mieux répondre aux besoins et décourager les appétits financiers qui sont toujours là. Il n’y a rien à privatiser dans la sécu. Le fait que des centaines de milliards d’euros de richesses produites par le travail soient socialisées, mutualisées, protégées de la cupidité du marché et rendues directement et socialement utiles, est difficile à supporter pour certains depuis le début.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Eh oui !
M. Pierre Dharréville, rapporteur
C’est aussi pour cela qu’on nous serine que la sécurité sociale coûte trop cher, que nos droits, nos vies coûtent trop cher, et qu’il faut s’en remettre au chacun pour soi. La Cour des comptes ne vient-elle pas de le faire en s’attaquant aux arrêts maladie ? La sécurité sociale ne doit pas être réduite à une bouée de secours. Nous combattons la remise en cause incessante de la cotisation comme mode de financement. La cotisation est la concrétisation du principe fondateur, vecteur de la solidarité mutuelle, dont vous avez sans doute perçu ce que Bernard Friot appelle « la dimension subversive » du salaire continué.
Nous discutons le mouvement d’étatisation engagé depuis 1995. L’une des intuitions fortes de la Libération a été de confier la gestion de la sécurité sociale aux travailleurs et travailleuses et nous pensons qu’il faut engager un mouvement de démocratisation, de réappropriation sociale et citoyenne de cette gestion par les assurés. Il faut lui permettre de mieux répondre aux défis contemporains. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES. – Mme Raquel Garrido et M. Benjamin Lucas-Lundy applaudissent également.)
Pour l’heure, ce que nous mettons sur la table, c’est simplement l’inscription de la sécurité sociale dans la Constitution. Notre proposition de loi constitutionnelle ne change pas le droit existant. Elle le protège et le renforce. Elle peut nous rassembler, dans ce moment de crise sociale et sanitaire qui dure, alors que notre peuple est fracturé et travaillé par les monstres du clair-obscur. Elle éclairera les débats sur les évolutions à venir et donnera à la sécurité sociale une existence qui ne dépend pas du bon vouloir du Parlement. Elle peut envoyer un signal retentissant.
Hier, dans une tribune publiée par Mediapart, Sophie Binet, Marylise Léon, Laurent Escure et Benoît Teste ont affiché, au nom de leurs organisations syndicales, leur soutien à cette constitutionnalisation (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES) et appelé notre assemblée à « saisir cette occasion pour ouvrir un grand débat sur l’avenir de la sécurité sociale dans le pays ».
L’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle serait un geste utile et historique pour l’avenir, pour continuer à inventer la sécurité sociale dont nous avons besoin. L’année prochaine, nous célébrerons son 80e anniversaire : nous pourrions le faire de façon concrète, en matérialisant notre attachement commun, en la confortant, en la consolidant. Imaginez ce grand moment d’unité populaire, ce grand geste politique que nous pourrions accomplir !
Pourquoi la sécurité sociale n’est-elle pas inscrite dans la Constitution ? Nul ne pense ici que cela réglerait tous les problèmes. Qu’on ne se méprenne pas, nous sommes vaccinés contre l’idée d’une institution froide, de papier, d’une idée qui se contenterait d’une existence juridique. Nous savons trop bien que la sécurité sociale est le résultat d’un rapport de forces social et politique. « Rien ne pourra se faire sans vous », s’exclamait Ambroise Croizat le 12 mai 1946. « La sécurité sociale n’est pas qu’une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains… », disait-il. Voici mes mains de parlementaire, nos mains, qui n’y suffiront pas, mais qui peuvent être utiles pour donner à la sécurité sociale une meilleure protection et une meilleure reconnaissance, pour créer des conditions plus favorables pour l’avenir. Vive la sécurité sociale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention
La sécurité sociale « est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes », selon les termes de l’ordonnance du 4 octobre 1945. Elle fait partie de l’identité de la France. Elle est présente dans notre quotidien. Elle est le fruit de l’histoire moderne de notre pays.
J’éprouve, comme vous, un attachement particulier, indéfectible, à cette institution emblématique qui incarne, plus qu’aucune autre, les valeurs de solidarité et de justice sociale de notre république.
La sécurité sociale est bien plus qu’un simple mécanisme financier. Elle est le pilier de notre cohésion nationale, la garante de la dignité de chacun de nos concitoyens face aux aléas de la vie. Depuis sa création en 1945, elle est une réponse courageuse et visionnaire à la nécessité de protéger les travailleurs et leurs familles contre les risques de la maladie, de l’accident, de la vieillesse et du chômage.
Pierre Laroque, l’un de ses pères fondateurs, disait : « Il ne s’agit pas seulement de faire face aux risques sociaux, mais de bâtir une société plus humaine. » C’est cette ambition qui nous guide encore. La France bénéfice d’une protection sociale inégalée. Rendons-nous compte de ce privilège ; soyons conscients de ce que représente la sécurité sociale, alors que, pour certains, elle n’est que guichets ou déficits. Soyons fiers de faire vivre ce modèle si précieux. La sécurité sociale est l’un, si ce n’est le plus important, de nos services publics.
M. Sébastien Jumel
Jusque là, tout va bien…
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Elle est importante par le budget qui lui est consacré chaque année : 640 milliards d’euros en 2024. C’est un investissement massif, mais indispensable. Elle est importante par l’universalité des personnes qu’elle protège – tous les Français – et, surtout, par ses valeurs et ses principes fondamentaux, que nous devons préserver avec vigilance – la solidarité, l’universalité et la redistribution.
En tant que ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, je suis profondément attaché à ces valeurs. Elles sont le socle de notre modèle social et l’assurance que chaque Français pourra accéder à des soins de qualité, quelle que soit sa situation.
Face aux défis actuels, notamment le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques, mais aussi les crises sanitaires, notre système de sécurité sociale doit s’adapter sans jamais renoncer à ses fondements.
Monsieur le rapporteur, vous l’aurez compris, nous avons la sécurité sociale en partage. J’approuve donc votre souhait de préserver ce modèle, mais il fait déjà l’objet d’une protection au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
La Constitution garantit en effet l’existence d’un système de protection sociale collective. Elle prévoit d’ailleurs explicitement son existence dans son article 34, et implicitement aux articles 39, 42 et 47-1, relatifs aux lois de financement de la sécurité sociale. Les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, garantissent également l’existence de ce système.
En outre, cette protection constitutionnelle a été reconnue et utilisée par le Conseil constitutionnel, dont les décisions attestent de son effectivité. Sans faire un cours de droit constitutionnel, ni de juridisme pour le plaisir, je rappellerai simplement que la jurisprudence du Conseil, constante en la matière, est protectrice pour la sécurité sociale. Qu’il s’agisse de vieillesse, de maladie, d’accident du travail ou de famille, il s’est montré très clair, garantissant notamment « la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités » ou le droit à la protection de la santé.
De son côté, la rédaction de votre proposition de loi est très ambiguë, et a priori sans effet. La notion d’institution fondamentale, inscrite dans votre texte, n’est pas présente dans la Constitution. Il s’agirait donc d’introduire une nouvelle notion, de nature à créer une hiérarchie entre les institutions de la République.
Les missions assignées à cette institution sont en outre particulièrement larges et mal définies puisqu’elle devrait assurer chaque « membre de la société » contre l’ensemble des risques et aléas de l’existence. La distinction entre risque et aléa n’est pas davantage précisée, ni la nature de ces risques et aléas, qui pourraient aller bien au-delà des seuls risques sociaux et collectifs.
Votre dispositif prévoit que la sécurité sociale « concourt en particulier à la mise en œuvre des principes énoncés au dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. » Une telle précision n’apporte aucune plus-value puisque ces principes sont déjà énoncés et ne sont pas modifiés.
Enfin, votre proposition de loi constitutionnelle vise à imposer à la fois une forme et un niveau constitutionnalisés de garanties sociales, mais elle présente certains effets de bord qu’il ne faut pas sous-estimer. (M. Nicolas Sansu s’exclame.) En effet, elle pourrait impliquer la couverture de tous les risques par l’assurance maladie obligatoire, ne laissant plus de place aux assurances maladie complémentaires, telles que visées à l’article 18 de l’ordonnance du 4 octobre 1945.
M. Jérôme Guedj
Ce serait une bonne idée !
M. Sébastien Jumel
Ce n’est pas un effet de bord, c’est le 100 % Sécu !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Un tel dispositif est contraire aux libertés économiques, également garanties par la Constitution.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement sera défavorable à votre proposition de loi.
Mais cela ne veut pas dire que le débat doit être clos. (M. Benjamin Lucas-Lundy s’exclame.) Si la Constitution ne se modifie qu’avec une main tremblante, et après mûre réflexion, nous avons la sécurité sociale en partage et les Français rappellent régulièrement leur attachement profond à notre système de protection sociale.
M. Nicolas Sansu
En partage, mais pas sans partage !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Bien que défavorable à son texte, le Gouvernement salue l’initiative du rapporteur et partage son attachement à la sécurité sociale en tant qu’institution pilier de notre république. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et HOR.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Vu l’ampleur des applaudissements, on se croirait à un meeting de Valérie Hayer !
Discussion générale
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
« Jamais nous ne tolérerons que soit renié un seul des avantages de la sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir, et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès[…]. » Ce sont les mots, tenus à cette même tribune en octobre 1950, peu avant sa disparition, par Ambroise Croizat, qui fut ministre du travail et de la sécurité sociale. Son combat était celui de la solidarité et de la dignité. Son but était de libérer nos concitoyens de l’angoisse du lendemain.
Près de trois quarts de siècle plus tard, nous voici réunis dans le cadre de la niche de notre groupe pour débattre de la proposition de loi constitutionnelle dont notre collègue Pierre Dharréville est le rapporteur, qui vise à inscrire la sécurité sociale dans notre Constitution.
Il est frappant, voire paradoxal, de constater l’absence, dans ce texte fondamental, de l’institution qui incarne le mieux la république sociale. La sécurité sociale constitue l’une des matérialisations quotidiennes les plus tangibles et puissantes de notre promesse républicaine. Ce modèle est un précieux acquis – ou plutôt conquis – du Conseil national de la Résistance (CNR). Il est reconnu, et parfois envié, à travers le monde. Il nous revient d’en reconnaître la profondeur historique.
Rappelons également que la sécurité sociale est conçue pour être financée par le salaire socialisé, et qu’elle était, à l’origine, gérée directement et majoritairement par les salariés. Car, oui, ce sont les salariés qui financent la protection sociale de notre pays puisque ce sont eux qui produisent ses richesses. Ce rappel des faits est plus que jamais utile à l’heure où vous avez choisi de faire les poches de l’assurance chômage, et donc celles des salariés.
Dès 1967, ces derniers ne disposent plus des trois quarts des postes d’administrateurs des caisses de sécurité sociale, et les élections à ces postes sont supprimées. En 1991, la contribution sociale généralisée (CSG) bouleverse le financement par la cotisation. Parallèlement, des politiques d’allègements des cotisations sociales se succèdent depuis trente ans, sans que personne ne s’interroge sur leur pertinence. Pire, l’an dernier, l’opposition de tous les conseils des caisses à la loi de financement de la sécurité sociale n’a eu aucun effet. Ce processus de dépossession – de désappropriation – ne peut pas continuer.
C’est pourquoi nous souhaitons réaffirmer notre attachement, et surtout celui des Françaises et Français que nous représentons, à la belle et grande sécurité sociale. Cet attachement n’a rien d’une nostalgie car cette institution fait pleinement partie de notre quotidien et de celui de nos concitoyens, en particulier dans les moments les plus difficiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Cet attachement relève d’une espérance commune. Il suppose de protéger la sécurité sociale des marchés qui profitent de ses démantèlements pour spéculer et se développer au détriment de notre protection sociale. Les attaques successives contre notre modèle aboutissent à la moins bonne protection de nos concitoyens contre des risques sociaux pourtant bien identifiés.
Aucune branche n’est épargnée par ces attaques – reports de l’âge de la retraite, baisses des remboursements des soins et des médicaments, réductions de l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. La sécurité sociale est attaquée et nous devons la protéger. C’est notre objectif, et le constat devrait sauter aux yeux de tous.
Pourtant, lors de l’examen de ce texte en commission des lois, plusieurs dizaines d’amendements ont été déposés par le groupe Renaissance, dont près de la moitié n’ont pas le moindre lien avec la sécurité sociale. C’est également le cas en séance, comme si la sécurité sociale ne vous intéressait pas. Avec gravité, nous nous interrogeons sur l’utilisation de telles méthodes lors de l’espace réservé à un groupe d’opposition.
Quant aux amendements de l’extrême droite, d’une autre nature, ils sont tout aussi révélateurs : ils illustrent bien à quel point le RN ne porte strictement aucun intérêt à la question sociale.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
Mme Elsa Faucillon
Ses votes successifs dans l’hémicycle l’ont démontré depuis longtemps mais, dorénavant, il ne s’en cache plus. Pour les députés du groupe RN, la seule question qui vaille la peine d’être soulevée, c’est de savoir si celui qui bénéficie de la sécurité sociale est né sur le sol français.
Heureusement qu’en 1945, personne ne s’est demandé si la maladie ou la vieillesse avaient une nationalité.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Eh oui !
Mme Elsa Faucillon
Aujourd’hui, comme hier, les risques sociaux n’en ont pas – et ils n’en auront jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Réaffirmons donc haut et fort la vocation universelle de la sécurité sociale. C’est le principe qui a présidé à sa naissance, puis à son développement et, désormais, grâce à ce texte, à son avenir. Refuser d’inscrire la sécurité sociale dans la Constitution dès aujourd’hui, c’est permettre, demain, d’entraver cette vocation comme beaucoup le veulent déjà, y compris sur ces bancs.
À l’extrême droite, certains osent même citer l’existence de l’aide médicale d’État – qu’ils veulent pourtant supprimer ! – comme argument pour ne pas constitutionnaliser la sécurité sociale ! Ils ne seront jamais les défenseurs de la sécurité sociale puisqu’ils en sont les fossoyeurs ! (Applaudissements quelques bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES. – Mme Edwige Diaz s’exclame.)
M. Paul Molac
Tout à fait !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Elle a raison !
Mme Elsa Faucillon
Ils l’attaquent sur un flanc qui, jusqu’ici, ne faisait que peu l’objet d’attaques de la part du capital et du patronat. Mais pour combien de temps encore ?
Nous regrettons que la majorité ait usé d’explications alambiquées pour justifier le rejet de ce texte. Elle a, de fait, associé sa voix à celle du Rassemblement national pour refuser d’inscrire cette institution dans notre texte suprême. Je forme donc le vœu qu’elle se ressaisisse en séance et adopte cette proposition de loi, utile tant sur le fond que sur la forme.
Vous l’aurez compris, la sécurité sociale n’est pas un acquis tombé du ciel ; elle est le fruit d’un rapport de forces, tout comme le sont ses démantèlements successifs que nous continuerons à combattre. Il faut donc intervenir.
La Constitution est le sommet de notre ordre juridique. Elle a vocation à assurer la garantie des droits, comme en atteste la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais les jurisprudences successives ne donnent qu’une faible portée aux principes inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946, comme celui « d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Dès lors, un tel acquis ne peut se satisfaire de dispositions qui sont du ressort de la technique budgétaire – comme celles relatives aux lois de finances ou de financement de la sécurité sociale – ou de principes généraux abstraits. Ainsi, la jurisprudence administrative considère notamment que le principe posé au dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 « ne s’impose au pouvoir réglementaire, en l’absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ».
Ceux qui prétendent qu’en l’état du droit, la Constitution protège déjà notre modèle et son ambition sont dans l’erreur – ou ils mentent.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ou les deux !
Mme Elsa Faucillon
Lors de son audition, le professeur Alain Supiot a montré que l’inscription des principes de la république sociale au rang constitutionnel avait permis de freiner la remise en cause de notre modèle.
Alors, allons plus loin ! Il nous revient, en tant que constituants, de proposer une solution, d’apporter cette précision nécessaire. Sinon, qui le fera ?
Cette proposition de loi constitutionnelle pourrait aussi permettre au Conseil constitutionnel de faire valoir l’identité constitutionnelle de la France en la matière, faisant ainsi primer certaines règles nationales sur des règles européennes. Nous donnerions ainsi à la sécurité sociale la force qu’elle mérite.
L’année prochaine, nous fêterons le 80e anniversaire de cette institution. Célébrons dignement la naissance d’une forme poussée de protection sociale ! Soyons à la hauteur de ce moment historique, de ce débat essentiel pour l’avenir de toutes et tous ; votons ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
M. Nicolas Sansu
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Je remercie le groupe GDR d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour de sa niche parlementaire : il vise à conférer une valeur constitutionnelle à la sécurité sociale en la déclarant institution fondamentale de la République. La sécurité sociale est en effet notre bien commun, l’une des bases du pacte républicain. « Touche pas à ma sécu ! » : ce slogan pourrait être repris par la majorité des Français.
Mme Elsa Faucillon
Oui !
M. Paul Molac
En dépit de ses 80 ans, les Français sont très attachés à ce système que de nombreux pays nous envient.
C’est dans les moments difficiles que nous prenons conscience de la chance que nous avons de disposer d’une sécurité sociale forte et de droits protecteurs. Durant la pandémie du covid-19, c’est grâce à ce principe de solidarité que beaucoup de citoyens ont tenu bon. Ce n’est pas pour rien que 88 % des Français se déclarent fortement attachés à la sécurité sociale qu’ils voient comme un atout pour le pays, à l’heure où les services publics sont critiqués et attaqués.
Notre groupe réaffirme son attachement au système issu du programme du Conseil national de la Résistance qui, en dépit des attaques qu’il subit, traduit aujourd’hui encore le principe de fraternité dans notre quotidien. Ce système est l’aboutissement de luttes sociales : à partir de 1893, c’est la responsabilité du patron, et non celle du salarié, qui est engagée en cas d’accident du travail – une grande victoire. En 1919, autre grande victoire, certaines maladies professionnelles sont reconnues. En 1945, la naissance de la sécurité sociale ne consacre certes pas un droit à la santé, mais un droit au soin. Cela importe à nos concitoyens car nous ne sommes pas égaux en la matière : certains sont bien portants et ont de l’énergie, quand d’autres, malheureusement, ont une existence plus difficile. La sécurité sociale s’occupe des plus faibles.
Mais nous ne sommes pas à l’abri d’un retour en arrière. La Cour des comptes vient ainsi de proposer – idée géniale ! – de ne pas rembourser les arrêts de travail inférieurs à huit jours.
Mme Raquel Garrido
Exactement, c’est scandaleux !
M. Paul Molac
Le migraineux qui se retrouve régulièrement cloué au lit une journée par un mal de tête carabiné ne percevra-t-il donc plus d’indemnités ? Qu’en est-il des petites grippes qui terrassent beaucoup d’entre nous pendant deux ou trois jours ? Ne sera-t-on plus indemnisé dans ce cas ? Certaines institutions sont dans l’excès : personne ne demande à tomber malade. J’ai parfois l’impression que le Gouvernement voudrait réduire nos droits sociaux – en tout cas le droit au chômage.
La sécurité sociale est garantie par l’État et nos institutions et nous évite d’être à la merci des aléas – boursiers, par exemple. Je pense à la faillite de Lehman Brothers, laquelle a laissé, du jour au lendemain, de pauvres salariés sans protection sociale et sans droits à la retraite. La protection sociale que nous avons en partage est le meilleur système car tous y contribuent selon leurs moyens ; c’est aussi le moins cher, par exemple par rapport aux États-Unis où l’on doit recourir à des assurances privées qui reviennent en fin de compte plus cher au citoyen. Nous sommes donc très attachés à la sécurité sociale.
En raison du manque de moyens et des tensions que subissent les professionnels concernés, nous sommes toutefois inquiets. Inscrire explicitement la sécurité sociale dans la Constitution apporterait une garantie supplémentaire ; c’est d’ailleurs ce qui a été fait pour le droit à l’avortement.
Notre groupe partage le constat des auteurs de ce texte : la protection constitutionnelle qui découle du préambule de la Constitution de 1946 paraît insuffisante et laisse une marge de manœuvre presque totale au législateur. Ce niveau de protection n’est pas à la hauteur des droits sociaux essentiels qui sont en jeu. La consécration explicite de la sécurité sociale et de ses principes fondamentaux dans la Constitution devrait relever de l’évidence. Cette inscription dans la norme suprême ne serait pas uniquement symbolique ; elle assurerait à chacun une meilleure protection et obligerait le législateur à préserver le principe de la solidarité nationale et d’une contribution selon ses moyens.
Mme la présidente
Veuillez conclure.
M. Paul Molac
Elle le forcerait également à prévoir une protection analogue dans tous les territoires de la République, y compris dans les territoires ultramarins, trop souvent délaissés.
Notre groupe votera évidemment pour ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Benjamin Lucas-Lundy.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Nos collègues communistes tiennent de leur passé une part importante de leur légitimité historique ; ils la convoquent aujourd’hui pour nous proposer de graver la sécurité sociale dans le marbre de la loi suprême. Au nom de mon groupe, je les en remercie.
Je parle d’histoire, la grande, celle que l’on découvre dans les comptes rendus de séances qui habitent notre bibliothèque. Mais je veux aussi évoquer nos histoires plus intimes, parce que les conquêtes sociales et démocratiques se mêlent à notre héritage familial. J’ai une pensée pour mes grands-parents, nés à l’aube des années trente et adolescents au lendemain de la guerre. Après les larmes de peine et d’effroi du conflit, ils ont vu éclore celles de la Libération, joyeuses et pleines d’espoir. Elles célébraient non seulement la libération d’un territoire débarrassé du totalitarisme nazi, mais aussi la naissance d’une société nouvelle. Je ressens du haut de cette tribune un sentiment de dette à leur égard et à l’égard de toutes les générations qui nous ont transmis ce patrimoine à la valeur inestimable pour nos vies et pour la nation. Voter ce texte, c’est montrer notre fidélité à cette histoire commune, à ces histoires partagées.
M. Sébastien Jumel
C’est juste !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Il est des conquêtes qui obligent même celles et ceux qui, des décennies plus tard, se retrouvent en mesure de préserver et d’étendre des droits arrachés par leurs prédécesseurs. L’heure est au renouvellement du compromis historique qui a vu naître la sécurité sociale dans le tumulte des conquêtes qui succéda au chaos destructeur de la guerre.
Beaucoup de parlementaires – des gaullistes aux communistes – ont épousé cet héritage aux prémices de leur engagement. C’est pourquoi nous pouvons et devons nous retrouver autour de ce texte. En répondant à l’invitation de nos collègues du groupe GDR, nous nous inscrivons dans les pas de ceux qui ont créé la sécurité sociale.
J’invoque l’histoire, mais c’est au présent et à l’avenir qu’il nous faut songer, parce qu’il est des conquêtes qui peuvent être brisées en un rien de temps. Graver dans le marbre de la Constitution la sécurité sociale, c’est empêcher qu’un jour, si d’aventure et par malheur la marée de boue brune venait à submerger le pays, elle n’emporte avec elle tout l’édifice social et démocratique construit au fil des années.
Au regard de la violence des injustices et de la brutalité des inégalités, la sécurité sociale est un impératif du présent. La sécurité sociale, c’est la plus belle des sécurités. C’est une fierté patriotique, un modèle envié partout sur la planète – un peu notre carte d’identité républicaine. (Mme Marie-Charlotte Garin et M. Boris Vallaud applaudissent.) C’est aussi une profession de foi, celle de notre attachement à la solidarité, à la protection de tous. C’est d’abord cela avant d’être un budget, une comptabilité, ou même une politique publique.
Un député du groupe GDR-NUPES
Absolument !
M. Benjamin Lucas-Lundy
La sécurité sociale est un pilier qui donne à notre devise républicaine sa traduction concrète, immédiate, perceptible dans la vie de chacune et de chacun. Car notre devise – Liberté, Égalité, Fraternité – ne peut se réduire à des mots creux, simplement inscrits aux frontons de nos édifices publics.
Voilà qui explique pourquoi la sécurité sociale est déjà dans le « cœur constitutionnel » des Français. Son absence de la Constitution est une incongruité qu’il nous appartient de corriger séance tenante.
Lors de l’examen du texte en commission, le Rassemblement national a une nouvelle fois montré son vrai visage, celui de l’extrême droite qui exècre les droits sociaux. Ses membres ont en effet évoqué les coûts financiers avant la protection sociale, puis en sont revenus à leur obsession à l’égard des étrangers – sans grand rapport avec le texte.
Mme Marie-Charlotte Garin
Eh oui !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Nos collègues lepénistes ont ensuite exprimé leur rejet de cette proposition. Je veux dire à ceux qui nous regardent et pensent trouver dans le vote RN une manière d’exprimer leur colère à l’encontre d’une société injuste que la preuve en est faite : l’extrême droite française sacrifierait les droits sociaux si d’aventure et par malheur elle parvenait au pouvoir – c’est ce que font ses alliés partout dans le monde.
M. Sébastien Jumel
Eh oui !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Les fascismes new look s’accommodent de l’ultralibéralisme – pour le dire pudiquement. La sécurité sociale s’est créée quand les prédécesseurs de Mme Le Pen ont été chassés du pouvoir avec la Libération. C’est aussi cette histoire-là qui resurgit et nous oblige. Cette aspiration magnifique dont nous avons hérité, ne la cantonnons pas à un passé dont nous serions nostalgiques, mais servons-nous-en pour construire un avenir désirable !
Chers collègues de la majorité, malgré les déclarations d’amour du ministre délégué à la sécurité sociale, il vous appartient de dissiper un doute légitime et raisonnable qui plane sur votre attachement à la sécurité sociale. Je suis moi-même convaincu que vous souhaitez détruire les droits sociaux, et sept ans de politique macroniste m’ont conforté dans cette intuition politique. En votant cette proposition de loi, vous pouvez rassurer les Françaises et les Français qui s’inquiètent de l’avenir de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
Ce texte vise à ajouter après l’article 1er de la Constitution un nouvel article consacré à la sécurité sociale, sous prétexte que l’institution fondamentale de notre république sociale ne serait pas suffisamment garantie.
Or notre modèle de sécurité sociale est d’ores et déjà protégé à un niveau juridique très élevé, puisqu’il appartient au bloc de constitutionnalité. En effet, comme vous le relevez vous-même monsieur Dharréville, il est consacré par le préambule de 1946. L’alinéa 11 précise que la nation « garantit à tous […] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». En outre, il consacre un « droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Enfin, les principes fondamentaux du droit du travail et de la sécurité sociale sont déterminés par la loi, comme le souligne l’article 34 de la Constitution, lequel mentionne les lois de financement de la sécurité sociale.
Cette proposition de loi constitutionnelle étant déjà satisfaite, on peut s’interroger sur son intérêt. Vous nous dites vouloir protéger notre modèle social, et donc nos concitoyennes et nos concitoyens, mais votre ambition réelle, plus politique, n’est-elle pas de sanctuariser notre système tel qu’il existe aujourd’hui, de le figer pour toujours ?
Si nous sommes tous très attachés à notre modèle de sécurité sociale, nous ne partageons pas la même vision de notre société, de ses évolutions et des dispositifs de solidarité à déployer. Notre système d’assurance maladie en 2024 est bien éloigné de celui qui existait à l’époque d’Ambroise Croizat, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et pour cause, car notre société a profondément changé. Le système de protection sociale a suivi cette évolution, en prenant en compte la tertiarisation de notre économie, les changements d’habitudes, les évolutions sociales et sociétales, les différents modes de vie, le vieillissement de la population ainsi que l’entrée plus tardive dans la vie professionnelle. De la meilleure prise en considération des accidents du travail à la généralisation du tiers payant et à la mise en place du reste à charge zéro – et j’en passe –, ce système a beaucoup évolué ces dernières années. Nous travaillons aujourd’hui au déploiement d’un système de solidarité à la source qui permettra à chacun de nos concitoyens de percevoir automatiquement ses droits sociaux.
Il est révélateur, quant aux doutes que nous exprimons au sujet de votre proposition de loi, que ce ne soit pas le garde des sceaux qui siège au banc des ministres,…
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Ce n’est pas moi qui l’ai décidé.
M. Guillaume Gouffier Valente
…mais le ministre de la santé. Soyez tout de même rassuré, monsieur le ministre délégué, nous vous apprécions beaucoup !
Il paraît en effet préférable d’apporter des réponses aux questions que vous adressez au sujet des réformes que nous avons menées depuis 2017 plutôt qu’au sujet de la rédaction juridique que vous proposez pour notre Constitution.
Au-delà des débats de fond, malgré tout passionnants, je rappelle la position de principe du groupe Renaissance concernant les révisions de la Constitution. Nous ne souhaitons pas modifier notre texte fondamental par petites touches. Il est nécessaire d’actualiser sans cesse notre contrat social – cela a été fait avec l’inscription de la liberté de recourir à l’avortement – ou de tenir compte de certains enjeux d’organisation territoriale – c’est le cas concernant la Nouvelle-Calédonie et la Corse –, mais pour le reste, il faut engager une révision constitutionnelle d’ampleur – comme nous l’avions fait en 2018. C’est d’ailleurs pourquoi, madame Faucillon, nous avons déposé 13 amendements – pas plus – après l’article 1er. Nous verrons si nous les maintenons.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.
Je reconnais néanmoins, monsieur Dharréville, que votre proposition de loi présente deux intérêts majeurs. Elle a d’abord permis, peut-être mieux que n’importe quel texte jusqu’à présent, d’exposer pour une fois au grand jour, et de façon argumentée, le projet réel du Rassemblement national, une famille d’extrême droite qui n’a jamais changé. Par son modèle social xénophobe reposant entièrement sur la préférence nationale, le RN propose de mettre un terme à notre modèle de sécurité sociale, tel qu’il avait été pensé et construit au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Mme Edwige Diaz
Ça sent la gifle électorale aux élections européennes !
M. Guillaume Gouffier Valente
Ces idées, nous devons les combattre…
Mme Edwige Diaz
Très mal !
M. Guillaume Gouffier Valente
…sans relâche.
Ensuite, votre proposition de loi nous oblige à envisager le pire, car il n’est pas exclu que cette famille politique revienne un jour aux responsabilités. Nous devons dès lors réfléchir à la meilleure manière de protéger notre modèle. J’espère qu’avec le Gouvernement et vous-même, cher collègue, nous parviendrons dans les prochains mois à un texte permettant de garantir cette protection par la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mme Caroline Abadie applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Edwige Diaz.
Mme Edwige Diaz
Pour plus de 80 % des Français, la santé constitue une priorité. Pourtant, près de 60 % d’entre eux estiment que le système fonctionne mal, avec 22 millions de personnes qui vivent dans un désert médical. Cette situation a des conséquences dramatiques, car là où la démographie médicale se dégrade, on observe un taux de surmortalité supérieur à la moyenne nationale. C’est le cas dans mon département de la Gironde.
Pour attirer l’attention du Gouvernement sur ce délabrement de notre système de santé, les professionnels enchaînent, sans succès, les grèves et les manifestations. C’est le cas aujourd’hui des pharmaciens, à qui j’adresse le soutien de mon groupe. Ils réclament, légitimement, des revalorisations financières, donnent l’alerte à propos des pénuries de médicaments, dénoncent les risques d’une libéralisation de la vente en ligne et la multiplication des fermetures d’officines – 100 fermetures supplémentaires prévues en 2024, dont 30 dans ma région, l’Aquitaine. Nous attendons du Gouvernement qu’il apporte des réponses à cette profession si importante pour nos territoires ruraux.
Toujours dans le but de tirer la sonnette d’alarme, les malades, leurs familles, les professionnels de santé et les associations soutiennent l’institution de journées mondiales consacrées à telle ou telle maladie – on en compte environ quatre-vingt par an –, comme celle d’aujourd’hui, la Journée mondiale de lutte contre la sclérose en plaques.
Parallèlement à cette situation médicale alarmante, les finances de la sécurité sociale demeurent inquiétantes, malgré les incessants coups de rabot portés par le Gouvernement aux allocations familiales et plus généralement à la solidarité, qu’il s’agisse du déremboursement des frais médicaux, de la scandaleuse réforme des retraites ou de l’injuste réforme du chômage à venir.
Bien que les Français soient parmi les habitants les plus taxés au monde, ils découvrent, médusés, que ce gouvernement, de même que les précédents, est incapable de mettre un terme au déficit de la sécurité sociale. Ce dernier s’élevait, en 2023, à 8,8 milliards d’euros. La dette accumulée par la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, atteint désormais 145 milliards d’euros ! Les Français ont donc raison de se demander où va leur argent.
La Cour des comptes fournit un élément de réponse dans un rapport particulièrement sévère qui pointe l’absence de maîtrise des finances, le déséquilibre budgétaire, le montant des dettes non recouvrées et l’explosion de la fraude, contre laquelle rien n’est fait. La Cour n’a pas pu certifier les comptes pour 2023 de la Caisse nationale des allocations familiales. Les Français peuvent donc aussi s’interroger sur l’efficacité du plan de lutte contre la fraude annoncé en grande pompe par Gabriel Attal.
Il y a quelques années déjà, Marine Le Pen,…
Mme Geneviève Darrieussecq
Et d’une !
Mme Edwige Diaz
…aux côtés d’autres, comme le magistrat Charles Prats, amenait dans le débat public la question des millions de cartes vitales surnuméraires. Fermement décidée à lutter contre la fraude sociale, qui représente plus de 20 milliards d’euros annuels, Marine Le Pen…
Mme Geneviève Darrieussecq et Mme Aude Luquet
Et de deux !
Mme Edwige Diaz
…propose la création d’un grand ministère de lutte contre la fraude,…
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
Un grand ministère de la fraude ?
M. Benjamin Lucas-Lundy
Dirigé par d’anciens parlementaires européens lepénistes ?
Mme Edwige Diaz
…la fin de la complaisance à l’égard des fraudeurs ou encore l’instauration de la carte vitale biométrique.
Alors que le système se délite, infligeant aux Français austérité et injustice sociale, voilà que le groupe communiste défend une constitutionnalisation de la sécurité sociale, sans plus de précisions, sans en définir les contours ni prévoir de garanties. Autrement dit, cette gauche déconnectée, naïve et ouvertement immigrationniste veut faire de la sécurité sociale une sécurité mondiale.
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est nul ! Dès qu’il s’agit des droits sociaux, on vous sent mal à l’aise !
Mme Edwige Diaz
Parce qu’ils doivent se sentir trahis à l’écoute d’une telle proposition, j’ai une pensée pour nos compatriotes d’outre-mer, notamment les Mahorais, qui savent pertinemment que 90 % des consultations des services de protection maternelle et infantile effectuées dans leur île le sont au bénéfice d’étrangers en situation irrégulière.
Compte tenu de l’importance de notre système de sécurité sociale pour notre cohésion nationale, le groupe Rassemblement national aurait pu voter la constitutionnalisation de la sécurité sociale. Pour cela, il aurait fallu que le Gouvernement se montre capable de lutter contre la fraude et que la gauche envisage de protéger les Français en leur réservant le seul bénéfice de la sécurité sociale.
Les Français le savent : le Rassemblement national est à leurs côtés. Il est le défenseur de ceux qui sont en grande précarité, de ceux qui n’en peuvent plus du matraquage fiscal, de ceux qui ne supportent plus de ne plus être prioritaires chez eux. Le Rassemblement national partage l’indignation de ceux qui ont appris que désormais, à cause d’une décision du Conseil constitutionnel, les étrangers en situation irrégulière bénéficieront de l’aide juridictionnelle, financée par leurs impôts. Aujourd’hui, c’est l’aide juridictionnelle, demain ce sera la sécurité sociale.
À moins que vous n’adoptiez nos amendements visant à protéger les Français,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Nous y voilà !
Mme Edwige Diaz
…nous voterons contre votre texte d’appauvrissement des Français et de destruction de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Elsa Faucillon
Vous êtes les fossoyeurs de la sécurité sociale !
Mme la présidente
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Louis Boyard
Il y a encore deux heures, j’étais à un rassemblement d’agentes de services hospitaliers à Villeneuve-Saint-Georges. Vous le savez, les ASH sont ces femmes qui vous accueillent à l’hôpital, font et refont votre lit, vous apportent de la nourriture. Elles sont toujours en première ligne aux côtés des patients – en particulier pendant le covid, où elles ont tenu l’hôpital.
La direction de l’hôpital a décidé de les virer – tout simplement – au prétexte qu’elles seraient incompétentes, ce qui n’est pas vrai, comme tout le personnel médical peut en attester. Mais – et c’est très bizarre – elle prévoit également de les réembaucher aussitôt en sous-traitance.
À ce rassemblement, elles m’ont prié de vous demander, monsieur le ministre, comment un gouvernement incompétent peut laisser licencier pour incompétence des salariées compétentes…
Mme Aude Luquet
Quel est le rapport avec la proposition de loi ?
M. Louis Boyard
…et pourquoi, malgré leur compétence, elles auraient à subir un gouvernement incompétent qui saccage l’hôpital public. (M. Antoine Léaument applaudit.)
En 2000, année de ma naissance, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirmait que le système de santé français était le meilleur au monde. Le monde regardait notre sécurité sociale et disait : « Quelle fierté ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.) Regardez ce que vous en avez fait : six réformes des retraites ; deux réformes à l’issue desquelles il faut désormais payer les médicaments ; la création d’un forfait hospitalier. Désormais, quand on va à l’hôpital, il faut payer, mais on n’est même pas sûr de trouver un soignant à proximité : vos mesures d’économies prises à la chaîne ont tout détruit (Mêmes mouvements) ; elles ont dégoûté les soignants et les fonctionnaires ; et elles ont détruit cette fierté qu’est la sécurité sociale, cette richesse d’âme d’une France qui ne vous abandonnait pas.
Regardez ce que vous en avez fait, vous les libéraux, du macronisme au Rassemblement national, dont le programme économique tient en trois règles : un, les riches ne doivent surtout pas payer d’impôts ; deux, il faut faire toujours plus d’économies ; trois, tout ce sur quoi vous avez fait des économies doit être privatisé.
À la fin, le peuple payera toujours plus cher, mais ceux qui se sont enrichis avec les privatisations, avec les économies et avec les suppressions d’impôts, ceux-là continueront de vous soutenir, avec leurs médias et leurs chaînes de télévision. Telle est la scène politique de notre pays : des ultrariches qui soutiennent le macronisme et le Rassemblement national et qui attaquent frontalement La France insoumise, seule à mettre en cause leur monopole. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) C’est ça, le capitalisme ! C’est ce qui fonde le macronisme et que le Rassemblement national veut continuer.
Mme Edwige Diaz
Ce n’est pas notre programme.
M. Louis Boyard
Votre objectif est de tout rendre marchand. Vous savez qu’avec la sécurité sociale, il y a un paquet de fric à se faire, donc vous la démantelez petit à petit. En trente ans, les cotisations patronales, initialement dues à la sécurité sociale, ont été baissées à quatre-vingt-deux reprises.
M. Antoine Léaument
La honte !
M. Louis Boyard
Chaque année, 83 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales manquent pour financer les retraites, l’hôpital et l’aide aux familles. Vous dites que ces cadeaux fiscaux aident à créer de l’emploi, mais il y a encore dix fois plus de chômeurs que d’emplois disponibles ! Quand votre Mozart de la finance, Emmanuel Macron, bossait pour François Hollande, il a offert aux grandes entreprises 100 milliards d’euros sous forme de cadeaux fiscaux – c’était le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi –, afin qu’elles créent 1 million d’emplois. Résultat : elles en ont créé dix fois moins et sont parties avec le reste de la caisse ! Vos suppressions de cotisations ne servent pas à créer de l’emploi, mais à gaver les actionnaires de dividendes.
Mme Caroline Abadie
C’est sous François Hollande que ces mesures ont été votées, nous sommes d’accord ?
M. Louis Boyard
Elles servent aussi à creuser un immense trou dans le budget de la sécurité sociale, que vous faites payer au peuple français. Vous remboursez moins les Français pour les obliger à avoir recours aux mutuelles, aux retraites complémentaires et aux services de soins privés.
Cadeaux fiscaux, économies, moindres remboursements et privatisations : vous répétez ces opérations depuis trente ans et vous continuerez jusqu’à détruire la sécurité sociale.
Mme Caroline Abadie
Il y a trente ans, nous n’étions pas là.
M. Louis Boyard
Détruire ce qui a été collectivisé par les travailleuses et les travailleurs pour le vendre au capital, voilà ce qui fonde le macronisme et ce que le Rassemblement national veut continuer.
Nous adopterons la logique inverse : nous augmenterons les salaires pour que la consommation populaire crée de l’emploi et produise des cotisations, nous investirons dans l’urgence pour créer les millions d’emplois dont nous avons besoin afin d’affronter le réchauffement climatique et nous reconstruirons la sécurité sociale auquel le peuple français est attaché. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
C’est à cela que sert la proposition de loi de notre collègue Darhéville et du groupe GDR : vous empêcher de détruire la sécurité sociale, célébrer son anniversaire avec le vote de ce texte – je rêve un peu.
La sécurité sociale, inspirée par le programme du Conseil national de la Résistance, a été instituée par une ordonnance d’octobre 1945. Elle est le fruit d’un compromis entre gaullistes et communistes, deux mouvements dont le Rassemblement national ne peut revendiquer l’héritage…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
M. Louis Boyard
…puisqu’il se situe plutôt de l’autre côté de la barricade.
C’est un grand ministre, dont vous effacez la mémoire, qui a fait la sécurité sociale : Ambroise Croizat.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
C’était autre chose, quand même !
M. Louis Boyard
Grâce à lui, la Constitution contient encore aujourd’hui ces mots : « [la Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Voilà ce que nous devons au mouvement ouvrier français. Quelle fierté ! (M. Antoine Léaument applaudit.)
Français qui m’écoutez, ne vous laissez pas racketter ; ne vous laissez pas voler votre sécurité sociale. À l’époque du Conseil national de la Résistance, le peuple français ne s’est pas laissé diviser par des questions de religion, d’origine ou de couleur de peau,…
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
Bah si !
M. Louis Boyard
…il s’est rassemblé autour d’un projet d’intérêt général. (Plusieurs députés du groupe LFI-NUPES se lèvent et applaudissent.) Vive la république sociale ! Vive la France du Conseil national de la Résistance ! Et vive la sécurité sociale ! (L’orateur brandit une carte Vitale. – Les députés LFI-NUPES, toujours debout, applaudissent et sont rejoints par quelques députés du groupe Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
Je vous rappelle qu’il est interdit de brandir des documents à la tribune de l’Assemblée nationale.
M. Antoine Léaument
On fait ce qu’on veut !
Mme la présidente
Non, vous ne faites pas ce que vous voulez. Cela vous a été rappelé récemment.
M. Antoine Léaument
Nous avons encore quelques drapeaux palestiniens en réserve…
Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton
Face à une proposition de modification de la Constitution, le premier réflexe du groupe Les Républicains est très souvent la prudence, voire la méfiance, parce que nous sommes viscéralement attachés au texte de la Constitution de la Ve République.
Cet attachement n’est pas que littéral : il exprime une adhésion franche à un équilibre que la Constitution a su trouver, ainsi que l’attestent sa solidité et sa longévité ; un équilibre qu’il nous faut préserver.
Nous nous méfions également parce que de plus en plus de déclarations incantatoires servent de paravent à l’impuissance publique. Le président Gérard Larcher disait récemment que la Constitution ne doit pas devenir un catalogue, tandis que Simone Veil, en janvier 2009, dans l’avant-propos du rapport du comité de réflexion sur le préambule de la Constitution qu’elle présidait, écrivait : « L’urgence est moins de le compléter que d’en exploiter les richesses par des politiques ambitieuses, actives et concrètes. » Ainsi ferons-nous preuve a priori de prudence.
Cependant, force est de reconnaître que la proposition de loi constitutionnelle défendue par Pierre Dharréville nous étonne et nous amène à nous interroger : la sécurité sociale n’est-elle pas déjà constitutionnalisée ?
Notre système de sécurité sociale est un héritage du programme du Conseil national de la résistance et du gaullisme, un socle auquel nos compatriotes sont profondément attachés. Juridiquement, la sécurité sociale est intégrée au bloc de constitutionnalité puisqu’elle est évoquée dans le préambule de la Constitution de 1946, mais elle n’est pas explicitement protégée. Il n’est pas fait référence à la sécurité sociale en tant qu’institution, bien qu’il soit question de sa loi de financement.
Le préambule reconnaît en effet le droit de « tous [à] la protection de la santé, [à] la sécurité matérielle, [au] repos et [aux] loisirs » ainsi que « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». De ces dispositions, le Conseil constitutionnel a tiré une exigence, celle d’appliquer une politique de solidarité nationale tout en laissant aux législateurs le soin d’en choisir les modalités concrètes. La protection constitutionnelle existe, mais on peut se demander si elle est suffisante.
Depuis quelques années, il est vrai, nous sommes confrontés à des menaces qui fragilisent notre système de protection sociale. J’en veux pour preuve les déremboursements de certains médicaments et soins, mais aussi l’évolution dramatique de la démographie médicale, ou encore les attaques systématiques menées depuis une dizaine d’années contre la politique familiale, qui faisait pourtant consensus depuis des décennies. Ces attaques se sont notamment traduites par la fin de l’universalité des allocations familiales et par les remises en cause du congé parental.
Voilà ce qui nous amène à nous interroger sur la solidité du système de protection sociale et sur l’opportunité de son éventuel renforcement, auquel nous invite cette proposition de loi constitutionnelle. En ce sens, elle est pertinente. Malheureusement, sa rédaction est sujette à plusieurs débats.
Ainsi, la formulation : « Elle assure à chaque membre de la société la protection contre les risques et les aléas de l’existence » pourrait donner lieu à une interprétation trop large. Par ailleurs, en appeler aux principes du service public pourrait rigidifier à l’excès l’organisation et la gestion de notre système de protection sociale.
Enfin, si nous pouvons souscrire à l’idéal exprimé dans la dernière phrase du texte : « chacun y a droit selon ses besoins et y contribue selon ses moyens », nous devons aussi faire preuve de réalisme dans son application, compte tenu des contraintes économiques et sociales auxquelles nous sommes confrontés. Nous aurons l’occasion d’examiner des amendements visant à modifier cette rédaction ; j’espère qu’ils permettront de faire vivre le débat relatif à cette proposition de loi constitutionnelle, dans l’attente du scrutin qui les clôturera.
Mme la présidente
La parole est à Mme Aude Luquet.
Mme Aude Luquet
Bien souvent, les journées de niche parlementaire sont l’occasion de susciter le débat, de nous interroger sur les normes, la Constitution et plus largement, le bloc de constitutionnalité. Il est dommage que certains s’en servent de tribune pour faire une capsule de communication, bien loin du texte que vous proposez, monsieur le rapporteur.
Lorsqu’il est question de modifier la Constitution dans le cadre d’une niche, le groupe Démocrate est interrogatif et précautionneux : toute modification doit être opérée avec humilité et pragmatisme,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est bien le genre des macronistes !
Mme Aude Luquet
…mais surtout d’une main tremblante. Ces réserves faites, venons-en à la principale question : cette proposition de loi est-elle opportune ? Plus exactement, le principe de la protection de la santé, dont la sécurité sociale est l’une des traductions, a-t-il une valeur constitutionnelle ? Nous considérons qu’il existe déjà une protection constitutionnelle ; en l’état, votre rédaction est même contre-productive, parce qu’elle est ambiguë et, à tout le moins, source de confusion.
Selon nous, votre proposition est essentiellement principielle. À cet égard, monsieur Dharréville, permettez-moi de reprendre votre rapport, qui précise à juste titre que « sans mentionner [la sécurité sociale], les dixième et onzième alinéas du préambule accompagnent au niveau constitutionnel l’édification de la sécurité sociale ».
Vous ajoutez qu’elle fait l’objet d’une reconnaissance dans la Constitution. Même si vous jugez cette reconnaissance « discrète, technique, quasi implicite », il n’en demeure pas moins que la sécurité sociale figure dans le préambule de 1946 et qu’elle apparaît explicitement dans l’article 34 de la Constitution de 1958 et implicitement dans les articles 39, 42 et 47-1. De même le Conseil constitutionnel exerce sur le respect de cette exigence constitutionnelle un contrôle bien réel, bien que vous l’estimiez insuffisant.
Dès lors, s’il est à tout moment loisible au législateur d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité, l’exercice de ce pouvoir ne saurait cependant méconnaître des exigences à valeur constitutionnelle. C’est d’ailleurs sur le fondement même de cette jurisprudence constante que de nombreuses réformes que nous avons défendues n’ont pas fait l’objet d’une quelconque censure par le juge constitutionnel. Je pense notamment à la dernière loi de financement de la sécurité sociale ou au principe d’équilibre financier dégagé par le Conseil constitutionnel, dont on peut déduire que l’équilibre financier d’une institution est le gage de son existence et de sa reconnaissance, et donc, de sa pérennité.
Une fois admis que votre proposition est superfétatoire, le niveau de garantie apporté par la Constitution étant suffisant, le groupe Démocrate observe que la rédaction que vous proposez est plus que contestable. La constitutionnalisation de la sécurité sociale impliquerait la couverture de tout risque par l’assurance maladie obligatoire, ce qui ne laisserait donc plus de place aux assurances maladie complémentaires, dont l’existence est pourtant prévue par les ordonnances de 1945. Par conséquent, votre texte irait à rebours de libertés économiques elles-mêmes garanties par la Constitution.
Par ailleurs, la notion nouvelle d’« institution fondamentale », aujourd’hui dépourvue de définition juridique, reviendrait à instaurer une hiérarchie entre les institutions de la République. Notons que ces mots apparaissent à l’article 16 de la Constitution, relatif à la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels du Président de la République. Vous comprendrez qu’une telle sémantique est de nature à provoquer la confusion.
De la même façon, les missions que vous assignez à la sécurité sociale sont particulièrement mal définies. À titre d’exemple, les termes « membre de la société » ou « besoins » présentent de nombreuses incertitudes juridiques.
Pour ces raisons et compte tenu de ses trop nombreuses fragilités, le groupe Démocrate ne pourra que s’opposer à cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Cécile Violland.
Mme Anne-Cécile Violland
Au fil des années, notre pays a construit un système de solidarité unique : la sécurité sociale. Habitante d’une circonscription proche de la Suisse, je peux vous dire que notre modèle fait des envieux. Avec un budget équivalent à une fois et demie celui de l’État, soit près d’un quart du PIB, la sécurité sociale fait partie intégrante du patrimoine des Français. Je tiens à rappeler l’attachement profond des députés du groupe Horizons et apparentés à cette institution et aux principes qui la sous-tendent.
La sécurité sociale d’aujourd’hui n’est toutefois pas celle d’hier, ni celle de demain. Le système, fondé sur une contribution selon ses moyens et une redistribution selon ses besoins, a considérablement évolué depuis 1945, pour tenir compte des évolutions démographiques et pour faire face à l’apparition de nouveaux risques. La pauvreté touche désormais davantage les jeunes ; les écarts de salaire entre les femmes et les hommes diminuent, mais persistent ; les trajectoires professionnelles évoluent ; le nombre de retraités augmente plus vite que celui des actifs. Bref, de nouveaux équilibres doivent être trouvés pour maintenir le financement du système de solidarité et assurer une redistribution juste.
La sécurité sociale et la solidarité entre les citoyens face aux risques et aux aléas de la vie sont si structurantes dans la vie de notre pays et pour notre cohésion sociale que leur principe est déjà inscrit dans la Constitution.
M. Sébastien Jumel
Mais non !
Mme Anne-Cécile Violland
Mais si ! Le préambule de 1946, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité, garantit de manière explicite l’existence d’un système de protection sociale.
M. Sébastien Jumel
On le sait, c’est nous qui l’avons écrit !
Mme Caroline Abadie
Tu n’étais pas né !
Mme Anne-Cécile Violland
Les alinéas 10 et 11 font directement référence à l’obligation faite à la nation d’assurer à l’individu et à la famille « les conditions nécessaires à leur développement », de garantir à tous – l’enfant, la mère, les vieux travailleurs – « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », d’offrir à toute personne dans l’incapacité de travailler « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Autrement dit, toutes les obligations de solidarité – assurance chômage, retraites, allocations familiales ou réparation des accidents de travail et des maladies professionnelles – ont une valeur constitutionnelle. Serait donc censurée toute disposition législative qui aurait pour conséquence de réduire considérablement leur portée ou de les supprimer.
Ainsi, bien que cette proposition de loi vise un objectif louable, elle ne nous semble pas présenter une réelle plus-value – c’est-à-dire protéger davantage le système de sécurité sociale – au regard des dispositions constitutionnelles actuelles et de l’interprétation qui en est faite par le Conseil constitutionnel.
Plus encore, nous nous interrogeons sur certains de ses aspects. Tout d’abord, la disposition proposée érige la sécurité sociale en « institution fondamentale », ce qui paraît viser davantage son organisation que son contenu. Celui-ci, déjà garanti par la Constitution, est nettement plus important que sa forme, qui elle, doit évoluer en fonction des besoins de la population.
Ensuite, la notion selon laquelle « chacun y a droit selon ses besoins » introduit une incertitude quant à ce qu’implique le terme de besoins. Ainsi, cette notion pourrait-elle remettre en cause l’universalité des allocations familiales, partant du principe qu’une famille ayant suffisamment de moyens n’aurait pas besoin de percevoir des prestations familiales ?
Enfin, chacun sait qu’on ne touche à la Constitution qu’avec la main tremblante. Si nous entendons tout à fait l’intention politique conduisant à inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de cette niche parlementaire, vous comprendrez qu’il ne nous semble pas pertinent de modifier notre norme suprême dans ces conditions. En conséquence, le groupe Horizons et apparentés ne votera pas en faveur de ce texte. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj
Je tiens à remercier sincèrement notre collègue Pierre Dharréville de nous permettre de débattre de la sécurité sociale autrement que par le seul prisme de son financement. L’examen de la loi de financement de la sécurité sociale auquel nous procédons chaque année tend en effet à nous le faire oublier : c’est en partant des principes et des besoins que nous devons réfléchir aux moyens que nous allouons.
En tant que socialiste, je partage ce combat pour la défense et la promotion de cette grande et belle institution républicaine qu’est la sécurité sociale, au même titre que notre assemblée ou que les collectivités locales – qui elles, figurent dans la Constitution.
La sécurité sociale concerne toutes et tous. Au sortir de la seconde guerre mondiale, peu après l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui l’a créée, Ambroise Croizat déclarait : « Le plan de sécurité sociale est une réforme d’une trop grande ampleur et d’une trop grande importance pour la population de notre pays pour que quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive. » Elle est dans notre ADN commun. Quatre-vingts années plus tard, nous sommes toutes et tous les héritiers de cette grande conquête des ouvriers, des travailleurs et des salariés, les héritiers de ce monument politique et historique qu’est la sécurité sociale.
Mesurons ce que les forces républicaines de ce pays ont réussi à construire et à entretenir : 470 milliards d’euros de prestations sont versés chaque année par les seuls régimes de base de la sécurité sociale, répartis dans cinq branches, soit plus que le budget de l’État et l’équivalent de 25 % du PIB. À tous les niveaux, cet héritage est tout bonnement d’une richesse incommensurable pour tous nos concitoyens, lesquels bénéficient chaque jour des prestations assurées par notre effort commun. Je le dis avec solennité : elle est une singularité française et non une anomalie qu’il faudrait invisibiliser.
Pour beaucoup de nos concitoyens, c’est dans la sécurité sociale que se matérialise quotidiennement la devise nationale, Liberté, Égalité, Fraternité, ce qui explique sa mention dans le préambule de la Constitution de 1946. On comprend pourquoi tant de nos concitoyens y sont attachés : quelle autre institution peut se targuer, sondage après sondage, de bénéficier d’un taux de popularité de 85 % ?
C’est surtout l’efficacité de la sécurité sociale qui doit être reconnue. Une étude menée en 2020 par l’Observatoire des inégalités a démontré qu’elle permet de faire baisser significativement le taux de pauvreté : en 2017, celui-ci atteignait 14 % – un niveau déjà trop élevé –, mais il aurait dépassé 22 % sans ce système protecteur. Derrière ces chiffres se trouvent sont autant de personnes âgées ou handicapées, de malades, de chômeurs, de femmes célibataires, d’étudiants. Plus généralement, ce sont toutes celles et tous ceux qui ont besoin de la magnifique idée qu’est la mutualisation des risques au service de la cohésion sociale.
Pour ces raisons, la sécurité sociale est une institution fondamentale de notre république, ce que rappelle avec justesse l’exposé des motifs de cette proposition de loi constitutionnelle. Sa mention dans notre Constitution conférera à son opposabilité un caractère plus effectif, sachant que jusqu’à présent, le juge constitutionnel a fait preuve d’une certaine frilosité à élever les droits sociaux au même niveau que les libertés publiques. (Mme Raquel Garrido applaudit.)
L’inscription dans la Constitution du système de sécurité sociale doit justement améliorer sa reconnaissance. Elle doit également offrir un point d’appui à sa défense et à sa promotion, contre celles et ceux qui le remettent en question ou qui contestent son universalité.
Même si leurs combats sont les mêmes, les adversaires de la sécurité sociale ne se ressemblent pas. À l’évidence, l’extrême droite en fait partie : elle n’était pas représentée dans le Conseil national de la Résistance et il est normal qu’elle n’aime ni la sécurité sociale ni la proposition que défend Pierre Dharréville aujourd’hui. Parmi eux se trouvent également, n’ayons pas peur de le dire, les comptables de Bercy qui, depuis des années, rêvent de rapatrier dans le giron de l’État les dépenses de sécurité sociale. Enfin, les acteurs privés considèrent comme une anomalie terrible que des milliards d’euros échappent aux règles du marché.
En votant la constitutionnalisation, nous renouerons avec l’idéal de démocratie sociale que défendait Jean Jaurès : non seulement nous défendrons la sécurité sociale, mais nous la généraliserons et couvrirons de nouveaux risques.
Vous l’aurez compris, les députés Socialistes et apparentés voteront pour ce texte proposé par le groupe GDR. Et puisqu’en cet instant, un socialiste s’adresse à un communiste, je citerai l’un de nos illustres prédécesseurs, qui avait lui-même réussi la jonction entre ces deux sensibilités politiques. Léon Blum déclarait ainsi que « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté, doit commencer par leur garantir l’existence. » En inscrivant la sécurité sociale dans notre Constitution, nous ferons honneur à son exigence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES.)
M. Boris Vallaud et M. Philippe Brun
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard
Si l’intention des auteurs de cette proposition de loi est évidemment louable – protéger notre système de sécurité sociale et garantir constitutionnellement l’accès de tous à celui-ci –, on peut et on doit s’interroger sur la solidité et la pérennité de ce système.
Bien que le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, intégré à notre bloc de constitutionnalité, reconnaisse le droit de tous à la protection de la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs, la sécurité sociale n’est pas directement protégée par notre loi fondamentale. C’est en effet le Conseil constitutionnel qui a déduit de ces dispositions l’exigence constitutionnelle de mettre en œuvre une politique de solidarité nationale ; il a laissé au législateur le soin d’en déterminer les modalités concrètes et c’est bien effet à ce dernier qu’il revient de concevoir des politiques publiques garantissant la protection de la santé.
Notre système de sécurité sociale est une véritable institution, un socle auquel nos compatriotes sont profondément attachés. Il convient donc de le protéger contre les menaces de démantèlement. Toutefois, votre proposition ne va pas sans poser des questions de taille, notamment celle de la stabilité et de la viabilité financière du système. Il faut rappeler que la sécurité sociale sert chaque année 470 milliards d’euros de prestations, soit l’équivalent de 25 % de la richesse nationale : on ne peut donc pas traiter la question de son avenir à la légère.
Si l’OMS a jugé en 2000 que notre système de santé était le meilleur au monde, il a depuis été largement déclassé. Le service public de santé français, avec ses deux piliers – l’hôpital public et les professionnels de santé du premier recours –, s’effondre malheureusement petit à petit.
C’est tout notre système de santé qui est désormais en crise. Les déserts médicaux, l’essoufflement du système sanitaire et la crise des vocations médicales en attestent, sans parler de la grève déclarée aujourd’hui par les pharmaciens. Ceux-ci s’inquiètent d’une dérégulation du marché des médicaments, de la pénurie persistante de certains d’entre eux et de leur vente en ligne par des plateformes commerciales dotées de stocks déportés. À cette liste, je pourrais ajouter un système de soins palliatifs largement insuffisant – c’est d’actualité, compte tenu du texte que nous étudions cette semaine –, ou encore la dernière proposition faite par la Cour des comptes de cesser d’indemniser les arrêts de travail de moins de huit jours, afin de permettre à l’assurance maladie de dégager 470 millions d’euros d’économies. Les délais moyens de prise de rendez-vous avec un praticien s’allongent et le nombre de patients dépourvus de médecin traitant grandit, tout comme le nombre de médecins n’acceptant plus de nouveaux patients, signes que la capacité médicale est saturée en France. Parmi les patients sans médecin traitant, la part des plus précaires s’accroît, et de manière accélérée.
Il me semble donc plus important et surtout plus urgent de réparer le système de santé français que d’inscrire un nouveau droit élargi dans la Constitution, au risque de fragiliser encore plus l’équilibre financier de la sécurité sociale.
Par ailleurs, si la protection sociale est universelle en France, notre système est ainsi construit qu’il faut remplir des conditions précises pour pouvoir en bénéficier, comme une résidence stable et régulière sur le territoire national ou l’exercice d’une activité professionnelle. Par réalisme financier, il me paraît important de s’en tenir au principe d’un financement par les cotisations des travailleurs et des entreprises plutôt que d’instituer un système sans aucune limite. Aujourd’hui, il me semble surtout urgent de repenser l’organisation du financement des dépenses de santé, et peut-être même de la décentraliser, de façon à tenir compte des besoins réels des populations locales.
Pour toutes ces raisons, je ne pourrai pas voter cette proposition de loi constitutionnelle en l’état.
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Vous imaginez bien que cette proposition de loi n’a pas été rédigée sur un coin de table : au contraire, elle a été élaborée avec le concours de juristes. Cela dit, rien ne nous empêche de discuter ses termes ; c’est même pour cette raison que nous sommes là. Ce débat nous intéresse d’autant plus que nous n’avons pas l’ambition de modifier seuls notre Constitution. C’est tout l’intérêt de la délibération parlementaire que de pouvoir affirmer des objections et de débattre de chaque terme d’un texte. Je remercie donc celles et ceux qui ont déposé des amendements à notre proposition de loi.
Aux autres, à qui celle-ci ne convient pas, je souhaite demander ce qu’ils ont à dire sur la sécurité sociale. Un débat à ce sujet me paraît nécessaire, d’autant plus que nous peinons à l’ouvrir dans le cours ordinaire de nos travaux. Après une bataille des retraites qui a laissé des traces, efforçons-nous d’échanger nos visions de la sécurité sociale et les ambitions que nous formulons à son endroit.
Pour certains, la définition de la sécurité sociale que nous proposons est trop large, mais je pense qu’une définition plus précise m’aurait valu le reproche inverse. Des deux possibilités qui s’offraient à nous, rédiger un article assez long, détaillant un certain nombre d’éléments ou rédiger un article aussi concis que possible pour ne s’en tenir qu’aux principes, nous avons retenu la deuxième. Celle-ci nous semblait la meilleure et bien qu’il soit possible de préciser encore notre définition, j’appelle votre attention sur le fait que le choix que nous avons fait laisse aux députés la latitude d’écrire la loi.
Nos divergences portent également sur le fond, ce que je déduis des différentes prises de parole dans la discussion générale. Certains veulent discuter les termes de la proposition de loi, notamment la formule « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », qui n’apparaît ni dans la Constitution ni dans le bloc de constitutionnalité. S’il fallait la remettre en cause, nous devrions à tout le moins en discuter.
J’ai évoqué le bloc de constitutionnalité, qui n’évoque pas la sécurité sociale en tant que telle, mais des principes qui s’y rapportent. Nous considérons que des précisions s’imposent et que les interprétations successives du droit nous invitent à consolider la base juridique de la sécurité sociale.
Je comprends enfin votre embarras à voter contre la constitutionnalisation de la sécurité sociale. Je verrais d’ailleurs un problème à ce que vous n’en exprimiez pas et pourrais alors supposer l’existence de projets avec lesquels notre proposition de loi est incompatible. Si tel est le cas, discutons-en : c’est à mes yeux une exigence démocratique, à laquelle il est maintenant opportun de répondre.
Nous estimons que la protection sociale est insuffisante et nous souhaitons rendre aux droits sociaux, bien souvent sous-interprétés par le juge constitutionnel, leur juste place.
Monsieur le ministre, je vous invite à donner sa chance à notre proposition. Bien sûr, nous ne prétendons pas la présenter dans sa rédaction définitive : c’est à l’issue du parcours parlementaire que celle-ci sera trouvée et qu’une définition partagée de la sécurité sociale pourra être donnée. Nous ne devrions pas renoncer à un tel objectif, de sorte que je vous appelle à poursuivre et à faire prospérer cette discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
La question de la constitutionnalisation de la sécurité sociale, loin de susciter l’embarras, nous rassemble plus qu’elle nous divise. Certes, nos appréciations juridiques de l’inscription de la sécurité sociale dans le bloc constitutionnel divergent. Nous devons en débattre, mais sans embarras aucun : je n’en ressens pas et les orateurs de la majorité ne m’ont pas paru en trahir.
Mon constat, partagé par plusieurs orateurs, c’est qu’aucune menace ne pèse sur la sécurité sociale, sur son évocation dans le bloc de constitutionnalité, sur sa solidité ou sur la priorité qui lui est donnée. Dans la discussion générale, certains ont évoqué les difficultés de notre système de santé et les tensions qui le traversent, mais celles-ci ne sont pas nouvelles.
Depuis 1945, l’histoire de la sécurité sociale est en effet ponctuée de périodes de difficultés et de tensions. Les gouvernements qui ont eu à y faire face ont d’ailleurs cherché, avec les outils de leur époque, à répondre aux problèmes de l’accès aux soins, de l’enseignement de la médecine ou encore du renforcement de notre système hospitalier. Les tensions que nous connaissons ne sont pas inédites.
J’écoutais Jérôme Guedj qui en appelait aux mânes de Jean Jaurès et de Léon Blum pour nous exhorter à étendre les droits à la sécurité sociale, mais n’a-t-il pas oublié d’achever sa phrase par des remerciements à la majorité et à Emmanuel Macron pour avoir créé cette cinquième branche ?
M. Nicolas Sansu
Ce n’est pas tout de créer une branche, il faut la financer !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
C’est cette majorité qui l’a créée et qui a ouvert de nouveaux droits pour la première fois depuis 1945. Rappelons les chiffres, sans esprit polémique : le budget des branches de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse est passé de 490 milliards en 2017 à 610 milliards en 2023, soit une augmentation de 25 %. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) a été fixé à 190 milliards en 2017 contre 260 milliards en 2024. Depuis 2017, cette majorité et les gouvernements successifs ont alloué les moyens nécessaires au système de solidarité pour répondre aux besoins des Français.
J’ajouterai que certains orateurs ont oublié de rappeler que le système de solidarité nous avait protégés pendant la crise du covid. Bref, il est clair que le système de sécurité sociale n’est pas menacé.
Mme Diaz, sans doute aveuglée par son obsession pour les immigrés, oublie, dans sa grande confusion, que le financement de la sécurité sociale repose sur les cotisations de tous les Français et de tous les étrangers qui travaillent. À partir du moment où une personne cotise, elle a le droit à la sécurité sociale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
M. Pierre Cazeneuve
Très bien !
M. Jérôme Guedj
C’est ce qu’on appelle l’universalité !
Mme Caroline Abadie
Eh oui !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
C’est l’un des principes fondateurs de la sécurité sociale. Mettons fin à cette grande confusion, ne faisons pas d’amalgames fâcheux. Laissons le système de solidarité fonctionner comme il se doit.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.
Sur l’amendement no 5, je suis saisie par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Avant l’article unique
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cazeneuve, pour soutenir l’amendement no 31.
M. Pierre Cazeneuve
Sans vouloir faire de mauvais jeu de mot, je voudrais dire, en préambule de la défense de l’amendement et du débat juridique qui s’ensuivra autour de la Constitution, qu’il n’y a pas d’un côté, ceux qui aiment la sécurité sociale et, de l’autre, ceux qui ne l’aiment pas.
Mme Sandrine Rousseau et M. Sébastien Jumel
Un peu quand même !
M. Pierre Cazeneuve
Non ! Au nom du groupe Renaissance, je réaffirme notre attachement tout particulier à la sécurité sociale, qui est le plus beau bijou créé par notre pays. C’est un bien très précieux que nous souhaitons toutes et tous défendre.
M. Sébastien Jumel
Ils veulent vendre les bijoux de famille !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Certains donnent des preuves d’amour quand d’autres ne font que des déclarations !
M. Pierre Cazeneuve
Je souhaite également rendre hommage aux 150 000 salariés de la sécurité sociale grâce auxquels, quotidiennement, nous pouvons exercer nos droits.
Je vous rassure, monsieur le rapporteur, bien que nous ayons déposé plusieurs amendements, nous ne souhaitons pas faire de l’obstruction. Nous nous attarderons simplement sur ceux qui visent à modifier l’article 1er de la Constitution.
En l’espèce, il s’agit d’ajouter les mots « de sexe » après « distinction » à l’article 1er de la Constitution, afin que soient interdites les discriminations entre les femmes et les hommes, comme le sont celles faites en fonction de l’origine, de la race ou de la religion. À la suite de l’excellente révision constitutionnelle de 2008, qui a ajouté que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », nous souhaitons inscrire dans la Constitution qu’aucune distinction entre les citoyens ne puisse être fondée sur le sexe. (M. Daniel Labaronne applaudit.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Vous souhaitez maintenir les amendements visant à modifier l’article 1er de la Constitution ; peut-être retirerez-vous les autres. Ce premier amendement est sans lien avec le texte mais l’article 45 de la Constitution ne s’applique pas aux propositions de loi constitutionnelle.
Notre intention n’était pas d’ouvrir un débat sur l’ensemble des articles de la Constitution mais votre proposition m’embarrasse car je partage votre intention d’interdire les discriminations fondées sur le sexe ou le genre. La Constitution ne le prévoit pas. Pour autant, la rédaction de votre amendement est-elle, juridiquement du moins, la plus adaptée ? Ne convient-il pas, en la matière, de faire la part des choses entre ce qui relève de la distinction et ce qui relève de la discrimination ? L’adoption de votre amendement pourrait avoir des conséquences sur les mesures spécifiques prises en faveur des femmes. Même si votre intention est légitime et louable, je vous invite à retirer l’amendement.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Je souhaite rassurer Pierre Cazeneuve. L’amendement vise à modifier le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution afin de préciser que l’égalité de tous les citoyens devant la loi est assurée sans distinction de sexe. Or notre droit garantit cette égalité.
Le mot « sexe » ne figure pas dans la Constitution mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe d’égalité interdit au législateur de faire des distinctions injustifiées fondées sur le sexe. Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Sébastien Jumel
Retirez-le !
M. Pierre Cazeneuve
Je me fie à la sagesse du rapporteur, du ministre et surtout de M. Jumel, avec qui j’entretiens un certain nombre de relations nucléaires. (Sourires.) Dans le cadre d’une révision constitutionnelle plus large, je défendrai de nouveau cette proposition qui est juste et nécessaire. En attendant, pour le bon déroulement de nos débats, je retire mon amendement.
(L’amendement no 31 est retiré.)
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Guillaume Gouffier Valente
Je demande une suspension de séance.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
Il s’agit de supprimer le mot « race » de l’article 1er de la Constitution. J’ai bien conscience que l’amendement ne présente pas de lien avec le texte mais j’attends l’avis du rapporteur avant de décider de le maintenir ou de le retirer.
Ce terme a été introduit en 1946 pour une raison bien particulière, celle de lutter contre les théories racistes. Il est à présent mal compris par nos concitoyennes et nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle, après un débat assez long dans l’hémicycle au cours de l’examen du projet de révision de la Constitution en 2018, nous avions adopté un amendement pour le supprimer. D’autres, allant dans le même sens, ont été par la suite débattus et adoptés en commission des lois.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Vous imaginez, là encore, quel peut être mon avis sur votre amendement et à quel point je peux y être sensible. J’ai apporté ici le texte de la proposition de loi constitutionnelle, défendue en 2003 par l’un de mes prédécesseurs, Michel Vaxès, tendant à la suppression du mot « race » de notre législation.
Votre proposition mérite que le Parlement s’y intéresse et aille au bout de cette démarche. Néanmoins, elle n’a pas de lien avec le texte que je vous soumets et, même si j’ai pu vous dire en commission, par plaisanterie, que j’y rendrais un avis favorable si vous m’assuriez de voter l’article unique, vous vous rendez bien compte que ce n’est pas ainsi que nous ferons avancer la proposition de loi constitutionnelle.
M. Sébastien Jumel
Il a raison !
M. Pierre Dharréville, rapporteur
Cela me coûte, mais je vous demande de retirer votre amendement.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
En complément, je tenterai d’ajouter ma force de conviction aux propos du rapporteur, bien qu’il soit, en général, beaucoup plus convaincant que moi : le sujet que vous abordez par cet amendement – lequel est fondé juridiquement et politiquement – est légitime mais, du point de vue du Gouvernement, l’inscription de la sécurité sociale est suffisamment importante pour que nous n’engagions pas la discussion sur ce point. Je vous invite à le retirer.
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
La discussion sur le présent amendement arrive plus tôt qu’en commission. En commission, je l’avais maintenu parce qu’il intervenait après une heure de débat sur le modèle de préférence nationale défendu par le Rassemblement national, et il avait été adopté.
Monsieur le rapporteur, je ne peux m’engager à ce que nous votions en faveur du texte au cas où cet amendement serait adopté… (Sourires.) Au-delà de la boutade, nous respectons le cadre de la proposition de loi constitutionnelle, ce qui ne nous empêchera pas de réaffirmer certaines positions importantes. Je retire donc l’amendement, dont je sais l’objet partagé sur nos bancs comme sur les vôtres, sans que vous ayez besoin d’en faire la démonstration.
(L’amendement no 5 est retiré.)
Mme la présidente
L’amendement no 6 de M. Guillaume Gouffier Valente est retiré.
(L’amendement no 6 est retiré.)
Article unique
Mme la présidente
Nous en venons aux inscrits sur l’article.
La parole est à M. Mathieu Lefèvre.
M. Mathieu Lefèvre
Je m’interroge, à la lecture du texte, quant aux effets d’une telle constitutionnalisation et je refuse l’alternative binaire présentée par M. le rapporteur, selon laquelle soit nous acceptons la constitutionnalisation de la sécurité sociale, soit nous avons un plan caché pour détricoter les acquis sociaux.
L’absence de constitutionnalisation n’a pas empêché les soignants de tenir durant la crise sanitaire. L’hôpital public a été financé à hauteur de plus de 100 milliards d’euros par an. Notre système social est résistant. Qu’attendez-vous concrètement de cette constitutionnalisation ? Pour perdurer, la sécurité sociale aurait surtout besoin de réformes. Nous en connaissons tous le contenu ; vous les avez refusées.
Finalement, nous devrions plutôt débattre de la manière dont nous pourrions financer la cinquième branche de la sécurité sociale,…
M. Xavier Breton
On attend de le savoir.
M. Mathieu Lefèvre
…garantir le niveau des pensions, baisser les impôts et améliorer la qualité des services, inciter les Français à travailler et à retrouver une activité.
Les amendements que je défendrai visent à inscrire dans la Constitution une loi-cadre d’équilibre des finances publiques. Elle seule aurait des effets concrets sur les comptes publics, ce qui la rend donc indispensable à toute tentative tendant à pérenniser notre modèle social. (M. Arnaud Le Gall s’exclame.) L’argent gratuit n’existe pas. Il convient de maîtriser les dépenses, donc les recettes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Arnaud Le Gall
Vous siphonnez les comptes ! Vous avez détourné l’argent de la sécu !
Mme la présidente
La parole est à Mme Edwige Diaz.
Mme Edwige Diaz
L’extrême gauche, main dans la main avec la Macronie, montre une nouvelle fois son vrai visage : celui de la préférence étrangère, au détriment de la préférence nationale. (Exclamations vives et prolongées sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)
Loin de résorber la dette colossale de la Cades et de préserver notre modèle social, les communistes veulent sacrifier ce dernier sur l’autel de l’utopie immigrationniste. Le présent texte est juridiquement fragile et politiquement dangereux, en plus d’être financièrement irresponsable.
Mme Karine Lebon
C’est vous qui êtes dangereuse !
M. Arnaud Le Gall
Vous n’avez jamais aimé la sécurité sociale !
Mme Edwige Diaz
La sécurité sociale ne parvient pas à rétablir ses comptes et accuse un déficit de plus de 8 milliards d’euros en 2023. La fraude est évaluée à plus de 20 milliards d’euros par an.
M. Inaki Echaniz
C’est vous, la fraude !
Mme Edwige Diaz
Les soins sont de moins en moins pris en charge. Un tiers des Français vivent dans un désert médical. Pourtant, la gauche veut ajouter de l’huile sur le feu et déverser des aides sur le monde entier.
M. Benjamin Lucas-Lundy
De quoi parlez-vous ?
Mme Edwige Diaz
Cette vision totalement niaise de la politique sociale va à rebours de la volonté des Français : 70 % d’entre eux sont favorables à la priorité nationale en matière de logement, d’emploi, d’allocations sociales et familiales. Si elle était votée, la présente proposition de loi condamnerait les Français à une plus grande précarité,…
M. Arnaud Le Gall
Il faut soigner tout le monde ! La sécurité sociale n’a pas de frontières.
M. Inaki Echaniz
Votez pour l’augmentation du Smic, on en reparlera !
Mme Edwige Diaz
…alors qu’ils sont déjà exposés à d’innombrables difficultés d’accès aux soins, notamment en milieu rural. Pour résumer, la Macronie et la NUPES veulent enterrer la sécurité sociale. Le Rassemblement national veut la sauver,…
M. Pierre Dharréville et Mme Stéphanie Rist
C’est bien connu !
Mme Edwige Diaz
…aussi voterons-nous contre l’article unique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Boris Vallaud
Vous n’étiez pas là en 1946 !
M. Pierre Cazeneuve
Si, mais du mauvais côté.
Mme la présidente
La parole est à Mme Raquel Garrido.
Mme Raquel Garrido
Parce que la sécurité sociale fait partie de l’identité constitutionnelle de la République, de l’identité de ce pays, le groupe Insoumis votera en faveur de l’article unique de ce texte présenté par M. Dharréville, que nous remercions pour son travail.
Soixante-cinq millions d’assurés, c’est le nombre de personnes concernées par la présente proposition de loi constitutionnelle. Depuis le début de la session ordinaire, j’ignore si des lois ont déjà concerné autant de personnes, autant de travailleurs qui cotisent et qui sentent bien qu’ils sont privés du fruit de leurs cotisations : quand ils vont à l’hôpital, où l’accès aux soins est dégradé, parce que les soignants n’y sont pas assez payés et valorisés ; quand le Gouvernement tente de baisser leurs allocations chômage ; quand ils doivent attendre des semaines, des mois, pour obtenir une réponse de leur caisse d’allocations familiales (CAF).
Il faut constitutionnaliser la sécurité sociale, car elle est attaquée : par les forces de l’argent, bien sûr, qui préféreraient qu’elle soit un marché lucratif, mais aussi par le Conseil constitutionnel, qui se montre trop frileux pour la défendre et pour défendre les droits sociaux en général, comme si les droits civiques étaient plus importants que ces derniers ! Nous ne sommes pas réunis comme des législateurs ordinaires, mais en tant que législateurs constituants ! Nous devons combler cette béance de la Constitution, comme nous l’avons fait pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : constitutionnalisons d’urgence la sécurité sociale ! C’est une priorité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric Petit
En tant que député d’une circonscription – la septième des Français établis hors de France – à cheval sur plusieurs pays où il arrive qu’on touche à la Constitution, j’estime que le texte constitutionnel ne doit pas être utilisé pour mener au score deux à zéro quand on mène déjà un à zéro. Les révisions constitutionnelles devraient porter sur des sujets susceptibles de rassembler et non de diviser. Toucher au socle, à la loi fondamentale, chercher à constitutionnaliser tel ou tel droit pour le protéger avant qu’une autre majorité ne vienne un jour, peut-être, le modifier, ne me paraît pas être une bonne méthode.
Je remercie Elsa Faucillon d’avoir rappelé que la cotisation n’est pas l’impôt – n’est-ce pas, monsieur Boyard – et qu’il y a une différence entre financement paritaire et étatique. La sécurité sociale n’est pas financée par l’argent de l’État. C’est la raison pour laquelle, soit dit en passant, nous aurions du mal à concevoir une loi de programmation portant sur une enveloppe d’environ 600 milliards d’euros, dont nous ne gérons qu’une petite partie…
Depuis quarante ans, je pose la même question aux membres du Rassemblement national qui veulent attribuer les prestations sociales selon un principe de préférence nationale : que faites-vous des cotisations sociales des 5 millions d’étrangers qui travaillent en France ?
M. Jérôme Guedj
Très juste !
M. Frédéric Petit
Qu’en faites-vous ? En quarante ans, je n’ai jamais obtenu de réponse ! Les payez-vous en brut, puis leur dites-vous d’aller se faire voir avec leurs cotisations, qu’ils n’en profiteront pas ? Ou les payez-vous en net, ce qui réjouira le Medef ?
M. Boris Vallaud
Je crois que vous avez la réponse !
M. Frédéric Petit
Je n’ai jamais eu de réponse… Que faites-vous de l’argent cotisé par les 5 millions d’étrangers qui travaillent en France ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI-NUPES, Dem, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
M. Jérôme Guedj
C’est du salaire différé !
Mme la présidente
Nous en venons aux amendements.
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l’amendement no 35.
M. Pierre Cazeneuve
Un amendement plein d’humanisme, sans doute !
Mme Béatrice Roullaud
Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article unique. Je vais vous expliquer pourquoi…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Parce que vous n’aimez pas la sécurité sociale !
Mme Béatrice Roullaud
De quoi parle le texte ?
M. Bruno Millienne
Si vous le saviez, ça se saurait !
Mme Béatrice Roullaud
Il cherche à faire de la sécurité sociale un droit universel et inconditionnel, autrement dit un droit opposable à l’État. L’intention est louable, mais garantir la sécurité sociale à tous, sans condition de cotisations ou autre, accélérerait la déstabilisation et précipiterait la ruine de ce système auquel le Rassemblement national est profondément attaché, contrairement à ce qui a été dit.
Alors que tous les grands services publics, celui de la santé, de l’enseignement, de la police, connaissent de grandes difficultés…
M. Bruno Millienne
C’est laborieux ! (Sourires sur quelques bancs.)
Mme Béatrice Roullaud
Il n’y a pas de quoi plaisanter. Alors que le manque de moyens financiers et humains est de plus en plus criant, vous prétendez offrir la sécurité sociale à tous ceux qui sont sur le territoire ou qui arrivent en France.
Ce matin, lors d’une audition menée dans le cadre de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, des juges des enfants et des avocats soulignaient encore combien la justice et les services de protection de l’enfance manquent de moyens financiers. Ainsi, 77 % des juges des enfants ont déjà…
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est une défense d’amendement ?
M. Charles Fournier
C’est une discussion générale ? (Brouhaha.)
Mme Béatrice Roullaud
Écoutez ce chiffre, c’est important : 77 % des juges des enfants ont déjà renoncé à prononcer des décisions de placement d’enfants en danger parce que les structures font défaut… (Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice, dont le temps de parole est écoulé.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Dharréville, rapporteur