"Mesures d'urgences contre la vie chère en outre-mer" : adoption d'une proposition de loi

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Vue de Fort de France - Martinique | Copyright : shutterstock - Tony Moran

Mercredi 4 décembre 2024, la commission des affaires économiques a examiné puis adopté la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer. Béatrice Bellay (SOC, Martinique) en avait été désignée rapporteure.

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La proposition de loi devait initialement être examinée en séance publique le 12 décembre 2024 dans le cadre de la journée réservée au groupe Socialistes et apparentés. L’examen a été repoussé au 23 janvier 2025 consécutivement à l’adoption d’une motion de censure.

Béatrice Bellay explique que, depuis plusieurs décennies, « les habitants d’Outre-mer font face à un coût de la vie exorbitant ». Cette vie chère se traduit par des prix à la consommation considérablement plus élevés que ceux pratiqués dans l’Hexagone. Aussi, selon l’enquête de comparaison spatiale des prix de l’INSEE, publiée en 2022, les produits alimentaires sont en moyenne 40 % plus chers sur ces territoires.

Elle affirme que ce phénomène s’explique par une combinaison complexe de facteurs structurels et conjoncturels qui affectent directement le pouvoir d’achat des populations ultramarines, captives sur des marchés exigus où l’offre économique est restreinte : l’isolement géographique, l’exiguïté des marchés, une dépendance aux importations et de forts degrés de concentration économique sur des marchés fréquemment dominés par des oligopoles, voire des monopoles.

Actuellement, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, à La Réunion et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, le Gouvernement peut réglementer, après avis public de l’Autorité de la concurrence, le prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité, en application de l’article L. 410-4 du code de commerce. Ce dispositif n’a toutefois jamais été mis en œuvre à ce stade. En outre, l’article L. 410-5 du même code introduit un « bouclier qualité-prix » (BQP) dans ces mêmes territoires - à l’exception de la collectivité d’outre-mer de Saint-Barthélemy. Le BQP prévoit que le représentant de l’Etat négocie chaque année, après avis public de l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) compétent, avec les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs ainsi qu'avec les entreprises de fret maritime et les transitaires un accord de modération du prix global d'une liste limitative de produits de consommation courante. En cas d’absence d’accord un mois après l’ouverture des négociations, l’article prévoit que le préfet arrête les modalités d’encadrement du prix des produits concernés - disposition qui n’a jusqu’alors jamais été appliquée malgré l’absence d’accord BQP en Guyane ou à Saint-Martin.

La rapporteure démontre ainsi que les dispositifs existants « se sont révélés insuffisants pour réduire efficacement le coût de la vie des ultramarins ».

Si elle estime que les OPMR sont des instances essentielles, elle assure que ces observatoires ne bénéficient pas « de véritables moyens humains et financiers » pour fonctionner et qu’ils sont paradoxalement dans « l’incapacité d’analyser les prix, les marges et les revenus ». En outre, si le « bouclier qualité-prix » a le mérite de rechercher une modération des prix fixant, pour un panier d’articles visés, un plafond global de prix, la rapporteure pointe ses « nombreuses limites ». Selon Béatrice Bellay, le dispositif ne viserait qu’un nombre restreint de produits et ferait face à l’absence ponctuelle d’approvisionnement, au manque de collaboration des enseignes et à la méconnaissance et à l’insatisfaction des consommateurs vis-à-vis du dispositif.

Par ailleurs, la rapporteure dénonce l’absence de transparence sur la formation des prix dans les Outre‑mer. Actuellement, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions sont tenues de déposer au greffe du tribunal leurs comptes annuels et, le cas échéant, leurs comptes consolidés, sous peine d’amende. Le président du tribunal de commerce peut, de sa propre initiative ou à la demande du ministère public ou de toute personne intéressée, enjoindre sous astreinte au dirigeant de la société commerciale de procéder au dépôt de ses comptes. Or, selon Mme Bellay, « les distributeurs assument publiquement ne pas respecter la loi et justifient ce non-respect par le caractère restreint des marchés ultramarins ». Or, malgré ce non-respect assumé des obligations légales, les différents dispositifs d’astreinte prévus par la loi restent rarement mis en oeuvre.

La rapporteure appelle donc à « prendre des mesures d’urgence ambitieuses contre la vie chère et à mieux réguler la concentration des acteurs économiques ».

L’article 1er propose de rendre plus effectif le « bouclier qualité-prix » afin qu’il garantisse au sein des territoires ultramarins, pour chaque famille de produits de première nécessité et de consommation courante, des prix équivalents aux prix moyens annuels de vente en France hexagonale. L’article prévoit que l’accord issu des négociations ne vise pas à une modération mais bien à une réduction du prix global d’une liste de produits.

En cas d’absence d’accord un mois après l'ouverture des négociations, l’article prévoit que le préfet devra arrêter les prix des produits de consommation courante et de première nécessité.

Les députés ont adopté plusieurs amendements :

  • Suppression de la participation des OPMR aux négociations du « bouclier qualité-prix » (CE48) tout en rétablissant l’avis public des OPMR en amont des négociations BQP (CE47) ;
  • Association des professionnels de la nutrition et de la santé aux négociations (CE19) ainsi que des associations de consommateurs ou toute association que le préfet juge utile (CE35) ;
  • Exclusion des produits issus de la production locale de l’obligation de garantir des prix équivalent à ceux pratiqués dans l’hexagone (CE15) ;
  • Possibilité pour le préfet d’élargir le « bouclier qualité-prix » aux produits du secteur de la téléphonie, de la parapharmacie, des pièces détachées et de garantir une part de produits vendus sous marque de distributeur ou issus de l’industrie locale (CE31) ;
  • Mettre en œuvre un dispositif de comparateur de prix rendu accessible aux populations (CE39) ;
  • Désignation par le préfet des enseignes participant au « bouclier qualité-prix » à l’issue des négociations (CE18, sous-amendé par le CE41) ;
  • Précision des modalités d’affichage des prix et de l’identification des produits inclus dans le panier du « bouclier qualité-prix » (CE1) ;
  • Obligation de rassembler les produits inclus dans le panier du « bouclier qualité-prix » dans des corners spécifiques dans chaque grande catégorie de rayon de magasin (CE40) ;
  • Garantie de la disponibilité et de la qualité des produits par les fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie (CE17) ;
  • Dissuader la sortie des parties prenantes de l'accord BQP dans une logique de « name and shame » (CE37) ;
  • Renforcement des moyens humains, financiers et juridiques des observatoires des prix, des marges et des revenus (CE33) et possibilité donner d’établir une règlement intérieur (CE38) ;
  • Mise en œuvre d’une évaluation annuelle du dispositif BQP (CE32) ;
  • Transfert automatique des données relatives aux opérations d’achats des produits concernés à la DGCCRF (CE36).
  • L’article 2 (CE44) prévoit de renforcer les sanctions relatives au non-respect de l’obligation de publication des comptes des sociétés commerciales. En pratique, l’article 2 impose au président du tribunal de commerce d’adresser une injonction sous astreinte à toute société commerciale transformant des produits agricoles, commercialisant des produits alimentaires, exploitant des magasins de commerce de détail de produits de grande consommation ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d'achat d'entreprises de commerce de détail qui ne procéderait pas au dépôt de ses comptes annuels. L’astreinte ne pourra être inférieur à 1 % du chiffre d’affaires mondial de la société.L’article 3 étend le seuil spécifique de notification des concentrations en Outre-mer de 5 millions d’euros à l’ensemble des domaines d’activités économiques et prévoit un seuil spécifiques pour ces territoires s’agissant du seuil de surface de vente au-delà duquel un projet est soumis à une autorisation d’exploitation commerciale par la commission départementale d’aménagement commercial. En commission, les députés ont également ajouté un seuil correspondant à 25 % de la surface totale sur l’ensemble du département d’outre-mer (CE22).Enfin, les députés ont adopté un article 4 qui prohibe le fait pour un groupe de distribution de détenir plus de 25 % de part de marché dans les départements et collectivités d’outre-mer dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi (CE4).