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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 7 septembre 2010

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Réforme des retraites

Rappel au règlement

M. Pascal Terrasse

M. le président

Motion de renvoi en commission

M. Roland Muzeau

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales, M. Claude Leteurtre, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Pascal Terrasse, Mme Martine Billard

Discussion générale

M. François de Rugy

M. Jean-Luc Préel

Mme Valérie Rosso-Debord

Mme Huguette Bello

M. Francis Vercamer

Mme Marie-Christine Dalloz

M. Dominique Souchet

Mme Martine Billard

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Réforme des retraites

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant réforme des retraites (nos 2760, 2770, 2768, 2767).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de quatorze heures cinquante et une minutes pour le groupe UMP, dont 223 amendements restent en discussion, dix-neuf heures trois minutes pour le groupe SRC, dont 153 amendements restent en discussion, huit heures trente minutes pour le groupe GDR, dont 136 amendements restent en discussion, six heures trente-cinq minutes pour le groupe NC, dont 51 amendements restent en discussion et une heure dix minutes pour les députés non-inscrits, dont sept amendements restent en discussion.

M. Pascal Terrasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse.

M. Pascal Terrasse. Monsieur le président, des orateurs du groupe socialiste s’étaient inscrits dans la discussion générale mais – cela ne vous aura évidemment pas échappé – nous leur avons finalement demandé de renoncer à s’y exprimer. La raison en est très simple : compte tenu de la faiblesse du temps de parole qui nous est accordé – moins de douze heures –, il est aisé de calculer que, si nous nous exprimons tous maintenant, jamais nous n’aurons le temps de défendre correctement nos amendements. Nous avons donc décidé de ne pas prendre la parole au cours de la discussion générale afin de disposer du temps nécessaire pour soutenir nos amendements et, le cas échéant, combattre ceux que pourrait proposer le Gouvernement.

Nous tenions à ce que cela fût dit, tout en exprimant naturellement notre désaccord sur la procédure choisie, qui restreint le temps de parole du groupe socialiste.

M. le président. Monsieur Terrasse, je tiens d’abord à vous rassurer : il ne reste pas douze heures de temps de parole au groupe SRC, mais bel et bien plus de dix-neuf heures.

Ensuite, je vous rappelle que 60 % du temps législatif programmé – qui a fait l’objet d’un allongement exceptionnel à la demande de votre groupe – est consacré à l’expression des orateurs des groupes appartenant à l’opposition.

M. Jean-Pierre Brard. La majorité n’ayant rien à dire, c’est normal !

M. le président. Les temps de parole du Gouvernement, du président de la commission saisie au fond et du rapporteur ne sont évidemment pas décomptés, mais l’expérience permet d’estimer qu’ils devraient équivaloir à 40 % ou 50 % du temps accordé aux groupes. Ainsi, la discussion en séance devrait durer au total environ 75 heures, après 25 heures passées en commission.

Mme Martine Billard. Ce n’est pas trop !

M. le président. J’apprécie que chacun s’exprime maintenant au fond au lieu de chercher à faire durer ou à bloquer les débats. Votre choix de défendre les amendements que vous avez déposés s’inscrit dans cette logique ; je vous en félicite.

M. Jean-Pierre Brard. C’est la distribution des bons points !

M. le président. Cinq cents amendements ont été déposés ; si nous n’avions pas recouru à la procédure du temps législatif programmé, nous en aurions eu à peu près dix mille… Nous avons donc affaire à des amendements de fond et chacun peut, me semble-t-il, s’en réjouir. Cela dit, mon cher collègue, je comprends très bien le choix de votre groupe.

M. Denis Jacquat. Quel président !

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour vingt-cinq minutes, si j’en crois le temps de parole indiqué par son groupe.

M. Roland Muzeau. Temps de parole estimatif, monsieur le président…

Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le secrétaire d’État chargé de la fonction publique, mes chers collègues, les députés communistes, républicains et du parti de gauche abordent cette discussion du projet de loi gouvernemental avec la ferme volonté de se faire entendre et de faire entendre, dans cet hémicycle, les voix, majoritaires dans notre société, de celles et ceux qui restent profondément attachés au droit à la retraite à 60 ans.

Nous porterons haut et fort les exigences citoyennes d’un vaste et vrai débat de société par-delà les oukases idéologiques et le corset de la pseudo-question financière. Nous démontrerons qu’il n’y a pas de fatalité, ni financière, ni politique. Nous ferons la preuve que le champ des possibles est vaste et porteur de progrès, et qu’une alternative crédible à la paupérisation des retraités et à cette régression sociale que constitue la déconstruction de notre système de retraite existe bel et bien.

N’en déplaise aux néo-libéraux que vous êtes, shootés à un individualisme toujours ennemi de 1’égalité et de la solidarité, la France est en mesure d’assurer collectivement une retraite et un revenu décents à ses aînés. Nous devons aujourd’hui ambitionner pour les plus jeunes un projet autrement porteur que votre « épargnez pour votre avenir ! » C’est une question de choix politique.

Je sais que, sur les bancs de droite comme sur ceux des ministres d’ailleurs, certains, à court d’arguments mais jamais de contrevérités et de mépris, céderont à la caricature et tourneront en dérision les propositions de l’opposition et des députés communistes, républicains et du Parti de gauche. Ils en seront jugés d’autant plus sévèrement par nos concitoyens.

Des millions de manifestants vous ont interpellés. Plus nombreux encore, des millions de grévistes vous interrogent. Vous les méprisez !

Avec 2,5 millions de manifestants, la journée de mobilisation d’aujourd’hui est une initiative justifiée aux yeux de 73 % des Français, qui jugent également nécessaire le renforcement de notre système de retraite. Si tous les syndicats rejettent votre réforme, c’est tout simplement parce qu’eux aussi considèrent que votre projet est injuste et inacceptable. Ils sont en phase avec une opinion publique qui juge très sévèrement le fond de cette réforme, effectivement qualifiée d’injuste et d’inéquitable par plus de 79 % des sondés.

Nous avons conscience qu’il est nécessaire, qu’il est indispensable, de repenser la protection sociale en général, affaiblie par la dégradation du statut de l’emploi, l’enracinement de la précarité et de la pauvreté qui résultent de ce capitalisme au nouveau visage de capitalisme de casino.

Nous mesurons les besoins structurels et conjoncturels de financement de nos régimes de retraite, plombés par la crise. Si les 680 000 suppressions d’emploi des 18 derniers mois pèsent effectivement lourd dans les comptes des régimes, en multipliant par trois les besoins de financement, notre système de retraite est surtout asséché par le refus des gouvernements de droite d’augmenter les ressources des régimes, par les désastreux choix de politiques économiques et de l’emploi de ces mêmes gouvernements, qui conduisent à ce que la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises soit désormais près de deux fois supérieure à celle des cotisations sociales.

Nous mesurons la perte de confiance dans notre système de retraite des deux tiers des moins de 35 ans qui pensent qu’ils n’auront pas de retraite confortable, tandis que d’autres souffrent de la chute du niveau des pensions, une chute de 13 % en moyenne pour les salariés du privé.

Nous n’entendons cependant, pour « raccrocher » ou « ouvrir notre pays au monde » selon les expressions de Denis Kessler et de Jean-François Copé, ni vous laisser dire « adieu 1945 ! », ni, a fortiori, arquer d’un pseudo-archaïsme du modèle social qui est le nôtre.

Permettez-moi de verser à notre débat quelques extraits d’un article paru en 2007 dans Challenges. Ils éclairent le projet sarkozyste supposé sauvegarder nos régimes par répartition alors qu’il contribue en fait à leur désocialisation, c’est-à-dire, comme l’expliquent les politistes et économistes Agathe et Julia Cagé, « la réduction du système de couverture publique au profit du développement de couvertures privées sans que ce choix éminemment politique ne soit assumé comme tel ».

Denis Kessler, président du cinquième groupe réassureur mondial, défend une réforme systémique de nos régimes de retraite avec l’instauration d’un régime unique par points misant sur la responsabilité individuelle et la réduction au minimum du système de solidarité collective. Écoutez-le bien, car c’est, à droite, votre maître à penser !

« Le modèle social français, dit-il, est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le Gouvernement s’y emploie… 

« Les annonces successives des différentes réformes par le Gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme, etc. À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Denis Kessler ajoute : « À l’époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis […]. Ce compromis, forgé à une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc. Cette “architecture” singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. »

Et le même Kessler de conclure : « Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l’essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l’on puisse envisager l’aggiornamento qui s’annonce. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse. »

Cette longue citation éclaire merveilleusement le sens du combat des amis du Fouquet’s.

M. André Gerin. Il a raison ! C’est la vérité !

M. Roland Muzeau. Elle aurait pu être complétée par son complice, Yvon Gattaz – mais celle-là, je vous la réserve pour la suite de nos débats…

À l’inverse, nous pensons que notre modèle social, né au sortir de la guerre, avec ses mécanismes de solidarité protégeant les individus contre les risques sociaux, loin d’être désuet, a justement permis le développement d’une société moderne et que ce modèle garde toute son actualité.

Cette « garantie donnée à chaque homme qu’en toutes circonstances il pourra assurer dans des conditions satisfaisantes sa subsistance », objet de la sécurité sociale selon Pierre Laroque, cette reconnaissance de droits sont autant de supports indispensables à la construction de l’existence sociale de chacun. Sans cette solidarité entre les générations, il n’y a plus de pacte social ni de garantie que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Plus d’adhésion possible à un projet, aux règles communes indispensables au vivre ensemble, plus de contrat social.

Voilà le risque que font courir les réformes conduites au nom du seul déséquilibre financier du système par la droite lors de ces vingt dernières années, colmatant les brèches, agitant le conflit des générations, opposant la pauvreté laborieuse des jeunes gens à « l’opulence oisive » de leurs aînés, le public au privé.

Ironie de l’histoire, au plus fort de la crise du capitalisme financier, ceux qui, hier, accusaient le modèle français d’être un frein à la croissance et à l’emploi, ont redécouvert comme par miracle ses vertus et son efficacité. Les critiques se sont faites moins ouvertes contre l’État social, contre notre système de protection sociale. Difficile en effet de mener de front la bataille idéologique des fonds de pension comme solution aux problèmes démographiques dont souffrirait notre système de retraite par répartition quand leur faillite, partout, insécurise les pensions des retraités et entraîne la chute de leur pouvoir d’achat.

Les mois ont passé, cette réalité semble déjà oubliée. J’en citerai deux exemples.

La patronne des patrons a regretté, après la présentation du texte par le Gouvernement, qu’il « n’ait pas prévu la piste d’un nouveau dispositif de retraites intégrant une part de capitalisation très incitatif, voire obligatoire ». Précautionneuse, Laurence Parisot dit qu’elle ne préconise pas de supprimer le système par répartition, juste « un “mix” des deux. (...) Un bon équilibre entre un mécanisme où les actifs cotisants d’une année paient une partie de la pension de cette même année plus un mécanisme où le complément est garanti par un système par capitalisation ». Entendue par le chef de l’État sur le « verrou » de l’âge légal, il se pourrait bien que Mme Parisot le soit aussi sur les mécanismes individuels, un volet épargne retraite assez conséquent ayant déjà été adjoint au texte par la majorité dans le cadre de la commission des affaires sociales – versement obligatoire sur le PERCO, soit le plan d’épargne pour la retraite collectif, d’au moins la moitié des sommes perçues par un salarié au titre de la participation aux résultats de l’entreprise. Et cet après-midi, la commission des affaires sociales en a rajouté une grosse louche…

L’Europe non plus n’a pas renoncé à renforcer l’efficacité et la fiabilité des acteurs du marché des retraites. José Manuel Barroso, présentant ses orientations politiques le 3 septembre 2009, a été on ne peut plus clair : « Des millions d’Européens n’ont pas d’autre revenu que leur pension de retraite. La crise a montré l’importance de l’approche européenne en matière de régimes de retraites. Elle a démontré l’interdépendance des différents piliers des régimes de retraite au sein de chaque État membre et l’importance d’approches communes au niveau de l’Union européenne en matière de solvabilité et d’adéquation sociale. » Et M. Barroso de conclure : « Elle a mis en évidence que les fonds de pension étaient un élément important du système financier. »

M. André Gerin. C’est un aveu !

M. Roland Muzeau. Dans un livre vert sur les retraites, intitulé Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe, publié en juillet dernier, la Commission européenne, qui souhaite ouvrir un débat européen sur le sujet, recommande de traiter de façon coordonnée certains thèmes communs, dont le fonctionnement du marché intérieur, les exigences résultant du Pacte de stabilité et de croissance, ainsi que les réformes des retraites qui doivent être cohérentes avec la stratégie « Europe 2020 ». Pour consolider le marché des retraites, il n’est ni plus ni moins envisagé que le développement des régimes complémentaires et d’une offre assurantielle individuelle pour les travailleurs, l’instauration d’un régime de retraite privé à l’échelle des vingt-sept coexistant avec les systèmes nationaux.

C’est dans ce contexte que, surfant sur les conséquences de la crise du système capitaliste et sur les sommets atteints par la dette – multipliée, rappelons-le tout de même, par trois depuis 2002 suite aux choix fiscaux et économiques de classe des gouvernements de droite –, le Gouvernement a choisi de précipiter ce rendez-vous retraites et décidé de son contenu brutal et des sacrifices supplémentaires exigés des salariés et des fonctionnaires.

Pour conserver le triple AAA des agences de notation, baromètres actifs de la financiarisation, le Président de la République s’est encore une fois parjuré. Celui qui prétendait avoir toujours été pour la retraite à 60 ans, avoir même voté pour cet acquis social, alors qu’en 1982, il n’était pas encore député, interrogé en mai 2008 sur la proposition de Laurence Parisot de relever l’âge légal à 63 ans et demi, répondait : « Elle a le droit de dire cela, j’ai dit que je ne le ferai pas. Je n’en ai pas parlé pendant ma campagne présidentielle. Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour cela. »

M. Dominique Baert. Il est bon de le rappeler !

M. Roland Muzeau. Nous savons aujourd’hui ce qu’il en est de cette promesse : la décision a été prise de sacrifier le repère collectif des 60 ans pour donner des gages aux marchés sur la détermination de la France à contenir ses dépenses. Nos choix sociaux, la gestion de notre pays, les économies à réaliser sont désormais ouvertement dictés par les agences financières avec la complaisance des gouvernements.

Sur ce thème, un journaliste de Marianne, qui a signé en août dernier un article…

M. Jacques Lamblin. Ça, c’est objectif !

M. Roland Muzeau. C’est un journal, et s’il ne vous plaît pas, vous n’êtes pas obligé de l’acheter !

Un journaliste de Marianne, disais-je, qui a signé en août dernier un article intitulé « Retraites : Moody’s – l’agence de notation – menace, Sarkozy et Fillon s’exécutent », conclut fort à propos en remarquant « qu’en convoquant Fillon et Lagarde à Brégançon en plein mois d’août, Sarkozy montre que sa communication n’est pas seulement organisée en fonction des électeurs lepénistes, mais aussi des mondes de la finance et de ses représentants les plus pervers et les plus irresponsables qui, après avoir encouru les foudres de la régulation, sont plus intouchables que jamais. »

Dans l’entourage présidentiel, on joue de cette confusion entre dépenses publiques et dépenses de sécurité sociale, et on assume désormais très ouvertement. « L’affaire des retraites est plus lourde que le problème du déficit de l’État » dit Alain Minc, un proche conseiller. « Aujourd’hui la politique économique française est accrochée à un principe : ne pas perdre le triple A…

M. Jean Mallot. Pour les andouillettes, c’est plus dur encore : il faut cinq A !

M. Roland Muzeau. …que nous donnent les agences de notations et, de ce point de vue, la réforme des retraites est clé, plus clé encore que les affaires budgétaires. »

Ces propos ont le mérite de la clarté, la motivation présidentielle de réformer les retraites par-delà l’affichage de circonstance de « sauvegarde de la répartition » se résume à la diminution des dépenses sociales et à la réduction des droits.

Ce rendez-vous retraites, moment phare du quinquennat, à vous entendre, aurait dû être l’occasion d’un débat sur l’enjeu de civilisation que représente le vieillissement de la population française, que l’on regarde enfin comme une bonne nouvelle l’augmentation de l’espérance de vie, les bouleversements de notre société où quatre générations se côtoient, dont une et demie à la retraite. Qu’il nous soit donné de réfléchir à ce nouveau temps de vie à la retraite, à la place et au rôle social de chacun, digne d’intérêt, même en dehors de toute activité productive…

Nous souhaitions débattre de ce temps de loisir bien mérité après une longue vie de travail, des moyens de conforter ce « droit social par excellence, que ce soit pour la classe ouvrière, et plus largement pour l’ensemble des travailleurs, de ce mécanisme permettant d’accéder à une sorte de propriété sociale, commune à chaque individu », selon l’expression du sociologue Robert Castel.

Ces termes du débat comme, d’ailleurs, les questions centrales de l’emploi sur lequel repose le financement de notre protection sociale, de la part de richesses que nous entendons consacrer à couvrir collectivement nos retraites futures et celles de nos aînés, ont été totalement verrouillés.

Pourquoi avoir posé comme postulat, sous couvert toujours de sauvegarder la compétitivité des entreprises, l’impossibilité d’augmenter les ressources des régimes de retraite ? Pourquoi avoir bloqué pour l’avenir à 13 % la part que représentent les prestations vieillesse dans le PIB, si ce n’est parce que, justement, le Gouvernement refuse d’aborder la question de la répartition des richesses dans notre pays ?

Vous savez pourtant que seule une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, combinée au développement quantitatif et qualitatif de l’emploi rémunéré à sa juste valeur, est de nature à répondre durablement aux besoins de financement de notre système de protection sociale.

Or vous continuez à cacher certains chiffres pour mieux protéger les dividendes. Selon la Commission européenne, la part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté en France de 9,3 % entre 1983 et 2006, soit l’équivalent de près de 100 milliards d’euros par an qui bénéficient au capital plutôt qu’au travail…

M. Jean-Pierre Brard. Écoutez bien !

M. Roland Muzeau. …tandis que, sur la même période, la part des dividendes versée aux actionnaires passait de 3,2 % à 8,5 % du PIB – et de 5 % de la valeur ajoutée à près de 25 % !

M. André Gerin. Eh oui !

M. Roland Muzeau. Écoutez bien, monsieur Méhaignerie, car cela compte, même dans votre département !

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Il est en train de rectifier vos erreurs !

M. Roland Muzeau. La proportion croissante des revenus accaparés par le capital se double de l’utilisation des revenus du capital contre l’emploi, avec la spéculation et les délocalisations qui vous tourmentent, monsieur Méhaignerie, comme nous. Trois chiffres illustrent l’impossible coexistence du capitalisme financier avec notre système de protection sociale par répartition : entre 1993 et 2009, le volume des cotisations sociales a augmenté de 19 %, tandis que le PIB, notamment en raison des gains de productivité, augmentait de 33 % et que les revenus financiers des entreprises et des banques progressaient de 143 %.

Par ailleurs, la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises est désormais près de deux fois supérieure – 29 % contre 15 % – à celle de leurs cotisations sociales. Il devient donc de plus en plus difficile pour les entreprises et le secteur financier de concilier le maintien d’un taux d’emploi élevé, leur contribution au financement de la protection sociale et les revenus qu’ils doivent servir au capital, eux-mêmes détournés de l’investissement productif.

Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche ont construit un contre-projet afin de financer le droit à la retraite à 60 ans, fixant des objectifs clairs en matière de niveau de pension et de réduction des inégalités de genre, des inégalités entre salariés. Avec cette proposition de loi, qui a recueilli à ce jour plus de 120 000 signatures, nous apportons des recettes dynamiques, plus de 36 milliards de recettes nouvelles au financement de la protection sociale, dont 14 milliards pour les retraites – soit l’équivalent du déficit. Nous faisons également la démonstration que c’est en enclenchant un autre modèle de croissance, en désintoxiquant notre économie de la financiarisation, que l’on répondra à l’enjeu du financement de notre modèle de protection sociale.

De tout cela, malheureusement, nous ne pourrons pas débattre ou alors de façon tronquée ou partielle. Tous les amendements fiscaux du Gouvernement traduisant ses maigres mesures en matière de financement, toutes nos propositions de financement de nos régimes de retraite étant renvoyés au financement de la sécurité sociale et au projet de loi de finances de cet automne.

Les syndicats vous demandent également ce débat sur le financement : acceptez de l’ouvrir enfin sans exclusive ! Regardons sans catastrophisme les besoins de financement, apprécions sans caricature les données démographiques, examinons aussi les données de l’espérance de vie en bonne santé. Acceptez de recommencer le travail de construction de la réforme en ne l’enfermant plus dans la fausse alternative du travailler plus longtemps ou de la baisse des pensions. Consentez à renoncer, après concertation avec les partenaires sociaux, au relèvement de 60 à 62 ans de l’âge de départ, de 65 à 67 ans de celui du taux plein. Acceptez de renvoyer ce texte en commission.

À défaut, faites au moins preuve de franchise envers les Français. Ne les trompez pas comme en 2003 ! Avouez que votre réforme ne garantit absolument pas le niveau des futures pensions et qu’elle n’est en rien un frein, bien au contraire, à la baisse programmée des pensions. Ainsi, d’après les projections du COR – sur la base de quarante et une annuités de cotisations –, le taux de remplacement à 60 ans passerait en dessous de 50 % dès que l’entrée dans la vie active se ferait après 22 ans, ce qui constitue une baisse de près de vingt points en vingt ans. Selon une étude réalisée par la Commission européenne, rendue publique en juillet dernier, en raison des réformes Balladur et Fillon déjà actées, la France est un des pays d’Europe où le décrochage entre la pension nette que touche un retraité et son salaire au moment de son départ à la retraite sera le plus fort, et la quatrième baisse la plus forte parmi les 27.

C’est la réalité ! Le taux de remplacement devrait ainsi passer de 79 % en 2006 à 63 % en 2046, soit une chute de 16,5 points. Cette réalité bien connue ne manque pas d’aiguiser les appétits des opérateurs du marché de l’assurance sociale. En témoigne la déclaration de la directrice épargne retraite de l’Association française de la gestion financière exhortant les Français à épargner tôt pour préparer des revenus complémentaires au moment de la retraite. N’aviez-vous pas fait de cette question un tabou ? Prenons l’exemple des fonctionnaires doublement pénalisés par l’alignement de leur taux de cotisation sur celui des salariés du privé. Du fait du surcroît de cotisation, ils subiront tout de suite une baisse de leur pouvoir d’achat de 6 euros en moyenne par mois par agent. Au moment de la liquidation de leurs droits à la retraite en raison du durcissement des règles du minimum garanti, ceux – majoritairement des femmes – ayant eu une carrière incomplète notamment perdront, en moyenne, les 150 euros supplémentaires qu’ils pouvaient avoir sur leurs petites pensions de 1 000 euros.

Elle est injuste parce qu’elle conduit à baisser la retraite de nos concitoyens. Le relèvement des bornes d’âge est la mesure la plus inégalitaire qu’il soit, d’autant qu’elle se double de l’allongement de la durée de cotisation exigée pour bénéficier d’une retraite à taux plein, programmée par la réforme Fillon pour passer de 40,5 annuités aujourd’hui à 41 ans en 2012 et 41,5 ans en 2020 ; cet ajustement à l’augmentation de l’espérance de vie, que vous entendez rendre automatique, est donc amené à augmenter encore.

Les femmes victimes de discriminations dans la sphère professionnelle, davantage victimes du travail à temps partiel contraint, ont en moyenne des durées validées beaucoup plus faibles que celles des hommes et sont donc proportionnellement plus nombreuses à ne pas valider une carrière complète. Ainsi, selon une étude de 2007 de la DREES, parmi les retraités seulement 44 % des femmes ont réussi à valider une carrière complète contre 86 % des hommes. La décote les concerne plus que les hommes aussi et son ampleur est également plus forte. Résultat : elles attendent plus souvent que les hommes l’âge du taux plein pour ne pas subir de décote… Mais je sens que la droite marque un fort intérêt à l’égard de la condition des femmes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous pouvez sortir, si cela ne vous intéresse pas ! Ce n’est pas un problème ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous en prie !

M. André Gerin. Il a raison !

M. Roland Muzeau. En 2009, par exemple, 24,1 % des femmes assurées du régime général sont parties à 65 ans ou plus tard, contre 16,5 % des hommes. Contrairement à ce que vous avancez, les dispositifs de solidarité existant au sein de nos régimes de retraite sont très loin de compenser ces inégalités, ces aléas de carrière, et ce d’autant que vous vous employez à raboter ces mécanismes familiaux et conjugaux !

M. Pierre Forgues. Ils n’écoutent pas !

M. Roland Muzeau. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a remis en cause le dispositif de majoration de durée d’assurance pour les femmes salariées, leur attribuant de droit qu’une seule année validée au titre des enfants. Dans la fonction publique, les conditions encore plus restrictives – un an de droit, mais à condition d’avoir interrompu son activité notamment – suite à la réforme de 2003 sont telles que, déjà, le nombre moyen de trimestres validés par les femmes est passé de 8,7 à 7,9 trimestres en l’espace de trois ans. Il est maintenant question de supprimer le dispositif de départ anticipé pour les fonctionnaires ayant quinze ans de service et trois enfants. Les femmes seront donc touchées de manière disproportionnée par ces mesures les obligeant à attendre plus longtemps leur pension hors emploi bien sûr, donc dans une situation précaire.

Les conséquences humaines et sociales de votre réforme se feront également sentir très durement pour les ouvriers, ceux qui ont commencé à travailler jeunes souvent dans des conditions très pénibles, qui ont cotisé leurs 40 ans avant leur soixantième anniversaire dans des métiers difficiles, peu qualifiés, sans oublier les apprentis, donc ceux qui paieront, en quelque sorte, la retraite des cadres.

Permettez-moi, là encore, de vous rappeler certaines données que vous feignez d’oublier. En raison notamment du mode de calcul des pensions, mais aussi des différences d’espérance de vie, un cadre reçoit un montant total de pension de retraite trois fois plus élevé qu’un ouvrier. L’espérance de vie d’un ouvrier est, en moyenne, plus courte que celle des cadres – six ans – doublée d’une espérance de vie en bonne santé plus faible également – les cadres vivent en moyenne dix ans de plus de leur espérance de vie totale indemnes d’incapacité. Selon l’enquête emploi 2008 de l’INSEE, l’âge moyen de fin d’étude de ces actifs ouvriers est de 17,9 ans. Il est même de 16,7 ans pour les actifs ouvriers âgés de 50 à 55 ans. Dans les prochaines années, des centaines de millier d’ouvriers totaliseront donc 45 ans de cotisations lorsqu’ils liquideront leur retraite à 62 ans.

M. André Gerin. C’est scandaleux !

M. Roland Muzeau. Comment prétendre, dans ces conditions, que les ouvriers ne sont pas les principales victimes de cette réforme ? Les sujets que vous gardez sous le coude, en l’occurrence celui de la cessation anticipée d’activité pour carrière longue ou du dispositif pénibilité, prennent alors toute leur importance.

S’agissant de la pénibilité…

Mme Claude Greff. C’est vous qui êtes pénible !

M. Roland Muzeau. Si je suis pénible, barrez-vous, que voulez-vous que je vous dise ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Monsieur Muzeau, je vous en prie !

M. Roland Muzeau. Calmez-les, monsieur le président !

M. le président. Je vous en prie ! Poursuivez !

M. Roland Muzeau. Contrairement aux effets d’annonces, la pénibilité ne fera pas l’objet de mesures de compensation justes et suffisantes, le droit à la retraite en bonne santé d’une durée équivalente à celle des salariés non exposés est enterré. En prescrivant la pénibilité sur ordonnance à 60 ans, par référence à un seuil d’incapacité « sans aucune pertinence médicale, sociale ou professionnelle » selon François Guillon, professeur de médecine et santé au travail, en lieu et place d’un dispositif collectif reconnaissant la pénibilité du poste de travail, de son environnement… ouvrant droit avant 60 ans, qu’il y ait ou non des effets présents et mesurables sur la santé, à bonification de trimestre, le Gouvernement présente un volet pénibilité qui se réduit à « une succession d’injustices » pour reprendre les propos du secrétaire général de la FNATH et le porte-parole de l’ANDEVA.

Ajoutons à cela le mépris que vous affichez depuis des mois en refusant aux syndicats de salariés et aux parlementaires de mettre sur la table vos propositions d’amendements.

Impossible aussi de prétendre, comme vous le faites, monsieur le ministre, que votre réforme est juste et équilibrée financièrement. La solution privilégiée du report des bornes d’âge couvrira à peine la moitié des besoins de financement à l’horizon 2020. Les craintes exprimées par les syndicats à ce sujet ont été confirmées par le rapport pour avis de la commission des finances. Le compte n’est pas bon. Pour exemple, le déficit de la CNAV dépasserait encore les 3 milliards d’euros en 2018 et atteindrait même 4 milliards en 2020, pour augmenter ensuite beaucoup. Vous lorgnez donc sur les supposés excédents de la CNRACL et du régime complémentaire AGIRC-ARRCO et espérez le basculement des cotisations de l’assurance chômage vers la branche vieillesse, sans parler, bien évidemment, du hold-up sur le fonds de réserve des retraites. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Gerin. Il a raison !

M. Roland Muzeau. Bref, la pérennité du régime de retraite n’est pas garantie, contrairement aux affirmations du président de la République ; vous laissez aux suivants le soin de le faire. Vous avez menti en 2003, vous recommencez aujourd’hui.

En outre, alors que 50 % des déficits sont attribuables à la crise financière, les sacrifices pèseront à plus de 85 % sur les salariés et les fonctionnaires. Pour la majorité, l’équité, c’est prendre aux salariés, répartir les efforts entre public-privé sans toucher à ceux qui ont les plus hauts revenus. Ainsi, 4,6 milliards, c’est le faible rendement attendu d’ici à 2020 des recettes nouvelles venant de la mise à contribution des hauts revenus et des revenus du capital, des taxes sur les ménages et sur les entreprises. Les économies attendues sur le dos des salariés et fonctionnaires au titre seulement du recul des bornes d’âge se chiffrent, elles, à plus de 13 milliards : fonction publique : 4,2 milliards en 2020 ; CNAV 9,08 milliards. La participation pour 4,6 milliards d’euros des plus hauts revenus et du capital au financement de notre système de protection sociale est cosmétique face à un besoin financier de 45 milliards.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui, cela sent Versailles et Marie-Antoinette !

M. Roland Muzeau. Sur le relèvement des deux bornes d’âge, autre sujet majeur, marqueur lui aussi du projet sarkozyste, vous nous dites, pleins de bon sens, que puisque l’on vit plus longtemps, il paraît logique de travailler plus longtemps. Là encore, il serait temps que vous assumiez pleinement vos choix très marqués politiquement pour ne pas dire idéologiquement. Pour les libéraux que vous êtes, le temps de vie gagné doit obligatoirement être consacré à travailler. Pas un instant vous ne vous êtes dit que c’est peut-être parce que le travail occupe une place moins écrasante dans nos vies, peut-être parce que l’âge légal a justement été fixé à 60 ans, que nous vivons désormais plus longtemps. Selon vous, 62 ans serait l’âge de raison. Méconnaissez-vous donc à ce point les études en matière d’espérance de vie sans incapacité ? Elle est de 24 ans pour un homme ouvrier de 35 ans. Autrement dit, comme le développe Arnaud Parienty pour Alternatives Économiques, un homme ouvrier souffre d’incapacité à partir de 59 ans. Soixante ans est donc l’âge pertinent si l’on veut éviter aux salariés une fin de carrière très douloureuse.

Le problème est avant tout celui du chômage des jeunes, des conditions d’emploi des quinquas, vous ne pouvez l’ignorer. Un économiste venu de Mars ne comprendrait pas que la planète France débatte de la manière d’augmenter la durée du travail dans l’avenir pour des personnes ayant un certain âge alors que l’on ne parvient pas à donner aujourd’hui du travail aux jeunes… « Le Gouvernement veut donner l’impression qu‘il affronte la réalité, la vérité est qu’il fuit la réalité » : Emmanuel Todd ne pouvait mieux résumer le jeu de dupe du Gouvernement.

Ce gouvernement sait que moins d’une personne sur deux occupe un emploi au moment de faire valoir ses droits à la retraite. Sont en cause les conditions de travail, mais aussi et surtout l’attitude des entreprises se séparant de leurs quinquas à moindre frais sur le dos bien souvent de l’assurance chômage ou en recourant aux ruptures conventionnelles, nouvelle invention de la droite ! Mais il fait le choix de transformer de potentiels retraités en chômeurs, en invalides, sans se soucier du coût de ce report pour la société ! Un article paru dans Les Échos,le 28 juillet, dernier révèle que le report de 65 à 67 ans coûterait plus de 200 millions par an à l’assurance chômage, 18 000 personnes devant basculer par an du chômage à la retraite. Cette note technique réalisée par Pôle emploi, depuis maintenant plus de dix mois, n’a pas été versée à nos débats, ce qui est tout à fait préjudiciable.

Mme Catherine Génisson. C’est vrai !

M. Roland Muzeau. Cela prouve, s’il en est encore besoin, que nous ne disposons pas aujourd’hui de l’ensemble des éléments nécessaires à la compréhension de l’impact de votre réforme. C’est un argument supplémentaire justifiant notre demande de renvoi du texte en commission.

À l’appui du passage de 60 à 62 ans de l’âge légal vous nous dites également, très sérieusement, que « tous nos partenaires en Europe, qu‘ils soient dirigés par la droite ou la gauche, ont reconnu cette évidence. » Ce n’est pas un argument, mais simplement le constat du caractère un peu trop consanguin de tous ces gouvernements, comme l’a montré le faux débat sur la Constitution européenne. Sur l’exemplarité des solutions européennes et le paramètre supposé incontournable de l’âge minimal, vous vous livrez, comme à l’accoutumée, à une importation pour le moins orientée et partielle. Vous savez pourtant, monsieur le ministre, que ce paramètre de l’âge minimal n’est qu’une composante des systèmes de retraite et qu’il convient donc également de regarder : la durée de cotisation minimale requise – 35 ans en Allemagne et en Espagne, 30 ans au Royaume-Uni en compensation du passage à 68 ans d’ici à 2046 de l’âge minimum – l’âge réel de départ, celui de sortie du marché du travail, les dispositifs permettant de partir de façon anticipée à la retraite – dispositifs grâce auxquels, par exemple, un quart des nouveaux retraités espagnols liquident leurs droits avant 60 ans – ou le taux de remplacement… Vous ne vous attardez pas non plus sur le fait qu’aujourd’hui en Allemagne le passage de 65 à 67 ans est contesté notamment parce que, seuls, 9,9 % des 60-64 ans exercent une activité professionnelle.

Vous obérez l’essentiel : non seulement la France n’est pas le mauvais élève de la classe, mais elle risque d’adopter l’un des systèmes les plus sévères du continent parce que le relèvement des seuils d’âge va de pair avec le durcissement des durées de cotisations. En cela aussi, la réforme du Gouvernement est particulièrement brutale.

La brutalité caractérise également la posture du gouvernement vis-à-vis des partenaires sociaux et de la représentation nationale. Une fois le « timing » serré de la réforme et sa colonne vertébrale intangible arrêtés par le Président de la république, le champ laissé au dialogue social s’est réduit à une concertation de façade avec les organisations syndicales sur des sujets pourtant dits « ouverts » – tels la pénibilité et les polypensionnés – le Gouvernement ayant, en préalable, affiché sa fermeté sur l’équilibre général du texte : le financement de la réforme, le passage à 62 et 67 ans, la convergence public-privé. Il est vrai que pour vous, « les syndicats sont utiles pourvu qu’ils ne bloquent pas tout. » Résultat : « impossible de débattre sur le fond du dossier avec ce gouvernement » tempêtent les leaders de la CGT et de la CFDT ; un gouvernement effectivement affaibli par l’affaire Bettencourt, un gouvernement sur le départ en attente du remaniement ministériel d’octobre.

Après le jeu de concertation pipée avec les organisations syndicales, le Gouvernement a délibérément choisi d’expédier le temps parlementaire, de le maîtriser, de le vider de sa substance : procédure accélérée sur le texte de la législature, examen en session extraordinaire, temps programmé permettant qu’en une petite semaine – c’est ce que vous espérez – le débat soit bouclé, parodie de huis clos et de travail parlementaire en commission des affaires sociales, le rapporteur « invitant » même les députés à retirer leurs amendements sur la question clé de la pénibilité ou annonçant un avis négatif de principe sur les propositions, qu’il justifie par « le respect pour le Gouvernement et les partenaires sociaux » a priori engagés dans le dialogue, ce qui n’était pas vrai, monsieur Jacquat !

Nous entamons, cet après-midi, la discussion du projet de loi portant réforme des retraites en ne connaissant toujours pas, monsieur Jacquat, le contenu des aménagements gouvernementaux sur les volets de la pénibilité, des polypensionnés ou des dispositifs de départ anticipé pour carrière longue. Trouvez-vous cela normal ? D’après les déclarations du ministre à la presse, avec un peu de chance, il se pourrait que nous ayons ces amendements « dans les jours qui suivent l’ouverture du débat. » Vous êtes trop bon, monsieur le ministre ! C’est totalement scandaleux. Ajoutons à cela aussi que nous ne disposons pas non plus d’études mesurant l’impact précis de la réforme sur les femmes, sur les personnes handicapées, sur l’assurance chômage…

Nous venons de le voir, les conditions d’un travail parlementaire de qualité, posé, réfléchi sont très loin d’être réunies. Cette réforme majeure de notre système de retraite aux enjeux sociétaux indiscutables ne peut être conduite au pas de charge par un gouvernement en sursis.

Vous devez entendre les millions de grévistes et les manifestants, les partenaires sociaux, les exigences de nos concitoyens d’une réforme des retraites durable, plus juste, moins insécurisante. Le report de l’examen de cette réforme est désormais la seule option possible : c’est le sens de notre demande de renvoi de votre texte en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà maintenant l’exégèse selon Saint-Pierre !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes tout de même loin, monsieur Muzeau, de la parodie et on ne peut pas dire qu’un travail de qualité n’a pas été engagé.

M. Jean-Pierre Brard. C’est subjectif !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Rappelons que la commission a préparé cette réforme en amont pendant trois mois, avec un important programme d’auditions, auxquelles vous avez d’ailleurs très largement participé, ouvertes à l’ensemble des commissaires…

M. Jean-Pierre Brard. C’est la moindre des choses !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Cela ne s’est pas limité à une mission d’information : il y a eu trente-deux auditions entre le mois de février et le mois de juin, et quarante-trois heures de réunion.

M. Jean-Pierre Brard. C’est Stakhanov !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Nous avons entendu les ministres à plusieurs reprises. J’ai fait en sorte que la discussion du projet de loi en commission dure le temps nécessaire à un débat de qualité.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. À huis clos !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Comme la tradition l’exige !

Contrairement à l’habitude, l’audition des ministres a été suivie d’une nouvelle discussion générale, qui a duré six heures trente.

M. Pierre Gosnat. Rien n’a bougé !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Il faudrait remonter loin dans les annales pour trouver un débat aussi long.

Enfin, nous avons discuté de 434 amendements pendant dix-huit heures trente.

Autant de raisons qui me conduisent à rejeter ce renvoi en commission.

Cela dit, monsieur Muzeau, je rends hommage à votre sincérité…

M. Jean-Pierre Brard. C’est la rédemption après la compassion !

M. Pierre Méhaignerie. …et je vais vous répondre sur quelques points.

Vous avez affirmé à juste titre que la part du travail dans la valeur ajoutée avait diminué de 9 % ; mais c’était entre 1983 et 1988, vous étiez vous-mêmes au gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe GDR.) Ce sont des faits !

M. Pierre Gosnat. En 1984, nous n’étions plus là !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Je ne rappelle que des faits. Depuis quinze ans, la part du travail est restée absolument stable…

M. Henri Plagnol. Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. …et, aussi bizarre que cela puisse paraître, elle est plus grande en France et aux États-Unis qu’en Allemagne et que dans d’autres pays européens.

M. Henri Plagnol. Très juste !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Vous prétendez ensuite que nous abandonnons le modèle du Conseil national de la Résistance et que nous mettons à bas le modèle social. Or nous sommes le seul pays où les prestations sociales ont augmenté de 5,4 % en 2009. Aucun autre pays européen n’a vu une telle augmentation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vous parlez de choix désastreux de la politique de l’emploi. Je constate que la France s’est mieux tenue en 2009 que la majorité des pays européens ; et l’augmentation des cotisations que vous proposez ne va pas dans le sens de la compétitivité.

M. Christophe Sirugue. Bref, tout va bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Ce sont des faits, auxquels il faut simplement réfléchir.

Enfin, vous avez raison, monsieur Muzeau, d’aborder le problème des ouvriers dans la société française, et je partage avec vous cet objectif. Puis-je rappeler simplement qu’en 2002, avant la réforme de François Fillon, de nombreux ouvriers travaillaient 44 ou 45 ans ?

M. Yves Bur. Et c’est nous qui avons réalisé ce progrès social !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Aujourd’hui, sur les 110 000 personnes qui vont partir à la retraite, bon nombre seront des ouvriers.

Mme Valérie Rosso-Debord. Exactement !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Prenez garde : vos comparaisons ne vont pas forcément dans le sens que vous souhaitez.

Telles sont les raisons, chers collègues, pour lesquelles je pense qu’il faut rejeter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Claude Leteurtre. Je dois reconnaître que l’ambiance est vivante et que c’est une belle rentrée parlementaire. Nous sommes clairement dans un climat passionnel ; aussi vais-je m’attacher à savoir s’il est utile de renvoyer le projet en commission.

Franchement, la réponse n’est pas évidente… En tout cas, je m’interroge. Pourquoi une telle passion, alors que nous avons simplement la volonté de préserver la pérennité d’un type de solidarité intergénérationnelle ? Faut-il y voir chez les uns ou les autres une volonté de mettre à mal ce système de répartition, héritage de l’histoire et de multiples combats syndicaux de la classe ouvrière et des autres ?

À l’évidence, chacun s’est évertué avec le temps à améliorer le système. Il est clair que la droite, la gauche et le centre cherchent à préserver ce modèle. Tous sont inquiets parce qu’il semble en danger. Y a-t-il derrière un combat idéologique, avec la volonté de mettre à mal ce régime par répartition pour mettre en place, par exemple, un régime de capitalisation ?

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Bien sûr !

M. Claude Leteurtre. Très honnêtement, je crois que non, sauf à faire preuve d’un manichéisme que j’imagine mal. Tout le monde affirme au contraire sa volonté de sauvegarder cette solidarité intergénérationnelle.

Pourquoi donc un tel antagonisme alors qu’il n’y a pas de danger évident et que le but affiché par tous est le même ?

Mais peut-être le système est-il intrinsèquement en danger ; et ce danger me paraît réel dans la mesure où le financement devient nettement insuffisant. Si l’on ne fait rien, il faut clairement s’attendre à une diminution des prestations ; et, là encore, tout le monde s’accorde pour dire que ce n’est pas acceptable. Il est donc indispensable de trouver une solution.

Finalement, c’est sur les moyens et les solutions que se situe la ligne de fracture.

Pour les uns, le problème est essentiellement démographique. Davantage de gens arrivent à la retraite, la durée de vie augmente, l’espérance de vie également, et le nombre de cotisants diminue. Il est nécessaire d’évaluer la pénibilité du travail et ses répercussions en termes d’incapacité afin de donner plus d’équité à cette approche.

À l’opposé, sans vouloir caricaturer, la solution est davantage à trouver dans la recherche d’autres sources de financement. Il est suggéré explicitement ou implicitement qu’à défaut de pouvoir demander plus aux salariés et singulièrement de travailler davantage, il faut bien trouver ailleurs des sources de financement.

Bien évidemment, il n’y a aucune arrière-pensée politicienne dans tout cela (Rires et exclamations sur divers bancs), tout le monde cherche le bien des Français. Force est de reconnaître que, pour trouver une solution, il y a deux approches différentes. Dans ces conditions, il est difficile de voir l’intérêt d’un renvoi en commission. Pour le pragmatique que je suis, chercher à améliorer le texte proposé est une solution raisonnable. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à Mme Valérie Rosso-Debord.

Mme Valérie Rosso-Debord. Notre collègue Muzeau a abondamment cité nos maîtres à penser. Contrairement aux communistes, nous n’avons pas besoin de Marx, de Lénine et de Staline pour penser (Exclamations sur les bancs du groupe GDR), nous savons penser par nous-mêmes. Notre projet de loi est né de notre réflexion, fondée sur du pragmatisme. (Mêmes mouvements.)

M. le président. On se calme !

Mme Valérie Rosso-Debord. Le monde a changé depuis 1945, quoique vous en disiez. Le ratio d’actifs sur retraités, qui constitue l’indicateur déterminant de notre régime de retraite, a évolué : il était de 4 en 1960 ; il est de moins de 1,8 cette année, il sera de 1,2 en 2 050.

Nous avons un seul objectif, c’est de sauver le système de retraite par répartition,…

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Non !

Mme Valérie Rosso-Debord. …auquel vous êtes tellement attachés. Vous devriez donc le sauver avec nous et, par conséquent, voter cette réforme comme un seul homme.

Sans la réforme, le financement n’est pas garanti, quoique vous en disiez. Avec elle, ce sont 42,3 milliards d’euros qui sont assurés pour sauver le système d’ici à 2018. Vous n’avez pas trouvé, vous, le premier euro réel et responsable. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

Vous aimez citer M. Kessler ; moi, je vais vous citer Lampedusa : pour que rien ne change, il faut que tout change. Autrement dit, il faut savoir s’adapter. Le parti communiste français a démontré depuis longtemps qu’il ne savait pas s’adapter. Nous, nous rejetterons cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Sur le vote de la motion de renvoi en commission, j’ai décidé qu’il y avait lieu de procéder par scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Pour le groupe SRC, la parole est à M. Pascal Terrasse.

M. Pascal Terrasse. Le groupe GDR vient de nous inviter à voter une motion de renvoi en commission ; j’aurai l’occasion, au terme de ma brève intervention, de vous expliquer pour quelle raison notre groupe souhaite un tel renvoi. Permettez-moi tout d’abord de rappeler deux ou trois petites choses qui me paraissent importantes.

Depuis les réformes Balladur et Fillon, les arguments invoqués sont toujours les mêmes.

Si nous en dressons un premier bilan, nous constatons que seuls les salariés ont été mis à contribution. Au terme de votre réforme, ils auront ainsi contribué à hauteur de quatorze trimestres complémentaires. En quelques années, il leur a été demandé de cotiser plus, de travailler plus, pour toujours gagner moins !

M. Guy Teissier. Pour gagner plus !

M. Pascal Terrasse. Les socialistes ont eu l’occasion de rappeler leurs critiques sur l’ensemble de ces réformes. Au-delà des questions de méthode, nous avons souligné que ces dispositions étaient injustes, déséquilibrées et surtout mal financées ; nous aurons l’occasion d’y revenir tout au long du débat.

Dressons ce bilan en quelques minutes. Le constat est aujourd’hui connu : des retraités qui voient leurs pensions diminuer_ – la présidente de la CNAV, Danièle Karniewicz, qui nous écoute aujourd’hui, a raison de rappeler que la question qui doit interpeller la représentation nationale est celle du montant des pensions de retraite ; des salariés âgés privés d’emploi, mis en inactivité ou en arrêt maladie à l’âge de cinquante-cinq ans : c’est la réalité vécue aujourd’hui par une bonne part d’entre eux. Sans compter les jeunes qui ont de plus en plus de mal à décrocher un premier emploi.

Les Français, vous le savez, sont très majoritairement attachés à la retraite à soixante ans, même si, comme l’a rappelé à juste titre Marisol Touraine, certains d’entre eux souhaitent travailler au-delà. Ce marqueur social doit être maintenu. Nous avons dit les raisons pour lesquelles nous pensons que les soixante ans doivent être en particulier liés à la pénibilité. Or, comme l’a également rappelé Marisol Touraine, vous confondez allègrement pénibilité et approche médicalisée des professions.

Trop peu de Français pensent pouvoir prendre leur retraite à l’âge auquel ils le souhaiteraient. La retraite doit permettre de corriger les inégalités, et non les amplifier, comme le fera votre réforme.

Rappelons à ce propos quelques éléments des travaux que nous avons menés au sein du Conseil d’orientation des retraites. Nous y avions fait valoir que l’augmentation de l’âge de départ à la retraite à soixante-deux ans aurait un impact extrêmement limité sur les équilibres financiers et que les conséquences en seraient en outre dramatiques, en particulier pour les carrières longues ; peut-être M. Woerth nous en dira-t-il davantage tout à l’heure.

Notre projet, comme l’a rappelé Marisol Touraine, se veut efficace, et nos propositions, contrairement aux vôtres, s’inscrivent dans la durée. Nous voulons une réforme qui soit juste. Nous pensons que les efforts doivent être équitablement répartis entre les revenus du travail et les revenus du capital. Tel n’est pas le choix que vous avez fait.

M. Guy Teissier. C’est laborieux !

M. Pascal Terrasse. Nous craignons que la réforme se traduise en réalité par une fragilisation de notre système de retraite par répartition. Le Gouvernement a d’ailleurs décidé de faire main basse sur le fonds de réserve des retraites, le FRR, que nous avions créé en 2000 et qui est véritablement la caisse de retraite des jeunes générations nées après 1960.

M. Guy Teissier. Mais qu’est-ce que vous racontez ?

M. Pascal Terrasse. Ceci pour répondre à un député qui s’interrogeait sur l’utilité de ce fonds. Et je vous rappelle que nous serons comptables en 2020 de la situation dans laquelle se trouvera notre pays.

Pour les socialistes, la question des retraites est indissociable de celle de l’emploi. C’est par une politique dynamique de l’emploi, comme entre 1997 et 2001, que l’on peut parvenir à rééquilibrer l’ensemble des comptes de la protection sociale ; nous y étions parvenus ! Il faut dire la vérité, notre pays se retrouve aujourd’hui dans la situation que nous avions trouvée en 1997 : un taux de chômage de près de 10 %, un endettement majeur, et surtout une crise de confiance inquiétante, anxiogène.

Mme Marisol Touraine. La situation est pire encore !

M. Pascal Terrasse. L’enjeu des retraites, c’est d’abord celui du pacte social et républicain qui unit les Français entre eux, celui du lien intergénérationnel et du socle du vivre-ensemble qui fonde la solidarité nationale, contre l’individualisme que vous appelez de vos vœux.

M. Guy Teissier. C’est long !

M. Jean-Claude Lenoir. Ennuyeux !

M. Pascal Terrasse. Nous serons à l’occasion de ce débat une force de proposition. À chaque article, nous vous ferons des propositions très concrètes, sur tous les sujets importants de la pénibilité, des carrières longues, de l’égalité hommes-femmes et surtout du financement.

Permettez-moi de revenir aux débats de 2003, auxquels j’ai eu la chance de participer, avec quelques amis ici présents. Je passe sur les propos, évoqués par Marisol Touraine, du Président Nicolas Sarkozy, qui, dans un article du 22 avril 2008, affirmait qu’à ses yeux le droit à la retraite à soixante ans était un minimum et devait être maintenu. Au sujet de la pénibilité, je citerai quelqu’un que vous connaissez bien : Xavier Bertrand, qui n’est malheureusement pas présent. Il nous affirmait qu’une loi fixerait dans les trois ans les conditions dans lesquelles un dispositif prenant en compte la pénibilité réglerait définitivement le problème. Nous en sommes au même point, sept ans plus tard !

Je citerai également le président de l’Assemblée nationale – pour lequel j’ai beaucoup d’estime –, qui était à l’époque l’un des rapporteurs du texte. « Notre volonté est d’assurer un haut niveau des pensions de retraite », nous disait-il. Un certain nombre de pensionnés, notamment des poly-pensionnés, ont vu leurs retraites diminuer de près de 30 %. La vérité a-t-elle été dite à l’époque ?

Enfin, Marisol Touraine a rappelé que le Premier ministre assurait que sa réforme était « financée à 100 % », selon ses propres termes. On nous parle aujourd’hui d’un déficit de 30 milliards d’euros. Disons-nous la vérité ? La branche vieillesse est en déficit d’abord en raison de l’échec de la réforme de 2003. Dès 2004, soit bien avant la présente réforme, et toutes les années suivantes, il a existé un déficit tendanciel et conjoncturel.

Nous pensons que la réforme que vous proposez est dans la continuité de celle de 2003 et qu’elle ne répondra pas de manière juste et efficace aux attentes des Français. C’est pourquoi nous souhaitons un renvoi en commission.

Nous le souhaitons en outre parce que nous avons entendu dire que le Président de la République et un certain nombre de salariés de l’Élysée parlant au nom des ministres, des élus, voulaient que ce texte soit revu, et qu’ils attendaient les grandes manifestations d’aujourd’hui. Nous demandons que les amendements qui seront proposés par le Gouvernement ne nous soient pas présentés à la va-vite en séance, mais examinés avec sérieux et vérité en commission. Nous voterons donc cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour le groupe GDR.

Mme Martine Billard. Est-il utile de renvoyer ce projet de loi en commission ? (« Oui ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC. – « Non ! » sur les bancs des groupes UMP et NC.)

À l’évidence oui. Pourquoi ? À la mobilisation d’aujourd’hui, aux quelque 213 manifestations, auxquelles ont participé près de trois millions de personnes… (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Françoise Hostalier. Un million !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Non, cinq ! Six ! Non, sept millions !

Mme Martine Billard. …, mobilisation qui a reçu un soutien massif des Français, la réponse du Gouvernement est, comme d’habitude, le mépris ! Mépris à l’égard des syndicats, qui attendent toujours que le Gouvernement fasse des propositions. Mépris à l’égard des travailleurs, notamment des travailleurs en grève : j’ai trouvé assez choquant, monsieur le ministre, que vous ayez osé dire, à la séance de questions au Gouvernement de cet après-midi, qu’il y avait d’un côté les travailleurs qui faisaient grève et de l’autre ceux qui, par conscience professionnelle, ne le faisaient pas. Monsieur le ministre, si certains travailleurs ne font pas grève, c’est qu’ils ont peur de perdre leur emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais beaucoup d’entre eux se sont rendus à la manifestation après leur temps de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mépris ensuite à l’égard des femmes ; nous y reviendrons au cours du débat.

Mépris enfin à l’égard du Parlement. Comment imaginer que, sur un tel enjeu de société, il soit proposé une seule lecture, cinquante heures de débat seulement ? Comment imaginer qu’une réunion en vertu de l’article 88 ait été bouclée en quarante minutes ? On prétend que c’est la tradition de l’article 88. Or la commission qui s’est réunie cet après-midi a engagé, par le biais d’amendements acceptés par le Gouvernement, le démantèlement de la médecine du travail et l’extension de l’épargne retraite et donc de la retraite par capitalisation.

Monsieur le président de la commission, les prestations sociales ont augmenté en France parce que, tout simplement, nous sommes un des rares pays d’Europe où la population continue d’augmenter ; c’est la grande différence avec l’Allemagne. En outre, il y a la crise, cette crise dont ne sont pas responsables les travailleurs, mais bien plutôt ceux qui ont spéculé avec l’argent dont ils ont disposé grâce à vos exonérations fiscales.

Après la mobilisation d’aujourd’hui, la question n’est plus de prévoir des aménagements à la marge : c’est celle de changements au fond, monsieur le ministre, comme vous y a invité tout à l’heure Bernard Thibault à la télévision.

Madame Rosso-Debord, le monde, certes, a changé depuis 1945. C’est à cette époque que le programme du Conseil national de la Résistance a permis toutes les avancées sociales dont notre peuple est si content de profiter. Et ce sont vos maîtres à penser, avec Denis Kessler, (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC) qui veulent aujourd’hui casser ces avancées, prendre leur revanche sur elles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. André Gerin. Eh oui !

Mme Martine Billard. Nous refusons ce projet de loi. Il faut le retirer, monsieur le ministre. J’ai le souvenir d’un ministre de l’intérieur, en 2005, qui s’appelait Nicolas Sarkozy et qui expliquait au Premier ministre de l’époque, face à la montée de la mobilisation contre le CPE, qu’il fallait savoir retirer un projet. Nicolas Sarkozy président ferait bien de se souvenir des conseils de Nicolas Sarkozy ministre !

Comme Roland Muzeau l’a souligné en présentant notre motion, votre gouvernement est en sursis : c’est votre majorité, le Président de la République lui-même qui le disent ! On ne connaît pas la date du remaniement de ce gouvernement en sursis ; elle est au bon vouloir du Président. En tout état de cause, aux yeux de l’opinion publique, aux yeux de notre peuple, votre gouvernement n’est plus légitime pour passer cette loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) Vous êtes disqualifiés : les plus grandes confédérations syndicales elles-mêmes ne veulent plus discuter avec vous sur ce texte !

Notre renvoi en commission a un sens : c’est le retrait de ce projet, l’arrêt de nos travaux pour les reprendre sur un nouveau texte, qui soit une réforme de fond – elle est possible. Avec une proposition de loi présentant un financement pour le maintien de la retraite à soixante ans, les députés communistes et du parti de gauche montrent qu’il est possible de conduire une réforme juste et efficace dans ce pays, et c’est pour cela que nous souhaitons que le débat ait lieu sur le fond, non sur des miettes, comme cela va se passer parce que vous ne pouvez faire autrement, compte tenu de la mobilisation, que vous espériez bien moins importante.

Au nom du groupe GDR, mes chers collègues, je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 387

Nombre de suffrages exprimés 386

Majorité absolue 194

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à de M. François de Rugy, pour une durée de vingt-cinq minutes.

Je vous précise, mes chers collègues, qu’avec le temps législatif programmé, les temps sont certes indicatifs. À ceci près que, si les temps indiqués par les groupes ne sont pas respectés, les orateurs suivants se trouvent dans une situation particulièrement inconfortable pour connaître le moment où ils interviendront, ce soir, demain ou plus tard. Je vous indique donc, sans que ce soit une obligation absolue à ce stade de notre réflexion au sein du groupe travaillant sur l’application de notre nouveau règlement,…

M. Henri Emmanuelli. La réflexion n’est pas bonne !

M. le président. …à respecter les temps indiqués par vos groupes.

Vous avez la parole, monsieur de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, voilà donc, paraît-il, la réforme clef du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce ne sont d’ailleurs plus seulement les commentateurs ou les analystes qui le disent mais aussi les plus hauts responsables de la majorité : la réforme des retraites devrait servir à faire oublier le bouclier fiscal, le paquet fiscal de juillet 2007, les mauvais résultats aux élections locales successives et même ce terrible climat d’affairisme dont le symbole est justement l’affaire Woerth-Bettencourt.

Manifestement, les Français ne l’entendent pas de cette oreille, ils n’entendent pas se laisser aussi facilement convaincre que, tout d’un coup, le courage et le sens des responsabilités dont vous vous êtes vous-mêmes gratifiés, messieurs les ministres, dans vos interventions tout à l’heure, l’auraient brusquement emporté sur cette politique aussi injuste socialement qu’irresponsable économiquement selon laquelle on peut laisser filer les déficits et la dette pour multiplier les cadeaux fiscaux à ceux qui en ont le moins besoin.

Les Français voient bien, au contraire, le lien indissociable qui existe entre ce fameux paquet fiscal, que vous présentiez d’ailleurs vous-même, monsieur le ministre, en juillet 2007, qui distribuait les cadeaux fiscaux aux plus riches…

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Vous vous trompez, c’était Mme Lagarde.

M. François de Rugy. Vous étiez aux côtés de Mme Lagarde, c’est vrai, mais je crois que nous avions eu l’occasion de débattre à ce moment-là.

En juillet 2007, beaucoup de gens nous demandaient pourquoi nous, les députés de l’opposition, nous nous opposions à ce projet alors que la majorité venait d’être élue. Aujourd’hui, beaucoup de Français nous rendent hommage d’avoir dénoncé ces projets dès juillet 2007. Ils voient bien la terrible continuité entre vos différentes décisions.

Vous êtes d’ailleurs tellement attachés au bouclier fiscal, que vous considérez comme un symbole, que vous l’avez déclaré intouchable. Vous n’avez même pas profité de ce texte sur les retraites pour abolir la plus choquante de toutes les injustices fiscales que vous avez mises en œuvre, malgré les suggestions de nombreuses personnes, y compris de la majorité.

La mobilisation sans précédent dans les rues de France aujourd’hui même est la démonstration éclatante que les Français ne sont pas dupes et qu’ils n’entendent pas se laisser faire sans réagir.

Depuis 2007, vous nous avez habitués à des projets de loi fouillis, peu lisibles, souvent d’ailleurs non appliqués, sinon obsolètes à peine leur examen terminé. Et, à chaque fois, vous nous avez asséné, pour asseoir la légitimité de votre démarche, que le contrat que vous aviez passé avec les Français lors de l’élection présidentielle justifiait cette précipitation et cette absence totale d’écoute de notre assemblée.

Aujourd’hui, de l’aveu même du Président de la République, votre texte contient des mesures pour lesquelles vous n’avez pas reçu mandat des Français. J’y reviendrai plus tard mais je tenais à le souligner dès à présent : ce texte est clairement « hors contrat ». Il ne correspond pas à des orientations sur lesquelles les Français se seraient exprimés à l’occasion de l’élection présidentielle, ou de l’élection qui nous a portés, les uns et les autres, sur les bancs de l’Assemblée nationale.

Circonstance aggravante, ce texte ne traite pas d’un sujet banal mais d’un des éléments essentiels du contrat républicain qui, depuis 1945, lie les citoyens entre eux, engage les générations les unes au regard des autres, et fonde une partie de cette identité nationale que vous avez prétendu par ailleurs défendre. Faut-il rappeler qu’en 1945, le système retenu a été le résultat d’un compromis entre les principales forces politiques de l’époque, issues de la Résistance, gauche et droite confondues. Il aurait donc été parfaitement légitime qu’une réforme de ce compromis soit également l’occasion d’une négociation et d’une recherche de consensus.

Dans ces conditions, on comprend l’attitude de l’immense majorité de nos concitoyens, attitude qui a trouvé aujourd’hui même sa traduction dans les rues de nos villes : les Français sont inquiets pour leur retraite, ils n’acceptent pas l’injustice pas plus que le passage en force ou la politique du fait accompli.

Cette angoisse et cette colère, pourrez-vous les comprendre – nous n’imaginons pas que vous puissiez les partager ? À en lire les dernières déclarations souvent belliqueuses de responsables de l’UMP, on en doute malheureusement.

Mais si le rôle de l’opposition est de répercuter ce sentiment populaire dans cette Assemblée, il est aussi de son devoir – en tout cas, nous, écologistes, nous allons le faire – de vous interpeller, de tenter de modifier vos propositions et d’indiquer aux Français quelle est notre vision sur une question aussi essentielle pour la cohésion de notre société, pour le « vivre ensemble » et, pour tout dire, pour la République, du moins dans l’idée que nous nous en faisons.

Que nous demandent nos concitoyens ? Ils et elles veulent – c’est bien le moins – qu’on soit en mesure de leur assurer une compréhension des enjeux, qu’on leur trace des perspectives crédibles et que, sur une question aussi vitale, ce soit le sens des responsabilités qui prévale.

C’est à cette aune du sens des responsabilités que je vous propose d’examiner, ici, le texte que vous nous soumettez. Chacun a en tête les conditions particulières dans lesquelles ce débat s’engage, l’instabilité – oserais-je dire l’insécurité, mot qui vous est cher – dans laquelle évolue ce gouvernement et la situation particulière qui est la vôtre, monsieur le ministre en charge de ce dossier. Chacun mesure la difficulté qui est la vôtre : les affaires qui vous préoccupent, sinon vous occupent, entrent à l’évidence en conflit avec la nécessaire sérénité qui devrait s’imposer sur des questions aussi ardues et aussi sensibles pour les Français. Nous ne sommes pas les seuls à le dire : M. Chérèque et M. Thibaut, secrétaires généraux respectivement de la CFDT et de la CGT, les deux principaux syndicats de France, l’ont déclaré tout récemment dans une interview au journal Les Échos.

Comment nos compatriotes pourraient-ils accorder la moindre confiance à une réforme dont le principal promoteur, au sein du Gouvernement, prend si facilement de telles libertés avec la vérité, y compris dans les déclarations qu’il réserve aux membres de l’Assemblée nationale – nous en avons été témoins à de nombreuses reprises lors des séances de question au Gouvernement ? Comment faire confiance à un gouvernement moribond, dont les jours sont comptés par la volonté présidentielle elle-même…

M. Alain Bocquet. Un Gouvernement en fin de vie !

M. François de Rugy. …et qui entend, dans l’urgence, mettre en œuvre, comme dans un dernier mauvais coup avant de passer la main à d’autres, une réforme aussi importante pour nos concitoyens ?

Légiférer dans ce contexte et dans ces conditions, ce n’est pas faire preuve d’une attitude politique responsable.

Pour justifier votre précipitation à agir, vous citez nos voisins, et vous agitez les chiffres. Vous nous dites que les autres pays européens, qui connaissent des situations démographiques peu ou prou identiques – ce qui est d’ailleurs discutable – ont tous, sans exception, engagé des réformes de leur système, qui se sont traduites par des augmentations sensibles de la durée de vie au travail.

Nous aussi, les écologistes, nous avons toujours pensé que nous avions à apprendre de nos voisins. Chez eux, les réformes dont vous nous parlez ont été longuement négociées, et chaque pays a défini sa voie à la suite d’un consensus large qui a su associer les acteurs sociaux. Rien de tel dans votre démarche. Chaque pays a trouvé sa propre voie à partir d’un compromis social et politique interne, propre à chaque pays. Alors, oui, inspirez-vous de ce qui a été fait dans d’autres pays et lancez enfin une vraie négociation au lieu de passer en force.

Partout, derrière les âges annoncés, il y a la réalité des âges effectifs de départ en retraite, vous le savez très bien. Il y a la réalité des taux d’activité des plus de cinquante ans – arrêtons d’employer cette expression aussi vague que floue de « seniors » : dans la plupart des cas, ils sont totalement différents de celui que nous connaissons en France.

M. Yves Cochet. Il a raison !

M. François de Rugy. Ailleurs, contrairement à ce que vous prétendiez ici même cet après-midi, on a su trouver des modes de prise en compte de la pénibilité qui ne sont pas toujours uniquement liés à des mesures médicales individuelles.

Bref, comparaison n’est pas raison, monsieur le ministre, et l’appel à un simple alignement ne veut alors plus rien dire.

De ce point de vue, laissez-moi vous dire que, même si elle n’est pas concertée avec vous, l’intervention de ce jour de M. Barroso au Parlement européen dans notre débat politique n’est pas acceptable.

M. Alain Bocquet. En effet !

M. François de Rugy. Que chacun assume donc les responsabilités qui sont les siennes. Quand la Commission européenne aura réussi à mettre enfin en place une vraie politique de contrôle des institutions financières et de lutte contre les paradis fiscaux – ce qui est de son ressort –, elle pourra peut-être se croire autorisée à se mêler de nos débats. Quand elle aura proposé une véritable politique de régulation du commerce mondial – ce qui est de sa compétence – alors que la dérégulation coûte si cher en termes de destructions d’emplois industriels dans un pays comme la France, quand la Commission européenne aura fait son travail dans ce domaine, alors elle pourra commencer à avoir un début de crédibilité sur la question de la protection sociale en général et des retraites en particulier. Pour l’instant, c’est à nous qu’il revient de définir, dans le cadre d’un vrai débat national, notre système de retraites.

Notre système de retraites par répartition est, dites-vous, au bord du précipice et il convient de le réformer profondément si on veut le sauver. Ce qui est étonnant, c’est que vous ne l’ayez pas dit aux Français il y a un peu plus de trois ans, lors de l’élection présidentielle.

Oui, nous voulons défendre le système de retraites par répartition, contrairement à beaucoup de responsables, d’élus, de ministres de la majorité, qui défendaient encore il y a quelques années le remplacement du système de retraites par répartition par un système de capitalisation dont on a vu l’extrême fragilité lors de la crise financière.

Oui, la situation financière de nos caisses de retraites et leurs perspectives d’évolution sont mauvaises.

Oui, il faut réformer le mode de financement des retraites. Car contrairement à ce que vous martelez depuis des mois, le problème n’est pas d’abord démographique mais bel et bien financier.

Oui, il faut négocier un nouveau pacte de solidarité entre les générations, entre les actifs de tous âges, qu’ils soient jeunes et loin de la retraite ou plus âgés et proches de la retraite, et les retraités actuels.

De cela, je crois que nous sommes toutes et tous profondément convaincus, et les syndicats, dont vous aimez malheureusement à caricaturer le prétendu immobilisme, sont les premiers à le dire. Nous avons tous perçu les effets combinés du baby-boom devenu un papy-boom et de l’allongement de la durée de la vie.

Nous voyons tous clairement que la dégradation ou la stagnation de l’activité économique et de l’emploi, à laquelle vous n’êtes tout de même pas totalement étrangers, messieurs du Gouvernement, fait peser sur les comptes sociaux des dangers considérables.

Alors oui, si votre texte proposait des solutions qui permettaient de garantir un réel et durable retour à l’équilibre du système, du point de vue de son financement, ce serait effectivement un signe de responsabilité. Le problème, c’est qu’il n’en est rien.

Votre réforme, monsieur le ministre, est avant tout fondée sur un hold-up effarant : celui du fonds de réserve des retraites, dont vous organisez la ponction anticipée, au risque de rendre encore plus difficile, vous le savez bien, le passage du pic démographique qu’il était censé accompagner aux alentours de 2020. Le système de répartition français sera totalement désarmé au moment où il sera le plus en difficulté.

Votre réforme s’accompagne d’une croyance aveugle dans les effets d’une croissance future, d’un retour à la croissance, dont chacun sait qu’elle est, par essence, aléatoire et de plus en plus difficilement soutenable.

Vous ne nous entendrez jamais dire, monsieur le ministre, pour le financement des retraites comme pour la résorption des déficits : la croissance paiera. Nous savons bien que cela ne suffira jamais et c’est bien pour cela que nous voulons des mesures responsables dans lesquelles l’effort demandé est équitablement réparti et qui n’excluent pas de mobiliser de nouvelles ressources.

Votre réforme ne prévoit pas de mobiliser autant qu’il serait nécessaire les revenus du capital, qui constituent à nos yeux un complément de financements indispensable du système de retraites autant qu’un impératif de justice fiscale : 95 % des efforts seront portés par les salariés, 5 % par le capital, voilà la vérité que vous tentez maladroitement, et avec de moins en moins de succès, de cacher aux Français.

Cette contribution des revenus financiers est d’autant plus justifiée que ce sont ces revenus qui ont le plus augmenté au cours des trois dernières décennies. Leur part dans le partage de la valeur ajoutée a augmenté au détriment des salaires depuis la fin des années soixante-dix, tout le monde le sait. Il faut savoir s’adapter, monsieur le ministre, il ne faut pas rester figé dans des solutions qui datent d’une époque où la répartition des richesses était bien différente. Il faut savoir tenir compte de cette nouvelle donne.

Votre réforme ne s’accompagne pas d’une politique de l’emploi dynamique et réellement audacieuse, une politique qui chercherait à créer des emplois nouveaux, pour optimiser les recettes des régimes de retraites, une politique qui serait l’inverse de cette mesure qui n’a jamais été aussi anachronique que l’exonération de cotisation des heures supplémentaires qui coûte si cher au budget de l’État et de la protection sociale. Une politique qui intégrerait réellement la volonté croissante des salariés de préparer leur retraite, et donc de transmettre le flambeau aux générations nouvelles, par des dispositifs concrets de parrainage par exemple. Une politique qui s’attaquerait réellement au taux d’emploi de ceux que nous appelons si bizarrement les « seniors ».

À qui fera-t-on croire que c’est par une énième exonération de charges sociales que l’on réglera la question ? Si l’on crée des emplois qui ne génèrent aucune cotisation nouvelle, ce sera intéressant pour les employés, mais cela ne réglera pas le problème du financement de la protection sociale, au premier rang de laquelle les retraites.

Au final, et quand bien même vos objectifs et vos hypothèses hautement contestables de croissance et de taux d’activité seraient tenus, on est très loin de la fameuse réforme audacieuse et définitive que tente de nous vendre un Président à bout de souffle. Cela n’est pas plus crédible que quand le même Président de la République, alors encore candidat, disait que le problème du financement des retraites serait réglé par une simple réforme des régimes spéciaux. Voilà ce que l’on avait dit aux Français en 2007. On en voit aujourd’hui le résultat !

Votre réforme est censée permettre une élimination des déficits des régimes de retraites dans huit ans, nous dites-vous, monsieur le ministre. Une perspective que vous avez jugée « suffisamment proche pour être compréhensible par les Français ». On se demande parfois si vous ne sous-estimez pas l’intelligence de nos concitoyens.

Parce que non seulement ils peinent à vous croire dans vos calculs sur la comète, mais encore ils ont parfaitement compris la manoeuvre qui consiste à charger la barque des générations futures, et notamment des plus jeunes, sans garantir un cadre réellement pérenne et juste de financement pour le système par répartition.

Cette réforme est à courte vue, et terriblement symptomatique de votre politique.

Au fond, votre discours a le mérite de la clarté, pour ne pas dire du cynisme. Aux retraités d’aujourd’hui, et à ceux qui s’apprêtent à prendre leur retraite, vous dites : « Rassurez-vous, votre retraite est garantie ! » Et aux autres, à tous les autres, les jeunes, les femmes qui connaissent des carrières discontinues, les chômeurs, qu’avez-vous à proposer ? Rien d’autre que la certitude de devoir travailler plus longtemps, et tout cela sans la moindre contrepartie positive en termes de retraite.

Au fond, tout se passe comme si vous aviez effectué un choix politique et électoraliste cynique, en faisant une croix sur les générations montantes et les plus démunis de nos concitoyens, et en focalisant vos attentions sur les plus aisés et les plus âgés, en un mot sur une partie de la population que vos conseillers et ceux de l’Élysée désignent comme votre « cible électorale ». Cette politique, qui est en œuvre dans tant de domaines de votre action, porte en elle les germes d’une désagrégation malsaine de notre pacte républicain. Elle trouve ici, sur la question des retraites, une traduction insupportable parce qu’elle est une rupture du pacte de solidarité intergénérationnelle sur lequel repose le système de retraites par répartition. Tous les sondages, toutes les études d’opinion montrent que ce sont les plus jeunes qui ont le plus d’inquiétudes sur l’avenir des retraites. On pourrait penser qu’ils en sont les plus éloignés, les moins préoccupés, et pourtant ce sont eux qui ont le moins confiance dans le système de retraites par répartition, et c’est ce qui est particulièrement grave pour le pacte de solidarité intergénérationnelle.

Dans les faits, tout, dans votre discours comme dans vos propositions, tend à faire croire que notre système est un système de capitalisation collective, de cotisations anticipées pour des prestations différées.

Cette vision n’est pas la nôtre et nous paraît profondément irresponsable. C’est la raison pour laquelle nous, écologistes, lions la question de la retraite et celle du revenu minimum garanti. Il faudra bien en reparler lorsque nous aborderons le sujet des très petites retraites, que ce soit les retraites agricoles ou celles de ceux qui n’auront pas cotisé pendant quarante et un ans, bientôt quarante-deux ans. C’est la raison pour laquelle nous nous refusons, dans ce domaine comme dans les autres, à opposer entre eux les Français et à promettre aux uns une sécurité factice, au détriment des droits et des espérances des autres.

C’est la fondation Terra Nova qui le relève justement aujourd’hui : « Dans la réforme gouvernementale, les jeunes générations vont ainsi payer trois fois. Cotiser plus, avec le recul de l’âge légal. Percevoir des retraites plus faibles, avec la baisse programmée du rendement des retraites inscrite dans les lois Balladur et Fillon. Et, cerise sur le gâteau, le Gouvernement siphonne les 34 milliards d’euros du Fonds de réserve des retraites qui leur étaient destinés : on prend aux actifs de demain pour donner aux retraités d’aujourd’hui. »

Mais ce qui fonde la retraite par répartition, c’est un pacte permanent entre les cotisants et les bénéficiaires de la retraite. Faire vivre ce pacte suppose trois conditions : qu’il soit équitable dans son application, qu’il soit partagé et négocié en permanence dans le cadre d’une démocratie sociale digne de ce nom, et qu’il fasse appel aux sources de financement les plus diversifiées et les plus justement réparties.

L’inéquité de vos propositions, nous y reviendrons au cours de notre discussion. Je me contenterai ici de rappeler que tous les acteurs sociaux ont exprimé leurs craintes pour la situation faite aux femmes, aux polypensionnés et aux salariés qui ont connu une carrière longue et pénible, qui ont commencé à travailler très tôt. Les mobilisations sociales en cours, les préventions d’une partie même de votre majorité, le travail de notre assemblée vous permettront-ils d’évoluer sur ces questions ? Espérons-le, et nous serons sur ces points des opposants qui proposent. Mais je ne me fais pas d’excessives illusions, malheureusement. Et que les choses soient bien claires : nous refuserons notamment toute approche de la pénibilité qui renverrait à de simples négociations par branche, laissées à l’entière appréciation d’un patronat qui s’est déjà largement exprimé pour refuser toute approche autre qu’individuelle de la pénibilité professionnelle. Car cela, ce n’est qu’une parodie de démocratie sociale. C’est la possibilité offerte à un seul interlocuteur de bloquer toute discussion sérieuse, toute avancée, comme le fait le patronat depuis trois ans. Non, sur la pénibilité, nous ne nous contenterons pas d’une telle poudre aux yeux.

Je parlais à l’instant de démocratie sociale. Sur ce point, que dire, sinon que le compte n’y est pas ? La négociation, vous la mimez plutôt que vous ne la pratiquez ! Vous avez, monsieur le ministre, reçu successivement tous les responsables politiques, comme les organisations syndicales.

Mme Catherine Coutelle. Jamais ensemble !

M. François de Rugy. Vous les avez poliment écoutés – je le sais, je vous ai rencontré au nom des Verts avec Cécile Duflot ! –, mais de ces rendez-vous, qu’avez-vous retenu ? De l’avis de tous vos interlocuteurs, rien, ou presque. Et le résultat, vous le constatez aujourd’hui dans la rue. J’ai reçu il y a quelques jours, à Nantes, dans ma permanence, les unions départementales des syndicats de salariés de Loire-Atlantique, dans toute leur diversité, avec leurs différentes sensibilités. Ce que je retiens, outre leur grande mobilisation, c’est que, après qu’ils eurent sollicité l’ensemble des parlementaires locaux, aucun d’entre eux n’a reçu réponse d’un représentant de l’UMP !

M. Jean-Louis Gagnaire. Ça manque un peu de courage !

M. François de Rugy. Aucun dialogue n’a été engagé, pas même sur le terrain dans les circonscriptions !

Mais il y a encore plus déplorable que ce comportement du moment : dans sa philosophie, comme dans ses dispositions, votre texte tourne le dos à la nécessaire responsabilisation des acteurs sociaux. Dans le cours de la discussion, nous serons amenés à défendre un principe à nos yeux essentiel : celui d’une démocratie sociale réelle et régulière, qui ne se pratique pas par une logique d’à-coups. Nos concitoyens ont le sentiment que nous avons jusqu’ici préféré des réformes successives à une gestion au long cours des retraites. Le point commun entre toutes ces réformes, c’est ce sentiment désespérant d’une dégradation continue de la protection sociale des Français, d’une érosion permanente des droits. Bien loin de rassurer nos concitoyens et de rétablir leur confiance dans notre système de retraites, cette technique de la réforme par à coups génère un sentiment d’insécurité et d’amertume. Elle empêche le nécessaire dialogue social et la recherche de consensus dynamiques, sans lesquels il n’y a pas de système légitime et pérenne. En auditionnant les acteurs sociaux à la queue leu-leu, en refusant la logique de négociation, vous avez prétendu « prendre vos responsabilités ». Dans les faits, vous les avez fuies.

Je lisais hier sous la plume d’un de nos collègues de l’UMP, apparemment inquiet de la tournure de ce dossier, une phrase assez cocasse : il espérait que « les syndicats se mettent rapidement autour d’une table », Mais pour qu’il y ait une table de négociations, encore faudrait-il qu’il y ait négociations !

Dans la réalité de votre texte, il y a certes l’instauration d’une instance de plus – encore un machin aurait dit le général de Gaulle ! –, un comité de pilotage, qui vient se superposer aux organes existants sans véritablement répondre au besoin identifié par tous : celui d’un dialogue permanent, ponctué de rendez-vous réguliers et de décisions adaptées à l’évolution des modes de vie comme des comptes des caisses de retraites. Des rendez-vous, il y en aura d’autres, car notre système aura besoin d’ajustements successifs au cours du temps.

Au fond, monsieur le ministre, on touche à la quintessence de votre texte. Faute de confiance de l’opinion, faute de capacité à mettre en mouvement la société, et ses représentants sociaux et professionnels, faute également d’avoir véritablement tranché les débats agitant votre camp qui continue d’abriter des partisans de la capitalisation, vous avez voulu concocter seul, entre la rue de Varenne et l’Élysée, une réforme qui touche tous les Français.

Et, pour être bien certain de ne pas voir votre édifice instable mis à mal, vous nous imposez aujourd’hui, au pas de charge et dans l’urgence, une discussion que vous avez par avance fermée sur bien des points.

Face à cette attitude, nous ne pratiquerons pas la politique du pire. Nous nous battrons, certes, pour vous inciter à réécrire le projet. Mais nous ne mènerons pas de bataille d’arrière-garde, ou de guérilla parlementaire inutile : nous participerons sérieusement à l’examen de chaque article, afin d’arracher, autant qu’il sera possible – et c’est de vous que cela dépend – des améliorations concrètes pour les salariés de notre pays. Ce sera là, pour nous, le signe d’une attitude responsable.

Une responsabilité qui nous amènera également à aborder de front les propositions que nous souhaiterions voir mises en œuvre à l’occasion d’une alternance démocratique que nous espérons prochaine.

Oui, il y a sur les retraites comme dans d’autres domaines, une voix de l’écologie politique qui s’affirme et entend se faire entendre. Cette voix, elle parie sur la liberté de choix des salariés, sur leur capacité à arbitrer, en fonction de leur situation personnelle, entre leur souhait d’accéder à une autre phase de leur vie personnelle et leurs revenus. Cela suppose tout à la fois un maintien du droit à partir à soixante ans, des règles claires et stabilisées en matière d’annuités de cotisations, comme pour le niveau des pensions.

Nous défendons le droit à la retraire à soixante ans. Un droit, cela n’a jamais été une obligation, les Français le savent bien – il est inutile de caricaturer ! Un droit, c’est une protection, notamment pour les plus faibles. Un droit, c’est enfin la garantie d’avoir la liberté de choix, et j’avais la faiblesse de penser que vous pourriez entendre cet argument !

Cette voix écologiste, elle fait le choix de la multiplication des voies de financement,…

M. le président. Monsieur de Rugy, à titre indicatif, vous avez atteint le temps que vous aviez indiqué. Par correction pour vos collègues, essayez de le respecter !

M. François de Rugy. Monsieur le président, je n’ai pas voulu vous répondre tout à l’heure lorsque vous avez parlé du temps programmé, mais je le dis devant tous nos collègues parce que c’est un sujet que nous avons évoqué au bureau de l’Assemblée nationale : la contrepartie du temps programmé, par lequel vous avez voulu restreindre les capacités de débat, c’était que nous serions libres d’intervenir un peu plus longuement ou un peu plus brièvement sur différents sujets en fonction de ce qui se serait dit avant. Si on ne peut plus le faire, alors il faut supprimer l’ensemble du temps programmé, pas une partie seulement du dispositif !

M. le président. Je viens de vous dire, monsieur de Rugy, que votre temps de parole était une indication mais que vous pourriez vous y tenir par respect pour les collègues qui doivent intervenir après vous !

M. François de Rugy. Mais il n’y a aucun problème ! J’aimerais que nous ne soyons pas interrompus pour des motifs tenant à la procédure. Nous ne nous sommes d’ailleurs livrés à aucune manœuvre de procédure en ce qui nous concerne. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, il faut lui donner un coup de règle sur la tête !

M. François de Rugy. Monsieur le président, si maintenant des collègues nous menacent physiquement, où va-t-on ? Retirez vos propos, monsieur Jacquat ! J’ai toujours été contre la violence à l’école. D’ailleurs, je suis petit-fils d’un instituteur qui n’a jamais pratiqué les coups de règle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) J’ai passé l’âge d’être élève et vous n’êtes pas professeur. J’espère que vous ne vous comportez pas de la sorte avec vos électeurs, car ils vous renverraient assez vite à vos chères études !

J’en reviens à ce sujet sérieux du financement de notre système de retraites par répartition. Nous faisons le choix de la multiplication des voies de financement parce qu’il est toujours plus acceptable, socialement et financièrement, de pratiquer des hausses réparties et contenues plutôt que de charger la barque de tel ou tel contributeur. Et je le dis très clairement, monsieur le ministre, nous écartons la voie de la hausse massive et généralisée des cotisations sociales, qu’elles soient salariales ou patronales, car nous savons très bien que ce sont les salariés qui en paieront le prix dans la mesure où le blocage des salaires aura pour effet de rogner leur pouvoir d’achat. Oui, il faut répartir l’effort, monsieur le ministre, notamment par la mise à contribution des revenus du capital ou des revenus exceptionnels comme les stock-options – nous en reparlerons dans nos débats et nous défendrons des amendements !

Nous refusons la perpétuation de pratiques insupportables pour nos concitoyens, et notamment les retraites-chapeaux dont nous défendrons la suppression pure et simple. Nos concitoyens aspirent à une exemplarité forte de leurs représentants. Oui, nous reparlerons aussi de nos retraites de parlementaires, car si c’est anecdotique d’un point de vue financier c’est symboliquement important ! Et nous plaiderons pour l’alignement strict sur le régime général.

M. Yves Cochet. Très bien !

M. François de Rugy. Nous refusons de nous en remettre à la seule croissance pour redonner à nos régimes de retraite l’oxygène financier qui leur fait défaut.

Si l’on continue à asseoir essentiellement les recettes sur les cotisations salariales et si, dans le même temps, on ne fait rien pour réorienter la répartition des gains de productivité et des bénéfices, on n’arrivera à rien, sinon à l’appauvrissement des salariés !

Si nous ne faisons pas preuve d’audace pour mettre fin à l’exception française en matière d’emploi des plus de 50 ans, nos discussions sur l’âge de départ ou le nombre d’annuités resteront, pour nos concitoyens, douloureusement théoriques. C’est pourquoi nous plaidons pour l’instauration de contrats spécifiques destinés à faciliter l’intégration, sur les postes disponibles dans les trois fonctions publiques, des salariés de plus de 50 ans qui ne trouvent pas leur place sur le marché du travail au prétexte qu’ils seraient un peu moins compétitifs ou un peu moins productifs, alors même qu’ils sont riches de compétences et d’expériences.

Cela, personne ne peut le faire seul. Cela suppose une ouverture, une aptitude à intégrer les leçons de l’expérience comme les revendications des salariés et de leurs organisations, et à prendre en compte les impératifs de nos entreprises.

Ce n’est pas facile, certes, mais c’est la responsabilité d’un gouvernement. Élaborer un compromis avec les partenaires sociaux, pratiquer une large concertation parlementaire, laisser le temps à la représentation nationale de définir l’équilibre dynamique qui permettra de garantir aux Français le juste pacte entre les générations : c’est là qu’était, monsieur le ministre, votre responsabilité.

Ce compromis, cet équilibre, vous ne les avez pas trouvés, pour une raison simple : vous ne les avez pas recherchés. Croyez-vous que les Français soient dupes de votre parti pris idéologique ? Lorsque l’on entend certaines déclarations du Président de la République, sa façon de parler de la retraite à 60 ans qui a été une conquête, un progrès social de 1981, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a dans votre projet comme un parfum de revanche.

Ce compromis, cet équilibre, les trouverez-vous au cours de nos débats ? Il n’est pas trop tard. Jusqu’ici, vous avez fait fi de vos responsabilités politiques, vous avez mimé la responsabilité financière, vous avez ignoré la responsabilité sociale, vous avez refusé de considérer vos interlocuteurs comme des partenaires responsables. Alors que s’ouvre la discussion et que des millions de Françaises et de Français partagent inquiétude et colère, ressaisissez-vous, monsieur le ministre, et engagez, enfin, une vraie négociation. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour une durée indicative et recommandée de vingt minutes. (Sourires.)

M. Jean-Luc Préel. Pour le Nouveau Centre, la réforme des retraites est indispensable.

Elle est indispensable pour sauvegarder notre régime de retraite basé sur la répartition et pour redonner confiance à nos jeunes, qui ont l’impression de cotiser aujourd’hui sans être assurés de bénéficier demain de droits à une future retraite.

Cette réforme est nécessaire en raison de trois facteurs principaux. Tout d’abord, le « papy boom » : à partir de 1945, on compte 800 000 naissances par an, contre 450 000 les années précédentes. Ces générations nombreuses arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. Ensuite, l’augmentation de la durée de vie d’environ un trimestre par an, qui est une très bonne chose mais qui, bien entendu, a pour conséquence une augmentation de la durée de versement de la pension de retraite. Enfin, les recettes sont constituées pour l’essentiel par les cotisations liées aux salaires et donc dépendantes de la croissance, de la masse salariale, de l’emploi et du chômage.

Les prestations de retraite pèsent 13 % du PIB, et le déficit du seul régime général pour 2010 s’élève à 10 milliards d’euros. Les travaux du Conseil d’orientation des retraites, dont personne ne conteste le sérieux, aboutissent à une conclusion alarmante. Les projections démographiques ne peuvent être mises en doute, puisque les futurs retraités de 2020, 2030 et 2050 sont déjà nés ! Malgré des estimations économiques plutôt optimistes – un taux de productivité de 1,5 % et un chômage à 7 % –, le besoin de financement de l’ensemble des cinq régimes principaux serait de 48,8 milliards en 2020.

Compte tenu de ces données, la réforme de notre système de retraite est indispensable si nous voulons assurer sa pérennité. Un consensus devrait d’ailleurs pouvoir être obtenu, comme ce fut le cas dans de nombreux pays.

Pour le Nouveau Centre, la réforme, pour être réussie et acceptée, doit répondre à cinq critères.

Premièrement, nous devons affirmer notre attachement à la retraite par répartition, modèle de solidarité intergénérationnelle puisque ce sont les actifs qui paient pour les retraités, la solidarité nationale assurant par ailleurs le non-contributif – correspondant aux accidents de la vie – par l’intermédiaire du Fonds de solidarité vieillesse, alimenté par la CSG et aujourd’hui déficitaire de 4 milliards. Un point me paraît d’ailleurs curieux. Tout le monde défend le principe de la répartition, mais réclame d’autres financements par des impôts et des taxes. Il y a là une certaine contradiction, une évolution vers l’étatisation tournant le dos au principe de la répartition. Pourquoi pas ? Mais il convient d’en avoir conscience.

La deuxième condition à laquelle le Nouveau Centre est attaché est que la réforme permette l’équilibre financier à terme. Nous ne souhaitons pas nous arrêter au milieu du gué.

La troisième condition fondamentale est que la réforme soit juste et équitable. Aujourd’hui, nous comptons trente-huit régimes obligatoires de base et complémentaires, inégalitaires en terme de niveau de prestation comme de durée et de taux de cotisation. La réforme, pour être acceptée de nos concitoyens, doit opérer une simplification, tendre vers un régime unique faisant appel au même effort pour tous. Le Nouveau Centre, j’y reviendrai, demande une réforme systémique, un régime universel à points ou à comptes notionnels avec mise en extinction des régimes spéciaux.

Ne pas saisir cette occasion pour le faire est une grave erreur. J’entends bien qu’il faut du temps : les Suédois y ont mis douze ans. Raison de plus pour engager d’urgence cette évolution ! J’entends bien qu’un changement systémique ne résout pas les problèmes financiers d’un coup de baguette magique, mais il y contribue puisque, par définition, un système par points, définissant la valeur d’achat et de liquidation du point, assure l’équilibre.

La quatrième condition est que soit donnée à chacun la liberté de choix du moment de départ à la retraite, ce que permet justement un système par points.

Enfin, le cinquième critère, très important, est l’amélioration de l’employabilité des seniors, ainsi que la prise en compte de la pénibilité, du problème des petites retraites, de la situation des veuves et de celle des polypensionnés.

Tels sont les principes auxquels le Nouveau Centre est attaché.

Messieurs les ministres, vous nous présentez un projet qui a l’ambition d’aboutir à l’équilibre en 2018 de façon à sauvegarder notre système de retraite, et qui amorce un certain rééquilibrage entre le privé et les fonctionnaires.

La réforme est progressive, très progressive. Elle ne touche pas aux retraites liquidées, et maintient le niveau des pensions.

Les deux mesures principales sont l’augmentation de la durée d’activité exigée pour une retraite à taux plein et l’utilisation du Fonds de réserve pour les retraites. Le Nouveau Centre en approuve le principe.

Dans la mesure où la retraite par répartition dépend de données démographiques, il est juste d’en tenir compte. L’espérance de vie augmentant, la durée de versement de la prestation retraite augmente également, et il est logique dans ces conditions de relever progressivement l’âge auquel on peut demander la liquidation de sa retraite. Tous les pays européens ont d’ailleurs des âges de départ plus tardifs que nous.

Cette augmentation sera de quatre mois par an à partir du 1er juillet 2011, pour atteindre 62 ans en 2018. Mais, pour les régimes spéciaux, afin de tenir compte de la réforme Fillon de 2003, elle ne commencera qu’au 1er janvier 2017 : six ans plus tard ! Nous devrions ainsi, en principe, économiser 19 milliards. Nous sommes encore loin des 48 milliards !

En parallèle, l’âge du taux plein, où l’on peut partir à la retraite sans décote, qui est aujourd’hui de 65 ans, sera augmenté au même rythme de quatre mois par an pour atteindre 67 ans en 2018. Ce report, parallèle au précédent, est logique, mais il pénalisera les carrières incomplètes, notamment celles des femmes.

Ces reports sont contestés par l’opposition, qui ne propose toutefois rien, hormis une augmentation de la fiscalité. Les socialistes au pouvoir n’ont rien fait pour sauvegarder les retraites. Ce sont Édouard Balladur et François Fillon qui ont pris des mesures courageuses, très contestées à l’époque, mais sur lesquelles personne aujourd’hui n’envisage de revenir. Dans le système par répartition auquel nous sommes tous très attachés, les problèmes démographiques, notamment la durée de vie, sont fondamentaux. Ne pas en tenir compte est faire preuve d’un aveuglement incompréhensible, ou plus simplement d’une démagogie regrettable.

Bien entendu, ces mesures d’âge doivent prendre en compte l’employabilité des seniors, la pénibilité et les carrières longues, c’est-à-dire les carrières de ceux qui ont commencé à travailler tôt. Le texte, pour l’instant, est insuffisant sur ces sujets. Il doit être amélioré, nous promet le Gouvernement. Il est cependant regrettable, et le mot est mesuré, que nous ne connaissions pas ses propositions, alors que la commission s’est réunie en juillet et que la discussion a commencé en séance publique. Une telle situation est-elle conforme à la volonté affichée et répétée de renforcer le rôle du Parlement ?

L’emploi des seniors est un réel problème, les entreprises ayant tendance à s’en séparer pour réaliser des économies de salaire, ou parce qu’ils deviennent moins performants, alors qu’ils sont la mémoire de l’entreprise, qu’ils disposent d’un savoir, de compétences, et qu’ils pourraient encadrer les jeunes.

Certes, la France est mal placée lorsque l’on retient la tranche d’âge allant de 55 à 64 ans, avec un taux d’emploi de 38,2 %. Mais je regrette, monsieur le rapporteur, que vous ayez repris tout à l’heure cette donnée car, si l’on retient la tranche de 55 à 59 ans, ce qui est plus juste compte tenu de la retraite à 60 ans, le taux est de 56,3 %, ce qui nous situe dans la moyenne européenne, et non en dessous. Le report d’âge à 62 ans devrait d’ailleurs entraîner une amélioration du taux.

Reste que des mesures doivent être prises pour favoriser l’emploi des seniors. Le texte prévoit une aide à l’embauche d’un an, une incitation au développement du tutorat. Des progrès sont encore nécessaires. Nous attendons avec impatience les propositions du Gouvernement.

La pénibilité est également un réel problème. Francis Vercamer, auteur d’un rapport remarquable, y reviendra. Il a déposé des amendements qui, je l’espère, seront pris en compte. En effet, le texte est, en l’état, trop restrictif car il ne prend en compte que les personnes ayant un taux d’invalidité de 20 % lié à une maladie professionnelle ou à un accident du travail.

Alors que l’on s’apprête à exiger une durée de cotisation plus longue pour bénéficier d’une retraite à taux plein, il est nécessaire de veiller à prendre en compte la pénibilité. Certes, les partenaires sociaux n’ont pu se mettre d’accord depuis 2003. Certes, dans tous les pays, ce problème est réglé au cours de la carrière et non par la retraite. Mais nous devons, entre autres, renforcer le rôle de l’observatoire des pénibilités, améliorer la santé au travail, prendre des mesures de prévention, tracer la pénibilité dans un carnet de santé au travail, réparer la pénibilité par des accords de branche, tenir compte l’exposition à des facteurs cancérogènes.

Enfin, une remarque : un système de retraite basé sur les comptes notionnels résout en partie ce problème puisque le niveau de pension dépend de l’espérance de vie.

Le Nouveau Centre approuve donc le principe du report d’âge, mais à condition de prendre en compte la pénibilité et l’employabilité des seniors.

La deuxième mesure importante que le Nouveau Centre approuve est l’utilisation du Fonds de réserve pour les retraites pour financer le déficit d’ici 2018.

À l’annonce de cette mesure, nous étions dubitatifs. Mais, à la réflexion, elle apparaît logique, sous réserve – et c’est une réserve essentielle – que l’équilibre soit réellement assuré en 2018. J’y reviendrai. Si, donc, l’équilibre est assuré à long terme grâce à une réforme systémique, il n’est pas illogique d’utiliser le FRR pour financer les déficits d’ici 2018. Le FRR a certes été créé dans le but de financer les déficits à partir de 2020, mais serait-il bien raisonnable de garder une cagnotte de 33 milliards et de chercher d’autres financements pour les déficits des régimes de retraite ?

Le Nouveau Centre est donc d’accord pour recourir au FRR, à la condition que les régimes de retraite soient effectivement à l’équilibre en 2018 et que le maintien de cet équilibre soit assuré à long terme.

Or, nous avons l’impression désagréable que cette réforme annoncée comme une grande réforme s’arrête au milieu du gué et ne résout pas les problèmes sur le long terme.

Les données démographiques sont connues et non contestables. Les futurs retraités de 2050 et au-delà sont déjà nés.

Les prévisions économiques sont toujours délicates. Mais les projections du COR, basées sur des données économiques plutôt optimistes, indiquent clairement que les besoins de financement pour 2020 sont estimés à 48,8 milliards. Les mesures d’âge proposées par le texte apporteraient une économie de 19 milliards. Les quelques recettes nouvelles apporteraient 4 à 5 milliards. Il manque donc la moitié du financement. L’effort du Gouvernement est financé par l’emprunt, donc par la dette, ce que nous considérons comme peu souhaitable.

Le COR indique clairement que le recul d’âge de départ à la retraite à 63 ans et la durée de cotisation à 43 ans et demi pour obtenir une retraite à taux plein n’assure que 36 % des besoins. Or, vous avez choisi 62 ans et 41 ans et demi. Comment, dans ces conditions, assurer l’équilibre à long terme ? Devons-nous nous préparer à une nouvelle réforme dans deux ans, dans trois ans ? Pourquoi ne pas avoir plutôt réalisé une vraie réforme ?

C’est pourquoi le Nouveau Centre a déposé soixante-dix amendements visant à assurer la pérennité de notre système de retraite et à améliorer, grâce à de nouveaux financements, les situations les plus injustes. Plusieurs d’entre eux ont hélas été déclarés irrecevables en vertu du fameux article 40, alors même que nous avions proposé un financement correspondant.

Le Nouveau Centre propose tout d’abord une réforme systémique, établissant un système à points, ou mieux, en comptes notionnels.

En effet, aujourd’hui, nous connaissons trente-huit régimes très inégaux. Nous voulons donc un régime unique avec des taux de cotisation, des durées de cotisation et des prestations identiques. Ce régime unique implique non pas la suppression des régimes spéciaux, mais leur mise en extinction, ce qui signifie que les nouveaux embauchés dépendront du régime universel.

Nous voulons un régime par points géré par les partenaires sociaux, étant donné que le financement repose sur des cotisations salariales et patronales et que les partenaires sociaux gèrent déjà l’UNEDIC et les retraites complémentaires. Je ne pense pas que les syndicalistes veuillent fuir leurs responsabilités. Un système par points permet en outre la liberté de choix du moment de la retraite, ce qui est très important, et permet surtout l’équilibre financier, puisque les partenaires sociaux définiront chaque année la valeur d’achat et de liquidation du point.

Le système dit en comptes notionnels est plus intéressant encore, car il tient compte de l’estimation de la durée de vie. Bien entendu, l’État continuera à prendre en charge, par l’intermédiaire du FSV, ce que ne fourniront pas les cotisations.

Je regrette donc à nouveau que le Gouvernement n’ait pas saisi l’occasion pour engager cette réforme systémique. Une telle réforme demande du temps et une longue phase transitoire ; c’est pourquoi il est urgent de l’engager.

En attendant, le Nouveau Centre demande la création d’une caisse de retraite des fonctionnaires, gérée par les partenaires sociaux. Certes, depuis 2003, un service de Bercy gère leurs retraites, mais une caisse autonome améliorerait la transparence et responsabiliserait les partenaires sociaux.

Nous demandons également, dans un esprit d’équité sans lequel la réforme ne sera pas facilement acceptée, l’alignement plus rapide du taux de cotisation du public sur le privé et, surtout, l’alignement progressif, en treize ans, de la période de référence, actuellement de six mois, sur les vingt-cinq ans en vigueur dans le privé, en intégrant naturellement les primes.

Nous demandons par ailleurs que le conseil d’administration de la caisse des professions libérales puisse fixer librement et en pleine responsabilité la valeur de liquidation du point.

Le texte prévoit une meilleure information du futur retraité. Le point info retraite fonctionne bien. Pour le Nouveau Centre, l’institution d’un dossier retraite informatisé, mis à jour chaque année et consultable à chaque instant, serait un réel progrès en matière de transparence.

Pour les polypensionnés, aujourd’hui pénalisés, nous demandons, dans un esprit d’équité, que la règle des vingt-cinq meilleures années s’applique globalement et non par régime, et que les quinze premières années effectuées dans la fonction publique ouvrent droit à la retraite.

Pour les travailleurs à temps partiel qui ont travaillé moins de 200 heures, nous demandons que la validation s’applique en pourcentage du temps travaillé.

Je ne reviens pas sur le problème majeur de la pénibilité – je l’ai déjà évoqué et ce sera l’objet de l’intervention de Francis Vercamer – ni sur celui, également majeur, des carrières longues.

J’évoque rapidement les petites retraites, notamment agricoles, et le problème des veuves. Pour ces dernières, il conviendrait d’aligner les droits des divers régimes, de considérer que les versements du conjoint ont constitué des droits et, plutôt que de modifier le taux de la réversion, de relever, voire de supprimer, le plafond de ressources ainsi que de revenir au principe de la loi Fillon qui avait supprimé la condition d’âge.

J’en viens enfin au problème majeur de l’équilibre financier de notre système de retraite. Notre devoir est de garantir cet équilibre pour que nos jeunes qui cotisent actuellement aient l’assurance de disposer eux aussi d’une retraite.

Selon les travaux du COR, que nul ne conteste, et ses projections financières plutôt optimistes, la réforme présentée ne finance au mieux que 50 % des besoins pour 2018, le Gouvernement finançant par l’emprunt les 15 milliards restants.

C’est pourquoi le Nouveau Centre fait des propositions pour obtenir un réel équilibre financier et permettre des avancées indispensables pour les polypensionnés, les petites retraites, les veuves.

La solution la plus simple – je dirais presque la plus bête – est, comme nous le proposons par amendement, de d’augmenter d’un point la CSG, ce qui procurera 11,2 milliards chaque année. Certes, cette augmentation n’est pas agréable. Certes, elle pèsera sur le pouvoir d’achat, mais pas plus que l’augmentation de l’électricité, des assurances complémentaires ou des franchises médicales. Je suis persuadé que, si l’on demandait aux Français s’ils y sont prêts pour sauvegarder réellement les retraites et permettre des améliorations sociales, ils seraient d’accord.

Par ailleurs, nous proposons des amendements tendant à sortir la CSG et la CRDS du bouclier fiscal, à augmenter la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, à taxer les indemnités de départ et les « parachutes dorés ». Certes, de telles mesures auraient leur place dans la loi de finances ou la loi de financement de la sécurité sociale plutôt que dans ce texte, mais, mais il me paraît important de les évoquer dès maintenant.

Pour que cette réforme soit acceptée, elle doit être équitable, juste et réellement financée. Il serait regrettable de devoir à nouveau légiférer dans deux ou trois ans.

En résumé, pour le Nouveau Centre, très attaché à la retraite par répartition, la réforme des retraites est indispensable.

Compte tenu des données démographiques, le report d’âge, comme dans tous les pays, est nécessaire. L’utilisation du Fonds de réserve pour financer les déficits jusqu’en 2018 est acceptable, à condition de parvenir à l’équilibre financier.

Cependant, le Nouveau Centre regrette qu’une vraie réforme, instituant un système à points ou en comptes notionnels, ne soit pas engagée. Nous constatons que l’équilibre financier n’est pas assuré, seule la moitié des besoins semblant couverts.

Nous proposons notamment une augmentation de la CSG pour assurer la pérennité de notre système de retraite et pour permettre des améliorations concernant les polypensionnés, les petites pensions, les veuves, l’emploi des seniors et la pénibilité.

Nous avons déposé soixante-dix amendements. J’espère que le Gouvernement en acceptera une bonne partie. Les débats permettront, nous en sommes convaincus, d’améliorer le projet de loi. Nous en jugerons alors.

Merci, monsieur le ministre, pour votre écoute. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rosso-Debord.

Mme Valérie Rosso-Debord. Monsieur le Président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, la pérennisation de notre système de retraite est un défi majeur pour les générations futures. Ce n’est pas son principe qu’il faut remettre en cause, mais ses équilibres qu’il faut revoir afin d’assurer cette pérennité.

Il faut en effet conserver notre système de retraite par répartition, car il a permis en quelques décennies une augmentation considérable du niveau de vie des retraités, ainsi qu’une forte redistribution au profit de ceux qui connaissent des interruptions de carrière, notamment au titre de la maternité ou du chômage.

Cependant, notre système est encore fondé sur des équilibres qui datent des lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes passés de la France des « Trente Glorieuses », portée par une forte croissance économique et démographique, à une France où l’on vit de plus en plus longtemps, mais à la croissance ralentie.

L’objectif de cette réforme est de sauvegarder et pérenniser notre système de retraite par répartition.

Les faits sont là : aujourd’hui une retraite sur dix n’est plus financée ; le déficit, accentué par l’effet de la crise, a atteint plus de 8 milliards d’euros en 2009 et atteindra près de 11 milliards en 2010. Si rien n’est fait, il atteindra 45 milliards en 2020 et 100 milliards en 2050. Or, c’est sur les générations futures que pèse cet endettement !

Cette situation est intolérable et appelle des réponses immédiates et courageuses.

C’est pourquoi, pour la quatrième fois, après les réformes de 1993, 2003 et 2008, notre majorité prend ses responsabilités sur un sujet si difficile et socialement risqué. C’est un signe fort de courage politique dont la gauche n’a jamais fait preuve.

D’ailleurs, personne ne s’y trompe, y compris au PS, puisque Martine Aubry, interrogée le dimanche 18 janvier au Grand Jury RTL-Le Monde, déclarait sur le ton de l’évidence : « Je pense qu’on doit aller, qu’on va aller très certainement vers 61 ou 62 ans », avant de faire machine arrière sous la pression des « éléphants » en promettant de rétablir l’âge de départ à 60 ans en cas de victoire en 2012. Ce matin même, dans Le Parisien, elle se prononçait pour le maintien à 60 ans, mais avec une baisse des pensions. Les intéressés apprécieront.

Ainsi, là où l’opposition prône l’immobilisme ou un choc fiscal en s’appuyant sur un discours démagogique, nous proposons des solutions pragmatiques, justes et efficaces, fondées sur le travail.

Pragmatiques, parce que la situation que nous devons affronter résulte avant tout d’un déséquilibre démographique. Le « papy-boom » conduit à 800 000 départs par an au lieu de 600 000 en 2003. Selon les dernières projections établies par l’INSEE, l’espérance de vie sera passée, entre 2000 et 2050, de 75,3 à 83,8 ans pour les hommes et de 82,8 à 89 ans pour les femmes. C’est une bonne nouvelle. Mais cette situation a contribué à la dégradation du ratio démographique et à l’augmentation massive des dépenses des régimes de retraite.

Les retraités sont aujourd’hui 16 millions ; ils seront 18 millions en 2020 et 22 millions en 2050. Comme nous vivons de plus en plus longtemps, il est logique que nous travaillions plus longtemps, c’est pourquoi l’augmentation de la durée d’activité est au cœur de la réforme proposée.

La mesure phare de notre réforme, à savoir le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et le report parallèle de 65 à 67 ans pour atteindre le taux plein, n’est pas une question d’idéologie, mais une solution de bon sens. II n’y a qu’ainsi que l’équilibre du régime des retraites peut se rétablir !

L’âge légal n’est pas un tabou absolu. On doit pouvoir le reculer en fonction de la situation économique et démographique, et ce d’autant plus que, même à 62 ans, l’âge de départ en France restera le plus bas d’Europe, puisque l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni vont le porter à 67 ans.

L’élévation de l’âge de départ à la retraite et de l’âge du taux plein sera progressive, afin de ne pas pénaliser les projets des Français proches de la retraite. L’âge légal sera reculé de quatre mois par classe d’âge dans l’ensemble des régimes, pour atteindre 62 ans en 2018, tandis que l’âge du taux plein atteindra progressivement 67 ans en 2023.

Une telle solution, raisonnable, correspond à la réalité démographique et économique que le PS refuse malheureusement de voir. Nous ne transigerons pas sur ce point car, sinon, une hausse des cotisations ou une baisse des pensions pénaliserait bien plus fortement les Français. Or, dans cette réforme, nous avons veillé à préserver leur pouvoir d’achat !

Par ailleurs, la réforme à venir sera juste et équitable : tous les Français participeront à l’effort.

Ainsi, outre le report de l’âge légal qui touche tous les citoyens, la convergence des régimes entre le public et le privé se poursuit.

La multiplicité des règles régissant chacun de ces régimes est source d’incompréhension et d’iniquité pour nos concitoyens. L’herbe semble toujours plus verte dans le pré du voisin ! En outre, certaines différences entre le privé et la fonction publique ne sont plus justifiées.

Ainsi, la réforme prévoit d’aligner le taux de cotisation salariale du public sur celui du privé, de réformer le minimum garanti pour le rapprocher du minimum contributif et de clore progressivement le dispositif de préretraite réservé aux fonctionnaires parents de trois enfants. Ces mesures de rapprochement des régimes sont indispensables pour assurer la transparence et l’équité du système.

Dans le souci de faire participer l’ensemble des Français à l’effort de rééquilibrage des régimes de retraite, le Gouvernement proposera, dans les prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, des recettes nouvelles à hauteur de 4 milliards d’euros. Les mesures ciblées mises en place concerneront les plus hauts revenus : stock-options et retraites « chapeaux » seront davantage taxées,

M. Christian Hutin. Modestement !

Mme Valérie Rosso-Debord. J’espère que vous voterez la mesure !

La dernière tranche de l’impôt sur le revenu sera relevée et les revenus du capital seront mis à contribution. Au total, « modestement » peut-être, les plus fortunés de nos concitoyens contribueront tout de même pour 1,5 milliard d’euros à la sauvegarde de notre système de retraite.

Cette réforme est juste et équitable parce qu’elle constitue une véritable avancée en matière sociale. Elle doit être l’occasion de renforcer le caractère solidaire de notre système de retraite. Plusieurs dispositifs seront mis en place à cette fin.

Les femmes ne seront plus pénalisées par le congé maternité, grâce à la validation gratuite des trimestres et à la prise en compte des indemnités journalières perçues pendant le congé dans le calcul de la retraite.

En outre, le faible niveau de leurs pensions étant dû avant tout aux inégalités salariales entre hommes et femmes, des mesures inciteront les entreprises à faire davantage pour réduire ces écarts salariaux.

Enfin, pour la première fois en Europe, on va prendre en compte concrètement la pénibilité de certains métiers.

Depuis 2004, le dispositif « carrières longues » créé par la loi Fillon a permis à près de 600 000 personnes qui avaient commencé leur carrière très jeunes de partir à la retraite avant 60 ans. Cette mesure sera préservée et étendue aux salariés qui ont commencé à travailler à dix-sept ans, au lieu de seize ans actuellement. Cela concernera 90 000 personnes en 2015.

Il est également nécessaire de penser à ceux qui sont usés physiquement du fait de leur activité professionnelle. Le texte prévoit que les travailleurs dont l’état de santé a été altéré par la pénibilité bénéficieront d’un départ à la retraite dès 60 ans à taux plein. Cela signifie qu’ils ne seront pas concernés par l’augmentation de l’âge de la retraite et qu’ils ne subiront pas de décote. Cette mesure touchera chaque année 60 000 personnes pour lesquels la vie professionnelle a été plus difficile.

Au total, on peut estimer que, à l’horizon 2015, 100 000 personnes par an pourront bénéficier d’un dispositif de départ anticipé lié à leurs conditions de travail pénibles ou à leur longue carrière, soit un Français sur sept.

C’est également de manière préventive qu’il faut agir contre l’usure au travail. Ainsi, les expositions aux risques professionnels seront désormais obligatoirement enregistrées dans un « carnet de santé au travail ». Cela permettra un meilleur suivi du salarié tout au long de sa carrière.

Ainsi, loin du recul social annoncé par la gauche, c’est une réforme efficace que nous mettons en place. L’ensemble de ces mesures permet de dégager 42,3 milliards d’euros et de compenser à l’euro près les besoins de financement des régimes de retraite en 2018.

L’objectif de ramener le déficit des retraites à zéro d’ici huit ans sera donc atteint, grâce à l’ensemble des dispositifs mis en place aujourd’hui.

Bien entendu, ces calculs reposent sur des projections, soumises aux aléas de la conjoncture. Il est donc possible que cette réforme porte ses fruits avant 2018. On peut toujours être optimiste !

En tout cas, alors que, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, la France engage un effort sans précédent de maîtrise de ses comptes publics, la réforme des retraites devrait contribuer à réduire le déficit de notre pays d’environ 0,5 point de PIB d’ici à 2013, et de 1,9 point de PIB d’ici à 2020.

Les déficits accumulés durant cette période seront intégralement transférés à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, qui aura la propriété des actifs et des ressources du Fonds de réserve pour les retraites. Le FRR restera le gestionnaire de ces actifs et de ces ressources pour le compte de la CADES.

Concernant justement ce FRR qui fait l’objet de tant de débats, il est temps de révéler l’anomalie qui le caractérise : le principe, dans tous les pays, est de constituer des réserves quand les régimes sont en excédent et de les utiliser en période de déficit. En France, le FRR accumule des réserves alors que les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants depuis 2005. Le Gouvernement propose donc d’utiliser les ressources du Fonds de réserve pour financer les déficits du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse pendant la période de montée en charge de la réforme. Le FRR continuera d’exister, d’assurer sa mission et de gérer ses actifs de la même façon qu’aujourd’hui. Tout cela est parfaitement logique.

Mais, au-delà du rééquilibrage financier, le présent projet de loi est l’occasion d’aborder le débat sur l’emploi des seniors. Il est évident que le faible taux d’emploi des salariés âgés pèse sur les comptes des régimes de retraite. A cet égard, il faut se garder de croire que faire partir les seniors plus tôt à la retraite permet aux jeunes de trouver du travail plus facilement : notre taux d’emploi des seniors figure parmi les plus faibles d’Europe, et notre taux de chômage des jeunes reste pourtant parmi les plus élevés. C’est bien la preuve que l’opposition se fourvoie en voulant enlever du travail aux plus de 55 ans pour le donner aux moins de 30 ans.

Le Gouvernement propose quant à lui des solutions adéquates et efficaces : tout d’abord en instaurant une aide à l’embauche pour tout recrutement d’une personne de plus de 55 ans en CDD ou CDI de plus de six mois ; ensuite, conformément aux propositions émises par un certain nombre de syndicats, en renforçant le tutorat des jeunes par les seniors pour faciliter la transmission des savoirs.

Enfin, nous avons souhaité, lors de l’examen en commission des affaires sociales, favoriser la diffusion de l’épargne retraite pour les salariés du secteur privé grâce au PERCO, en prévoyant son alimentation par une partie de la participation ainsi que des jours de RTT non utilisés.

Telles sont les dispositions que nous proposons pour rééquilibrer et pérenniser notre système de retraite par répartition. Ce projet de loi équilibré a su trouver, grâce à l’implication personnelle du ministre et du secrétaire d’État, un juste milieu entre l’urgence de faire face aux défis, démographique et financier, et la nécessité d’améliorer les dispositifs en vigueur. C’est pourquoi le groupe UMP le soutient avec ambition, volonté et détermination.

Mes chers collègues, nos enfants ne nous pardonneraient pas de leur laisser un modèle social en faillite. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette nouvelle réforme des retraites, placée sous le signe de l’injustice et de l’inégalité, risque de surcroît de ne pas atteindre les objectifs financiers qu’elle se propose. Voilà qui fait beaucoup pour un projet qui concerne un des symboles du patrimoine social de la France. Rien d’étonnant, donc, s’il suscite dans le pays une opposition frontale, qui est à l’origine d’une gigantesque mobilisation populaire.

Cette nouvelle réforme nous est présentée comme inéluctable. Pour un peu, elle serait celle de la dernière chance, à saisir en l’état : la dernière digue avant l’avènement de la retraite par capitalisation. Mais comment l’affaire pourrait-elle être bien engagée puisque le postulat de la réforme est avant tout financier et qu’il n’est que financier ? Nous voici bien loin du Conseil national de la Résistance !

M. Christian Hutin. C’est bien vrai !

Mme Huguette Bello. Face à une situation aussi périlleuse que la nôtre, sinon plus, le CNR plaçait, lui, sans le proclamer tous les matins, les hommes au cœur de ses décisions en se donnant les moyens de « permettre aux vieux travailleurs de finir dignement leur vie ».

Prétendre sauver un système contre la société, c’est s’interdire les solutions durables. Ce projet de loi est une étape de plus dans la dégradation des retraites de la grande majorité des Français. Après la baisse des pensions programmée par les réformes de 1993 et de 2003, c’est une nouvelle salve contre les retraites et, cette fois, les plus modestes et les plus fragiles d’entre nous sont vos cibles privilégiées.

Noyau dur de la réforme proposée, l’augmentation de la durée d’activité est présentée comme une décision de bon sens. Mais reculer de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, c’est obliger ceux qui ont déjà toutes leurs annuités à cotiser deux ans de plus pour rien. C’est contraindre ceux qui ont commencé à travailler très tôt, et souvent dans des conditions pénibles, à travailler encore. C’est donc faire payer les besoins de financement des retraites par les plus modestes.

L’administration ferait bien de nous regarder moins ironiquement…

Ainsi les salariés vont payer deux fois. Ils payent quand la crise les percute de plein fouet, et ils payent pour combler les déficits que cette même crise a accélérés. Brandir la démographie pour justifier cette réforme est une tromperie qui ne trompe plus personne. Tout le monde le sait, tout le monde l’a dit : la démographie est responsable du déficit des retraites pour un tiers, la crise pour les deux tiers. Le bon sens consiste-t-il vraiment à faire payer ceux qui ont déjà payé le plus ?

Combiné à l’allongement de la durée de cotisation inscrite dans la loi de 2003, le relèvement de l’âge de la retraite à 62 ans diminue le nombre de retraités qui peuvent prétendre à une pension à taux plein. Il porte directement atteinte à leur pouvoir d’achat, et il accroît encore le nombre de petites retraites.

Déduire de cette première négation du bon sens que l’âge d’obtention de la retraite à taux plein doit reculer à 67 ans n’est ni une évidence ni une obligation. C’est un choix politique, un choix politique partisan qui constitue une insupportable injustice à l’égard des femmes et, de façon générale, de tous ceux qui ont déjà subi de plein fouet les aléas, les périls et les agressions du marché du travail.

Les mesures contenues dans ce projet de loi laissent imaginer un système de retraite qui fonctionnerait en circuit fermé, et présupposent qu’il appartiendrait à ce système, donc aux salariés, de pourvoir presque exclusivement aux besoins de son financement. C’est faux ! Nous savons tous que les marges de manœuvre sont bien plus importantes. À condition, bien sûr, de ne pas écarter systématiquement de nouveaux modes de financement qui ne reposent pas sur les revenus du travail et qui, correspondant aux caractéristiques de l’économie d’aujourd’hui, pourraient apporter une bonne part des ressources nécessaires.

Bon sens, dites-vous ? Bon sens que de demander aux plus modestes de sauver notre système de retraite ? Bon sens que de défendre dans le même temps le bouclier fiscal ? Bon sens que de frémir d’indignation à la seule pensée d’une véritable taxation des stock-options et de tous les revenus financiers ? Bon sens que de sanctuariser la niche Copé qui prive le budget de l’État de plusieurs milliards d’euros ? Ce genre de bon sens, comprendrez-vous un jour qu’il n’est pas en France la chose la mieux partagée ?

Les effets mécaniques de l’application de cette nouvelle réforme sont connus. Et il n’y a pas grand risque à parier que les quelques mesures prévues en faveur de l’emploi des seniors ou censées résorber les inégalités de salaire entre les hommes et les femmes n’y changeront pas grand-chose.

Lourdes et sévères pour la grande majorité des citoyens, les conséquences de cette réforme seront encore plus redoutables lorsque les mesures qu’elle comporte seront appliquées dans des territoires qui cumulent chômage, précarité et difficultés de toutes sortes, comme, en particulier, les outre-mers. Aux effets intrinsèquement négatifs de ces mesures s’en ajouteront d’autres, conséquence de leur totale inadaptation au réel. De cette inadéquation, l’étude d’impact ne dit mot. Je dois donc rappeler que l’un des arguments principaux avancés pour reculer l’âge légal de la retraite, celui de l’augmentation de l’espérance de vie, ne se vérifie nullement dans les départements d’outre-mer, où l’espérance de vie est sensiblement inférieure à celle de la France continentale. Aux inégalités entre les catégories socioprofessionnelles, entre les cadres et les ouvriers, s’ajouteront donc les inégalités entre les territoires.

Comme les secousses du marché du travail se répercutent de plus en plus sur les retraites, le pire est à craindre. À La Réunion, où le chômage de longue durée atteint des records, les taux d’activité sont plus faibles et le temps partiel largement répandu : il est facile de prévoir qu’il sera plus en plus difficile à beaucoup de Réunionnais de percevoir une retraite à taux plein. 30 % des retraités sont déjà au minimum vieillesse, soit six fois plus qu’au niveau national, et cette proportion a toutes les chances de s’aggraver puisque l’alignement du montant du SMIC ne remonte qu’à une vingtaine d’années.

Pour les jeunes, dont plus de la moitié est au chômage et qui doivent, lorsqu’ils travaillent, se contenter d’emplois précaires, le scénario est tout simplement catastrophique. Comme ils le disent eux-mêmes, les jeunes craignent de subir la « triple peine » : sous-payés même quand ils ont un diplôme, pénalisés à leur entrée sur le marché du travail, notamment par le maintien au travail tardif des seniors, et empêchés, à la sortie, de disposer d’une retraite à taux plein. Ne pensez-vous pas qu’une société démocratique pourrait imaginer de proposer d’autres perspectives à sa jeunesse ? Même la validation des années d’études supérieures et de stages, qui existe pourtant dans d’autres pays européens et, depuis longtemps, pour les grandes écoles françaises, leur est petitement chipotée.

Et puis, comment ne pas parler des femmes auxquelles cette réforme va imposer une lourde et injuste contribution ?

Mme Pascale Crozon et M. Christian Hutin. Très juste !

Mme Huguette Bello. Loin d’atténuer les inégalités existantes, elle les aggrave. Les petits salaires, le temps partiel le plus souvent subi, les interruptions d’activité sont surtout le lot des femmes, et se répercutent sur leurs retraites. Elles seront donc encore plus nombreuses à devoir travailler jusqu’à 67 ans. À La Réunion, où bon nombre de femmes ne peuvent travailler en moyenne que 600 heures par an, il leur faudrait travailler une centaine d’années pour valider le nombre d’annuités requis par la règle dite des « 200 heures SMIC ». J’ose espérer que les solutions proposées par la présidente de notre délégation aux droits aux femmes pour la prise en compte de ces temps très partiels seront suivies. Tous les salariés qui n’ont pas d’emploi à plein temps, notamment les travailleurs saisonniers, attendent des améliorations dans ce domaine.

Autre difficulté qui pèse sur les retraites versées dans les départements d’outre-mer, l’arrivée tardive des versements de certaines caisses de retraite, parfois même leur absence. Il en est ainsi des exploitants agricoles, qui n’ont pas pu cotiser durant de longues années alors même qu’ils ont commencé à travailler très jeunes, ou encore des marins-pêcheurs, auxquels fut proposée une cotisation à taux minoré. Les répercussions de ces graves anomalies sur les retraites sont particulièrement redoutables, puisque leur montant ne dépasse guère 300 euros. Pour les uns comme pour les autres, la bonification de trimestres complémentaires serait particulièrement bienvenue. Pour eux aussi, une réforme des retraites devrait d’abord et avant tout se traduire par une revalorisation des pensions au-dessus du seuil de pauvreté.

La crise vient de nous en fournir une preuve éclatante : le financement du système de retraite repose en bonne partie sur le marché du travail. Des emplois créés, des emplois détruits, ce sont des cotisations vieillesse en plus ou en moins. L’efficacité et l’urgence incitent donc d’abord à mener une politique offensive en faveur de l’emploi.

Dans mon département, le chômage continue d’augmenter. Le secteur du BTP connaît une hémorragie sans précédent avec plus de 15 000 d’emplois détruits. Des groupes historiques sont en grande difficulté, et des menaces en cascade pèsent sur les salariés et les sous-traitants. Enrayer cette chute, c’est sauver les emplois, c’est financer les retraites.

Ce projet nous est par ailleurs présenté comme un texte pionnier en matière de pénibilité. Mais ce sujet très grave ne peut être confondu ni avec celui des carrières longues, ni avec celui du handicap. Ce que nous savons désormais de la souffrance des travailleurs nous interdit de parler avec légèreté de la pénibilité. Nous savons que les manifestations de cette souffrance sont diverses et que celle-ci revêt toutes sortes de formes physiques et psychologiques. Nous savons également que, dans le système managérial des entreprises, il lui est souvent difficile, voire impossible, de s’exprimer. Prenons donc garde à ne pas favoriser une individualisation de la pénibilité, qui détournerait notre attention du caractère collectif des souffrances au travail.

Monsieur le ministre, j’espère que vous m’avez bien écoutée et que vous apporterez des réponses aux questions que j’ai posées, notamment à propos de l’outre-mer. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun peut le constater au fil des interventions qui rythment ce débat, les problématiques que s’efforce d’aborder ce projet de loi et les enjeux auxquels il entend répondre sont d’une indiscutable complexité.

Parmi les sujets les plus difficiles qu’il nous est donné d’examiner, figure la question de la pénibilité au travail. L’idée que l’âge de départ à la retraite puisse être modulé en fonction de l’usure subie par le salarié au cours de sa carrière professionnelle semble pourtant, au premier abord, relever du simple bon sens. Pour nombre de nos concitoyens, et nous partageons cette opinion, il s’agit en effet d’une mesure de justice. Mais, une fois le principe posé, les modalités de sa mise en application sont plus hasardeuses et supposent une réflexion très précise.

Comment, en effet, prendre en compte les facteurs de pénibilité auxquels sont exposés chaque jour un certain nombre de salariés ? De quels facteurs parle-t-on ? Comment évaluer la pénibilité au travail ? L’accès anticipé à la retraite est-il la réponse la plus appropriée ? Quels outils est-il nécessaire de mobiliser pour mieux la prendre en compte ?

Les questions sont nombreuses et les réponses doivent impérativement dépasser les seules pétitions de principe. C’est tout d’abord l’intérêt des salariés, car il existe d’indéniables situations d’altération précoce de la santé des travailleurs liées à l’exercice d’une activité professionnelle, situations que nous devons impérativement mieux prendre en compte. C’est également celui des entreprises, car personne n’a intérêt, pour des raisons évidentes d’attractivité, à laisser perdurer ou se développer l’image de métiers ou de filières où l’activité serait réputée pénible.

C’est la raison pour laquelle nous estimons que la pénibilité au travail est une question globale, qui ne peut être abordée uniquement sous l’angle de la réparation, c’est-à-dire de dispositifs de cessation anticipée d’activité et d’accès à la retraite. C’est une de nos demandes fortes dans le cadre de ce débat : la pénibilité au travail doit être appréhendée davantage sous l’angle de la prévention. Il convient en effet de renforcer les dispositifs qui permettront de poser les bons diagnostics dans les entreprises et dans les branches, afin d’améliorer les conditions de travail. Ainsi que le Conseil économique, social et environnemental l’a récemment souligné à propos du travail de nuit, la pénibilité n’est pas suffisamment prise en compte dans l’organisation du travail.

Les débats des derniers mois ont, à notre sens, trop lié pénibilité et retraites. N’en déplaise à nos collègues de gauche, associer systématiquement les deux sujets est réducteur et contribue à caricaturer le débat.

M. Christian Hutin. C’est faux !

M. Francis Vercamer. Pour le groupe Nouveau Centre, il existe d’autres réponses au problème de la pénibilité. L’amélioration des conditions de travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la construction de parcours professionnels permettant d’envisager de véritables deuxièmes carrières, avec une meilleure gestion des âges dans l’entreprise : autant de pistes qui n’ont pas été beaucoup évoquées ces dernières semaines, alors qu’elles constituent de véritables moyens de réduire l’usure professionnelle – qui devrait être notre objectif – ou de mieux la prendre en compte.

Nous avancerons, pour notre part, un certain nombre de propositions destinées à mieux prévenir les situations de pénibilité au travail. Nous souhaitons ainsi que, dans les entreprises, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail puisse élargir le champ de ses missions à ce sujet. Nous proposerons également de réaffirmer la responsabilité des employeurs en matière de prévention de la pénibilité. L’un de nos amendements vise à préciser les missions des services de santé au travail. Dans la même logique, nous souhaitons que les branches professionnelles soient davantage impliquées dans la conclusion d’accords sur l’amélioration des conditions de travail, en vue de réduire autant que possible l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.

La mobilisation des employeurs et des représentants des salariés en faveur de l’amélioration des conditions de travail est en effet, dans l’entreprise, un vecteur d’innovation et de cohésion bien plus efficace que le mécanisme de la faute inexcusable. Celle-ci est constatée dès lors que l’employeur, en dépit de sa responsabilité en matière de protection de la santé des salariés, n’a pas mis en œuvre les mesures de prévention et de protection utiles pour parer aux dangers auxquels le salarié est exposé dans le cadre de sa situation de travail. Au sein des entreprises, des politiques actives de prévention et d’amélioration des conditions de travail sont donc indispensables pour écarter le risque pénal. L’incitation à la conclusion d’accords collectifs sur ce thème contribuerait à accroître la sécurité juridique, tout en réaffirmant le principe de la responsabilité de l’employeur.

Enfin, il nous semble essentiel que, au sein du comité de pilotage des retraites, l’observatoire des pénibilités du Comité d’orientation des conditions de travail puisse être missionné sur la question de la pénibilité et de sa prise en compte dans le cadre de l’accès à la retraite, ainsi que sur la question des maladies professionnelles provoquées par les risques différés.

Évoquer la prévention ne signifie pas esquiver la question de la réparation. Oui, nous pensons qu’il est juste de prendre en compte les effets de l’usure professionnelle. Le projet de loi, il faut le rappeler, introduit cette notion et constitue, à cet égard, une avancée au regard du droit existant. Toutefois, le groupe Nouveau Centre estime que le Gouvernement peut aller plus loin et qu’il existe, sur la question de la compensation de la pénibilité, une marge de progression.

Nous voulons traiter le sujet de la pénibilité avec générosité et responsabilité. Responsabilité, car nous ne pouvons nous permettre de donner à cette notion une définition qui serait trop extensive parce que trop subjective, chacun ayant à un moment ou à un autre une bonne raison de penser que son métier est pénible. En outre, nous gardons à l’esprit qu’il est difficile de parvenir à l’équilibre du financement de notre système de retraite ; or, le projet de réforme doit obéir à une exigence de soutenabilité financière.

Générosité, car il nous paraît difficile de se limiter à un système de prise en compte de la pénibilité fondé uniquement sur les effets constatés de l’usure professionnelle et l’incapacité dont est frappé le salarié. Ce dispositif supposerait en effet que le salarié soit déjà atteint par la maladie pour bénéficier d’un départ anticipé à la retraite.

Certes, le dispositif des carrières longues peut être considéré comme une réponse complémentaire à la question de la pénibilité. Il ouvre en effet, depuis 2003, un accès anticipé à la retraite à des personnes ayant commencé à exercer très jeunes des métiers ne nécessitant pas, le plus souvent, de formation préalable, et pour beaucoup pénibles. Le Gouvernement a décidé de prolonger ce dispositif et de l’élargir aux assurés ayant entamé leur parcours professionnel à dix-sept ans. Nous nous félicitons de cette mesure, même si nous souhaitons que, sur ce point aussi, la réflexion se poursuive, afin que le dispositif soit étendu aux personnes ayant commencé à travailler à partir de dix-huit ans, et ce pour mieux tenir compte du report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite.

Néanmoins, le seul dispositif des carrières longues ne permet pas d’appréhender l’ensemble des situations de pénibilité au travail justifiant une éventuelle cessation anticipée d’activité. Il ne constitue pas, par exemple, une réponse à l’exposition de salariés à des produits toxiques et aux risques de maladies à effets différés. C’est pourquoi nous souhaitons aller plus loin en matière de compensation de la pénibilité.

Le Gouvernement propose, dans le cadre de cette réforme, une compensation de la pénibilité au regard des effets constatés de celle-ci. Le groupe Nouveau Centre estime, quant à lui, qu’il serait certes plus difficile, mais aussi plus juste de prendre en compte la pénibilité au regard des causes qui la provoquent. En effet, nous jugeons nécessaire de prendre en compte les effets différés des situations de pénibilité, qui altèrent significativement la santé des salariés plusieurs années après qu’ils ont quitté leur poste de travail. Pourraient ainsi bénéficier d’un départ anticipé à la retraite les salariés exposés pendant un certain nombre d’années à un ou plusieurs facteurs de pénibilité susceptibles de porter fortement atteinte à leur espérance de vie en bonne santé. Les modalités devront bien sûr être précisées, soit par décret, soit par les branches professionnelles elles-mêmes.

Ce dispositif suppose, dans un premier temps, de déterminer les critères de pénibilité. Au cours des négociations entamées sur la pénibilité, les partenaires sociaux ont isolé trois grands types de facteurs susceptibles de concourir à l’usure d’un salarié dans le cadre de l’exercice de sa profession, qui ont été mis en relief par les enquêtes de surveillance médicale des risques professionnels – SUMER.

Ces trois types de facteurs sont les suivants : l’existence sur le long terme de contraintes physiques – le port de charges lourdes, les contraintes de posture, l’agressivité de l’environnement de travail : bruit, froid, chaleur, intempéries ; le rythme de travail : horaires décalés ou atypiques, travail posté ou à la chaîne, travail de nuit, dont le Conseil économique, social et environnemental a décrit les effets à long terme, tant en termes de maladies cardio-vasculaires que de risque de cancers ; l’exposition à des produits toxiques, en particulier aux CMR – produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.

Ce dispositif implique, dans un deuxième temps, que la notion de pénibilité soit clairement identifiée sur le plan juridique. En effet, il n’existe pas de définition juridique de la pénibilité. Or, il nous semble qu’une telle définition est essentielle si le Parlement veut poser, dans ce projet de loi, le principe selon lequel des droits spécifiques peuvent être attachés à cette notion, sans laisser la jurisprudence s’en saisir au fil du temps.

Le groupe Nouveau Centre a effectué, comme vous tous ici, un travail préalable de fond sur la pénibilité, en rencontrant les partenaires sociaux et en débattant de cette question. Pour nous, la pénibilité au travail s’entend comme l’usure physique ou psychique du salarié confronté, dans le cadre professionnel, à des contraintes telles qu’elles provoquent des atteintes mesurables, durables et irréversibles à son état de santé et à son espérance de vie sans incapacité.

En proposant cette définition, nous mesurons bien toute la difficulté qu’il y a à évaluer avec précision la notion d’usure psychique. Du reste, toute mesure de la pénibilité est délicate, puisque interfèrent des éléments liés aux sujétions propres à une profession et des éléments liés à chaque individu et à son parcours personnel.

Si la mesure de ce phénomène est délicate mais envisageable pour la pénibilité physique au regard des critères d’ores et déjà repérés et des travaux effectués par la communauté scientifique, elle reste difficile pour l’usure professionnelle lorsqu’elle est d’ordre psychique. Toutefois, nous pensons que la prise en compte de l’usure psychique est un cap qui doit continuer à guider l’action des pouvoirs publics, eu égard à l’importance et à la croissance des problématiques liées aux risques psychosociaux dans notre société.

Sur ce point, le secteur de l’économie sociale a apporté, cet été, une nouvelle démonstration de sa capacité à innover, en concluant un accord sur la prévention de ces risques. Certes, cet accord relève du champ de la prévention : l’objectif est de mettre en œuvre des actions de sensibilisation adaptées au secteur de l’économie sociale et d’identifier les publics prioritaires visés par ces actions. Mais les organisations d’employeurs et les syndicats de salariés du secteur de l’économie sociale sont parvenus à formaliser une définition des risques psychosociaux et à établir une liste de situations professionnelles susceptibles de les engendrer.

Ce faisant, le secteur de l’économie sociale nous permet de progresser dans le sens d’une meilleure appréhension des risques psychosociaux et fait la démonstration qu’il est possible de mettre en œuvre, dans le cadre du dialogue social, des démarches très actives afin de mieux traiter ces risques nouveaux. C’est ce qui nous incite à laisser ouverte, pour l’avenir, la porte d’une reconnaissance de la dimension psychique de l’usure professionnelle liée à la pénibilité.

En tout état de cause, nous vous proposerons d’inscrire la définition de la pénibilité dans notre droit positif, en présentant deux amendements en ce sens.

Pour une meilleure prise en compte de la pénibilité au travail dans le cadre de l’accès à la retraite, notre groupe souhaitait proposer que la condition d’âge pour faire valoir ses droits à la retraite prenne en compte l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité. Nous avions également suggéré que puisse être examinée la situation des personnes handicapées exposées dans le cadre de leur activité professionnelle à des conditions de travail pénibles. Hélas, nos amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40.

Le groupe Nouveau Centre proposera, enfin, que des accords de branche puissent prévoir des modalités de cessation anticipée d’activité pour les salariés exposés à des facteurs de pénibilité. Ces dispositifs de cessation anticipée d’activité seraient, dans ce cadre, financés par un fonds alimenté par les cotisations des entreprises de la branche, dans une logique de mutualisation mais aussi de responsabilisation des branches en matière d’amélioration des conditions de travail.

Le Nouveau Centre sera également attentif, au cours de ce débat, aux dispositions concernant la traçabilité de l’exposition des salariés à des conditions de travail pénibles.

Nous avancerons des propositions garantissant la confidentialité du document établi par l’employeur, dont les informations ne doivent pas pouvoir justifier le refus d’embauche d’un salarié à l’occasion d’un recrutement ultérieur.

Nous formulerons également un certain nombre de propositions pour mieux articuler l’existence de ce document avec les documents d’exposition aux risques professionnels d’ores et déjà existants.

Se saisir du sujet de la pénibilité au travail, c’est, enfin, poser la question de la place des services de santé au travail, qui ont un vrai rôle à jouer dans l’accompagnement du salarié. Pourtant, on le sait, ces services de santé au travail sont aujourd’hui confrontés à des enjeux dont la résolution s’affirme de plus en plus nécessaire – j’ai rédigé à ce sujet un rapport pour avis dans le cadre de la mission « Travail » du projet de loi de finances pour 2010.

L’enjeu est démographique, avec une diminution continue du nombre de médecins du travail, qui devrait s’accentuer dans les années qui viennent en raison de nombreux départs en retraite. L’enjeu est également médical, en raison du nombre de salariés suivis en moyenne par un médecin du travail – 1 486 salariés dans les services dits autonomes, 2 989 salariés dans les services interentreprises. Comment, dans ces conditions, suivre correctement certains salariés affectés de pathologies difficiles à détecter, notamment dans le cadre des risques psychosociaux ? Comment se former pour mieux appréhender les signes permettant de détecter de nouvelles pathologies ? Comment assurer un temps de travail significatif pour l’indispensable prévention ? L’urgence d’une réforme des services de santé au travail s’impose avec d’autant plus d’acuité qu’elle est un préalable incontournable à la mise en place d’un dispositif global d’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise, afin de mieux prendre en compte les phénomènes de pénibilité.

Cette réforme passe par une meilleure attractivité du métier de médecin du travail,…

M. Christian Hutin. Il n’y a plus de médecins du travail !

M. Francis Vercamer. …par des missions davantage axées vers la prévention et par une capacité renforcée à travailler en réseau avec l’ensemble des acteurs de l’amélioration des conditions de travail en entreprise – employeurs, inspection du travail, préventeurs. Là encore, le Nouveau Centre entend mettre ce débat à profit pour présenter un certain nombre d’amendements en ce sens.

Voilà, monsieur le ministre, notre contribution au débat sur la pénibilité dans le cadre de ce projet de loi. La réussite de cette réforme des retraites passe par l’équilibre de son financement. Elle passe aussi par des mesures de justice : la prise en compte de la pénibilité est l’une de ces dernières, pour laquelle le Nouveau Centre vous demande un surcroît d’audace. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, « quand François Mitterrand a décidé d’abaisser l’âge légal de la retraite de 65 à 60 ans, en 1981, autour de la table du Conseil, tous les ministres en charge de l’économie – même Fabius et surtout Delors – étaient effondrés, décomposés. »

Mme Pascale Crozon. Vous y étiez ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Et l’auteur de ces propos, Michel Rocard, d’ajouter qu’il y a vingt ans, à l’époque de son fameux livre blanc sur les retraites, « il était déjà évident que le coût du système était en augmentation vertigineuse et qu’on ne pouvait pas en rester là ».

M. Christian Hutin. C’était tout de même une belle avancée sociale !

Mme Marie-Christine Dalloz. Beaucoup de choses ont été dites, mais peu de choses ont été faites, mis à part la réforme Fillon de 2003. Le constat est sans appel : aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de reculer. Notre système de retraite par répartition, qui assure la solidarité entre les générations, est l’un des fruits essentiels de notre pacte républicain, et l’adapter aux lourdes contraintes démographiques qui le fragilisent, pour en assurer la pérennité, est de notre responsabilité. Voilà pourquoi le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est essentiel.

Je tiens, monsieur le ministre, à souligner la qualité de votre expertise et du travail que vous avez mené avec un courage et une détermination édifiants pour nous tous, en particulier dans le contexte que nous connaissons.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Très bien !

Mme Marie-Christine Dalloz. Mon propos portera essentiellement sur le dossier de la pénibilité, dimension de la réforme sur laquelle j’ai le plus travaillé. Cette notion rencontre beaucoup d’incompréhension de la part de nos concitoyens, d’autant qu’elle cristallisait beaucoup d’attente. C’est un concept difficile à manipuler, parce qu’il contient en lui-même un certain nombre de caractéristiques subjectives qui rendent son opérationnalité délicate.

La vraie difficulté, tout au long de nos travaux, a d’ailleurs résidé dans la définition de la notion de pénibilité et l’indispensable élaboration de critères qui soient à la fois justes, exhaustifs, et opérationnels en ce domaine, tout en évitant bien évidemment de recréer un nouveau système de régimes spéciaux qui devient obsolète au gré des années et finit par être injuste et irréformable.

Ainsi, on a souvent entendu parler de critères tels que l’espérance de vie. Or, il existe des disparités importantes entre les différentes catégories de population, ne serait-ce qu’entre les hommes et les femmes, ou les habitants du Nord et ceux du Sud de la France.

M. Christian Hutin. Merci pour le Nord !

Mme Marie-Christine Dalloz. Ainsi, alors que l’espérance de vie pour une femme est de 85 ans en Midi-Pyrénées, elle tombe à 82 ans dans le Nord-Pas-de-Calais. Trois années de différence !

M. Christian Hutin. C’est exact !

Mme Marie-Christine Dalloz. Si, en plus, on intègre les catégories socioprofessionnelles, les écarts deviennent impressionnants. Il était matériellement impossible d’atteindre un tel niveau de détail dans un texte de loi.

Il convenait également de ne pas faire d’amalgame entre l’invalidité et l’incapacité. On ne doit pas parler d’invalidité pour désigner la prise en compte d’une incapacité permanente d’au moins 20 %. L’invalidité, pour beaucoup, est synonyme d’un état définitif et d’une inaptitude durable à exercer un emploi, ce qui n’est pas le cas avec un taux de capacité de 80 %. La confusion entre ces notions est un écueil qu’il faut impérativement éviter.

Nous avons tous pu débattre longuement de ce texte en commission des affaires sociales, mais également dans le cadre de groupes de travail créés par les députés de la majorité sous l’impulsion de leur président de groupe, Jean-François Copé, et qui ont mené des dizaines d’auditions. L’équilibre de votre texte, monsieur le ministre, combine des approches fondées sur l’exposition au risque et sur le constat d’incapacité.

C’est une très grande avancée : nous sommes le premier pays au monde à intégrer, dans les conditions de départ à la retraite, cette notion de pénibilité de la carrière, évaluée de manière personnelle – avec, pour ceux qui auront été marqués par leur carrière, l’obtention d’une retraite à taux plein à 60 ans, quelle que soit la durée de cotisation.

Il s’agit de cibler les parcours professionnels qui ont soumis les travailleurs à des contraintes particulières. Pour cela, vous avez souhaité retenir les critères définis par les partenaires sociaux, à savoir les contraintes physiques, l’environnement agressif et certains rythmes de travail.

La médecine du travail suivra l’exposition des salariés aux risques grâce au dossier médical. Le système devra être souple et juste. Si son application, que nous suivrons attentivement – c’est la raison pour laquelle nous attendons pour lui donner toute sa cohérence –, est satisfaisante, elle nous permettra de travailler sur la réforme annoncée de la médecine du travail.

À partir du moment où il faudrait travailler plus, il est capital de permettre à nos concitoyens de travailler mieux. À cet égard, la pénibilité doit être prévenue, et pas seulement réparée. C’est la raison pour laquelle un départ anticipé et sans décote à la retraite n’est qu’une partie de la solution, qui ne doit en aucun cas risquer de devenir une prime aux mauvais employeurs. C’est pourquoi le dispositif que je viens d’évoquer sera financé par la branche AT-MP – accidents du travail et maladies professionnelles.

En effet, lorsqu’un salarié est « usé » par des années de labeur, il faut, avant la multiplication des arrêts de maladie et l’inéluctable mise en invalidité, préparer la reconversion ou l’adaptation du poste de travail de ce salarié. C’est pourquoi cette notion d’exposition au risque devra impérativement être gérée dans le cadre des politiques de ressources humaines.

Nous avons auditionné nombre d’entreprises qui ont commencé à signer des accords collectifs sur le travail des seniors et sur la pénibilité, apportant des solutions innovantes sur les parcours professionnels et répondant à la fois aux aspirations légitimes de ces tranches d’âge et surtout à la souffrance de certaines personnes usées par leurs postes. Avec du volontarisme, nous pourrons créer des cercles vertueux en favorisant le tutorat et les adaptations de postes.

Vous avez indiqué à plusieurs reprises, monsieur le ministre, dans la presse et tout à l’heure, lors des questions au Gouvernement, que les articles concernant le titre IV sur la pénibilité n’étaient pas « figés ». Nous serons là pour débattre de manière approfondie et très concrète du dispositif proposé, mais je souhaitais, dans le cadre de cette discussion générale, remettre en perspective cette approche axée sur la santé, à la fois sur un plan préventif – en agissant au niveau des conditions de travail – et sur un plan individualisé, au regard de critères tels que l’exposition aux risques, qui a guidé toute notre réflexion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Souchet.

M. Dominique Souchet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà plusieurs mois maintenant que le Gouvernement a pris date avec les Français pour ce grand rendez-vous qu’est la réforme des retraites. Alors qu’on nous avait annoncé la « mère de toutes les réformes », ce qui nous est proposé s’apparente davantage à une mini-réforme de plus, conduite dans le même esprit que celle de 2003, qu’à un grand élan réformateur.

Mme Pascale Crozon. Très bien !

M. Dominique Souchet. Ce sera incontestablement une réforme utile en ce qu’elle permettra un rééquilibrage partiel des comptes pendant quelques années, mais, en se polarisant sur les paramètres financiers, elle passe à côté d’une réforme systémique qui était possible – et qui reste nécessaire si l’on veut que notre système de retraite soit véritablement pérennisé. En somme, si le Gouvernement n’a pas manqué de courage, il a cependant péché par défaut d’audace et de vision à long terme.

Mme Pascale Crozon. Absolument !

M. Dominique Souchet. L’inconvénient d’une réforme a minima, c’est que le législateur devra rouvrir le dossier, probablement dès la prochaine législature. L’inconvénient d’un choix de court terme, c’est qu’il ne peut aboutir qu’à une atténuation provisoire de déficit, très vite remise en cause.

Ainsi la réforme opérée en 2003 était-elle censée assurer l’équilibre pour vingt ans. Pourtant, à peine cinq ans plus tard, le système de retraite affichait déjà un déficit de 11 milliards d’euros. Quant à la réforme de 2010, telle qu’elle nous est proposée, elle va, certes, diminuer pendant quelques années le montant du déficit comblé par l’État, mais celui-ci atteindra de nouveau plus de 16 milliards dès 2018. La réforme ne modifie donc pas structurellement un système dans lequel le maintien du niveau des retraites continue de reposer sur l’emprunt.

On ne peut espérer mettre fin à cet engrenage, à ce travail de Sisyphe, sans engager une réforme systémique. Qu’entendons-nous par réforme systémique ? Essentiellement trois grandes orientations : premièrement, une orientation vers l’unification de nos régimes de retraite ; deuxièmement, une orientation permettant, sur cette base, le passage d’un système par annuités à un système par points ; troisièmement, enfin, une orientation qui place non plus à la marge, mais au cœur de notre système, le facteur qui conditionne son équilibre dans le long terme, à savoir le facteur démographique.

La division actuelle en 35 régimes obligatoires n’est plus tenable. Les raisons historiques de cet éclatement ont disparu. Il ne survit aujourd’hui qu’en raison de réflexes corporatistes qui ont peu à voir avec l’intérêt général. Ce morcellement de leur système de retraite, les Français sont aujourd’hui parfaitement conscients qu’il entraîne d’innombrables absurdités, injustices et dysfonctionnements. Ce maquis de régimes disparates rend notre système opaque et très difficile à piloter. Il complique toute tentative de réforme, car il rend difficile tout constat précis. Il rend complexe et sujette à caution toute projection. Il rend l’impact des mesures réformatrices difficile à évaluer.

Le maintien de ce patchwork empoisonne la vie des Français qui relèvent simultanément ou successivement de plusieurs régimes, ce qui est désormais le cas de la grande majorité d’entre eux.

Mme Pascale Crozon. Tout à fait !

M. Dominique Souchet. Il faut, enfin, ajouter que la multiplicité des régimes de retraite rend notre système très gourmand en frais de gestion. Selon plusieurs études économiques, un régime unique, du seul fait des simplifications de gestion, permettrait d’économiser 3 milliards d’euros chaque année.

Cette unification souhaitable est-elle réalisable ? Oui, si l’on se réfère au précédent réussi de la fusion des quarante régimes ARRCO, un travail considérable, bien préparé par les partenaires sociaux au cours de la décennie 1990 et réalisé en 1999 à la satisfaction générale. La réforme de 2010 offrait l’occasion, non pas de réaliser, mais au moins de lancer la préparation de l’unification de nos trois douzaines de régimes actuels. Certes, la réforme prévoit d’aligner en dix ans les taux de cotisation des régimes de retraites du public et du privé, et c’est une excellente disposition, mais l’ambition aurait dû être plus ample et plus forte et viser l’unification de l’ensemble des régimes existants.

Cette unification est un préalable nécessaire à la seconde étape d’une réforme systémique qui pourrait être celle du passage d’un système d’annuités à un système par points. Ce dernier, privilégié par le COR dans son rapport de janvier 2010, présente en effet plusieurs avantages décisifs.

Il permet une meilleure prise en compte des tendances démographiques. Il est plus économe et assure une meilleure justice intergénérationnelle, en aidant à mettre un frein au prélèvement sur les actifs. Il est surtout très responsabilisant, car il permet à chacun de choisir en toute connaissance de cause la date de son départ et le montant de la pension qu’il percevra en fonction de la date retenue.

Parce qu’il garantit la lisibilité du système, le régime par points est l’instrument qui permet à chaque futur pensionné d’exercer sa liberté de manière pleinement responsable.

Nos régimes complémentaires fonctionnent déjà avec un système par points, et plusieurs pays tels que l’Allemagne ou la Suède l’ont généralisé, selon des modalités diverses, avec des effets extrêmement positifs.

Ces systèmes prévoient l’envoi de relevés annuels donnant à chaque assuré le nombre de points acquis dans l’année, le cumul de ses points et des projections sur le montant de sa pension en fonction de la date de départ.

Le Gouvernement n’a pas souhaité, à la faveur du présent projet, s’engager sur la voie d’une réforme structurelle de cette nature. On peut le regretter, car il faudra remobiliser les énergies pour la faire aboutir. Elle apparaît en effet comme la mieux à même de consolider les fondations de notre système de retraite par répartition et la solidarité intergénérationnelle qui le caractérise.

Elle permettrait en outre de mettre en œuvre le troisième paramètre que doit comporter une réforme systémique : la prise en compte du facteur démographique. Dans le cadre d’un nouveau système unifié, plus juste et pérenne, l’attribution des points pourrait en effet se faire pour partie en fonction des cotisations et pour partie au titre des enfants élevés.

Rien n’interdirait non plus de prévoir des bonifications spécifiques, par exemple pour prendre en compte l’engagement dans le monde associatif, tant le bénévolat a besoin aujourd’hui d’être fortement encouragé pour continuer à être un élément constitutif de notre sociabilité.

C’est la variable démographique qui, en dernier ressort, conditionne l’avenir de notre système de retraites. Elle doit donc être placée au centre de toute réforme systémique.

Nous savons tous que les pensions futures ne sont nullement payées par les cotisations : celles-ci financent uniquement les pensions de l’année en cours. Les pensions futures, ce sont les jeunes générations, et elles seules, qui peuvent en assurer l’existence.

Or, selon l’INSEE, il n’y aura plus en 2020 que 1,5 actif pour un retraité, et 1,2 en 2050. Ce problème structurel tient à la natalité insuffisante des trente dernières années. Il tient aussi au gonflement du nombre des retraités partis à 60 ans à la suite du choix politique irresponsable effectué en 1982, où l’on a commis l’erreur historique d’abaisser l’âge légal au moment où l’espérance de vie s’envolait et où la natalité s’affaissait.

Si, à cette époque, l’âge légal du départ en retraite avait été maintenu à 62 ans, nous discuterions en ce moment non pas de la résorption du déficit, mais de la gestion des excédents !

L’espérance de vie après le départ à la retraite est aujourd’hui de plus de vingt ans. Quant à la natalité, elle est toujours insuffisante pour assurer le renouvellement des générations.

Pour sortir de l’impasse, deux choix s’imposent. Le premier consiste à faire sauter le verrou des 60 ans, comme le prévoit le projet de loi. À ce titre, je veux saluer le courage du Gouvernement, qui a tenu bon dans cette voie.

Le second passe par la reconnaissance de l’effort des familles dans le renouvellement des générations, sans lequel la survie du système sera à terme impossible.

Parmi les injustices du système actuel, il faut mentionner l’insuffisance des avantages familiaux. Chaque année, la charge – qui en fait est un investissement – correspondant à l’éducation de la nouvelle génération représente environ 450 milliards d’euros. Elle pèse à 60 % sur les familles et à 40 % sur la collectivité. Or, selon le COR, les droits familiaux à pension ne représentent que 8 % des retraites.

Ceux qui contribuent le plus à la pérennité du système sont aujourd’hui, paradoxalement, ceux qui en reçoivent le moins. Plus une femme a d’enfants, plus sa retraite moyenne est basse. Il faut inverser cette logique. L’attribution de points pour chaque enfant serait infiniment plus simple et plus juste que les dispositions actuelles.

Si cette perspective n’est pas immédiate, rien n’empêche d’inscrire pour l’heure dans le projet de loi des mesures concrètes allant dans cette direction. Pourquoi ne pas envisager une meilleure prise en compte du congé maternité qui, à l’heure actuelle, ne compte même pas comme période cotisée pour la retraite ? C’est le sens de l’amendement que propose Marc Le Fur, et auquel j’apporte mon entier soutien.

Pourquoi ne pas appliquer un système de bonus aux pensions de retraite en fonction du nombre d’enfants élevés ? C’était une promesse de Nicolas Sarkozy dans son programme de 2007 : allouer « des droits sociaux et des droits à la retraite à ceux qui se consacrent à l’éducation de leurs enfants ». Il est dommage que cet engagement n’ait pas reçu de traduction concrète dans le cadre de ce projet de réforme.

Pourquoi, enfin, ne pas porter une attention particulière aux jeunes veufs et veuves ayant charge de famille, en assurant au conjoint survivant, en cas de reversion, un revenu disponible correspondant aux deux tiers des revenus antérieurs du couple ?

Ces différentes mesures visent en fait le même objectif : encourager les familles qui le souhaitent à accueillir leurs enfants. Sans l’assurance d’une aide convenable au moment de la retraite, comment les familles pourraient-elles sereinement effectuer ce choix décisif pour l’avenir de notre système de retraite ?

Le Gouvernement aborde aujourd’hui courageusement l’avenir à court terme de notre système. Il ne faut pas pour autant oublier le long terme. Il faudra remettre l’ouvrage sur le métier pour engager une véritable réforme systémique novatrice, s’articulant autour de l’unification et de la lisibilité de nos différents régimes et d’un soutien résolu aux familles. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons assurer durablement la survie de notre régime solidaire de retraite par répartition et redonner aux Français, et en particulier aux jeunes générations, une pleine confiance dans leur système de retraite.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, qui sera la dernière à s’exprimer ce soir.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous abordons ce projet de loi sur les retraites, que je qualifierai d’emblée de socialement injuste et d’économiquement inefficace, dans des conditions assez mauvaises : une seule lecture et seulement cinquante heures de discussion.

Les confédérations syndicales se sentent, de plus, particulièrement flouées par la concertation que vous prétendez avoir menée et qui n’a été qu’une duperie du début à la fin. Vous avez réussi le tour de force de braquer contre vous jusqu’aux organisations syndicales habituellement les plus modérées.

Le rejet massif du monde du travail est sans nuance ; les manifestations d’aujourd’hui en sont la preuve criante. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas des aménagements à la marge, mais le rejet du cœur même de votre projet.

Ce débat est aussi une preuve de plus que la parole du Président de la République n’a qu’une valeur très relative. N’avait-il pas répété lors de sa dernière campagne présidentielle qu’il ne reviendrait pas sur la retraite à 60 ans ? Il est vrai qu’il est coutumier du fait : rappelons-nous sa promesse de ne pas privatiser GDF !

C’est toujours lui qui nous expliquait que, grâce à la réforme de 2003, dite réforme Fillon, le financement des retraites était garanti jusqu’en 2012. Visiblement, à l’UMP, ce qui compte est l’aplomb, non la véracité des faits.

D’ailleurs, monsieur le ministre, en vous écoutant, j’ai été interloquée par vos propos, que je résumerai en disant que vous avez asséné – au choix – des demi-mensonges ou des demi-vérités. « Qui peut croire… ? », avez-vous répété à plusieurs reprises, monsieur le ministre. Justement : qui peut croire un président de la République qui ne tient pas ses engagements ? Qui peut croire un ministre qui nous dit qu’il n’y a plus de problème de nombre de trimestres pour les femmes ?

Vous avez même dit qu’avec les dispositifs additionnels les femmes auraient bientôt plus de trimestres que les hommes !

M. Éric Woerth, ministre du travail. C’est vrai !

Mme Martine Billard. Dites-vous donc, monsieur le ministre, que la délégation aux droits des femmes ment ?

Qui peut croire un ministre qui nous dit que la retraite sans décote est à 62 ans ?

Mme Valérie Rosso-Debord. Ce sera bien le cas !

M. Denis Jacquat, rapporteur. Il n’y a pas que le ministre qui le dise : nous disons la même chose !

Mme Martine Billard. C’est faux, tout simplement parce que cela dépend aussi de la durée de cotisation – vous le savez très bien – et que, pour pouvoir partir à 62 ans avec 41 ans et demi de cotisations, donc sans décote, il faudra avoir commencé à travailler avant 21 ans, ce qui sera de moins en moins le cas des futurs retraités – et qui n’est déjà pas vrai pour ceux qui partent aujourd’hui –, tout simplement parce qu’ils commencent à travailler plus tard, soit parce qu’ils suivent des études, soit parce qu’ils ont des difficultés à entrer dans le monde du travail.

En résumé, qui peut vous croire, monsieur le ministre ? C’est le verre à moitié vide ou à moitié plein : il s’agit soit de demi-mensonges, soit de demi-vérités.

Mme Valérie Rosso-Debord. Mais c’est la vérité !

Mme Martine Billard. Vous répétez que la situation démographique des années à venir justifie vos mesures en vous appuyant sur les politiques menées chez nos partenaires européens. Pour nous, ce n’est pas un argument. Ce n’est pas parce que certains pays mènent une mauvaise politique que nous sommes fondés à les imiter.

D’abord, les données démographiques sont totalement différentes d’un pays à l’autre. À quoi sert de comparer la France à l’Allemagne, dont la population diminue depuis les années soixante-dix, alors que celle de notre pays est en augmentation régulière ?

Il est regrettable d’ailleurs que le COR n’ait pas souhaité faire de simulation sur la base du niveau actuel de l’indice de descendance finale, qui est de 2,14 pour les femmes nées en 1957, et une estimation d’un taux de 2 pour les femmes des générations suivantes, conformément au bilan démographique 2007 de l’INSEE. En effet, les calculs du précédent rapport du COR, réalisé avant la crise, avaient démontré que le passage d’un taux de descendance finale de 1,7 à 1,9 entraînait une diminution de 40 % des besoins de financement à l’horizon 2050.

Vous nous dites que l’augmentation de l’espérance de vie justifie l’augmentation du nombre d’années de travail. Justement non, car l’augmentation du nombre d’années au travail aura précisément comme conséquence la diminution de l’espérance de vie, et surtout de l’espérance de vie en bonne santé.

M. Éric Woerth, ministre du travail. En aucune façon !

Mme Martine Billard. Car c’est bien cela qui compte : la durée de vie en bonne santé. Or de ce point de vue les chiffres ont peu évolué : 59 ans pour les ouvriers, 69 ans pour les cadres – ce sont les chiffres de l’INED.

Non, monsieur le ministre, l’allongement de l’espérance de vie ne doit pas entraîner automatiquement le report de l’âge de départ à la retraite, car le fait de vivre plus vieux après 80 ans ne dit rien sur l’état physique à 60 ans.

Que démontrent d’ailleurs les tableaux de comparaison en Europe ? Tout simplement que les âges effectifs de départ en retraite ont rarement à voir avec les âges légaux et qu’ils sont assez similaires d’un pays à l’autre.

De plus, le rapport actifs-retraités n’est pas aussi dégradé en France que dans les autres pays d’Europe.

M. Arnaud Robinet. Quelle imposture !

Mme Martine Billard. Surtout, ce n’est pas le nombre d’actifs potentiels qui importe, mais bien le nombre de cotisants, car des actifs au chômage ne participent pas au financement des retraites. La question première est donc bien celle de l’emploi : si tous les actifs avaient un emploi, la question du financement serait en grande partie résolue.

Enfin, dire comme vous le faites que le nombre d’actifs par retraité diminue ne suffit pas à expliquer le problème de financement des retraites, puisque deux salariés produisent en 2010 autant de richesses que trois salariés le faisaient en 1982, date à laquelle la gauche a instauré la retraite à 60 ans. Vous faites l’impasse sur l’évolution de la productivité.

M. Éric Woerth, ministre du travail. Elle vaut aussi pour les autres pays !

Mme Martine Billard. Les plus de 60 ans représentent aujourd’hui 22,6 % de la population, et le total des retraites versées 12,8 % du PIB. Si la part des plus de 60 ans augmente dans la population, il n’est pas scandaleux que la part du revenu social les concernant augmente. Les retraités ne sont pas une charge, mais une richesse pour le pays.

Vous avez hérité en 2002 de comptes qui s’amélioraient chaque année. D’ailleurs, quand on regarde les déficits publics sur les trente dernières années, on remarque qu’ils ont baissé à chaque fois qu’il y avait des gouvernements de gauche et augmenté sous tous les gouvernements de droite. Depuis 2002, et plus encore depuis 2007, vous avez laissé filer les déficits de l’État, de l’assurance maladie et des régimes de retraite. Et pour l’essentiel les déficits viennent des colossales réductions d’impôts – entre 70 et 80 milliards de recettes perdues, soit 5 à 6 % du PIB – …

M. Jean-Claude Sandrier. Eh oui !

Mme Martine Billard. …et d’exonérations de cotisations de toutes sortes que vous avez accordées aux plus nantis de notre pays.

Au passage, je remarque d’ailleurs qu’une nouvelle niche fiscale a été votée cet après-midi en commission. Pourtant, tous nos amendements de financement ont été rejetés au nom du fait que le débat sur cet aspect aurait lieu au moment du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

C’est votre politique de diminution des impôts – majoritairement pour les hauts revenus, d’ailleurs – qui est la raison du creusement du déficit, et non l’augmentation des dépenses.

Ceux qui ont profité des cadeaux fiscaux que vous leur avez faits avec le paquet fiscal et autres mesures de dépenses fiscales diverses qui aujourd’hui atteignent les 75 milliards d’euros – c’est le rapporteur général qui le dit – utilisent cet argent pour spéculer. Cet argent, qui alimentait auparavant les caisses de l’État, ne s’est donc pas dirigé vers les investissements productifs comme vous essayez vainement de le faire croire aux Français.

C’est de l’argent improductif, qui ne sert donc plus à garantir les moyens nécessaires au respect des politiques régaliennes de l’État – comme la police et la justice –, à l’investissement public, par exemple dans les écoles, au maintien des services publics comme les transports et les hôpitaux, mais permet au contraire à quelques-uns de s’enrichir au détriment de la majorité de la population et de la planète, dont ils accentuent la dégradation par leurs dépenses inutiles et polluantes.

Les salariés ne sont pas responsables de la crise, et ce n’est pas à eux de la payer. Ils ont donc l’impression d’être les dindons de la farce lorsque vous venez leur présentez la note avec cette réforme des retraites.

Vous avez aussi sabordé le Fonds de réserve des retraites en ne l’alimentant pas depuis 2002 comme il était prévu. Il avait été mis en place pour faire face au pic démographique des départs en retraites en 2020 ; mais vous allez carrément le piller pour renflouer les déficits creusés par vos propres politiques. Et en 2020, lors du pic démographique, il y aura un problème de financement !

M. Denis Jacquat, rapporteur. Il y aura le rendez-vous de 2018 !

Mme Martine Billard. Votre réforme est donc tout à fait injuste socialement.

Nous voulons, nous, préserver le double acquis de 1945. D’abord, nous voulons maintenir un régime par répartition, fondé sur le principe de solidarité entre générations : les cotisations des actifs actuels servent à payer les pensions des retraités actuels.

M. Arnaud Robinet et Mme Valérie Rosso-Debord. Nous aussi, nous voulons le préserver !

Mme Martine Billard. Ensuite, nous voulons préserver et élargir le système à prestations définies qui est celui du régime général. Ce sont les cotisations qui doivent être calculées en fonction de l’équilibre financier à atteindre – sans compter le financement par l’impôt pour la solidarité, notamment à travers le Fonds de solidarité vieillesse. Aujourd’hui, de nombreux dispositifs successifs ont affaibli ces contributions : les exemptions et exonérations de cotisations sociales représentent 30 milliards d’euros. Selon vos propres chiffres, monsieur le ministre, 30 milliards, c’est le déficit pour 2010 !

Nous refusons donc clairement d’aller vers un système à cotisations définies – que ce soit dans le cadre d’un régime par points ou dans celui à comptes notionnels, où le montant de la pension est inconnu, contrairement, d’ailleurs, à ce qu’a dit notre collègue précédemment : on connaît le nombre de points, mais on ignore la valeur du point. Nous refusons que le montant des pensions puisse être remis en cause par les évolutions de la Bourse ou de l’espérance de vie.

Vous répétez que vous voulez sauver le régime par répartition, que vous refusez la baisse du montant des pensions. Mais cela, c’est pour l’affichage. En réalité, votre réforme, et notamment la modification des bornes d’âge, aura comme conséquence une baisse des pensions. Vous cherchez à instiller un climat de peur sur l’avenir des retraites pour inciter les Français à se tourner vers une retraite par capitalisation.

M. Arnaud Robinet. Mais non !

M. Denis Jacquat, rapporteur. C’est une psychose !

Mme Martine Billard. Vous supposez que si les Français ont peur de percevoir des pensions trop faibles, ils n’auront d’autre choix que de se tourner vers l’épargne-retraite. Mais, comme décidément nos concitoyens n’y mettent vraiment pas du leur, et que la Fédération française des sociétés d’assurance s’impatiente, vous êtes passé à la phase suivante : l’épargne-retraite contrainte. Ainsi, un amendement voté cet après-midi en commission rend l’adhésion au plan d’épargne-retraite collectif de l’entreprise obligatoire pour tous les salariés de l’entreprise concernée. Au mois de juillet avait déjà été voté le versement automatique au PERCO d’une partie de la participation.

Que demandait la Commission européenne ? L’allongement de l’âge effectif de départ à la retraite ; la réduction des dépenses publiques ; le développement et renforcement des capacités des régimes par capitalisation : c’est ce que vous faites. Alors, on a entendu tout à l’heure que Marx n’était pas le maître à penser de l’UMP – mais les fonds de pension européens, certainement !

La loi que vous nous présentez renforcera plus encore les discriminations sociales dans notre pays. Une fois de plus, ce sont les salariés qui en feront les frais, particulièrement ceux qui se trouvent dans les situations les plus précaires et ceux qui ont subi les parcours professionnels les plus instables, au premier rang desquels on trouve les femmes. En ce sens, les travaux de la délégation aux droits des femmes de notre assemblée sont d’une terrible limpidité.

Les femmes seront les premières touchées par ce texte anti-social puisque déjà actuellement 30 % d’entre elles – contre 5 % des hommes – doivent attendre 65 ans pour pouvoir prendre une retraite sans décote. Les femmes partent d’ailleurs plus tard en retraite – 61,4 ans contre 59,5 % pour les hommes –, et 41 % d’entre elles seulement effectuant une carrière complète contre 86 % des hommes, ce qui entraîne une différence de vingt trimestres cotisés – 137 contre 157. En conséquence, le montant moyen des retraites des femmes est inférieur de 38 % à celles des hommes ; la retraite moyenne des femmes est de 826 euros.

Je cite la délégation aux droits des femmes : « En conséquence, les écarts de durée d’assurance entre les hommes et les femmes se resserrent effectivement, au fil des générations ; la durée d’assurance validée par les femmes s’accroît, tout en restant inférieure à celle des hommes : entre quarante et cinquante ans, l’écart de durée moyenne d’assurance passerait de vingt-trois à quatorze trimestres. » Quatorze trimestres, monsieur le ministre, ce n’est pas la suppression des écarts !

C’est pourquoi, avec d’autres députés du groupe GDR, je m’associe à la démarche des associations qui ont décidé de saisir la HALDE des conséquences discriminatoires de cette réforme pour les femmes.

Quant à la pénibilité, les mesures envisagées ne devraient concerner au mieux que 10 000 à 12 000 personnes par an, quand les études montrent que 100°000 à 120 000 personnes sont touchées par les phénomènes de pénibilité et d’usure au travail, qu’ils soient physiques ou psychologiques.

Vous proposez que le dispositif repose sur un seuil de 20 % d’incapacité permanente. Mais des médecins du travail, notamment le professeur François Guillon, spécialiste de médecine du travail et de santé au travail à Bobigny et des associations comme la FNATH, l’Association des accidentés de la vie, le relèvent très justement : ce seuil n’a « aucune pertinence médicale ». Il ne vise qu’à limiter à une petite minorité le nombre de personnes qui bénéficieront du dispositif.

Prenons quelques exemples de personnes qui seront écartées par la loi. Selon le professeur Guillon, « pour les maladies professionnelles les plus fréquentes, les troubles musculo-squelettiques, les incapacités permanentes moyennes ne dépassent 15 % que dans moins de 1 % des maladies. Pour les accidents du travail, les incapacités permanentes moyennes les plus importantes s’observent dans le BTP et n’atteignent que 12 %. »

Vous ne prenez pas non plus en compte l’exposition à des substances cancérigènes « ou plus généralement » – selon le même médecin – « qui peuvent avoir un effet à long terme sur la santé après l’arrêt de l’activité ». Ainsi, vous écartez « toutes les pathologies évolutives – et notamment les cancers – qui se déclarent souvent tardivement et qui ne peuvent dans bien des cas faire l’objet d’une stabilisation pour obtenir la fixation d’un taux ». De plus cela présuppose la reconnaissance par les caisses qu’il s’agit bien d’une conséquence du travail, avec tous les aléas que l’on connaît.

Enfin, pour bénéficier d’un départ anticipé, vous proposez de prendre en compte la notion de « lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle ». Permettez-moi de douter de l’efficacité d’un tel dispositif dans la mesure où cette notion ne revêt ni un caractère juridique, ni un caractère médical !

Au final, cette mesure ne changera guère la situation présente. En quelque sorte, vous osez présenter le fait de ne pas aggraver une situation comme un progrès : la ficelle est un peu grosse.

Pour qu’un projet de loi prenne réellement en compte la pénibilité au travail, il faudrait d’abord le fonder sur l’espérance de vie sans incapacité. Ce n’est pas difficile ; il suffit de se reporter aux nombreuses études épidémiologiques existantes, qui démontrent toutes que l’espérance de vie sans incapacité est extrêmement variable selon les métiers et les conditions de travail. Et il faudrait d’autre part permettre à toutes personnes exposées aux risques définis précédemment de partir avant 60 ans sans décote pour les travaux les plus pénibles. En fait, il faudrait appliquer à tous les salariés exposés à un risque reconnu le régime actuel des personnes exposées à l’amiante.

Ce n’est pas ce que vous avez choisi, puisqu’il faudra pour partir à 60 ans être déjà dans une situation de handicap et qui plus est que celui-ci ait été préalablement reconnu. Votre projet « n’a donc rien à voir avec la pénibilité : utiliser ce terme relève d’une erreur scientifique » ; c’est le professeur Guillon qui le dit.

Il est pour le moins irresponsable de faire le constat de la pénibilité sans s’intéresser, ou presque, à ce qui devrait au contraire constituer un préalable : la prévention.

Ultime aberration : des amendements adoptés aujourd’hui en commission organisent le début du démantèlement de la médecine du travail. Ainsi, plusieurs catégories de salariés, et notamment toutes celles et ceux qui sont victimes des contrats de travail les plus précaires, ne relèveront plus de médecins spécialisés en médecine du travail. Votre réforme est donc injuste.

Elle est, de surcroît, inefficace. Alors que les niches fiscales se sont multipliées, alors que les réductions d’impôts pour les plus riches n’ont cessé de croître depuis 2002 et plus encore depuis 2007, vous vous apprêtez à saigner un peu plus les futurs retraités.

Oui, une autre réforme est possible. Le Parti de gauche est favorable à une réforme des retraites : il faut effectivement régler la question du financement. Mais nous affirmons que le financement de la retraite à 60 ans est possible. C’est le sens des mesures contenues dans la proposition de loi que nous avons déposé en commun avec nos collègues communistes ; tout au long de ce débat, nous défendrons, sous forme d’amendements, les dispositions contenues dans cette proposition.

Il est vrai que la réforme que nous appelons de nos vœux n’a que peu de rapport avec vos objectifs, qui visent globalement à étouffer les retraites par répartition pour se tourner vers cette vieille lune que sont les retraites par capitalisation. La crise actuelle nous a montré une fois de plus les conséquences d’un tel système : la spéculation sans limite, l’effondrement du revenu des retraités dès qu’une crise apparaît – regardez où en est la Suède, qui a un système par points –, voire, dans le cas des régimes par capitalisation, la ruine totale de générations de retraités quand un fonds de pension fait faillite – au cours des dix-huit derniers mois, les fonds de pensions américains ont ainsi perdu plus de 2 000 milliards de dollars. C’est ce dont nous ne voulons pas.

Nous nous inscrivons dans une tout autre perspective : notre démarche se fonde sur une solidarité entre générations. Ainsi, tout comme nous devons laisser aux générations qui nous succéderont une planète et une humanité en bon état, nous devons assurer la retraite de ceux qui nous ont précédés. C’est la même démarche de solidarité.

M. Denis Jacquat, rapporteur. C’est ce que nous voulons nous aussi !

Mme Martine Billard. Le retour à l’équilibre est possible. Le nombre de retraités est passé de 7 millions à 15 millions en trois décennies, quasiment sans hausse de cotisation. C’est la création d’emplois – environ 2 millions en dix ans – qui a permis de financer cette augmentation. On voit donc bien que la baisse massive du chômage est au cœur du financement de notre système de retraite.

Le système actuel peut et doit être renforcé et amélioré. Nos propositions s’organisent autour des principes suivants : la garantie d’un droit à la retraite à 60 ans et le refus du report à 67 ans des retraites sans décote ; l’assurance d’un taux de remplacement moyen d’au moins 75 % du dernier salaire ; le refus de l’augmentation de la durée de cotisation, qui revient à remettre en cause le départ à 60 ans. Il faut aussi permettre à ceux qui ont des carrières longues de partir sans décote, même avant 60 ans : avec votre réforme, ceux qui ont commencé à dix-huit ans devront cotiser 44 ans. Nous sommes en profond désaccord avec cette proposition. Cela veut dire aussi qu’il faut reconnaître collectivement des métiers et des postes pénibles, ouvrant automatiquement le droit au départ anticipé à la retraite à taux plein dès 55 ans.

Nous souhaitons qu’il n’y ait pas de retraite inférieure au SMIC. Nous disons que les mesures des réformes précédentes, notamment le calcul du montant sur les vingt-cinq meilleures années – au lieu de dix – dans le secteur privé, et l’indexation sur les prix et non plus sur les salaires ont provoqué une baisse des pensions.

Les régimes complémentaires – AGIRC, ARRCO – doivent s’aligner sur la loi et maintenir le droit à la retraite à 60 ans – droit que le patronat tente de remettre en cause à chaque nouvelle négociation.

M. Arnaud Robinet. Et comment financez-vous tout cela ?

Mme Martine Billard. Comment nous le finançons ? Je vous l’ai dit, nous avons déposé une proposition de loi sur ce sujet.

Ce que nous proposons, c’est de garantir un financement pérenne par la redistribution d’une part des revenus qui ne viennent pas du travail, mais essentiellement de la spéculation.

Pour nous, la retraite est un droit, pas une aumône ; il est légitime de ne pas passer toute sa vie à la gagner. C’est un choix de société, c’est un choix de répartition des richesses. Le temps du travail est indispensable à la vie en société, car il faut bien produire ce dont nous avons besoin, et chacun doit pouvoir participer à cette production dont tous ont besoin. Mais le travail ne doit pas asservir l’être humain. Le droit à la retraite n’est pas un privilège : la retraite est, comme l’éducation, un moment de la vie.

La réforme des retraites mérite un débat national pour qu’un texte recevant l’approbation des Français puisse émerger. Il est donc urgent, monsieur le ministre, de retirer votre projet de loi. Mais si, malgré les mobilisations, malgré le rejet massif de votre projet, vous vous obstinez, alors le Président de la République a l’obligation morale de soumettre son projet au référendum. Il a lui-même dit qu’il n’était pas mandaté pour supprimer la retraite à 60 ans, qu’il n’avait pas été élu pour cela. S’il s’obstine, qu’il redonne donc la parole aux Français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 8 septembre 2010, à zéro heure cinquante-cinq.)