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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 6 juin 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Jean-Pierre Balligand

1. Projet de loi de finances rectificative pour 2011 (suite)

Motion de renvoi en commission

M. Jean-Pierre Brard

M. Pierre-Alain Muet, M. Jean-Claude Sandrier, M. Charles de Courson, M. Yves Censi

Discussion générale

M. Henri Emmanuelli

M. François de Rugy

M. Charles de Courson

M. Jérôme Chartier

Mme Aurélie Filippetti

M. Jean-Claude Sandrier

M. Philippe Vigier

M. Michel Bouvard

M. Daniel Garrigue

Présidence de M. Marc Le Fur

M. Jean-Pierre Balligand

Mme Françoise Branget

Présidence de M. Jean-Pierre Balligand

M. Christian Eckert

M. Michel Diefenbacher

M. Bernard Derosier

M. Hervé Mariton

M. Marc Goua

Mme Arlette Grosskost

M. Gérard Charasse

M. Jean-François Lamour

M. Victorin Lurel

M. Michel Piron

M. Gérard Bapt

M. Martial Saddier

M. Thierry Carcenac

M. Yves Censi

M. Jean Launay

M. Yves Vandewalle

M. Yves Durand

M. Louis Giscard d’Estaing

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Jean-Pierre Balligand,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Projet de loi de finances rectificative pour 2011 (suite)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011 (n°s 3406, 3503, 3501).

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, mes chers collègues, nous avons assisté tout à l’heure à deux discours fantastiques, celui de Charles-Amédée de Courson et celui de Jérôme Chartier.

Le Nouveau Centre s’est battu, a déclaré Charles-Amédée de Courson. En l’entendant, je pensais à la chèvre de M. Seguin qui, toute une nuit, résista, se battit et, le matin venu, rendit les armes et fut dévorée par le méchant loup – en l’occurrence, l’UMP…

Quant à Jérôme Chartier, en l’écoutant, je pensais à Joinville,…

M. François Scellier. Joinville-le-Pont ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. …l’hagiographe de Saint Louis, qui ne trouvait évidemment que des mérites à son roi. Je voyais la ressemblance, mais j’ai trouvé la différence : si Saint Louis est resté dans l’Histoire, je ne suis pas sûr que Nicolas Sarkozy y entrera – et son hagiographe pas davantage !

À peine a-t-il été élu Président, l’une des premières mesures de Nicolas Sarkozy a été d’abaisser le bouclier fiscal pour remercier ses amis, les Bolloré, les Lagardère, les Pinault, les Bettencourt. Cette mesure injuste est la marque indélébile qui rappelle au peuple français que l’actuelle majorité ne sert pas l’intérêt du plus grand nombre mais bien celui des privilégiés.

Tout à l’heure, monsieur le ministre, j’ai été impressionné par votre plaidoyer sur le ton de l’évidence. Mais quand on manie l’évidence, c’est souvent qu’on a bien du mal à formuler des arguments. « Mais, ma bonne dame, des riches et des pauvres, il y en a toujours eu, il y en aura toujours, on n’y changera jamais rien… » C’était un peu cela, la tonalité de votre discours. Vous n’avez eu de cesse de défendre corps et âme ce dispositif – surtout depuis que vous êtes ministre, d’ailleurs ! Mais voilà qu’à l’approche de l’élection présidentielle, le locataire de l’Élysée fait désormais mine d’avoir compris ses erreurs et annonce la suppression de ce bouclier pour les riches. Mais personne n’est dupe, et les Français encore moins.

Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 que vous nous soumettez n’est pas le printemps fiscal que vous avez annoncé et dont nous avons pourtant impérativement besoin. C’est au contraire la continuité de votre politique de classe, pour nommer les choses par leur nom, politique qui conduit à appauvrir le plus grand nombre de nos concitoyens au profit d’un petit nombre de privilégiés.

Certes, Christine Lagarde nous a expliqué que si l’on considérait les agrégats, le pouvoir d’achat moyen des Français avait augmenté. J’ai fait le marché hier à Montreuil, monsieur le ministre, et je vous assure que je n’ai pas vu à l’étal des agrégats comestibles. Je vous imagine faisant vos courses sur le marché de votre bonne ville de Troyes, au milieu de gens modestes, pleins de bon sens. Je vois d’ici leur maire devenant totalement schizophrène et ne ressemblant plus du tout au ministre : il sait qu’on ne peut pas faire prendre aux Troyens des vessies pour des lanternes. Je suis certain que, si vous avez fait votre marché hier entre les laitues, les tomates et peut-être les concombres (Sourires), vous n’avez pas osé dire aux Troyens que leur pouvoir d’achat avait augmenté. Ce n’est donc pas la peine de nous raconter des balivernes en utilisant la langue de bois pour faire croire aux Français des choses que leur expérience du quotidien dément.

En réalité, mes chers collègues de la majorité, vous représentez des intérêts et il faut que vous assumiez ce que vous êtes : ce ne sont pas les intérêts de la nation, mais bien ceux d’une minorité. La preuve en est encore votre réforme de l’ISF, qui impactera les finances publiques de 1,8 milliard d’euros à partir de 2012. Pendant deux ans, Pierre-Alain Muet l’a souligné, les contribuables les plus riches vont bénéficier de la baisse des taux de l’ISF tout en continuant à profiter du bouclier fiscal.

Ce décalage dans le temps va permettre à certains contribuables de diviser par quatre leurs impôts pendant cette période. Au hasard, prenons l’exemple de quelqu’un de bien connu, une mère affectueuse pour sa fille (Sourires) :mamie Liliane qui, grâce au bouclier fiscal, payait 40 millions d’euros d’impôt en 2010 – parfaitement, monsieur Couanau : je sais que vous partagez mon avis. (Sourires.)

M. René Couanau. Mais je n’ai rien dit !

M. Jean-Pierre Brard. Avec le nouveau barème de l’ISF, plus la déduction des 32 millions d’euros au titre du bouclier fiscal, Mamie Liliane ne payera plus que 10 millions d’euros d’impôt en 2011 et 2012. Si vous voulez qu’on vous croie, monsieur le ministre, démontrez-nous que ce n’est pas exact. Là, vous allez être très emprunté…

M. Henri Emmanuelli. Emprunter ? On n’a plus les moyens !

M. Jean-Pierre Brard. …ou alors il vous faudra avoir recours à la science d’un de nos collègues comme Christian Eckert, qui connaît toutes les ficelles de la mathématique pour arriver à monter un raisonnement susceptible de nous convaincre.

M. Christian Eckert. Là, les ficelles sont grosses !

M. Jean-Pierre Brard. Effectivement, et la science y est pour peu de choses : nous sommes plutôt dans le domaine du magasin de farces et attrapes, pour faire croire aux gens modestes qu’ils vont être servis par votre politique.

Comment pouvez-vous justifier une telle mesure qui va ainsi bénéficier à Mme Bettencourt alors qu’il y a à peine un mois, vous nous avez soumis le projet de réforme constitutionnelle imposant le respect de l’équilibre budgétaire ? Si vous étiez cohérent avec vos intentions affichées, vous supprimeriez le bouclier fiscal sans toucher à l’ISF ; mais votre soumission aux nantis et aux possédants vous coupe totalement de la vie quotidienne des Français, dès lors que vous êtes à Paris, et vous interdit d’entendre leur souffrance et leurs fins de mois difficiles.

« Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte ; sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte. » On jurerait que Confucius pensait à votre politique lorsqu’il a écrit ces mots !

Sous le régime sarkozyste, l’injustice fiscale et l’injustice sociale sont devenues la norme, n’en déplaise à notre collègue Chartier. Les inégalités se creusent, et les services publics, notre bien commun, qui permettaient d’assurer une égalité de traitement, sont soit en cours de privatisation, soit soumis à des suppressions d’effectifs telles qu’ils ne peuvent plus accomplir sereinement leurs missions.

M. Jérôme Chartier. Comme à la mairie de Montreuil !

M. Jean-Pierre Brard. J’attends d’ailleurs le jour où le député Chartier prônera dans votre circonscription, devant ses électeurs, la réduction du nombre d’enseignants et d’infirmières à l’hôpital. Ce jour-là seulement, on pourra croire à la sincérité de ses convictions !

La situation est particulièrement dramatique dans l’éducation nationale, où la politique de non-remplacement d’un départ en retraite sur deux fait des ravages. Alors que le nombre d’élèves augmentera à la rentrée, 16 000 postes seront supprimés.

Votre gouvernement, monsieur le ministre, s’est enfin décidé à revenir sur le bouclier fiscal, mais ce projet de loi de finances rectificative s’inscrit dans la droite ligne des lois de finances précédentes, en accordant toujours plus de cadeaux aux plus riches, en poursuivant le jeu de massacre de nos services publics, autrement appelé RGPP, et en omettant intentionnellement de proposer la moindre mesure concrète favorisant le pouvoir d’achat des couches pauvres ou moyennes de notre société. Je vous suggère de répondre à ces arguments dans votre explication de vote, monsieur Chartier – avec ou sans agrégats !

Pourtant, les moyens d’augmenter les salaires et les retraites existent. Les banques françaises, qui ont versé sans sourciller 2 milliards d’euros de bonus aux traders, ou bien encore les entreprises du CAC 40, qui ont donné 40 milliards d’euros à leurs actionnaires en 2010, nous montrent le chemin des lieux où des sommes d’argent faramineuses s’accumulent.

Les salaires des patrons des entreprises du CAC 40 sont démesurés et injustifiables. La palme de l’indécence revient cette année à Michel Rollier, gérant de Michelin, qui perçoit la coquette somme de 4,5 millions d’euros. Pour récompense des licenciements, des fermetures d’usines et des délocalisations qu’ils ont causés, les principaux patrons français ont reçu une augmentation moyenne de 24 % et émargent à un salaire 200 fois supérieur à celui de leurs employés. Il est vrai que ces augmentations participent à l’évolution moyenne du pouvoir d’achat – voilà où est l’explication ! Pendant ce temps-là, le SMIC horaire n’augmentait que de 14 centimes le 1er janvier 2011 alors que le Gouvernement a toute latitude pour porter son montant à un niveau permettant de vivre décemment.

Dans ma circonscription, nos concitoyens m’interpellent – ils le font aussi certainement chez vous, monsieur le ministre, car les Troyens ne sont pas inhibés : quand ils nous croisent, ils nous parlent des loyers trop chers, des difficultés qu’ils ont à boucler leurs fins de mois, de l’augmentation des prix de l’essence ou des soucis pour payer leur facture de gaz, qui a augmenté de 21 % ces douze derniers mois, et certainement pas de la simplification du régime fiscal des pactes d’actionnaires, dits pactes Dutreil, que vous avez évoquée tout à l’heure et sur laquelle le projet de loi de finances rectificative est pourtant prolixe.

Pourquoi votre gouvernement se désintéresse-t-il des petites gens ? Pourquoi n’abordez-vous pas la question qui intéresse directement nos concitoyens, celle du pouvoir d’achat ? Je vois ma collègue Vasseur murmurer…

Mme Isabelle Vasseur. En effet !

M. Jean-Pierre Brard. Quittez ces messes basses et dites tout haut ce que vous pensez vraiment ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Charles de Courson. Allons, respectez le principe de laïcité !

Mme Isabelle Vasseur. Vous ne pensez pas ce que vous dites, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Au contraire, je le pense car je le vis avec mes concitoyens ! Et je me demande sur quelle planète vous vivez. Il n’y a pas ici que des députés du seizième arrondissement – je n’en vois que deux : Bernard Debré et Claude Goasguen. Vous devez donc bien avoir dans votre circonscription des électeurs normaux, qui tirent le diable par la queue, et j’espère que vous n’avez pas l’aplomb de leur asséner que c’est bien fait pour eux, que c’est, comme dirait une de nos ministres, parce qu’ils n’ont pas assez de talent, et qu’ils n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes !

Vous êtes bien obligée, in petto, de partager le même point de vue que moi,…

Mme Isabelle Vasseur. Certainement pas !

M. Jean-Pierre Brard. …si vous êtes sincère avec vous-même, dans vos moments d’examen de conscience.

En dix ans, le prix de la plaquette de beurre a augmenté de 50 %, celui des steaks hachés de 107 %, celui des spaghettis de 162 % (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.). Quant aux yaourts aromatisés chers aux palais de la famille Riboud, ils dépassent tous les records en ayant bondi de 187 %, alors que sur la même période, l’augmentation du salaire moyen nominal n’a été que de 20 %. Voilà la réalité, ne vous en déplaise ! (Mêmes mouvements.)

Au regard de la situation financière dans laquelle sont plongés un grand nombre de Français, on comprend mieux pourquoi la consommation des ménages chute de 1,8 % en avril, pour le deuxième mois consécutif.

La pression exercée vers le bas sur le montant des salaires, la baisse des pensions de retraite et la casse de notre service public vous sont imputables. « Les pauvres gens ne soupçonnent jamais le diable, quand même il les tiendrait à la gorge », écrivait Goethe.

M. Jérôme Chartier. Vous le connaissez, le diable, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Vos références littéraires sont un peu limitées, mon cher collègue. Je n’ai jamais mis Staline au nombre des grands auteurs ; c’est une différence de plus entre nous !

La nécessité d’une redistribution des richesses créées des plus hauts revenus vers les plus bas se fait chaque jour plus pressante, et les marges de manœuvre permettant d’y parvenir sont nombreuses ; mais votre gouvernement, monsieur le ministre, tel le docteur Faust, a monnayé son âme aux plus fortunés. Vous êtes les affidés des grands actionnaires, des créanciers, des banquiers, des spéculateurs et des nantis, (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC) et bien que vous abrogiez le bouclier fiscal, le PLFR 2011 suinte le clientélisme.

Oui, avec les griffes des privilégiés, vous vous jetez sur les pauvres gens. Le fait que vous les mimiez montre à quel point vous êtes habitué à bien jouer votre rôle, mon cher collègue !

Mme Françoise Branget. C’est un peu gros !

M. Jérôme Chartier. Quelle mesure, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Malheureusement, ce que je décris n’est pas spécifique à la France. La précarité frappe tous les peuples d’Europe : regardez la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande. De laPuerta del Sol à la Bastille, en passant par la rue grecque, des gens de tous horizons se rassemblent pour crier leur mal-être, pour crier leur désarroi de vivre dans une société inégalitaire et individualiste. Ils vous disent qu’une autre politique est possible ; et vous refusez de les entendre.

Il est nécessaire de rompre avec votre système, que, pour une fois avec justesse, le Président de la République a appelé par son nom : le système capitaliste. Pourtant, vous vous obstinez à appliquer les préceptes du libéralisme économique. Ce système, monsieur le ministre, mes chers collègues de l’UMP – « chers » dans tous les sens du terme car, décidément, vos politiques coûtent cher au pays – n’est pas acceptable, tant il est source d’instabilité et de déséquilibre. De la crise économique que nous vivons, vous n’avez tiré aucune leçon. Les banques ont été sauvées, sans contrepartie, alors que les responsables de ce désastre, ce sont elles !

M. François de Rugy. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. Aujourd’hui, elles spéculent sur les dettes souveraines des États membres de l’Union européenne au détriment des peuples.

En Grèce, le FMI a imposé, à la demande de l’Europe, un plan dit d’aide parfaitement inhumain. Rendez-vous compte, mes chers collègues, ce pays est tellement à genoux qu’il n’aurait d’autre choix, si les préconisations de l’Union étaient suivies, que de vendre ses ports et ses îles. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter !

Avec quelques collègues, nous étions en Grèce il y a deux semaines.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Quelle chance !

M. Jean-Pierre Brard. Nos homologues grecs nous ont fait part de leurs craintes concernant le nouveau plan d’aide, qui s’annonce dramatique.

Oui, monsieur le rapporteur général, quelle chance de voir de près les méfaits de la politique à laquelle vous avez participé !

Que voulez-vous de plus des Grecs ? Qu’ils mettent en vente le Parthénon sur internet ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ils l’ont déjà fait avec lord Elgin !

M. Jean-Pierre Brard. Non, les Britanniques se sont servis.

M. Charles de Courson. Comme les Français et les Allemands !

M. Jean-Pierre Brard. Comme les Français dans une moindre mesure. Quant aux Allemands, ils ont oublié de leur payer leurs dettes de guerre, qui représentent quelque cent milliards d’euros, alors qu’ils viennent de verser à la France les derniers intérêts de la dette de 14-18.

M. Michel Piron. Et Phidias, dans tout ça ?

M. Jean-Pierre Brard. Les Allemands ont l’audace, l’arrogance de dire que la guerre, c’est une vieille histoire, alors que 30 % des Grecs ont été massacrés et le pays ravagé.

Monsieur Piron, l’histoire est ce qu’elle est…

M. Michel Piron. Mais le Parthénon, c’est Phidias !

M. Jean-Pierre Brard. Revenons plutôt à ce que je disais. Les dettes de sang, les dettes de guerre sont sacrées, et l’on ne peut faire la leçon aux Grecs en oubliant non seulement les dettes de guerre qui ne leur ont pas été payées, mais aussi ce que nous devons à la Grèce qui a tant apporté à notre civilisation.

M. Michel Piron. C’est pourquoi je cite Phidias !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Piron, je sais que vous aimez la Grèce, mais vous êtes un amoureux platonique,…

M. Michel Piron. Ce n’est pas rien, Platon !

M. Jean-Pierre Brard. …tandis que moi, je propose que nous passions aux actes. C’est une grande différence entre vous et moi !

M. Michel Piron. Ça, c’est stoïcien. C’est Épictète !

M. Jean-Pierre Brard. Platon, avec votre système, vous le mettriez en vente aux enchères (Rires), et je suis sûr que vous vous arrangeriez pour en tirer un bon prix, dès lors que ce sont les Grecs qui seraient obligés de payer !

M. François de Rugy. On s’éloigne du PLFR !

M. Jean-Pierre Brard. Arrêtons-nous quelques instants, monsieur le ministre, sur un cercle vicieux qui se joue actuellement. : les agences de notation, que personne ne contrôle, ont baissé arbitrairement les notes de solvabilité de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Sur quels critères ? On peut se le demander ! Cela provoque la hausse des taux d’intérêt rendant impossible tout remboursement par les États. Les banques, aujourd’hui, refusent de prêter à la Grèce à un taux inférieur à 15 %. C’est une honte !

Il est urgent de créer une agence publique de notation européenne, avant que l’Espagne, l’Italie et la France ne soient touchées par l’action des banques et des spéculateurs.

Sur ce sujet, il a beaucoup été question de restructuration de la dette. Or, comme le disent certains de nos partenaires, ce n’est pas la dette grecque qu’il faut restructurer, mais toute la dette souveraine en Europe. Peut-être faudrait-il même écouter certaines réflexions, formulées notamment à la commission des finances…

M. Christian Ménard. On croirait entendre Nana Mouskouri ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Cher collègue, je n’ai jamais entendu Nana Mouskouri parler de restructuration de la dette. Vous, en revanche, gagneriez à mieux maîtriser les concepts de l’économie politique pour mieux participer au débat au lieu de chercher à le faire dériver vers le show-biz ! Revenons à notre sujet…

M. Michel Piron. Oui, revenons à nos métopes… et à nos triglyphes !

M. Jean-Pierre Brard. Votre gouvernement, monsieur le ministre, n’est pas capable de prendre les mesures qui s’imposent, car cela irait à l’encontre de l’intérêt de ceux qui sont vos maîtres idéologiques, les banquiers et les spéculateurs. Nous, nous proposons des mesures concrètes qui permettent d’instaurer une meilleure répartition des richesses. Lisez nos propositions de loi ! Lisez le manifeste des économistes atterrés que je vous ai récemment offert !

M. Charles de Courson. Le manifeste du parti communiste ?

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas un livre très épais ; je vous ai privilégié par rapport à Mme Lagarde, à qui j’ai offert le livre II du Capital, dont je reconnais que la lecture est longue et difficile.

M. Dominique Baert. Vous l’avez convaincue d’avance !

M. Charles de Courson. C’est le livre IV qui est intéressant !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur de Courson, ne faites pas le savant quand vous parlez du Capital,…

M. Charles de Courson. Je l’ai lu !

M. Jean-Pierre Brard. …parce que vous, comme disait la Fontaine, c’est intérêt et principal !

Monsieur le ministre, partout en Europe, des revendications s’élèvent. Ce serait une erreur historique de ne pas les prendre en compte, et, pourtant, votre aveuglement idéologique vous empêche d’appréhender les mesures de justice sociale et fiscale qui s’imposent.

Comme le formulait Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize, « vous voulez les misérables secourus, tandis que nous voulons la misère supprimée ». Ce clivage idéologique traverse notre hémicycle depuis la première Constituante et fait de vous, mes chers collègues de droite, les forces du conservatisme, alors que nous sommes les artisans du progrès écologique et social.

Par divers artifices constitutionnels, légaux ou réglementaires, vous tentez de vider cette assemblée de tout débat et cherchez à entraver son action.

Le projet de loi constitutionnelle sur l’équilibre des finances publiques, le pacte « euro plus » ou le traité de Lisbonne, que vous avez fait adopter en vous affranchissant de la décision souveraine du peuple français, sont des exemples de carcans ultralibéraux destinés à comprimer toute velléité d’une autre politique. Pourtant, ces revendications de justice sociale et fiscale résistent, nous en sommes les porte-voix, et leur mise en œuvre ne relève pas d’une utopie, mais d’un choix de société.

« L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie. » De qui est cette phrase, monsieur Piron ? De Wolfgang Goethe.

M. Michel Piron. Ce n’est pas rien !

M. Jean-Pierre Brard. Je suis heureux de vous l’entendre dire…

M. Michel Piron. Sans problème !

M. Jean-Pierre Brard. …mais il ne suffit pas de vous mettre à genoux devant Goethe, il s’agit de vous inspirer de sa pensée pour essayer de la mettre en œuvre car, plus de deux siècles après, elle est toujours d’actualité.

Il est important de réaffirmer qu’il est économiquement possible, en revenant sur les exonérations fiscales des entreprises, en rendant plus juste et plus progressif le barème d’imposition sur les hauts revenus, en supprimant les niches fiscales et en taxant les revenus financiers des entreprises, de développer un outil industriel français pourvoyeur d’emplois, d’augmenter le SMIC à 1 600 euros,…

M. Michel Piron. Ce n’est plus du Goethe, ça !

M. le président. Monsieur Piron, s’il vous plaît ! M. Brard n’a plus que cinq minutes pour développer ses thèses !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas du Goethe, monsieur Piron, mais lui avait compris le sens de la Révolution française.

M. Yves Vandewalle. C’est déjà beaucoup !

M. Jean-Pierre Brard. Rappelez-vous ses propos à Valmy. Si vous vous en rappelez, vous saisirez que Goethe, lui, avait compris ce que vous ne comprenez pas !

M. Henri Emmanuelli. À Valmy, il aurait été dans les rangs des royalistes !

M. Jean-Pierre Brard. Face à vos politiques partisanes, desservant l’intérêt du pays au profit d’intérêts catégoriels, les députés du Front de gauche opposent une haute idée de la justice fiscale et de la justice sociale. C’est le sens des amendements que nous avons déposés et que nous défendrons. Goethe – encore lui – a écrit que « les idées audacieuses sont comme les pièces qu’on déplace sur un échiquier : on risque de les perdre, mais elles peuvent aussi être une stratégie gagnante ».

Nous sommes porteurs de cette stratégie gagnante pour le pays lorsque nous proposons de plafonner les salaires dans un rapport d’une à vingt fois le SMIC, lorsque nous soumettons un nouveau barème, plus progressif, de l’impôt sur le revenu, lorsque nous portons l’interdiction des licenciements boursiers, lorsque nous dénonçons les niches fiscales de l’ISF, lorsque nous inventons une modulation du taux d’imposition des sociétés en fonction de la qualité de leur politique d’emploi, lorsque nous défendons une taxation sur la spéculation boursière ou bien encore lorsque nous demandons la création d’un pôle public du médicament pour éviter qu’une affaire honteuse comme celle du Mediator ne se reproduise.

En conclusion, mes chers collègues, je dirai que deux visions ici s’affrontent.

Il y a celle du groupe auquel j’appartiens, qui fait des propositions, quotidiennement. Nous vous démontrons – et nous avons du mérite car nous nous adressons à des gens dont le sonotone est rarement branché (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR) – qu’une autre politique est possible, qu’une autre politique est nécessaire.

De l’autre, nous avons la majorité actuelle, avec son projet de loi de finances rectificative, totalement coupée des réalités des Français et qui mène depuis 2002 une politique clientéliste et donc forcément inégalitaire.

Nicolas Sarkozy a menti aux Français lorsqu’il leur a promis – rappelez-vous, vous ne pouvez pas être amnésiques à ce point ! – qu’il serait le « Président du pouvoir d’achat ».

Mais, en réalité, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot le rappellent, il s’est illustré comme le président des riches. La vie n’a jamais été aussi dure pour nos concitoyens depuis l’après-guerre. Le Président a promis une république irréprochable. La vérité est que le quinquennat n’a été qu’une suite d’affaires révélant la collusion de nos dirigeants avec les milieux d’argent.

M. Yves Censi. Oh !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne citerai que les plus récentes : l’affaire Bettencourt et l’affaire Tapie. Enfin, Sa Majesté s’est présentée en 2007 comme garante des principes républicains… Incontestablement, aucun président de la Ve République n’a à ce point violé la Constitution, en particulier son article 5, en prétendant diriger le Gouvernement à la place du Premier ministre, le principe de laïcité et celui de la séparation des pouvoirs, en s’arrogeant, par exemple, le droit de nommer des présidents de chaîne de télévision.

M. Patrice Verchère. Pensez-vous qu’on n’avait jamais vu ça avant ?

M. Jean-Pierre Brard. Mon cher collègue, qui a fait modifier la Constitution pour que le Président de la République ait le droit de nommer les présidents de chaîne, mais aussi de les renvoyer dans leurs foyers dès lors qu’ils indisposent les humeurs de Sa Majesté ? Ne vous rappelez-vous pas, avant même la modification constitutionnelle, dans quelles conditions le président de radio France a été renvoyé, c’est-à-dire d’une façon arbitraire ? On appelait cela autrefois les lettres de cachet. Le Président de la République actuelle – d’une façon plus moderne, il faut en convenir – a rétabli cette pratique.

M. Michel Bouvard. Les cachets et l’audiovisuel, cela va ensemble… (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, ce projet de loi de finances n’est pas à la hauteur de ce qu’attendent les Français. Même si le Gouvernement se décide enfin à abroger le bouclier fiscal, nous n’oublions pas qu’il prend d’un côté – même pas 600 millions d’euros – pour, sous la table, rendre trois fois plus. Vous essayez, avec vos fariboles, de faire croire aux Français qu’enfin on s’oriente vers plus de justice fiscale. Pendant tout le débat, je vais démontrer, avec tous mes collègues de gauche,…

M. Dominique Baert. On va les harceler !

M. Jean-Pierre Brard. …que ce projet de loi de finances rectificative va vous permettre de donner encore plus à ceux qui sont déjà largement étoffés et qui utilisent leur argent pour spéculer contre l’intérêt national. Votre gouvernement persiste dans sa politique de classe destinée à servir l’avant-garde argentée de la grande bourgeoisie, au détriment de toutes les autres couches de la société, y compris les couches moyennes.

Pour faire plaisir à Michel Piron, vous me permettrez de terminer par une citation d’Aristote : « Une seule hirondelle ne fait pas le printemps, un seul acte moral ne fait pas la vertu. » C’est pourquoi je vous demande de prendre vos responsabilités et de voter notre motion de renvoi en commission. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Piron. Ce n’est pas la conclusion d’Aristote, ça !

M. Richard Mallié. Il croit au Père Noël !

M. le président. Mes chers collègues, M. Brard a fini. Veuillez ne pas l’inciter à prolonger son intervention.

M. Jean-Pierre Brard. Aristote ne croyait pas au Père Noël, monsieur Mallié, mais reconnaissez que sa sagesse a franchi les millénaires, alors que certains d’entre vous y croient, mais d’une façon éphémère : vous savez bien que les électeurs sont sages et qu’ils renverront la majorité de l’UMP dans ses foyers – au moins pour qu’elle étudie les raisons de son échec pendant tout un mandat.

M. Michel Bouvard. À moins que l’éphémère ne s’applique à vos prévisions !

M. Michel Piron. Essayez de rester aristotélicien, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-vous à la sagesse d’Aristote, mes chers collègues, et votez notre motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. Monsieur Brard eût été presque exemplaire, mes chers collègues, s’il n’y avait eu à la fin de son discours des tentatives pour le perturber. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) J’entends maintenant faire respecter le règlement.

Nous en venons aux explications de vote qui, je le rappelle, ne peuvent excéder deux minutes.

La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour le groupe SRC.

M. Pierre-Alain Muet. Le groupe SRC votera cette motion de renvoi en commission, brillamment défendue (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), avec son humour légendaire, par Jean-Pierre Brard. Il a posé la question : comment peut-on faire une telle réforme alors que les revenus du patrimoine explosent et que les revenus salariaux stagnent voire, pour un quart de nos concitoyens, baissent en pouvoir d’achat ?

En 2007, votre majorité, monsieur le ministre, crée le bouclier fiscal avec l’argument suivant : il ne faut pas qu’un contribuable travaille plus d’un jour sur deux pour l’État. Depuis, tout le monde a pu vérifier, y compris le Président de la République qui l’a reconnu dans une interview sur TF1, qu’il était impossible d’atteindre le bouclier fiscal si l’on ne disposait pas d’un patrimoine important, souvent même de l’ordre de plusieurs millions…

M. Charles de Courson et M. Jérôme Chartier. Mais non !

M. Pierre-Alain Muet. …car les revenus du travail n’étaient pas, à eux seuls, suffisants. On pouvait s’attendre à ce que vous corrigiez cette injustice en supprimant le bouclier fiscal. Or que faites-vous ? Vous en créez une autre en compensant la suppression du bouclier par une baisse deux fois plus importante de l’impôt sur les grandes fortunes,…

M. Jérôme Chartier. N’importe quoi ! Lisez les chiffres du rapport Carrez !

M. Pierre-Alain Muet. …ce qui aboutira à ce que ceux qui payaient l’ISF et bénéficiaient du bouclier fiscal s’y retrouveront, mais aussi tous les autres ! Car il y en a beaucoup qui étaient assujettis à l’ISF sans pouvoir demander le bouclier fiscal : eux toucheront plein pot avec votre réforme. Dans la conjoncture que nous connaissons, avec les problèmes de pouvoir d’achat de nos concitoyens, faire un nouveau cadeau aux plus fortunés, c’est tout simplement, comme l’a dit Jean-Pierre Brard, scandaleux. Voilà l’essentiel de votre réforme : vous supprimez un bouclier fiscal et vous en créez deux autres pour le prix d’un.

C’est pourquoi notre groupe votera la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jérôme Chartier. Logorrhée sans effet !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe GDR.

M. Jean-Claude Sandrier. Ce renvoi en commission est absolument indispensable car l’écart entre le texte qui nous est proposé et les objectifs affichés – réforme juste et pertinence économique – est considérable.

Je tiens à rappeler, monsieur le ministre, que votre suppression du bouclier fiscal n’est pas un acte de justice, mais un bien recul politique qui vous a été tout bonnement imposé. Cela ne débouchera évidemment pas sur plus de justice car les cadeaux sur l’ISF vont bénéficier à 99 % des redevables actuels.

M. Christian Eckert. Tout à fait !

M. Jean-Claude Sandrier. Certains ne paieront plus rien et les autres auront un allégement. Ne parlez donc pas de justice. Il n’y a rien sur les niches liées à l’ISF, vous en améliorez même certaines, rien sur les cadeaux aux plus riches qui payent l’impôt sur le revenu puisque 1 % des Français les plus riches paieront toujours demain un taux de 18 % au lieu de 40 %. La justice demanderait de faire payer beaucoup plus les plus riches. C’est ce que demandent un certain nombre d’économistes, et même des milliardaires américains. Il n’y a rien non plus contre les détournements de richesses : en 1970, 26 % des bénéfices des entreprises non financières allaient vers les intérêts des banques et les dividendes ; aujourd’hui, c’est 65 % – chiffres de l’INSEE que j’entends souvent citer.

Enfin, s’agissant de la pertinence économique, pourquoi pas ? Encore faudrait-il que vous fassiez la démonstration qu’alléger la taxation de la détention de patrimoine bénéficie bien à l’économie réelle. Depuis de nombreuses années, nous avons la preuve du contraire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Nouveau Centre, pour deux minutes – et non quatre comme tout à l’heure !

M. Charles de Courson. Je serai très bref, monsieur le président.

M. le président. Vous ne l’êtes jamais. (Sourires.)

M. Charles de Courson. Ne dites pas cela, attendez de juger sur pièces. (Mêmes mouvements.)

Monsieur Brard, malgré le secours d’Aristote, de Goethe, de Platon…

M. Jean-Pierre Brard. Je n’ai pas cité Platon.

M. Charles de Courson. …qui étaient, chacun en convient, tous de grands spécialistes de l’ISF, vous n’avez convaincu personne parce que votre conception totalement archaïque de la société française, conception basée sur une lutte des classes dépassée, fait tomber toute votre démonstration. Réveillez-vous, monsieur Brard : Marx, Engels, Lénine, Mao sont tous morts… et bien enterrés.

M. Jean-Claude Sandrier. Ça ne se voit pas !

M. Jean-Pierre Brard. Expliquez cela chez Michelin, monsieur de Courson !

Mme Claude Greff. Reconnaissez qu’il a fait court, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Yves Censi, pour le groupe UMP.

M. Yves Censi. Monsieur le président, je n’aurai pas besoin de deux minutes car l’ensemble de la majorité est évidemment convaincue de ne pas voter cette motion de renvoi.

Jean-Pierre Brard,…

M. Jean-Pierre Brard. Frémissez d’horreur !

M. Yves Censi. …c’était magnifique d’humour et de logorrhée. Mais c’est le seul hommage que je puisse rendre à votre intervention car derrière vos citations – je dois reconnaître qu’une fois de plus, j’ai beaucoup appris –, vous avez tenté de masquer une absence totale de démonstration. La conclusion à en tirer est celle que le professeur que vous avez été…

M. Jean-Pierre Brard. Instituteur ! Instituteur de la République !

M. Yves Censi. …face à des élèves insuffisamment travailleurs ou dépourvus d’idées et de raisonnement, et qui font avec la culture qui leur reste ce qu’on fait avec la confiture : moins on en a, plus on l’étale, pour éviter de mettre en lumière la vacuité de son raisonnement. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Ce que vous avez fait aujourd’hui mais, je le reconnais, avec une maestria qui force le respect.

Je ne reviendrai pas, car mes collègues et moi en sommes tous convaincus, sur l’utilité de ce projet de loi de finances rectificative. Dans la ligne des engagements présidentiels et de la loi TEPA, c’est un atterrissage, une adaptation, comme l’a dit le rapporteur général, juste, équitable et efficace de notre impôt sur la fortune.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas un atterrissage : c’est un crash !

M. Christian Eckert. Et il n’est pas dit qu’on retrouvera les boîtes noires !

M. Yves Censi. Nous avons tous hâte de pouvoir en discuter directement à partir du texte, sans revenir en commission.

M. le président. Vérifiez dans un dictionnaire la définition précise du mot « logorrhée », monsieur Censi : ce n’est pas spécialement un compliment…

M. Yves Censi. Je le savais, monsieur le président. Vous m’avez démasqué. (Sourires.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Henri Emmanuelli, premier orateur inscrit dans la discussion générale. (De nombreux députés du groupe UMP quittent l’hémicycle.)

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le président, avant de commencer mon intervention, je laisse les permanenciers se retirer.

M. Jérôme Chartier. Ce n’est pas poli !

M. Henri Emmanuelli. Le mot « permanenciers » n’a rien d’insultant, mais je pense que vous avez quelques difficultés avec le français, mon cher collègue. Mon camarade Michel Bouvard vous expliquera… (Sourires.)

Mme Lagarde nous a quittés, j’en comprends les raisons même si on peut s’interroger sur la manière ; quoi qu’il en soit, je voudrais revenir sur ses propos. Elle nous a présentés à sa façon la conjoncture économique de notre pays, c’est-à-dire avec cette autosatisfaction pleine et entière à laquelle nous sommes habitués – si tant est que la chose soit possible –, à tout le moins accoutumés. Bref, tout irait très bien dans ce pays. Je ne l’ai pas entendue dire un mot sur la balance commerciale ni sur ce que représente l’industrie dans notre PIB, c’est-à-dire 13 % alors qu’elle atteignait 30 % dans les années quatre-vingt.

M. François de Rugy. Eh oui !

M. Henri Emmanuelli. Là est pourtant la véritable différence entre nous et l’Allemagne, cette Allemagne que l’on invoque en tant que de besoin dès que l’on estime que cela peut servir à justifier une politique. Reste que la vraie différence est là et pas ailleurs. Pas un mot là-dessus, c’est-à-dire pas un mot sur la réalité des problématiques de fond, non pas de cette majorité, mais de notre pays !

Je dois vous le dire, monsieur le ministre : c’est un peu lassant de voir défiler les membres du Gouvernement à la tribune sans jamais les entendre aborder le fond et le cœur du sujet. Nous en avons encore eu une démonstration tout à l’heure. Certes, la croissance a été relativement exceptionnelle au premier trimestre ; nous en sommes tous très heureux, mais nous en connaissons tous la raison : déstockages et restockages massifs. Cela durera-t-il ? Nous ne le savons pas. La tendance sera-t-elle confirmée par l’INSEE dans trois mois ? Nous ne le savons pas. Le taux de croissance sera-t-il de 1,9 %, de 2,1 % ou de 2,2 % comme l’institut s’est risqué à le prévoir ? Je l’ignore. Mais ce que je sais, c’est que le recul du chômage se fait au détriment de la qualité de l’emploi. Certes, des emplois supplémentaires ont été créés mais leur contenu n’a pas de quoi nous satisfaire, que nous soyons dans la majorité ou dans l’opposition. Encore serait-il bienvenu que, de temps à autre, un ministre de la République le dise, s’en rende compte, donne le sentiment d’en être conscient. Cela n’a pas été le cas. Tout va bien, la France est excellente, nous a dit Mme Lagarde. Tout juste a-t-elle concédé que la France a mieux résisté que d’autres parce qu’il y a dans ce pays des amortisseurs sociaux, de la redistribution. « N’en déplaise à certains », a-t-elle curieusement ajouté en nous regardant.

Ce n’est pas vers nous qu’il faut regarder en disant cela, mais du côté de M. Wauquiez. C’est lui, et non la gauche, qui a l’air d’avoir un problème avec la redistribution – avec le RSA pour être tout à fait précis. Si la redistribution existe dans l’histoire de ce pays, c’est quand même grâce à la gauche, n’est-ce pas, mon cher ami à la cravate rouge ? Goethe et Platon n’y sont pour rien : c’est le résultat d’une politique…

M. Michel Piron. Je n’ai rien dit de tel !

M. Henri Emmanuelli. Vous confirmez…

M. Michel Piron. Non, je n’ai rien dit de tel !

M. Henri Emmanuelli. Vous ne confirmez pas que la gauche a fait beaucoup pour la redistribution dans ce pays ?

M. Michel Piron. Je dis seulement que je n’ai rien dit de tel !

M. Henri Emmanuelli. Vous avez raison : je comprends qu’on ne puisse pas faire son autocritique à tout moment.

Avant d’en venir à votre réforme fiscale, je voudrais dire deux mots sur l’actualité européenne en matière de dettes souveraines. Après tout, n’est-ce pas Mme Lagarde qui a abordé le sujet ?

Monsieur le ministre, je ne comprends pas ce qui se passe, je ne vois pas où nous allons, je ne sais pas ce que nous faisons. J’ai le sentiment que la France et d’autres pays européens pratiquent la politique de l’autruche.

M. François de Rugy. Et de la fuite en avant !

M. Henri Emmanuelli. Car enfin, comment la Grèce pourrait-elle rembourser une dette qui représente 150 % de son PIB, alors que nous ne savons pas si son taux de croissance sera compris entre 0 % et 1 % ou même négatif ?

M. Régis Juanico. Eh oui !

M. Henri Emmanuelli. Comment le pourrait-elle alors que le marché lui réclame des taux d’intérêt de 15 % à 17 % sur ses obligations à deux ans et de 25 % sur ses emprunts à dix ans ? C’est aberrant, cela n’a aucun sens sur le plan financier ou économique. Ce pays ne peut pas rembourser sa dette aux conditions qui lui ont été assignées.

À en juger par l’évolution des marchés, je ne suis pas le seul à le penser. Aujourd’hui comme vendredi dernier, cela ne s’est pas très bien passé sur les marchés, vous l’aurez constaté monsieur le ministre. De semaine en semaine, et sans doute de mois en mois, nous allons ainsi vers une catastrophe probable, repoussée mais pas assumée.

Nous savons tous que la solution passe par une restructuration ; reste à en fixer les conditions et les modalités. Nous connaissons aussi les dangers de cette restructuration : une panique éventuelle. Mais va-t-il falloir aller vers l’aberration, dans le mur, au motif que l’on risquerait d’inquiéter celles et ceux qu’il a fallu sauver il n’y a pas si longtemps, il y deux ans, en volant à leur secours ? Souvenez-vous, monsieur Chartier : le crédit interbancaire, les 350 milliards d’euros. Ceux-là, lorsqu’il s’agissait de les sauver, on ne les a pas affolés. Mais demain, on les affolerait !

Sans donner de montant, Mme Lagarde nous a expliqué qu’il allait falloir voter une rallonge subséquente pour le fonds de stabilisation européenne afin que les 440 milliards d’euros puissent être transformés en prêts tout en bénéficiant de la note AAA. Où va-t-on ainsi ? À mon avis, les marchés ne seront pas plus convaincus après-demain qu’ils ne le sont aujourd’hui.

M. Michel Bouvard. Il a raison !

M. Henri Emmanuelli. Nous savons que les solutions passent par les eurobonds, par une prise en charge de cette dette par l’Europe, d’une manière ou d’une autre. Je ne vais pas ici entrer dans des détails que je ne maîtrise pas, d’ailleurs ; mais je sais qu’il n’y a pas d’autre voie, sauf à organiser le défaut. Reste que, pour l’instant, nous pratiquons la politique de l’autruche, et la politique de l’autruche n’a jamais débouché sur quelque chose de positif.

J’ai déjà tenu des propos de ce genre il y a quelques mois à cette tribune sans provoquer beaucoup d’intérêt. Monsieur le ministre, je suis fasciné, sidéré de voir avec quelle irresponsabilité tous les dirigeants européens repoussent les décisions – même si l’Allemagne, contrairement au Gouvernement français, semble vouloir impliquer les banques – alors que la catastrophe est pendante, évidente et qu’elle va nous tomber dessus. Ce que je ne souhaite pas : car lorsque la catastrophe arrive, ce n’est pas sur les bénéficiaires de l’ISF qu’elle tombe, monsieur Chartier, mais sur tous les autres : sur ceux dont les salaires sont réduits dans les fonctions publiques, sur ceux dont le pouvoir d’achat ne progresse pas pour cause de rentabilité ou de compétitivité, sur tous ceux qui n’ont pas les moyens de vivre des revenus de leur patrimoine ou de leur capital.

M. François de Rugy. Sur les petits et les classes moyennes !

M. Henri Emmanuelli. Cela nous ramène à votre réforme. Vous aurez beau dire et faire ce que vous voudrez, tout le monde a compris votre objectif : essayer de réparer la faute originelle, cette fameuse loi TEPA que vous avez défendue à cette tribune avec une fougue extraordinaire, monsieur Carrez, nous expliquant que c’était le fin du fin, le mieux du mieux, le best du best. C’était déjà juste, le bouclier fiscal !

Je n’ai pas eu le temps ni la curiosité d’aller rechercher toutes les formules fougueuses que vous nous avez servies à la tribune.

M. Alain Gest. Avec enthousiasme !

M. Henri Emmanuelli. Votre enthousiasme de l’époque sur le bouclier fiscal, ce serait drôle et triste en même temps.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous aurez du mal à trouver trace de mon enthousiasme !

M. Henri Emmanuelli. Oh, monsieur Carrez, je me souviens très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Le bouclier fiscal n’a jamais été ma tasse de thé !

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Tout juste un petit café sur le zinc !

M. Henri Emmanuelli. En tout cas, pendant quatre ans, le silence a été votre tasse de thé !

M. Jean-Pierre Brard. C’est de la discrétion !

M. Henri Emmanuelli. Certains membres de la majorité ont fait comprendre leur désaccord à leur manière par le biais d’amendements, mais de votre part, nous n’avons rien vu venir !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je suis discipliné.

M. Henri Emmanuelli. Votre discipline d’hier ne justifie pas votre engouement d’aujourd’hui : tout ce que vous avez dit est faux.

Vous allez supprimer le bouclier fiscal, dites-vous. C’est faux ! Comme l’ont expliqué Jérôme Cahuzac et d’autres, le bouclier fiscal va continuer à peser sur les finances publiques jusqu’en 2013. Vous n’avez pas osé supprimer l’ISF, contre lequel vous avez tant de fois élevé la voix – et la loi –, invoquant les délocalisations, les fuites à l’étranger, la frustration de ces pauvres gens que l’on déshabillait, auxquels on ne laissait plus rien.

M. Jean-Pierre Brard. Même pas leur toison d’or !

M. Henri Emmanuelli. En commission, vous avez expliqué que le propriétaire d’une maison valant 1,3 million d’euros méritait toutes les attentions – point de vue très Île-de-France : si l’exposez ailleurs dans l’hexagone, vous allez surprendre !

Tout à l’heure encore, vous parliez du cas de ceux qui avaient acheté en 1997 un appartement de 350 000 euros… Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Croyez-vous que beaucoup de gens pouvaient se payer un appartement de 350 000 euros – plus de 2 millions de francs – à cette époque ? Pensez-vous qu’il s’agissait de gens modestes ? Ce n’est pas sérieux, mais vous ne vous en rendez même plus compte ! Le patrimoine médian dans ce pays est de 110 000 euros, monsieur Carrez, cela n’a rien à voir avec les 350 000 euros de vos malheureux emprunteurs de 1997 !

On ne peut pas supprimer l’ISF, dites-vous aujourd’hui, parce que vous n’osez pas aller jusqu’au bout. Que faites-vous ? Vous réduisez de six à deux le nombre de tranches, supprimant ainsi le côté un peu moderne de cet impôt, sa progressivité. Ensuite, vous en sortez plus de la moitié des contribuables : il y a 562 000 assujettis à l’ISF ; ils ne seront plus que 262 000 après votre réforme de justice.

Il faut tout de même avoir une certaine conception des choses et de la vie pour avoir osé prôner la fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail, et revenir dans le même hémicycle pour sortir d’un coup 300 000 contribuables de l’imposition à l’ISF…

M. François de Rugy. Quel scandale !

M. Henri Emmanuelli. … et ramener de 1,8 à 0,5 la tranche payée par les plus fortunés !

Vous avez l’audace, le culot – passez-moi ce mot un peu populaire, rustique, je vous l’accorde, monsieur Chartier – de prétendre qu’il s’agit d’une œuvre de justice. Non, il ne s’agit pas de faire œuvre de justice mais de réparer l’impasse dans laquelle vous vous étiez mis avec la loi TEPA qui commençait à faire des dégâts énormes dans la majorité. Le Président de la République a fini par comprendre – il lui aura tout de même fallu quatre ans ! – qu’il ne pourrait porter ce poids jusqu’à la prochaine élection présidentielle.

À ce moment-là vous avez constitué un groupe de travail – avec la représentation nationale avez-vous dit, monsieur le ministre : non, seulement avec l’UMP. Certes, l’UMP, c’est important dans la représentation nationale, mais on ne peut pas encore les traiter à égalité, et prendre l’un pour l’autre !

M. François Baroin, ministre. Je le concède.

M. Henri Emmanuelli. D’autant que ce sont des choses qui bougent. La représentation nationale peut bouger, vous le verrez – en tout cas je l’espère !

Quoi qu’il en soit, que vous le vouliez ou non, votre réforme revient à faire un cadeau aux riches. Non seulement vous ne supprimez pas le bouclier fiscal mais certains contribuables vont en plus bénéficier d’une baisse de taux. Ceux-là vont gagner sur deux tableaux et encaisser sérieusement. Qui plus est, vous allez aggraver le déficit des finances publiques au moment où il faudrait les redresser.

Voilà de quoi nous débattons ce soir. Je souhaite que ce débat prenne de l’ampleur, qu’il sorte de l’hémicycle, et que les millions de Françaises et de Français…

M. Jean-Pierre Brard. Que les masses s’en emparent !

M. Henri Emmanuelli. Je n’irai pas jusque-là, monsieur Brard, je serai plus modeste.

M. Jean-Pierre Brard. Sinon, on ne va pas gagner !

M. Henri Emmanuelli. En tout cas, je souhaite que l’opinion publique s’empare de ce sujet, parce que ce que vous êtes en train de faire est parfaitement inacceptable. Ce n’est pas une œuvre de justice, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, c’est une provocation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe GDR.

M. François de Rugy. Ce débat ne doit pas relever de l’idéologie et du dogme, avez-vous dit au début de votre intervention, monsieur le ministre.

M. François Baroin, ministre. C’était plutôt en conclusion.

M. François de Rugy. Si vous avez tenu à le préciser, c’est précisément parce que vous sentez que c’est ainsi qu’est perçu…

M. François Baroin, ministre. C’est parce que j’ai vu que vous étiez inscrit dans la discussion générale !

M. François de Rugy. …ce projet de loi de finances rectificative qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui. Il symbolise parfaitement – une fois de plus, malheureusement – l’irresponsabilité dont cette majorité fait preuve depuis de longues années en matière de fiscalité.

Voilà plus de neuf ans que vous êtes au pouvoir, et vos résultats en matière de justice fiscale, d’une part, et en matière d’équilibre budgétaire, d’autre part, sont de plus en plus désastreux.

À chaque fois, les vérités que vous assénez de manière péremptoire se heurtent aux faits et à leur exposé implacable. Vous persévérez dans votre méthode de prétendus grands projets et grandes réformes de la fiscalité du patrimoine dont les résultats sont à chaque fois si contestables et contestés par nos compatriotes.

Le temps devrait pourtant être venu de vous atteler à une tâche prioritaire, à une ardente obligation : allier la justice fiscale que réclament nos compatriotes à l’équilibre de nos finances publiques qu’il est impératif de rétablir au vu de la situation de la France, de son niveau de déficit et de l’explosion de la dette.

Votre collègue, Mme Lagarde, ministre de l’économie, a parlé tout à l’heure de « réforme utile » lorsqu’elle a évoqué la suppression du bouclier fiscal. J’avoue que mes oreilles en ont été un peu surprises.

M. Jean-Pierre Brard. Écorchées, parce qu’elles sont chastes !

M. François de Rugy. Nous nous félicitions que le Gouvernement se soit enfin rendu compte que ce cadeau fait aux plus riches de nos compatriotes – quelques milliers à peine – était absolument indéfendable. Je m’interroge néanmoins sur la raison qui a poussé Mme Lagarde, il y a quatre ans, à ne pas voir ce bouclier fiscal comme inutile lors de son instauration ici même, alors qu’elle était elle-même au banc du Gouvernement, à votre place, monsieur le ministre, pour le défendre devant nous.

M. Henri Emmanuelli. Elle était alors très enthousiaste !

M. François de Rugy. J’étais moi-même intervenu, comme beaucoup de collègues – pour ce qui me concerne au nom des députés écologistes – pour démontrer l’aberration de cette mesure, symbole du paquet fiscal, que vous aviez appelé – vous n’aviez pas peur des mots à l’époque – la loi TEPA, « travail, emploi et pouvoir d’achat ».

M. Henri Emmanuelli. Cela nous a coûté 50 milliards d’euros !

M. François de Rugy. Nos compatriotes attendent toujours l’effet sur le travail, sur l’emploi ou sur le pouvoir d’achat, à part les quelques milliers qui ont eu droit à de gros chèques de la part du fisc au nom de tous les Français, ce qui est quand même un comble !

À l’époque, Mme Lagarde, qui, sans doute, avait une moins grande maîtrise du langage politique qu’aujourd’hui – elle n’avait pas encore suivi les cours de langue de bois qui lui ont été dispensés par la suite – nous avait invités, ce qui avait beaucoup étonné les députés qui siègent à la gauche de cet hémicycle, à aller à la gare du Nord. Nous pensions qu’elle voulait attirer notre attention sur la situation des dizaines de milliers de banlieusards qui arrivent, chaque matin,…

M. Jean-Pierre Brard. Fatigués !

M. François de Rugy. …à la gare du Nord pour travailler à Paris, où ils ne peuvent pas se loger parce que les prix sont beaucoup trop élevés.

M. Jérôme Chartier. Ils habitent en banlieue parce qu’ils en ont fait le choix. C’est formidable, la banlieue. Venez à Domont !

M. François de Rugy. Ce n’était pas du tout de cela que Mme Lagarde voulait nous parler, monsieur Chartier, mais, vous devez vous en souvenir, de la très grande tristesse – peut-être même voulait-elle nous arracher des larmes – de ces Français qui vont à la gare du Nord, pour prendre non des trains de banlieue – ce n’est pas de leur niveau –…

M. Jérôme Chartier. Il ne faut pas avoir de mépris pour les gens qui habitent en banlieue !

M. François de Rugy. …mais l’Eurostar…

M. Jean-Pierre Brard. En première classe !

M. François de Rugy. …pour repartir le dimanche soir sur leurs lieux de travail à Londres. Ils en avaient le cœur déchiré : ils auraient tellement aimé travailler en France…

M. Jean-Pierre Brard. Qu’ils trahissaient !

M. François de Rugy. Malheureusement, la fiscalité « confiscatoire » ne le leur permettait pas. Que n’a-t-on entendu à ce sujet ! Il fallait, pour ramener ces travailleurs au pays, instaurer le bouclier fiscal.

Quatre ans après, je ne sais, mes chers collègues, si vous continuez à aller à la gare du Nord le dimanche soir pour voir ce qu’il en est.

M. Jean-Pierre Brard. C’est mal fréquenté, surtout le soir !

M. François de Rugy. Personnellement, je n’y vais pas, mais ce que je sais, c’est que la situation des banlieusards n’a pas changé, ni celle des habitants de nos villes de province et de nos campagnes. En revanche, les plus gros détenteurs de patrimoine, qui résidaient déjà en France et qui avaient bien l’intention d’y rester, ont eu droit à quelques cadeaux fiscaux. Et je ne suis pas sûr que les gens qui allaient travailler à Londres soient revenus. Le pari a donc été totalement perdu.

Mais le Président de la République s’est accroché : quand il a des certitudes, il s’y tient. Non seulement il lui a fallu quatre ans pour changer d’avis, comme l’a souligné Henri Emmanuelli, mais il lui a fallu quatre défaites électorales successives – cela fait beaucoup pour un seul mandat : les municipales, les européennes, les régionales et les cantonales. À chaque fois, les Français ont délivré le même message et sanctionné l’UMP.

Aujourd’hui, ce projet de loi de finances rectificative est une nouvelle manifestation de votre goût pour le paradoxe et la contradiction. Sitôt que vous faites un pas en avant – et l’on ne peut que saluer la suppression, enfin, du bouclier fiscal,…

M. Philippe Vigier et M. Michel Piron. Ah, quand même !

M. François de Rugy. …si injuste socialement et si inefficace et inutile économiquement ; nous l’avions souligné en 2007 –, vous ne pouvez pas vous empêcher de faire deux pas en arrière. C’est plus fort que vous.

Premièrement, vous proposez immédiatement un nouveau cadeau fiscal avec la suppression d’une partie de l’impôt de solidarité sur la fortune. Car il faut appeler les choses par leur nom : ISF, on ne sait pas trop ce que c’est. Tous les sigles embrouillent un peu l’esprit des Français. Mais quand on parle d’impôt de solidarité sur la fortune, c’est très clair. Les mots ont un sens.

Deuxièmement, vous avancez sur un chemin étonnant, celui de l’imposition régressive : plus on est riche, moins on paye ! J’aimerais, monsieur Baroin, que vous nous expliquiez où se situe la « justice sociale », que vous n’avez pas hésité à évoquer dans votre propos introductif. Notre collègue Emmanuelli a souligné avant moi combien cette expression était choquante.

Le Président de la République nous a expliqué que, foi de Nicolas, il fallait supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune. J’ai idée, monsieur Baroin que cette déclaration vous a un peu gêné. Vous sortiez d’une réunion d’arbitrage interministériel autour du Premier ministre à Matignon quand l’information est tombée sur les téléscripteurs : M. Sarkozy, Président de la République, avait, lors d’un déplacement en province, déclaré tout de go qu’il allait supprimer totalement l’impôt de solidarité sur la fortune. Au moins, il annonce la couleur… En réalité, le présent projet n’est qu’une première étape : on commence par rogner l’impôt de solidarité sur la fortune et, si vous êtes réélus – les Français sont prévenus –, vous le supprimerez.

Comme d’habitude, le Président de la République n’a pas hésité à s’appuyer sur un grossier mensonge, en parlant de faire comme en Allemagne. Il a d’ailleurs expliqué à la télévision qu’il fallait supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune pour éviter les délocalisations. Je ne connais pas beaucoup de délocalisations de la France vers l’Allemagne. J’en connais beaucoup vers la Chine et vers les pays à bas coûts de main-d’œuvre,…

Mme Françoise Branget. Même vers la Suisse !

M. François de Rugy. …beaucoup moins vers l’Allemagne.

Mais, et là est le mensonge, il a fait comme s’il n’existait pas d’imposition sur le patrimoine en Allemagne, alors qu’il y en a, comme dans tous les autres grands pays. Il y en a même souvent plus car, si on additionne les taxes foncières et l’impôt de solidarité sur la fortune en France, on est à moins de 20 milliards d’euros alors qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, ramené aux mêmes proportions, on est largement au-dessus de 25 milliards.

Si vous vraiment vouliez réformer la fiscalité du patrimoine, nous aurions pu nous attendre à ce que vous revoyiez les taxes foncières, tant il y a d’injustices en la matière. Le calcul de la valeur foncière pour les impôts fonciers est, en effet, totalement obsolète alors que l’impôt de solidarité sur la fortune est directement indexé sur une estimation de la valorisation des biens. On cite souvent, à cet égard, Paris et l’Île-de-France. Mais qui peut se plaindre de voir son patrimoine augmenter de valeur sur le marché ? Dans bien d’autres domaines, vous vous félicitez qu’il y ait de la « création de valeur », comme disent les financiers – en d’autres termes, de l’augmentation de la valeur sur le marché.

Pour résumer, vous faites exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire, puisque vous rognez l’impôt de solidarité sur la fortune par les deux bouts. Le cadeau est fait de deux façons : d’une part, vous réduisez l’assiette, d’autre part, vous baissez le taux pour les tranches les plus élevées.

Comme cela a été souligné tout à l’heure, alors que le patrimoine médian des Français est de 110 000 euros, vous exonérez jusqu’à 1,3 million, soit dix fois plus. Nos compatriotes le savent.

Pour le bouclier fiscal, j’avais pris l’exemple d’une maison ou d’un appartement acheté aujourd’hui dans une de nos grandes villes de province, où le prix de l’immobilier est déjà trop élevé : 300 000 euros, c’est à peu près la valeur d’une résidence principale pour une famille assez aisée ayant les moyens d’accéder à la propriété et de se loger correctement.

Par ailleurs, nous serions d’avis d’élargir l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune aux œuvres d’art et à une partie des biens professionnels : tout en fixant un taux maîtrisé, cette imposition aurait un bon rendement. Et nous devrions nous féliciter d’avoir un impôt dont le rendement augmente : d’une part, c’est la preuve que sa base est dynamique, d’autre part, ce serait une contribution aux efforts consentis pour le budget de l’État.

En période de crise et de gros déficit et alors que la dette a atteint un niveau qui n’a jamais été aussi élevé, vous devriez avoir le souci de la juste répartition de l’effort et non d’un nouveau cadeau fiscal. Voilà pourquoi, avec les députés écologistes, nous nous opposerons résolument à ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs mois de réflexion autour de la fiscalité du patrimoine, nous nous apprêtons à entrer dans le vif du sujet

Je tiens d’emblée à saluer l’initiative conjointe de la ministre de l’économie et du ministre du budget qui ont décidé de constituer un groupe de travail parlementaire en amont de la réforme. Cette méthode de travail est, à ma connaissance, inédite dans l’histoire parlementaire. Les réunions de ce groupe ont permis d’aborder dans de très bonnes conditions, à travers des échanges de qualité, nourris de documents fournis par l’administration de Bercy et par le rapport de la Cour des comptes, et en présence des deux ministres, la réforme de la fiscalité du patrimoine.

Ce projet de loi de finances rectificative pour 2011, porteur de la réforme de la fiscalité du patrimoine, est un moment fort du quinquennat.

Le groupe Nouveau Centre, vous le savez, s’est penché, depuis le début de la législature, sur le sujet.

M. Christian Eckert. Et il l’a voté !

M. Charles de Courson. Nous avons notamment publié au mois de février une contribution au débat

Plusieurs objectifs nous guidaient.

Un objectif d’efficacité économique d’abord, avec une double observation claire : le bouclier fiscal n’a pas permis le retour espéré des exilés fiscaux ni freiné les départs, et l’impôt de solidarité sur la fortune est un impôt anti-économique.

Un objectif de justice sociale, puisque la recherche de la progressivité de l’impôt et la justice fiscale sont des éléments constitutifs de la cohésion de notre tissu social. Or le bouclier fiscal constitue une atteinte au principe de solidarité sociale. Il est donc légitime qu’une partie des plus riches financent cette réforme et que l’on abroge ce bouclier.

Un objectif de convergence européenne ensuite : une réforme fiscale digne de ce nom ne peut se faire à rebours des choix des autres pays de l’Union européenne, en particulier de nos voisins et amis allemands.

Un objectif enfin de simplification et de cohérence.

Je souhaiterais maintenant évoquer cinq points.

Tout d’abord, pour nous centristes, l’aménagement de l’ISF qui est proposé dans l’attente de sa suppression va dans le sens de plus de justice et d’efficacité économique. Cette question est tranchée. Elle est politique et le groupe Nouveau Centre votera cette réforme de l’ISF. Toutefois, à terme, on est en droit de se poser la question suivante : est-ce que la France pourra faire l’économie de la suppression de cet impôt ? La réponse de tous les gens raisonnables est, bien entendu, non !

Mes chers collègues, je ne vous ferai pas l’offense de rappeler les défauts de l’ISF qui n’ont fait que s’aggraver du fait du bouclier fiscal.

Pour commencer, la tranche inférieure de l’ISF est fortement marquée par le poids de l’immobilier et, plus précisément de la résidence principale dans les grands centres urbains. Il faut voir une dérive de l’objet initial de cet impôt.

Prenons quelques éléments chiffrés : 81 % des contribuables assujettis à l’ISF ne sont pas taxés dans la tranche marginale supérieure d’impôt sur le revenu. Force est de constater que l’ISF est un impôt dégressif pour les grandes fortunes. Sur les 333 000 foyers assujettis à la tranche maximale supérieure d’impôt sur le revenu, 223 200 ne sont pas redevables de l’ISF. Et le relèvement du seuil d’assujettissement à 1,3 million, au lieu de 870 000, et la réduction de la progressivité de l’impôt, les taux passant de 0,55 % à 1,8 % à 0,25 % et 0,50 %, vont dans le bon sens.

Deuxième observation : l’abrogation du bouclier fiscal était devenue inéluctable et était souhaitée par les centristes. Le bouclier fiscal était devenu une hérésie fiscale.

Tout d’abord, il n’atteignait pas son but économique puisqu’on continue à avoir plus de 800 exils fiscaux par an, sans que le nombre de retours – de l’ordre de 250 – augmente. Ensuite, son coût pour l’État était grandissant depuis 2007, puisqu’il atteignait à peu près 680 millions d’euros en 2010 en faveur de 18 764 contribuables.

Le texte gouvernemental permettra de pénaliser ceux qui ont pratiqué l’optimisation fiscale et qui ont utilisé le bouclier fiscal à rebours – comme ils avaient utilisé aussi le plafonnement à rebours. Je pense notamment aux grandes fortunes mobilières qui ne distribuaient plus de dividendes et faisaient payer aux contribuables, grâce au bouclier fiscal, tout ou partie de leurs impôts locaux, de leur contribution sociale généralisée et de leur impôt sur le revenu.

M. Pierre-Alain Muet. Ça, c’est exact !

M. Charles de Courson. Le groupe Nouveau Centre n’a eu de cesse depuis 2007 de dénoncer le non-sens de ce droit à restitution. Nous nous apprêtons à l’enterrer et c’est tant mieux. Cela étant, l’absence de dispositif de plafonnement pose un problème constitutionnel.

M. Michel Piron. En effet !

M. Charles de Courson. Dans sa décision du 16 août 2007, le Conseil constitutionnel, interprétant l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, a rappelé que le « plafonnement de la part des revenus d’un foyer fiscal affectée au paiement d’impôts directs, loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ». Peut-on abroger à la fois le bouclier et le plafonnement ? Pour nous, la réponse est négative. Le maintien de l’ISF nous oblige à un plafonnement – dont on peut discuter le niveau –, et l’abaissement des taux du barème ne résout pas la question. Elle ne fait que l’atténuer, mais elle ne la supprime pas.

Mes chers collègues, je vous mets donc en garde. En cas de recours, le Conseil constitutionnel peut faire tomber l’ensemble de la réforme. Pour ces raisons, je défendrai, au nom du groupe Nouveau Centre, un amendement de retour au « plafonnement Rocard » – je devrais plutôt parler de « plafonnement Strauss-Kahn » – au taux de 70 %, c’est-à-dire le taux fixé à l’époque par un amendement du rapporteur général de l’époque, notre collègue Alain Richard, et par un certain Dominique Strauss-Kahn. Le texte initial prévoyait, en fait, un taux de 80 %.

Qui plus est, l’abrogation du bouclier fiscal, il faut le savoir, ne se fera malheureusement pas en un seul jour. Aussi défendrai-je un amendement cosigné avec le rapporteur général sur l’extension à l’année 2011 du mécanisme de l’autoliquidation que le Gouvernement prévoit de ne systématiser qu’à compter de l’année 2012. Il convient de généraliser cette autoliquidation pour les redevables de l’ISF dès le bouclier 2011.

Troisième remarque, si la taxation accrue des donations et successions des hauts patrimoines est fondée, la suppression des mesures d’âge ne l’est pas. Il nous est proposé de financer la réforme de l’ISF pour mettre à contribution les détenteurs de gros patrimoines en modifiant trois dispositions antérieures à la loi TEPA du 21 août 2007. Je vous le dis d’emblée, monsieur le ministre : la suppression des réductions de droits de donation accordées en fonction de l’âge du donateur n’est pas une bonne mesure. Tout d’abord, cela risque de modifier fortement – notre rapporteur général l’a évoqué – les comportements de nos concitoyens. Pis, cette disposition nous coûtera pendant plusieurs années : vous n’aurez pas de surcroît de recettes, monsieur le ministre, mais bien une chute. Si les donateurs ne sont plus incités par les abattements sur les droits à faire une donation plus tôt, le nombre des donations s’effondrera. Or, face au vieillissement de la population, il convient d’encourager les personnes âgées à transmettre leur patrimoine avant l’âge de soixante-dix ou de quatre-vingts ans. C’est l’équilibre de la société qui est en jeu.

S’agissant de l’allongement de six à dix ans du délai de rappel des donations, qui marque un retour à la situation qui prévalait avant le 1er janvier 2006, il n’est pas du tout sûr que ceux qui utilisent le dispositif attendront tout simplement dix ans au lieu de six. Quoi qu’il en soit, la proposition du Gouvernement est raisonnable. Il en est de même pour la majoration de cinq points des taux des deux dernières tranches du barème des droits de succession.

Quatrième observation, cette réforme financée pour partie par la taxation des non-résidents et la lutte contre l’évasion fiscale internationale pose des questions d’eurocompatibilité. Le groupe Nouveau Centre émet donc un certain nombre de réserves, tant de ce point de vue que du point de vue de l’efficacité économique, sur ces dispositions pourtant essentielles au financement de la réforme.

Il y a ainsi tout lieu de douter de l’eurocompatibilité de la taxation des résidences secondaires des non-résidents. Une limitation du champ d’application de la mesure aux non Européens serait plus prudente. Il est également à noter que les biens immobiliers dont il est question sont souvent la propriété de sociétés écrans, de trusts et de fondations, non directement celle de personnes physiques.

Quant à l’instauration d’une exit tax sur les plus-values latentes ou les participations significatives lors du transfert par les contribuables de leur domicile fiscal hors de France, le groupe Nouveau Centre doute que l’on parvienne au montant de 189 millions d’euros par an prévu en rythme de croisière. De plus, une telle taxe paraît contrevenir à la liberté de circulation des capitaux qui régit le droit communautaire. La possibilité juridique de contourner le dispositif, via notamment le système des holdings établies à l’étranger, qui semble ne pas avoir été envisagée, risque fort de faire échouer cette mesure tant que les conventions fiscales bilatérales ne permettront par d’accéder aux informations pertinentes.

Enfin, cinquième et dernier point, le financement de cette réforme est insuffisamment assuré.

M. Michel Piron. Très juste !

M. Charles de Courson. Le rapport du rapporteur général montre que la réforme n’est pas équilibrée en 2011 ; il s’en faut de 229 millions d’euros. En 2012, il s’en faudra de 327 millions d’euros. Un excédent de 200 millions d’euros sera dégagé à partir de l’année 2014 ; mais l’affectation du produit de la cellule de régularisation – d’un montant de l’ordre de 300 millions d’euros en 2011 – ne constitue pas une recette durable ; M. le rapporteur général le souligne d’ailleurs dans son rapport.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai !

M. Charles de Courson. Au surplus, l’estimation des recettes destinées à financer cette réforme est surévaluée, car elle ne tient pas compte de la modification des comportements. Prenons l’exemple de la suppression des abattements au bénéfice de l’âge : il ne va pas du tout vous rapporter 290 millions d’euros. Que vont donc faire les personnes âgées ? Elles différeront leurs donations, voire n’en feront plus. Vous ne retrouverez donc plus l’effet d’anticipation lié aux dénonciations. Avant de percevoir, plusieurs années plus tard, des recettes supplémentaires, vous subirez, dans les premières années, un manque à gagner, une chute du montant des recettes.

Voilà donc les cinq principaux points que nous souhaitions développer.

En conclusion, mes chers collègues, le groupe Nouveau Centre aborde le débat budgétaire avec le sentiment que beaucoup reste à faire pour parvenir à l’équité fiscale entre nos concitoyens, mais l’abrogation du bouclier fiscal va dans ce sens et la réforme de l’ISF dans celui de l’efficacité économique.

Il nous semble en revanche que l’architecture globale de la réforme repose sur des financements incertains ou non pérennes. C’est pour cela que nous proposons une solution lisible, juste et efficace : une tranche marginale de l’impôt sur le revenu à 45 %, à la demande, au-delà d’un revenu fiscal de 300 000 euros pour un couple, en substitution de l’abrogation des abattements au titre des mesures d’âge. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Michel Piron. Bonne intervention : sobre, précise et solide !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont les députés socialistes à avoir salué le principe d’une réforme de l’ISF à moins d’un an de l’élection présidentielle comme une initiative qui ne manquait pas d’un certain courage politique.

Je ne suis pas sûr que cet hommage ne cachait pas une pointe de cynisme. Vous espériez probablement, chers collègues de l’opposition, profiter de l’aubaine d’un retour à l’affrontement de classes qui a tant pénalisé, par le passé, la nation française !

Pourtant, d’affrontement, il n’y a point, M. Brard le regrettait tout à l’heure ; de voix qui s’élèvent fortement et de manifestations populaires, il n’y a guère davantage. C’est pourtant une réforme importante, une réforme emblématique diront certains, qui va occuper nos débats jusqu’à la fin de la semaine et est en passe de devenir l’exemple d’une réforme conduite avec excellence alors que les obstacles étaient nombreux. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ils étaient nombreux, parce que – je dois être sincère – nous nous attaquons à l’un des principaux tabous français, en l’occurrence l’argent des Français les plus aisés. Toujours caricaturée par la gauche, qui n’est jamais à cours d’excès, la majorité a engagé depuis 2007 une profonde réforme du revenu qui encourage fiscalement les Français à travailler davantage également, qui les encourage également à entreprendre et innover, ce qui conduit à s’enrichir et à posséder.

Or la gauche est toujours partie du principe inverse, estimant que, comme pour le travail, seul un raisonnement malthusien peut s’appliquer à la richesse : pour que chacun travaille, il faut moins travailler ; pour que chacun possède, il faut moins posséder.

Il n’est donc pas surprenant, chers collègues de l’opposition, que nous nous trouvions à nouveau face-à-face, même si plusieurs d’entre vous pensent peut-être en leur for intérieur que notre réforme est réussie, voire qu’elle ne va pas assez loin. Vous vous opposerez donc avec vigueur à ce que nous qualifions fort à propos de retour à une contribution de chacun en proportion de ses facultés respectives, dans un esprit de solidarité des Français les plus aisés envers la nation française tout entière.

M. Michel Piron. Très, très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. Ce n’est pas l’argent de tous, mais l’argent de certains. Il ne faut pas tout mélanger !

Mme Marietta Karamanli. La vérité, c’est que certains travaillent plus, mais ne gagnent pas davantage !

M. Jérôme Chartier. C’est vrai, chers collègues de l’opposition, cette réforme vous déplaît.

Elle vous déplaît d’abord parce que sa phase de concertation a particulièrement réussi. J’en veux pour preuve le fait que je n’ai pas entendu une seule fois vos quolibets habituels : « réforme à la va-vite », « travail bâclé », « pas de concertation ». Ce silence de votre part vaut finalement tous les hommages au meneur de cette réforme de la fiscalité du patrimoine, François Baroin, que je salue. En huit mois, il a réussi à rassembler les points de vue qui s’exprimaient dans un débat qui revenait chaque année, pour ne pas dire un débat sempiternel, autour de marottes qui agitaient autant la majorité que l’opposition – certaines depuis huit ans – et à faire émerger un ensemble cohérent respectant les attentes du Président de la République et de la majorité.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai !

M. Michel Piron. Ce n’était pas facile !

M. Jérôme Chartier. Il s’agissait d’abord de remédier à une anomalie fiscale : était très fortement taxé un capital qui n’était pas liquide et que l’on était parfois contraint d’entamer pour pouvoir payer ses impôts.

Lorsque les socialistes ont inventé l’impôt sur les grandes fortunes en 1981, le taux le plus élevé – si certains n’étaient pas nés, M. Muet, lui, s’en souvient – était fixé à 1,5 %, alors même que les obligations d’État rapportaient à l’époque entre 11 % et 14 %. Aujourd’hui, le taux de l’ISF est, pour la tranche la plus élevée, de 1,8 %, alors que les obligations d’État rapportent 3,5 %.

De cette anomalie est né le principe controversé du bouclier fiscal, qui fit couler tant d’encre mais qui était tout simplement la continuation du bouclier Rocard – en son temps supprimé par nous, d’ailleurs, reconnaissons-le –, un bouclier contesté à gauche mais aussi à droite, qui n’avait plus lieu d’exister pour les Français les plus aisés dès lors que les taux de l’ISF redevenaient des taux logiques. Oui, je le dis sans ambiguïté : 0,25 % et 0,50 % sont des taux logiques au regard de la rentabilité moyenne du capital investi, qui s’élève, je le disais à l’instant, à 3,5 % _ autant dire des taux acceptables par tous.

Le plus délicat consistait à relever le défi de la compensation, à l’euro près, de la perte de recettes entraînée par la réforme. Le rapporteur général y a veillé de façon particulièrement scrupuleuse. Le défi était pourtant d’autant plus difficile à relever que la réforme ne devait affecter que le public actuellement soumis à l’ISF. Pour la première fois, une réforme fiscale allait être autofinancée sur une même population de contribuables.

C’est la démonstration, à l’heure des crises mondiales de dette publiques, du sens de la responsabilité et de la stratégie volontariste de la France pour réduire son déficit. C’est aussi une démonstration d’ingéniosité et d’innovation du Gouvernement et de la majorité pour trouver des mesures durables qui forment un ensemble cohérent.

D’ailleurs, chers collègues de l’opposition, vous tournez bien vite court lorsque l’on parle du caractère innovant de ces mesures. N’est-ce pas, monsieur Muet ? Vous préférez, comme M. Cahuzac tout à l’heure, ressasser le passé et citer des mesures que vous avez prises et qui n’ont jamais marché, par exemple l’exit tax, que vous avez créée et qui ne marchait pas, qu’il a fallu supprimer ; pour maintenant la réintroduire forte et efficace, de nature à dissuader les allers et retours fiscaux, moralement dégradants mais, chacun le sait, rentables financièrement.

Il en va de même de la taxation des biens des étrangers en France, qui ne rapporte rien, c’est vrai, car elle est traditionnellement couverte par les conventions fiscales qui la neutralisent quasi totalement, mais, si l’opposition pense que la taxe sur les résidences des étrangers connaîtra le même sort, elle a tort. Elle ignore notamment que cette taxe existe à l’étranger, sans jamais être neutralisée fiscalement. C’est le cas, par exemple, en Allemagne par exemple ; c’est le cas, également, en Suisse, pays qui a fait de cette taxe l’une de ses grandes ressources patrimoniales.

L’opposition fustige aussi, comme toujours, les estimations – jamais justes car ce sont des estimations, dirait l’adage. La manœuvre est bien connue, mais c’est toujours un argument creux : chacun sait que l’opposition ne dispose d’aucune étude digne de ce nom – ne parlons pas de quelques outils assez fumeux sur internet –, d’aucun institut économique fiable en mesure de prouver ses insinuations, alors même que les directions du ministère de l’économie et des finances ont des dizaines d’années d’expérience en matière de prévisions de recettes, pour les gouvernements issus de toutes les majorités. Bref, encore une posture de l’opposition dont ce débat ne manquera pas de montrer qu’elle est vaine.

En réalité, ce que l’opposition reproche au Gouvernement, ce qu’elle reproche à la majorité, c’est de réussir là où elle a toujours échoué. Elle a échoué à instaurer en son temps une fiscalité moderne. Elle a échoué car elle stigmatise sans arrêt les Français les plus aisés ; or on ne fait jamais grandir une nation en cherchant à stigmatiser les uns pour séduire les autres. Elle continue à échouer en se déjugeant, faute de colonne vertébrale politique, lorsqu’elle soutient aujourd’hui la taxation des œuvres d’art au titre de l’ISF, alors qu’elle a toujours, lorsqu’elle était au pouvoir, fait de leur exonération une pierre angulaire de cet impôt.

M. Michel Piron. La quadrature du cercle…

M. Jérôme Chartier. Bref, l’opposition a perdu le sens des responsabilités, et c’est bien ce que les Français observent aujourd’hui. Non contente de cela, elle vient de commettre l’irréparable (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), de briser un nouveau tabou. Désappointé par l’absence de contestation populaire de cette réforme de l’ISF juste et équilibrée, l’opposition vient, pour la première fois, d’avoir recours à l’obstruction parlementaire pour un débat de loi de finances. Bravo ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Elle a déposé vendredi dernier plus de 1 000 amendements, des copies les uns des autres, pour faire perdre du temps aux parlementaires et aux fonctionnaires, pour faire perdre du temps et de l’argent à la démocratie, à une démocratie ; ce sera surtout l’occasion pour elle de perdre un peu plus de crédibilité aux yeux des observateurs de la vie politique. Ces manœuvres d’un autre âge et d’un autre temps, nous pensions ne jamais les voir en loi de finances. Dommage ! Dommage de devoir jouer la montre, faute d’arguments ! À un an de l’élection présidentielle, voilà un cruel aveu d’impuissance, d’impuissance à faire face à la majorité avec des arguments solides, d’impuissance à s’opposer au Gouvernement en avançant des propositions incontestables.

M. Jean-Patrick Gille. Il est merveilleux !

M. Christian Eckert. Impayable !

M. Jean-Claude Sandrier. Grandiose !

M. Jérôme Chartier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, la majorité, s’emparera de ce débat avec envie, et elle veillera à l’approbation de cette réforme qui complète la stratégie fiscale de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Excellent !

M. Jean-Claude Sandrier. Un grand moment !

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, finalement, c’est plutôt agréable d’intervenir après Jérôme Chartier : ses arguments sont si caricaturaux que l’on a vraiment envie de ressusciter la lutte des classes pour lui répondre !

M. Jean-Claude Sandrier. Pas besoin de la ressusciter, c’est une réalité !

Mme Aurélie Filippetti. Vous semblez oublier, monsieur Chartier, que la réforme dont nous débattons vient d’une erreur fondamentale du Gouvernement…

M. Michel Bouvard. Les erreurs ont été partagées !

Mme Aurélie Filippetti. … qu’il reconnaît lui-même aujourd’hui : avoir créé, ou plutôt renforcé le bouclier fiscal. Vous semblez également oublier un principe de droit : nemo auditur propriam turpitudinem allegans – personne ne peut se prévaloir de ses propres erreurs.

Or c’est exactement ce qui se passe ici ce soir. Vous avez créé et soutenu un mécanisme, le bouclier fiscal, dont nous vous avons répété pendant quatre ans qu’il était profondément injuste et économiquement inefficace. Vous décidez de le supprimer aujourd’hui – en 2013 en tout cas –, en le remplaçant par une mesure qui revient en fait à vider totalement l’impôt de solidarité sur la fortune de sa substance et à faire perdre à l’État 1,8 milliard de recettes, selon les estimations mêmes du ministère du budget. Ainsi, pour corriger l’une de vos erreurs, vous aggravez la situation des finances publiques.

Là encore, nous pourrions vous rappeler qu’il y a un mois, nous discutions dans cet hémicycle d’une réforme constitutionnelle visant à garantir l’équilibre des finances publiques. L’esprit de cette réforme semble totalement oublié aujourd’hui, à l’heure où les éventuels surplus budgétaires seront affectés au financement d’une réforme qui ne va servir que les plus riches de nos concitoyens.

Mais surtout, cette réforme, dont on nous dit depuis le début qu’elle sera financée et payée que par ceux qui bénéficiaient déjà du bouclier fiscal, semble totalement absurde. M. Le rapporteur général lui-même l’a dit en commission : cela l’a toujours beaucoup agacé de reprendre d’une main ce que l’on donne de l’autre. Or c’est exactement ce qui est en train de se passer. Qui plus est, elle paraît profondément indigne dans une période de disette des finances publiques où l’on supprime des emplois dans les services publics et où l’on engage une révision générale des politiques publiques qui consiste à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, ce qui rapporte à l’État des sommes en fin de compte assez dérisoires – moins de 500 millions d’euros par an.

Au final, quelle est l’ambition de cette réforme ? Elle est extrêmement mince. Si l’on voulait faire une grande réforme de la fiscalité, non seulement il ne faudrait pas s’attaquer seulement à la fiscalité du patrimoine, mais surtout il faudrait avoir présente à l’esprit l’obligation de rééquilibrer dans notre pays – car là est la priorité – la fiscalité sur le travail et la fiscalité sur le capital.

Ne prenons que la fiscalité sur le capital. Vous martelez que l’impôt de solidarité sur la fortune est confiscatoire. Si tel était le cas, sa base se serait évaporée. Or, le rapporteur général lui-même l’a noté, l’impôt de solidarité sur la fortune est, ces dernières années, extrêmement dynamique et, dans le même temps, sa base a considérablement progressé. Aucune étude économique sérieuse, aucun chiffre ne montre un mouvement d’évasion des capitaux vers l’étranger et aucun chiffre ne le prouve. Les rares études menées sur ce sujet montrent plutôt le contraire : il y a finalement très peu d’évasion fiscale et les domiciliations à l’étranger reposent sur bien d’autres critères que l’impôt de solidarité sur la fortune.

Le patrimoine des ménages français s’élève aujourd’hui à 9 200 milliards, dont seulement 940 milliards servent de base à l’ISF. Sur ces 940 milliards, le produit de l’ISF est de 4,1 milliards, soit 0,5 %. On ne peut donc parler d’impôt confiscatoire. Au contraire, sa base est assez moderne. Elle repose à la fois sur le patrimoine mobilier et immobilier, c’est-à-dire pas seulement sur la pierre, mais aussi sur les placements financiers. La base de cet impôt est beaucoup plus moderne encore en ce qui concerne la valeur des biens mobiliers, puisqu’elle ne repose pas sur des valeurs cadastrales, mais sur des valeurs de marchés, contrairement à ce qui se faisait dans d’autres pays européens et qui a suscité des réformes, notamment en Allemagne. Je le répète, la base de cet impôt est moderne. Cela étant, elle est trouée de niches, comme nombre de nos impôts et c’est précisément cela qui aurait dû être réformé.

Enfin, on observe en France une croissance des patrimoines les plus élevés chez les plus riches de nos concitoyens. Or c’est précisément à ceux-là que vous allez faire aujourd’hui un cadeau extrêmement important, avec un mécanisme de prestidigitation qui consiste, d’un côté, à supprimer le bouclier fiscal, mais seulement à partir de 2013,…

M. le président. Madame Filippetti, il faudrait conclure.

Mme Aurélie Filippetti. …et de l’autre à diminuer, non seulement la progressivité de l’impôt sur la fortune, en passant de six à deux tranches – alors que ce sont les très hauts patrimoines qui ont considérablement gagné en valeur au cours des dernières années –, mais aussi les taux. Ce faisant, vous privez la France d’une ressource extrêmement importante et d’un outil de justice fiscale qui semble absolument indispensable dans cette période de disette budgétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le Gouvernement n’a cessé, depuis dix ans, et plus encore depuis 2007, de favoriser exclusivement les revenus du patrimoine, quitte à accroître les inégalités dans des proportions inouïes, puisque désormais, 6,5 millions de salariés touchent moins de 750 euros par mois, tandis que, par exemple, la fortune de Bernard Arnault, PDG de LVMH, représente, selon le magazine Forbes, quelque 2 400 000 années de SMIC ! Aujourd’hui, la quasi-totalité des revenus du travail est soumise à l’impôt sur le revenu, alors que plus de 80 % des revenus du capital y échappent.

Vous avez fragilisé nos finances publiques dans des proportions inédites. La dette aura doublé en dix ans du fait de votre gestion calamiteuse. Calamiteuse, car c’est uniquement pour alléger davantage les impôts des plus riches et satisfaire les marchés financiers que vous avez creusé les déficits.

Quant à la crise, vous en êtes coresponsables avec les marchés financiers ; de ce fait, vous ne pouvez vous en servir d’alibi.

Comment s’étonner que vous reculiez devant la nécessité de prendre à bras-le-corps la problématique du rétablissement d’un minimum de justice fiscale, de vous attaquer enfin de façon sérieuse à la question des niches fiscales, qui représentent un coût de 100 milliards d’euros – 173 milliards d’euros avec les niches sociales –, à la question de la fraude et de l’évasion fiscale, qui représentent un manque à gagner pour nos finances publiques de 30 à 40 milliards d’euros ? Vous ne vous résignez pas à ce que les plus riches apportent à la nation une contribution en proportion de leur richesse. Cela vous amène à cet infantile exposé des motifs qui commence ainsi : « L’ISF est de plus en plus mal accepté par les redevables. » Comme si l’on avait déjà vu un redevable accepter de mieux en mieux son imposition ! La seule question que doit se poser un représentant de la nation est de savoir si l’impôt est juste et utile. Mais vous ne vous posez pas cette question. Vous ne vous la posez pas, non plus lorsque vous dites que l’ISF constitue un handicap de compétitivité préjudiciable.

Cela revient à dire qu’avec l’impôt, l’État ne fait rien d’utile, rien qui puisse améliorer la compétitivité et l’attractivité du pays. C’est faux. Pourquoi, encore aujourd’hui, des investisseurs sont-ils attirés par la France ? Nous le savons, c’est pour la qualité de ses infrastructures, de sa formation et de ses services publics. Mais si cette qualité existe, c’est parce que l’État, dans notre pays, a toujours su se donner les moyens, en tout cas jusqu’à une période pas si éloignée, d’investir dans ces atouts de la compétitivité que sont les investissements publics.

Vous allez exonérer ou alléger l’ISF pour 99 % des assujettis. Vous avez, certes, proposé des mesures de compensation, mais nombre d’entre elles restent aléatoires. Ainsi en est-il de l’exit tax, dont nous approuvons le principe, mais dont le rendement réel semble bien incertain, à supposer que cette mesure ne soit pas censurée par la très libérale Cour européenne de justice.

Au terme de votre réforme, une chose est sûre : on gagnera toujours plus en France à hériter, à optimiser fiscalement ou à acheter et revendre de l’immobilier, bref, à être rentier, qu’à travailler pour produire des richesses socialement utiles. Ainsi, les 352 ménages les plus riches de France, qui tirent l’essentiel de leurs revenus des plus-values de cession, continueront de s’acquitter d’un taux d’imposition réel dérisoire : 15 % seulement, très en deçà du taux marginal de l’impôt sur le revenu, pourtant un des plus bas d’Europe.

Nous considérons que la priorité doit être accordée aujourd’hui à une fiscalité juste et efficace, respectueuse du principe constitutionnel de la participation de chacun à l’impôt à hauteur de ses capacités contributives.

Faire jouer de nouveau à l’impôt, et en particulier à l’impôt sur le revenu, le rôle qui doit être le sien en termes de réduction des inégalités fiscales et sociales, permettre à l’État de réduire les déficits publics et sociaux et d’exercer un rôle de levier économique afin de favoriser l’investissement, l’emploi et les salaires, notamment en modulant l’impôt sur les sociétés, telle est notre conception d’une politique fiscale et économique au service de l’intérêt général. C’est aussi le sens de la proposition de loi que nous avons défendue ici même en décembre dernier.

Pour préserver les intérêts de quelques nantis, vous êtes à genoux devant les marchés financiers. Quel est donc ce monde dans lequel les États sont à la botte des Moody’s ou Standard & Poor’s, d’obscures officines privées à la solde d’intérêts privés ?

La mobilisation, depuis plusieurs mois, de dizaines de milliers de salariés à travers l’Europe est le signe que grandit la volonté de tenir en échec les politiques libérales qui, depuis vingt ans, ont conduit à l’explosion des inégalités – soulignées récemment par l’OCDE elle-même – et au sacrifice du bien commun sur l’autel du taux de profit et que grandit également l’aspiration à une autre répartition des richesses entre capital et travail.

Le moins que l’on puisse dire est que votre réforme tourne une fois de plus le dos à ces légitimes revendications. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les propos de Charles de Courson, qui a dit notre satisfaction de voir supprimer ce bouclier fiscal.

M. Christian Eckert. Que vous avez pourtant voté !

M. Philippe Vigier. Car, depuis 2007, nous avons toujours été aigus en la matière. Je partage également la satisfaction de mon collègue de Courson à propos de la réforme de l’ISF.

Je voudrais insister devant vous sur la nécessité d’atteindre l’objectif d’une fiscalité plus juste que le groupe Nouveau Centre appelle de ses vœux depuis de longues années.

Mes chers collègues, le débat sur la taxation des hauts revenus a toute sa place à l’occasion de l’examen d’une réforme portant sur la fiscalité du patrimoine. Je dirai même qu’il est essentiel, alors qu’une grande partie de nos concitoyens continue de souffrir des effets de la crise et que les efforts de redressement de nos finances publiques, engagés voilà plus de quatre ans, doivent être mieux répartis. Vous savez, monsieur le ministre, combien nous avons insisté pour que, dans la lutte contre les niches fiscales, les recettes soient mieux préservées pour notre pays.

Le groupe Nouveau Centre est convaincu par une double logique.

En premier lieu une exigence d’équité fiscale. La recherche de la progressivité de l’impôt et la justice fiscale sont des éléments constitutifs de la cohésion de notre tissu social. Au moment où l’on demande de nombreux efforts aux Français, il serait incompréhensible que les plus hauts revenus n’y participent pas de façon plus importante.

Ensuite, une logique de convergence fiscale franco-allemande, qui est chère aux centristes, chère au Président de la République et à l’ensemble de la majorité, logique qui doit être naturellement poursuivie.

Le souci de lisibilité du droit fiscal et de l’impératif de justice sociale entre les différents types de revenus nécessite de soumettre au régime de droit commun les rémunérations exceptionnelles du patrimoine. Je ne crois pas une seule seconde à une taxation exceptionnelle des très hauts revenus, même de l’ordre d’un million d’euros, mais je crois, monsieur le ministre, à une taxation pérenne, plus juste socialement, plus efficace économiquement.

Les rémunérations provenant d’intérêts ou de dividendes versés, ainsi que certaines plus-values mobilières et immobilières, sont en effet aujourd’hui totalement déconnectées de toute réalité et de tout fondement économique. Pis encore, ces pratiques sont parfois choquantes.

Il n’est pas un jour sans que des bonus, versés à tel ou tel cadre dirigeant, fassent les gros titres de la presse et suscitent dans l’opinion une idée d’injustice fiscale permanente. À ce titre, le prélèvement forfaitaire libératoire constitue une optimisation fiscale pour les contribuables dont la tranche marginale d’impôt sur le revenu se situe à 41 %.

En effet, les rémunérations du capital, qu’elles soient variables ou fixes, peuvent être soumises à un prélèvement forfaitaire libératoire, fixé au taux de 19 %, auquel s’ajoute l’ensemble des prélèvements sociaux – CSG, CRDS, prélèvement social et taux additionnel, RSA, c’est-à-dire 12,3 % –, ce qui fait un taux global de 31,3 % depuis le 1er janvier 2011. Soit près de vingt-deux points d’écart par rapport à la dernière tranche du barème de l’impôt sur le revenu, qui s’établit à 53,3 %, soit 41 plus 12,3 % de prélèvements sociaux !

M. Henri Emmanuelli. C’est exact !

M. Philippe Vigier. Ces vingt-deux points d’écart ne sont pas acceptables en l’état : comment peut-on les justifier ? Ce qui revient à dire que les revenus du travail sont davantage fiscalisés que la plupart des revenus du patrimoine.

Le groupe Nouveau Centre proposera donc une mesure simple et lisible : soumettre l’ensemble des plus hauts revenus issus du capital – dividendes, placements à revenu fixe, plus-values de cession sur valeurs mobilières et plus-values immobilières – au régime de droit commun, à savoir le barème de l’impôt sur le revenu. Cela revient tout simplement à supprimer les différentes impositions à taux forfaitaire libératoire de l’impôt sur le revenu pour les contribuables dont le revenu excède 150 000 euros par part. Je rappelle au passage que cette mesure rapporterait entre 600 et 800 millions d’euros.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous appelons de nos vœux un débat sincère et sans détour sur la question des hauts revenus. C’est, à nos yeux, une étape incontournable vers une fiscalité plus moderne, plus juste et plus lisible. La suppression du bouclier fiscal et la modernisation de l’ISF sont deux étapes majeures, économiquement efficaces et socialement justes. Vous devez saisir cette occasion, monsieur le ministre, pour imposer davantage une partie des revenus du patrimoine.

Enfin, cette proposition permettra à la réforme non seulement de s’équilibrer financièrement, mais encore de dégager des ressources complémentaires dont chacun s’accordera à reconnaître qu’elles sont indispensables sur le difficile chemin de la réduction des déficits que la France emprunte depuis quatre ans.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous soutenons votre réforme, mais demandons avec force qu’elle soit plus juste socialement et plus efficace économiquement.

M. Charles de Courson et Mme Arlette Grosskost. Très bien !

M. Henri Emmanuelli. Et si elle ne l’est pas, que ferez-vous ?

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. La fiscalité du patrimoine aura fait couler tant d’encre ces dernières années, que nous ne pouvons que nous réjouir de voir le débat aboutir enfin à une discussion au fond et à une réforme dont je considère qu’elle est légitime et vertueuse. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Légitime, cette réforme l’est incontestablement, étant donné les défauts de l’actuel ISF. Celui-ci, en effet, taxe indifféremment actifs liquides et non liquides, et se révèle peu productif du point de vue économique. Outre l’aberration économique consistant à taxer pareillement tous les actifs, qu’ils soient ou non générateurs de revenus, la hausse de l’immobilier intervenue ces dernières années – même si les prix en Île-de-France et dans certains autres endroits diffèrent considérablement de ceux du reste du territoire – a suffi, à elle seule, à assujettir à l’ISF quelque 300 000 de nos concitoyens qui ne font pas partie de ce que l’on appelle, en province, les classes moyennes, sans que leur patrimoine disponible se soit pour autant accru.

M. Henri Emmanuelli. Les pauvres !

M. Michel Bouvard. Rappelons que le barème a été fixé à une époque où le rendement des emprunts d’État était de cinq à six fois supérieur à ce qu’il est aujourd’hui, donnant ainsi à ce barème un caractère potentiellement confiscatoire.

Ce sont d’ailleurs ces défauts, connus de tous, qui ont amené les gouvernements successifs à prendre des mesures correctrices. Dès 1990, Michel Rocard, comme cela a été rappelé, plafonnait l’ISF, réintroduit à peine un an plus tôt, pour en limiter le caractère confiscatoire. En 2005, le gouvernement Villepin faisait voter le premier bouclier fiscal, complété en 2007 lors de l’examen de la loi TEPA, dont je rappelle qu’il n’est que l’un des éléments, et qui comportait un certain nombre de mesures extrêmement positives : la suppression des droits de succession entre conjoints, l’exonération d’impôt sur le revenu pour le travail des étudiants, lesquels étaient auparavant imposés au premier euro, ou l’exonération de charges et d’imposition sur les heures supplémentaires. Ces dispositions sont, je le crois, appréciées du plus grand nombre de nos concitoyens.

M. Henri Emmanuelli. Vous avez oublié Juppé !

M. Michel Bouvard. Peut-être. (Sourires.)

Nécessaires pour corriger les défauts de l’ISF, ces mesures, notamment les systèmes de reversement, sont, c’est vrai, incompréhensibles pour une majorité de nos concitoyens, qui ont pu y voir une forme d’injustice. La réforme qui nous est proposée met fin au caractère confiscatoire de l’imposition et permet de faire disparaître les mécanismes de plafonnement censés y remédier ainsi que les schémas d’optimisation qui leur sont liés. Elle est donc, de ce point de vue, pleinement légitime.

Elle est également vertueuse, et ce à un triple titre. Tout d’abord, dans un contexte budgétaire extrêmement tendu, elle a le mérite d’être intégralement gagée. Les mesures sur les successions et donations devraient rapporter 965 millions d’euros, l’exit tax – eurocompatible, contrairement à celle de 1999 – 189 millions et la taxe sur les résidences secondaires des non-résidents 176 millions. En régime de croisière, la réforme devrait même dégager un excédent de recettes de 200 millions.

Les amendements adoptés en commission des finances à l’initiative de notre rapporteur général améliorent encore l’équilibre financier de la réforme. Celle-ci est au demeurant financée par ceux-là mêmes qui en bénéficient, c’est-à-dire les patrimoines les plus élevés et en aucun cas les classes moyennes, dont le patrimoine est réellement moyen ou modeste,…

M. Henri Emmanuelli. C’est faux !

M. Michel Bouvard. …comme certains avaient pu le craindre. Le rapporteur général a justement démontré que, pour les déciles supérieurs de l’ISF, la réforme aboutira à une imposition accrue, ce qui répond à l’objectif de rééquilibrage entre les assujettis.

M. Henri Emmanuelli. Cela ne suffit pas !

M. Michel Bouvard. De la même façon, l’essentiel des mesures de financement porte sur les successions et donations, et frappera donc au premier chef les patrimoines élevés qui bénéficient, dans les premières tranches de l’ISF, de la réduction du taux de celui-ci. Ce transfert partiel de la fiscalité du patrimoine de sa détention à sa transmission constitue d’ailleurs, à mon sens, le troisième aspect vertueux de la réforme, puisqu’il consiste à taxer l’enrichissement plutôt que la détention d’un capital qui peut être improductif, comme l’est, par exemple, la résidence principale.

J’évoquerai enfin les entreprises, sujet très important. Nous n’échapperons pas à une réforme de la fiscalité plus profonde et plus globale, visant à mieux mobiliser l’outil fiscal en faveur de la création d’activités et d’emplois. Ce débat aura sans doute lieu lors de la campagne présidentielle.

Je m’en tiendrai, pour achever ce propos, au régime des biens professionnels. Dans un contexte où, au regard des normes bancaires, la mobilisation de ressources au profit des PME soulève des difficultés croissantes, il me paraît souhaitable et logique de favoriser l’investissement à leur profit. Cela passe notamment par l’assouplissement des conditions d’éligibilité, aujourd’hui très strictes, au régime des biens professionnels. Le texte qui nous est présenté va dans ce sens, mais il faut envisager d’aller plus loin. En effet, la double condition de fonctions éligibles très limitées et de niveau minimal de rémunération est trop contraignante, notamment au moment des successions, et crée par conséquent une rupture d’égalité entre héritiers, qui se traduit par la vente, au détriment de l’entreprise, des parts de ceux qui ne remplissent pas toutes les conditions. Des assouplissements doivent être trouvés, au moins pour les PME non cotées.

Telles sont les raisons pour lesquelles j’apporterai mon soutien à cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. La réforme de la fiscalité du patrimoine, annoncée voici quelques mois comme l’un des enjeux majeurs de l’année 2011, est au cœur de ce collectif budgétaire. Elle pose deux questions : celle de l’équité, question d’autant plus vive que notre société est touchée par la crise, et celle de l’efficacité, donc du rendement de l’impôt, dans une période où nous souffrons du déséquilibre persistant de nos finances publiques. Or, sur ces deux points, la réforme n’apporte pas les réponses attendues.

Le bouclier fiscal s’est révélé de plus en plus contestable parce qu’il rompt dans son principe l’idée même de solidarité qui fonde la République, et que l’avantage qu’il procure va croissant avec les revenus et le patrimoine. Il aura cependant fallu près de trois ans de débat au sein même de la majorité pour que vous reconnaissiez cette évidence.

Quant à l’ISF, son assiette est, depuis l’origine, discutable. L’occasion vous était offerte, à travers cette réforme, de lui donner une assise plus consensuelle en en faisant, à l’exception de l’outil de travail, une imposition universelle, en renforçant son caractère moderne d’impôt déclaratif annuel et en veillant à ce que son rendement reste au niveau qui était jusqu’à présent le sien. Au lieu de cela, vous avez préféré agir sur les seuls taux d’imposition, réduisant ainsi fortement le rendement.

Était-il raisonnable de nous proposer, il y a quelques semaines, la « règle d’or » des finances publiques, pour faire aujourd’hui l’impasse sur près de 2 milliards d’euros ? Il y a des circonstances, monsieur le ministre, où l’obligation d’assumer l’État doit l’emporter sur les considérations d’idéologie et de clientèle. On ne peut en effet manquer de s’interroger sur la portée des mesures de compensation que vous proposez. Les plus sérieuses sont, sans nul doute, celles portant sur les donations, mais nombre d’orateurs ont déjà souligné les effets aléatoires de l’augmentation du délai de rappel, même si un amendement du rapporteur général tend à les lisser.

Pour le reste, vous proposez diverses mesures de caractère relativement exotique, au rendement plus qu’incertain. C’est vrai de l’exit tax, excellente dans son principe, mais qui comporte de nombreux éléments de fuite. C’est vrai de la taxation des résidences secondaires des non-résidents, dont l’eurocompatibilité reste incertaine. C’est plus vrai encore de l’imposition des trusts, également excellente dans son principe, mais le problème, en ce domaine, est d’abord celui de l’accès aux informations. On nous a beaucoup entretenus, depuis deux ans, de la signature de conventions avec certaines juridictions jusqu’alors non coopératives. Or le récent rapport du forum financier et d’échange d’informations de l’OCDE montre que, malgré ces conventions, les pratiques de secret et d’opacité perdurent, notamment de la part de la Suisse et de Singapour qui, dans leurs régions du monde respectives, dictent largement le comportement des autres juridictions du même type.

On doit enfin regretter que le débat sur l’imposition du patrimoine ait été limité au seul diptyque bouclier fiscal-ISF. Le rapporteur général a lui-même proposé de renforcer l’imposition des produits d’assurance-vie transmis au décès du souscripteur, en le limitant malheureusement aux très grosses successions. Nous sommes très loin du milliard d’euros de recettes initialement envisagé par le groupe de travail qui s’est penché sur ce dossier. Or il est clair que nous ne pouvons pas continuer à privilégier de façon excessive ce type de placement, même s’il rencontre, c’est vrai, la faveur d’un très grand nombre de nos compatriotes. Nous devons lancer une réflexion visant à le faire contribuer à l’effort global, à remédier à un certain nombre de failles, notamment celles qui profitent aux résidents fiscaux étrangers, et à mieux orienter les sommes placées.

Telles sont les raisons, monsieur le ministre, pour lesquelles je me prononcerai contre cette réforme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

(M. Marc Le Fur remplace M. Jean-Pierre Balligand au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Mon intervention portera principalement sur la réforme de la fiscalité du patrimoine. Pour en comprendre l’économie, il faut avant tout se rendre compte que, dans les faits, le bouclier fiscal n’est pas supprimé, mais que ses effets bénéficieront davantage aux assujettis à l’ISF et moins aux autres.

C’est en effet l’allégement massif de l’ISF qui constitue le véritable cœur de la réforme. Cet allégement représente une baisse d’impôts que le Gouvernement chiffre à l,857 milliard d’euros. Pour la financer, ce dernier compte en premier lieu sur le surcroît de recettes qu’occasionnera la suppression du bouclier. Le résultat est donc clair : même si l’existence juridique du bouclier disparaît, les contribuables concernés, dans leur ensemble, ne paieront pas plus. D’une certaine façon, le bouclier est dissous dans le nouvel ISF : la baisse d’impôt est toujours là, même si elle n’est plus visible dans le code général des impôts. Non seulement le bouclier n’est pas supprimé, mais il est, en réalité, modifié de façon à bénéficier davantage aux plus riches et moins aux plus pauvres.

Que se passe-t-il, en effet, si l’on raisonne en distinguant les contribuables en fonction de leur richesse ?

D’abord, les assujettis à l’ISF bénéficiant du bouclier sont, dans l’ensemble, gagnants, du fait de l’allégement de l’ISF.

Prenons l’exemple d’une personne disposant d’un patrimoine important et bénéficiant aujourd’hui du bouclier fiscal. L’essentiel de ses revenus sont des revenus du patrimoine, généralement soumis au prélèvement forfaitaire libératoire – c’est-à-dire 19 % –, auquel s’ajoutent 12 % de prélèvements sociaux. Si l’on estime les impôts locaux à quelque 4 % de ces revenus, ce qui est très correct, on atteint un taux d’imposition total de 35 %. Il faut donc, pour qu’un contribuable perde à la réforme, que son nouvel ISF, soit 0,5 % du patrimoine, représente plus de 15 % des revenus produits par ce patrimoine, c’est-à-dire que le rendement moyen de son patrimoine soit inférieur à 3,33 %.

Quand on compare ce taux de 3,33 % – avant impôts – à celui de placements sans risques, tels que l’assurance-vie, les bons d’État, les livrets bancaires, et quand on sait de quels conseils peuvent bénéficier ces contribuables, on comprend bien que, sauf à utiliser des niches pour minorer artificiellement son revenu imposable, il faut, pour être perdant à la réforme quand on est bénéficiaire du bouclier au titre de I’ISF, ne pas savoir placer correctement son argent...

Qu’en est-il, en revanche, des contribuables qui bénéficient du bouclier du seul fait que les impôts locaux qu’ils payent représentent une part importante de leur revenu ? Pour eux, le Gouvernement a prévu un dispositif de plafonnement de la taxe foncière à 50 % du revenu. Or, de deux choses l’une.

Soit la taxe foncière est inférieure ou égale à 50 % du revenu, et dans ce cas, le contribuable concerné ne bénéficie plus d’aucun plafonnement : il doit acquitter l’ensemble de ses impôts, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Il est donc perdant.

Soit sa taxe foncière est supérieure à 50 % de son revenu, et son montant est plafonné à ce niveau. Mais, dans ce cas, il doit tout de même payer, en plus de ces 50 %, les autres impôts directs auxquels il est assujetti, tels que les prélèvements sociaux ou le ticket modérateur de taxe d’habitation, alors qu’il n’avait pas à le faire avant la réforme : il est donc, dans ce cas aussi, perdant.

Ainsi, tous les contribuables qui bénéficient aujourd’hui du bouclier fiscal sans être redevables de l’ISF, c’est-à-dire ceux que le Gouvernement a si souvent mis en avant comme alibi au bouclier fiscal, sont nécessairement perdants à la réforme, s’ils sont redevables d’un autre impôt direct que la taxe foncière ; dans le cas contraire, la réforme est simplement neutre pour eux.

Il est particulièrement choquant que la préoccupation première du Gouvernement – et, malheureusement, d’une grande partie de la majorité – semble être de ne pas faire de perdants parmi les assujettis à l’ISF : « Nos calculs nous permettent d’affirmer avec sérénité que la modification des tranches et des pourcentages ne fait pas de perdants », avez-vous déclaré, monsieur le ministre, devant notre commission des finances.

Enfin, le bouclier fiscal est élargi à d’autres contribuables qui n’en bénéficiaient pas jusqu’à présent.

Le nouvel ISF light mis en place ne se contente pas de maintenir ou d’élargir le bouclier fiscal pour la quasi-totalité de ses bénéficiaires aisés. Il bénéficie aussi, et principalement, à ceux qui n’en profitaient pas jusqu’à présent, c’est-à-dire précisément à ceux pour qui l’impôt n’était pas – je reprends à dessein la terminologie du Gouvernement – « confiscatoire », alors même qu’éviter cette « confiscation » est la justification principale de la réforme.

En outre, le bénéfice de cette baisse d’impôt – en valeur absolue, bien sûr, mais aussi en proportion – augmente avec le patrimoine, comme l’a remarqué notre collègue Hervé Mariton. Ce mouvement n’est contrarié que par l’existence de trois tranches – une à 0 %, une autre à 0,25 % et une troisième à 0,5 % – et par les mécanismes de décote en découlant. Mais à l’intérieur d’une même tranche, quand on compare, par exemple, l’imposition d’un patrimoine de 1,4 million d’euros à celle de 3 millions d’euros, ou celle de 16,48 millions à celle de 3,2 millions, on voit bien que la baisse d’impôt croît avec le patrimoine. C’est la conséquence du choix d’un barème s’appliquant au premier euro, et non d’un barème par tranches qui aurait permis de mettre en place une réelle progressivité.

Ce refus d’un barème progressif est un indice très clair de la volonté gouvernementale de faire bénéficier de cette réforme non seulement les assujettis à l’ISF, mais aussi, parmi ceux qui ne bénéficiaient pas du bouclier fiscal, les plus gros patrimoines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Branget.

Mme Françoise Branget. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en supprimant le bouclier fiscal, le Gouvernement et la majorité ont eu le courage et la sagesse de s’attaquer à une mesure devenue mal comprise par nos concitoyens, à l’heure où notre pays traverse l’une des plus graves crises économiques qu’il ait jamais connues.

Ce projet de loi de finances rectificative révise la fiscalité du patrimoine à travers une refonte de l’ISF moins idéologique et plus conforme à la réalité économique, tout en proposant des mesures en faveur de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Le relèvement du seuil d’assujettissement à l’ISF et le plafonnement de la taxe foncière afférente à l’habitation principale en fonction du revenu reflètent la nouvelle vision d’une fiscalité du patrimoine plus équitable et moins confiscatoire.

Une bonne fiscalité est celle qui maintient les capitaux et les investissements dans notre pays, favorisant ainsi une belle vitalité économique.

À mon sens, le maintien de l’ISF tel qu’il existe coûte plus qu’il ne rapporte, si l’on tient compte de toutes les données.

De tous les pays, la France est celui qui taxe le plus le patrimoine. Selon Eurostat, les taxes sur les capitaux absorbent 4,5 % de la richesse nationale, contre 1 % en Allemagne et 2,4 % en moyenne dans la zone euro.

Depuis des années, combien d’experts-comptables ont organisé le départ de gros patrimoines, et même de plus modestes, de l’ordre d’un million d’euros ! C’est économiquement absurde, et préjudiciable à notre pays. Stoppera-t-on l’évasion fiscale grâce à cette nouvelle réforme ? Je l’espère, monsieur le ministre !

Je souhaite insister plus particulièrement sur une forme de patrimoine un peu différente de celle directement visée par ce projet de loi.

Le patrimoine des agriculteurs et des propriétaires forestiers est souvent composé de leurs seules exploitations, soumises à l’épreuve du climat. Je n’en peux trouver meilleure illustration que la sécheresse que nous connaissons actuellement, et qui plonge nos agriculteurs dans des difficultés de trésorerie très graves. Leurs exploitations risquent de porter les stigmates de cette sécheresse pendant de longues années encore. J’estime primordial d’encourager leur épargne pour assurer la protection à long terme de leurs exploitations.

C’est pourquoi je soutiendrai deux amendements, que j’ai déposés avec mon collègue Michel Raison, incitant les agriculteurs à souscrire des produits leur permettant de se constituer une épargne de précaution et de protéger leur patrimoine à long terme.

Le premier consiste à délier une petite part de la déduction pour aléas de l’obligation d’assurance. La DPA est aujourd’hui très peu utilisée, et l’obligation de contracter une assurance pour en bénéficier est considérée comme le principal frein au dispositif.

De même, le compte assurance pour la forêt, créé par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche pour répondre au très faible taux d’assurance des forêts privées, doit être rendu plus attractif pour les propriétaires forestiers.

Il est nécessaire de prévoir un usage différencié des sommes déposées sur ce compte et de permettre leur affectation à des projets d’investissement, parallèlement à la nécessité de se couvrir contre les risques d’incendie et de tempête.

Le présent projet de loi de finances rectificative comporte en outre des mesures en faveur de l’alternance, notamment le relèvement de 3 à 4 % du quota d’alternants dans les entreprises de plus de 250 salariés, accompagné de l’instauration d’un système de bonus-malus pour les entreprises.

Je soutiens bien entendu toute disposition encourageant les entreprises à recourir à l’apprentissage, mais j’insiste sur le fait que ces objectifs chiffrés doivent être accompagnés de mesures concrètes en amont, notamment en matière d’offre de formation dans les filières professionnelles, afin d’améliorer l’adéquation entre l’offre des entreprises et les demandes des jeunes.

Les fermetures de classes de CAP et de BEP ont en effet créé un décalage entre les lycées professionnels et les entreprises. L’emploi des jeunes doit passer par une politique globale et ambitieuse à tous les échelons de la formation.

Enfin, je me réjouis de l’introduction en commission des finances de l’article additionnel relatif au contrôle de l’achat de métaux au détail. L’économie souterraine suscitée par ce trafic représente chaque année un milliard d’euros, qui échappent à tout contrôle fiscal. Il est impératif d’encadrer ce commerce, alimenté par la recrudescence des vols du fait de l’envolée des cours de métaux, en contrôlant la vente au détail pour imposer une traçabilité minimale des transactions.

Pour conclure, je dirai que ce projet de loi de finances rectificative a le mérite de répondre avec justesse et pragmatisme aux enjeux de la fiscalité du patrimoine dans notre pays sans pour autant prétendre la révolutionner. C’est pourquoi vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur mon plein et entier soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(M. Jean-Pierre Balligand remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Jean-Pierre Balligand,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Peut-être pourrions-nous tomber d’accord au moins sur un point, monsieur le ministre : la fiscalité, en France, est injuste.

Elle est injuste en ce qu’elle impose différemment les revenus du travail et ceux du capital.

Elle est injuste en raison de niches fiscales très nombreuses, et très productives pour ceux qui les utilisent.

Elle est injuste en raison d’un impôt sur les sociétés très inégalitaire, qui favorise les entreprises du CAC 40 par rapport aux PME.

Face à cette injustice fiscale, nous pourrions nous rassembler. Mais vous avez décidé de vous attaquer à des problèmes qui concernent les seuls assujettis à l’ISF, soit 1,6 % des contribuables, ou les bénéficiaires du bouclier fiscal, soit 0,04 % des contribuables. En cette période de crise et d’austérité, on aurait pu retenir, me semble-t-il, d’autres priorités.

Vous nous avez dit que l’immobilier avait à lui seul fait entrer de nombreux contribuables dans la catégorie des assujettis à l’ISF. Le rapport de notre collègue Gilles Carrez est pourtant très éclairant. Le tableau de la page 78 fait apparaître que, dans la première tranche de patrimoine imposable, la résidence principale représente seulement 25 % des actifs nets assujettis à l’ISF. Oui, la résidence principale ne constitue qu’un quart du patrimoine de ces contribuables ! Et cette proportion, bien entendu, va décroissant au fur et à mesure que l’on monte dans les tranches.

On nous cite, à la page 77 du rapport, le fameux exemple de ce couple qui aurait investi, en 1997, dans un logement situé en région parisienne, pour un montant de 2,5 millions de francs, c’est-à-dire 381 000 euros, qui représentent quelque 500 000 euros d’aujourd’hui. S’il est vrai que la valeur de cette résidence est à présent supérieure, expliquant l’entrée – de justesse – de ce foyer fiscal dans la catégorie des contribuables assujettis à l’ISF, il reste que nous parlons ici d’un couple capable d’investir dans un logement 500 000 euros d’aujourd’hui. Reconnaissez avec moi que cela n’appelait pas une telle mansuétude...

Certains, dans la majorité, voudraient modifier le nouveau seuil d’entrée, fixé à 1,3 million d’euros. Les uns souhaitent l’augmenter, les autres l’abaisser. Je leur rappelle qu’il existe déjà un abattement de 30 % sur la valeur de la résidence principale. Ceux qui entreraient dans le champ de l’ISF du seul fait de celle-ci – et à condition, qui plus est, qu’ils n’aient aucune dette à rembourser pour son acquisition – ne seraient donc touchés que si sa valeur était supérieure à 1 875 000 euros. Le rapporteur général nous a momentanément quittés, mais nous aurons l’occasion de revenir sur les exemples du Perreux-sur-Marne que nous avions évoqués en commission.

Par ailleurs, la réforme n’est pas financée, cela a déjà été dit. La taxe sur les résidences secondaires des non-résidents est censée rapporter 176 millions d’euros. Mais j’appelle votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur les conditions mises au paiement de cette taxe. Il faudra avoir été non-résident pendant plus de cinq ans, ou pendant plus de trois ans consécutifs durant les dix dernières années. Cela permettra malheureusement à beaucoup d’y échapper.

Quant à l’allongement de six à dix ans du délai de rappel des donations, c’est une mesure dont vous dites attendre une recette annuelle de 450 millions d’euros. Mais en 2006, lorsque la mesure inverse avait été décidée, c’est-à-dire lorsque le délai de reprise avait été ramené de dix à six ans, son coût avait été évalué à 40 millions seulement. Nous en avons longuement débattu en commission. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles.

Je m’arrêterai un instant sur le tableau de la page 83 du rapport, pour essayer de cerner qui seront les gagnants et les perdants de votre réforme de l’ISF.

Ce tableau est présenté de façon astucieuse mais, si l’on reprend les calculs pour les six tranches existantes, on note que, pour la première tranche de l’ISF, les contribuables y gagneront 100 % de celui-ci, puisqu’ils ne seront plus assujettis. Les contribuables assujettis à la deuxième tranche gagneront en moyenne 19 %, y compris sans le bouclier fiscal. Concernant la troisième tranche, le gain est de 24 % ; il est de 20 % pour la quatrième, de 27 % pour la cinquième, et ce n’est que pour la sixième et dernière tranche qu’il y aura une augmentation de la contribution, de l’ordre de 15 % en moyenne, ce qui rapportera 45 millions d’euros – une bagatelle par rapport aux sommes que nous évoquons aujourd’hui.

Pis encore, la commission des finances a adopté un amendement que je qualifierai de mesquin. Il n’y a pas de petits profits, mes chers collègues : la réduction d’ISF pour les contribuables ayant des enfants est doublée, passant de 150 à 300 euros.

Il apparaît donc clairement que votre politique est partiale : le capital est une fois de plus épargné, et c’est à la grande majorité des Français que votre réforme, qui n’est pas entièrement financée, fera mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour réformer, il faut du courage. Pour réformer la fiscalité, il faut beaucoup de courage. Pour réformer la fiscalité à un an des élections présidentielles, il en faut énormément.

La première évidence est que, dans ce dossier comme dans beaucoup d’autres, le courage n’a pas manqué. Il n’a pas manqué au Gouvernement, qui a pris ce dossier à bras-le-corps ; ni à la majorité parlementaire, car c’est elle qui est à l’origine de cette réforme, et c’est à elle qu’il revient à présent de prendre ses responsabilités face à l’opinion publique.

Je tiens pour ma part à dire clairement que je ne regrette pas d’avoir voté le bouclier, mais je n’hésiterai pas à me prononcer aujourd’hui pour sa suppression.

Pourquoi ce changement ? Parce que, depuis 2007, la situation économique a elle-même profondément changé. Les priorités ont été bouleversées par les conséquences de la crise économique. Aujourd’hui, comme en 2007, il est important de soutenir la croissance, d’encourager l’investissement, et donc de modérer la pression fiscale. Mais il est devenu tout aussi important de réparer les ravages causés par la crise sur les finances de l’État, en France comme partout ailleurs dans le monde.

Le Gouvernement tient à éviter une hausse générale des impôts, et il a raison. Mais il n’échappera pas à la nécessité de revoir toutes les niches fiscales, et le bouclier fiscal ne saurait échapper à cette règle.

On a beaucoup parlé des principaux bénéficiaires des restitutions faites au titre du bouclier fiscal : les contribuables les plus aisés. Il faut toutefois rappeler que près de la moitié des 14 500 bénéficiaires du bouclier ont un revenu annuel inférieur à 3 500 euros. Ce sont, dans la plupart des cas, les propriétaires d’un bien immobilier, dont ils ont le plus souvent hérité. Mais leurs revenus sont faibles, et par conséquent leur capacité contributive est limitée. C’est à eux que je souhaite consacrer la suite de cette intervention.

Ces petits contribuables vont se trouver dans une situation pour le moins paradoxale : ils ne bénéficieront pas de l’allégement de l’ISF, puisqu’ils n’en sont pas redevables ; ils perdront la protection du bouclier fiscal, puisque celui-ci va disparaître ; ils continueront à relever, pour leurs biens immobiliers, de cet autre impôt sur le patrimoine qu’est la taxe foncière, et qui n’est pas concernée par la réforme.

Voilà l’occasion de rappeler qu’en France, l’impôt sur le patrimoine immobilier est pour l’essentiel non pas un impôt d’État, mais une taxe locale. Alors que le produit de l’ISF est de 4,4 milliards d’euros, celui de la taxe foncière pesant sur les ménages est de 14 milliards, c’est-à-dire plus du triple.

Il n’y a donc pas de véritable réforme de l’impôt sur le patrimoine foncier sans réforme de la taxe foncière, car les bases, révisées pour la dernière fois en 1970, sont aujourd’hui sans aucun lien avec la réalité.

M. Christian Eckert. C’est vrai !

M. Michel Diefenbacher. Cette réforme s’impose également parce que les taux, qui ont explosé depuis trente ans, sont marqués par de très profondes disparités entre les collectivités. Elle s’impose enfin parce que la liberté laissée dans ce domaine aux collectivités territoriales a pour effet non seulement de perpétuer les inégalités, mais encore de les creuser : une collectivité riche peut pratiquer des taux bas, et devenir ainsi plus attractive, alors qu’une collectivité pauvre est conduite à augmenter ses taux, ce qui la rend nécessairement plus répulsive, donc plus pauvre encore.

Je souscris pleinement à l’initiative prise par le Gouvernement de plafonner la taxe foncière à 50 % du revenu. Mais 50 % du revenu pour un seul impôt, c’est encore considérable, et il conviendra sur ce point de faire une évaluation très précise du nouveau dispositif.

En toute hypothèse, laisser les taux à la libre décision des élus locaux et atténuer les prélèvements excessifs qui peuvent en résulter par un plafonnement national, c’est à la fois contradictoire en soi, et générateur d’un transfert à la charge de l’État.

Il faudra à l’évidence se pencher sur cette question et se demander sans tabou si les disparités de taux selon les collectivités sont réellement compatibles avec l’idée que nous devons nous faire de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

En cette fin de législature, il était assurément difficile de traiter cette question, mais lors de la prochaine législature, nous aurons tout le temps qu’il faudra. Gageons que le courage, une fois encore, ne nous manquera pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante, est reprise le mardi 7 juin 2011 à zéro heure.

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Monsieur le ministre, après quatre années d’une politique fiscale particulièrement injuste – plusieurs de mes collègues, dont Christian Eckert, l’ont souligné –, le Gouvernement nous annonce, depuis quelques semaines, une réforme de la fiscalité.

Pour les Françaises et les Français qui vivent difficilement les conséquences de votre politique, il était évidemment permis d’espérer une sorte de réparation après ces quatre années d’injustice, notamment dans le domaine de la fiscalité. Malheureusement, ce projet de loi de finances rectificative laisse beaucoup d’espoirs déçus. On ne peut que considérer l’échec de l’ambition, qui semblait être la vôtre au vu des effets d’annonce qui ont précédé sa présentation. Pierre-Alain Muet a démontré tout à l’heure la réalité de cet échec.

Vous n’avez pas su profiter de l’occasion qui vous était donnée, monsieur le ministre, pour corriger la situation sur un certain nombre d’aspects : les services publics, la situation des fonctionnaires, les difficultés rencontrés par les élus locaux pour répondre aux attentes de nos concitoyens.

Pierre-Alain Muet a également évoqué les conséquences de la révision générale des politiques publiques, qui a placé nos services publics devant d’énormes difficultés. Il n’y a pas ici un seul de nos collègues, de droite ou de gauche, qui ne puisse témoigner d’une difficulté à laquelle il s’est trouvé confronté, saisi par ses électeurs ou par les élus de sa circonscription, devant telle ou telle carence des services publics de l’État.

Le 18 mai dernier, nous avons débattu avec vous de la RGPP, sorte de leitmotiv qui revient régulièrement et qui justifierait tous les mauvais coups que vous portez au service public. Vous persévérez dans votre approche idéologique libérale : il faut moins de service public, il faut moins de fonctionnaires, il faut permettre au secteur privé de se développer, de faire sa « laine » sur le dos des citoyennes et des citoyens.

M. Pierre Méhaignerie. Ce n’est pas vrai !

M. Bernard Derosier. Non seulement vous portez atteinte au bon fonctionnement des services publics, mais vous vous en prenez indirectement à ceux qui les servent : les six millions de fonctionnaires de notre pays qui, compte tenu de la réduction de leur pouvoir d’achat, sont réduits à une situation de plus en plus insoutenable. La semaine dernière encore, vous n’avez pas répondu à une question que je vous posais, ni aux véritables problèmes. Le point d’indice n’a augmenté, entre le 1er mars 2002 et le 1er juillet 2010, que de 3,50 euros. Ces chiffres sont irréfutables, quand bien même vous me répondriez qu’il n’y a pas que le point d’indice, mais qu’il faut prendre en compte la garantie individuelle du pouvoir d’achat, etc.

M. Michel Piron. C’est pourtant vrai !

M. Bernard Derosier. Ce n’est pas par ce genre de réponse que vous réglerez le problème de la rémunération des fonctionnaires. Votre thèse est d’ailleurs contestée par l’ensemble des organisations syndicales, et la représentation nationale a besoin en la matière de toute la transparence possible. C’est pourquoi nous présenterons un amendement demandant au Gouvernement un rapport qui fasse réellement apparaître les données du pouvoir d’achat des fonctionnaires.

Le temps passe, et je n’aurai pas les moyens de développer l’autre sujet qui me tient à cœur : les moyens des collectivités territoriales, puisque vous avez supprimé la taxe professionnelle sans la remplacer par un dispositif valable. Au-delà de cette suppression et de ses effets sur les collectivités, le vrai problème est celui de l’insuffisante compensation des dépenses qui leur sont transférées.

Monsieur le ministre, ce rendez-vous est un rendez-vous manqué. Vous représentez le gouvernement de l’injustice, des inégalités, des privilèges. Dans moins d’un an, nous demanderons aux Françaises et aux Français de mettre fin à ce Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pierre Méhaignerie. Avec un tel discours, je vous souhaite bonne chance pour l’avenir !

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est intéressant d’intervenir après M. Derosier, dont les propos, comme nombre de ceux tenus par les élus de l’opposition, sont marqués par bien des outrances. Il pense que tout mouvement de la majorité serait à considérer comme un aveu, en s’appuyant sur des chiffres triturés sans entrer réellement dans les précisions qui seraient nécessaires à un débat comme le nôtre – mais sans doute n’était-ce pas nécessaire, puisque votre slogan est somme toute assez simple : « Taxons ! Taxons ! Taxons ! » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Durand. Et ça, ce n’est pas de l’outrance ?

M. Hervé Mariton. Le projet fiscal du parti socialiste, les perspectives budgétaires que vous présentez depuis quelques semaines, sont inquiétantes, tant de notre point de vue, sur les bancs de la majorité, que pour les Français, qui le comprendront semaine après semaine et mois après mois.

Monsieur le ministre, je voudrais souligner quatre qualités de ce projet de loi de finances rectificative.

La première est sa modestie. Il faut un certain courage et une certaine ambition pour présenter une réforme de l’ISF et de tout un pan de la fiscalité du patrimoine. Pour autant, ce n’est pas le grand soir de la réforme de la fiscalité, pas même celui de la fiscalité du patrimoine. La méthode prudente que vous employez me paraît plus judicieuse quand on voit la difficulté d’ajuster les choses avec tout le respect dû à l’ensemble des citoyens, même pris petit groupe par petit groupe – car, si l’impôt n’est certes pas fait pour un petit groupe, aucun citoyen ne doit être traité par le mépris lorsqu’il s’agit de réformer.

Cette modestie, nous l’avons également constatée lors des travaux préparatoires, à travers la méthode intéressante consistant à faire des comparaisons internationales, comparaisons dont il ressort le plus souvent que nos impôts sont les plus élevés, quelle qu’en soit la catégorie. Il y a là, à recettes fiscales inchangées, une assez faible matière à convergence.

Deuxième qualité : la simplification. Les modalités de déclaration de l’ISF et l’évolution de la première tranche me paraissent tout à fait bienvenues, de même que la suppression de l’ISF pour les contribuables assujettis à la première tranche actuelle et la mise en œuvre de la réforme dès l’année 2011.

Troisième qualité : la cohérence – que plusieurs orateurs ont déjà soulignée. C’est un argument sur lequel nous insistons depuis plusieurs années. Le taux de l’ISF constituait, à l’origine, une fraction supportable de celui du rendement du capital ; ce n’est plus le cas. Il était donc justifié de le modifier.

Quatrième qualité, enfin : l’équilibre financier de la réforme.

Je me permets toutefois, monsieur le ministre, d’indiquer que, si votre projet présente quatre qualités importantes, il présente également ce que j’appellerai des « qualités à approfondir »…

D’abord, si cette réforme a le mérite de tenir compte de l’évolution du débat de ces dernières années, il faudra constamment l’actualiser, car l’une des justifications de cette réforme réside, comme nous l’avons souligné, dans l’évolution du marché de l’immobilier, qui a eu pour effet d’assujettir à l’ISF des contribuables qui n’avaient pas réellement vocation à l’être. Sommes-nous sûrs que la réforme d’aujourd’hui ne correspond pas à l’évolution d’hier plutôt qu’à celle d’aujourd’hui ? En effet, lorsque l’on voit la progression des prix de l’immobilier sur ces deux dernières années et qu’on la projette sur les années qui viennent, on s’aperçoit que le problème se reposera sous peu, car nos règles actuelles d’actualisation du barème se trouveront dépassées. On aurait d’ailleurs pu imaginer traiter la question dès aujourd’hui ; tel n’a pas été le cas. Il faut cependant garder cet aspect en mémoire.

Deuxième observation : dans le nouveau barème, on est assujetti à l’ISF à partir d’un certain seuil, mais le taux s’applique dès le premier euro. Ce n’est pas inédit, même si ce n’est pas habituel dans notre système fiscal, mais cela n’incite guère le contribuable à la transparence, et je crois que ce n’est pas la meilleure méthode qui soit.

Troisième observation : la question du foyer fiscal n’est pas réglée. Dans le nouveau système, deux personnes ayant un patrimoine de 700 000 euros ne paient pas l’ISF, sauf si elles sont mariées, pacsées ou en concubinage déclaré. Notre commission a certes voté des mesures qui améliorent le dispositif s’agissant de la réduction pour enfant, mais la question du foyer lui-même devra, un jour, être mieux traitée.

Enfin, s’agissant de la fiscalité sur les transmissions, vous proposez un dispositif qui a sa cohérence et dont, comme vous l’avez souligné, il fallait trouver les modalités de financement. Il est sans doute un peu sec. Je crois que l’on aurait pu envisager des mesures plus modestes qui, par leur existence même, auraient eu la vertu d’inciter à la circulation du capital. Aujourd’hui, la réduction des droits de donation est de 50 % au-dessous de 70 ans ; c’est un pourcentage très incitatif, sans doute excessif lorsqu’il se combine avec le renouvellement périodique des abattements. Je comprends que vous ayez souhaité corriger le dispositif, mais des mesures d’âge de l’ordre de 10 ou de 20 % auraient permis de maintenir une certaine incitation tout en diminuant nettement le coût pour les finances publiques.

Telles sont, monsieur le ministre, les qualités du projet de loi et ses perspectives d’amélioration, dont nous débattrons au fil des articles. D’autres mesures seront sans doute prises ultérieurement pour améliorer l’ISF ; pour l’heure, il s’agit d’une étape utile et d’une réforme solide. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Marc Goua.

M. Marc Goua. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, chers collègues, il y a moins d’un mois, notre assemblée achevait l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques. Après avoir mis les comptes publics dans le rouge depuis 2002 et, plus particulièrement, depuis 2007, le Gouvernement entendait réaffirmer – symboliquement au moins, à défaut de le concrétiser – son attachement à l’équilibre budgétaire.

Nous nous sommes opposés à ce texte, considérant que le seule la volonté politique permettait à un gouvernement de tenir ses engagements de réduction des déficits. Nous avons été largement critiqués pour ce choix, censé révéler notre irresponsabilité quant à la gestion des deniers publics.

Depuis 1997, pourtant, seul le gouvernement de Lionel Jospin a réduit de façon durable et visible nos déficits et le poids de notre dette, qui étaient, en 2002, inférieurs aux critères de Maastricht.

Aujourd’hui, vous nous offrez la preuve que votre projet de loi constitutionnelle n’est qu’une opération de communication.

Ce projet de loi de finances rectificative pour 2011 n’est pas, comme il est de tradition, un simple réajustement ou une adaptation mineure en cours d’exécution budgétaire. Vous nous proposez – fort opportunément, pensez-vous, à la veille d’une échéance électorale – la suppression du bouclier fiscal renforcé par vos soins pour l’exercice 2008, et que vous défendiez depuis comme une grande mesure de « justice fiscale ».

Vous tentez de vous parer de vertu en proposant un tour de passe-passe qui consiste à redistribuer généreusement ce que vous ôtez parcimonieusement aux titulaires de gros patrimoines et de très hauts revenus. Or cette réforme, non réellement financée, entraînera dès 2012 une baisse des rentrées fiscales de 1,857 milliard d’euros, tandis que la suppression du bouclier fiscal ne permettra de récupérer que 293 millions en 2012 et, très hypothétiquement, 713 millions en 2014.

Pour retrouver un équilibre, vous proposez donc des recettes qui pénaliseront des ménages, mais pas forcément les bénéficiaires de l’ISF : 290 millions d’euros grâce à la suppression des réductions de droits de donation ; 450 millions grâce au passage de six à dix ans du délai de rappel des donations ; 185 millions grâce à la hausse de cinq points des taux applicables aux deux dernières tranches du barème des droits de succession.

Les autres recettes sont, quant à elles, très aléatoires : 176 millions d’euros grâce à la taxation des résidences secondaires des non-résidents ; 189 millions grâce à une exit tax sur les plus-values latentes – qui serait cette fois efficace – et 390 millions récupérés sur l’évasion fiscale internationale. Quel optimisme ! Il me semble d’ailleurs que l’un des arguments que vous invoquiez à l’appui du bouclier fiscal, monsieur le ministre, ainsi que votre majorité, était précisément la lutte contre l’évasion fiscale ! Quelle réussite !

S’agissant plus précisément des assujettis à l’ISF, le relèvement du seuil de 790 000 euros à 1,3 million d’euros aura pour effet d’exonérer 300 000 foyers. Les conséquences de ce changement de seuil sont telles que le chiffre de 1,3 million d’euros ne fait pas l’unanimité dans vos propres rangs.

En commission, nous avons tenté de limiter les dégâts financiers de votre texte. Avec des élus de la majorité, nous avons proposé l’élargissement de l’assiette sur laquelle est adossée l’ISF, notamment par l’intégration des objets d’art ou de collection ainsi que des droits de la propriété industrielle ou artistique : cet amendement a été adopté en commission, grâce à certaines voix de votre propre majorité. Quel sort, monsieur le ministre, allez vous lui réserver lors de son examen en séance ?

Nous vous proposons également, comme le demande d’ailleurs le conseil des prélèvements obligatoires, de ramener le taux d’incitation à l’investissement en fonds propres dans les PME de 50 % à 25 % au titre de l’ISF, à l’instar du taux en vigueur au titre de l’impôt sur le revenu.

Je constate, hélas, que votre acharnement à alléger l’imposition des plus riches, au détriment de l’équilibre des finances publiques, de l’équité et de l’intérêt général, ne trouve aucune limite.

Dans votre argumentation, vous affirmez vouloir reconstruire un ISF plus simple, plus juste, plus efficace : voilà qui nous rappelle votre défense du bouclier fiscal.

Votre conception de la justice et de l’efficacité pourrait coûter 720 millions d’euros au budget de l’État, donc à l’ensemble des Français, alors que vous prétendez mener une action vigoureuse de redressement des finances publiques.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de citer l’une de vos interventions relative au projet de loi constitutionnelle d’équilibre des finances publiques : « L’occasion nous est ici offerte de stabiliser les dispositifs en vigueur et d’en terminer avec l’addition de mesures incohérentes souvent source de pertes de recettes pour l’État. » Une fois de plus, il y a les paroles et il y a les actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Chers collègues, si vous ne respectez pas vos temps de parole, je serai dans l’obligation de lever la séance avant la fin de la discussion générale, ce que je regretterais car je souhaite que nous terminions celle-ci.

La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà des mois que la réforme de la fiscalité du patrimoine fait l’objet de vifs débats. Politiques, fiscalistes, économistes se sont saisis du sujet pour proposer une fiscalité plus performante pour les uns, plus utile et plus juste pour les autres.

Certes, la fiscalité, et particulièrement celle du patrimoine, doit tenir compte de la réelle capacité contributive des citoyens.

M. Michel Piron. Très bien !

Mme Arlette Grosskost. Pour autant, elle ne doit pas être un frein au système productif, ni à la compétitivité fiscale dans un monde où la concurrence pèse de tout son poids. Personne ici n’ignore que moins de compétitivité égale moins de croissance. Il serait dangereux d’être en la matière, une fois de plus, l’exception française. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

Force est de constater que, depuis sa création, l’ISF a connu une mutation incongrue, puisqu’il aboutit à imposer les contribuables de la classe moyenne,…

M. Christian Eckert. Ce n’est pas vrai.

Mme Arlette Grosskost. …dépassés par l’envol du prix théorique de leur habitation principale, qui les intègre dans la catégorie des « fortunés », quand bien même elle est le fruit d’un long labeur et de nombreux sacrifices pour l’acquérir. En dépit des palliatifs proposés – abattements, bouclier fiscal –, le dispositif est devenu obsolète et la réforme apparaissait inévitable : j’en veux pour preuve les nombreuses demandes émanant de vos rangs. Il fallait à la fois relever le seuil d’imposition pour rendre l’ISF plus cohérent et en finir avec des modalités déclaratives et estimatives complexes.

La possibilité de mensualiser le paiement de l’impôt à compter de 2013 est également une bonne chose, qui permettra de lisser l’impact fiscal pour certains ménages. L’équilibre budgétaire étant l’objectif, l’allégement de l’ISF, compensé par une taxation plus élevée des flux – donations et successions importantes – ainsi que par une mise à contribution des non-résidents, apparaît comme logique et plus équitable. Il en est de même de la reconfiguration de l’exit tax, déjà appliquée par de nombreux pays voisins.

Outre la fiscalité du patrimoine, le projet de loi de finances rectificative comporte des dispositions centrées sur d’autres priorités, tel le soutien au pouvoir d’achat des ménages face à la hausse du prix de l’énergie, en mettant à contribution le secteur pétrolier, ou la revalorisation du barème kilométrique, très attendue par les salariés qui optent pour les frais réels.

Concernant l’emploi, l’accent a été mis sur l’alternance. Afin d’appuyer les mesures annoncées en février et mars 2011, l’article 8 prévoit la mise en place d’un système de bonus-malus sur la taxe d’apprentissage et la création d’un compte d’affectation spéciale pour le financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage, doté de 600 millions d’euros. À cela s’ajoutent 350 millions d’euros de crédits ouverts pour des mesures concernant le développement de l’apprentissage. Avec ce budget ambitieux, les espoirs sont grands quant à la valorisation de ce système de formation, qui représente une réelle ambition en termes d’emplois.

L’objectif est de modifier les comportements d’embauche dans un sens plus favorable au recrutement d’alternants. Alors que le dispositif de bonus-malus sera neutre pour les finances publiques, il est à craindre que cette conclusion s’applique aussi à l’objectif attendu. En cas de respect total des quotas, on devrait assister à une augmentation de 135 000 du nombre d’alternants, ce qui est hautement souhaitable.

La réalité est que l’alternance a besoin, elle aussi, d’une réforme en profondeur, d’une réforme structurelle. ma crainte est que seules les TPE et PME restent les bons élèves en la matière et que les entreprises de plus de 250 salariés ne soient pas tentées de recruter des alternants.

De plus, il aurait été bon que le dispositif « zéro charges » en faveur de l’emploi des moins de vingt-six ans soit étendu aux alternants préparant un diplôme « post-bac », de façon que tous les diplômes, du CAP au deuxième cycle d’études supérieures, puissent être préparés en alternance.

Nous sommes un certain nombre de députés de l’UMP à être attentifs à la formation en alternance, qui devrait, j’en suis convaincue, être davantage utilisée. N’aurions-nous pas pu profiter de l’intérêt qu’elle suscite pour nous pencher davantage sur les contrats trans-générationnels et leur appliquer une fiscalité appropriée ?

Le présent projet comporte également le financement de la réforme de la garde à vue. La réactivité du Gouvernement sur ce sujet met en avant la préservation du service public de la justice, pour l’ensemble des contribuables.

M. Christian Eckert. J’en doute !

Mme Arlette Grosskost. Cette réforme, dont le calendrier a été accéléré de façon imposée, aura un fort impact sur le budget de la justice, et je crains que celui-ci ne soit pas suffisant. Il ne faudra donc pas oublier de l’abonder lors de la prochaine loi de finances.

Ces remarques étant faites, je dirai que l’architecture générale de ce texte est incontestablement moderne et conforme aux réalités économiques actuelles. Les ouvertures de crédits sont intégralement gagées par des redéploiements et ne modifient pas substantiellement l’équilibre du budget 2011. Nous ne pouvons que nous en féliciter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’examen de la loi de finances rectificative constitue cette année un exercice assez particulier. Nous sommes certes dans un collectif budgétaire traditionnel, comportant un ajustement des recettes, mais aussi dans une véritable réforme – une contre-réforme, devrais-je dire – dont la présence dans ce type de texte est assez saugrenue. Je souhaite développer ces deux points.

En premier lieu, les ajustements. Le collectif révise à la baisse les recettes nettes attendues cette année de l’impôt sur le revenu – 500 millions d’euros en moins – et de l’impôt sur les sociétés – 1,7 milliard en moins. Cela veut dire, malgré un rebasage de 0,4 milliard pour le premier et de 2,1 milliards pour le second, que la crise est toujours là. On le constate également à propos des recettes de TVA, que la reprise de la consommation améliore de près d’un milliard d’euros. Hors crise, le surplus de recettes serait de 10 milliards.

Il y a deux leçons à tirer de cette vérité des chiffres. La première, c’est que la demande, en particulier celle des ménages, continue d’être au cœur du dynamisme économique. La seconde, c’est que les politiques publiques mises en œuvre par le Gouvernement dans le cadre budgétaire n’ont eu aucun impact sur la crise économique.

En second lieu, la reforme. Elle est d’importance, à la fois techniquement et symboliquement : taxation des résidences secondaires des non-résidents ; fin des schémas d’optimisation par lesquels des non-résidents échappent à l’ISF ; lutte renforcée contre les trusts ; introduction d’une taxe sur les plus-values latentes lors du transfert du domicile fiscal hors de France ; modification du régime fiscal des pactes d’actionnaires ; création d’une contribution exceptionnelle sur la provision pour hausse des prix des carburants ; financement de l’aide juridictionnelle ; modification des règles concernant la contribution au service public de l’électricité. Bref, je n’ai jamais vu une loi de finances rectificative modifier autant de dispositions de manière aussi significative.

Force symbolique, car vous supprimez le bouclier fiscal – je devrais dire, pour être plus conforme à la réalité, que vous supprimez le terme.

M. Pierre-Alain Muet. Absolument !

M. Gérard Charasse. Car, vous l’indiquez vous-même, cette réforme se fait à recettes constantes, ce qui veut dire que nous sommes devant un tour de bonneteau et que les contribuables qui avaient bénéficié de vos bonnes grâces vont les perdre d’un côté pour les regagner de l’autre.

M. Michel Piron. Mais non !

M. Gérard Charasse. Le relèvement de 800 000 euros à 1,3 million d’euros du seuil d’entrée de l’ISF en fera sortir 300 000 contribuables. Pour les autres, le taux marginal d’imposition est divisé par plus de trois, passant de 1,8 % à 0,5 %.

Il est, mes chers collègues, un principe républicain cher aux radicaux comme à d’autres : celui de la progressivité de l’impôt, élément essentiel du consentement de tous les citoyens à la contribution publique.

Toutes les études sérieuses ont montré que l’imposition mise en place par ce gouvernement est devenue dégressive. La présente réforme accroît encore cette tendance. Ce n’est pas notre vision de la fiscalité.

Pour conclure, je soulignerai que, comme pour la règle d’or, vous êtes contraints de faire comme si vous brûliez vos idoles. Vous voici inspirés par une vision de la politique qui vous conduit à saper les recettes fiscales des futurs gouvernements, manière d’avouer que, demain, ces caisses vides ne seront plus votre affaire. Ce n’est pas notre vision de la politique.

M. Jean Launay. Bien vu !

M. Gérard Charasse. Un deuxième point nous préoccupe : le service public. Sa dégradation dans nos territoires n’a jamais été aussi patente, et je sais que c’est un constat partagé sur tous les bancs. Les exemples sont multiples : contrats aidés non renouvelés, enseignants recrutés dans des conditions effroyables, secteur de la santé décharné, commissariats et gendarmeries en sous-effectifs, justice entravée par le manque de moyens, investissements en chute libre dans les transports, l’université, la recherche. Sur le terrain, ce sont les plus faibles qui paient cash cette politique.

Vous aviez la possibilité – personne ne vous demandait un acte de contrition – de corriger les erreurs accumulées depuis 2007. Vous avez choisi le déni, préférant ignorer ces situations pour mieux persévérer.

Sachez, monsieur le ministre, que les députés radicaux ne vous suivront pas dans cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. Monsieur le ministre, nous serons amenés, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, à discuter d’une réforme de l’impôt sur le revenu, comme vous nous en avez fait la proposition il y a quelques jours. À cette occasion, nous pourrons évoquer l’élargissement de son assiette, mais aussi – je me tourne vers M. Piron – l’éventuelle évolution de son taux marginal. J’attendrai les propositions que vous ferez au nom du Gouvernement.

Le projet de loi de finances rectificative dont nous discutons ce soir apporte deux modifications substantielles à notre système fiscal : d’une part, le relèvement de la première tranche de l’impôt sur la fortune et le lissage de son barème ; d’autre part, la suppression du bouclier fiscal, mesures que, bien évidemment, je soutiens.

Mais venons-en à l’essentiel : pour ma part, je défends la sortie de la résidence principale de l’assiette de l’ISF. C’est, à mon sens, la solution la plus efficace pour corriger les dysfonctionnements de cet impôt que nous connaissons depuis trop longtemps. Je conçois cependant que cette question appelle une réflexion plus approfondie. C’est la raison pour laquelle je me suis pour l’instant rangé à votre proposition de relever le seuil de déclenchement de l’ISF.

Je note toutefois que, si cette mesure permet de mettre fin à quelques-unes des conséquences néfastes de l’ISF, les Français ne sont pas tous logés à la même enseigne selon que leur résidence principale se situe à Paris, dans une grande ville ou ailleurs. Dans la capitale, en effet, la flambée immobilière, alimentée par la politique de préemption du maire de Paris, a tôt fait d’assujettir à l’ISF une famille propriétaire. C’est pour tenir compte des différences de prix de l’immobilier entre territoires que je propose d’exclure la résidence principale de l’assiette de l’ISF. Afin d’appeler l’attention de mes collègues sur ce problème, j’ai déposé un amendement fixant le seuil de déclenchement de cet impôt à 1,4 million d’euros, avec un système de lissage jusqu’à 1,5 million afin d’éviter l’effet de seuil lié à la taxation au premier euro.

Monsieur le ministre, puisque vous souhaitez que ni l’outil de travail, ni les œuvres d’art ne soient imposés – et, sur ce dernier point, j’aimerais que le rapporteur général nous en dise plus sur son idée de créer un groupe de travail –, je vous suggère de prendre également en considération les familles qui ont décidé d’investir leurs économies dans l’immobilier et de vous prononcer sur la sortie de la résidence principale.

Ce projet de loi de finances rectificative apporte de nombreuses réponses satisfaisantes, mais il n’épuise pas les débats que nous devrons avoir sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je ne m’étendrai pas sur l’économie générale de ce projet de loi de finances rectificative. Je m’associe aux observations émises par mes collègues du groupe SRC. Les critiques formulées à l’égard des insuffisances du projet de loi de finances initiale restent fondées.

C’est à l’ancien ministre de l’outre-mer ici présent, parfait connaisseur de ces territoires et de ces départements, ainsi qu’au ministre du budget qu’il est devenu, que je veux m’adresser, en évoquant trois mesures qui font mal à ces régions et trois promesses qui n’ont pas été tenues.

La première de ces mesures est l’article 7, qui crée une contribution exceptionnelle sur les profits des compagnies pétrolières, dont le produit attendu, d’environ 117 millions d’euros, servira à financer la revalorisation du barème kilométrique. Il s’agit en fait d’un cautère sur une jambe de bois, nous le savons bien. Nos régions ont déjà payé 175 millions aux compagnies pétrolières, pour tout dire à Total, puisqu’elles sont toutes filiales de cette compagnie.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous voulez parler de la SARA ?

M. Victorin Lurel. Pour dénoncer cette insuffisance de concurrence, j’ai demandé l’application de l’article L. 410-2 du code de commerce. Mais le Gouvernement n’a pas engagé de véritable action, préférant ne pas aller jusqu’au bout de sa logique. Pourtant, une telle concentration crée une ponction considérable sur le pouvoir d’achat de nos compatriotes d’outre-mer, qui doivent acquitter les mêmes prix, si ce n’est plus, alors même que leurs revenus sont nettement inférieurs à ceux de la métropole.

La deuxième de ces mesures est l’article 8 : il crée un dispositif de bonus-malus qui, dans son principe, pourrait être très bien accepté, mais qui ne trouvera pas à s’appliquer chez nous. Il incite en effet les entreprises de plus de 250 salariés à faire des efforts en faveur des alternants et autres apprentis. Or, comme vous le savez, monsieur le ministre, la démographie de nos entreprises ne se prête pas à ce genre de mesure : très peu d’entre elles comptent 250 salariés. Pourtant, c’est dans nos régions que les jeunes souffrent le plus du chômage et de l’absence d’insertion : 56 % des jeunes de seize à vingt-cinq ans sont touchés en Guadeloupe.

La troisième mesure est l’article 10, qui ouvre une enveloppe supplémentaire de 243 millions d’euros en faveur de l’emploi, de l’alternance et des contrats aidés, notamment en ponctionnant 17 millions sur le budget de l’outre-mer. Je puis comprendre la rhétorique qui consiste à dire que nous devons participer en adultes à l’effort de redressement national, en particulier pour ce qui est des finances publiques. Mais il faut avoir à l’esprit que l’effort total consenti par ces régions a été supérieur à celui consenti par un département moyen. À cet égard, j’aimerais savoir si un arbitrage interministériel a été rendu.

Le ministre a précisé que ces 17 millions d’euros nous seraient demandés pour créer 35 100 contrats aidés, soit 400 euros par emploi, alors qu’un total de 50 000 contrats aidés supplémentaires est visé. Cela m’étonne un peu.

Je rappelle également – M. le rapporteur général le sait bien – que, depuis 2009, ce sont 100 millions d’euros qui ont été ponctionnés sur cette ligne en faveur de l’insertion et de l’emploi outre-mer.

J’en viens aux promesses non tenues.

Lors de la discussion de la loi de finances pour 2011, nous avions pris l’engagement fort et solennel de pas appliquer de coups de rabot à l’incitation fiscale en faveur du logement social. Or, monsieur le ministre, le 15 mai denier, vous avez bel et bien abaissé son plafond. Par ailleurs, nous avions voulu sanctuariser la ligne budgétaire unique ; or celle-ci a été amputée de 21 millions d’euros cette année.

Autre promesse non tenue : le renforcement du soutien à la filière photovoltaïque outre-mer dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Je le déplore, même si je sais que vous avez pris des engagements pour qu’il soit opéré dans le cadre de la loi de finances 2012.

La troisième promesse non tenue porte sur le Fonds d’investissement de proximité en faveur des PME et des TPE de nos régions, qui correspond pourtant à un engagement solennel pris sous les lambris du Palais de l’Élysée par le Président de la République lui-même, le 6 novembre 2009. Nos régions vivent sous un régime d’économie d’endettement : les entreprises s’appuient sur la défiscalisation pour financer les investissements ainsi que sur les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale. Mais elles sont marquées par une fragilité structurelle de leurs fonds propres, notamment des capitaux permanents. Or, aujourd’hui, les banques refusent de leur octroyer des prêts en vertu des contraintes qui leur sont imposées par Bâle I, Bâle II et Bâle III. Ce n’est pas de nature à nous rassurer, compte tenu des faibles capitaux dont nous disposons.

En 2009, la commission des finances du Sénat avait adopté un amendement créant ce dispositif, mais il avait été repoussé en CMP. Le Gouvernement aurait dû l’intégrer dans la loi de finances rectificative de 2009. Cela n’a pas été le cas. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de lever le gage de l’amendement que nous avons déposé en ce sens afin de faire respecter une promesse solennelle du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, dit « l’homme à la cravate rouge ». (Sourires.)

M. Pierre-Alain Muet. Un révolutionnaire !

M. Michel Piron. Monsieur le président, je voudrais, pour rassurer notre rapporteur général, lui indiquer qu’un regard attentif lui permettra de déceler que ce rouge est pigmenté de bleu… (Sourires.)

Trois observations sous forme de questions me viennent à l’esprit : de quelle réforme s’agit-il ? Sur quelle méthode repose-t-elle ? Quelle en est la portée ?

Je ne bouderai pas mon plaisir en affirmant que cette réforme renvoie avant tout à la suppression du bouclier fiscal, ce qui n’est pas rien. Nous étions quelques-uns à appeler de nos vœux une telle mesure car cet outil conçu avant la crise était de plus en plus mal perçu, du fait de son appellation même, mais aussi parce qu’il semblait exonérer de tout effort les contribuables susceptibles d’en consentir un.

À ce propos, je dois dire que je n’ai toujours pas compris si l’opposition était pour la suppression du bouclier fiscal ou pour son maintien. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Eckert. Faut-il que vous soyez sourd pour ne pas nous avoir entendus !

M. Michel Piron. Je me suis montré très attentif. Je suis sensible aux sophismes mais, poussés à un tel point, ils ont suscité ma perplexité.

M. Louis Giscard d’Estaing. Très bien !

M. Michel Piron. Au-delà de la question du bouclier fiscal, se pose la question fort difficile de l’ISF. Je suis de ceux qui pensaient que cet impôt assis sur le patrimoine méritait purement et simplement d’être remplacé par un impôt assis sur les revenus du patrimoine et que, pour cette raison, il aurait pu être supprimé. C’est donc une demi-satisfaction que j’exprime.

La meilleure illustration de la difficulté qu’implique le maintien de cet impôt aveugle – puisque, je le rappelle, il ne tient pas compte des revenus de la fortune ou du patrimoine – est le cas des œuvres d’art. Celui-ci montre combien l’appréhension même de l’ISF est difficile et combien son application est délicate.

Pour conclure sur ce point, il s’agit évidemment d’une bonne réforme : le verre, si vous me permettez cette image, est aux deux tiers plein.

Sur la méthode, je remercie tout particulièrement le ministre, François Baroin, et, bien sûr, Mme Lagarde, qui a participé au lancement de nos premières réunions de travail. Je dois dire que nous avons bénéficié de votre écoute, mieux, de la contribution des services de Bercy, que je tiens également à remercier, car ils ont nourri un dialogue tout à fait exemplaire entre l’exécutif et le pouvoir législatif.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai.

M. Michel Piron. Je salue donc la méthode voulue par le Président de la République et appliquée par le Gouvernement, en particulier par François Baroin. Merci encore, monsieur le ministre.

Quant à la portée de cette réforme, disons-le clairement, le texte s’inscrit explicitement dans un cadre restreint, celui de la réforme de l’ISF. Son équilibre financier est lui-même tenu par ce cadre restreint.

Cela étant, cette réforme dite de l’ISF ne peut pas ne pas s’inscrire dans une perspective plus vaste. Il s’agit d’abord du contexte général – national, international et européen –, qui est extraordinairement contraint et particulièrement difficile à interpréter. Il s’agit ensuite de perspectives à moyen et à long terme dont l’incertitude est probablement la première marque.

De ce point de vue, si l’on veut bien situer cette réforme dans une perspective plus vaste, celle de l’exigence d’équilibre des finances publiques, rappelée à juste titre par la Cour des comptes dans son dernier rapport général, que peut-on en dire ?

Premièrement, une priorité absolue s’impose : la réduction de la dépense publique. J’y souscris bien évidemment, comme tous les membres de la majorité : c’est notre priorité. Cela étant, existe-t-il des économistes reconnus qui prétendent que la simple réduction de la dépense publique suffira à rétablir l’équilibre de nos comptes publics ? Personnellement, je n’en connais pas.

C’est pourquoi s’ajoutera assurément à la nécessité de réduire la dépense publique celle de trouver d’autres recettes afin de réduire les déficits publics, comme la Cour des comptes le juge nécessaire, de 20 milliards par an au cours de la période qui s’étend de 2010 à 2013.

Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé, cosigné avec plusieurs de mes collègues, et qui tend non seulement à consolider l’équilibre financier de la réforme dans le cadre restreint qui est le sien, mais également à alléger nos déficits de quelque 350 millions d’euros.

Le moment peut être discuté – loi de finances ou loi de finances rectificative ? –, de même que l’objet : impôt sur le travail ou impôt sur le patrimoine ? Je rappelle – nous en reparlerons à propos de cet amendement – que nous définissons un seuil de 150 000 euros de revenu imposable par part, au-delà duquel les revenus du travail sont inférieurs aux revenus du patrimoine. Ce sujet mérite plus qu’un examen superficiel ou rapide : il appelle une véritable discussion.

Je vous ai bien entendu, monsieur le ministre – et nous y reviendrons –, parler de contribution exceptionnelle. Permettez-moi de vous dire que le déficit, aujourd’hui, n’est pas exceptionnel : il est structurel.

M. Marc Goua. Très juste !

M. Michel Piron. Il appellera donc assurément des réponses structurelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, mon intervention s’adresse à un ministre qui est absent. Telle est la conséquence de la démarche qui consiste à traiter du fonds d’indemnisation des victimes du Mediator dans ce projet de loi de finances rectificative. Je serai donc très bref, monsieur le ministre, puisque je m’adresse en réalité à votre collègue chargé de la santé.

L’article 22 est bienvenu, et le groupe socialiste lui est favorable. Nous sommes en effet sensibles à votre intention d’instaurer dans les plus brefs délais un mécanisme d’indemnisation des victimes du Mediator, afin d’éviter un contentieux de masse qui ne pourrait aboutir qu’au terme de longues procédures judiciaires, lesquelles exercent un effet dissuasif sur nombre de victimes, tant elles s’apparentent à un parcours du combattant, les avocats et les représentants du laboratoire Servier faisant systématiquement appel. Mais ceux-ci ne sont pas les seuls à multiplier les restrictions et les obstacles judiciaires, au nom d’une stratégie de dissuasion qui consiste à décourager les plaignants et à obtenir des compromis privés d’indemnisation, assortis d’engagements à renoncer à toute procédure.

L’article 22 crée un nouveau fonds spécifique, dédié à la réparation d’un drame sanitaire affectant de nombreuses victimes, sur le modèle des fonds créés à la suite des drames du sang contaminé, de l’amiante ou de l’apparition de scléroses en plaques après l’administration obligatoire du vaccin contre l’hépatite B.

Il ne s’agit manifestement pas de traiter de tous les accidents liés à une prescription médicamenteuse. Mais, alors que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux applique depuis dix ans des procédures d’indemnisation de victimes d’accidents médicamenteux, il est clair que la loi Kouchner doit être revue afin que tous les accidents de ce type fassent l’objet d’un traitement plus juste et plus humain. Telle sera, je l’espère, l’entreprise qu’un autre support législatif permettra de mener.

Après avoir travaillé sur l’article 22 avec des associations représentant des victimes et avec les assureurs, j’avais déposé plusieurs amendements tendant à améliorer le texte en tirant les leçons des précédents drames sanitaires. Malheureusement, ces amendements sont passés sous les fourches caudines de l’article 40, dont l’usage systématique et aveugle a conduit à les repousser pour l’essentiel, alors qu’ils étaient conformes à l’esprit dans lequel M. le ministre de la santé a abordé le débat.

Le premier de ces amendements visait à étendre à l’Isoméride le dispositif que l’on propose d’appliquer au seul Mediator. Il s’agit en effet de la même famille chimique, celle des fenfluramines, dérivés des amphétamines. Il s’agit du même métabolite toxique, la norfenfluramine. Il s’agit en outre du même laboratoire fabricant, le laboratoire Servier, qui a recouru aux mêmes méthodes de négation et de dissimulation de leurs effets cardiovasculaires indésirables. Il s’agit enfin des mêmes malades, auxquels ces médicaments ont été prescrits, pour l’essentiel, en raison de leur effet anorexigène, c’est-à-dire coupe-faim.

Il reste quelques centaines de victimes de l’Isoméride qui n’ont obtenu aucune réparation après l’interdiction prononcée en 1997, avant la création de l’ONIAM. Ces victimes ont le plus souvent renoncé à toute action pénale, parce que les procédures sont interminables, exténuantes et coûteuses.

Je vous propose, monsieur le ministre, de reprendre au nom du Gouvernement d’autres amendements fondés, mais également écartés au titre de l’article 40.

Le premier tend à remplacer les mots « causés par l’administration du benfluorex » par les mots « liés à la prescription du benfluorex ». Outre que le concept d’« administration » relève du registre des substances vénéneuses, il s’agit d’éviter que, comme dans le cas du distilbène, le fabricant, confronté à la seule ordonnance, ne conteste que le médicament ait effectivement été pris.

Un autre amendement tend à réécrire l’alinéa 17 pour préciser que les personnes ayant consommé du benfluorex seront prises en charge par le dispositif créé quelle que soit la date de prescription, afin qu’aucun délai ne permette de les en exclure.

Il s’agit ensuite de préciser à l’alinéa 24, en remplaçant le « déficit fonctionnel » pris en considération par le collège des experts par un « dommage », que tous les problèmes de santé imputables au benfluorex seront bien pris en considération.

Enfin, en remplaçant à l’alinéa 17 le terme d’imputabilité par celui d’implication, on s’assurerait que la rédaction de la loi ne donnera pas au laboratoire matière à argumenter juridiquement pour se soustraire à sa responsabilité.

Mes chers collègues, cinq millions de nos concitoyens ont consommé du Mediator. Près d’un million d’entre eux ont pu être identifiés et joints par la Caisse nationale d’assurance-maladie. Chez 7 à 8 % des personnes qui font ainsi l’objet d’un contrôle systématique, des insuffisances valvulaires imputables au Mediator sont diagnostiquées par les cardiologues. En d’autres termes, un nombre considérable de patients ignorerait qu’il a été porté atteinte à son intégrité physique parce qu’une substance toxique est restée trop longtemps sur le marché.

La solidarité nationale doit pleinement jouer son rôle. Je me réjouis que telle soit l’intention affichée par le Gouvernement. Je me réjouirais encore davantage, monsieur le ministre, si vous adoptiez les améliorations que je viens de vous proposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Ce projet de loi de finances rectificative pour 2011 propose une réforme de la fiscalité du patrimoine ambitieuse et équilibrée, au service de la justice et du développement.

Permettez-moi cependant de mettre l’accent sur une disposition qui n’est pas directement insérée dans le texte, mais qui fait l’objet d’un amendement du Gouvernement : l’imposition des prestations de retraite versées en tout ou partie sous forme de capital aux travailleurs frontaliers. Cette disposition importante mérite que l’on s’y attarde : elle ne touche pas moins de 135 800 résidents français travaillant en Suisse, dont 76 724 Haut-Savoyards qui font chaque jour le trajet entre leur domicile et Genève.

Afin d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, la France et la Suisse avaient signé, en 1966, une convention fiscale. L’application de cette convention entraînait cependant une double exonération des prestations de retraite complémentaire des frontaliers versées sous forme de capital. En effet, l’imposition de telles pensions sous forme de capital n’existe pas en droit français. Or, selon l’avenant à la convention signé à Berne le 27 août 2009, aussi longtemps que les pensions du deuxième pilier sont exonérées en France, la Suisse peut conserver par subsidiarité l’impôt versé.

Cette mesure est, vous en conviendrez, particulièrement injuste : elle se traduit de fait par une double imposition des frontaliers et a de graves répercussions sur l’économie locale, déjà fortement touchée par la crise en 2008 et en 2009. Je précise que le travail frontalier est la première source d’emploi de mon département.

Vous vous étiez engagé, monsieur le ministre, à modifier les règles applicables aux modalités d’imposition de ce capital. Au cours des rencontres qui ont réuni les associations représentatives des frontaliers, les parlementaires et le ministère, il avait ainsi été convenu que les prestations de retraite versées sous forme de capital aux frontaliers seraient imposées en France de manière équilibrée – ce qui est normal – et conforme à ce qui se pratique déjà dans notre pays.

Or, contre toute attente, l’article 59 de la loi de finances rectificative pour 2010 a introduit le principe de la soumission à l’impôt sur le revenu des prestations du deuxième pilier à partir du 1er janvier 2011. Ces prestations concourent ainsi à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu et elles sont, de ce fait, imposées selon le barème progressif qui s’applique à cet impôt, ce qui conduit à une taxation qui peut atteindre 40 % lors du rapatriement du deuxième pilier. Ce taux, vous en conviendrez, est particulièrement désavantageux pour les frontaliers, qui ne peuvent l’accepter.

Cette situation est particulièrement injuste. En effet, intégrer l’imposition du capital du deuxième pilier au dispositif de l’impôt sur le revenu pourrait conduire les frontaliers à acquitter un impôt très élevé, dont il n’existe aucun équivalent pour les salariés qui travaillent en France.

De plus, cette situation pénalise lourdement les frontaliers, nombreux dans ma circonscription, mais aussi dans celles de Claude Birraux et de Marc Francina : à nous trois, nous réunissons la moitié des frontaliers français qui travaillent en Suisse et 65 000 des 75 000 frontaliers haut-savoyards. En effet, le deuxième pilier avait été introduit afin de compenser la retraite très faible issue du premier pilier, qui, je le rappelle, ne permet pas de vivre.

Conscient des difficultés qu’entraîne la situation actuelle, vous avez accepté, monsieur le ministre, de recevoir à nouveau les parlementaires et les associations de frontaliers afin de discuter d’une proposition fondée sur le principe de l’imposition autonome et libératoire du capital de prévoyance. Je tiens à vous en remercier. Il semble que nous nous orientions donc vers un tel principe, à un taux de 7,5 % environ, taux actuellement applicable aux assurances.

Cette solution a le mérite de poser les fondements d’une imposition des pensions de retraite versées sous forme de capital à un taux, il faut bien en convenir, plus avantageux pour les frontaliers que ne le serait l’imposition de ces mêmes pensions selon les règles de l’impôt sur le revenu. Je le répète, je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que le Gouvernement, d’avoir été à notre écoute sur ce sujet, certes particulier, mais qui, je le répète, touche 135 000 personnes – soit l’équivalent d’une belle PME !

Le rapatriement du capital issu du deuxième pilier représente pour les frontaliers un revenu complémentaire nécessaire, destiné à couvrir leurs besoins de base en cas d’invalidité, de décès ou de retraite. Il est donc indispensable d’établir un système d’imposition spécifique juste, équilibré et équitable.

Pour conclure, permettez-moi, monsieur le ministre, trois remarques complémentaires. D’abord, en deux ans, nous aurons changé trois fois de système ! Peut-on, monsieur le ministre, compter sur l’attention, la mansuétude, la pédagogie des services fiscaux ?

M. François Baroin, ministre. En tout cas, vous pouvez compter sur moi. (Sourires.)

M. Martial Saddier. Il y aura, à n’en pas douter, des erreurs dans les déclarations, et j’espère que la bonne foi des contribuables sera prise en considération.

Ensuite, l’abattement de 10 % s’appliquera-t-il sur la totalité, quelle que soit l’option retenue, et sera-t-il déplafonné, quelle que soit également l’option retenue ?

Enfin, les accords de Berne permettent à la Suisse d’imposer ce qui est exonéré en France. Peut-on, là aussi, compter sur la communication entre autorités fiscales françaises et suisses pour que ce qui est imposé d’un côté ne le soit pas de l’autre ?

En tout cas, merci, monsieur le ministre.

M. Yves Censi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative traduit, selon ses auteurs, la volonté d’instaurer une fiscalité du patrimoine plus juste, plus simple, et économiquement plus pertinente. À les entendre, l’exception française pénaliserait l’attractivité fiscale de notre pays, aboutirait progressivement à des situations confiscatoires et favoriserait l’expatriation.

Pour nous, l’impôt juste doit être proportionnel aux facultés contributives ; il doit aussi être progressif et redistributif.

Notre pays compte près de 35 millions de foyers fiscaux, dont la moitié seulement sont assujettis à l’impôt sur le revenu ; 8 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Mais nous parlons aujourd’hui des 0,01 % des foyers ayant les revenus les plus élevés, soit près de 3 500 foyers, dont 925 qui concentrent près de 60 % du coût du bouclier fiscal.

Ce que l’on constate, ce sont des inégalités de revenus, mais aussi des inégalités de patrimoine. Le produit de l’impôt sur la fortune est beaucoup plus concentré que celui de l’impôt sur le revenu.

L’ISF a vu sa progressivité très fortement atténuée par le bouclier fiscal ; la composition des revenus des contribuables de l’ISF reflète l’âge moyen des assujettis : 68 % ont plus de soixante ans, 39 % plus de soixante-dix ans. Selon vos services, les expatriations auraient concerné, de 1996 à 2005, près de 5 000 foyers composés de cadres ou dirigeants et de retraités pour près de 20 % au total.

Le neuvième rapport du Conseil des prélèvements obligatoires indique, aux pages 304 et 305, que « l’augmentation significative du nombre de ces départs depuis 2004, comparable à celle du nombre des redevables assujettis, suggère par ailleurs que ceux-ci ne sont pas, en général, liés à des considérations fiscales, compte tenu des modifications législatives intervenues depuis lors – baisse des taux d’imposition à l’impôt sur le revenu, bouclier fiscal mis en place en 2005, renforcé en 2007.

« Ces données ne portent, par construction, que sur le patrimoine taxable imposable à l’ISF, et excluent donc le patrimoine dit professionnel qui est exonéré. […]

« Le phénomène apparaît cependant circonscrit et davantage lié à la taxation de la plus-value réalisée lors d’une cession patrimoniale que résultant de l’ISF. »

Depuis 2004, on observe que le niveau de vie des plus aisés continue de progresser, essentiellement en raison de l’augmentation rapide des revenus du patrimoine. L’impôt sur le revenu est devenu moins progressif et moins redistributif.

À la page 369 de ce même rapport, on lit : « La fiscalisation du patrimoine n’est pas nécessairement incompatible avec l’efficacité économique. Elle présente, sur le plan redistributif, des avantages compte tenu de la concentration des patrimoines, plus forte que celle des revenus, tant sur un plan instantané que, s’agissant des droits de mutation à titre gratuit, dans une optique intergénérationnelle permettant d’augmenter la part du patrimoine acquise par rapport à celle qui est transmise. »

Vous avez, certes, réuni votre majorité pour débattre de votre projet de réforme, mais vous ne tenez pas compte des conclusions du Conseil des prélèvements obligatoires, qui contredisent certaines de vos affirmations. Vous comprendrez donc que notre groupe votera contre votre texte.

J’aborde maintenant le chiffrage de votre réforme. Vous financez la réforme, mais vous ne financez pas la lutte contre l’évasion fiscale internationale – dont participe d’ailleurs la cellule de régularisation : 300 millions en 2011, 390 millions en 2012, 210 millions en 2013, 50 millions en 2014. Pour justifier ces montants, vos explications sont des plus succinctes.

Comment comptez-vous y arriver ? Vous avez créé une administration de service, alors que de nombreux États abandonnent cette idée et s’orientent vers une administration de contrôle, élargissant leurs enquêtes sur la fraude fiscale. Aux États-Unis, des mesures plus offensives de recherche des comptes offshore et de lutte contre la pratique du secret bancaire ont été prises ; en Allemagne et en Grande-Bretagne, des conventions de taxation des comptes en Suisse à 50 % sans levée d’anonymat sont engagées.

En France, des mesures de renseignements administratifs et fiscaux ont été introduites par une loi de finances rectificative en 2009. Où en est la coopération avec les services fiscaux européens ? Quels sont les premiers résultats ?

La brigade nationale de répression de la délinquance fiscale a enfin été installée au mois de décembre dernier. Composée de vingt-trois agents, elle peut saisir la commission des infractions fiscales sur la base de la présomption de fraude. Quels résultats en attendez-vous ? Sont-ils ceux annoncés, et pourquoi cette diminution dès 2014 ?

Quels engagements de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales prenez-vous ? Quels moyens dégagez-vous ? Aucun indicateur de lutte contre la fraude fiscale ne figure plus dans le programme 302 « Facilitation et sécurisation des échanges ». Maintenez-vous au moins le nombre des agents qui agissent contre la fraude et l’évasion fiscales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Launay. Ce sont de vraies questions !

M. le président. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. Pour créer un bon impôt, il faudrait régler l’éternel problème de la quadrature du cercle ; l’impôt doit être rentable, simple à prélever tout en étant le plus neutre possible sur le plan économique et être socialement accepté. À l’évidence, notre architecture fiscale, telle qu’elle s’est façonnée au fil des années et au gré des majorités et des conjonctures, s’est éloignée à certains égards de ces objectifs.

Parallèlement, pour retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi et face à l’ampleur de notre déficit public et de notre endettement, c’est cette architecture qu’il convient de repenser, de simplifier et d’optimiser.

Je voudrais souligner au préalable toute la cohérence d’une méthode qui n’agit pas sur le montant des prélèvements, mais sur leur structure même, afin de les rendre plus efficaces et plus favorables à l’activité et à la croissance. Cette méthode redonne de la simplicité et de la stabilité à un système d’imposition devenu trop complexe.

En vous attaquant aussi bien à l’ISF qu’au bouclier fiscal, aux plus-values ou encore aux donations et transmissions de gros patrimoines, c’est vers plus de cohérence que vous orientez notre édifice fiscal.

En effet, l’ISF est devenu un impôt confiscatoire, c’est-à-dire excessivement élevé, inéquitable mais aussi, chacun le reconnaît, contre-productif pour l’État car engendrant nécessairement des stratégies d’évitement. Je regrette d’ailleurs qu’aujourd’hui ce soient les musées et les œuvres d’art qui risquent d’en souffrir.

L’ISF, du fait de son barème progressif et de son taux marginal de 1,8 %, était devenu au fil des années destructeur de richesses en obligeant les contribuables à se séparer de leur patrimoine afin d’acquitter l’impôt, voire à s’expatrier. Nous ne pouvons que nous réjouir du changement du barème ; à partir de 2012, il y aura donc deux taux : 0,25 % entre 1,3 million et 3 millions d’euros, puis 0,5 % au-delà de 3 millions d’euros, malgré les insuffisances – cela a déjà été souligné – d’une taxation au premier euro.

La réduction des taux permettra de faire sortir de l’imposition sur la fortune les 300 000 foyers qui y sont entrés depuis dix ans, essentiellement à cause de la flambée des prix de l’immobilier.

En revanche, je regrette que la question des biens professionnels n’ait pas été suffisamment traitée. Pour bénéficier de l’exonération de l’outil professionnel, il faut détenir 25 % du capital de l’entreprise et occuper des fonctions dirigeantes. Ce dispositif, même s’il a été aménagé, constitue un frein à l’ouverture du capital et pose des problèmes pour l’organisation des successions – Michel Bouvard a, je crois, évoqué ce problème tout à l’heure. La France aurait peut-être tout intérêt, en la matière, à instituer un régime de fiducie ou de trustees qui permet en toute franchise fiscale de transférer la propriété de son entreprise à des structures de gestion dans lesquelles les héritiers et les autres actionnaires sont représentés.

Votre décision de compenser la baisse des recettes de l’ISF par un alourdissement de la taxation sur les grosses transmissions de patrimoine va dans le bon sens, bien sûr, dans la mesure où vous reportez la charge sur la même catégorie de contribuables, sans mettre à contribution des non-assujettis à l’ISF. C’est d’ailleurs dans cette même logique et dans ce même souci de cohérence que vous supprimez le bouclier fiscal.

À ce sujet, je voudrais souligner que l’idée du plafonnement du montant des impôts à 50 % des revenus, comme en Allemagne, relevait évidemment du bon sens. Mais la question fiscale est avant tout affaire de symbole, particulièrement en matière de patrimoine. Peut-être aurait-il mieux valu alors que l’administration fiscale calcule, bouclier compris, le montant de l’impôt dû, et non pas celui de la restitution.

J’en viens à la création de l’exit tax de 19 % qui s’appliquera lors de la cession de titres pour les résidents qui quittent la France. Cette taxe s’appliquera au moment de la vente des titres et non pas au moment du départ. Le seuil de cession de 25 830 euros ayant été supprimé par la loi de finances pour 2011, cette exit tax restera plus avantageuse que la cession de titres en tant que résident avant le départ, puisque les prélèvements sociaux – de 12,3 % au 1er janvier 2011 – ne seront pas appliqués ; les non-résidents sont exonérés de prélèvements sociaux quel que soit l’impôt.

Je tiens à préciser que ce projet de loi ne remet pas en cause l’exonération des plus-values sur titres au bout de huit ans, ce qui devrait rassurer les acteurs économiques.

Il s’agit, par cette taxe, de faire contribuer certaines personnes ayant accumulé des plus-values latentes pendant la durée de leur séjour en France et d’illustrer de la sorte un devoir de solidarité avec la collectivité dans un contexte économique contraint. À cet égard, l’équilibre trouvé est nettement plus satisfaisant que la solution, parfois proposée, consistant à assujettir à l’impôt en France tous les nationaux français.

Je conclurai, comme Jean-Pierre Brard tout à l’heure, par une citation : « L’extrême richesse, comme l’extrême pauvreté, peuvent avoir ce résultat fâcheux de rompre le lien qui unit l’individu à la communauté, et qui les unit entre eux. » Cette phrase d’un prix Nobel de littérature du milieu du XXe siècle résonne particulièrement au moment où, tous, ici, nous appréhendons la fiscalité comme un puissant levier de justice sociale.

M. Louis Giscard d’Estaing. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le projet de loi de finances rectificative pour 2011 dont nous débattons sera donc celui de la fin du bouclier fiscal, emblématique outil de l’injustice fiscale qui aura marqué cette législature, et le mandat du président Sarkozy. Rappelons-nous la loi TEPA !

De nombreux collègues ont déjà évoqué la tromperie supplémentaire de ce texte qui consiste à amender l’impôt de solidarité sur la fortune. C’est la raison pour laquelle j’aborderai pour ma part la question des bénéfices des entreprises du secteur pétrolier, qui fait l’objet dans cette loi de finances rectificative d’un timide article 7, créant une contribution exceptionnelle sur la prévision pour hausse des prix.

Selon l’évaluation préalable de l’article, quarante-quatre entreprises contributrices devront verser 115 millions d’euros, afin de financer – enfin – une mesure à caractère social : la revalorisation de 4,6 % du barème kilométrique utilisé par les salariés qui optent pour la déduction des frais réels lors de leur déclaration de revenus.

Parmi ces quarante-quatre entreprises, il n’y a qu’une seule grande entreprise, Total – dont la contribution s’élèverait à 70 millions d’euros.

Mais il est temps de faire le rapprochement entre ce que l’on pourrait qualifier de bonne idée et le régime du bénéfice mondial consolidé, qui aura permis à cinq entreprises de bénéficier, en 2010, de 460 millions d’euros d’économies d’impôt. Ces chiffres figurent dans le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relatif aux niches fiscales et sociales des entreprises.

Ce régime, rappelons-le, a été mis en place en 1965, dans un contexte économique très différent ; c’était avant le premier choc pétrolier. Parmi ces cinq entreprises, on compte Vivendi, NRJ Group, Euro Media Group et Total. L’article 209 quinquies du code général des impôts permet en effet aux sociétés mères de groupes français, agréées par le ministère de l’économie et des finances, de retenir « l’ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, qu’elles soient situées en France ou à l’étranger, pour l’assiette des impôts établis sur la réalisation et la distribution de leurs bénéfices ».

Vivendi a accédé à ce régime le 26 août 2004, par décision du ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy. En contrepartie, plusieurs engagements étaient pris en faveur de la création d’emplois dans les territoires français touchés par le chômage et par les restructurations industrielles. Six ans plus tard, il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous disiez si l’objectif de créer 2 100 contrats à durée indéterminée en cinq ans a été tenu : après tout, nous sommes là dans le rôle de contrôle du Parlement ! Même si c’était le cas, cela mériterait d’être mis en rapport avec les sommes reversées, pour mesurer le coût de la subvention par emploi.

S’agissant de Total, même Christian Estrosi s’interroge, peut-être parce qu’il a été ministre de l’industrie, sur l’effort collectif auquel l’entreprise, après plusieurs années de spectaculaires bénéfices, pourrait être amenée à participer. En effet, sur 10,3 milliards d’euros de bénéfices en 2010 – bénéfices qui s’élèvent déjà à 3,1 milliards d’euros pour le premier trimestre 2011 – la compagnie Total n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France, alors qu’elle a versé plus de la moitié de cette somme à ses actionnaires. Rappelons que ses bénéfices s’élevaient déjà à 7,6 milliards d’euros en 2009 et à 13,9 milliards d’euros en 2008 !

Il serait donc intéressant, monsieur le ministre, que vous nous disiez de combien Total a bénéficié en reversement de l’État au titre du bénéfice mondial consolidé : je suis prêt à parier que cette somme est plus importante que la contribution qui sera demandée à la compagnie au titre de l’article 7.

Voilà donc une belle niche de luxe pour une société majeure du CAC 40 qui prospère à coups de milliards d’euros en affichant 207 millions d’euros de pertes en France. Ce mécanisme du bénéfice mondial consolidé n’est pas moral et nous en demanderons la suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Vandewalle.

M. Yves Vandewalle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je suis intervenu à de nombreuses reprises, depuis des années, et j’ai multiplié les amendements pour modifier ou supprimer l’ISF et le bouclier fiscal. Aujourd’hui, nous y venons. Il n’est jamais trop tard pour bien faire et je tiens à souligner la qualité du projet qui nous est soumis, un projet d’envergure dont l’équilibre subtil me paraît techniquement et politiquement judicieux.

La suppression de la première tranche permettra d’exonérer de l’ISF plus de 300 000 contribuables qui n’y sont assujettis qu’en raison de l’augmentation des prix des biens immobiliers – des prix virtuels, faut-il le rappeler, quand l’impôt, lui, est bien réel, et sans rapport avec les revenus. Dans le pire des cas, cet impôt, ajouté aux autres, pouvait conduire à de véritables expropriations de fait.

La simplification des tranches et leur ajustement pour tenir compte de la baisse des taux d’intérêt réels constituent aussi une mesure de simple bon sens, avec un taux de 0,25 % entre 1,3 et 3 millions d’euros et de 0,5 % au-delà. Cette simplification a l’inévitable inconvénient de créer des effets de seuil que des dispositions particulières viennent à juste titre atténuer.

À recettes comparables, le principe de justice fiscale sort renforcé de cette réforme. Le durcissement des règles applicables aux grosses successions, la suppression du bouclier fiscal et du plafonnement de l’ISF sont des avancées majeures.

Pour autant, nous n’échapperons pas à la réforme de l’impôt sur le revenu que recommande le Conseil des prélèvements obligatoires. Si je n’ai pas cosigné l’amendement visant à créer une nouvelle tranche supérieure, c’est parce que l’accumulation des niches fiscales lui enlève beaucoup de son efficacité et qu’il faut une approche globale de cette question.

L’article 14 qui institue un plafonnement de la taxe foncière afférente à l’habitation principale en fonction du revenu vient heureusement compenser la suppression du bouclier fiscal pour les petits revenus. On peut toutefois s’interroger sur le taux de 50 %, qui risque d’être excessif pour certains contribuables. J’ai déposé un amendement pour remédier à ce qui me semble être un défaut.

La création d’une exit tax pose plusieurs questions, qui ont été développées par Charles de Courson et sur lesquelles je ne reviendrai pas. J’observerai simplement observer que nous sommes prêts à taxer les Français qui vont s’installer à l’étranger, mais comment se fait-il que d’autres, qui sont partis pour des raisons professionnelles, ne bénéficient pas des avantages sociaux pour lesquels ils ont cotisé ? Comment se fait-il, par exemple, qu’une salariée d’un grand groupe, accouchant à l’étranger où elle est partie travailler, ne puisse pas bénéficier de la sécurité sociale alors qu’elle a cotisé en France pendant de longues années ? Cette personne travaille dans le groupe Renault, il ne s’agit donc pas d’évasion fiscale.

L’amendement du rapporteur général relatif au financement des transports en Île-de-France est très important. Même si cela peut faire débat, je ne suis pas hostile par principe au relèvement de la redevance pour financer la modernisation des réseaux de transports en commun ; encore faut-il en corriger rapidement les défauts, qui sont dénoncés par les entreprises.

Premier défaut : la brutalité de l’augmentation, qui fait l’objet de l’un de mes deux sous-amendements.

Deuxième défaut : le zonage, parfois irrationnel. Comment peut-on mettre Pantin, Juziers et la petite commune rurale sans transports en commun de Saint-Rémy-l’Honoré dans la même zone ? Il est nécessaire de revoir le zonage en fonction de la qualité de la desserte, car la redevance est la contrepartie d’un service. C’est l’objet de mon second sous-amendement qui, je l’espère, sera approuvé par le Gouvernement.

Troisième défaut : les exonérations au titre de la dotation de solidarité urbaine et du Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France. Comme elles s’ajoutent à d’autres dispositifs et que leurs montants sont de facto très fortement accrus, ces exonérations transforment un outil de financement des transports en commun en un outil de déménagement du territoire – j’emploie l’expression à dessein – de l’Ouest vers l’Est parisien, alors que ce dernier bénéficie désormais d’une dynamique positive. J’y reviendrai plus en détail lors de la discussion de l’article.

L’une des autres mesures importantes que je soutiens est la modulation du taux de la contribution supplémentaire à l’apprentissage pour inciter les entreprises de plus de 250 salariés à développer les formations en alternance, dont chacun connaît les vertus. Une autre disposition incitative est fort heureusement prévue pour les PME, qui emploient le gros des salariés. J’espère que beaucoup de jeunes pourront ainsi découvrir le travail en entreprise.

Quant à l’évolution de la CSPE, prévue par l’article 21, elle soulève deux questions : l’apurement du manque à gagner d’EDF, qui représente d’ores et déjà une somme considérable, et l’incertitude sur des dispositions qui ne garantissent pas durablement l’équilibre économique du système.

Je voudrais aussi poser quelques jalons pour l’avenir car, en matière fiscale, il faut aller de l’avant et engager rapidement les réformes qui s’imposent pour dynamiser l’économie, améliorer le pouvoir d’achat des salariés et faire reculer le chômage. Nous devons créer une TVA sociale, ou un dispositif équivalent, pour renouer avec la croissance comme nous y invitent de nombreux experts, par exemple dans le rapport de l’OCDE du 11 avril dernier ou dans le comparatif France-Allemagne de la Cour des comptes.

En conclusion je voterai ce projet de loi qui va dans le bon sens et j’espère, monsieur le ministre, que vous continuerez d’avancer dans la voie des réformes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Durand.

M. Yves Durand. Monsieur le ministre, mes collègues du groupe SRC ont suffisamment insisté, en exposant leurs arguments avec talent et précision, sur le nouveau cadeau que vous faites aux plus riches pour que je n’y revienne pas à cette heure avancée de la nuit.

Au fond, votre problème, et celui de la majorité, avec ce projet de loi de finances rectificative est le suivant : comment maintenir les cadeaux fiscaux aux plus riches tout en se débarrassant du bouclier fiscal, devenu un véritable boulet politique si l’on en juge par les résultats électoraux de votre majorité depuis quelques mois, et même quelques années ?

À l’évidence, votre réforme est injuste, comme l’ont démontré mes collègues du groupe SRC. De plus, et c’est aussi grave, elle est pénalisante pour la puissance publique. Mais avant d’aborder cet aspect, je voudrais rassurer M. Piron qui doutait de notre volonté de supprimer le bouclier fiscal : nous voulons cette suppression, et nous nous étonnons même de l’enthousiasme dans lequel elle a été votée en commission. À vous entendre ce soir, ce bouclier fiscal aurait été l’une des tares de votre politique fiscale. On se demande bien comment il a pu être adopté il y a quelques années ! Quant à nous, nous vous avons toujours dit que c’était à la fois une erreur et une injustice. Que M. Piron soit donc rassuré !

La réforme qui nous est proposée est injuste et pénalisante pour la puissance publique. Quoi que vous en disiez, le manque à gagner pour l’État sera de quelque 2 milliards d’euros, ce qui aura pour conséquence de fait d’affaiblir la puissance publique. Je ne veux pas croire qu’il s’agisse d’un affaiblissement voulu des possibilités d’intervention de l’État dans ses politiques régaliennes.

Je prendrai deux exemples très précis, sur lesquels nous avons d’ailleurs déjà insisté, que ce soit lors des questions au Gouvernement ou dans le cadre du récent débat sur la RGPP, au cours duquel nous vous avons posé, monsieur le ministre, des questions auxquelles vous n’avez d’ailleurs pas toujours répondu, notamment en ce qui concerne l’éducation nationale. Je vous ai ainsi dit, la semaine dernière, que celle-ci ne semblait pas être votre préoccupation majeure, puisque vous n’avez pas apporté de réponse au problème, qui n’est pas mince, de la suppression de 16 000 postes dans l’éducation nationale à la rentrée prochaine, ni, surtout, à celui du coût induit par cette suppression, qui équivaut à peu près à 250 millions d’euros. C’est pourquoi je parle d’affaiblissement de la puissance publique, que ce soit dans l’éducation nationale ou dans les autres domaines régaliens de l’État, police et justice notamment.

M. Chartier nous a dit tout à l’heure, de manière un peu curieuse et superficielle – il m’excusera de ce terme ! –, que la réforme fiscale que vous mettez en place ne déclenchait pas de mouvement populaire. S’il parlait de ce projet de loi de finances rectificative, c’est sans doute vrai, mais c’est être sourd à tous les mouvements de protestation, de colère, d’inquiétude qui touchent, par exemple, les parents, les enseignants, justement parce qu’il y a des suppressions de postes dans chaque commune, dans chaque ville, dans chaque village. Il n’y a pas une école, pas une commune qui ne soit touchée par les conséquences des suppressions de postes dans l’éducation nationale. Vous êtes d’ailleurs vous-mêmes conscients du mouvement qui monte aujourd’hui dans notre pays pour la défense de l’école, que vous êtes en train de fragiliser avec vos suppressions de postes. Il n’y a pas un maire, un élu local qui ne proteste contre l’absence de policiers dans la rue. Ils sont obligés de prendre des mesures qui coûtent cher aux collectivités locales, parce que l’État ne joue plus son rôle de puissance publique.

Les députés du groupe SRC ne peuvent accepter ce projet de loi de finances rectificative, qui est injuste et aura pour conséquence un affaiblissement dramatique de la puissance de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing, dernier orateur inscrit.

M. Louis Giscard d’Estaing. M’exprimant en dernier dans cette discussion générale, je m’efforcerai, monsieur le ministre, de me concentrer sur quelques aspects majeurs de ce projet de loi de finances rectificative, en particulier sous l’angle de questions de principe.

Tout d’abord, cette réforme répond à une nécessité que nous avions soulignée avec un certain nombre de mes collègues, cosignataires de l’amendement déposé par Michel Piron, visant à adosser la fin du bouclier fiscal à la disparition de l’ISF, impôt dont on connaît les effets anti-économiques, notamment en termes d’impacts sur la détention et la transmission d’entreprises familiales, comme l’ont souligné à juste titre Michel Bouvard et Yves Censi, mais aussi d’assujettissement de nombre de nos concitoyens au titre de la détention de leur résidence principale dans un contexte de forte hausse du patrimoine immobilier, comme l’a indiqué Jean-François Lamour.

La voie finalement retenue, après un travail de concertation dont je veux, à mon tour, souligner la qualité, est celle d’un double aménagement de l’ISF : d’abord par le taux, le plus élevé étant ramené à un niveau – 0,5 % – inférieur au rendement des valeurs mobilières, condition indispensable au maintien d’actionnaires familiaux non dirigeants, y compris dans le cadre des pactes d’actionnaires qui sont un dispositif essentiel pour notre tissu de PME et d’entreprises de taille intermédiaire ; ensuite par le seuil d’entrée, relevé à 1,3 million d’euros, voire 1,4 million si j’ai bien entendu certaines interventions précédentes, afin de tenir compte de l’effet résidence principale, celle-ci ne procurant pas de revenu.

La réussite de cette réforme passe également par la stricte application du principe de non-rétroactivité fiscale. En effet, changer les règles du jeu en cours de route prive les contribuables de toute visibilité à moyen ou long terme. Je tiens donc à réaffirmer mon opposition à toute rétroactivité en matière fiscale, en particulier à l’extension de six à dix ans du délai de reprise des donations effectuées avant le 11 mai 2011. J’ai déposé en ce sens, avec Alain Suguenot, un amendement qui complète celui de Gilles Carrez dont je suis également cosignataire. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous donnerez un avis favorable sur cet amendement, réaffirmant ainsi clairement la volonté du Gouvernement de s’opposer à toute forme de rétroactivité en matière fiscale.

Un mot maintenant sur une disposition qui vise à intégrer les œuvres d’art à l’impôt de solidarité sur la fortune, ce qui ne me paraît pas souhaitable. Chacun a pu observer l’importance que représentent, dans les musées américains, les dons privés de collections au moment des successions. Les œuvres d’art ne sont pas taxées, mais les particuliers sont incités à les donner pour régler les droits de succession. Ce dispositif, appelé dation en paiement, existe en France depuis de nombreuses. Conçu sous la présidence du général de Gaulle par son ministre de la culture, André Malraux, et par son ministre des finances, il a été institué sous la présidence de Georges Pompidou, permettant ainsi de conserver en France des œuvres qui, sinon, auraient quitté notre territoire. Le musée Picasso en est une remarquable et emblématique illustration.

Ces œuvres, à l’évidence, ne rapportent aucun revenu à leurs propriétaires. Elles ne peuvent donc être intégrées à l’assiette de l’ISF.

En conclusion, cette réforme est d’autant plus équilibrée qu’elle s’attache à respecter des principes de bon sens et de bonne gouvernance : moins d’imposition des éléments de patrimoine qui ne génèrent pas de revenus, non-rétroactivité en matière fiscale, équilibre des hausses de droits de succession ou de donation par apport à d’autres formes d’épargne. Autant de principes qui permettront à cette réforme d’être cohérente et complète, et qui, je le souhaite, répondront à vos souhaits, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 7 juin à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 7 juin 2011, à une heure trente-cinq.)