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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Séance du mardi 13 décembre 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Questions au Gouvernement

Épandage aérien à la Martinique

M. Alfred Marie-Jeanne

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

Accord européen

M. Yvan Lachaud

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Triple A de la France

M. Jean-Marc Ayrault

M. François Fillon, Premier ministre

Âge de départ à la retraite

M. Denis Jacquat

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Accord européen

M. Pierre Moscovici

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Conférence de Durban sur le climat

M. Jean-Jacques Guillet

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

Accord européen

M. Jean-Jacques Candelier

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes

Déficits

M. Pierre-Alain Muet

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur

Accord européen

Mme Jacqueline Irles

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes

Propositions du Parti socialiste

Mme Élisabeth Guigou

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Réindustrialisation

M. Bernard Depierre

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur

Mesures pour la croissance et l’emploi

M. Christian Eckert

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Bilan du RSA

M. Céleste Lett

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Industrie

M. François Brottes

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur

Accessibilité pour les personnes sourdes ou malentendantes

Mme Marianne Dubois

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale

2. Approbation de conventions et accords internationaux

Accord France-Île Maurice sur les doubles impositions

Accord France-Arabie saoudite sur les doubles impositions

Accord France-Autriche sur les doubles impositions

Accord France-Bosnie-Herzégovine sur la sécurité intérieure

Accord France-Liban sur l’entraide judiciaire

3. Accord France-Panama sur les doubles impositions

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération

Mme Martine Aurillac, rapporteure de la commission des affaires étrangères

Discussion générale

M. Rudy Salles

M. Jean-Paul Lecoq

M. Jacques Remiller

M. François Loncle

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération

Discussion de l’article unique

Article unique

4. Limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

M. François Vannson, rapporteur

Motion de renvoi en commission

M. Dominique Raimbourg

M. Michel Mercier, garde des sceaux, M. Philippe Gosselin, M. Michel Hunault

Discussion générale

M. Philippe Gosselin

M. Michel Hunault

M. Jean-Jacques Candelier

M. Michel Mercier, garde des sceaux

Discussion des articles

Article 1er

Amendement no 3

Article 2

Amendements nos 4, 8

Article 3

Amendements nos 1, 2

Article 4

Amendements nos 6, 9

Article 5

Amendement no 5

Article 6

Amendements nos 7, 10

Vote sur l’ensemble

5. Protection de l’identité

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable

M. Jean-Jacques Urvoas

Mme Sandrine Mazetier, M. Marc Dolez, M. Christian Vanneste

Discussion générale

M. Michel Hunault

M. Marc Dolez

M. Christian Vanneste

M. Lionel Tardy

Mme Véronique Besse

M. Philippe Gosselin

Présidence de M. Marc Le Fur

M. Claude Guéant, ministre

Discussion des articles

Article 5

Amendements nos 5, 4, 1, 3

Vote sur l’ensemble

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Épandage aérien à la Martinique

Mme la présidente. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine

M. Alfred Marie-Jeanne. La question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture.

Le 6 avril 2009, lors du débat sur le projet de loi pour le développement économique des outre-mer, j’ai introduit et soutenu l’amendement n° 49 ainsi libellé : « À compter de la publication de la présente loi, l’épandage aérien est interdit dans les départements d’outre-mer. »

Ce n’était pas un amendement anti-banane. La Martinique étant saturée de pesticides en tous genres, j’ai tenu à attirer l’attention du ministre sur la gravité de la situation sanitaire qui en découlait, de ses conséquences sur la santé publique et sur les autres activités économiques, à l’instar de la pêche, interdite sur une grande partie du littoral. Comme il fallait s’y attendre, cet amendement fut rejeté.

Quelque six mois et demi plus tard, la directive européenne du 21 octobre 2009 arrive aux mêmes conclusions en interdisant l’épandage aérien, mais avec possibilité de dérogation. Et c’est ainsi que, le 8 décembre 2011, le préfet de Martinique signa l’arrêté portant dérogation à l’interdiction.

Sans faire d’amalgame, dois-je rappeler le traumatisme causé par l’emploi du chlordécone, dont la rémanence s’étend sur six siècles selon les scientifiques ?

Interdit aux États-Unis, en Allemagne et en France, ce dangereux pesticide a reçu trois dérogations successives pour que son utilisation à la Martinique soit prolongée. Nous sommes à la première dérogation pour l’épandage aérien.

Même si le pesticide employé n’est pas le chlordécone, sa nocivité continue de s’ajouter à la strate engendrée par tous les autres, car la dépollution n’a pas encore commencé.

Nous sommes en flagrante contravention avec les recommandations expresses du Grenelle de l’environnement.

Las, monsieur le ministre, une nouvelle ère de dérogations a débuté. Va-t-on réitérer les erreurs du passé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, vous conviendrez avec moi que la culture de la banane est, avec plus de 15 000 emplois, une activité absolument stratégique pour l’île de la Martinique.

Or, aujourd’hui, toute la récolte de bananes de la Martinique, dans toutes les exploitations sans exception, est menacée par un champignon noir, la cercosporiose noire pour être très précis, qui menace de détruire l’intégralité de la récolte dans les semaines qui viennent.

La seule solution dont nous disposons aujourd’hui est l’épandage aérien par voie dérogatoire.

Pour vous rassurer, je tiens à préciser qu’il s’agit d’une dérogation limitée dans le temps. J’ai bon espoir que, d’ici deux ans, nous trouvions d’autres traitements à partir du sol grâce au travail des producteurs de bananes de l’île.

Un certain nombre de zones seront exclues de ce traitement, notamment les zones d’habitation et les zones situées au-dessus des rivières.

Enfin, ce traitement a reçu non seulement l’accord du préfet mais aussi celui du conseil régional, auquel j’ai demandé un avis préalable avant de donner cette autorisation.

Par ailleurs, je tiens à préciser que nous continuerons à développer des traitements de substitution qui permettront d’éviter l’utilisation de ces phytosanitaires. Avec l’ensemble du Gouvernement, et Nathalie Kosciusko-Morizet en particulier, nous sommes décidés à poursuivre notre politique de réduction de l’utilisation des phytosanitaires.

Le plan Écophyto 2018, qui vise à réduire de 50 % l’utilisation des phytosanitaires en France, est en route. Il fonctionnera parce qu’il repose sur la confiance et le travail avec les agriculteurs, dans le respect des engagements du Grenelle.

Accord européen

Mme la présidente. La parole est à M. Yvan Lachaud, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Yvan Lachaud. Madame la présidente, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

La semaine dernière a été conclu entre la France et vingt-cinq de ses voisins européens un bon accord, qui vise à une Europe plus solidaire, plus politique, dotée d’une gouvernance et dotée de moyens d’équilibre budgétaire : la règle d’or, à laquelle les centristes sont très attachés, sera enfin appliquée dans les pays européens. Une nouvelle Europe est en train de naître. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cette clarification s’imposait.

C’est dans ce contexte que M. Hollande a annoncé que, s’il était élu Président de la République, il renégocierait l’accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Huées sur les bancs du groupe UMP.) Ces propos ne peuvent pas être ceux d’un dirigeant politique aspirant aux plus hautes fonctions. Quels que soient les enjeux électoraux, n’y a-t-il pas de l’arrogance à prétendre avoir raison contre tous ? Si cette renégociation devait être demandée, elle placerait la France dans une marginalité qui lui ferait perdre à la fois toute capacité économique et son rayonnement dans le monde.

Cette déclaration a d’ailleurs plongé toutes les capitales européennes dans la consternation, y compris chez les propres amis socialistes de M. Hollande, en particulier ceux du SPD allemand. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Lemasle. Ridicule !

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, pouvez-vous nous redire pourquoi cet accord est la bonne réponse pour retrouver la confiance et soutenir la croissance en Europe ? (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le député, c’est un très bon accord qui a été conclu à la fin de la semaine dernière.

M. Marcel Rogemont. Un très bon accord pour qui ?

M. Alain Juppé, ministre d’État. Il apporte la bonne réponse à la crise et a permis à la France d’atteindre tous les objectifs qu’elle s’était fixés, qu’il s’agisse du gouvernement économique, mécanisme intergouvernemental permettant d’exercer une souveraineté partagée, de la discipline budgétaire, qui sera exercée dans les conditions que nous souhaitions, ou du mécanisme européen de stabilité, qui, lorsqu’il sera mis en place au milieu de l’année prochaine, sera doté d’une capacité effective de prêt de 500 milliards d’euros.

M. Christian Eckert. En quelle année ?

M. Alain Juppé, ministre d’État. La Banque centrale européenne a pris, de son propre chef, la décision d’intervenir en refinançant de manière illimitée les banques pendant trois ans à un taux très faible – 1 %. Enfin, nous avons clarifié nos relations avec la Grande-Bretagne.

M. Hollande a effectivement déclaré que, s’il était élu, il renégocierait cet accord (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) pour y mettre ce qui manque aujourd’hui, c’est-à-dire l’intervention de la Banque centrale européenne, les eurobonds et un fonds de secours financier. Sur le troisième point, M. Hollande est en retard de quelques jours, puisque c’est un point déjà acquis. Sur les deux autres – la Banque centrale européenne et les eurobonds –, afin de parvenir à ses fins, M. Hollande devra réunir au moins deux conditions. La première, qui n’est pas encore complètement acquise, c’est d’être élu Président de la République l’année prochaine. La seconde, c’est que, en 2013, le SPD, qu’il est récemment allé soutenir à Berlin, gagne les élections en Allemagne contre Mme Merkel. Si cette condition n’est pas remplie, pendant plus d’une année, nous serons dans le flou le plus absolu. Nous n’obtiendrons absolument pas du gouvernement allemand que soit renégocié l’accord sur la Banque centrale européenne ou sur les eurobonds. Il s’agit donc d’une prise de position diplomatiquement intenable et politiquement irresponsable. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Triple A de la France

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, comme de nombreux Français, nous avons du mal à suivre le cap fixé par Nicolas Sarkozy dans la tempête européenne. Il y a quelques jours, vous avez qualifié le triple A de « trésor national ». Pour conserver la confiance des agences de notation, vous avez décidé deux plans d’austérité, multiplié les sommets et cédé à toutes les exigences posées par Mme Merkel, comme M. le ministre des affaires étrangères vient de le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Or, voilà qu’hier le président-candidat déclare que, si la France perdait son triple A, « ce serait une difficulté de plus, mais pas insurmontable ». Quelle est votre cohérence ? Le président-candidat dit que « c’est une autre Europe qui est en train de naître ». Peut-être, mais ce n’est pas celle que les Français et les Européens attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les salariés qui s’inquiètent de votre aveuglement, c’est la présidente des patrons italiens qui, ce matin, déplore une Europe qui ne jure plus que par l’austérité, au risque du ralentissement économique, voire de la récession. C’est encore elle qui exhorte la France à ne pas s’aligner sur l’Allemagne et à exiger des initiatives de croissance et la mise en place d’eurobonds.

Voilà ce que nos concitoyens et, plus largement, les Européens attendent de la France : une Europe nouvelle, plus solidaire, qui croie en son industrie, qui ose s’attaquer à la spéculation. Vous avez tourné deux fois le dos aux attentes populaires en oubliant tout volet démocratique, en optant pour l’austérité comme seul horizon. Cette nouvelle Europe que nous appelons de nos vœux ne peut pas naître de vos compromis nocturnes, à prendre ou à laisser. Cette Europe-là, ce n’est pas à vous d’en décider seuls, ce sera au peuple souverain de choisir son destin en mai 2012. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Fillon, Premier ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président Ayrault, je voudrais d’abord vous rassurer sur notre cap. Il est parfaitement simple : en 2011, nous respecterons strictement les engagements que nous avons pris. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Comme nous nous y sommes engagés, le déficit de notre budget sera alors de 5,7 %, puis de 4,5 % en 2012, pour parvenir à l’équilibre en 2016 – et non pas en 2017, comme j’entends déjà le candidat socialiste le proposer, se donnant une année de plus pour atteindre des objectifs qui, par ailleurs, nous engagent au niveau européen.

Nous avons anticipé la possibilité d’une baisse de croissance dans les pays de la zone euro, en gelant 6 milliards de crédits, et nous procéderons aux ajustements nécessaires, au vu non pas des prévisions de croissance, mais de la croissance réalisée trimestre après trimestre, comme nous l’avons fait d’ailleurs en 2011.

Si nous atteignons ces objectifs, c’est grâce à des mesures qui ont été prises et que les socialistes ont toujours combattues : c’est grâce à la révision générale des politiques publiques, qui a permis d’économiser 15 milliards d’euros (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC), c’est grâce au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui a permis de baisser de 150 000 les effectifs de la fonction publique d’État,…

M. Marcel Rogemont. Pour quel bénéfice ? Zéro !

M. François Fillon, Premier ministre. …c’est grâce à la réforme des retraites, c’est grâce à l’ensemble de ces mesures que nous aurons, en 2012, pour la première fois depuis 1945, un budget de l’État en diminution.

Monsieur Ayrault, vous seriez plus crédible pour nous donner des leçons si vous aviez soutenu ces politiques et ces efforts.

M. Patrick Lemasle. Ces mauvaises politiques ?

M. François Fillon, Premier ministre. Mais les agences de notation ne pointent pas seulement les déséquilibres budgétaires. Elles pointent aussi le problème de la crédibilité de la zone euro. De ce point de vue, la réponse, c’est l’accord du 9 décembre, obtenu grâce à l’initiative franco-allemande, qui a réuni vingt-six pays de l’Union européenne sur vingt-sept.

M. Marcel Rogemont. C’est un accord germano-allemand !

M. François Fillon, Premier ministre. C’est un accord qui nous permet de nous doter enfin d’un gouvernement économique qui va pouvoir piloter cette convergence des politiques qui est seule à même d’assurer la pérennité de l’euro et la croissance. Il permettra peut-être aussi d’en arriver un jour à ces eurobonds que vous brandissez comme une sorte de pierre philosophale, alors que, vous le savez pertinemment, jamais le peuple allemand, gauche et droite confondues,…

M. Jean-Marc Ayrault. Ce n’est pas vrai !

M. François Fillon, Premier ministre. …pas plus d’ailleurs que le peuple français, n’acceptera de financer la dette des autres pays européens sans avoir un droit de regard sur la mise en œuvre de leur politique économique et sur leur endettement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

La réponse, c’est une règle d’or qui a été approuvée par la plupart des partis socialistes européens, notamment par le parti socialiste allemand que vous êtes allé voir la semaine dernière. Cet accord, c’est le renoncement par l’Allemagne à l’implication des investisseurs privés dans la restructuration des dettes souveraines, alors même que la décision qui a été prise pour la Grèce a pesé lourd dans la crise financière actuelle.

Enfin, cet accord, c’est la mise en place d’un véritable Fonds monétaire européen, doté d’un système de fonctionnement à majorité qualifiée qui permettra d’éviter les blocages que nous avons connus.

Monsieur Ayrault, la meilleure façon de soutenir le triple A des pays européens, c’est de défendre l’accord du 9 décembre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Je l’ai dit, en prétendant qu’il allait pouvoir, à lui tout seul, le remettre en cause, le candidat socialiste ne s’est pas montré responsable. Chacun sait que c’est tromper les Français. Quand vingt-six pays, les uns gouvernés par la droite, les autres par la gauche, se sont mis d’accord sur des dispositions qui permettent d’assurer la pérennisation de l’euro, on ne prétend pas qu’on va les remettre en cause tout seul. D’ailleurs, vous devriez avoir de la mémoire. En 1997, M. Jospin et M. Strauss-Kahn étaient partis pour Bruxelles, la fleur au fusil, afin de remettre en cause le pacte de stabilité. Ils sont rentrés bredouilles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), et c’est normal, puisque, à l’époque, il y avait un consensus des pays européens pour mener cette politique.

Monsieur Ayrault, si vous voulez soutenir le triple A, c’est très simple : renoncez à votre funeste projet d’abrogation de la réforme des retraites, votez la règle d’or et, enfin, soutenez l’accord du 9 décembre. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Âge de départ à la retraite

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Jacquat, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Denis Jacquat. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

On a entendu tout et son contraire, de la part du parti socialiste, sur les retraites. Ce fut d’abord Martine Aubry qui concéda, avant de rétropédaler avec fracas, qu’il ne fallait pas considérer les soixante ans comme un dogme.

Ce fut ensuite, pendant les longs débats sur la réforme des retraites menée par Éric Woerth, la longue litanie de nos collègues socialistes assurant qu’ils reviendraient à l’âge légal à soixante ans.

Il y a encore peu de temps, Marisol Touraine assurait auprès de l’AFP que la première mesure de François Hollande serait de permettre à tous ceux qui détiennent la durée du taux plein, de partir à soixante ans sans décote.

L’accord entre Europe Écologie et le PS indique également que le droit de partir à soixante ans sera rétabli pour ceux ayant commencé à travailler tôt et ayant exercé des métiers pénibles.

Et puis… patatras ! les déclarations de M. Hollande sont apparues étonnamment différentes hier matin. Interrogé sur RTL à ce sujet, il a indiqué que ceux qui ont commencé leur vie professionnelle à dix-huit ans et qui ont quarante et un ou quarante-deux ans de cotisations pourront partir à soixante ans et que ceux qui n’auront pas leur durée de cotisation ne le pourront pas.

Monsieur le ministre, que pensez-vous de cette déclaration pour notre système de retraites ? Pouvez-vous éclairer nos concitoyens sur ce sujet majeur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le député, comme le disait à l’instant Jean-Marc Ayrault et pour le paraphraser, comme de nombreux Français, nous avons du mal à suivre la ligne du parti socialiste pour ce qui est des retraites. (Rires sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Comme de nombreux Français, en revanche, nous avons compris depuis hier matin, en écoutant RTL, que la campagne du candidat socialiste avait commencé dans le mensonge. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.)Les socialistes nous ont dit, la main sur le cœur, que s’ils étaient à nouveau au pouvoir, ils reviendraient immédiatement à la retraite à soixante ans pour tous.

M. Jean Glavany. Vous êtes un menteur ! François Hollande n’a jamais dit cela !

M. Xavier Bertrand, ministre. Mme Royal, la main sur le cœur, disait que la retraite à soixante ans, ce serait pour tout le monde ! Et Mme Marisol Touraine, qui s’exprime au nom du candidat socialiste, a dit la même chose !

Hier matin, même en cherchant à camoufler les choses, on l’a compris, M. Hollande a menti : il n’y aura pas de retour à la retraite à soixante ans. Voilà la preuve du mensonge, sortie de la bouche même du candidat socialiste !

C’est vrai, il aurait fallu trouver 20 milliards d’euros par an pour revenir à l’équilibre de la réforme des retraites si l’on était revenu à l’âge de départ à soixante ans. Si le mensonge est établi, l’irresponsabilité l’est tout autant, parce qu’il faut savoir que, sur ce dossier, aujourd’hui, la proposition de M. Hollande, candidat socialiste, c’est tout simplement 20 milliards d’euros qui manqueront dans les comptes, tous régimes de retraites confondus, d’ici à 2018 ; 20 milliards d’euros que les socialistes n’ont pas, sauf à augmenter massivement les prélèvements ou à baisser les pensions de retraite de tous les Français. Au mensonge, ils ajoutent l’irresponsabilité !

Il ne faut pas non plus manquer de toupet pour nous parler aujourd’hui de la pénibilité et des carrières longues quand on est socialiste, alors que c’est dans la réforme de François Fillon, ensuite dans celle menée par Éric Woerth, que vous avez voté ces dispositions, et que jamais le parti socialiste n’a voté les dispositifs sur les carrières longues (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) pour celles et ceux qui ont commencé à travailler très jeunes ni même sur la pénibilité, ce qu’avaient demandé les communistes.

Social, cela commence comme socialiste, mais, je vous le dis, cela n’a rien à voir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Accord européen

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Moscovici, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Pierre Moscovici. J’aimerais, bien sûr, répondre à la caricature que vient de présenter Xavier Bertrand (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais ma question est autre : elle porte sur l’accord du 9 décembre dont vous venez de dire, comme M. Juppé, qu’il renforçait la crédibilité de la zone euro et, pourquoi pas, la crédibilité de la France.

En vérité, il y a là un double mensonge, parce que cet accord place l’Europe dans une situation illisible. C’est un accord étroit – on ne sait pas de quoi il s’agit (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP) –, ce n’est pas un accord de l’Union européenne, ce n’est pas non plus un accord à dix-sept, pas plus qu’un accord de la zone euro. C’est un accord flou. On ne sait même pas s’il y aura à la fin un traité, quel sera le rôle des institutions européennes, le rôle des parlements nationaux, le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne.

Enfin et surtout, c’est un accord restreint, c’est-à-dire un accord qui limite la construction européenne à l’austérité, là où l’Europe a besoin de croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Alors, je le dis avec force, quand François Hollande dit qu’il faudra renégocier cet accord,…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est un mensonge !

M. Pierre Moscovici. …c’est non seulement une possibilité démocratique parce qu’il ne sera pas ratifié, mais aussi une nécessité politique. Il faudra y ajouter l’intervention de la Banque centrale européenne et les euro-obligations, que, par exemple, les sociaux-démocrates allemands acceptent. Et c’est ce que nous ferons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Enfin, vous parlez de crédibilité de la France, mais on n’est pas bien placé, monsieur le Premier ministre, pour donner des leçons de responsabilité, quand on a menti comme vous l’avez fait sur le triple A, quand on a dit que c’était un trésor national, quand on a fait deux plans de rigueur et bientôt un budget rectificatif, quatre sommets européens pour, en plus, le perdre ! Monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui dans l’échec, et je n’ose vous demander ce que fera votre gouvernement pour sortir l’Europe de cette impasse et la France de cet échec. En vérité, rien, parce que cette irresponsabilité, cet échec, ce sont les vôtres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur Moscovici, vous m’avez habitué à mieux ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je me demande si vous avez lu l’accord de la semaine dernière.

M. Richard Mallié. Il ne sait pas lire !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Oser prétendre aujourd’hui que cet accord est flou, c’est pour moi la démonstration que vous ne l’avez pas lu, ou alors avec des lunettes extrêmement roses, qui vous ont empêché de bien en mesurer la précision.

Il comporte d’abord un premier projet de traité sur le mécanisme européen de stabilité, qui sera alimenté…

M. Patrick Lemasle. C’est ridicule !

M. Marcel Rogemont. Ne nous prenez pas pour des bleus !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Quand je vous entends, hélas, je suis conduit à vous prendre pour des gens qui ne sont pas de bonne foi !

Ce traité prévoit une capacité effective de prêt de 500 milliards d’euros. Si ce n’est pas précis, excusez du peu !

M. Michel Sapin. C’est virtuel !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Ensuite, il revoit les modalités de vote au sein de ce mécanisme de financement, avec une majorité qualifiée de 85 %. Ce n’est plus l’unanimité, mais la majorité qualifiée.

Enfin, il prévoit une entrée en vigueur de ce dispositif dès le milieu de l’année 2012. C’est extrêmement précis et cela prive complètement d’effet les arguments que vous avez utilisés.

M. Patrick Lemasle. Absolument pas !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je pourrais dire de même en ce qui concerne la discipline budgétaire. Quand je vous entends dire ici que la France s’est bornée à accepter les conditions de l’Allemagne, les bras m’en tombent ! L’Allemagne avait, au départ, souhaité que la Cour de justice de l’Union européenne puisse régler les budgets nationaux. Nous avons dit que c’était la ligne rouge que nous n’accepterions pas, et cela n’a pas été décidé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP sur plusieurs bancs du groupe NC.)

M. Henri Emmanuelli. Vous n’y croyez pas vous-même !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Enfin, le traité qui est en cours de préparation, le deuxième traité, celui qui portera sur les mécanismes de la zone euro, repose sur un principe intergouvernemental : ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui décideront des grandes orientations de la politique budgétaire de l’Union. Cela aussi, c’est une victoire française ! Le gouvernement économique est sur les rails, et c’est une grande victoire. Pour ce qui est de la crédibilité de cet accord, il suffit de voir l’accueil qu’il a reçu dans tous les pays européens, y compris en Allemagne, pour se rendre compte que nous avons marqué un point essentiel dans la reconstruction de la stabilité de la zone euro. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux du groupe NC. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Conférence de Durban sur le climat

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Jacques Guillet. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Vous revenez à peine, madame la ministre, de Durban, en Afrique du Sud, où s’est déroulée, pendant de nombreux jours, la conférence sur le climat. Elle était particulièrement importante et nous en attendions beaucoup après le relatif échec de la conférence de Copenhague et les ratés de celle de Cancún.

Cette conférence était essentielle en particulier dans trois domaines : la réduction au niveau national des émissions de gaz à effet de serre ; la mise en place du Fonds vert pour les pays en voie de développement, qui avait été acté à Cancún sans toutefois être totalement mis œuvre ; la poursuite des mécanismes du protocole de Kyôto, dont la première période, après la période expérimentale, se termine au 31 décembre 2012, et qui ne doit en aucun cas déboucher sur un vide juridique.

Les avis divergent, bien entendu, sur les résultats de Durban. Certes, il y a eu des déceptions, mais chacun s’accorde à reconnaître des avancées. Je tiens à saluer tout particulièrement votre engagement personnel dans ce domaine ainsi que celui de l’Union européenne et de la France, qui sont exemplaires en matière de réduction de gaz à effet de serre. Nous n’avons, certes, pas tout obtenu, mais un compromis a été trouvé. Toute conférence multilatérale de ce type, engageant l’ensemble des pays du monde, ne peut du reste aboutir qu’à un compromis.

Quels enseignements avez-vous tirés, madame la ministre, de la conférence de Durban, laquelle a tout de même permis de mettre au point une discipline collective ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le député, vous le savez, nous cherchons, depuis dix ans, à lancer une négociation globale impliquant tous les pays du monde, et notamment la Chine, l’Inde et les États-Unis, dans la réduction des gaz à effet de serre. Le protocole de Kyôto ne couvre qu’une part mineure des émissions de gaz à effet de serre, cette part allant en outre décroissant, contrairement à celle des pays émergents. Les États-Unis ne voulaient pas prendre d’engagement tant que la Chine et l’Inde n’étaient pas concernées. C’est aujourd’hui chose faite. Après douze jours – dont trois nuits – de négociations, les 195 pays du monde se sont accordés pour lancer, s’agissant de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des négociations impliquant tout le monde y compris la Chine, l’Inde et les États-Unis.

Qu’en est-il exactement ? L’Union européenne va poursuivre le protocole de Kyôto, mais les négociations vont parallèlement commencer pour que soit signé, avant 2015, un accord global, qui entrera en vigueur avant 2020. Le Fonds vert a enfin été mis en place et va devenir opérationnel. Il aidera les pays en voie de développement à lutter contre le changement climatique. Un programme de travail sur les financements innovants pour abonder ce Fonds vert a été élaboré. Il fait suite à l’engagement fort de Nicolas Sarkozy en la matière pendant la présidence française du G20.

Cet accord ne sauve pas le climat, mesdames, messieurs les députés. Les scientifiques le disent et l’accord le reconnaît. Il faudra consentir encore de nombreux efforts pour éviter la catastrophe. Mais un petit pas, quand il engage tous les pays du monde, y compris les plus réticents, représente une grande avancée. Soyez convaincus que la France restera mobilisée comme elle l’a été à Durban pour que cette avancée se transforme en une accélération et que nous puissions, enfin, contenir le changement climatique et que la terre reste accueillante ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Accord européen

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le Premier ministre, sanctions automatiques pour écart au pacte de stabilité, contrôle européen sur les budgets nationaux, règle d’or, règle du nœud coulant, imposée à tous : telles sont vos trouvailles pour nous sortir de la crise. Elles méritent un triple zéro ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

De conseil en conseil, de plan de rigueur en plan d’austérité, la situation ne fait que se dégrader ! Les attaques des spéculateurs reprennent de plus belle, les investisseurs s’inquiétant du manque de mesures concrètes et rapides. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les rentiers n’en ont jamais assez : non seulement ils se gavent sur le dos des travailleurs, mais, au moindre risque, ils s’affolent et veulent imposer toujours plus de sacrifices pour être sûrs de ne pas avoir à se serrer la ceinture !

Nous refusons ce chantage cynique. Rassurons les Français et non les marchés financiers ! La seule règle d’or, c’est l’humain d’abord ! Nous déboursons déjà 50 milliards par an au titre des intérêts de la dette. Pour sortir les peuples de l’ornière, il faudrait avoir le courage de prendre un moratoire sur le paiement de cette dette contractée dans le seul intérêt des banques, du patronat et des plus riches. Il faudrait avoir le courage de faire contribuer le secteur bancaire dans la structuration de la dette par sa nationalisation. Il faudrait avoir le courage d’interdire les agences de notation et de revenir sur les traités européens qui imposent aux États de passer par les marchés financiers pour se financer.

Monsieur le Premier ministre, je n’attends pas d’éclair de lucidité de votre part. Toutefois, sans même en référer à votre égérie, Mme Merkel, allez-vous, conformément à notre Constitution, proposer au Président de la République de soumettre le nouveau traité européen au référendum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des affaires européennes.

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes. Monsieur le député, à votre question toute en nuances et en réalisme, je répondrai simplement que vous contestez, en fait, la légitimité des décisions qui ont été prises !

M. Jean-Pierre Brard. Oui !

M. Pierre Gosnat. On est élus pour cela !

M. Jean Leonetti, ministre. Je vous rappelle que la démocratie est née en Europe. Elle a même été inventée par l’Europe. Les dirigeants des vingt-sept États représentés, lors de l’accord sur le traité, ont été élus démocratiquement. Il n’est donc pas illogique, puisque vous avez mentionné qu’une réponse concrète et rapide était nécessaire, que les chefs d’État et de gouvernement prennent les décisions qui s’imposent.

M. Jean-Paul Lecoq. Et la voix du peuple ?

M. Jean Leonetti, ministre. Qui peut, d’ailleurs, contester la légitimité du Président de la République, Nicolas Sarkozy, élu au suffrage universel ?

Je vous rappelle, de plus, monsieur le député, que les décisions se prennent ici, et que les traités se ratifient au Parlement.

M. Roland Muzeau. Et le référendum ?

M. Jean Leonetti, ministre. Nous avons effectivement décidé, ici, la mise en place du Fonds européen de stabilité financière et nous avons décidé, ici, que les pays européens devaient être solidaires et aider la Grèce.

Enfin, monsieur les députés, la situation est bénéfique pour la démocratie, puisque, dans quelques mois, les Français devront choisir leurs représentants. La femme ou l’homme qui deviendra Président de la République n’aura pas, je suppose, éludé le problème de l’Europe lors de son engagement devant les Français. Il y aura la vision utopiste que vous développez de la « démondialisation » ou de la sortie de la mondialisation…

M. Pierre Gosnat. Caricature !

M. Jean Leonetti, ministre. …et il y aura une vision réaliste et objective qui fera progresser, par la discipline et la solidarité, la croissance et l’emploi.

Je suis, pour ma part, certain, monsieur le député, que les Français choisiront la responsabilité, la vision et rejetteront l’irresponsabilité et l’inexpérience ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Marcel Rogemont. Il ne reste pas beaucoup de temps au Gouvernement !

Déficits

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Pierre-Alain Muet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

En 2007, monsieur le Premier ministre, vous disiez être à la tête d’un état en faillite. Le terme était sûrement exagéré à l’époque...

M. Jean-Pierre Brard. Il est devenu vrai !

M. Pierre-Alain Muet. …mais il est incontestablement vrai aujourd’hui. Cette faillite, c’est d’abord celle d’un président, Nicolas Sarkozy, qui a tout promis, qui n’a rien tenu et rien obtenu. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Faillite d’un Président qui parlait de croissance, mais qui, après avoir laissé dériver les déficits quand la croissance était là, enfonce un peu plus notre pays dans la récession, en accumulant les plans d’austérité.

Faillite d’un Président qui parlait de récompenser le travail et de rétablir le plein emploi, mais qui n’a récompensé que la rente et laissé exploser le chômage – un million de chômeurs de plus depuis 2007 – quand l’Allemagne, dans le même temps, réduisait le sien.

Faillite d’un Président qui a tout promis sur la scène internationale et européenne, la fin des paradis fiscaux, la régulation des banques, les eurobonds, la taxation des transactions financières, un président qui, dans ce domaine comme dans tous les autres, aura tout cédé et n’aura rien obtenu (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), et qui essaie de faire oublier son bilan calamiteux par un traité européen qui ne règle rien. Ce traité ne règle rien, en effet, et François Hollande a raison de dire qu’il le renégociera. Qui peut croire que vous réduirez demain les déficits avec une règle de papier quand vous n’avez eu de cesse de les creuser hier et de violer tous les jours toutes les règles existantes ?

Vous parlez de crédibilité. Vous n’avez aujourd’hui ni la confiance des marchés ni celle des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur. Monsieur le député, la crise que nous traversons en France et en Europe mérite mieux que la caricature, et vous ne pouvez pas vous dédouaner en permanence de vos propres responsabilités en matière de finances publiques.

M. Henri Emmanuelli. Dix ans !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. La politique budgétaire de la France, comme d’ailleurs celles de la quasi-totalité des pays industrialisés, des États-Unis au Japon et bien sûr tous les pays européens, a pris un virage dans les années 70 et 80 qui était celui du déficit et de la dette. Vous ne pouvez pas affirmer que ce sont les gouvernements de droite qui ont détérioré plus que les autres nos déficits : 1992-1993, 2001-2002 et 2008-2009 sont en effet trois périodes pendant lesquelles la conjoncture a été défavorable sur le plan international, et pendant lesquelles notre PIB s’est contracté.

M. Henri Emmanuelli. Cela fait dix ans que vous êtes là !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Le rapport de Mme Bricq, rapporteure générale socialiste de la commission des finances du Sénat, est sans équivoque sur ce point : la dégradation de 1,8 % du PIB du solde public entre 2008 et 2012 s’explique par une dégradation de 3,8 points qui ne dépend pas de l’action du Gouvernement, tandis que les mesures courageuses prises par le gouvernement Fillon ont permis une amélioration de deux points de notre PIB.

En vérité, la crise que nous traversons est une crise de notre modèle économique. La vraie question que les Français devront trancher au mois de mai, c’est de savoir s’il faut amplifier la réforme de ce modèle, faire en sorte que notre pays trouve sa place dans la mondialisation, produise en France, exporte, ou bien si nous allons continuer à accumuler les déficits, multiplier les emplois publics, dire non, comme vous le suggérez, à la règle d’or, dire non au traité européen. Une telle politique conduirait la France à la faillite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Elle y est déjà !

Accord européen

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Irles, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Jacqueline Irles. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

Vendredi dernier, après une longue nuit de négociation, les dirigeants européens, réunis à Bruxelles, ont trouvé un accord pour sauvegarder la zone euro.

Cet accord est le fruit d’un travail sans relâche de la part des dirigeants français et allemands. Face à la persistance de la crise de la dette souveraine, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont fait preuve de détermination, de réactivité et de responsabilité, et ils ont su entraîner leurs homologues.

La plupart des pays membres de la zone euro ont ainsi consenti à renforcer la discipline budgétaire grâce à un nouveau pacte budgétaire, et à enrayer la crise de la dette avec la mise en place d’instruments de stabilisation financière. Les dirigeants de la zone euro se sont également engagés à coordonner leurs politiques économiques, pour progresser sur la voie d’une union économique plus forte.

Alors qu’une véritable réponse est apportée afin de protéger l’avenir de notre économie, je déplore l’attitude irresponsable de certains dirigeants de l’opposition. J’en veux pour preuve les déclarations de François Hollande, qui prétend renégocier l’accord européen. Cela serait risible si ce n’était pas irresponsable. En matière de négociations, M. Hollande a manifestement des progrès à faire si l’on en juge par le succès éblouissant des négociations PS-Verts…

Monsieur le ministre, au moment où le monde entier a les yeux rivés sur la situation économique de l’Europe et scrute la moindre de nos actions, pouvez-vous exposer à la représentation nationale les avancées de cet accord et le calendrier prévu ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé des affaires européennes.

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes. Vous avez raison, madame la députée, il y a quelques jours encore, l’Europe était en danger, l’euro était en danger.

Plusieurs députés du groupe SRC. Ils le sont toujours !

M. Jean Leonetti, ministre. À l’initiative du Président de la République et de la chancelière Angela Merkel, des propositions ont été mises sur la table.

Ces propositions visaient d’abord à renforcer la gouvernance. Nous avions mis en place une monnaie unique et il manquait la gouvernance économique nécessaire. Il fallait aussi une convergence entre nos politiques économiques et fiscales et un renforcement de la solidarité grâce à un mécanisme européen de stabilité, ce fonds monétaire européen qui permettra de mieux gérer la crise et d’aider les pays en difficulté. Il est également prévu un renforcement de la discipline budgétaire, cette fameuse règle d’or qui est approuvée dans tous les pays européens, y compris ceux qui sont dirigés par des socialistes, mais qui n’est pas acceptée ici par ceux qui siègent du côté gauche de l’hémicycle. Une telle discipline restaure la confiance et permet d’aller plus loin.

Ces propositions ont été approuvées par vingt-six pays sur vingt-sept, la Grande-Bretagne ayant choisi de rester en dehors. C’est son choix, nous le respectons. Elle voulait moins de régulation des marchés financiers, moins d’Europe, nous voulions une régulation des marchés financiers et plus d’Europe.

Face à ces propositions concrètes, à cette convergence forte de vingt-six États sur vingt-sept sur les propositions franco-allemandes, d’autres propositions paraissent irresponsables et irréalistes. Elles témoignent en fait, vous l’avez compris, de l’inexpérience totale du candidat socialiste à la Présidence de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Propositions du Parti socialiste

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le Premier ministre, vous voulez faire croire que, pour sortir de la crise, il n’y aurait qu’un seul chemin, le vôtre, qu’une seule politique en France, la vôtre. Mais votre politique est un désastre pour le pays et pour nos concitoyens. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) Elle affiche de tristes records sur le chômage, sur les inégalités fiscales, sur les déficits et la dette.

Acculé à votre désastreux bilan, vous prétendez aussi qu’en Europe, il n’y aurait qu’une solution à la crise gravissime de la zone euro : la vôtre. Eh bien non !

M. Lucien Degauchy. Bla bla bla !

Mme Élisabeth Guigou. Il y a pour la France une autre politique, il y a pour l’Europe un autre chemin que la course à l’austérité.

Être sérieux, monsieur le Premier ministre, ce n’est pas attendre un nouveau traité, en mars ou à l’automne ; ce serait prendre tout de suite des mesures urgentes. Être responsable et crédible, ce serait soutenir la croissance en Europe. Ce serait être solidaire avec les États qui sont attaqués par la spéculation, ce qui pourrait hélas nous arriver demain.

M. Bernard Deflesselles. Baratin !

Mme Élisabeth Guigou. Ce seraient des interventions de la Banque centrale européenne, des euro-obligations, un fonds de secours européen suffisant, et ce sans attendre, monsieur le ministre des affaires étrangères, l’été prochain. Être responsable, ce serait ensuite, s’il doit y avoir un nouveau traité, que celui-ci apporte plus de démocratie.

Il n’y a rien de tout cela dans votre accord, ni soutien de la croissance, ni solidarité, ni légitimité démocratique. C’est pourquoi François Hollande, lorsqu’il sera élu Président de la République (Rires et exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), demandera à nos partenaires de combler ces manques gravissimes, et il respectera son engagement de faire passer le déficit sous la barre des 3 % et de rétablir l’équilibre en 2017 par une loi de programmation pluriannuelle, déjà prévue par la Constitution.

Nous ne laisserons pas insulter notre candidat ni dévoyer le débat public, ni ne vous laisserons vous servir de l’Europe pour masquer vos échecs. Les Français seront juges. Ils décideront, lors de l’élection présidentielle de 2012, quel chemin ils veulent pour la France et l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Madame la députée, vous avez parlé d’emploi et de croissance. La solution, pour notre pays, n’est certainement pas le socialisme.

Vous avez évoqué les solutions que vous proposez : allez jusqu’au bout ! Je sais que le temps est toujours compté lors des questions au Gouvernement, mais pourquoi n’avez-vous pas expliqué que, dans toutes les régions où vous êtes aux responsabilités, vos politiques ont conduit à une explosion sans pareille de la fiscalité locale ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Vous avez diminué le pouvoir d’achat des Français. Par ailleurs, vous avez massivement augmenté les emplois publics, au moment même où nous faisions des efforts. Pourquoi ne l’avez-vous pas dit ? La solution est-elle de suivre l’exemple des régions que vous gérez ? Certainement pas !

Comment pouvez-vous avoir la crédibilité nécessaire, quand M. Hollande, que vous avez cité, se rend devant le congrès du SPD allemand, un parti qui, lui, a voté la règle d’or, tout en se préparant à faire le contraire en France, et, de retour dans notre pays, dit qu’il recrutera 60 000 emplois supplémentaires et essayera de revenir à la retraite à soixante ans ou bien créera un dispositif qui coûtera 20 milliards d’euros de plus d’ici à 2018 ? Où est la crédibilité ?

Où est le devoir de vérité ? Nous sommes à un moment où les Français ont besoin de savoir si ceux qui se présentent à leurs suffrages savent faire preuve de vérité et de courage. Sur tous ces sujets, vous n’avez jamais fait preuve ni du devoir de vérité ni de courage. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Au cœur de la crise, en 2008, pourquoi n’avez-vous pas eu le courage de laisser derrière vous les positions politiciennes pour protéger les Français avec nous ? Quand nous avons supprimé le deuxième et le troisième tiers, quand nous avons aidé les bénéficiaires du RSA à faire face, vous avez toujours été aux abonnés absents !

Enfin, madame Guigou, vous avez parlé d’Europe. Regardez bien la carte politique de l’Europe aujourd’hui : où sont les gouvernements socialistes ? Il n’y en a même plus la moitié. Cela montre que le socialisme n’est certainement pas l’avenir de l’Europe et certainement pas l’avenir de la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Réindustrialisation

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Depierre, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Bernard Depierre. Monsieur le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, un pays sans usines est un pays sans avenir. Nous en sommes tellement conscients, dans la majorité, que nous avons pris des mesures concrètes et importantes en ce sens depuis 2007.

Qu’on en juge. Nous avons supprimé la taxe professionnelle,…

M. Jean-Paul Lecoq. Ça n’a servi à rien !

M. Bernard Depierre. …un impôt économiquement absurde qui pénalisait la compétitivité de nos territoires. Ce sont plusieurs milliards d’euros de prélèvements en moins pour l’industrie. Qui a voté contre ? Le Parti socialiste !

Nous avons renforcé le crédit d’impôt recherche, qui permet à nos entreprises d’innover…

Mme Marie-Hélène Amiable. De licencier !

M. Bernard Depierre. …et qui est envié par de nombreux concurrents étrangers.

De leur côté, les candidats à l’élection présidentielle François Hollande ou Marine Le Pen essaient de reprendre cette thématique. Mais le premier a plombé l’industrie en votant les trente-cinq heures. Quand à la seconde, elle propose des mesures inapplicables.

C’est bien cette politique d’innovation que nous entendons poursuivre demain, afin de favoriser le « fabriqué en France », dans un esprit compétitif et audacieux.

Aujourd’hui, le Président de la République est à Sallanches, sur le site de la marque Rossignol, fleuron de la technologie du sport alpin, pour promouvoir le label « Origine France Garantie ». Hier, le Gouvernement a attribué de nouvelles aides à la réindustrialisation pour relocaliser de l’activité en France.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous faire le point sur les mesures mises en œuvres par le Gouvernement pour maintenir et créer des emplois industriels sur le territoire français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur. Monsieur le député, en effet, le Président de la République était ce matin à Sallanches, chez le fabricant de skis Rossignol. Rossignol est la preuve qu’il est possible et rentable de produire et d’investir en France. Cette entreprise a investi, en 2011, 10 millions d’euros pour moderniser son outil de production. Cela représente treize nouvelles machines et conforte 700 emplois sur notre territoire. Cela permet de rapatrier en France 75 000 paires de ski d’enfants jusque-là produites à Taïwan.

M. Jean-Paul Lecoq. Et Renault ? Et Safran ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Car si la majorité des emplois de Rossignol est en France, 85 % de sa production sont exportés.

C’est cet entrepreneuriat français industriel que nous souhaitons développer, par une politique ambitieuse de réindustrialisation. Je pense au crédit d’impôt recherche : 4 milliards d’euros par an pour les entreprises françaises ; pour Rossignol, c’était 1,2 million d’euros cette année. Je pense aux aides à la réindustrialisation : vingt projets d’investissement représentant 344 millions d’euros et la création de 1 500 emplois sur trois ans. Je pense au « fabriqué en France », annoncé ce matin par le Président de la République, carte d’identité des produits qui permettra aux consommateurs français de savoir ce qu’ils achètent.

Grâce à cette politique, l’emploi industriel s’est stabilisé en France.

M. Patrick Lemasle. Oh !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Pour la première fois depuis dix ans, chaque jour, nous enregistrons une nouvelle création d’entreprise. Le nombre des entreprises exportatrices a augmenté cette année de 3 % et celui des primo-exportateurs de 10 %. Voilà le résultat de notre politique de réindustrialisation ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mesures pour la croissance et l’emploi

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Eckert. Ma question s’adresse à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi ou de ce qu’il en reste. (Huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Diard. Zéro, monsieur Eckert !

M. Christian Eckert. Monsieur le ministre, vous et vos amis nous disent que l’emploi n’est pas une variable d’ajustement budgétaire. Prendriez-vous les Français pour des imbéciles ? Que ce soit par des licenciements ou par le non-remplacement des départs plus ou moins volontaires, vous avez bel et bien couvert la suppression de centaines de milliers d’emplois. Ainsi, les ruptures conventionnelles, que vous avez inventées, privent les salariés de plans de sauvegarde de l’emploi et permettent des départs en douceur, et puis il y a la transformation des emplois en autoentrepreneurs, et la défiscalisation des heures supplémentaires qui remplacent les emplois durables. Bref, près de 400 000 emplois industriels ont été perdus.

Devant une telle situation, qu’avez-vous fait ? Vous avez diminué le budget travail et emploi pour 2012 de 12 % ! Que dire des 150 000 fonctionnaires dont vous n’avez pas remplacé le départ ? Et ce pour une économie nette de 500 millions d’euros par an, c’est-à-dire moins de 1 % de votre déficit budgétaire !

Mes chers collègues, la règle des questions au Gouvernement, ce n’est pas de commenter le programme des candidats aux futures élections présidentielles (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais d’interroger le Gouvernement sur sa politique et sur ses décisions. Ma question, monsieur le ministre, est donc très précise : dans ce seizième sommet de la dernière chance, avant le dix-septième, concrètement, quelles mesures pour la croissance et pour l’emploi ont été décidées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le député, heureusement que l’on n’attend pas, pour l’emploi, les propositions du parti socialiste. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Heureusement que l’on n’attend pas non plus que vous donniez l’exemple : dans votre département, le conseil général, dirigé par vos amis socialistes, s’était engagé à recruter 1 000 personnes en contrats aidés plutôt que de les laisser au RSA sans emploi. (« Répondez ! » sur les bancs du groupe SRC), etsavez-vous combien ont été signés au moment où je vous parle ? Moins de 400, monsieur le député ! Voilà la politique socialiste de l’emploi ! Ce sont 600 personnes qui pourraient du jour au lendemain sortir du chômage si vous et vos amis teniez les engagements qui ont été pris et signés par le président du conseil général. (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Zéro !

M. Xavier Bertrand, ministre. Que l’on n’aille surtout pas nous sortir le sempiternel refrain du désengagement de l’État : l’indemnisation de quelqu’un qui est au RSA coûte 467 euros par mois alors que si vous décidez de cofinancer avec l’État un contrat aidé, il ne vous en coûtera que 411 euros par mois ; et 600 personnes de plus auront une fiche de paye à la fin du mois plutôt qu’un bulletin d’allocations, ce que je préfère ! Qu’attendez-vous au parti socialiste pour le faire ?

Par ailleurs, ce que vous avez dit est un tissu de mensonges (« Répondez ! » sur les bancs du groupe SRC.) C’est à croire que vous n’avez pas grand-chose à dire sur l’emploi, hélas ! Mais il y a un point important : vous avez indiqué que vous vouliez revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires… Quel dommage que vous n’ayez pas un débat avec M. Sapin, qui est paraît-il le responsable économique du candidat socialiste. (Mêmes mouvements.)

M. Patrick Lemasle. Mais répondez à la question !

M. Xavier Bertrand, ministre. En effet, on a du mal à s’y retrouver aujourd’hui : voulez-vous oui ou non retirer leurs avantages fiscaux et sociaux à celles et ceux qui font des heures supplémentaires ? Assumez-le, avouez-le ! Il est vrai que vous avez déjà sacrifié le pouvoir d’achat des ouvriers et de l’ensemble des salariés avec les 35 heures, et vous voulez recommencer. En ce qui nous concerne, nous, nous sommes du côté des ouvriers, et pas vous ! Les choses sont claires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.- Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Bilan du RSA

Mme la présidente. La parole est à M. Céleste Lett, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Céleste Lett. Madame la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, renforcer la solidarité tout en favorisant la reprise d’activité, voilà un chantier majeur qu’a conduit la majorité avec la mise en place du RSA. Nous avons toujours voulu encourager les personnes qui reprenaient un emploi, et nous l’avons fait de deux manières : d’abord avec la prime pour l’emploi, afin de compléter les ressources de ceux qui tirent de leur travail des revenus modestes, puis avec la mise en place du RSA activité, pour que toute personne qui reprend une activité ne soit pas pénalisée par la perte de certaines prestations. En effet, le RSA sert à compléter les revenus du travail pour ceux qui en ont besoin, à encourager l’activité professionnelle, à lutter contre l’exclusion sociale et à simplifier les minima sociaux. Était-il normal en travaillant de gagner moins qu’une personne sans activité ?

Mme Martine Billard. Arrêtez !

M. Céleste Lett. Nous avons dit non à l’assistanat et oui à l’initiative !

Ici, au sein de la majorité, nous continuons à suivre de près ce dossier, notamment avec Marc-Philippe Daubresse, qui a remis, le 14 septembre dernier, un rapport au Président de la République dans lequel il préconise que l’on propose aux bénéficiaires du RSA quelques heures de travail rémunérées au service de l’intérêt général.

Aussi, madame la ministre, trois ans après la mise en place du RSA, pouvez-vous dresser un bilan de cette mesure ? Quels sont les résultats de notre politique et quelles en sont les perspectives ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur Céleste Lett, le Président de la République a voulu que chaque Français puisse vivre de son travail et bénéficier de la solidarité nationale dans des conditions justes. C’est la raison pour laquelle, à l’initiative de Martin Hirsch et sur ses propositions, nous avons instauré cette grande avancée sociale du quinquennat qu’est le revenu de solidarité active. Demain, lors de la première Conférence nationale d’évaluation, nous ferons le bilan du dispositif avec les présidents de conseils généraux, les associations, les services de l’État mais aussi avec les bénéficiaires eux-mêmes.

D’ores et déjà, grâce aux travaux de François Bourguignon, le président du Comité national d’évaluation, nous pouvons tirer un certain nombre d’enseignements.

Aujourd’hui, 1,8 million de foyers bénéficient de cette politique de solidarité, qui mobilise 10 milliards d’euros. C’est donc une avancée budgétaire extrêmement considérable. 36 % des bénéficiaires travaillent et ont ainsi un revenu majoré de 18 %. Nous n’avons enregistré aucun effet secondaire sur le marché du travail et nous avons garanti que quelqu’un qui vit de son travail gagne toujours plus qu’avec un revenu d’assistance. C’est ainsi qu’un couple avec un enfant, rémunéré au SMIC, touche, avec ses allocations, 1 607 euros alors qu’un couple titulaire du RSA avec un enfant touche 1 067 euros. Il y a donc une différence de plus de 500 euros entre un revenu du travail et un revenu de solidarité.

Est-ce à dire que le dispositif n’est pas améliorable ? Bien sûr que si. Le rapport de Marc-Philippe Daubresse, vous l’avez souligné, est à cet égard extrêmement intéressant, et nous avons institué le contrat de sept heures qui permettra aux publics les plus fragiles de retrouver le chemin de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Raymond Durand. Très bien !

Industrie

Mme la présidente. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. François Brottes. Monsieur le Premier ministre, qu’ils portent une blouse blanche, une blouse grise ou un bleu de travail, chaque fois que le Président de la République se déplace dans une usine, on leur demande de se mettre en arrière-plan sur la photo.

Le moment est toujours historique car, trop souvent, c’est un plan de licenciements massif qui arrive ou une fermeture définitive de site industriel qui s’annonce.

Votre bilan industriel est catastrophique, chers collègues : c’est la destruction de 750 000 emplois depuis 2002 dans l’industrie. Vos privatisations dans le secteur de l’énergie se traduisent par des hausses de tarif vertigineuses : le gaz aura ainsi augmenté de 65 % en cinq ans. Votre gestion des entreprises publiques, c’est la vente à la découpe au profit des amis du Fouquet’s, comme dans le cas du démantèlement du groupe Areva. Vos contrats brésiliens mirobolants pour le Rafale viennent de se solder par un cruel retour au hangar. Votre soutien public par filière sans aucune contrepartie – je pense aux équipementiers automobiles – aura conduit à une succession de délocalisations.

M. Jean-Michel Ferrand. Et bla-bla-bla et bla-bla-bla !

M. François Brottes. Alors, on ne vous attendait pas chez Rossignol, en Rhône-Alpes, dont la relocalisation d’activités ne doit rien à l’État. En revanche, on vous attend chez Photowatt, en Isère, pour que vous expliquiez comment vous avez sacrifié la filière photovoltaïque. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

On vous attend aussi chez Fralib-Unilever à Marseille, et pas seulement pour y prendre le thé. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Mais on ne vous attend plus chez Molex, Arcelormittal ou Continental.

Monsieur le Premier ministre, dites-le au Président de la République : l’industrie, les ingénieurs, les ouvriers de ce pays ont besoin d’investissements, d’innovations et de perspectives de croissance. Vous avez opté pour le chemin inverse, celui de l’austérité, pour une sorte de règle d’or sacrée, invoquant une fatalité qui vous échapperait, un peu comme pour vous dédouaner.

Quant à nous, nous sommes là, avec François Hollande (Vives exclamations sur les bancs des groups UMP et NC) pour retrousser nos manches, et remettre le pays et l’Europe en mouvement, sur le chemin de l’espoir et de la création d’emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur. Monsieur Brottes, vous aussi m’avez habitué à mieux. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Quelle caricature ! En vous écoutant, on a l’impression que le seul programme de la gauche, c’est de se réjouir des malheurs de l’industrie française. C’est lamentable ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. La vérité, monsieur Brottes, c’est que, après le général de Gaulle et Georges Pompidou et jusqu’à Nicolas Sarkozy, il n’y a pas eu de politique industrielle dans ce pays.

La vérité, c’est que les 35 heures (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), la retraite à soixante ans, l’augmentation permanente des charges, ont littéralement plombé nos entreprises et tué deux millions d’emplois industriels.

M. Albert Facon. Ça fait dix ans que vous gouvernez !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. La vérité, c’est que les grands groupes, bien souvent dirigés par vos amis – et je ne veux pas donner de noms – ont préféré la délocalisation plutôt que l’entretien de leurs sous-traitants et de leur écosystème. C’est cela la vérité !

Le travail que faisons quant à nous, c’est de reconstruire patiemment, par la recherche, par la suppression de la taxe professionnelle, par la fiscalité, un tissu industriel de PME, afin que la France retrouve sa place à l’échelle internationale.

Il n’y a pas de fatalité à la désindustrialisation de la France.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Dix ans !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Regardez le l’autre côté du Rhin ce qu’un chancelier socialiste a fait, il y a dix ans, et que vous refusez : la flexibilité, la baisse des charges, la recherche. C’est exactement la politique industrielle que nous menons en France et qui va donner des résultats !

M. Marcel Rogemont. Cela fait dix ans que vous ramez !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. C’est l’inverse de la politique de la gauche : un recours incessant à la dépense, aux emplois publics et aux déficits. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Accessibilité pour les personnes sourdes
ou malentendantes

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Dubois, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marianne Dubois. Ma question s’adresse à Madame Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

La loi du 11 février 2005, relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a permis de très importantes avancées dans de nombreux domaines.

Le Gouvernement, à l’occasion de la journée mondiale des sourds du 24 septembre dernier, a établi un point d’étape sur les services visant à répondre aux besoins des personnes sourdes et malentendantes et à améliorer la prévention.

Le plan en faveur des personnes sourdes et malentendantes comporte des objectifs ambitieux mais conformes aux besoins de nos concitoyens et de notre société. Rappelons que plus de quatre millions de Français, soit près de 7 % de nos concitoyens, souffrent d’un déficit auditif.

Ce plan vise à améliorer la prise en compte de la déficience auditive quels que soient les âges de la vie, à renforcer la prévention, le dépistage et l’accessibilité.

Il y a quelques jours, un nouveau pas très important a été franchi pour les Français souffrant de ce handicap avec la mise en place d’un numéro unique d’appel d’urgence sur le territoire national, le 114.

Hier, 12 décembre, vous avez également signé la charte de qualité du sous-titrage à destination des personnes sourdes ou malentendantes avec des chaînes de télévision, des représentants du monde associatif et les laboratoires de sous-titrage.

Enfin, il m’appartient d’attirer votre attention, ainsi que celle des services de l’État, sur la situation particulière et très difficile de la population des personnes sourdes profondes ne maîtrisant pas ou mal le français écrit. Pour l’intégration de ces concitoyens, la langue des signes française est l’ultime recours, et de son développement dépend notre réussite dans la construction d’une société accessible à tous. Rappelons que la loi 2005 reconnaît la langue des signes française comme une langue à part entière.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous livrer à la représentation nationale les grandes lignes de ce centre national de relais des appels d’urgence et de cette charte de qualité ? Je vous remercie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Madame la députée Marianne Dubois, quatre millions de personnes, quatre millions de nos compatriotes sont sourds ou malentendants. De ce fait, la plupart d’entre eux passent à côté d’informations extrêmement importantes qui concernent leur vie de tous les jours.

La loi du 11 février 2005 pose le principe d’accessibilité généralisé, rappelé par le Président de la République le 8 juin dernier, lors de la Conférence nationale du handicap. Le Gouvernement avance donc sur ce sujet que vous connaissez bien, madame la députée.

Pour répondre aux situations d’urgence, nous avons créé le 114. Ce numéro unique d’appels d’urgence est dû à la volonté de ma collègue Nadine Morano, à l’action conjointe de Claude Guéant, de Xavier Bertrand et, bien entendu, de Roselyne Bachelot. Ce centre d’appel, situé au CHU de Grenoble, permet à tous nos compatriotes sourds ou malentendants d’accéder par SMS et par fax à la police, au SAMU et aux pompiers.

En outre, j’ai en effet signé hier, avec mon collègue Frédéric Mitterrand, cette charte sur la qualité du sous-titrage. Mesdames et messieurs les députés, vous avez vu que la télévision française avait énormément progressé dans ce domaine : toutes les émissions sont désormais sous-titrées. Il fallait passer du stade quantitatif au stade qualitatif, ce que permet cette charte.

Vous avez raison, madame la députée, il nous faut dorénavant porter nos efforts sur une meilleure utilisation de la langue des signes française. Dans ce domaine, j’attire votre attention sur un point : lors de la campagne pour les élections présidentielles à venir, il faudrait que chaque parti politique veille à l’accessibilité aux messages politiques de nos compatriotes sourds ou malentendants. Je saisirai le Conseil national consultatif des personnes handicapées sur ce point. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme. la présidente. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Approbation de conventions et accords internationaux

Procédure d’examen simplifiée

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, en application de l’article 103 du règlement, de cinq projets de loi autorisant l’approbation de conventions et accords internationaux (nos 3877, 3935 ; 3878, 3936 ; 3879, 3937 ; 3138, 4014 ; 3315 rectifié, 4013).

Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je vais mettre directement aux voix l’article unique de chacun d’eux, en application de l’article 106 du règlement.

Accord France-Île Maurice
sur les doubles impositions

Vote sur un projet de loi

(L’article unique est adopté.)

Accord France-Arabie saoudite
sur les doubles impositions

Vote sur un projet de loi

(L’article unique est adopté.)

Accord France-Autriche
sur les doubles impositions

Vote sur un projet de loi

(L’article unique est adopté.)

Accord France-Bosnie-Herzégovine
sur la sécurité intérieure

Vote sur un projet de loi

(L’article unique est adopté.)

Accord France-Liban
sur l’entraide judiciaire

Vote sur un projet de loi

(L’article unique est adopté.)

3

Accord France-Panama
sur les doubles impositions

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Panama en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscale en matière d’impôts sur le revenu (nos 4023, 4037).

La parole est à M. le ministre chargé de la coopération.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, cette convention fiscale est conforme à la structure classique des conventions en vue d’éviter la double imposition. À ce titre, elle s’inscrit bien dans notre logique d’ensemble de prévention de l’évasion et de la fraude fiscales.

Permettez-moi tout d’abord de vous dire que le texte soumis à votre approbation est important. Il s’inscrit dans la relation bilatérale franco-panaméenne, dont je dois dire que nous la traitons avec beaucoup de sérieux…

M. Jean-Paul Lecoq. …et d’égards !

M. Jacques Remiller. Oui, monsieur Lecoq, avec beaucoup de sérieux !

M. Henri de Raincourt, ministre. Elle le mérite.

Nous attachons une grande importance à notre relation avec ce pays que nous incitons à sortir de la liste des paradis fiscaux et qui représente aussi un enjeu économique très important pour nos entreprises.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est surtout ça !

M. Henri de Raincourt, ministre. Ce n’est pas contradictoire.

Au-delà de la seule relation avec ce pays, ce texte s’inscrit tout à fait, par sa portée, dans le cadre général de notre politique de lutte contre les paradis fiscaux.

Vous connaissez, mesdames et messieurs les députés, son économie générale ; elle est, reconnaissons-le, relativement classique. Pour l’essentiel, c’est la même que celle des conventions analogues qui régissent ces relations entre les États. Elle correspond d’ailleurs tout à fait au modèle-type de l’OCDE.

Il s’agit donc de voir la portée de cette convention au regard de notre politique d’ensemble en matière de transparence et de lutte contre les paradis fiscaux.

Sur un plan général, je sais, bien naturellement, les critiques qui sont faites à l’égard de l’engagement, jugé parfois timide ou lacunaire, des pays développés dans ce domaine. Nous ne nous satisfaisons d’ailleurs pas de la situation actuelle, qu’il y a lieu d’améliorer.

C’est affaire de volonté politique et le cas qui nous intéresse aujourd’hui offre une illustration de la démarche que nous entendons suivre avec obstination, afin de remédier à ce grave problème, particulièrement choquant en ces temps de crise.

Durant l’année écoulée, la France a mis à profit sa présidence du G20 pour faire progresser des résolutions en matière de transparence et de coopération sur le plan fiscal, et le Président de la République a stigmatisé sans détour la tolérance à l’égard de la fraude internationale et appelé l’ensemble de nos partenaires du G20 à combattre ce fléau avec fermeté. Ces positions ne relèvent pas, comme on l’entend dire parfois, de la posture.

La France a établi une liste d’États non coopératifs en matière fiscale. C’est une mesure de contrainte, assortie de lourdes pénalités qui touchent les flux financiers à destination de ces pays. Le résultat en est que près d’une quarantaine d’États ont décidé de lever le secret bancaire et d’échanger avec nous les informations indispensables à l’éradication la fraude.

À ce jour, le Panama figure encore sur cette liste. Toutefois, il a clairement exprimé sa volonté d’en sortir. Les autorités panaméennes mesurent l’intérêt qu’elles ont à respecter des règles de bonne gouvernance universelle. Elles en comprennent la nécessité pour pouvoir valoriser l’atout que représente le canal, qui, traversant le territoire panaméen, relie les deux océans, et pour tirer ainsi le meilleur parti possible de la globalisation.

Conscient de l’enjeu pour la réputation et l’avenir du Panama, le gouvernement panaméen mène des actions appréciables pour se mettre progressivement aux normes requises ; c’est l’une de ses priorités. C’est là, je crois, le meilleur investissement qu’il puisse faire.

Naturellement, il s’agit d’un cheminement.

M. Jean-Paul Lecoq. À petits pas !

M. Henri de Raincourt, ministre. Il prend nécessairement du temps, mais l’essentiel est de s’engager dans la bonne voie. Il faut donc que nous aidions le Panama.

C’est dans ce contexte que nos deux pays ont signé une convention fiscale le 30 juin 2011, d’ailleurs déjà ratifiée par le Panama. Cette signature est intervenue alors que les autorités panaméennes ont entrepris de modifier significativement leur législation et de la rendre plus rigoureuse.

Plusieurs avancées le démontrent.

Tout d’abord, nos partenaires ont choisi d’opter en faveur d’une convention fiscale complète plutôt que d’un simple accord portant sur l’échange d’informations.

Ensuite, ont été transposées dans le droit interne panaméen, par une loi unique dite « connais ton client », des règles de transparence fiscale internationale. Ce texte a été adopté en janvier 2011.

Enfin, a été mis en place un programme de formation de l’administration fiscale panaméenne en coopération avec l’Espagne.

Cette évolution explique que quatorze autres pays ont conclu, dans un délai très bref, des conventions analogues à celle qui est soumise à votre examen.

Ce changement de cap a été confirmé lors de la visite du président Martinelli à Paris. En le recevant le 17 novembre dernier, le Président de la République a souligné l’attention particulière qu’il portait à ce que le Panama se conforme aux standards de transparence fiscale.

La négociation de la convention témoigne de notre propre logique d’exigence. J’en veux pour preuve que c’est à notre initiative que les discussions ont été interrompues faute de précisions ou d’engagements suffisants de la part de nos partenaires, et cela à plusieurs reprises. Nous ne sommes donc nullement en présence d’un accord bradé ou bâclé.

Cet accord, s’il est approuvé – ce que je souhaite –améliorera et renforcera le régime juridique existant. Il constituera un élément décisif dans le dispositif de lutte contre la fraude.

L’entrée en vigueur de cette convention constitue d’ailleurs un des critères qui doivent permettre au Panama de sortir de la liste des États non coopératifs en matière fiscale.

Enfin, je précise que ce processus n’est pas irréversible. Il fera l’objet d’évaluations régulières,…

M. Jean-Paul Bacquet. Heureusement !

M. Henri de Raincourt, ministre. …, extérieures et donc impartiales, assurées par les pairs réunis au sein du Forum fiscal mondial.

Les efforts accomplis sur la voie du progrès doivent être encouragés. Il serait pour moins paradoxal, pour ne pas dire contradictoire, de pénaliser un pays qui prétend sortir…

M. Jean-Paul Lecoq. Tout est dans ce « prétend » !

M. Henri de Raincourt, ministre. …d’une situation insatisfaisante et qui, pour ce faire, a besoin de cet accord.

Cette convention représente une avancée dans la direction voulue par tous. Elle ne saurait être dissociée de la démarche générale qu’avec nos partenaires européens, nous entendons mener à son terme. Il s’agit là, mesdames et messieurs les députés, d’un enjeu d’efficacité, de modernité et d’éthique que vous partagez, j’en suis convaincu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Aurillac, rapporteure de la commission des affaires étrangères.

Mme Martine Aurillac, rapporteure de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis tend à approuver la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama, signée le 30 juin 2011 à Panama.

Cette convention tend, d’une part, à éliminer les doubles impositions et, d’autre part, à mettre en œuvre une procédure d’échange de renseignements à caractère fiscaux avec Panama.

Ce pays est, en effet, entré dans une profonde mutation économique mettant en place un nouveau projet de développement et un nouveau modèle de croissance. Panama est en tête des pays de la région en termes de croissance, avec un taux pour 2010 qui fait rêver de quasiment 7 %.

Les investissements directs étrangers devraient aussi continuer à progresser, sous l’effet aussi de la montée en puissance des grands projets d’infrastructures, qui devraient donner lieu à près de 14 milliards de dollars d’investissements publics sur la période 2010-2014. Les relations entre la France et Panama, forgées dans l’histoire, se sont renforcées ces dernières années, notamment – vous l’avez dit, monsieur le ministre – par la visite en France du Président Ricardo Martinelli le 17 novembre dernier. Si les flux économiques demeurent modestes, il existe au Panama environ vingt-cinq filiales et succursales de groupes français dont les investissements s’élèvent à quelque 800 millions d’euros. Certaines d’entre elles sont déjà bien positionnées sur de grands contrats ou les ont déjà obtenus. Il s’agit notamment de marchés concernant l’électricité, l’élargissement du canal, le traitement des eaux et la construction de grands bâtiments. Je peux citer les sociétés Alstom, GDF-Suez, Bouygues ou Degrémont.

Ce nouveau modèle de croissance implique une ouverture à l’économie mondiale mais aussi, bien évidemment, une conformité à ses règles, y compris en matière fiscale. Historiquement, paradis fiscal non coopératif, Panama a pris le virage de la coopération internationale. Depuis sa prise de fonction en juillet 2009, le nouveau gouvernement panaméen a affiché cette volonté et l’a traduite par un processus de réformes substantielles.

Panama a été examiné en 2010 dans le cadre de la procédure d’évaluation du Forum de l’OCDE sur ses dispositifs législatifs et réglementaires – ce que l’on appelle « la phase 1 ». Le Forum, dans son rapport de septembre 2010, a relevé certaines carences relatives à une large utilisation des titres au porteur et aux sociétés qui sont constituées au Panama mais n’y réalisent pas d’opérations. La disponibilité des renseignements sur les fondations ne semblait pas non plus totalement assurée et la capacité à échanger des informations était limitée.

Depuis, Panama a engagé des réformes pour remédier à ces carences. Il les soumettra à une commission du Forum qui devrait se réunir début 2012. Ces changements n’ont donc pas tous été pris en compte par le Forum de l’OCDE pour son rapport remis à l’occasion du G20 de Cannes le 4 novembre dernier, qui classe Panama parmi les onze juridictions qui ne sont pas en mesure de passer à la phase 2 de l’évaluation, c’est-à-dire à l’examen de la coopération effective.

M. Jean-Paul Lecoq. Voilà la vérité !

Mme Martine Aurillac, rapporteure. Quelles sont ces réformes ?

En juin 2010, une loi a été adoptée pour lever l’impossibilité de transmettre des renseignements qui ne sont pas utiles à l’administration pour l’application de sa propre loi fiscale.

La loi « Connais ton client » a également été modifiée en février 2011, pour assurer la disponibilité des informations relatives à l’identité des propriétaires et des bénéficiaires des sociétés offshore.

Panama a également signé une convention d’échanges d’informations avec douze partenaires : les États-Unis, l’Espagne, le Mexique, la Corée du Sud, le Portugal, les Pays-Bas, Singapour, la Barbade, le Luxembourg, le Qatar, l’Italie et la France. C’est d’ailleurs ce dernier critère qui a permis à Panama de sortir de la liste grise en juillet dernier.

Quelques obstacles à l’échange d’informations demeurent, il est vrai. Des modifications sont encore nécessaires concernant les obligations comptables des sociétés offshore et les actions au porteur. Mais un groupe de travail est en place et devrait aboutir très rapidement à des conclusions.

Il convient de souligner enfin que Panama dispose de capacités pour mettre en œuvre l’échange de renseignements : il existe en effet une superintendance bancaire efficace aux pouvoir de régulation et de recommandation, et l’administration fiscale a mis en place en son sein une nouvelle cellule spéciale chargée de l’application des accords fiscaux bilatéraux.

Le Panama affiche des progrès concrets avec d’autres pays : un programme de formation de l’administration fiscale a été engagé avec l’Espagne. C’est important. Les premières réponses à des demandes de coopération et de transmission de données bancaires ont été apportées à plusieurs reprises avec notamment le Mexique, l’Espagne, la Barbade et les États-Unis.

Concernant la convention avec notre pays, dont vous avez souligné, monsieur le ministre, l’enjeu politique, nous avions dès 2009, dans la logique de notre combat contre les paradis fiscaux, proposé aux autorités panaméennes de conclure un accord d’échange de renseignements fiscaux : les Panaméens ont préféré négocier une convention fiscale complète, permettant ainsi d’éliminer les sources de double imposition.

La rédaction de cette convention n’a nécessité qu’un seul tour de négociation, en mai 2010 – c’est assez rare pour être souligné –, le temps que les autorités panaméennes adoptent les mesures jugées indispensables. C’est seulement ensuite qu’elle a été signée, le 30 juin 2011. Par note verbale, en date du 21 octobre 2011, les autorités panaméennes ont notifié à la France la ratification de la convention, qui n’attend donc plus que la ratification française pour entrer en vigueur.

Cette ratification est nécessaire avant le 1er janvier 2012 pour que, dans notre droit interne, Panama puisse être retiré de la liste française. L’article 238 A du code général des impôts prévoit, en effet, une liste d’États et territoires non coopératifs, mise à jour au 1er janvier de chaque année, qui déclenche l’application de sanctions fiscales, comme la majoration des retenues à la source et la non application des dispositifs favorables. Jusqu’à présent, Panama figure sur cette liste et, donc, les flux en lien avec ce pays sont donc fortement pénalisés depuis cette année.

La convention, quant à elle, ne présente aucune difficulté ; elle est largement inspirée du modèle de l’OCDE et a été négociée sur la base des propositions françaises et validée, comme je l’ai dit, à l’issue d’un seul tour de négociation. Son contenu reflète donc tout à fait les intérêts de la France.

Le Panama ne bénéficiera quasiment pas des dérogations au modèle de convention de l’OCDE généralement accordées par la France aux États non membres de l’organisation. Seule concession, mais elle est classique, les redevances seront soumises à une retenue à la source – mais de 5% seulement – et une durée de douze mois – et non de six mois – sera requise pour pouvoir considérer qu’il existe un établissement stable dans le domaine de la construction.

Concernant les services, il n’a été inséré ni concept d’établissement stable, ni article spécifique permettant l’application systématique de retenues à la source.

Toutes les demandes françaises de traiter certains cas particuliers de notre législation, et surtout d’insérer de nombreuses clauses anti-abus ou tendant à protéger notre droit d’imposer ont toutes été satisfaites.

En particulier, le bénéfice de la convention n’est pas applicable lorsque la conduite des opérations a pour objectif principal, ou parmi ses objectifs principaux, l’obtention des avantages. Il est également limité si le bénéficiaire n’est pas le bénéficiaire effectif, et conditionné à la présentation d’une attestation de résidence.

Enfin, aucun article ne s’oppose à l’application des dispositifs français de lutte contre l’évasion fiscale.

La procédure d’échange de renseignements est calquée sur celle de l’article 26 du modèle de convention de l’OCDE. Le point 3 de l’article 24 de la convention comporte, en outre, un alinéa stipulant que « chaque État contractant doit prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ces renseignements et à les transmettre à son homologue ».

Le point 6 du Protocole apporte de nombreuses précisions, toutes conformes aux clauses d’interprétation de l’OCDE.

Pour conclure, mes chers collègues, la ratification de la convention permettra à nos entreprises de ne pas subir une fiscalité excessive, du fait de la sortie de la liste noire de Panama au 1er janvier 2012 et de l’application des clauses d’élimination des doubles impositions. La bonne volonté de Panama est, je crois, démontrée. Le processus de réformes semble bien engagé et une coopération efficace paraît tout à fait envisageable.

D’ailleurs, si un simple accord d’échange de renseignements avait été négocié, il aurait probablement été conclu très rapidement et Panama n’aurait même pas figuré sur notre liste de 2011. En tout état de cause, il ne serait pas justifié de faire preuve de plus de réticences à l’égard de cet État qu’à l’égard d’autres pour lesquels le Forum d’évaluation de l’OCDE appelle également à poursuivre l’aménagement de leur législation – et avec lesquels nous avons conclu des accords.

Naturellement, la réalité des efforts de conformité effective aux engagements devra continuer d’être attentivement examinée. Tout pays ne respectant pas ses engagements devra être inscrit sur notre liste noire et se voir appliquer les sanctions correspondantes. Notre commission des affaires étrangères a adopté le projet de loi en insistant sur ce nécessaire suivi et en suggérant le développement de programmes de formation des administrations fiscales.

Je vous propose, mes chers collègues, d’en faire autant, en vous remerciant de votre attention. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Rudy Salles.

M. Rudy Salles. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama, signée le 30 juin 2011 et aujourd’hui soumise à l’examen de notre Assemblée, constitue une étape indispensable au renforcement des relations franco-panaméennes et participe de la mise en place d’un véritable dispositif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

À cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de conscience au niveau international de la nécessité de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales qui, dans le contexte de crise financière internationale que nous connaissons tous, mettent en péril les recettes des États du monde dans son ensemble.

Cet accord s’inscrit donc pleinement dans une démarche de transparence fiscale, impulsée par le G20 et mise en œuvre par l’OCDE qui, par la création d’un Forum mondial sur la transparence fiscale et l’échange de renseignements, a formalisé les standards internationaux qu’un État doit respecter pour échapper à la qualification de « juridiction non coopérative ».

La France, également, a su faire de l’action politique en matière de transparence et d’échange d’informations, l’une de ses priorités. Elle dispose désormais de sa propre liste de paradis fiscaux et a inscrit la définition des États et territoires non coopératifs dans le code général des impôts. La législation française a renforcé les dispositions fiscales applicables, d’une part, aux résidents français qui réalisent des transactions avec de tels pays et, d’autre part, aux résidents de ces pays qui bénéficient de flux financiers provenant de France.

Ainsi, c’est dans ce contexte de renforcement de la transparence fiscale, nécessaire à la mise en œuvre d’un véritable processus de coopération entre les États, que nous examinons aujourd’hui ce projet de loi autorisant l’approbation de la convention franco-panaméenne en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu.

Notre pays a tissé depuis 2009 un important réseau de coopération administrative avec vingt-sept États et territoires, dont dix-sept d’entre eux ont déjà été examinés par le Parlement.

À ce titre, je tiens à saluer la possibilité qui nous est donnée aujourd’hui de débattre d’un sujet qui, d’ordinaire, fait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée. Si ce dispositif s’inscrit dans la continuité d’une démarche entreprise depuis deux ans par la France, il convient néanmoins d’examiner la situation actuelle du Panama ainsi que les spécificités du présent accord.

Avec une économie en croissance et une situation stratégique du fait notamment de la présence du canal, le Panama possède de nombreux atouts pour conforter sa qualité de pays émergent et devrait être considéré, dans les années à venir, comme un pays véritablement attractif.

En profonde mutation économique, le Panama est également un État qui a pris conscience de la nécessité, s’il souhaite réaliser de grands projets d’infrastructures, de s’ouvrir et de se conformer aux règles de l’économie mondiale. Au regard de ces éléments, le Panama offre à la France, et plus précisément aux entreprises françaises comme cela a été dit par Martine Aurillac, des perspectives très intéressantes. Ainsi, plusieurs projets d’infrastructures pourraient déboucher sur des contrats en 2012-2013 pour les entreprises françaises. Dans un souci d’éviter toute fiscalité pénalisante, le renforcement de la présence économique de la France au Panama nécessite la conclusion de cet accord en vue d’instaurer un mécanisme d’élimination des doubles impositions.

La signature de cette convention, qui fait suite à la conclusion de conventions d’échange d’informations avec onze autres États partenaires, permet au Panama de sortir de la liste grise de l’OCDE qui regroupe les pays qui, bien que n’ayant pas encore signé un nombre suffisant d’accords, s’y sont engagés. Le Panama, perçu historiquement comme un paradis fiscal non coopératif, démontre ainsi sa volonté de se conformer aux standards internationaux en matière fiscale.

Récemment, le Panama s’est engagé à modifier sa législation en faveur d’une plus grande transparence fiscale. À titre d’exemple, cet État a levé l’impossibilité de transmettre des renseignements qui ne sont pas utiles pour l’application de sa propre loi fiscale. Il a également modifié sa législation en vue de renforcer les obligations des agents résidents en matière d’identification de leurs clients. Par ailleurs, ce pays dispose désormais d’une superintendance bancaire, la SBP, dont la fonction de régulation a notamment pour objet de garantir une meilleure supervision des principaux risques bancaires.

Ces dispositions constituent une avancée considérable pour un pays qui, il y a encore quelques années, était réticent à adapter sa législation aux nouvelles exigences internationales en matière de transparence financière.

M. Jean-Paul Lecoq. Il y a quelques jours encore !

M. Rudy Salles. Il convient néanmoins de rester vigilant car certains obstacles à l’échange d’informations demeurent et la validation du passage de cet État en phase 2 par le Forum mondial sur la transparence fiscale et l’échange des renseignements de l’OCDE n’est pas garantie à ce jour. Certains dispositifs de la législation panaméenne en matière fiscale, notamment la législation relative aux actions au porteur, démontrent que cet État demeure, à certains égards, un État non coopératif.

Malgré ces réserves, la convention soumise au débat de ce jour devrait permettre de conforter la décision d’implantation dans ce pays des grands groupes et d’investir dans les grands projets d’infrastructures en cours.

D’une part, cette convention a pour objectif d’éliminer le risque de double imposition, jusqu’à présent source d’incertitude pour nombre d’investisseurs.

Concrètement, cet accord définit avec précision les modalités de l’imposition des revenus, qu’il s’agisse des bénéfices des entreprises, des revenus immobiliers ou encore des revenus passifs.

La convention permet notamment d’éviter « la force attractive de l’établissement stable », qui constitue l’une des composantes essentielles des paradis fiscaux, en prévoyant un dispositif législatif strict en la matière.

Autre apport de la convention qu’il convient de souligner, l’accord proposé prévoit de lutter contre les prix de transfert en prévoyant que le principe du prix de pleine concurrence entre entreprises indépendantes s’applique également aux entreprises associées.

L’accord clarifie également les modalités d’imposition des dividendes en posant le principe de l’imposition des dividendes dans l’État de résidence de leur bénéficiaire, auquel il peut être dérogé par un dispositif de retenue à la source.

Enfin, un article de la convention évoque les revenus de sociétés, dont la double imposition peut être éliminée par l’imputation, sur l’impôt français, d’un crédit d’impôt.

D’autre part, cet accord comporte une clause d’échange de renseignements, conforme au modèle de l’OCDE, et indissociable d’une politique de lutte contre la fraude en matière fiscale.

Mes chers collègues, parce que la promotion de la transparence et de l’échange de renseignements à des fins fiscales doit demeurer une priorité de notre politique internationale, le groupe Nouveau Centre apportera son soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre, il y a deux mois, lors de l’examen par la commission des finances de dix conventions d’échange d’informations fiscales avec de nombreux paradis fiscaux comme le Belize ou l’île de Man, Jean-Pierre Brard avait dénoncé, au nom du groupe GDR – j’en avais fait de même devant la commission des affaires étrangères – la finalité de ces conventions qui ne servent à rien sauf à protéger ces territoires hors la loi qui abritent les filiales de vos amis les patrons du CAC 40 et les grands banquiers, en leur donnant ce voile de respectabilité qui les fait sortir de la liste noire des pays commercialement infréquentables. Cela fait d’ailleurs du Gouvernement le complice d’une fraude qui coûte à l’État plus de 20 milliards d’euros chaque année. Alors que le Gouvernement n’a pas hésité une seconde pour mettre en place, afin d’économiser 18 milliards d’euros, une politique de rigueur qui frappe directement les Français les plus modestes, il se montre conciliant, pour ne pas dire indulgent, lorsqu’il s’agit de taxer et de punir les grands groupes du CAC 40 et les grandes fortunes de ce pays qui dissimulent leur argent dans les paradis fiscaux. Il semble même qu’il ne portera pas plainte contre Mme Bettencourt, qui a fraudé pour 100 millions d’euros.

M. Jacques Remiller. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre, vous avez failli à votre mission première de servir l’intérêt général en abdiquant devant les forces de l’argent et les tenants du grand capital !

Aujourd’hui, vous nous en faites une nouvelle fois la démonstration, car vous nous demandez de ratifier une convention avec le Panama « en vue d’éviter les doubles impositions ». Autrement dit, monsieur le ministre, vous voulez faire payer moins d’impôts à certaines entreprises.

Par pédagogie politique, pour que les citoyens comprennent concrètement qui vous couvrez, nous avons fait quelques recherches. Voici la liste des entreprises française présentes dans ce territoire hors la loi : Alcatel, Alstom, Peugeot, Sanofi, la Société générale, Bouygues, la société de l’ami du Président, Bureau Veritas, société qui appartient au groupe du baron Ernest-Antoine Seillière, l’ancien président du Medef et digne héritier des maîtres de forges, et, le meilleur pour la fin, l’Oréal, la société de Mme Bettencourt. Voilà la réalité : moins d’impôts pour ces grands groupes qui gagnent des milliards et une augmentation de la TVA pour les petites gens qui gagnent à peine de quoi boucler les fins de mois.

M. Jacques Remiller. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Paul Lecoq. Les députés communistes ne cessent de le répéter, le mensonge est un des piliers de la politique de Nicolas Sarkozy. La preuve ? Le 23 septembre 2009, lors du G20 de Pittsburgh, Nicolas Sarkozy a déclaré à la télévision : « Il n’y a plus de paradis fiscaux. Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est fini. » Force est de constater que le Président a menti aux Français. Les promesses du G20 de Pittsburgh sont loin. Pourtant, le vendredi 4 novembre dernier, à l’issue du sommet du G20 de Cannes présidé par la France, Nicolas Sarkozy récidive, prenant à témoin l’opinion publique mondiale, en affirmant « ne plus vouloir des paradis fiscaux », promettant de les « mettre au ban de la communauté internationale ». Seulement deux semaines plus tard, le Président du Panama, Ricardo Martinelli a été reçu à l’Élysée afin de mettre au point l’accord que vous nous soumettez aujourd’hui. Drôle de manière de « mettre au ban » un État, vous en conviendrez, monsieur le ministre !

Durant son séjour à Paris, le 18 novembre, M. Martinelli a également été reçu au siège du Medef afin de vanter aux entreprises françaises la bonne notation de son pays par les agences de notation. Moody’s a déclaré en effet que les perspectives économiques du pays étaient « positives pour les mois à venir grâce à la stabilité du pays et à une croissance économique équilibrée », son dynamisme, 8 % de croissance en 2011, et sa législation fiscale peu regardante qui facilite l’installation de sièges de multinationales en toute discrétion.

Pascal Saint-Amans, secrétaire du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale de l’OCDE, explique que « le Panama a des déficiences dans sa législation interne, disposant de mécanismes protégeant l’information sur les propriétaires d’une société ». Concrètement, si l’administration fiscale française pourra demander des informations au cas par cas au Panama, il n’est pas sûr que ces données existent, notamment pour la comptabilité des sociétés offshore, et vous le savez. La ministre Valérie Pécresse a elle-même confirmé, le 24 novembre dernier, l’inefficacité de ces conventions fiscales avec les paradis fiscaux en affirmant que « les réponses [que nous donnent ces pays] confirment ce que l’on sait déjà, mais n’apportent pas d’informations supplémentaires, sur l’identité réelle des personnes qui détiennent des comptes par exemple ».

Si ces conventions sont inutiles, pourquoi tant de précipitation, pourquoi tant de mansuétude envers ce pays fraudeur ? Je l’ai dit, la France compte beaucoup d’entreprises présentes au Panama qui cherchent à payer le moins d’impôts possible. Mais la réponse à cette question, je l’ai trouvée sur le site Internet du Quai d’Orsay : « Pays dynamique, le Panama a de très grands projets d’infrastructures comme l’élargissement du canal ou encore la construction du métro de Panama. » Le Président Martinelli a fait de la modernisation du Panama sa priorité. Plusieurs grands projets d’infrastructures s’inscrivent dans le cadre d’un vaste programme d’investissements d’un montant de 13,6 milliards de dollars : métro de la capitale, qui va être construit par Alstom, aéroports, ports, routes, production et interconnexions énergétiques, extension des réseaux d’eau et d’assainissement. Voilà l’explication de l’urgence. Lorsqu’il y a de l’argent et des gros contrats en jeu, vous oubliez tout sens de l’intérêt général et vous vous agenouillez devant n’importe qui, le Président Martinelli ou le général Kadhafi par exemple.

En conclusion, je dirai que la capitulation du Gouvernement face aux forces de l’argent est totale. Charles Péguy disait « qu’une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir ». Monsieur le ministre, ce qui me frappe, c’est que vous n’avez fait que ça, expliquer : vous nous avez expliqué que la France donnait leurs chances aux pays qui étaient sur la liste noire, vous nous avez expliqué que la France menait une lutte contre la fraude fiscale…

Mais, concrètement, je l’ai démontré, rien n’est fait. L’exil fiscal prive toujours les finances publiques de 20 milliards d’euros par an. Il est grand temps de vous inspirer des propositions que nous vous faisons à chaque loi de finances et qui détaillent quelles mesures doivent être prises pour enrayer l’évasion et la fraude fiscales. En ces temps de difficultés économiques, il est grand temps de combattre l’exil fiscal des entreprises et des particuliers.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je me demande si Jean-Paul Lecoq, représentant du groupe GDR, ne s’est pas trompé de débat, j’y reviendrai tout à l’heure.

Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans une longue série de conventions et accords fiscaux. La plupart de ces accords sont adoptés après un examen et un débat en commission des affaires étrangères au moyen, la plupart du temps, de la procédure simplifiée. C’est le cas des trois accords avec l’Île Maurice, le royaume d’Arabie saoudite et l’Autriche que nous venons d’adopter.

La France a beaucoup œuvré sous l’impulsion du Président Nicolas Sarkozy. Puisque vous l’avez beaucoup évoqué, mon cher collègue, permettez-moi d’en parler également.

M. Jean-Paul Lecoq. À la différence que vous, vous n’avez pas le choix, vous êtes obligé.

M. Jacques Remiller. On voit bien qu’il y a un véritable pilote dans l’avion France, notamment dans le cadre du G8 et du G20, pour la transparence et la clarification de la situation des paradis fiscaux. Je pense que cette convention aurait pu également faire l’objet d’un accord dans la procédure simplifiée, mais je viens de comprendre par votre intervention, en particulier quand vous caricaturez le Gouvernement, que vous souhaitiez le débat.

M. François Loncle. Nous allons vous expliquer si vous ne comprenez rien !

M. Jacques Remiller. Panama est un petit pays de 75 000 kilomètres carrés, peu peuplé, 2,5 millions d’habitants, et indépendant depuis 1903. Il a toujours entretenu avec notre pays d’excellentes relations.

M. Jean-Paul Lecoq. Surtout avec les plus riches !

M. Jacques Remiller. Il y a quelques semaines, vous l’avez rappelé, mon cher collègue et je vous en remercie, le Président de la République du Panama a été reçu par le Président Sarkozy lorsqu’il est venu à la rencontre des entreprises françaises. Qui dit entreprises françaises dit développement économique et création d’emplois bien sûr.

M. Jean-Paul Lecoq. Là-bas !

M. Jacques Remiller. Carrefour régional pour les échanges, le Panama figure parmi les économies les plus dynamiques d’Amérique latine avec un taux de croissance d’environ 8 % en 2011. Son économie « dollarisée » et ouverte sur le monde, sa stabilité, ses zones économiques spéciales et la loi 41 de 2007 facilitant l’installation de sièges régionaux de multinationales, sont autant d’atouts dont dispose le pays pour attirer les investisseurs étrangers.

Le Panama souffre de plus en plus des effets négatifs de l’ouverture de ses portes aux investissements provenant des pays voisins qui ont des taux de criminalité financière élevés. Cela a des influences considérables dans les structures mêmes de l’État de droit.

Cette convention est un instrument destiné à ce que le Panama soit reconnu comme État coopératif en matière fiscale selon les principes fixés par l’OCDE. Elle supprime donc l’intérêt qu’il y aurait pour un contribuable résidant en France à utiliser des sociétés ou fondations offshore panaméennes, même s’il détient des parts indirectement par le biais d’autres personnes morales comme des sociétés de droit luxembourgeois. L’investissement immobilier reste intéressant pour le contribuable français en matière d’imposition des plus-values dérivées de la vente, mais il le sera beaucoup moins pour les revenus immobiliers dérivés de l’exploitation de biens situés au Panama.

La convention permet que les entreprises françaises voulant participer à des appels d’offre pour des contrats destinés à la construction d’infrastructures dans l’isthme ne soient pas sanctionnées par le fisc français. Dans le passé récent, des groupes français ont dû renoncer à participer à des appels d’offre liés aux travaux du canal, au profit de leurs concurrents belges et espagnols, en raison de la qualification du Panama par le fisc français de pays non collaborateur. Ceci est désormais terminé.

Seules les administrations fiscales nationales auront le droit d’exiger des informations. L’administration fiscale française devra donc faire une demande formelle à l’administration fiscale panaméenne selon une procédure fixée dans le traité et selon le principe du non-échange automatique d’informations. L’échange devra se faire au cas par cas, de manière justifiée, et le Panama ne pourra plus arguer de son droit interne pour refuser, en vertu par exemple du secret bancaire, des informations au fisc français.

En conclusion, il est urgent de soutenir l’action du Président de la République, Nicolas Sarkozy, sur ce sujet, car bon nombre de nos concitoyens voient dans les paradis fiscaux des instruments pervers de la finance mondiale ayant une part de responsabilité dans la crise économique et le défaut de croissance. Pour toutes ces raisons le groupe UMP votera bien sûr cet accord. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste, radical et citoyen a en effet demandé un examen en procédure ordinaire, c’est-à-dire un débat public, de la convention signée avec Panama « en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu ».

Nous avons souhaité cet examen en séance publique pour deux raisons. La première concerne la procédure. Nous ne contestons pas l’examen simplifié, à condition que le Gouvernement laisse au Parlement le temps nécessaire à la réflexion, ce qui, vous en conviendrez, n’a pas été le cas pour le projet de loi n° 4023 déposé et examiné pratiquement au même moment.

Je souscris tout à fait au commentaire fait devant la commission des affaires étrangères par notre collègue Hervé de Charette, mercredi dernier. Permettez-moi de vous en citer un extrait : « J’observe qu’il est rare que le délai entre la signature et l’examen par notre commission se compte en mois. Il se compte habituellement plutôt en années ! » Il nous est arrivé de protester contre des délais excessifs, mais de là à parvenir à la quasi-simultanéité du dépôt et de l’examen, c’est tout à fait inédit et peu responsable !

Mme la rapporteure a été interrogée en commission sur cette accélération exceptionnelle de la procédure d’examen de cette convention fiscale avec Panama. Cette précipitation l’a contrainte, en effet, à travailler dans des conditions difficilement acceptables – elle n’en a que plus de mérite.

Faute d’avoir obtenu une réponse à la question posée en commission il y a moins de huit jours, je vous la soumets une nouvelle fois, monsieur le ministre, à vous qui venez de découvrir ce texte, tout en renouvelant la protestation du groupe SRC à l’égard du Gouvernement, qui manifeste fort peu de respect pour le travail parlementaire.

La seconde raison de notre demande d’examen en procédure ordinaire porte sur le fond. Je n’arrive pas à comprendre quelle est la position du Gouvernement en cette affaire. Le 4 novembre dernier, à l’issue du G20 de Cannes, le chef de l’État avait, au cours de sa conférence de presse, épinglé de façon explicite onze pays qualifiés de paradis fiscaux et les avait menacés « d’être mis au ban de la communauté internationale ». Le Panama était de ceux-là. La ministre du budget, Mme Pécresse, le 24 novembre, avait très logiquement confirmé le commentaire présidentiel et la présence de Panama sur une liste noire ou grise.

Une première question dès lors vous est posée, monsieur le ministre. Depuis avril 2009, la France a négocié et signé vingt-sept accords d’échange de renseignements fiscaux. De deux choses l’une : soit ces accords sont inutiles – mais alors pourquoi continuer à les négocier et à les soumettre au Parlement, parfois dans des délais contestables, comme aujourd’hui ? –, soit ces accords ont une utilité, qui répond à un vœu exprimé par le Président de la République au sommet du G20 à Londres en 2009 mais est encore difficile à vérifier, compte tenu de la mise en application toute récente de ces textes. C’est particulièrement exact pour le Panama, puisque le traité n’a été signé que le 30 juin dernier. En outre, ce traité n’a pas eu d’application effective, faute de ratification française.

Une seconde question concerne nos difficultés à comprendre la position de la France. D’ailleurs, il n’y en a pas eu une mais deux, au demeurant contradictoires et exprimées à quelques jours d’intervalle, d’une manière tout aussi péremptoire par le Président de la République. Vous avouerez qu’il est difficile de défendre le oui et le non sur un même dossier. La forme au final importe peu si elle n’apporte que de la confusion. Il y a là un problème de méthode dommageable aux intérêts de notre pays. Sans doute ici comme dans d’autres affaires conviendrait-il de prendre le temps de la réflexion, qu’il s’agisse de celui de l’Exécutif ou de celui du Parlement.

Je tiens à rappeler brièvement, comme l’a fait mon collègue Jean-Pierre Dufau en commission la semaine dernière, certaines déclarations de l’automne dernier. Le 4 novembre, le Panama est considéré comme un État peu fiable fiscalement par le Président de la République. Le 24 du même mois, Mme Pécresse, ministre du budget, confirme le jugement du chef de l’État. Mais, entre ces deux dates, M. Sarkozy a reçu à Paris, les 17 et 18 novembre, son homologue panaméen, M. Ricardo Martinelli, ce dont Mme Pécresse n’avait sans doute pas été avertie. D’autres propos ont alors été échangés. À la veille de cette visite, le porte-parole du Quai d’Orsay signalait en effet que la France était « confiante dans la volonté des autorités panaméennes de lutter au côté du G20 contre l’évasion fiscale ». « La France et le Panama, était-il précisé, entretiennent sur cette question un dialogue étroit. » À l’issue du tête-à-tête entre MM. Sarkozy et Martinelli, le président panaméen a fait une déclaration que je me permets de porter à votre connaissance, dans la mesure où elle n’a pas été relayée en France par les médias : « Une fois que la France aura approuvé la convention fiscale, sans doute avant la fin de l’année, le gouvernement français retirera Panama de la liste des pays fiscalement non coopérateurs. » M. Hugues Goisbault, ambassadeur de France à Panama, a publiquement confirmé cette appréciation, le 25 novembre.

Finalement, le dépôt accéléré du texte, intervenu entre les deux positions alternativement défendues par les représentants de l’État français, tranche en faveur de la bonne foi de Panama. Mme Aurillac, rapporteure du traité au terme sans doute provisoire de ce cafouillage diplomatico-fiscal, nous invite à approuver cette convention, en usant d’une rhétorique peu convaincante : « Pourquoi ne pas faire confiance à un État qui a décidé de se mettre en conformité avec les standards internationaux ? » Pour ma part, je reste perplexe et je m’interroge. Cet accord répond-il à son objectif affiché ? Quelle est l’interprétation correcte que l’on peut et doit faire de cette convention présentée par les plus hautes autorités de l’État de manière aussi opposée à quelques jours d’intervalle ?

J’ai, par réflexe professionnel d’ancien journaliste, lu la presse pour comprendre les à-côtés de cette convention équivoque. J’ai relevé une première information qui semble sans rapport avec notre débat d’aujourd’hui… Dimanche 11 décembre, la France a renvoyé à Panama l’ancien dictateur Manuel Noriega, qui purgeait en France depuis 2009 une peine de sept ans d’emprisonnement pour blanchiment d’argent. Puis, je suis remonté dans le temps, à la recherche d’autres indices permettant de comprendre un peu mieux la soupe amère que le Gouvernement souhaitait servir au Parlement. Et j’ai trouvé une autre information, dont vous jugerez par vous-mêmes si elle a ou non un rapport avec nos échanges fiscaux de ce jour. Une dépêche AFP du 28 novembre précisait que « le gouvernement panaméen a suspendu un contrat signé par l’assureur-crédit français Coface pour le financement du métro de Panama, en représailles de récentes critiques de la ministre du budget Valérie Pécresse, a annoncé le ministère des affaires étrangères panaméen. La décision de rejeter les services de la compagnie Coface est prévue par la Constitution panaméenne, qui préconise des mesures de rétorsion, en cas d’agissements discriminatoires étrangers contre Panama, indique le ministère dans le communiqué. » Ce prêt de 297,8 millions de dollars devait contribuer au financement partiel de la ligne 1 du métro de la ville de Panama. Le contrat avait été signé le 26 novembre 2010 avec la société française Alstom, qui devait construire et livrer les voitures de cette ligne.

M. Jean-Paul Lecoq. Ceci explique cela !

M. François Loncle. Voici retracée en quelques mots l’histoire de cette convention extravagante dans la forme comme dans le fond. Et nous avons souhaité par ce bref débat mettre à la disposition de tous les différents éléments de ce gâchis diplomatique, ainsi résumés par le quotidien La Tribune, organe loin d’être hostile au Gouvernement, dans son édition du 25 novembre 2011 : « La France accorde un passe-droit au Panama. »

Mais, dans les circonstances économiques et politiques que nous avons évoquées et que nous avons tous à l’esprit, le groupe SRC ne souhaite pas ajouter du désordre à l’incohérence. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. J’apporterai quelques précisions aux orateurs qui se sont exprimés dans cette discussion générale, non sans avoir auparavant remercié Mme la rapporteure pour la précision de son rapport et les propos qu’elle a tenus, ainsi que MM. Rudy Salles et Jacques Remiller, qui ont apporté le soutien de leur groupe à ce texte. Tous trois ont fait remarquer avec justesse que l’on montait en épingle un problème qui n’en n’était pas un. Et je m’interroge à mon tour pour comprendre ce qu’avaient en tête ceux qui ont demandé un débat sur cette convention même si, cher monsieur Loncle, vous pouvez être certain qu’en tant qu’ancien parlementaire je suis très respectueux des prérogatives du Parlement et que je considère parfaitement légitime votre initiative. Reste qu’après vous avoir entendus, je n’ai toujours pas bien compris la raison pour laquelle ce débat nous a été demandé.

M. Jean-Paul Lecoq. Répondez à nos questions !

M. Henri de Raincourt, ministre. Lorsque M. Lecoq intervient à la tribune, il nous présente les positions habituelles de sa famille politique. Nous les connaissons, nous les respectons mais nous formulons des vœux pour qu’elles ne soient jamais appliquées en France. Si tel était le cas en effet, je me demande s’il y aurait encore des entreprises françaises capables de récolter des marchés à l’extérieur.

Fort heureusement, le risque est ténu que ses préconisations se transforment en politique nationale.

Selon vous, monsieur Lecocq, cette convention ne sert à rien. Mais c’est la même que toutes les autres conventions fiscales : c’est dire que les autres ne servent à rien non plus.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous ne proposez rien pour l’évaluation !

M. Henri de Raincourt, ministre. C’est désobligeant pour ceux qui ont élaboré ces textes. Surtout, je ne vois pas ce que cette convention a de plus mystérieux que toutes les autres. De toute façon, le projet prévoit des rendez-vous, des évaluations. Rien n’est irréversible.

Ce qui est demandé aujourd’hui à l’Assemblée nationale, c’est de prendre en compte les progrès accomplis par le Panama…

M. Jean-Paul Lecoq. Susceptibles d’être accomplis !

M. Henri de Raincourt, ministre. …qui justifient tout à fait que ce pays sorte de la liste sur laquelle il figure encore. On verra ensuite, à la lumière de ce qui sera fait, s’il tient ou non ses engagements. Mais pour l’heure, nous n’avons aucune espèce de raison de douter en quoi que ce soit de sa bonne foi.

M. François Loncle. Depuis quand ?

M. Henri de Raincourt, ministre. En tout cas, monsieur Loncle, il n’y a aucun lien, mais vraiment aucun, entre la situation d’un ancien dirigeant du Panama et la discussion de ce texte. L’extradition de M. Noriega, procédure judiciaire qui était engagée depuis un certain temps, est totalement indépendante de la signature de l’accord, qui a eu lieu en juin.

Pourquoi alors ce calendrier ? Pour une raison toute bête, une raison de simple bon sens. Si le Parlement ne vote pas la convention avant le 31 décembre 2011, ses effets seront reportés d’une année. Faut-il sacrifier nos entreprises ? Ne faut-il pas plutôt demander au Parlement d’avoir l’obligeance d’examiner ce texte, qui ne présente vraiment rien de nouveau par rapport aux conventions habituelles, afin de donner à nos entreprises des chances de gagner des marchés ?

Pour M. Lecoq, cette convention ne sert à rien ; pour M. Loncle, elle est extravagante. En vérité, elle est tout simplement identique à toutes les autres que nous signons. Vous êtes un ancien journaliste, monsieur Loncle, et vous avez tout mon respect. Mais souffrez que le Gouvernement français ne prenne pas ses ordres dans la presse. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion de l’article unique

Article unique

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.)

4

Limite d’âge des magistrats
de l’ordre judiciaire

Discussion,
après engagement de la procédure accélérée,
d’un projet de loi organique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire (nos 4000, 4036).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, afin de mettre l’indépendance de l’autorité judiciaire à l’abri de toute modification de circonstance, le constituant de 1958 a disposé que le statut des magistrats devait être fixé par la loi organique. Les garanties prévues en matière de déroulement des carrières entrent dans ce cadre.

Ainsi, le projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire que je vous présente a pour objet d’accélérer la montée en charge de l’augmentation, par génération, de la limite d’âge des magistrats, prévue par la loi organique du 10 novembre 2010.

Il est le pendant, pour les magistrats, de la modification du calendrier de l’augmentation des âges d’ouverture des droits et d’annulation de la décote proposée par le Gouvernement pour l’ensemble des fonctionnaires civils ainsi que pour les militaires. Cette mesure fait partie du plan d’équilibre des finances publiques annoncé par le Premier ministre le 7 novembre 2011.

Le projet de loi initial comportait un article unique. Celui-ci laisse inchangée la limite d’âge précédemment fixée pour les magistrats nés avant le 1er janvier 1952. En revanche, pour les magistrats nés à compter de cette date, l’accélération du relèvement de la limite d’âge interviendra à raison d’un mois pour ceux nés en 1952, de deux mois pour ceux nés en 1953, de trois mois pour ceux nés en 1954 et de quatre mois pour ceux nés en 1955.

Lors de l’examen en commission des lois, le Gouvernement a déposé quatre amendements, relatifs eux aussi à la carrière des magistrats et à la gestion du corps judiciaire, que les commissaires aux lois ont bien voulu adopter. Je les en remercie.

Ces mesures sont reprises du projet de loi organique relatif au statut de la magistrature, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 27 juillet 2011.

Je tiens à préciser que ces dispositions ont bien fait l’objet, avant même la rédaction de ce projet de loi organique, d’une concertation avec les organisations syndicales, les chefs de cour et les chefs de la Cour de cassation. Elles ont par ailleurs été présentées aux organisations syndicales lors d’une commission permanente d’études, le 7 juillet 2011. Une étude d’impact a été rédigée par mes services et annexée au projet de loi organique, comme le prévoit la Constitution.

Ces dispositions organiques modifient le statut de la magistrature, pour répondre à des difficultés techniques rencontrées par la chancellerie dans la gestion du corps judiciaire ou dans la mise en œuvre de dispositifs statutaires existants. Elles revêtent une urgence particulière qui explique la démarche du Gouvernement.

En effet, les réformes de l’ordonnance statutaire de 1958, notamment celles intervenues en 2001 et 2007, ont profondément remanié le cadre juridique de la gestion des magistrats et les conditions d’exercice des fonctions judiciaires. Le ministère de la justice et des libertés s’est par ailleurs attaché à développer une gestion du corps judiciaire plus dynamique, valorisant les compétences, les parcours professionnels, les expériences des magistrats hors des juridictions judiciaires, dans le cadre d’une politique rénovée et modernisée des ressources humaines de la magistrature.

La mise en oeuvre de certains mécanismes ou dispositifs statutaires, dans le cadre de cette politique de gestion des ressources humaines, a toutefois démontré la nécessité de réviser certains de leurs aspects, ou d’affiner les dispositions statutaires, qui posent des difficultés d’application.

Le Gouvernement a donc proposé par amendement quatre dispositions.

La première modifie les règles relatives aux magistrats placés auprès des chefs de cour d’appel. Cette pratique est nécessaire pour la bonne marche des juridictions. Elle permet une réactivité du corps judiciaire en apportant un renfort immédiat aux juridictions qui connaissent des difficultés conjoncturelles, liées à la situation de leurs effectifs ou à un surcroît d’activité. En outre, ces magistrats enrichissent leur expérience professionnelle en se confrontant à des pratiques juridictionnelles diversifiées dans les juridictions dans lesquelles ils sont délégués.

Certains magistrats apprécient particulièrement ces fonctions et ne voient pas pourquoi on les empêcherait de les exercer pour une période plus longue que ce que permet l’ordonnance statutaire, telle qu’interprétée par le Conseil d’État. Il est donc proposé d’augmenter la durée maximum d’exercice de ce type de fonctions à six ans consécutifs et à douze ans sur l’ensemble de la carrière. C’est répondre à la fois aux vœux de certains magistrats et aux besoins des juridictions, sans limiter la possibilité, pour les intéressés, d’être nommés sur d’autres fonctions après deux années d’exercice comme magistrats placés. En effet, on n’est pas nommé de force sur ces fonctions de magistrat placé, il faut être candidat.

Par ailleurs, la priorité d’affection dont bénéficient les magistrats placés, au bout de deux années, sur des postes de la juridiction siège de la cour auprès de laquelle ils sont placés, ne pourra plus porter sur des emplois de premier vice-président, premier vice-président adjoint, procureur de la République adjoint ou premier vice-procureur de la République. Ces fonctions d’encadrement intermédiaire requièrent en effet des profils particuliers et doivent être occupées par des magistrats ayant démontré de véritables capacités d’encadrement et d’animation au cours de leur carrière.

En deuxième lieu, il s’agit d’assouplir la règle relative à la priorité d’affectation à la Cour de cassation des conseillers et avocats généraux référendaires, afin d’éviter certains blocages. Il n’est pas question de supprimer le mécanisme de quota, qui permet à la Cour de cassation de bénéficier des compétences de ses anciens référendaires. La proportion de un sur six est apparue de nature à concilier, d’une part, les contraintes de nomination pesant sur la chancellerie et le Conseil supérieur de la magistrature et, d’autre part, le besoin que les postes de conseiller ou d’avocat général à la Cour de cassation soient pourvus par des magistrats ayant acquis la technique de la cassation.

Troisièmement, le nouvel article 5 modifie l’article 69 de l’ordonnance statutaire issue de la loi organique du 5 mars 2007, qui a créé un comité médical national propre aux magistrats pour connaître des demandes de placement d’office en congés maladie.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 69 de l’ordonnance de 1958 n’évoque que le congé de maladie, qui doit être distingué du congé de longue maladie et du congé de longue durée. Or le placement d’office en congé en raison de l’inaptitude physique d’un agent concerne avant tout les deux dernières catégories. L’article 5 étend ainsi la compétence du comité médical national pour ces deux catégories de congés maladie. Il institue également un comité médical national d’appel. Le Parlement, le conseil supérieur de la magistrature et les organisations syndicales de magistrats ont, à de nombreuses reprises, appelé l’attention du Gouvernement sur la nécessité de mettre en œuvre ce dispositif.

Enfin, l’article 6 assouplit les règles de mobilité pour l’accès aux emplois hors hiérarchie, afin d’assurer la réussite dans les faits de ce dispositif introduit par la loi organique du 5 mars 2007. Il s’agit de permettre aux magistrats d’accomplir cette mobilité auprès de juridictions administratives, financières ou internationales. En outre, la durée de la période de mobilité statutaire sera portée à deux ans et non renouvelable, ce qui correspond davantage aux besoins des structures d’accueil.

Je pensais avoir à revenir sur l’amendement de M. Dosière, mais la commission des lois, réunie au titre de l’article 88, en a fait justice. Les magistrats, qui accomplissent tous un travail difficile, dans des circonstances qui le sont aussi, méritent bien que la nation leur manifeste sa reconnaissance.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le débat concernant les retraites a d’ores et déjà été tranché par le Parlement. Ce projet de loi organique relève donc d’une simple démarche d’équité à l’égard des agents des trois fonctions publiques.

Les dispositions que le Gouvernement a proposées et que la commission des lois a adoptées représentent des avancées réelles pour le statut des magistrats et sont en lien direct avec l’objet du texte. Celui-ci concourt donc à améliorer la gestion de la carrière des magistrats et son attractivité.

Mme la présidente. La parole est à M. François Vannson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. François Vannson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes saisis en première lecture d’un projet de loi organique, déposé le 23 novembre dernier, visant à appliquer aux magistrats l’accélération du calendrier de la réforme des retraites prévu pour les fonctionnaires des trois fonctions publiques par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 adopté le 22 novembre dernier.

En 2010, notre pays a engagé une réforme des retraites destinée à parvenir à l’équilibre des comptes de la branche vieillesse, tous régimes confondus, à l’horizon 2018. La moitié des économies permises par cette réforme repose sur la modification progressive des bornes d’âge légal de départ à la retraite et des bornes d’âge de départ à taux plein. Suivant cette logique, la « fenêtre » d’ouverture des droits à pension a été uniformément décalée de deux ans pour tous les régimes de retraite.

Ainsi, l’âge d’ouverture du droit à la retraite a été relevé de 60 à 62 ans à l’horizon 2018 pour les générations nées après le 1er janvier 1956, tant pour le régime général que pour les catégories sédentaires de la fonction publique. La limite d’âge, à savoir l’âge auquel une retraite est attribuée « à taux plein » même en l’absence de la durée d’assurance nécessaire, a quant à elle été portée de 65 à 67 ans suivant des modalités différentes entre secteur public et secteur privé.

La situation de nos finances publiques dans le contexte de l’actuelle crise financière a conduit le Gouvernement à engager une accélération du calendrier de relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite sans décote. Il a donc présenté, dans le cadre de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, un amendement appliquant le relèvement de deux ans une génération plus tôt. Le calendrier de relèvement de la limite d’âge est accéléré dans les mêmes conditions : la limite d’âge pour les fonctionnaires passera ainsi à 67 ans dès la génération 1955.

L’accélération du calendrier de relèvement de l’âge d’ouverture des droits des magistrats de 60 à 62 ans se fera dans le cadre général du PLFSS. En revanche, s’agissant de la limite d’âge, une loi organique est nécessaire, en application de l’article 64 de la Constitution, qui dispose qu’« une loi organique porte statut des magistrats ». La limite d’âge fait, en effet, partie intégrante du statut des magistrats.

L’article 1er du présent projet de loi organique a donc pour objet de faire application aux magistrats du dispositif adopté pour les fonctionnaires. L’âge de départ à taux plein sera fixé à 67 ans pour les magistrats nés en 1955, étant précisé que cet âge est relevé de manière croissante pour ceux nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1954 à raison de quatre mois par génération pour les assurés nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1951 et à raison de cinq mois par génération pour les assurés nés entre le 1er janvier 1952 et le 31 décembre 1954.

La semaine dernière, lors de la discussion du texte devant la commission des lois, le Gouvernement a en outre décidé de déposer quatre amendements portant articles additionnels et touchant à la carrière des magistrats. Il s’agit de dispositions contenues dans le projet de loi organique relatif au statut des magistrats déposé le 27 juillet 2011. Compte tenu de l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire, il n’y avait que peu de chance que ce texte soit soumis à notre discussion d’ici à la fin de cette législature. Il paraissait donc opportun que ces amendements relatifs au statut des magistrats soient discutés dans le cadre du présent projet de loi organique ; d’autant que les dispositions en question avaient d’ores et déjà fait l’objet d’une concertation avec les principaux syndicats de magistrats. Le rapporteur que je suis a donc donné un avis très favorable à l’ensemble de ces amendements qui ont été adoptés par la commission.

Il s’agit, tout d’abord, d’aménager le régime des magistrats placés en mettant fin aux difficultés apparues à la suite d’arrêts récents du Conseil d’État. Pour ce faire, le nouvel article 2 du texte soumis à notre discussion vise tout d’abord à exclure de la priorité d’affectation les emplois qui correspondent à des fonctions d’encadrement intermédiaire requérant des profils particuliers. La jurisprudence du Conseil d’État n’était pas satisfaisante en la matière puisque des magistrats n’ayant démontré aucune capacité particulière d’encadrement et d’animation au cours de leur carrière pouvaient prétendre, du fait de la priorité d’affectation qui fait suite à une période de placement de deux années, à des postes d’encadrement intermédiaire.

Le nouvel article 2 prévoit, d’autre part, d’augmenter la durée maximum d’exercice des fonctions de magistrat placé. Récemment, le Conseil d’État a considéré que la limitation à six années de l’exercice des fonctions de magistrats placés devait s’étendre sur l’ensemble de leur carrière. Il s’agit de revenir sur cette jurisprudence en assouplissant cette contrainte et en faisant en sorte que ces fonctions puissent être exercées dans la limite de six années consécutives et de douze années sur l’ensemble de la carrière. Ce nouvel encadrement des fonctions de magistrat placé répond ainsi aux vœux de certains magistrats mais aussi aux besoins des juridictions.

La commission des lois a également adopté, sur proposition du Gouvernement, une disposition visant à réduire la proportion d’anciens magistrats référendaires à la Cour de Cassation devant être nommés aux fonctions de conseiller ou d’avocat général à la Cour. Actuellement cette proportion est de un sur quatre, ce qui a pour conséquence de pénaliser de brillants candidats aux fonctions de la Cour de Cassation qui n’ont pas été référendaires dans cette même juridiction. Par ailleurs, il peut arriver que l’on ne trouve pas d’anciens conseillers ou avocats généraux référendaires présentant le profil requis pour prétendre à une telle nomination. Le nouvel article 4 du projet de loi organique propose donc de diminuer la proportion d’anciens magistrats référendaires en la faisant passer de un sur quatre à un sur six.

Autre sujet abordé lors de la discussion en commission : la compétence du comité médical national créé par la loi organique du 5 mars 2007 pour connaître des demandes de placement d’office en congé maladie des magistrats. La rédaction de cette loi organique datant de 2007 privait ces dispositions de toute application. Conscient de ces difficultés, le Gouvernement a fait adopter en commission un amendement visant, d’une part, à expliciter la compétence du comité médical national en matière de congé longue durée et, d’autre part, à créer un comité médical national d’appel. Tel est l’objet du nouvel article 5.

Enfin, le Gouvernement a souhaité saisir l’opportunité de la discussion de ce texte sur le statut des magistrats pour lever les contraintes qui pèsent sur la mobilité statutaire. Tel est l’objet du nouvel article 6 du présent projet de loi organique qui aménage l’obligation, faite par la loi organique de 2007, d’effectuer une mobilité statutaire avant d’accéder aux emplois hors hiérarchie. Trois types de difficultés se posaient, cet article permettra de les lever.

La durée de cette période de mobilité constitue une première difficulté : d’un an, renouvelable une fois, elle n’est adaptée ni aux fonctions pouvant être exercées dans le cadre de la mobilité externe ni aux contraintes du calendrier de nomination des magistrats. Le texte propose donc d’étendre cette période à deux ans.

Le champ de la mobilité statutaire, actuellement trop limité, constitue une deuxième difficulté. Le texte adopté en commission permettra de remédier à ce constat en offrant aux magistrats la possibilité d’accomplir leur mobilité statutaire auprès des juridictions administratives, financières ou internationales. Cette nouvelle possibilité se justifie d’autant plus que la majorité des détachements de magistrats s’effectue actuellement au sein de ces institutions. Cela représente pour les intéressés un véritable dépaysement, que ce soit par la nature du contentieux traité ou par l’environnement de travail.

Enfin, le nouvel article 6 lève une troisième contrainte qui pèse sur la mobilité statutaire en précisant que les services accomplis au titre de cette mobilité sont assimilés à des services effectifs dans le corps judiciaire.

Voilà pour ce qui concerne les amendements du Gouvernement adoptés en commission auxquels j’apporte tout mon soutien.

Je ne reviens pas sur la question des décorations publiques. Dans le cadre de la réunion de la commission qui s’est tenue, au titre de l’article 88 du Règlement, en début d’après-midi, nous avons accepté un amendement de suppression de la disposition qui avait été introduite dans le projet de loi organique sur l’initiative de M. Dosière. C’est une bonne chose car nos magistrats auraient probablement mal ressenti cette démarche…

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Philippe Gosselin. C’était vexatoire !

M. François Vannson, rapporteur. En plus d’être vexatoire, cela aurait pu créer un certain malaise au sein d’un grand corps de l’État.

En guise de conclusion, je tiens, monsieur le ministre, à vous remercier d’avoir saisi l’opportunité de l’inscription de ce projet de loi organique à l’ordre du jour de notre assemblée pour enrichir le texte d’un certain nombre d’avancées concernant le statut des magistrats. J’espère que l’Assemblée adoptera ce texte afin que ces dispositions entrent en vigueur dans les plus brefs délais. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du Règlement.

La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Madame la présidente, monsieur le ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, lors de son dépôt devant notre assemblée, le projet de loi organique que nous examinons concernait l’âge limite de la retraite des magistrats qu’il portait de 65 à 67 ans – l’âge limite devant être entendu comme l’âge à partir duquel aucune décote n’intervient pour le calcul de la pension de retraite. Ce texte simple aurait pu faire l’objet d’un examen rapide. Nous nous serions opposés à son adoption au motif que nous sommes opposés au report de l’âge de départ à la retraite.

M. Philippe Gosselin. C’est logique !

M. Dominique Raimbourg. Cette dernière question fera sans aucun doute l’objet d’un des grands débats politiques qui se dérouleront au printemps prochain, à l’occasion de l’élection présidentielle.

Nous aurions ajouté que ce report n’allait pas sans difficultés pour la magistrature et qu’il n’était peut-être pas très opportun de prolonger inutilement… « Inutilement », le mot est malheureux. Disons plutôt artificiellement.

M. Michel Hunault. « Inutilement » : ce serait une insulte ! (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. M. Raimbourg a rectifié de lui-même.

M. Dominique Raimbourg. Il ne serait donc peut-être pas très opportun de prolonger artificiellement la carrière des magistrats sachant qu’un magistrat en fin de carrière est mieux payé – ce qui est normal – qu’un magistrat en début de carrière. Il est peut-être de l’intérêt des finances publiques de plutôt accélérer le recrutement de jeunes magistrats. J’ajoute que de nombreux magistrats se plaignent déjà des blocages dus à la pyramide des âges. En raison de recrutements qui furent assez importants il y a quelques années, il est aujourd’hui difficile de progresser à la hauteur de son talent car les postes supérieurs de la hiérarchie, les postes dits « HH », hors hiérarchie, sont tous occupés. Or la réforme que nous mettons en place va empêcher que ces postes se libèrent, ce qui aurait pu permettre une certaine respiration du corps. Je veux m’exprimer avec délicatesse : il n’est pas question pour moi de dire qu’il faut abréger la vie professionnelle des magistrats en fin de carrière. Il existe d’ailleurs pour la magistrature des possibilités de poursuivre dans des fonctions différentes.

Si nous avions discuté du projet de loi organique dans sa version initiale, nous aurions parlé d’une application mécaniste de la réforme des retraites, et nous aurions demandé son renvoi en commission. Mais, pour ce qui concerne le texte qui nous est soumis, nos objections vont encore plus loin.

En effet, nous avons vu arriver des cavaliers…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ah non !

M. Dominique Raimbourg. Ces cavaliers qui surgissent de la nuit et qui se sont élancés vers le texte au galop (Sourires) sont tout simplement inconstitutionnels.

Les ajouts au texte initial sont, à mon sens, sans rapport avec la retraite des magistrats. Le Conseil constitutionnel pourra donc censurer le projet de loi organique au motif que certaines dispositions introduites n’ont rien à voir avec l’objet du texte.

Quatre amendements du Gouvernement ont été adoptés en commissions. Trois d’entre eux sont des cavaliers qui ne posent aucun problème : ils concernent la mobilité des magistrats, les compétences du comité médical national et la création du comité médical national d’appel, et le quota d’affectation des conseillers non référendaires à la Cour de Cassation. Ce sont des dispositions techniques et complexes dont l’adoption nous paraît nécessaire.

Il n’en est pas de même de l’amendement du Gouvernement relatif au délai maximum pour l’emploi d’un magistrat placé. Sans vouloir réduire la dignité de la fonction, je rappelle que, dans les faits, un magistrat placé est un magistrat « volant » ou intérimaire qui fait office de remplaçant lorsqu’un poste est vacant au sein d’une cour d’appel. Ces magistrats sont absolument nécessaires. La souplesse de leur affectation permet aux juridictions de travailler dans de bonnes conditions, de remplacer des magistrats absents pour cause de congé maladie ou de congé maternité, ou d’occuper un poste temporairement non pourvu faute de candidats.

En revanche, en limitant la durée maximale d’exercice de ces fonctions à six ans consécutifs et, surtout, à douze ans sur l’ensemble de la carrière, on renforce la précarité. Ce faisant, on touche à l’inamovibilité et donc, indirectement, à l’indépendance de la magistrature, car l’impossibilité de changer l’affectation d’un magistrat sans son accord est une des garanties de cette indépendance. Ce point justifie donc également un renvoi du texte en commission.

Par ailleurs, les quatre amendements gouvernementaux portant sur le statut de la magistrature sont issus d’un projet de loi organique en attente d’examen, qui comporte également des dispositions relatives aux juges de proximité, lesquels, je le rappelle, ont été créés par une loi organique de 2003 modifiant l’ordonnance de 1958 portant statut de la magistrature. Actuellement, les juges de proximité, qui aident les magistrats de plein exercice – et il n’y a là rien de péjoratif pour les premiers –, ne peuvent, aux termes de l’article 41-19 de l’ordonnance de 1958, exercer plus de sept ans. Or, leur création datant de 2003, bon nombre d’entre eux arrivent à la fin de cette carrière extrêmement courte de sept ans. Le projet de loi organique initial prévoyait de porter la durée maximale de leurs fonctions à deux fois cinq ans, soit dix ans. En s’abstenant de faire voter ce texte, on se prive donc de juges de proximité en poste et dotés d’une certaine expérience. Cette difficulté supplémentaire justifie, là encore, le renvoi du texte en commission afin qu’il soit amélioré.

Enfin, je veux dire un mot d’un amendement, déposé par M. Dosière et cosigné par d’autres membres du groupe SRC, dont moi-même, visant à introduire dans le statut de la magistrature l’interdiction pour les magistrats de recevoir certaines décorations, telles que la légion d’honneur et le mérite. Cette interdiction, qui frappe les parlementaires, est un hommage à la magistrature, car il s’agit de souligner la nécessité de son indépendance. Il est donc tout à fait extraordinaire de qualifier cette mesure de vexatoire.

M. Michel Hunault. Elle l’est !

M. Dominique Raimbourg. En tout état de cause, cette question fera partie du débat public qui animera la campagne présidentielle. Je pense notamment au statut du parquet et à la nécessaire interdiction des instructions individuelles ou à la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature. En effet – et ce n’est pas une attaque contre vous, monsieur le ministre –, jamais la magistrature n’aura été traitée avec autant de désinvolture – et le mot est faible – que durant ce quinquennat. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Philippe Gosselin. Monsieur Raimbourg, vous êtes modéré, d’habitude !

M. Dominique Raimbourg. Cet hommage à la magistrature est donc bien nécessaire. Mais, encore une fois, cette question fera l’objet d’un débat lors de la campagne présidentielle, qui nous occupera ce printemps.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles je vous demande de voter cette motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cette motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. Mon intervention sera brève, madame la présidente. Je ne veux pas rallonger les débats et je m’exprimerai plus longuement dans la discussion générale.

Nous avons largement débattu, en commission, de ce texte dont je rappelle qu’il a pour objet d’appliquer mécaniquement à la magistrature la réforme des retraites prévue pour les trois fonctions publiques. Il nous faut en effet traduire, sans précipitation, sereinement, cette évolution dans le statut des magistrats. Il n’y a donc pas lieu de renvoyer le texte en commission.

Quant à la question de l’indépendance du parquet, de la magistrature ou, de façon plus générale, de la justice, elle sera en effet un élément du débat présidentiel ; nous aurons donc l’occasion d’y revenir. Je dirai quelques mots, dans la discussion générale, de l’amendement de notre collègue Dosière, qui vise à interdire aux magistrats de recevoir certaines décorations. Il s’agit d’une mesure vexatoire et inutile. Ou alors retirons leurs décorations à nombre de hauts fonctionnaires et de personnels civils et militaires ! De toute façon, ce n’est pas l’objet du débat de ce jour.

Pour ces différentes raisons, le groupe UMP ne votera pas la motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Michel Hunault. Manifestement, le parti socialiste est embarrassé. Notre excellent collègue Raimbourg, qui connaît bien les questions de justice, apparaît en effet bien esseulé : il est le seul membre du groupe SRC à être présent en séance publique.

Cher collègue Raimbourg, le texte que nous examinons vise à améliorer le statut des magistrats. Vous dénoncez des cavaliers législatifs, mais, s’ils apportent une amélioration, peu importe. On peut être dans l’opposition et reconnaître les avancées proposées par le Gouvernement.

Par ailleurs, vous voulez interdire l’attribution de certaines décorations aux magistrats. En tant qu’ancien avocat, renommé, vous connaissez pourtant les mérites de ces derniers, qui vouent leur vie à la justice. Pourquoi vouloir les priver de toute distinction ? Cette question fera partie du débat présidentiel, dites-vous. Chiche ! Nous aurons en effet l’occasion, dans les mois qui viennent de faire le bilan de cette législature ainsi que de la précédente. Nous pourrons ainsi évoquer l’augmentation du budget de la justice – vous vous êtes opposés à tous les textes – ou les avancées dont ont bénéficié les garanties individuelles. Surtout, je veux saluer, au nom de mes collègues du groupe du Nouveau centre, M. le garde des sceaux, qui a le désir personnel d’améliorer les conditions de travail et le recrutement des magistrats, dont la mission est difficile et le rôle essentiel pour la cohésion de notre pays.

Aussi avez-vous eu, mon cher collègue, des mots malheureux – qu’il faut sans doute mettre sur le compte de l’improvisation – en évoquant l’âge des magistrats qui, en fin de vie, coûteraient plus cher aux finances de la nation. Ces mots, qui resteront au Journal officiel, sont quelque peu vexatoires et déplacés lorsqu’on sait la noblesse de la fonction des magistrats.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique dont nous débattons vise à appliquer aux magistrats l’accélération du calendrier de la réforme des retraites prévue pour les agents des trois fonctions publiques. La situation de nos finances publiques, dans le contexte de crise financière que nous connaissons, nous a en effet conduits à engager cette accélération et à annuler le dispositif de la décote. Ce faisant, nous avons tenu un discours réaliste. C’est ce discours qui était attendu, et non les propositions oiseuses et démagogiques que nous avons entendues.

Le Gouvernement a présenté, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, un amendement appliquant le relèvement de deux ans une génération plus tôt. Nous avons ainsi décidé que la limite d’âge des fonctionnaires passerait à soixante-sept ans dès la génération 1955. Cet amendement s’applique déjà aux magistrats pour ce qui concerne l’âge d’ouverture des droits. En revanche, s’agissant de la limite d’âge, qui fait partie intégrante de leur statut, une loi organique est juridiquement indispensable. Certes, l’impact de cette réforme sur les départs à la retraite des magistrats sera limité, mais elle se traduira nécessairement par une diminution des dépenses de pensions des agents de l’État – et c’est accessoirement le but recherché.

Surtout, si le groupe UMP s’apprête à voter ce texte, c’est parce qu’il va simplement dans le sens de l’équité attendue. Ce projet de loi n’est en effet qu’une application mécanique à la magistrature d’un dispositif déjà voté. Afin que la mesure s’applique aux magistrats de l’ordre judiciaire, une loi organique est nécessaire, d’où ce projet de loi. En effet, afin de garantir l’indépendance de la justice, l’article 64 de notre Constitution dispose qu’« une loi organique porte statut des magistrats ».

Mes chers collègues, il s’agit uniquement d’acter cette évolution ; le débat politique a déjà eu lieu ; c’est, du reste, la raison pour laquelle un renvoi du texte en commission ne se justifie pas. Il fallait sauver notre système de retraite par répartition et réaliser des économies supplémentaires dans le cadre de la maîtrise des dépenses publiques ; nous l’avons fait. Il ne s’agit donc ici que d’une application formelle, afin d’aligner le régime applicable aux magistrats sur celui des autres fonctionnaires. D’ailleurs, la limite d’âge des magistrats a connu, au cours des cinquante dernières années, les mêmes évolutions que celle de l’ensemble des agents de l’État, et il serait injuste que les magistrats ne participent pas à l’effort collectif.

Ainsi, le dispositif laisse inchangée la limite d’âge précédemment fixée pour les magistrats nés avant le 1er janvier 1952. En revanche, pour les magistrats nés à compter de cette date, l’accélération du relèvement de la limite d’âge interviendra à raison d’un mois pour ceux nés en 1952, de deux mois pour ceux nés en 1953, de trois mois pour ceux nés en 1954 et de quatre mois pour ceux nés en 1955. La limite d’âge à soixante-sept ans s’appliquera pleinement pour les magistrats nés à compter de 1955.

Par ailleurs, sur proposition du Gouvernement, la commission des lois a introduit dans ce projet de loi organique les articles 2, 4, 5 et 6 nouveaux. Je récuse évidemment le terme de cavaliers législatifs, qu’il aurait fallu signer d’« un Z qui veut dire Zorro », si j’ai bien compris notre collègue Raimbourg. Je remarque, du reste, que celui-ci a quitté l’hémicycle et que, de ce fait, les bancs de l’opposition sont vides : cela valait la peine de défendre une motion de renvoi en commission…

Ces articles nouveaux, relatifs au statut de la magistrature, sont, et je le dis sans risque d’être contredit par l’opposition – j’enfonce le clou – des dispositions d’ajustement, qui répondent notamment à la jurisprudence du Conseil d’État et présentent des avancées réelles pour le statut de la magistrature. Ces dispositions sont d’ailleurs présentes dans le projet de loi organique relatif au statut de la magistrature, qui a été enregistré à la présidence de l’Assemblée le 27 juillet 2011. Toutefois, celui-ci risque de ne pouvoir être examiné par les deux chambres avant la fin de la législature. Il convenait donc d’introduire ces mesures dans le texte qui nous est soumis, car, quoi qu’on en dise sur les bancs de l’opposition, elles sont attendues par les magistrats.

Ainsi, l’article 5 nouveau permettra la création effective du « comité médical national » propre aux magistrats, dont le décret d’application ne peut être pris en l’état actuel du droit. L’article crée également un comité médical national d’appel, spécifique aux magistrats, afin de contester, toujours dans une logique d’équité par rapport aux autres agents publics, les avis du comité médical national.

Autre exemple : l’article 6 nouveau vise à assurer la réussite de l’obligation de mobilité, prévue pour l’accès aux emplois hors hiérarchie. En redéfinissant l’objet de la mobilité statutaire, l’article permet aux magistrats d’accomplir leur mobilité auprès de juridictions administratives, financières ou internationales, qui sont actuellement les principales destinations des détachements. Par ailleurs, l’article porte à deux ans la durée de cette période de mobilité statutaire, au lieu d’un an renouvelable une fois. Enfin, il précise que les services accomplis au titre de la mobilité statutaire sont assimilés à des services effectifs dans le corps judiciaire. Il s’agit notamment de favoriser la mobilité vers le secteur privé, conformément à l’esprit de la réforme de 2007.

Enfin, je veux évoquer une disposition qui, bien qu’elle puisse paraître anecdotique aux yeux de certains, est toutefois source de polémique : la commission des lois a adopté un amendement de notre très estimé collègue René Dosière qui, toujours prêt à pourchasser les abus – ce qui l’amène parfois à vouloir défendre l’indéfendable –, propose d’interdire aux magistrats de l’ordre judiciaire, pendant et au titre de leurs fonctions, de recevoir la Légion d’honneur, la médaille militaire ou la médaille de l’ordre national du Mérite.

Garantir l’indépendance de la justice par rapport à l’exécutif est, certes, un objectif louable, mais je ne suis pas certain que cette disposition y contribue. Non seulement les magistrats sont déjà soumis à des règles de déontologie, mais par ailleurs, en adoptant cette disposition, nous n’avons pas respecté l’équité que ce texte entend porter. En effet, la disposition votée ne concerne que les magistrats judiciaires. Or, la question de l’indépendance se poserait dans les mêmes termes pour l’ensemble des agents publics placés en situation de juger, à commencer par ceux qui jugent les actes des personnes publiques ou les agents eux-mêmes, comme les membres des juridictions administratives ou les magistrats financiers, mais aussi les membres des autorités administratives indépendantes ou encore les juges non professionnels que sont les conseillers prud’homaux, les juges consulaires et les juges de proximité.

Du reste, introduire la médaille militaire dans le débat paraît totalement déplacé, puisque l’attribution de cette décoration répond à des critères très précis : ne peuvent la recevoir que les sous-officiers et les maréchaux de France, en récompense d’actions d’éclat au combat. Cela n’a strictement rien à faire dans un texte portant réforme de la retraite des magistrats ! C’est la raison pour laquelle il me semble opportun de revenir sur cette disposition au demeurant totalement vexatoire, comme je le disais tout à l’heure.

À l’exception de cet amendement adopté par la commission des lois, sur lequel je souhaite que l’on revienne, le groupe UMP soutient totalement le texte proposé, un texte d’équité qui permettra, par un effet mécanique, de faire rentrer les magistrats dans le droit commun de la retraite – ni plus, ni moins. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été fort bien dit par M. le garde des sceaux, M. le rapporteur et notre collègue Gosselin, nous débattons, un an après la réforme des retraites, d’un projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire, la question étant de savoir s’il est opportun de relever cette limite d’âge.

Les dispositions que le Gouvernement nous propose de voter découlent de la loi portant réforme des retraites qui, dans une démarche de responsabilité vis-à-vis des générations futures, et afin d’assurer l’équilibre financier du système, avait, d’une part, relevé de 60 à 62 ans l’âge d’ouverture de droits à la retraite en 2018 et, d’autre part, relevé l’âge auquel est attribuée une retraite à taux plein. Cette réforme avait, je le rappelle, recueilli l’approbation unanime des députés du Nouveau Centre.

Suite à cette réforme, un projet de loi organique, adopté par notre assemblée l’an passé, avait reculé la limite d’âge des magistrats de deux années. Afin de garantir le maintien de l’indépendance de l’autorité judiciaire contre des modifications de circonstance, la Constitution prévoit, en son article 64, de recourir à un projet de loi organique distinct lorsqu’il s’agit de modifier le statut des magistrats et leurs limites d’âge. C’est là une garantie fondamentale de l’indépendance des magistrats, ce qui justifie que la commission des lois ait été saisie de ce texte.

Le projet de loi organique que nous examinons ne remet pas en cause la limite d’âge prévue par la loi du 10 novembre dernier, mais en modifie le calendrier. En effet, elle vise à appliquer aux magistrats l’accélération proposée récemment par le Gouvernement dans le cadre de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 du calendrier de relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite. Ainsi, la limite d’âge à 67 ans s’applique désormais pleinement pour les magistrats nés à compter de 1955.

L’article 1er de ce texte définit donc les modalités d’élévation progressive de la limite d’âge pour les magistrats nés après 1952. En revanche, il ne porte pas sur l’âge d’ouverture des droits à pension des magistrats, qui demeure, je le rappelle, fixé à 62 ans, conformément à la loi portant réforme des retraites. Je vous confirme, monsieur le garde des sceaux, que les députés du Nouveau Centre voteront cette réforme.

Je veux saluer le choix du Gouvernement d’avoir fait figurer dans ce projet de loi des dispositions qui me paraissent très utiles – contrairement à notre collègue Raimbourg, qui n’y voit que des cavaliers législatifs. Ainsi, les dispositions visant à la mobilité des magistrats, à la création d’un comité médical, à l’accès à la Cour de cassation, constituent très objectivement, des progrès attendus pour les magistrats.

M. Philippe Gosselin. Bien sûr !

M. Michel Hunault. Pour justifier l’opposition du groupe socialiste au texte, M. Raimbourg a évoqué l’indépendance des magistrats. Monsieur le garde des sceaux, les débats relatifs aux élections présidentielle et législatives vont nous donner l’occasion d’évoquer cette question. Pour ma part, je considère que c’est faire injure à l’ensemble des magistrats de France que de remettre sans cesse en cause leur indépendance. La mission confiée aux magistrats, consistant à appliquer la loi, est extrêmement difficile. Les magistrats du parquet veillent, en ce qui les concerne, à l’uniformité de l’application de la politique pénale voulue par le Gouvernement et la majorité. Je crois que remettre systématiquement en cause leur indépendance équivaut à les insulter.

Je me réjouis que l’amendement visant à faire des magistrats la seule catégorie de Français ne pouvant avoir l’honneur de se voir décerner certaines décorations par la République – notamment l’ordre de la Légion d’honneur ou l’ordre national du Mérite – soit retiré. Le dévouement de ces hommes et de ces femmes, contribuant à assurer la cohésion de la Nation, n’est plus à démontrer, eux qui, bien souvent, ont accompli 35 heures de travail dès le mercredi – et en font évidemment autant durant la deuxième moitié de la semaine –, eux qui permettent que des audiences se tiennent jusque tard le soir, avec le concours des greffiers.

Le texte que nous examinons a pour objet de régler un problème difficile, celui consistant à assurer la pérennité des retraites. Il me semble que, dès lors, nos collègues de l’opposition auraient été bien avisés de montrer davantage de prudence. Qui a eu le courage de mettre en œuvre une réforme des retraites au cours des dix dernières années, si ce n’est l’actuelle majorité ? Cette réforme a pour objet de préserver le financement du système de retraite par répartition, dans lequel les personnes qui travaillent payent la retraite de ceux qui ne travaillent plus.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. Michel Hunault. En Europe, des gouvernements socialistes qui avaient remis en cause le nombre de fonctionnaires, abaissé le montant des pensions, retardé l’âge de la retraite, ont été balayés par les électeurs. Vous, monsieur le garde des sceaux, pouvez être fier de disposer d’une majorité qui vous défend. Nous aurons, dans les semaines à venir, un débat devant le peuple français, qu’il n’est sans doute pas inutile de commencer dès maintenant, dans notre hémicycle. C’est pourquoi, au nom du groupe Nouveau Centre, je vous apporte notre soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi organique a pour objectif d’étendre l’accélération de la funeste réforme des retraites aux magistrats de l’ordre judiciaire.

M. Philippe Gosselin. La réforme des retraites n’a rien de funeste !

M. Jean-Jacques Candelier. Cette nouvelle entaille dans le droit à la retraite devait-elle être immédiatement appliquée aux magistrats, qui ne sont que 8 500 en France ?

M. Philippe Gosselin. Et alors ? Il n’y a pas de raison pour qu’ils fassent exception !

M. Jean-Jacques Candelier. L’examen de ce texte nous donne l’occasion de redire notre opposition la plus totale à l’accélération du recul de l’âge de départ à la retraite, que ce gouvernement a fait passer par des amendements au PLFSS.

Alors même que la réforme des retraites de 2010 a fait de la France le pays le plus sévère d’Europe en la matière…

M. Guy Geoffroy. Allons !

M. Jean-Jacques Candelier. Si vous n’êtes pas d’accord avec ce que j’affirme, je vous invite à me donner des exemples montrant que j’ai tort !

Alors même, disais-je, que la France est devenue le pays le plus sévère d’Europe en matière de retraites, vous trouvez le moyen d’enfoncer encore un peu plus la tête des salariés sous l’eau !

Parce qu’elle couple le recul des bornes d’âge avec l’allongement de la durée de cotisation, cette réforme a assené un double coup sur la tête des Français. Elle conduira, à terme, à un appauvrissement général de la population, excepté pour la minorité la plus riche et pour les gestionnaires des mutuelles privées, comme M. Guillaume Sarkozy. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Ah ! Ça faisait longtemps !

M. Jean-Jacques Candelier. C’est d’autant plus absurde que ceux-là mêmes qui devaient partir à la retraite sont les plus touchés par le chômage : en un an, le nombre de chômeurs de plus de 50 ans a augmenté de 14 %.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Jean-Jacques Candelier. Nous refusons de retarder l’âge de la retraite de manière générale au motif d’avancer celui de ceux qui ont un travail pénible. Nous refusons aussi l’idée de l’UMP consistant à prendre à ceux qui ont un peu pour épargner ceux qui ont beaucoup. Votre politique d’austérité conduit au tassement des retraites, à l’explosion de la précarité mais aussi à l’érosion de la croissance et de l’emploi ! Nos retraites sont sacrifiées pour une seule raison : l’obéissance aux marchés. Nous ne l’acceptons pas !

Au train où vont les choses, on peut maintenant craindre le pire. Quand aura lieu le prochain assaut contre les droits des salariés ? À quand le prochain plan de rigueur qui ne règle rien ? Quant au projet de loi que nous nous apprêtons à examiner, quelle sera sa durée de vie avant d’être rendu caduc par un nouveau recul des droits ?

Les magistrats de l’ordre judiciaire vont devoir travailler entre un mois et quatre mois de plus. Certes, ils ne font pas partie des catégories les plus fragilisées par votre politique, et sont épargnés par les difficultés que rencontrent la majorité des salariés du privé ayant atteint l’âge de 50 ans et étant sans emploi.

Si le statut des magistrats oblige le législateur à s’occuper de leur cas dans une loi à part,…

M. Philippe Gosselin. C’est juridiquement nécessaire !

M. Jean-Jacques Candelier. …nous considérons que la question des retraites forme un tout.

Le recul de l’âge de départ à la retraite des magistrats entraînera mécaniquement un allongement du temps passé dans chaque échelon et retardera donc l’accès aux échelons les plus élevés. Cette dilatation des échelons conduira inévitablement à une baisse du pouvoir d’achat tout au long de la carrière.

Il convient d’ailleurs de souligner que, selon l’Union syndicale des magistrats, et compte tenu du taux de remplacement particulièrement faible du corps judiciaire – aux alentours de 50 % seulement du dernier traitement –, l’économie opérée par le présent dispositif est « probablement nulle ». Le syndicat majoritaire, pourtant assez éloigné des positions exprimées par notre groupe – ce syndicat n’est pas vraiment connu pour ses sympathies communistes – n’hésite pas à aller plus loin, affirmant qu’« il est même possible que cette réforme soit en réalité plus onéreuse pour le budget global de l’État, ce qui est pour le moins paradoxal ».

Un autre sujet de mécontentement pour les magistrats et pour nous est l’urgence irrationnelle dans laquelle nous légiférons. Je tiens à signaler que le rapport n’était pas même pas lisible vendredi 9 décembre, à l’heure finale du dépôt des amendements sur ce projet de loi organique. Comment écrire la loi dans de bonnes conditions avec un tel calendrier, sans même que les documents de base soient accessibles ? C’est d’ailleurs symptomatique de l’incroyable précipitation ayant marqué l’élaboration de ce texte.

FO-Magistrats se demande ainsi « pourquoi recourir à la procédure d’urgence pour un texte dont certaines dispositions sont élaborées depuis plusieurs mois (…) si ce n’est pour limiter le temps consacré aux débats parlementaires ». L’USM enfonce le clou en s’étonnant « de l’ajout au dernier moment, et avec l’utilisation de la procédure accélérée, d’une partie des dispositions figurant dans le projet de loi organique de juillet dernier, dans un projet de loi organique à l’objet très différent ».

Les syndicats n’ont même pas été consultés sur le report de l’âge limite des magistrats, et encore moins sur les autres dispositions ajoutées en commission. Ainsi, vous profitez du présent texte pour faire passer pas moins de quatre réformes : une réforme du statut des magistrats placés ; une réforme de la règle dite des 25 %, qui prévoit une priorité d’affectation à la Cour de cassation des anciens conseillers et avocats généraux référendaires à ladite Cour ; une réforme de la mobilité externe pour le passage hors hiérarchie ; enfin, une réforme du comité médical national. Il s’agit pour vous de faire passer ces dispositions à la va-vite, sans véritable débat, sans étude d’impact et en catimini.

À l’évidence, les articles 2 à 6 sont des cavaliers législatifs purs et simples – des cavaliers de l’ombre ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il sera intéressant de voir ce qu’en pense le Conseil constitutionnel, qui semble se pencher avec beaucoup d’attention sur ce genre d’articles sans rapport, même indirect, avec le sujet du projet de loi qui les « héberge ».

Au sujet de l’interdiction des décorations pour les magistrats au cours de leur carrière, votée en commission,…

M. Guy Geoffroy. C’était un amendement de la gauche !

M. Jean-Jacques Candelier. …tenons compte de la revendication du Syndicat de la magistrature. Celui-ci souhaite en effet que le législateur aille plus loin et proscrive « l’attribution de plusieurs autres hochets aux magistrats, au premier rang desquels les médailles de l’administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, surtout lorsqu’elles viennent “récompenser” ceux d’entre eux qui ont notamment pour mission de contrôler ces administrations ».

Quand on connaît la facilité avec laquelle l’exécutif offre la Légion d’honneur à ceux qui peuvent lui rendre des services – je peux vous donner des noms, si vous voulez, par exemple dans l’affaire Bettencourt (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) –, la disposition paraît salutaire.

M. Guy Geoffroy et M. Philippe Gosselin. Et Guérini ?

M. Jean-Jacques Candelier. Elle conforterait l’indépendance des magistrats. Pour moi, ce ne serait pas vexatoire ; ce serait encore moins une insulte. Mais ce point semble presque secondaire, face aux tensions qui règnent aujourd’hui dans le monde judiciaire. La Conférence nationale des procureurs de la République a rendu publique une résolution signée par 126 des 163 procureurs, ce qui représente quand même, monsieur le ministre, une proportion importante.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Candelier. Le texte, un appel de détresse sans précédent, clame « l’urgence de leur donner les conditions d’exercer dignement leurs nombreuses missions » et demande « la restauration de l’image de leur fonction, gravement altérée auprès de nos concitoyens par le soupçon de leur dépendance à l’égard du pouvoir exécutif ». Là aussi, je peux vous donner un nom ! Ils appellent à renforcer le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature sur les nominations. Aujourd’hui, celui-ci n’a qu’un avis consultatif sur les choix du garde des sceaux.

M. Philippe Gosselin. Cela fait un an que le garde des sceaux fait des auditions !

M. Jean-Jacques Candelier. Mais la question la plus urgente est celle des moyens de la justice, notamment ceux dont disposent les procureurs. La situation des juridictions, des établissements pénitentiaires et des services de la protection judiciaire de la jeunesse n’a jamais été aussi difficile. Il faut impérativement augmenter les effectifs…

M. Philippe Gosselin. Avec vous, il faut toujours augmenter les effectifs !

M. Jean-Jacques Candelier. …et allouer les moyens techniques et financiers nécessaires à l’accomplissement des missions de notre justice.

Cette ambition, qui fait si cruellement défaut à droite, est portée par notre groupe. Loin des plans de rigueur et de l’appauvrissement organisé du service public de la justice, nous défendons une justice capable d’exercer enfin ses missions et clairement indépendante de l’exécutif.

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, c’est donc avec conviction que les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre ce texte.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je voudrais d’abord remercier M. le rapporteur, M. Gosselin et M. Hunault, qui ont bien compris quelles étaient la portée et l’utilité de ce texte et qui ont indiqué qu’ils entendaient le soutenir.

S’agissant des cavaliers, monsieur Raimbourg, vous m’avez beaucoup étonné. Vous êtes d’habitude plus subtil.

M. Guy Geoffroy. Un peu de fatigue, peut-être ? (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Certes, il faut faire vite ce soir et vous vous êtes laissé aller à la facilité, ce que je regrette. Du coup, vous avez rejoint M. Candelier. Ce n’est pas bien ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Candelier. C’est l’ouverture !

M. Guy Geoffroy. Il va se ressaisir !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce texte a trait à la carrière des magistrats professionnels. La durée de travail nécessaire pour avoir droit à la retraite fait partie de ce sujet, de même que le comité médical et le placement. Ce ne sont donc pas des cavaliers. Si, à l’issue des premiers travaux de la commission, il y en avait un – et tel était bien le cas, en effet –, c’était celui introduit par l’amendement de M. Dosière,…

M. Guy Geoffroy. Qui cherchait à se remettre en selle ! (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. …rejoint malheureusement par M. Raimbourg, au sujet des décorations.

M. Jean-Paul Garraud et M. Michel Hunault. Eh oui !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous avez oublié de nous le dire, monsieur Raimbourg, alors que c’est l’exemple parfait du cavalier législatif.

M. Philippe Gosselin. Pourquoi M. Dosière n’est-il pas là aujourd’hui, d’ailleurs ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai donc bien senti, à ce moment-là, que vous aviez renoncé à être vraiment contre ce texte et que vous étiez content que la commission, réunie au titre de l’article 88 du règlement, ait souhaité supprimer ce cavalier.

Il est vrai que nous allons entrer dans la campagne des élections présidentielles et législatives. Il est tout à fait normal que la justice, grand service public, fasse l’objet de débats pendant cette campagne, qu’elle soit un sujet de campagne. Je souhaite simplement, monsieur Raimbourg, qu’elle reste un sujet et qu’elle ne devienne pas un instrument.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’espère que vous y veillerez plus sûrement que vous ne l’avez fait s’agissant des cavaliers. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi organique.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg pour soutenir l’amendement n° 3 visant à supprimer l’article 1er.

M. Dominique Raimbourg. Il est défendu. Je ne peux que reprendre les arguments évoqués dans le cadre de la motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Vannson, rapporteur. Cet amendement de suppression, qui a été rejeté par la commission, est peut-être cohérent avec votre position sur la réforme générale des retraites, mais, à mes yeux, il est surtout curieux. En effet, l’article 1er du projet de loi organique ne fait qu’appliquer aux magistrats une réforme qui trouvera à s’appliquer pour les fonctionnaires des trois fonctions publiques, en vertu du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. C’est une question de cohérence et d’équité. Les magistrats que j’ai entendus ne la contestent pas. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

(L’amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 1er est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 4 et 8, visant à supprimer l’article 2.

La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Dominique Raimbourg. J’ai souligné tout à l’heure que l’allongement de la durée des fonctions des juges placés pouvait porter atteinte à l’inamovibilité, ce qui remettait également en cause, indirectement, l’indépendance. Cette question n’ayant pas été tranchée, je ne trouve pas très opportun d’allonger la durée de placement pour les juges, étant précisé qu’aujourd’hui, sauf erreur de ma part, ils peuvent déjà être en fonction pour une durée de six ans, ce qui laisse toute la flexibilité nécessaire aux juridictions pour s’organiser, en fonction des postes vacants.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour défendre l’amendement n° 8.

M. Jean-Jacques Candelier. Comme je l’ai dit tout à l’heure, cet article est un cavalier législatif. La précédente réforme du statut des magistrats placés n’a pas fait l’objet d’une concertation avec les organisations représentatives. Rien ne semble pouvoir justifier son adoption au pas de charge.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Vannson, rapporteur. Ces amendements ont été repoussés par la commission. Les nouvelles dispositions proposées par le texte sont de nature à apporter plus de souplesse à nos juridictions. Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier que le régime des magistrats placés repose sur le volontariat.

M. Michel Hunault. C’est bien de le préciser !

M. François Vannson, rapporteur.Pour toutes ces raisons, nous sommes défavorables à ces amendements.

(Les amendements identiques nos 4 et 8, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

(L’article 2 est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1 et 2, tendant à supprimer l’article 3.

La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l’amendement n° 1.

M. François Vannson, rapporteur. Cet amendement a déjà fait l’objet de nombreuses prises de parole dans le cadre de la discussion générale. Il est très important de ne pas faire de discrimination entre les différents fonctionnaires de l’État. Je ne vois pas au nom de quoi nos magistrats ne pourraient plus avoir accès aux décorations telles que la Légion d’honneur et le Mérite. Ce serait, de plus, faire preuve de désinvolture à l’égard de ces deux ordres : ces décorations ne sont pas décernées à la légère. De même, ce n’est pas parce que les magistrats sont décorés qu’ils sont soumis au pouvoir en place.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Garraud pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Jean-Paul Garraud. Je souscris à ce que viennent de dire M. le rapporteur et M. le ministre concernant cette disposition. M. Dosière a réussi à faire passer en commission des lois un amendement visant à interdire à tout magistrat l’attribution de décorations, ce qui est une mesure totalement injuste et discriminatoire.

D’abord, il s’agit d’un véritable cavalier. Cette mesure, qui n’a d’ailleurs été soumise à aucune concertation, n’a strictement rien à voir avec le texte dont nous nous occupons, qui concerne la limite d’âge des magistrats. Il y a donc un fort risque d’inconstitutionnalité.

Ensuite, et au-delà de cela, je ne vois pas pourquoi les magistrats ne pourraient pas être récompensés de leurs mérites éminents. M. Dosière a prétexté que c’était une mesure visant à assurer plus d’indépendance et d’impartialité. Il a même pris l’exemple des parlementaires, qui ne peuvent effectivement se voir attribuer de décorations pendant leur mandat. Sauf que les parlementaires, à la différence des magistrats, n’exercent pas leur fonction à vie. Que je sache, il arrive d’ailleurs à nombre d’entre eux, une fois leur mandat terminé, de se voir attribuer quelques décorations.

En outre, cette mesure est discriminatoire à l’égard des magistrats de l’ordre judiciaire : s’il s’agit d’indépendance et d’impartialité, pourquoi M. Dosière oublie-t-il les magistrats de l’ordre administratif,…

M. François Vannson, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean-Paul Garraud. …les membres du Conseil constitutionnel et des autorités administratives indépendantes, les magistrats consulaires, les conseillers aux prud’hommes, ou encore les magistrats de l’ordre judiciaire détachés, qui, eux, pourraient se voir attribuer des décorations ?

M. Philippe Gosselin. Absolument !

M. Jean-Paul Garraud. Il y a vraiment là une inégalité flagrante par rapport aux autres personnes que l’on pourrait suspecter d’être dépendantes à la suite d’une décoration. C’est d’ailleurs très blessant et vexant pour les magistrats, qui ont une tout autre éthique.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement est bien entendu favorable à ces deux amendements de suppression.

D’abord, très honnêtement, cette affaire est traitée à toute vitesse, sans concertation et sans réflexion.

M. Philippe Gosselin. À la légère !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. En effet, monsieur Gosselin. S’il doit y avoir un débat sur cette question, ouvrons-le. Il faut que tout le monde soit concerné.

Ensuite, je voudrais dire que, très souvent, des décorations sont accordées aux magistrats qui ont risqué leur vie. De même, si je regarde la liste de la promotion de Pâques de la légion d’honneur, je trouve une vice-présidente du tribunal pour enfants d’Évry, qui a fait preuve, dans des situations dangereuses, d’un sang-froid extraordinaire. Elle est parvenue à éviter la défenestration d’une mère de famille ainsi que des suicides par ingestion de cachets. Il ne s’agit donc pas simplement de récompenser des carrières longues.

M. Philippe Gosselin. Ce qu’a d’ailleurs fait la gauche quand elle était au pouvoir !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Les magistrats sont très souvent placés dans des situations dangereuses où ils mettent en péril leur intégrité physique. Il est bien normal que la République reconnaisse cette situation.

M. Philippe Gosselin. Très bien !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. En raison, donc, du caractère un peu bâclé de la proposition qui a été adoptée par la commission,…

M. Philippe Gosselin. Un peu ? Vous êtes gentil ! Dites plutôt : totalement bâclée !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. …et du fait que l’on ne tient pas vraiment compte de ce que font en réalité les magistrats, le Gouvernement est tout à fait défavorable à la disposition introduite par MM. Dosière et Raimbourg, et très favorable aux amendements de MM. Vannson et Garraud.

Mme la présidente. Mes chers collègues, vous êtes nombreux à avoir demandé la parole sur ces amendements. Je vous demanderai donc de respecter scrupuleusement le temps qui vous est imparti.

La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Comme je me suis exprimé dans la discussion générale sur cette disposition, je serai bref. Je souhaiterais non seulement que l’on vote ces deux amendements – je fais miennes, à cet égard, les réflexions du garde des sceaux et des auteurs des amendements –, mais aussi que l’opposition, qui est à l’origine de la disposition en question, revienne sur sa position. Il faut que nous levions cette suspicion envers les magistrats.

M. Jean-Paul Garraud. Très bien !

M. Michel Hunault. L’unité de la représentation nationale peut conforter un corps professionnel. Il serait bon qu’il y ait un peu de sérénité ; nous devrions trouver un accord pour que ces amendements soient votés à l’unanimité.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Je voudrais faire quelques observations. Premièrement, mes chers collègues, M. Dosière m’a demandé de vous présenter ses excuses : il est actuellement en Centrafrique…

M. Jean-Paul Garraud et M. Guy Geoffroy. Il remet des décorations ? (Sourires.)

M. Dominique Raimbourg. …et ne peut donc pas être présent pour défendre cette disposition.

Deuxième observation, il s’agit là, non pas d’une disposition de MM. Dosière et Raimbourg, mais d’un texte de la commission des lois, dont nous avons su, à un moment donné, emporter l’adhésion.

J’en viens à ma troisième observation. M. Dosière, à qui vous avez reproché d’avoir oublié l’ensemble de la magistrature, n’a pas oublié l’ensemble des autres membres de la magistrature. Inclure les autres membres de la magistrature aurait été un cavalier puisque ce texte concerne les magistrats de l’ordre judiciaire.

M. Guy Geoffroy. C’est très spécieux !

M. Dominique Raimbourg. C’est peut-être spécieux, mais c’est juridiquement fondé.

J’ajouterai deux dernières observations de fond. L’amendement que vous appelez à tort « Dosière-Raimbourg » et que je préfère appeler l’amendement de la commission des lois prévoit que la magistrature ne doit pas recevoir de décorations.

C’est un hommage rendu à la magistrature et une manière de consacrer sa spécificité : la magistrature doit avoir un statut particulier en raison de la place particulière qu’elle occupe dans le corps social.

Cette disposition marque le début d’un ensemble de réformes qui feront l’objet d’une discussion à l’occasion de l’élection présidentielle et des élections législatives.

M. Candelier a raison de le rappeler, la situation est suffisamment grave pour que 126 procureurs sur 163 – alors que ce sont des hommes et des femmes très soucieux de l’intérêt général et de l’ordre public – s’inquiètent et demandent une réforme de leur statut. Nous sommes dans une situation difficile et la réforme est impérative.

M. Marc Dolez. Absolument !

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. J’ajouterai quelques mots sur cet article qui suscite beaucoup de réflexions.

Cet article propose de revoir les méthodes d’attribution de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite. Notre collègue Dosière a choisi de poser le débat de manière, certes, un peu abrupte. Je lui laisse la paternité de son amendement, et la tâche d’en exposer les motifs, qui ont pu choquer certains magistrats.

Si cet amendement contient des éléments de vérité, ces derniers ne concernent pas uniquement les magistrats : la course à la médaille existe partout. Je souscris toutefois pleinement à sa vision concernant les critères d’attribution des décorations – vaste sujet également.

Une immense majorité de nos compatriotes la partagent aussi. Dans l’esprit des Français, il faut mériter une décoration ; il ne suffit pas d’avoir simplement fait son métier. Or, on le sait tous, le critère essentiel pour obtenir une médaille est d’être recommandé par un organisme officiel ou d’être soi-même proche du pouvoir, malheureusement. (MM. Jean-Paul Garraud et Philippe Gosselin protestent.)

Il m’apparaît nécessaire de revoir le système d’attribution des décorations, en diminuant drastiquement les quotas, en les attribuant uniquement pour des faits exceptionnels et en rendant publics les faits qui les ont justifiées, afin de garantir la transparence.

En suivant cette voie, nous contribuerons à réduire le fossé qui nous sépare de la population, laquelle ne voit malheureusement dans certaines attributions que du copinage ou du renvoi d’ascenseur.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Je suis étonné des propos de notre collègue qui semble, confondre égalité, égalitarisme et nivellement par le bas.

Les distinctions et les ordres nationaux sont une façon de reconnaître les mérites tant civils que militaires. Si tous les régimes, monarchiques et républicains, les ont décernés, ce n’est pas un hasard. Les individus ont besoin d’être reconnus dans leurs fonctions.

Il serait temps de lever les suspicions. Les procès en sorcellerie faits par nos collègues sont désobligeants. Ils ne le sont pas à l’égard des parlementaires, puisque nous ne sommes pas susceptibles, à titre civil, d’être décorés. Et c’est pourquoi nous pouvons prendre position en toute indépendance et en toute transparence.

Je suis lassé, agacé et énervé par ces procès en dépendance faits aux magistrats. C’est leur faire insulte car l’immense majorité des magistrats sont indépendants et autonomes. Ces colifichets n’y changeront rien.

J’ajouterai une dernière remarque sur l’impréparation de l’amendement de M. Dosière qui espérait faire ainsi un bon coup. Il a d’ailleurs réussi à créer un certain émoi, la durée de nos débats sur ce point en témoigne.

Mettre la médaille ou des décorations militaires dans le même panier me semble tout à fait déplacé et irréfléchi. Je veux bien essayer de comprendre ce qui concerne les décorations civiles mais ce qui concerne les décorations militaires me semble encore plus déplacé.

L’exemple de la médaille militaire est assez probant : pour en être détenteur, il faut avoir accompli au front un certain nombre d’actions d’éclat. Par ailleurs, ces médailles sont réservées aux sous-officiers et aux maréchaux de France.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Garraud.

M. Jean-Paul Garraud. Monsieur Raimbourg, l’amendement Dosière est devenu le texte de la commission des lois. Mais la même commission des lois a voté l’amendement de M. Vannson et mon amendement.

Je citerai un fait précis dont j’ai été témoin. Il s’agit de l’action exemplaire d’un juge d’instruction qui avait été pris en otage, un couteau sous la gorge, par un détenu.

Avec beaucoup de courage, ce juge d’instruction, Christine Khaznadar, a pris la place de la greffière qui avait été prise en otage avant elle : elle a demandé au détenu de la prendre elle plutôt que sa greffière en otage. Nous avons ensuite réussi, avec les policiers, à maîtriser l’auteur de cette prise d’otage.

Christine Khaznadar, pour son courage, a reçu l’Ordre national du Mérite. Qui peut le contester ?

Avec la disposition que vous soutenez, elle ne l’aurait jamais eu, ce qui aurait été un scandale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

(Les amendements identiques nos 1 et 2 sont adoptés.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Article 4

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 6 et 9, tendant à supprimer l’article 4.

La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l’amendement n° 6.

M. Dominique Raimbourg. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour soutenir l’amendement n° 9.

M. Jean-Jacques Candelier. Il est défendu.

(Les amendements identiques nos 6 et 9, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

(L’article 4 est adopté.)

Article 5

Mme la présidente. Monsieur Raimbourg, peut-on considérer que l’amendement n° 5 tendant à supprimer l’article 5 a été défendu ?

M. Dominique Raimbourg. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n° 5, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 5 est adopté.)

Article 6

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 7 et 10.

Monsieur Raimbourg, l’amendement n° 7 est-il défendu ?

M. Dominique Raimbourg. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Monsieur Candelier, en est-il de même pour l’amendement n° 10 ?

M. Jean-Jacques Candelier. Oui, madame la présidente.

(Les amendements identiques nos 7 et 10, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

(L’article 6 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi organique.

(L’ensemble du projet de loi organique est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Protection de l’identité

Discussion, en deuxième lecture,
d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative à la protection de l’identité (nos 3887, 4016).

La parole est à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le texte qui revient aujourd’hui devant vous a déjà fait l’objet de débats approfondis et constructifs au Parlement au cours des précédentes lectures. Ces débats ont été récemment complétés par la décision du Conseil d’État sur le décret relatif au passeport informatisé et par l’avis rendu par la Commission nationale de l’informatique et des libertés sur cette proposition de loi.

Forts de ces débats, votre rapporteur et votre commission des lois sont parvenus, je crois, à un texte de synthèse et d’équilibre qui mérite votre attention autant que votre adhésion. Je veux en tout cas saluer la qualité de leur travail, et tout particulièrement remercier votre rapporteur Philippe Goujon pour son action constructive et vigilante.

Comme c’est la règle en deuxième lecture, je me concentrerai aujourd’hui sur ce qui fait encore débat, à savoir la base TES – titres électroniques sécurisés –, déjà utilisée pour les passeports et destinée à recenser, de manière unique et centralisée, les éléments d’état civil et les données biométriques fournis par chaque demandeur ou titulaire d’un titre d’identité.

Dans la droite ligne de la loi fondatrice du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, notre débat doit s’articuler autour de deux principes : celui de nécessité et celui de proportionnalité.

Savoir si cette base TES est nécessaire, c’est la question de fond. À droite comme à gauche, au Gouvernement, au Sénat comme ici à l’Assemblée, elle fait aujourd’hui l’unanimité. Tous, en effet, nous nous accordons sur la nécessité de mieux lutter contre l’usurpation d’identité, un fléau qui paralyse, chaque année, la vie de plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens en les privant du jour au lendemain de leurs droits sociaux, économiques, politiques et parfois même tout simplement d’éléments de leur liberté. Tous, nous constatons que l’usurpation d’identité est une délinquance en croissance, qu’elle est souvent la première étape avant la réalisation d’infractions très graves, et que, depuis 2005, nous recherchons ensemble le bon équilibre de mise en œuvre d’une carte d’identité électronique sécurisée intégrant des données biométriques.

Je ne reviendrai pas à nouveau sur les cas de tous ces Français empêchés de voyager, de louer un appartement ou d’inscrire leurs enfants à l’école parce qu’un fraudeur a accaparé leur identité. Je ne reviendrai pas non plus sur les cas de tous ceux qui, parmi eux, plongent dans la dépression en voyant non seulement leur vie paralysée, mais aussi leur nom sali par les activités frauduleuses ou illégales menées par leurs usurpateurs. Je ne reviendrai pas sur leur cas, mais je vous invite à avoir toutes ces vies et tous ces parcours douloureux à l’esprit au cours de notre discussion. Nous ne devons jamais perdre de vue notre objectif et notre devoir, qui sont de mieux les protéger.

La question de la nécessité réglée, reste celle de la proportionnalité : quelle architecture retenir pour la base TES afin de combiner efficacité dans la lutte contre l’usurpation d’identité et strict respect des libertés fondamentales ? C’est cette question qui est aujourd’hui au cœur de nos débats.

Trois points ont d’abord été précisés. La décision du Conseil d’État du 26 octobre dernier, relative au décret instituant le passeport biométrique, a permis de définir l’usage de la base TES. En effet, cette décision valide la création d’un fichier central des passeports en estimant que « la collecte des images numérisées du visage et des empreintes digitales des titulaires de passeports et la centralisation de leur traitement informatisé […] ne porte pas au droit des individus au respect de leur vie privée une atteinte disproportionnée ». D’autre part, elle limite à deux le nombre d’empreintes collectées puis enregistrées dans la base.

Dans la droite ligne de cette décision, le Gouvernement a proposé, par amendement au texte examiné en commission, de retenir pour la carte d’identité électronique cette même limitation à deux empreintes prélevées et enregistrées. Cela permet de garantir une proportionnalité entre les objectifs et les moyens, et met en cohérence le nombre d’empreintes enregistrées sur le titre et dans la base.

Deuxième précision : nous avons également confirmé la position concernant l’identification à partir de l’image numérisée du visage. Conformément à ce qui a été voté au Sénat, votre rapporteur a proposé à votre commission des lois d’exclure du traitement la reconnaissance faciale. Ce sujet est ainsi clarifié, comme l’avis de la CNIL le préconisait.

Enfin, nous avons limité les interconnexions entre les fichiers.

Nous avons ainsi voulu que soit explicitement inscrit dans la loi l’interdiction de croiser la base TES avec les autres fichiers ou recueils de données nominatives. Très concrètement, cela signifie que les données biométriques de la base, empreintes digitales ou images numérisées des visages, ne pourront pas être utilisées dans un traitement associant un autre fichier. À nouveau, cette limitation entre pleinement dans le champ des recommandations de la CNIL.

Mesdames et messieurs les députés, vous le voyez, ces points importants permettent de prendre en compte un équilibre renforcé au regard des garanties à apporter en termes de libertés publiques. Il convenait de les rappeler.

Le seul véritable point de débat qui demeure est à l’article 5 du texte que nous examinons. Il concerne la force du lien à établir entre les éléments d’état civil et les données biométriques au sein de la base TES et, en conséquence, les limitations de l’accès à cette base.

Faut-il privilégier une dégradation technique de la base, comme l’envisage le concept de « lien faible » ? Il s’agit d’un concept qui permet de constater une usurpation d’identité, mais pas de remonter à l’usurpateur. Ou faut-il un lien fort, qui permet de répondre aux objectifs de la loi, et, dans ce cas, quelles garanties juridiques d’accès à la base doivent être données ?

Tous ici, nous sommes d’accord pour dire que la lutte contre l’usurpation d’identité ne doit pas se faire au détriment des libertés fondamentales, et que l’exploitation des données contenues dans la base doit être encadrée de garanties solides.

Là où nous divergeons, c’est sur la nature de ces garanties. Pour certains, elles doivent être matérielles, c’est-à-dire qu’elles doivent prendre la forme d’une dégradation technique du fichier national en retenant une base à lien faible. Si, pour garantir les libertés publiques, nous étions amenés à opter pour une solution technique dégradée, voire impossible, nous abandonnerions tout simplement l’objectif que nous nous sommes fixé.

M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Absolument !

M. Claude Guéant, ministre. Je suis fermement opposé au lien faible, à ces prétendues « garanties matérielles », car elles ne sont absolument pas solides. Le lien faible est un leurre. Il n’a encore été mis en œuvre dans aucun pays. Il ne s’agit que d’un concept. L’entreprise à l’origine du lien faible s’est d’ailleurs clairement dédouanée auprès de l’Agence nationale des titres sécurisés en lui écrivant que « le lien faible est un concept qui n’a fait l’objet d’aucune réalisation opérationnelle à ce jour. Le passage du concept à un produit opérationnel nécessitera du temps et des investissements importants que nous n’avons pas précisément évalués à l’heure actuelle ».

Retenir le lien faible, c’est ainsi, à mon sens, non pas sécuriser nos titres d’identité, mais prendre un double risque, technique et financier. Il ne serait pas sérieux d’engager un projet aussi important pour nos concitoyens avec aussi peu de garanties.

En outre, comme je l’ai également souligné dans les débats précédents, cela reviendrait à instituer par la loi un avantage compétitif important, voire un monopole, au profit de la société détentrice du brevet. Ce serait bien évidemment en contradiction avec le droit européen de la concurrence.

Au-delà du manque de solidité du lien faible, c’est parce que j’estime, comme les auteurs de cette proposition de loi et votre rapporteur, que la protection des libertés fondamentales mérite d’être gravée dans la loi, et non subordonnée à un dispositif technique dégradé, que je défends aujourd’hui devant vous le développement de garanties légales. Cette confiance dans la force de la loi trouvera, j’en suis certain, un écho tout particulier auprès des parlementaires que vous êtes, investis du pouvoir législatif.

Ces garanties légales, proposées par un amendement du Gouvernement pour tenir compte de la décision du Conseil d’État du 26 octobre, mais aussi de l’avis de la CNIL, vont ainsi permettre de strictement limiter l’accès à la base TES et au traitement d’identification. Elles s’ajoutent aux garanties déjà présentes en application des obligations indiquées par la CNIL : traçabilité des accès, segmentation et sécurisation des données.

Le Gouvernement vous propose donc d’inscrire dans la loi la liste exhaustive des cas où l’identification à partir des empreintes digitales est autorisée. Cela permet ainsi de fixer par la loi une utilisation strictement dédiée de la base, de laquelle il sera impossible de sortir : premier cas, logiquement, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre afin d’en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne ; deuxième cas, sous contrôle du procureur de la République, dans le cadre des infractions pour usurpation d’identité, ce qui correspond à l’objectif initial de la loi ; troisième et dernier cas, toujours sous le contrôle du procureur, pour permettre l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophes naturelles. C’est un amendement de votre rapporteur, Philippe Goujon, auquel le Gouvernement souscrit pleinement.

Comme vous le constatez, ces garanties juridiques sont importantes. Elles entrent pleinement dans une réelle prise en compte des enjeux de ce texte concernant les libertés publiques. La restriction aux infractions liées à l’usurpation d’identité, sous le contrôle d’un magistrat, est une limitation substantielle qui assure la proportionnalité de la proposition de loi aux objectifs visés.

Mesdames et messieurs les députés, le texte issu des travaux de votre commission des lois inscrit dans notre droit les moyens de protéger l’identité de nos concitoyens sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales.

C’est un texte nécessaire et équilibré.

Au nom du Gouvernement et dans l’intérêt de nos compatriotes, je vous demande donc de le soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Hunault. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, notre assemblée est saisie, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative à la protection de l’identité.

Lors de sa deuxième lecture, le Sénat a adopté sans modification cinq articles.

Le 30 novembre dernier, votre commission des lois apportait des modifications substantielles au dernier article restant en discussion à ce stade, l’article 5.

Ce faisant, elle a voulu dépasser le clivage, devenu un blocage, entre les partisans d’une base à « lien faible », interdisant qu’un lien univoque soit établi entre une identité civile et les empreintes digitales de l’intéressé, et ceux d’une base à « lien fort », associant au contraire une identité à ses éléments biométriques.

Ce clivage reposait sur les craintes, parfois légitimes, et auxquelles il nous revenait en tout cas d’être particulièrement attentifs, d’un détournement – toujours possible – de l’usage du fichier central à des fins de recherche criminelle. Je rappelle que son principe même a été validé par le Conseil d’État le 26 octobre dernier, faisant dire à notre collègue Urvoas que l’existence d’un tel fichier n’était plus en débat.

M. Jean-Jacques Urvoas. Hélas !

M. Philippe Goujon, rapporteur. Ne revenez pas sur vos déclarations, monsieur Urvoas !

Il est bon de préciser de nouveau que le fichier des identités biométriques est un fichier administratif, absolument pas un fichier de police, et n’aurait été en toute hypothèse accessible aux services enquêteurs que dans le cadre de réquisitions judiciaires, comme pour tout fichier administratif – c’est la règle commune.

Reconnaissons par ailleurs que le système de la base « à lien faible » présente, le ministre l’a rappelé à juste titre, comme son inventeur lui-même l’a écrit dans une lettre adressée à votre rapporteur, une très faible fiabilité, et n’a de surcroît été mis en place dans aucun pays au monde. Israël, qui avait un temps envisagé son adoption, y a renoncé sur ce motif.

Le législateur ne saurait laisser à leur triste sort les quelque 100 000 victimes de fraude à l’identité, en adoptant un système volontairement dégradé qui ne garantira pas l’identification de leur usurpateur, alors qu’il existe un dispositif technique qui le permettrait. Souhaitons-nous entraver le travail de la justice ? Certes non ! Les victimes, en grande souffrance dans ce type d’affaires très complexes à démêler, ne le comprendraient pas et ne nous le pardonneraient pas…

En effet, n’oublions jamais, dans le débat qui nous rassemble ce jour, ni ces personnes dont la vie tourne au cauchemar, ni même la centaine de suspects qui seraient dérangés pour toute enquête visant à identifier parmi eux un seul usurpateur, avec le choix du « lien faible ».

Toutefois, il n’est pas non plus question, mes chers collègues, de rester sourds aux inquiétudes exprimées aussi bien par l’opposition qui siège sur les bancs de notre assemblée que par le Sénat, ni d’ignorer l’avis rendu par la CNIL et l’arrêt du Conseil d’État des 25 et 26 octobre derniers.

Nos collègues sénateurs nous ont fait part de leur crainte de voir le droit au respect de la vie privée mis en péril par l’accès des services enquêteurs à la consultation de la base centrale.

L’avis de la CNIL, reçu tardivement le 25 octobre, confirme sa préférence pour le lien faible et son souhait de voir écartée toute possibilité de réquisition judiciaire du fichier.

En revanche, l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 26 octobre dernier a tout à la fois légitimé la base centrale sur laquelle repose le dispositif dont nous discutons, et posé l’exigence de réduire à deux contre huit le nombre d’empreintes digitales conservées dans la base. Enfin, la Haute juridiction a soulevé une réserve concernant la destination des photographies contenues dans la base.

À leur écoute, votre rapporteur, comme le ministre de l’intérieur, ne considère pas que l’on doive opposer irréductiblement l’efficacité dans l’identification du fraudeur et la protection des libertés publiques. Une voie de compromis et d’équilibre existe bel et bien, et c’est dans cet esprit que la commission des lois et le Gouvernement ont travaillé.

Répondant aux légitimes demandes des victimes, ainsi qu’à la nécessité de sécuriser techniquement le dispositif par lequel sera, demain, garantie l’identité de nos concitoyens qui auront souhaité disposer d’une carte nationale d’identité – dont je rappelle qu’elle est gratuite et facultative –, la commission des lois, sur proposition de votre rapporteur, a souhaité rétablir le lien fort.

Toutefois, tenant compte des inquiétudes exprimées quant à la tout aussi nécessaire protection des libertés publiques, elle a voulu, dans un souci de conciliation, consolider au maximum les garanties juridiques sur trois points essentiels.

Premièrement, s’agissant du contenu biométrique de la base, toute possibilité de recours à la reconnaissance faciale pour identifier un individu a été écartée. De même, les données ne pourront pas faire l’objet d’une interconnexion – ce qui signifie que l’on ne pourra pas croiser ces données avec celles contenues dans d’autres fichiers – et le nombre des empreintes digitales recueillies sera explicitement limité à deux au lieu de huit, conformément aux préconisations de la CNIL et du Conseil d’État.

Deuxièmement, concernant l’accès à la base, celle-ci pourra désormais, grâce à un amendement du Gouvernement, être consultée sous le contrôle d’un magistrat, uniquement – j’y insiste – dans le cadre d’enquêtes en flagrance, d’enquêtes préliminaires ou sur exécution de commissions rogatoires, liées à des infractions de fraude à l’identité.

Seront concernées les infractions suivantes : les atteintes à la personnalité, les atteintes aux services spécialisés de renseignement, les atteintes à l’état civil des personnes, etc. Je ne les citerai pas toutes puisqu’elles figurent dans le texte.

Troisièmement, concernant les droits des victimes, un sous-amendement de votre rapporteur a élargi la consultation de la base aux enquêtes visant à l’identification de corps de victimes de catastrophes collectives ou naturelles. Dans ce cadre, la biométrie apportera un soutien précieux aux familles des victimes qui pourront, grâce à elle, d’une part, entreprendre leur travail de deuil, et d’autre part, mener à bien les démarches administratives, notamment successorales, qui se trouvent souvent bloquées en l’absence de reconnaissance formelle du décès de leur proche. Toutefois, et c’est là une limite qui découle de cette volonté de restreindre au maximum la consultation de la base centrale, un cadavre trouvé dans la rue ne pourra être identifié au moyen de celle-ci.

Le texte qui vous est présenté aujourd’hui a pris, je crois, toute la mesure du débat démocratique qu’il a suscité.

Nous sommes en effet devant un vrai choix politique, au sens noble du terme. En adoptant le texte de la commission, vous pouvez tout à la fois protéger l’identité de nos concitoyens par un dispositif matériellement efficient – l’exemple du passeport biométrique parle de lui-même, puisque les fraudes à l’identité le concernant ont diminué de 50 % depuis sa mise en place, sans qu’aucun problème d’aucune sorte n’ait surgi –, et protéger leur vie privée, grâce à un ensemble de protections juridiques limitant au mieux la consultation de la base centrale, c’est-à-dire pour le seul motif en vue de laquelle elle a été constituée.

En ne l’adoptant pas, vous ferez le choix délibéré de dégrader une technologie, au risque d’affaiblir fortement la protection de l’identité de nos concitoyens et de laisser perdurer les fraudes identitaires qui attentent chaque jour aux libertés individuelles de milliers de nos concitoyens.

Vous l’aurez compris, votre rapporteur considère que la proposition de loi qui vous est présentée concilie le plus efficacement possible la protection de l’identité et la protection des libertés, dépassant ainsi le clivage finalement assez artificiel qui s’était matérialisé durant nos débats. En effet, nous sommes tous ici, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, à la fois des défenseurs des libertés et des artisans de la sécurité.

Avec ce texte de compromis et d’équilibre, preuve est donnée que l’on peut concilier le zéro défaut d’un dispositif permettant d’identifier les fraudeurs et le risque zéro pour les libertés publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’usurpation d’identité est un drame pour toutes les victimes, quelle que soit la nature précise de cette usurpation. Aussi, chacun ici reconnaît la légitimité des objectifs de la proposition de loi dont nous débattons.

Pour autant, l’enjeu de cette deuxième lecture n’est pas un simple choix technique, comme le rapporteur voudrait le faire croire.

M. Philippe Goujon, rapporteur. C’est un choix politique, je l’ai dit.

M. Jean-Jacques Urvoas. Notre différend ne porte pas sur un choix de technologie. Il s’agit d’un débat essentiel portant sur les garanties à fixer de façon que la volonté de protéger l’identité ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux.

Le sujet n’est pas mineur et l’on regrette que le Gouvernement ou notre rapporteur n’aient pas pris l’initiative de saisir le Conseil d’État pour avis.

Son sentiment aurait été d’autant plus utile pour éclairer nos travaux que le Conseil d’État a été saisi il y a trois ans par la Ligue des Droits de l’Homme et par certaines associations, et qu’il a travaillé sur ce problème pour aboutir à une décision que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur. Votre argumentation à ce sujet – vous nous l’avez expliquée en première lecture – est que ce n’est pas très grave, puisque le Conseil d’État aura à se prononcer sur les décrets d’application. Convenons tout de même que ce n’est pas tout à fait identique puisque, dans la Constitution, la préservation des libertés individuelles relève de la loi, non du règlement.

Notre désaccord porte sur la finalité du fichier, dont il est probable que cette assemblée décidera la création. Vous prétendez bâtir un fichier administratif, mais vos amendements successifs visent, avec constance, à en permettre une utilisation judiciaire.

Ainsi, en commission, monsieur le rapporteur, vous nous avez présenté comme une avancée l’amendement du Gouvernement rendant possible l’accès au fichier uniquement pour des infractions liées à l’usurpation d’identité. La présentation était rassurante, mais à la réflexion, le progrès est maigre.

D’abord, parce qu’en faisant entrer explicitement des dispositions d’ordre pénal dans un texte prétendument à vocation administrative, vous reconnaissez de facto la confusion des finalités.

Ensuite, parce qu’il suffit de procéder à une énumération des articles des différents codes servant de base aux réquisitions judiciaires possibles pour mesurer l’ampleur des recherches qui, demain, seront conduites à partir de ce fichier.

On pourra en effet utiliser, outre l’article 226-4-1 du code pénal qui qualifie l’usurpation d’identité, fondement de la démarche proposée, les articles L. 313-1 et 313-2 du même code qui qualifient l’escroquerie, l’article 413-13 du même code qui traite de l’atteinte aux services spécialisés de renseignement, l’article 225-8 du code de la route qui régit la fraude au permis de conduire, l’article L. 2245-5 du code des transports qui concerne la mention d’une fausse adresse, l’article L. 781 du code de procédure pénale qui évoque la délivrance d’un extrait d’état civil, l’article 434-23 du code pénal qui est relatif à l’entrave à l’exercice de la justice… Et je pourrais, malheureusement, poursuivre la liste tant seront vastes, demain, les possibilités – légales – d’accéder à ce nouveau fichier. Nous sommes donc bien loin d’un banal outil administratif.

Ce n’est d’ailleurs pas une surprise puisque l’élargissement de la finalité des fichiers est une constante dans la pratique gouvernementale. Qu’il me suffise de rappeler les évolutions du FNAEG – le fichier national automatisé des empreintes génétiques. Créé en 1998, il était alors uniquement destiné à lutter contre les auteurs d’infractions sexuelles. À l’époque, monsieur le ministre, il y avait déjà des garanties légales qui interdisaient tout autre usage que celui de lutter contre les auteurs d’infractions sexuelles ou de les poursuivre.

Mais chaque année, depuis 2002, une loi est venue élargir la finalité de ce fichier.

En 2003, le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, décide de l’élargir aux délits, comme le vol, le tag ou l’arrachage d’OGM, et d’y inclure, non plus les coupables, mais de simples suspects.

En 2004, la loi Perben, tout en créant par ailleurs le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, prévoit dans son article 47, lorsqu’il s’agit de condamnés, que les prélèvements peuvent être effectués à l’insu de la personne.

En 2005, la loi sur la récidive des infractions pénales a élargi, dans son article 18, le champ de ce fichier. En 2006, la loi sur les violences conjugales a procédé de même. En 2007, l’article 42 de la loi sur la prévention de la délinquance l’a fait aussi. Là encore, j’arrête ma litanie tant serait longue la liste de ces modalités – toutes législatives – qui ont progressivement étendu le but initial du fichier.

Il est donc à craindre que celui dont nous discutons aujourd’hui connaisse la même destinée. Vous l’avez d’ailleurs confirmé, lors de la réunion de la commission des lois, monsieur le rapporteur, en faisant adopter un sous-amendement, que vous venez d’évoquer, et qui autorise la consultation du nouveau fichier « aux fins d’établir l’identité d’une personne décédée victime de catastrophe naturelle ou d’accident collectif». L’ambition est louable, et je ne la conteste pas, mais convenez tout de même qu’on est loin de l’usurpation d’identité que vous prétendez interdire par cette proposition de loi !

En travaillant de nouveau le texte, j’ai trouvé une autre illustration de votre contradiction. En effet, en supprimant la base de données à lien faible à l’article 5 – disposition réintroduite par une majorité nettement avérée des sénateurs, l’amendement du Gouvernement ayant obtenu quatre voix en sa faveur et 340 voix contre – sans pour autant modifier l’article 7 bis A, vous permettez aux services chargés de lutter contre le terrorisme d’utiliser pour leurs missions le fichier central biométrique à des fins d’identification d’une personne par ses empreintes digitales, hors de toute réquisition judiciaire. C’est, vous le savez, parfaitement contraire au droit en vigueur et c’est notamment expressément exclu pour le fichier de gestion des titres électriques sécurisés utilisés pour les passeports. Quant au fichier de gestion des cartes nationales d’identité, les empreintes digitales des intéressés n’y sont tout simplement pas enregistrées. La modification apportée par le Gouvernement sur la restriction d’utilisation de la base ne modifie en rien ce constat. Chacun sait, en effet, ici, que la disposition spéciale l’emporte toujours sur la disposition générale. Contrairement à vos affirmations, ce fichier ne se résumera donc pas à un outil vertueux.

C’est parce que nous ne partageons pas cette perspective, c’est parce que nous souhaitons simplement combattre l’usurpation d’identité que nous vous proposons, et tel est l’objet de cette motion de procédure, de rejeter ce texte et d’en revenir à la version sénatoriale.

Le cœur de notre désaccord tient au fait que vous préférez la technique du lien fort à celle du lien faible.

Je ne me lancerai pas dans une démonstration technique, que je serais d’ailleurs bien incapable de soutenir, mais je crois utile de revenir sur deux arguments que vous avez avancés en commission, monsieur le rapporteur, et que vous venez à nouveau d’évoquer. Cher collègue, vous avez affirmé, avec raison, qu’il n’existait pas de pays qui ait mis en place un tel lien. Mais ce n’est pas dû à une absence de matérialité technique du dispositif : cela résulte du fait qu’il n’existe aucune démocratie qui se soit engagée dans la constitution d’un fichier biométrique global de sa population. L’Allemagne s’oppose par principe à cette démarche ; le Royaume-Uni l’a abandonnée en 2010 ; la Belgique ne l’a pas retenue lorsqu’elle a étudié cette question, non plus que l’Italie et le Portugal. En effet, tous ces pays ne voulaient pas d’un fichier central. Au demeurant, le règlement idoine de l’Union européenne en date du 13 décembre 2004 ne prévoyait pas la création d’un fichier central biométrique.

Vous avez ensuite émis des doutes, monsieur le rapporteur, sur la fiabilité de la méthode. Vous savez pourtant, et vous l’avez rappelé, que le dispositif est connu depuis de nombreuses années, qu’il est breveté, qu’il a fait l’objet de communications scientifiques émanant, notamment, du professeur Shamir, spécialiste mondial de cryptographie, lors de la réunion de la trente et unième conférence mondiale des commissions nationales de l’informatique et des libertés à Madrid en novembre 2009. Nous pourrions soutenir la querelle technique, mais je ne crois pas qu’elle ait de fondement pertinent.

Nous devons, plus sérieusement, revenir à la finalité du fichier et ne pas faire ce que je crois être, au final, une confusion de termes. Contrairement à vous, nous faisons une distinction très nette entre l’authentification et l’identification. Ce n’est pas une coquetterie de notre part, un débat sémantique, mais simplement la reprise de la doctrine élaborée par la CNIL en matière de biométrie. D’un côté, un dispositif biométrique à finalité d’authentification ne vise qu’à s’assurer que la personne interrogée est celle qu’elle prétend être. Dans ce cas, les caractéristiques biométriques peuvent être simplement stockées sur une puce électronique, aucun fichier n’étant nécessaire. C’est ce que demande le règlement européen sur les passeports et ce que préconise la CNIL. De l’autre, un dispositif à finalité d’identification a pour objectif de retrouver l’identité civile d’un sujet inconnu. C’est votre lecture qui implique, de fait, la création d’une seule base regroupant les différentes données sans lien crypté entre elles. C’est ce qui vous conduit à affirmer que toute autre solution que celle qui a votre préférence empêcherait de confondre et d’arrêter l’usurpateur, faute de pouvoir l’identifier avec certitude par ses seules empreintes. Nous sommes, par conséquent, en désaccord sur la thérapie, même si nous partageons le diagnostic. Il est, pour nous, fondamental que des barrières étanches, pas simplement légales, mais matérielles, encadrent l’usage de la biométrie. C’est le choix du lien faible, lequel permet la détection de la fraude à l’identité par la mise en relation de l’identité alléguée et de celle des empreintes du demandeur de titre. Pour reprendre les termes du rapport rendu, en 2005, au Sénat par Jean-René Lecerf, sénateur UMP, ce dispositif offre une « assurance quasi complète sur l’unicité de l’identité, ce qui suffit à dissuader les fraudeurs ».

Je voudrais, en conclusion, rappeler que les données biométriques ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres. Elles présentent, en effet, la particularité de permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps, et dont elle ne peut s’affranchir. Cette spécificité nous a, d’ailleurs, conduits à conférer à ces données biométriques une protection et un encadrement particuliers. Ce fut la modification de la loi « informatique et libertés » intervenue le 6 août 2004 qui a renforcé le pouvoir de contrôle de la CNIL. Cette spécificité doit aussi avoir pour conséquence d’accroître le niveau d’exigence quant à leur utilisation. Il est impératif, en particulier, de respecter les deux principes fondateurs du droit à la protection des données à caractère personnel : la finalité et la proportionnalité.

C’est parce que ces exigences ne nous paraissent pas respectées ici que nous souhaitons le rejet de l’examen de ce texte.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Après l’exposé limpide de Jean-Jacques Urvoas, je serai très brève.

Comme nous l’avons précisé lors de l’examen de cette proposition de loi en première lecture, puis en deuxième lecture en commission, nous souhaitons revenir à la rédaction sénatoriale qui a fait l’objet d’un très vaste consensus. Ainsi, sénateurs UMP et sénateurs des groupes de la gauche se sont retrouvés pour protéger l’utilisation très spécifique des données biométriques, comme vient de le rappeler Jean-Jacques Urvoas. Il ne s’agit en aucun cas, pour le groupe socialiste, de rejeter le principe même de la lutte contre l’usurpation d’identité, au contraire, mais de l’assortir d’une garantie absolue qui est la protection, dans le cadre de leur utilisation, des données personnelles figurant dans un fichier général regroupant l’essentiel de la population française, fichier qui pourra être, comme le prévoit cette proposition de loi, consulté par un nombre de services considérable. Avouez que ce n’est pas une mince affaire !

S’il existe une différence fondamentale en termes de protection des libertés entre le lien fort et le lien faible, j’ajouterai qu’en ces temps de patriotisme économique à tous crins, défendre une technologie dont le brevet est détenu par des groupes de toutes nationalités contre une technologie que, seul, un groupe français possède, est un paradoxe – mais vous n’en êtes pas à un près ! C’est également la raison pour laquelle le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche votera cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR votera la motion de rejet préalable présentée par le groupe SRC.

L’usurpation d’identité est effectivement un drame, mais nous partageons le désaccord exprimé par notre collègue Urvoas sur la finalité du fichier centralisant les données biométriques, qui concernera au bas mot quarante-cinq millions de nos concitoyens. C’est une grande première en France et en Europe ! Nous sommes également en désaccord sur le choix du lien fort de préférence au lien faible. Nous partageons les réserves fortes exprimées par la CNIL qui, dans sa note d’observation du 25 octobre dernier, considère que le respect de la proportionnalité entre l’objectif poursuivi et les moyens déployés n’est pas démontré. Nous partageons, enfin, les vives inquiétudes exprimées par les associations de défense des droits de l’Homme, au premier rang desquelles figure la Ligue des droits de l’Homme.

Ce sont autant de raisons qui expliquent notre vote.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. L’outil qui nous revient de la commission des lois est vertueux, puisqu’il tend, avant tout, à protéger les victimes. Or on ne protège jamais si bien les victimes des usurpations d’identité qu’en identifiant les usurpateurs. C’est le but du texte et notamment celui du lien fort. Cette proposition de loi est également vertueuse dans la mesure où elle répond aux objectifs de finalité, de proportionnalité et de nécessité, précédemment rappelés.

Face à cela, la critique contenue dans la motion de rejet préalable est, curieusement, purement virtuelle et non vertueuse, puisqu’elle repose sur des fantasmes, sur des craintes fondées sur l’élargissement, lequel n’est pas prévu dans le texte. Cet élargissement s’est effectivement produit à d’autres occasions – et je pense ici au FNAEG – mais il a tout simplement permis d’identifier des coupables et de protéger davantage de victimes !

Je vois surtout, à travers votre discours quelque peu verbeux sur les libertés publiques, monsieur Urvoas, une volonté de protéger les coupables, les usurpateurs ! Cette tendance m’inquiète !

Telle est la raison pour laquelle le groupe UMP se prononcera contre cette motion de rejet préalable.

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. L’objectif poursuivi en matière d’usurpation d’identité nous réunit. M. le ministre et M. le rapporteur ont fort bien rappelé les enjeux de ce texte. Nos collègues de l’opposition l’ont souligné, ces usurpations d’identité sont un drame. Il y a donc un consensus sur les objectifs de cette proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture. Des questions légitimes se posent toutefois. Ainsi, la réponse apportée par ce texte garantit-elle ou non les libertés fondamentales auxquelles le ministre, le rapporteur et l’ensemble de la représentation nationale sont attachés ?

Vous avez apporté des réponses, monsieur le ministre, comme M. le rapporteur, et le groupe du Nouveau Centre votera ce texte. Vous vous êtes tous deux référés à l’arrêt du Conseil d’État et à l’avis de la CNIL. À partir du moment où nous avons la réponse à ces légitimes préoccupations, nous pouvons voter ce texte.

M. Urvoas a voulu faire peur en parlant d’un fichier de 40 millions de Français et en énumérant des mesures relatives aux fichiers que la majorité a votées depuis dix ans. Nous avons bien fait de les voter, monsieur le ministre, et M. Urvoas aurait pu parler de ceux que l’opposition a combattus. Or quelle est la finalité de ces fichiers ? C’est de combattre la délinquance. Nous parlons de l’usurpation d’identité, mais certains fichiers ont servi à élucider des crimes. Vous nous avez apporté des garanties en précisant qu’il ne sera pas possible de croiser les fichiers, que les données biométriques ne pourront pas non plus être associées, et vous avez surtout rappelé que certains usages se feront sous le contrôle du juge. Vous avez répondu à de légitimes préoccupations, et je rappelle que l’opposition n’a pas le monopole des garanties fondamentales et des libertés publiques.

Nous partageons le diagnostic et la finalité de ce texte qui vient en deuxième lecture. Grâce au travail remarquable du rapporteur, Philippe Goujon, nous avons eu à la commission des lois des discussions s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État et celui de la CNIL. Nous pouvons donc le voter avec confiance.

Je précise tout de même à nos compatriotes qui se posent de légitimes questions sur ce texte qu’il est question non de les ficher, mais d’apporter des réponses à un drame dont sont victimes des milliers d’entre nous chaque année. Je crois que ce texte y contribuera. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture tend à lutter contre l’usurpation d’identité grâce à l’instauration d’un titre national d’identité biométrique.

Ce texte, loin d’être anodin, pose de nombreux problèmes, à la fois juridiques, politiques et éthiques. C’est pourquoi nous continuons de considérer que, sur un tel sujet, un projet de loi aurait été préférable car il nous aurait permis de disposer d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État, notamment sur les risques majeurs d’atteinte aux libertés publiques.

Aujourd’hui, notre débat se concentre sur la création d’un fichier centralisant les données biométriques et sur ses finalités, ce qui fait l’objet du seul article encore en discussion : l’article 5.

Deux questions sont au cœur de nos débats : faut-il mettre en place un fichier central d’identité biométrique et, le cas échéant, quelles finalités assigner à ce fichier central et de quelles garanties l’entourer ?

S’agissant de la nécessité de créer un tel fichier, force est de constater que l’utilisation de la biométrie se développe irrésistiblement pour des besoins affirmés d’accroître la sécurité. Nous reconnaissons que des données biométriques peuvent utilement être utilisées pour vérifier l’identité des individus, à condition, bien entendu, que l’intéressé conserve la maîtrise des données servant à son identification. En revanche, nous sommes beaucoup plus dubitatifs sur la nécessité de créer un fichier central. Il nous paraît légitime de nous interroger sur le point de savoir si la création et l’utilisation d’un tel fichier assurent une conciliation proportionnée entre les exigences de protection des libertés individuelles et les impératifs de sécurité publique.

Sur la création même du fichier, le Conseil d’État s’est prononcé le 26 octobre dernier sur des requêtes en annulation du décret relatif au passeport biométrique. S’il a validé l’essentiel du dispositif, il a en revanche censuré la conservation, dans un fichier centralisé, des empreintes digitales de huit doigts, au lieu des deux figurant dans le composant électronique du passeport. Reprenant à son compte les arguments développés par la CNIL dès la fin de l’année 2007, la plus haute juridiction administrative considère en effet qu’enregistrer une telle quantité d’empreintes dans cette base apparaît inadéquat au regard de la finalité officiellement mise en avant pour en justifier la nécessité, à savoir sécuriser la procédure de délivrance de ce document. On ne peut donc que saluer l’amendement adopté en commission des lois tendant à limiter le nombre d’empreintes digitales collectées.

En revanche, les observations de la CNIL qui a présenté, de sa propre initiative, une note sur cette proposition de loi, le 25 octobre dernier, sont sans appel, évoquant même un détournement de finalité du fichier à des fins purement judiciaires. Si la CNIL n’est pas hostile par principe à l’utilisation de la biométrie dans le cadre de la délivrance des titres d’identité, elle estime en revanche que « la proportionnalité sous forme centralisée de données biométriques, au regard de l’objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire, n’est pas à ce jour démontrée ». C’est également l’avis des organisations de défense des droits de l’Homme, qui invoquent les risques liberticides d’un tel fichier.

C’est ainsi, comme le souligne le rapporteur du texte au Sénat, que la Ligue des droits de l’homme considère que la base biométrique équivaut à la création d’un unique grand fichier général de la population française, croisant à la fois une identité civile et légale et une identité physique ; elle s’inquiète notamment de l’usage qu’un régime différent de celui de la République pourrait faire de tels moyens.

C’est d’ailleurs également l’avis du Comité consultatif national d’éthique, qui s’oppose à la généralisation et à la centralisation des données biométriques, et de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme.

Ce fichage généralisé de nos concitoyens nous semble totalement disproportionné par rapport au but poursuivi, d’autant qu’il existe déjà un arsenal législatif pour lutter contre l’usurpation d’identité.

Se pose aussi la question des finalités assignées au fichier et de la possibilité de les détourner.

Ce n’est pas tant la biométrisation de la carte d’identité en elle-même qui nous préoccupe que le lien qui sera établi entre les données civiles et biométriques au sein d’une base unique et centralisée.

L’établissement d’un « lien fort » entre données d’identité et données biométriques laisse craindre une utilisation dans le cadre de missions de police judiciaire et non pas dans celui d’une simple gestion administrative des procédures de délivrance des titres.

À cet égard, les amendements adoptés par la commission des lois tendant à consolider le régime juridique d’accès au fichier central ne nous paraissent pas suffisants pour garantir la protection des libertés individuelles.

Bref, nous craignons que l’objectif de ce texte de loi ne soit tout simplement, sous prétexte de lutter contre l’usurpation d’identité, de créer un fichier généralisé de la population française.

Pour notre part, nous contestons la création de ce type de fichier, et, qu’il soit utilisé à des fins de gestion administrative ou à des fins de police judiciaire, nous considérons qu’il constitue une menace pour les libertés publiques.

J’ajoute que, si, en Europe, plus de douze pays ont adopté une carte nationale d’identité électronique, peu d’entre eux prévoient l’inclusion de données biométriques et presque aucun la mise en place d’un fichier central.

C’est pour toutes ces raisons essentielles que le groupe GDR votera une nouvelle fois contre ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte consacré à la protection de l’identité nous revient en deuxième lecture. Avant d’aborder le cœur du sujet, je voudrais souligner combien cette proposition de loi a agi comme un révélateur.

Première révélation, alors que l’on sait bien à quel calvaire peut être conduite une personne dont on a usurpé l’identité, la gauche a prétendu souhaiter la protéger, mais en protégeant du même coup les usurpateurs et, plus généralement, les délinquants.

Le procédé rhétorique est simple. On évite d’abord d’évoquer la souffrance, très concrète, de celui qui ne peut plus utiliser son compte en banque, ne peut pas se marier, se trouve menacé dans ses biens et ses libertés réelles. Ensuite, on se complaît dans la défense ostentatoire des libertés abstraites qui pourraient être virtuellement menacées par un procédé d’identification de l’usurpateur ou par un élargissement du fichier aux recherches criminelles. Derrière la sauvegarde abstraite des libertés publiques, accompagnée de la vibration oratoire nécessaire, on voit surgir la protection très réelle de ceux qui auront usurpé une identité et pourront à nouveau tenter l’expérience puisqu’ils n’auront pas été identifiés, ou encore la protection des primo-délinquants sous prétexte qu’ils auront été forcément, avant leur premier méfait, dans le fichier des honnêtes gens.

M. Jean-Jacques Urvoas. C’est grotesque !

M. Christian Vanneste. Il est d’ailleurs piquant de constater que ceux qui se refusent à combattre fermement la récidive et prétendent lutter contre toutes les discriminations font une telle différence absolue et définitive entre les honnêtes gens et ceux qui le sont moins. Vous l’aviez d’ailleurs souligné au Sénat, monsieur le ministre.

Deuxième révélation : ce texte est également révélateur de l’incessante progression des liens qui compriment l’expression déjà indirecte de la volonté populaire. Lorsque celle-ci s’exprime à travers la représentation légitime, elle se voit de toute part contrainte par des instances non démocratiques, qui entendent cependant lui dicter la loi.

C’est vrai pour la CNIL, auréolée de son onction européenne, qui a fait de sa phobie du croisement des fichiers ou du registre de la population, pourtant pratiqués dans les très démocratiques pays scandinaves, un dogme souvent propagé parmi nous par ces parlementaires missionnaires dont on aurait préféré qu’ils défendent davantage le point de vue de l’Assemblée au sein de la CNIL plutôt que celui de la CNIL au sein de l’Assemblée.

C’est vrai du Conseil d’État, qui peut nous donner ses avis, nous rappeler telle ou telle habitude juridique, mais sans nous ôter de l’esprit que le Parlement et l’Assemblée nationale devraient se reconnaître le pouvoir de briser les nœuds gordiens, tous les nœuds gordiens, hormis ceux de notre Constitution.

Je ne vais pas citer bien sûr la Ligue des droits de l’Homme, la ligue autoproclamée des droits de l’Homme, qui ne me paraît pas du tout une référence sur un texte présenté à l’Assemblée.

Ce texte revient donc, passé à l’essoreuse idéologique du Sénat. Il lui reste, comme à un cheval à qui l’on aurait mis des œillères, la protection des documents d’identité pour seule finalité, limitée à de justes et nécessaires proportions. Les usurpateurs, et encore moins les criminels de tout poil, ne sont pas l’objet du texte et peuvent donc dormir tranquilles. Contrairement à ce qu’affirmait le rapporteur du texte au Sénat, la dissuasion ne suffit pas, car la répression est la meilleure des dissuasions.

C’est la raison pour laquelle il était nécessaire d’amender ce texte pour lui donner toute sa vigueur citoyenne, celle qui faisait dire à Montesquieu que la liberté chez un citoyen vient du sentiment qu’il a de sa sûreté. La plus grande sûreté de l’homme, c’est de savoir les délinquants hors d’état de lui nuire, ce n’est pas d’être protégé virtuellement contre de potentielles atteintes aux libertés abstraites que la traçabilité des opérations découragera de toute manière.

Certains prétendent alors qu’il pourrait y avoir une utilisation politique différente liée à un changement de régime. Je l’ai lu dans les débats du Sénat. Dans ce cas, il y aurait aussi malheureusement un changement de la loi. Il est inutile d’affaiblir la défense de la République en évoquant les menaces imaginaires que ferait peser sur les libertés un régime qui ne serait plus républicain.

Il faut donc rétablir le lien fort, qui permet d’identifier l’usurpateur sans passer par une enquête complexe et coûteuse qui distrairait les effectifs policiers, et qui, pour cette raison, ne se ferait pas. Aucun pays n’a d’ailleurs choisi le lien faible, cela a été dit et redit. Seul le Sénat l’a fait, pour des raisons idéologiques et politiciennes, non pour protéger les honnêtes gens de risques imaginaires, mais pour s’opposer au Gouvernement dans un domaine où l’unanimité devrait régner, celui de la lutte contre la délinquance.

De même, il est nécessaire de revenir sur l’absurde opposition du Sénat à l’utilisation du fichier en matière de recherche criminelle, comme si la protection des criminels contre les potentielles et virtuelles atteintes aux libertés publiques pouvait être un objectif républicain. L’encadrement de l’utilisation du fichier dans les limites de son objet, d’abord, dans celle des procédures ensuite, flagrances, enquêtes préliminaires, commissions rogatoires, avec l’autorisation du juge d’instruction, enfin, devrait rassurer les avocats verbeux des libertés abstraites, dont l’inconscient semble toujours si chargé de fantasmes liés aux régimes policiers.

Les avancées ou les reculs techniques sur la reconnaissance faciale ou sur le nombre des empreintes présentent-ils un avantage ou un inconvénient ? L’identification des victimes est privilégiée par rapport à celle des coupables dans le texte définitif. Pourtant, fallait-il faire une distinction entre les victimes collectives et les victimes individuelles ? J’aimerais que, sur ces points, des réponses précises soient apportées, autrement que par des génuflexions devant la sainte CNIL ou le sacro-saint Conseil d’État.

Il s’agit pour nous de rétablir un texte, et ce dans un but profondément humaniste : celui de restaurer une personne dans sa plus éminente dignité, qui consiste à être qui elle est et qui elle veut être, avec sa part de nature – les empreintes – et sa part de liberté, avec son irremplaçable individualité, avec ses droits, c’est-à-dire avec les libertés réelles et concrètes que lui garantit la société démocratique au sein de laquelle elle vit : penser, s’exprimer, aller et venir, travailler, être propriétaire, fonder une famille, voter, en somme être un homme, une femme, citoyen respecté comme tel dans le cadre des valeurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Voilà ce à quoi, je crois, aboutit le texte que nous allons adopter dans quelques instants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après une lecture dans chaque chambre et une deuxième lecture au Sénat, il ne reste qu’un point à trancher, mais il est de taille, comme l’a dit notre collègue Christian Vanneste ; c’est même le cœur de ce texte.

L’Assemblée nationale a maintenu son désaccord avec le Sénat sur la question du lien fort ou du lien faible, en maintenant un lien fort. Je soutiens personnellement la position du Sénat, c’est-à-dire le lien faible. Mes arguments n’ont pas changé depuis la première lecture, mais des faits nouveaux sont venus renforcer ma conviction.

Premier point qui m’inquiète : la sécurité informatique. On l’a encore vu récemment, avec le piratage d’un serveur qui contenait des données concernant les députés UMP : nous avons un problème grave avec la sécurité informatique. Ce problème est général et nécessitera une remise à niveau. La question n’est pas seulement d’avoir les bons outils ; encore faut-il savoir s’en servir. En informatique, il y a un proverbe qui dit que l’essentiel des problèmes se situe entre la chaise et le clavier. Il convient de développer une culture de la sécurité informatique par des gestes souvent simples mais qu’il faut apprendre.

L’un des premiers gestes est de scinder les fichiers trop sensibles afin que, si une partie en est volée, elle ne soit pas utilisable. C’est pour cela que je milite pour le lien faible. Un fichier à lien fort est beaucoup plus vulnérable. Croire que les blindages informatiques suffiront à le protéger est illusoire. Si ce fichier a une grande valeur, ceux qui le voudront y mettront les moyens, et malheureusement ils en ont ! Les blindages sont efficaces à condition que les utilisateurs ferment bien les portes. On en revient à la nécessité de la formation et de la sécurisation des données.

Je milite aussi pour le fichier à lien faible car il évite des usages indus des fichiers. Quand il suffit d’une simple consultation pour tout avoir, c’est beaucoup plus facile de frauder que lorsqu’il faut effectuer quelques manipulations et croiser des fichiers en demandant plusieurs autorisations à plusieurs personnes différentes. Dans cette loi, nous limitons les possibilités d’usage du fichier des empreintes biométriques, mais cela restera théorique si le respect de ces limites ne tient qu’à la bonne volonté ou à l’éthique.

Cela m’amène à un second point que j’avais déjà évoqué en première lecture et sur lequel je veux revenir parce que, là aussi, des faits nouveaux sont intervenus. Il s’agit de la politique d’habilitation à consulter les fichiers et des règles mises en place pour veiller à leur respect. Monsieur le ministre, il ne faut pas se voiler la face, nous avons un problème récurrent quant à la confidentialité des données personnelles et des informations classifiées. Ce problème n’est pas propre à la France, ni à votre ministère, mais il existe un enjeu de libertés publiques que l’on ne retrouve pas forcément de manière aussi aiguë ailleurs.

Il y a un vrai travail à mener sur la consultation des fichiers de police. On a parfois l’impression que n’importe qui, y compris des personnes extérieures à vos services, peut y piocher des renseignements et s’en servir impunément. À présent que les fichiers intègrent des données biométriques qui peuvent servir pour des dispositifs de sécurisation d’accès à des lieux, on ne peut plus permettre que ces fichiers soient ouverts à tous les vents. Les lois existent et me semblent suffisantes ; reste un problème de mise en œuvre, qui relève de votre pouvoir.

Je sais parfaitement que tout cela remonte à bien plus loin que votre arrivée au ministère, mais votre parcours dans cette maison vous met en position de comprendre, bien mieux que beaucoup d’autres personnes, l’importance de ce chantier, celle de mettre en œuvre les moyens pertinents pour mener une réforme profonde.

La manière dont le fichier est conçu, protégé et consultable est un élément important, et même essentiel. Comme je l’ai dit en première lecture, la création de fichiers, surtout d’une telle ampleur, est susceptible de porter atteinte aux libertés publiques. Il nous faut donc être prudents et limiter ce risque au strict minimum. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en seconde lecture répond à un enjeu lié à la fois à la liberté, à la sécurité et à la citoyenneté.

Notamment en raison du développement d’internet, l’usurpation d’identité est un délit de plus en plus fréquent, qui ne concerne pas moins de 200 000 personnes par an. Assurer une meilleure protection de l’identité de nos concitoyens doit être une priorité. Cela permettrait de mieux les protéger, cela permettrait à la justice d’être plus efficace, cela renforcerait nos moyens de lutte contre les divers types de fraude dans notre pays, qu’il s’agisse de fraude administrative, de fraude sociale ou de vol.

Je voudrais insister sur ce dernier point car le vol d’une identité, c’est-à-dire d’une partie de soi-même, est une situation extrêmement difficile à vivre pour nos concitoyens, et ce d’autant plus qu’il est souvent plus facile de commettre une usurpation d’identité que de prouver sa bonne foi aux autorités administratives ou judiciaires.

Au-delà de l’impact personnel et psychologique subi par chaque victime, le coût de l’usurpation d’identité pour notre société est également très important. Une enquête de l’inspection générale de l’administration l’a estimé à 20 milliards d’euros en 2010. Dans son excellent rapport sur la fraude sociale, notre collègue Dominique Tian a souligné que la seule fraude à l’UNEDIC atteignait, au bas mot, 4 milliards d’euros par an. La fraude à l’identité sur les pièces administratives présentées pour obtenir des prestations sociales est évaluée à plus de 6 %.

Partant de ce constat, la proposition de loi que nous examinons a pour objet de renforcer les moyens de lutter contre la fraude à l’identité et, parallèlement, de simplifier la vie quotidienne de nos concitoyens en leur permettant de prouver plus aisément leur identité dans les démarches de la vie courante.

Au cours de cette législature, nous avons d’ores et déjà pris un certain nombre de mesures pour endiguer ce phénomène ; je pense en particulier à la disposition de la LOPPSI 2 qui a créé une infraction propre à l’usurpation de l’identité, à l’article 434-23 du code pénal. Mais la persistance du phénomène nous impose d’aller encore plus loin. L’utilisation des technologies biométriques et la constitution d’un fichier central donneront plus d’efficacité à la recherche criminelle, tout en garantissant la protection des libertés.

S’agissant de la justice, la création de titres d’identité biométriques et d’un fichier central biométrique apparaît comme le moyen de lutte le plus efficace contre la fraude à l’identité. Le rapporteur a proposé à la commission d’adopter le dispositif prévu par la proposition de loi, en y apportant toutefois les garanties nécessaires à la protection de la liberté individuelle et au respect de la vie privée.

La nouvelle carte d’identité sécurisée, comme l’est également le passeport biométrique, sera d’une aide précieuse pour nos services de sécurité.

Les amendements adoptés par la commission des lois me semblent aller dans le bon sens, notamment parce qu’ils apportent des garanties en termes de protection de la vie privée.

Le fait de prévoir que les vérifications d’identité par les empreintes digitales ne pourront être effectuées que par des agents habilités me semble également cohérent au regard de la protection des libertés publiques.

J’approuve, de même, la nouvelle rédaction de l’article 3, qui prévoit de donner au titulaire de la carte d’identité la possibilité de décider quelles informations il communique, et d’interdire que ceux qui refusent cette fonctionnalité soient évincés de certains services ou transactions en ligne.

Compte tenu des amendements adoptés en commission, je crois que la proposition de loi est non seulement très utile, mais aussi équilibrée. C’est pourquoi je la soutiendrai, en souhaitant qu’elle soit adoptée par notre assemblée.

Pour autant, monsieur le ministre, je tiens à apporter un bémol à mon propos. Face aux nouveaux enjeux, et notamment à la cybercriminalité, qui ne cesse d’augmenter, je me permets d’attirer votre attention sur la sécurisation du fichier central. La France choisit une voie qui est efficace mais qui n’est pas facile. D’autres pays qui ont expérimenté les fichiers centraux, informatisés et basés sur des données personnelles, ont connu de grandes déconvenues. En l’espèce, le remède a été pire que le mal puisque la diffusion de certaines données a créé un regain d’usurpations d’identité. Je souhaite que nous nous servions de leur expérience et que votre ministère mette en œuvre tous les moyens nécessaires à la protection réelle et sans faille de l’identité de tous les Français.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, dernier orateur inscrit.

Je vous informe, mes chers collègues, qu’une fois close la discussion générale, le ministre répondra et nous vous proposerons d’examiner dans la foulée les quatre amendements restant en discussion.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne serai pas le porte-parole de la CNIL, car ce n’est pas mon rôle, mais celle-ci ayant été citée, voire mise en cause, je voudrais, en tant que membre de son collège, apporter quelques éclaircissements, notamment pour notre collègue Christian Vanneste. Je fais en effet partie des deux « missionnaires » de la CNIL au sein de l’Assemblée, à moins que ce ne soit l’inverse. J’essaierai d’apporter ces éclaircissements de manière « violemment modérée », comme notre collègue a su le faire lui-même (Sourires). C’est ma vision tocquevillienne des choses, quelque chose qui nous sépare peut-être, mais Tocqueville est un de nos grands de la Manche et j’ai toujours plaisir à le citer.

La création d’une carte d’identité électronique et biométrique n’est pas une question nouvelle en France. Depuis le début des années 2000, ce projet a été évoqué à plusieurs reprises : la CNIL a ainsi été saisie par le ministère de l’intérieur de trois avant-projets de loi sur ce thème et s’est même prononcée en juillet 2008 sur un projet de loi relatif à la protection de l’identité, qui n’a finalement jamais été déposé au Parlement.

C’est donc la première fois que nous avons, en tant que députés, à nous prononcer sur un tel dispositif. Je voudrais redire mon regret que ce soit par le biais d’une proposition et non d’un projet de loi, puisque, comme vous le savez, la CNIL n’est pas saisie de droit sur une initiative parlementaire.

C’est ce qui l’a obligée à prendre l’initiative de publier, le 25 octobre dernier, une note d’observation, puisque, sans cela, le Gouvernement et le Parlement n’auraient pas eu accès à son analyse, sur un texte qui aboutira à la création d’une base centrale concernant plusieurs millions de Français.

Dans cette note, la CNIL n’a du reste fait que redire une nouvelle fois ce qui constitue sa doctrine sur la constitution de bases centrales biométriques, une doctrine qu’elle a déjà exprimée, notamment, dans son avis sur le passeport biométrique.

Elle a en ce sens parfaitement joué son rôle de conseil des pouvoirs publics en matière de protection de la vie privée de nos concitoyens. C’est en effet sa mission, depuis presque trente-cinq ans, que de conseiller le législateur et le Gouvernement, de les alerter sur les dangers que certains projets pourraient faire courir aux données personnelles des Français, de rappeler aussi la nécessité de sécuriser juridiquement et techniquement leur traitement, bref d’allier finalité et proportionnalité.

Vous le savez, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres, en raison des risques majeurs qu’elles peuvent faire peser sur l’identité d’un individu, en cas de détournement, de mauvais usage, par le biais d’une capture des empreintes digitales à son insu. Elles doivent donc être traitées avec toute la vigilance qui s’impose, notamment si elles viennent à être conservées dans une base centrale. Il est par conséquent du devoir du Gouvernement, du législateur et de la CNIL de veiller à l’encadrement le plus strict de leur traitement et à l’adoption de garde-fous juridiques et techniques pour prévenir tout détournement des données à caractère personnel qui pourrait s’avérer catastrophique pour nos concitoyens.

C’est avec la volonté de protéger au mieux les données biométriques que le Sénat a fait le choix, à l’unanimité des groupes politiques, je le rappelle, de retenir la technologie du lien faible pour constituer la base centrale. Je ne m’arrêterai pas sur le débat « lien fort-lien faible » ; la discussion qui suivra sera sans doute l’occasion d’y revenir, en gardant à l’esprit la décision du Conseil d’État du 26 octobre dernier.

Lors de l’examen de ce texte par la commission des lois, le mercredi 30 novembre, le Gouvernement a fait adopter différents amendements visant à mieux sécuriser cette base centrale. C’est une vraie avancée, dont je me félicite : je tenais à le dire avec beaucoup d’insistance.

Ainsi, avec le rapporteur, monsieur le ministre, vous avez essayé d’apporter des réponses aux interrogations de beaucoup de parlementaires sur ces questions extrêmement sensibles.

Afin de tenir compte de la décision du Conseil d’État du 26 octobre, le nombre d’empreintes enregistrées dans la base centrale sera limité à deux, et non à huit, comme initialement prévu. C’est un vrai progrès.

Il est désormais également inscrit dans le texte que toute interconnexion entre les données biométriques enregistrées dans la base et « tout autre fichier ou recueil de données nominatives » est interdite. Il s’agissait d’une précision essentielle à apporter au texte ; cela a été fait.

Je me félicite également que la commission des lois ait validé l’interdiction de tout traitement de reconnaissance faciale sur la base des images numérisées enregistrées dans le fichier central. Cette interdiction avait été introduite dans le texte par le Sénat, et je suis heureux que nos deux assemblées se retrouvent sur une telle disposition.

Enfin, la consultation et l’exploitation de la base centrale ont été encadrées et limitées à certaines infractions, notamment celles liées à l’usurpation d’identité. Elles seront également possibles, grâce à un amendement fort bienvenu de notre rapporteur, afin de permettre l’identification des victimes de catastrophes naturelles ou d’accidents collectifs. La consultation des données biométriques contenues dans la base ne pourra se faire que sur réquisition judiciaire.

En conclusion, monsieur le ministre, je me félicite que de telles précisions aient été apportées. Ces nouvelles dispositions étaient absolument indispensables et apportent, je le crois, beaucoup d’apaisement. Elles répondent aux demandes formulées par la CNIL et par des parlementaires, et par là même à leurs inquiétudes. Elles témoignent d’une prise de conscience par le Gouvernement et par les parlementaires des risques qu’un tel dispositif pourrait faire peser sur nos concitoyens, notamment en cas de détournement des données biométriques enregistrées dans la base.

Soyons vigilants. Oui, c’est vrai, il faut être vigilants sur les possibilités de consultation des données biométriques enregistrées dans de telles bases de données, veillons à ce qu’elles ne soient pas élargies outre mesure, veillons à ne pas aller trop loin, mais surtout réjouissons-nous parce que la protection des victimes d’usurpation, c’est-à-dire de vrais vols d’identité, dont le nombre dépasse tout de même 200 000 par an, sera mieux assurée. L’objectif est atteint. Je voterai donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Vanneste. Très bien !

(M. Marc Le Fur remplace Mme Catherine Vautrin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, M. Michel Hunault a eu raison de rappeler que ce fichier, comme d’autres – le fichier des empreintes digitales, celui des empreintes génétiques – a pour objet de protéger les victimes et de permettre le défèrement à la justice des coupables de crimes et de délits. À cet égard, monsieur Urvoas, en écoutant votre argumentation, j’en suis resté confondu : vous regrettez les extensions par la loi – et non pas par un ministre, je le rappelle – du champ d’utilisation du fichier des empreintes génétiques aux infractions qui précisément justifient de telles extensions, alors que cela a permis de mieux répondre aux exigences de la lutte contre le crime et le délit.

Monsieur Marc Dolez, en ce qui concerne les problèmes de libertés publiques, ce qui est en cause, c’est beaucoup plus les conditions de l’accès au fichier central biométrique que la base de données elle-même. La démonstration qui vient d’être faite à l’instant par M. Philippe Gosselin est à cet égard tout à fait convaincante – d’autant plus que je partage évidemment son opinion. (Sourires.) Sa qualité de membre de la CNIL donne bien sûr à ses propos un poids tout particulier. Il a bien souligné que c’est dans la discipline de l’accès aux données que résidait la protection des libertés individuelles.

Monsieur Christian Vanneste, vous avez souligné à très juste titre que l’on ne pouvait raisonnablement vouloir une chose et son contraire. En effet, il n’est pas raisonnable d’affirmer que l’on veut lutter contre les usurpations d’identité tout en refusant le seul moyen technique qui permette de le faire avec une efficacité totale, et ce en exprimant une préférence pour un système qui, même s’il coûterait très cher, ne permettrait pas d’aboutir au résultat escompté.

Monsieur Lionel Tardy, madame Véronique Besse, vous vous êtes inquiétés de la sécurité du fichier. Je rappelle que la base de données TES a bien sûr été élaborée sous le contrôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques, que les données sont cryptées et, de surcroît, intégrées dans des sous-bases distinctes, ce qui permet l’étanchéité entre les données. Toutes les précautions ont donc été prises. Vous avez aussi exprimé le souci que le nouveau fichier ne soit pas accessible à tout le monde : je le confirme. J’ai insisté sur l’intérêt que présente une sévère réglementation des conditions d’accès. Y auront bien sûr accès les fonctionnaires administratifs qui doivent confectionner les documents d’identité puisqu’il faut bien qu’ils vérifient, par exemple, que celle-ci n’a pas déjà été attribuée à quelqu’un d’autre, ce qui est l’objet même de la lutte contre les usurpations. Quant aux officiers de police judiciaire, ils seront autorisés à y accéder, je l’ai clairement indiqué tout à l’heure, sous le strict contrôle et à la demande exclusive du procureur de la République.

M. Philippe Gosselin. et M. Michel Hunault. Très bien !

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article de la proposition de loi sur lequel les deux assemblées du Parlement n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 5

M. le président. Sur cet article, je suis saisi de plusieurs amendements.

Monsieur Dolez, puis-je considérer que votre amendement, n° 5, tendant à supprimer l’article 5, a déjà été défendu ?

M. Marc Dolez En effet, monsieur le président, je l’ai déjà largement défendu dans la discussion générale. Je ne reviendrai donc pas sur les raisons qui justifient cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Goujon, rapporteur. La commission a bien sûr donné un avis défavorable à cet amendement qui vise à supprimer rien moins que le cœur de la proposition de loi, c’est-à-dire l’encadrement législatif même de la base de données, et sans rien proposer en remplacement. Il n’est même pas question d’un retour au lien faible. Or il est essentiel et indispensable, pour que le dispositif permette de lutter contre la fraude identitaire, qu’il y ait une base centrale. C’est le cas dans tous les pays qui ont mis en place cette méthode.

Il est de surcroît du rôle du législateur de prévoir un dispositif encadrant la base centrale, lequel gérera le contrôle de l’identité de nos concitoyens. Nous pensons que le système décrit à l’article 5 et conforté par les amendements de la commission en termes de garantie des libertés individuelles permet un juste équilibre entre la protection des libertés et la sécurité dans le domaine de l’usurpation d’identité.

M. le président. La parole est à M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Je ne saurais mieux dire que M. le rapporteur. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

(L’amendement n° 5 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 4.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cet amendement vise à limiter la durée de stockage des empreintes digitales au temps nécessaire à l’établissement du titre d’identité. Il faut absolument respecter une règle de proportionnalité entre la nécessité liée au motif pour lequel les empreintes ont été prises – en l’espèce, l’établissement d’un document d’identité – et l’atteinte aux libertés publiques que représente le fichage biométrique. Pour mémoire, je rappelle que c’est sur une telle base que le Conseil d’État a ordonné la destruction des empreintes prélevées en surnombre : deux suffisent, nul besoin de huit, comme mon collègue Gosselin l’a souligné.

Conserver pendant des années des empreintes biométriques qui auront été prélevées uniquement pour obtenir un passeport et lutter contre l’usurpation d’identité m’apparaît disproportionné. Une conservation de trois mois suffira, pas besoin de les garder quinze ans.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Goujon, rapporteur. L’avis est évidemment défavorable. Que ferait-on avec une base dans laquelle les empreintes ne seraient conservées que trois mois après leur recueil ? Autant alors la supprimer. Il faut bien conserver les anciennes empreintes pour les comparer aux nouvelles, notamment lors du renouvellement du titre d’identité ou de voyage, au bout de dix ans. Et puis, pour mener à bien des contrôles, il est absolument indispensable que les empreintes soient maintenues dans la base. Si ce n’était pas le cas, un usurpateur pourrait tenter de demander, avec succès, le renouvellement d’un titre qui ne lui appartient pas et insérer ses empreintes dans la base à la place de celles du vrai détenteur de l’identité.

La technologie biométrique est tout à fait proportionnée au mal que nous voulons combattre ; le Conseil d’État l’a reconnu, comme M. le ministre et plusieurs orateurs l’ont rappelé. J’ajoute que la base est fondée sur le même principe que celle du passeport biométrique et que depuis que cette dernière a été mise en œuvre, les fraudes au passeport ont diminué de moitié sans que cela pose un problème en matière de libertés publiques.

Enfin, un amendement adopté en commission des lois, pour suivre les conseils toujours avisés de la CNIL, a déjà permis de réduire de huit à deux le nombre d’empreintes digitales conservées dans la base.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Même avis.

M. le président. Mon cher collègue, maintenez-vous votre amendement ?

M. Lionel Tardy. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement n° 1.

M. Jean-Jacques Urvoas. Il est défendu.

(L’amendement n° 1, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 3.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cet amendement permettrait de limiter le champ de compétences du fichier à l’établissement des titres d’identité et à l’identification de personnes décédées. À cet effet, il propose de supprimer l’alinéa 6, une grande porte ouverte à un fichage généralisé. L’article 55-1 du code de procédure pénal, relatif aux contrôles d’identité effectués par les OPJ ou sous leur autorité, aurait des conséquences disproportionnées si l’article était voté sans cette modification car les forces de l’ordre pourraient vérifier l’identité d’une personne rien qu’en prenant ses empreintes, de force s’il le faut. Une fois le texte adopté, il suffirait de le modifier très légèrement pour qu’il ne concerne plus seulement les empreintes digitales mais aussi toutes les données biométriques, ou pire, génétiques.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Goujon, rapporteur. Avis évidemment défavorable car en supprimant cet alinéa, monsieur Tardy, vous supprimeriez tout encadrement des réquisitions judiciaires qui portent sur le fichier – je rappelle qu’il s’agit non d’un fichier de police mais d’un fichier administratif. Or la suppression des restrictions au droit commun que le Gouvernement et moi-même avons introduites irait en sens inverse de ce que vous préconisez. Nous avons voulu limiter au maximum les possibilités de consultation de la base par les services enquêteurs, et votre amendement serait un retour en arrière. Contrairement aux autres fichiers administratifs, il faut que les magistrats ne puissent y avoir accès que pour des recherches en matière de fraude identitaire. Si vous restaurez le droit commun, vous élargissez la consultation du fichier à toute réquisition judiciaire, contrairement à l’objet et à l’exposé des motifs de votre amendement – mais c’est peut-être d’ailleurs ce que souhaitait M. Vanneste. Pour notre part, nous avons voulu un texte d’équilibre : nous sommes tout à fait favorables au lien fort, mais pas dans une vision maximaliste et nous avons prévu en deuxième lecture de l’encadrer. C’était tout l’objet de notre discussion en commission que de parvenir à un équilibre harmonieux, qui pourrait faire l’objet d’un consensus dans l’hémicycle.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. L’argumentation du rapporteur est tellement convaincante que j’invite M. Tardy à retirer son amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Monsieur Tardy, retirez-vous votre amendement ?

M. Lionel Tardy. Non, monsieur le président, je le maintiens.

(L’amendement n° 3 n’est pas adopté.)

(L’article 5 est adopté.)

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

6

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 14 décembre 2011 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2012.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)