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Commission des affaires européennes

mardi 20 mai 2014

17 h

Compte rendu n° 132

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Table ronde, conjointe avec la Commission des finances, sur le projet de taxe sur les transactions financières avec la participation de M. Manfred Bergmann, directeur, direction générale Fiscalité et Union douanière à la Commission européenne ; Mme Claire Waysand, directrice du cabinet de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics ; M. Gilles Briatta, Secrétaire Général adjoint à la Société Générale, représentant la Fédération Bancaire Française ( FBF ) ; M. Alexandre Naulot, Chargé de plaidoyer - Financement du développement, OXFAM France ; M. Alain Trannoy, professeur à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales ( EHESS ) et à l’Aix-Marseille School of Economics ( AMSE )

II. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

III. Nomination de rapporteurs d’information

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 20 mai 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17 heures

I. Table ronde, conjointe avec la Commission des finances, sur le projet de taxe sur les transactions financières avec la participation de M. Manfred Bergmann, directeur, direction générale Fiscalité et Union douanière à la Commission européenne ; Mme Claire Waysand, directrice du cabinet de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics ; M. Gilles Briatta, Secrétaire Général adjoint à la Société Générale, représentant la Fédération Bancaire Française ( FBF ) ; M. Alexandre Naulot, Chargé de plaidoyer - Financement du développement, OXFAM France ; M. Alain Trannoy, professeur à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales ( EHESS ) et à l’Aix-Marseille School of Economics ( AMSE )

La Présidente Danielle Auroi. Nous avons le plaisir d’accueillir, pour cette table ronde consacrée à la taxe sur les transactions financières (TTF), organisée conjointement par la Commission des affaires européennes et la Commission des finances, des représentants de toutes les parties concernées : l’administration européenne, le gouvernement français, les institutions financières, le monde de la recherche et celui des associations. Nous les remercions d’avoir répondu à notre invitation.

Il s’agit de M. Manfred Bergmann, directeur général de la fiscalité et de l’union douanière à la Commission européenne, l’un des pères du projet de taxe discuté au sein de l’Union ; de Mme Claire Waysand, première femme à occuper la fonction de directrice de cabinet du ministre des finances – et je ne peux que me réjouir de ce progrès vers la parité ; de M. Gilles Briatta, secrétaire général adjoint à la Société Générale et représentant de la Fédération bancaire française ( FBF ), mais qui a précédemment occupé la fonction de secrétaire général des affaires européennes ( SGAE ) ; de M. Alexandre Naulot, chargé de plaidoyer sur les questions de financement du développement à Oxfam France, ONG qui lutte contre la pauvreté et l’injustice dans le monde ; et de M. Alain Trannoy, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et à l’Aix-Marseille School of Economics ( AMSE ), spécialiste de l’économie des inégalités et de la redistribution des revenus, et membre du Conseil d’analyse économique ( CAE ).

Nous souhaitons précisément débattre ici du projet de taxe sur les transactions financières de la Commission européenne, projet qui se présente sous la forme d’une coopération renforcée de onze États membres – l’ Allemagne, l’ Autriche, la Belgique, l’ Espagne, l’ Estonie, la France, la Grèce, l’ Italie, le Portugal, la Slovaquie et la Slovénie. Ce projet est le lointain héritier d’un autre, visant à appliquer à l’échelle de l’Europe la taxe Tobin, que M. Harlem Désir et moi-même avions défendu au Parlement européen avant qu’un vote négatif – acquis par seulement sept voix de majorité – ne l’enterre. La reprise de ce dessein a pris du retard, principalement en raison des effets délétères de la crise financière de 2008, si bien que j’ai l’impression de me retrouver en face d’un serpent de mer. Espérons que celui-ci « sorte de la mer », pour reprendre l’expression de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics.

Le document de présentation élaboré par la Commission européenne précise les objectifs de ce projet de coopération renforcée : « harmoniser les législations relatives à fiscalité indirecte des transactions financières » et « faire en sorte que les établissements financiers contribuent de manière équitable et substantielle à la couverture du coût de la récente crise » – en quelque sorte leur demander de « renvoyer l’ascenseur » aux États qui, au risque d’aggraver leurs difficultés financières, les ont soutenus alors qu’ils étaient responsables du déclenchement de cette crise.

Nous souhaiterions connaître l’état des dernières discussions au sein de l’Union, ainsi que les évolutions intervenues entre la proposition initiale du 28 septembre 2011 et la décision de mise en œuvre d’une coopération renforcée prise le 14 février 2013. Un arrêt récent de la Cour de justice de l’ Union européenne ( CJUE ) a rejeté le recours britannique visant à annuler la coopération renforcée, ce qui écarte tout risque de contentieux. Néanmoins, les débats de fond demeurent et nos échanges devraient donc nous permettre de connaître les points de vue des défenseurs comme des détracteurs de la taxe et leurs arguments respectifs, qu’ils soient fondés sur un souci de justice sociale ou d’efficacité économique ou, dans le meilleur des cas, sur une conjonction de ces deux préoccupations. Il nous faudra également aborder la question de l’affectation du produit de la taxe, qui, pour le moment, n’est toujours pas tranchée.

M. Manfred Bergmann, directeur général de la fiscalité et de l’union douanière à la Commission européenne. Ce projet existe parce que de nombreux États membres souhaitaient introduire une taxe sur les transactions financières. Or, lorsqu’une telle taxe a été instituée au niveau national, comme en France, c’est avec une assiette très étroite, proche de celle du stamp duty britannique plus que de celle d’une taxe sur les transactions financières digne de ce nom. Ainsi la taxe française, dont l’assiette ne représente que 10 % de celle de la taxe prévue par la Commission, a un rendement limité à quelque 700 millions d’euros par an, à rapporter aux 7 milliards que pourrait procurer la taxe européenne. Il convient donc d’aller au-delà si l’on veut véritablement atteindre l’objectif d’une contribution « substantielle et équitable » du secteur financier.

Il va de soi qu’une taxe sur les transactions à l’ échelle mondiale serait l’idéal, mais la proposition de la Commission nous semble constituer le meilleur projet pour une taxe à l’échelle d’une région du monde. En effet, elle permet d’éviter une délocalisation des activités financières en appliquant « en cascade » trois principes d’imposition : celui du lieu d’établissement, celui du lieu de transaction et celui du lieu d’émission. Tous ceux qui opéreront sur les marchés des États participant à la coopération renforcée devront payer la taxe ; n’y échapperont que ceux qui ne serviront pas une clientèle ressortissant de ces pays et qui ne géreront pas de risque pour le compte des entreprises des mêmes pays. En outre, nous avons proposé une approche « triple A : all markets, all products, all actors », c’est-à-dire englobant tous les marchés, tous les produits et tous les acteurs, ce qui évitera des distorsions de concurrence dans ces trois domaines et assurera une assiette large, des taux bas et des rendements élevés. Concourra au même effet notre préconisation de procéder par un big bang.

Ceux qui veulent modifier ou affaiblir cette proposition en trois points de la Commission risquent de favoriser les délocalisations et d’éroder substantiellement l’assiette de la taxe, donc son rendement. Nous savons ainsi que certains États membres, redoutant de mettre en œuvre la taxe en une seule fois, refusent l’approche big bang promue par la Commission ; en principe, même si le produit de la taxe en sera forcément réduit, cette application progressive ne devrait pas nuire à son efficacité contre le risque de délocalisations et de distorsions pourvu que ces États adoptent un dispositif respectant strictement les trois principes d’imposition que j’ai énoncés – c’est-à-dire prenant en compte pour chaque produit le lieu de résidence, le lieu de la transaction et le lieu d’émission – ainsi que le principe du « triple A ». Il conviendra par exemple de ne pas taxer seulement les actions, il y a également lieu d’imposer les produits similaires comme les fonds indiciels cotés ( exchange traded funds, ou index trackers ) et tous les autres produits dérivés des actions taxées.

J’ aimerais pouvoir vous informer de l’état des négociations entre les États participant à la coopération renforcée, mais la Commission n’assiste pas à ces discussions, qui se déroulent à huis clos. Cela étant, l’opacité n’est pas totale, loin de là, et, en particulier, nous savons par la déclaration des ministres des finances du 6 mai dernier qu’on s’oriente vers une mise en place progressive de la taxe, avec une première phase consistant en « une taxation des actions et de quelques produits dérivés ». Ce serait déjà, pour la Commission, un progrès incontestable, mais sans doute Mme Waysand pourra-t-elle nous dire précisément ce que recouvre cette formule. Est-ce à dire qu’à partir du 1er janvier 2016, seront taxés toutes les actions et les produits financiers qui en sont dérivés, ou seulement quelques catégories d’actions, dans une première étape, cependant qu’on examinera l’hypothèse d’étendre l’assiette à certains produits dérivés – et lesquels ? La Commission a appris que ces deux positions avaient leurs partisans, mais je suppose, Madame Waysand, que vous pouvez nous fournir au moins des indications sur celle que défend la France.

Mme Claire Waysand, directrice de cabinet du ministre des finances et des comptes publics. Si la Commission européenne n’est pas présente lors des discussions entre les pays participant à cette coopération renforcée, les autres États membres sont informés de celles-ci dès le lendemain – ce qui permet d’ailleurs à certains de marquer leur ferme opposition au projet.

Il convient de ne pas négliger l’avancée obtenue les 5 et 6 mai derniers ; en effet, les États membres se sont mis d’accord pour la première fois sur le principe de la création de cette taxe sur les transactions financières et ils ont arrêté un calendrier : le champ de la taxe sera précisé d’ici à la fin de l’année 2014, et elle entrera en application le 1er janvier 2016 au plus tard. Cet accord historique constitue une contribution importante à la dynamique européenne, car il s’agit de l’une des premières coopérations renforcées, et la première dans le domaine fiscal. Elle réunit à ce jour dix États membres – on sait que le nombre minimum est de neuf –, dix États qui partagent une même ambition politique.

La France, dotée d’une taxe sur les transactions financières, a porté ce projet en incitant à la constitution de cette coopération renforcée, car notre pays n’oublie pas la responsabilité du secteur financier dans l’état actuel de l’économie mondiale, marqué par un haut niveau de chômage et par une multiplication des plans sociaux. La croissance a été, en moyenne, nulle ces cinq dernières années en France, ce qui explique la situation difficile de notre pays. Nous venons de vivre la pire crise financière depuis la Seconde guerre mondiale et il importe de garder à l’esprit que tout cela résulte d’une réglementation et d’une supervision insuffisantes de la finance. Nous avons commencé à en tirer les leçons et nous devons continuer dans cette voie. La création d’une taxe sur les transactions s’inscrit dans cette démarche : mettant du sable dans les rouages, elle rend un peu moins profitables des opérations de court terme sur des produits financiers. D’ autre part, la crise financière ayant eu un coût élevé pour l’économie mondiale, il est normal de faire contribuer le secteur financier dans son ensemble au rétablissement de l’économie et des comptes publics.

Même si nous sommes heureux du résultat obtenu le 6 mai, il reste des questions à régler, à commencer par celle du champ de la taxe, qui ne fait pas l’objet d’un accord à ce stade. M. Manfred Bergmann a rappelé que les États membres s’étaient entendus pour taxer les actions et certains produits dérivés. Dans les prochains mois, nous déciderons de la nature de ces derniers, ce sujet faisant l’objet de débats serrés – si la question avait été tranchée, ce point aurait bien évidemment figuré dans le communiqué du 6 mai ! La France a proposé de taxer l’ensemble de ces produits, mais l’idée n’a pas recueilli l’assentiment de nos partenaires. Les États participants doivent maintenant s’interroger sur l’objectif qu’ils recherchent à travers cette taxation, sachant que sa contribution au financement de l’économie réelle est en définitive le point essentiel, même si nous ne pouvons être indifférents aux risques de distorsions, ne serait-ce que pour éviter de perdre l’assiette de la taxe.

Après ce travail qui occupera donc les prochains mois, nous nous pencherons sur la question de l’affectation du produit de la taxe. Nous aborderons le sujet dans un esprit de grande ouverture. Cependant, l’utilisation du produit de notre taxe nationale donne quelques indications sur nos préférences, puisque 10 % – et même, à partir de cette année, 15 % – en ont été affectés à des financements liés au développement – en particulier en matière de santé, d’environnement et de climat. Mais nous avons également noté que le Parlement européen a suggéré que ce produit soit utilisé comme ressource propre du budget de l’Union.

M. Alain Trannoy, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales ( EHESS ) et à l’ Aix-Marseille School of Economics ( AMSE ). La taxation des actions et le calendrier étant acquis, il reste maintenant aux États participants à trancher des questions parmi les plus difficiles, ce d’ici au 1er janvier 2015. Il faut saluer le pas franchi, mais il n’est pas encore assuré que la « taxe sur les transactions financières » aille bien au-delà d’une simple taxe européenne sur les opérations de bourse et comble les espoirs placés dans ce projet. En d’autres termes, le risque que la montagne accouche d’une souris n’est pas totalement écarté. Néanmoins, même s’il devait en être ainsi, la taxe pourrait être utilisée comme instrument de régulation en période de crise : même si le taux appliqué aux produits dérivés était nul dans un premier temps, il pourrait être relevé pour calmer les marchés financiers en cas de risque systémique.

La taxation des transactions financières est une bonne idée, surtout si elle s’applique aux produits dérivés qui constituent le cœur de la finance moderne. Ces outils permettent de transférer du risque des agents non financiers, mal armés pour les affronter, vers des acteurs financiers davantage capables d’y faire face ; ainsi, un fermier beauceron peut vouloir s’assurer contre la volatilité du taux de change qui affecte les ventes de blé, et il est positif que des produits financiers puissent lui fournir une garantie contre le retournement du marché des changes. Cependant, l’institution financière ayant assuré le fermier cherchera à couvrir son risque auprès d’une autre institution financière, et ainsi de suite. Mais plus le marché sera « profond », plus cette chaîne d’assurance sera longue et plus on courra un risque systémique : si l’un des maillons de cette chaîne fait défaut et qu’il n’est pas identifié, l’anxiété gagnera l’ensemble des acteurs du secteur financier. La taxe sur les transactions financières doit donc viser à identifier les opérateurs non fiables – à séparer le bon grain de l’ ivraie –, à ne pas décourager les échanges entre l’économie réelle et le secteur financier et à raccourcir la chaîne de contreparties ; pour ce faire, le taux de la taxe sur les produits dérivés doit se situer à un niveau relativement bas, mais il est essentiel que ces produits soient effectivement taxés.

Pourquoi la montagne pourrait-elle n’accoucher que d’une souris ? En premier lieu parce que l’activité financière, particulièrement celle des produits dérivés, est concentrée dans certains pays européens, le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Suisse, qui ne font pas partie de la coopération renforcée. Cette absence illustre l’influence des lobbies financiers dans les pays où le secteur financier pèse d’un poids élevé dans le PIB – 10 % au Royaume-Uni et 40 % au Luxembourg. En second lieu parce qu’une taxe instaurée dans seulement dix pays expose ceux-ci à la délocalisation des marchés de produits dérivés, opération très facile du fait de la dématérialisation des échanges.

La reprise de l’économie européenne et mondiale est compromise par le rythme décevant du progrès technique, qui a nettement ralenti par rapport aux années 1980 et 1990. Ce progrès étant essentiellement le fait du monde non financier, il serait logique d’affecter les recettes de la taxe, prélevées sur le secteur financier, aux investissements en recherche et développement ( R&D ) de l’économie réelle et, particulièrement, à ceux nécessaires à la transition écologique.

Face à la perspective d’un échec relatif de projet, il convient toutefois de songer à d’autres instruments. Dans un document de travail du Centre d’analyse stratégique ( CAS ) – devenu depuis le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) –, M. Jean-Paul Nicolaï et moi-même avons défendu l’instauration d’un impôt assis sur les engagements hors bilan, car la délocalisation des activités hors bilan signifie celle du siège de la banque, opération beaucoup plus lourde que le simple transfert de l’activité des produits dérivés.

M. Gilles Briatta, secrétaire général adjoint à la Société Générale, représentant la Fédération bancaire française ( FBF ). Que ce sujet controversé soit complexe, voilà bien le seul point sur lequel tous s’accordent à ce jour ! Le communiqué des dix ministres des finances du 6 mai dernier en atteste, puisque, tout en réaffirmant l’ engagement de faire aboutir ce projet – ce qui déplaît aux banques, car aucune entreprise n’aime être taxée –, il fait état de problèmes complexes « clairement mis en évidence ». Cette honnêteté honore les auteurs de cet aveu mais, comme Mme Waysand l’a rappelé, les discussions ne peuvent être que difficiles.

La complexité tient à une certaine confusion sur les objectifs mêmes de la taxe – dont certains sont contradictoires –, au fait que cette taxe dite européenne ne touchera pas Londres, premier centre financier du continent et deuxième du monde – et même premier pour les transactions en euros –, et aux difficultés particulières que posent les produits dérivés.

Les objectifs assignés à la taxe se révèlent passablement divers : punir les banques, augmenter la contribution du secteur financier, récolter d’importantes ressources, diminuer le volume des produits dérivés… Mme Waysand a repris l’expression de James Tobin parlant de « sable dans les rouages », mais l’exposé des motifs de la proposition de la Commission fait plutôt penser à de très gros graviers, puisque l’objectif serait de faire diminuer le volume des dérivés dans une proportion comprise entre 70 et 90 % ! Or si les dérivés disparaissent des pays où la taxe aura été instaurée, celle-ci ne produira plus de recettes. Le projet de la Commission a un caractère magique dans la mesure où il vise à obtenir un rendement élevé d’une base fiscale qu’il détruit ! On ne peut ainsi miser sur les deux tableaux.

Il est certain en effet que la taxe peut très facilement tuer les transactions. L’expérience suédoise de la fin des années 1980 en apporte la preuve : la taxe instaurée dans ce pays, assise sur les actions, les obligations et tous les produits assimilés aux obligations, a engendré une baisse du volume des transactions de 90 %, d’où, au début des années 1990, une forte contraction des recettes fiscales. La Suède a donc mis un terme à ce dispositif en 1991 et ne participe évidemment pas à l’actuelle coopération renforcée.

En deuxième lieu, taxer les transactions financières en Europe sans participation du Royaume-Uni revient à édicter une norme sur les grandes berlines de luxe qui ne s’appliquerait pas à l’Allemagne ! La Commission a certes prévu des dispositions, que M. Bergmann a expliquées, pour prévenir les délocalisations de l’activité des produits dérivés mais il reste que, contrairement à ce qu’affirme l’excellente note de présentation de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union n’écarte pas tout risque de contentieux quant au fond du projet : il se borne à ne pas donner suite au recours britannique contre l’autorisation d’engager une coopération renforcée, l’objet de celle-ci n’étant pas encore arrêté de sorte qu’on ne peut dire qu’elle viole le Traité. Le Royaume-Uni pourra toujours attaquer les dispositions contre les délocalisations en s’appuyant sur l’avis du service juridique du Conseil de l’Union, en date du 6 septembre 2013, dont la conclusion pose l’incompatibilité du projet avec l’article 327 du traité, car le mécanisme imaginé par la Commission violerait les droits des États non participants. Cet avis rappelle qu’une coopération renforcée ne peut pas imposer ses effets aux États membres qui n’en sont pas parties, et qu’il serait donc illégal de taxer les activités de produits dérivés délocalisées à Londres. Au cours de ma carrière dans les institutions européennes, j’ai pu éprouver la fiabilité des avis de ce service juridique. Les ministres des finances assurent d’ailleurs dans leur communiqué qu’il convient de tenir compte des préoccupations exprimées par les États membres ne participant pas à la coopération renforcée. L’alternative est donc entre accepter une délocalisation massive à Londres et essayer de la contrer en prenant des mesures illégales. Or, si la Cour de justice déclarait la taxe contraire au Traité quelques années après son entrée en vigueur, les États devraient rembourser l’intégralité du produit collecté. Et il est certain que cette taxe sera attaquée devant la Cour, l’avis du service juridique du Conseil servant de guide aux requérants ! Voilà pourquoi un tel projet réalisé sans le Royaume-Uni se trouve fragilisé.

Comme M. Trannoy et Mme Waysand l’ont rappelé, les dérivés possèdent une utilité économique et il ne peut donc être question de les taxer tous. Mais je suis particulièrement inquiet à l’idée que les dérivés actions puissent l’être : la moitié sont français. Il s’agit en effet du seul produit financier pour lequel notre pays domine le marché mondial, devant les États-Unis. Nos banques l’ont créé pour couvrir les institutions financières – assurances, fonds de pension – possédant un fort stock d’actions et souhaitant s’assurer contre les turbulences des marchés d’actions que l’on connaît depuis les années 1980. À la Société générale, 2 500 personnes travaillent à Paris sur ce produit, et il serait donc préférable de ne pas le taxer. En revanche, si j’étais négociateur d’un autre pays participant à la coopération renforcée, je recommanderais d’imposer ce produit que mes banques ne proposent pas ! La taxation des dérivés actions ne laisserait alors plus que les Américains sur ce marché. Je sais que tel n’est pas le dessein du Gouvernement, mais le risque existe réellement.

Veillons à ne pas « vendre » des ressources financières qui n’existent pas encore et tirons les leçons de l’expérience suédoise, mais aussi de l’expérience italienne : dans ce pays, une taxe limitée aux dérivés actions et de surcroît plafonnée pour éviter l’effet d’éviction a entraîné une baisse de 75 % du volume des transactions, au grand dam d’ailleurs des banques françaises. Attention donc au choix des dérivés à taxer et gardons-nous aussi bien des risques de délocalisation que de mesures anti-contournement manifestement illégales.

M. Alexandre Naulot, chargé de plaidoyer–financement du développement à Oxfam France. Je représente Oxfam France et les 40 associations françaises travaillant en faveur d’une taxe assise sur l’ensemble des transactions financières et dont le produit servirait à financer la solidarité internationale, la lutte contre le changement climatique et le combat contre les grandes pandémies comme le sida.

Le Fonds monétaire international – qui n’est pas connu pour son progressisme fiscal – a indiqué à deux reprises que 40 taxes sur les transactions financières existaient dans le monde, dont certaines frappent les produits dérivés sans provoquer d’évasion financière. C’est notamment le cas au Brésil qui connaît une croissance économique bien supérieure à celle de la France et de l’Union européenne et qui perçoit par ce moyen 10 à 13 milliards d’euros chaque année. La taxe taïwanaise sur les produits dérivés rapporte quant à elle entre 2 et 4 milliards d’euros par an, soit 8 % des revenus fiscaux du pays. La taxe suédoise s’est certes soldée, elle, par un échec mais c’est qu’elle était mal conçue. Ces quarante autres exemples – sans compter les taxes française et italienne – démontrent qu’on peut taxer les transactions, y compris sur les produits dérivés, et collecter des revenus de manière efficace.

Ces taxes induisent bien une baisse du volume des transactions financières, mais celles-ci ont crû de 2 000 % depuis vingt ans, si bien qu’une contraction de 10 à 20 % en France ne m’inquiète pas, d’autant que, comme le montre le cas brésilien, croissance économique et variation du volume des transactions financières sont déconnectées. Il y a donc lieu de réguler les marchés financiers !

Nous avons publiquement salué l’avancée du 6 mai, acquise avant l’élection du Parlement européen grâce à l’engagement proclamé par M. François Hollande et par Mme Angela Merkel le 19 février dernier. Nous disposons donc maintenant d’un calendrier, mais nous regrettons que le flou demeure sur l’affectation du produit de la taxe et sur la nature des produits dérivés entrant dans son assiette.

S’agissant de ces derniers, nous pensons qu’ils doivent tous être soumis à la taxation sur les transactions. En effet, selon un rapport de la société indépendante d’ingénierie financière AlphaValue, le niveau des transactions sur ces produits est aujourd’hui supérieur à ce qu’il était avant 2008, alors que ce marché porte une part de responsabilité dans le déclenchement de la crise financière. Et les banques françaises n’y tiennent pas une place négligeable : BNP Paribas occupe sur ce marché la deuxième place en Europe – la première revenant à la Deutsche Bank, la Société générale et le Crédit agricole se classant en huitième et neuvième positions – avec une exposition atteignant 24 fois le PIB français !

Dans les six prochains mois, il faudra mettre en place une taxe efficace portant sur les actions. On peut pour cela s’inspirer de la taxe française, qui a constitué indéniablement une avancée, mais qui pâtit de certaines insuffisances – elle ne génère que de 600 à 700 millions d’euros par an alors que le mécanisme britannique rapporte entre 3 à 4 milliards d’euros. À ce propos d’ailleurs, il convient de faire justice des arguments juridiques avancés par le Royaume-Uni : le produit que ce pays retire de sa taxe provient à 40 % d’agents étrangers et son dispositif a donc bien une application extraterritoriale, tout comme la TVA acquittée au Luxembourg pour l’achat de crédits servant à communiquer sur Skype. L’extraterritorialité de la taxation des transactions financières ne serait donc pas une nouveauté et le service juridique du Conseil serait par conséquent bien avisé de revoir son appréciation sur ce point.

Nous militons pour l’utilisation de cette taxe au service de la solidarité internationale. Les onze pays participant à la coopération renforcée ont diminué leurs crédits affectés à l’aide publique au développement ( APD ) de quelque 640 millions d’euros. Parmi eux, la France fait partie des mauvais élèves : l’ APD qu’elle consent a chuté de 10 % l’ année dernière. Or les ministres du développement de l’Union ont récemment réaffirmé leur objectif de voir cette aide atteindre 0,7 % du PIB. Le recours aux financements innovants prôné par notre pays pourrait venir compléter cet effort, compte tenu des besoins croissants. Nous invitons donc la France à agir auprès de ses partenaires de la coopération renforcée, notamment de l’Allemagne, pour les inciter à développer par ce moyen leurs actions de solidarité internationale. Je rappelle que se tiendra l’an prochain, à Paris, la COP 21, la 21ème conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Les participants à la conférence de Copenhague avaient promis 100 milliards de dollars par an au profit de la lutte contre le changement climatique, mais cet engagement ne s’est pas traduit dans les faits. La taxation des transactions financières peut être un des outils innovants permettant de financer une telle cause, cruciale pour la planète, ce qui faciliterait de surcroît l’obtention d’un accord avec les pays en voie de développement lors de la COP 21. Mais l’Allemagne aussi est intéressée à ce que cette taxe finance la solidarité internationale : en tant qu’hôte du G7 – ou du G8 selon la situation internationale – de l’ année prochaine, elle aura à faire aboutir les discussions inscrites à l’agenda de cette rencontre, qui porteront sur la mise en œuvre de l’accord issu de la COP 21 et sur le devenir de l’aide au développement, notamment en matière sanitaire. Le Gouvernement dispose donc d’une opportunité historique de créer un partenariat franco-allemand visant à affecter le produit de la taxe à la solidarité internationale, à la lutte contre le changement climatique et à la santé mondiale ; le gouvernement allemand y est prêt car la société civile l’y incite très fortement.

Il n’est pas nécessaire d’attendre la fin des négociations européennes pour que la France améliore sa TTF nationale, afin de récolter les 1,6 milliard d’ euros qui en étaient escomptés au lieu de se contenter des 600 millions d’euros perçus actuellement ; en outre, la prochaine loi de finances devrait réorienter l’affectation de cette ressource. Enfin, nous invitons la France à défendre, au sein de la coopération renforcée, une position réellement ambitieuse en matière de taxation des produits dérivés.

Mme Valérie Rabault, présidente, rapporteure générale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur Bergmann, disposez-vous d’une cartographie des points de blocage par pays, les intérêts nationaux pouvant diverger du fait de l’hétérogénéité de l’organisation des marchés bancaires ?

Comme vous l’avez rappelé, Monsieur Briatta, les banques françaises sont celles qui possèdent le plus de produits dérivés dans leurs bilans et les sociétés de gestion françaises gèrent le montant d’actifs le plus élevé – 3 000 milliards d’euros –, dégageant un résultat de 2 milliards d’ euros selon le rapport de l’Autorité des marchés financiers ( AMF ) de 2012. Quel serait pour ces dernières le coût de la taxation des transactions financières ? Le chiffre de 6 milliards d’euros évoqué dans la presse me paraît exagéré au regard des bilans financiers.

Monsieur Bergmann, l’article premier de l’accord de coalition gouvernementale entre la CDU et le SPD porte sur cette taxation et insiste sur les produits plutôt que sur les acteurs et les marchés, ce qui s’éloigne de votre approche « triple A ». Quelle est votre opinion sur ce sujet, sachant que le paysage bancaire allemand diffère quelque peu du nôtre ?

M. Joaquim Pueyo. Pourquoi les Pays-Bas, la Suède et la Finlande ne participent-ils pas à la coopération renforcée ?

Madame Waysand, le gouverneur de la Banque de France a déclaré le 28 octobre 2013 que la taxe conçue par Bruxelles faisait courir un énorme risque aux pays qui l’appliqueraient, que ce projet n’était donc pas viable et qu’il devait être entièrement revu. Il a même ajouté qu’il ne pensait pas que le Gouvernement français ait voulu « faire quelque chose qui déclencherait la destruction de pans entiers de l’industrie financière française, provoquerait une délocalisation massive d’emplois et porterait atteinte à la reprise ». Ces propos sont très forts ! Qu’en pensez-vous ?

M. Manfred Bergmann. L’approche « triple A », qui revient à englober l’ensemble des marchés, des acteurs et des produits, nous semble indispensable, au moins à long terme. En tout état de cause, elle doit s’appliquer à toute la chaîne des petits produits : si l’on taxe les actions, par exemple, il faut aussi taxer leurs dérivés.

Quant à la négociation entre les États membres participants, de nombreux défis restent à relever ; jusqu’à présent, elle a surtout porté sur les détails, et des instructions politiques étaient attendues pour lui permettre de progresser.

Tous les États participants étaient à peu près d’ accord pour taxer l’ensemble des produits dérivés, mais pas de la façon que la France propose, qui consiste à asseoir la taxe, non sur les transactions, mais sur une variation du bilan comptable à la fin de l’année. Il convient de bien séparer les sujets. Une fois prise la décision de taxer les produits dérivés, il faut déterminer lesquels : c’est ce point que les ministres des finances nous ont demandé de trancher ; après quoi, nous aurons à décider comment taxer ces produits, et à quels taux. Mais, comme vous l’avez vu, notre déclaration de principes n’évoque plus ni les produits dérivés des dettes publiques, ni les accords de rachat, au sujet desquels avait réagi M. Noyer.

Plusieurs États membres et acteurs du monde financier jugent souhaitable une diminution du volume des transactions sur les produits dérivés. Un malentendu demeure sur ce point. Comme l’a justement observé M. Trannoy, la chaîne des contreparties sur les risques est devenue excessive, d’autant que chacun de ses maillons a un coût pour les investisseurs réels ; en Italie, sa réduction de 60 à 70 % n’a eu aucun impact négatif sur l’économie, en termes de risques assumés par les investisseurs non financiers.

La montagne accouchera-t-elle ou non d’une souris ? À mon sens, c’est le Gouvernement français qui détient la clé : pour l’instant, il reste ferme sur la question des dérivés, mais il n’est pas le seul. Le gouvernement italien, par exemple, a proposé une taxation dégressive, dont le taux diminuerait à mesure que le montant de la transaction augmenterait. Le gouvernement allemand, lui, souhaite éviter une taxation des petites et moyennes entreprises, alertant sur des risques sectoriels, dans l’industrie en particulier. On peut imaginer, par exemple, d’exclure de la taxe, au moins dans un premier temps, les dérivés sur les taux de change ou sur les matières premières ; mais ces points, je le répète, restent à négocier.

Mme Claire Waysand. La proposition de la Commission soulevait en effet plusieurs questions, mais le Gouvernement français n’en est plus à la discuter. Faut-il, pour filer la métaphore de Gilles Briatta, parler de grains de sable ou de gros cailloux ? Il est normal que la taxe réduise le volume des transactions financières, en particulier celles qu’on ne juge pas utiles au financement de l’économie ; il faudrait bien entendu s’interroger sur son impact si elle devait réduire très substantiellement le volume global des transactions et, ce faisant, affecter la stabilité financière. Il faut donc trouver le juste équilibre, et c’est aussi fonction du produit que l’on veut dégager, les montants avancés par la Commission ayant fait matière à débat.

Au-delà de son rendement, la taxe a vocation à assurer une meilleure stabilité du monde économique et financier : elle manquerait donc son but si elle devait conduire certains investisseurs à délocaliser leurs activités de Francfort, Rome, Milan ou Paris vers Londres. C’est là une question cruciale, qui ne se réduit pas à la défense d’intérêts « boutiquiers » nationaux. Le Gouvernement français était favorable à une taxation qui englobe toute l’activité des établissements financiers en matière de dérivés. Cette proposition, qui ne suscitait pas l’enthousiasme des banques, n’a pas recueilli de consensus.

Les dérivés sur les taux de change ou sur les matières premières, laissait entendre M. Bergmann à l’instant, pourraient être exclus de l’assiette. Il faudrait plutôt commencer par s’interroger sur l’utilité des dérivés pour le financement de l’économie. Au lieu de chercher un compromis entre les desiderata des uns et des autres, il vaudrait mieux partir des principes d’intérêt général.

La Présidente Danielle Auroi. Quel est votre sentiment, Monsieur Trannoy, sur cette question de l’intérêt général ?

M. Alain Trannoy. Le problème est que, en matière fiscale, les traités européens ont instauré la règle de l’unanimité sans empêcher des attitudes discriminatoires ou agressives. Dans une lettre adressée aux directeurs des services fiscaux des grandes entreprises du CAC 40, le Premier ministre anglais, M. Cameron, détaillait les avantages d’une installation à Londres, parmi lesquels la promesse d’une baisse de l’impôt sur les sociétés à 20 %. De telles attitudes constituent une menace pour la définition d’un intérêt général européen : la remarque vaut pour la taxation des transactions financières, mais aussi, par exemple, pour l’harmonisation des bases de l’ impôt sur les sociétés. En matière fiscale, il faudrait fixer des règles du jeu européennes. De nombreux économistes sont prêts à aider la Commission et les États membres dans leur réflexion sur le sujet.

M. Gilles Briatta. Le cas des sociétés de gestion, que je ne représente évidemment pas ici, mérite qu’on s’y arrête ; il n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui des dérivés de taux, et nos amis allemands y ont été tout particulièrement sensibles.

Afin de tirer le meilleur rendement de son portefeuille, un organisme de placement collectif en valeurs mobilières ( OPCVM ) est amené à enchaîner achats et reventes à un rythme soutenu ; or, aux termes de la proposition de la Commission, chacune de ces opérations, y compris dans l’intragroupe, serait taxée : même à un taux faible, cela aurait un impact sensible, au regard du maigre taux d’intérêt escompté de chaque transaction. Toutes les sociétés de gestion ont donc craint de devoir se délocaliser au Luxembourg et ont pris, dans cette hypothèse, des dispositions en conséquence. Le message est désormais passé, les rassurant, mais cet exemple doit nous alerter sur l’impact d’une cascade de petites taxes appliquées à un même produit : c’est un peu comme si l’on appliquait une TVA à chaque opération, y compris au sein de l’intragroupe, et ce en l’absence même de remboursement.

Nous vendons, via des dérivés de taux, des assurances à des États européens qui souscrivent des emprunts à taux fixe sur dix ans : il va de soi que nous ne gardons pas le risque ! Si d’ailleurs nous voulions le faire, Monsieur Trannoy – mais sans doute n’est-ce pas ce que vous avez voulu dire –, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution nous en empêcherait, car son but est précisément de vérifier que le risque est disséminé, soit à travers d’autres opérations de la banque, soit grâce à des réassurances.

M. Alain Trannoy. Je voulais seulement dire, en effet, que l’application d’un taux epsilon permettrait de réduire la chaîne – dont la longueur génère, si l’on cumule toutes les transactions, des montants impressionnants –, sans que cela empêche les investisseurs de l’économie réelle de s’assurer sur les marchés financiers.

M. Gilles Briatta. La taxe de Taiwan est assise, pour 95 %, sur des actions et des obligations, et pour 5 % sur des dérivés de type « futures », listés comme des actions. Nous n’avons jamais payé de taxe à Taiwan sur les dérivés que nous leur vendons, par exemple. Bref, Monsieur Naulot, cette taxe ne rapporte que 5 % des 4 milliards dont vous avez parlé.

Sur l’extraterritorialité, il faut rappeler que la taxation des transactions financières, contrairement à la TVA, ne sera pas un prélèvement européen. Le stamp duty, Monsieur Naulot, s’applique en effet à toutes les actions britanniques, où qu’ait lieu la transaction. Bien que beaucoup de cabinets d’avocats aient voulu l’attaquer en se fondant sur le droit européen, cette taxe paraît juridiquement sûre car elle est assise sur l’opération de transfert du droit de propriété, autrement dit sur le service rendu au Royaume-Uni. Il en irait tout autrement de la taxation d’un produit ayant pour sous-jacent une action française, dans le cadre d’une transaction entre une banque britannique et un client allemand ou américain : le lien serait pour le moins difficile à établir, et la fragilité juridique extrême ; mais il appartiendrait bien entendu à la justice de trancher.

M. Alexandre Naulot. Bien que la collecte ne doive commencer qu’au 1er janvier 2016, il convient de réfléchir à l’affectation de la taxe française dès le prochain projet de loi de finances. On pourrait au moins porter au-delà des 15 % actuels – soit 90 millions d’euros – la part de son produit consacrée à l’aide publique au développement : cela ne compenserait même pas la baisse décidée l’an dernier sur ce poste budgétaire.

Étrangement, la proposition française d’une taxation de l’ ensemble des produits dérivés n’a jamais été rendue publique : nous en avons eu vent grâce à des médias et à nos échanges avec certaines autorités. En fait, elle ne visait, semble-t-il, que les dérivés légalement déclarés au titre du règlement EMIR – European market infrastructure regulation – ou de la nouvelle directive sur les marchés d’instruments financiers, dite « MIF 2 », qui s’appliquera à partir de l’an prochain. Or l’ensemble des transactions sur les produits dérivés s’effectuent sur le marché de gré à gré, qui n’est pas visé par ces législations : c’est dire les limites de cette proposition. Aussi espérons-nous que le texte final sera plus proche de celui de la Commission.

Notre association n’est absolument pas favorable à une délocalisation massive des produits dérivés vers les places financières de Londres, de New-York ou du Luxembourg ; mais il s’agit de distinguer entre utilité spéculative et utilité pour l’investissement. Sur ce point, de nombreux rapports indiquent que le volume des transactions sur les produits dérivés a explosé depuis 2008, pour atteindre 90 % des investissements financiers : les investissements de long terme utiles aux entreprises ne représentent donc plus que 10 %. Par conséquent, une réduction de 90 % du volume des transactions spéculatives sur le marché européen raccourcira la chaîne dont parlait M. Trannoy et réorientera les transactions vers les investissements.

M. Manfred Bergmann. Je veux tout d’abord revenir sur la légalité de notre proposition. Sur ce point, n’oublions pas que la taxe doit porter sur des transactions, non sur des services, des biens de consommation, des profits ou des revenus. Il faut, dans ces conditions, assurer une connexion suffisante entre la juridiction qui prélève la taxe et la transaction. Cette connexion peut être établie par quatre critères, que nul – pas même les Britanniques, ni le service juridique du Conseil – ne conteste : la résidence du vendeur, la résidence de l’acheteur, le lieu de transaction et le lieu d’émission du produit négocié. Si la transaction concerne quatre lieux différents, la question n’est pas celle de l’extraterritorialité, mais celle d’une éventuelle double taxation. Le service juridique du Conseil a inventé un concept selon lequel le droit d’une juridiction pourra prévaloir sur celui d’une autre. Un tel concept, bien entendu, n’est pas appliqué partout dans le monde : s’il l’était, les accords destinés à éviter la double imposition deviendraient inutiles.

Quant aux produits dérivés, les deux mots-clés, comme l’indiquaient Mme Waysand et M. Trannoy, me semblent être « réduction » et « ralentissement ». Rien ne justifie un marché financier quarante fois plus volumineux que l’économie réelle. Les incitations dont ce marché bénéficie favorisent actuellement son inflation ; mais chaque maillon ayant un coût, le raccourcissement de la chaîne aura des bénéfices en termes d’efficacité. D’autre part, les sociétés de gestion, observait M. Briatta, effectuent des transactions à haute fréquence : c’est précisément ce qui doit nous inciter à ralentir celles-ci, car il n’y a pas plus de sens à échanger le risque toutes les millisecondes qu’à l’assumer seul. Certains produits peuvent être conservés jusqu’à maturité, d’autres négociés sur les marchés à un rythme plus régulier ; mais le contournement permanent n’a pas de justification.

J’en viens à la cartographie demandée par Mme Rabault. Onze États membres participent à la coopération renforcée ; la Slovénie n’a pu signer la déclaration pour deux raisons, l’une institutionnelle – le pays se trouvait alors sans gouvernement – et l’autre, peut-être, plus officieuse : elle ne possède pas de société dont la capitalisation atteigne un milliard, soit le niveau à partir duquel la taxe s’appliquera. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, la plupart des petits États membres plaident pour un élargissement de l’assiette, soucieux qu’ils sont de retirer un bénéfice de la taxe.

Un autre groupe de pays défend des positions plus proches de celles de la Commission, tout en prônant une mise en œuvre par étapes : on évaluerait d’abord l’impact de la taxe sur quelques produits avant, le cas échéant, de l’étendre à d’autres.

Un troisième groupe, le plus restreint, souhaite une assiette plus réduite, sur le modèle du stamp duty britannique.

On peut aussi distinguer, au sein de l’ Union, deux groupes d’États membres non adhérents à la coopération renforcée, l’un formé par les pays qui possèdent des places financières importantes, comme le Luxembourg ou le Royaume-Uni, et l’autre par ceux qui, sans s’opposer à la taxation, refusent l’idée d’une coordination européenne, arguant qu’elle n’a plus guère d’utilité dès lors que chaque pays met en œuvre la taxe par ses propres moyens, en l’asseyant sur les émissions nationales. Il ne faut pas oublier, cependant, que les onze États réunis dans la coopération renforcée représentent 90 % de l’économie de la zone euro, et un sixième de l’économie mondiale. Leur poids leur permet donc d’être plus ambitieux. Dans les quinze prochains jours, l’Allemagne, par exemple, fera une proposition, non sur les dérivés à taxer, mais sur les modalités de taxation. Un accord sur ce point permettrait, pour reprendre une expression allemande, de tuer deux mouches d’un coup de tapette. Mais pour le moment, je le répète, c’est le Gouvernement français qui détient la clé : s’il décide d’aller plus loin, les autres pays suivront, qu’il s’agisse de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Allemagne.

Mme Claire Waysand. Le ministre l’a clairement dit à l’Assemblée nationale comme à Bruxelles : la France soutient pleinement le compromis qui a été trouvé, prévoyant la taxation des actions et de certains types de dérivés.

La Présidente Danielle Auroi. Merci à tous. Nous aurons, je pense, l’occasion d’organiser, le moment venu, une nouvelle réunion sur ce thème.

II. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø Commerce extérieur

- Proposition de décision du Conseil établissant la position à adopter par l’Union européenne au sein du Conseil général de l’Organisation mondiale du commerce en ce qui concerne l’adhésion de la République islamique d’Afghanistan à l’ OMC (COM(2014) 223 final – E 9325).

Ø Politique industrielle

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques (Refonte) - Lien avec l’ article V du GATT de 1994 ( Liberté de transit ) (8612/14 – E 9309).

Ø Relations extérieures

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter par l’ Union européenne au sein du conseil d’association institué par l’accord d’association entre l’ Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’ Amérique centrale, d’ autre part, en ce qui concerne l’adoption de décisions du conseil d’association relatives au règlement intérieur du conseil d’association et au règlement intérieur du comité d’association, au règlement intérieur régissant le règlement des litiges prévu au titre X et au code de conduite à l’ intention des membres des groupes spéciaux et des médiateurs, à la liste des personnes appelées à faire partie des groupes spéciaux ainsi qu’à la liste des experts dans le domaine du commerce et du développement durable (COM(2014) 237 final – E 9326).

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø Culture

- Projet de décision d’ exécution du Conseil relative aux modalités pratiques et de procédure en vue de la désignation, par le Conseil, de trois membres du jury de sélection et de suivi dans le cadre de l’action en faveur des " capitales européennes de la culture " pour les années 2020 à 2033 - Texte de la présidence (7828/14 – E 9338) ;

- Recommandation de décision du Conseil désignant la « Capitale européenne de la culture 2018 » aux Pays-Bas (COM(2014) 253 final – E 9343).

Ø Pêche

- Proposition de décision du Conseil concernant la position à adopter, au nom de l’ Union européenne, au sein de la Commission des thons de l’océan Indien ( CTOI ) (COM(2014) 49 final – E 9076) ;

- Proposition de décision du Conseil concernant la position à adopter, au nom de l’ Union européenne, au sein de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique ( CICTA ) (COM(2014) 135 final – E 9184) ;

- Proposition de décision du Conseil concernant la position à adopter, au nom de l’ Union européenne, au sein de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée ( CGPM ) (COM(2014) 136 final – E 9185).

Ø PESC – Relations extérieures

- Décision du Conseil modifiant la décision 2011/137/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (8537/14 – E 9344) ;

- Règlement d’exécution du Conseil mettant en œuvre l’ article 16, paragraphe 2, du règlement (UE) no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (8545/14 – E 9345) ;

- Règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (9217/14 – E 9346) ;

- Décision du Conseil modifiant la décision 2011/137/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye. Règlement d’exécution du Conseil mettant en œuvre l’ article 16, paragraphe 2, du règlement (UE) no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye. Règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (9790/14 – E 9347).

Ø Politique sociale - Travail

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter au nom de l’ Union européenne lors de la 103e session de la Conférence internationale du travail concernant une recommandation visant à compléter la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, de l’Organisation internationale du travail (COM(2014) 239 final – E 9314).

III. Nomination de rapporteurs d’information

Sur proposition de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a nommé rapporteurs d’information :

Mme Audrey Linkenheld sur la protection des marques.

La séance est levée à 18 h 55

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 20 mai 2014 à 17 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Sandrine Doucet, M. Jean-Patrick Gille, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Joaquim Pueyo, M. Arnaud Richard

Excusés. - M. Philip Cordery, Mme Marietta Karamanli, M. Lionnel Luca

Assistaient également à la réunion. - M. Gaby Charroux, M. Charles de Courson, M. Alain Fauré, Mme Arlette Grosskost, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault