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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
2ème Session extraordinaire

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 26 septembre 2007

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Rudy Salles

1. Rappel au règlement.

M. Jacques Myard.

2. Accord France-Algérie sur les transports internationaux. – Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat (nos 121, 163)

Adoption de l’article unique du projet de loi.

3. Acte de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture. – Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat (nos 120, 165)

Adoption de l’article unique du projet de loi.

4. Accord-cadre France-Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière. – Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat (nos 117, 157)

Adoption de l’article unique du projet de loi.

5. Protocole sur l’Union postale universelle. – Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat (nos 116, 164)

Adoption de l’article unique du projet de loi.

6. Accord-cadre diplomatique France-Allemagne. – Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat (nos 119, 166)

Adoption de l’article unique du projet de loi.

7. Convention sur la délivrance de brevets européens. – Vote sur un projet de loi (nos 64, 167)

Adoption de l’article unique du projet de loi.

8. Application de l’article 65 de la convention sur les brevets européens. – Discussion d’un projet de loi (nos 151, 174)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur.

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Henri Plagnol, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

exception d’irrecevabilité

Exception d’irrecevabilité de M. Jean-Claude Sandrier : M. Jean-Paul Lecoq. – Rejet.

question préalable

Question préalable de M. Nicolas Dupont-Aignan : MM. Nicolas Dupont-Aignan, le rapporteur, le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, François Goulard. – Rejet.

discussion générale

MM.  Jean-Michel Fourgous,

Pierre Moscovici,

Yves Cochet,

Christian Blanc,

François Goulard,

Didier Mathus,

Jean-Pierre Brard,

Jean-Yves Le Déaut,

Pascal Clément,

Michel Vauzelle,

Claude Birraux,

Alain Claeys,

Lionel Tardy.

Clôture de la discussion générale.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, Mme la ministre, M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur.

motion d’ajournement

Motion d’ajournement de M. Jacques Myard : M. Jacques Myard, Mme la ministre, M. le rapporteur.

Article unique

MM. Jacques Myard, Daniel Fasquelle, Philippe Folliot, Marc Dolez, Pierre Lequiller.

Adoption de l’article unique du projet de loi.

9. Accord entre la France et l’Agence spatiale européenne relatif à l’Ensemble de lancement Soyouz au Centre spatial guyanais. – Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat (nos 122, 172)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

Présidence de Mme Catherine Génisson

Mme Christiane Taubira, rapporteure de la commission des affaires étrangères.

discussion générale

MM. Jean-Paul Lecoq,

Philippe Vitel.

Clôture de la discussion générale.

M. le secrétaire d’État.

Article unique

M. François Loncle.

Adoption de l’article unique du projet de loi.

10. Accord France-Canada sur les champs d’hydrocarbures transfrontaliers. – Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat (nos 118, 173)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Gérard Voisin, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

question préalable

Question préalable de M. Jean-Claude Sandrier : MM. Yves Cochet, le secrétaire d’État. – Rejet.

discussion générale

M.  Claude Birraux,

Mme Annick Girardin.

M. le secrétaire d’État.

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Mme Annick Girardin, MM. le secrétaire d’État, François Loncle.

Adoption de l’article unique du projet de loi.

M. le président de la commission.

M. le secrétaire d’État.

11. Modification de l’ordre du jour prioritaire.

12. Clôture de la deuxième session extraordinaire.

13. Ordre du jour des prochaines séances.


Présidence de m. Rudy Salles,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, premier alinéa, traitant de l’organisation de la séance.

Nous allons discuter d’un protocole dit de Londres, un texte loin d’être anodin et qui mérite donc un long débat. Or, le Gouvernement l’a déposé en plein mois d’août, période durant laquelle nos collaborateurs et collaboratrices ne sont pas dans cette maison. J’aurais voulu déposer une motion pour pouvoir discuter plus longuement de ce texte ô combien important pour nos entreprises, pour la concurrence et aussi pour la langue et la technologie françaises. J’ai peu apprécié la manière de procéder du Gouvernement, qui, en déposant le texte le 24 août, ne nous a laissés que quelques jours pour déposer des motions de procédure. Je trouve que c’est peu élégant de la part du Gouvernement. Je tenais à le dire.

2

Accord France-Algérie
sur les transports internationaux

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif aux transports routiers internationaux et au transit des voyageurs et des marchandises (nos 121, 163).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte ferait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée.

Conformément à l’article 107 du règlement, je mets directement aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

3

Acte de l’ONU pour l’alimentation
et l’agriculture

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’acte constitutif de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ensemble une annexe) (nos 120, 165).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte ferait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée.

Conformément à l’article 107 du règlement, je mets directement aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

4

Accord-cadre France-Belgique
sur la coopération sanitaire transfrontalière

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume de Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière (nos 117, 157).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte ferait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée.

Conformément à l’article 107 du règlement, je mets directement aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

5

Protocole sur l’Union postale
universelle

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du septième protocole additionnel à la Constitution de l’Union postale universelle (nos 116, 164).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte ferait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée.

Conformément à l’article 107 du règlement, je mets directement aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

6

Accord-cadre diplomatique
France-Allemagne

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux implantations communes de missions diplomatiques et de postes consulaires (nos 119, 166).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte ferait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée.

Conformément à l’article 107 du règlement, je mets directement aux voix l’article unique du projet de loi.

M. Jacques Myard. Contre !

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

7

Convention sur la délivrance
de brevets européens

Vote sur un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi autorisant la ratification de l’acte portant révision de la convention sur la délivrance de brevets européens (nos 64, 167).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte ferait l’objet d’une procédure d’examen simplifiée.

Conformément à l’article 107 du règlement, je mets directement aux voix l’article unique du projet de loi.

M. Jean-Paul Lecoq. Abstention !

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

8

Application de l’article 65
de la convention
sur les brevets européens

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l’accord sur l’application de l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens fait à Londres le 17 octobre 2000 (nos 151, 174).

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement a décidé de soumettre à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification l’Accord de Londres, relatif à l’application de l’article 65 de la Convention sur la délivrance des brevets européens.

Voilà plusieurs années que cet accord suscite de longs débats, souvent passionnés. Le Gouvernement a écouté les arguments des uns et des autres. Il en a conclu que le bilan était largement positif en faveur du Protocole de Londres, et qu’il était temps que nous examinions la question ensemble et dans tous ses aspects, sans a priori, sans tabou, et sans naïveté.

Tout d’abord, je souhaiterais rendre hommage au travail de préparation de grande qualité effectué, au printemps 2006, par la Délégation pour l’Union européenne – en particulier par M. Daniel Garrigue et le président Pierre Lequiller – et à celui conduit par votre rapporteur, Henri Plagnol, que je salue.

Revenons brièvement sur les enjeux du Protocole de Londres. Mesdames et messieurs les députés, vous avez, de façon légitime, soulevé la question de l’impact du protocole de Londres sur la langue française. Je voudrais, à cet égard, rappeler quelques faits.

En quoi consiste l’Accord de Londres ? Notons qu’il porte mal son nom puisqu’il a été négocié à Paris en 1999. Cet accord a été porté par des gouvernements de droite comme de gauche. Cela est logique puisqu’il conforte le statut des trois langues officielles de l’Office européen des brevets, en sécurisant la possibilité pour toute entreprise de déposer ses brevets soit en français, soit en allemand, soit en anglais. Il maintient également l’obligation de déposer les revendications, c’est-à-dire la partie du brevet qui a force juridique, dans ces trois langues.

Par ailleurs, il allège les obligations de traduction en dispensant les déposants, c’est-à-dire nos chercheurs et nos entreprises, de traduire la partie technique du brevet, dénommée description, dans toutes les langues officielles, soit vingt-deux langues pour trente-deux États parties de la Convention européenne sur les brevets.

Avec le Protocole de Londres, un brevet déposé en français sera valable sur les territoires de langue anglaise et allemande sans traduction des descriptions. De plus, toutes les revendications, c’est-à-dire la partie la plus importante des brevets, seront disponibles en français.

Il est vrai que seulement 7 à 10 %. des descriptions, qui ne sont utiles qu’en cas de litige ou pour l’exploitation d’une licence, seront disponibles en français. Certains estiment que cela nuit au français en tant que langue scientifique. Je ne comprends pas cet argument, car je constate que seulement 1,7 % des descriptions disponibles en français sont consultées, et qu’il n’y a en moyenne qu’un litige pour 2 000 brevets opposables en France. Le fait que 100 % des descriptions ne soient pas disponibles en français…

M. Jacques Myard. …est inadmissible !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. …n’est donc pas un handicap.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas vrai !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Ce sont les revendications, toujours disponibles en français, qui feront apparaître tous les nouveaux termes qui seront utilisés dans les domaines scientifique, juridique ou technologique.

M. Jacques Myard. Vous parlez de progrès, vous avez tort !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Cela signifie que le français sera présent dans toutes les banques de données recensant les nouveaux procédés et les nouvelles découvertes.

Je constate également que le Conseil constitutionnel – gardien de nos principes républicains fondamentaux – a rendu, en septembre 2006, une décision qui conclut à la compatibilité de l’Accord de Londres avec l’article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français.

En ce qui concerne les entreprises françaises qui déposent des brevets, 90 % le font en français auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, et 50 % demandent une protection européenne. Avec l’Accord de Londres, négocié à Paris, les entreprises pourront continuer à déposer en français auprès de l’INPI et bénéficier de coûts réduits pour déposer leurs brevets et les faire valoir dans d’autres États européens. Il n’y a aucune raison pour qu’elles modifient leurs pratiques et déposent en anglais, car l’avantage qu’elles en retireraient serait extrêmement mineur au regard des économies – beaucoup plus substantielles – offertes par l’Accord de Londres.

En ce qui concerne les entreprises des pays tiers – puisque ce point a été également évoqué –, le Protocole de Londres n’induit aucun changement. Les entreprises américaines ou asiatiques peuvent déjà déposer en anglais aujourd’hui sur le territoire européen.

M. Jacques Myard. Il n’y a pas de territoire européen, mais des États européens !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Elles n’auront donc aucun avantage nouveau, si ce n’est les économies de traduction dont bénéficieront également les entreprises européennes. Cela est normal : il s’agit de la juste application du principe de non-discrimination.

Cette situation n’est en aucun cas défavorable aux petites et moyennes entreprises.

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises demande d’ailleurs, depuis sept ans, la ratification de l’Accord de Londres, pour répondre aux attentes de ses adhérentes.

En ce qui concerne les grandes entreprises françaises ou les grands instituts de recherche, nous devons faire preuve de réalisme. Ils n’ont pas attendu le Protocole de Londres pour déposer directement en anglais…

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. …des brevets auprès de l’Office européen des brevets s’ils estiment que cela est plus avantageux, dans l’objectif notamment de protéger leurs inventions aux États-Unis ou au Japon.

M. Jacques Myard. Le ministre s’en félicite !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je ne m’en félicite pas, mais, que l’on ratifie ou non ce protocole, ils continueront à le faire. Nous devons regarder les réalités. Autant permettre à toutes les entreprises, petites ou grandes, d’alléger leurs coûts, qu’elles déposent en français ou directement en anglais – s’agissant des plus grandes.

M. Jacques Myard. Mais elles le feront en anglais !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Ainsi, la ratification du Protocole de Londres nous permet de nous adapter à la mondialisation en prenant appui sur l’échelon européen. Elle s’inscrit donc dans la droite ligne du rapport présenté par Hubert Védrine au Président de la République.

Il faut faire bénéficier nos entreprises, petites ou grandes, d’économies pour stimuler l’innovation et l’emploi en France. Comme l’indique le rapport de M. Plagnol,…

M. Jacques Myard. Un mauvais rapport !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. …pour une PME, le dépôt d’un brevet se traduit dans les cinq ans par un doublement des emplois.

Enfin, je suis intimement persuadé que refuser de ratifier le Protocole de Londres ne servirait pas le français.

M. Jacques Myard. C’est nul !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Nous maintiendrions un verrou illusoire puisque les descriptions en français ne sont que très peu consultées.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est faux !

M. Jacques Myard. Il faut les mettre en ligne ! L’INPI est archaïque !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Il n’y aurait pas davantage de risque de contrefaçon de bonne foi, puisque la contrefaçon ne peut être démontrée que sur la base des revendications, toujours disponibles en français. Le statu quo ne présente donc aucun avantage concret. Ne pas ratifier aurait en revanche un coût politique très important, qui serait de bloquer l’entrée en vigueur d’un accord que nous avons négocié à notre avantage en évitant le « tout anglais » que préconisaient certains pays, y compris des pays francophones proches de nous.

M. Jacques Myard. En Belgique, c’est le flamand que l’on parle…

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Non, monsieur Myard, vous faites fausse route.

Notre refus conduirait de fait les treize pays qui ont engagé ou terminé la procédure de ratification à négocier entre eux un régime du « tout anglais » : il faut en avoir conscience. Je ne crois pas que cela renforcerait la crédibilité et la cohérence de la politique des brevets en Europe, et une telle attitude de repli ne nous serait pas favorable.

M. Jacques Myard. Vous parlez de repli alors que vous êtes en pleine débandade !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Ratifier le Protocole de Londres serait au contraire utiliser un puissant levier de stimulation de l’innovation. On nous fait valoir qu’il n’est pas encore ratifié par tous les États membres.

M. Jacques Myard. Et pour cause !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Mais il faut voir plus loin, avoir confiance en nous et en notre capacité d’entraînement et d’influence sur nos partenaires, en ce domaine comme en d’autres.

M. Loïc Bouvard. Très bien !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Mesdames et messieurs les députés, les enjeux européens de cette ratification sont aussi importants.

Depuis presque trente ans, les États membres de l’Union européenne cherchent à améliorer le système des brevets pour favoriser le développement de la recherche européenne et son innovation. Nous avons essayé depuis 2000, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, de définir une politique coordonnée des brevets au niveau européen.

Les discussions sont gelées depuis 2004. L’annonce de la ratification du Protocole de Londres par la France coïncide précisément avec la relance des discussions au niveau communautaire, sous présidence portugaise : nous ne devons pas manquer cette opportunité. Nous aurons bientôt, si les discussions continuent à progresser, une juridiction communautaire alliant efficacité, avec une harmonisation de la jurisprudence, et proximité, avec une juridiction par État membre chargée de traiter les litiges portant sur les brevets européens et communautaires, et ce dans notre langue.

M. François Goulard. Il a raison !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Une fois cette juridiction établie, dans laquelle le français gardera son influence puisqu’il est une langue de travail, nous aurons besoin d’un vrai brevet communautaire, c’est-à-dire d’un brevet toujours délivré par l’Office européen des brevets – comme c’est le cas actuellement – mais qui, une fois délivré, aurait les mêmes effets juridiques dans tous les pays européens. Aujourd’hui, un même brevet peut être maintenu en vigueur dans un pays et invalidé dans un autre.

M. Jacques Myard. C’est très bien ainsi !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Le régime communautaire du brevet européen mettra fin à ce qui constitue, pour toutes nos entreprises, quelle que soit leur dimension, une insécurité juridique.

Vous allez me dire qu’aujourd’hui, chaque État demeure libre de ratifier ou non le Protocole et que la question linguistique risque de ressurgir. Mais, là encore, projetons-nous dans l’avenir.

M. Jacques Myard. On fait plutôt un nouveau pas en direction du gouffre !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Comme vous le savez, un nouveau traité devrait être signé d’ici à la fin de l’année. Lorsque le brevet communautaire sera mis en œuvre, on peut espérer que le passage à la majorité qualifiée – qui est l’une des dispositions prévues – encouragera les uns et les autres à « communautariser » l’Accord de Londres, que cela plaise ou non, et à l’intégrer dans le brevet communautaire.

Mesdames et messieurs les députés, une fois de plus, nous avons le choix entre préserver de faux-semblants…

M. André Wojciechowski. Oh !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. …ou conduire une politique offensive, notamment en faveur de nos PME.

M. Jacques Myard. L’argument est nul !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Quel est notre véritable objectif ? Faciliter le dépôt des brevets par les entreprises,…

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. …et non faciliter les traductions pour que les PME imitent les procédés inventés par d’autres. Faciliter le dépôt des brevets par les entreprises, c’est également servir l’intérêt de la France et de l’Europe.

Nous souhaitons que nos entreprises innovent et que leurs inventions soient connues à l’étranger.

M. Jacques Myard. Il ne s’agit pas de cela !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Plus largement, par ce biais, la France doit devenir, à l’instar d’autres pays, une terre de dépôt de brevets. Pour qu’il en soit ainsi, la ratification du Protocole de Londres et la réduction du coût des brevets sont indispensables. Les mesures d’accompagnement proposées dans le rapport de M. Plagnol doivent également nous inspirer car elles vont dans le bon sens.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les raisons pour lesquelles nous appelons l’Assemblée nationale à approuver ce projet de loi de ratification, qui est non seulement important pour notre influence économique, mais aussi pour notre rayonnement scientifique et culturel. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens d’abord à remercier Axel Poniatowski et Henri Plagnol pour la qualité et l’exhaustivité de leur travail, lequel n’a assurément pas été conduit à charge : chacun a en effet pu s’exprimer, la commission ayant procédé à plus de quinze auditions. Voilà qui fait honneur, ce me semble, monsieur Myard, à la représentation parlementaire.

M. François Goulard. Très bien !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Jean-Pierre Jouyet vient de développer avec conviction les raisons qui justifient de procéder à la ratification de l’Accord de Londres. Je souhaiterais pour ma part vous rappeler les enjeux économiques de cette ratification, qui s’inscrit dans le cadre de l’ambition plus globale du Gouvernement en faveur de l’innovation. S’il est une chose dont je suis convaincu, c’est que cette dernière est un impératif que la mondialisation a remis à l’ordre du jour. Un pays qui n’innove pas verra, dans les années à venir, sa croissance diminuer.

M. André Wojciechowski. C’est vrai !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. J’appelle votre attention sur un récent rapport de l’OCDE, qui indique que la Chine est aujourd’hui au cinquième rang mondial pour ce qui regarde le niveau de dépenses en matière de recherche et de développement.

M. Jacques Myard. Oui, et elle le fait en chinois !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Pour autant, ce pays n’encourage pas l’innovation.

M. André Wojciechowski. Et pour cause : il rachète nos entreprises !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. D’après les chercheurs de l’OCDE, ce paradoxe tient à ce que les droits de propriété intellectuelle ne sont pas toujours assurés en Chine. Ainsi, les chercheurs, les inventeurs ou les innovateurs chinois préfèrent parfois chercher, inventer ou innover ailleurs.

Dans ce contexte, la défense de la propriété intellectuelle est la garantie de la réussite de l’innovation, dont le brevet est évidemment un maillon essentiel.

M. Jacques Myard. Ça, c’est vrai !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Ratifier le Protocole de Londres, monsieur Myard, ce n’est donc rien d’autre que favoriser l’effort d’innovation de nos entreprises.

En effet, cette ratification renforcera la situation de la France et de l’Europe dans le domaine stratégique des brevets, dont je rappelais à l’instant l’importance dans la chaîne de l’innovation. Elle accroîtra la compétitivité de nos entreprises en favorisant, à moindre coût, l’accès aux brevets européens.

M. Jacques Myard. Ça ne favorisera rien du tout !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Comme vous le savez, mesdames et messieurs les députés, le coût du brevet européen constitue en effet un handicap de taille pour les acteurs économiques, un frein au dépôt de brevet par les centres de recherche et, en définitive, un obstacle à la création d’emplois fondée sur l’innovation.

L’application de l’Accord de Londres diminuera, c’est un fait incontestable, les coûts de traduction du brevet européen de 25 à 30 %, selon les États.

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Ne nous y trompons pas : les coûts de dépôt du brevet européen constituent bel et bien un obstacle important pour beaucoup de nos entreprises. Et l’exigence de traductions complètes pénalise d’autant plus les entreprises que celles-ci sont petites : nos PME sont donc les premières défavorisées par le régime actuel où des traductions sont exigées dans chaque État.

Ce n’est pas un hasard, comme le rappelait à l’instant Jean-Pierre Jouyet, si la Confédération générale des petites et moyennes entreprises…

M. Jacques Myard. Instrumentalisée par le MEDEF !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. …demande depuis des années la ratification du Traité de Londres.

La diminution du coût des brevets européens accroîtra également la marge de manœuvre des entreprises en termes de dépenses d’innovation. Les entreprises pourront affecter ces économies à leur programme de recherche et de développement. Les PME pourront opter plus facilement pour une stratégie offensive de commercialisation, au-delà d’un marché national souvent insuffisant pour amortir les investissements nécessaires et compenser les risques.

L’Accord de Londres permet d’ailleurs aux entreprises françaises – j’insiste sur ce point – d’exercer pleinement leur activité de veille. En effet, les traductions intégrales des brevets délivrés ne sont aujourd’hui disponibles qu’à l’issue d’une période de cinq à sept ans, soit à une date de toute façon trop tardive pour permettre une veille technologique efficace.

En revanche, les entreprises pourront toujours prendre connaissance des abrégés des brevets publiés par l’INPI, disponibles au plus tard vingt-quatre mois après le dépôt de la demande de brevet européen, et qui présenteront les caractéristiques principales de l’invention.

M. Jacques Myard. Ils seront écrits au crayon pour pouvoir être effacés par la suite ?

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Nous n’avons donc pas à craindre que les PME françaises ne soient désavantagées par rapport à leurs concurrents étrangers.

M. Jacques Myard. C’est techniquement faux ! Vous devriez avoir honte de dire cela !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Croyez-vous, monsieur Myard, que le secrétaire d’État en charge des entreprises pourrait ratifier un texte qui serait un handicap majeur pour leur développement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Réfléchissez à cette contradiction, et ne doutez pas de la force de mes convictions dans ce domaine, d’autant plus que cela fait plusieurs années que je défends l’entreprise, dans cet hémicycle et ailleurs !

Mesdames et messieurs les députés, la ratification dont nous discutons aujourd’hui est un élément parmi d’autres de la politique d’innovation que nous devons mener tous ensemble. Dans le cadre du projet de loi de finances, nous proposons une réforme ambitieuse du crédit d’impôt recherche, ainsi qu’un allégement de la fiscalité relative à la propriété intellectuelle, que Valérie Pecresse évoquera en détail dans quelques instants : un taux réduit de 15 % sera appliqué aux revenus tirés des cessions de brevets, ce qui permettra de supprimer l’écart de coût fiscal entre l’octroi de la licence et la cession du brevet.

M. Jacques Myard. Voilà une mesure intelligente !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Nous allons par ailleurs assouplir le régime fiscal lié à l’apport de brevets par les inventeurs dans une société.

M. Jacques Myard. Il faut les faire traduire !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. La réduction, actuellement accordée aux PME, des principales redevances liées au dépôt de brevet sera doublée dès cette année…

M. Jacques Myard. Encore une mesure intelligente !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. …et elle sera ouverte aux entreprises de moins de 1 000 salariés, contre 250 actuellement.

Nous allons également accroître notre effort de sensibilisation des entreprises aux enjeux qui s’attachent à la propriété industrielle, au dépôt de brevet et à la valorisation des inventions : les actions déployées sur le terrain par l’INPI, OSEO et les pôles de compétitivité seront amplifiées dans les prochains mois.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Nous allons ainsi généraliser à l’ensemble des entreprises de taille moyenne de notre pays les pré-diagnostics menés par les techniciens de l’INPI. C’est aussi cela défendre la propriété intellectuelle !

Vous le voyez, le Gouvernement souhaite mettre en place un ensemble cohérent de mesures en matière d’innovation et de propriété intellectuelle, en concentrant ses efforts sur les entreprises petites et moyennes. Il serait incohérent de notre part d’alléger la redevance, ce qui incite les entreprises à déposer un brevet, tout en maintenant des charges financières dissuasives lors de sa délivrance.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas le problème !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. En réduisant les coûts de traduction des brevets européens, l’Accord de Londres s’inscrit donc dans la cohérence de notre dispositif en faveur de la chaîne vitale de l’innovation.

M. Lionel Tardy. Très bien !

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. En conclusion, c’est avec une profonde conviction que je vous engage à autoriser la ratification de l’Accord de Londres, dans l’intérêt de nos entreprises, petites et moyennes, et de nos emplois. Cet accord permettra d’améliorer et de rendre plus compétitif le système européen de brevets. Il favorisera l’effort de recherche et d’innovation dans notre pays, que nous aimons tous…

M. Jacques Myard. N’est-ce pas ?

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. …et lui donnera le point de croissance supplémentaire dont il a besoin pour résoudre l’essentiel de ses problèmes. Voilà pourquoi il faut ratifier cet accord ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Non !

M. Michel Piron. Donnez-lui un Valium ! (Rires.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de vous parler avec une grande franchise. (Exclamations sur divers bancs.) Une chance nous est offerte aujourd’hui de consacrer la langue française comme l’une des trois langues du progrès technologique et de l’innovation en Europe.

M. Jacques Myard. C’est déjà fait !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous ne pouvons pas laisser passer une telle chance, d’autant qu’elle sera sans doute la dernière.

Déjà, au cours de la négociation du Protocole de Londres, des voix se sont élevées pour demander le passage au « tout anglais ». Si, demain, la France se refusait à ratifier ce texte, qui ne peut entrer en vigueur sans elle, nul doute qu’elle serait en position de faiblesse pour défendre dans les négociations à venir la diversité des langues, et nul doute que nous ne pourrions plus échapper, à court ou à moyen terme, à des concessions douloureuses en matière linguistique.

Cet accord est une occasion unique de renforcer la recherche française et de franchir un nouveau pas dans le développement de cette société de la connaissance que nous appelons tous de nos vœux.

Cette conviction, le Gouvernement la partage avec le président de votre commission des affaires étrangères, Axel Poniatowski, ainsi qu’avec son rapporteur, Henri Plagnol, dont je voudrais saluer ici le travail remarquable, mais aussi avec tous ceux d’entre vous qui se sont penchés sur ce protocole.

Souvenez-vous, il y a plus d’un an – j’étais alors à vos côtés –, votre commission des finances avait adopté un amendement de votre collègue Jean-Michel Fourgous autorisant la ratification du protocole. Le Gouvernement avait alors voulu offrir à tous le temps de la réflexion. Ce temps a été particulièrement bien employé puisqu’il a permis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’examiner le protocole avec une grande attention, puis aux commissions des affaires étrangères et des affaires sociales, culturelles et familiales ainsi qu’aux Délégations pour l’Union européenne de chacune des deux chambres d’en peser toutes les conséquences…

M. Jacques Myard. Un chef-d’œuvre de manipulation !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. …pour se prononcer finalement en faveur de sa ratification.

M. Jacques Myard. Ils étaient en service commandé !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est donc à n’en pas douter un accord bénéfique pour la langue française, pour la recherche et l’innovation en France et, au-delà, pour le rayonnement de notre pays, qui vous est soumis aujourd’hui.

Tout d’abord, cet accord est favorable à la langue française. Aux nombreuses inquiétudes qui se sont exprimées sur ce point essentiel, je répondrai avec la plus grande clarté afin d’apaiser toutes les craintes qui se font naturellement jour à chaque fois que l’avenir de notre langue est en cause.

Le protocole de Londres, vous l’avez compris, simplifie le régime linguistique des dépôts de brevets en Europe, et ce au bénéfice de trois langues : l’allemand, l’anglais et le français.

M. Jacques Myard. C’est déjà le cas !

M. le président. Monsieur Myard !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela signifie très concrètement que c’est dans chacune de ces trois langues que devront être traduites les revendications des brevets.

M. Jacques Myard. C’est insuffisant !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est une garantie essentielle pour les déposants francophones.

M. Jacques Myard. C’est faux !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet, les revendications sont le cœur du brevet, car elles définissent la portée de la protection juridique qu’il confère. Des revendications mal rédigées, ce sont des inventions mal protégées, et donc des brevets inutiles.

M. Jacques Myard. C’est faux !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. En faisant du français l’une des trois langues dans lesquelles les revendications des brevets devront être obligatoirement rédigées, le Protocole de Londres garantit donc que la partie fondamentale de chaque brevet sera nécessairement disponible en français.

J’insiste sur ce point, qui a été la source de bien des malentendus : le Protocole de Londres n’autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues, il les oblige à rédiger les revendications du brevet dans chacune de ces trois langues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Il n’y a donc aucun risque que les brevets européens ne soient plus libellés qu’en anglais. L’accord ne mentionne pas trois langues pour dresser un paravent pudique destiné à masquer la reconnaissance du monopole de l’anglais, bien au contraire, puisqu’il impose tout simplement l’utilisation de ces trois langues.

Ce n’est que pour les parties techniques du brevet – c’est-à-dire pour l’essentiel les schémas et les légendes – que le choix entre ces trois langues sera possible. L’accord n’a donc aucune conséquence pour l’avenir de la langue française, les parties techniques étant peu rédigées et n’ayant pas de réelle portée juridique.

M. Jacques Myard. C’est faux !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il était donc légitime, dans un souci de simplification, d’autoriser leur rédaction dans l’une des trois langues officielles de l’Office européen des brevets.

Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, le Protocole de Londres ne menace en rien le français, bien au contraire, puisqu’il en fait l’une des trois langues officielles de l’innovation en Europe.

Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs reconnu en déclarant le Protocole conforme à notre Constitution, qui consacre le français comme langue de la République.

Pourtant, je sais que certains, sur ces bancs – n’est-ce pas, monsieur Myard ? – ne sont toujours pas convaincus des bénéfices que la France tirera du Protocole de Londres.

M. Jacques Myard. C’est vrai !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est pourquoi je veux le dire aujourd’hui devant vous : cet accord n’est pas seulement favorable à la langue française, il l’est aussi à la recherche française et à chacune des entreprises innovantes de notre pays.

M. Jacques Myard. Ce sont des affirmations gratuites : il n’y a aucun lien entre les deux !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si les États membres de l’Office européen des brevets se sont engagés dans une simplification du régime linguistique des brevets européens,…

M. Jacques Myard. Ils l’ont d’abord refusée !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. …c’est avant tout pour stimuler l’innovation en Europe.

M. Jacques Myard. C’est faux !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Chacun de nous le sait et Hervé Novelli l’a très bien dit : c’est de l’innovation que dépend la croissance future de notre pays. Le temps où il suffisait de suivre à notre rythme les pays innovants pour développer notre économie est révolu. La France et l’Europe ne peuvent plus se permettre d’être à la pointe dans certains domaines mais de laisser les autres aux États-Unis ou au Japon.

D’ailleurs, ce n’est plus avec eux que nous rivalisons aujourd’hui, mais aussi avec la Chine, l’Inde et l’ensemble des pays émergents, qui ont compris que l’intelligence était la plus grande de toutes les richesses humaines, la source unique dont sortent la paix, la prospérité et le progrès pour tous.

La France, qui a été de toutes les révolutions et de toutes les audaces, la France, dont sont sorties les Lumières qui ont éclairé l’Europe entière, n’a rien à craindre de la compétition mondiale des intelligences, et, pour peu qu’elle s’y engage pleinement, elle y tiendra son rang.

C’est pourquoi, mesdames et messieurs les députés, j’en appelle aujourd’hui à l’esprit des Lumières (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), quand l’intelligence était reine et que dans tout notre pays on découvrait, on inventait, on innovait. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Est-ce qu’il souffle sur le Gouvernement, l’esprit des Lumières ?

M. le président. Monsieur Myard !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est cet esprit des Lumières qu’il nous faut raviver aujourd’hui. Nous devons faire renaître cette soif de découverte qui a placé notre pays au tout premier rang des nations européennes. Nous devons donner à nos chercheurs, à nos inventeurs, les moyens de lutter à armes égales avec les chercheurs et les inventeurs des autres nations de ce monde.

M. Albert Facon. Donnez-leur surtout des moyens financiers !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le peuvent-ils quand le dépôt d’un brevet est deux à trois fois plus coûteux en Europe qu’au Japon ou aux États-Unis ?

M. François Goulard. Exact !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le peuvent-ils quand il faut traduire intégralement un brevet dans vingt-trois langues de trente-deux pays ?

M. Jacques Myard. C’est faux, madame !

M. le président. Monsieur Myard, économisez votre voix, car vous aurez la parole tout à l’heure !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je sais bien que certains trouvent qu’il est déplacé de parler d’argent lorsqu’il s’agit de science, de savoir et de découverte.

M. Jacques Myard. Faut-il entendre de telles incongruités ?

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais les plus grands esprits eux-mêmes doivent bien vivre, et la moindre des choses, à mes yeux, est qu’ils puissent vivre des fruits de leur intelligence. Or, dans ses premières années, une PME innovante n’a qu’une seule richesse : le brevet qu’elle a déposé et sans lequel elle ne pourra pas se développer.

Sans ce brevet, nul moyen de lever des fonds et d’emprunter auprès des banques. Les États-Unis l’ont bien compris puisqu’ils modifient en ce moment même leur propre système de brevets afin de les rendre plus efficaces et moins coûteux pour leurs entreprises.

Voilà pourquoi il nous faut réagir, en ratifiant le Protocole de Londres, mais aussi en formant nos jeunes ingénieurs et nos jeunes doctorants au dépôt de brevet.

Dans certains établissements, cela se fait déjà, mais je souhaite que, demain, chaque école doctorale, chaque école d’ingénieurs offrent à leurs étudiants une formation au dépôt de brevet.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je veux également que les masters en droit de la propriété intellectuelle soient plus nombreux qu’aujourd’hui, car, dans un domaine aussi stratégique, nous ne pouvons pas laisser les cabinets américains et allemands prendre sans cesse de l’avance sur les cabinets d’avocats français.

M. Jacques Myard. Là, vous avez raison !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Voilà pourquoi il est essentiel que nos découvreurs puissent protéger leurs inventions à moindre coût. Car, si 26 000 euros ne représentent rien pour une entreprise multinationale, c’est une somme énorme pour une jeune entreprise, lancée par de nouveaux talents !

M. Jacques Myard. Ce n’est pas vrai !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il n’y a donc aucun risque que les entreprises mondiales inondent l’Europe de brevets,…

M. Jacques Myard. C’est déjà fait !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. …car, si elles avaient voulu et pu le faire, elles l’auraient déjà fait !

M. François Goulard. M. Myard n’est pas brevetable ! (Sourires.)

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je vous le répète : ni le coût financier, ni les complexités juridiques n’ont jamais été un obstacle pour une entreprise multinationale.

Le seul risque lié au Protocole de Londres, c’est celui que son absence de ratification ferait courir aux laboratoires de recherche et aux entreprises innovantes de notre pays. Grâce à ce protocole, nous allons aider nos inventeurs à faire valoir à moindres frais le fruit de leur intelligence. Aujourd’hui, seule une PME européenne sur quatre dépose un brevet au cours de sa vie, alors que c’est le cas d’une PME sur deux aux États-Unis.

Voilà le secret de la croissance américaine, la source du rayonnement technologique des États-Unis. Il n'a rien d'obscur, il est à notre portée, il nous suffit de le vouloir pour le partager. C'est l'objet même de la stratégie de Lisbonne, au cœur de laquelle prennent place les discussions sur le brevet communautaire. Mesdames et messieurs les députés, nous devons en être pleinement conscients : ces discussions ne progresseront pas si la France ne ratifie pas le Protocole de Londres.

M. François Goulard. Absolument !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Car le brevet communautaire, qui sera délivré par l'Office européen des brevets, celui-là même dont il est question aujourd'hui, ne sera pas autre chose qu'un brevet européen concernant l'ensemble du territoire de l'Union et non plus tel ou tel État membre.

M. Jacques Myard. Quelle démission !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il garantira une protection uniforme des fruits de la recherche et de l'innovation dans l'ensemble des pays de l'Union, sans se substituer au brevet européen : ce sont deux systèmes enchâssés, ou greffés l'un sur l'autre.

M. Jacques Myard. Là n’est pas le problème !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si nous voulons avancer sur le brevet communautaire, nous devrons par conséquent améliorer le fonctionnement du brevet européen, notamment en le rendant plus accessible. C'est l'objet même du Protocole de Londres. C'est pourquoi je vous demande aujourd'hui d'autoriser le Gouvernement à le ratifier, parce que les Français ne comprendraient pas que la représentation nationale hésite un seul instant à faire ce pas essentiel vers la société de la connaissance et de l'innovation.

M. Jacques Myard. C’est un suicide !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les grands organismes de recherche de notre pays ne le comprendraient pas non plus : car ce pas, c'est le CNRS, c'est l'INSERM, c'est le CEA, c'est l'IFP qui nous invitent à le faire. Ce sera un pas décisif, mais ce ne sera pas le seul. Vous le savez mieux que personne, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement s'est engagé, avec votre aide et votre soutien, dans la construction d’une nouvelle société, fondée sur le savoir et l'intelligence. Il l’a fait en refondant le crédit impôt recherche, qui soutiendra désormais pleinement l'effort de recherche des entreprises innovantes dont nous bénéficions tous. Il l'a fait en refondant les universités autour des deux valeurs cardinales que sont la liberté et la responsabilité, afin de donner à notre enseignement supérieur les moyens de rayonner sans réserve. Et c'est dans cette nouvelle université que pourront se développer demain les jeunes entreprises universitaires, qui recevront le même soutien des pouvoirs publics que celui qu'ils apportent aux jeunes entreprises innovantes.

Ce sont toutes ces nouvelles entreprises qui feront la croissance future de notre économie. C'est à elles que s'adresse le Protocole de Londres, et à toutes les sociétés innovantes qui feront le choix, demain, de s'installer en France. Elles y trouveront des universités fortes, une recherche dynamique et des talents prêts à les rejoindre. Elles y trouveront des pouvoirs publics mobilisés pour les aider à grandir.

Voilà l’enjeu d’aujourd'hui : renforcer l'attraction qu'exerce l'Europe sur les inventeurs de demain en ratifiant le Protocole de Londres, c'est se donner toutes les chances de les voir s'établir en France, dans un pays où ils bénéficieront d'un environnement intellectuel et scientifique exceptionnel, ainsi que de toute l'aide dont ils ont besoin. La France a tous les atouts pour s'imposer dans la compétition mondiale de l'intelligence. Alors, ne refusons pas de livrer cette bataille, ne décidons pas de tout perdre, alors que nous pourrions tout gagner. Car, en nous retirant sans livrer bataille, nous ferions le sacrifice de ce que nous avons de plus précieux : notre langue.

M. Jacques Myard. Non !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous ne livrez pas bataille, vous démissionnez !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. C'est en effet le rayonnement d'une culture qui fait le rayonnement de la langue, et non l'inverse. Il ne suffit donc pas d'aimer et de défendre le français pour le faire vivre, il faut aussi l'illustrer : chercher, créer, inventer et diffuser nos découvertes à travers le monde. Car c'est le prestige international de la recherche française qui attirera demain dans notre pays les jeunes scientifiques étrangers qui y apprendront tout naturellement le français. Et c'est ainsi que les scientifiques étrangers lieront avec la France et avec sa langue des liens qui la rendront plus forte encore. C'est ainsi que la culture française rayonnera à travers le talent de ces étrangers qui la choisiront, comme l'ont choisie hier une jeune Polonaise nommée Marie Curie ou un jeune Irlandais appelé Samuel Beckett (Exclamations sur divers bancs) et comme la choisissent aujourd'hui des écrivains aussi prometteurs que Jonathan Littell ou Nancy Huston.

Voilà pourquoi nous avons le devoir de donner à l'intelligence française les moyens de s'illustrer encore. Voilà pourquoi nous devons ratifier le Protocole de Londres : pour ne pas laisser s'éteindre la voix de la France, tout simplement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur quelques-uns d’entre eux.)

M. le président. La parole est à M. Henri Plagnol, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Henri Plagnol, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, chers collègues, nous devons donc nous prononcer aujourd’hui sur la ratification du Protocole de Londres relatif au régime linguistique du brevet européen, ratification attendue depuis que la France l’a signé il y a sept ans.

De moins d’une dizaine à sa création il y a trente ans, l’Organisation européenne des brevets compte aujourd’hui trente-deux États membres et réunira dans un avenir proche plus d’une quarantaine de pays. L’augmentation du nombre d’États parties s’est accompagnée d’une inflation linguistique puisque le brevet européen se déploie aujourd’hui dans une aire géographique qui compte vingt-trois langues différentes. Parmi ces vingt-trois langues, trois seulement disposent d’un statut privilégié en tant que langues officielles de l’office européen des brevets : il s’agit de l’allemand, de l’anglais et du français. Depuis fort longtemps, le constat unanime est qu’il faut tout faire pour renforcer l’attractivité du brevet européen, le simplifier, réduire ses coûts et faire en sorte que notre continent reste à la pointe du progrès et de la connaissance, soit moteur sur le marché mondial des brevets et compétitif face aux États-Unis, au Japon et aux puissances émergentes dans le domaine scientifique. C’est pourquoi, afin d’éviter que l’augmentation du nombre d’États membres de l’Organisation européenne de brevets n’entraîne une inflation des coûts, l’Accord de Londres – c’est son seul objet – vise à instaurer un régime linguistique limitant les exigences de traduction.

La présence de trois membres du Gouvernement cet après-midi illustre l’intensité du débat et l’importance qu’attache le Gouvernement à ces enjeux.

M. Jacques Myard. Ils sont venus défendre un mauvais texte.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Votre rapporteur a tenu à auditionner toutes les associations, organisations, syndicats ou personnalités qui tenaient à faire entendre leur point de vue. J’ai porté une attention particulière à l’écoute de ceux qui exprimaient leurs légitimes inquiétudes concernant la ratification de ce protocole.

M. Jacques Myard. Mais vous ne les avez pas entendus !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Je l’ai fait dans un esprit d’ouverture, et je me suis posé quatre questions simples qui, à mon avis, doivent commander votre vote.

Le protocole est-il conforme à notre droit et à notre tradition juridique ?

M. Jacques Myard. Non !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Va-t-il dans l’intérêt de nos entreprises et de nos chercheurs ?

M. Jacques Myard. Non !

M. François Goulard. Oui !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Préserve-t-il la position de la langue française, à laquelle tous les parlementaires sont attachés, comme langue scientifique et technologique ? (« Oui ! » sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Non ! » sur d’autres.) Enfin, est-il de nature à conforter le poids de la France dans l’Union ? (Mêmes mouvements.)

En ce qui concerne la conformité du protocole à notre Constitution, à la suite d’une saisine faite à l’époque par les opposants à la ratification, au motif que cet accord international serait contraire à l’article 2 de la Constitution française selon lequel la langue de la République est le français, cet argument a été tranché. Il a d’abord été rejeté par le Conseil d’État dans son avis du 24 septembre 2000, puis par le Conseil constitutionnel dans une décision – fondamentale – rendue le 28 septembre 2006, levant ainsi toute ambiguïté sur la conformité du Protocole de Londres à la Constitution française.

Mais, au-delà de la constitutionnalité du protocole, certains s’inquiètent du rayonnement de notre grande tradition juridique puisque – Mme la ministre l’a rappelé à l’instant – c’est la France des Lumières qui a jeté les fondements de la théorie de la propriété intellectuelle. Et c’est une des raisons essentielles pour lesquelles le français est une des trois langues officielles de l’Office européen des brevets depuis l’origine.

M. Jacques Myard. En effet !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Je crois pouvoir vous rassurer sur ce point. Le fait même que le français conserve sa position de langue officielle veut dire que l’on pourra déposer en langue française…

M. Jacques Myard. Mais c’est déjà le cas !

M. Henri Plagnol, rapporteur. …et que, par conséquent, le concept juridique de propriété intellectuelle qui existe dans l’ensemble du monde francophone continuera non seulement de vivre, mais de pouvoir rayonner en atteignant l’ensemble du marché européen. Bien plus, nous aurons la garantie que la revendication, c’est-à-dire le cœur du brevet,…

M. Jacques Myard. Non, ce n’est pas le cœur du brevet !

M. Henri Plagnol, rapporteur. …ce qui définit le champ de la propriété industrielle, la seule partie prescriptrice de droits, celle qui encadre l’invention et qui bénéficiera de l’exclusivité pendant vingt ans, sera obligatoirement traduite dans les trois langues officielles : l’allemand, l’anglais et le français.

M. Jacques Myard. Vous ne savez pas ce qu’est un brevet !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Enfin, en cas de contentieux, il y a obligatoirement à la charge du déposant une traduction dans la langue du justiciable. Par conséquent, nos entreprises et nos chercheurs savent que, en cas de litiges, ceux-ci seront arbitrés en français.

Le protocole est-il dans l’intérêt de nos entreprises et de nos chercheurs ? Hervé Novelli et Valérie Pecresse ayant été exhaustifs sur ce sujet, votre rapporteur sera très bref.

La quasi-totalité du monde économique et scientifique attend la ratification. J’ai auditionné très longuement la CGPME…

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. C’est vrai !

M. Henri Plagnol, rapporteur. …qui a indiqué que les petites et moyennes entreprises, dans les fédérations régionales, attendaient la ratification, que des sondages avaient même été effectués auprès de la base des PME. Il n’est donc pas vrai de dire qu’elles n’ont été ni associées ni consultées. Ces sondages montrent qu’à plus de 90 % elles font de la ratification du Protocole de Londres un des éléments de nature à stimuler le dépôt de brevet, car, aujourd’hui, les coûts se révèlent dissuasifs.

Sur les coûts, je ne vous infligerai pas une litanie de chiffres : ils figurent dans le rapport qui est à votre disposition. Selon les sources, l’économie variera de 15 % à 45 %, en fonction du nombre de traductions nécessaires et du nombre de marchés sur lesquels le brevet serait déposé, et en fonction de la longueur de la revendication et de la notice descriptive. On peut donc estimer que, en moyenne, l’économie sera d’environ 30 %. C’est loin d’être négligeable pour une petite entreprise ou pour un chercheur qui est en proie à tous les aléas liés au dépôt de brevet. Car il faut que vous sachiez, chers collègues, que tous les brevets ne conduisent pas ensuite à une exploitation. C’est un investissement incertain, et donc difficile, pour une petite ou une moyenne entreprise.

M. François Goulard. C’est vrai !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Faut-il craindre, selon l’argument ressassé par les opposants et sur lequel votre rapporteur s’est interrogé longuement, que la simplification et l’abaissement du coût du brevet européen conduisent à une invasion de brevets japonais et américains ?

D’abord, et le monde économique est unanime sur ce point, ce serait une grave erreur de vouloir fermer notre continent au dépôt de brevets d’entreprises étrangères, car il est essentiel que nos entreprises et nos chercheurs soient informés en temps réel des dernières innovations scientifiques, industrielles et technologiques. Il est donc absurde d’avoir peur du dépôt de brevets d’entreprises étrangères. Les dépôts de brevets sur le sol européen, même s’ils proviennent d’entreprises étrangères, sont source d’emploi, d’innovation et de croissance. Ceci est un point essentiel qu’il faut garder en tête.

Mais, surtout, chers collègues, tous ceux que j’ai auditionnés m’ont rappelé une évidence : c’est d’abord pour les entreprises françaises et européennes que le marché est important, c’est pour nos entreprises que la protection sur le marché européen est essentielle et que son coût peut s’avérer dissuasif. Il ne faut donc pas, parce que l’on craindrait un effet d’aubaine tout à fait théorique et probablement marginal pour des multinationales japonaises et américaines, pour lesquelles le coût de dépôt ne pèse pas dans leur conquête du marché mondial, rejeter un accord favorable d’abord à nos PME et à nos chercheurs.

S’agissant des questions cruciales qui sont celles de la veille scientifique et technologique pour nos entreprises, Hervé Novelli, et je l’en remercie, a tenu le plus grand compte des suggestions qui ont été faites par le rapporteur à la suite de ces auditions, pour faire en sorte que nos PME puissent davantage acquérir une culture des enjeux de la propriété industrielle et de l’intelligence économique au sens large. Pour cela, il faut les aider à s’informer des dépôts de leurs concurrents dès le stade de la publication, c’est-à-dire dix-huit mois après le dépôt, bien avant la traduction intégrale éventuelle. Et ceci se fait dès aujourd’hui dans la langue du déposant, c’est-à-dire en anglais ou en allemand si le dépôt est fait en anglais ou en allemand. Il faut donc aider nos PME et les sensibiliser à cela pour organiser leur veille scientifique et technologique.

La traduction de toutes les revendications – c’est-à-dire du cœur des brevets – facilitera considérablement cette veille, et ce dès le dépôt.

Enfin, votre rapporteur s’est longuement interrogé sur la question la préservation de la position de la langue française. Dès lors que le français reste langue officielle, …

M. Jacques Myard. Il l’est déjà !

M. Henri Plagnol, rapporteur. …privilège très convoité – et même contesté – par nos partenaires en Europe, nous avons la certitude qu’il va continuer de s’enrichir du vocabulaire scientifique et technique de l’Office européen des brevets.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Mais si les textes ne sont pas traduits ?

M. Henri Plagnol, rapporteur. Un champ linguistique de 150 000 mots, enrichi périodiquement par l’Office, offre ainsi à tous nos amis francophones la garantie que le français reste une langue vivante, actualisée en temps réel au fur et à mesure des innovations.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ce sera bientôt fini !

M. Henri Plagnol, rapporteur. La pérennisation de ce statut exceptionnel de la langue française est donc l’enjeu véritable de ce débat. Et c’est pourquoi il faut prendre garde : comme l’ont rappelé les ministres, ne pas ratifier l’accord reviendrait à se tirer une balle dans le pied…

M. Jacques Myard. Pour ça, vous êtes un spécialiste !

M. Henri Plagnol, rapporteur. …et à favoriser ceux qui, déjà, plaident pour le tout-anglais. Car cette ratification constituera au contraire, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, la première bataille d’une lutte difficile pour la mise en place du brevet communautaire trilingue que nous appelons de nos vœux.

M. le président. Monsieur le rapporteur, veuillez conclure.

M. Henri Plagnol, rapporteur. J’en termine, monsieur le président. La ratification est également de nature à conforter la voix de la France en Europe.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Sa démission !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Comment nos partenaires pourraient-ils comprendre que la France bloque un accord qu’elle a initié et négocié, qui pérennise le rayonnement de notre langue et aidera, j’en suis convaincu, nos entreprises et nos chercheurs à progresser sur le marché mondial des brevets ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà maintenant plus de sept ans – notre rapporteur nous l’a rappelé dans un discours à la fois brillant et convaincant – que nous débattons de la ratification du Protocole de Londres. Chacun a pu faire valoir ses arguments et ce débat honore notre démocratie. L’examen de cet accord par notre assemblée a été différé plusieurs fois, et la volonté du Président de la République de l’inscrire à l’ordre du jour de la session extraordinaire est un message politique fort adressé à nos partenaires européens. Ils attendent depuis des années un geste de la France pour que ce protocole – dont elle a eu l’initiative et qu’elle s’est employée à promouvoir – puisse enfin entrer en vigueur.

En juin dernier, notre pays s’est remis dans le jeu européen en rendant possible, grâce au soutien décisif de la présidence allemande de l’Union, un accord sur le traité réformateur qui permettra à l’Union européenne de fonctionner de manière plus efficace et plus démocratique. Aujourd’hui, une nouvelle occasion nous est donnée d’adresser un signal positif à nos partenaires européens en cessant de bloquer, par notre veto, l’entrée en vigueur du Protocole de Londres. Il en va de l’intérêt général européen, et par conséquent de l’intérêt de la France.

Ce protocole est indissociable de la stratégie de Lisbonne décidée en 2000 et qui vise à faire de l’Union européenne l’entité la plus compétitive au monde, fondée sur l’économie de la connaissance et de l’innovation. Cette stratégie, ce n’est en réalité rien d’autre que la réponse apportée par l’Union aux enjeux de la mondialisation. Car, nous le savons bien, l’Europe continue d’accuser un retard préoccupant par rapport à ses concurrents américains et japonais, et nous sommes encore loin de consacrer 3 % de notre PIB à la recherche et à l’innovation. Les objectifs que nous nous sommes fixés sont ambitieux, mais ils pourront être atteints si nous agissons avec détermination et volonté politique. La ratification du Protocole de Londres, parce qu’elle incitera les entreprises européennes à déposer davantage de brevets, contribuera à atteindre ces objectifs. En amplifiant la diffusion du brevet européen, le Protocole de Londres représente une contribution majeure à l’Europe de l’innovation : nous passerons du registre du discours à celui des actes.

Je fais devant vous le pari que notre ratification aura un effet d’entraînement sur d’autres pays non encore signataires.

M. Jacques Myard. Pari perdu !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Je pense notamment, monsieur Myard, à l’Autriche, à la Belgique, à l’Irlande ou à la Finlande.

En ratifiant le Protocole de Londres, nous conforterons le statut du français langue officielle dans le système européen des brevets…

M. Jacques Myard. Vous savez bien que ce n’est pas vrai !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …et nous prendrons date dans les négociations qui se poursuivent sur le brevet communautaire.

J’entends souvent dire que ce protocole ne doit pas être si convaincant que cela puisque bon nombre de pays ne l’ont pas ratifié.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. C’est que nombre d’entre eux – notamment l’Italie et l’Espagne – envient le statut privilégié de notre langue. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Mais ils l’enviaient déjà !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. S’ils ne l’ont pas signé…

M. Jacques Myard. Ils ne le signeront pas !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …c’est justement parce que l’italien et l’espagnol ne bénéficient pas des avantages accordés aux trois langues officielles de l’Office européen des brevets ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Telle est la vraie raison !

M. Jacques Myard. Ce sont des arguments d’avocat !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. L’accord de Londres non seulement maintient la position privilégiée de notre langue, mais la renforce, …

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …puisque tout brevet européen délivré en français sera validé dans les grands pays européens, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, sans obligation de traduction intégrale. En d’autres termes, le texte français d’un brevet européen aura force de loi dans ces pays, ce qui constitue une nouveauté tout à fait remarquable.

Que se passerait-il si nous refusions de ratifier le Protocole de Londres ? Il y a fort à parier que la tentation serait grande, pour ceux de nos partenaires qui l’ont déjà ratifié, de s’accorder entre eux sur un régime plus favorable à l’anglais.

M. Jacques Myard. Ils ne le peuvent pas ! Relisez les traités !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. J’entends bien ce que disent les adversaires du protocole : le statut du français est gravé dans le marbre et il est juridiquement impossible de le remettre en cause sans notre accord. Certes, mais, politiquement, vous conviendrez que c’est une vue de l’esprit que de croire que la France, ayant rejeté un accord dont elle est à l’origine, pourra longtemps empêcher les autres pays d’aller de l’avant, fût-ce en anglais !

M. Jacques Myard. Mais ils ne peuvent pas le faire !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Le Protocole de Londres est en réalité le meilleur rempart contre le tout-anglais.

C’est aussi notre crédibilité sur la scène européenne qui est en jeu. Il faut le garder à l’esprit : c’est bien notre pays qui a pris l’initiative de convoquer la conférence intergouvernementale qui a abouti à la conclusion de cet accord signé en juin 2001.

M. Jacques Myard. Cela n’a aucune importance !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Pouvons-nous ainsi revenir sur la parole donnée sans perdre de notre crédit auprès de nos partenaires ?

J’en viens maintenant, moi aussi, à l’enjeu fondamental de ce texte : la contribution de l’innovation à la croissance économique, au progrès social et à l’emploi. Après les États-Unis il y a une quinzaine d’années, l’Europe est entrée à son tour dans cette « nouvelle économie » que l’on peut qualifier de troisième révolution industrielle, celle de l’Internet et des biotechnologies, celle de secteurs industriels à très fort potentiel en matière de brevets. C’est un euphémisme que de dire que le progrès technologique est devenu le moteur de la croissance économique, des gains de productivité et de l’élévation des niveaux de vie à long terme. Tout procède de la croissance. Sans croissance, notre accompagnement social est fragilisé. Sans croissance, inutile d’espérer rompre avec la spirale des déficits ou le remboursement de nos dettes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous sommes, plus que jamais, dans l’économie de l’intelligence. La source majeure de la croissance se trouve dans le progrès technique et la capacité à innover, et jamais le dépôt de brevets n’a occupé une place aussi stratégique dans la compétition économique internationale.

Or l’approche des Européens face aux brevets reste en retrait par rapport à celle des Américains, qui considèrent les brevets comme des actifs d’entreprise plus que comme des outils de recherche. Un effort important doit être entrepris pour améliorer la culture du brevet en Europe, et en particulier en France, où il faudra enseigner mieux que nous le faisons le droit de la propriété industrielle…

M. Henri Plagnol, rapporteur. Très bien !

M. Jacques Myard. Je le dis depuis longtemps !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …et sensibiliser les acteurs économiques sur l’importance et la richesse que constitue pour un pays son « patrimoine » de brevets.

Or notre pays est en déclin dans le paysage européen des brevets. Les chiffres publiés par l’INPI pour l’année 2006 sont sans appel. L’an dernier, la France a représenté 18,2 % des dépenses de recherche et développement européennes mais seulement 15,3 % des dépôts de brevets européens originaires de l’Union, contre 42,5 %, soit trois fois plus, pour nos voisins allemands. Nous devons combler ce déficit structurel qui reflète une moindre sensibilisation des entreprises françaises aux enjeux de la propriété industrielle.

Il faut, une fois encore, libérer les obstacles à la croissance. Car rien – absolument rien – ne justifie que la croissance française demeure moins forte que celle de la plupart de nos voisins européens. Il faut aller chercher la croissance là où elle est, c’est-à-dire dans les activités innovantes à forte valeur ajoutée.

Il ne fait pas de doute que la ratification du Protocole de Londres permettra de lever l’un de ces obstacles à la croissance. Car, en réduisant le coût du brevet européen, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, nous allons supprimer ce qui s’apparente à un impôt sur l’innovation. Tous les rapports sont formels sur ce point : je pense au récent rapport de MM. Jean-Paul Betbèze et Christian Saint-Étienne pour le Conseil d’analyse économique et, bien sûr, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, au rapport dont vous êtes l’auteur, avec M. Maurice Levy, sur l’économie de l’immatériel.

Toutes les raisons que j’ai évoquées me conduisent, vous l’aurez compris, à soutenir la ratification de ce texte. Par ailleurs, je prends l’engagement devant vous, en ma qualité de président de la commission des affaires étrangères, d’établir un suivi régulier de la mise en œuvre de l’Accord de Londres, afin de mesurer l’impact de son entrée en vigueur sur nos entreprises et sur la croissance dans les années à venir …

M. Jacques Myard. Ah ! C’est parce que vous avez des doutes !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Non, monsieur Myard, c’est justement parce que je suis sûr de moi, et parce que le Parlement a pour rôle de veiller aux conséquences de la mise en œuvre des textes qu’il adopte.

M. Jacques Myard. Nous allons rire !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Mes chers collègues, j’espère vous avoir fait partager ma conviction intime (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) qu’en ratifiant ce texte, nous agissons résolument dans l’intérêt de la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, mes chers collègues, un vaste programme de domination revêt aujourd’hui le masque de la mondialisation, comme l’admettent crûment certains industriels outre-Atlantique et certains dirigeants politiques.

L’exposé de motifs du projet qui nous est soumis se limite à constater que « le statut du français est renforcé » – et Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche nous affirme que c’est une chance. Or le fait que notre langue reste l’une des trois langues officielles de l’Office européen des brevets, au même titre que l’anglais, n’est pas l’élément essentiel et cache une réalité de fait.

Si, d’un point de vue juridique, le protocole ne modifie pas le statut du français, il le condamne sur le plan économique, puisqu’il sera moins rentable, même pour le déposant français, de rédiger un brevet dans notre langue plutôt qu’en anglais. Le statut du français se trouverait ainsi de facto défavorisé et diminué.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr !

M. Jean-Paul Lecoq. Le rapport affirme par ailleurs que le nouveau système de dépôt serait de nature à réduire les coûts de traduction. Cependant, plusieurs points problématiques ne font l’objet d’aucune analyse, qu’il s’agisse de la langue française et des effets de l’accord sur notre droit interne ou de la menace que fait peser, au niveau européen, cette lourde tendance à l’uniformisation sur le pluralisme et la diversité culturelle.

Car le problème dépasse largement la question du français et doit être replacé dans le contexte de l’hégémonie américaine sur le plan international, y compris dans l’organisation de la société internationale dont l’Europe fait partie.

Avant même d’entamer une analyse plus approfondie, il convient de rappeler que la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle s’est prononcée contre la ratification du Protocole de Londres, de même que l’Académie des sciences morales et politiques et que l’Association des conseils en propriété industrielle.

Si l’on croit Catherine Tasca dans ses articles datant du 27 février 2006 parus dans Libération et dans Les Échos, la ratification du Protocole de Londres n’apportera à la France et aux autres pays que des bénéfices. Ces affirmations basées strictement sur des calculs financiers, et répondant plutôt à une logique uniquement économique, oublient d’analyser toutes les conséquences politiques et culturelles que ce projet de loi représente non seulement pour la France, mais aussi pour les autres pays et peuples européens.

Cela dit, le 1er février dernier, la commission des finances de l’Assemblée nationale a spontanément adopté – sans qu’aucun gouvernement, que ce soit celui de Lionel Jospin ou celui de Dominique de Villepin, ne l’ait jamais demandé – un amendement au projet de loi de programme pour la recherche prévoyant ratification par la France du « protocole de Londres ».

Cette initiative s’avère calamiteuse pour la stimulation du dépôt de brevets en français, pour l’innovation en général et pour l’esprit même de la francophonie en particulier, comme permettent de s’en souvenir quelques rappels liminaires. En effet, c’est en octobre 2000 que s’est tenue à Londres une conférence dont l’objet était d’apporter certaines modifications à la Convention de Munich de 1973 qui institua le brevet européen. Il s’agissait de mettre au point et de faire signer un protocole prévoyant que les brevets européens – déposés, pour un bon nombre d’entre eux, en langue anglaise – seront opposables aux tiers sans traduction préalable dans la langue de chaque pays signataire, c’est-à-dire, dans le cas de brevets européens désignant la France, sans traduction préalable en langue française.

À Londres, le gouvernement français d’alors s’était provisoirement abstenu de signer ce texte, se réservant la faculté de se concerter avec toutes les parties intéressées à une date initialement fixée en 2001.

À l’origine, des groupes de pression en France en faveur de ce texte – quelques multinationales françaises appuyées, comme on l’a entendu sur vos bancs, par la direction du MEDEF – ont exercé une pression sur les divers gouvernements successifs, relayant une exigence formulée, il y a une dizaine d’années, par l’Office nord-américain des brevets, qui avait déclaré : « Il faut que le monde entier comprenne que l’anglais est la langue en matière de propriété industrielle. » C’est bien de la manifestation de la tendance de l’hégémonie d’un seul modèle social, d’un seul modèle culturel possible qu’il s’agit.

Les petites et moyennes entreprises, prétendument « bénéficiaires » – nous l’avons entendu de la bouche du ministre – seraient les premières victimes. Les PME devraient, en outre, traduire en français les brevets en anglais, les protégeant ainsi contre elles-mêmes ! Elles pourraient, enfin, déposer à leur tour en anglais, et donc ne recruter que des ingénieurs anglophones, en violant l’égalité entre demandeurs d’emploi, car les immigrants anglophones seront dispensés ipso facto d’apprendre et de maîtriser le français, puisqu’ils peuvent ne pas subir la loi sur l’immigration. Elles devraient assurer une traduction, peu coûteuse mais symboliquement lourde, de leurs brevets vers les langues des dix-sept États d’Europe qui, bien qu’ étrangers à la tradition française de promotion de la langue, ont refusé de signer le protocole, comme c’est le cas de l’Espagne.

Sous le fallacieux prétexte de réduire les coûts de dépôt d’un brevet européen pour augmenter le nombre de dépôts nationaux, le but avoué est tout simplement que les firmes multinationales réalisent une économie substantielle.

Il est ainsi évident que la suppression de l’obligation de traduction des brevets dans la langue du pays dans lequel il est déposé pose un certain nombre de problèmes de fond. L’un des arguments utilisés – il est pertinent de le répéter – est que cela permet d’alléger les coûts de traduction. Cet argument, strictement économique et financier, ne justifie aucunement la suppression de la traduction dans la langue nationale. À titre d’exemple, la Grande-Bretagne, avec 4 721 dépôts de brevets en Europe, bénéficierait, avec le Protocole de Londres, d’une économie de sept traductions sur les neuf langues des pays signataires. En effet, l’anglais, langue originale du brevet britannique, vaudra de toute façon pour le dépôt en Irlande, non-signataire, et aux États-Unis bien sûr. En reprenant la valeur de 1 000 euros par traduction, la Grande-Bretagne ferait ainsi une économie de 33,05 millions d’euros grâce aux sept traductions évitées.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et alors ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je rappelle également le fait que ce sont les grandes entreprises nord-américaines et japonaises qui déposent la moitié des brevets en Europe. Et elles le font toutes en anglais, et non en français.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Cela n’a rien à voir avec la langue !

M. Jean-Paul Lecoq. Ainsi, à tout concurrent français, les plus puissantes firmes américaines, japonaises et autres, pourraient opposer légalement en anglais non seulement une description de leurs brevets, mais aussi les revendications dont il s’assortit, lesquelles peuvent être modifiées à tout moment, selon la Convention sur le brevet européen révisée en 2000.

En cas de litige devant nos tribunaux, certes, il y aura une traduction, mais la force légale découlera de la langue originale dans laquelle le brevet a été déposé, c’est-à-dire, l’anglais. Nous connaissons tous suffisamment les différences de fond et de forme qui existent entre le système juridique anglo-saxon et notre tradition et système juridique. Le juge français ne serait-il pas obligé de parler, lire, écrire et faire son raisonnement juridique suivant la structure du droit anglo-saxon ?

Je me pencherai aussi sur la menace qui pèse sur le pluralisme, la diversité culturelle et la diversité des langues et des traditions des peuples européens.

Je ne peux éviter de mentionner brièvement le contexte dans lequel ce projet nous est soumis à approbation.

La mondialisation pousse, en effet, à l’uniformisation des comportements et des modes de vie, de visions, d’opinions, de points de vue. Cette uniformisation est la conséquence logique de la soumission des peuples et pratiquement de toute la planète aux lois du marché, seule référence possible, qui est présentée comme inéluctable.

L’enjeu que pose ce projet de loi est de taille : il ne s’agit ni plus ni moins que de la préservation et de la promotion de la diversité culturelle, de la diversité des langues, de la pluralité des traditions historiques, de la diversité de systèmes juridiques, toutes ces catégories correspondant à une exigence politique essentielle, puisqu’elle conditionne le pluralisme de l’expression des idées.

La tendance à nier le et les pluralismes est encore plus affirmée si l’on tient compte du fait que l’Acte portant révision de la Convention européenne sur la délivrance de brevets européens s’aligne sur l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce – ADPIC – de l’Organisation mondiale du commerce. Cet accord est l’un des outils pour faire de la terre une marchandise. Son objectif est de parvenir à l’harmonisation des différents droits nationaux ou régionaux, comme le brevet européen, relatifs à la propriété intellectuelle et/ou industrielle.

La mondialisation libérale et son cadre juridique international menacent les identités culturelles et ils manifestent une tendance généralisée en vue d’engendrer une standardisation culturelle.

Il ne s’agit pas de nier l’existence des valeurs et des références communes à l’ensemble de l’humanité, y compris à l’Europe. Néanmoins, le fait de partager des valeurs communes n’est pas synonyme d’effacer les spécificités léguées par le temps, de laisser de côté les identités et la diversité des cultures.

Nous ne pouvons pas banaliser le traitement de la culture et du pluralisme, lesquels sont clairement menacés par ce projet.

Dans le cas de notre langue, elle n’est pas seulement un moyen de communication pour tous ceux et celles qui résident dans notre pays et dans d’autres continents. Notre langue est le moyen par lequel nous gardons et nous transmettons nos valeurs de solidarité, d’accueil – même si ces valeurs sont fortement remises en cause aujourd’hui –, de respect des droits humains, de respect du droit international, et surtout, par notre langue, nous gardons intact aussi notre tradition révolutionnaire, qui tant d’espoirs a engendrés dans le monde entier et, en particulier, aux peuples opprimés.

Mais nous savons aussi que la langue peut constituer un outil, un instrument de domination et d’hégémonie.

Dans le contexte actuel de la mondialisation libérale, cette affirmation se révèle vraie en ce qui concerne l’anglais et le système juridique anglo-saxon, d’origine essentiellement nord-américaine.

M. Jean-Pierre Gorges. Et les Chinois ?

M. Jean-Paul Lecoq. Ce n’est pas moi qui ai fait la promotion de la Chine ! Je vous laisse régler ces questions avec les Chinois !

L’Europe est composée de plusieurs peuples, de plusieurs traditions historiques, de plusieurs langues et de plusieurs traditions culturelles. Ces pluralismes ont signifié pour notre continent et pour nos peuples, source de richesse et d’enrichissement réciproques.

Un autre problème se pose également à tous : celui de l’égalité des Européens devant la langue. Avec ce projet, celle-ci tendra à disparaître et avec cette disparition se matérialisera et se consolidera la tendance générale à l’uniformisation. Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de la disparition du pluralisme et de la diversité culturelle.

De la même manière qu’il est légitime que nous défendions notre langue, il est aussi légitime que cette uniformisation, cette colonisation linguistique, soit clairement refusée. L’uniformisation que prétend établir cet article – je le répète – va même au-delà de la langue. En effet, c’est le pluralisme culturel, la diversité culturelle, la culture des peuples qui sont mis en danger.

L’Europe, par cet acte, confirme qu’elle se trouve en pleine déroute de la mondialisation libérale, agissant comme l’un de ses acteurs ; plus encore, comme pilier de la mondialisation libérale, qui refuse le pluralisme.

Préserver la possibilité pour tous les peuples de s’exprimer – droit légitime – et de garder leur propre langue, de même que celle des pouvoirs publics, y compris celle des tribunaux, m’apparaît comme un impératif.

La culture, les statuts des langues ne peuvent être régis par les seules lois du marché, abandonnés aux mains des techniciens et des financiers les mieux à même d’imposer leurs vues, y compris leur langue.

La défense du pluralisme des idées et des cultures impose l’intervention régulatrice des États, notre intervention en tant que parlementaires, englobant celle de l’Union européenne. Il est de notre responsabilité de prévenir l’avènement d’un monopole linguistique et juridique sur les brevets.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne peut pas accepter ce projet de loi et les dispositions du Protocole de Londres. Si on l’acceptait, en réalité, l’Europe – la France comprise – agirait comme élément de l’acculturation. Le groupe de la gauche démocrate et républicaine considère qu’aucune justification d’ordre économique et/ou financière ne peut justifier la suppression de l’exigence des langues nationales des autres peuples européens.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine vous demande d’adopter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Le Gouvernement et la commission ne souhaitent pas s’exprimer.

Je mets aux voix l’exception...

M. Benoist Apparu. Explication de vote, monsieur le président !

M. le président. Le vote est commencé, mon cher collègue.

M. Benoist Apparu. J’avais levé la main !

M. le président. Je mets aux voix, dis-je, l’exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Nicolas Dupont-Aignan une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement. (M. Philippe Folliot applaudit.)

La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, il est des moments dans l’histoire de cet hémicycle où des personnalités et des élus d’horizons différents se mobilisent pour défendre une cause qui les dépasse.

M. Benoist Apparu. Perdue !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est bien souvent le signe que l’intérêt supérieur du pays est en jeu.

À cette seule aune, l’appel à ne pas ratifier le protocole de Londres, que je défends avec d’autres aujourd’hui, semble bel et bien appartenir à cette catégorie. Vous faisiez tout à l’heure appel à l’intelligence de l’esprit des Lumières, madame la ministre. Jugez-en plutôt : de Jacques Attali à Alain Decaux, de Claude Hagège à Max Gallo, de Michel Déon à Laurent Lafforgue, à Erik Orsenna, à Jean-Robert Pitte, président de l’université Paris-Sorbonne, à Albert Marouani, président de l’université de Nice-Sophia Antipolis, à Alain Cotta, professeur à Paris-Dauphine, à Walter Krämer, professeur à l’université de Dortmund et président de l’Association de défense de la langue allemande, etc., on ne compte plus – et vous le savez très bien, sinon pourquoi trois membres du Gouvernement sont-ils présents pour traiter d’un sujet qui paraît finalement aussi banal ? – les écrivains, les académiciens, les linguistes, les universitaires, beaucoup de renommée internationale, français et étrangers qui s’opposent avec la dernière énergie à la ratification du Protocole de Londres.

Il faut aussi compter avec les acteurs du monde de l’entreprise et de la propriété intellectuelle, patrons de PME innovantes, syndicalistes – de la CGT à la CFTC –, avocats d’affaires, ingénieurs, professionnels des brevets, tous des praticiens de l’économie française, qui, mieux que personne, savent quels seraient les effets très concrets de la ratification du Protocole de Londres et le combattent en conséquence.

Enfin, dans notre hémicycle, comme chez nos collègues du Sénat – son Président Christian Poncelet compris –, des voix s’élèvent de tous les groupes pour toutes réclamer le rejet de ce mauvais traité.

M. Benoist Apparu. C’est la voix du conservatisme !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Un autre signe ne trompe pas : ce mauvais traité est sur la table – ou plutôt sur la sellette – depuis plus de six ans ! Ce n’est pas un hasard, mes chers collègues, si, depuis 2001, aucune majorité n’a osé le ratifier. Ce n’est pas un hasard non plus si le président Jacques Chirac, ardent défenseur de la francophonie, et ses premiers ministres successifs, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, n’ont pas cédé face aux pressions de certains intérêts.

M. Lionel Tardy. Il faut avoir du courage !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ce n’est pas un hasard, enfin, si, depuis 2001, toutes les institutions qui représentent le français, la francophonie, la diversité culturelle, ont condamné à l’unisson, et avec quelque succès jusqu’à aujourd’hui, ce funeste protocole. Ainsi, l’année dernière encore, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie dénonçait le « grave danger » qu’il représente.

Alors, comment se fait-il donc qu’un tel accord puisse aujourd’hui nous être soumis ? C’est que, depuis des années, ses partisans se livrent avec de gros moyens à un intense travail de persuasion, mettant en avant des arguments tous plus mirobolants les uns que les autres. Mais je vous le dis tout net : quand on creuse un peu, ces arguments relèvent purement et simplement de la désinformation.

Avant de vous exposer les dangers bien réels que le Protocole de Londres fait peser sur notre économie et notre langue et qui motivent cette question préalable, je vais répondre point par point aux arguments fallacieux brandis par certaines multinationales, le MEDEF et, aujourd’hui, hélas, le Gouvernement.

On vous dit que le coût des brevets va baisser miraculeusement et substantiellement, à hauteur de 40 %. C’est totalement faux. La réforme du brevet européen qui vous est proposée ne réduira que marginalement la part correspondant aux frais de traduction, soit 10 à 15 % du coût total de la plupart des brevets. Elle ne touchera nullement aux 85 à 90 % restants, qui consistent en des taxes et frais de représentation prohibitifs pratiqués par l’Office européen des brevets. Ils constituent un vrai scandale et la réforme aurait dû prioritairement porter sur la gestion et les tarifs de l’OEB.

La désinformation ne s’arrête pas là. Chacun sait que nos entreprises déposant leurs brevets en français devront continuer à assurer une traduction, non seulement dans les pays européens qui n’ont pas signé le Protocole de Londres ou ont finalement refusé de le ratifier – ils sont tout de même au nombre de vingt-deux ! –, mais aussi aux États-Unis, qui ne sont pas membres du système OEB. Au bout du compte, une traduction intégrale en anglais et en allemand continuera à être nécessaire à nos entreprises qui veulent déposer dans les pays anglo-saxons et dans les pays germaniques non-signataires du Protocole, comme l’Autriche. L’économie ainsi réalisée sera donc bien plus marginale qu’on ne vous le dit.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Par ailleurs, il est profondément mensonger de faire passer cette réforme pour un instrument efficace permettant d’augmenter la quantité totale de brevets déposés par nos entreprises.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. En effet, bien plus que le coût du brevet européen supporté par nos entreprises, qui est le même que celui supporté par les entreprises germaniques et anglophones, c’est la méfiance culturelle de nos entrepreneurs vis-à-vis de la protection effective qu’apporte le brevetage qui explique la quantité modeste de brevets déposés en France.

Or le Protocole de Londres, en n’obligeant plus à traduire en français la description des inventions, va renforcer considérablement, et à juste titre, nous le verrons dans un instant, la méfiance de nos PME. Autant, madame la ministre, l’augmentation du crédit impôt recherche constitue un coup de pouce bienvenu à l’innovation, autant cette réforme du brevet européen n’aura aucune incidence de ce genre, bien au contraire.

M. Claude Birraux. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. On vous dit que la traduction de ce qu’on appelle les revendications sera maintenue,…

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. …permettant soi-disant une veille technologique satisfaisante pour nos PME innovantes. Cet argument paraît des plus étranges. Je le récuse pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, il entre en contradiction avec l’idée émise en parallèle que l’économie réalisée grâce au Protocole de Londres serait substantielle. En effet, soit économie substantielle il y a, et alors la traduction n’est plus que minimale, soit la traduction demeure importante mais alors l’économie est limitée. Vous ne pouvez pas jouer sur les deux arguments au gré des circonstances, choisissez-en un.

On me répondra alors que ce qui ne sera plus traduit est la somme des descriptions, qui est superflue. On aborde ici le point essentiel. Dans la constitution d’un brevet, la description est un élément bien plus important que ne veulent le faire croire certains.

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est même tout au contraire un élément indispensable à la compréhension, dont le défaut peut conduire à la nullité juridique d’un brevet. Les ministres et le rapporteur ont prétendu tout à l’heure qu’il n’y avait pas de nullité. Il peut y en avoir. Voici ce que déclare la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle : « Les revendications définissent l’objet de la protection demandée. Quant à la description, elle doit être suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter, et si tel n’est pas le cas, le brevet peut être déclaré nul – article 138 CBE. De plus, la description et les dessins servent à interpréter les revendications – article 69 CBE. Enfin, il existe d’autres causes de nullité du brevet liées à la description. La description constitue donc un élément tout aussi essentiel du brevet que les revendications, et ceci aux termes de la loi. D’ailleurs, c’est par la description que l’inventeur divulgue pleinement son invention technique en échange du droit exclusif qui lui est accordé. »

M. Lionel Tardy. Elle sera traduite. Quel est le problème ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Non, la description ne sera plus traduite. C’est seulement la revendication qui le sera. Quel serait l’intérêt de ce Protocole de Londres pour certaines grandes entreprises si ce n’est justement de leur permettre d’éviter la traduction de la description ? Vous ne pouvez pas endormir la représentation nationale en utilisant des arguments totalement contradictoires !

Le rôle même de cette description va se trouver dès décembre prochain énormément accru. En effet, selon la loi « CBE 2000 », qui entrera en application à partir du 13 décembre 2007, le breveté pourra modifier les revendications pendant toute la durée de vie du brevet en y incluant n’importe quelle caractéristique de la description. Cela veut dire que la description sera d’autant plus importante pour le fonctionnement de la recherche et de l’innovation.

Insuffisante en tant que telle, la traduction des seules revendications risque de n’être pas du tout à la hauteur si, comme il semblerait, elle est confiée à l’OEB. En effet, l’OEB utilise d’ores et déjà des logiciels de traduction automatique dont les performances sont proches de zéro. Je tiens à votre disposition des exemples de traductions totalement incompréhensibles, on en a des centaines. Vous conviendrez en les lisant qu’un tel charabia n’a strictement aucun sens. Or c’est ce charabia qui risque désormais d’être seul disponible dans le système du brevet européen réformé par le Protocole de Londres.

Dernier faux argument, argument suprême, on vous dit que le Protocole de Londres constitue une grande victoire pour le français, qui verrait sa place de langue de référence confortée au sein du système de brevet européen. Quelle naïveté, ou quelle duplicité, mais je n’ose le croire, car, dans la pratique, c’est tout aussi faux, bien évidemment. On vient de voir à quelle qualité de français risque d’aboutir le système de traduction a minima de l’OEB, avec l’instabilité juridique que cela entraînera, mais l’argument selon lequel le français aurait obtenu une reconnaissance internationale à même d’assurer son rayonnement est tout aussi douteux. Certes, le français serait reconnu formellement à égalité avec l’anglais et l’allemand.

M. Jacques Myard. C’est déjà le cas !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Sur le papier, tout brevet déposé en français n’aurait besoin que d’une traduction minimale dans les autres pays signataires, mais ce n’est qu’une coquille vide. Faute de favoriser le développement des brevets en français pour les raisons juridiques et culturelles développées tout à l’heure, ce nouveau système va surtout permettre aux entreprises françaises grosses productrices de brevets de déposer directement en anglais, faisant peu à peu tomber en désuétude le français technique et industriel. Ce sont ces entreprises qui sont derrière cette réforme depuis sept ans et qui essaient de faire passer le Protocole de Londres au mépris des intérêts nationaux.

M. Jacques Myard. Tout à fait !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ainsi, tous les arguments en faveur de ce protocole sont des faux-semblants. Son seul effet concret sera, pour économiser des sommes dérisoires de quelques grandes entreprises, d’instaurer l’anglais comme unique langue de la propriété intellectuelle dans notre pays.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ne faites donc pas croire à la représentation nationale que ce protocole va défendre le français alors qu’il va l’enterrer en matière technologique.

Bien sûr, ces quelques entreprises feront des économies, entre 5 et 60 millions d’euros, si l’on compte l’ensemble des entreprises étrangères qui déposent en français, mais le coût collatéral sera très élevé pour l’ensemble des petites entreprises françaises…

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Mais non !

M. Nicolas Dupont-Aignan. …qui, pour connaître l’état des inventions, seront, elles, obligées de payer des traducteurs ou alors de passer au tout-anglais.

Que ce nouveau régime linguistique du brevet européen pénalise dramatiquement l’économie française et notamment les petites et moyennes entreprises, qui font toujours les frais de la politique des gouvernements successifs, n’est bien entendu pas leur problème, elles qui ne rendent de compte qu’à leurs actionnaires.

Ce n’est pas leur problème, mes chers collègues, mais c’est à l’évidence le nôtre, le vôtre, car nous ne sommes pas ici le bras armé de tel ou tel groupe de pression. Nous sommes en charge de l’intérêt supérieur du pays, du dynamisme et de la compétitivité de nos entreprises, de l’emploi, des innovations de demain et, bien entendu, de la vitalité de notre langue, l’un des biens les plus précieux. Peut-on croire que l’on aura un développement économique solide qui ne s’appuie pas sur la langue de l’ensemble du peuple français ? C’est bien là la question essentielle. Cet intérêt supérieur, je persiste à croire que ce n’est pas la somme d’intérêts catégoriels.

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Ça, c’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Si la France est la France, c’est bien parce que, tout au long de son histoire, des hommes et des femmes de bonne volonté, du plus humble au plus grand, n’ont pas cédé sur ce type d’intérêt supérieur.

Si le Protocole de Londres est ratifié par notre Parlement et que, de ce seul fait, il entre finalement en vigueur, de graves conséquences ne se feront pas attendre, et celles-là, bien entendu, on vous les cache !

Premièrement, les 100 000 brevets de langue anglaise et allemande déposés chaque année dans notre pays ne seront plus traduits ou ne verront plus leur description traduite. Ils ne seront donc plus intégralement disponibles en français. Cela concernera plus d’un million de brevets en dix ans.

Deuxièmement, l’application du Protocole de Londres ouvrira toutes grandes les vannes aux dizaines de milliers de brevets anglophones non traduits, qui ne s’appliquent pas aujourd’hui en France et dans les autres pays signataires du protocole grâce à la barrière de la langue. Comble de tout, il n’y aura aucune réciprocité. Qu’on ne s’y trompe pas, la culture anglo-saxonne de la propriété intellectuelle n’a rien à voir avec la nôtre. S’il existe une masse de brevets anglophones, c’est que les entreprises américaines, japonaises, chinoises ont pour habitude de noyer le marché pour tenter d’étouffer toute concurrence, avec habileté, il faut le reconnaître. Cette conception judiciarisée, offensive, pour ne pas dire hégémonique, de la propriété industrielle, est l’inverse de la nôtre, qui est essentiellement, et à juste titre, défensive. Les entreprises françaises, et c’est bien là le pire, vont se heurter à un déferlement de brevets qui va paralyser leur potentiel d’innovation, car, et c’est bien là le cœur du Protocole de Londres, la réforme du régime linguistique du brevet européen poursuit un objectif et un seul : favoriser les entreprises qui déposent déjà de nombreux brevets, c’est-à-dire les mastodontes, sans se soucier de celles qui n’en déposent pas assez, les PME, qui en déposeront moins encore avec ce système.

Troisièmement, pour connaître l’état des inventions et développer leurs propres innovations, il reviendra désormais à nos PME de traduire à leurs propres frais des brevets anglophones ayant force de loi dans notre pays, une charge qu’assumaient jusqu’à présent les entreprises étrangères qui déposaient en France. Ce serait un véritable scandale moral et économique.

Comme le dit à très juste titre notre collègue Pascal Clément, ancien garde des sceaux, dans un très bon article du Monde que je vous recommande de lire : « l’accord de Londres, en supprimant pour le breveté l’obligation de traduire la partie du brevet appelée description et en ne maintenant que celle des revendications, ne fait en réalité que transférer cette traduction de la description, qui est indispensable, à la charge du tiers. Cela revient à faire payer au condamné français la balle (étrangère) qui va le tuer ! » (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est merveilleusement bien dit !

M. Jean-Yves Le Déaut. Où est-il, M. Clément ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. On exonérera ainsi les grandes entreprises déposant des brevets d’une charge de traduction qui sera transférée sur toutes les autres. Le coût net pour l’économie française sera mécaniquement très négatif puisqu’il y a par définition, surtout en France, toujours plus d’entreprises qui consultent les brevets pour assurer une veille technologique que d’entreprises qui en déposent. De fait, les petites économies réalisées par quelques grandes firmes ne pèseront pas lourd face aux dépenses colossales que devront engager les petites et moyennes entreprises innovantes. Nos PME seront alors confrontées à un choix tragique : soit dépenser des fortunes en traductions comme on vient de le dire, soit passer au tout-anglais et creuser encore davantage le fossé entre leurs salariés qui maîtrisent cette langue et ceux qui ne la maîtrisent pas. N’oublions pas non plus celles qui ne pourront pas assurer de telles traductions, et seront ainsi dissuadées d’innover, parce qu’elles ne pourront pas recruter l’ingénieur ou le technicien qui parle couramment anglais et allemand.

Et puis, quitte à devoir penser et innover en anglais, nombre d’entre elles seront bien malgré elles conduites à embaucher directement des ingénieurs et des juristes anglophones, laissant sur le carreau nos propres ingénieurs et nos propres avocats. Un comble !

Ne négligeons pas non plus le fait que l’émergence de ce monolinguisme étranger dans la vie des affaires de notre pays serait, contrairement à ce que croient certains, un handicap supplémentaire pour notre économie elle-même. Le tout-anglais n’est pas seulement une cause de désorganisation dans les entreprises, dont souffrent de plus en plus les salariés. Ce n’est pas seulement un danger, comme on l’a vu lors de l’irradiation de centaines de patients à Épinal faute de traduction de la notice d’utilisation des équipements de radiothérapie.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Rien à voir !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est aussi un handicap dans la vie des affaires elle-même. C’est une étude, anglaise, qui le souligne et plaide pour la diversité linguistique.

Enfin, celles qui feront traduire les descriptions s’exposeront à une incertitude et à des conflits d’interprétation juridiques sans fin, ne serait-ce qu’à cause des distorsions de sens entre le texte d’origine et sa traduction française, cette dernière n’ayant aucune valeur juridique face à la première.

Quant à la possibilité, évoquée par le rapporteur et le président de la commission et les ministres, pour la puissance publique d’exiger une traduction intégrale en cas de litige, c’est un leurre : ce qui importe pour nos entreprises, c’est une connaissance a priori et non a posteriori de l’état des inventions. En cas de litige, il est déjà trop tard, puisque les investissements de recherche et développement et de production ont déjà été faits.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. On voit que l’économie française n’a rien de bon à attendre du Protocole de Londres. Il va sans dire que le français non plus, dont l’usage technique et industriel déclinerait alors de manière inéluctable. Comme l’affirme Jean Foyer, qui fut garde des sceaux du général de Gaulle, cet abandon du français n’en resterait pas là. Je cite ses mots : « Je considère le mécanisme de l’accord de Londres comme l’amorce en France d’une euthanasie de la langue française qu’on entoure d’un traitement qui lui évitera de sentir le fil du couperet. Il y a de l’anesthésie mais c’est tout de même la fin de la langue française comme langue technologique. Quand toute la technologie sera passée en anglais, tout le reste y passera…

M. Jacques Myard. Le peuple se révoltera !

M. Nicolas Dupont-Aignan.… car quand on parlera anglais à l’atelier, à l’usine, à l’université, dans les laboratoires, on cessera aussi de parler français à la maison et à l’école. »

M. Jean-Michel Fourgous. Quel rapport ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Mes chers collègues, allons-nous accepter que la France, qui avance de légitimes ambitions en matière de francophonie et de diversité culturelle, défende moins sa propre langue que ne le font l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Turquie ? Accepterons-nous, aujourd’hui, dans cet hémicycle, de bafouer l’esprit de nos lois qui protègent le français, dont la loi Toubon est la dernière en date, au moment même où la défense de notre langue redevient une préoccupation majeure de nos entreprises ? C’est cela la vraie question.

Il est vrai que certains ministres semblent avoir déjà fait une croix sur notre langue, tel Bernard Kouchner : son titre de ministre des affaires étrangères fait frémir lorsqu’on lit ces mots dans son dernier ouvrage, paru il y a un an – je vous les cite car il faut que vous soyez au courant – : « Après tout, même riche d’incomparables potentiels, la langue française n’est pas indispensable : le monde a bien vécu avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient. » Je pose solennellement la question au Gouvernement de la France : cette ligne est-elle désormais celle de notre exécutif ?

Allons-nous donc accepter d’être regardés avec dédain par la communauté francophone ? Serons-nous sourds aux mises en garde inquiètes de nos amis québécois ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous pouvez rire des Québécois : ils défendent mieux notre langue que nous. (« Nous ne rions pas des Québécois ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Parce qu’ils savent mieux que personne combien il est périlleux d’accepter le sacrifice de sa langue, ils nous exhortent à rejeter le Protocole de Londres.

Comme l’a si bien dit Christian Poncelet, Président du Sénat : « À quoi bon se battre pour la culture, prétendre avoir une autre vision de sa place dans la société, défendre une certaine idée de la France, si, au jour le jour, nous sommes prêts à ces lâchetés quotidiennes au nom de la soi-disant efficacité et en général de la simple vanité ? »

M. François Goulard. « Soi-disant » est impropre ici ! Quand on veut défendre le français, on commence par le parler correctement !

M. Nicolas Dupont-Aignan. « Vanité d’être publié, de paraître international d’autant plus parfois qu’on est médiocre. Le Protocole de Londres sur les brevets, hélas signé, mérite, puisqu’il n’est pas encore ratifié, un réexamen attentif car nous ne pouvons accepter ses dispositions conduisant au tout anglais dans ce domaine stratégique. » Je ferai part de vos observations au Président du Sénat.

Allons-nous accepter que des textes en langue étrangère aient force de droit dans nos propres tribunaux, en violation d’un usage bien établi depuis François 1er et au risque d’introduire une inégalité majeure entre Français, qui ne maîtrisent pas tous l’anglais ? Sur ce point, bon nombre de juristes ont déploré la décision rendue il y a un an par le Conseil constitutionnel. Pour estimer le Protocole de Londres compatible avec notre Constitution, le Conseil a retenu une définition très étroite du droit de la propriété industrielle et de l’égalité linguistique dans notre pays. Il me paraît illogique en effet de considérer que la traduction en français des seules revendications, qui demeure obligatoire, à l’exclusion de la description suffit à assurer une compréhension satisfaisante d’un brevet – on revient à la question clé, que j’évoquais tout à l’heure. Au contraire, selon tous les spécialistes et selon le droit de la propriété intellectuelle lui-même, les revendications ont besoin d’être suffisamment explicitées par une description pour ne pas courir le risque d’être invalidé. Cela sera d’autant plus vrai à compter du 13 décembre prochain.

À tous les points de vue donc, une ratification du Protocole de Londres serait néfaste pour notre pays : elle n’apporterait pas grand-chose, mais enlèverait au contraire beaucoup à notre économie comme à notre langue.

On ne peut que partager le souhait du Président de la République de dynamiser nos entreprises, de les moderniser, de favoriser leur compétitivité et leur offre. Le Protocole de Londres va, hélas ! dans le sens exactement inverse, tout en menaçant notre identité linguistique et nationale, à laquelle le chef de l’État, gardien suprême de l’intérêt de la France, ne saurait être indifférent.

Mais le débat d’aujourd’hui ne concerne pas seulement l’avenir de notre pays – et je conclurai sur ce point. Le vote de notre assemblée traduira aussi notre vision de l’Europe et du monde.

De l’Europe tout d’abord. L’Académie française a résumé en quelques mots la problématique essentielle de notre débat : « Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que les textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n’ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l’Europe ? Économiser sur les traductions, c’est non seulement mettre en péril les langues nationales mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons l’Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas signer le Protocole de Londres. »

Toute la question est là : comment se fait-il que les Italiens, les Espagnols, les Autrichiens, en refusant de signer ce protocole, se montrent capables de mener le combat de la diversité linguistique et culturelle, alors que les élites françaises, Gouvernement en tête, démissionnent avant même d’avoir combattu ?

M. Jacques Myard. Ce ne sont pas des godillots, eux !

M. Jean-Michel Fourgous. Ils préfèrent le « tout-anglais » !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Car n’en doutez pas, le peuple français – le combat des syndicalistes dans les entreprises en témoigne – aspire à vivre dans sa langue et est attaché plus que jamais à cette diversité, qui, loin d’être un handicap, constitue au contraire un extraordinaire atout pour l’Europe.

En votant cette ratification, vous engageriez la France, une fois de plus, dans une construction de l’Europe qui n’est pas la bonne, à laquelle nos compatriotes se sont déjà opposés parce qu’elle les heurte, et qui, malheureusement, les conduit à rejeter de plus en plus la belle idée européenne qui devrait nous rassembler tous.

Au-delà même du projet européen, le vote d’aujourd’hui engagera notre vision du monde. En ce début du xxie siècle, au moment où un monde véritablement multipolaire est en train de naître, la France renoncerait à sa langue, décevrait la communauté francophone, s’alignerait sur l’uniformité anglo-saxonne, comme elle en a pris l’habitude ?

M. Nicolas Dhuicq. La France ne renonce jamais !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Quel contresens historique, mes chers collègues !

C’est tout au contraire maintenant, au moment où naît un monde multipolaire où la Chine, l’Inde, le Brésil défendent leur identité et leur langue, que la France et la francophonie ne doivent pas démissionner ! C’est maintenant que nous avons le devoir d’affirmer notre langue, notre identité, notre culture, de défendre partout et toujours la langue française, de multiplier les partenariats avec les pays francophones, de renforcer notre audiovisuel extérieur et aussi, comme le suggère Jacques Attali, de bâtir, avant qu’il ne soit trop tard, une bibliothèque numérique universelle francophone. Ce faisant, vous le savez, ce sont toutes les langues que la France contribuerait à défendre, ce serait le principe même de la diversité culturelle qu’elle ferait vivre ! Une telle attitude, madame la ministre, serait plus conforme à l’esprit des Lumières que ce malheureux texte que vous nous proposez.

Le refus de ce Protocole de Londres, loin d’être le geste défensif auquel vous le réduisez de façon caricaturale…

Une députée du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Frileux !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est cela, continuez. C’est au contraire une ardente nécessité si on veut, sans incohérence, mener une grande politique de la francophonie, qui n’interdit bien sûr en rien les liens d’amitié avec nos voisins européens ou nos cousins américains. Elle n’interdira pas non plus de s’attaquer au scandale de la gestion de l’Office européen des brevets, afin d’abaisser ses tarifs exorbitants et de permettre à un plus grand nombre de PME de déposer des brevets.

Encore faut-il avoir la volonté de faire vivre la France et sa langue. C’est toute la question qui vous est posée aujourd’hui et c’est l’objet de ma question préalable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri Plagnol, rapporteur. J’ai trop d’estime pour vous, cher collègue Dupont-Aignan, pour ne pas vous écouter avec attention vous exprimer avec votre fougue habituelle. Je voudrais simplement relever deux contradictions.

La première tient à la nature même de votre motion, monsieur le député, l’objet de la question préalable étant de décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Or vous avez vous-même attiré avec passion l’attention de l’hémicycle sur les conséquences extrêmement graves, voire apocalyptiques, qu’entraînerait la ratification de ce protocole. Vous avouerez qu’il y a lieu à délibérer, et vous devriez être le premier à souhaiter que l’Assemblée poursuive l’examen du protocole.

Deuxième contradiction, sur laquelle je serai extrêmement bref : vous êtes un passionné de la défense de la langue française, tout autant que je le suis moi-même (« Nous tous ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)… et je pense que nous le sommes tous sur ces bancs.

M. Philippe Folliot. Plus ou moins !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Ce qui nous sépare, c’est que vous entretenez une vision, noble certes, mais empreinte de nostalgie de l’époque où la langue française dominait le monde. (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Une députée du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. François 1er !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Nous voulons, nous, une francophonie à la fois réaliste et conquérante. En effet, monsieur le député, nos entreprises, nos chercheurs, vivent déjà la réalité d’un monde plurilingue. Le spécialiste des brevets, domaine dans lequel l’Allemagne a une si grande place, vit en allemand. De la même façon ceux qui assurent une veille technologique suivent les innovations en langue anglaise, comme l’a rappelé excellemment Mme la ministre Valérie Pecresse dans une récente tribune, que je vous invite à lire.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas bien bon !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Mais cette francophonie réaliste est une francophonie conquérante. C’est en acceptant le système des brevets trilingues que vous défendrez l’intérêt bien compris de la francophonie, et j’en terminerai par là. Vous avez cité nos amis québécois : je peux vous citer de très nombreux témoignages qui prouvent que nos amis francophones, notamment de l’Organisation africaine de la propriété industrielle, qui rassemble presque vingt États, nous demandent, chers collègues, de ratifier le protocole au plus vite.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas vrai !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Vous me permettrez de parler trois minutes puisque nous avons écouté patiemment vos arguments et que nous allons encore vous entendre, monsieur Myard.

M. Jacques Myard. J’espère bien !

M. Henri Plagnol, rapporteur. S’ils demandent cette ratification, c’est parce que l’intérêt vital d’un État francophone ou d’une entreprise francophone, ou d’un chercheur dont la langue maternelle est le français, est de pouvoir continuer à déposer des brevets en français : la chance du français est de rester une des trois langues officielles.

M. Jacques Myard. Personne ne le conteste !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Contrairement à vous, je pense que les dépôts en langue française ont un avenir, et que, grâce à la ratification, ils seront plus nombreux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je souhaiterais revenir sur les deux points qui me paraissent au cœur de votre intervention, et d’abord sur le coût d’obtention des brevets de l’Office européen des brevets.

Le coût moyen d’un brevet délivré par l’Office européen des brevets est de 30 000 euros, dont 20 000 euros pour les traductions. Grâce au Protocole de Londres, le coût des traductions sera divisé par deux, soit un gain de 10 000 euros. La ratification du Protocole de Londres permettra d’obtenir un brevet européen pour un coût de 20 000 euros, soit 30 % de moins que le coût actuel. C’est un fait.

M. Jacques Myard. Non !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Le deuxième point porte sur la nécessité de réformer l’Office européen des brevets : c’est justement le fait de ratifier le Protocole de Londres qui nous permettra d’être plus offensifs en la matière. Si la France ne ratifie pas cet accord de Londres, nous aurons moins de latitude pour réformer l’Office européen des brevets afin d’en faire l’organe plus politique et plus performant que nous appelons également de nos vœux.

J’ajoute que l’objectif essentiel est que nous disposions d’un système européen des brevets qui soit compétitif par rapport au système japonais ou américain. Nous devons aller vers un droit européen unifié des brevets, tant en matière juridictionnelle qu’en ce qui concerne la procédure de dépôt des brevets, qui préserve la tradition du brevet européen, son originalité, sa diversité, et la protection réelle qu’il offre par rapport aux modèles américain et japonais. C’est le défi que nous avons à relever, et c’est pour cela que nous souhaitons ratifier ce protocole.

Je voudrais enfin revenir à la distinction entre les revendications et les descriptions, qui occupe une grande part de votre intervention. Les revendications restent l’élément décisif du dépôt du brevet.

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Nous devons avoir une vision offensive du brevet européen, qui permette aux petites et moyennes entreprises de déposer leurs brevets en français et de développer une politique de dépôt de brevets à l’étranger. Tel est notre objectif.

Il faut s’entendre d’autre part sur l’utilité des descriptions en termes de protection. C’est vrai qu’elles donneront matière à traduction, notamment en cas de litige.

Mais, dans le cas des litiges, le coût de la traduction des descriptions sera à la charge du titulaire des brevets, c’est-à-dire de ce que vous appelez les « multinationales » ou des plus grandes entreprises, et non pas des petites et moyennes entreprises, ce qui est pour ces dernières une protection supplémentaire.

Pour ce qui est, d’autre part, de l’articulation entre les revendications et les descriptions, jamais une description ne donne au titulaire du brevet un droit étendu : elle restreint, au contraire, son droit par rapport à celui qui cherche à faire de la veille. C’est donc, à cet égard aussi, une protection pour les petites et moyennes entreprises, dont le premier actionnaire est le chef d’entreprise que nous souhaitons promouvoir et protéger et à qui nous voulons permettre d’être plus offensif sur les marchés étrangers.

M. le président. La parole est à M. François Goulard, au nom du groupe UMP, pour une explication de vote sur la question préalable.

M. François Goulard. Je serai bref, car les démonstrations du rapporteur et du ministre me semblent absolument…

M. Jacques Myard. Mauvaises !

M. François Goulard. …convaincantes.

En vous entendant, monsieur Dupont-Aignan, je me suis demandé dans quel monde nous vivions. Votre vision des choses, empreinte de romantisme, est sans doute sympathique, mais elle n’est pas conforme aux réalités du monde d’aujourd’hui. Cette sorte de complot contre la France, de complot des grandes entreprises contre les petites, ces thèmes que vous développez sont hors de propos.

Nous avons l’occasion de réaliser une avancée concrète, qui favorisera la langue française et les entreprises françaises et simplifiera les choses à l’échelle du continent européen. Ne manquons pas cette occasion.

M. Jacques Myard. Couchons-nous !

M. François Goulard. Il le faut d’autant moins que, je le rappelle, la ratification de l’Accord de Londres par la France est indispensable à son entrée en vigueur. Si l’Accord de Londres n’entre pas en vigueur,…

M. Jacques Myard. Catastrophe !

M. François Goulard. …il est probable que, tôt ou tard,…

M. Jacques Myard. La Terre s’arrêtera de tourner !

M. François Goulard. …des pays européens se mettront d’accord pour adopter un autre système, qui fera la part belle à l’anglais. Voilà ce que vous aurez gagné. C’est à l’exact opposé des objectifs que vous affichez. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

M. le président. Nous abordons maintenant la discussion générale.

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Fourgous, premier orateur inscrit.

M. Jean-Michel Fourgous. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, chers collègues, je tiens d’abord à remercier Mme Pecresse d’avoir rappelé l’origine parlementaire de ce réveil salutaire et soutenu ce combat depuis le début. Mes remerciements vont aussi à M. Novelli.

Permettez-moi aussi de déplorer encore que nous n’ayons pas la possibilité, dont disposent pourtant la plupart des grands hémicycles de par le monde, de projeter des diaporamas. Dans un débat comme celui que nous avons aujourd’hui, des tableaux statistiques pourraient contribuer à dédramatiser les passions.

Le rapport Lévy-Jouyet, publié l’année dernière, nous donnait à méditer sur le fait que la clé de la compétitivité future de notre pays et de celle de l’Europe réside dans l’innovation et la recherche. Sommes-nous vraiment décidés, cependant, à donner du contenu à ces principes – car, en France, on adore parfois les principes au point d’en oublier les réalités ? C’est ce que nous allons faire aujourd’hui en ratifiant ce protocole de Londres.

Il est facile de crier – et Dieu sait si nous avons entendu crier, tout à l’heure encore ! – quantité de mots et de principes incantatoires. La classe politique française aime répéter : « croissance, croissance ! », ou : « Lisbonne, Lisbonne ! » Quel est le contenu de ces mots ? Qu’est-ce que la croissance ?

La croissance est faite de trois choses : de sueur, c’est-à-dire de travail, d’argent, c’est-à-dire de capital, et, surtout, d’intelligence, c’est-à-dire d’innovation. Or, le brevet est la matérialisation de cette intelligence. C’est aussi la transformation de la matière grise en or. Gardons cette statistique présente à l’esprit : lorsqu’une entreprise dépose un brevet et l’exploite, elle connaît, dans les cinq années qui suivent, une hausse de 30 % de son chiffre d’affaires et de 40 % de ses effectifs, selon une étude d’OSEO.

On a dénoncé tout à l’heure la ratification du protocole de Londres comme une mesure destinée à favoriser les gros. Je tiens à rappeler, à cet égard, que je suis un ancien ingénieur du CNRS : j’ai cherché, j’ai trouvé et j’ai déposé un petit brevet qui a immédiatement permis de créer une entreprise, puis des emplois. Cette expérience m’a permis de mesurer les limites du système actuel : le processus est très long et très coûteux ; une petite entreprise ne peut se protéger auprès de l’OEB, mais doit le faire auprès d’autres structures, beaucoup moins protectrices, tandis que les grosses entreprises françaises, comme EADS ou SAGEM, n’ont pas de mal à payer les traductions de l’OEB. Il faut être très loin de la réalité des chercheurs, des entreprises et du dépôt des brevets pour dire qu’il est ici question d’un complot des gros contre les petits.

Aujourd’hui, on est condamnés à mal se protéger si on ne peut pas payer pour assurer cette protection dans tous les pays d’Europe. En tant que rapporteur de la recherche pour la dernière législature, j’ai pris conscience, avec d’autres, de l’urgence de la ratification. Il s’agit là d’une demande unanime du monde de la recherche – car il faut écouter nos chercheurs – et, bien sûr, des entreprises. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé l’année dernière, avec mes collègues du groupe de travail « Génération entreprises », une proposition de loi sur le sujet.

Il faut être conscients des blocages qu’entraîne le système actuel. Il a déjà été dit que le coût excessif des brevets empêche les entreprises de couvrir toute l’Europe. Alors qu’un milliard de personnes échangent aujourd’hui sur Internet, on a intérêt à comprendre que, si l’on veut travailler, c’est à l’international qu’il faut le faire, et qu’il faut s’adapter.

Pour Renault même, l’investissement dans les traductions grève le budget consacré à la protection des innovations et limite la possibilité d’assurer cette protection pour un plus grand nombre de pays, notamment en Europe de l’Est. Les extensions dans les pays extérieurs à l’Europe sont également freinées. L’exemple du CNRS devrait aussi nous faire réfléchir : les enveloppes consacrées à la valorisation étant limitées, toutes les sommes consacrées à des traductions inutiles sont autant d’argent qui ne servira pas à déposer de nouveaux brevets en français – l’enveloppe est fermée.

Nous voyons enfin ressortir aujourd’hui un sujet qui est resté enterré pendant des années. Il est, mes chers collègues, une personne que je tiens à saluer pour avoir aidé à débloquer cette question. J’ignore s’il est d’usage de rendre de tels hommages, mais je suis un homme politique autonome et je crois qu’il faut parfois rendre à César ce qui lui revient – si je puis m’exprimer ainsi.

Une vraie rupture culturelle, managériale, est en train de se produire à la tête de notre pays, parce qu’on met enfin du contenu dans les discours politiques. J’ai vécu cela en inscrivant dans le programme de Nicolas Sarkozy, avec certains de nos collègues, ce protocole de Londres qui nous fait sortir d’un immobilisme de six ans. Il était temps !

Nous donnons enfin suite à toute une série de débats, de concertations – car, dans notre pays, on aime bien la concertation – et de rapports officiels. Je n’en citerai que quelques-uns : la première proposition de loi, déposée par Génération entreprises, signée par 180 députés et soutenue par la communauté scientifique, technique et économique, une proposition de loi de Richard Yung, sénateur socialiste, avec le soutien du groupe socialiste du Sénat, le rapport de MM. Lequiller et Garrigue pour la Délégation pour l’Union européenne, le rapport sénatorial d’Hubert Haenel – qui vont, bien entendu, tous dans le même sens – le rapport Lévy-Jouyet sur l’économie de la connaissance, le rapport parlementaire de Chantal Brunel et Jérôme Bignon sur les délocalisations, la concertation menée à l’initiative de Claude Birraux par l’Office des choix scientifiques et techniques, sans parler de l’amendement de février 2006, voté à l’unanimité dans deux commissions et que nous avons été obligés de retirer à la suite d’une intervention dont il est inutile de rappeler l’origine. De vous à moi, tout cela rend salutaire l’arrivée de Nicolas Sarkozy.

Aujourd’hui, la France est donc « de retour en Europe ». Cette décision était très attendue par nos partenaires européens, qui ne comprenaient plus l’attentisme français dissimulé derrière un principe moral qui n’est pas lié directement au sujet dont nous traitons.

Nous avons connu ces dernières années la reproduction, en miniature, de ce qui s’est produit pour le projet de Constitution européenne. Nous nous trouvons, je le rappelle, à peu près au même point : la France est à l’origine d’un texte, mais contribue à le bloquer. Il y a de quoi, pour nos partenaires européens, être surpris, voire souvent agacés. La ratification par la France débloquera le processus et entraînera une série de ratifications chez nos partenaires européens. Surtout, elle empêchera que nos partenaires de l’OEB ne reviennent à la solution d’une seule langue : le tout-anglais – que, ne vous leurrez pas, souhaitent de nombreux pays –, qui avait été envisagé en 1999 lors des discussions qui ont conduit à la signature de l’accord de Londres. Ce texte est donc, avant tout, bon pour le français.

Pourtant, la ratification a tardé et j’ai l’impression que la question de la francophonie n’a été rien de moins que savamment instrumentalisée. Lors de la saisine du Conseil constitutionnel par M. Myard, certains de nos collègues, dont certains avaient d’ailleurs signé un peu naïvement ce recours, sont même venus me demander – rien de moins ! – s’il était vrai que nous voulions obliger les Français à déposer les brevets en anglais. Même s’il s’agit évidemment d’une contre-vérité, de telles manipulations sont préoccupantes, et il est clair que certains opposants au Protocole ont joué sur cette incompréhension et sur le caractère technique du sujet.

Le Conseil constitutionnel a tranché, rappelant que le Protocole de Londres n’a « ni pour objet, ni pour effet d’obliger les personnes à utiliser une langue autre que le français et qu’il ne confère pas davantage un droit à l’usage d’une langue autre que le français ». Le recours a donc été rejeté.

Prenons garde à ne pas laisser instrumentaliser contre le Protocole la défense du français.

Écoutons Alain Pompidou, ancien président de l’OEB et fils de Georges Pompidou, auteur d’une anthologie de la poésie française, qui nous dit que le protocole de Londres permet de garantir le maintien du français au sein des instances de l’OEB.

Écoutons aussi les pays africains francophones, qui veulent pouvoir déposer en français leurs brevets en Europe sans supporter des coûts de traduction qui sont souvent pour eux une barrière insurmontable. C’est l’OAPI, l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle, qui nous presse de ratifier.

En agitant la question de francophonie, nous jouons à nous faire peur. Gardons-nous, chers collègues, de cette habitude très française – cultivée notamment par une partie de la classe politique – consistant à instrumentaliser un principe moral,…

M. le président. Monsieur Fourgous, veuillez conclure, je vous prie.

M. Jean-Michel Fourgous. …comme la défense du français, et d’y associer des faits sans rapport direct, voire inexacts, pour mener un autre combat.

Pourquoi ne pas écouter tout simplement ce que nous disent les PME ? La CGPME, Croissance Plus, France Biotech, l’ensemble du secteur de l’entreprise et les PME ne sont-ils pas assez responsables lorsqu’ils soutiennent cet accord ? Le débat est clair et leur position est officielle.

Une dernière question pour conclure : quelle écoute, depuis six ans, a-t-on accordée dans notre pays au monde des chercheurs et au monde de l’entreprise ? Cette écoute n’a-t-elle pas été quelque peu aseptisée, chez les décideurs politiques, parce qu’il a fallu attendre six ans ?

On peut se demander combien de brevets ont été perdus, combien d’entreprises ne se sont pas créées parce que cette ratification a été différée depuis six ans.

Le vrai clivage qui s’exprime aujourd’hui dans cette assemblée n’est pas entre les défenseurs et les agresseurs de la langue française. Il est, il faut le dire, entre l’obscurantisme économique et l’expérience économique.

Mes chers collègues, au nom de nos petites entreprises, au nom de nos chercheurs, au nom de la compétitivité de la France et, surtout, au nom de la compétence économique française – car elle existe et nous devons en être fiers –, je vous demande de voter ce texte. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Moscovici.

M. Pierre Moscovici. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le contenu du texte qui est soumis à notre vote aujourd’hui a déjà été largement détaillé. Chacun aura compris que la matière est complexe. Ce texte évoque trois enjeux. Le premier a trait à l’ordre juridique national : quelles sont les conséquences, en droit français, de la ratification du Protocole de Londres, et sont-elles acceptables ? Le deuxième enjeu est d’ordre économique : la question à laquelle il faut répondre peut être formulée ou résumée ainsi : qui bénéficie, en termes économiques, du Protocole de Londres ? Enfin, j’évoquerai un troisième enjeu, d’ordre symbolique et culturel, et qui est bien sûr très important : la ratification du Protocole de Londres permet-elle de conforter la francophonie ?

Prenons d’abord l’enjeu juridique. Avec ce protocole, la France s’engage à renoncer à l’exigence d’une traduction intégrale des brevets rédigés en anglais ou en allemand comme condition de leur opposabilité aux tiers. Que penser de cette disposition ? Il a été souligné qu’elle pouvait accroître le risque d’incertitude juridique puisqu’un document rédigé en langue étrangère sera opposable à un justiciable français et pourra servir de fondement juridique à des condamnations civiles ou pénales. C’est une disposition qui a bien sûr une portée considérable. Mais si elle peut finalement, pour mon groupe, être acceptée, c’est parce qu’une obligation équivalente existera aussi dans l’autre sens : le texte permettra aux déposants francophones de donner une force juridique à leurs brevets déposés en français sans traduction sur les territoires allemand et britannique. Tout en ayant pleinement pris la mesure de cette disposition et de ses conséquences, nous pouvons donc l’accepter parce qu’elle est accompagnée de contreparties significatives.

Parlons maintenant de l’enjeu économique. Les partisans du Protocole de Londres – ils se sont exprimés largement – affirment qu’il permettra de réduire le coût de dépôt des brevets puisqu’il limite les exigences de validation ou de traduction.

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. En effet.

M. Pierre Moscovici. C’est exact : dans une hypothèse maximaliste, si une entreprise veut aujourd’hui protéger son brevet dans tous les États membres de l’OEB, elle doit financer vingt-deux traductions pour trente-deux pays en tout. Mais il est aussi exact, comme l’ont affirmé les opposants au Protocole, qu’il s’agit d’économies assez limitées. En effet, les coûts de validation, notamment pour les PME, sont peu élevés : les brevets déposés par les PME comportent en général dix à douze pages, et la validation dans les principaux pays suffit à obtenir de fait un monopole sur l’ensemble de l’Union européenne.

Puisqu’il y a des avantages et des inconvénients, il s’agit, à mon sens, de s’interroger davantage sur les nouveaux coûts introduits sous la forme d’un transfert de la charge financière pour l’obtention de l’information. Aujourd’hui, cette charge incombe au détenteur du brevet. Le Protocole de Londres inverse la situation : ce sont les concurrents du détenteur du brevet qui devront payer pour obtenir l’information sous forme d’une traduction exacte de la description. On voit dès lors qu’il est impossible d’affirmer que « le Protocole de Londres permet de faire des économies », ou au contraire que « le Protocole fait perdre de l’argent ». Objectivement, les deux dynamiques sont en réalité présentes dans le texte. Mais laquelle de ces dynamiques l’emporte sur l’autre ? Et qui en est bénéficiaire ? Pour ce qui est de la première question, il aurait fallu, pour la trancher, procéder à des investigations plus poussées sur ce point, comme l’avait demandé mon groupe ; pour ce qui est de la seconde, il est clair que les dispositions du Protocole de Londres avantagent en premier lieu les grandes entreprises et que le bénéfice pour les PME – certaines d’entre elles l’ont souligné – est moins clair.

Je crois qu’il est néanmoins possible de faire un double pari : d’une part, que l’abaissement des coûts de dépôt d’un brevet encouragera les PME françaises à innover davantage pour se rapprocher du niveau américain et, d’autre part, que l’effet global d’entraînement sur l’économie française sera positif.

Le dernier enjeu est culturel. C’est peut-être l’enjeu essentiel. Avec le Protocole de Londres, les États signataires dont la langue nationale n’est pas l’une des trois langues de l’OEB pourront déposer leurs brevets européens en français. Mais, contrairement aux partisans du Protocole de Londres, je ne suis pas persuadé que ces pays choisiront beaucoup plus le français. J’entends toutefois l’argument selon lequel le texte ne conduira pas à l’abandon du français comme langue de premier dépôt par les entreprises françaises. Je note aussi que le texte confirme l’obligation de traduction des revendications dans les trois langues officielles de l’OEB, dont le français. Je suis sensible, enfin, à l’argument du pire – ce type d’argument compte en politique –, à savoir que sans ratification du Protocole de Londres, les autres États auront toujours la possibilité de se mettre d’accord pour imposer un système de brevet qui serait alors exclusivement fondé sur l’anglais. Sans s’accrocher à un monolinguisme de repli, on peut être attaché à la francophonie et considérer que le texte présente des garanties suffisantes dans ce domaine.

M. le président. Monsieur Moscovici, je vous prie de conclure.

M. Pierre Moscovici. Je terminerai en évoquant d’autres pistes, dont le protocole fait l’économie, et que je me contenterai de mentionner : d’abord, baisser les annuités ; ensuite, corriger le déficit de dépôt de brevet par la France en s’attaquant à d’autres problèmes réels tels que, par exemple, l’investissement insuffisant dans la recherche et développement ou la faible diffusion de la « culture brevets » ; enfin, il convient d’élaborer des garde-fous et de réinvestir la sphère communautaire. Je crois que les carences du brevet européen peuvent être mises sur le compte d’une absence de choix clair de la part des gouvernements de l’Union européenne entre échelon national et échelon communautaire, aboutissant ainsi à un compromis boiteux. On le sait, le brevet communautaire est en discussions, et celles-ci n’ont toujours pas abouti. Ce brevet n’a pas encore vu le jour. Il sera pourtant un outil de politique industrielle et d’encouragement à l’innovation européenne indispensable si nous voulons rattraper notre retard en la matière face aux États-Unis. Donnons-nous les moyens d’avancer enfin sur ce dossier.

Vous l’aurez compris, ce texte présente des zones d’incertitude qu’il aurait fallu éclaircir au lieu d’avancer au pas de course. Cela a donné lieu au sein de mon groupe à des discussions qui n’ont pas été faciles. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche considère que ce projet de loi n’aurait pas dû être examiné en session extraordinaire. Il a néanmoins conscience de ses responsabilités et votera en faveur de l’accord de Londres (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), sans enthousiasme, mais loin de toute attitude obtuse d’obstruction. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous connaissons tous le contenu de cet accord conclu à Londres en 2000, qui modifie la convention sur la délivrance des brevets européens. Mais ce processus, qui, sur le papier, laisse croire à un manifeste pro-francophonie, en faisant du français une des alternatives obligées dans le dépôt des brevets, favorise-t-il la langue française ? Essayons d’en voir les vices cachés.

Vous connaissez l’état des lieux : moins de 6 % des brevets européens sont déposés en français, 25 % en allemand et 70 % en anglais. Exemple : l’INSERM, qui dépose déjà 85 % de ses brevets directement en anglais. Si la France est économiquement défavorisée – ce fut un des arguments des orateurs précédents –, est-ce réellement dû au petit nombre de brevets déposés en langue française ? Peut-on de bonne foi lier la faiblesse de l’économie française au faible nombre de brevets francophones ? Alors que le taux de consultation des brevets n’est que de 2 % – cela est dû, je le reconnais, en partie au caractère vieillot et d’arrière-garde de l’OEB, qui ne numérise pas les textes.

Dans la logique actuelle de marchandisation de la propriété intellectuelle, l’adoption de ce protocole serait un encouragement à la disparition du français comme langue d’expertise technique.

Faute de réciprocité, ce texte est en effet une incitation pour les entreprises et les centres de recherche français à déposer directement leurs demandes de brevets en anglais. Avec le régime de traduction actuellement en vigueur, 100 % des brevets sont disponibles en français. En revanche, si le texte est adopté, seulement 6,5 % des brevets seraient disponibles en français. En effet, les pays qui ont une langue officielle en commun avec une langue officielle de l’Office européen des brevets – c’est-à-dire l’anglais, le français et l’allemand – n’exigeraient plus de traduction des brevets européens dans leur langue nationale. La France ne serait même plus en situation de réclamer une traduction.

Parallèlement, d’autres pays importants seraient autorisés à bénéficier d’une traduction dans leur langue nationale même pour les brevets d’origine française : Italie, Autriche, Espagne et autres… Ces mêmes pays, dont aucune langue officielle n’est une langue de l’OEB, devraient choisir une des trois langues officielles de l’Office comme « langue prescrite ». Qui oserait prétendre que le français sera communément choisi devant l’écrasante supériorité de la langue anglaise parlée et enseignée de manière généralisée, et devenant désormais un outil véhiculaire standardisé ? Quand je dis « langue anglaise », je parle évidemment d’une sorte de sous-anglais. La langue anglaise est très riche, alors que dans ce que l’on voit dans les documents techniques, voire scientifiques, le vocabulaire et la syntaxe sont très simplifiés – ça n’est pas Shakespeare.

Avaliser ce texte reviendrait en fait à alléger les coûts d’accès du marché européen pour les entreprises américaines ou asiatiques, qui seront encouragées à déposer des brevets en Europe pour faire entrave à leurs concurrents.

En ce qui concerne l’argument de la rentabilité économique liée à la réduction des frais de traduction, on peut y opposer des chiffres. Une enquête a été réalisée par un cabinet d’audit pour le compte de l’OEB : elle indique que le coût total d’obtention d’un brevet pour une demande standard s’élève à 26 630 euros, dont 3 930 euros pour les coûts de traduction. Le prix d’une traduction ne représente donc que 14,7 % du coût total d’obtention d’un brevet européen. Rien à voir avec les 40 % des coûts de traduction annoncés par le MEDEF. L’argument du coût des brevets est donc une fausse excuse.

De plus, le Protocole de Londres, au lieu d’engendrer des économies, pourrait engendrer de nouveaux frais pour la veille technologique : sa ratification affaiblirait la filière française de la propriété industrielle, affecterait également l’attractivité du droit français et de la place de la France, qui conditionnent aussi son attractivité économique.

J’ai fait avec d’autres collègues le choix de m’opposer à ce texte, tout comme le collectif présidé par le professeur Claude Hagège, le Conseil national des barreaux ou l’Académie française, car je refuse le réductionnisme mental, je refuse de considérer uniquement l’efficacité économique.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Yves Cochet. Ce projet entend simplement rationaliser la gestion et le business des brevets, alors que nous devons nous efforcer de penser aux conséquences culturelles. Avec ce protocole, les mots nouveaux des brevets d’invention n’existeraient plus qu’en anglais. De plus, éthiquement, cela reviendrait à accepter la logique selon laquelle une langue est plus importante qu’une autre, a plus de légitimité qu’une autre. Ce système engendrerait une profonde inégalité de situation entre les États – il est d’ailleurs en contradiction avec la politique linguistique européenne.

Je termine. Est-il besoin de rappeler que la devise de l’Union est « Unis dans la diversité » ? Plus qu’une menace pour la langue française, ce protocole est une menace pour le multilinguisme européen. Symboliquement et en pratique, il appelle à une uniformisation de la communication, à un effacement du patrimoine linguistique. Nos voisins européens l’ont bien compris : à l’heure qu’il est, sur les trente et un pays concernés, seulement treize ont accepté de ratifier ce texte. Seuls deux pays l’ont signé : la France et le Luxembourg. L’accord de la France étant indispensable à l’entrée en vigueur de ce texte, je vous appelle, chers collègues, à voter contre ! (Applaudissements sur de nombreux bancs de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Marc Dolez et M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Blanc.

M. Jean-Pierre Brard. On n’est pas à Air France, mais M. Blanc va essayer de voler haut !

M. Christian Blanc. On va voir, monsieur Brard ! (Sourires.)

Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous faire part de mon étonnement : pourquoi et comment cette ratification a-t-elle autant tardé ?

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. C’est vrai !

M. Christian Blanc. C’est ma seule question. Car l’objectif de la stratégie de Lisbonne visant à faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique restera un vœu pieu si nous ne donnons pas à notre marché intérieur tous les moyens d’y parvenir. La nécessité de créer un brevet qui permette de protéger notre innovation et nos capacités de recherche-développement dans tout le marché intérieur de l’Union européenne est tout simplement impérieuse. Le brevet européen est en effet trop cher – cela a été dit et redit – comparativement aux principaux partenaires commerciaux de l’Europe. Son coût est rédhibitoire pour certains déposants – il suffit de les connaître et d’être informé de la vie économique et la vie de la recherche pour le savoir – : pour les chercheurs, les entreprises technologiques naissantes, et les petites et moyennes entreprises, qui, je vous l’affirme, renoncent souvent à protéger leurs inventions.

Rappelons que les PME-PMI représentent moins du quart des dépôts de brevets effectués en France par des entreprises françaises. Dans notre pays, en effet, un brevet coûte quatre à cinq fois plus cher qu’en Amérique et trois fois plus cher qu’au Japon.

La principale cause en revient à l’obligation de fournir des traductions dans toutes les langues des pays où la protection est revendiquée. Selon l’OEB, l’Office européen des brevets, cette obligation représente environ 30 % du coût actuel du brevet européen. En limitant les exigences de traduction, l’accord permettra de réduire fortement les coûts de traduction et de validation, donc le coût d’accès au brevet européen.

Nous le savons, la question de la réduction des coûts de traduction en soulève une autre : l’avenir économique de la profession de traducteur, à laquelle beaucoup d’entre nous pensent aujourd’hui. En France, les traducteurs spécialisés, au nombre de 200 à 300, et les conseils en propriété industrielle, au nombre de 500, tirent une grande partie de leurs revenus de la traduction de brevets. Leurs craintes sont donc compréhensibles. Un excellent rapport de Georges Vianès, daté de 2001, propose des mesures de sauvegarde qui permettraient de limiter l’impact de la ratification du protocole sur cette profession. Notre rapporteur a manifesté sa volonté d’en reprendre certaines. Nous le suivrons dans cette voie.

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Très bien !

M. Christian Blanc. Quant aux enjeux linguistiques, je rappelle, après le président de la commission des affaires étrangères, que l’Accord de Londres place le français au rang de langue officielle, au même titre que l’anglais et l’allemand. Grâce à lui, un brevet rédigé en français deviendra valable dans l’ensemble des pays ayant ratifié le Protocole. Par conséquent, prétendre, comme certains, qu’il consacre l’hégémonie linguistique anglo-saxonne est absurde, puisqu’il permettra au contraire d’éviter le recours à une langue unique.

Si, aujourd’hui, moins de 6 % des brevets européens sont déposés en français, le fait tient peut-être moins à l’hégémonie linguistique anglo-saxonne qu’à la difficulté qu’éprouve notre pays à construire une économie de recherche-développement moderne, en phase avec les exigences actuelles de la mondialisation.

M. Michel Piron. Tout à fait !

M. Christian Blanc. Rappelons, car c’est important, que, demain, un brevet en français, qui contiendra un vocabulaire technique par définition innovant, pourra être déposé en tant que tel, sans qu’une traduction en anglais soit nécessaire. Le français sera alors une langue d’innovation à part entière. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous y croyez vraiment ?

M. Christian Blanc. Bien sûr ! Autrement, je ne le dirais pas !

M. Jean-Pierre Brard. C’est un acte de foi, digne d’un nouveau converti !

M. Christian Blanc. Je suis sincère. La ratification et la mise en œuvre de l’accord de Londres sont actuellement bloquées par un certain nombre de pays européens membres de l’OEB, dont la France. Mais je rappelle qu’il s’agissait à l’origine d’une initiative française, qui avait rencontré un consensus politique. Dès lors, comment justifier le rejet d’un texte que nous avons-nous même contribué à construire ?

La volonté du Président de la République de relancer la dynamique européenne par la ratification d’un traité simplifié doit trouver des échos positifs dans des domaines aussi importants que ceux de la stratégie de Lisbonne. La France présidera l’Union européenne en juillet prochain. Dès lors, elle doit y retrouver sa place de locomotive et envoyer, en ratifiant le Protocole, un message fort à ses partenaires européens.

Pour nous autres Français, l’enjeu est de taille. Que se passera-t-il en cas de non-ratification ? Nous le savons : d’autres solutions sont d’ores et déjà envisagées pour réduire les coûts de dépôt et de traduction. La renonciation aurait comme conséquence irrémédiable de favoriser l’anglais et de nous placer définitivement en retrait. Ce n’est pas souhaitable. Nous obtiendrions ainsi l’effet inverse de celui que nous recherchons tous.

M. Lionel Tardy. Tout à fait !

M. Christian Blanc. Je conclurai en rappelant qu’aujourd’hui, en Europe, seule une PME sur quatre dépose un brevet, contre une sur deux aux États-Unis. Or, nous le savons, il ne peut y avoir de croissance sans innovation. C’est pourquoi l’Accord de Londres représente un outil si précieux. Certes, les députés du groupe Nouveau Centre restent soucieux de protéger notre diversité culturelle et linguistique. Mais, puisque l’Accord de Londres écarte l’utilisation exclusive de l’anglais et maintient la langue française comme langue officielle, nous estimons qu’il s’agit d’une mesure protectrice.

Pour autant, ce texte n’épuise pas un débat plus large sur la nécessité de réformes structurelles permettant la mise en œuvre d’une économie de la connaissance et de l’innovation, seule à même de servir la compétitivité économique et le rayonnement culturel de notre pays.

Le groupe Nouveau Centre s’est prononcé à l’unanimité moins une voix pour la ratification de l’Accord de Londres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, l’étonnement que je tiens à exprimer n’a pas la même cause que celui de l’orateur précédent. Il naît du tour qu’a pris, dans notre pays, et que continue d’avoir le débat autour de l’Accord de Londres. En effet, il s’agit simplement d’un sujet technique, dont la portée ne doit pas être exagérée ni en bien ni en mal, alors qu’on pourrait croire, à entendre certains orateurs, que le sort de la nation est en jeu.

La France est un drôle de pays. Je crois qu’aucun des États membres de l’Union européenne, qui ont pourtant chacun leur langue et leur culture, et éprouvent un attachement aussi fort que le nôtre pour leurs traditions et leurs valeurs culturelles, ne connaît un tel débat.

M. Marc Dolez. Mais nous, nous avons fait la Révolution !

M. François Goulard. De plus, tous ceux qui ont à connaître des brevets ou à les utiliser sont favorables à la ratification de l’Accord de Londres.

M. Jean-Pierre Brard. Le mimétisme n’est pas une politique !

M. le président. Vous aurez la parole tout à l’heure, monsieur Brard. Laissez parler l’orateur !

M. François Goulard. J’ai regardé attentivement la liste des pétitionnaires qui entendent s’opposer à la ratification de l’Accord de Londres. Laissons de côté le cas des professionnels directement intéressés au problème par le souci de leur chiffre d’affaires. On comprend leur inquiétude. Leur réaction est logique, et les mesures d’accompagnement, dont certaines sont proposées par le rapporteur, seront les bienvenues à leur égard.

En dehors d’eux, qui sont intéressés au problème au sens pécuniaire du terme, on trouve des écrivains certes des plus respectables, et quelques hommes ou femmes de science, mais qui exercent dans des disciplines où l’on ne dépose pas de brevet.

M. Jacques Myard. Regardez plutôt la liste des PME défavorables à l’accord. Elle comporte cent pages, à raison de vingt PME par page !

M. François Goulard. En revanche, on ne trouve parmi eux aucun représentant d’un milieu qui ait la pratique des brevets et sache réellement ce dont il s’agit.

M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Exactement !

M. Jacques Myard. Quel mensonge ! Plus c’est gros, plus ça marche !

M. François Goulard. J’ai déjà fait remarquer que la ratification de l’accord par la France n’est pas anodine, puisqu’elle peut permettre son entrée en vigueur. La question est donc loin d’être secondaire, d’autant – cela a été dit – que l’on court le risque, en cas de non-ratification, qu’intervienne un autre accord, qui se réaliserait alors à notre détriment.

M. Jacques Myard. Aucun danger !

M. François Goulard. À cet égard, je tiens à rendre hommage au rapporteur, qui a accompli un travail extrêmement précis, d’une grande clarté, et qui est de nature à éclairer tous ceux…

M. Jean-Pierre Brard. Qui s’éclairent à la bougie !

M. François Goulard. …qui ne sont pas familiers de ces sujets, il est vrai, assez complexes. Qu’on le veuille ou non, l’accord est favorable au français. Il consolide sa position parmi les trois langues de la propriété intellectuelle dans les pays européens. De plus, il permettra que, dans un grand nombre de cas, notre langue fasse foi dans certains pays européens, qui peuvent aujourd’hui exiger – ce dont ils ne se privent pas – la traduction intégrale des brevets.

M. Jacques Myard. Vous allez créer une position asymétrique !

M. François Goulard. Ce texte représente donc, pour la langue française, une avancée qui, même si elle n’est pas considérable, demeure incontestable. Je comprendrais mieux qu’un Italien, un Espagnol ou un Portugais ne soit pas favorable à un accord qui reconnaît un statut privilégié à trois langues d’Europe : l’anglais, l’allemand et le français.

Mais le statut qu’il nous octroie se justifie par notre position politique, tout d’abord, que l’on ne peut négliger et dont je souhaite vivement qu’elle se maintienne au sein de l’Europe, mais surtout par le fait que la France est un des trois pays de science en Europe. Il faut le rappeler pour combattre la tendance actuelle à décrier la France et à la prétendre, à tort, dépassée. Trois pays de l’Union travaillent dans toutes les disciplines scientifiques, le plus souvent à un bon niveau international : l’Allemagne, premier pays de recherche en Europe, puis, aussitôt après, la France et le Royaume-Uni, ce qui a évidemment compté dans la conclusion de l’accord. Celui-ci avait été obtenu par le gouvernement Jospin, auquel il m’arrive assez rarement de rendre hommage, mais dont il faut reconnaître qu’il avait bien négocié, en parvenant à préserver les intérêts de la France.

M. Marc Dolez. Ce n’est pas un argument !

M. François Goulard. Reconnaissons aussi que la tendance actuelle n’est évidemment pas favorable au français.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà la capitulation !

M. Jacques Myard. C’est même du sabotage !

M. François Goulard. Pouvez-vous citer un colloque scientifique ou une grande réunion de niveau international qui se tienne dans notre langue ? Il n’y en a pas.

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. C’est exact !

M. François Goulard. On peut le déplorer, mais il est impossible de le nier. Tout se fait aujourd’hui en anglais. Les publications scientifiques, pour peu qu’elles se situent au meilleur niveau international, paraissent toutes dans cette langue. Qu’on le veuille ou non, il faut bien le reconnaître.

M. Jacques Myard. C’est cela, couchez-vous !

M. François Goulard. C’est pourquoi il est bon que, sur le plan juridique, le français maintienne sa position en matière de brevets, et, pour ma part, je m’en réjouis.

De plus, l’accord est utile. Certes, on peut ergoter sur la diminution des coûts qu’il induira, mais sa réalité ne fait pas de doute.

Des économies seront nécessairement réalisées, puisque les frais de traduction seront moindres. D’ailleurs, si les traducteurs et les cabinets de conseil en propriété intellectuelle protestent, c’est bien parce qu’ils y perdront : à l’évidence, ils prouvent par leur protestation même la réduction des frais qui en résultera.

Je ne prétends pas que l’accord changera la face des choses ni qu’il clora le dossier. Il faudra certes consentir d’autres efforts pour que l’Office européen des brevets soit moins coûteux et s’engager résolument dans la voie du brevet communautaire, qui simplifiera à terme la vie des déposants en Europe. Mais, aujourd’hui, ce texte représente un progrès important qu’il faut reconnaître. En effet, chacun l’a répété à l’envi : nos entreprises, particulièrement les PME, ne déposent pas assez de brevet. Nous n’avons pas la culture de la protection de la propriété intellectuelle. On le déplore depuis longtemps : en dépit de légers progrès, les organismes de recherche sont encore en retrait dans ce domaine – les Français n’ont pas le réflexe, beaucoup plus répandu dans d’autres pays, de déposer des brevets – et nos universités se manifestent fort peu à cet égard. On peut seulement espérer que la baisse du coût les incitera à le faire. Par ailleurs, on l’a dit, nous sommes beaucoup plus chers, en la matière, que les Américains et les Japonais. L’accord va donc dans la bonne direction.

Sur le plan juridique, nous sommes protégés. La décision du Conseil constitutionnel l’a confirmé. Les revendications seront traduites en français et, en cas de contentieux, les frais de la traduction incomberont au déposant. Bref, les intérêts juridiques des Français seront totalement préservés.

Quant à ceux qui disent s’inquiéter du recul de la veille technologique des PME, parlent-ils sérieusement ? Connaissent-ils le sujet ? Pensent-ils qu’une entreprise qui se préoccupe de veille technologique dans un secteur attendra la traduction en français d’un brevet déposé dans une autre langue, l’anglais en l’occurrence, pour être alertée sur un point qui l’intéresse ? Bien sûr que non ! La veille technologique s’effectue au jour le jour sur Internet et quelqu’un qui ne sait pas lire l’anglais serait bien en peine de l’effectuer aujourd’hui. Laissons donc cet argument au placard, dont il n’aurait pas dû sortir, car il n’a strictement aucun sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pour conclure, il y a, selon moi, dans la réaction de certains, une incontestable frilosité, une peur de l’ouverture, une peur du monde dans lequel nous vivons.

M. Jean-Pierre Brard. Vous voilà prêt à vous prostituer. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Goulard. Une illusion voudrait qu’on puisse protéger notre langue comme on protège un monument historique. Or la langue n’est pas un monument historique. La langue est vivante, et c’est par notre dynamisme, par les performances de notre pays que nous la défendrons, et non en édictant des obligations et des interdictions vaines et sans effet. Ce serait un combat perdu d’avance. (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Le français sera pratiqué grâce au dynamisme des entreprises françaises qui se développent au plan mondial, car, même si ces groupes utilisent l’anglais, le français y reste très présent. La défense effective de la langue française passe par là, mais aussi par notre attractivité dans le domaine scientifique. Quand un homme ou une femme de science non francophone rejoint un laboratoire français,…

M. Jean-Pierre Brard. Mais seulement après des tests ADN !

M. François Goulard. … il ou elle commence par travailler en anglais, mais, après quelques années, il ou elle devient francophone et défenseur de la culture et de la langue française. De la même manière, nos universités et nos grandes écoles – même si les cours y sont, au moins partiellement, dispensés en anglais – attirent par leur qualité des étudiant étrangers qui vont baigner dans la culture française, devenir francophones et défenseurs, eux aussi, de la langue française qu’ils porteront dans le monde.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Excellent !

M. François Goulard C’est ainsi qu’il faut agir aujourd’hui pour défendre notre langue qui a un véritable avenir parce qu’elle est une grande langue de culture, une langue de littérature, une langue de science mais aussi une langue de l’économie. Acceptons l’anglais tel qu’il est comme langue universelle, mais affirmons que le français a toute sa place. À nous de la lui assurer, par notre énergie, par notre dynamisme, et grâce aux réussites de la France !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Bravo !

M. François Goulard. Si ce débat nous a permis d’aborder la question de la protection de la propriété industrielle, s’il nous a permis de sensibiliser nos compatriotes à ces enjeux, nous aurons fait œuvre utile. Mais, de grâce, tournons-nous vers l’avenir. La francophonie ne peut pas se définir en regardant vers le passé. J’émets le vœu que nous gardions les yeux ouverts sur l’avenir et que nous soyons de vrais défenseurs de la langue française en regardant les réalités en face. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Didier Mathus.

M. Didier Mathus. Beaucoup d’entre vous l’ont dit, ce texte traite un sujet complexe. Pierre Moscovici a fait état des interrogations et des nuances qui traversent le groupe socialiste, et je vais à mon tour m’en faire l’écho.

D’abord, je veux dire ma surprise de voir, en session extraordinaire, cette opération commando qui mobilise aujourd’hui trois ministres…

M. Jean-Pierre Brard. Pour une mauvaise cause, il faut des fantassins !

M. Didier Mathus.… pour débattre d’un texte qui est sur le bureau depuis sept ans ! On peut s’interroger sur la légitimité de cette agitation soudaine. Je voudrais aussi, en réponse aux arguments de notre collègue Goulard, préciser que le Parlement est en droit de s’interroger : l’utilitarisme économique n’est peut-être pas le seul horizon intellectuel que l’on doive offrir au Parlement français.

M. Yves Cochet. Très bien !

M. Didier Mathus. Est-il possible de débattre de sujets qui dépassent la simple utilité, la simple performance économique ? Certes, que ne ferait-on pas, comme je l’ai entendu tout à l’heure, pour aller chercher un point de croissance ? Mais le Parlement français est également là pour veiller à d’autres intérêts, à d’autres enjeux, qui sont tout aussi dignes d’attention.

La vérité, chacun l’a compris, c’est qu’on nous propose un recul objectif qui menace le français dans sa pérennité comme langue scientifique et technique. Toutes les explications qui nous ont été données – et nous avons eu de beaux exemples de sabir techno-économique – ne peuvent masquer cette évidence. Ce recul pour la diversité linguistique s’opère sous la pression des entreprises mondialisées. La tentative de faire disparaître le français comme langue de description technique favorise des grosses entreprises qui évoluent dans cet environnement mondial et globalisé en utilisant le gobal english ou globish. On en a des exemples tous les jours. Ainsi, il y a deux semaines, deux entreprises françaises ont été condamnées, en application de la loi Toubon adoptée par votre majorité en 1994, parce qu’elles avaient imposé à leur état-major l’anglais comme langue du quotidien. Il est dans l’intérêt de ces grosses entreprises d’imposer l’anglais comme langue universelle d’échange économique. Comme l’avait affirmé M. Seillière il y a quelques années, l’anglais est la langue des affaires. Je crois d’ailleurs me souvenir que le Président de la République de l’époque avait protesté.

M. Jean-Pierre Brard. Mais Jacques Chirac, lui, était un patriote !

M. Didier Mathus. L’argument économique, je ne suis même pas sûr de vouloir le contester. Peut être y a-t-il quelques dizaines de millions d’euros à gagner avec cette réforme, mais doivent-ils devenir pour autant la base de notre réflexion ? Je ne le crois pas. Derrière ce texte, il y a en effet, deux enjeux autrement plus considérables que les simples économies que feront Air liquide ou certaines entreprises du CAC 40.

Tout d’abord, se pose la question de la propriété intellectuelle et des échanges intellectuels dans le monde de demain autour de laquelle une bataille fait rage dès aujourd’hui sur toute la planète, en particulier en ce qui concerne la diffusion du savoir sur Internet. La généralisation de l’anglais est bien sûr très profitable aux puissances anglo-saxonnes armées du copyright. Les valeurs dont nous sommes porteurs au nom de la diversité culturelle et de valeurs, qui ne sont pas nécessairement mercantiles, sont aujourd’hui gravement menacées par les termes de ce débat.

Autre enjeu qui mérite notre attention : la diversité linguistique.

M. François Goulard et M. Michel Piron. Personne ne le conteste.

M. Didier Mathus. De la même façon que tous les pays du monde se sont posés depuis plusieurs années la question de la protection de la diversité du vivant, nous devons admettre que la diversité linguistique est une richesse et un apport essentiel au patrimoine culturel de l’humanité. Tous les mauvais coups qui lui seront portés touchent certes notre pays mais aussi la totalité du patrimoine de l’humanité. Ce protocole de Londres est une mauvaise action parce qu’il remet en cause cette diversité linguistique et n’en fait pas une priorité. Elle mérite pourtant au moins autant d’attention que la ligne des résultats financiers des grands groupes mondialisés. Comme cela a été fait il y a quelques années pour la diversité du vivant que nous évoquions, je crois qu’il faut à présent se donner les moyens de protéger la diversité linguistique.

Je ne suis pas un nostalgique du rayonnement du français et de l’universalité de notre langue qui a inspiré le discours de Rivarol il y a plus de deux siècles. Il y a belle lurette que ce français-là n’est plus qu’un souvenir : l’anglais s’est d’ores et déjà imposé et lui a ravi ce rôle. C’est une réalité et il faut en prendre acte. Mais est-ce vraiment aux députés français d’aller au-devant de cet abaissement et de prêter main-forte à la disparition de la diversité linguistique ? Pour ma part, je ne le crois pas. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Mesdames et messieurs les ministres, M. Goulard a qualifié ce projet de loi de texte technique, mais vous êtes trois au banc du gouvernement. Peut-être est-ce pour faire de l’épicerie, mais ce n’est pas crédible – ou ce serait de l’épicerie de luxe ! (Sourires)

Nous sommes saisis d’un projet de loi pour lequel on nous dit qu’il appartient à la France de faire sauter le dernier verrou qui permettra l’application d’un accord international. L’entrée en vigueur de ce texte dépend de notre vote. Notre responsabilité est donc grande.

Un ministère de l’identité nationale a été créé dans l’actuel gouvernement, mais nous avons constaté la semaine dernière lors des débats sur le texte relatif à l’immigration qu’identité nationale signifiait pour vous xénophobie alors que, lorsqu’il s’agit de défendre la langue française, vous ne jurez plus que par les mérites de l’anglais. Il est vrai, on l’a vu pendant la campagne électorale, que vous avez de brillants intellectuels à vos côtés comme Johnny Hallyday ou Doc Gynéco. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Pour notre part, quand nous pensons à la France, résonnent les noms du général de Gaulle, de Romain Rolland, de Bossuet auquel me faisait songer Jean-François Copé, l’aiglon de Meaux lorsqu’il est arrivé tout à l’heure dans l’hémicycle. Mais, vous les reniez tous car votre cœur ne bat pas au rythme de l’héritage français et de notre histoire. Vous bradez la langue française au profit de l’anglais.

Pis encore, en soumettant ce texte à ratification, vous encouragez notre assemblée à violer une loi votée par votre majorité – inutile d’évoquer Lionel Jospin, il reste encore à l’UMP des gens pour lesquels la France signifie quelque chose. Ainsi la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon du nom du ministre de la culture de l’époque, visait-elle principalement à soutenir l’enrichissement de la langue et à confirmer l’obligation d’utiliser le français.

Enfin, suivant la boulimie médiatique compulsive du Président de la République, en adoptant ce texte, vous vous apprêtez à violer l’article 2 de la Constitution de 1958, dont le premier alinéa affirme que : « La langue de la République est le français. » (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Pierre Brard. Mais vous abdiquez, vous capitulez, vous renoncez ! On le sait bien, et on en a là une preuve : vos valeurs sont déterminées par la bourse, et non par notre héritage historique et par notre capital intellectuel. Vous vous mettez à genoux devant le veau d’or parce qu’il n’y a que cela que vous savez révérer. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) M. Myard est d’accord avec moi.

M. Loïc Bouvard. C’est dire !

M. Jean-Pierre Brard. Tout comme notre président de séance tenu au silence mais dont je peux traduire la pensée puisque j’ai vu sa signature au bas de textes que j’ai moi-même signés.

Avec ce protocole, le but annoncé est de réduire les coûts de dépôt d’un brevet européen pour augmenter le nombre de dépôts nationaux. L’objectif réel étant tout simplement que ces multinationales réalisent une économie substantielle, comme si elles étaient à quelques euros près !

Mme Françoise Hostalier. Ce sont les PME qui le demandent !

M. Jean-Pierre Brard. Madame Hostalier, je vous ai entendu mieux inspirée la semaine dernière et il est dommage que vous ayez quitté les rails sur lesquels vous vous étiez engagée. (Sourires.)

De très honorables institutions ont exprimé des avis défavorables et ont souligné les dangers de ce traité, mais peu vous chaut que tout cela ! L’Académie française déclarait ainsi en 2001 : « Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que les textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n’ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l’Europe ? Économiser sur les traductions, c’est non seulement mettre en péril les langues nationales mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons, l’Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas signer le Protocole de Londres. »

Diversité, pluralisme, pluralité : voilà des notions qui vous donnent le grand frisson parce que votre choix c’est celui de la camisole, la camisole anglo-saxonne, et vous ne jurez que par cela !

M. le président. Merci de conclure monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Puisque vous m’y incitez, monsieur le président…

M. le président. Je vous y contrains !

M. Jean-Pierre Brard. Je vous connais, et je sais que vous n’êtes pas un homme de contrainte ou de coercition.

M. le président. Toutefois, c’est moi qui décide.

M. Jean-Pierre Brard. … je voudrais terminer par une citation. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Des antifrançais il y en a eu dans l’histoire, parfois détenteurs d’un passeport français, parfois étrangers comme Berlusconi, Kaczynski, Thatcher, Aznar ou Bush. Que dire de ces quelques mots : « La langue française n’est pas indispensable, le monde a bien vécu sans elle, si elle devait céder la place ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient. » Voilà ce qu’on peut lire à la page 151 du chapitre intitulé : « L’anglais, avenir de la francophonie » de l’ouvrage Deux ou trois choses que je sais de nous, écrit par quelqu’un dont il n’y a pas à être fier, Bernard Kouchner. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Loncle. C’est un turlupin !

M. François Goulard. C’est une déclaration de guerre à M. Kouchner !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le brevet est avant tout un outil de protection et de valorisation de l’innovation. Il permet de rentabiliser les investissements considérables réalisés en recherche et développement. Je rappelle qu’il se compose de deux volets : les revendications, qui constituent l’élément juridique essentiel du brevet, fixent le champ de la protection ; la description, qui sert à interpréter les revendications, mais ne crée pas de droit.

Le brevet fait foi dans la langue dans laquelle il a été déposé. Or je précise que, de l’avis de tous les juristes, le français offre une plus grande sécurité juridique que d’autres langues, notamment l’anglais.

M. Jean-Pierre Brard. C’est évident !

M. Jean-Yves Le Déaut. Par ailleurs, il existe un brevet national, délivré par l’Institut national de la propriété industrielle, et un brevet européen, délivré par l’Office européen des brevets, lequel a été créé par la Convention de Munich de 1973. L’OEB compte trente-deux États membres et trois langues officielles : l’anglais, l’allemand et le français.

En 1999, à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin, une conférence intergouvernementale s’est réunie, qui a débouché sur l’Accord de Londres, dont le principal objectif était de réduire le coût des brevets.

Pour suivre la question de la recherche, je puis vous dire en effet que, actuellement, les grands organismes de recherche – CNRS, INRA, INSERM – ne déposent pas de brevets car cela coûte trop cher. (« Exactement ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Et parce qu’ils manquent de crédits !

M. Jean-Yves Le Déaut. Quant aux PME, en France, un quart d’entre elles déposent un brevet au cours de leur existence, contre 50 % aux États-Unis et 55 % au Japon. Par ailleurs, si les brevets, en particulier leur volet technique, avaient contribué de manière importante à la défense de la francophonie, cela se saurait. Le français, hélas ! perd du terrain : en 2006, 75 % des brevets ont été déposés en anglais, 18 % en allemand et 7 % en français.

Or, en ratifiant ce protocole, on gravera dans le marbre la place juridiquement privilégiée de notre langue.

Mme Valérie Rosso-Debord. Absolument !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le groupe socialiste votera ce projet de loi pour trois raisons, qui sont d’ordre diplomatique, linguistique et industriel et technologique.

La première raison est d’ordre diplomatique. Bien entendu, la diversité linguistique est une richesse et personne, dans cet hémicycle, ne veut brader le français.

M. Jean-Pierre Brard. Oh que si !

M. Jean-Yves Le Déaut. Or il y a un risque d’affaiblissement de notre langue. Ainsi, lors de la discussion préalable à la conférence intergouvernementale, au moins trois pays – dont la Suisse et la Suède – voulaient que l’on revienne au seul anglais. (« Absolument ! » sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. Il est bon de le rappeler !

M. Jean-Yves Le Déaut. Quant à l’Italie et à l’Espagne, quoi qu’on en dise, elles ratifieront le Protocole, car, dans le cas contraire, elles priveraient, à terme, leurs offices nationaux de rémunération.

La deuxième raison de voter ce texte est d’ordre linguistique, car, contrairement à ce que l’on a dit, l’Accord de Londres ne conduit pas au « tout-anglais ». Les revendications – qui constituent l’élément important du brevet puisqu’elles sont source de droit – sont en effet publiées en trois langues. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cependant, je ferai des propositions au Gouvernement pour améliorer notre politique en matière de brevets, qui, pour le moment, n’est pas satisfaisante. Ainsi que l’a dit Pierre Moscovici, nous serons vigilants sur ce point.

J’ajoute que l’Accord de Londres ouvrira la voie au dépôt de brevets en français chez deux de nos principaux concurrents européens, le Royaume-Uni et l’Allemagne,…

M. François Goulard. Absolument !

M. Jean-Yves Le Déaut. …qui seront donc obligés de traduire ces brevets pour faire de la veille technologique. Au reste, il ne faut pas s’abriter derrière de faux arguments : le directeur de l’INPI peut vous confirmer que 98 % des traductions techniques n’ont jamais été consultées.

Enfin, au plan industriel et technologique, il est vrai que le coût varie selon le nombre de traductions. Mais on ne peut pas dire que l’absence de traduction en français empêchera la veille technologique. Celle-ci doit se faire dès le dépôt, sans attendre cinq ans la délivrance du brevet.

Mme Valérie Rosso-Debord. Évidemment !

M. Jean-Yves Le Déaut. Ne nous égarons pas dans un faux débat : nous sommes tous pour la défense de la langue française. Le protocole de Londres soulève des questions plus importantes. Il convient en effet d’améliorer la qualité de la traduction en français des revendications et de revaloriser la rémunération des traducteurs. Il faut également diminuer les coûts et les délais d’obtention des brevets, soutenir les entreprises et les organismes de recherche qui déposent en français, ce qui n’est pas le cas actuellement, développer une politique ambitieuse de traduction automatique et d’ingénierie linguistique, en donnant des moyens, par exemple, au très beau centre de Nancy, que, je l’espère, vous viendrez visiter, madame la ministre. Il faut enseigner la propriété intellectuelle dans les universités et mesurer l’impact des règles d’antériorité.

Enfin, je regrette que, sur son site Internet, l’Office européen des brevets consacre à notre débat une page – « London Agreement to enter into force in first half of 2008 » – rédigée exclusivement en anglais, alors qu’il a l’obligation de publier dans les trois langues officielles.

Le CNRS, l’Académie des sciences et l’INPI souhaitant la ratification de cet accord, le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Clément.

M. Pascal Clément. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, l’Accord de Londres a été signé en juin 2001. À l’heure où nous parlons, plus de six ans plus tard, il n’a toujours pas été ratifié. À entendre le Gouvernement, ce protocole serait pourtant limpide. Sans être un maniaque de la francophonie ni un empêcheur de ratifier en rond, on ne peut pas ne pas s’interroger sur ce texte.

Premièrement, est-il économique d’avoir trois langues officielles : l’anglais, l’allemand et le français ? Pour simplifier, je répondrai oui pour le dépôt du brevet, mais non sur la durée de quinze ans de la protection, le coût des taxes étant bien supérieur à celui de la traduction.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

M. Pascal Clément. Deuxièmement, est-ce un avantage pour la langue française ? Il faut arracher cette fausse barbe. Actuellement, 70 % des brevets sont déposés en anglais, 20 % en allemand et 7 % en français. Si une entreprise dépose un brevet directement en anglais, elle réalisera une économie importante, puisque les pays non-signataires, hormis la Belgique, préfèrent toujours cette langue à l’allemand et au français. La moitié des brevets déposés le sont déjà par les Américains et les Japonais. On peut donc parier que, d’ici à cinq ans, 99 % des brevets seront déposés en anglais, à commencer par les multinationales françaises. L’ancien président du MEDEF ne disait-il pas d’ailleurs que l’anglais est la langue des entreprises ?

Troisièmement, pourquoi le Protocole de Londres est-il une fausse bonne idée ? Parce que, contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas le dépôt des brevets qui est le plus coûteux pour les PME, mais la recherche et le développement et la protection contre la contrefaçon.

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. C’est un tout !

M. Pascal Clément. Le procès en contrefaçon est en effet complexe, coûteux et les sanctions sont très lourdes. Actuellement, pour s’en protéger, l’entreprise prend connaissance des revendications et de la description d’un produit. Or, si, demain, les premières seront effectivement en français, la seconde, qui est l’interprétation des revendications, devra de toute façon être traduite. Pour ne pas tomber dans le piège de la contrefaçon, une PME devra donc traduire la totalité des brevets du secteur de production concerné. Voilà la grande erreur que vous commettez depuis le début : le Protocole allège le coût pour le déposant, mais alourdit le coût de traduction pour le tiers !

M. Jacques Myard et M. Nicolas Dupont-Aignan. Il a raison !

M. Pascal Clément. Quatrièmement, le Protocole de Londres renforce l’insécurité juridique. En cette matière, le contentieux est déjà complexe. Demain, le périmètre précis du brevet sera tributaire de la qualité de la traduction de la description et sous la seule responsabilité du prétendant. La base juridique deviendra donc instable. Ce n’est plus le brevet qui fera foi, mais l’interprétation du juge, qui deviendra ainsi une autorité de régulation, comme il l’est aux États-Unis. M. Blanc faisait observer tout à l’heure que, au Japon et aux États-Unis, les brevets sont moins coûteux. Il a raison, mais c’est le juge qui y assure la régulation.

Enfin, personne, à ma connaissance, n’a évoqué un projet qui est pourtant lié à l’Accord de Londres et que vous ne pouvez ignorer, monsieur le secrétaire d’État aux affaires européennes. Je veux parler du projet de création d’un système de règlement de litiges concernant les brevets européens, l’EPLA, qui impliquera l’abandon complet par la France de sa souveraineté en la matière, au profit d’une structure qui ne sera même pas communautaire.

La ratification de ce texte est, ainsi que l’a écrit l’un de nos illustres anciens collègues, le professeur Jean Foyer, singulièrement inopportune. Cette appréciation, qui est aussi la mienne, éclairera mon vote. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. Jacques Myard et M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Vauzelle.

M. Michel Vauzelle. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, tout a été dit, et beaucoup mieux que je ne l’aurais fait, sur les aspects techniques du Protocole de Londres.

S’il s’agit d’aider les petites et moyennes entreprises, au sort desquelles nous sommes évidemment tous attentifs, le problème posé est d’ordre financier et nous pouvons y apporter une solution financière. S’il s’agit d’encourager la recherche et l’innovation, il me semble que la solution est, là encore, politique : l’État doit augmenter, comme nous le souhaitons tous, le budget consacré à ces politiques.

Comment accepter que la représentation nationale, qui doit défendre tout ce qui est essentiel à la nation, notamment notre éthique concernant les droits de l’homme et le droit des peuples à disposer de leur culture, accepte cet accord ? Ce serait porter atteinte à la liberté du peuple français de s’exprimer dans sa langue…

M. Jacques Myard. C’est vrai !

M. Michel Vauzelle. …et à la liberté de tant d’autres peuples francophones, auxquels la représentation nationale française ne doit pas envoyer un message négatif.

Qu’on le veuille ou non, ce débat a une dimension éthique. En tant que garde des sceaux, j’avais défendu devant la représentation nationale l’introduction à l’article 2 de la Constitution d’un alinéa qui dispose : « La langue de la République est le français ».

Même si le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du Protocole de Londres, j’estime pour ma part que c’est à l’esprit de l’article 2 de la Constitution que nous devons nous référer…

M. Jacques Myard. Il a raison ! Il y a des hommes libres, même au PS !

M. Michel Vauzelle. …et que la mondialisation ne doit pas nous conduire à servir le règne de la langue anglaise ni la loi de l’argent et des grandes entreprises internationales, mais au contraire à défendre le droit de chaque homme au respect de son identité, de sa culture et de sa langue.

Le côté positif de la mondialisation, à savoir l’ouverture de cœur et d’esprit sur le monde qu’elle implique, ne doit pas nous faire oublier qu’elle peut également avoir l’effet d’un rouleau compresseur menaçant le droit de chacun à disposer de sa culture, de son identité, de sa langue – un droit garanti par les principes de notre république. C’est à nous qui, il y a peu de temps, avons ressenti la nécessité de faire figurer le drapeau national dans notre hémicycle, qu’échoit aujourd’hui la responsabilité de protéger l’identité qui y est rattachée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jacques Myard et M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, lors de la discussion du projet de loi pour la recherche de 2006, Jean-Michel Fourgous avait proposé de ratifier par voie d’amendement le protocole de Londres. Le Gouvernement s’était alors opposé à juste titre à cette disposition jugée hors de propos et le ministre de la recherche avait suggéré que l’office parlementaire organise un débat sur le Protocole de Londres, ce qui fut fait sous forme d’une audition publique le 11 mai 2006, qui a permis à toutes les parties prenantes – notamment à M. Alain Pompidou, président de l’Office européen des brevets – de s’exprimer. M. Christian Pierret, négociateur de l’accord, avait fait valoir quatre raisons décisives de ratifier le Protocole, que je me permets de rappeler aujourd’hui.

La première raison est que la recherche, le développement et l’innovation sont les moteurs de la croissance. Nous devons par conséquent adopter une stratégie offensive consistant à défendre la propriété intellectuelle et industrielle, en d’autres termes, vendre autre chose que le nouvel emballage d’un ancien produit – une fonction à laquelle les écoles de commerce forment tant de diplômés à l’heure actuelle.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Très bien !

M. Claude Birraux. En France, une PME sur quatre dépose un brevet – contre une PME sur deux aux États-Unis et 55 % au Japon.

La deuxième raison est la défense de la langue française. Selon le Protocole de Londres, les brevets pourront être déposés en français, et la publication des revendications devra être rédigée en trois langues, dont le français. Ces dispositions consacrent le français comme la langue des sciences, de la technologie, de la bataille de l’économie. Alors que la situation actuelle fragilise le français, la ratification proposée aura pour effet de le renforcer.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Il a raison !

M. Claude Birraux. La troisième raison réside dans la nécessaire réduction du coût de la propriété industrielle. Selon l’INPI, 40 % des entreprises françaises renoncent actuellement au dépôt de brevet du fait d’un coût excessif. Ce coût, qui n’est pas prohibitif pour les grandes entreprises, constitue un véritable obstacle pour les PME et les start-up, c’est-à-dire pour les entreprises où se gagne la bataille de l’innovation et du développement économique. On ne peut dire à la fois, comme je l’ai entendu tout à l’heure, que l’on gagne à la marge sur le coût de dépôt du brevet et que le coût des traductions sera exorbitant pour les entreprises.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !

M. Claude Birraux. La quatrième raison est que la question de l’intelligence économique est aujourd’hui une question centrale dans la concurrence mondiale. La signature de l’Accord de Londres doit permettre d’améliorer les conditions de l’activité de veille technologique au profit de nos entreprises. L’INPI publie un résumé en français des brevets lors de la publication et a prévu de rendre accessible en français la substance des brevets déposés à l’OEB.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Il est bon de le rappeler !

M. Claude Birraux. Si nous sommes tous d’accord pour défendre le français, les avis peuvent diverger quant aux moyens à employer. À mon sens, nous le ferons plus efficacement au moyen de la télévision numérique, des lycées français à l’étranger, de l’Alliance française, de l’accueil des étudiants étrangers. En tant qu’ancien président du groupe d’amitié France-Pakistan, j’ai ainsi contribué à faciliter la venue dans notre pays de 140 étudiants pakistanais qui ont appris le français afin de préparer des masters dans nos universités.

Il s’agit de savoir si la France et l’Europe vont créer des conditions favorables à la recherche, à l’innovation et au développement des PME. Cela passe notamment par la création de parcs technologiques liés aux universités, dont nous avons discuté récemment ; l’université de Twente, fondée il y a vingt ans à Enschede, aux Pays-Bas, sur les friches de l’industrie textile, a permis la création de 600 entreprises et de 6 000 emplois.

Si la ratification du Protocole de Londres compte quelques adversaires, elle a également de nombreux partisans, parmi lesquels la CGPME, le CNRS, le CEA, l’INSERM, l’Académie des technologies, le Conseil supérieur de la propriété industrielle.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Tout à fait !

M. Claude Birraux. Le coût des traductions représente 3 millions d’euros par an pour le CNRS ; la ratification lui permettrait de le réduire de moitié.

Le vrai danger, comme l’a souligné Jean-Yves Le Déaut, c’est la tentation du « tout-anglais ». Ainsi, une proposition suédoise, soutenue par les Suisses et les Allemands, visait à ce que tous les dépôts se fassent en anglais.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Birraux.

M. Claude Birraux. En conclusion, la ratification du Protocole aura pour conséquence de conforter le français et de donner des vitamines aux PME et à l’innovation. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cette ratification. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. Alain Claeys.

M. Alain Claeys. Je me félicite que l’Assemblée nationale puisse aujourd’hui débattre de la propriété intellectuelle, même si je regrette que ce soit dans le cadre d’une session extraordinaire. La propriété intellectuelle peut en effet constituer, pour la communauté européenne, un outil de régulation de la mondialisation.

Il me semble que des confusions ont été faites cet après-midi. Le premier enjeu pour la France est d’éviter la marchandisation. Un brevet a pour objet de constater, au moyen de revendications, une innovation technique précisément décrite. Il existe aujourd’hui un risque de dérive, celle consistant à breveter de plus en plus – dans des domaines comme le logiciel ou le vivant – la connaissance plutôt que l’innovation. La France et l’Europe doivent poursuivre le combat qu’elles ont déjà engagé sur ce terrain, car, si cette dérive se confirmait, des rentes de situation se créeraient au niveau international, au détriment de nos laboratoires de recherche et de nos PMI.

La politique des brevets dépend aujourd’hui des trois offices : américain, européen et japonais. Je regrette, madame et messieurs les ministres, que la présence de la France à l’Office européen des brevets ne soit plus que symbolique. Il est temps de réinvestir la place, comme le souhaite d’ailleurs le président de l’OEB, Alain Pompidou.

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est vrai !

M. Alain Claeys. Si le gouvernement de Lionel Jospin a décidé d’engager les négociations qui ont conduit au Protocole de Londres, c’est pour une raison extrêmement précise : ce protocole peut constituer le levier qui permettra à la France de retrouver la place qui lui revient au sein de l’Office européen des brevets. Le français est encore langue officielle pour l’OEB, mais ne perdons pas de vue qu’une bataille décisive est engagée sur ce point.

Il y a donc un double combat à mener : l’un contre la marchandisation de certaines connaissances, l’autre pour que l’Europe se dote d’une véritable politique de la propriété intellectuelle.

Je terminerai sur la francophonie, dont nous sommes tous des défenseurs. Celle-ci doit se traduire très concrètement, notamment par le fait que la notice d’un produit français soit écrite en français. Il y a quelques années, j’ai été surpris de constater, en effectuant une étude, que la France n’accueillait que les étudiants étrangers parlant français. Je crois que c’est une erreur. Au risque de provoquer, je pense qu’il faudrait dispenser des cours en anglais en première année d’université pour nous permettre d’accueillir des étudiants qui rentreront chez eux après avoir appris le français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Plutôt que de chercher à nous donner des leçons les uns aux autres, convenons que cet accord est une étape qui nous permettra peut-être d’accélérer la création d’un brevet communautaire. Je me félicite par conséquent que le groupe socialiste ait décidé de voter en faveur de la ratification du Protocole de Londres. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, dernier orateur inscrit.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes ici pour clore, enfin, le trop long feuilleton de la ratification du Protocole de Londres sur la délivrance des brevets européens.

L’Union Européenne a placé au cœur de sa stratégie économique la recherche et l’innovation, en cherchant à lever les obstacles qui pénalisent inutilement les entreprises européennes. Le Protocole de Londres vise à faciliter le dépôt des brevets en limitant les coûts de traduction, qui peuvent actuellement représenter 15 à 40 % du coût total d’un brevet. Un dépôt de brevet coûte environ 27 000 euros, soit cinq fois plus que pour un brevet américain et trois fois plus que pour un brevet japonais.

Ratifier cet accord est une nécessité économique pour nos PME, qui sont les plus pénalisées par le coût excessif de ces formalités : seulement 12 % des brevets français sont déposés par nos PME.

Réduire le nombre de langues dans lequel le brevet doit être traduit, c’est le rendre moins cher et c’est permettre à nos PME de protéger à moindre coût leurs innovations. À l’heure où il ne peut plus y avoir de croissance sans innovation, c’est indispensable.

Ratifier cet accord, c’est aussi une question de crédibilité internationale pour la France. L’accord intergouvernemental date du 17 octobre 2000, la France l’a signé le 30 juin 2001 et depuis, plus rien. Alors que nous avons obtenu, non sans mal, que le français soit l’une des trois langues officielles de l’OEB. Cette ratification est d’autant plus pressante que l’entrée en vigueur de cet accord, pour tous les pays qui l’ont déjà ratifié, est subordonnée à la ratification de la France. Nos tergiversations apparaissent au mieux ridicules, au pire arrogantes pour nos partenaires, qui peuvent avoir l’impression qu’une fois de plus la France se regarde le nombril et se moque complètement du retard qu’elle leur fait prendre.

Pour justifier leur refus, les opposants à la ratification du Protocole de Londres agitent le drapeau de la francophonie. Ce Protocole de Londres serait, selon eux, un recul de la langue française, et donc de l’influence de la France.

M. Jacques Myard. Nous ne disons pas cela !

M. Lionel Tardy. Nous sommes là dans l’irrationnel le plus complet !

M. Jacques Myard. Oh oui !

M. Lionel Tardy. Le Conseil Constitutionnel ne s’y est d’ailleurs pas trompé en déclarant le Protocole de Londres conforme à notre Constitution.

Le Protocole de Londres préserve la place du français, puisqu’elle est l’une des trois langues officielles de l’OEB, et qu’un brevet rédigé en français est valable dans la plupart des pays membres de cette organisation, sans que l’on soit obligé de le traduire autrement qu’en anglais et en allemand, et seulement pour la partie relative aux revendications. Pour tous les brevets rédigés en allemand ou en anglais, cette partie doit impérativement être traduite en français, ce qui permet un accès facile à l’information essentielle et utile, celle qui permet de connaître le périmètre et la nature de l’invention brevetée et qui produit les effets de droit.

On ne consulte la partie relative aux descriptions que très rarement : sur 86 000 nouveaux brevets opposables en France par an, il y a moins de 400 litiges et, seulement dans 1,7 % des cas, les descriptions du brevet sont consultées. C’est uniquement dans ce cas-là – 1,7 % – que l’on sera amené à traduire la partie relative aux descriptions de l’anglais ou de l’allemand vers le français. Cela ne me semble pas mission impossible, et quelle économie pour nos PME !

Je pense sincèrement que la place de la langue française en Europe et dans le monde est avant tout le reflet de la position de la France, de son image, de sa puissance et de son dynamisme. Si l’usage du français recule, c’est parce que la France recule. Le meilleur moyen de lutter contre cela est de rendre à la France son dynamisme, d’en faire un foyer d’innovation, un pays où les choses bougent. En confortant le statut international du français, cet accord nous offre une chance unique de faire rayonner notre langue. C’est pourquoi je suis résolument pour la ratification par la France du Protocole de Londres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je reviendrai sur trois points, dont l’un, et je le regrette, plus personnel.

Tout d’abord, il a souvent été souligné qu’il y avait trois ministres au banc du Gouvernement.

M. Jacques Myard. Trois accusés !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Eh bien, c’est par respect du Parlement car il s’agit d’un texte important sur le plan diplomatique, pour les petites et moyennes entreprises, et pour la science, la connaissance et la recherche. Voilà pourquoi le Gouvernement s’est aujourd’hui mobilisé sur ce projet !

Ensuite, et cela a été souligné par MM. Mathus, Le Déaut et Claeys, ce texte marque une avancée dans la bataille de la propriété intellectuelle et industrielle au niveau international. C’est la première étape de cette bataille qui vise à conforter notre modèle de propriété intellectuelle européen face aux États-Unis et au Japon. Si nous voulons gagner, la présente avancée est indispensable. Il nous appartiendra par la suite de conforter le dispositif communautaire par le biais d’une juridiction, puis par le brevet communautaire. Il faudra faire en sorte que l’Office européen des brevets soit à la fois plus politique et plus efficace. Nous réduisons déjà une partie des coûts. Il importe d’agir de façon que le dispositif communautaire, notamment au niveau de l’OEB, permette d’aller plus loin dans cette réduction.

Monsieur Clément, dès lors que nous sommes favorables à une juridiction communautaire garantissant mieux nos intérêts, nous ne pouvons pas être pour le système de règlement des litiges prévu dans l’EPLA. Les choses sont très claires en la matière. Nous nous battrons donc pour une juridiction communautaire.

J’en viens enfin au point personnel. Je regrette que M. Brard ne soit plus là. J’estime en effet que Bernard Kouchner a été injustement attaqué. Dans son livre, paru en 2006, il montrait qu’il était évident, qu’on le souhaite ou qu’on le déplore, que l’anglais devenait la langue la plus répandue dans la mondialisation. Il préconisait une approche offensive de la francophonie afin que le trilinguisme ou le plurilinguisme puissent peser sur cette évolution.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous n’avez pas lu le livre !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. C’est précisément ce que nous visons avec ce protocole. Et c’est ainsi que nous avancerons.

Je le dis avec une certaine solennité, je ne souhaite pas qu’on caricature les propos de Bernard Kouchner.

M. François Loncle. Ce n’est pas la première fois que M. Kouchner dit des bêtises !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur Loncle, je ne me situe pas sur le plan intellectuel. Tout son parcours montre que Bernard Kouchner n’est pas un lâche. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est le parcours d’un homme d’honneur, d’un homme qui est allé sur le terrain et qui s’est battu.

M. François Loncle. En Birmanie, par exemple ?

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je regrette que ceux qui se veulent les héritiers de Guy Môquet se livrent à de telles outrances et se comportent parfois en « bifsteckard » de l’honneur. Sachez qu’ici, au-delà de nos divergences, il n’y a pas de bons et de mauvais Français ; le prétendre serait revenir à des périodes noires de notre histoire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je serai brève, tant de choses justes ayant été dites par tant de parlementaires spécialisés dans la recherche, l’innovation, ou l’Union européenne. Je tiens néanmoins à corriger une grande inexactitude : l’un d’entre vous a prétendu que tous les grands scientifiques de notre pays avaient pris position contre le Protocole de Londres. Je rappellerai que l’Académie des sciences, l’Académie des technologies, le CNRS, le CEA et l’INSERM – excusez du peu ! – ont officiellement pris position en faveur de ce protocole. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Quant aux PME, si l’on me permet d’en parler, je ferai simplement observer que la CGPME s’est également déclarée favorable à ce protocole. Certes, certains pensent sans doute que les PME ne savent pas ce qui est bon pour elles et que les députés sont plus à même de le savoir. Moi, je pense qu’elles ont une opinion très claire sur ce sujet.

Enfin, j’ai bien noté les suggestions faites sur tous les bancs visant à ouvrir une réflexion sur le fonctionnement de l’OEB et la présence de la France. En effet, l’amélioration de notre droit des brevets semble une bonne piste de réflexion pour mon ministère. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur.

M. le secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, Jean-Pierre Jouyet l’a dit fort justement : il n’y a pas ici de bons ou de mauvais Français. Tous les arguments qui ont été échangés méritent d’être entendus. Reconnaissez cependant que cela fait maintenant sept ans que nous étudions la question. Nous avons donc eu le temps de nous forger une opinion.

Je me bornerai à compléter ou à rectifier certains points.

S’agissant du coût des brevets, aucune personne de bonne foi ne peut nier que celui-ci influe sur le nombre de dépôts de brevets. C’est un indicateur fort. Prenons l’exemple de notre pays où une politique en la matière a été menée pendant des années. Une réduction du coût du brevet français est intervenue en 1996. Or on constate depuis cette date une augmentation régulière du nombre de dépôts de brevets français par nos entreprises : plus 2,6 % par an. En septembre 2005, l’INPI a mis en œuvre une réduction de 25 % de ses principales redevances au bénéfice des PME, des centres de recherche et des personnes physiques. Or, depuis cette date, la tendance à l’augmentation du nombre de dépôts de brevets s’est accrue, atteignant plus 3,3 % par an.

Ainsi que je l’ai indiqué à la tribune, nous allons étendre cette politique favorable aux dépôts de brevets. Il est évident que bien des mesures peuvent être prises en la matière.

S’agissant de l’avantage exorbitant qui serait ainsi accordé aux entreprises américaines pour leur permettre de pratiquer des dépôts massifs de brevets, personne de sérieux ne peut souscrire à une telle hypothèse. Je rappelle que toute mesure renforçant le marché européen favorise d’abord les entreprises européennes et notamment les PME car les marchés européens constituent l’essentiel de leurs débouchés, plus de la majorité de ceux-ci.

M. Le Déaut a montré à la tribune un texte en anglais émanant de l’OEB et annonçant la possible ratification du Protocole. Qu’il sache que ce document a été traduit en français dans la journée même. Que chacun soit rassuré, au sein de notre administration, et notamment à l’INPI, on surveille tout cela de très près.

Pour conclure, je reviendrai sur le problème des traducteurs, soulevé par Christian Blanc. Il ne sert à rien de le nier : si nous mettons en place une politique efficace pour diminuer le coût des brevets, il y aura une diminution du nombre des traductions. À cet égard, mon ministère est ouvert aux recommandations de votre commission des affaires étrangères visant à traiter cette question. Il faudra effectivement s’en préoccuper mais il ne faut pas en faire l’objet d’une politique. Nous devons en revanche mener une politique en faveur de l’innovation, et donc ratifier le Protocole de Londres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Motion d’ajournement

M. le président. J’ai reçu de M. Jacques Myard une motion d’ajournement déposée en application de l’article 128, alinéa 2, du règlement.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, j’espère que vous allez bien. (Rires.) C’est l’honneur du député que de parler selon ses convictions, et je n’ai pas pour habitude d’en changer.

M. François Goulard. Hélas ! (Rires.)

M. Jacques Myard. Puissiez-vous faire de même !

C’est le devoir du député de se lever pour dire non lorsqu’il estime que les intérêts de la nation sont en cause.

M. Bernard Deflesselles. Debout, Myard !

M. Jacques Myard. Je suis debout, mon cher collègue. Et si vous ne me voyez pas, vous allez m’entendre !

C’est l’attitude constante que j’ai eue et que j’aurai, même si je dois dire non à mes amis, avec lesquels je partage nombre de valeurs.

Il nous faudrait donc ratifier le Protocole ou Accord de Londres, qui modifie le régime linguistique de la convention sur le brevet européen. Puis-je vous rappeler pourtant, madame la ministre, que vous vous félicitiez, au mois de juillet, du nombre élevé de nos brevets. Dans les Cahiers de la compétitivité, nous lisons que la France se porte bien en matière de dépôts de brevet, puisque nous sommes au deuxième rang européen. Mais voilà qu’aujourd’hui vous estimez que rien ne va plus, que nous ne déposons pas assez de brevets à cause du coût des traductions. J’aimerais donc plus de cohérence dans l’attitude du Gouvernement. On ne peut pas, d’un côté, se féliciter du nombre de brevets déposés en France et, de l’autre, venir nous dire ici que la situation est catastrophique.

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous ne voulons pas nous contenter de la deuxième place !

M. Jacques Myard. Pourquoi devrions-nous donc aujourd’hui impérativement ratifier ce protocole ?

M. Bernard Deflesselles. Parce que c’est le bon sens !

M. Jacques Myard. Oui, mais le bon sens qui va à reculons. J’ai, à ce propos, entendu avec beaucoup d’intérêt, monsieur Novelli, les mesures que vous proposez et qui, à l’évidence vont, elles, dans le bon sens.

Car vous avez conscience que ce protocole de Londres, deus ex machina qui prétend améliorer le dépôt de brevets, ne servira en réalité à rien. Vous affirmez que le nombre de dépôts a augmenté en France de 2 ou 3 % quand on a baissé les coûts, alors qu’il s’agit en réalité d’une quasi-stagnation, en comparaison des autres pays. Cela constitue bien, à mon sens, un aveu de votre part que ce protocole est inopérant.

Soyons clair, il présente certains avantages, puisque nous n’aurons plus à demander la traduction des descriptions en allemand. Dont acte. Mais que l’on ne dise pas pour autant que c’est le coût de la traduction qui fait obstacle aux dépôts de brevet.

J’ai entendu ce matin M. Jouyet expliquer sur France Info qu’il était scandaleux que coexistent vingt-trois régimes linguistiques dans le système européen des brevets. Vous n’avez pas démenti, mais c’est de la manipulation ! C’est faux, parce qu’en l’état actuel, il n’est pas besoin de demander la validation dans les trente États et les vingt-trois régimes linguistiques. Si vous étiez un tant soit peu doué en droit communautaire, vous sauriez qu’il suffit de valider les brevets dans quatre ou cinq États. C’est suffisant pour bloquer le système.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Eh oui !

M. Jacques Myard. Demander la validation en RFA, en Angleterre, en Italie et en Espagne permet d’obtenir immédiatement un marché de trois cents millions d’habitants et d’interdire à de petits États d’exploiter une invention similaire, car la législation européenne et la jurisprudence de la Cour de Luxembourg empêchent leurs produits de pénétrer votre marché.

M. Benoist Apparu. Évitez quand même de déposer en RDA, ça ne marchera plus !

M. Jacques Myard. Ne vous en déplaise : il s’agit bien de la République fédérale d’Allemagne !

Cessez donc de dire qu’il faut traduire les brevets en vingt-trois langues. C’est de la manipulation totale ! Une traduction dans quatre ou cinq langues suffit, et c’est la raison pour laquelle le brevet communautaire ne progresse pas : on n’en a pas besoin. Un brevet national fait l’affaire et il reste moins cher, à moins que l’on ne baisse les redevances sur les validations.

Vous prétendez que le coût des traductions serait rédhibitoire, car il représente, selon le rapporteur, de 30 à 40 % du coût du dépôt. Mais le problème, ce n’est pas le coût du dépôt : c’est le coût global qu’il faut prendre en compte.

Car la validation et la traduction n’interviennent que trois ou quatre ans après le dépôt du brevet à Munich, c'est-à-dire à un moment où l’invention est exploitée sur un marché de trois à quatre cents millions d’habitants. À ce stade, votre brevet vous confère une situation de monopole pour vingt ans et, dans ces conditions, le coût de la traduction ne représente plus que 10 % du coût global.

J’ai ici des lettres de gérants de PME on ne peut plus éloquentes : « Je souhaiterais vous apporter mon témoignage de gérant de PME » dit l’une d’elles. « La traduction des brevets d’invention, cheval de bataille du Protocole de Londres, ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan des taxes de maintien que nous payons pour protéger nos brevets. » C’est ça la vérité : 75 % du coût du brevet européen sont liés aux redevances versées à l’OEB et non aux dépenses de traduction. Comparons ce qui est comparable ! Le coût d’une traduction pour les cinq grands pays que j’ai cités tout à l’heure, c’est 6 000 euros sur 70 000. Personne ne pourra me prouver le contraire. Il faut donc prendre en compte le coût global et non le coût du dépôt.

M. Jean-Michel Fourgous. Mais le problème du coût se pose dès le dépôt ! Avez-vous jamais déposé un seul brevet ?

M. Jacques Myard. Pas plus que vous ! Le problème ne se pose pas au début, car on ne valide qu’a posteriori. Il existe une différence entre le chercheur et l’entreprise qui va s’offrir un marché de trois cents millions d’habitants et faire des profits en conséquence. La traduction n’intervient qu’au bout de quatre ou cinq ans.

M. Jean-Michel Fourgous. Elle ne sert plus à rien, alors !

M. Jacques Myard. C’est l’OEB qui valide et vous ne demandez pas de traduction si vous n’obtenez pas la validation.

Vous prétendez que nous sommes les derniers à bloquer et que les autres vont suivre. Mais vous n’entraînerez ni l’Espagne ni l’Italie, qui ont compris où était leur intérêt et n’adhéreront jamais à ce système.

M. Jean-Michel Fourgous. Ne faites pas croire que l’Espagne et l’Italie défendent votre position : elles préfèrent le tout-anglais !

M. Jacques Myard. Non, vous serez obligés de traduire pour l’Espagne et l’Italie. De surcroît, l’Autriche et l’Irlande ont décidé qu’elles ne participeraient pas non plus.

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’Irlande a déjà signé !

M. Jacques Myard. C’est une première asymétrie, car les entreprises autrichiennes ou irlandaises bénéficieront du Protocole de Londres, mais pas nous. Au surplus – et c’est le point important, même si M. Novelli le repousse d’un revers de main –, la plus grande asymétrie réside dans l’OEB et le système mondial des brevets. Or je n’ai eu aucune réponse lorsque j’ai mis en avant cet argument.

Vous avez déclaré, monsieur Plagnol, que ce qui se passait avec les États-Unis n’était pas notre problème, car nous nous situions sur le segment européen. La belle affaire ! Le système mondial des brevets repose sur l’accord sur la coopération en matière de brevets de 1970, le Pattern Cooperation Treaty, qui permet de bénéficier, à partir de Munich ou de la France, de l’extension d’un brevet européen aux États-Unis. Ce qui fait que les Français – car, monsieur Novelli, la plupart des brevets déposés à Munich sont des brevets pour lesquels les entreprises françaises demandent une extension vers les États-Unis – sont obligés de traduire leurs brevets en anglais.

Nenni pour la réciproque ! Par le jeu combiné de l’accord sur la coopération des brevets et de l’OEB, les brevets américains sont applicables en France sans être traduits. Bravo ! (M. Philippe Folliot et M. Nicolas Dupont-Aignan applaudissent.) Nous servons sur un plateau d’argent aux Américains un avantage prodigieux.

M. Jean-Michel Fourgous. Et revoici le couplet anti-américain !

M. Jacques Myard. Je ne suis pas anti-américain, je suis avant tout Français, ne vous en déplaise.

Les Américains ont parfaitement compris qu’un brevet n’est pas simplement un monopole d’exploitation, mais également une arme anticoncurrentielle. Là-dessus, je vous rejoins, madame la ministre : c’est ce qu’il faut enseigner, pas simplement dans les écoles d’ingénieurs comme une sous-option, mais dans les écoles de commerce. Les Américains utilisent le brevet moins pour l’exploiter que pour empêcher les autres de le faire en monopolisant le marché. Ils présentent pour cela des patterns tickets, dans lesquels s’agrègent, autour d’un brevet valide, des dizaines de brevets qui ne valent pas un clou mais qui seront automatiquement étendus à la France, sans qu’il soit possible de vérifier ce qu’ils valent, puisque, pour le vérifier, il faudrait les traduire.

Cela revient à renverser la charge de la preuve, ce qui met les entreprises françaises en difficulté. En effet, si une petite entreprise française veut exploiter un brevet et le dépose d’abord à l’INPI, puis à l’OEB, elle reçoit un coup de fil d’un cabinet américain qui l’avertit que les États-Unis possèdent déjà une dizaine de brevets sur la même technique et fait peser sur lui la menace d’un procès. Fin de l’histoire pour la PME, alors que les brevets américains ne valaient pas un clou !

Et ne venez pas me parler, madame Pecresse, de la recherche d’antériorité de brevets de l’OEB. Même si les choses fonctionnent mieux qu’au Japon et aux États-Unis, l’OEB n’est pas à la hauteur de sa tâche en matière de brevetabilité. Il pratique, on le sait, une politique de boutiquier, car sur chaque brevet accepté il touche une redevance. C’est aussi simple que ça !

Le jeu combiné de l’accord sur la coopération des brevets et du Protocole de Londres futur va donc mettre nos entreprises en situation de concurrence déloyale. Gribouille n’aurait pas fait mieux !

Au-delà des avantages à court terme, il faut donc regarder où l’on va. Ce n’est pas en baissant les coûts que l’on va augmenter le nombre de brevets déposés dans notre pays, puisque nous avons en France les brevets les moins chers d’Europe.

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Ce n’est pas non plus en les augmentant… (Sourires.)

M. Jacques Myard. Il y a plus grave encore, et je m’adresse à vous, madame la ministre, qui sortez d’une maison du Palais-Royal où quelques Hurons, pour reprendre un article bien connu, pensent encore le droit : c’est la question, déjà évoquée par M. Vauzelle, de l’accès au droit dans sa langue.

On nous explique que les revendications sont traduites en français. Mais c’est un français de très mauvaise qualité, auquel on ne comprend souvent rien.

Rappelons que Munich, c’est aujourd’hui cent mille brevets par an, dont 93 % libellés en anglais et en allemand. Wer spricht deutsch hier ? 27 % concernent notamment la chimie lourde. Pas facile de comprendre la chimie lourde sans traduction, même quand vous êtes ingénieur.

Nous dire que le système prévu par le protocole de Londres est bon, ce dernier ne retenant que l’obligation de traduire les revendications, n’est franchement pas sérieux. Avez-vous déjà vu un brevet ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. On en a même déposé !

M. Jacques Myard. Alors, vous avez un avantage sur moi. Je vais quand même vous dire ce qu’est un brevet.

M. Jean-Michel Fourgous. Nous sommes très impressionnés !

M. Jacques Myard. J’ai travaillé sur la propriété intellectuelle avant vous !

Qui dit brevet dit descriptions. Or, monsieur Jouyet, vous avez dit que les revendications constituent le cœur du brevet et que les descriptions ne sont faites que pour… je ne sais pas… la concierge ! Monsieur le secrétaire d’État, vos propos, qui figureront au Journal officiel, vous seront reprochés votre vie durant ! (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes. S’il n’y a que ça !

M. Jacques Myard. Je vais vous montrer ce qu’est un brevet !

En voici un, avec sept pages de revendications ! Je vous en lis une : «  Appareil destiné à appliquer une tension sur un enroulement de bande selon la revendication 1 ou 2 dans lesquelles les éléments d’application de pression (2, 3, 6, 7, 102, 103, 106, 107, 202, 203, 302, 303) sont supportés par une structure (4, 41, 45, 8, 81, 85, 104, 141, 145, 204, 241, 245, 304), etc., etc. » (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Pouvez-vous abréger, monsieur Myard !

M. Jacques Myard. Non, monsieur le président, j’utilise mon temps de parole !

À quoi ces chiffres correspondent-ils ? Eh bien ! ils renvoient directement aux descriptions : 178 pages ! Et vous voulez nous faire croire, monsieur Jouyet, qu’on pourra comprendre ce qu’est une revendication sans la traduction des descriptions ?

M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Mais vous les aurez !

M. Jacques Myard. Monsieur Jouyet, calmez-vous ! (Rires.)

M. le président. Monsieur Myard, pas vous, pas ça !

M. Jean-Michel Fourgous. C’est vraiment Au Théâtre ce soir !

M. Jacques Myard. Cher monsieur le secrétaire d’État, j’ai beaucoup d’amitié pour vous, mais vous ne pouvez pas comprendre la portée du brevet et les revendications si vous ne disposez pas de la description dans votre langue. C’est une évidence ! Tous les conseils en brevets, tous les industriels le savent. Prétendre le contraire procède d’une malhonnêteté intellectuelle !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très juste !

M. Jacques Myard. Il a fallu quatre ingénieurs musclés pour arriver à traduire les descriptions de ce brevet, d’origine japonaise, que j’ai entre les mains !

M. Jean-Michel Fourgous. Mais quel rapport ?

M. Jacques Myard. Monsieur Fourgous, si vous ne voyez pas le rapport, c’est que vous n’avez pas compris ce qu’est un brevet ! Ce que j’explique est la preuve que la pauvre petite PME, face à un « buisson de brevets », va être complètement perdue !

J’en viens à l’accès au droit.

Selon M. Goulard, l’important est la veille technologique. Dans ce domaine, toutes les entreprises rencontrent de réels problèmes : il n’y a pas de traduction au moment où les brevets sont déposés à l’OEB ; les traductions seront effectuées s’ils sont validés, soit quatre ou cinq ans après.

Ce problème existe pour la Chine, pour l’Inde, pour tous les États. On peut regretter que, au moment du dépôt, en dehors de la langue de travail, il n’y ait pas des traductions minimales. Monsieur le secrétaire d’État, en prétendant que les revendications sont importantes et qu’on se moque des descriptions, vous oubliez une chose.

M. Jean-Michel Fourgous. Mais qui a dit cela ?

M. Michel Piron. C’est vous qui le dites !

M. Jacques Myard. Un brevet vit vingt ans, pas seulement quinze ans, monsieur le secrétaire d’État. Et les PME ont des difficultés à se retrouver dans la masse de brevets – 100 000 par an en France. Au bout de cinq ans, elles auront oublié ou pas vu ce qui s’est passé, et seront incapables d’accéder aux descriptions en langue anglaise – sans même parler de l’allemand, car il y a aujourd’hui encore moins de Français qui parlent l’allemand que l’anglais, alors que l’allemand est la langue la plus parlée en Europe.

Se pose dès lors un problème constitutionnel grave : celui de l’accès au droit dans sa langue.

Imaginons que je sois une PME française. (« Une TPE ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.Rires) Si vous voulez : une petite PME, une TPE ! Small is beautiful ! (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Au bout de cinq ans, un Américain, ou un Allemand, me tombe sur le râble en m’accusant de contrefaçon. La contrefaçon est un délit objectif, un délit pénal ! Nous nous retrouvons donc au tribunal pour un procès ; et j’exige alors la traduction.

M. Jean-Michel Fourgous. C’est le président du tribunal qui décide ! C’est quasi-automatique !

M. Jacques Myard. Ça passe devant le TGI, cher ami !

Au procès, je dis : je suis désolé, je n’ai pas vu qu’il y avait contrefaçon parce je n’ai pas compris le brevet ! On ne peut pas m’appliquer une loi pénale en se fondant sur une langue qui n’est pas la mienne !

C’est un problème grave sur lequel le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé dans la fameuse décision que vous avez évoquée et que j’avais provoquée.

M. Jean-Michel Fourgous. Et qui a été rejetée !

M. Jacques Myard. Comme vous.

Donc, je vous souhaite bien du plaisir ! Nous sommes face à un réel problème : on va pouvoir condamner une entreprise française sur la base d’un texte étranger. Et ne venez pas me dire qu’il sera traduit : ce sera trop tard, la contrefaçon sera établie !

M. Jean-Michel Fourgous. Soyons concrets : cela arrivera dans combien de cas ?

M. Jacques Myard. La contrefaçon étant un délit objectif, l’entreprise française sera coincée sur la base d’un texte étranger qu’elle n’aura pas compris. Il y a donc un problème constitutionnel majeur !

Nous avons tout à l’heure accepté la CBE 2000 – et j’ai voté pour. Cela veut dire qu’on peut modifier les revendications en fonction des descriptions – article 105 b de la Convention – et que l’on peut modifier la portée juridique du brevet en cours de vie, sans examen au fond par l’OEB. Cela signifie, et c’est extrêmement important, que le brevet va évoluer dans ses revendications en fonction des descriptions, car il faut aller chercher dans les descriptions non traduites les éléments supplémentaires pour limiter la portée du brevet : c’est le sens de l’article 105 b !

Cela crée une incertitude juridique majeure à partir du moment où les revendications vont évoluer en fonction de descriptions non traduites. 178 pages, chers collègues ! Vous pouvez hocher la tête, messieurs, mais c’est la vérité ! (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’entends dire ici que les descriptions ne seraient pas consultées. Il y a quand même 2 000 consultations par an !

M. Jean-Michel Fourgous. Nous n’avons pas les mêmes chiffres !

M. Jacques Myard. Cela signifie que 2 000 entreprises vont voir ce qu’il en est à l’INPI, ce qui n’est pas négligeable – sans compter toutes celles qui n’y vont pas, découragées par la perspective d’avoir à chercher dans le fatras de papiers de l’INPI, alors que Google est en train de mettre tout cela en ligne ! Je le regrette, et j’espère que vous donnerez des instructions très fermes à l’INPI pour la mise en ligne des brevets, traduits bien sûr.

Je vais maintenant soulever un point qui me reste en travers de la gorge.

Nous avons signé en 2000 ce fameux protocole. Seulement, ce que vous oubliez de préciser, c’est que le chef de la mission française qui l’a signé à l’époque l’a fait en contradiction flagrante avec ses instructions. Voilà la réalité.

M. François Goulard. Et alors ?

M. Jacques Myard. Je vais plus loin, car je connais un peu ce milieu-là.

J’ai trop souvent vu de hauts fonctionnaires français – et je peux vous donner des noms, madame la ministre (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – bafouer les intérêts nationaux et faire de belles risettes aux Anglo-Saxons. Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils pensent qu’après avoir été directeur de l’INPI, il y a mieux : on peut devenir directeur à l’OEB, directeur des marques, et, bien sûr, si on peut avoir le vote des Anglais, des Allemands, des Américains, c’est mieux.

Et voilà ce qui s’est passé pour la signature du Protocole de Londres. Je le dis solennellement du haut de cette tribune : l’individu qui a lâché la langue française l’a fait en contradiction avec les instructions gouvernementales de l’époque !

La langue française est notre identité, comme l’ont joliment souligné M. Vauzelle et mon collègue Nicolas Dupont-Aignan. Je voudrais donc vous mettre en garde : qu’on le veuille ou non, dans dix ans, la bibliothèque des brevets en France sera une immense bibliothèque scientifique en anglais, en allemand, mais à 10 % seulement en français.

M. Jean-Michel Fourgous. C’est le cas actuellement !

M. Jacques Myard. Pas du tout, ils sont tous traduits aujourd’hui ! Ils sont tous traduits dans les descriptions et nous avons une bibliothèque phénoménale en langue française ! Mais à cause du Protocole de Londres, la bibliothèque scientifique mise à disposition de l’ensemble de la communauté nationale sera essentiellement en langue anglaise et en langue allemande.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Absolument !

M. Jacques Myard. Quelle avancée fantastique de la place du français dans notre propre pays ! C’est grave.

Je vais vous dire une chose que je ne suis pas seul à penser. Les hommes ne se battent pas pour un coût dérisoire de traduction : les hommes se battent pour leur langue. La Belgique est en train d’imploser ; la Yougoslavie a explosé à cause de querelles linguistiques ; l’URSS – qui en a rajouté avec son système obsolète – et l’Autriche-Hongrie également. Je suis convaincu que, demain, les États-Unis auront un problème avec la poussée des hispanophones.

Prenez garde ! Car, aujourd’hui, une formidable colère est en train de monter dans les entreprises françaises, relayée par tous les syndicats, y compris de cadres, face à l’emploi de l’anglais. Cette ratification vient à un mauvais moment et est perçue, que vous le vouliez ou non, comme allant dans le sens du tout-anglais. Cette colère va se retourner contre vous – cela a d’ailleurs déjà commencé.

Les bénéfices promis par le Protocole de Londres sont donc parfaitement illusoires. Comme je vous l’ai dit, le faible nombre des dépôts en France est dû à l’absence d’enseignement – nous l’avons tellement clamé que vous commencez à l’entendre, et je m’en réjouis. Il ne faut pas oublier non plus, même si cela ne fait pas plaisir, et l’ancien garde des sceaux ici présent le sait, que si les entreprises françaises ne déposent pas de brevets, c’est qu’elles n’ont pas confiance dans le système judiciaire français. Pourquoi déposer un brevet si l’on met dix ans à gagner un procès en contrefaçon ? C’est la raison pour laquelle les entreprises se concentrent sur leurs secrets de fabrication, gardent jalousement leurs procédés, qu’elles ne divulguent jamais. Voilà la réalité.

On me rétorque : si nous ne ratifions pas le Protocole, nous serons isolés. Et alors ? (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Goulard. Regardez vous ! Voilà ce que ça donne d’être isolé !

M. Jacques Myard. Je ne suis pas isolé, j’ai derrière moi une immense majorité de gens !

M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Myard.

M. Jacques Myard. Je vais conclure, monsieur le président.

Permettez-moi de vous dire, messieurs, et M. Jouyet l’a d’ailleurs indiqué : vous avez juridiquement tort, donc politiquement tort. Pourquoi avez-vous juridiquement tort ? Parce que, aujourd’hui, le français est la langue de l’OEB, qu’aucun accord ne peut s’y opposer – même s’il y avait un accord germano-je-ne-sais-quoi, quel en serait l’intérêt ? Relisez la Convention de Vienne sur les traités : il n’y a aucun danger ! Certains peuvent craindre d’être isolés, mais quand on tient bon, on résiste et on gagne !

M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Philippe Folliot. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. À propos du droit de plaider dans sa langue, M. Myard m’a mise en cause en raison de mon appartenance au Conseil d’État, une belle maison qui défend le droit. Le Conseil constitutionnel, auquel nous nous référons tous, saisi par mon prédécesseur François Goulard − ici présent − à propos de la constitutionnalité du Protocole de Londres, a considéré qu’il ne portait pas atteinte à l’article de notre Constitution stipulant que « la langue de la République est le français ».

M. Jacques Myard. Je ne parlais pas de cela, madame la ministre !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je peux vous dire, monsieur le député et cher ancien collègue des Yvelines, que, si le Conseil constitutionnel avait considéré que ce protocole portait atteinte au droit de plaider dans sa langue, il aurait jugé qu’il remettait en cause le fait que « la langue de la République est le français ».

Permettez-moi d’ajouter que, en cas de litige, la traduction du brevet sera rendue obligatoire devant les juridictions françaises et que le coût de cette traduction sera à la charge du déposant.

M. Jacques Myard. Ce sera trop tard !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela signifie que, devant les tribunaux français, le droit de plaider dans sa langue est parfaitement garanti.

D’autre part, vous avez globalement dépeint les trois ministres présents dans l’hémicycle comme vendus au tout-anglais et comme lâchant la langue française.

M. Jacques Myard. Je n’ai pas dit cela !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si, vous l’avez dit.

M. Jacques Myard. « Vendu » ? Le Journal officiel fera foi !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Vous avez, en tout cas, parlé de fonctionnaires qui se laissent acheter,…

M. Jacques Myard. Ça, oui !

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. …ce qui est tout de même une attaque contre l’État. Or c’est faux. Je le répète, nous voulons, dans le cadre de ce brevet européen, préserver la langue française. Je tiens d’ailleurs à préciser, en ma qualité de ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que ce n’est pas parce que je souhaite développer l’anglais, les langues vivantes, le multilinguisme à l’université…

M. Jacques Myard. Le chinois et l’arabe ?

Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Malheureusement, vous savez bien que le chinois et l’arabe ne sont pas encore le sésame de la saison touristique, que c’est d’abord l’anglais.

Je disais donc que, pour donner un avenir à nos jeunes, nous développerons le plurilinguisme à l’université. Mais ce n’est pas parce que nous développerons le plurilinguisme que nous n’aimons pas le français. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Comme j’apprécie toujours de débattre avec notre collègue Jacques Myard, je voudrais répondre, quoique très brièvement, aux quatre arguments qu’il a soulevés.

Mon cher collègue, vous avez reproché au protocole et, plus spécialement, au rapporteur, une certaine naïveté dans leur approche de la concurrence. D’après vous, nous allons désarmer les entreprises françaises et européennes face aux Américains et aux Japonais. C’est exactement l’inverse, puisque, désormais, un simple dépôt en langue française permettra de protéger une invention sur tout le marché européen. Or ce qui est essentiel pour nos entreprises, notamment pour les petites, c’est d’abord de se protéger sur leurs marchés. C’est dans un deuxième temps seulement que se pose la question de l’accès au marché américain, et vous n’avez pas fait une révélation bouleversante en rappelant que, quand on veut pénétrer le marché américain, on est obligé de traduire en langue anglaise.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas l’inverse !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec le Protocole de Londres, et il est heureux que nos entreprises le sachent depuis longtemps. La ratification du Protocole est donc une arme en faveur de la compétitivité des entreprises françaises et européennes et de nos chercheurs.

Vous avez ensuite longuement développé la thèse selon laquelle on porterait atteinte à l’accès au droit en langue française. Je ne reviendrai pas sur ce que rappelait excellemment Mme la ministre, à propos de la décision du Conseil constitutionnel et de la sauvegarde, essentielle en cas de litige et de contentieux. Mais, au-delà, le français étant langue officielle de l’Office européen des brevets, nos chercheurs et nos entreprises ont la garantie que le cœur du brevet, ces fameuses revendications qui définissent le champ de la propriété industrielle et entraînent des conséquences juridiques, sera systématiquement traduit en français. Comme vous l’avez rappelé vous-même, pour que la veille technologique fonctionne, pour éviter que les entreprises ne soient menacées par un brevet et ne risquent d’être un jour accusées de contrefaçon, il faut que le cœur du brevet soit traduit suffisamment tôt en français. Ce sera le cas. Du reste, l’Institut national de la propriété industrielle le fait depuis longtemps, vous le savez fort bien.

Ensuite, vous vous êtes inquiété à juste titre des conséquences de cette ratification sur le français comme langue scientifique. Vous avez prédit qu’il n’y aurait désormais plus que des bibliothèques comportant des millions de volumes en anglais − qui existent déjà − et en allemand, mais vous ne vous êtes pas demandé pourquoi les Allemands, qui ont exactement le même problème linguistique que nous, ont choisi de ratifier et de faire en sorte que l’allemand reste une langue importante dans le domaine des brevets.

M. Jacques Myard. Ils sont meilleurs !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Mes chers collègues, le français reste langue officielle des brevets, et, en raison de ce privilège, ô combien convoité et contesté par nombre de nos partenaires européens, il continuera de voir son registre linguistique, lexical, s’enrichir au fur et à mesure des dépôts de brevets. Le registre de l’Office européen des brevets comprend 150 000 mots. Pour la francophonie, pour nos amis africains, québécois, belges ou suisses, il importe que le vocabulaire scientifique et technologique continue de se développer dans notre langue.

Enfin, vous avez fait bon marché des conséquences d’un isolement. « Qu’importe l’isolement ? » avez-vous dit.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas ça ! Nous ne sommes pas isolés !

M. Henri Plagnol, rapporteur. Votre croisade ne manque pas de panache − le panache d’un Don Quichotte défiant le monde entier. Mais il est du devoir de la représentation nationale de défendre lucidement les intérêts de la France en Europe. Contrairement à vous, je pense que l’isolement risquerait de facto de favoriser l’évolution naturelle vers le tout-anglais ou vers la domination de l’allemand et de l’anglais. Et c’est pourquoi je crois qu’il est urgent de ratifier le Protocole.

Notre débat sur la motion d’ajournement est très riche, nous avons entendu des interventions de très grande qualité et de toutes sensibilités. Chacun a pu puiser, depuis huit ans, dans nombre d’excellents rapports parlementaires, tous les éléments qui lui permettront de voter en son âme et conscience et selon ses convictions. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix la motion d’ajournement.

(La motion d’ajournement n’est pas adoptée.)

M. le président. J’appelle maintenant l’article unique du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Article unique

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article unique.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, puisque l’on parle beaucoup de paris en ligne, ces jours-ci, je vous propose de prendre un pari.

Il semble que l’Assemblée s’apprête à adopter le projet de loi. Je vous donne donc rendez-vous ici dans un an ou deux : vous dresserez l’état des lieux, comme l’a suggéré le président de la commission des affaires étrangères, et vous verrez que votre Protocole de Londres ne sert à rien pour les dépôts de brevets. Tout ce que je vous dis vous reviendra en boomerang, et vous le savez bien : vous avez beau raisonner, il vous manque des arguments techniques, et c’est bien pour cela que vous avez tort à mes yeux. Le moment venu, je souhaite donc que la France dénonce ce qui est une ineptie.

M. le président. La parole est à M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, chers collègues, si le débat de cet après-midi a suscité autant d’intérêt, voire de passion…

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Daniel Fasquelle. …c’est que, au-delà d’une question technique, on découvre deux enjeux essentiels pour notre avenir : d’une part, la place de la France et de notre langue en Europe, et, d’autre part, la capacité de nos entreprises à innover pour remporter demain la compétition économique devenue européenne et mondiale.

J’ai entendu les arguments des uns et des autres, et j’ai la conviction que la France doit profiter du débat ouvert par l’adoption du Protocole de Londres pour prendre l’initiative sur les sujets évoqués cet après-midi : elle en a les moyens. Il faut ainsi que, à l’occasion de la présidence française de l’Union, on adopte le brevet communautaire et qu’un accord soit trouvé rapidement sur le système judiciaire de lutte contre la contrefaçon, comme le souhaite d’ailleurs la Commission européenne, dans une communication du 4 avril 2007.

C’est en réalité à travers l’adoption de ces textes nouveaux que nous pourrons à la fois faciliter la vie de nos entreprises et défendre au mieux nos intérêts, en particulier linguistiques. Nous y sommes parvenus pour les marques, pour lesquelles, je le rappelle, il existe un règlement communautaire depuis le 20 décembre 1993, qui donne satisfaction à tous et qui reconnaît d’ailleurs cinq langues. Il n’y a pas de raison que nous n’aboutissions pas en matière de brevets. Si j’ai bien compris, Jean-Pierre Jouyet en est également convaincu, et je souhaite qu’il puisse faire régulièrement le point sur les avancées des discussions en la matière devant la délégation pour l’Union européenne − j’ai évoqué la question tout à l’heure avec Pierre Lequiller.

Au plan interne − je me tourne, cette fois-ci, vers Valérie Pecresse et Hervé Novelli −, nous devons également prendre l’initiative pour créer un climat et un contexte favorables à l’économie de la connaissance. Valérie Pecresse et Hervé Novelli s’y attachent. Outre l’importante loi sur l’université adoptée en juillet dernier, j’ai noté diverses mesures d’accompagnement, dont certaines suscitées d’ailleurs, et fort opportunément, par notre rapporteur. Permettez-moi, en tant que juriste, d’en ajouter deux. Je pense en premier lieu qu’il est absolument nécessaire d’améliorer le système judiciaire français de lutte contre la contrefaçon en créant, en particulier, une juridiction unique, comme c’est le cas, par exemple, pour les litiges relatifs au droit de la concurrence.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Absolument !

M. Daniel Fasquelle. On le sait en effet − sans y accorder une importance suffisante −, autant, si ce n’est plus, que le coût, dont on a beaucoup parlé aujourd’hui, c’est la crainte d’années de procédure avec une issue incertaine qui décourage le dépôt de brevets.

Je voudrais connaître l’avis d’Hervé Novelli sur la seconde avancée, qui est la fusion de la profession de conseiller en propriété industrielle avec celle d’avocat. Ce qui fait la force du monde anglo-saxon, ce sont aussi ses professionnels puissamment organisés. Or nos professionnels français sont aujourd’hui trop peu nombreux et trop isolés. Il s’agit d’un sujet dont on débat depuis trop longtemps − depuis au moins 1990 −, et sur lequel une avancée rapide est, j’en suis certain, possible.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Il a raison !

M. Daniel Fasquelle. En conclusion, je voterai pour la ratification, dans l’espoir qu’elle soit cet élément déclencheur qui nous permettra de construire une législation française plus favorable à l’innovation et une législation communautaire plus encore tournée vers l’économie de la connaissance, et qui respecte la devise de l’Union européenne : « Unie dans la diversité ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, notre débat est particulièrement passionnant et passionné. La diversité des opinions s’est exprimée sur l’ensemble des bancs de l’hémicycle. Dans chaque groupe, on trouve des partisans et des adversaires du Protocole. C’est dire combien ce débat est essentiel. La présence de trois membres du Gouvernement en est une autre preuve.

Mais ce dont nous avons parlé ne masque-t-il pas un autre problème, bien réel ? Par leur situation et leurs pratiques, les entreprises de notre pays ont-elles la capacité de se protéger ? Certains orateurs l’ont dit, le brevet est en effet un moyen de se protéger des contrefaçons, mais c’est aussi une arme utilisée par certains en matière anti-concurrentielle. Dans ce cadre-là, je suis surpris qu’on ait fait porter le débat sur le soupçon que le Protocole présentait de graves dangers du point de vue de la problématique de la traduction. Axer le débat sur ce seul point, alors que le Protocole comporte quatre enjeux essentiels, me paraît une erreur.

Les règles étant ce qu’elles sont aujourd’hui, les entreprises allemandes déposent trois fois plus de brevets que les entreprises françaises. Les frais de traduction sont pourtant les mêmes pour elles que pour nous.

Encore faut-il s’entendre sur la notion de coût. Les frais de traduction représentent de 10 à 15 % du coût total d’un brevet. On ne peut donc pas dire qu’ils soient responsables, à eux seuls, du prix d’un brevet.

On a, par ailleurs, souligné que nos PME doivent pouvoir assurer une veille technologique. Dès lors que les brevets ne seront plus accessibles dans notre langue, ces entreprises seront obligées soit de se doter de cadres anglophones ou germanophones, soit d’engager des dépenses de traduction.

Si l’on insiste sur les coûts que cela engendre pour les entreprises qui déposent les brevets, dont nous avons dit tout à l’heure qu’ils étaient somme toute relativement minimes, il faut souligner qu’il y a également des coûts pour les entreprises qui consultent les brevets. Cela est un élément essentiel.

Je ne reviendrai pas sur la problématique juridique telle qu’elle a été développée tout à l’heure par rapport à la problématique de l’accès au droit, même si je ne suis pas convaincu par l’argumentation qui a été donnée au regard d’une traduction qui arrivera a posteriori et certainement trop tard, quand le contentieux sera engagé. Je rappellerai simplement qu’il existe une institution qu’on dit composée de sages, je veux parler de l’Académie française, dont nous ferions bien de nous inspirer de temps en temps notamment pour sa réflexion sur la durée. C’est une des plus vieilles institutions, je ne dis pas de la République, mais de la Nation. À bien des égards, il me paraît essentiel de prêter une certaine attention à ceux qui, peut-être, accordent plus d’importance aux lettres qu’aux chiffres, plus d’attention à l’esprit qu’à l’argent, à ceux qui finalement réfléchissent en fonction de principes sur le long terme plutôt que de gains immédiats. Dans ce cadre-là, mes chers collègues, nous devrions assurément tenir compte de l’avis des sages de l’Académie française.

Je ne reviendrai pas non plus sur des éléments développés par rapport à deux villes, Munich et Londres, qui, au regard de l’histoire, rappellent des souvenirs qui ne sont pas forcément les mêmes, mais nous devons avoir un esprit de résistance.

Je conclurai avec une phrase d’Anatole France tirée de Propos, en 1921 : « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, si touchante, si voluptueuse, si chaste, si noble, si familière, si folle, si sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. » (Sourires.) Mes chers collègues, ne lui soyons pas infidèles !

M. Jacques Myard et M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le vote que notre assemblée va émettre est probablement l’un des plus importants de la législature puisque le projet de loi qui nous est proposé concerne l’avenir même de la langue française, de la langue de la République. Or, pour ce qui me concerne, j’ai la conviction que, pour de multiples raisons de fond, ce texte est néfaste et dangereux.

D’abord, la réforme linguistique des régimes des brevets va permettre le dépôt de brevets en France dans l’une des trois langues de référence, sans obligation d’une traduction générale en français. Ce qui change en effet, c’est que la partie la plus substantielle du brevet européen, à savoir sa description, ne sera plus traduite. Or la réalité juridique qui a été, semble-t-il, quelque peu oubliée tout au long de nos débats, c’est que la description constitue un élément tout aussi essentiel du brevet que les revendications puisque c’est cette description qui constitue la contrepartie de l’exclusivité d’exploitation conférée par le brevet. De nombreuses causes de nullité du brevet ne sont d’ailleurs liées qu’à la description. Prétendre le contraire, c’est méconnaître le droit.

Ensuite, alors qu’aujourd’hui 100 % des brevets s’appliquant en France sont traduits en français, seuls 7 % au plus le seront demain puisque, aujourd’hui, seuls 7 % des brevets sont déposés en français dans les pays signataires du protocole. L’une des conséquences, c’est que les petites et moyennes entreprises innovantes, qui doivent déjà faire face aux frais de dépôt de leurs brevets, devront constamment financer des traductions pour se tenir informées des dépôts des brevets dans leur domaine.

Enfin, la mise en place des brevets en langue anglaise en France va entraîner inexorablement une perte en terminologie technique et scientifique francophone. Notre langue va s’appauvrir et son recul sur la scène internationale ne fera, hélas ! que s’accroître. Loin d’affirmer une francophonie vivante, la ratification du Protocole de Londres constituera, je le crains, une étape décisive vers l’abandon de la langue française au profit du tout-anglais.

Néfaste pour notre économie, néfaste pour nos entreprises…

M. Jean-Michel Fourgous. C’est faux !

M. Marc Dolez. …ce texte l’est encore plus pour le rayonnement de notre langue.

Lorsque l’essentiel est en cause, et c’est ici le cas, chacun se doit évidemment de prendre ses responsabilités. En ce qui me concerne, pour le respect de la diversité linguistique, pour l’avenir de la francophonie et pour que la France n’abdique pas sa souveraineté linguistique, je voterai résolument contre la ratification du Protocole de Londres.

M. Yves Cochet. Très bien !

M. Jacques Myard et M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller. Je m’étonne du caractère quelque peu grandiloquent et paradoxal des critiques qui sont portées à l’encontre de l’Accord de Londres.

Tout à l’heure, j’ai entendu M. Mathus dire que ce texte était étudié au pas de course. Je voudrais rappeler, et M. Birraux l’a souligné tout à l’heure pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, que la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne avait, en mai 2006, rédigé, à l’initiative de Daniel Garrigue et de moi-même, un rapport favorable au Protocole de Londres qui avait, à l’époque, été adopté à l’unanimité, moins une voix.

Je trouve paradoxal que le Protocole de Londres, qui consacre la place du français comme langue officielle de l’Office européen des brevets, puisse être accusé de brader notre langue…

M. Loïc Bouvard. Très bien !

M. Pierre Lequiller. …alors qu’à l’Office européen des brevets, le français est la langue la plus parlée, sur 6 000 fonctionnaires 1 500 étant francophones.

Je trouve paradoxal que l’on prenne appui sur le fait que l’Espagne et l’Italie ne signent pas le Protocole. Mais évidemment qu’ils ne le signent pas, parce que ces pays, qui ont des langues prestigieuses dont l’une extrêmement parlée dans le monde, l’espagnol, regrettent de ne pas figurer dans la liste des trois langues officielles à laquelle nous appartenons.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Il a raison !

M. Loïc Bouvard. Bien sûr !

M. Pierre Lequiller. Nous nous tirerions un coup dans le pied en refusant de ratifier un traité qui consacre le français.

M. Loïc Bouvard. C’est évident !

M. Pierre Lequiller. D’ailleurs, l’Allemagne ratifie cet accord parce qu’il consacre l’allemand.

M. Loïc Bouvard. Exactement !

M. Pierre Lequiller. Je trouve paradoxales les critiques alors que le Protocole de Londres, qui abaisse le coût du brevet, favorisera les dépôts par les PME et valorisera les travaux des chercheurs.

La vérité, c’est que ce texte va favoriser les chercheurs, les petits chercheurs, les PME, soutenues par le CNRS, l’Académie des sciences, l’Académie des technologies, la CGPME.

La vérité, c’est que le français sera consolidé et cela dans la perspective du budget communautaire qui suivra, et je soutiens tout à fait ce que Pascal Clément a dit tout à l’heure.

La vérité, c’est que la France, qui se veut au cœur de l’Europe, est très attendue sur ce texte. En ne ratifiant pas l’accord, la France donnerait un très mauvais signal, un signal de frilosité, contraire de surcroît à ses propres intérêts.

La vérité, c’est qu’au moment où l’on veut favoriser la recherche en France et en Europe à travers les objectifs de Lisbonne, je veux une France offensive, non une France qui a peur, je veux, à la veille de la présidence française, une France conquérante.

M. Henri Plagnol, rapporteur. Bravo !

M. Pierre Lequiller. Et pour être conquérante, la place de la langue française dans le domaine de la recherche et de l’innovation dépend d’abord de l’importance et de la qualité de notre effort en matière de recherche, de la mise en place d’un réseau d’accompagnement efficace auprès de nos PME, de la meilleure valorisation de la recherche publique. Cessons d’aller chercher ailleurs les causes de problèmes qui sont les nôtres. Je crois que nous avons un gros effort à faire pour intensifier la place de la recherche française en Europe et pour intensifier la recherche européenne. Arrêtons d’accuser les autres d’être responsables de la faiblesse actuelle de nos dépôts de brevets. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

9

Accord entre la France
et l’Agence spatiale européenne
relatif à l’Ensemble de lancement Soyouz au Centre spatial guyanais

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence spatiale européenne relatif à l’Ensemble de lancement Soyouz (ELS) au Centre spatial guyanais (CSG) et lié à la mise en œuvre du programme facultatif de l’Agence spatiale européenne intitulé « Soyouz au CSG » et à l’exploitation de Soyouz à partir du CSG (nos 122, 172).

La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, madame la rapporteure de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, j’ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre autorisation l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Agence spatiale européenne relatif à l'Ensemble de lancement Soyouz au Centre spatial guyanais, et lié à la mise en œuvre du programme facultatif de l'agence spatiale européenne intitulé « Soyouz au CSG » et à l'exploitation de Soyouz à partir du Centre spatial guyanais, accord signé à Paris le 21 mars 2005.

Comme vous le savez, les coopérations internationales de la France dans le domaine spatial permettent de développer des partenariats stratégiques privilégiés avec un grand nombre de nations spatiales. Avec la Russie, la France entretient une coopération de longue date dans le domaine spatial. L'une des perspectives majeures de cette coopération est le développement en commun d'une nouvelle génération de lanceurs à l'horizon 2020. L'implantation du lanceur Soyouz en Guyane, décidé lors du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne du 27 mai 2003 à Paris, constitue aujourd'hui l'élément le plus visible de la volonté européenne et française de renforcer le partenariat avec la Russie. Ce projet permettra, dès 2008, d'accroître la flexibilité de l'offre de service de lancement européenne par l'association complémentaire d'Ariane 5 et de Soyouz.

À long terme, la coopération entre la France et la Russie s'articule autour d'un programme commun pluriannuel sur de futurs lanceurs, concrétisé en 2005 par la signature d'un accord qui prévoit l'étude et la réalisation de démonstrateurs technologiques. À plus court terme, la coopération franco-russe passe par l'installation du lanceur Soyouz en Guyane.

Cet accord, je vous le rappelle, constitue le troisième volet juridique du projet d'implantation de la base de lancement dédiée aux lanceurs Soyouz au Centre spatial guyanais, qui intervient après la signature, le 7 novembre 2003, d'un accord franco-russe relatif à la coopération à long terme dans le domaine du développement, de la réalisation et de l'utilisation des lanceurs et à l'implantation du lanceur Soyouz-ST au Centre spatial guyanais, et la signature, le 19 janvier 2005, d'un accord entre l'Agence spatiale européenne et l'Agence spatiale fédérale russe relatif à la coopération et au partenariat à long terme dans le domaine du développement, de la réalisation et de l'utilisation des lanceurs.

La signature de l'accord crée un certain nombre d'obligations pour la France tant en matière de sauvegarde des personnes et des biens, de renonciation mutuelle à recours, que de régime de responsabilité. Ces engagements viennent en complément de ceux figurant dans les accords relatifs à l'exploitation du lanceur Ariane depuis le Centre spatial guyanais.

L'Agence spatiale européenne, dans le cadre des lancements Soyouz à Kourou, assume la responsabilité juridique de ses programmes et activités. Dans le cadre de l'exploitation commerciale de Soyouz, le gouvernement français garantit l'Agence spatiale européenne et ses États membres contre les réclamations de toute nature relatives à tout dommage causé à l'Agence spatiale européenne ou à un de ses États membres, à un État tiers, à des ressortissants desdits États et à toute autre personne du fait de l'exécution au Centre spatial guyanais d'activités de lancement.

Au-delà des aspects juridiques, que je viens d’évoquer, je souhaiterais aborder également la question des retombées de cet accord aux niveaux tant européen que national et régional.

Sur un plan général, l’exploitation du lanceur Soyouz-ST au Centre spatial guyanais constitue un élément stratégique de la politique spatiale de la France et de l’Europe et consolide l’autonomie européenne de l’accès à l’espace en complétant la gamme des lanceurs développés par l’Agence spatiale européenne – Ariane 5 et Vega – utilisés depuis le Centre spatial guyanais. L’exploitation du lanceur Soyouz ouvre également avec la Russie une coopération stratégique à long terme dans le secteur des lanceurs.

Pour ce qui est des bénéfices commerciaux, avec le lanceur Soyouz à Kourou, l’Europe et la France disposeront en 2008 d’une gamme de lanceurs élargie et complémentaires entre eux : le petit lanceur Vega, le lanceur moyen Soyouz et le lanceur lourd Ariane 5. Avec Soyouz, nous disposerons d’un lanceur moyen à Kourou pour les classes de satellites de deux à trois tonnes, ce qui correspond mieux aux exigences du marché actuel. Nous aurons ainsi une gamme de lanceurs qui permettra de répondre aux demandes des émetteurs de satellites.

S’agissant des mesures de sécurité, auxquelles je vous sais sensibles, qui entourent la mise en oeuvre de cet accord, je tiens à rappeler que, d’une manière générale, la protection des personnes, des biens et de l’environnement constitue la priorité absolue de nos activités. Tout lanceur mis en œuvre à partir du Centre spatial guyanais respecte et respectera les exigences réglementaires françaises.

Mesdames, messieurs les députés, l’accord qui vous est soumis aujourd’hui constitue un nouveau jalon dans la mise en œuvre du programme « Soyouz au Centre spatial guyanais » dans lequel la France a pris une part prépondérante. Cet accord contribuera à consolider encore davantage, à travers l’Agence spatiale européenne, notre coopération avec la Fédération de Russie dans le domaine d’excellence que constituent pour la France les lanceurs. C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir autoriser l’approbation de l’accord relatif à l’Ensemble de lancement Soyouz au Centre spatial guyanais. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

(Mme Catherine Génisson remplace M. Rudy Salles au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Catherine Génisson,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira, rapporteure de la commission des affaires étrangères.

Mme Christiane Taubira, rapporteure de la commission des affaires étrangères. Avant de revenir sur le contenu de cet accord et d’en exposer les enjeux, je voudrais, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, vous remercier pour votre disponibilité, pour l’intérêt que vous avez porté au sujet et pour les initiatives heureuses que vous avez prises afin de nous permettre de travailler sur cet important rapport. Je veux aussi dire toute ma gratitude à François Loncle, notre responsable des commissaires socialistes, radicaux et citoyens, dont l’appui a été constant et déterminant.

En préambule, je voudrais procéder à une mise au point. Vous entendez souvent parler du Centre spatial à Kourou, et c’est d’ailleurs ce qu’a dit M. le secrétaire d’État – pardon de le relever ! Il me revient de vous signaler que c’est un abus de langage, car l’Ensemble de lancement Soyouz se trouve à Sinnamary, qui est une commune limitrophe de Kourou. J’ai deux raisons d’apporter cette précision.

La première est de principe – un lieu est un lieu, surtout lorsque plusieurs générations y ont construit une vie sociale – et tient au fait que, à son corps défendant sans doute, c’est pour le Centre spatial que l’on a déjà rayé de la carte un village – Malmanoury –, dont les habitants ont été totalement évacués dans des conditions d’indemnisation sur lesquelles je ne m’appesantirai pas aujourd’hui, mais qui sont encore dans la mémoire vive des Guyanais.

La seconde raison, c’est que Sinnamary n’est pas une bourgade perdue. C’est une commune qui s’étend sur un territoire de plus de 1 340 kilomètres carrés, donc plus vaste que la Martinique tout entière. Et cette commune de moins de 3 000 habitants a tout de même avancé au Centre national d’études spatiales, en 2003, une somme de 2 millions d’euros pour commencer les travaux préliminaires d’accès à la base de lancement parce qu’à l’époque le CNES travaillait sur un calendrier pour un premier lancement au milieu de l’année 2007 et que les fonds de l’ESA ne devaient arriver qu’en 2004. Ce préfinancement s’est fait sur une avance du Fonds régional de développement économique – FRDE. Quand on connaît l’enclavement et le sous-développement de la Guyane, l’état de ses indicateurs économiques et sociaux, on prend la mesure de l’effort accompli. Cela mérite au moins que l’on connaisse le nom de la commune de Sinnamary !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. La précision est effectivement utile !

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, rapporteure. J’en viens à l’accord lui-même.

Comme vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, il a été signé le 21 mars 2005 entre le gouvernement français et l’Agence spatiale européenne – ESA – et fait suite à l’accord du 7 novembre 2003 entre le gouvernement français et le gouvernement de la fédération de Russie. Sont visés dans cet accord deux déclarations – celle sur la production d’Ariane en 2001 et celle sur la production de Soyouz en 2004 –, quatre résolutions adoptées par l’ESA et quatre accords, dont celui du 19 janvier 2005 passé entre l’ESA et l’agence russe Roscosmos. De ses quinze articles, six méritent particulièrement d’être considérés.

L’article 1er, parce que c’est une véritable explication de texte qui définit les appellations et le rôle des différentes personnalités morales qui interviennent aussi bien au titre du contenu de l’accord qu’au titre des accords, résolutions et déclarations visés. C’est ainsi que l’on comprend le rôle du Centre national d’études spatiales, celui du Centre spatial guyanais, qui s’étend maintenant sur deux communes – Kourou et Sinnamary –, et celui d’Arianespace, qui est l’exploitant commercial. Au niveau de l’Union européenne, l’opérateur est l’ESA, où sont représentés les dix-sept pays membres, et au niveau russe c’est l’agence Roscosmos, qui remplace Rosaviacosmos.

L’article 3 définit les responsabilités du gouvernement français en matière de protection, de sauvegarde, de sûreté des personnes et des biens. Cette mission de sauvegarde est déléguée au CNES par le gouvernement français. Celui-ci doit donner son accord pour le développement et l’évolution du programme Soyouz, et c’est lui qui est l’autorité d’immatriculation.

L’article 4 précise que c’est également le CNES qui doit assurer l’application des mesures de sécurité et de défense définies par le Gouvernement.

L’article 5 précise les conditions d’accès et d’utilisation de l’Ensemble de lancement Soyouz et introduit l’opérateur commercial Arianespace.

L’article 11 concerne les conditions de renonciation mutuelle à recours tout en précisant les circonstances dans lesquelles cette renonciation n’est pas opposable. Cela concerne évidemment la propriété intellectuelle et les situations où il y a lésion corporelle et décès.

Quant à l’article 13, il traite du règlement des différends par le tribunal d’arbitrage.

Quel est l’objet de cet accord ? Nous l’avons dit, c’est un programme de coopération entre le gouvernement français et l’Agence spatiale européenne. Ce programme de coopération concerne Soyouz, dont la version spécifiquement développée pour les lancements depuis la Guyane s’appelle Soyouz-ST. C’est un lanceur moyen qui a une capacité de mise en orbite géostationnaire de satellites d’un poids de 2,7 à 3 tonnes et pour lequel est prévue une fréquence de lancement de deux à quatre par an. Je rappelle qu’Ariane est un lanceur lourd ayant une capacité de lancement double de 8,7 à 10 tonnes, avec une combinaison idéale de gros satellites de 5,5 à 6 tonnes, accompagnés de petits satellites de 2,7 à 3 tonnes.

Pendant les travaux de la commission des affaires étrangères, M. Jean-Paul Lecoq s’est inquiété des éventuelles conséquences sur la vitalité du programme Ariane 5 de la possibilité de recours fréquent au lanceur Soyouz sur les petits satellites. Nous avons donc interrogé le CNES et il ressort de sa réponse que, Arianespace étant l’opérateur commun pour les deux programmes, il aura intérêt à optimiser l’utilisation des deux systèmes de lancement et, les gros satellites étant son cœur de cible, il ne va jamais faire attendre le lancement d’un gros satellite. En revanche, la demande de lancement de petits satellites étant plus fréquente, il pourra à la fois faire accompagner les gros satellites et en même temps, dans l’intervalle, faire lancer de petits satellites. Grâce à Soyouz, nous pourrons ainsi rester sur le créneau des lanceurs moyens, fidéliser la clientèle et, bien entendu – c’est de bonne guerre économique –, capter celle du concurrent Land Launch.

Le programme d’Ariane 5 est donc établi. Quant au programme Vega, c’est un lanceur léger qui peut lancer des satellites de 300 kilos à 1,7 tonne. C’est un programme facultatif, dont le leadership est italien, et auquel seuls les sept pays intéressés participent. Le programme Soyouz est également un programme facultatif. Cela veut dire que la clef de contribution habituelle n’est pas pertinente et que chaque État qui souhaite y participer le fait et définit sa contribution. La France en est le leader. Il en est le principal contributeur avec 63 % d’un budget qui s’élève à 344 millions d’euros – 121 millions utilisés en Russie et à Baïkonour pour des développements et 223 millions pour les travaux en Guyane, dont 140 millions sont apportés par la France. Il est évident que le programme Soyouz tiré par la France provoque de justes retours industriels sur lesquels je reviendrai.

Le programme Ariane 4 était aussi un programme de lanceurs moyens et l’on peut légitimement s’interroger. En effet, ce programme a duré quinze ans – 116 lancements, dont trois échecs, de 1988 à 2003 – et il remplissait le rôle qui va être celui de Soyouz. Simplement, le processus complet de production de Soyouz coûte 40 millions d’euros alors que celui d’Ariane 4 était de 80 millions d’euros. Ariane 4 a été interrompu en 2003, année durant laquelle est intervenue la signature pour Soyouz. Nous pouvons donc nous interroger sur la pertinence d’un lanceur moyen Soyouz aujourd’hui.

S’agissant de la fiabilité, celle de Soyouz est de 96 % à 98 %, avec 1 700 exemplaires produits depuis 1957, et celle d’Ariane 4 était de 97 %. La fiabilité d’Ariane 5 est de 90 % – 28 succès sur 31 lancements –, mais il est prévu qu’elle atteigne 98 % et, avec l’accroissement des tirs, il est possible qu’elle y parvienne.

Quelles sont les caractéristiques du programme Soyouz ? Son intérêt stratégique est considérable, car c’est dans l’exploration pacifique de l’espace que se joue la compétition entre les grandes nations sur les plans scientifique et technologique. Cela dit, un point d’interrogation demeure s’agissant de la pertinence de l’abandon du programme Ariane 4 de lanceurs moyens.

Son intérêt économique mérite d’être pondéré. Il est question de 250 emplois, mais nous n’avons obtenu de précisions ni sur leur répartition, ni sur la part qui reviendrait au CNES en France et au CNES en Guyane. S’agissant des justes retours industriels dont je parlais tout à l’heure, le leadership de la France fait parfois l’objet, par ses partenaires, d’une mise en interrogation qui s’accompagne de revendications pour de justes retours industriels chez les partenaires eux-mêmes, pour une plus forte implication d’entreprises d’autres nationalités, donc pour des infrastructures sur les territoires de ces autres pays. Pour le reste des emplois à terme, en période de croisière, les Russes devraient être environ 360 en Guyane sur le site, mais il y a là aussi un point d’interrogation.

Sur le plan de l’intérêt commercial, l’opérateur européen pourra être positionné sur les trois niveaux de lanceurs : Ariane 5 sur la gamme des lanceurs lourds, Soyouz pour les lanceurs moyens et Vega pour les lanceurs légers.

Sur le plan scientifique, la première coopération entre la France et la Russie a été lancée en 1966 par le général de Gaulle. Cette coopération concernait l’exploration pacifique de l’espace, notamment du système solaire. Elle a permis une première mission commune de vol habité en 1982, puis, entre 1982 et 2001, l’intégration de cinq spationautes français aux missions russes, notamment pour rejoindre la station Saliout 7, la station Mir et la station internationale ISS.

Des perspectives scientifiques ou techniques concernent Galileo et Glonass – les GPS européens et russes équivalents dont il s’agit d’améliorer l’interopérabilité, c’est-à-dire la compatibilité. Autre perspective intéressante : le GMES, une initiative européenne pour l’environnement et la sécurité. L’année prochaine, le conseil ministériel de l’ESA va se prononcer sur l’éventuelle participation au programme ACTS, un système avancé de transport d’équipage – l’ancien programme vaisseau Kliper. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État, les deux agences européenne et russe sont aussi associées dans le programme des lanceurs du futur, qui devrait aboutir à l’horizon 2020.

Mme la présidente. Il faudrait vous acheminer vers votre conclusion, madame la rapporteure.

Mme Christiane Taubira, rapporteure. Cet accord est donc satisfaisant pour les parties. Mais notre responsabilité de parlementaires, d’élus politiques, nous conduit à nous poser une question : quelle est notre valeur ajoutée sur les autres enjeux, santé publique et environnement ?

Sur l’enjeu de santé publique, je commencerai par quelques remarques techniques.

Pour être propulsé, le lanceur Soyouz utilise essentiellement de l’oxygène liquide et du kérosène. Sans revenir sur les comburants et les carburants, rappelons que les produits de combustion sont ceux qui sont utilisés dans les industries automobile et aéronautique.

Mais pour l’étage supérieur de la fusée, appelé FREGAT, on a besoin d’ergols stockables, c’est-à-dire d’hydrazine et de dérivés. Cette précision est importante car, en l’état actuel des connaissances, il est établi que ces ergols stockables seraient sans impact. J’insiste sur le « seraient », car j’ai du mal à comprendre que des produits chimiques n’aient absolument aucun impact.

Il existe deux différences majeures entre les lancements européens et russes. Première différence : les lancements européens s’effectuent en direction de la mer, qui n’est pas une zone habitée, mais qui demeure tout de même un milieu vivant et nourricier. Deuxième différence : dans le programme Soyouz, c’est seulement l’étage supérieur et les satellites qui utiliseront des ergols stockables, alors que la fusée Proton utilise l’hydrazine dès le premier étage, celui dont les débris retombent en zone habitée.

Si j’interpelle l’État, monsieur le ministre, c’est parce qu’il est important que la puissance publique prenne ses responsabilités en matière de protection de la santé des citoyens, et mette en place tous les dispositifs et mesures de prévention nécessaires. À ce titre, il faut établir des registres des cancers et des pathologies habituellement liées à ce type d’activité industrielle.

Une étude épidémiologique, qui a fait l’objet d’un article dans la revue britannique Nature du 13 janvier 2005, émet l’hypothèse d’une prévalence de troubles endocriniens et sanguins chez des enfants de l’Altaï, région du sud de la Sibérie qui se situe sur la trajectoire des fusées propulsées depuis le cosmodrome de Baïkonour. Cette étude suggère ainsi que les tirs ont un impact sur la santé. Même si c’est la fusée Proton qui est en cause – et elle n’est pas équivalente à Soyouz – on ne peut pas ignorer les résultats de cette étude.

Le CNES a pris les dispositions nécessaires. Certifié ISO 14 001, il acquitte ses obligations en matière de transparence dans l’information.

Deuxième enjeu : l’environnement. Ces deux ensembles de lancement d’Ariane et de Soyouz sont classés Seveso II. Il s’agit donc de sites présentant un fort potentiel de dangers, soumis à l’inspection des installations classées.

L’inspecteur des installations classées a donné un avis favorable en juin 2007. Le commissaire enquêteur avait fait la même chose en avril 2006. Mais il faut signaler que la direction régionale de l’environnement avait émis deux avis défavorables, de même que la direction de l’agriculture et de la forêt. La DIREN a fini par émettre un avis favorable, sous réserve de celui du Conseil national de la protection de la nature. Quant à la direction du travail, elle a émis un avis favorable assorti de sept réserves, dont l’une sur le contrôle de la teneur en produits hydrazinés. De son côté, la mairie de Sinnamary a émis un avis favorable assorti de deux réserves sur la santé et l’environnement.

Mme la présidente. Veuillez conclure, maintenant.

Mme Christiane Taubira, rapporteure. Nous avons des obligations liées à la réglementation Seveso II, au fait que notre Charte de l’environnement est aujourd’hui constitutionnelle, à la directive européenne de juin 2001 transposée en droit interne en 2004 et 2005. D’ailleurs, cette directive européenne s’impose déjà aux programmes opérationnels, aux CPER, aux SAR. Il est bon qu’elle s’impose à ces lieux d’exploitation industriels.

Nous sommes à mi-parcours du Grenelle de l’environnement, dans une ambiance d’exigence en matière de santé publique et de protection de l’environnement. Il existe quelques instruments. Il reste à mettre en place des outils de suivi et d’observation, notamment ces fameux registres sur les pathologies et sur les cancers.

Ces réserves sérieuses interpellent l’État sur sa responsabilité en matière d’emploi, de santé publique, d’environnement, mais aussi de formation professionnelle et de transfert de technologies pour fixer le tissu économique.

Sous ces réserves, en qualité de rapporteure, je vous propose, chers collègues, d’approuver cet accord. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. L’intervention de Mme la rapporteure me dispensera de revenir sur toutes les réserves qu’elle a si brillamment exposées.

Mais je voudrais exprimer un regret, celui que notre pays ait abandonné le programme Ariane 4. À l’époque, on nous affirmait que le lanceur Ariane 5 allait s’y substituer, et que ses capacités permettraient de lancer soit de gros satellites, soit plusieurs petits satellites. Aujourd’hui, on nous explique qu’il nous manque un lanceur intermédiaire et qu’il nous faut conclure un accord avec Soyouz.

Or, nous avons abandonné Ariane 4 quasiment au moment où l’on a engagé l’accord sur Soyouz. En résumé, nous avons fait un très beau cadeau aux Russes, en échangeant notre programme Ariane 4 contre une collaboration avec Soyouz qui – et Mme Taubira l’a montré – pouvait nous ouvrir plus largement les portes de l’espace et peut-être, à terme, des vols habités.

Sur le plan économique, je m’interroge sur les bénéfices de cet accord et je ne suis pas convaincu par la réponse du CNES, questionné à ma demande par Christiane Taubira.

Dans ma région, la Haute-Normandie, on produit les moteurs d’Ariane 5, et dans la ville dont je suis maire, Gonfreville-l’Orcher, on fabrique des pièces de la fusée Ariane. Tout cela part de mon port préféré, Le Havre, pour aller rejoindre la Guyane. Ces entreprises que j’ai interrogées ne tablent pas sur une augmentation de la production de lanceurs Ariane 5. Elles redoutent même qu’on n’ait tendance à utiliser des Soyouz plutôt que d’attendre le gros-porteur, moins flexible – il faut remplir son coffre de satellites avant d’effectuer un lancement.

Même si l’on peut s’attendre à un bénéfice commercial, je considère qu’il n’existe pas de bénéfice économique, en termes d’emplois et de production d’Ariane 5. D’ailleurs, les syndicats de ces usines, à Vernon notamment, avaient réagi au moment de la signature de l’accord avec Soyouz, en détaillant les conséquences possibles sur leur production.

En tant qu’élu de Haute-Normandie et maire de Gonfreville-l’Orcher, je revendique une certaine expérience en matière d’environnement et de santé publique. Nous sommes un peu champions de France des zones Seveso, malheureusement, puisque la région en compte dix-sept, dont deux dans ma ville.

À cet égard, je partage l’opinion de Mme la rapporteure, sur la nécessité de mettre en place un observatoire « santé-environnement » dès maintenant, sans attendre que le programme soit lancé. N’attendons pas qu’il soit trop tard, comme c’est malheureusement parfois le cas, chez nous ou ailleurs.

Seveso II permettra d’évaluer les risques technologiques potentiels, notamment les retombées en cas de problème. Mais la question de la santé publique est plus compliquée. Tenir un registre des cancers, c’est important mais insuffisant. Il faut un observatoire associant tous les acteurs de santé publique : la DRASS, les médecins, les pharmaciens, tous ceux qui peuvent contribuer d’une manière ou d’une autre à observer l’évolution de la santé en fonction des tirs, de la météo, etc. Ce travail suppose une vraie compétence qui pourrait être développée au sein d’un observatoire. J’en fais la demande pour ma ville, comme Mme Taubira le fait, avec raison, pour la Guyane.

En conclusion, je partage les réserves – grandes réserves – de Mme Taubira. Mais, dans mon cas, elles me conduiront à voter contre la ratification.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vitel.

M. Philippe Vitel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme il est difficile de parler après la très brillante démonstration de Mme la rapporteure qui connaît son sujet sur le bout des doigts et qui a exprimé l’amour qu’elle voue au département qu’elle représente à l’Assemblée nationale. Encore bravo pour cette prestation.

Dès 2008, le lanceur russe Soyouz décollera du port spatial européen de Kourou et Sinnamary – j’ai appris aujourd’hui que cette commune était concernée par ce port spatial. C’est un événement historique, puisque ce sera la première fois que ce lanceur s’élèvera d’une base autre que celle de Baïkonour ou Plessetsk, en Russie.

Soyouz en Guyane s’inscrit dans la lignée des partenariats stratégiques que la France a déjà noués avec les grandes nations spatiales extra-européennes. Dans le domaine spatial, la France entretient une coopération de longue date avec la Russie : entraînement de nos astronautes à la Cité des étoiles, interopérabilité des systèmes de satellites, vols habités. L’implantation du lanceur Soyouz en Guyane, décidée lors du conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne du 27 mai 2003 à Paris, en est l’aboutissement.

Grâce à la position géographique particulière de la Guyane, proche de l’équateur, Soyouz nouvelle version pourra lancer des charges utiles plus grosses. Soyouz-ST est la nouvelle version du lanceur qui a fait ses débuts, il y a cinquante ans, avec la mise en orbite de Spoutnik et le premier vol habité de l’histoire. Il bénéficie donc de performances accrues, grâce à sa nouvelle structure et au fait que la proximité de l’équateur augmente ses capacités de propulsion.

Soyouz, c’est cinquante ans d’histoire spatiale. C’est le nom d’une série de lanceurs spatiaux russes, imaginés par Sergueï Korolev, et utilisés depuis 1957 pour les vols habités. Les Soyouz succédèrent au programme Voskhod et furent, au départ, conçus dans une forme plus lourde pour des vols lunaires habités. Ils furent ensuite utilisés pour amener les cosmonautes dans les stations Saliout, Mir et dans la Station spatiale internationale. Soyouz est bien l’héritière de la célèbre fusée Semiorka qui est à l’origine de nombreux exploits : premier lancement d’un satellite artificiel, premières sondes interplanétaires, premier vol d’un homme autour de la terre.

Près de cinquante ans après son vol inaugural, la fusée de Korolev continue donc sa carrière. Toutes versions confondues, elle totalise aujourd’hui plus de 1 800 exemplaires produits et lancés, en 90 générations différentes !

Pourquoi Soyouz en Guyane ? Allier le lanceur le plus fiable du monde et la base de lancement la plus performante, voilà le défi de cette convention. Le programme Soyouz en Guyane se dote de toutes les chances de réussite au sein de la nouvelle famille européenne composée des lanceurs Ariane et Vega.

Issu d’une collaboration internationale inédite entre la France et la Russie, ce programme de l’Agence spatiale européenne permettra de disposer d’un lanceur de moyenne gamme, particulièrement bien adapté aux besoins européens, notamment pour les satellites de moins de trois tonnes en orbite géostationnaire, ainsi que pour les satellites basse ou moyenne orbite tels que Galileo.

Tout en renforçant la coopération stratégique à long terme avec la Russie, ce programme pourra également ouvrir la possibilité de mettre en œuvre des vols habités depuis la base de lancement européenne grâce à l'utilisation d'un lanceur simple et robuste, dont la technologie est largement éprouvée, et qui a assuré plus de 1 800 vols depuis cinquante ans.

La Russie et l’Agence spatiale européenne ont signé, le 21 mars 2005, un accord ouvrant la voie à une coopération étroite dans le domaine de l’échange d’informations et l’utilisation des infrastructures. D’après cet accord, l’Agence spatiale européenne autorise la Russie à utiliser les infrastructures du port spatial européen à Kourou pour le lancement de fusées Soyouz. Cet accord envisage le développement de nouvelles installations pour le lanceur russe.

Du point de vue financier, le coût global du programme est de 344 millions d’euros, dont 121 sont consacrés à l’amélioration et à la qualification opérationnelle du lanceur Soyouz, la gestion étant assurée par Arianespace, sous contrat CNES, et le financement par la Russie. Pour ce qui concerne la construction de l’ensemble de lancement, l’Agence spatiale européenne apporte un financement de 233 millions d’euros grâce aux fonds des sept États participants – France, Italie, Belgique, Allemagne, Espagne, Suisse et Autriche. La part de notre pays s’élève à 63 % ; quant à l’Union européenne, elle devrait participer à hauteur de 9 % et les six autres États à hauteur de 28 %. La France a donc une nouvelle fois montré qu’elle était une force d’impulsion dans le domaine spatial européen.

En conclusion, ce projet répond à mon sens à deux enjeux majeurs, à commencer par un enjeu commercial. Avec Soyouz en Guyane, l’Agence spatiale européenne dispose d'une gamme complète de lanceurs : un lanceur adapté aux satellites lourds avec Ariane 5, un lanceur pour satellites moyens avec Soyouz-ST, et un lanceur léger, enfin, avec le programme Vega. Arianespace pourra ainsi consolider sa position de leader sur le marché des lancements de satellites.

Le projet a également un impact bénéfique pour le développement régional, puisqu’il devrait générer des emplois directs et indirects – travaux de terrassement et d'infrastructures, maintenance des installations et moyens de l’ensemble de lancement Soyouz. On estime ainsi qu’environ 250 emplois seront créés.

Nous ne pouvons donc, mes chers collègues, que nous féliciter de cet accord, lui apporter tout notre soutien et lui adresser nos meilleurs vœux de réussite. (Applaudissements sur divers bancs.)

Mme Christiane Taubira, rapporteure. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Je veux répondre aux questions posées par Mme la rapporteure et M. Lecoq.

Pardonnez-moi, madame la rapporteure, de n’avoir pas cité Sinnamary, alors que j’avais mes notes sous les yeux, ce qui n’était pas votre cas : je suis donc d’autant plus impardonnable ! (Sourires.)

S’agissant des emplois, nous pensons que le projet devrait, en rythme de croisière, en générer de 250 à 350 – selon les estimations –, auxquels il convient d’ajouter les emplois induits dans l’hôtellerie ou la restauration.

Quant au lanceur Ariane 4, monsieur Lecoq, je suis sensible au sujet, ayant passé plusieurs années à Vernon, comme le sait M. Loncle. Cependant, le maintien des installations de fabrication et de lancement parallèles à celles d’Ariane 5 était générateur de coûts fixes importants, lesquels n’auraient pu être rentabilisés que si le marché des satellites avait connu une forte expansion. Comme l’a expliqué Mme Taubira, nous avons donc fait le choix d’adapter la gamme avec des lanceurs destinés à des satellites plus légers, plutôt que de développer des projets certes ambitieux, mais moins ajustés au marché.

En ce qui concerne les risques sanitaires pour les habitants de Sinnamary, de Kourou et plus généralement de la Guyane, le lanceur Soyouz utilise essentiellement, pour sa propulsion, de l’oxygène liquide et du kérosène, qui ne présentent pas de caractère toxique. Seul l’étage supérieur de la fusée, appelé FREGAT, utilise des ergols stockables qui pourraient être néfastes. Mais la mise à feu du moteur intervient au-delà d’une altitude, 150 kilomètres, où ils n’ont plus d’impact.

Cependant, la toxicité de ces ergols fait l’objet d’études particulières dont les conclusions sont prises en compte dans les règles de sauvegarde correspondant à toutes les situations : phase de stockage, mise en œuvre au sol, déroulement nominal en vol ou accident en vol.

Vous avez par ailleurs fait allusion, monsieur Lecoq, à une étude non publiée d’origine britannique et à des articles parus dans la presse. Mais ceux-ci faisaient essentiellement référence au lanceur russe Proton, qui est différent, comme vous l’avez d’ailleurs souligné, du lanceur Soyouz.

Enfin, nous restons particulièrement vigilants sur la protection de l’environnement et la santé. Il existe, comme vous le savez, des missions de sauvegarde visant à maîtriser, au sol comme en vol, les risques techniques liés à la préparation et à la réalisation des lancements, ainsi que des missions de sûreté et de protection. Deux instances ont été installées pour prévenir les incidents majeurs susceptibles de se produire sur l’ensemble de lancement : un secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles, créé à la suite de l’accident d’Ariane 501 en juin 1996 ; des comités locaux d’information et de concertation. Toutefois, nous sommes toujours prêts à associer les élus au renforcement du dispositif dans les termes où vous le souhaitiez et dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter à Mme Taubira et à M. Lecoq.

Mme la présidente. J’appelle maintenant l’article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

Mme la présidente. La parole est à M. François Loncle, pour une explication de vote.

M. François Loncle. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche votera en faveur du projet de loi.

Nous apprécions, comme beaucoup dans cet hémicycle, la qualité du rapport de Mme Taubira. Il est souhaitable que les réserves très pertinentes qu’elle a formulées, et qui s’appliquent bien au-delà du territoire de sa circonscription, se transforment en exigences : des contrôles permanents sont nécessaires.

Ce n’est pas faire offense à nos partenaires russes que de dire qu’ils n’ont pas été, jusqu’à présent, des champions de la protection de l’environnement. L’accord scellé, comme j’en ai été témoin, en juillet 2001 à Samara par le Président Chirac et le Président Poutine constitue – c’est le moins que l’on puisse dire – un beau cadeau pour nos amis russes. Mais n’oublions pas les intérêts industriels. Je puis ainsi confirmer que les salariés des entreprises qui portent le projet Ariane – y compris, dans ma région, depuis la fin d’Ariane 4 – ne laissent pas d’être inquiets, même s’ils gardent tout leur dynamisme et leur foi en l’avenir du programme spatial français.

Nous voterons donc, je le répète, pour le projet de loi, mais vous demandons, monsieur le secrétaire d’État, d’être particulièrement vigilant sur les exigences formulées par Mme Taubira.

M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Je m’y engage.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(L'article unique du projet de loi est adopté.)

10

Accord France-Canada
sur les champs d’hydrocarbures
transfrontaliers

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada sur l’exploration et l’exploitation des champs d’hydrocarbures transfrontaliers (nos 118, 173).

La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur de vous présenter l’accord franco-canadien relatif à l’exploration et à l’exploitation des champs d’hydrocarbures transfrontaliers – au sens maritime du terme, cela s’entend.

Cet accord a pour principal objectif de fixer les modalités de coopération en cas de découverte d’un gisement d’hydrocarbures transfrontalier au large de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Terre-Neuve et Labrador, et de donner un cadre d’opérations précis pour l’exploration puis l’exploitation des gisements, en concertation avec nos partenaires canadiens. Cet accord présente le grand avantage de structurer notre coopération avec le Canada tout en défendant les intérêts économiques de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Comme vous le savez, depuis 1992, la France dispose d’une zone économique exclusive autour de notre archipel, qui pourrait contenir des gisements de pétrole ou, plus probablement, de gaz naturel. Cette zone ayant la forme d’un étroit chenal orienté nord-sud et enclavé dans la zone économique canadienne, il est fort peu probable qu’une accumulation d’hydrocarbures ne soit pas transfrontalière. C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’offrir un cadre juridique clair, qui définisse un modus operandi avec les Canadiens au cas où l’on découvrirait un gisement.

Après cette présentation liminaire, je souhaite vous exposer les principales dispositions de l’accord. Celui-ci est d’abord et avant tout un accord-cadre visant à définir les modalités et les conditions d’échange d’informations depuis la phase de prospection jusqu’à l’établissement du caractère transfrontalier d’un gisement. Il pose ensuite le principe de la nécessité d’un accord d’exploration et d’exploitation en cas de découverte effective d’un gisement transfrontalier, tout en définissant les moyens d’y parvenir, ainsi que le principe d’une gestion durable de la ressource qui permette de minimiser tout impact néfaste sur l’environnement marin ou côtier.

L’accord prévoit en outre la mise en œuvre d’un plan de développement et de valorisation économique au bénéfice des collectivités territoriales concernées. Ainsi, en cas d’exploration ou d’exploitation, les opérateurs aideront les marins de Saint-Pierre-et-Miquelon, puisque leurs navires pourront désormais avitailler des plateformes pétrolières situées dans les eaux canadiennes : c’est là, comme vous le savez, la résolution d’une vieille pomme de discorde avec nos amis canadiens s’agissant de l’accès de ces navires à leurs eaux.

Pour ce qui concerne l’exploitation elle-même, le principe retenu est celui d’une répartition équitable, qui réserve néanmoins la possibilité d’adapter les quotas au cas où de nouvelles données viendraient modifier l’évaluation initiale.

Enfin, l’accord prévoit une enceinte de dialogue, avec la constitution d’un groupe de travail technique franco-canadien, à la demande de l’une des deux parties.

Pour conclure, je dirais que cet accord permet de contribuer au rapprochement entre la France et la Canada au large des provinces atlantiques, condition nécessaire à l’intégration harmonieuse de l’archipel dans son environnement géographique et économique immédiat. Il permet également de créer une logique de coopération et d’échanges, ce qui représente, de notre point de vue, une condition nécessaire au développement économique de l’archipel et à la création d’emplois, à l’heure où la constitution de groupes de travail, en octobre 2006, a créé une véritable dynamique de rapprochement politique et économique.

L’exploitation off shore au large des provinces atlantiques canadiennes est à la fois un espoir et une réalité : le Canada atlantique contribue à hauteur de 22,5 % de la production du pétrole canadien et recèle également une importante accumulation de gaz.

Il ne faudrait cependant pas tout en attendre, car l’utilité de cet accord est conditionnée par la découverte effective d’hydrocarbures. En ce qui concerne la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon et son environnement immédiat, nous en sommes encore actuellement à la phase initiale d’exploration. Il est donc important de privilégier la concertation avec nos partenaires canadiens, dans tous les domaines de notre coopération, pour évaluer les ressources potentielles.

Telles sont les principales observations qu’appelle l’accord sur l’exploration et l’exploitation des champs d’hydrocarbures transfrontaliers entre la France et le Canada, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Voisin, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Gérard Voisin, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, un certain nombre d’éléments de l’accord viennent d’être évoqués.

Je voudrais en premier lieu remercier Mme Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont l’intérêt pour l’accord franco-canadien et la pertinence de vue m’ont permis de vous présenter ce rapport.

Je voudrais également féliciter Christiane Taubira qui, en qualité de rapporteure du texte précédent, nous a offert une extraordinaire leçon d’intelligence, dans un domaine scientifique réputé difficile.

Le potentiel d’hydrocarbures présent dans le sous-sol au large du Canada et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que la configuration particulière de cet espace maritime, liée à l’enclavement de la zone économique exclusive française dans les eaux canadiennes, justifient la signature d’un accord qui organise l’exploration et l’exploitation de futurs gisements communs.

L’accord vise, d’une part, à préciser les obligations découlant du caractère transfrontalier ou non d’une accumulation d’hydrocarbures et, d’autre part, à encadrer les accords qui devront être conclus pour chaque champ d’hydrocarbures transfrontalier.

En contribuant à approfondir la coopération entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada atlantique, l’accord favorise non seulement le développement économique de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais aussi des relations apaisées entre la France et le Canada.

L’histoire récente des relations franco-canadiennes a été marquée par plusieurs différends relatifs à l’Atlantique Nord. Les revendications françaises à l’égard du plateau continental ainsi que la contestation de la zone économique exclusive autour de l’archipel traduisent la concurrence entre les deux États côtiers sur les espaces maritimes qui les bordent.

Le contentieux opposant la France et le Canada après l’instauration en 1977 d’une zone économique exclusive autour de Saint-Pierre-et-Miquelon a fait l’objet d’une décision du tribunal arbitral de New York le 10 juin 1992. Celle-ci reconnaît à Saint-Pierre-et-Miquelon le droit de disposer d’une zone économique de 12 400 kilomètres carrés et délimite avec précision une zone, enclavée dans les eaux sous juridiction canadienne, qui entoure l’archipel et comprend un étroit couloir au sud, vers les eaux internationales.

Cette délimitation a fait l’objet, en 1996, d’une modification unilatérale regrettable de la part du Canada, étendant la zone économique canadienne vers le plateau continental.

Aux termes de l’article 76 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, les États côtiers peuvent étendre leur juridiction au-delà de la zone économique exclusive en fixant la limite de leur plateau continental. Celui-ci, en effet, comprend les fonds marins et leur sous-sol, depuis le prolongement naturel du territoire terrestre de l’État jusqu’au rebord externe de la marge continentale.

Lorsque la marge continentale s’étend au-delà des 200 milles – cette distance correspondant à la limite de la zone exclusive – les États peuvent prétendre étendre leur juridiction. Afin de revendiquer cette extension, l’État côtier doit déposer, avant le mois de mai 2009 pour la France, un dossier technique et juridique devant la Commission des limites du plateau continental, organisme dépendant des Nations unies. Il appartient ensuite à l’État demandeur de fixer la limite de son plateau continental sur la base des recommandations formulées par la Commission.

Saint-Pierre-et-Miquelon est inscrit sur la liste préparatoire en vue de la présentation d’une demande d’extension du plateau continental, à laquelle l’archipel est particulièrement attaché – Mme Girardin a judicieusement souligné l’intérêt de cette inscription. Dans cette perspective, l’absence de contestation de la modification unilatérale opérée par le Canada en 1996 pourrait constituer un argument majeur en faveur d’une exploitation exclusive du plateau continental par le Canada. Le recul des activités économiques liées à la pêche impose de diversifier les ressources économiques de l’archipel, l’exploitation des hydrocarbures présentant à cet égard un potentiel faiblement exploité jusqu’à présent.

Le bassin sédimentaire laurentien dont relève Saint-Pierre-et-Miquelon est encadré par deux zones distinctes qui produisent, entre autres, des hydrocarbures liquides au large de Terre-Neuve – ce sont les gisements d’Hibernia et de Terra Nova – et d’hydrocarbures gazeux au large de l’île de Sable, sur le plateau continental de la Nouvelle Écosse. Les premiers travaux d’exploration du bassin laurentien ont confirmé l’existence de structures susceptibles de receler des hydrocarbures. Actuellement, seul un titre d’exploration est en cours de validité au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’accord franco-canadien constitue le socle d’une coopération nouvelle dans le domaine des hydrocarbures. L’accord, bien qu’il n’en porte pas le nom, s’apparente à un accord-cadre en ce qu’il prévoit la procédure permettant d’établir le caractère transfrontalier d’une accumulation d’hydrocarbures, d’une part, et les modalités ainsi que le contenu de futurs accords propres à chaque champ d’hydrocarbures transfrontalier, d’autre part.

Il détermine la procédure que les différentes parties doivent respecter en présence d’une accumulation, depuis sa découverte jusqu’au règlement des différends pouvant résulter de l’exploitation des hydrocarbures.

La procédure repose d’abord sur la communication de l’information relative aux forages pouvant donner lieu à la découverte d’une accumulation transfrontalière. Les annexes I et II déterminent les informations que chaque partie doit fournir à l’autre selon deux critères : la zone de forage et le caractère transfrontalier ou non de l’accumulation.

Lorsqu’un forage est réalisé à moins de dix milles marins de la frontière maritime, dans la mer territoriale ou la zone exclusive d’une des parties, celle-ci doit communiquer à l’autre partie les renseignements décrits dans l’annexe I. Lorsque l’existence d’une accumulation transfrontalière a été entérinée par les deux parties ou déterminée par un expert, chaque partie est tenue de fournir à l’autre les informations décrites dans l’annexe II et relatives à la zone qu’elles auront délimitée ensemble.

L’exploitation de chaque champ transfrontalier nécessite ensuite la signature d’accords entre les parties française et canadienne, ainsi qu’entre les détenteurs de titre minier. L’accord d’exploitation est signé entre les parties française et canadienne alors que les détenteurs de titre minier concluent, à la demande des parties, un accord d’union. Ce dernier comporte notamment des dispositions relatives à la mise en commun de leurs droits respectifs sur les ressources d’hydrocarbures et sur le partage des coûts et bénéfices liés à l’exploitation. Le début de la production est suspendu à l’approbation par les parties d’un plan de développement et d’un plan de valorisation économique, proposés par l’exploitant unitaire et prévus respectivement par les annexes V et VI. Le plan de valorisation économique comprend des dispositions de nature à garantir des retombées économiques favorables aux collectivités concernées.

L’exploitant unitaire présente également aux parties des propositions relatives à la détermination des réserves estimées d’hydrocarbures ainsi qu’à leur répartition, afin de garantir une évaluation équitable et régulièrement actualisée des ressources.

La préoccupation environnementale est prise en compte : les parties doivent ainsi veiller à ce que l’exploitation permette de « minimiser tout impact négatif significatif sur l’environnement marin ou côtier et tout dommage aux infrastructures se trouvant à terre ou en mer, aux navires ou aux engins de pêche ». Elles doivent également adopter un plan d’urgence conjoint en cas de pollution en mer.

Un groupe de travail technique est chargé, à la demande des parties, d’examiner les questions techniques découlant de la mise en œuvre de l’accord, qu’il s’agisse du cadre géologique régional ou des plans de développement ou de valorisation économique.

Les différends portant sur la découverte d’une accumulation et la détermination des réserves sont soumis à un expert, selon les règles prévues par l’annexe III, tandis que ceux portant sur l’accord d’exploitation et les plans de développement et de valorisation économique font l’objet d’une procédure d’arbitrage, conformément aux règles fixées par l’annexe IV.

À ce jour, le Canada n’a pas procédé à la ratification de l’accord.

La signature de cet accord constitue un premier pas vers la revitalisation économique de Saint-Pierre-et-Miquelon et un modèle de coopération respectueuse entre la France et le Canada. En espérant que cet exemple inspirera de futures collaborations, je vous recommande, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, d’adopter le projet de loi autorisant son approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le secrétaire d’État, je profite de la discussion de ce projet de loi pour aborder un élément important de la relation franco-canadienne, développé dans l’excellent rapport de Gérard Voisin, sur lequel vous avez, à plusieurs reprises, alerté Mme Girardin et auquel notre assemblée et sa commission des affaires étrangères sont particulièrement attachées.

La commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi qui autorise l’approbation de l’accord passé entre la France et le Canada. Cet accord, relatif à l’exploration et à l’exploitation de gisements pétroliers transfrontaliers, est important à plus d’un titre. Tout d’abord, il traduit un apaisement des relations maritimes franco-canadiennes, ce dont nous nous réjouissons, et met en place une coopération nouvelle dans le domaine des hydrocarbures, sur laquelle vous avez insisté.

En second lieu, il constitue pour Saint-Pierre-et-Miquelon un important potentiel de développement. L’économie de ce département, fondée sur la pêche, a énormément souffert de la délimitation de notre zone économique exclusive en deçà des 200 milles nautiques. Cette situation résulte d’une sentence du tribunal arbitral de New York en 1992, qui a attribué à la France une zone maritime quatre fois inférieure à ce qu’elle revendiquait. De surcroît, cette étendue n’est pas la mieux dotée en ressources halieutiques.

Des accords ont été trouvés en vue d’une meilleure répartition de cette ressource, mais la situation économique de Saint-Pierre-et-Miquelon a été touchée de plein fouet par cette décision.

Le « grand métier », c’est-à-dire la pêche, ne suffit plus, et la diversification des activités économiques est devenue un impératif. L’exploitation des richesses en hydrocarbures devrait permettre, nous l’espérons tous, un redressement indispensable de l’économie de Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’accord dont nous débattons aujourd’hui précise les conditions d’exploitation des gisements transfrontaliers d’hydrocarbures, mais son application doit s’apprécier au regard d’une autre question, celle de la délimitation de notre plateau continental et du calcul de l’étendue de la zone économique exclusive du Canada.

M. le rapporteur a précisé les différents éléments de ce dossier. Mais je tiens à rappeler qu’au nom de la commission des affaires étrangères, j’ai adressé au ministre des affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, une lettre appelant son attention sur la nécessité pour la France de ne pas laisser sans réaction officielle la revendication unilatérale du Canada modifiant son point de référence pour calculer l’étendue de sa zone économique exclusive.

Ne pas réagir à la prétention du Canada, telle qu’elle a été exprimée en 1996, il y a maintenant onze ans, a notamment pour conséquence d’enclaver Saint-Pierre et Miquelon dans la zone économique exclusive canadienne et, in fine, de remettre en cause l’exploitation conjointe de gisements d’hydrocarbures transfrontaliers.

La commission des affaires étrangères, très attentive à l’évolution de ce dossier, vous demande solennellement, monsieur le secrétaire d’État, de tenir le Parlement informé des démarches que la France entend entreprendre pour déclarer, d’une part, qu’elle ne reconnaît pas au Canada la fixation unilatérale de sa zone économique exclusive à partir de Sable Island et, d’autre part, qu’elle maintient fermement sa demande d’extension de son plateau continental devant les Nations unies. Cette demande d’extension doit impérativement, comme l’a rappelé le rapporteur, intervenir avant mai 2009. Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur la diligence du Gouvernement.

Sans le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères invite l’Assemblée à adopter ce projet de loi, qui constitue une avancée indéniable pour les intérêts de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Question préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je parlerai peu de l’objet très précis de ce protocole d’accord entre le Canada et la France, lequel porte sur d’éventuels différends qui pourraient surgir d’éventuelles découvertes d’hydrocarbures dans des zones dont aucun accord international n’a à ce jour précisé qui a le droit exclusif de les exploiter. Je voudrais donc vous faire part, puisque chacun aujourd’hui s’attache – nous l’avons vu à propos de la convention sur les brevets européens – à être « réaliste », de la façon dont je vois la « réalité » de l’énergie dans le monde et des conséquences que pourrait entraîner ce protocole.

Selon moi, une civilisation ne saurait survivre longtemps si elle ignore ou ne se prépare pas à la déplétion de sa base énergétique. C’est pourtant ce que semblent faire, non seulement la France, mais une bonne partie des gouvernements du monde. Il suffit de se référer au triomphalisme de la France, dans sa grandeur nucléaire, ou à la conviction d’autres pays que l’exploitation des combustibles fossiles, notamment les hydrocarbures, assurera leur croissance pour de nombreuses années.

Ainsi, dans l’ouvrage publié tous les ans vers le mois d’octobre par l’Agence internationale de l’énergie, qui fait référence en la matière, des centaines d’experts patentés – ingénieurs, économistes et géophysiciens – affirment qu’en 2020, en 2030 et même au-delà, toutes les énergies du monde vont croître. Quelle illusion pour nous, en tant que politiques, de croire que, dans les prochaines décennies, la production énergétique va croître, quelle que soit l’énergie primaire, le pétrole, le gaz, le charbon, l’hydro-électricité, la biomasse, voire l’uranium ! On tire des plans sur la comète, et dans tous les secteurs – technologique, économique, social, bref, politique – en croyant que cette croissance, à laquelle nous sommes drogués, notamment depuis la Seconde Guerre mondiale, va continuer pour encore longtemps.

La répartition de la consommation globale de la planète montre que la grande énergie du monde est le pétrole, pour environ 40 %. Deux autres se montent à 20 ou 22 % chacune : le gaz naturel et le charbon. Les seuls fossiles représentent donc de 82 à 84 % de l’énergie du monde, le reste étant constitué pour 3 % de nucléaire, de l’hydro-électricité et de la biomasse – c’est-à-dire le bois. Ce sont les fossiles, soit les hydrocarbures – pétrole et gaz –, qui font vivre notre planète, et notamment les pays de l’OCDE, de la manière qu’ils connaissent. Or j’aimerais vous prouver que, du point de vue de la pure logique matérielle, les choses vont considérablement évoluer, et dans un avenir suffisamment proche pour qu’on en prenne conscience et qu’on s’en occupe.

J’ai entendu aujourd’hui le Président de la République, M. Sarkozy, dire que la priorité absolue de la France était de mettre en place un New Deal écologique et économique, tout en évoquant le changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre et le protocole de Kyoto. Hier, le Président Bush en a également parlé, mais à sa façon, dans la mesure où les Américains n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto.

Je me rappelle avec une certaine émotion, voire un peu d’amusement, l’élection présidentielle de 1974, année du premier choc pétrolier. Je soutenais alors René Dumont, candidat à l’élection présidentielle, qui, vous le savez, n’a pas été élu. Nous parlions, nous écologistes, du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre. Autant vous dire que nous étions alors la risée absolue de la France médiatique et politique et du monde entier ! On nous conseillait de retourner jouer dans le bac à sable, avec nos histoires de changement climatique et de gaz à effet de serre, car ce qui comptait, c’était la croissance et la grandeur de la France…

Aujourd’hui, curieusement, les gens ne rigolent plus. Mais ce changement climatique, phénomène extrêmement sérieux puisqu’il va durer des siècles, n’est que la moitié du problème, la plus éloignée : il se mesure en décennies. On dit qu’à l’horizon 2050, il faudrait diviser par quatre, en France et en Europe, les émissions de gaz à effet de serre. Mais cela ne concerne que l’aval de la filière. Étrangement, peu de gens s’occupent de l’amont, soit l’autre moitié du problème, qui se mesure non en décennies, mais en années.

Parlons du pétrole, qui est la plus grande ressource énergétique du monde. Pour mesurer les réserves d’énergie fossile, tout le monde se fonde sur le ratio des réserves divisées par la production – considérant celle-ci comme égale à la consommation : les stocks ne sont pas pris en compte. Il en ressort que nous en aurions encore pour quarante-cinq ans de pétrole, soixante-quinze ans de gaz et deux cent cinquante ans de charbon. C’est un raisonnement totalement idiot, aux plans géologique, écologique, économique et énergétique.

Pourtant, c’est celui qui figure dans les rapports de l’AIE, cette agence publique mondiale, qui fait autorité en la matière : Claude Mandil, son ancien président, grand serviteur de la France, parle du ratio R sur P, en distillant la bonne parole comme quoi nous avons encore le temps. Or il n’en est rien ! Ce qui compte, notamment au plan économique, c’est le moment où la courbe de production va commencer à décliner. Vous savez, comme moi, que le pétrole n’est pas une énergie renouvelable, du moins à l’échelle humaine. Et la demande est en forte croissance, ce dont on accuse parfois les pays émergents. J’évoquerai la Chine et l’Inde dont la croissance économique est essentiellement fondée sur ces énergies qui ne coûtent rien, et notamment les énergies fossiles. Depuis un siècle et demi, l’énergie est quasiment gratuite : un litre de pétrole vaut moins cher qu’un litre d’eau en bouteille !

Cela va changer, parce que cette courbe de la production de pétrole qui ne cesse de croître depuis cent cinquante ans, va bientôt atteindre un pic, puis décliner. Mais quand ? Le sujet est controversé et ce que je vais vous dire ne fait pas l’unanimité.

La semaine dernière, j’étais à Cork, en Irlande, où 600 savants internationaux s’étaient réunis pour prévoir le moment précis où cette courbe atteindra un pic, pour ensuite décroître. La même chose se produira pour le gaz, puis pour le charbon. Mais s’agissant du pétrole, une chose est sûre, c’est que ce n’est pas pour après-demain : c’est pour demain matin ! Et ce phénomène devrait se produire très prochainement, sans doute en 2009 ou en 2010. Je vous rappelle que nous sommes à la fin de 2007. Et, quels que soient les efforts technologiques, les forages de puits horizontaux, la production assistée, l’injection de CO2 ou de détergents, au moment où la courbe de production va décroître, le monde changera. Vous avez pu constater que le prix du baril de pétrole a augmenté depuis 2002. Il était à moins de 20 dollars, contre 80 dollars aujourd’hui. Je ne doute pas que l’an prochain, a fortiori en 2009 et en 2010, nous regretterons amèrement le baril à 80 dollars de ce mois de septembre 2007.

Le choc sera géologique, économique et géostratégique. Le choc géologique, que je viens de décrire brièvement, a été conçu dès 1956 par un géophysicien américain, M. King Hubbert. À cette époque, les Américains étaient les rois du pétrole : ils en étaient à la fois les plus grands producteurs et les plus grands consommateurs. Ils en sont encore les plus grands consommateurs, mais n’en sont plus, loin s’en faut, les plus grands producteurs ou les plus grands exportateurs. Car, non seulement ils n’exportent plus, mais ils importent beaucoup.

King Hubbert – qui a travaillé quarante ans dans l’industrie pétrolière – a donc écrit un article mettant en garde les Américains contre la prochaine décroissance de leur production de pétrole. À l’époque, ses compatriotes n’ont pas cru à ses prédictions et l’ont gentiment traité de Nostradamus ! Comme prévu, quatorze ans après, en 1970, la production intérieure américaine commençait à décroître, et cela fait maintenant trente-sept ans – on peut dire que les chiffres sont avérés ! – qu’elle est en déplétion.

Ce type de méthode géophysique a été appliqué à d’autres régions du monde. Ainsi, la production de pétrole de l’Union européenne est-elle en décroissance depuis 1999. Nos amis Anglais le savent bien, qui aujourd’hui, importent du pétrole et ne perçoivent plus de royalties ! Alors qu’à l’époque glorieuse de l’exploitation pétrolifère en mer du Nord, dans les années 70 à 90, ils s’en mettaient plein les poches !

S’agissant de la production européenne de pétrole, le pic de Hubbert a donc été franchi en 1999.

M. Michel Piron. Vive le nucléaire !

M. Yves Cochet. Il en est de même pour la Russie qui, si elle reste un grand exportateur de pétrole, a atteint dès 1986 le maximum de sa production. Aujourd’hui, la déplétion est franche.

Les mêmes méthodes géophysiques – des équations différentielles – ont été appliquées aux gisements du monde entier. On en a conclu, avec quelques incertitudes – il serait évidemment absurde de citer une date précise –, que le pic serait franchi vers 2010, soit très bientôt.

Pendant ce temps-là, bien entendu, la demande ne cesse de croître. On en rend responsable la Chine et l’Inde, mais il faut considérer les chiffres per capita : alors qu’un Américain consomme en moyenne 25 barils de pétrole par an et qu’un Européen en consomme 12, un Chinois ne consomme que 2 barils, et un Indien, un seul !

Certes, les Chinois aspirent à vivre comme l’Occident. Ils ne veulent pas des Twingo, comme les prolétaires de la porte de Vanves, où j’habite, mais des 4×4, des Mercedes, des BMW… comme nous !

M. Benoist Apparu. Vous voulez un 4×4, vous ?

M. Yves Cochet. La voiture, grand émetteur de gaz à effet de serre, est d’ailleurs un bon exemple. Alors que la France compte 36 millions de voitures pour environ 60 millions d’habitants, la Chine, de son côté, compte 1,3 milliard d’habitants, soit plus que l’ensemble des habitants des pays de l’OCDE, mais seulement 30 millions de voitures. En supposant que ce pays prétendument émergent veuille atteindre notre taux d’équipement automobile – je ne parle même pas des postes de télévision, des réfrigérateurs, des mobylettes ou des téléphones portables –, il lui faudrait environ 600 millions de véhicules ! Mais cela n’arrivera jamais, je peux vous l’assurer. Jamais les Chinois ne vivront comme nous ; pas parce qu’ils n’en ont pas envie – au contraire –, mais pour des raisons matérielles : il n’y aura jamais assez d’acier, de platine, de pétrole, de ciment, de gaz, de gallium ou de molybdène ! C’est impossible ! Car toutes ces ressources, extraites du sous-sol, seront bientôt en déplétion, quand elles ne le sont pas déjà.

M. Nicolas Dhuicq. Il faut donc stopper les forages ?

M. Yves Cochet. Observons les chiffres mensuels de l’Agence internationale de l’énergie d’un côté, et de l’Energy information administration – qui dépend du département américain de l’énergie – de l’autre : ils indiquent que, depuis mai 2005, la production mondiale de pétrole conventionnel est en baisse, tandis que le total des liquides hydrocarbonés l’est depuis juillet 2006. Est-ce le pic ? Je ne sais pas. Il faudra plusieurs années pour s’en rendre compte. Mais si c’est le cas, le monde va beaucoup changer. Comme le disent certains de nos amis Anglais – y compris au sein du Gouvernement –, il nous faudra alors penser l’impensable.

À ce choc géologique va s’ajouter un choc économique. On parle beaucoup de mondialisation – à laquelle la France est supposée s’adapter. Or quelle est, en valeur et en volume, la marchandise la plus mondialisée ? C’est, de très loin, le pétrole, ressource aujourd’hui la plus précieuse au monde. Le marché du pétrole brasse chaque année des milliers de milliards de dollars – autre chose que des cacahuètes ! C’est la matière première mondialisée par excellence : les réserves sont là-bas, les consommateurs ici. Il ne suffit donc pas d’exploiter les champs, il faut aussi faire venir la production par tanker ou pipeline.

Alors que, depuis un siècle et demi, nous vivions d’un pétrole quasiment gratuit – le prix médian du baril sur la période s’établit à 17 dollars de 2007, autant dire rien –, les prix sont en train de s’envoler. Pendant un siècle et demi, les gloutons, les voraces, c’est-à-dire essentiellement les pays de l’OCDE, ont réclamé sans cesse plus de pétrole, et les robinets ont été largement ouverts. Mais la courbe de l’offre, de la production, de la supply, est en train de décroître, croisant celle de la demande qui, elle, ne cesse de croître. La demande devient structurellement supérieure à l’offre, car aujourd’hui, les gloutons se trouvent aussi en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud. Et il n’y en aura pas assez pour tout le monde, car il se produira alors ce que les Américains, en économie, appellent la destruction de la demande.

Comme vous le savez, la Birmanie connaît ces temps-ci des mouvements sociaux. Ces manifestations ont débuté notamment en raison de la hausse du prix du carburant, que les Birmans, très pauvres, ont de plus en plus de difficultés à se procurer. Il en est de même dans de nombreux pays, où le pétrole est indispensable pour survivre. Dans un village du Burkina Faso, ou du Zimbabwe, la seule manière d’avoir de l’électricité, et donc d’alimenter le dispensaire, le poste de télévision ou l’école, c’est d’utiliser un générateur diesel. Quand vous ne pouvez plus acheter de carburant, vous mourez !

Et ne croyez pas que les prix vont baisser, comme lors du contre-choc en 1986 ! Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 étaient politiques : il s’agissait de savoir qui, de Riyad ou de Houston, prendrait le leadership mondial pour fixer le prix du baril. Mais maintenant que la demande est structurellement supérieure à l’offre, tout cela est terminé.

À ce double choc, géologique et économique, s’en ajoute un troisième, géopolitique, qui différencie également la période que nous vivons de celle des années 70.

M. Nicolas Dhuicq. Lisez Le camp des saints, de Jean Raspail : c’est une saine lecture !

M. Yves Cochet. Ainsi, la guerre en Irak – comme d’ailleurs la guerre du Golfe, en 1991 – est-elle due au pétrole, comme nous le savons tous depuis 2003. Bien sûr, certains ont voulu la justifier par la dictature de Saddam Hussein. Mais la moitié des pays membres de l’ONU sont des dictatures. Alors, pourquoi aller là plutôt qu’ailleurs ?

M. Benoist Apparu. Il ne faut pas exagérer !

M. Yves Cochet. Ensuite, on a prétendu que le président irakien possédait des armes de destruction massive. Mais tous ces arguments n’ont pas tenu bien longtemps. En fait, comme le disait la semaine dernière Alan Greenspan, dont la lucidité est bien connue, les Américains ont envahi l’Irak parce qu’on y trouve du pétrole – qui plus est à bas coût d’extraction. On peut toujours explorer les bassins sédimentaires à la recherche de gisements, mais le pétrole polaire ou off shore, les huiles lourdes de l’Orénoque, les sables bitumeux de l’Athabasca, au Canada, tout cela coûte cher à extraire et réclame de gros investissements énergétiques et financiers. Le pétrole à bas coût d’extraction, c’est sur les rives de la Caspienne et autour du Golfe persique qu’on le trouve. Là se trouvent les trois quarts des réserves mondiales de pétrole bon marché. Grattez le sable de la Mésopotamie, il en jaillit aussitôt. Comme les Américains le reconnaissent ouvertement maintenant, ce n’est pas le sort des Irakiens qui leur importait : ils en ont tué par centaines de milliers. Le million de morts depuis 1991 compte pour du beurre. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Non, leur vision de l’Irak, c’est un immense camp militaire américain assis sur une immense accumulation de pétrole. Voilà ce qui les intéressait. D’ailleurs, Dick Cheney et George Bush, eux-mêmes magnats du secteur, ne s’y sont pas trompés : ils connaissent l’odeur du fric et du pétrole.

Bref, pour résumer, d’un point de vue géostratégique, le pétrole, c’est la guerre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Là où il y a du pétrole, il y a la guerre, comme on le voit en Asie mineure.

La Chine, elle, ne s’approvisionne pas sur les marchés spot, que ce soit à Rotterdam ou ailleurs, préférant les contrats directs, comme pour le charbon et le gaz. Elle s’adresse à Hugo Chavez, aux Qataris, aux Iraniens, et conclut des contrats de dix, vingt ou trente ans, pour lesquels sont investis des milliards de dollars. Elle anticipe les évolutions futures. La semaine dernière, en Irlande, j’ai rencontré des Chinois qui, faisant allusion aux vastes réserves de charbon que possède leur pays, affirmaient que celui-ci pourrait toujours, en cas de pénurie de pétrole, produire du gaz liquide ou même du charbon liquide – plus exactement, du CTL, coal to liquid, issu de la liquéfaction du charbon. Mais en réalité, même la Chine abandonne cette technique, qui coûte très cher et est fortement émettrice de gaz à effet de serre. Cette voie ne mènerait qu’à une catastrophe économique et environnementale.

Comme dirait M. de la Palice, le gaz est gazeux et le charbon, solide ; malheureusement, ce qui compte, c’est l’énergie sous forme liquide. La solution n’est certes pas le « pétrole vert » inventé il y a deux ans par M. de Villepin. Quel aveuglement ! En Europe, où l’on a trop d’essence et pas assez de diesel, il ne faut surtout pas produire de l’éthanol. Quitte à produire des agrocarburants, il aurait mieux valu s’orienter vers la production d’huile. Mais il n’est certes pas étonnant que les lobbies des betteraviers et céréaliers, grands amis de l’UMP, aient fait pencher la balance vers l’un plutôt que l’autre.

Dans ce contexte mondial, que peut-on faire pour protéger notre pays et l’Europe ? Une partie de mes amis – voyez comme je peux faire preuve d’autocritique à l’égard de mon propre camp – appelle à développer les énergies renouvelables mais, en voulant remplacer une offre déclinante par une nouvelle offre, ils restent dans le fantasme productiviste. Il faut tenir compte du potentiel des renouvelables : si je ne les ai même pas cités dans la composition de la production énergétique mondiale, c’est qu’ils représentent moins de 0,5 % ! J’adore les éoliennes, l’énergie solaire, le photovoltaïque. Mais il aura fallu développer tout cela il y a trente ans ! Nous ne pouvons plus rêver à ce que sera le monde en 2030, car le compte à rebours a commencé. Par conséquent, il faut…

M. Michel Piron. Développer le nucléaire !

M. Jean Proriol. Et l’hydraulique !

M. Yves Cochet. À ce que je vois, l’étroitesse de vues continue de régner sur vos bancs. Le développement du nucléaire, c’est en effet ce que proposait, hier, M. Sarkozy. J’ai même entendu qu’il était prêt à vendre du nucléaire civil à presque tous les pays du monde – y compris à l’Iran, probablement…

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Yves Cochet. Encore une naïveté de la part de ceux qui ignorent le deuxième principe de la thermodynamique et l’état des réserves d’uranium. D’abord, je le répète, le nucléaire représente moins de 3 % de la production d’énergie dans le monde. Ensuite, qui maîtrise le nucléaire civil maîtrise le nucléaire militaire.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas vrai !

M. Yves Cochet. Il faut être benêt pour penser le contraire – mais passons.

M. Philippe Vitel. Développons ITER ! La fusion !

M. Yves Cochet. Dans ces conditions, que faire, comme disait Lénine il y a à peu près un siècle ?

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Nous n’avons pas les mêmes références !

M. Yves Cochet. Quelle est la bonne politique pour la France, si nous voulons assurer la sécurité de nos concitoyens, permettre un approvisionnement énergétique et anticiper les évolutions possibles à l’horizon 2010-2020, le tout en préservant la paix ? Il ne faut pas croire que des énergies alternatives abondantes et bon marché pourront se substituer facilement aux énergies fossiles déclinantes. Le prétendre serait mentir.

M. Benoist Apparu. Quelle est la solution, alors ?

M. Yves Cochet. Il ne sert à rien de faire appel à une nouvelle politique de l’offre pour remplacer l’ancienne.

Il faut une politique de sobriété.

M. Benoist Apparu. Ah ! L’abstinence !

M. Yves Cochet. Une telle politique a même été décrite par l’AIE. Certes, j’ai beaucoup à redire à propos de cette institution, dont le scénario de référence – auquel, bien entendu, je ne crois pas – prévoit, à l’horizon 2030, une production de pétrole et de gaz toujours en croissance. Elle a pourtant publié, il y a deux ans, un autre document, que certains d’entre vous ont peut-être consulté : Saving Oil in a Hurry – pardonnez-moi de le citer en anglais, mais, hélas, l’Agence ne publie qu’en cette langue, contrairement à l’Office européen des brevets.

M. Jacques Myard. Il faut protester !

M. Yves Cochet. Sans doute.

Traduit en français, cela donne : « Comment économiser le pétrole rapidement ? ». Ce document propose une douzaine d’orientations destinées au pays riches, ceux de l’OCDE – puisque l’AIE est au service de ces grands consommateurs. Voici quelques-unes des mesures que propose cet ouvrage – c’est autre chose que le Grenelle de l’environnement !

Je ne vous citerai, parmi la douzaine de mesures, que quelques-unes des plus remarquables.

Tout d’abord, la speed restriction, qui signifie l’abaissement des vitesses maximales sur les routes, les autoroutes et en ville. Certaines ONG associées au Grenelle de l’environnement considèrent qu’il faudrait abaisser la vitesse de 130 à 120 kilomètres-heure. Non, c’est à 100 kilomètres-heure qu’il faudrait fixer la limite, comme le propose d’ailleurs l’AIE. Actuellement, la France – et vous me direz si je me trompe – consomme à peu près 96 millions de tonnes de pétrole par an. Si l’on suivait l’AIE, le gain serait donc quasiment de 8 %, et ce immédiatement. Le Premier ministre peut, du jour au lendemain – nous sommes le 26, donc, dès demain matin – prendre un décret abaissant la vitesse maximale sur les autoroutes de 130 à 100 kilomètres-heure. L’économie serait considérable et représenterait immédiatement 8 ou 9 millions de tonnes de pétrole. La sobriété énergétique est donc très efficace pour économiser le pétrole. Vous savez que nos importations de pétrole et de gaz représentent chaque année 50 milliards d’euros ! Ce n’est pas n’importe quoi ! On nous répond alors que c’est, certes, vrai parce que notre pays est dépendant du pétrole à 100 %, mais qu’il est heureux qu’il ait une indépendance énergétique grâce au nucléaire. Or c’est totalement idiot : nous sommes dépendants à 100 % que ce soit au niveau du nucléaire, du pétrole ou du gaz, la France ne possédant plus de mines d’uranium depuis très longtemps. Donc, entendre parler de l’indépendance de notre pays grâce à l’énergie nucléaire me fait « marrer ».

La deuxième proposition de l’AIE, dont vous me direz qu’elle est restrictive parce qu’elle concerne les libertés publiques, tend à interdire aux propriétaires privés – donc aux familles – de rouler le dimanche. C’est évidemment très efficace. En 1973, l’Europe a connu son premier choc pétrolier et a dû envisager ce type de mesure ! M. Jouyet s’en souvient encore ! Cela ne faisait rire personne ! Nous avions l’impression de vivre dans un monde cornucopien, où l’abondance est infinie. Hélas, non ! Je ne rêve pas ! Je ne fais pas forcément de lyrisme. Je me contente d’étudier les chiffres de l’AIE, de l’IEA ou de l’OMC sur les tableaux Excel.

Dernière mesure : l’ouvrage propose le rationnement des ressources. Quel gros mot ! Savez-vous qu’en matière de carbone, on connaît déjà le rationnement : il s’agit du PNAQ : le plan national d’affectation des quotas. Les industriels – et malheureusement uniquement eux, je me demande pourquoi – sont rationnés sur leurs installations fixes. Ils n’ont pas le droit d’émettre trop de gaz à effet de serre. Ainsi, est apparu un système d’échange, un marché européen du rationnement des émissions de gaz à effet de serre. Auparavant, la pollution était libre et gratuite, maintenant, elle est payante.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Yves Cochet. Je vais conclure dans quelques instants, madame la présidente.

Mme la présidente. Soyez sobre !

M. Yves Cochet. Je vais l’être !

Mme la présidente. Rationnez-vous !

M. Yves Cochet. Nous en reparlerons de toute façon !

Le gouvernement anglais envisage d’instaurer une carbon card permettant de faire le plein à la station-service. Elle fonctionnerait comme les cartes téléphoniques. Une fois le quota atteint, il serait impossible de prendre de l’essence. Ce serait socialement beaucoup plus juste. Actuellement, en effet, nous connaissons déjà le rationnement : il s’agit du système des revenus et des prix. Ainsi, une personne riche ne se rationne pas, mais une pauvre a du mal à rouler avec sa vieille diesel de dix ans et regarde le prix à la pompe ! Le système de la carbon card responsabiliserait chacun face au prix du pétrole et aux émissions de gaz à effet de serre. Telle est l’idée que je vous soumets, monsieur le secrétaire d’État.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Cochet.

M. Yves Cochet. J’ai discuté avec Mme Girardin, mais je ne suis pas véritablement convaincu par les arguments qu’elle entend développer. On croit que l’on va explorer et éventuellement découvrir. Or, pour le moment, on n’a rien exploré et on n’a rien découvert. Mais il y a un délai. Le temps en matière d’hydrocarbures et d’énergie est très précieux ! Ne croyez pas que l’on pourra changer en cinq ans la composition énergétique mondiale que j’ai décrite il y a vingt-cinq minutes. Vingt ans, trente ans, voire quarante ans seront nécessaires pour se passer d’hydrocarbures ! Si l’on ne démarre pas tout de suite la sobriété énergétique, notamment la sobriété fossile, ce sera la guerre ! Notre rationnement se produira dans des conditions plus difficiles que celles qu’ont connues les États-Unis d’Amérique, qui ont été, bien que tardivement, le pays le plus courageux. Alors qu’ils produisaient un million de voitures en 1941, ils n’en ont fabriqué aucune en 1942.

Mme la présidente. Concluez, monsieur Cochet.

M. Yves Cochet. Le grand président Roosevelt a, en effet, considéré que, après les événements de Pearl Harbor en décembre 1941, les États-Unis ne pouvaient pas continuer ainsi. Ils ont ainsi mis en place une économie de guerre. Si l’on ne veut pas que notre pays soit sensible au Peak Oil, il faut réaliser une économie beaucoup plus sérieuse et renoncer au niveau actuel de consommations. Telle n’est pas, hélas, l’orientation de ce gouvernement !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur Cochet, je ne suis pas mathématicien et encore moins géologue. J’ai néanmoins pris beaucoup de plaisir à vous écouter.

Je souhaite que vous développiez vos thèses, notamment celles relatives à la nécessité d’avoir des contrats à long terme auprès de la Commission européenne dans différents domaines. Cela nous sera profitable. Nous prenons effectivement en compte cette nouvelle dimension écologique. Nous ne pouvons pas dire que ce soit les ambitions qui manquent puisque nous ne sommes pas au terme du Grenelle de l’environnement. J’invite donc à ce que ces thèses soient développées dans ce cadre. Le pic pétrolier nous est annoncé, comme vous l’avez d’ailleurs précisé, depuis un certain nombre d’années. Comme vous le savez aussi, nous devons prendre en compte les nouvelles découvertes et les nouvelles technologies. Vous avez évoqué la diminution de la consommation, élément essentiel dans le secteur des transports, de l’habitat et dans la gestion des quotas au niveau européen. L’énergie sera l’une des priorités de la prochaine présidence française. Nous aurons donc à nouveau l’occasion d’en débattre, notamment à propos du nucléaire civil. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais plus modestement revenir à l’accord du 17 mai 2005 en discussion ce soir. Il porte sur la coopération franco-canadienne en matière d’hydrocarbures.

Je n’entrerai pas dans le détail de cet accord, le rapporteur l’a très bien fait. Mais cet accord nous inspire deux réflexions. Premièrement, il offre des perspectives de développement économique particulièrement intéressantes pour l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Deuxièmement, il pose la question de la délimitation du domaine maritime français.

À cet instant de mon intervention, je tenais à saluer l’action constante de notre ancien collègue Gérard Grignon, qui, au cours des précédentes législatures, s’est exprimé à de nombreuses reprises dans cet hémicycle et a défendu, avec cœur et détermination, la préservation des intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont aussi ceux de la France.

Dans le contexte mondial énergétique que nous connaissons, cet accord revêt une importance économique capitale pour la France et pour l’archipel. La zone économique exclusive française est, en effet, située en plein cœur des réserves importantes d’hydrocarbures off shore, principalement de gaz. Les provinces atlantiques comme Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse qui, tout comme l’archipel, ont souffert de la crise de la pêche sont aujourd’hui en pleine croissance économique, compte tenu des retombées financières de l’exploitation des champs d’hydrocarbures : c’est exemple de la transformation de l’aéroport d’Halifax et du développement des ports de Terre-Neuve pour l’avitaillement des plates-formes. Il y a deux ans, leur taux de croissance était de 6 %. C’est pour nous une véritable opportunité. L’exploitation des gisements de pétrole et de gaz étant en pleine expansion dans ce secteur géographique, il est tout à fait normal que Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie d’une partie de ces ressources transfrontalières. C’est un enjeu vital pour l’archipel, pour nos 7000 compatriotes. L’avenir économique de Saint-Pierre-et-Miquelon en dépend.

Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, l’activité économique de l’archipel, uniquement orientée vers la pêche et la transformation de la morue, est en déclin en raison de la délimitation de la zone économique exclusive – secteur où la ressource halieutique est peu importante – et des quotas de pêche, très bas, fixés par les autorités canadiennes. Je me permets de rappeler que notre ancien collègue fut l’hôte des geôles canadiennes. L’exploitation des hydrocarbures permettrait donc de diversifier l’activité économique de l’archipel. Encore faut-il être certain que la loi canadienne sur le cabotage – l’Atlantic Act – ne s’applique pas dans les zones transfrontalières d’hydrocarbures. C’est un point important pour le développement de l’activité portuaire de l’archipel en matière d’avitaillement des plates-formes. Cet accord revêt également une importance extrême, car il pose la question du plateau continental. C’est là un sujet de droit maritime international complexe et, pour nos relations avec nos voisins canadiens, diplomatiquement sensible.

Or l’accord peut avoir de graves conséquences pour notre prétention à nos droits sur le plateau continental comme le prévoit la convention des Nations unies sur le droit de la mer. Elle permet à la France de revendiquer l’extension de sa juridiction, au-delà des 200 milles marins, jusqu’à la limite du plateau continental. La détermination du champ spatial de l’accord pose, en effet, problème, notamment au sud du « couloir » déterminé par la décision du tribunal de New York du 10 juin 1992, décision reconnaissant à la France le droit de disposer d’une zone économique exclusive. L’imprécision et 1’ambiguïté des termes employés dans l’accord risqueraient de faire obstacle à nos droits sur le plateau continental. L’État français doit être vigilant sur ce point et cette partie de l’accord doit faire l’objet d’une déclaration interprétative. En tout état de cause, monsieur le secrétaire d’État, la ratification de l’accord du 17 mai 2005 ne peut être considérée comme une renonciation de la France à ses droits à l’extension du plateau continental et nous souhaiterions avoir les assurances du Gouvernement sur ce point.

En outre, la demande d’extension du plateau continental au large des côtes de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, au-delà des 200 milles marins, doit être déposée avant mai 2009 auprès de la Commission des limites du plateau continental. Dans cette perspective, la France doit pouvoir mener à bien les recherches scientifiques marines nécessaires à l’établissement de sa demande. Des relevés scientifiques, programmés dans le cadre des campagnes EXTRAPLAC, doivent être effectués dans les eaux sous juridiction canadienne et une approche concertée entre la France et le Canada s’impose. Monsieur le secrétaire d’État, la France a-t-elle bien l’intention de déposer ce dossier, bien que le Canada refuse de reconnaître les droits de Saint-Pierre-et-Miquelon à un plateau continental prolongé et menace l’avenir de la négociation des accords de coopération régionaux ? Le Gouvernement, sous la précédente législature, s’y était engagé. Pourriez-vous nous préciser quel est l’avancement du dossier et des discussions avec le Canada, afin que l’IFREMER puisse entreprendre ses relevés dans les meilleurs délais ? Car, si la France ne dépose pas ce dossier, la zone économique française sera enclavée dans l’espace canadien, ce qui, à terme, risque de compromettre la présence française dans cette partie du monde. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi autorise l’approbation d’un accord d’une importance capitale pour les intérêts français. Il ne se limite pas seulement à des considérations économiques, il pose aussi une question diplomatique et territoriale qui ne concerne rien de moins que la souveraineté territoriale de la France.

Notre collègue Yves Cochet a eu l’occasion de nous parler des enjeux écologiques de l’accord. Nous partageons cette préoccupation. Les futurs accords, qui constitueront la déclinaison au cas par cas de celui-ci, devront impérativement prendre pleinement en compte les impératifs écologiques.

J’aimerais pour ma part, de façon complémentaire, rejoindre l’avis sagement retenu par les membres de la commission, ainsi que par M. le rapporteur, dont je salue à cette occasion les travaux, et vous expliquer en quoi cet accord, au-delà de son importance primordiale pour la survie économique de Saint-Pierre-et-Miquelon, est inséparable de la question, encore non résolue à ce jour, de la délimitation des zones maritimes au large de nos îles.

Je voudrais aussi souligner l’intérêt indéniable de cet accord pour concrétiser les espoirs que nourrit la population de notre archipel dans le développement des activités liées à la recherche et à l’exploitation des ressources en hydrocarbures au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Saint-Pierre-et-Miquelon, faut-il le rappeler, traverse une crise d’ampleur sans égale depuis l’arrêt brutal des activités de pêche il y a quinze ans. Nous subissons encore aujourd’hui de plein fouet les conséquences de l’échec de la France face au Canada devant le tribunal arbitral international de New York. Depuis le verdict de 1992, la crise s’est installée dans la durée et le manque de perspectives a engendré un climat de morosité paralysant, qui prévaut encore à l’heure actuelle.

Notre archipel est caractérisé aujourd’hui par une économie en chute libre dans tous les secteurs : une inflation dite modérée, avec une augmentation annuelle de 5,7 %, après 8,1 % entre décembre 2004 et décembre 2005 ; une voirie délabrée, des équipements et des structures publics dégradés, y compris en termes de sécurité et d’hygiène, faute de moyens pour les entretenir ; une absence récurrente de prise en compte des spécificités de Saint-Pierre-et-Miquelon dans les dispositifs d’aide mis en place pour les outre-mer, dont, au premier rang, le fonds de péréquation, ou encore la continuité territoriale, tous deux construits sur des critères insensibles à la situation et aux contraintes propres à notre archipel ; enfin, des dotations aux collectivités manifestement insuffisantes au regard des coûts structurels incompressibles et du faible nombre de foyers fiscaux.

Il en résulte une situation de déficit chronique, accompagné d’une dette accablante pour ces collectivités et une impossibilité de dégager les marges de manœuvre nécessaires à leur participation dans la relance de l’économie de l’archipel.

Dans de telles conditions, la perspective d’un développement lié aux activités d’exploitation des hydrocarbures se présente comme l’unique espoir de sortir du marasme, et cet accord constitue une avancée fondamentale dans cette perspective.

Cet accord est tout aussi important dans le cadre de l’intégration nécessaire de Saint-Pierre-et-Miquelon dans son environnement régional. Il fixe un cadre et constitue un précédent, ce qui œuvre en faveur du maintien des excellentes relations franco-canadiennes que nous connaissons actuellement, et cela sans préjudice de la défense réciproque d’intérêts inévitablement contradictoires.

Cependant, et au-delà des mérites de son contenu, l’accord pose des questions territoriales qui doivent impérativement être abordées. À ce titre, les travaux de la commission reconnaissent, pour la première fois, le caractère abusif de la modification unilatérale apportée par le Canada en 1996 à ses frontières maritimes.

En effet, la sentence arbitrale du 10 juin 1992 laissait ouverte la possibilité d’un plateau continental français au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, en établissant notamment pour la France une zone économique exclusive contiguë aux eaux internationales et au plateau continental en question.

C’est une décision unilatérale canadienne, prise par le biais de la loi sur les océans de 1996 et ses décrets d’application, qui a effectivement enclavé la zone française dans la zone économique exclusive canadienne.

À cette occasion, les autorités canadiennes ont pris comme nouveau point de repère pour le calcul de leur zone économique l’île de Sable, un haut fond émergé à 100 milles nautiques des côtes canadiennes les plus proches.

La nouvelle zone ainsi délimitée enclave entièrement la zone économique française au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet enclavement constitue de ce fait le meilleur argument canadien contre toute prétention française pour la défense de nos droits sur ce plateau continental.

Il n’est pas indifférent de remarquer que, dans ses écritures devant le tribunal arbitral de 1989 à 1992, le Canada a explicitement refusé d’évoquer l’île de Sable, de manière à empêcher que le tribunal ne se prononce sur une délimitation au-delà de 200 milles nautiques. Ainsi le Canada a-t-il déclaré : « L’île de Sable n’entre tout simplement pas en ligne de compte. Elle ne fait pas partie des côtes pertinentes, que ce soit comme point de base ou à un autre titre. »

Ces déclarations contentieuses sont évidemment à rapprocher de la loi et du règlement canadiens de 1996. On peut voir dans ces opinions successives une contradiction, pour ne pas dire une stratégie fondée sur la duplicité.

Cette modification unilatérale, qui lèse directement les intérêts économiques et territoriaux de la France, n’a jamais officiellement été mise en cause par celle-ci. Elle doit l’être aujourd’hui.

Cette modification doit être contestée car, en l’absence d’une telle contestation, et en dépit des garanties établies à son article 19, l’accord qui nous est soumis pour approbation risque de constituer une reconnaissance par défaut de cette situation par la France.

En effet, dans son préambule, cet accord précise que la France reconnaît « que les parties ont adopté des lois, des règlements et d’autres mesures de gestion, afin de conserver les ressources naturelles de leurs zones maritimes respectives ». C’est donc reconnaître implicitement la loi sur les océans adoptée par le Canada en 1996, et, par conséquent, la nouvelle délimitation à partir de l’île de Sable.

Je ne vous propose pas ici une opération vaine ou symbolique, car la modification unilatérale canadienne est en effet éminemment contestable en droit.

L’île de Sable est inhabitée, aux contours instables, et elle se situe à 100 milles nautiques de la côte canadienne la plus proche. Elle ne satisfait pas aux conditions posées par la jurisprudence de la Cour internationale de justice pour servir de base à une réclamation territoriale, comme le montre l’étude de l’arrêt « Qatar contre Bahreïn » du 16 mars 2001. La contestation qui s’impose est donc fondée et légitime.

Enfin, cette modification doit être contestée, car refuser d’agir reviendrait à nier aux habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon un quelconque avenir pour leur archipel. Le maintien des conditions économiques de survie a toujours été la logique fondamentale des rapports territoriaux dans la région. C’est ainsi que la France a maintenu pendant longtemps des droits de pêche sur ledit french shore de Terre-Neuve, indépendamment de toute possession territoriale.

C’est ce principe d’activité et de survie économique que la France n’a pas su défendre lors du jugement arbitral de 1992, et c’est ce qu’elle doit absolument rectifier aujourd’hui.

Avec le développement prévisible de l’exploitation des hydrocarbures dans la zone en question, il serait incompréhensible que la France n’agisse pas pour préserver ses droits.

En conclusion, adopter cet accord sans aucune contestation ne laisserait à la France que deux options : soit abandonner toute prétention à faire valoir ses droits souverains sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, hypothéquant ainsi toute perspective de survie à long terme pour notre archipel ; soit s’engager dans une procédure contentieuse lourde, plus complexe que nécessaire, davantage préjudiciable aux bonnes relations franco-canadiennes, au cours de laquelle la France souffrirait d’un sérieux handicap du fait de l’enclavement non contesté de sa zone économique exclusive dans la zone canadienne.

Aucune de ces deux options n’est pour nous, envisageable et nous refusons de nous y résoudre.

Nous soutenons l’accord lui-même. Il constitue, je me permets de le réaffirmer, un élément prometteur en faveur du développement économique de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il renforcera également les liens économiques et les bonnes relations entre la France et le Canada, plus importants que jamais.

Toutefois, conscients du risque implicite que pose cet accord pour les intérêts territoriaux français, nous devons demander au Gouvernement d’adopter la seule position qui permette de conjuguer les deux impératifs que sont la défense des droits de la France et le respect de nos amis et partenaires Canadiens.

À l’occasion de la ratification de cet accord, la France doit se positionner clairement en contestant la modification unilatérale de la zone économique canadienne opérée en 1996. C’est une nécessité pour la survie économique de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est aussi la condition du succès de la demande d’extension de la souveraineté française sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, que le Gouvernement s’est engagé à préparer et à déposer avant la date limite de mai 2009.

M. le rapporteur, tout comme la commission, a rejoint cette position.

Au nom de la défense des intérêts français, au nom de la survie de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, je vous exhorte, monsieur le secrétaire d’État, à procéder sans délai à cette contestation, sans laquelle je serai, en tant que représentante de mon groupe, dans l’impossibilité de voter ce projet de loi, par ailleurs satisfaisant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, ainsi que du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. C’est un problème très complexe sur le plan juridique.

Madame Girardin, vous souhaiteriez une déclaration interprétative de nature à préserver les droits de l’archipel à revendiquer un plateau continental étendu au sud de la zone économique exclusive, mais c’est une démarche extrêmement difficile au regard du droit des traités et elle n’est pas envisageable car elle serait sans effet au regard du but recherché.

Comme vous l’avez noté et comme l’ont rappelé également le président et le rapporteur de la commission, l’accord qui vous est soumis ne comporte pas d’article spécifique relatif au champ d’application territorial. Le problème est de savoir si le Canada respecte la zone économique exclusive française. Dans l’état actuel du droit, on ne peut la modifier. Elle a été définie en 1976, et, à l’époque, pour délimiter la zone de pêche canadienne, on prenait déjà l’île de Sable comme ligne de base. Le tribunal arbitral, en 1992, n’avait pas pour mandat de remettre en cause cette donnée. Il a défini une zone pertinente entre le Cap-Breton et le cap Ray, ce qui sert uniquement à définir le caractère équitable des surfaces attribuées qui sont indexées à la longueur des côtes.

Sans accord avec les Canadiens, nous ne pouvons progresser sur ce dossier, et c’est d’ailleurs la raison d’être de cet accord sur les hydrocarbures. C’est en développant ce type d’accord que nous essayons de trouver une solution concernant la zone économique exclusive.

Vous m’avez demandé, comme M. Poniatowski, si nous avions l’intention de déposer un dossier pour l’extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous en avons effectivement l’intention. Saint-Pierre-et-Miquelon est toujours dans la liste préparatoire pour la campagne scientifique de l’IFREMER, qui doit procéder au relevé topographique et hydrographique nécessaire à la constitution des dossiers. Cette décision doit faire l’objet de réunions interministérielles. La date butoir du dépôt du dossier à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU est mai 2009. Si le délai est aussi long, c’est parce que le dossier doit être normalisé par la Commission. Il faut établir de manière incontestable la position du rebord extrême du plateau continental. Nous devons donc apporter des éléments de preuve scientifique, de mesure sismique, gravimétrique. Ils sont complexes à recueillir, d’où le délai donné par la Commission pour faire droit aux revendications que vous portez légitimement, madame Girardin, de même que M. Poniatowski, qui a écrit à ce sujet au ministre des affaires étrangères.

Dans ce but, nos efforts emprunteront deux voies : faire droit à ces revendications, en recueillant par le biais de l’IFREMER – et je réponds par là également à M. Birraux – le maximum de relevés prouvant notre bon droit à l’extension du plateau continental ; d’autre part, tirer profit du bon climat qui règne, comme vous l’avez souligné, entre les autorités canadiennes et nous-mêmes sur ces sujets pour rechercher une solution coopérative. En tout état de cause, nous conservons la possibilité de constituer un dossier à l’appui de cette arme ultime : une demande, déposée d’ici mai 2009 auprès des Nations unies, d’extension du plateau continental et la préservation de la zone économique exclusive de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Girardin, monsieur Birraux, les précisions que je souhaitais vous apporter ce soir.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

J’appelle maintenant l’article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. J’entends bien, monsieur le secrétaire d’État, l’ensemble de votre argumentaire, d’autant que c’est celui que cette assemblée entend depuis trois ou quatre ans. Mais ma question était précise : elle portait sur la décision unilatérale prise par le Canada en 1996. Vous ne pouvez pas nier qu’en ne contestant absolument jamais la décision canadienne depuis 1996 – depuis 1996 ! – nous offrons aux Canadiens l’argument essentiel à opposer à notre demande d’extension du plateau continental. Or la modification unilatérale décidée par le Canada est contraire à la sentence arbitrale rendue par le tribunal de New York en 1992 et n’avait précisément pas d’autre but que de nous enlever la possibilité d’accéder au plateau continental.

La France s’engage donc aujourd’hui dans la voie d’un combat juridique faute de prendre une position simple : déclarer qu’elle ne reconnaît pas la décision unilatérale prise par le Canada en 1996.

Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, si j’entends bien vos arguments, je réserve encore mon vote. Je préférerai pour l’instant m’abstenir plutôt que de voter un texte qui pourrait constituer à l’avenir un obstacle à l’extension de notre plateau continental.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je voudrais, madame la présidente, dans un souci de clarification et pour éviter qu’il y ait toute ambiguïté sur le vote, répondre aux interrogations légitimes de Mme Girardin.

Ce que je comprends, c’est qu’en l’état actuel de notre interprétation juridique, qui mérite peut-être d’être approfondie, cette déclaration unilatérale n’a pas modifié la zone économique exclusive telle qu’elle a été définie en 1976. Je vous propose cependant, madame la députée, ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, d’étudier ce dossier avec les experts juridiques du ministère des affaires étrangères, pour voir si notre interprétation est la bonne et confronter nos arguments juridiques. Les éléments nouveaux que vous avez exposés se soir permettront peut-être de rouvrir l’analyse de la décision unilatérale de 1996 et de ses conséquences.

Je le dis devant la représentation nationale : je suis pour ma part tout à fait disposé à étudier cette question importante. Notre sentiment est qu’il n’y a pas eu de changement, mais nous ne souhaitons pas baisser les bras. C’est pour cela que je propose ce soir que nous procédions, avec vous et avec la commission des affaires étrangères, à une étude juridique beaucoup plus approfondie, afin d’essayer de mieux nous comprendre sur cet aspect des choses.

Voilà ce que je peux vous proposer : je prends devant vous l’engagement de coopérer et de rouvrir l’analyse juridique.

Mme la présidente. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le secrétaire d’État, car je partage évidemment, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, le souhait de Mme Annick Girardin. Je remercie également beaucoup le président Poniatowski d’avoir pris l’initiative, à la suite du bon débat de la commission des affaires étrangères, d’adresser à l’exécutif une lettre forte.

Pour avoir présidé pendant de longues années l’association interparlementaire France-Canada, poste auquel Marc Laffineur m’a succédé depuis quelques années, je connais la tradition d’alliance privilégiée qui unit notre pays au Canada, et j’ai observé que, depuis 1981 – vous avez fait référence à 1976 –, c’est-à-dire depuis l’abandon du contentieux du fameux « Québec libre », un seul dossier litigieux, mais ô combien pénalisant pour la France, entache l’excellence de nos relations : celui de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la pêche, que nous traînons depuis des années, et dans lequel les gouvernements canadiens successifs ont manifesté une attitude contraire à l’esprit que nous percevons habituellement chez ce pays ami, un des pays préféré de nos compatriotes.

Je crois, monsieur le secrétaire d’État, que l’engagement que vous prenez devant nous, associé à la démarche du président Poniatowski, est susceptible de faire avancer ce dossier. Ce serait vraiment remarquable tant les arguments avancés avec talent par la nouvelle élue de Saint-Pierre-et-Miquelon nous ont convaincus les uns et les autres.

J’ajoute une dernière chose. Une tradition établie au moins depuis le gouvernement de Pierre Mauroy veut que tout nouveau Premier ministre consacre à ce pays ami l’un de ses premiers voyages. Tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont respecté cette tradition. Eh bien ! voilà un bon dossier à transmettre à M. François Fillon, pour qu’il le soumette au Premier ministre canadien Stephen Harper lors de cette visite.

Il y a une vraie nécessité à mettre fin à un contentieux qui n’a que trop duré, et dont la résolution conditionne aujourd’hui, non pas même le développement, mais la survie de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cela a été amplement démontré ce soir et cela méritait qu’on prolonge le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Nous avons bien compris le point qui a été parfaitement légitimement soulevé par Mme Girardin. Nous connaissons aussi tout l’attachement de M. Loncle envers le Canada.

Votre proposition, monsieur le secrétaire d’État, est très sage : nous avons visiblement affaire à un point de droit complexe, contesté et peut-être contestable, qui nécessite une étude tout à fait approfondie pour comprendre exactement la position du Canada. Est-elle légitime, comme vous semblez nous l’avoir expliqué ? Est-elle contestable, comme l’affirment les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon ? Sur ce point extrêmement important, monsieur le secrétaire d’État, il faut véritablement que nous sachions ce qu’il en est, et je vous remercie de nous associer à ces travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je voudrais simplement confirmer cette association future, compte tenu de la lettre de M. le président Poniatowski et des observations de Mme Girardin et de M. Loncle. Tout ceci sera rapporté à M. Kouchner, avec qui nous verrons comment résoudre ensemble ce problème juridique délicat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.). Cela sera également transmis au Premier ministre, monsieur Loncle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

11

Modification de l’ordre du jour prioritaire

Mme la présidente. J’ai reçu de M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement une lettre m’informant que la déclaration du Gouvernement et le débat sur les régimes spéciaux de retraites, initialement prévus le mardi 9 octobre après-midi, sont avancés au mercredi 3 octobre, le matin.

12

Clôture de la deuxième session
extraordinaire

Mme la présidente. L’Assemblée a achevé l’examen des textes qui étaient inscrits à son ordre du jour.

J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 26 septembre 2007 portant clôture de la session extraordinaire.

En conséquence, il est pris acte de la clôture de la session extraordinaire.

13

Ordre du jour des prochaines séances

Mme la présidente. Mardi 2 octobre 2007, à neuf heures trente, première séance publique :

Questions orales sans débat.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion du projet de loi, n° 175, adopté par le Sénat, de lutte contre la contrefaçon :

Rapport, n° 178, de M. Philippe Gosselin, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures cinquante-cinq.)