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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 11 mars 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Alain Néri

1. Protection de la création sur Internet

Rappels au règlement

M. Christian Paul

M. Jean-Pierre Brard

M. Patrick Bloche

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

M. Christian Paul

M. Patrick Bloche

M. Jean-Pierre Brard

M. Michel Herbillon

M. Lionel Tardy

Discussion générale

M. Didier Mathus

M. Jean-Pierre Brard

M. Jean Dionis du Séjour

M. Philippe Gosselin

Mme Corinne Erhel

M. Michel Herbillon

M. François Brottes

M. Christian Kert

M. Serge Blisko

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Jean-Louis Gagnaire

M. Patrice Martin-Lalande

Mme Françoise de Panafieu

M. Manuel Aeschlimann

M. Alain Suguenot

M. Patrick Roy

M. Nicolas Dupont-Aignan

Mme Sandrine Mazetier

M. Lionel Tardy

M. Patrice Calméjane

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

M. François Brottes

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Alain Néri,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Protection de la création sur Internet

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (nos 1240, 1486, 1481, 1504).

M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le président, je m’exprime en accord avec mes collègues du groupe SRC et tout particulièrement de M. Mathus, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

Madame la ministre de la culture et de la communication, nous avons pris connaissance, pendant l’interruption de la séance, des déclarations de votre collègue M. Éric Besson. Celui-ci a très violemment critiqué le cinéaste Philippe Lioret et le comédien Vincent Lindon, en travestissant au passage leurs propos, à l’occasion de la sortie du film Welcome qui retrace les conditions douloureuses et même dramatiques dans lesquelles s’effectue le passage des migrants de France vers la Grande-Bretagne ; on y dénonce notamment les poursuites dont est l’objet toute personne portant aide aux migrants. Dans leurs commentaires sur ce film, les artistes ont même fait un rapprochement entre la situation de ceux qui apportent aujourd’hui une aide humanitaire à des migrants en situation particulièrement difficile, et ceux qui, à une autre époque de notre histoire, ont porté assistance à des résistants, Juifs ou autres victimes de persécutions.

Je voudrais vous poser deux questions, madame la ministre de la culture, pour éclairer nos débats : approuvez-vous les déclarations de M. Besson et cet épisode peu glorieux sera-t-il visible sur le site de propagande www.jaimelesartistes.fr ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, mon rappel au règlement s’appui sur l’alinéa 1 de l’article 58 de notre règlement et a trait au déroulement de nos débats.

Au moment où nous entamons la discussion de ce projet de loi, il faut que le débat soit équilibré. Or tout à l’heure, madame la ministre, je vous ai vue sur TF1.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Brièvement !

M. Jean-Pierre Brard. Peut-être n’était-ce pas assez long à votre goût ; pour ma part, j’ai trouvé que cela l’était déjà trop. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Paul. Les lobbies sont appelés à la rescousse d’un gouvernement en perdition !

M. Jean-Pierre Brard. Et si j’ai trouvé votre intervention trop longue, c’est parce que l’équilibre n’était pas respecté.

M. Christian Paul. Comme d’habitude !

M. Jean-Pierre Brard. On n’y entendait que la voix de son maître – la vôtre –, pas celle de la contradiction. C’est normal : M. Bouygues ne peut rien refuser à ses amis, et réciproquement !

M. Christian Paul. C’est le pacte du Fouquet’s !

M. Jean-Pierre Brard. Il faut que le débat s’anime, monsieur le président, pas seulement dans cet hémicycle.

M. le président. On peut compter sur vous, monsieur Brard ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. J’apporterai ma contribution, monsieur le président, je vous le promets ! (Sourires.)

Oui, il faut que le débat s’anime, en utilisant les moyens d’aujourd’hui. D’une certaine manière, on peut parler de « e-démocratie », de démocratie électronique. Tout à l’heure, à la tribune, notre collègue Franck Riester s’est livré à une prestation de qualité – même s’il était totalement à côté de la plaque par rapport à ce que nous, nous pensons ! Personne ne peut nier qu’il a défendu un point de vue, le vôtre et celui des privilégiés.

M. Christian Paul. Comme TF1 !

M. Jean-Pierre Brard. Reste, madame la ministre, que tous ceux que ce sujet intéresse ne peuvent pas être dans les tribunes.

M. Serge Blisko. C’est sûr !

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement, ils peuvent nous suivre grâce à Internet – et je constate que l’appel que j’ai lancé aux internautes a déjà été entendu.

Mme Sandrine Mazetier et M. Christian Paul. Relancez-le !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne suis pas aussi rompu que Franck Riester à la pratique d’Internet.

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Merci du compliment, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Ces jeunes aiment prendre des initiatives : ainsi, ils ont mis en place des liens pour accéder plus facilement à votre site, madame la ministre.

Mme Sandrine Mazetier. Bravo !

M. Jean-Pierre Brard. Il reste que Franck Riester pâtit d’une injustice.

Mme Sandrine Mazetier. Oh !

M. Jean-Pierre Brard. Franck Riester est un des espoirs de l’UMP…

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Serge Blisko. Il n’y en a plus beaucoup, d’espoirs !

M. Jean-Pierre Brard. …et porte les intérêts des privilégiés ; or il n’est pas encore destinataire des mails des jeunes du pays.

M. Christian Paul. Il ne va pas être déçu : j’en ai des pleines brouettes à lui transmettre !

M. Jean-Pierre Brard. Je m’adresse aux jeunes internautes qui suivent notre débat en direct : adressez-vous à tous ceux qui ne vous écoutent pas, qui ne vous entendent pas, envoyez-leur des mails qu’ils liront, à défaut de vous entendre !

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un court rappel au règlement – je ne voudrais pas priver de parole M. Mathus, premier intervenant dans la discussion générale.

M. Christian Paul. M. Mathus est très sage, monsieur le président !

M. Didier Mathus. Et patient !

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, nous sommes un peu surpris, dans un débat aussi central pour la majorité, notamment pour le groupe UMP, compte tenu de l’engagement personnel de son président…

M. Christian Paul. Et du Président de la République !

M. Patrick Bloche. …de constater qu’excepté deux rapporteurs sur trois – où est passée Mme Marland-Militello ? – aucun député UMP n’est dans l’hémicycle.

Par ailleurs, j’interpelle Mme la ministre sur le fait que nous sommes obligés de subir une lettre électronique quotidienne particulièrement insultante qui, par le jeu d’un lien avec le site www.jaimelesartistes.fr, induit l’idée que ceux qui s’opposent à ce projet de loi n’aimeraient pas les artistes.

Enfin, notre collègue Christian Paul a posé une question des plus pertinentes sur une intervention de M. Besson que l’on pourrait presque apparenter à un acte de censure, à tout le moins verbale.

M. Christian Paul. Qui connaît M. Besson ?

M. Patrick Bloche. Pour toutes ces raisons, monsieur le président, notamment pour permettre à nos collègues du groupe UMP, qui avaient montré une certaine promptitude à venir voter contre notre exception d’irrecevabilité et notre question préalable, de rejoindre l’hémicycle, je vous demande, en vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par le président de mon groupe, dix minutes de suspension de séance.

M. le président. Monsieur Bloche, la demande de suspension est de droit, mais je pense que cinq minutes devraient largement suffire pour que nos collègues de l’UMP puissent rejoindre l’hémicycle.

M. Christian Paul. Cinq minutes pour une désertion, cela ne suffit pas !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt et une heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Monsieur Bloche, monsieur Paul, cette suspension de séance…

M. Christian Paul. En attendant la réponse de Mme la ministre !

M. le président. …peut être considérée comme une mi-temps (Sourires),même si elle n’était que de cinq minutes. Malheureusement, j’observe comme vous, en regardant l’hémicycle, que nous n’avons guère plus de succès que tout à l’heure. J’espère toutefois que vous ne demanderez pas d’autre suspension.

M. Patrick Bloche. Peut-être y serons-nous obligés, monsieur le président !

M. le président. Je regrette que nos collègues ne soient pas plus nombreux. Le sujet est important et la discussion générale est un moment pendant lequel chacun peut exprimer ses idées.

M. Jean Dionis du Séjour. Et écouter celle des autres !

M. le président. Quoi qu’il en soit, je me vois obligé de reprendre les débats.

La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, je veux préciser que le site www.jaimelesartistes.fr n’est pas un site de propagande, mais d’information.

M. Christian Paul. C’est un site de propagande officielle !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Nous y montrons l’action que nous menons, au nom de notre attachement pour les artistes. J’ai la conviction qu’en portant ce projet de loi, nous défendons leurs droits. Du reste, ils ne cessent de nous le dire, ce qui est pour nous extrêmement réconfortant. Je m’inscris par conséquent en faux contre l’assertion de M. Paul.

J’en viens à l’autre question qui m’a été posée, et qui n’a rien à voir avec notre débat.

M. Christian Paul. Mais qui concerne les artistes !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Elle porte sur le film Welcome de l’excellent réalisateur Philippe Lioret, dont on a pu apprécier le remarquable Je vais bien, ne t’en fais pas.

M. Christian Paul. Welcome est très bon aussi !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je n’ai pas encore pu voir Welcome, à coup sûr merveilleusement interprété par Vincent Lindon. Ce doit être un film particulièrement émouvant.

La remarque d’Éric Besson ne porte que sur un point : les mesures de sécurité prises à l’égard de migrants anglophones qui tentent de rejoindre le Royaume-Uni dans des conditions très difficiles ne peuvent pas être assimilées aux rafles et plus largement au sort réservé aux Juifs sous l’occupation. Le rapprochement entre les unes et les autres est excessif et je souscris à cet égard à l’analyse de M. Besson.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, auquel je demande d’être bref.

M. Christian Paul. Je crois, madame la ministre, que vous reproduisez involontairement l’erreur que M. Besson a commise, lui, intentionnellement. Philippe Lioret n’a pas comparé le sort des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale à la situation dramatique des migrants. Il s’est contenté de rapprocher le sort de ceux qui les aident, non à passer à l’étranger – eux, ce sont les passeurs – mais à survivre, et celui des gens qui, pendant la guerre, ont aidé des résistants ou des Juifs. La comparaison ne porte que sur ce point.

M. Franck Riester, rapporteur. Ce n’est pas le sujet de notre débat !

M. Christian Paul. Il est choquant qu’Éric Besson ait entrepris de travestir le propos de cet artiste – après tout, c’est sa marque de fabrique –, mais je trouve également surprenant que vous-même, peut-être parce que mal informée, repreniez ses propos à votre compte, sans doute par souci de solidarité gouvernementale.

Mme Sandrine Mazetier. Mal placé !

M. Christian Paul. À aucun moment, Philippe Lioret n’a comparé la Shoah et les conditions de vie que connaissent à Calais, près de Sangatte, les migrants venus du Kurdistan, d’Afghanistan ou d’autres pays où l’on souffre. La ministre de la culture n’a pas à travestir ses propos.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour une minute.

M. Patrick Bloche. Je veux répondre brièvement à Mme la ministre.

J’ai apporté les deux lettres électroniques qu’elle m’a adressées, comme à tous les députés, l’une lundi, l’autre mercredi. Je m’étonne que le ministère, qui a établi un lien avec le site www.jaimelesartistes.fr, fasse tant de publicité sur le fait que la France serait la championne du monde du piratage.

Ainsi, on pouvait y voir lundi Luc Besson, filmé dans les salons du ministère, au cours d’une séquence intitulée : « Luc Besson et Christine Albanel discutent de la loi Création et Internet ».

M. Christian Paul. Ça, c’est un mauvais film !

M. Patrick Bloche. On y découvre aussi des questions d’internautes qui ne ressemblent pas tout à fait à celles que l’on nous adresse.

M. Christian Paul. Ah bon ? Comme c’est bizarre !

M. Patrick Bloche. Par exemple celle-ci, publiée lundi : « Je suis cinéphile et amateur de musique. Je préfère dans un premier temps télécharger un album ou regarder un film en streaming avant d’être convaincu et de l’acheter légalement. Suis-je condamnable pour cela ? » (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Franck Riester, rapporteur. Nous sommes hors sujet, monsieur le président !

M. Patrick Bloche. Ou cette autre, de mercredi : « Qu’apporte le système de "réponse graduée" par rapport au système judiciaire actuel ? » Que les internautes seraient naïfs s’ils exprimaient réellement ainsi ! Et vous récusez, madame la ministre, le terme de site de propagande ?

Mme Sandrine Mazetier. C’est la Propagandastaffel, comme dirait Éric Besson !

M. le président. Avant d’en venir à la discussion générale,…

M. Franck Riester, rapporteur. Très bien !

M. le président. …je donne encore la parole est à M. Brard. Je rappelle que la discussion générale est un moment important du débat. Elle doit avoir lieu, même si certains de nos collègues se contentent de la regarder sur Internet.

M. Jean-Pierre Brard. Les internautes dont M. Bloche vient de lire les messages sont sans doute ce qu’on appelle à l’UMP des « jeunes populaires », c’est-à-dire des fils à papa et à maman, bien propres sur eux.

M. Franck Riester, rapporteur. Venez les rencontrer, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Quand vous voulez ! Mais je préfère choisir mon terrain et les amener à Montreuil dans le quartier des HLM.

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Pas de problème !

M. Jean-Pierre Brard. Nous pourrons organiser un débat avec les vrais jeunes, qui sont authentiquement populaires.

M. Franck Riester, rapporteur. Prenons rendez-vous !

M. Jean-Pierre Brard. Pour revenir au sujet, faire de la politique, c’est faire de la pédagogie. Vous l’avez souligné vous-même, monsieur le président : notre débat est important. Or, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Voilà pourquoi nous avons été obligés de demander une suspension de séance.

La droite déserte l’hémicycle. La désertion, on sait ce que cela coûte en temps de guerre !

M. Christian Paul. On leur coupe l’internet !

M. Jean-Pierre Brard. M. Paul a raison : la punition, ce sera de leur couper l’internet, mais à vie !

M. le président. Concluez, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Ceux qui nous regardent doivent comprendre à quel point nos collègues de l’UMP se désintéressent du débat.

M. Serge Blisko. Ils ont honte !

M. Jean-Pierre Brard. Ils ont tant de mal à défendre la position du Gouvernement qu’ils préfèrent ne pas venir en séance ; ou s’ils y assistent, c’est en silence.

M. Christian Paul. Il est vrai que l’on n’a pas beaucoup entendu M. Mariani pour l’instant !

M. Thierry Mariani. Je digère !

M. Jean-Pierre Brard. N’est-ce pas plus sage, quand on est à court d’idées ?

Quoi qu’il en soit, j’appelle l’attention des internautes qui nous regardent sur la caricature que présentent en ce moment ceux de nos collègues qui devraient défendre le Gouvernement. J’ai de la compassion en vous voyant, madame la ministre, pour votre solitude !

M. Franck Riester, rapporteur. Et la discussion générale ?

M. le président. Nous allons y venir.

M. Christian Paul. Monsieur Riester, ce n’est pas vous qui êtes chargé de la présidence de nos débats !

M. le président. Monsieur Paul, je vous en prie ! Pour l’instant, la parole est à M. Michel Herbillon.

M. Christian Paul. M. Riester fait de la provocation, monsieur le président !

M. Michel Herbillon. M. Brard, qui pense détenir le monopole de la connaissance des jeunes des quartiers ou du moins se l’arroge de manière indue – mais il est vrai qu’il pense également détenir celui des internautes –,…

M. Jean-Pierre Brard. Je ne détiens aucun monopole, moi ! Les monopoles bancaires, c’est vous qui les détenez !

M. Michel Herbillon. …appelle légitimement à ce que nous en venions au débat. Mais j’observe que nos collègues socialistes ne veulent surtout pas parler du sujet et multiplient les manœuvres de diversion pour mieux cacher leur embarras – que l’on comprend d’ailleurs.

M. Didier Mathus. Ne vous inquiétez pas, cela va venir !

M. Christian Paul. Mathus arrive !

M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Herbillon.

M. Michel Herbillon. Seuls peuvent s’exprimer les artistes qui ont l’aval du parti socialiste. Et pour ce qui est des internautes, seuls peuvent poser des questions ceux qui ont le nihil obstat de M. Bloche.

M. Patrick Bloche. Non, les vrais internautes !

M. Michel Herbillon. Et les mêmes socialistes, très embarrassés par le soutien de Jack Lang, de Catherine Tasca ou des sénateurs socialistes au texte,recourent à la diversion et caricaturent les positions du Gouvernement. Nous y sommes habitués : ils ont agi de même lors du débat sur l’audiovisuel, allant jusqu’à invectiver la ministre de la culture.

M. Christian Paul. Sûrement pas !

M. Jean-Pierre Brard. Nous n’invectivons pas, nous ne sommes pas machistes, nous !

M. Patrick Bloche. Nous l’avons seulement informée politiquement !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour son bien, sans doute !

M. Michel Herbillon. Chers collègues de l’opposition, sachez que nous sommes tranquilles. Ce projet de loi est bon. Il mérite mieux que ces diversions et les caricatures que vous inspire le soutien des artistes au texte du Gouvernement.

M. Christian Paul. C’est du copié-collé de Copé !

M. le président. Je donne la parole à un dernier orateur, M. Lionel Tardy, avant d’en venir à la discussion générale qui nous permettra d’éclairer l’opinion publique, et plus particulièrement les internautes.

M. Franck Riester, rapporteur. Bravo !

M. le président. Nous vous écoutons, monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy. Je vous remercie, monsieur le président. Beaucoup d’internautes sont en effet concernés par nos débats. Dès demain matin, à l’occasion de l’examen des articles et des amendements, nous parlerons un peu technique, alors que, d’ordinaire, nous réfléchissons plus volontiers sur des dispositions générales. Mais c’est justement sur un point technique que j’appelle votre attention.

Chacun répète que les internautes peuvent suivre les débats en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Or ce n’est pas le cas. Depuis quelques jours, la retransmission en direct de la séance publique est assurée au format Flash, ce qui constitue un véritable retour en arrière par rapport au système mis en place en 2007.

Celui-ci permettait d’accéder en direct aux débats avec un lecteur libre. Aujourd’hui, le flux mis en place étant accessible uniquement via un lecteur Flash, les utilisateurs de logiciels libres sont de nouveau laissés pour compte. Qui plus est, bon nombre de configurations ne supportent pas la version Flash 10 utilisée par le site de l’Assemblée nationale. En outre, dans tous les cas, l’internaute est obligé d’installer le greffon propriétaire – pas n’importe quelle version, mais la version compatible, avec tous les risques de codes malveillants que cela comporte.

Du fait de cette nouvelle configuration, de nombreux utilisateurs de logiciels libres ne pourront plus accéder aux débats de la représentation nationale.

M. Jean-Pierre Brard. C’est une honte !

M. Christian Paul. Il faut changer cela ! C’est une excellente remarque !

M. Lionel Tardy. Je tenais à le souligner. Demain, nous examinerons d’autres exemples du même type en discutant le texte de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. Venez avec nous ! Il y a de la place ici !

M. Christian Paul. Que fait le président Accoyer ?

M. le président. Nous en venons à la discussion générale, avec un peu de retard il est vrai, mais il était important que chacun puisse s’exprimer.

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Didier Mathus, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Didier Mathus. Je me permets au préalable de répondre à notre collègue Herbillon : il n’est pas question pour nous d’invectiver Mme la ministre la culture, pour qui nous avons la plus grande considération.

Il se trouve simplement que, depuis le début de cette législature, le destin fait qu’elle a été sommée de monter à deux reprises au front – sur le projet de loi relatif à l’audiovisuel public, puis sur celui-ci – pour défendre des textes qu’elle n’avait pas souhaités, qui lui étaient imposés par l’Élysée. À toute la considération que nous lui portons, s’ajoute donc notre compassion : l’exercice auquel elle se livre en service commandé n’est sans doute pas d’un grand confort pour elle.

Notre débat se déroule sous la pression directe d’un certain nombre de lobbies. « J’aime les artistes », la lettre de propagande du ministère de la culture, a manifestement été formatée et téléguidée par des sociétés que nous connaissons bien…

M. Michel Herbillon. Mais nous aimons les artistes !

M. Didier Mathus. …et qui s’étaient déjà illustrées en utilisant ce faux-nez pour défendre leurs intérêts.

M. Philippe Gosselin. Les artistes apprécieront !

M. Didier Mathus. Pour tenter de contrebalancer cette pression, j’utilise la tribune qui m’est offerte pour dire à tous les internautes qui peuvent nous suivre – si j’ai bien compris, seulement ceux qui peuvent lire le format Flash – que demain, à dix-huit heures, devant l’Assemblée nationale, les universités et les grandes écoles se mobilisent pour organiser un rassemblement de la jeunesse afin de s’opposer à ce projet de loi.

En lisant ce projet, on se pose finalement une question essentielle : comment, après le mémorable fiasco de la loi DADVSI, la droite française a-t-elle pu se laisser embarquer à nouveau dans une aventure pareille ?

M. Franck Riester, rapporteur. Et les sénateurs socialistes !

M. Didier Mathus. Comment a-t-elle pu accepter d’aller une fois de plus jouer les supplétifs dans la guerre que livrent les industriels de l’entertainment à leurs propres clients, et à la jeunesse en particulier.

Certes, l’affaire était mal engagée, puisque le soin avait été confié au PDG de la FNAC, principal marchand de disques en France, de faire des propositions pour élaborer une nouvelle loi relative à Internet.

M. Michel Herbillon. Encore une nouvelle fatwa !

M. Franck Riester, rapporteur. Cela suffit !

M. Didier Mathus. Autant demander au président de la fédération nationale de la chasse de préparer la législation de protection des lapins ! (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Patrick Roy. M. Mathus a raison !

M. Jean-Pierre Brard. On pourrait dire la même chose des pigeons !

M. Didier Mathus. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas été déçus. Constatant que les menaces agitées par la loi DADVSI étaient tellement énormes qu’elles en étaient inapplicables, le rapport Olivennes et le projet de loi réclamé par les industriels qui en découle, proposent de substituer au trop gros bâton de la loi DADVSI, le moyen bâton de la loi HADOPI : quel souffle, quelle audace !

M. Christian Paul. Dans les deux cas, c’est la matraque !

M. Didier Mathus. Dans un cas comme dans l’autre, le postulat du recours exclusif à la répression reste le même ; l’archaïsme reste le même ; l’incompréhension face à l’évolution du monde et de la société de l’information reste la même.

Pour schématiser, madame la ministre, dans votre approche, les jeunes qui échangent des fichiers sont tous d’épouvantables voleurs, des criminels en puissance qui spolient ces bienfaiteurs de l’humanité, soucieux seulement de création, que sont les industriels du disque et du cinéma.

La réponse, la seule réponse, au défi de la révolution des échanges numériques est la coupure de l’abonnement Internet. Je parlais de guerre, et force est de constater que même le terme de « riposte graduée » appartient au vocabulaire militaire, ce qui est révélateur du point de vue des auteurs de la loi.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Didier Mathus. L’arrogance est la même qu’en 2005 : les mêmes acteurs nous expliquaient que les DRM, les verrous numériques, étaient la solution, la réponse unique. Votre prédécesseur avait même fait de la pénalisation du contournement des DRM la clef de voûte du dispositif DADVSI. On sait ce qu’il est en est advenu : tous les opérateurs ont dû, les uns après les autres, et souvent de mauvaise grâce, abandonner les DRM sous la pression des usagers et des consommateurs.

Pourtant, le ministre de l’époque n’avait pas hésité à proclamer mille fois pendant nos débats que le monde entier regardait la France avec admiration. La posture est la même aujourd’hui. Pourtant « l’exemple » français fait peu d’émules : la Nouvelle-Zélande a abandonné un projet similaire il y a quinze jours, tout comme la Grande Bretagne il y a un mois, ou encore l’Allemagne qui, par la voix de sa ministre de la culture, a catégoriquement écarté une solution comparable.

Tout porte à penser qu’il adviendra de la riposte graduée ce qu’il est advenu des DRM.

Vous connaissez, madame la ministre, le sens de notre opposition à votre texte ; elle repose sur deux constats.

Tout d’abord, ce projet de loi n’apporte aucune rémunération supplémentaire aux artistes ; pas un euro de plus. Il ne répond en rien, malgré son nom fallacieux, à la question de la création à l’ère numérique.

M. Patrick Roy. Eh non !

M. Didier Mathus. Ensuite, avec la surveillance généralisée du Net qu’il veut mettre en œuvre, il entraîne la France dans une voie très dangereuse.

M. Serge Blisko. C’est la Chine !

M. Christian Paul. En moins grand !

M. Didier Mathus. En matière de création, alors que la révolution numérique représente une chance extraordinaire – grâce à la multiplication colossale des échanges culturels –, le Gouvernement ne trouve pas mieux à faire que d’emboîter le pas aux industriels qui tentent de préserver à tout prix leur rente et leurs modèles anciens. Ils veulent y parvenir coûte que coûte, même s’il faut pour cela créer un appareil répressif orwellien.

La question posée n’est pas médiocre. Alors que le Web a permis une explosion des échanges, comment faire pour engranger cette avancée du bien-être collectif tout en inventant le nouveau modèle économique qui permettrait de rémunérer les créateurs ? Avec une contrepartie équitable, la mise à disposition quasi-illimitée de la plupart des contenus culturels constituerait un formidable progrès. Au lieu de cela, madame la ministre, vous appelez à la rescousse des technologies de surveillance pour protéger des intérêts privés en proie à la crise de leur modèle économique.

J’observe que cette crise a d’ailleurs largement été surjouée. Le cinéma ne s’est jamais aussi bien porté, seules les ventes de disques – nous parlons d’un support physique – sont en baisse dans le chiffre d’affaires de la musique. Il ne s’agit jamais que de la fin de vie d’un format particulier et d’un mode de distribution qui ont fait leur temps.

M. Christian Paul. Exactement !

M. Didier Mathus. La musique vivante se porte, elle, comme un charme. Jamais il n’y a eu autant de salles de spectacles, de concerts et de festivals qu’aujourd’hui.

M. Christian Paul. Et ce n’est pas toujours grâce à l’État !

M. Didier Mathus. Mais au-delà de cet aspect, cette bataille est citoyenne. Le droit d’auteur sert de cache-sexe aux industriels. Au demeurant, comme l’a rappelé Patrick Bloche, il a été inventé pour protéger les auteurs contre les éditeurs et les diffuseurs. Aujourd’hui, il est piquant de voir les majors pousser les artistes sur le devant de la scène, alors que ces derniers sont les premières victimes de leurs subterfuges. Si, comme nous le proposions en 2005, la licence globale avait été adoptée, depuis cette date, plus d’un milliard d’euros par an seraient allés aux créateurs.

Bataille citoyenne, disais-je, car il y a une tentative des industriels de transformer la nature du Web et de faire de ce réseau d’échange un réseau de diffusion commerciale. Sous couvert de lutte pour la propriété intellectuelle, certains grands groupes du secteur sont saisis d’une frénésie d’appropriation. La gratuité, voilà l’ennemi ! En fait, derrière de nobles excuses et le paravent du droit d’auteur, la voracité financière est à l’œuvre.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Didier Mathus. Ce projet de loi est archaïque, car chacun sait bien que cette fuite en avant dans la répression technologique est, de toute façon, vouée à l’échec – d’autant qu’elle est, d’ores et déjà, obsolète : la question de la circulation des contenus n’est déjà plus celle du téléchargement. Les générations qui ont grandi à l’âge numérique n’ont plus aujourd’hui le réflexe de possession, mais celui de l’usage. Ainsi, le téléchargement perd peu à peu du terrain au profit du streaming. Les flux remplacent les stocks et les sites de peer to peer perdent de l’audience. Ce phénomène se développe avec la généralisation de l’Internet mobile à haut débit. Il pourrait d’ailleurs constituer une réponse intelligente à la question des droits d’auteurs, sous réserve que le Gouvernement, plutôt que d’être à la remorque des propriétaires de catalogues, les pousse à assurer une véritable mise à disposition et une réelle circulation des œuvres. Ce problème est essentiel ; il suffit, par exemple, de constater la médiocrité actuelle des catalogues de VOD.

Bon nombre de ces thésaurisateurs voudraient en quelque sorte le beurre et l’argent du beurre : interdire l’accès aux contenus lorsqu’on ne verse pas un péage, et limiter la circulation de leur catalogue. C’est l’économie de la rente contre celle de l’innovation.

M. Serge Blisko. C’est encore Guizot !

M. Didier Mathus. Aujourd’hui, la question du téléchargement suscite un débat confus dans lequel s’échangent des arguments contradictoires.

Le débat sur l’impact réel du téléchargement sur l’économie de la musique et du cinéma est beaucoup plus complexe que ce que tentent de nous faire croire, à coups d’études de commandes et de chiffres douteux, les ayants droit.

Nous ne pouvons pas nier qu’un problème se pose : il y a bel et bien un recul de l’économie du disque. Toutefois, ce constat appelle à être nuancé.

Peut-être avez-vous lu les argumentaires de la SCPP et les éléments caricaturaux qui nous sont transmis par Internet pour nous expliquer que la musique va disparaître puisque les producteurs gagnent moins d’argent ? Il faut rétablir la vérité : Mozart a vécu avant les maisons de disques, et on peut imaginer que la musique continuera d’exister, même sans elles.

On nous parle de 400 000 téléchargements de films par jour…

M. Philippe Gosselin. 450 000 !

M. Didier Mathus. « C’est catastrophique! » nous dit M. Riester. Mais, Bienvenu chez les Ch’tis, le film le plus téléchargé en 2008, est précisément celui qui a battu tous les records d’entrées en salle, et tous les records de téléchargements payants sur les plateformes commerciales de VOD.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est normal, c’est un succès !

M. Philippe Gosselin. C’est l’arbre qui cache la forêt !

M. Didier Mathus. On nous oppose le fait que « l’argument culturel est infondé » pour légitimer le téléchargement, en arguant que les principales œuvres cinématographiques ou musicales piratées sont des blockbusters. Dans ce cas, nous avons du mal à comprendre en quoi le téléchargement menacerait les maillons les plus fragiles du secteur, que nous devons effectivement protéger. Je pense aux créateurs émergents ou aux films d’auteurs ; en clair, à tous ceux qui ne peuvent atteindre un public de masse. Nous n’avons pas le sentiment que des gens aussi respectables que M. Hallyday ou Mlle Madonna soient aujourd’hui sur la paille, ou poussés vers la misère par les téléchargeurs illicites !

M. Serge Blisko. Ils ont davantage perdu chez Madoff !

M. Didier Mathus. La vérité est qu’il y a, au moins, deux sortes de téléchargeurs : tout d’abord, les jeunes désargentés qui, de toute façon, ne vont pas au cinéma et n’achètent pas de CD, parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens.

M. Philippe Gosselin. Revoilà la fibre larmoyante !

M. Didier Mathus. Ensuite, ceux pour qui l’échange d’œuvres par Internet vient s’ajouter à une consommation culturelle déjà intense – en réalité, elle la stimule souvent. Ceux-là vont au cinéma et téléchargent des films. Ils achètent des CD et téléchargent de la musique.

Chers collègues, vous avez sûrement fait la même expérience que moi, et demandé aux élèves, à la fin d’une intervention lors d’une rencontre dans une classe de collège, qui téléchargeait. Évidemment, presque toutes les mains se sont levées. En fait, vous savez bien que, s’ils n’ont pas accès au téléchargement par Internet, les enfants issus des milieux modestes n’iront pas au cinéma, et qu’ils n’achèteront pas de CD, parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Voilà la réalité !

Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure pour avis. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Gosselin. C’est faux !

M. Franck Riester, rapporteur. M. Mathus a-t-il des enfants ?

M. Serge Blisko. Nous ne parlons pas des enfants des députés !

M. Didier Mathus. On nous oppose l’idée, comme l’a fait M. Dionis du Séjour, que le téléchargement illégal est une destruction de richesses.

Il est vrai que le chiffre d’affaires de la musique qui était de plus d’un milliard d’euros dépasse seulement les 600 000 euros aujourd’hui. Mais, il est bien logique qu’il ait baissé puisque la consommation se déplace vers les plateformes numériques…

M. Franck Riester, rapporteur. Oui, mais sous la forme de téléchargement illégal !

M. Didier Mathus. Les maisons de disques n’ont plus à assurer les coûts de fabrication, de transport et de distribution inhérents à l’existence d’un support matériel.

Comparer leur chiffre d’affaires d’une époque à laquelle n’existait que le CD, avec celui qu’elles réalisent aujourd’hui n’a donc strictement aucun sens.

J’aimerais, en revanche, que l’on compare le nombre de titres acquis par nos concitoyens actuellement avec les données de l’époque. Curieusement, les maisons de disques refusent de nous communiquer les chiffres.

Les créateurs étaient les grands perdants de l’aventure DADVSI, ils seront aussi ceux de la loi HADOPI. Aujourd’hui, sur les 130 000 sociétaires de la SACEM, seulement 30 000 perçoivent des droits, qui n’atteignent le niveau du SMIC que pour 10 % d’entre eux. Parmi ces derniers, ils ne sont que 3 % à vivre confortablement de ces revenus.

Au final, les auteurs reçoivent une très faible part des revenus de la vente de musique. Les plateformes commerciales tiennent à cœur aux maisons de disques, parce qu’elles peuvent prendre les artistes sous contrat, et qu’ils redeviennent leurs prisonniers. Sur ces plateformes, un titre coûte 0,99 euro, dont seulement deux centimes vont à l’auteur, deux centimes au compositeur, et plus de soixante centimes aux majors. La situation est pire que dans celle de l’industrie du disque et une inégalité croissante s’installe.

Madame la ministre, l’ensemble de ces observations donne le sentiment que votre obstination à transposer les modèles anciens aux échanges numériques revient à vouloir à tout prix appliquer le code de la route au trafic aérien. (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. François Brottes. Pas mal vu !

M. Didier Mathus. Deuxième grand reproche que nous adressons à votre projet de loi : il porte atteinte aux libertés individuelles.

C’est bien une société orwellienne que vous préparez, en déléguant à des sociétés privées le pouvoir de mettre sous surveillance généralisée et systématique tous les échanges sur le net. Comment pourrait-il en effet en être autrement lorsque l’on se propose, comme vous l’avez évoqué, d’envoyer chaque jour 10 000 mails d’avertissement et 3 000 lettres recommandées ?

Ainsi, la CNIL estime, dans son avis publié le 3 novembre, que « le fait de mettre à disposition des agents précités [ceux de l’HADOPI] les données du trafic ainsi que les données permettant d’identifier les personnes responsables de la mise en ligne d’un contenu paraît porter une atteinte excessive à la protection des données à caractère personnel. »

De la même façon, le Parlement européen a invité les États membres de l’Union européenne à « éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’Homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effets dissuasifs, telles que l’interruption de l’accès à Internet », jugeant par ailleurs que celle-ci ne constituait pas « la bonne solution pour combattre le piratage numérique ».

Vous voilà donc bien isolée, madame la ministre, puisque la démarche que vous avez adoptée a été rejetée par presque tous les grands pays et condamnée par l’Union européenne.

Enfin, compte tenu du développement des usages, la suspension de l’abonnement d’un particulier équivaut à prononcer une sorte de « mort sociale » électronique. En effet, la desserte en haut débit est de plus en plus considérée comme un service universel, et vous savez bien que l’évolution de notre société tend à développer ce phénomène. Dès lors, priver un citoyen de son accès à Internet, c’est souvent l’empêcher d’effectuer des démarches,…

M. Christian Paul. De travailler !

M. Didier Mathus. …d’accéder à des informations, à des services ou à des contenus essentiels pour sa vie courante.

M. Jean Dionis du Séjour. Sur ce point, il a raison !

M. Didier Mathus. La disproportion entre cette sanction et le fait d’avoir téléchargé des contenus protégés est scandaleuse et inacceptable.

Au reste, les ministres suédoises de la justice et de la culture ont déclaré : « La coupure d’un abonnement à Internet est une sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l’Internet est un droit impératif pour l’inclusion sociale ». Elles ajoutaient : « Les lois sur le copyright et le droit d’auteur ne doivent pas être utilisées pour défendre de vieux modèles commerciaux ».

Presque tous les pays ont adopté cette position, madame la ministre. Le gouvernement français est le seul qui s’entête à privilégier exclusivement la voie répressive.

M. Christian Paul. C’est l’exception culturelle selon M. Lefebvre !

M. Didier Mathus. On sait, en outre, que les différentes mesures évoquées en commission – telles que la restriction de bande passante ou la technique permettant de distinguer, dans les forfaits triple play, ce qui relève de l’Internet, du téléphone et de la télévision – coûteraient 70 millions d’euros aux FAI, qui, de toute façon, répercuteront ce coût sur les usagers.

J’observe, du reste, que, si on l’avait abordée d’une autre manière, la question du financement aurait permis de régler le problème de la rémunération des droits d’auteur sur Internet. Hélas ! vous avez préféré élaborer une loi, qui, compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques, fera perdre du temps aux créateurs et qui revient à déclarer une guerre stupide à la jeunesse.

En vous mettant à la remorque des lobbies les plus rétrogrades, vous ne rendez pas service à la culture. Au lieu de contribuer à inventer un modèle économique du droit d’auteur à l’ère numérique pour doper la création, vous mettez en place des gendarmes du net pour protéger les intérêts d’opérateurs qui tentent d’imposer leur monopole et de sauver leurs rentes. Et, pendant ce temps-là, toujours rien pour les créateurs !

Dans nos amendements, nous proposerons, au contraire, une piste pour financer la création, que nous appelons la contribution créative. En tout état de cause, nous nous opposerons avec détermination à l’arsenal répressif que vous entendez mettre en place.

Nos propositions pour le financement de la création sur Internet sont au nombre de trois. La première consiste à taxer les opérateurs et les FAI. Cette taxe, me direz-vous, a déjà été instaurée, à la demande du Président de la République,…

M. Jean Dionis du Séjour. Ce ne fut pas sa meilleure idée !

M. Didier Mathus. …mais, bizarrement, pour financer la suppression de la publicité sur l’audiovisuel public.

M. Michel Herbillon. Plébiscitée par les Français ! Vous êtes vraiment à rebours de l’Histoire !

M. Didier Mathus. Nous avons combattu, en son temps, cette mesure dont nous regrettons aujourd’hui plus que jamais l’adoption, car elle était légitime dans le cadre du financement de la création sur Internet. Hélas ! pour répondre aux caprices du Président de la République, on a dû préempter cette recette pour un tout autre usage.

Notre deuxième proposition consiste à instaurer une contribution des internautes, que nous jugeons légitime, car nous n’avons jamais défendu la gratuité absolue. Nous estimons qu’il est normal que les gens paient, en s’acquittant d’une petite taxe, ce qu’ils écoutent ou regardent sur Internet.

Enfin, nous proposons un système de licence collective, sur la base du volontariat, destiné à rémunérer les ayants droit.

Nous aurons l’occasion de développer nos arguments et d’explorer ces pistes financières au fil du débat.

Pour conclure, madame la ministre, je constate que vous répétez le schéma de la loi DAVDSI de 2005, en oubliant un grand principe de l’évolution de l’humanité. De même que la modification de l’atmosphère a entraîné la disparition progressive des dinosaures de la surface de la terre,…

M. Philippe Gosselin. Il y en a toujours dans l’hémicycle !

M. Didier Mathus. ...nous sommes entrés, il y a quelque temps, dans un nouveau modèle de société, la société de l’information, qui a provoqué la naissance d’une nouvelle économie et qui nous oblige à inventer de nouvelles règles. Ce que vous nous proposez, avec ce projet de loi – c’est-à-dire la répression absolue des internautes –, c’est une regrettable perte de temps pour les créateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, permettez-moi de m’étonner qu’après la tumultueuse et laborieuse adoption de la loi DADVSI, nous soyons à nouveau réunis pour discuter d’un texte sur l’Internet, alors que le précédent, qui a d’ailleurs fait l’objet de multiples controverses, était en partie inapplicable.

Je constate d’ailleurs que si l’on a beaucoup parlé d’études d’impact et d’évaluation dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il n’en a jamais été question pour ce texte. Là, c’est le vide sidéral ! Il est vrai que son évaluation serait une forme d’autocritique accablante. Certes, vous n’étiez pas ministre de la culture en 2005, mais un de vos cousins politiques occupait votre poste et M. Sarkozy était alors membre du Gouvernement.

Quoi qu’il en soit, la promesse du Gouvernement de mettre en place une plate-forme publique de téléchargement « visant à la diffusion des œuvres des jeunes créateurs dont les œuvres ne sont pas disponibles à la vente sur des plateformes légales et la juste rémunération de leurs auteurs » n’a même pas été tenue. Alors que, je le répète, aucune évaluation publique n’a permis jusqu’alors de mesurer l’impact à moyen terme de ce texte, vous voilà, madame la ministre, en service commandé. Car vous n’appartenez pas à la famille de Gribouille et, si cela n’avait tenu qu’à vous, vous ne nous auriez pas présenté un texte aussi mal préparé, sans avoir dressé un bilan de la loi précédente. Mais, sa majesté impériale ayant demandé et validé lui-même le rapport Olivennes, vous sortez de votre chapeau une autre loi sur Internet et la création, qui est, au mieux, inopportune et inutile, au pire, perverse et liberticide.

Avant d’aborder les points les plus problématiques de votre projet de loi, notamment la création de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, j’aimerais tordre le cou à quelques idées, qui, si elles ont, pour les grandes maisons de disque, l’avantage de légitimer leur stratégie d’appropriation du formidable outil qu’est Internet, n’en sont pas moins fausses.

M. le Président de la République a déclaré récemment que « le clonage et la dissémination des fichiers ont entraîné depuis cinq ans […] la ruine progressive de l’économie musicale en déconnectant les œuvres de leurs coûts de fabrication et en donnant cette impression fausse que, tout se valant, tout est gratuit. » Il est vrai qu’en matière de gratuité, le Président de la République est un expert, dès lors qu’il s’agit de lui-même.

M. Christian Paul. Et de ses vacances !

M. Jean-Pierre Brard. Notamment, mais pas uniquement. Pour le reste, c’est M. Je-sais-tout…

En effet, la plupart des études commises sur le sujet ne parviennent pas à prouver le lien entre, d’une part, téléchargement et, d’autre part, baisse des ventes de CD, de places de cinéma ou de la consommation de biens culturels, au contraire.

M. Christian Paul. C’est vrai !

M. Philippe Gosselin. C’est la meilleure de la soirée !

M. Jean-Pierre Brard. Comme l’ont écrit les membres de la Quadrature du Net, « même les études du ministère de la culture sur les usages d’Internet font apparaître que les populations jeunes, fortement utilisatrices d’Internet, parmi lesquelles on trouve une forte proportion de partageurs de fichiers, ont une fréquentation des salles de cinéma et des concerts accrue et une consommation de biens culturels qui n’est pas réduite, voire accrue ». C’est une étude du ministère de la culture, monsieur Gosselin !

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas du tout contradictoire !

M. Jean-Pierre Brard. Votre conception de la rationalité me dépasse ; elle est aussi ferme qu’une motte de beurre de la Manche !

M. Philippe Gosselin. Il est excellent : merci pour cette publicité !

M. Jean-Pierre Brard. Je le sais, monsieur Gosselin. C’est aussi mon pays !

S’il est vrai que l’on n’a jamais autant téléchargé sur Internet, la fréquentation des salles de cinéma n’a jamais été aussi importante. Il semblerait que seul le temps passé devant la télévision ait été réduit. Peut-être est-ce là ce qui gêne notre président de la République, qui s’arroge le droit de nommer les présidents des sociétés d’audiovisuel public et de se produire trois fois en prime time depuis janvier 2009.

M. Christian Paul. Une minute de silence pour Radio France !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, si le nombre de téléspectateurs baisse, la valeur marchande de la publicité – que le Président de la République avait promis à ses amis de transférer des chaînes publiques vers les chaînes privées – sera moindre.

M. Christian Paul. C’est l’arroseur arrosé !

M. Jean-Pierre Brard. Compte tenu de ce manque à gagner, on peut penser que ses amis vont de nouveau tendre la main. Qu’ils ne s’inquiètent pas, le Président de la République sait toujours faire preuve d’imagination, dès lors qu’il s’agit de leur faire plaisir. Nous devrons donc bientôt, à n’en pas douter, examiner de nouveaux projets de loi destinés à les satisfaire.

On aurait pu imaginer que le Gouvernement veuille faire respecter la loi et le droit d’auteur en assimilant le téléchargement à du vol. Mais, après l’affaire polémique de l’utilisation du tube du groupe de rock MGMT lors des meetings de l’UMP sans l’autorisation de ses ayants droit, permettez-moi d’en douter, madame la ministre !

M. Serge Blisko. Ça se saurait !

M. Jean-Pierre Brard. Alors, quoi ? Cette loi a-t-elle pour but de protéger les artistes interprètes et de favoriser la culture ? Quand on sacrifie le statut des intermittents du spectacle, ce qui nuit particulièrement à la création musicale et aux compagnies de spectacle vivant, il est peu crédible de s’autoproclamer défenseur de la création.

La création, particulièrement sur Internet, que ce soit avec les logiciels libres ou les initiatives pour une diffusion libre des œuvres par leurs auteurs eux-mêmes et sans intermédiaire, se heurte encore et toujours à l’hégémonie des grandes sociétés de production, comme Universal, qui soutiennent votre loi.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Ce ne sont pas les seules !

M. Jean-Pierre Brard. Elles savent non seulement de quoi elles parlent, mais aussi et, surtout, elles savent compter – et compter sur vous. Sur ce point, elles ont raison, car vous ne leur faites jamais défaut quand elles vous appellent à la rescousse.

M. Christian Paul. C’est ça, les bons amis !

M. Jean-Pierre Brard. Ces majors, qui n’ont fait aucun effort pour diversifier l’offre sur Internet, ont été dépassées par la vivacité et la créativité des internautes qu’elles veulent désormais brider.

Mais restons-en aux faits : si la vente de CD a en effet diminué, je vous l’accorde, c’est bien parce qu’ils sont devenus des produits de consommation quasiment luxueux. Leur prix n’a pas changé depuis vingt ans, à l’inverse de tous les autres produits numériques et de haute technologie comme les ordinateurs ou les lecteurs audio. Pourquoi ? Parce que les majors s’en sont mis plein les poches : elles ont continué à engranger des bénéfices exponentiels.

Votre loi, inspirée par Denis Olivennes, ancien membre du comité exécutif de Vivendi-Universal et ancien directeur de la Fnac – qui, soit dit en passant, va supprimer 400 postes en France – …

M. Franck Riester, rapporteur. À cause du développement du téléchargement illégal !

M. Jean-Pierre Brard. Allons, monsieur le rapporteur, la situation aurait-elle changé de façon significative en quelques mois ?

M. Franck Riester, rapporteur. Elle évolue très rapidement !

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr que non ! Les amis du Président (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP) utilisent les circonstances pour apporter de l’eau à votre moulin. C’est cela la vérité et je sais bien qu’elle vous gêne !

M. Franck Riester, rapporteur. C’est n’importe quoi !

Mme Martine Billard. À croire que les licenciements chez Total eux aussi sont dus au téléchargement illégal !

M. Jean-Pierre Brard. Comment expliquez-vous donc que Total, malgré 14 milliards de bénéfices, licencie ? Si des entreprises de ce type se sentent autorisées à agir ainsi, c’est qu’elles savent qu’elles n’ont rien à redouter de vous et que vous n’avez rien à leur refuser.

M. Philippe Gosselin. Pourrait-on en revenir au sujet ?

M. Christian Paul. Je ne savais pas qu’il y avait deux présidents de séance !

M. le président. Monsieur Gosselin, seul M. Brard a la parole !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, je vous remercie de me protéger de la vindicte manchote de M. Gosselin !

Si la vente de CD a baissé, c’est à cause des prix prohibitifs pratiqués par les majors. Universal Music, Sony, EMI ou Warner continuent de dicter leurs conditions sur le marché de la musique et se taillent la part du lion : 50 % de la vente des CD et 60 % de la vente des fichiers musicaux. Des chiffres que vous vous êtes bien gardés de nous donner. Alors qu’Universal Music a fait plus de 408 millions de bénéfices en 2008, en augmentation de 21,8 % par rapport à l’année précédente,…

M. Christian Paul. Ce n’est pas la crise pour tout le monde !

M. Jean-Pierre Brard. …seulement 3 % des auteurs-interprètes perçoivent un montant de droits au moins égal au SMIC – Didier Mathus l’a rappelé.

M. Serge Blisko. Le voilà, le véritable drame !

M. Jean-Pierre Brard. Disons-le tout net : rien dans votre loi ne concerne la rémunération juste et équilibrée des artistes-créateurs ! L’argent, il y en a, mais l’important, c’est, comme disent les jargonneux, de le « flécher » dans le bon sens : de ceux qui en ont beaucoup vers ceux qui n’en ont pas. Là serait la justice ; mais, bien évidemment, c’est un mot que vous n’avez jamais trouvé dans votre dictionnaire de classe.

M. Philippe Gosselin. C’en est risible !

M. Jean-Pierre Brard. Vous pouvez toujours rire de votre politique, monsieur Gosselin, mais n’oubliez pas que, pendant ce temps-là, il y a des gens qui souffrent, y compris dans la Manche.

M. Philippe Gosselin. À Montreuil aussi !

M. Jean-Pierre Brard. À ceci près que le député de Montreuil ne défend pas les intérêts des adversaires des pauvres gens.

M. Philippe Gosselin. Et le maire ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous lui demanderez vous-même !

M. le président. M. Brard a seul la parole !

M. Philippe Gosselin. Je l’écoute avec attention, monsieur le président !

M. Michel Herbillon. Il n’y a aucune raison d’évoquer le maire de Montreuil dans ce débat !

M. Jean-Pierre Brard. Votre projet de loi, madame la ministre, prévoit que les personnes qui téléchargent ou échangent des œuvres sur Internet se voient désormais appliquer des sanctions selon le mode de la riposte graduée, un terme emprunté au vocabulaire de la guerre froide !

M. Philippe Gosselin. Que vous connaissez si bien !

M. Jean-Pierre Brard. Après l’envoi de deux lettres recommandées, la ligne Internet sera coupée pour une durée maximale d’un an, sans toutefois que son paiement à l’opérateur, en l’état actuel de votre texte, soit suspendu. C’est, en somme, une sorte de double peine. On imagine aisément les conséquences dramatiques que cela suppose de nos jours, alors que beaucoup de nos activités quotidiennes et professionnelles dépendent de cet outil. Après une coupure de ligne, comment feront les étudiants en quête de documentation ou les salariés qui travaillent chez eux ? De surcroît, la suspension pourra affecter toute une famille, devenant ainsi une sanction collective, ce qui est inacceptable.

M. Christian Paul. Bon argument !

M. Serge Blisko. Sans oublier la télémédecine !

M. Jean-Pierre Brard. C’est une peine qui semble quelque peu disproportionnée par rapport au délit de diffusion de la culture !

Par ailleurs, tout cela se fera dans le cadre d’une procédure qui ne permettra pas aux usagers dont l’adresse IP a été identifiée comme ayant servi au téléchargement de se défendre. Ils ne pourront pas non plus obtenir d’ informations sur les faits qui leur sont reprochés avant la décision de sanction. À ce propos, on peut faire confiance à l’un des créateurs d’Internet, l’américain Vinton Cerf, quand il affirme que 30 % à 40 % des ordinateurs en fonction sur le réseau sont piratés. Comment sécuriser l’accès à Internet si l’ordinateur est lui-même infecté et utilisé à distance ? Peut-on demander aux particuliers de réussir là où les professionnels échouent ? Allez-vous prendre le risque de punir en majorité des innocents ? Qui peut dire que ce ne sont pas de vrais problèmes ?

Les internautes sont, pour la plupart, incapables de faire face aux rapides développements des techniques de piratage qui rendent la sécurisation d’une ligne Internet quasiment impossible, sauf bien sûr ceux qui organisent le trafic et la contrefaçon à grande échelle. Pour ceux-là, laissez les juges faire leur travail !

Du reste, les effets pervers de ces procédures de contrôle informatique ne tarderont pas à se faire sentir. Les pirates chevronnés ne manqueront pas de mettre rapidement en œuvre des moyens de contournement utilisables pour d’autres délits plus graves de cybercriminalité impliquant les réseaux de pédopornographie ou les cybermafias, ce qui risque de compliquer grandement la tâche des autorités.

Cette mesure coûteuse – l’État prévoit plus de mille coupures par jour, précédées de deux lettres recommandées, soit plus de 6 millions d’euros de dépenses par an – ne sanctionnera donc que les internautes de bonne foi, qui ne pourront être protégés par les dispositions habituellement prévues par la Constitution et la loi pénale, celles qui instituent la présomption d’innocence, celles qui donnent le droit à un procès équitable, celles qui assurent le respect de la vie privée, celles qui garantissent un accès à la culture pour tous.

Je ne m’attarderai pas plus longtemps sur des considérations d’ordre technique, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir au cours de la discussion des articles. Permettez-moi seulement d’exprimer mes doutes sur l’opportunité de sanctionner les usagers sur le fondement d’un défaut de sécurisation de leur connexion. Que n’avez-vous, dans votre logique de répression, ciblé les fournisseurs d’accès à Internet qui ont mis en avant, et continuent de le faire, le haut débit de la connexion comme accroche de leur promotion ? Ils font leurs choux gras d’une offre, légale ou non, de produits ou de biens culturels. Pourquoi culpabiliser les internautes ? Pourquoi ne pas responsabiliser au préalable les acteurs d’un système économique désuet, nuisible à la culture en général, défavorable aux artistes en particulier, quand ils ne sont pas liés aux sociétés de production dominantes ?

On ne sanctionne pas les financiers voyous, …

M. Patrick Roy. Effectivement, de ceux-là on ne dit jamais rien !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. …qui dans leur course aux profits maximum ont accéléré la crise financière, à l’instar de Charles Milhaud dont on connaît les errements à la tête des caisses d’épargne – 2 milliards d’euros de perte en 2008 – et la participation à la création de Natixis, dont l’action vaut maintenant moins d’un euro contre 19 euros à sa création, et l’on est prêt à faire la chasse aux internautes, aux citoyens ordinaires, en bafouant les lois les plus élémentaires du respect de la vie privée ! Comme quoi, mieux vaut être un grand délinquant qu’un honnête citoyen qui utilise les technologies actuelles !

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, avec votre loi, vous illustrez parfaitement les vers de La Fontaine dans Les animaux malades de la peste que vous avez certainement appris sur les bancs de la communale :

« Selon que vous serez puissant ou misérable,

« Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.»

M. Philippe Gosselin. Je pensais plutôt à : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » !

M. le président. Monsieur Gosselin, n’interrompez pas M. Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, M. Gosselin veut seulement nous montrer qu’il n’est pas atteint de la maladie d’Alzheimer. Mais au lieu d’essayer de se remémorer ces poèmes appris à l’école, il ferait mieux d’en tirer la substantifique moelle. Ne voyez vous donc pas que ces vers vous placent devant vos turpitudes ! Revenez donc à la morale et à la défense de l’intérêt collectif.

M. Philippe Gosselin. Et vous, revenez à votre texte !

M. Jean-Pierre Brard. Ce qui paraît le plus grave à la lecture de ce projet de loi, madame la ministre, c’est l’essence même de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet et son fonctionnement. Composée de neuf membres dont quatre sont directement nommés par le Gouvernement, elle permet tout bonnement de se passer de l’autorité du juge. De plus, elle ne peut être saisie que par le Centre national de la cinématographie, les organismes de défense professionnelle ou les sociétés de perception, et non par les artistes indépendants dont les droits ne seront pas protégés par cette loi.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Bien sûr que si !

M. Jean-Pierre Brard. Vous nous le démontrerez dans la suite de nos débats. Mais il vous faudra avancer des arguments autrement plus convaincants que ceux que vous avez développés jusqu’à présent.

M. le président. Monsieur Brard, vous arrivez au terme de votre temps de parole.

M. Jean-Pierre Brard. J’ai été interrompu à de nombreuses reprises, monsieur le président !

M. Michel Herbillon. M. Brard s’interrompt lui-même, c’est très différent !

M. Jean-Pierre Brard. Quand on sait que les majors concentrent dans leurs mains plus de 70 % de la production musicale et audiovisuelle, ce projet de loi, pour elles, ce n’est même pas du sur-mesure, c’est de la haute couture !

La Haute autorité pourra surveiller l’ensemble des communications sur l’adresse visée et décidera seule de l’application de la sanction que les fournisseurs d’accès seront sommés d’exécuter. Cela pourrait rappeler aux plus anciens d’entre nous certaines juridictions d’exception comme la Cour de sûreté de l’État supprimée par la gauche en août 1981. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Dionis du Séjour. Holà ! Attention !

M. Philippe Gosselin. Vous êtes en plein fantasme, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Ce big brother de l’informatique permettra de s’immiscer dans la vie privée des internautes à travers leurs réseaux.

M. Michel Herbillon. C’est faux !

M. Serge Blisko. Le rêve de tous les régimes autoritaires !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. En condamnant sans procès, vous niez le rôle du magistrat. Depuis deux ans, nous devrions pourtant en avoir l’habitude : contrôle tatillon de l’application des peines plancher, convocations à la chancellerie, parfois même nuitamment, comme pour le procureur de Nancy, suppression du juge d’instruction renforçant l’assujettissement de la justice au parquet. Hélas ! les exemples ne manquent pas.

Votre politique est cohérente : il s’agit toujours de remplir les poches des privilégiés.

M. Philippe Gosselin. Tiens, cela nous manquait !

M. Jean-Pierre Brard. Pour cela, il faut bâillonner les libertés, les réduire. Vous l’avez fait hier avec la loi sur l’audiovisuel et la loi modifiant le règlement de notre assemblée, vous le faites aujourd’hui avec les internautes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’histoire de nos débats parlementaires se plaît parfois à bégayer. Que les plus jeunes de notre assemblée nous permettent un petit retour en arrière : en décembre 2005 et janvier 2006, l’Assemblée nationale examinait dans des conditions particulièrement exotiques le projet de loi DADVSI. Celui-ci avait l’ambition de répondre à la même question que celle qui nous est posée aujourd’hui : comment rémunérer la création de manière juste dans un monde dématérialisé où les œuvres audiovisuelles sont accessibles gratuitement, facilement et rapidement ?

Si nous sommes aujourd’hui réunis à nouveau, c’est d’abord parce que la loi DADVSI n’a pas été à la hauteur. Disons-le franchement : elle a été inefficace.

Mme Martine Billard. Vous l’avez pourtant votée, il me semble !

M. Jean Dionis du Séjour. Non, madame Billard, je m’étais abstenu !

M. Jean-Pierre Brard. Dans le doute, abstiens-toi !

Mme Martine Billard. Centriste ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Dès lors, on ne saurait commencer nos travaux en s’exonérant d’une analyse préalable des causes de l’échec de la DADVSI.

Les phénomènes qui avaient été identifiés à l’époque sont sensiblement les mêmes qu’aujourd’hui. Ils sont triples.

Premier phénomène : la destruction de valeur persistante dans les industries culturelles. Ne pas la voir, c’est nier que le marché de la musique a reculé de 15 % en 2008.

Mme Martine Billard. Personne ne le nie !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour ce qui concerne le cinéma, on a constaté une chute de 7 % de la vidéo à la demande et des ventes de DVD.

Au total, le préjudice subi par le milieu culturel serait de l’ordre de 1,2 milliard d’euros, dont 369 millions notamment pour la musique et 605 millions pour le cinéma, selon les chiffres fournis par M. le rapporteur pour avis.

En 2009 comme en 2005, nous sommes donc devant un phénomène de destruction de valeur dangereux pour le monde de la culture dans son ensemble, créateurs, producteurs, diffuseurs et spectateurs. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le dire.

Deuxième phénomène : le téléchargement illégal est devenu un comportement social de masse. Les facilités techniques et la profusion des offres de téléchargement illégal expliquent en partie ce phénomène. 40 milliards de fichiers musicaux et 1 milliard de films seraient échangés chaque année sur les plates-formes de pair-à-pair dans le monde, la France étant clairement dans la course pour le titre peu enviable de championne du monde de téléchargement illégal.

Face à ce défi, la DADVSI a échoué. Rarement appliquée, son orientation pénale bien trop sévère était disproportionnée et inadaptée pour freiner un délit de masse devenu aujourd’hui une pratique sociale banalisée, majoritaire chez les dix-huit–vingt-quatre ans, selon le dernier sondage TNS SOFRES effectué à ce sujet.

Troisième phénomène : une offre légale trop chère, pas assez ergonomique et trop restreinte. Qu’en est-il aujourd’hui par rapport à ces trois interrogations de 2005 ? Trop chère l’offre légale ? Cela reste vrai. Quand on visite les plates-formes légales, on s’aperçoit que le prix moyen d’un album est de 9,99 euros pour dix titres. Le prix d’un titre est encore à 0,99 euro. Ce sont exactement les prix standards de 2005. En trois ans, sur le front des prix, aucun effort significatif n’a été fait pour baisser le prix de vente des œuvres musicales sur les plates-formes légales.

M. Didier Mathus. Effectivement !

M. Jean Dionis du Séjour. Gardons pourtant toujours à l’esprit qu’il s’agit de concurrencer ce qui, pour une part sans cesse croissante de nos concitoyens, sans doute à tort, s’apparente à un service gratuit. De plus, nous sommes toujours en attente d’une épreuve de vérité et de transparence de la part des industries audiovisuelles sur leurs coûts de production. La question posée par M. Mathus est légitime.

M. François Brottes. Comme toujours !

M. Jean Dionis du Séjour. Trop compliquée et trop restreinte l’offre légale ? Dans ce domaine, reconnaissons-le, des progrès significatifs ont été effectués. Les sites de téléchargement légal sont plus visibles, plus faciles à utiliser et mettent enfin à disposition un catalogue de contenus beaucoup plus vaste, même si des aberrations emblématiques, comme l’absence du répertoire des Beatles, restent à lever.

M. Patrick Roy. Pour les Beatles, très bonne remarque !

M. Jean Dionis du Séjour. Mais surtout, l’industrie musicale a récemment accepté de supprimer les mesures de protection de ses fichiers, mettant ainsi un terme aux fameux DRM qui empêchaient l’interopérabilité. L’industrie musicale applique donc les engagements qu’elle a pris lors des accords de l’Élysée et nous ne pouvons que la féliciter.

M. Philippe Gosselin. Les engagements sont tenus !

M. Jean Dionis du Séjour. Nos travaux de 2005 n’auraient-ils servi à rien ?

En tout cas, ils nous commandent la modestie et l’humilité. La présente loi sera comme toutes les lois concernant le monde Internet, c’est-à-dire nécessairement de courte durée compte tenu des mutations technologiques rapides de ce secteur d’activité et des modifications non moins rapides des comportements sociaux.

M. Serge Blisko. Très bonne analyse !

M. Jean Dionis du Séjour. Par ailleurs, nos travaux de 2005 ont servi à « déminer » le débat sur la licence globale.

Rappelons-nous en effet que la majeure partie de nos discussions avaient été monopolisées par cette fausse bonne idée.

Je suis sûr que ce débat reviendra dans l’hémicycle, certes de manière moins violente qu’en 2005. Sur ce sujet, les centristes avaient été l’une des rares familles politiques à être claire. Ils considèrent qu’ils ont eu raison de s’opposer à cette forme de licence globale en 2005, y compris M. Bayrou.

M. Jean-Pierre Brard. Ah bon ? Il me semblait plutôt que c’était le clair-obscur !

M. Jean Dionis du Séjour. Ils feront donc preuve de continuité et de cohérence en 2009 sur ce point.

Enfin y a-t-il eu pendant ces trois ans de véritables innovations à la fois techniques et économiques ? La réponse est oui.

Le site Deezer.com, cité par nombre de mes collègues…

M. François Brottes. Et la ministre !

M. Jean Dionis du Séjour. …et Mme la ministre, symbolise à lui seul un ensemble de concepts nouveaux qui renouvelle enfin la problématique de la diffusion et de la protection des œuvres sur Internet.

Notre intention n’est pas ici de faire la promotion d’un site Internet en particulier,...

Mme Martine Billard. C’est un site gratuit !

M. Jean Dionis du Séjour. ...mais plutôt de pointer ce qui pourrait ressembler au modèle économique de demain pour la diffusion des œuvres culturelles. Penchons-nous un moment sur cette percée conceptuelle que représente Deezer.com.

Premièrement, il permet d’écouter de la musique en streaming, c’est-à-dire en continu, sans téléchargement, donc sans possession de l’œuvre : on utilise un bien sans s’approprier le support. Il s’agit là d’une révolution qui, nous le croyons, est en train de tracer le sillon d’un nouveau modèle économique d’avenir.

Deuxièmement, il est financé par les recettes publicitaires, une écoute gratuite pour l’internaute et une rémunération liée à l’audience pour les ayants droit, à l’image de ce qui existe pour la radio.

Le résultat de ce nouveau modèle, c’est un succès foudroyant qui voit accéder 5 millions de visiteurs uniques par mois sur le site et le recul immédiat des pratiques de téléchargement. Sur les 5 000 internautes qui ont répondu à une enquête qui leur demandait s’ils téléchargeaient encore de la musique depuis qu’ils utilisaient le site Deezer.com, 65 % ont déclaré ne plus télécharger du tout. Et d’ailleurs, c’est tout de même facile à admettre. Il n’y a plus franchement d’intérêt à télécharger une œuvre – ce qui prend un certain temps – alors qu’un simple clic suffit pour écouter immédiatement son morceau de musique préféré.

Ne sous-estimons pas la force de ce nouveau modèle, au risque d’être encore une fois déconnectés de la réalité.

Mes chers collègues, voilà tracé à grands traits le diagnostic et l’étude d’impact de nos travaux de 2005. Ils éclairent singulièrement nos débats d’aujourd’hui. Prenons garde de ne pas commettre à nouveau l’une des erreurs les plus graves de la DADVSI, celle de légiférer de manière déséquilibrée en faveur des ayants droit.

Il serait en effet dangereux de tomber dans un amalgame consistant à penser qu’Internet ne constitue qu’une menace pour la création alors qu’il est surtout le plus formidable diffuseur des œuvres culturelles jamais conçu. Il permet ainsi de réaliser le rêve de Victor Hugo et des républicains de la fin du XIXe siècle, celui de la démocratisation culturelle.

C’est avec Internet que nous réduirons la fracture culturelle, la plus dure à dépasser pour construire une démocratie juste et moderne.

Nous avons une ardente obligation de légiférer pour les auteurs et pour les auditeurs, pour les producteurs et les diffuseurs comme pour les spectateurs. Nous devons les réconcilier.

Une fois faite l’analyse incontournable de l’échec de la DADVSI, venons-en maintenant à nos travaux.

En juillet 2007, Nicolas Sarkozy se saisit de cette impasse et charge Denis Olivennes d’établir un nouveau diagnostic et de nouvelles propositions. Ses conclusions sont immédiatement concrétisées par la signature des accords de l’Élysée le 23 novembre 2007, avalisées par l’ensemble des acteurs socioprofessionnels directement ou indirectement concernés par le téléchargement illégal.

Nous tenons à dire notre soutien à la fois sur la méthode utilisée et les principes fondateurs de cette loi.

La méthode d’abord nous paraît la bonne. Elle a fait se succéder le travail d’un professionnel reconnu, M. Olivennes.

M. Jean-Pierre Brard. Un bon businessman !

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas forcément une insulte !

M. Jean-Pierre Brard. Mais pas nécessairement une qualification !

M. Michel Herbillon. Il avait le droit de travailler !

M. Serge Blisko. Ben voyons !

M. Jean Dionis du Séjour. Cet accord interprofessionnel large a été approuvé par des professions qui n’avaient vraiment pas l’habitude de travailler ensemble – et c’est un doux euphémisme lorsque l’on parle par exemple des industries culturelles et des fournisseurs d’accès à Internet – avant de se terminer par nos travaux parlementaires. La méthode est correcte.

Nous approuvons aussi les principes fondateurs de cette loi. Ils reprennent, au moins dans l’intention, la double approche intelligente des accords de l’Élysée : promotion de l’offre légale et dissuasion du téléchargement illégal par la mise en œuvre d’une réponse graduée. Nous voulons être particulièrement clairs sur le volet « dissuasion ». Nous soutenons la nécessité de l’existence d’un tel volet et nous approuvons sa mise en œuvre sous la forme d’une réponse graduée, pédagogique, progressive et au final répressive.

M. Didier Mathus. Vous êtes un vrai centriste !

M. Jean Dionis du Séjour. Jusqu’ici, tout va bien.

Pourtant, à la lecture du présent projet de loi, on s’aperçoit très rapidement que l’esprit du projet initial qui reposait sur deux jambes n’a pas été fidèlement respecté et a finalement été traduit dans un texte assez unijambiste ou tout du moins boiteux...

M. Jean-Pierre Brard. Plutôt cul-de-jatte !

M. Jean Dionis du Séjour. ...qui ne retient plus que le volet répressif des accords conclus en novembre 2007, ce qui nous conduit à faire deux critiques majeures sur ce texte.

Premièrement, la quasi-absence de propositions pour favoriser structurellement l’offre légale des œuvres sur Internet. En effet, rien n’est fait pour faire baisser les prix qui sont pourtant le principal obstacle à l’émergence d’une l’offre légale trouvant un marché de masse.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour. Le groupe Nouveau Centre vous proposera donc de donner clairement à la future HADOPI la compétence d’analyse des relations contractuelles unissant les différents acteurs de l’industrie audiovisuelle, en lui octroyant, en outre, le pouvoir de saisir l’autorité de la concurrence lorsqu’elle constatera des pratiques anticoncurrentielles, notamment entre les ayants droit et les diffuseurs.

Nous n’y avons rien trouvé non plus pour favoriser l’émergence de nouveaux modèles technologiques et économiques, et notamment le streaming, qui sera sans doute le modèle de l’avenir, que ce soit pour la musique ou la vidéo. Les centristes soumettront donc un amendement visant à mettre en place un système de licence collective étendue, pour étendre à Internet ce qui fonctionne déjà pour la radio, et qui permettra de donner un fondement légal aux sites fonctionnant en streaming, c’est-à-dire en diffusion en flux, tout en assurant une rémunération équitable des ayants droit.

Enfin, rien ou pas grand-chose pour compresser la chronologie des médias. C’est pourtant la proposition numéro un du rapport Olivennes. L’article 9 ter introduit au Sénat ne va pas assez loin. Un amendement du rapporteur prévoit d’ouvrir la fenêtre d’exploitation des œuvres sous forme de DVD et VoD dans un délai compris entre trois et six mois après la sortie du film en salles, mais nous vous proposerons de porter ce délai entre deux et quatre mois, de façon que le délai de mise à disposition des œuvres cinématographiques sur internet et sur DVD soit effectivement inférieur ou égal à quatre mois et respecte les accords de l’Élysée.

Madame la ministre, l’autorité de l’État et de votre ministère est en jeu. Il est urgent d’agir, n’en déplaise à certains groupes d’intérêt particulièrement égoïstes qui refusent encore de regarder la réalité en face. Je veux clairement parler de la partie la plus rétrograde des exploitants de salle de cinéma.

M. Jean-Pierre Brard. À qui pensez-vous ? À Marin Karmitz ?

M. Jean Dionis du Séjour. Non, mais je pourrai vous apporter des précisions, si vous le souhaitez.

M. Jean-Pierre Brard. Normalement, ce devrait être lui !

M. Jean Dionis du Séjour. Notre deuxième critique majeure porte sur la mise en œuvre du dispositif de réponse graduée. Nous pensons qu’il faut choisir l’amende plutôt que la coupure de l’accès à Internet comme sanction finale du dispositif HADOPI. Nous vous le répétons, nous soutenons le volet dissuasif du texte. Le mécanisme d’avertissement préalable à la sanction est un dispositif intelligent dont nous apprécions le caractère pédagogique et responsabilisant.

Mais soyons lucides, l’identification des contrevenants sera difficile à mettre en œuvre, lourde en contentieux et particulièrement coûteuse, mais nous la croyons indispensable, contrairement à la coupure de l’accès internet. Les zones Wi-Fi, les réseaux cryptés, les usurpations d’adresses IP seront autant d’obstacles qui rendront l’identification des contrevenants complexe.

Pour être sûr de prévenir et, le cas échéant, de sanctionner la personne qui s’est effectivement rendue coupable d’un acte de téléchargement illégal, il est donc primordial d’inciter fortement les fournisseurs d’accès à mettre en place de véritables outils d’identification sans lesquels votre projet de loi pourrait rejoindre rapidement la DADVSI au cimetière bien rempli des lois inapplicables.

M. François Brottes. Voilà un centriste lucide ! C’est lucide, plus que lucide !

M. Patrick Roy. Quelques instants de lucidité !

M. Jean Dionis du Séjour. Si nous sommes en accord avec la phase préventive de votre dispositif, nous considérons en revanche que la sanction que vous avez privilégiée, c’est-à-dire la suspension de l’accès à internet, est un véritable mauvais choix et nous nous fixons comme objectif principal de nos travaux à l’Assemblée de vous convaincre, mes chers collègues du groupe UMP, de ne pas entériner ce mauvais choix.

M. Lionel Tardy. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est d’abord un mauvais choix symbolique et politique. Pour toute une génération, pour toute notre jeunesse, le téléphone mobile et leur poste de travail dans leur chambre, avec leur accès Internet, c’est tout simplement leur autonomie, leur liberté et leur art de vivre en société qui est en jeu.

M. Philippe Gosselin. Personne ne dit le contraire !

M. Michel Herbillon. Ce n’est pas en cause !

M. Jean Dionis du Séjour. Si, c’est en cause !

Vous touchez là à quelque chose de très sensible qui va être vécu comme une agression personnelle, en décalage complet avec l’esprit de la réponse graduée. Et le fait de dire qu’un contrevenant privé de son accès Internet pourra aller se connecter chez sa voisine ou au bistrot,…

M. Jean-Pierre Brard. Surtout au bistrot, après ce qu’on vient de voter !

M. Jean Dionis du Séjour. …c’est vraiment fouler au pied la psychologie de nos jeunes.

M. Lionel Tardy. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Ne faites pas cela, madame la ministre. Ne faites pas cela, mes chers collègues !

Ajoutons que, dans ce débat, une petite dose de pragmatisme ne ferait pas de mal.

M. Jean-Pierre Brard. Et même une grosse !

M. Jean Dionis du Séjour. À l’instar de la commission des affaires économiques de notre assemblée et du Sénat, nous considérons que la seule sanction qui marche en France pour les délits mineurs, c’est l’amende.

M. Franck Riester, rapporteur. Mais non !

M. François Brottes. Quoi qu’en dise le rapporteur !

M. Jean Dionis du Séjour. Tous les maires voient bien ce qui se passe en matière de stationnement et d’excès de vitesse.

C’est tellement vrai qu’à la naissance du concept de réponse graduée, je peux en porter témoignage, c’est l’amende qui avait été retenue. Nous restons convaincus que la motivation qui a prévalu et qui a abouti au choix de la coupure de l’accès à Internet n’est pas une motivation sociale, mais politique.

Mme Martine Billard. Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour. À notre sens, il s’agit d’une logique malheureuse d’implication un peu punitive des fournisseurs d’accès.

M. Lionel Tardy. Une logique contre-productive !

M. Jean Dionis du Séjour. La coupure de l’accès à Internet sera particulièrement difficile à mettre en œuvre dans de nombreux cas, notamment pour les abonnés, toujours plus nombreux, qui disposent d’une offre « triple-play » incluant non seulement l’abonnement à Internet mais également des services de téléphonie et de télévision. La suspension d’un seul de ces services sera, dans certaines régions en dégroupage, impossible techniquement ou très coûteuse pour les fournisseurs d’accès qu’il faudra bien que l’État dédommage d’une façon ou d’une autre. Les sanctions seront donc discriminatoires entre les abonnés pour des raisons de faisabilité technique.

Mes chers collègues, c’est à notre assemblée qu’il appartient d’avoir le dernier mot dans cette affaire. Permettez-nous d’insister sur l’importance de ce choix, sur lequel se joue le succès ou l’échec du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet. Avec l’amende, ce texte a une chance de s’enraciner dans la vie quotidienne des Français et d’atteindre ses objectifs. Avec la coupure de l’accès à Internet, il devient instantanément une agression vis-à-vis de nos jeunes et donc une cible qu’ils n’arrêteront pas de transgresser tant qu’elle n’aura pas été évacuée.

M. Christian Paul. Les mèls arrivent déjà !

M. Jean Dionis du Séjour. Madame la ministre, puisque la loi se veut pédagogique, supprimez au moins la véritable provocation, contenue dans votre texte – je veux bien me mettre à genoux, s’il le faut –, que constitue le maintien du paiement de l’abonnement durant la période de suspension. C’est un chiffon rouge absolument inutile, même pour ceux qui soutiennent la mesure de suspension à Internet. Maintenir cette double peine pourrait signer à elle seule l’échec de votre approche. C’est pourquoi je me félicite que la commission des lois se soit rangée derrière un amendement de consensus. C’est un premier signe de bon augure. Je remercie les rapporteurs qui ont soutenu cet amendement.

Nous souhaitons bien évidemment la réussite de votre dispositif mais en privilégiant la souplesse et la réactivité dans sa mise en œuvre. Donnons-nous rendez-vous dans trois ans, comme le prévoit notre amendement, afin de réadapter notre arsenal législatif à la réalité qui s’imposera à nous et qui risque fort de nous surprendre. Utilisons également ce délai de trois ans pour réunir les conditions nécessaires à l’émergence d’une véritable législation européenne uniforme applicable dans l’ensemble des États membres.

Permettez également au rapporteur de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de penser que l’article 5 qui donne au juge le pouvoir d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d’auteur » a besoin d’être resitué dans la lettre et l’esprit de la LCEN et des directives européennes dont celle-ci est issue. Ne pas recadrer cet article à l’intérieur de la LCEN et des directives européennes serait laisser subsister un article exorbitant et dangereux, en décalage profond avec votre approche proportionnée de la réponse graduée.

Enfin, le Nouveau Centre vous soumettra un amendement visant à créer le statut d’éditeur de presse en ligne, assorti d’un régime de responsabilité adapté. Cet amendement s’inscrit pleinement dans la continuité des engagements pris par le Président de la République à l’issue des états généraux de la presse. Je ne doute pas que vous serez favorable à son adoption dans un contexte de crise de la presse.

Madame la ministre, en pensant à nos débats sur la loi relative à l’audiovisuel, je formulerai un vœu : que sur ce projet de loi vous écoutiez les centristes tout de suite, dès le début de nos débats !

M. Jean-Pierre Brard. Pour cela, il faudrait lui acheter un sonotone !

M. Jean Dionis du Séjour. Prouvez-nous que le Gouvernement peut être audacieux, « open et flex » comme disent mes gosses ! – je vous prie d’excuser ces anglicismes. Mettons en place une HADOPI capable de stimuler l’élargissement du marché légal, de faire pression sur les parties prenantes pour que les prix baissent enfin, de ringardiser, par sa modernité, le téléchargement, dont l’effacement est déjà annoncé, de redéfinir, enfin, une chronologie des médias raccourcie et cohérente avec notre objectif de favoriser l’offre légale.

Madame la ministre, nous vous donnons rendez-vous sur nos amendements : ne nous décevez pas ! Surprenez la jeunesse française et les millions de jeunes internautes par une législation à la fois ferme, responsable et moderne ! Prouvez-leur que vous en êtes capable et alors seulement le groupe Nouveau Centre vous apportera son soutien plein et entier.

M. Jean-Pierre Brard. Dionis a besoin d’amour ; c’est un sentimental !

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que n’entendons-nous pas depuis quelques semaines, depuis quelques heures, à l’instant même !

Mme Martine Billard. Et encore, vous n’étiez pas là en 2006 !

M. Philippe Gosselin. Une fois de plus, c’est le procès facile en ringardisation de la droite. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Christian Paul. Vous faites tout pour cela !

M. Philippe Gosselin. Vous regrettez sans doute le vote unanime du Sénat !

M. Jean-Pierre Brard. Faux : il y a eu des abstentions !

Mme Martine Billard. En effet, au Sénat, nous nous sommes abstenus !

M. Philippe Gosselin. Prétextant avoir été occupée par les préparatifs du congrès de Reims, la gauche comprend qu’elle a failli en votant avec la droite.

M. Patrick Roy. Parce que la droite est réactionnaire, et depuis longtemps !

M. Philippe Gosselin. Drame ultime, dans un pays où les libertés sont menacées : voici qu’on oppose, dans une querelle subtile, les anciens aux modernes, les amis de la liberté à tous les autres !

M. Christian Paul. On sait de quel côté vous vous rangez !

M. Philippe Gosselin. En 2009, il serait anachronique de vouloir empêcher le piratage : ce serait encore chercher à s’en prendre aux jeunes ! Les libertés seraient menacées…

M. Jean-Pierre Brard. Exactement !

M. Philippe Gosselin. Soyons sérieux, monsieur Brard ! Il s’agit de la démocratisation de la culture et du financement de la création.

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous vous moquez du monde !

M. Philippe Gosselin. Chacun doit finir par comprendre que si la culture, comme la démocratie, dont elle est un élément fondamental, n’a pas de prix, elle a un coût…

M. Jean-Pierre Brard. Patrice Le Lay !

M. Philippe Gosselin. …et que le piratage, c’est le vol. Or le téléchargement illégal, associé, peut-être, à d’autres causes, a provoqué une chute de 50 % en cinq ans du chiffre d’affaires de l’industrie musicale, la perte de 30 % des emplois et, pire, une baisse des artistes signés de 40 % par an,…

M. Christian Paul. Vous y avez une part !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes au pouvoir depuis sept ans !

M. Philippe Gosselin. …à quoi il convient d’ajouter le téléchargement de 450 000 films. Il fallait réagir : c’est l’objet du présent texte. La loi sera pédagogique et préventive.

Aujourd’hui, c’est la loi sur la contrefaçon qui s’applique : 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement, ce qui paraît très lourd d’application,…

M. Jean-Pierre Brard. Trois ans d’emprisonnement pour Xavier Bertrand ?

M. Philippe Gosselin. …une application qui doit concerner les gros piratages, à but lucratif.

Il s’agit donc d’adopter des mesures de répression graduée afin que chacun finisse par comprendre que la création doit être respectée, car ce respect est précisément le gage de la liberté. Sans le respect des droits intellectuels, pas de création sur le long terme, et sans création, point de démocratie ! Il s’agit également de mettre en musique les accords, que certains ont dédaignés ou trouvé abusifs, de l’Élysée, signés à l’automne 2007 par quarante-sept professionnels et des fournisseurs d’accès à Internet et soutenus, aujourd’hui, ne vous en déplaise, par 10 000 auteurs – la liste circule et s’allonge tous les jours –, des éditeurs, des artistes, des producteurs, des réalisateurs et des acteurs du monde du spectacle et de la musique, et ce de toutes tendances !

Vous citiez notamment Didier Barbelivien : il y est effectivement, mais aux côtés de combien d’autres, dont nous apprécions le talent et qui, pourtant, ne partagent pas nos idées ! Je pense à Benabar, Boogaerts, Amadou et Mariam, Corneille, Bernard Lavilliers, Sanseverino, Thiefaine – la liste n’est pas exhaustive, monsieur Brard, et je n’ai pas, du reste, l’intention de l’instrumentaliser.

M. Jean-Pierre Brard. Sanseverino, ce n’est pas ma tasse de thé, c’est plutôt celle de Voynet ! (Rires.)

M. Philippe Gosselin. Je tiens simplement à souligner le fait que les auteurs-compositeurs, les éditeurs et les artistes soutiennent véritablement le texte, un soutien qui vous surprend – d’habitude, c’est plutôt l’inverse qui se produit.

Ce qui également peut vous déranger, c’est que cette liste comprenne des « gros » ; et je sais combien, sur certains bancs de cet hémicycle, on n’aime pas les gros.

M. Jean-Pierre Brard. Contrairement à vous !

M. Philippe Gosselin. Toutefois, ces soutiens comprennent aussi beaucoup de petits, monsieur Brard : en effet 99 % des entreprises de la musique et 95 % des entreprises de cinéma sont des PME : plus fragiles par la taille, elles sont davantage exposées à la menace du piratage. Les labels indépendants pâtissent dès lors davantage que les majors des risques encourus et d’une chute possible.

Le projet de loi me paraît à plus d’un titre réellement équilibré. Toutes les parties sont gagnantes, les utilisateurs comme les autres. Préventif, pédagogique, ce projet institue un dispositif administratif adapté, car fondé sur des avertissements successifs – un premier mèl, puis un second, des envois recommandés – avec une éventuelle suspension provisoire de l’abonnement à Internet, auquel il ne s’agit évidemment pas de couper définitivement l’accès. De plus, le recours au juge restera toujours possible. En dépénalisant, l’objectif est d’introduire de la réactivité, de la souplesse, donc de l’efficacité tout en évitant de criminaliser les internautes, contrairement à ce que laissent entendre les détracteurs du texte.

Par ailleurs, une autorité administrative indépendante – la Haute autorité créée – offre des garanties nécessaires d’impartialité et de confidentialité, d’autant qu’elle est, en tant que telle, évidemment soumise à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme,…

M. Christian Paul. Cela fait rêver !

M. Philippe Gosselin. …qui assure le droit à un procès équitable, avec le respect du contradictoire et les droits de la défense.

M. Christian Paul. Kafka n’est pas mort !

M. Philippe Gosselin. Quant au caractère prétendument inédit des mesures proposées, je vous rappellerai que des autorités administratives indépendantes peuvent d’ores et déjà prononcer des sanctions du même type : l’AME, l’ARCEP, la CNIL, notamment.

M. Christian Paul. L’AME, bon exemple de réussite !

M. Philippe Gosselin. Les recours, vous le savez, seront examinés en détail. De plus, pour répondre à MM. Bloche et Mathus, je tiens à rappeler que le protocole des traitements de données sera non seulement agréé mais également contrôlé par la CNIL, qui jouera parfaitement son rôle.

En ce qui concerne les utilisateurs, on doit noter de très importantes avancées, notamment sur la suppression des DRM bloquants, ou plutôt, en bon français – on parle beaucoup anglais, dans cet hémicycle – la gestion des droits numériques. Ce texte signe la fin des mesures de protection sur les œuvres numériques proposées en offre légale, protection qui interdit leur consommation en mobilité en la limitant à un seul support. Les professionnels se sont également engagés à raccourcir les délais dans lesquels les diverses exploitations d’une œuvre cinématographique peuvent intervenir – salle, vente de DVD ou DVD à la demande. Le délai passera de six mois à quatre mois, voire un peu moins.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas encore fait !

M. Philippe Gosselin. Surtout, le principal intérêt du texte sera d’augmenter l’offre légale qui, aujourd’hui, c’est vrai, il faut le reconnaître, est encore trop limité. Les catalogues proposés doivent être développés afin de coller le mieux possible aux besoins ou aux envies des jeunes et des moins jeunes, ainsi qu’aux styles des publics, tout en se montrant ambitieux et en promouvant de jeunes talents. Osons !

Il appartient aussi aux professionnels de jouer le jeu !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes un vrai VRP !

M. Philippe Gosselin. À eux de profiter de ce cadre législatif pour adapter leurs prix. C’est une occasion privilégiée ! Je le reconnais : 99 centimes ou 10 euros sont des tarifs encore…

M. Jean Dionis du Séjour. Trop chers !

M. Philippe Gosselin. …prohibitifs.

M. Jean Dionis du Séjour. Surtout comparés au coût de production !

M. Philippe Gosselin. J’ai des enfants , je le constate pour eux. Vivons avec notre époque ! La loi devra permettre de mieux ajuster les prix à une offre privilégiée.

Il est toujours facile d’agiter des chiffons rouges, de mettre les rieurs de son côté et d’être saint Nicolas plutôt que le Père Fouettard. Mais soyons responsables : les technologies évoluent, et ce n’est pas fini.

M. Jean-Pierre Brard. Même dans la Manche !

M. Philippe Gosselin. La Manche, monsieur Brard, en matière de haut débit et sur le plan numérique, a beaucoup de leçons à donner. C’est un département très performant, qui fait école en France.

M. Christian Paul. Malgré le Gouvernement !

M. Philippe Gosselin. Je vous y inviterai.

Je crois encore à certains principes : la liberté des uns s’est toujours arrêtée à celle des autres. On a toujours dû concilier des droits de valeur équivalente, ce que nous rappelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Je le sais, monsieur Brard : vous n’aimez pas que l’UMP cite la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. Jean-Pierre Brard. C’est que vous en faites du papier d’emballage !

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas vrai : elle reste fondamentale à nos yeux car ses principes régissent notre droit. Elle est au sommet des normes.

Certes, les modèles économiques peuvent évoluer, tout spécialement dans les domaines des nouvelles technologies. Certes, de nos jours, de nouvelles pratiques mixtes sont apparues et il ne s’agit absolument pas de les nier, bien au contraire.

Mais le but des droits de propriété intellectuelle est de promouvoir le développement culturel et technologique en protégeant – au moins temporairement – les auteurs. À la différence du droit de la propriété industrielle, apparu à la fin du XVIIIe siècle et répondant à des considérations utilitaristes et commerciales, le droit de la propriété littéraire, artistique et intellectuelle, lui aussi né dans la foulée de la Révolution de 1789, protège non seulement la valeur économique de l’œuvre, mais également – et ce me semble le plus important – l’expression de la personnalité de l’auteur que l’œuvre porte en elle. L’atteinte qui y est faite a, dans ce cas, une dimension beaucoup plus vaste, en ce que le préjudice comporte une dimension morale et personnelle.

La remise en cause de la propriété intellectuelle – notamment par le téléchargement illégal – constitue une menace à l’encontre de grands principes de notre société : la protection, l’innovation, le droit de propriété ; et, au même titre que les biens matériels, les créations, les inventions issues de l’imagination humaine, ne sauraient être plagiées, pillées, piratées librement. Il en va de l’intérêt et du dynamisme économique de nos sociétés, mais aussi, au-delà, de leurs fondements moraux.

M. Jean-Pierre Brard. La morale, vos amis la coulent dans le béton !

M. Philippe Gosselin. Dès lors, sur ce thème, nous aurions tout intérêt, plutôt que d’opposer artificiellement jeunes et moins jeunes ou de nous envoyer les uns aux autres des anathèmes, à nous rassembler, sur Internet ou ailleurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Erhel.

M. François Brottes. Ça va être autre chose !

Mme Corinne Erhel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, plus de deux ans après l’adoption de la loi DADVSI, voilà un nouveau texte censé résoudre la question du téléchargement illégal des œuvres sur Internet. Pourtant, pas plus que la précédente loi, le présent projet n’apportera de réponse aux justes attentes des créateurs ni aux inquiétudes légitimes des internautes.

Votre texte est inadapté à l’enjeu économique. La loi DADVSI, jamais évaluée, n’a pas résolu la question de ce que vous appelez le piratage – curieuse expression, au demeurant. De nouvelles technologies, toujours plus innovantes, ne cessent de se développer, et il y a fort à parier que d’autres se développeront encore pour contourner les dispositifs complexes que vous entendez mettre en place par cette loi. Comment pouvez-vous penser qu’elle sera efficace, alors même que vous n’avez pas évalué la précédente et que vous n’en avez pas tiré les enseignements ?

Les accords de l’Élysée, la mission Olivennes, n’ont pas abouti à la construction d’un nouveau modèle économique audacieux, innovant, équitable, à la hauteur du développement d’Internet. La réflexion n’a pas été poussée jusque là, et c’est fort regrettable.

Internet doit être considéré comme un formidable outil de diffusion culturelle – ce que, de fait, il est. Il ne faut surtout pas le brider. De nombreux artistes ont pu se faire connaître grâce à Internet,…

M. Philippe Gosselin. Tant mieux ! Nous ne disons pas le contraire !

Mme Corinne Erhel. …et ils sont nombreux aussi à souhaiter le développement du partage et de la diffusion qu’offre cet instrument, pour peu qu’on invente un nouveau modèle économique de rémunération.

Avec votre système, aucun euro supplémentaire n’ira à la création. Nous sommes nombreux à regretter que la taxe sur les fournisseurs d’accès soit destinée à compenser la suppression de la publicité sur la télévision publique, au lieu de financer la création.

Nous avons, quant à nous, proposé quelques pistes de réflexion…

M. Jean Dionis du Séjour. Nous les attendons ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Corinne Erhel. …qui n’ont pas retenu l’attention de Mme la ministre : la contribution créative, d’abord, qui permettrait un mode de rémunération équitable ; le développement d’une offre légale attractive, de qualité et abordable financièrement pour tous ; enfin, une couverture numérique ambitieuse sur tout le territoire.

Le modèle que vous nous présentez est complexe à mettre en œuvre et trop de questions subsistent sur sa faisabilité technique et surtout sur son coût, estimé, dans un premier temps, à 6,7 millions d’euros dans la loi de finances pour 2009.

De plus, les modifications techniques nécessaires pour appliquer les sanctions de suspension de la connexion Internet ou de réduction du débit sont fort compliquées et coûteuses pour les opérateurs : on parle de 70 millions d’euros environ. Or, sans ces modifications techniques, il existe un risque avéré d’effets secondaires de coupure de l’abonnement téléphonique ou télévisuel, en cas d’offre triple play par exemple. L’ARCEP a d’ailleurs demandé, dans un avis récent, que des délais soient accordés aux opérateurs pour commencer d’adapter leurs réseaux.

Qui financera ces ajustements techniques ? Le budget de l’État ? Le consommateur-internaute via le montant de son abonnement ? Cette seconde hypothèse ne revient-elle pas à considérer, de façon fort injuste, que les abonnés sont tous des fraudeurs potentiels et qu’il est normal de leur faire supporter le coût de la lutte contre la fraude ?

Votre projet de loi est inadapté, en second lieu, parce que contradictoire avec l’objectif de couverture numérique du territoire.

M. Franck Riester, rapporteur. Pas du tout !

Mme Corinne Erhel. Pour un projet dont l’ambition est de « favoriser la diffusion et la création sur Internet »,…

M. Christian Paul. Ce n’est absolument pas son ambition !

Mme Corinne Erhel. …le contenu est un peu maigre, et uniquement centré, nous y reviendrons, sur une sanction par ailleurs disproportionnée.

Pour favoriser la diffusion de la création sur Internet, encore faut-il qu’Internet soit accessible à tous, à des débits suffisants et sur tout le territoire. Je vous rappelle que trop de communes représentent encore des zones blanches ou grises et encore plus nombreuses sont celles qui n’ont pas accès au très haut débit.

L’accès au haut débit devrait constituer, à mon sens, un service universel ; si tel était le cas, la suspension de l’abonnement Internet serait alors totalement impossible. Je remarque au passage, puisque ce texte concerne le numérique, qu’on est en droit de s’étonner de l’absence de la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique.

De nombreux députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai, où est-elle ?

M. Didier Mathus. Faites donc venir son frère !

Mme Corinne Erhel. Cette absence est éloquente et je regrette que Mme Kosciusko-Morizet n’ait pas été associée davantage à l’élaboration de ce texte. En effet, je n’ai trouvé aucune une prise de position visible de sa part sur un sujet dont on ne peut pourtant pas dire qu’il est étranger à ses attributions ! Sur ce sujet lié à la couverture numérique, aux effets techniques et au coût de leurs ajustements, il eût été tout de même intéressant d’entendre l’avis de la secrétaire d’État chargée de l’économie numérique.

M. François Brottes. Réflexion très pertinente !

Mme Corinne Erhel. Enfin, votre texte est inadapté parce qu’il conduit à une surveillance généralisée des réseaux, que vous le vouliez ou non – j’ai du reste bien compris que vous ne souhaitiez pas que nous en parlions.

Fidèle à une habitude tenace du Président de la République, vous ne faites, dans ce texte, qu’opposer artistes et internautes, comme on a récemment opposé détenus et victimes, parents et enseignants ou encore la France qui se lève tôt et l’autre. Ce n’est pas la bonne méthode et c’est dangereux.

Je suis au contraire persuadée, comme mes collègues, qu’il faut, sur un sujet aussi passionnel, prendre le temps de rapprocher les points de vue et trouver un point d’équilibre qui permette à chacun d’avoir sa place. C’est plus long, plus difficile, mais il vaut la peine de s’y efforcer. Pour cela, c’est une réflexion d’ensemble qu’il aurait fallu mener, afin de construire un modèle plus innovant, plus audacieux, qui aurait sans doute satisfait tout le monde, et non pas seulement, comme aujourd’hui, une seule partie des acteurs.

Je l’ai dit : Internet est un fantastique levier de diffusion culturelle, de partage ; il faut le considérer comme tel, et non comme une réserve de fraudeurs. Or, vous créez une nouvelle incrimination spécifique, pouvant entraîner des sanctions prises sur le fondement d’une simple présomption, qui plus est par une autorité non pas judiciaire, mais administrative – autre point de divergence entre nous. Ces sanctions risquent fort, au demeurant, d’alimenter un contentieux abondant, tant certains points de droit nécessitent d’éclaircissements. Le dispositif est donc loin d’être abouti, et l’objectif que vous affichez ne sera certainement pas atteint.

Édicter une sanction telle que la suspension de l’accès Internet est en total décalage avec la société dans la laquelle nous vivons, et d’autant plus contraire aux libertés que cette sanction est susceptible de devenir collective, ce qui n’est pas admissible dans notre droit.

Cette loi est la deuxième dont nous sommes saisis sur cette question. Si un autre modèle de développement ne voit pas le jour rapidement, que ferez-vous dans deux ans lorsque d’autres mécanismes de contournement seront apparus ? Nous proposerez-vous une nouveau texte élaboré dans l’urgence ?

M. Franck Riester, rapporteur. Le présent projet n’a pas été élaboré dans l’urgence, madame !

Mme Corinne Erhel. Le texte que vous nous proposez n’est pas à la hauteur des enjeux culturels, numériques et économiques, et représente en outre un pari dangereux pour la confiance que les citoyens peuvent avoir en l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Patrick Roy. Ça va être moins bien !

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet est un texte fondateur (Rires sur les bancs du groupe SRC), car il cherche à établir un équilibre dans la nouvelle donne de l’économie culturelle issue de la révolution numérique.

M. Patrick Bloche. Vous êtes décidément toujours excessif !

M. Jean Dionis du Séjour. Allez-y mollo, monsieur Herbillon !

M. Michel Herbillon. Cet équilibre est à rechercher entre deux notions fondamentales de notre droit : d’une part, le droit de propriété et le droit moral des créateurs sur leurs œuvres – mis à mal par les pratiques de piratage –,et d’autre part la protection de la vie privée, principe auquel nous sommes tous particulièrement attachés.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très juste !

M. Michel Herbillon. Or, actuellement, cet équilibre n’est pas atteint de façon satisfaisante.

Le piratage est un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, et qui met peu à peu à genoux les différents acteurs de la filière de la création artistique en les privant des moyens financiers nécessaires pour détecter les artistes de demain, pour déceler les nouveaux talents ou pour produire des films ambitieux.

Notre industrie cinématographique, l’une des rares dans le monde qui ait su résister à l’invasion américaine,…

M. Christian Kert. C’est vrai !

M. Michel Herbillon. …en est déjà gravement affectée financièrement. De juin 2007 à août 2008, 450 000 films auraient été téléchargés illégalement chaque jour en France. Sur l’ensemble des films téléchargés illégalement dans notre pays, la part des productions françaises est en forte augmentation : de 24,3 % en 2004, elle est passée à 33,3 % en 2006.

Oui, mes chers collègues, face à la menace qui pèse sur la création cinématographique française, face à cette remise en cause de notre exception culturelle, et devant le gouffre financier creusé par ces pratiques illégales, le moment est venu d’encadrer le développement du téléchargement pour pérenniser la vitalité de notre cinéma – de renommée mondiale.

Pouvons-nous accepter sans réagir que l’industrie musicale ait perdu 50 % de son chiffre d’affaires en cinq ans, provoquant ainsi la disparition de 30 % des emplois dans les maisons de disque ? L’enjeu est de taille.

Il s’agit de favoriser le développement de la culture, de promouvoir de nouveaux artistes, de respecter le droit d’auteur ; bref, de donner à la diversité culturelle française les moyens de perdurer. Ensuite, il nous appartient de protéger également nos industries culturelles, c’est-à-dire de préserver cet important vivier économique et de sauver des emplois.

Ce projet de loi, fondé sur le large consensus qui s’est dégagé suite aux accords de l’Élysée entre tous les acteurs de la culture et de l’Internet, nous en donne les moyens. Et je tiens à saluer au passage le travail remarquable et impartial de M. Denis Olivennes (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC), qui, compte tenu de son expérience professionnelle, a été sensibilisé à la fois au phénomène de l’explosion de l’économie du numérique, et à la crise de la vente des CD et DVD. (Même mouvement.)

M. Didier Mathus. Michel, tu es extraordinaire !

M. Michel Herbillon. Le projet de loi que nous examinons ouvre la voie à un développement harmonieux d’offres culturelles diversifiées, proposées légalement sur le web.

Il part d’un présupposé simple, qui échappe visiblement à nos collègues socialistes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Gosselin. Nous allons leur expliquer !

M. Michel Herbillon. Pour favoriser l’accessibilité de l’offre culturelle au plus grand nombre, ce que nous souhaitons,…

M. Patrick Roy. Ben voyons !

M. Michel Herbillon. …et ce que permet Internet comme nul autre moyen de communication et d’information, encore faut-il que cette offre culturelle ait les moyens d’exister.

En fournissant un cadre juridique qui garantit aux créateurs et aux producteurs un certain niveau de sécurité, ce texte ouvre la voie à une nouvelle ère de développement artistique. Ainsi, la culture verra en Internet un moyen de diffusion et non plus un danger de pillage, si décourageant pour tout artiste qui entend vivre de son art.

Ce texte permettra de mettre fin au piratage massif qui a lieu en ce moment, et qu’on peut assimiler à un véritable vol à grande échelle. Le développement de l’offre légale, démarche parallèle menée par le Gouvernement, en concertation avec les acteurs de la filière, mettra à la disposition des internautes une voie alternative accessible. De vrais efforts sont en train d’être accomplis en ce sens, sur la lancée des « accords de l’Élysée », et avec le soutien enthousiaste et actif de la ministre de la culture.

Les acteurs du secteur de la musique travaillent d’ores et déjà à rendre leur offre plus attrayante et à supprimer les dispositifs techniques tels que le verrou numérique.

La multiplication de plateformes de vente en ligne du type iTunes et la suppression des fameux DRM sont autant de gages de cette bonne volonté.

M. Philippe Gosselin. C’est une belle avancée !

M. Michel Herbillon. Quant aux acteurs de la filière du cinéma, un accord acceptable par tous est en passe d’être trouvé, qui rendrait les œuvres cinématographiques accessibles sur Internet dans un délai plus court qu’aujourd’hui,…

M. Jean Dionis du Séjour. Il est grand temps !

M. Michel Herbillon. …compris entre trois et six mois. Dans ces conditions, expliquez-moi quel sera, à l’avenir, l’intérêt de se livrer au piratage, au risque de se voir privé de sa connexion ?

Avec ce texte, la majorité prouve que le soutien aux artistes et la priorité donnée à la création sont au cœur de notre politique culturelle et en forgent son identité, n’en déplaise à la gauche qui considère à tort qu’elle en a seule l’apanage.

Nous répondons au grand défi culturel posé par Internet en apportant une réponse attendue et appréciée des professionnels du secteur. Nous réconcilions les acteurs de la culture avec Internet, qui aurait dû être dès le début le meilleur allié de sa promotion.

L’approche graduelle que l’HADOPI veillera à mettre en œuvre pour lutter contre le piratage paraît être la bonne formule. Les vertus pédagogiques du dispositif permettront à la fois de limiter le phénomène du piratage et de responsabiliser, sans le pénaliser, le chef de famille, souvent détenteur – mais non utilisateur – de la connexion. Les jeunes, grands consommateurs d’Internet, font un usage du web parfois illégal, sans toujours avoir conscience des conséquences de leurs actes. La vocation de ce projet de loi est donc doublement éducative : il éveille l’attention des internautes sur le problème du piratage en même temps qu’il sensibilise les parents à un vrai problème, celui de l’utilisation du web par leurs enfants.

Il n’y a là aucune atteinte aux libertés ou à la vie privée de l’internaute, mais simplement une politique préventive, efficace et dissuasive, qui se fonde sur le principe de responsabilité de l’abonné. Le choix de faire de l’HADOPI une autorité administrative indépendante constitue d’ailleurs une garantie du respect de la vie privée des internautes. Elle seule sera autorisée à se procurer les coordonnées personnelles des abonnés auprès des fournisseurs d’accès à Internet,…

M. Philippe Gosselin. C’est une garantie essentielle !

M. Michel Herbillon. …et la nature des fichiers piratés ne pourra en aucun cas être révélée.

Il ne s’agit donc pas d’un nouveau moyen de surveillance : ni police d’Internet ni Big Brother, contrairement à ce que l’on entend ici et là. D’ailleurs, ce ne sont pas les ordinateurs des usagers qui seront surveillés, mais les œuvres des artistes en proie au pillage.

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Exactement !

M. Michel Herbillon. C’est la constatation de leur piratage qui pourra donner lieu à la mise en œuvre du dispositif. On ne peut donc accuser ce texte de créer une démarche relevant de l’espionnage ou d’un voyeurisme malsain.

Si, donc, cette loi ne met pas en cause, comme d’aucuns voudraient le faire croire, les principes de la liberté individuelle, elle ne bafoue pas davantage les grands principes de notre justice.

Le dispositif actuel de sanction, qui passe par la saisine du juge pénal et peut conduire à des peines de trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende pour contrefaçon, est disproportionné et, par là même, totalement inefficace contre le piratage massif individuel.

Dans le nouveau dispositif proposé, la prévention prend le pas sur la sanction. En cas de piratage, l’abonné recevra d’abord un mail, puis, en cas de première récidive, un autre mail plus une lettre avec accusé de réception. Et si cela ne suffit pas, alors seulement viendra la sanction, au demeurant mesurée.

M. Jean Dionis du Séjour. Non !

M. Michel Herbillon. Elle consiste à retirer momentanément à l’usager son accès à Internet, pour une période comprise entre trois mois et un an, à l’appréciation de l’HADOPI. Elle laisse, en outre, la voie libre à une négociation en vue d’une transaction.

Vous l’aurez compris : la procédure est à la fois juste et aussi peu contraignante que possible. J’ajoute qu’elle respectera le principe du contradictoire et sera soumise au contrôle du juge, puisqu’elle pourra faire l’objet d’un recours.

L’expérience américaine a démontré l’efficacité du système de riposte graduée, puisque 70 % des internautes ayant reçu un premier avertissement cessent de pirater, cette proportion s’élevant à 90 % après le second avertissement.

Ce dispositif, monsieur le président, madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, est équilibré. Il permet de faire respecter le travail des créateurs et le droit de la propriété intellectuelle, sans pour autant menacer le respect de la vie privée.

Telles sont les raisons, madame la ministre, qui me conduiront à voter ce projet de loi, soutenu par des milliers d’artistes, par les indépendants, par de très nombreuses petites sociétés de production musicale ou cinématographique. Je comprends que ces soutiens embarrassent les députés socialistes,…

M. Serge Blisko. Pas du tout !

M. Michel Herbillon. …d’autant que le projet a été voté par les sénateurs socialistes au Sénat et approuvé par Catherine Tasca et Jack Lang, tous deux anciens ministres socialistes de la culture.

M. Didier Mathus. Parlez-nous plutôt de M. Vanneste !

M. Michel Herbillon. À l’instar de la majorité à l’Assemblée Nationale, ces esprits éclairés conviennent que ce projet de loi permet d’aboutir à une solution innovante, qui devrait réunir tous ceux qui condamnent la pratique du piratage et sont attachés à la vitalité de la création dans notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, « je n’ai aucune certitude quant au résultat de la loi, mais je suis sûr d’une chose : si on ne lui fixe pas un cadre, la nature humaine a une fâcheuse tendance à partir en… quenouille ». Ainsi s’exprimait, certes un peu moins pudiquement que je ne le fais ici (Sourires), Stéphane Bourdoiseau dans le journal Libération de ce matin. Ce producteur de disques indépendant a pris son envol en 1998 pour que des artistes non encore reconnus aient davantage de moyens d’aller à la rencontre de leur public.

Je respecte cette parole et cet engagement.

Mais, au-delà de la nécessité d’un cadre, que d’ailleurs nul ne conteste ici, une question demeure, non pas sur l’inefficacité potentielle de votre texte, madame la ministre – sur ce point, les choses sont claires, et les collègues qui m’ont précédé à cette tribune l’ont d’ailleurs bien démontré –, mais sur cette « nature humaine qui part en quenouille » : s’agit-il de celle des internautes ou de celle du Gouvernement ?

Pour ma part, je refuse d’entrer dans ce débat en opposant la liberté de pirater à la liberté de créer.

M. Philippe Gosselin. Nul ne les a opposées !

M. François Brottes. J’affirme clairement qu’il ne peut y avoir de liberté de création sans rémunération des auteurs et des compositeurs, et qu’il ne peut y avoir d’accès à cette création pour tout type d’usage sans autorisation ni sans rémunération, sous une forme ou sous une autre, des accoucheurs d’expression artistique. Ceux qui accouchent de la révolte contre l’injustice, de l’amour ou de la mélancolie, de l’énergie ou du bonheur de faire la fête ensemble, ont un droit à reconnaissance et à rétribution. À eux de décider si leur talent est universellement accessible contre quelque chose ou contre rien.

Mais ce que vous nous proposez ici ne règle nullement cette question. Ce texte inapplicable ne fait que stigmatiser, sans apporter aucune solution durable à la nécessité de trouver un nouveau modèle économique permettant la juste rétribution de la création artistique, à l’heure du numérique à tous les étages et à tous les âges.

Faire signer des pétitions aux artistes pour se donner bonne conscience en apparaissant comme un gouvernement sensible aux talents, voilà ce qu’est la « nature humaine qui part en quenouille ». En vérité, de qui se moque-t-on ? À l’heure où la montée en puissance de l’Intemet, il devient urgent de baisser la TVA sur les CD et les DVD. Que le Gouvernement ne l’a-t-il mis en œuvre, plutôt que de se tailler la part du lion dans la rémunération du téléchargement, en ponctionnant 19 centimes d’euro de TVA par morceau, contre quatre centimes d’euro pour les auteurs eux-mêmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Gosselin. Tout à l’heure, votre collègue parlait de deux centimes. Mettez-vous d’accord !

M. François Brottes. De qui se moque-t-on, madame la ministre, monsieur le rapporteur ? Au lieu de la ponction récemment imposée aux fournisseurs d’accès à Internet pour financer les télévisions privées – ou, plus précisément, pour compenser le manque à gagner publicitaire des chaînes publiques qui sert désormais le profit des chaînes privées –, que n’avez-vous plutôt proposé une contribution de ce type pour permettre la juste rémunération des créateurs ?

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. François Brottes. Ces trois exemples suffisent à montrer que votre gouvernement se moque bien de bâtir un nouveau modèle de rémunération des créateurs et préfère entonner, une fois de plus, le refrain bien connu – tout comme son auteur – de la dénonciation et de la répression.

Madame la ministre, vous écrivez à votre tour une nouvelle page de la « Complainte de Mandrin » : « La première volerie que je fis dans ma vie, c’est d’avoir goupillé la bourse d’un curé. Ces messieurs de Grenoble » – référence locale oblige (Sourires) – « avec leurs longues robes et leurs bonnets carrés m’eurent bientôt jugé. Compagnons de misère, allez dire à ma mère qu’elle ne me reverra plus, je suis un enfant perdu. »

Vous croyez encore, madame la ministre, aux vertus de la peine exemplaire, ici peine plancher, là peine capitale avec le couperet de la suspension de l’accès à Internet dès lors qu’une adresse IP aura été trois fois identifiée comme fraudeuse, quel que soit l’usager et même si le titulaire de l’abonnement n’a rien à y voir, de sorte que les innocents aussi sont concernés.

Exit, donc, le principe du renversement de la charge de la preuve, que le Président de la République invoquait, en un temps qui paraît désormais bien lointain, dans le domaine des atteintes à l’environnement. Avez-vous seulement tenté de transposer la vertu grenellienne à l’environnement culturel français? Que nenni – et vous noterez que je n’ai pas dit « quenouille » (Sourires) – : ce sera au titulaire de l’abonnement Internet de prouver qu’il n’est pas l’auteur de l’infraction. Naïvement, nous nous attendions qu’il revienne à l’HADOPI de prouver qu’il y a bien eu piratage. Las, vous avez choisi le chemin de la facilité, et contournez les principes de base du droit pour traquer les pirates. Une fois de plus, et comme l’a encore fait Mme la ministre de l’intérieur cet après-midi, vous légalisez la pratique de la bavure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Car vous pensez encore que la peine exemplaire supprime la délinquance et la violence. On sait pourtant bien que plus la pression est forte en ce sens, plus la subversion et la colère prennent le dessus, parfois même avec une certaine jubilation.

Ne faites pas croire aux créateurs que vous allez régler le problème avec cette illusion ! Je viens de vous citer plusieurs occasions que vous avez manquées de traiter la question du droit d’auteur plus sereinement et plus durablement.

Et puisque nous sommes aussi sur un sujet technologique, sachez encore – mais vous ne l’ignorez pas – qu’avec la formule du streaming, on peut pirater. Même après cette loi, on pourra continuer à le faire tout à fait légalement. Sans entrer dans le détail, il suffit de copier en analogique un morceau et de le caler sur un site de streaming – par exemple, Deezer qui est votre référence – pour que cette version analogique soit transcrite en numérique. C’est beaucoup plus simple et de meilleure qualité qu’à l’époque où l’on enclenchait le magnétophone à cassette couplé au transistor pour enregistrer sa chanson préférée.

Je ne parlerai même pas de la facilité avec laquelle on peut se faire héberger hors de France et rendre impossible la détection de son adresse IP : les forums du web s’en chargent déjà largement.

Sans faire une séquence « nostalgie », je vais vous parler « d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » – je cite pour les droits d’auteur… (Sourires.)

Il se trouve que, pendant cinq ans de ma vie professionnelle, j’ai été producteur et animateur sur une radio du service public. Après chaque émission, je passais au moins une vingtaine de minutes à remplir ligne par ligne les feuilles de droits d’auteurs pour que ceux qui avaient donné de la substance à mon programme puissent être rétribués de cette contribution. Chaque fois que je croisais ensuite l’un de ces artistes et qu’il me faisait part de sa satisfaction d’avoir été programmé et de l’importance que cette rémunération avait pour lui – et je ne parle pas des grandes stars du showbiz –, je prenais conscience de l’importance de ce petit pensum qu’était la fiche à remplir. J’éprouve d’ailleurs la même sensation aujourd’hui lorsque je signe, comme maire organisateur de spectacles, les relevés envoyés à la SACEM. Je vous raconte cela pour que mon vote contre ce texte ne soit pas l’objet d’un procès en sorcellerie…

Que les choses soient claires : les socialistes sont pour trouver une solution au problème, mais contre l’arbitraire de votre réponse, qui soufflera plus sur les braises qu’elle n’éteindra le feu. Votre savant dispositif, dont personne ne sait encore comment il pourra être mis en œuvre sans provoquer de dégâts collatéraux, notamment juridiques et constitutionnels, aggravera au contraire la situation.

Plus l’interdit est puissant, plus la tentation de le contourner devient enthousiasmante. C’est un propos de législateur lucide. Mieux vaut prendre le temps de trouver des solutions certes moins spectaculaires, mais plus efficaces car réellement opérationnelles, que de brandir le bâton avec la certitude qu’il se retournera contre soi.

Pour vous montrer, s’il en était besoin, que je ne suis pas sectaire, je voudrais vous lire le mail d’Olivier, un adhérent de l’UMP de mon département, que j’ai reçu hier matin :

« Je prends rarement la plume pour écrire à un de nos représentants au sein de l’Assemblée nationale, mais voilà, ce projet de loi HADOPI m’ulcère au plus haut point pour plusieurs raisons. Il est avant tout le fruit d’une industrie qui s’est laissée dépasser une fois de plus par la technologie – ils avaient déjà hurlé au loup pour la cassette audio puis le CD. Et, plutôt que de s’adapter, ils exercent un lobbying incroyable pour survivre grâce à cette loi. »

M. Franck Riester, rapporteur. Autant les achever maintenant !

M. François Brottes. « Ensuite, le Gouvernement ferme les yeux et veut nous faire croire que c’est pour notre bien. Je ne pense pas que ce soit pour notre bien que la démocratie est bafouée de la sorte : loi rédigée directement par les lobbies, Europe bafouée avec la demande du retrait de l’amendement de l’eurodéputé Guy Bono, car trop gênant,… »

M. Franck Riester, rapporteur. C’est faux !

M. François Brottes. « …absence totale de la justice dans le processus, contrôle exclusif par les industriels… Bref, cette mascarade de démocratie m’a tout simplement fait rendre ma carte de l’UMP immédiatement. » (Exclamations et rires sur de nombreux bancs.)

M. Michel Herbillon. C’est vrai qu’avec ce qui se passe au PS, tout le monde y reste !

M. François Brottes. « Enfin, la méconnaissance technique du Gouvernement sur ce point rend le projet impossible à appliquer. Cacher son adresse IP est à la portée de tous – des guides existent sur Internet –, trouver des sources alternatives à la technologie peer to peer est simplissime – même une recherche sur Google vous permet de trouver votre fichier, et pourtant personne n’attaque Google –, la réactivité de la communauté Internet est si rapide que les personnes s’adapteront avant même l’application du décret, même la personne lambda saura comment passer au travers. »

M. Bernard Gérard, rapporteur pour avis. De quoi se plaignent-ils alors, s’il n’y a pas de problème !

M. François Brottes. « Enfin, cela va créer un déséquilibre économique au sein des fournisseurs d’accès internet non négligeable. Car, en imaginant que certains FAI ne peuvent assumer la coupure internet en cas d’offre triple play, il est impossible de désactiver Internet sans le téléphone et donc manquement au service minimum d’accès aux urgences – il nous donne des billes pour le recours devant le Conseil constitutionnel –, ces mêmes fournisseurs auront la chance de voir arriver les internautes d’autres fournisseurs d’accès qui seront à même de leur couper l’accès sur simple injonction de l’HADOPI, sans même un ordre du juge. »

Et mon correspondant – je vous donnerai, à l’appui de mes dires, copie de son courriel – de poursuivre : « Mes griefs ne s’arrêtent pas là. Ce projet de loi est tout simplement une aberration. Quant aux principaux intéressés, les artistes, il y a longtemps que leurs revenus ne dépendent plus des majors – les contrats sont tellement verrouillés et abjects que les artistes gagnent leur vie grâce aux concerts –, et on ne leur a pas vraiment donné le choix de leur réponse. »

M. Michel Herbillon. Est-ce qu’à la fin du courriel, il adhère au parti socialiste ?

M. François Brottes. Je comprends que cela vous gêne !

Il conclut : « Merci d’avoir pris le temps de me lire, je compte sur vous pour refuser cette loi liberticide et anti-démocratique. »

Ainsi s’exprimait un de vos adhérents – qui a cessé hier de l’être.

Pour ma part, j’ai cru comprendre qu’il serait peut-être techniquement possible, un jour, de suspendre le flux internet sans interrompre la ligne téléphonique ni couper la télévision dans le cadre d’un abonnement triple play. Admettons. Mais cela supposerait que les FAI revoient l’ensemble de leurs process. Dans ce cas, comme l’a judicieusement demandé Mme Erhel, qui paiera ? Les FAI en prenant sur leurs marges, ou l’ensemble des usagers, même innocents, avec une hausse considérable du tarif de leur abonnement ? Rien n’est moins clair en la matière, et j’ai cru comprendre, madame la ministre, que vous n’étiez vous-même pas d’accord avec les FAI sur le coût que cela représenterait.

L’idée d’une licence globale, quoique critiquée en son temps, fait pâle figure à côté du monstre que vous avez pondu : non seulement tous les usagers paieront pour que quelques centaines de présumés fraudeurs puissent être sanctionnés, mais en plus, nous avons la certitude que nulle certitude ne pourra être donnée qu’ils sont bien à l’origine de la fraude constatée. C’est un comble !

Au lieu de tirer les leçons du désastre de la loi DADVSI de 2006, qui n’a d’ailleurs jamais fait l’objet du rapport parlementaire prévu par la loi elle-même, vous enfoncez encore le clou.

Pour notre part, nous avons su revoir notre proposition pour tenter de trouver une solution équilibrée. Notre idée d’une contribution collective mérite votre attention, car elle permettrait de responsabiliser les usagers de l’Internet, par le versement d’une contribution qui leur ouvrirait des droits d’accès aux œuvres culturelles, que les artistes seraient libres de soumettre à ce régime ou non. Les artistes acceptant de diffuser leurs œuvres par ce moyen percevraient une juste rémunération.

Cette proposition n’est pas parfaite ? Soit : discutons-en ! Mais je veux, en tout état de cause, redire aux artistes signataires de l’appel des dix mille que ce texte ne résoudra rien, qu’il n’est pas la solution. Il n’est là que pour leur faire croire que l’on s’occupe d’eux, alors qu’il y a en réalité d’autres voies, d’autres chemins pour régler la question de la juste rétribution de la création, à l’heure de l’économie numérique mondiale et dérégulée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie M. Brottes d’avoir été si attentif aux propos d’un membre de l’UMP averti des choses de l’Internet et de l’avoir longuement cité. Les adhérents de l’UMP, même les anciens, s’intéressent particulièrement à tous les problèmes de société, et je rends grâces à M. Brottes de l’avoir souligné.

J’ai deux observations à faire tenir dans les cinq petites minutes qui me sont imparties.

D’abord, et pour une fois, je serai d’accord avec M. Brard : il faut tordre le cou aux idées fausses ou reçues. Mais peut-être ne pensons-nous pas tous les deux aux mêmes…

Première idée fausse : cette loi s’abattrait au hasard sur l’ensemble des internautes, avec toute la rigueur d’une loi répressive. En réalité, elle s’adresse aux vrais pirates, qui sont ultra-minoritaires dans le peuple des internautes. Les pirates, ce sont ceux qui sont réfractaires à l’idée de payer quoi que ce soit pour rémunérer la création. Si sanctionner la fraude fiscale paraît juste et normal, pourquoi y aurait-il deux poids et deux mesures ? Nous voulons sanctionner le pirate qui refuse de reconnaître le droit d’auteur.

Les autres internautes, ceux qui attendent un cadre respectant les contenus, peuvent et doivent comprendre, et sans doute admettre, la riposte graduée au piratage.

Deuxième idée fausse, totalement absurde celle-là : ce serait une baisse de qualité de la production musicale française qui justifierait la baisse des achats de disques et non pas le piratage.

M. Serge Blisko. Personne n’a jamais dit ça !

M. Christian Kert. Quelqu’un l’a hélas écrit, en tout cas.

On peut aimer ou non tel ou tel artiste, c’est la liberté de chacun, mais la France reste l’un des champions de la diversité au sein de l’Europe continentale. Et que dire du cinéma français, qui serait piraté, aux dires de certains, parce que les films ne mériteraient pas qu’on paie pour les voir en salle, alors que c’est, en réalité, l’un des meilleurs d’Europe ! Que ceux qui n’ont que ce seul argument passent leur chemin !

Enfin, troisième idée fausse, parmi les plus originales qu’il nous ait été donné d’entendre : ce projet de loi serait anti-culturel. Faire respecter les contenus et leurs ayants droit, serait-ce donc anti-culturel ? Cela concerne pourtant la musique, le cinéma, la presse et l’édition, bref, tout ce qui touche au savoir et à la création. Est-ce porter atteinte à la culture que de ne plus vouloir que, sous couvert de révolution technologique, le droit d’auteur soit piétiné, et les créateurs voués à la paupérisation ? Donner aux internautes un code de bonne conduite qui respecte les contenus, c’est-à-dire les créateurs, ce n’est pas être liberticide : c’est faire œuvre de législateur, c’est garantir les libertés. Car le créateur qui voit bafoué son droit à exploiter sa création est-il libre ? Je demeure persuadé qu’une foule d’internautes comprend la nécessité de ce cadre de respect. Cessons d’opposer internautes et créateurs, d’autant que les deux catégories se recoupent en partie.

Après avoir dénoncé les idées fausses, je vais maintenant exposer les enrichissements que plusieurs de mes collègues et moi-même voulons apporter au texte.

La question du droit d’auteur à l’heure du numérique est essentielle. L’amendement adopté par la commission des affaires culturelles, tout en préservant notre législation spécifique en la matière, semble de nature à apporter une réponse adaptée au problème des journalistes de presse écrite. Il s’inscrit dans la démarche des travaux menés lors des états généraux de la presse et dans l’esprit de compromis souhaité par le Président de la République. Même s’il mérite d’être amélioré en séance, il répond aux préoccupations des éditeurs de presse, qui souhaitent continuer à développer l’information sur tous les supports, et apporte aux journalistes des garanties de leur droit moral tout en leur assurant une rémunération complémentaire.

La création d’un statut d’éditeur de presse en ligne, idée que Jean Dionis du Séjour défendait tout à l’heure, trouve également sa place dans ce projet de loi. La question se pose depuis que des sites professionnels d’information en ligne se sont vu refuser leur inscription à la Commission paritaire des publications et agences de presse, inscription qui conditionne l’octroi des aides de l’État à la presse. Les journaux en ligne doivent pouvoir prétendre aux mêmes aides que la presse papier au motif que la convergence numérique rend le format de lecture moins important que le contenu. Avec Mme la rapporteure pour avis et mon collègue Michel Herbillon, nous avons déposé un amendement donnant une définition qui reprend les critères proposés par les états généraux de la presse.

Avec ces deux ajouts que nous considérons comme importants, votre texte, madame la ministre, répond bien aux enjeux du moment. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Madame la ministre, je dois vous avouer que mon attente a été déçue par ce que j’ai pu lire dans le rapport et dans le projet de loi lui-même. Nous avions au moins en commun la conscience qu’il faut lutter contre le piratage des œuvres et la copie illimitée, que ce nouveau mode de diffusion des œuvres ne doit surtout pas accentuer le fossé entre les artistes et le public internaute.

Or, nous avons été extrêmement déçus, puisque aucune rémunération supplémentaire n’est prévue pour les artistes. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

On sait – de nombreux orateurs l’ont d’ailleurs dit – que la situation sociale et matérielle de beaucoup d’artistes et d’interprètes est extrêmement précaire, et que la majorité d’entre eux sont en fait des intermittents du spectacle, qui ont d’ailleurs beaucoup de mal à obtenir assez de cachets pour obtenir le statut d’intermittent. Nombre de nos collègues parisiens savent, la plupart des intermittents étant concentrés sur la capitale, qu’une bonne partie d’entre eux perçoivent des revenus inférieurs au SMIC et mènent, pour poursuivre leur passion artistique, des vies extrêmement difficiles, et qu’aucun système de retraite complémentaire ne vient améliorer la faible retraite des artistes-interprètes.

Nous sommes donc extrêmement déçus, et nous pensons que ce texte est une occasion manquée. Il est très riche, par contre, en démarches répressives, disproportionnées par rapport à son objet. On a parlé de mort sociale à propos de la coupure de connexion, d’ailleurs techniquement difficile, qui peut être étendue au téléphone et à la télévision. Vous avez déclaré, madame la ministre, que ces personnes pourraient toujours aller chez leurs voisins ; cette réponse n’est pas à porter à votre crédit. Comment feront-elles pour déclarer leurs impôts, suivre un cours par correspondance, répondre à des offres d’emploi ou envoyer des mails professionnels ? Ce dispositif est en totale contradiction avec le développement de la « France numérique 2012 », que M. Besson – le nouveau ministre de l’intégration, dont on a beaucoup parlé aujourd’hui – avait mis en avant.

Par ailleurs, la création de ce fichier automatisé, qui pourra être systématiquement consulté par les fournisseurs d’accès, est inquiétante au regard des libertés individuelles. Techniquement parlant, il est toujours possible, sinon aisé, de falsifier un numéro IP, si bien que la recherche risque d’être inopérante. Les vrais pirates, ceux qui en font un métier – et dont on ne sait s’ils sont si nombreux que cela – continueront d’avoir les moyens techniques et techniques d’échapper à tout contrôle. Les internautes que vous atteindrez sont un public très différent, et vous le savez.

Je passe sur les conséquences dommageables pour les collectivités territoriales, les hôpitaux, les entreprises, partout où le réseau Wi-Fi est important. Cette immense armée de contrôleurs va nous faire ressembler à tel ou tel pays où l’accès à Internet est étroitement contrôlé par le pouvoir politique. Des milliers de recherches seront faites sur la Toile pour retrouver celui qui aura téléchargé tel ou tel morceau de musique.

Beaucoup de nos collègues l’on dit : nous aurions préféré une avancée sur la modernisation des modes de diffusion rémunérée des œuvres. Pourquoi les majors ont-elles perdu ? Parce qu’elles ont été incapables de prévoir et comprendre ce que l’iPod – pardonnez-moi de citer une marque – allait amener de nouveau dans la façon d’écouter et de conserver les œuvres.

Monsieur le rapporteur, vous qui connaissez le problème, essayez de convaincre vos collègues que nous sommes entrés dans un monde nouveau, que vous ne pourrez contrôler car déjà il vous échappe ! À peine aurez- vous publié les décrets d’application de la présente loi et installé l’HADOPI – cette Haute autorité en dehors de tous les canaux de notre droit, comme le rappelait M. Brottes – que sera mis en œuvre un autre système, dont on parle d’ailleurs déjà. Aujourd’hui, les jeunes ne stockent plus : ils sont dans le flux, adeptes du streaming. Aussi votre loi sera-t-elle, dès demain, techniquement dépassée.

Souvenez-vous de la loi DADVSI : on chantait alors les vertus des DRM, qui devaient être le verrou, la forteresse, le mur impénétrable auquel les pirates allaient se heurter. Aujourd’hui, la plupart de ceux que vous défendez ont déjà abandonné les DRM !

Les internautes seront démunis devant le système accusatoire et inquisitoire de l’HADOPI.

M. Christian Paul. Ils liront La Princesse de Clèves !

M. Serge Blisko. Votre dispositif sera très facile à contourner ou à manipuler, il rompt l’égalité des citoyens devant la loi, et son coût est estimé par tous mes collègues – de la majorité comme de l’opposition – à quelque 70 millions d’euros, soit beaucoup d’argent dépensé en pure perte en ces temps de restriction budgétaire. Et n’oublions pas non plus les 300 000 personnes qui, chaque mois, recevront un avertissement, avec tous les risques d’erreur et de confusion que cela comporte, les lettres recommandées qui ne seront pas retirées par leurs destinataires : en un mot, une véritable usine à gaz.

M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de bien vouloir conclure.

M. Serge Blisko. Ce projet est en contradiction avec les positions prises par l’Union européenne. C’est un projet unique dans notre monde développé, car tous les pays qui l’ont expérimenté et jaugé l’ont abandonné. Vous avez choisi la pire des solutions, car vous creusez le fossé entre la culture, la création, et la jeunesse. Il y aura demain, nous a rappelé Didier Mathus, une manifestation de jeunes contre ce projet, alors même qu’il faudrait rassembler autour des enjeux culturels toutes les générations.

Répression, incompréhension, incompétence technique : j’appelle tous nos collègues à rejeter ce mauvais projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, sans revenir sur des arguments largement défendus par les orateurs précédents, insister sur deux questions qui, à ce stade du débat, restent encore ouvertes.

La première porte sur les moyens et modalités de la constatation des infractions, la seconde sur la protection des personnes morales en cas d’indélicatesse d’individus qui évolueraient dans leur périmètre.

S’agissant de la détermination de l’infraction, je souhaite que nos débats lèvent les incertitudes relatives à l’adresse IP, qui sert à l’identification du contrevenant. Certains affirment que cette identification est fragile techniquement et, partant, juridiquement, et qu’il est possible d’utiliser d’autres possibilités offertes par la technologie pour identifier les ordinateurs à partir desquels sont commises les infractions. J’attends de nos échanges les réponses nécessaires, afin que nul n’ait plus motif de s’inquiéter de la protection des droits de chacun. J’ai noté cependant que le choix de l’adresse IP, présenté par les rapporteurs et par votre texte comme le seul possible en l’état, présente l’intérêt d’inciter chaque utilisateur à veiller à la sécurisation de ses propres matériels. Il y a là une vertu pédagogique indéniable.

S’agissant de la protection des personnes morales, il me paraît pour le moins dangereux de prévoir des dispositions faisant courir à des entreprises ou à des collectivités le risque de voir ses capacités de connexion à Internet supprimées à cause de l’indélicatesse répétée d’un certain nombre de collaborateurs ou d’utilisateurs. Dès lors, il me paraîtrait intéressant d’examiner l’amendement de notre collègue Tardy, tendant à substituer une amende à cette sanction, qui ne devrait être envisagée que comme un ultime recours, étant donné la difficulté, pour la personne morale, de se retourner contre les auteurs de l’infraction.

Une fois levées ces deux interrogations, ce dispositif apparaîtra probablement comme la meilleure des solutions possibles dans un univers auquel la notion même de contrôle est encore très étrangère. Pour ma part, je ne trouve pas scandaleux de sanctionner, après deux avertissements, des personnes qui ne respectent pas le droit. Le fait qu’une infraction soit commise par un grand nombre de personnes simultanément, à l’aide de moyens modernes et difficilement contrôlables, ne la rend pas grave dans son principe.

Il n’est pas mauvais d’instaurer un peu de régulation dans un monde largement dérégulé – pour reprendre l’expression de notre collègue Brottes. Nous avons eu l’occasion d’en débattre sur d’autres sujets ; il est légitime de le faire aussi sur celui qui nous occupe aujourd’hui.

Les rapporteurs ont eu raison de rappeler la valeur de la propriété individuelle et artistique. Le principe de la sanction graduée me semble pertinent, et je vous remercie, madame la ministre, d’avoir bien voulu défendre ce texte délicat devant le Parlement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Gouvernement nous invite, deux ans après la loi DADVSI, à examiner un nouveau texte consacré, pour l’essentiel, au téléchargement. Il en a même déclaré l’urgence, comme s’il s’agissait d’une priorité absolue dans l’état actuel de crise économique et sociale ! À l’évidence, il semble mettre beaucoup plus d’ardeur à traquer le quidam derrière son ordinateur qu’à lutter contre d’autres formes de fraude qui nuisent plus gravement à notre pays.

Nous sommes tous d’accord pour lutter efficacement et avec détermination contre toutes les formes de trafic qui nuisent à la création, aux artistes ou à la filière cinématographique. Mais encore faut-il analyser correctement la situation, afin de concilier les exigences culturelles, la protection des libertés publiques et les évolutions économiques de secteurs artistiques en mutation.

S’il n’était pas dangereux pour notre économie et notre conception de la justice, s’il ne stigmatisait pas la jeunesse, nous pourrions examiner ce texte aussi vain qu’illusoire sans en débattre vraiment. Il présente en effet quatre défauts majeurs : il est inadapté à la lutte contre le piratage de la musique, qui constitue l’essentiel du téléchargement ; il est techniquement inefficace ; il est anti-économique ; il est dangereux pour les libertés publiques.

Le projet de loi est inadapté pour lutter contre le piratage de la musique, car le Gouvernement nous propose de lutter contre l’échange de fichiers en peer to peer au moment même où les internautes passent au streaming. Le téléchargement de musique va rapidement devenir ce que le microsillon a été au CD : un objet de collection. La musique ne se stocke plus vraiment, encore moins chez les plus jeunes : elle s’écoute en continu, jusqu’à donner l’envie d’aller au concert ou d’acheter l’album. Madame la ministre, vous confondez l’écoute, c’est-à-dire l’accès, et l’achat, c’est-à-dire l’appropriation.

La technologie d’aujourd’hui permet simplement de faire plus facilement et dans de meilleures conditions ce que la plupart d’entre nous ont pratiqué autrefois, quand nous enregistrions sur cassettes les disques empruntés à des amis faute de pouvoir les acheter. Il faut en effet admettre que jamais personne n’achètera toutes les musiques qu’il écoute, ne serait-ce que parce que le prix des originaux est trop élevé pour un pouvoir d’achat en berne.

En outre, les évolutions technologiques à venir feront qu’il sera toujours possible d’écouter et d’enregistrer gratuitement. Avec ou sans Internet, l’enregistrement de programmes musicaux diffusés par les futures radios numériques permettra à tout un chacun d’alimenter son MP3 sans risque, et en son numérique !

Sur le plan strictement artistique, le téléchargement payant proposé par les majors concernerait, nous dit-on, quatre millions de titres – beaucoup moins en réalité, compte tenu des rééditions, des compilations ou des remasterisations. En tout état de cause, ne sera concernée qu’une infime partie du patrimoine mondial auquel la technologie permet d’accéder.

Après avoir entendu, madame la ministre, vos propos sur la révolution numérique, on pourrait craindre la disparition des usages culturels parmi les générations dites digital native, c’est-à-dire familières des technologies de l’information et de la communication. Or, une étude réalisée par votre propre ministère et publiée par Culture Prospective montre que les nouveaux usages des jeunes ne sont pas exclusifs. Je cite : « Les pratiques artistiques amateurs, la fréquentation des équipements culturels et la consommation médiatique se maintiennent auprès des jeunes générations où l’usage de l’Internet apparaît lié à un intérêt plus global pour la culture et l’information ».

En vérité, le fonds de l’affaire est pour vous de préserver les majors de l’industrie du disque, à défaut de sauver les artistes. Pensez-vous que les fabricants de bougies aient été favorables à l’arrivée de l’électricité ?

Votre projet de loi est inefficace d’un point de vue technique, car l’identification par les adresses IP est totalement illusoire ! Contourner les IP est un véritable jeu d’enfants pour les internautes les plus avertis. Les pirates sont déjà prêts à faire face à la riposte graduée. Les moyens de filtrage qui seront mis à la disposition des internautes sont par nature contournables ; le Wi-Fi est perméable et vous savez également qu’il existe des trafics d’identifiants IP.

En réalité, les filets de l’HADOPI laisseront inévitablement passer les vrais trafiquants. L’évolution de la technologie et le caractère très inégal des connaissances de l’informatique condamnent la future Haute Autorité a n’attraper que Monsieur et Madame Tout-le-monde, qui seront le plus souvent de bonne foi.

M. Franck Riester, rapporteur. S’ils sont de bonne foi, ils téléchargeront légalement !

M. Jean-Louis Gagnaire. La population qui sera sanctionnée est précisément celle qui utilise le partage de fichiers dans un souci de découverte, celle qui achète des disques, celle qui assiste aux spectacles vivants grâce à la porte ouverte sur le monde que représente Internet. Fermer cette porte est un contresens pour la diffusion culturelle.

Quand bien même la loi parviendrait à limiter les échanges sur Internet, la circulation des disques durs prendra le relais. L’échange de contenus culturels de la main à la main et par le bouche à oreille n’est pas un phénomène récent : c’est le mode de diffusion naturel de la culture. Le numérique a simplement un effet multiplicateur.

M. Patrick Bloche. Très juste !

M. Jean-Louis Gagnaire. Votre loi est anti-économique, car la riposte graduée provoquera des dégâts collatéraux.

Il ne sera pas possible de mettre en œuvre la riposte graduée sans signer l’arrêt de mort du Wi-Fi en incitant tout le monde à bloquer ses accès. Ainsi, la France choisirait de brider la diffusion d’Internet dans les établissements de formation, les entreprises, les grandes manifestations publiques ou dans les collectivités locales.

Le développement du triple play permet déjà à de nombreux particuliers et à un nombre croissant d’entreprises de téléphoner gratuitement tout en étant connectés à Internet et en recevant les bouquets des chaînes de télévision numérique. Aucun opérateur ne sait aujourd’hui interdire Internet sans supprimer les autres services,…

M. Franck Riester, rapporteur. Si, tous !

M. François Brottes. Il faut vous informer, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Louis Gagnaire. …sauf à investir 70 millions d’euros qui, dans la période actuelle, seraient sans doute mieux employés autrement.

L’accès au réseau répond à un impératif économique et social. Vous semblez ignorer, madame la ministre, que nombre de démarches administratives et professionnelles passent aujourd’hui exclusivement par Internet. Vous semblez également méconnaître le télétravail et la télémédecine.

Sur ces points, nous attendons des réponses précises, car la fermeture des accès Internet représenterait un coût économique infiniment supérieur aux pertes contre lesquelles ce texte prétend lutter.

M. Franck Riester, rapporteur. Non, grâce au téléchargement légal !

M. Jean-Louis Gagnaire. Enfin, votre loi est dangereuse pour les libertés publiques car l’HADOPI est, de fait, une juridiction d’exception pour internautes.

En demandant aux abonnés de protéger eux-mêmes leur accès à Internet, ce qu’ils ne savent pas forcément faire, vous créez une véritable présomption de culpabilité. Or, nul ne peut affirmer avec certitude que l’utilisateur d’une connexion est bien le titulaire de cette connexion. Les présumés coupables seront sommés, hors de toute procédure judiciaire, de démontrer leur non-implication dans les faits qui leur seront reprochés.

Avec l’avènement du numérique, il est devenu difficile de limiter la libre circulation de l’information par le droit et la technique sans attenter gravement aux libertés publiques. Le droit communautaire en a pris acte, et il est regrettable que le Gouvernement s’engage dans l’impasse illusoire du contrôle de l’Internet.

Il est pourtant possible de résister à la tentation de la répression tout en garantissant une juste rémunération aux artistes. La licence globale que nous proposons depuis 2005 vise à établir un compromis entre le principe de rémunération des ayants droit et la réalité numérique qui fait que toute donnée peut être copiée à l’infini. Elle présente le triple avantage de renoncer à une répression impossible à mettre en œuvre sans attenter aux libertés publiques ; de rémunérer les artistes selon un autre mode que celui actuellement en vigueur, et qui tend à devenir illusoire dans l’univers numérique ; d’établir, enfin, un lien plus direct entre le public et les artistes, en permettant à ces derniers de s’affranchir des normes culturelles édictées par les intermédiaires les plus puissants, majors et distributeurs.

Madame la ministre, il ne faudrait pas que votre position sur la question de la protection des artistes et de la création s’apparente à celle des généraux de la Grande Guerre qui ont édifié la ligne Maginot. Internet n’est pas une menace, mais une chance, un formidable outil de diffusion culturelle. Prenez le temps de rapprocher les points de vue, donnez-nous le temps de débattre sereinement et revenez sur la déclaration d’urgence, car il semble que les positions des uns et des autres, après la demande de moratoire réclamée par l’association pour le commerce et les services en ligne – l’ACSEL –, présidée par M. Pierre Kosciusko-Morizet, aient déjà beaucoup évolué. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.

M. Patrice Martin-Lalande. Je vais intervenir depuis mon banc ; il est de moments où il faut savoir rester à sa place… (Sourires.)

Comme je l’ai exprimé dans l’enceinte du Palais-Bourbon en ouvrant, le 16 janvier dernier, le colloque « Monde culturel et Internet, vers une réconciliation ? », je ne cacherai pas ma circonspection.

Oui, je crois que l’État ne peut rester sans agir face à la profonde mutation que connaît l’accès aux biens culturels et face à ses conséquences pour le financement de la création.

Oui, il serait dramatiquement paradoxal que la France qui, depuis un demi-siècle, a inventé et réussi à faire vivre un modèle original et envié de financement de la création, renonce à inventer les outils d’une politique culturelle adaptée à l’ère de l’Internet.

Oui, il serait paradoxal que la France, qui a su inventer les outils nécessaires à un nombre restreint de créateurs et de diffuseurs professionnels, soit absente lorsqu’il s’agit d’inventer ceux qui conviennent à ce monde nouveau dans lequel chacun d’entre nous peut être créateur, diffuseur et consommateur, avec une liberté sans précédent.

M. François Brottes. Très juste !

M. Patrice Martin-Lalande. Oui, il serait paradoxal que le législateur renonce à poser des règles après la démonstration faite par Denis Olivennes qu’un accord est possible entre les professionnels de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’accès à Internet.

Pour autant, le législateur mesure pleinement le risque de fixer des règles applicables à une matière en pleine effervescence. Le risque est grand de créer, même involontairement, des obstacles à l’innovation, de fausser la nécessaire concurrence, de mettre en difficulté nos entreprises qui opèrent dans un monde totalement ouvert. Le risque est grand aussi d’être inefficace en créant une nouvelle ligne Maginot législative.

Le législateur mesure aussi la difficulté de régler une partie d’un vaste problème sans disposer des points de repère indispensables concernant les autres aspects de ce problème. Ainsi, le problème de la gratuité reste posé de manière très paradoxale. Aujourd’hui, le budget moyen consacré aux TIC par un foyer français est d’une centaine d’euros par mois. Pourquoi paraît-il «normal » au consommateur de payer pour ses multiples abonnements – téléphone, télévision, Internet, etc. – et anormal de payer pour profiter d’œuvres immatérielles ?

Autre exemple : pourquoi ne taxer que l’une des formes de vente directe des biens culturels, la vente en ligne, pour financer la création, alors que ce financement a toujours été en grande partie assuré, en France notamment, par d’autres ressources indirectes, comme le mécénat, les subventions publiques, les avantages fiscaux ou encore les redevances ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est évident !

M. Patrice Martin-Lalande. Pourquoi continuer de se référer exclusivement à un modèle dans lequel la création et la diffusion sont assurées par un petit nombre de professionnels, alors qu’une part croissante de la création et de la consommation de biens culturels est désormais le fait d’un nombre quasi illimité d’internautes, aux statuts très variables, au sein de réseaux de mutualisation ?

M. Patrick Bloche. Très juste !

M. Patrice Martin-Lalande. Le rapport du créateur au public est en train de changer radicalement, ce qui inquiète logiquement les bénéficiaires de l’ordre économique antérieur ; s’autoproduire est aujourd’hui possible pour les artistes qui peuvent se passer des maisons de disques pour toucher leur public.

M. Christian Paul. Exactement !

M. Patrice Martin-Lalande. L’Internet ne rémunère peut-être pas beaucoup, mais il touche facilement et rapidement le public, lequel paie par ailleurs pour assister à un concert ou un spectacle ou pour acheter un support traditionnel. Ce n’est pas la création qui est touchée, mais l’industrie de diffusion de cette création sur des supports matériels.

M. Christian Paul. Écoutez-le, chers collègues de la majorité !

M. Patrice Martin-Lalande. Le problème n’est pas de savoir comment sauver le modèle économique des majors, mais de savoir dans quelles conditions les artistes professionnels peuvent créer.

M. Christian Paul. Eh oui !

M. Patrice Martin-Lalande. Une chose est de constater objectivement la crise et les autres risques potentiels, bien réels, pour le financement de la création musicale, cinématographique et audiovisuelle ; une autre est d’en tirer la conclusion que l’avenir de la création réside dans le retour à la situation antérieure par l’élimination du piratage, facteur le plus visible et explication la plus simpliste de la crise.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est limpide !

M. Patrice Martin-Lalande. Il ne faudrait pas que le soin que nous mettons à colmater une brèche dans le modèle actuel nous fasse oublier l’essentiel : inventer les nouvelles règles et les nouveaux modes de financement qui stabiliseront le modèle à venir

M. Lionel Tardy. Très bien !

M. Patrice Martin-Lalande. En conclusion, je dirai oui au projet à certaines conditions – l’amende par exemple –, car il peut offrir aux acteurs historiques une sorte de répit qui amortira le choc de la mutation.

Mais, surtout, je dis oui aux futures étapes législatives que nous devrons très rapidement accomplir pour donner à notre société de l’information les moyens de sa diversité culturelle.

M. Jean Dionis du Séjour et M. Lionel Tardy. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Françoise de Panafieu.

M. François Brottes. Elle ne tiendra pas le même discours !

Mme Françoise de Panafieu. Monsieur le président, madame la ministre, le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, adopté à la quasi-unanimité en première lecture au Sénat, est une priorité pour la culture, la création, les artistes et les industries culturelles.

Il y a urgence, car la défense du droit des auteurs et des titulaires de droits voisins étant au cœur de l’économie de la création. Les artistes doivent pouvoir vivre de leur travail, or ils le peuvent de moins en moins.

Et pourtant Internet, est une chance sans précédent pour la culture, un formidable moyen d’accéder aux films, à la musique, aux œuvres en totale liberté ! Mais c’est là que le bât blesse, car la liberté des uns pille le travail des autres et les prive de justes revenus.

Notre pays détient une sorte de record : un milliard de fichiers piratés et échangés chaque année sur Internet. Les effets n’ont pas tardé à se faire sentir : en cinq ans, on a constaté une baisse de 50 % du chiffre d’affaire de l’industrie musicale et de 30 % de l’emploi dans les maisons de disques, ainsi qu’une diminution de 40 % des contrats signés par de nouveaux artistes.

Les 450 000 téléchargements illégaux de films correspondent au nombre quotidien d’entrées dans les salles. Qui dit mieux ? Le marché de la vidéo, quant à lui, s’effondre. Au regard de tels chiffres, nous ne pouvions rester sans rien faire.

M. Christian Paul. C’est ce qu’on appelle un discours mobilisateur !

Mme Françoise de Panafieu. Nous avons tiré les enseignements de la loi DADVSI, votée il y a près de trois ans. Trop répressive, pas assez pédagogique, comportant des sanctions excessives et donc inapplicables, elle n’a pas été dissuasive, et le piratage s’est aggravé.

Pour élaborer une nouvelle loi plus adaptée, le Président de la République et vous-même, madame la ministre, avez misé sur la concertation.

En août 2007, le Président de la République a réaffirmé l’importance de la lutte contre le piratage. La mission Olivennes a été mise en place, précédant les accords de l’Élysée signés le 23 novembre 2007. Fait historique, quarante-sept organisations professionnelles de la musique, du cinéma, des médias et de l’Internet ont adopté des solutions pour dissuader les pirates et améliorer l’offre légale sur internet.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, les sanctions instaurées par la loi DADVSI, excessives et de nature exclusivement pénale, n’étaient pas adaptées à la situation. Il n’était donc pas possible de continuer ainsi. Ce qui est proposé aujourd’hui paraît beaucoup plus juste : ce n’est qu’après un avertissement par mail, puis une lettre avec accusé de réception adressée à l’internaute concerné, qu’interviendra éventuellement la suspension de l’abonnement à Internet, pour une période de trois mois à un an.

M. François Brottes. Ce n’est pas dans le projet !

Mme Françoise de Panafieu. Il a été constaté, dans les pays ayant mis en place ce mécanisme, que 90 % des personnes averties cessaient les téléchargements illégaux lors de la phase préventive. Et, soyons clairs, les 10 % restants sont des pirates dans l’âme, qu’il faut poursuivre, puisqu’ils n’ont pas le droit de pirater, c’est-à-dire de voler les artistes.

M. Christian Paul. On pourrait leur couper une main ?

Mme Françoise de Panafieu. Ce projet de loi est le résultat d’une très large concertation. Nous pouvons nous féliciter d’avoir tiré les enseignements de la loi précédente et mis fin à un système de sanctions qui paraissait injuste.

J’avoue ne pas comprendre l’attitude des députés socialistes qui refusent de voter cette loi…

Mme Sandrine Mazetier. Nous allons vous expliquer !

Mme Françoise de Panafieu. …alors qu’au Sénat elle a été votée à la quasi-unanimité…

M. Serge Blisko. Cela prouve qu’il y a chez nous de vrais débats !

Mme Françoise de Panafieu. …et que, par ailleurs, deux anciens ministres socialistes ayant laissé une forte empreinte sur le monde de la culture – je veux parler de Jack Lang et de Catherine Tasca – y sont favorables.

M. Christian Paul. Jack Lang n’a pas lu le texte, il l’a reconnu lui-même !

Mme Françoise de Panafieu. Il serait bon que la discussion à venir nous permette de trouver un accord, afin que les postures politiciennes ne prennent pas le pas sur l’intérêt du droit d’auteur, l’intérêt des artistes et de la création.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Très bien !

Mme Françoise de Panafieu. J’espère que nous trouverons lors de cette discussion les moyens de nous unir afin que la création française reste protégée dans sa diversité et que les artistes puissent continuer à créer et à vivre de leurs créations. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Manuel Aeschlimann.

M. Manuel Aeschlimann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui s’appuie sur les accords de l’Élysée, signés par quarante-deux organisations, depuis rejointes par cinq autres : fournisseurs d’accès à Internet, chaînes de télévision, représentants des ayants droit de l’audiovisuel, du cinéma et de la musique.

Ce consensus en amont s’est doublé d’une concertation plus large encore lors de l’examen du texte par le Sénat, qui a permis son adoption par l’ensemble des groupes – à l’exception du groupe communiste, qui s’est abstenu. Les commissions de l’Assemblée ont poursuivi ce dialogue permanent avec l’ensemble des parties concernées. Les rapporteurs ont entendu une soixantaine d’organisations dont, naturellement, des représentants des internautes et des consommateurs.

Si nul ne conteste la nécessité de parvenir à un meilleur respect des droits des créateurs sur Internet, c’est sur la méthode que les avis divergent. Selon certains, le problème se réglera de lui-même. De nouveaux modèles économiques vont émerger, plus adaptés.

M. Serge Blisko. Ils ont émergé !

M. Manuel Aeschlimann. Tout sera mieux qu’avant : l’offre sera plus riche, plus fine et de meilleure qualité ; il y aura moins d’obstacles à la rencontre du créateur et de son public. Reste que la situation des auteurs continue de se dégrader à grande vitesse.

Il faut faire quelque chose, mais pas comme ça, disent certains. Passons sur ceux qui ne proposent rien à la place : à bien y réfléchir, ils rejoignent, mais sans l’assumer, ceux qui pensent qu’il ne faut rien faire. Voyons plutôt ceux qui proposent autre chose – qu’ils désignent généralement par l’expression « licence globale ». Il semble y avoir deux écoles. Pour l’une, l’internaute qui le souhaite paierait chaque mois une sorte de forfait à volonté en plus de son abonnement. Pour l’autre, tous les internautes paieraient chaque mois une redevance qui viendrait rémunérer les créateurs.

M. Christian Paul. Quelle bonne idée !

M. Manuel Aeschlimann. Je ne m’attarderai pas sur les obstacles juridiques, pointés avec justesse par le rapporteur de la commission des lois. Je relèverai simplement qu’un dispositif optionnel favoriserait une offre légale particulière, celle que nous définirions dans la loi, aux dépens des autres.

M. François Brottes. La taxe sur les télés publiques, cela ne vous a pas gêné !

M. Manuel Aeschlimann. De plus, sans mécanisme de contrôle, un tel dispositif ne résoudrait en rien la question des abus qui font précisément l’objet de ce texte. À bien y réfléchir, cette école rejoint ceux qui pensent, mais sans l’assumer, qu’il ne faut rien faire.

Quant à un dispositif obligatoire, il reviendrait à considérer que tous les internautes se comportent de la même façon et qu’aucun ne respecte le droit d’auteur. Il porterait également un coup sérieux aux offres légales existantes. Étrange démarche que de vouloir une loi qui ne fait aucun cas de ceux qui l’ont respectée jusque-là !

Au reste, une fois les sommes perçues, comment les distribuerait-on aux ayants droit ? On bute à nouveau sur la nécessité d’un dispositif de contrôle, ne serait-ce que pour mesurer et redistribuer de façon juste.

M. Christian Paul. On pourrait peut-être installer des caméras de surveillance ?

M. Manuel Aeschlimann. Il est une autre catégorie de critiques portant sur des points particuliers du dispositif retenu et qui, pour certaines, contribuent à son amélioration.

Tout au long de ce projet, madame la ministre, votre volonté d’une approche souple et pédagogique, préalable à toute sanction, est évidente. Certains se sont inquiétés de la suspension de l’accès à Internet, y voyant même une atteinte aux droits fondamentaux. Afin d’encourager la démarche transactionnelle entre l’internaute et l’HADOPI, le Sénat a proposé une limitation des services ou de l’accès à ces services. On entend généralement par là une limitation du débit, mais j’observe que l’idée de liste blanche, un temps envisagée pour le nomadisme, pourrait constituer une meilleure réponse. Vous avez émis un avis favorable, ce qui illustre votre recherche de la mesure la plus adaptée, sans a priori.

D’autres encore – mais les mêmes ne nous avertissaient-ils pas, en d’autres occasions, que nous menacions un lecteur vidéo très populaire ? – nous alertent des risques d’atteinte à la vie privée que vous nous feriez courir. Le texte lui-même et son évolution au Sénat montrent au contraire un souci constant de la protéger.

Vient, enfin, l’accusation de ringardise : ce projet serait inadapté et totalement déconnecté de la culture de la gratuité. Et si, en réalité, c’était l’inverse ? Si ceux qui parlent de culture de la gratuité n’avaient pas vu qu’il s’agit en réalité de culture du partage ? Et que cette culture, pour légitime et intéressante qu’elle soit, ne doit pas empêcher un créateur de choisir librement les modalités et le niveau de sa contribution ? Au reste, le logiciel libre et les licences Creative Commons, qui sont au cœur de la culture du partage, ont un point commun : ils reposent sur le droit d’auteur, donc sur son respect scrupuleux.

Nous ne pouvons nous contenter des créateurs d’hier. Il faut aussi que ceux d’aujourd’hui puissent vivre dignement. Votre projet, madame la ministre, est fermement ancré dans notre tradition de respect et de protection des œuvres de l’esprit, dans l’intérêt des créateurs et de leur public, sans nuire à cette évolution majeure de notre époque : le public a désormais la possibilité de participer lui-même à la création. Loin d’être liberticide, ce texte renforce la liberté de choix de chacun. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Suguenot.

M. François Brottes. Ah ! Nous allons peut-être avoir droit à un peu d’intelligence et de courage !

M. Didier Mathus. Internet, c’est comme le vin, c’est la liberté !

M. Alain Suguenot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’économie de la création repose entièrement sur le droit de la propriété littéraire et artistique. Cependant, les erreurs du passé doivent nous servir d’exemple pour l’avenir. La loi DAVDSI a été un échec cuisant ; je faisais partie de ceux qui l’annonçaient dès décembre 2005,…

M. Jean-Pierre Dupont. Eh oui !

M. Christian Paul. Que ne vous a-t-on écouté !

M. Alain Suguenot. …sachant que les lois empêchent rarement ce qu’elles interdisent.

Une bonne loi est une loi acceptée et non une loi imposée. Depuis plus de cinq ans, les mesures répressives ont été multipliées ; jamais elles n’ont infléchi la courbe des téléchargements illégaux.

L’HADOPI est le dernier dispositif imaginé. La méthode est, certes, différente, mais les accords intervenus n’ont pas associé les internautes, pourtant de bonne volonté et directement concernés. La tâche qui nous est dévolue dans ce débat est donc celle de l’explication. En quoi notre état d’esprit a-t-il changé depuis la loi DAVDSI ? Si l’HADOPI veut faire preuve de pédagogie, il faut que tous les doutes soient levés. Que penser de l’organisation matérielle induite par la riposte graduée ? Que dire du coût de la suspension de l’abonnement – les 70 millions déjà évoqués dans le rapport du CGTI ?

Nous ne pouvons, en tant que parlementaires, accepter de créer le moindre précédent qui pourrait bafouer les libertés individuelles, leur respect étant aussi précieux que celui du droit d’auteur. Nous ne pouvons accepter le traitement différencié des citoyens et nous devons répondre en toute transparence aux critiques à peine voilées de la CNIL.

Nous avons, sur ce chemin, de grandes difficultés. La première, qui n’est pas la moindre, consiste à expliquer aux internautes, notamment aux jeunes, après avoir placé entre leurs mains les iPod, téléphones mobiles et autres vecteurs de la culture d’aujourd’hui, que la gratuité n’est pas la solution, sauf à empêcher la création elle-même. Une autre difficulté de taille réside dans la question qui nous est posée dans ce débat : la loi est-elle faite pour la société d’aujourd’hui, ou pour celle que certains nostalgiques auraient voulu préserver ?

Par ailleurs, nous ne pouvons en aucun cas transiger sur le respect de la justice. Comment sanctionner le vrai coupable, lorsque l’on connaît les pratiques de pollution volontaire des caches IP et des « faux positifs », c’est-à-dire des IP aléatoires correspondant à un abonné innocent ; lorsque l’on connaît la pratique du fractionnement des fichiers avec une clé unique de 4 096 bits qui rend impossible de dire si une personne partage ou télécharge du contenu, légal ou non ?

De même, la pratique de l’intégration de téléchargements encryptés via les réseaux TOR rend impossible la détermination d’une adresse IP et a pour conséquence directe que celui qui partage du contenu libre, via Linux par exemple, pourra se voir accusé de téléchargement illégal.

M. François Brottes. Eh oui !

M. Alain Suguenot. L’avantage de l’amende est qu’elle est réversible, alors que la suspension de l’accès à Internet causera forcément un préjudice.

M. Jean Dionis du Séjour et M. Lionel Tardy. Très bien !

M. Alain Suguenot. Nous sommes là pour défendre le droit d’auteur, mais il faut aussi savoir se placer du côté de l’utilisateur, j’allais dire du côté du « client » de la culture : s’il n’y a pas de création sans créateur, il n’y en a pas non plus si elle ne peut s’adresser à personne. Les deux intérêts m’apparaissent conciliables si l’on considère enfin, contrairement à la pensée unique qui a prévalu pour la loi DAVDSI, que le développement de l’offre numérique ouvre la perspective d’immenses volumes de consommation, qui doivent se traduire par une meilleure rémunération des auteurs et de la création.

La seule voie qui puisse fonder un renouveau du droit d’auteur aujourd’hui est celle d’une loi qui concentre ses interdictions et ses sanctions contre ceux qui font une exploitation commerciale et lucrative du droit d’auteur ; une loi qui responsabilise les fournisseurs d’accès ; une loi qui fasse preuve de pédagogie, qui permette l’augmentation de l’offre légale, qui la rende plus abordable à tous dans une période économiquement difficile ; une loi qui consacre la liberté du public et non pas la gratuité mais la police des œuvres ; une loi dans l’esprit de la création du droit d’auteur, inventé à l’époque où Beaumarchais voulait lutter contre le monopole de la Comédie française pour ouvrir plus largement au public l’accès à la culture.

À l’heure du streaming, mes chers collègues, dénonçons la contrefaçon, évoquons les limites et les dangers de la gratuité, donnons des moyens nouveaux à la musique et au cinéma, mais ne faisons pas un procès aux internautes.

Madame la ministre, sans vouloir paraphraser Danton, qui disait : « Lorsque l’on fait un procès au peuple, le peuple s’en souvient » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), j’aiproposé, avec plusieurs de mes collègues, de nombreux amendements, et j’attends de ce débat des avancées pour être convaincu de l’utilité de la loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC et sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Paul. Cela fait du bien d’entendre un discours intelligent, après tant de sottises !

M. le président. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Madame la ministre, l’essentiel de mon propos portera sur la musique. Depuis des mois, voire des années, vous et vos amis nous répétez que la musique se porte mal, qu’elle va disparaître, que le danger est imminent – ce qui explique, sans doute, l’urgence décidée sur ce texte.

Si les chiffres des ventes de CD ont tendance à diminuer, il ne faudrait pas oublier qu’ils ont atteint des sommets lors de l’apparition de cette nouvelle technologie sur le marché, qui a amené nombre de possesseurs de microsillons à renouveler leur collection. À l’époque, les maisons de disques ne se gênaient pas pour pratiquer des prix prohibitifs, sans que personne songe à dénoncer les marges phénoménales qu’elles empochaient.

Quand vous nous dites que la musique se porte mal, j’ai tout de même un doute en voyant les stars du show-business, qui ne semblent pas avoir été obligées de diminuer leur train de vie – je pense notamment à un chanteur dont on ne sait plus s’il est monégasque, suisse ou belge, qui compterait, paraît-il, parmi vos amis et ceux du Président de la République. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Franck Riester, rapporteur. Caricature !

M. le président. Allons, n’interrompez pas M. Roy, nous allons perdre du temps !

M. Patrick Roy. La vérité, madame la ministre, c’est que la musique se porte très bien aujourd’hui. En effet, il n’y a pas que la vente des CD, il y a également la musique vivante, qui, elle, se porte mieux que jamais. Les cachets des productions qui montent en flèche en témoignent. Je ne vous apprendrai rien non plus sur le prix des billets, qui empêche une partie importante de la population française d’accéder à ces spectacles. Sur ce point encore, je vous trouve extrêmement silencieuse.

Internet est une chance pour l’ensemble de la musique, car moi, je ne résume pas la musique à quelques stars éventuellement en péril et dont la fortune serait chatouillée.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est ce que vous avez fait voici un instant !

M. Patrick Roy. Je regarde au contraire l’ensemble de la production musicale et je constate qu’Internet est pour l’ensemble des musiciens un excellent moyen de se faire connaître.

Je suis monté à la tribune avec un magazine que, j’imagine, vous lisez très régulièrement, Rock Hard, qui présente des groupes très intéressants. Quand j’avais le même âge que mon fils, je lisais des revues similaires mais je me limitais souvent, parce que je ne pouvais acheter qu’un seul vinyle, aux « grosses pointures », ceux dont j’étais sûr d’apprécier l’album.

Aujourd’hui, mon fils et l’ensemble de ses camarades de lycée, lisent le magazine et vont ensuite sur Internet pour découvrir tous les groupes qui y sont cités. Si bien qu’il y a actuellement toute une palette de groupes qui n’auraient pas d’existence musicale sans Internet.

M. Serge Blisko. Internet les a aidés à émerger !

M. Patrick Roy. Mon fils écoute Gojira, Trust ou Metallica, qui sont ce que j’appelle de « grosses pointures », mais il écoute aussi Demians, Satyricon ou Mastodon, des groupes que, j’imagine, vous connaissez parfaitement, madame la ministre. (Sourires.)

Mme Sandrine Mazetier. Bravo !

M. Patrick Roy. Le présent texte est en outre entièrement muet sur la création. Vous essayez de faire croire aux musiciens et aux artistes que vous êtes à leurs côtés pour les défendre : non, vous défendez en particulier le chanteur belge, monégasque ou suisse, dont je n’arrive pas à me rappeler le nom. Vous ignorez totalement, en revanche, tous les autres. Prouvez-moi le contraire !

M. Philippe Gosselin. Vous voulez des noms ? On peut vous en donnez dix mille !

M. Patrick Roy. Il n’y a rien pour les créateurs dans le texte. D’ailleurs, vous restez bouche bée et ne trouvez rien à me répondre. J’attends vos explications qui seront, bien sûr, extrêmement pauvres.

Cet après-midi, l’un de vos amis de l’UMP a évoqué la fameuse pétition des dix mille. Il est vrai que vous avez abusé beaucoup d’artistes avec ce texte.

M. Philippe Gosselin. On peut abuser une personne mais pas dix mille !

M. Patrick Roy. Je tiens à rappeler que nous sommes ici, non pas pour défendre l’intérêt privé de quelques-uns, et notamment de ce chanteur belge, monégasque ou suisse, dont je n’arrive pas à mémoriser le nom,…

M. François Brottes. Retiens la nuit, Patrick ! (Sourires.)

M. Patrick Roy.… mais pour nous préoccuper de l’intérêt collectif.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Roy.

M. Patrick Roy. Je conclurai en disant que ce texte est un mauvais signe pour notre jeunesse, qui subit de plein fouet tous les dégâts sociaux engendrés par votre politique – petit salaire, instabilité professionnelle, chômage massif. Leur seule chance, aujourd’hui, c’est l’accès à Internet. Mais vous voulez les sanctionner avec des discours militaires, à l’image des propos révoltants tenus cet après-midi par Mme Alliot-Marie.

Madame la ministre, j’espère que vous arriverez à entendre raison. En tout état de cause, ce texte aura le même avenir que le précédent : il ne servira à rien et, dans quelques années, nous serons amenés à nous revoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, un jour nos enfants se demanderont comment des représentants du peuple ont pu être à ce point aveugles sur les conséquences de la révolution technologique Internet.

M. Christian Paul. Une partie d’entre eux !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ils vous compareront, et j’en suis désolé, aux moines copistes qui voulaient emprisonner Gutenberg et interdire l’imprimerie, aux éditeurs de partitions qui luttaient contre le disque, ou aux maisons de disques qui voulaient contenir la diffusion de la chanson à la radio.

Ils vous jugeront d’autant plus sévèrement que ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement s’entête.

M. Christian Paul. Récidiviste !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Pourquoi ne pas avoir su tirer les leçons, de simple bon sens, de notre précédent débat sur la loi DADVSI ? De son échec que nous avions été un certain nombre, sur tous les bancs de cet hémicycle, à prévoir et annoncer ?

M. Christian Paul. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je vous renvoie aux discours que nous avions prononcés. Ce qui devait arriver est arrivé. La loi n’a pas été appliquée car elle n’était pas applicable ! Souvenez-vous d’ailleurs des fameux DRM, au cœur de nos débats d’alors. Ils ont déjà disparu de la circulation ! Ceux-là même qui les avaient demandés, voire imposés au gouvernement de l’époque, les ont supprimés. Comme quoi, il n’est jamais bon de suivre les lobbies dans leurs errements.

Plutôt que de s’interroger sur les raisons de ce fiasco législatif, de tenter de comprendre les attentes de la jeunesse, d’observer les pratiques, votre gouvernement, sous la pression de quelques célébrités, s’arc-boute un peu plus, comme un enfant qui croit pouvoir défier la marée avec son château de sable.

M. Christian Paul. Quelle volée de bois vert !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Jacques Attali – il n’est pas spécialement ma tasse de thé, mais il inspire souvent le Gouvernement – écrivait récemment dans son blog : « Cette loi sera sans doute votée, parce qu’elle est le pitoyable résultat d’une connivence passagère entre des hommes politiques, de gauche comme de droite, toujours soucieux de s’attirer les bonnes grâces d’artistes vieillissants et des chefs d’entreprises bien contents de protéger leurs profits. »

M. Serge Blisko. Exact !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Les précédents orateurs l’on dit : votre loi est déjà obsolète. La créativité des développeurs aura raison de vous, sauf naturellement – et encore ! – à mettre en œuvre une surveillance généralisée des échanges totalement contraire, comme l’a d’ailleurs voté le Parlement européen, aux droits élémentaires du citoyen.

Votre loi nécessite en effet, pour être partiellement appliquée, l’installation d’une usine à gaz administrative et judiciaire au coût délirant. De surcroît, elle ne pénalisera pas ceux qu’elle cherche à atteindre et multipliera des coupures aussi injustes qu’aléatoires qui susciteront un contentieux impressionnant.

Vous le reconnaissez d’ailleurs vous-même, puisque vous admettez déjà ne pas pouvoir éradiquer les téléchargements. J’ai lu une dépêche de l’AFP d’aujourd’hui dans laquelle vous déclarez : « Il s’agit de contribuer à une prise de conscience, à l’installation d’un état d’esprit nouveau chez les internautes. » Vaste programme, madame la ministre !

Ce faisant, et c’est peut-être le plus grave, vous prenez en otages les artistes et les créateurs que vous prétendez vouloir défendre. Ils méritent évidemment de recevoir leurs droits d’auteurs, et ont besoin plus que jamais d’une loi légitime, claire et applicable.

En vérité, vous faites perdre beaucoup de temps aux artistes en les conduisant, avec les majors qui vous inspirent, dans une impasse. Des majors qui, entre nous soit dit, s’intéressent plus à leurs marges insensées sur chaque CD qu’aux artistes. En effet, l’industrie du divertissement n’a pas compris l’ampleur de la révolution numérique et s’accroche désespérément à un modèle dépassé.

Beaucoup d’artistes l’ont déjà compris et savent prendre appui sur le téléchargement pour accroître leur notoriété, diffuser leurs œuvres, augmenter l’affluence à leurs concerts. Quant au cinéma, ce sont les films les plus téléchargés qui font le plus d’entrées en salles – ou inversement.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cette révolution numérique permet de copier et de faire partager à l’infini toute œuvre culturelle. Nous devrions nous en réjouir. Si André Malraux était parmi nous, il le ferait. Car le téléchargement permet l’accès à une bibliothèque universelle exceptionnelle. Imaginez-vous que l’on interdise l’accès aux bibliothèques et aux médiathèques pour la raison qu’on y emprunte des livres, des films et de la musique gratuitement ? Cela ferait scandale !

M. Philippe Gosselin. Il y a des règles du jeu et elles sont respectées !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ayons donc l’intelligence de favoriser et de réguler cet extraordinaire outil de diffusion culturelle que vous voulez brider pour un seul motif : le profit de certaines entreprises. Le favoriser en légalisant le téléchargement. Le réguler en inventant un nouveau système de rémunération pour les créateurs. Mettons en œuvre le seul système viable : la licence globale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez d’ailleurs su utiliser pour financer l’audiovisuel public un dispositif du même registre. Pourquoi ce qui serait utile à la télévision publique ne le serait pas à la rémunération des auteurs ? Une contribution forfaitaire mensuelle sur chaque abonnement haut débit alimenterait un fond géré par les sociétés d’auteurs. C’est le seul moyen, mes chers collègues, de réconcilier les internautes et les créateurs, les internautes et les artistes.

Sachons réconcilier le financement de la culture avec la simplicité administrative. Car dépenser 70 millions d’euros dans une usine à gaz, créer une Haute autorité au moment où le Gouvernement cherche à faire des économies de fonctionnement, est pour le moins cocasse.

Sachons réconcilier le monde politique et la jeunesse de notre pays, qui ne comprend pas votre loi et qui ne l’acceptera pas car elle n’est pas légitime et va à contre-courant de l’histoire.

Au lieu de mener une fois de plus un combat d’arrière-garde qui nous ramènera dans deux ou trois ans à un nouveau débat sur les moyens de concilier Internet et la rémunération des auteurs, sachons offrir à notre pays une liberté nouvelle qui en fera un exemple. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Madame la ministre, il a beaucoup été question d’art, ce soir. Il en est un que vous maîtrisez particulièrement bien : celui de l’escamotage. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez en effet escamoté la taxe à laquelle M. Dupont-Aignan vient de faire allusion à l’instant, et dont tous les abonnés au téléphone devront désormais s’acquitter. Vous cachez également aux familles les risques que ce texte va leur faire courir et sur lesquels je ne reviendrai pas.

M. François Brottes. Cela ne les gêne pas !

Mme Sandrine Mazetier. Vous n’avez aucune parade à proposer. Vous allez insécuriser l’ensemble des propriétaires d’ordinateur avec abonnement Internet, dans leur propre famille mais aussi dans leur voisinage, et même dans la rue avec les réseaux Wi-Fi.

Enfin, avec ce texte prétendument favorable aux artistes, vous cherchez à occulter la situation dramatique de la création dans notre pays, du fait de vos budgets, du gel des subventions. Oui, des artistes vont mal, des compagnies déposent le bilan, mais c’est le résultat de votre politique.

M. Patrick Roy. Eh oui !

Mme Sandrine Mazetier. Ce n’est pas la faute des internautes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est du grand escamotage.Voilà probablement la plus grande malhonnêteté de la campagne que vous menez !

Permettez-moi ensuite, à quelques semaines des élections européennes, de m’étonner du peu de cas que vous faites du cadre européen dans lequel nous évoluons désormais.

M. Franck Riester, rapporteur. Savez-vous que les sénateurs socialistes ont voté ce texte ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Monsieur le rapporteur, ces interruptions deviennent pénibles ! Écoutez plutôt l’orateur, et attendez d’avoir la parole pour vous exprimer !

Mme Sandrine Mazetier. Vous méprisez la résolution du Parlement européen, adoptée par 586 voix contre 36 le 10 avril dernier, et qui indique que la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution contre le piratage numérique. Vous faites bien peu de cas, madame la ministre, du choix qu’ont fait nos homologues outre-Rhin, outre-Manche ou encore en Suède.

Vous dites enfin aimer les artistes. Nous aussi, nous les aimons. Nous aimons toutes sortes d’artistes et nous aimons tous leurs publics.

M. Philippe Gosselin. Faites sonner les violons !

M. Jean Dionis du Séjour. Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous… (Sourires.)

Mme Sandrine Mazetier. Nous aimons tous les artistes, ceux qui pétitionnent et les autres. Et la vérité commande de leur dire que ce projet de loi ne leur rapportera pas un euro et ne réglera en aucun cas leur situation.

M. Michel Herbillon. C’est une pétition de principe non démontrée !

Mme Sandrine Mazetier. Je m’intéresse aux revendications de ces artistes et à leurs pétitions, même si j’aimerais voir publier en pleine page le contenu de leurs appels plutôt que d’interminables listes de noms.

M. Philippe Gosselin. D’habitude, c’est vous qui souffrez de pétitionnite aiguë ! Cela vous plaît moins quand on n’est plus d’accord avec vous !

Mme Sandrine Mazetier. Citons quelques-uns de ces artistes : le premier, Abd Al Malik, dont le disque est sans doute l’un des derniers que j’ai achetés. Je lis aussi le nom de Diam’s, dont j’aime tant les paroles et les musiques, et qui chantait il n’y a pas si longtemps : « Y a comme un goût d’Afrique dans les caisses de la France, comme un goût de démago dans la bouche de Sarko. » (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, j’aime les artistes, leur pertinence et leur impertinence. Certains, dont je me sens moins proche, ont aussi signé cette pétition, telle Lorie, l’inspiratrice de la « positive attitude » de M. Raffarin. Sur le site de son fan club, on peut lire : « L’an 2000 est une année décisive pour Lorie, Le titre “Près de moi”, qui ne trouve pas preneur tout de suite en maison de disques, est proposé en téléchargement sur internet. Une pratique encore très rare. Moins de trois mois plus tard, la chanson a obtenu un nombre de téléchargements record. Lorie devient la première artiste française à émerger du Net. » (« Vive Lorie ! » sur les bancs du groupe SRC.) À croire qu’à l’époque, elle n’était pas opposée au téléchargement, puisque elle le proposait même gratuitement !

M. Philippe Gosselin. Nous ne sommes pas contre le téléchargement mais contre l’illégalité !

Mme Sandrine Mazetier. On a le droit de changer d’avis, et je défends le droit pour Lorie de se tromper.

M. Michel Herbillon. Est-ce que Sandrine Mazetier a le droit de se tromper ?

Mme Sandrine Mazetier. Je défends le droit pour chacun de se tromper mais pas de persévérer dans l’erreur, ce que vous faites depuis la loi DADVSI.

M. le président. Il vous faut conclure, Madame Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Nous aimons tous les artistes, et c’est à eux que je laisserai le dernier mot, en citant une autre pétition dont les signataires déclarent : « Ce projet de loi est contraire à nos pratiques, tout comme il est méprisant des usages et totalement ignorant d’un monde simplement contemporain. Nous souhaitons qu’un projet de loi intitulé “Création et Internet” prenne en compte nos processus de création. C’est un droit. Nous désirons partager et être téléchargés, sans filtrage aucun. C’est une nécessité. Nous espérons que le principe démocratique selon lequel l’œuvre existe ou n’existe pas au travers du regard de l’autre s’applique à cette multiplicité que d’autres nomment “piratage”. C’est une revendication. L’auteur, le créateur, le spectateur, a muté. L’œuvre est regardée, écoutée, partagée, comme jamais auparavant. Et c’est pourquoi créateurs et regardeurs ne peuvent être filtrés par une loi obsolète et crétine. Une loi qui asphyxie la “Création” et “l’Internet” ». C’est une pétition intitulée Téléchargez-moi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le Président, madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte a pour ambition, entre autres, de mettre fin au téléchargement illicite de musique et de films. C’est un objectif que j’approuve. Le téléchargement illégal est une atteinte au droit de la propriété intellectuelle et, par son caractère massif, il est pour partie la cause des difficultés que connaît l’industrie culturelle française, même si ce n’est pas la seule. Je me demande d’ailleurs souvent si le plus gros problème pour les artistes concerne le téléchargement illégal, ou la nature du contrat qui les lie à leur producteur.

Je ne conteste donc pas l’objectif de ce projet de loi, mais les modalités de sa mise en œuvre. Ce texte nous est présenté par ses promoteurs comme pédagogique. J’y vois surtout de la répression ! Quelle pédagogie y a-t-il dans une menace de sanction ? Aucune. J’estime que cette attitude est grave, car elle heurte frontalement les jeunes, qui sont visés par ce texte. Si l’on veut faire de la pédagogie, encore faudrait-il connaître exactement quel est leur état d’esprit face à Internet et ce qu’ils sont prêts à accepter. Ensuite seulement, on pourra proposer des mesures.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Exactement !

M. Lionel Tardy. J’ai des enfants adolescents, comme beaucoup d’entre vous. Et la remarque qui revient le plus souvent dans leur bouche est : « Mais où est le problème ? ». Notre jeunesse ne comprend pas qu’on vienne lui chercher chicane sur cela.

M. Philippe Gosselin. À nous d’expliquer et d’être pédagogues !

M. le président. Monsieur Gosselin, merci de respecter l’orateur !

M. Lionel Tardy. Une sanction n’a aucune valeur pédagogique si la personne punie n’a pas conscience d’être fautive. Nos jeunes risquent donc fortement de se sentir victimes d’une injustice, notamment si on leur coupe l’accès à Internet au lieu de privilégier, comme beaucoup le souhaitent, un système d’amendes. Cela ne fera en rien avancer la lutte contre le téléchargement illégal ; en revanche, cela creusera un fossé entre notre jeunesse et nous, et c’est très regrettable !

En termes de respect de la Constitution, ce texte laisse sérieusement à désirer. Si effectivement une autorité administrative peut exercer un droit de sanction, le Conseil constitutionnel a clairement posé comme condition que l’exercice de ce pouvoir de sanction soit assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garanties.

Parmi ces droits figure en bonne place le principe du respect des droits de la défense, qui impose que la personne poursuivie ait accès à la procédure et puisse répondre à l’accusation. Dans l’état actuel de ce texte, l’internaute poursuivi n’a ni accès au dossier ni possibilité de répondre avant le prononcé de la sanction. Il y a donc là une inconstitutionnalité flagrante !

Sur le plan technique, enfin, ce texte est pour partie inapplicable. Il ne résoudra en rien la question des échanges illicites de fichiers musicaux ou cinématographiques. Ce texte ne vise que les échanges transitant par Internet, et notamment les échanges peer to peer, alors que ces échanges se font de plus en plus souvent en direct, au moyen d’une clé USB, de disque dur à disque dur, dans les cours de récréation ! Par ailleurs, il est très facile de masquer ou d’usurper une adresse IP en passant par des services qui existent déjà. Enfin, comment fera-t-on pour sanctionner des internautes qui disposent d’une offre triple play dans une zone non dégroupée ?

Très rapidement, les internautes vont contourner cette loi, et des outils facilitant les échanges anonymes et cryptés émergeront, permettant de contourner tous les dispositifs techniques mis en place par ce projet de loi. Au final, l’HADOPI n’attrapera pas grand monde et coûtera très cher. On n’aura fait que déplacer le problème.

Comme si cela ne suffisait pas, un jugement du tribunal de Guingamp, en date du 23 février, met à mal le bien-fondé de l’HADOPI.

M. Philippe Gosselin. Fût-il de Guingamp, ce n’est qu’un tribunal !

M. Lionel Tardy. En effet, lors de l’audience, l’adresse IP n’a pas été estimée suffisante pour déterminer la culpabilité ou non du prévenu.

M. François Brottes. Écoutez bien, mes chers collègues !

M. Lionel Tardy. Je m’explique, et c’est assez savoureux. En mars 2008, un blog consacré aux élections municipales de la commune de Penvénan a été piraté. Son propriétaire avait alors porté plainte pour « modification à caractère diffamatoire ». L’enquête a permis d’identifier l’adresse IP du prétendu pirate, correspondant à la Livebox d’un homme de cinquante-trois ans, dans sa résidence secondaire. Or, celui-ci a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Pour sa défense, le suspect a avancé qu’il était possible de pirater une Livebox à distance et qu’on trouvait même sur certains forums des conseils détaillant la marche à suivre. Fort de cette explication, l’avocat du quinquagénaire a affirmé devant le tribunal : « Vous ne pouvez pas vous contenter de la seule adresse IP pour pouvoir décider de la culpabilité de mon client. » Le tribunal de Guingamp s’est montré sensible à ces arguments, puisque le prévenu a été acquitté. Fermez le ban.

Derrière ce texte, je vois surtout l’action de grands groupes et, plus globalement, de l’ensemble du secteur économique de la production musicale et audiovisuelle, qui tente de faire face à une mutation de son modèle économique. Je comprend leur désarroi : voir fondre 50 % de son chiffre d’affaires en quelques années, c’est dur. Mais il fut également difficile pour les moines copistes de voir arriver l’imprimerie et pour les éleveurs de chevaux de trait de voir arriver l’automobile…

En tant que législateurs, nous devons nous tenir au-dessus de la mêlée et prendre en compte tous les aspects du problème, en écoutant tout le monde et en faisant la part des choses entre l’intérêt général et les intérêts privés.

Vous le comprenez bien, je suis très réservé sur ce projet de loi. Je pense sincèrement que le téléchargement illégal n’est qu’un aspect du problème rencontré par les industries culturelles et que ce texte, tel qu’il est rédigé, est difficilement applicable et ne donnera pas plus de résultats que la loi DADVSI de 2006.

M. François Brottes. C’est tout dire !

M. Lionel Tardy. Je souhaite seulement qu’il ne nous coupe pas de notre jeunesse et qu’il ne retarde pas l’émergence de nouveaux modèles économiques qui sauront utiliser toutes les potentialités d’Internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Dionis du Séjour, M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Alain Suguenot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrice Calméjane, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Patrice Calméjane. Monsieur le président, madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi « Diffusion et protection de la création sur Internet », que nous examinons en cette nuit de pleine lune (Sourires), vise à protéger la création face à l’explosion des usages d’Internet.

La protection des œuvres a commencé dès l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1439 et est devenu un problème important avec l’invention et la généralisation de la photocopie à partir de 1948. Il aura donc fallu cinq cents ans pour mettre le livre en danger.

Pour Internet et le numérique, l’histoire est beaucoup plus rapide. Le premier réseau date de 1969, le premier usage grand public de 1977 et, en 1988, grâce à un opérateur historique, la France s’est progressivement connectée à Internet. Depuis, le nombre de foyers connectés, les offres et les capacités ont explosé. Face à ce phénomène, la protection de la création est restée dans un schéma figé – rappelons que la SACEM date de 1850.

Depuis cinq ans, les ventes de disques et de DVD sont en diminution constante ; proportionnellement et de manière inverse, le nombre d’abonnés et l’augmentation des débits ont accéléré la vitesse et le nombre des téléchargements des œuvres. Ce phénomène que nous constatons en France frappe l’ensemble des pays d’Europe et du monde, ce qui pose le problème de la cohérence de ce texte vis-à-vis de la réglementation communautaire car, sans réglementation européenne sur ce sujet, comment empêcherons-nous le téléchargement depuis des plateformes localisées en dehors de la France ? De même, si la réglementation n’est pas la même dans les pays voisins, comment pourrons-nous sanctionner un téléchargeur étranger qui enverra par courriel à un Français titulaire d’un abonnement en France des fichiers téléchargés ? Qui sera le fautif ? Tant que le fichier n’est pas ouvert, la faute n’est pas prouvée ; le jour où il est ouvert, qui est coupable ?

Les sanctions graduées proposées par le texte – courriels, lettre recommandée et déconnexion – ne répondent, selon moi, que partiellement à l’objet de l’infraction.

M. François Brottes. Adhésion unanime de l’UMP au projet de loi !

M. Patrice Calméjane. Pour ma part, comme le Sénat l’avait envisagé, je préférerais que les opérateurs réduisent l’accès aux services par une diminution du débit souscrit à l’abonnement proportionnelle à l’infraction constatée et aux éventuelles récidives, et ce en fonction de l’appréciation de l’autorité compétente.

Techniquement, les fournisseurs d’accès savent le faire dans le sens montant pour augmenter leurs offres ; ils savent aussi le faire dans le sens descendant, car la suspension pure et simple de l’accès à Internet est susceptible de poser des problèmes techniques de mise en œuvre, notamment dans le cadre des offres composites, mais aussi des problèmes de sécurité dans le cas d’une coupure de la ligne téléphonique.

La réduction graduée évoquée aux pages 145 et 146 du rapport de la commission des lois permettrait non seulement de maintenir un service minimum d’utilisation, mais également d’alerter et de sensibiliser l’ensemble des utilisateurs de la connexion. Non seulement en effet les temps de téléchargement seraient plus importants, mais à terme les services de télévision seraient eux aussi perturbés, voire supprimés, l’accès au téléphone et au courrier électronique étant, lui, maintenu. Pour les parents titulaires de l’abonnement, la sanction serait donc bien plus visible qu’un courriel d’alerte ou une lettre recommandée.

Pour conclure, je pense que ce texte n’est qu’une étape face aux évolutions de l’Internet, des réglementations européennes, une étape aussi dans l’éducation des utilisateurs. Madame la ministre, j’attends avec intérêt vos réponses à mes questions, pour m’en faire une véritable opinion.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. À l’issue de cette longue discussion générale, au cours de laquelle beaucoup d’arguments ont été présentés, je voudrais faire remarquer que, si la comparaison avec la loi DADVSI a été faite à de multiples reprises, nous nous trouvons ici face à un cas tout à fait différent.

En effet, ce projet de loi est fondé sur des accords interprofessionnels. Denis Olivennes a mené à bien un long travail ; il a rassemblé toutes les parties – fournisseurs d’accès à internet, télévisions, sociétés d’auteurs – et son considérable travail nous permet d’arriver à un projet extrêmement équilibré.

Pour ma part, je crois beaucoup à ce texte ; je ne nous vois pas du tout comme des moines copistes luttant contre des phénomènes qui nous auraient déjà dépassés.

Je crois que nous sommes en train de fixer un cadre ; je le dis d’ailleurs dans un esprit de modestie : nous ne prétendons pas éradiquer ce phénomène, nous ne prétendons pas tout empêcher.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est bien !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Il y aura toujours moyen, bien entendu, de contourner les dispositifs que nous mettons en place et de continuer à pirater,…

M. Christian Paul. C’est la ligne Maginot !

M. Lionel Tardy. Où est l’égalité des citoyens ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. …de même qu’il y a toujours moyen de commettre toutes sortes d’effractions. Mais nous pouvons créer un cadre de nature à décourager la plupart des internautes qui, aujourd’hui, téléchargent parce qu’ils savent que cela n’entraîne aucune sanction, aucune conséquence. Bien souvent, ils téléchargent sans désir particulier et s’approprient de la musique en grande quantité, sans même avoir l’intention de l’écouter.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Et alors ? Ils n’auraient pas acheté ces disques !

M. Patrick Roy. Rendez-nous l’ancien ministre de la culture !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Je pense que la Haute autorité, telle qu’elle sera composée, pourra agir efficacement. Elle préviendra les internautes, par courriel puis par lettre recommandée. C’est, je crois, très précieux : dans l’immense majorité des cas, cela correspondra à un réel téléchargement.

Dire que personne ne comprend que l’on commet quelque chose de répréhensible en téléchargeant est absolument faux. Je crois, au contraire, que les jeunes ont besoin de règles, et qu’ils sont même souvent en attente de règles. Il n’est donc pas du tout impossible de leur dire que le téléchargement a des conséquences lourdes, et qui frappent ceux qu’ils aiment le plus : artistes, musiciens, acteurs ou réalisateurs de cinéma. On peut, je crois, fixer des cadres.

Dans l’immense majorité des cas, l’infraction est légère ; c’est pourquoi l’ancienne loi DADVSI n’était pas adaptée, alors que celle-ci le sera. Mais c’est une réelle infraction qui sera constatée.

Il y a, bien entendu, des cas plus difficiles. Le triple play pose un problème particulier, mais tous les fournisseurs d’accès nous ont affirmé, récemment encore, que l’on pouvait découpler, c’est-à-dire suspendre l’accès à Internet sans toucher au téléphone fixe et à la télévision – ce qui serait évidemment tout à fait illégal, et surtout hors de propos.

MM. Patrick Bloche et François Brottes. C’est faux !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Ce n’est pas impossible du tout : cela demande effectivement un peu de temps et des moyens – non pas les moyens considérables qui ont été évoqués, mais des moyens. Et cela sera fait une fois pour toutes !

M. Patrick Bloche. Deux ans et 100 millions d’euros !

M. Jean Dionis du Séjour. L’amende, madame la ministre, l’amende !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. De plus, le piratage occupe une bande passante considérable. Les fournisseur d’accès à Internet, qui achètent cette bande passante, feront donc des économies lorsqu’il diminuera.

Il y aura un coût et il faudra du temps. Nous en discuterons. En tout cas, il est tout à fait faux de dire que c’est impossible.

S’agissant de la Wi-Fi privée, il est possible de se donner des codes d’accès. On peut aussi installer des logiciels de protection, et il est tout à fait possible de sécuriser son adresse IP.

MM. Nicolas Dupont-Aignan et Lionel Tardy. Cela ne marche pas !

M. Christian Paul. Et la Wi-Fi publique ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Dans le processus tel qu’il est prévu, les gens seront justement avertis de ce qui se passe ; ils ne seront absolument pas pris au dépourvu, puisqu’ils recevront des courriels d’abord, puis une lettre recommandée.

Et si réellement une erreur a été commise, les internautes peuvent agir et formuler des observations.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Quelle bureaucratie !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. La réponse est donc bien mieux adaptée que dans la législation actuelle, où vous pouvez vous trouver soudainement dans une situation pénalisante, et finalement assez désarmé.

Le processus de dialogue qui va s’instaurer entre la Haute autorité et les internautes est donc non seulement pédagogique, mais très protecteur des droits. En cela, ce projet de loi est important.

M. Patrick Bloche. Mais il n’y aura aucun dialogue !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. J’indique aussi, que, contrairement à ce qui a souvent été dit, ce ne sont pas les majors que nous défendons dans cette affaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Si peu, si peu !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Les majors sont celles qui s’en tireront sans doute toujours le mieux. Ce projet défend au contraire les indépendants.

L’un des orateurs a cité un article, paru ce matin dans Libération,qui cite l’ancien président de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants ; les positions de l’actuel président sont d’ailleurs identiques. Ce sont environ 300 maisons de production – dont Tôt ou Tard, qui produit notamment Vincent Delerm – qui sont aujourd’hui extrêmement anxieuses et très impliquées à nos côtés dans la défense de cette loi.

Ce projet est équilibré ; s’il répond à une situation d’urgence, il pourra aussi s’adapter aux évolutions futures, dont nous ne doutons pas qu’elles seront nombreuses. En effet, la Haute autorité pourra faire des propositions.

C’est un projet qui affirme qu’en France, nous tenons au droit d’auteur et à la liberté pour les créateurs d’être rémunérés pour leur travail. Y renoncer au motif que c’est entré dans les mœurs, c’est renoncer à une part essentielle de notre identité.

C’est donc avec conviction que je défendrai ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous avons écouté avec attention Mme la ministre, et nous nous étonnons du fait qu’elle n’ait pas répondu aux différents députés. Dans cet hémicycle, la courtoisie minimale consiste, pour le ministre qui siège au banc du Gouvernement, à prendre la peine de répondre aux parlementaires qui se sont exprimés.

Nous constatons simplement que cela n’a pas été le cas : nous restons un peu sur notre faim, ce soir.

M. Michel Herbillon. Eh bien, allez dormir : qui dort dîne !

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, 12 mars 2009 à dix heures :

Suite de la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 12 mars 2009, à une heure vingt.)