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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 19 janvier 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Souhaits de bienvenue

2. Questions au Gouvernement

Éducation

M. Jean-Yves Le Déaut

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Natalité

Mme Marie-Hélène Thoraval

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Développement de l’éolien

M. François de Rugy

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

Crise de la filière bovine

M. Jean-Pierre Abelin

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Éducation

M. Bruno Le Roux

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Prêt à taux zéro

M. François Grosdidier

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

Précarité dans la fonction publique

Mme Marie-Hélène Amiable

M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique

« Décrochage » scolaire

Mme Arlette Grosskost

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Situation en Tunisie

M. Gaëtan Gorce

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Autonomie des universités

M. Paul Durieu

Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

Politique des quartiers

M. François Pupponi

M. Maurice Leroy, ministre de la ville

Aides à la presse

M. Daniel Spagnou

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication

Protection des sources des journalistes

Mme Aurélie Filippetti

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Tests d’évaluation des élèves de CM2

M. Lionnel Luca

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Année de l’outre-mer

M. Apeleto Albert Likuvalu

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer

Présidence de M. Marc Laffineur

3. Garde à vue

Discussion générale (suite)

M. Jacques Valax

Mme Marietta Karamanli

M. Michel Diefenbacher

Mme George Pau-Langevin

Mme Sylvia Pinel

M. Arnaud Robinet

Mme Delphine Batho

M. Émile Blessig

M. Claude Bodin

Mme Arlette Grosskost

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Discussion des articles

Avant l’article 1er

Amendement no 20, 233 (sous-amendement)

Article 1er

M. Sébastien Huyghe

M. Michel Hunault

Mme Marietta Karamanli

M. Philippe Gosselin, rapporteur

Amendements nos 1, 140, 48, 146, 81, 57, 136, 137, 149, 84, 49, 226, 111, 139, 107, 2

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Souhaits de bienvenue

M. le président. Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à M. Harry Jenkins, Président de la Chambre des représentants d’Australie. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

Je signale également à l’Assemblée la présence dans les tribunes d’une délégation du groupe d’amitié Japon-France de la Chambre des représentants de la Diète japonaise, conduite par son président, M. Yoshinori Ohno. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à nos collègues.

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Éducation

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les suppressions de postes dans l’éducation nationale atteignent un niveau insupportable (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : 16 000 postes à la rentrée 2011, 66 000 postes en moins depuis 2007. C’est une saignée catastrophique pour la France. Les recteurs deviennent de véritables fossoyeurs. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Ce sont les régions ayant le plus souffert des restructurations industrielles qui sont le plus touchées : 806 suppressions de postes dans le Nord-Pas-de-Calais ; 822 en Lorraine, dont 524 pour le second degré. Ce sont 3,4 % des emplois dans le secondaire qui disparaissent en un an.

De qui vous moquez-vous, monsieur le ministre, quand vous osez présenter la suppression de 5 600 postes comme la « résorption » d’un actuel « surnombre » ?

« Surnombre », quand le niveau éducatif de la France dégringole dans les enquêtes internationales et que notre pays consacre à son système éducatif 15 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE ?

« Surnombre », quand la proportion des élèves qui ont de graves difficultés de lecture augmente et que les moyens de remplacement disparaissent ?

« Surnombre », quand, chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification ni diplôme ?

De plus, vous allez contraindre les régions et les départements à fermer des collèges et des lycées qu’ils ont rénovés ou reconstruits.

Pire, vous supprimez de nombreux postes dans l’enseignement professionnel public, pourtant qualifié par vous-même de priorité.

« La fraternité, c’est l’égalité des chances. L’égalité républicaine, ce n’est pas de traiter également les situations inégales, mais de donner plus à ceux qui ont moins, de compenser les handicaps. » C’est le Président de la République qui tenait ces propos le 22 mars 2007. Vous avez oublié vos promesses !

Monsieur le ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour que l’éducation nationale redevienne la première priorité de la France ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le député, merci pour votre sens de la modération ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le Gouvernement porte une politique d’éducation ambitieuse visant à passer de l’école pour tous, qui a été un leitmotiv pendant des années, à la réussite de chaque élève. (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Ce qui nous intéresse, c’est qu’à la sortie du système éducatif chaque jeune Français ait une qualification, une formation, un diplôme, un emploi. Pour cela, nous mettons en place une personnalisation de notre système éducatif, qui est un investissement considérable. (« Zéro ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Cet investissement qualitatif, c’est vrai, est à l’encontre de la politique que vous avez menée pendant des années, et qui n’a consisté qu’à ajouter des postes aux postes, des moyens aux moyens, chaque fois qu’il y avait des problèmes à l’éducation nationale, sans se soucier de l’efficacité de notre système éducatif. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Nous, nous avons décidé de nous attaquer aux performances de notre système éducatif. Vous avez parlé des enquêtes internationales : elles indiquent très clairement que ce ne sont pas les pays qui investissent le plus qui ont les meilleurs résultats en matière éducative.

M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas en investissant moins que l’on aura de meilleurs résultats !

M. Luc Chatel, ministre. Cette politique, nous la menons avec discernement, nous maintenons l’engagement pour l’éducation prioritaire, qui représente un milliard d’euros (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), nous augmentons de 13 % l’accueil des enfants handicapés (Protestations sur les bancs du groupe SRC), nous augmentons l’accompagnement éducatif au collège après 16 heures, et nous augmentons de 10 % la rémunération des enseignants en début de carrière. (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe SRC.) La valorisation des enseignants, il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui la font : c’est l’action du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)

Natalité

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Thoraval, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marie-Hélène Thoraval. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Selon une récente étude de l’INSEE, notre pays enregistre pour l’année 2010 un taux record de natalité de 2,01 enfants par femme. Cet indicateur n’était que de 1,99 en 2009. On peut donc considérer que la barre symbolique des deux enfants par femme a été franchie.

Permettez-moi de considérer ce taux comme un signe positif du moral et de l’optimisme des Français. Ce chiffre peut aussi être mis en perspective avec celui des femmes qui travaillent en France : 85%. Ce pourcentage remarquable s’explique par les outils nous proposons à nos concitoyennes, en termes de mode de garde notamment, pour faciliter leur vie professionnelle.

Le Président de la République avait annoncé en 2008 un plan ambitieux de développement de la garde d’enfants, de 200 000 places. Madame la ministre, où en sommes-nous par rapport à cet objectif ? Quelles mesures concrètes mettez-vous en place en matière de politique familiale afin d’aider les femmes qui choisissent d’être mères tout en continuant à travailler, afin qu’elles puissent concilier sereinement vie professionnelle et vie familiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Madame Thoraval, le fait que vous ayez choisi, au moment où vous succédez au regretté Gabriel Biancheri, de poser une question sur la famille et la politique familiale de notre pays représente plus qu’un symbole. En effet, ce sont bel et bien 823 000 bébés que nous avons accueillis en 2010 dans notre pays. C’est la meilleure réponse que nous puissions apporter à la sinistrose. Deuxième bonne nouvelle : l’espérance de vie des hommes et des femmes s’est accrue en France de quatre mois en 2010.

Cela n’est pas un hasard, mais bien le résultat d’une politique familiale ambitieuse. Les crédits consacrés à la politique familiale représentaient 4,7 % de la richesse nationale en 2007 ; ils en représentent 5,1 % en 2010.

Le plan de création de places voulu par Nadine Morano a été respecté : 200 000 solutions de garde, 100 000 en collectif et 100 000 en individuel, avec une diversification des modes de garde : maisons d’assistance maternelle, micro-crèches. Des aides directes sont apportées aux familles. L’APAJE, véritable congé parental, permet à 600 000 personnes, si elles le souhaitent, de rester auprès de leur enfant.

Mais nous entendons bien poursuivre dans cette voie. Ainsi que vous l’avez excellemment indiqué, madame Thoraval, nous ne voulons pas que cela se fasse au détriment du choix des femmes de travailler. Nous allons donc aller plus loin dans le partage des temps. J’ai demandé à l’inspection générale des affaires sociales une étude très précise. Ce sera un thème important de la prochaine conférence sur l’égalité professionnelle qui se tiendra au mois de juin, sous la présidence de Xavier Bertrand. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Développement de l’éolien

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François de Rugy. Ma question porte sur la politique énergétique de la France. Je ne sais qui me répondra, car on ne sait plus très bien qui, de la ministre de l’écologie ou du ministre de l’industrie, est désormais chargé de cette politique.

Lors du Grenelle de l’environnement, des objectifs très ambitieux avaient été affichés dans le domaine énergies renouvelables.

La première concrétisation a été d’étrangler l’énergie éolienne terrestre, au motif, nous avait-on dit à l’époque, de développer l’éolien offshore, c’est-à-dire maritime. Or, loin de laisser ce secteur se développer, le Gouvernement ne cesse de reporter le lancement des projets et l’appel d’offres, alors que des investisseurs privés sont prêts à s’engager sans la moindre subvention. On nous avait parlé de mai 2010, puis d’octobre 2010 ; il est maintenant question du premier semestre 2011. Il avait été question de 6 000 mégawatts ; on est descendu à 3 000 et maintenant à seulement 2 000.

Quinze projets étaient prêts à partir dans toutes les régions de France : Picardie, Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire ou Bretagne ; on n’en serait plus qu’à quatre ou cinq. Dans ma région, M. Sarkozy a d’ores et déjà annoncé l’abandon, contre toute attente, du projet vendéen. Ce qui lui a d’ailleurs attiré un courrier signé, chose rare, par des élus de tous bords – les écologistes bien sûr, mais également des socialiste, dont Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée, des élus UMP, comme notre collègue Louis Guédon –, mais également du directeur général de STX France, autrement dit des chantiers navals de Saint-Nazaire, du président de la chambre de commerce et d’industrie, du président du comité régional des pêches. Tous ces acteurs veulent que nos régions puissent bénéficier des retombées économiques de cette filière et de son développement.

Ma question est simple : lorsque M. Sarkozy viendra mardi prochain visiter le chantier naval, annoncera-t-il enfin le déblocage des projets éoliens offshore pour permettre à notre pays de profiter des retombés écologiques et économiques de cette filière industrielle ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur de Rugy, cet insupportable suspens est levé : c’est moi qui vais vous répondre, et avec la plus grande franchise, au nom du Gouvernement.

En dépit de la conjoncture, des difficultés, les énergies renouvelables se développent fortement en France. Je ne citerai que quelques chiffres : 5 500 mégawatts éoliens terrestres sont d’ores et déjà installés. Certes, c’est moins que les 19 000 mégawatts que nous ambitionnions pour 2020, mais beaucoup plus que ce que nous annonçaient les Cassandre en 2008, qui nous prédisaient que cela ne marcherait pas. Cela représente déjà près de 2 % de la consommation française d’électricité, même si notre ambition est évidemment de faire beaucoup plus. Et cela avance : 700 nouveaux mégawatts ont été raccordés dans les trois premiers trimestres 2010. C’est dire si la dynamique est bien présente. Voilà pour l’éolien terrestre.

Nous avons aussi des projets d’éolien offshore. Le Grenelle de l’environnement prévoit 6 000 mégawatts en éolien offshore à l’horizon 2020. Il faut que cela se fasse avec le soutien des élus locaux, sur des territoires véritablement mobilisés et avec le développement d’une filière industrielle nationale qui créera de l’emploi en France. Évitons de tomber dans les errements de la filière photovoltaïque, qui nous ont récemment conduits à suspendre le développement du photovoltaïque, pour mieux le relancer sur des bases qui profiteront enfin à l’emploi dans notre pays.

L’éolien offshore se fera par des appels à projets, en cours de préparation, sur des zones identifiées à la suite de concertations : ainsi, dans votre région, la zone de Saint-Nazaire, particulièrement favorable. La zone de Noirmoutier est elle aussi très attractive, mais elle ne recueillait pas l’acquiescement de l’ensemble des élus locaux – vous savez que le président du conseil général n’était pas motivé.

M. François de Rugy. Il n’est plus président du Conseil général !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Si les élus locaux souhaitent se remobiliser et retrouvent un consensus – c’est maintenant de leur responsabilité –, ce sera lancé fin janvier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Crise de la filière bovine

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Abelin, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Pierre Abelin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

En novembre dernier, suite aux manifestations des éleveurs consécutives à la forte augmentation du coût de l’alimentation du bétail et au niveau très bas des prix de vente des bovins, vous avez souhaité, monsieur le ministre, que la lumière soit faite sur la formation des prix dans cette filière.

Le président de l’Observatoire des prix et des marges, Philippe Chalmin, à qui vous avez confié cette mission, vous a présenté, jeudi 6 janvier, les premières conclusions de son rapport.

Alors que le prix payé aux éleveurs a montré une grande stabilité – de l’ordre de 2,75 euros par kilo sur la période 2000-2010 –, le prix dans la grande distribution a augmenté de 23 %, passant de 5,37 à 6,64 euros le kilo. Pour le consommateur, cela s’est traduit par une augmentation moyenne de 2 euros par kilo sur les étalages.

Le rapport semble indiquer que les industriels et les distributeurs ne se seraient pas enrichis sur le dos des producteurs, mais auraient répercuté le coût de nouvelles charges imposées à la filière, comme les nouvelles exigences environnementales, le renforcement de la sécurité alimentaire ou l’augmentation du coût du travail et de l’énergie.

Ayant les revenus les plus bas du secteur agricole et étant les seuls acteurs de la filière à n’avoir pu répercuter l’augmentation de leurs coûts de production, les éleveurs sont dans une situation extrêmement difficile, parfois dramatique.

L’apport des aides européennes, ajouté au prix de vente des carcasses, ne leur suffit pas pour couvrir leurs charges.

Au nom des députés du Nouveau Centre, qui vous ont sollicité à plusieurs reprises sur ces difficultés, permettez-moi, monsieur le ministre de vous poser trois questions.

Quelles leçons tirez-vous du rapport de l’Observatoire des prix et des marges ?

Quelles mesures envisagez-vous pour permettre aux éleveurs de ne pas rester les parents pauvres d’une filière qui ne leur permet plus de vivre décemment de leur métier ?

Quelles perspectives notre pays peut-il offrir à ceux qui n’aspirent pas à faire survivre leurs exploitations par le seul biais des aides publiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je vous prie de bien vouloir excuser M. Bruno Le Maire, qui représente le Gouvernement au « sommet du végétal » – autre filière importante de la puissance agricole française – qui se tient à Marseille.

En 2009, la situation des éleveurs a été catastrophique, mais elle s’est redressée en 2010 grâce à la qualité de nos exploitants et de nos éleveurs, grâce également à la politique mise en place par le Gouvernement qui a accompagné la filière en mettant en œuvre un plan exceptionnel de 1,8 milliard d’euros. Ce plan a notamment permis de soutenir la nécessaire modernisation de nos exploitations et de stabiliser la situation pour 2010. Nous allons aujourd’hui dans la bonne direction.

On doit à la vérité de dire que la sécheresse en Russie et certains événements de nature climatologique ont favorisé le redressement des cours, ce qui est certes une bonne chose, mais qui, au regard de la compétitivité internationale de la filière, n’est pas satisfaisant.

Vous avez cité, monsieur le député, le rapport de l’Observatoire des prix et des marges. Son constat est clair : aucun maillon de la filière ne s’est vraiment enrichi. Les marges restent faibles. Les producteurs sont les seuls à ne pas avoir répercuté leur coût de production sur les prix et leur revenu est insuffisant.

Face à cette situation, le Gouvernement poursuivra sa politique de soutien et d’accompagnement. Nous souhaitons naturellement la remontée des cours, et consacrerons 300 millions d’euros à l’ensemble des plans en faveur de la modernisation des exploitations et des performances de la transformation. En outre, nous souhaitons développer notre potentiel d’exportation, comme nous le faisons déjà en Russie, au Kazakhstan et en Turquie. Il va sans dire, enfin, qu’il faut porter ce dossier au niveau international. Le G20 a fixé comme priorité l’évolution des prix des matières premières. La politique agricole commune et la position commune franco-allemande nous permettent d’avancer dans la bonne direction. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

Éducation

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, plusieurs établissements scolaires sont occupés cette semaine, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, par des parents d’élèves inquiets et en colère. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marcel Rogemont. Ils ont raison !

M. Bruno Le Roux. L’éducation est un sujet important, mes chers collègues. Je voudrais en parler calmement, car j’attends du Premier ministre une réponse différente de celle apportée il y a un instant par le ministre de l’éducation nationale à Jean-Yves Le Déaut. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Gest. Quel cinéma !

M. Bruno Le Roux. Depuis la rentrée, plusieurs milliers de demi-journées n’ont pas donné lieu à remplacement. Or, vous poursuivez votre politique incompréhensible. La nouvelle réduction de 16 000 postes à la rentrée 2011 est insoutenable, à l’heure où des milliers d’élèves n’ont pas d’enseignant face à eux,…

M. Jean-Paul Lecoq. Scandaleux !

M. Bruno Le Roux. …où la proportion des élèves ayant de graves difficultés en lecture et en mathématiques augmente et où près de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification ni diplôme.

Alors que près de 60 000 élèves supplémentaires sont attendus cette année, le nombre d’élèves par classe va encore augmenter. En Seine-Saint-Denis, pourtant considérée comme un département en grande difficulté du point de vue scolaire, ce sont, comme ailleurs, des postes en moins dans les écoles et les collèges, et des élèves en plus.

Dans ce même département, ce sont plusieurs milliers de demi-journées qui n’ont pas été remplacées depuis la rentrée ; ce sont des dizaines de classes qui, au moment où je vous parle, n’ont pas d’enseignant depuis plusieurs semaines.

M. Lucien Degauchy. Ils sont où, les profs ?

M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, vous nous dites souvent que tout n’est pas affaire de moyens, mais cette absence de moyens entraîne des conséquences très concrètes.

M. le ministre de l’éducation nationale a parlé d’ambition. À cet égard, je vous poserai une double question, monsieur le Premier ministre.

Trouvez-vous normal que depuis plusieurs semaines des enfants n’aient plus classe parce que vous ne mettez pas en place les moyens de remplacement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Trouvez-vous logique, dans ces conditions, de continuer à supprimer des postes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. (Huées sur les bancs du groupe SRC.)

Écoutez sa réponse, mes chers collègues.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le député, vous parlez de moyens. Regardons objectivement la situation. Le budget de l’éducation que le Parlement vient d’adopter est en augmentation de 1,6 %. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe SRC.)

Vous parlez, à juste titre, de moyens humains. Regardons objectivement les choses, monsieur le député.

M. Bruno Le Roux. Justement !

M. Luc Chatel, ministre. À la rentrée 2011, que vous ne cessez de décrier, il y aura 34 000 professeurs supplémentaires dans le système éducatif par rapport à leur nombre au début des années 1990 (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), alors que nous avons 540 000 élèves de moins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Cela signifie que notre taux d’encadrement est meilleur aujourd’hui que du temps où vous étiez aux responsabilités et que vous étiez en charge de l’éducation nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Valax. Répondez à la question !

M. Luc Chatel, ministre. La vérité, c’est que la question n’est pas celle des moyens.

M. Michel Vergnier. Il n’y en a pas !

M. Daniel Vaillant. C’est vous qui êtes nul !

M. Luc Chatel, ministre. L’exemple du remplacement est criant. Pendant des années, la seule réponse a été la création de postes supplémentaires de titulaires de zones de remplacement. Le système étant archaïque et rigide, nous avions d’un côté des remplaçants disponibles, titulaires, et de l’autre, des classes vides parce que le système ne permettait pas le remplacement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) À la dernière rentrée, nous avons donc décidé d’assouplir le système. Dans l’académie de Créteil – votre académie, monsieur le député –, un remplaçant de l’académie de Paris ou de Versailles peut dorénavant venir remplacer un enseignant indisponible. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Le problème, c’est qu’il n’y en a pas !

M. Luc Chatel, ministre. Nous avons également décidé de créer un vivier de remplaçants. La question, monsieur le député, n’est donc pas celle des moyens, mais celle de la possibilité de moderniser le système éducatif pour le rendre plus efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Yves Le Déaut. Carton rouge !

Prêt à taux zéro

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. François Grosdidier. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, le Président de la République a exprimé sa volonté d’une France de propriétaires : il s’agit de permettre à chaque Français qui le souhaite, même avec de faibles revenus, de devenir propriétaire de son logement.

C’est une magnifique idée que l’accession sociale à la propriété. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Car les personnes les plus modestes, celles qui sont le plus exposées à la précarité, ont davantage besoin que les gens aisés de la sécurité financière et psychologique que procure la propriété du toit. (Mêmes mouvements.) Les enfants doivent pouvoir grandir et les familles s’épanouir dans cette sécurité.

Les retraités les plus modestes, eux aussi, vivent mieux quand ils n’ont plus à payer leur logement.

M. Maxime Gremetz. Évidemment ! C’est La Palisse !

M. François Grosdidier. Et les familles modestes, qui paient leur loyer toute une vie durant, n’ont souvent rien à transmettre à leurs enfants. Par l’accession sociale à la propriété, elles auront elles aussi la chance de transmettre un patrimoine.

M. Jacques Desallangre. Allez à l’essentiel !

M. François Grosdidier. C’est aussi une façon de rompre avec l’hérédité de la pauvreté.

M. Maxime Gremetz. Donnez-leur des sous !

M. Pierre Gosnat. Et la question ?

M. François Grosdidier. Cette belle et grande ambition a été concrètement mise en œuvre au cours de ce quinquennat. Dans les communes où elle a été développée, elle a aussi été facteur de mixité, d’épanouissement pour les familles, d’harmonie pour les villes.

M. Jacques Desallangre. Oui, mais maintenant ?

M. François Grosdidier. Le secrétaire d’État au logement, Benoist Apparu, a d’ailleurs pu le constater de ses yeux dans ma bonne ville de Woippy. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mais, il faut le reconnaître, le système que nous avions instauré était devenu compliqué. (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR.) À force de combiner progressivement différents dispositifs impliquant de multiples intervenants,…

M. Maxime Gremetz. Arrêtez !

M. François Grosdidier. …il était parfois difficile à expliquer et long à appliquer. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

Le Gouvernement a donc décidé à la fois de le simplifier…

M. Jacques Desallangre. Mais oui, mais oui !

M. François Grosdidier. …et de l’amplifier par un prêt à taux zéro fortement revalorisé. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

Madame la ministre, pouvez-vous nous dire comment vous allez désormais aider l’accession sociale à la propriété… (Mêmes mouvements.)

M. le président. Merci !

M. François Grosdidier. … et quelles ambitions le Gouvernement se fixe en la matière ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le député, c’est le rêve de tous les Français que d’être propriétaires. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Marcel Rogemont. Il a disparu, Apparu ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Pourtant, la proportion de propriétaires en France reste inférieure à la moyenne européenne, même si elle a progressé depuis 2007 – et je vous remercie d’avoir souligné les efforts accomplis en la matière.

Le Président de la République et le Premier ministre ont donc souhaité un nouvel outil, plus puissant, un nouveau prêt à taux zéro : le prêt à taux zéro « plus ». Lors d’un déplacement du Premier ministre à Gagny et à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, Benoist Apparu et moi-même (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) avons pu mesurer l’enthousiasme que ce nouvel outil suscite chez les Français : nous avons rencontré les quatre premiers signataires et de nombreuses demandes ont déjà été déposées.

C’est un outil plus puissant : il représentera 2,6 milliards d’euros par an, contre 1,2 milliards pour l’ancien prêt à taux zéro ; un peu plus de 200 000 Français étaient concernés chaque année par l’ancien PTZ, 380 000 le seront par le PTZ+.

C’est un outil plus simple : il est sans conditions de ressources ; quiconque achète son premier logement peut en bénéficier.

M. Marcel Rogemont. Sans la TVA à 5,5 %, cela ne sert à rien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. C’est un outil plus adapté à chaque situation individuelle : nous aidons le neuf dans les zones très tendues – Paris, Île-de-France, PACA –, nous aidons l’ancien dans les zones qui le sont moins.

C’est un outil plus écologique : nous aidons davantage les bâtiments de bonne qualité environnementale et énergétique – un bâtiment basse consommation dans le neuf ou un bâtiment de qualité A, B, C ou D dans l’ancien. Cela permet également de tenir compte du fait que, lorsque l’on achète plus écologique, autrement dit un logement de meilleure qualité énergétique, on dispose d’une meilleure capacité de remboursement.

C’est enfin un outil plus familial, puisqu’il est fonction de la taille de la famille, et plus social, la durée de remboursement étant prolongée pour les personnes dont les revenus sont plus modestes.

Avec Benoist Apparu, nous sommes convaincus que ce nouveau dispositif rencontrera le succès auprès des Français, à la mesure de l’ambition de la majorité : créer une France de propriétaires. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Maxime Gremetz. Et de rentiers ! Et les subprimes ?

Précarité dans la fonction publique

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-Hélène Amiable. Monsieur le ministre du budget, en guise de cadeau aux Français pour la nouvelle année, vous venez d’annoncer la suppression de 100 000 emplois de fonctionnaires entre 2011 et 2013. Vous promettez à nouveau de reverser aux agents la moitié des économies réalisées, alors que la Cour des comptes a remarqué que cette promesse n’a pour l’instant pas été tenue.

Dans le même esprit, le président de la commission des affaires sociales, que l’on a connu plus inspiré, préconise de réduire les allocations chômage pour redistribuer les économies aux jeunes demandeurs d’emplois.

Après l’ère du « travailler plus pour gagner plus », et à défaut d’avoir effectivement moralisé le capitalisme, voici donc le nouveau programme de l’UMP et de la droite : le partage des richesses entre les pauvres !

Demain, trois fédérations syndicales appellent à une journée nationale d’action contre la précarité subie par plus d’un million d’agents non titulaires.

M. Michel Herbillon. Quelle caricature ! Ce n’est pas une question !

Mme Marie-Hélène Amiable. Chargé de négocier les conditions d’un accord, vous avez très mal commencé en envisageant la création du « contrat de projet », contrat de travail sans durée fixée à l’avance. Cette proposition n’est pas moins grave que les attaques déjà portées par le président du groupe UMP contre le statut général des fonctionnaires. L’expérimentation d’un « contrat d’activité » similaire au sein de l’INRAP s’est d’ailleurs très mal passée.

Aussi, aux côtés des fonctionnaires, les députés communiste et du parti de gauche vous demandent-ils de revenir sur ce projet.

Monsieur le ministre, comment allez-vous tenir la promesse faite il y a tout juste un an sur un plateau de télévision par le Président de la République, qui se déclarait « tout à fait prêt à envisager la titularisation progressive des contractuels », et améliorer enfin les conditions d’emploi, de salaire et les droits sociaux des agents de la fonction publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la fonction publique.

M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique. Madame la députée, votre question comporte plusieurs aspects.

Vous avez d’abord évoqué le rapport de la Cour des comptes sur ce que l’on appelle le « retour catégoriel », c’est-à-dire les retombées de l’application de la règle dite du « un sur deux ».

En réalité, en 2009, année pour laquelle nous disposons de chiffres précis, les économies issues du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ont représenté 900 millions d’euros, dont 450 auraient donc dû être reversés à la fonction publique sous forme de mesures catégorielles. Or, pardonnez-moi de le dire, ce sont 680 millions d’euros qui ont effectivement été reversés, soit bien plus de 50 %. On peut être contre le principe du non-renouvellement, mais on ne peut pas nier que, grâce aux économies réalisées, nous finançons des mesures catégorielles qui bénéficient aux agents de la fonction publique.

Vous avez ensuite évoqué la précarité dans la fonction publique ; je crois que nous pouvons nous rejoindre pour dire qu’il s’agit d’un grand enjeu, d’un grand sujet de débat.

Le Président de la République a souhaité l’année dernière que nous prenions les mesures appropriées pour réduire cette précarité. François Baroin et moi-même négocions donc en ce moment avec les organisations syndicales, afin d’atteindre trois objectifs : premièrement, faire passer quasi automatiquement en CDI toutes les personnes qui sont en CDD depuis plus de six ans ; deuxièmement, simplifier les conditions de titularisation des agents qui sont en CDI par des concours professionnalisés, c’est-à-dire assis sur l’expérience professionnelle – du reste, nous pouvons désormais réfléchir à l’ouverture de cette nouvelle voie à quelques CDD ; troisièmement, améliorer les conditions d’indemnisation du chômage pour des agents qui attendent trop longtemps lorsqu’ils sont en rupture de CDD.

Vous avez enfin évoqué le contrat de projet. François Baroin et moi-même l’avons indiqué : même s’il n’est pas mauvais d’en parler, ce n’est pas un « point dur » de la discussion avec les organisations syndicales, qui en ont d’ailleurs pris bonne note.

« Décrochage » scolaire

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.

Cela a été dit, le constat est inquiétant : chaque année, 120 000 jeunes sortiraient du système éducatif sans diplôme. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce phénomène est cause de dégâts humains et sociaux considérables, car ces jeunes sont, plus que les autres, confrontés au chômage et à une rupture sociale.

En outre, il remet en cause l’institution scolaire dans ses missions essentielles : garantir l’égalité des chances, faire en sorte que chaque jeune puisse construire son avenir professionnel et réussir sa vie en société.

Ces élèves doivent être identifiés au plus tôt. La prévention est primordiale. Il est essentiel de leur aménager un parcours plus personnalisé, avec, par exemple, une formation professionnalisante, afin qu’ils puissent accéder à l’emploi.

Dans une région comme l’Alsace, l’une des pistes de réflexion serait une meilleure valorisation des cursus bilingues qui, en plus d’une formation en alternance ou d’un apprentissage, permettraient à ces jeunes d’ouvrir leur avenir sur d’autres perspectives : des perspectives transfrontalières en lien direct avec l’entreprise.

Je rappelle que le plan « Agir pour la jeunesse », annoncé par le Président de la République, a fait de la lutte contre le « décrochage » scolaire une priorité nationale.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est raté !

Mme Arlette Grosskost. Ce dispositif, au même titre que le service civique et d’autres, est à saluer. Ils apparaissent comme des réponses appropriées pour les « décrocheurs ».

Il n’en demeure pas moins que la question de la prévention reste ouverte.

Monsieur le ministre, qu’entendez-vous mettre en œuvre pour répondre à cette problématique spécifique ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la députée, sachez que le Gouvernement a décidé d’engager une lutte sans merci contre le « décrochage » scolaire qui constitue un véritable fléau : comme vous l’avez souligné, 120 000 jeunes quittent le système éducatif sans diplôme, avec les conséquences sociales, humaines et économiques que l’on sait. Rappelons qu’un jeune qui quitte le système éducatif sans diplôme a trois fois moins de chance de trouver un emploi qu’un de ses camarades du même âge, muni d’un diplôme.

Nous avons décidé de mieux prévenir ce phénomène tout au long de la scolarité grâce au soutien scolaire personnalisé et à l’orientation progressive, permettant aux élèves de construire leur parcours de manière volontaire et non subie – je vous renvoie aux mesures figurant dans la réforme du lycée.

Nous avons également décidé de mieux connaître ce phénomène. Le chiffre de 120 000 élèves est régulièrement cité, mais il s’agit d’une estimation. En vérité, jusqu’à présent, il n’existait pas de connexions entre les services de l’éducation nationale, les centres de formation d’apprentis, les missions locales et Pôle Emploi. Ce sera chose faite à partir du mois de mars : une application informatique permettra de suivre les élèves qui ne figurent plus dans les effectifs d’un lycée à partir de la rentrée.

La dernière étape consiste en une action ciblée sur les élèves « décrocheurs ». Une expérimentation est menée en ce sens dans votre académie, madame la députée. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous serons demain à vos côtés, Jeannette Bougrab et moi, pour l’examiner de près.

M. Frédéric Cuvillier. Incroyable !

M. Luc Chatel, ministre. Nous allons étendre cette expérimentation sous l’autorité de préfets afin de mettre en place une réponse ciblée, adaptée à chaque « décrocheur » : une formation, un emploi, un contrat d’alternance. C’est un enjeu absolument majeur. Notre jeunesse a besoin de telles réponses. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Situation en Tunisie

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Gaëtan Gorce. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et porte sur la question tunisienne.

Vous ne pouvez pas, monsieur le Premier ministre, vous dégager de vos responsabilités, comme vous avez tenté de le faire hier, en évoquant la permanence des relations amicales qui lient la Tunisie et la France. Celles-ci ont existé sous tous les gouvernements, ce qui est bien normal, et il est peu honnête, pour reprendre votre expression, de reprocher ces relations à Lionel Jospin, lui qui a toujours refusé de se rendre en Tunisie en tant que chef du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Claude Lenoir. A-t-il dit qu’il refusait ?

M. Gaëtan Gorce. La véritable question porte sur la manière dont vous avez géré cette crise. Est-il acceptable que votre ministre des affaires étrangères ait pu, au cœur d’une répression sanglante, proposer la coopération policière de la France ? (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Étiez-vous au courant ? Mme Alliot-Marie l’a-t-elle fait en accord avec vous et avec le Président de la République ? Si tel est le cas, pourquoi avez-vous hier répondu à sa place au lieu de lui laisser assumer toutes les responsabilités collectives de ce gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mais il y a plus grave : la faute qu’a commise le Gouvernement, c’est sa passivité face aux événements, donnant le sentiment de réagir au fil du temps sans rien maîtriser, comme s’il n’avait rien anticipé, rien analysé, rien voulu accompagner. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Lucien Degauchy. Donneur de leçons !

M. Gaëtan Gorce. Pourquoi est-ce le gouvernement des États-Unis qui a trouvé les mots pour dénoncer l’usage disproportionné de la force ? Pourquoi s’est-il senti autorisé à agir et à parler sans nous associer à une affaire qui nous touche d’aussi près – historiquement, culturellement ou affectivement ? N’est-ce pas la preuve de la perte de l’influence de la France dans cette région, de son absence de politique et de l’affaiblissement de notre pays auxquels votre diplomatie conduit aujourd’hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, vous persistez à vouloir donner à mes propos un sens qu’ils n’ont jamais eu, comme l’attestent d’ailleurs toutes les déclarations que j’ai faites pendant cette période et avant même le vendredi où M. Ben Ali est parti.

Je me demande finalement s’il ne s’agit pas effectivement pour vous de faire oublier le discours de M. Jospin, le discours de M. Strauss-Kahn, celui aussi, il y a moins d’un an, du maire de Paris, qui étaient tous très laudateurs à l’égard de l’action et de la politique de M. Ben Ali. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

A moins qu’il ne s’agisse de faire oublier que vous avez attendu lundi dernier pour exclure de l’Internationale socialiste le parti dirigé par M. Ben Ali, soit trois jours après son départ ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Henri Emmanuelli. Démission !

M. Richard Mallié. Taisez-vous, monsieur Emmanuelli !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Monsieur le député, mesdames, messieurs les députés, je crois que toutes ces polémiques sont stériles, inutiles et contraires à l’intérêt de notre pays auquel j’ai la faiblesse de croire que, sur tous les bancs, nous sommes attachés.

M. Henri Emmanuelli. Quel culot !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Aujourd’hui, il faut rappeler que les principes appliqués par tous les gouvernements ont toujours été, en matière de politique étrangère, le respect de l’État de droit, la non-ingérence et le soutien à la démocratie et aux libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman. C’est faux !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Alors, oui, mesdames, messieurs les députés, comme l’a dit le Président de la République, la France se réjouit de voir la liberté et la démocratie en Tunisie. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Tous ensemble, je l’espère, nous souhaitons que cette période transitoire se déroule dans les meilleures conditions possibles, sans nouvelles difficultés pour l’ensemble du peuple tunisien, que nous voulons aider car ce sont nos amis. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Autonomie des universités

M. le président. La parole est à M. Paul Durieu, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Paul Durieu. Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, le Président de la République vous a confié la réforme de l’autonomie des universités, mission que vous avez menée avec succès puisqu’au 1er janvier 2010, 60 % des universités étaient autonomes.

La loi prévoyait que toutes les universités seraient autonomes à l’horizon 2012. Dix-huit le sont depuis le 1er janvier 2009, trente-trois autres, dont l’université d’Avignon, ont accédé à l’autonomie au 1er janvier 2010. Vous en avez annoncé vingt-quatre autres pour le 1er janvier 2011.

Je rappelle que la loi du 10 août 2007 donne aux universités les moyens de construire un projet pédagogique commun, de mener une véritable politique de recrutement et de gérer un budget global. Les universités seront ainsi mieux armées dans la compétition mondiale de la connaissance.

Ce matin, madame la ministre, vous avez fait une communication en conseil des ministres sur cette réforme des universités. Pouvez-vous nous en donner la teneur ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – « Allô ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député (« Allô ! », sur les bancs des groupes SRC et GDR),…

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

Mme Valérie Pécresse, ministre. L’autonomie des universités, réforme adoptée dans un tumulte semblable à celui dans lequel je réponds aujourd’hui à cette question, est un véritable succès.

M. Maxime Gremetz. Allô !

Mme Valérie Pécresse, ministre. En effet, 90 % des universités ont accédé à l’autonomie avec dix-huit mois d’avance sur le calendrier que nous nous étions fixé.

M. Maxime Gremetz. Allô ! Allô !

Mme Valérie Pécresse, ministre. L’autonomie, c’est le transfert de 7 milliards de budget de l’État vers les universités, le transfert de la gestion de 125 000 personnels, enseignants-chercheurs.

M. Maxime Gremetz. Le téléphone pleure !

Mme Valérie Pécresse, ministre. L’envie d’autonomie ne se dément pas dans les universités : en libérant leurs initiatives en matière de formation, elle est bénéfique à tous les étudiants. Les formations sont plus personnalisées, plus professionnalisantes, elles sont élaborées en liaison avec les milieux économiques. Grâce à l’autonomie, trente-cinq fondations d’entreprise ont été créées au sein des universités, instaurant un nouveau dialogue entre l’entreprise et l’université.

Grâce à l’autonomie, l’université recrute plus facilement, plus rapidement. Elle recrute qui elle veut, au salaire qu’elle veut. Elle a pu recruter des prix Nobel, des professeurs de retour des États-Unis.

L’autonomie favorise une meilleure gestion du personnel avec l’attribution de primes, notamment au mérite.

L’autonomie, c’est la culture du résultat, avec des indicateurs d’insertion professionnelle, de réussite des étudiants, de performance de la recherche et un financement en fonction de cette performance. Car l’autonomie, monsieur le député, c’est 22 % d’augmentation des budgets universitaires en quatre ans : pour Avignon, cela représente 4 millions d’euros depuis quatre ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Maxime Gremetz. Allô !

Politique des quartiers

M. le président. La parole est à M. François Pupponi, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. François Pupponi. Monsieur le président, ma question s’adresse au Premier ministre.

« Réussir l’intégration sociale [des banlieues] est sans doute le défi qui dominera les quinze prochaines années ». Cette déclaration est celle d’Hubert Dubedout dans un rapport qu’il remettait en. 1983. Trente ans plus tard, ce vœu reste la promesse non tenue de la République impuissante, dès lors qu’aujourd’hui, vivre dans ces quartiers scelle votre destin social.

La loi de 2003 pour la ville et la rénovation urbaine s’était fixé pour objectif de réduire significativement en cinq ans les inégalités sociales et territoriales en banlieue. Vous avez échoué : le rapport annuel remis par l’observatoire national des zones urbaines sensibles indique, entre autres, que le chômage repart de nouveau à la hausse dans ces quartiers, avec un taux de 18,6 %, bien au-dessus des 17 % enregistrés en 2003. Ce rapport indique également que près d’un jeune homme sur deux y est au chômage, qu’un habitant sur trois et un mineur sur deux y vivent sous le seuil de pauvreté, qu’une femme d’origine étrangère y a quatre fois moins de chances de trouver un emploi, que l’on y compte deux fois plus d’allocataires des minima sociaux qu’ailleurs.

Qu’avez-vous fait pour ces quartiers ? Il y a l’ANRU et la péréquation, me direz-vous. C’est vrai, fort heureusement. Mais ces deux dispositifs, aussi importants soient-ils, ne constituent pas à eux seuls une politique globale efficace.

Monsieur le Premier ministre, l’urgence sociale commande un volontarisme politique fort. Sortir ces territoires de leur situation de relégation, c’est mettre en place une politique avec une véritable gouvernance, une politique qui allie l’urbain et l’humain, la rénovation et les politiques sociales, les moyens de droit commun et les aides spécifiques pour ces quartiers, des objectifs et de l’évaluation. Dans l’attente de cette politique, que vous n’avez toujours pas été capable de mettre en œuvre, êtes-vous au moins prêt, dès maintenant, à répondre positivement aux trois mesures suivantes à prendre en urgence : lancement d’un nouveau programme national de rénovation urbaine ; mise en place d’une politique de l’emploi spécifique pour ces populations, en particulier pour les jeunes ; arrêt de l’attribution de dossiers DALO dans les ZUS pour enrayer la ghettoïsation ?

Notre pays a sciemment fait de ces quartiers et de leurs habitants les oubliés de la République. Aurez-vous enfin, Monsieur le Premier ministre, l’audace de leur rendre leur dignité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville.

M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur le député, votre question n’a pas été téléphonée,…

M. Maxime Gremetz. Elle a été faxée !

M. Maurice Leroy, ministre. ...et je veux y répondre très clairement.

Pour commencer, je vous remercie pour le travail d’analyse de la politique de la ville menée toutes ces dernières années que vous avez réalisé avec François Goulard et du rapport que vous m’avez remis. Comme celui de l’ONZUS, il montre que seule une véritable volonté permettra d’agir en faveur de ces quartiers, vous avez raison.

J’en viens aux trois questions concrètes que vous avez posées.

L’Agence nationale de rénovation urbaine, vous le savez, tous les maires de France et tous ceux qui siègent sur les bancs de cette assemblée le disent, joue pleinement son rôle. C’est si vrai que, de façon unanime, vous souhaitez le prolongement du plan national de rénovation urbaine.

M. Pierre Gosnat. Il n’y a plus d’argent dans les caisses !

M. Maurice Leroy, ministre. C’est pourquoi le Premier ministre m’a demandé de prolonger le plan national de rénovation urbaine : je vous l’annonce publiquement aujourd’hui, à la faveur de votre question. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Quant au problème du chômage, il se pose, c’est vrai, de façon plus cruciale dans ces quartiers que la crise frappe plus durement que les autres. Dans votre commune de Sarcelles, vous le savez, comme tous les maires qui siègent ici. Le contrat d’autonomie a joué son rôle, il continuera à le faire. L’éducation et la formation ont, elles aussi, un rôle à jouer.

M. Henri Emmanuelli. Parlez-en à Chatel !

M. Maurice Leroy, ministre. Ne racontons pas d’histoires : la meilleure employabilité passe par là, et notamment par l’apprentissage ; j’y travaille avec Nadine Morano. Telles sont les mesures que je voulais vous annoncer concrètement. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Aides à la presse

M. le président. La parole est à M. Daniel Spagnou, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Daniel Spagnou. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Maxime Gremetz. Allô !

M. Daniel Spagnou. L’État s’est engagé, depuis longtemps, à préserver et accompagner le développement de la presse d’information, garant d’un débat démocratique ouvert à toutes les tendances.

À l’issue des états généraux de la presse écrite, et après avoir identifié les grands enjeux industriels du secteur, l’État a confirmé ce soutien et mobilisé des moyens financiers exceptionnels afin de donner à la presse les moyens de s’adapter aux changements auxquels elle doit faire face.

Monsieur le ministre, vous avez installé, le 14 janvier dernier, une instance de concertation chargée de définir les modalités d’application des orientations retenues dans le cadre de la réorganisation des aides à la presse, réunissant tous les représentants de la presse quotidienne, de la presse périodique et des éditeurs de presse en ligne aujourd’hui éligibles aux aides directes, avec l’objectif de consolider la contribution publique et de l’asseoir sur des bases saines de bonne gouvernance et de pratiques exemplaires irréprochables.

Monsieur le ministre, quelle suite souhaitez-vous donner à cette réorganisation et selon quelles modalités ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, l’État a effectivement confirmé, à l’issue des états généraux de la presse écrite, son soutien à une presse d’information forte, indépendante et pluraliste.

M. Maxime Gremetz. Et non dictatoriale !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Il a mobilisé des moyens financiers exceptionnels, de l’ordre de 300 millions d’euros par an, afin de donner à la presse la possibilité de se moderniser et de relever en particulier le défi des nouveaux usages du numérique.

L’augmentation des moyens budgétaires n’a pas modifié sur le fond l’organisation des aides, mais il l’a en quelque peu complexifiée, si bien qu’elle n’est pas assez lisible aujourd’hui pour que soit conduite dans la transparence une stratégie globale d’intervention et de soutien des pouvoirs publics.

Ce soutien doit également s’inscrire dans la durée, autour d’un dispositif solide. C’est le sens de la mission interministérielle confiée à M. Aldo Cardoso qui a permis d’établir un bilan approfondi et de poser les bases d’une action encore plus efficace.

L’instance de concertation que j’ai installée le 14 janvier est présidée désormais par M. Roch-Olivier Maistre, conseiller maître à la Cour des comptes, dont les compétences sont reconnues à la suite de l’établissement du cadre du plan de redressement de Presstalis.

À l’heure où tant de défis sont à relever – celui de la presse en ligne et de sa rétribution, celui du kiosque numérique, celui de la numérisation du patrimoine de la presse –, la contractualisation des engagements, l’optimisation des fonds d’aide directe, l’amélioration de la gouvernance du dispositif sont indispensables.

Après le grand succès de l’opération « Mon journal offert », je souligne que j’ai également pour objectif le rétablissement des diffuseurs, qui font, dans le froid souvent, dans la nuit, avec des chargements lourds et des itinéraires compliqués, un travail remarquable. Ils ont été affectés par la grève de Presstalis. J’annoncerai, dans les prochains jours, un vaste plan de soutien à leur égard. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Protection des sources des journalistes

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le Premier ministre, le 4 janvier dernier, sur France Inter, le porte-parole du Gouvernement condamnait la loi sur les médias en Hongrie comme étant « incompatible avec l’application d’une certaine idée de la liberté de la presse validée par les traités européens ». Nous en sommes évidemment d’accord. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré, en 1996, que la protection des sources des journalistes était la pierre angulaire de la liberté de la presse. Mais il faudrait que la loi française et la pratique du gouvernement français soient également exemplaires en la matière. Ce n’est pas le cas, nous venons de le constater suite à la plainte du journal Le Monde pour violation du secret des sources dans l’affaire Woerth-Bettencourt.

Je rappelle qu’un conseiller de la garde des sceaux avait vu la liste de ses communications téléphoniques réquisitionnées par les services secrets pour savoir s’il était la source d’un journaliste du Monde, et ce au mépris de la loi de 1991.

Mme Claude Greff. Ce n’est pas un journaliste !

Mme Aurélie Filippetti. La commission de contrôle des interceptions de sécurité, puis le directeur de cabinet du Premier ministre lui-même, avaient dû rappeler à l’ordre le ministère de l’intérieur à propos des factures détaillées recueillies auprès des opérateurs de téléphone.

Aujourd’hui, la plainte du Monde vient d’être classée sans suite par le parquet, ce qui pose plusieurs problèmes. Celui, d’abord, de l’indépendance du parquet dans une affaire aussi sensible et sujette à caution : il faut impérativement qu’un juge d’instruction enquête désormais sur cette affaire, comme le demande le journal Le Monde. Celui, ensuite, de l’insuffisance de la loi sur la protection des sources que vous avez fait voter et contre laquelle nous nous étions dressés.

Nous aurions pu au moins espérer que cette loi, à défaut de garantir une protection juridique suffisante, vous ferait changer votre pratique de l’indépendance – ou de la non-indépendance – des journalistes ; il n’en est rien, les pressions continuent.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le Premier ministre, les grands discours suffisent. Si vous prétendez garantir la liberté de la presse, il faut une loi efficace. Celle-ci ne l’est pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la députée, vous avez raison de dire que le parquet de Paris a classé sans suite, mardi, la plainte du journal Le Monde

M. Henri Emmanuelli. Un hasard, bien sûr !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. …parce que les infractions n’étaient pas juridiquement constituées. La plainte visait notamment la violation du secret des sources.

La loi du 4 janvier 2010 a constitué une avancée majeure en consacrant le principe de la protection du secret des sources journalistiques. Ce principe de portée générale apporte des garanties procédurales et une réelle protection des sources dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Par exemple, il est interdit, comme vous l’avez rappelé, de recourir à des perquisitions ou à des écoutes téléphoniques afin de découvrir la source d’un journaliste dans une enquête portant sur des faits de violation du secret professionnel.

M. Maxime Gremetz. Si seulement c’était vrai !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. En d’autres termes, un tel acte d’enquête peut systématiquement faire l’objet d’une requête en annulation et être écarté de la procédure. Mais il est exact que la loi de janvier 2010 n’a pas créé de nouveau délit.

La décision de classement du parquet peut naturellement être contestée, ce qui est la seule façon de mettre en échec une décision de justice. Deux voies de recours sont ouvertes : l’une devant le procureur général près la Cour d’appel de Paris, l’autre consistant à se constituer partie civile devant le doyen des juges d’instruction. C’est d’ailleurs, je crois, ce qui a été fait. Désormais, un magistrat indépendant suivra cette affaire.

Tests d’évaluation des élèves de CM2

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Lionnel Luca. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, pour la troisième année consécutive, des tests d’évaluation sont organisés dans toutes les classes de CM2 afin de remédier à certaines insuffisances éventuelles, sachant que les élèves concernés ont vocation à entrer au collège.

Pourtant, un certain nombre d’enseignants refusent d’obéir à ces consignes et de faire passer ces tests.

M. Daniel Paul. Ils ont raison !

M. Lionnel Luca. Peut-être craignent-ils d’être évalués eux-mêmes en fonction des résultats de leurs élèves ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.) Quoi qu’il en soit, il est étonnant de voir ceux qui ont vocation à se faire obéir et qui ont tellement de mal en la matière donner ainsi l’exemple de la désobéissance… Sans doute ceci explique-t-il aussi cela !

Certains parents s’y opposent également, n’hésitant pas à rendre publics les questions mais aussi les réponses de ces tests, soit sur internet, soit en distribuant des fiches à la sortie des écoles. Ainsi que l’exprime un comité Théodule, le COREN – comité pour la réussite aux évaluations nationales –, « c’est pour que les élèves apprennent à tricher et à gagner ». On ne peut que s’étonner que des parents, qui ont pour vocation d’éduquer leurs enfants, leur donnent ainsi l’exemple de la tricherie !

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rappeler les objectifs de ces tests d’évaluation qui ont déjà fait leurs preuves, et nous indiquer ce que vous comptez faire à l’encontre de ceux qui, en désobéissant aux consignes du ministère de l’éducation nationale, commettent tout simplement une faute professionnelle grave ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le député Luca, notre système éducatif a besoin d’évaluation.

M. Gaëtan Gorce. Les ministres aussi !

M. Luc Chatel, ministre. On ne peut pas, au mois de décembre, critiquer ou regretter les résultats de l’enquête PISA pour refuser, en janvier, un dispositif transparent d’évaluation des performances de notre système éducatif qu’il s’agit ainsi de mieux connaître et d’améliorer.

Ces évaluations touchent également plus particulièrement l’élève au sein de sa classe, son professeur, ses parents : il s’agit de connaître l’état des acquisitions des connaissances pour permettre d’améliorer les performances de chaque élève, notamment en CM2, à quelques mois de l’entrée au collège.

Nous avons donc besoin de ces évaluations, mises en place il y a deux ans, qui nous permettent d’avoir une vision évolutive des performances de notre système éducatif.

Vous avez rappelé qu’une petite minorité d’enseignants, depuis deux ans, ont décidé de ne pas adhérer à ce dispositif. Plus fort, en début de semaine, une infime minorité – mais agissante – d’enseignants…

M. Alain Gest. Soutenus par le parti socialiste !

M. Luc Chatel, ministre. …ont décidé de boycotter ces tests et, associés à quelques parents d’élèves, ont mis en ligne les résultats de ces épreuves.

M. Renaud Muselier et M. Jean-Marc Roubaud. Oh !

M. Luc Chatel, ministre. Il s’agit d’un comportement inadmissible et irresponsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.) Je ne laisserai pas faire de tels agissements.

Après consultation de la direction juridique du ministère, j’ai décidé de déposer une plainte et des poursuites judiciaires seront engagées. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Monsieur le député, l’école de la République, ce n’est pas la triche ; l’école de la République, ce n’est pas la désobéissance. Nous avons besoin d’évaluations…

M. Daniel Vaillant. Le Gouvernement aussi !

M. Luc Chatel, ministre. …et nous avons besoin d’un système éducatif qui fonctionne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Année de l’outre-mer

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Apeleto Albert Likuvalu. Ma question s’adresse à Mme la ministre chargée de l’outre-mer, et j’y associe nos collègues Annick Girardin, Jeanny Marc et Chantal Berthelot.

Le 12 janvier dernier, au siège du ministère de l’intérieur, a été lancée officiellement l’année des outre-mer. À travers de nombreuses manifestations prévues dans des domaines variés tels que la culture, l’économie, le tourisme, cette année vise à « dévoiler les richesses des outre-mer au grand public ».

Ces outre-mer constituent 80 % de la biodiversité française, font de la France la seconde puissance maritime mondiale, et ont étroitement participé à l’histoire de France.

Cependant, deux grandes questions m’interpellent : lors de ses vœux aux outre-mer, le 9 janvier dernier en Guadeloupe, le Président de la République indiquait vouloir instaurer un lien nouveau avec la métropole, fondé sur la confiance réciproque et sur la responsabilité partagée. Or, où sont la confiance et la responsabilité partagée lorsque le budget de l’outre-mer pour 2011 est en baisse de 2,27 % par rapport à 2010 ? Cette baisse affecte directement les politiques destinées à favoriser le développement économique, à créer des emplois et à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens.

Ensuite, votre programme, certes ambitieux, pour l’année de l’outre-mer, prévoit des manifestations surtout en métropole, hormis les états généraux des langues régionales outre-mer en Guyane et les jeux du Pacifique en Nouvelle-Calédonie. Avec si peu d’événements sur leurs territoires, les ultramarins sont de fait écartés de votre programme.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !

M. Apeleto Albert Likuvalu. Aussi, madame la ministre, ma question est double : d’abord, comment expliquez-vous le fait d’écarter des parlementaires ultramarins de l’organisation du programme de l’année des outre-mer ? Ensuite, que compte faire le Gouvernement pour réaliser ce programme et pour que les manifestations ne se fassent pas au détriment des ultramarins et de leurs territoires ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée de l’outre-mer.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur le député, à l’issue des états généraux de l’outre-mer, lors du conseil interministériel de l’outre-mer présidé par le chef de l’État, des mesures très importantes ont été prises, parmi lesquelles l’année des outre-mer.

Pourquoi l’année des outre-mer ? Tout simplement pour changer le regard sur ces territoires, pour aider à mettre à mal les préjugés et faire comprendre une fois pour toutes que l’outre-mer participe à la construction et à la grandeur de notre pays.

Quelle a été notre méthode ? Nous avons choisi un commissaire, Daniel Maximin, personnalité unanimement reconnue par la communauté ultramarine. À l’occasion d’une conférence de presse, nous avons présenté un programme qui se décline sur deux niveaux.

Au niveau national, une quarantaine de manifestations sont prévues. Mais il y a également le niveau local : les collectivités ont été associées à ce programme et nous ont fait des suggestions, qui ont été retenues dans le programme des manifestations – vous pouvez le consulter sur le site internet du ministère.

M. Gaëtan Gorce. Qu’attendez-vous pour passer à l’action ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Certes, tout n’a pas été pris en compte au moment de la publication de ce programme, en particulier votre territoire de Wallis-et-Futuna. Je n’avais alors pas de propositions, et le commissaire pas davantage. Aujourd’hui, nous sommes tout à fait disposés à examiner vos suggestions et à faire en sorte qu’elles participent aussi à l’année des outre-mer dès lors qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’objectif poursuivi par le Gouvernement : changer le regard sur l’outre-mer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Laffineur.)

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Garde à vue

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue (nos 2855, 3040).

Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de sept heures dix pour le groupe UMP ; neuf heures trente pour le groupe SRC ; quatre heures trente-deux pour le groupe GDR ; trois heures quarante-huit pour le groupe Nouveau Centre et trente-quatre minutes pour les députés non inscrits.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Valax.

M. Jacques Valax. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, je commencerai par quelques observations préliminaires avant de vous dire ce que je pense réellement de ce texte relatif à la garde à vue.

Une fois encore, force est de constater que le Gouvernement a tardé, reculé, tergiversé avant d’accepter enfin de prendre en compte les recommandations et les mises en garde de l’opposition. Depuis plus d’un an, celle-ci demandait avec force la mise en place d’une nouvelle procédure en matière de garde à vue.

Dés février 2010, le groupe socialiste avait en effet déposé une proposition de loi visant à modifier le régime de la garde à vue et qui avait essentiellement pour objectif de demander au Gouvernement de prendre en compte les recommandations européennes. Permettez-moi de citer son exposé des motifs : « Les incidents se multiplient. Les tensions sont vives entre policiers et magistrats autour de deux lectures différentes de la jurisprudence de la Cour européenne. » D’ailleurs, à l’époque, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Paul Costa, avait déclaré que les États ne devaient pas attendre que les justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs droits en matière de garde à vue.

Il était donc urgent, voire impératif, de modifier la législation française afin qu’elle se conforme au principe du procès équitable énoncé par les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Que de temps perdu, monsieur le ministre ! Combien d’oppositions larvées ont fait naître ces atermoiements ! Je veux parler des oppositions larvées entre, d’une part, les services de police et de gendarmerie, et, d’autre part, le corps des magistrats, dont les premiers ne cessaient de critiquer le prétendu laxisme. Je veux parler, aussi et surtout, des avocats, dont le rôle était sans cesse stigmatisé.

Les atermoiements du Gouvernement n’ont donc fait qu’aviver ces tensions et provoquer des oppositions qui – je le regrette – ne manqueront pas, à l’avenir, de laisser des stigmates dans les différents corps que je viens de citer.

D’autre part, à l’époque, le temps parlementaire ne nous manquait pas, mais, au cours des mois précédents, le Gouvernement a préféré flatter bassement l’opinion et nous faire travailler sur des sujets subalternes, déjà couverts par une législation relativement savante, au lieu d’affirmer haut et fort les valeurs de la République.

Vous avez préféré – voici le fin mot de l’histoire – laisser de côté les lois nécessaires, indispensables, qui auraient rendu la justice plus efficace, plus juste et plus sereine, pour privilégier des lois superficielles, redondantes, mais dont vous saviez pertinemment qu’elles flattaient le populisme de certains électeurs que vous souhaitiez gagner à votre cause.

Enfin, alors même que chacun reconnaît que la garde à vue telle qu’elle était conçue jusqu’à aujourd’hui, était absolument « traumatisante » – c’est le mot que vous avez employé dans un récent article –, anachronique, révélatrice d’un état de droit quelque peu passéiste, vous avez préféré courir le risque de voir un certain nombre de procédures annulées au lieu de vous ranger à l’avis univoque de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci, depuis 2008, et même avant, n’a cessé de rappeler que la présence de l’avocat devait être obligatoire dès la première heure de la garde à vue et que – corollaire logique – l’avocat devait pouvoir accéder au dossier du mis en cause. Quelqu’un – je crois que c’est M. Perben – n’a-t-il pas dit qu’il fallait que l’avocat soit utile ?

Il s’en est suivi une longue période d’incertitude, marquée par plusieurs décisions, notamment celle du 28 janvier 2010 du tribunal correctionnel de Paris, qui a annulé cinq gardes à vue, cette décision étant ensuite confirmée par le Conseil constitutionnel le 30 juillet 2010. Enfin, et de façon claire et précise, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 23 novembre 2010 l’arrêt Mme France Moulin contre France. C’est l’occasion pour moi d’ouvrir une petite parenthèse sur le cas personnel de France Moulin, que j’ai eu, dans la région toulousaine, le plaisir et l’honneur de connaître. Je peux vous assurer que cette personne a vécu un véritable calvaire. Son nom a été jeté en pâture dans la presse. Elle a été critiquée, vilipendée, psychologiquement brisée, professionnellement démolie. C’est la réalité des conséquences d’une garde à vue mal préparée, menée de façon quelque peu subjective, et qui a mis en lumière les limites aujourd’hui insupportables de la conception qui était la vôtre des droits de la défense.

Ces remarques générales étant faites, passons au texte lui-même. Votre projet de réforme est très loin de remplir la triple exigence d’une procédure pénale résolument moderne, respectueuse des droits, mais également attachée à assurer la protection des citoyens et la répression des infractions. Le respect de cette triple exigence doit incontestablement conduire le Parlement à davantage d’audace, en adoptant une réforme qui respecte vraiment les droits, à commencer par ceux de la défense.

N’en déplaise à certains, l’exigence de la présence de l’avocat dès le début de la procédure me paraît devoir être la norme en la matière. Je me souviens que, au début de ma carrière, il y a vingt ou trente ans, le jeune avocat que j’étais à l’époque était, entendez bien, terrorisé d’assister son client devant le juge d’instruction, tant les pouvoirs de ce dernier étaient forts et sans limite.

Il faut donc aller sans retenue aucune vers une garde à vue telle que nous la concevons.

La seule présence de l’avocat ne serait pas suffisante si elle était enserrée par un certain nombre de contraintes qui reviendraient à l’empêcher d’accomplir sa mission de façon pleine et entière. L’assistance effective de l’avocat implique nécessairement l’accès à l’intégralité des pièces du dossier mettant en cause son client, et ce dès le début de la garde à vue, dans toutes les procédures, et quelle que soit la nature de l’infraction. Ce sont là deux mesures – la présence de l’avocat et son accès à toutes les pièces du dossier – qui permettront d’assurer une véritable sécurité juridique au justiciable.

Au-delà du problème de la réforme de la garde à vue, et parce que l’une et l’autre sont intimement liées, nous devons aussi procéder à la réforme du parquet. Le Conseil national des barreaux soutient depuis longtemps, à juste titre, que la réforme du ministère public est inévitable. Les conditions de nomination des membres du parquet doivent être modifiées pour être au moins alignées sur celles des magistrats du siège. Dans l’attente de cette réforme, tout le processus de la garde à vue, de la décision qui l’instaure à celle qui la prolonge, en passant par toutes les phases de son déroulement, doit être contrôlé par le juge du siège, qui devra nécessairement être saisi sur demande écrite et strictement motivée du procureur de la République.

Enfin, il faut dégager de vrais moyens pour mettre en place cette nouvelle façon de faire vivre la vérité – j’ose espérer, monsieur le garde des sceaux, que vous en êtes déjà convaincu. Dans la mesure où nous allons passer – même si l’expression est quelque peu galvaudée – de la culture de l’aveu à la culture de la preuve, chaque professionnel devra accepter de faire un véritable effort de formation. Officiers de police judiciaire, magistrats, médecins, avocats, interprètes même, tous devront renoncer aux prérogatives qui étaient les leurs, oublier leur ethnocentrisme professionnel, pour reconnaître que sans l’effort de tous, aucune évolution positive ne sera possible. Parce qu’il est nécessaire et indispensable que les conditions matérielles de la garde à vue correspondent au standard européen, il faudra modifier les comportements, la perception de l’enquête, pour que la vérité policière ne pèse plus comme aujourd’hui sur la phase judiciaire. La garde à vue devra être recentrée sur son véritable objet, c’est-à-dire la démonstration tendant à établir l’existence d’indices qui font présumer qu’une personne a commis ou tenté de commettre une infraction.

La police judiciaire devra donc revenir à l’essentiel : la recherche d’éléments sur les infractions et sur leurs auteurs présumés. À cette fin, un membre du Conseil national des barreaux a rappelé qu’il devient nécessaire de « mettre le paquet » sur les filatures, sur les écoutes et sur les moyens techniques et scientifiques ; mais tout cela ne pourra être réalisé dans un contexte budgétaire serré et sans respecter les règles que j’ai évoquées.

Enfin, parce que je suis convaincu, monsieur le garde des sceaux, que, comme moi, vous ne souhaitez pas que la privation de liberté reste aléatoire, parce que vous voulez assurer une véritable sécurité juridique au justiciable, parce que vous voulez que les tribunaux retrouvent indépendance et impartialité, et que la France dispose d’une procédure pénale moderne, efficace et protectrice des droits, je suis certain que vous savez qu’il faudra mettre en place les crédits indispensables au bon fonctionnement de la justice. L’aide juridictionnelle est et doit rester la principale préoccupation de votre ministère. Pour que les avocats puissent être présents dans le cadre des gardes à vue, dont nous avons décortiqué le fonctionnement, et parce que leur présence doit être obligatoire, il faudra fournir les moyens à cette profession pour que, quelles que soient l’heure, les distances et les vicissitudes du dossier, l’un de ses membres soit présent lorsque la procédure sera déclenchée. Cela veut dire qu’il faudra prévoir des tours de rôle, des moyens de couvrir les frais de déplacement, notamment dans les territoires ruraux, et qu’il faudra, pour que chaque justiciable soit à égalité devant la loi, que le Gouvernement fasse un effort indiscutable en matière d’aide juridictionnelle.

Le débat reste ouvert. La discussion va commencer. Elle doit être empreinte de générosité, pour que la dignité et l’égalité des justiciables restent des valeurs républicaines intangibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons est un texte de progrès, mais aussi un texte de mise en conformité de notre législation avec un droit fondamental : celui à un procès équitable. Ce projet de loi intervient après que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, à plusieurs reprises, que la présence d’un avocat dès la mise en cause est une des composantes des droits fondamentaux de l’homme, et après que, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a jugé non conforme à la Constitution la législation actuelle en matière de garde à vue. Il intervient aussi après qu’il a été constaté que, dans notre pays, la garde à vue est utilisée comme un expédient administratif du suivi des personnes mises en cause par la police, et que le nombre de mesures de contrainte augmente dangereusement depuis quelques années – en 2009, nous en étions à 790 000 gardes à vue.

Venons-en au contenu du projet de loi. Il se veut opérationnel. Néanmoins, il reste en retrait par rapport aux objectifs d’équité et de traçabilité qu’il est censé poursuivre. J’évoquerai donc le progrès que constitue ce texte avant d’énumérer les améliorations qui devraient être apportées pour en assurer concrètement le succès.

La présence d’un avocat durant la garde à vue est un élément fondamental de notre civilisation juridique. La Cour européenne des droits de l’homme a défini ce que recouvre le principe d’un procès équitable, son fondement étant posé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a logiquement confirmé, dans un fameux arrêt Dayanan rendu le 13 octobre dernier à propos de la justice turque, que, « en ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue […] le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Cette pratique du conseil dès qu’il s’avère nécessaire est très ancienne. Elle était connue sous l’Ancien régime, même si elle ne s’y était pas imposée, et s’appliquait lors du procès criminel au moment de ce qu’on appelait l’instruction préparatoire. Pourtant, en 2011, le recours à la garde à vue ne présente pas, dans notre pays, toutes les garanties nécessaires.

Dès la fin de 2008, je m’étais inquiétée, dans une question écrite adressée à la garde des sceaux, de l’augmentation du nombre de gardes à vue et de la nécessité d’une réforme de la procédure pénale. Je faisais valoir que leur nombre avait augmenté, alors même que celui des personnes condamnées sur la même période était resté stable. Deux traits me paraissaient, et me paraissent toujours, caractériser et marquer cette intempérance française à mettre en garde à vue : le premier est que de nombreuses personnes font l’objet d’une mesure de limitation de leur liberté sans qu’il soit in fine possible de rapporter que leur comportement aurait été constitutif d’une infraction faisant l’objet d’une sanction pénale ; le second est que cette augmentation est soutenue et amplifiée par l’insuffisance de garanties données aux personnes mises en cause.

Dans sa réponse, la garde des sceaux m’expliquait que le placement en garde à vue n’était qu’une mesure d’exception, qui devait être strictement limitée aux nécessités de la procédure et proportionnée à la gravité de l’infraction reprochée, et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Force est de constater que la pratique croissante de la garde à vue n’est conforme ni à l’esprit de la loi ni à la volonté du législateur. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision de juillet dernier, estimant qu’elle était souvent devenue la phase principale de la procédure de constitution du dossier en vue du jugement de la personne mise en cause. C’est pour cette raison qu’il faut changer la loi et indiquer expressément que les personnes doivent pouvoir faire appel à un avocat dès le début de l’application d’une mesure de restriction de leur liberté.

Ayant souligné la nécessité de cette réforme, je souhaite mettre l’accent sur les insuffisances du projet et les améliorations qui pourraient y être apportées.

Ces insuffisances concernent notamment l’encadrement de toute période antérieure à la garde à vue proprement dite, les droits effectifs de la personne gardée à vue et la traçabilité des interrogatoires ; j’y ajoute bien sûr la question du statut des magistrats, qui a été évoquée à plusieurs reprises, et celle du financement de l’aide juridictionnelle.

Le premier point – la question de l’encadrement de la période antérieure à la garde à vue, quand la personne est interrogée par la police avant toute mesure de contrainte – ne doit pas être sous-estimé. La suppression de l’audition libre telle qu’elle était prévue par la rédaction initiale de l’article 62-2 du code de procédure pénale dans le projet de loi, laisse pendante la question de l’absence d’encadrement de la période où la personne susceptible d’être mise en cause et la police se retrouvent face à face. Il serait opportun de prévoir que l’accès à un avocat est reconnu à une personne pouvant être mise en cause même si elle n’est pas encore soumise à une mesure de contrainte. Cette précision serait conforme à ce qu’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, celle-ci a considéré que la notion d’équité, consacrée par l’article 6 de la Convention, exigeait que la personne mise en cause ait le bénéfice de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police.

Le deuxième point concerne les droits effectifs de la personne gardée à vue. Le futur article 63-5 du code de procédure pénale prévoit, selon les termes du projet de loi, que « la garde à vue doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ». Il précise que « seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité strictement nécessaires ».

La commission parlementaire d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau, présidée par André Vallini, Philippe Houillon en étant le rapporteur, a rappelé que la pression psychologique exercée à l’égard des personnes en garde à vue ne doit pas se transformer en violence psychologique pour faire céder une personne innocente et la conduire à reconnaître des faits. Plusieurs collègues l’ont rappelé hier, exemples très concrets à l’appui. La garde à vue doit donc s’effectuer dans le respect de la dignité des personnes retenues. Le droit au repos, le droit de boire et de manger, celui de satisfaire ses besoins naturels peuvent apparaître comme de simples déclinaisons du respect de la personne ; celles-ci n’en restent pas moins fondamentales et devraient à ce titre être mentionnées dans la loi. Ces droits constituent, avec la propreté des locaux où la personne est gardée, des éléments essentiels de la dignité.

Le troisième point, c’est la traçabilité et la sécurité des interrogatoires. Le projet de loi ignore ce que l’avant-projet de réforme du code de procédure pénale avait prévu. Celui-ci disposait que les auditions des personnes placées en garde à vue en matière criminelle feraient l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Il allait plus loin encore puisqu’il généralisait l’obligation d’enregistrement des auditions à la demande des personnes interrogées en cas de délit, y compris lorsque l’avocat était présent. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a clairement repéré la faiblesse du texte actuel en ce domaine, constatant que, « concernant l’enregistrement des auditions, le projet de loi est en recul par rapport à l’avant-projet de réforme du code de procédure pénale qui généralisait l’enregistrement sous certaines conditions ». Revenir à l’avant-projet présenterait de multiples avantages : l’enregistrement constitue une garantie pour les personnes mises en cause contre les risques de mauvais traitements, il sert à vérifier l’authenticité de leurs déclarations en cas de contestation et, de plus, il constitue une garantie pour les officiers de police quant au bon déroulement des auditions. Il est étonnant que le Gouvernement n’ait pas jugé utile de reprendre ces dispositions. J’ai déposé un amendement en ce sens, mais il a été déclaré irrecevable. Pourtant, les locaux où se déroulent les gardes à vue sont déjà dotés de matériel d’enregistrement, puisque, pour les mineurs et pour les affaires criminels, l’enregistrement est systématique, et on pourrait couvrir tout le territoire sans dépenses supplémentaires. Nous en reparlerons le moment venu.

Mme Delphine Batho. En plus, il y a les webcams !

Mme Marietta Karamanli. Je voudrais évoquer brièvement la question des magistrats du parquet. Leur intervention dans la procédure de garde à vue ne susciterait pas tant d’interrogations et de réticences si leur statut avait évolué comme plusieurs d’entre nous l’ont proposé. Selon la CEDH, les membres du ministère public, en France, ne satisfont pas à l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif. Or, selon sa jurisprudence constante, cette indépendance compte, au même titre que l’impartialité, parmi les conditions à l’autonomie du magistrat telle que définie par l’article 5, paragraphe 3, de la Convention. Ainsi, le projet rend nécessaire l’évolution du statut des magistrats du parquet : si cette exigence n’est pas prise en compte ici, elle le sera en tout cas demain.

Enfin, prévoir que chaque personne arrêtée pourra recourir à un avocat en garde à vue suppose aussi que les moyens de l’État pour financer l’aide juridictionnelle soient suffisants. Il conviendra donc d’être vigilant et cohérent sur ce point.

Ce projet de loi devrait servir les droits des individus, mais aussi renforcer la légitimité de la justice et des services de police. Nous avons tous à y gagner. J’espère que, lors de l’examen des articles, nous pourrons, ensemble, améliorer le dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, qu’il faille réformer la garde à vue, personne ne le conteste. Ce n’est pas seulement une nécessité légale, qui résulte des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Conseil constitutionnel, mais également l’expression d’une volonté politique : celle de trouver le plus juste équilibre entre la nécessaire efficacité de l’action répressive et la non moins nécessaire protection des droits de la défense.

Depuis quelques années, des progrès considérables ont été accomplis en matière d’investigation : généralisation de la police scientifique et technique, interconnexion des fichiers, recours systématique à l’informatique, réorganisation des services d’investigation, intensification de la formation des agents. En dix ans, le taux d’élucidation des crimes et délits a été porté de 25 % à près de 40 %, c’est-à-dire à un niveau historique, jamais atteint.

Il faut en féliciter vivement les policiers et les gendarmes. Il faut aussi en tirer les conséquences sur l’exercice des libertés et la protection des droits de la défense. À tout progrès dans l’efficacité de l’action répressive doit correspondre une avancée dans la protection des droits de la personne mise en cause.

Vouloir renforcer la sécurité, ce n’est pas faire l’impasse sur les libertés. Le Gouvernement nous le rappelle. Il a raison. Je ne doute pas que nous le suivions sur ce chemin.

Permettez-moi toutefois quelques observations sur les trois points les plus sensibles de cette réforme.

La première porte sur le principe de l’audition libre qui figurait dans le projet du Gouvernement et qui a disparu du texte adopté par la commission. Le débat est clos, puisque le Gouvernement se rallie à la position de la commission, ce dont je me réjouis. Cependant, pour la clarté de nos débats et pour la bonne interprétation du texte, il me paraît important de souligner que, demain comme aujourd’hui, la liberté des auditions restera la règle et la garde à vue l’exception.

Lorsque, dans sa rédaction, la commission prévoit que la personne mise en cause « est maintenue à la disposition des enquêteurs dès lors que cette mesure constitue l’unique moyen de parvenir [aux] objectifs » de l’enquête, elle signifie d’une manière explicite non seulement que la garde à vue n’est pas automatique, mais qu’elle revêt au contraire un caractère subsidiaire.

Il en résulte que l’audition libre est donc la règle de droit commun. Sans doute faut-il en préciser le cadre. Telle est la volonté du Gouvernement que, personnellement, je partage.

Ma deuxième observation a trait au contrôle de la garde à vue. La commission propose que cette responsabilité soit retirée au parquet pour être confiée à un magistrat du siège. C’est un sujet majeur. Si cette position prévalait, ce serait, pour notre organisation judiciaire, un changement fondamental aux conséquences hautement symboliques. Surtout, tout l’équilibre de notre système judiciaire en serait modifié en profondeur. La portée d’une telle mesure excéderait de très loin l’objet même de la loi dont nous débattons, qui est limité à la seule garde à vue.

Qu’une mesure de cette importance soit examinée à l’occasion de la réforme d’ensemble de la procédure pénale, cela serait parfaitement légitime. Mais qu’elle soit adoptée au détour d’un texte plus technique, tel celui dont nous débattons aujourd’hui, ce serait à mon sens entièrement déplacé. Nous connaissons le sort réservé aux cavaliers budgétaires ; n’inventons pas aujourd’hui ce qui serait un véritable cavalier judiciaire.

Au demeurant, nous savons tous que, sauf à Paris et peut-être dans les plus grands tribunaux de province, rares sont les juridictions dont les effectifs et l’organisation permettraient au siège d’exercer réellement un tel contrôle. Confier une mission à un magistrat qui, concrètement, n’aurait pas les moyens de l’exercer reviendrait à fragiliser les droits de la défense et à opérer un recul dans la protection de la personne mise en cause : c’est tout le contraire de ce que nous voulons.

Ma troisième observation concerne le délai de carence. Le texte de la commission des lois prévoit un délai de deux heures entre l’avis adressé à l’avocat et le début de la première audition. La commission ajoute que, si l’avocat se présente après l’expiration de ce délai et alors que l’audition a commencé, celle-ci « est interrompue si la personne gardée à vue le demande ».

Il est certes légitime de laisser à l’avocat un délai raisonnable pour se rendre auprès de son client. De toute façon, les formalités préalables à l’audition – notification des motifs de la garde à vue, notification des droits, informations sur l’identité de la personne gardée à vue, relevés anthropomorphiques et, le cas échéant, visite médicale – nécessitent un minimum de temps avant que l’audition ne puisse effectivement commencer.

Pour autant, personne ne comprendrait que le droit ouvert à l’avocat d’être présent dès la première heure se traduise en fait par un report systématique de la première audition à la troisième heure de la garde à vue.

Il faut donc que des exceptions soient apportées à la règle du délai de carence chaque fois que les nécessités de l’enquête l’imposent. Le texte de la commission en prévoit. Les exceptions ainsi énumérées sont-elles suffisantes ? Notre débat le dira.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de progrès ont été faits dans la lutte contre la délinquance, mais il suffit d’écouter nos concitoyens pour mesurer que beaucoup reste encore à faire. S’il est à la fois légitime et nécessaire de renforcer les droits de la défense, il est également essentiel de ne porter atteinte ni à l’efficacité des services chargés des enquêtes ni aux droits des victimes.

La lutte contre la délinquance reste, aujourd’hui comme hier, une priorité majeure. Dans ce domaine comme dans les autres, c’est à nos résultats que nous serons jugés. Ne l’oublions pas.

M. le président. La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est heureux que nous soyons enfin parvenus à débattre sur le fond de ce sujet avec une perspective d’aboutir car, depuis plusieurs années, diverses propositions de loi ont souligné la nécessité pour notre pays d’avancer.

Il ne s’agit pas d’entrer dans ce débat à reculons, de mauvaise grâce, soucieux uniquement de ne pas nous faire tancer par la Cour européenne de Strasbourg. Un constat doit nous guider : la garde à vue s’est développée de manière tellement exponentielle que, dorénavant, chaque citoyen se sent exposé à cette déconvenue et que l’image de notre démocratie en est affectée.

Nous avons en tête des exemples repris un peu partout, comme celui de ces personnes âgées qui avaient utilisé par erreur un chéquier que leur banque leur avait envoyé et qui, répondant à une convocation au commissariat, ont été traitées comme de véritables malfaiteurs.

Citons encore la mésaventure de ce cadre qui, rentrant chez lui après une longue journée de travail, a eu le malheur de ne pas attendre que le petit bonhomme passe au vert avant de traverser dans les clous. Il a été interpellé et traîné au commissariat, subissant tous les désagréments qu’on imagine.

Dans ma circonscription, j’ai été saisie du cas d’un contrôleur des impôts – quelqu’un qui a donc l’habitude de faire respecter la loi – qui a eu le malheur de faire une réflexion à des agents, concernant une contravention qu’il jugeait injustifiée. Quelques instants plus tard, il se faisait arrêter devant ses voisins et traîner au commissariat, surpris qu’une mésaventure pareille puisse lui arriver.

Divers cas sont aussi rapportés par la CNDS qui, hélas, risque de bientôt disparaître – j’espère que ce n’est pas à cause de son objectivité. Un rapport de la CNDS mentionne ainsi le cas d’une personne qui téléphonait au volant – certes, ce n’est pas bien – et qui s’est retrouvée en garde à vue parce qu’elle avait une petite bombe lacrymogène dans sa voiture.

En effet, le drame de la garde à vue ne tient pas simplement au fait d’être entendu au commissariat, mais à tout le cortège d’humiliations qui accompagne bien souvent cette mesure – fouille à corps, quolibets, confiscation des lunettes ou du soutien-gorge – et dont les gens se remémorent longtemps après.

Je me souviens aussi de cette militante de France terre d’asile qui a été interpellée à son domicile un matin. Après la fouille de sa chambre, elle fut emmenée au commissariat de Caen où elle subit elle-même une fouille, pour délit de solidarité qui, selon M. Besson, n’existe pas.

Il faut, bien entendu, changer la loi, mais ne serait-il pas possible de prendre déjà des mesures simples : par exemple rappeler, par instruction ou circulaire, aux fonctionnaires concernés qu’il n’est pas indispensable d’humilier des citoyens pour aboutir à la manifestation de la vérité, qu’il n’est pas indispensable de se livrer à des atteintes insupportables aux libertés individuelles ?

Rappelons que la chambre criminelle de la Cour de cassation l’a dit et redit : pour entendre une personne sur des faits qui lui sont reprochés, si elle accepte d’être entendue, il n’est absolument pas indispensable de la mettre en garde à vue, à condition qu’aucune contrainte ne soit exercée sur elle et qu’elle ne soit gardée au commissariat que le temps strictement nécessaire à son audition.

L’an dernier, Mme Alliot-Marie se disait d’accord avec la proposition de loi sur la présence de l’avocat en garde à vue, présentée par notre collègue André Vallini. Cependant, elle s’y était opposée, arguant que la modification des règles de garde à vue impliquait une révision totale de la procédure pénale. Par conséquent, elle avait renvoyé à une réforme ultérieure de toute la procédure pénale. C’est un peu dommage car nous avons perdu un an.

Aujourd’hui, nous avons conscience que changer les règles de garde à vue supposera de revoir les méthodes de travail de toutes les parties à l’enquête. La garde à vue est un moment clé dans une enquête qui doit permettre la manifestation de la vérité. C’est parfois à ce moment que l’on peut faire craquer le coupable et que certains faits sont reconnus – ils peuvent ensuite être contestés. Pour les enquêteurs, le danger est de voir la personne mise en cause revenir sur des aveux trop rapides. L’expérience montre que, dans ce cas, c’est parfois toute l’enquête qui s’en trouve fragilisée, au risque d’empêcher la manifestation de la vérité ultérieurement. Il faut donc que cet important stade de l’enquête soit consolidé.

Sans doute les conditions de travail des policiers seront-elles modifiées. Précisons que nous ne remettons pas en cause la loyauté et la compétence des policiers. Les dysfonctionnements qui sont à déplorer dans ce type d’enquêtes découlent souvent d’une procédure, de méthodes de travail, voire d’instructions qui leur sont données.

À cet égard, il n’est pas indifférent d’observer une multiplication des gardes à vue, cette mesure étant devenue un critère d’évaluation de l’activité des policiers.

La refonte des règles à laquelle nous allons procéder va revaloriser la garde à vue pour en faire quasiment une phase de confrontation entre les parties, mettant l’accent sur les raisonnements plutôt que sur le simple aveu. Personnellement, je crois profondément que cette réforme sera plutôt de nature à revaloriser le travail des officiers de police judiciaire : il s’agira plus d’un travail intellectuel de déduction que d’un simple recueil d’aveux.

De même, lorsque nous réfléchissons au statut du parquet, il ne s’agit pas de mettre en cause la qualité et l’intégrité de ces magistrats – généralement de très bons juristes qui, de surcroît, exercent un métier aux sujétions importantes. Cela étant, ils ne peuvent être à la fois juges et parties. À partir du moment où ils ne sont pas totalement indépendants, puisqu’ils appartiennent à un corps hiérarchisé, et où ils exercent en outre le pouvoir de poursuite, ils ne peuvent pas, en même temps, contrôler leur travail.

Ce grief n’est pas spécifique à la France. Certains ont mal vécu l’interpellation de la CEDH, comme si nous étions les mauvais élèves de la classe, mais la Cour impose cette même exigence à tous les pays de l’espace européen. Il n’est pas indifférent pour nous de savoir que c’est davantage une manière d’appréhender la justice qu’une mise en accusation.

Par conséquent, il ne s’agit pas de dire que la CEDH a tort ou raison. À partir du moment où cette instance supérieure et la Convention existent, il nous appartient de mettre nos textes et nos méthodes de travail en adéquation avec les demandes de cette institution. C’est extrêmement simple à comprendre et à faire.

La CEDH dit expressément que toute personne arrêtée doit être « aussitôt » traduite devant un juge. Il nous appartient donc de faire en sorte que la personne mise en cause soit traduite devant une autorité judiciaire, au sens de la Cour de Strasbourg, sans chercher à finasser sur le mode : c’est pratiquement une autorité judiciaire, quasiment un magistrat.

Essayons de faire les choses de manière simple et claire. Recherchons, y compris dans notre texte, la façon la plus rapide de déférer la personne mise en cause devant un magistrat, considéré comme tel par la Cour de Strasbourg.

En modifiant le mode d’intervention de l’avocat, cette réforme offrira peut-être aux enquêteurs une occasion de porter un autre regard sur celui-ci. À la lecture de certains textes, on a en effet l’impression que, pour une partie des enquêteurs, voire des autorités, l’avocat est une sorte de malfrat, complice des assassins ou des délinquants : le mettre trop tôt au courant de certains éléments pourrait lui permettre d’informer des complices à l’extérieur.

Il faut bien reconnaître que, si l’avocat a pour fonction de défendre la personne mise en cause – et n’a donc pas à aider l’accusation –, ce n’en est pas moins, en même temps, un auxiliaire de justice, qui exerce sa profession dans le respect d’une déontologie. Les procès d’intention que l’on a pu entendre sont donc tout à fait injurieux. Rappelons d’ailleurs que l’arrivée de l’avocat dans les commissariats en 2000, qui avait donné lieu à une levée de boucliers tout à fait similaire, n’a pas empêché la poursuite des arrestations et des condamnations. Pourquoi en irait-il autrement à la suite de cette réforme ?

Les barreaux devront consentir les efforts nécessaires et l’aide juridictionnelle devra être réévaluée, tout le monde l’a dit. Sans doute, l’effort sera particulièrement important pour des barreaux tel celui de Bobigny : les personnes déférées au tribunal de Bobigny sont nombreuses et généralement pauvres. Il ne faudrait pas que cette réforme se traduise par l’asphyxie de certains cabinets d’avocats dont le fonctionnement est assuré, pour une large part, par l’aide juridictionnelle.

Enfin, je ne vois rien dans ce texte qui permette de mieux protéger les mineurs ; c’est pourtant important. L’année dernière, deux collégiennes de ma circonscription avaient eu la mauvaise surprise de se retrouver en garde à vue après avoir été cueillies le matin chez elles. Leurs parents étaient évidemment dans tous leurs états. Or je ne vois rien, dans ce texte, qui préserve nos enfants du risque d’une aussi grave mésaventure.

En définitive, nous sommes tous conscients de ce que les plus hautes autorités de notre pays et les juridictions européennes nous obligent à avancer. Ne réformons cependant pas contraints et forcés, faisons une vraie réforme, qui corresponde aux aspirations d’une société moderne et qui soit fondée sur le respect des gens. Tout le monde en sortira grandi.

M. le président. La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, parce que la garde à vue constitue une mesure privative de liberté susceptible de porter gravement atteinte aux droits fondamentaux reconnus à chaque citoyen, les députés radicaux de gauche seront particulièrement attentifs aux débats visant à réformer son régime juridique.

Le régime de la garde à vue, qui avait longtemps été pratiquée de manière officieuse, est le fruit de lois successives qui ont favorisé le développement d’une phase d’enquête préalable à l’instruction. Ce n’est qu’en 1958 que cette pratique sera légalisée à l’occasion de l’élaboration du code de procédure pénale. Depuis lors, ce temps judiciaire n’a cessé d’être banalisé, non sans demeurer conforme à sa vocation originelle, celle d’amener le suspect jusqu’à l’aveu. Cette finalité non dissimulée a valu à la France plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme.

Plus récemment, au mois d’octobre 2009, la Cour européenne est venue ébranler les fondations du rapport Léger, rappelant que « le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Cet arrêt s’est vu conforté par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, puis par trois arrêts de la Cour de cassation rendus le 19 octobre 2010, qui mettent également en lumière l’incapacité de notre pays à respecter une conception exigeante des droits reconnus aux personnes gardées à vue.

Je saisis d’ailleurs cette occasion pour revenir sur l’intérêt majeur de ce nouveau droit qu’est la question prioritaire de constitutionnalité. Pour la première fois depuis son adoption en 2008, elle était soulevée par un justiciable. Il s’agissait en l’espèce de contester les conditions de la garde à vue au motif qu’elles porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

La procédure de la garde à vue actuellement en vigueur est-elle conforme à la Constitution ? La réponse est non, cela ne fait aucun doute. Elle ne permet pas plus de garantir les droits essentiels de la défense que d’assurer le respect de la dignité de la personne humaine.

De fait, une question s’impose : en l’absence de toute mise en demeure, pendant combien de temps encore notre pays se serait-il accommodé de ces graves manquements ? Pendant combien de temps encore le Gouvernement serait-il resté de marbre face aux propositions de loi présentées par le Parlement pour réformer la garde à vue ?

C’est bien le couteau sous la gorge – passez-moi l’expression –, sur injonction des juridictions européennes et nationales que le Gouvernement, peu soucieux jusqu’à présent du respect des libertés individuelles, présente ce projet de loi.

Rappelons tout de même que le débat revêt une importance capitale. Il s’agit d’un réel enjeu de société puisque, en 2009, cette procédure a concerné près de 800 000 personnes, les privant de la liberté fondamentale d’aller et venir, sans que cela soit, dans une grande majorité des cas, ni justifié ni proportionné à la gravité des faits incriminés. La culture de l’aveu et du chiffre, la banalisation et le dévoiement du recours à la garde à vue traduisent la réalité de choix politiques qui ont largement contribué à ruiner les fondations de notre procédure pénale.

Permettons enfin à la garde à vue d’être à la hauteur des exigences républicaines. Parmi celles-ci priment la dignité de l’homme, l’équité de la procédure, le principe du contradictoire et la culture de la preuve. La crédibilité – nationale et internationale – de l’État repose en effet sur l’édiction de règles irréprochables. C’est notamment pour cette raison qu’il est fort dommage que ce texte ne soit pas intégré à une réflexion qui tendrait à clarifier et à moderniser la procédure pénale dans son ensemble. La promesse a été faite, mais elle n’a pas été tenue.

L’urgence qui nous amène à nous prononcer sur la garde à vue ne révèle que la partie émergée de l’iceberg. Qu’en est-il précisément de la réforme globale de la procédure pénale dont tout le monde s’accorde pourtant à reconnaître qu’elle est une nécessité juridique ?

C’est donc contraints, sous la menace d’une révolution judiciaire, qu’il nous appartient de réformer la garde à vue. Par ce texte autonome, le Gouvernement prétend viser un double objectif : diminuer le nombre de gardes à vue tout en conciliant respect des droits fondamentaux reconnus à la personne et efficacité des enquêtes pénales. Il s’agit d’allier garantie des droits de la défense et protection de l’ordre public, alchimie pour le moins complexe.

C’est pourquoi mes collègues députés radicaux de gauche et moi-même tenons à souligner plusieurs dispositions de ce texte qui constituent en elles-mêmes des progrès juridiques au regard du droit actuellement en vigueur, à commencer par le rétablissement de la notification du droit au silence, le droit d’être assisté par un avocat dès le début de la garde à vue, la présence de ce dernier lors des auditions ou encore la garantie des conditions matérielles qui assurent le respect de la dignité humaine.

Par ailleurs, comment ne pas saluer les travaux de la commission des lois ? Ils ont notamment permis la suppression du dispositif de l’audition libre. L’instauration d’un temps préalable à celui de la garde à vue, sans aucune reconnaissance des droits du suspect entendu, relève de la mascarade, et l’abandon de ce nouveau dispositif était inévitable. C’est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, de confirmer votre sage décision d’y renoncer et de ne pas réintroduire par voie d’amendement des possibilités d’audition hors garde à vue.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Bien sûr !

Mme Sylvia Pinel. Au titre des progrès, citons l’amendement visant à confier à un juge du siège le contrôle – et non la gestion, la nuance est de taille – de la garde à vue. Dans l’attente d’une refonte globale de la procédure pénale, espérons que, grâce à ce puissant symbole, la procédure présentera toutes les garanties requises d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. L’impartialité est la condition sine qua non d’un traitement juste et équitable de tous les citoyens. Le dépôt, par le Gouvernement, à la dernière minute, d’un amendement portant sur ce sujet est regrettable, et de trop nombreuses zones d’ombre subsistent, qui justifient la poursuite de discussions.

Le premier objectif avoué du projet de loi – tout le monde en convient – est de diminuer le nombre de gardes à vue. Pourtant, aucune des mesures proposées ne semble de nature à permettre une telle diminution, et la plupart des acteurs de la chaîne pénale s’accordent à dire que la limitation de la garde à vue aux seules infractions punies d’une peine d’emprisonnement aura un effet insignifiant.

Une réforme ambitieuse et équitable de la garde à vue s’emploierait à différencier le déclenchement et la durée de la garde à vue en fonction des peines encourues. Il semble donc nécessaire de fixer une juste mesure au-delà de laquelle la garde à vue ne sera pas possible et, quand elle le sera, elle pourra répondre à des procédures allégées. C’est une piste qu’il est nécessaire d’explorer et de développer.

De même, il ne suffit pas d’inscrire dans la loi le principe de respect de la dignité de la personne humaine. Encore faut-il pouvoir en garantir les conditions matérielles. À défaut, tout cela ne sera qu’un leurre et la Cour européenne des droits de l’homme ne s’y trompera pas.

En ce qui concerne la mise en œuvre du nouveau rôle dévolu à l’avocat, la question des moyens qui seront mis à disposition est primordiale. Concrètement, il s’agit d’assurer la présence d’un avocat dès le début de la garde à vue, lors des auditions, et de lui permettre d’accéder à certains documents de la procédure, de jour comme de nuit, sur l’ensemble du territoire national.

Une réforme de la garde à vue ne sera pas possible sans une prise en compte des contraintes humaines, matérielles, et financières. Il faudra, par exemple, renforcer et aménager les services de police et les unités de gendarmerie, et prendre en compte la rétribution des avocats commis d’office au titre de l’aide juridictionnelle. Dans les faits, il serait purement inconcevable que les plus démunis – qu’ils soient gardés à vue ou victimes – se voient contraints, au cours de la procédure, de renoncer à l’assistance d’un avocat, faute de moyens.

L’effectivité de ces nouvelles mesures va de fait nécessiter une réorganisation structurelle profonde. Il est regrettable que les propositions de financement soient pour l’instant inexistantes. À l’évidence, ce n’est pas la prétendue « augmentation » du budget de la justice annoncée pour cette année qui permettra de soutenir la mise en œuvre de ce projet, notamment l’augmentation attendue des moyens alloués au magistrat du siège.

Nous ne pouvons accepter d’inscrire dans le texte de loi – à la va-vite – des principes inapplicables dans les faits. Ce qui se joue là est fondamental pour l’image de la République et l’examen de ce texte doit permettre de former le consensus le plus acceptable possible. Il n’est nullement question d’ouvrir une brèche à la criminalité organisée ou au terrorisme en offrant aux gardés à vue les moyens de ralentir la procédure judiciaire.

Les trois experts auditionnés en commission des lois l’ont dit très clairement : le report de la présence de l’avocat, extrêmement sensible et dangereux, doit être circonstancié, fondé sur une motivation concrète, au cas par cas, indépendante de la simple nature de l’infraction. Certains points auxquels se heurtent ouvertement conceptions sécuritaires et libertaires méritent donc d’être approfondis et affinés.

Cette réforme imposée de la garde à vue ne correspond qu’aux minima attendus en matière de procédure pénale, sans parvenir à satisfaire les attentes européennes et nationales. Le texte comporte certaines lacunes qui devront être comblées ; je pense notamment à la question essentielle des régimes dérogatoires.

Les députés radicaux de gauche défendent avant toute chose les valeurs insufflées par nos institutions républicaines. Ils militent pour une action judiciaire confortée, impartiale et transparente. Face à l’engrenage de l’humiliation qui caractérise depuis trop longtemps la garde à vue, spécificité française à l’instar de nos prisons, nous souhaitons que le texte adopté soit exemplaire. Espérons que nombre des propositions et réserves émises par nos collègues parlementaires seront entendues par le Gouvernement.

Je l’ai déjà dit, je le redis : la recherche d’un point d’équilibre doit prévaloir. Toute la difficulté consiste à trouver la juste mesure entre respect des droits et quête de la vérité. La réussite de ce texte repose en grande partie sur la manifestation d’une volonté raisonnable, intelligente et constructive de la part de l’État républicain. Sans cette volonté gouvernementale – qui reste encore à démontrer –, les juges européens et nationaux seront, vous le savez, dans l’obligation de corriger une nouvelle fois notre législation.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je fais partie de ces jeunes élus qui croient en l’aventure de la construction européenne, en lui adressant parfois des critiques, mais en continuant toujours de souhaiter faire des nations européennes l’espace des libertés le plus avancé au monde.

Dans cette quête, la France, patrie des droits de l’homme, a tout son rôle à jouer. C’est un rôle de pilier, un rôle de phare qui nous est confié à nous, Français.

Pourtant, sur la question de la garde à vue, nous manquons à notre mission. Après une série d’arrêts qui visaient déjà indirectement la procédure pénale française, la Cour européenne des droits de l’homme a clairement condamné la France en octobre dernier.

De 336 000 en 2001 à 800 000 en 2009, le nombre de gardes à vue a explosé, tandis que certaines pratiques et certains actes procéduraux se sont multipliés, pas toujours à bon escient.

Il ne s’agit pas de faire ici le procès des forces de l’ordre. Les policiers, gendarmes et douaniers, exercent une mission difficile, qui est même de plus en plus dangereuse dans certaines zones du territoire. Si des abus existent, ils sont marginaux. La faute n’en revient d’ailleurs pas aux forces de l’ordre – c’est un premier élément fondamental du débat – ; le véritable responsable de cette dérive, c’est le législateur, et c’est donc lui qui doit corriger les errances d’une garde à vue qui va désormais à l’encontre des fondements mêmes de la Constitution.

Le projet de loi s’empare de certaines questions importantes : l’assistance de l’avocat dès le début de la garde à vue, les fouilles au corps et le renforcement du rôle du parquet dans le contrôle de la garde à vue. Ce dont il est question ici, c’est de l’état de droit et de la dignité humaine.

Enfin, au-delà de son caractère à tout le moins déstabilisant, le recours à la garde à vue entraîne la diffusion du sentiment d’injustice à vitesse grand V. Je me contenterai, à cet égard, de citer le rapport Léger remis au Président de la République et au Premier ministre en 2009 : « La garde à vue constitue une mesure coercitive disproportionnée pour certains délits faiblement réprimés. »

Trop nombreux sont les Français placés en garde en vue alors que les infractions qu’ils ont commises – entorses au code de la route, petits larcins – ne justifient aucunement les vexations et les humiliations qu’on leur inflige, et ne nécessitent certainement pas qu’on les prive de liberté. C’est de cela que s’inspire toute l’économie de la réforme qui nous est soumise.

Si nous avons voulu réformer la garde à vue de façon aussi déterminée, c’est aussi en raison de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet dernier, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité. Cette saisine est une avancée pour les droits du citoyen. Grâce à lui, grâce au citoyen, le législateur est maintenant obligé d’apporter des réponses avant juillet prochain.

À nous de ne pas décevoir les Français, en conciliant les deux attentes de nos compatriotes, qui souhaitent que l’État, d’une part, leur permette de vivre en sécurité en ripostant aux menaces de la grande délinquance et du terrorisme avec les moyens qui s’imposent, et, d’autre part, garantisse les droits fondamentaux de l’individu.

En conclusion, je ne peux m’empêcher de penser au témoignage bouleversant des acquittés du procès d’Outreau. Devant la commission parlementaire qui enquêta sur ce drame, sous la conduite d’André Vallini et Philippe Houillon, ils avaient décrit la violence et l’humiliation subie lors d’une garde à vue indigne. C’est la question du principe de présomption d’innocence qui est aussi en jeu et, plus généralement, le fonctionnement de la justice, qui doit être résolument irréprochable.

Sur cette question pénale, nous avons le choix entre deux alternatives : redorer notre honneur ou basculer dans la honte. Entre les doléances pressantes dont nos concitoyens se font l’écho et les rappels insistants de la Cour de Strasbourg et du Conseil de l’Europe, la France doit réagir et corriger des injustices qui sont à la fois simples et insupportables. Gageons que de nouveaux chantiers pour l’amélioration effective des droits du justiciable ne tarderont pas à s’ouvrir.

M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il faut examiner le texte qui nous est soumis au travers de quatre questions simples.

Tout d’abord, ce texte va-t-il permettre de réduire le nombre de gardes à vue ? C’est, selon l’exposé des motifs du projet de loi, le premier objectif du Gouvernement, qui entend « maîtriser le nombre des gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années ». M. le ministre a ainsi déclaré qu’il souhaitait réduire leur nombre de 300 000. Je serais tentée de dire qu’il suffisait de ne pas les augmenter ! Quand, depuis hier soir, j’entends nos collègues de l’UMP se plaindre les uns après les autres de l’augmentation du nombre des gardes à vue, je me pince ! Le rapporteur évoque, à la page 28 de son rapport, le sentiment d’un « excès » ou d’un « abus » des forces de l’ordre, ce qui est une manière peu élégante pour la majorité parlementaire de se défausser de ses responsabilités sur les policiers et les gendarmes. Car ce ne sont ni les policiers ni les gendarmes qui ont mis en place la politique du chiffre, laquelle a conduit à une augmentation de 72 % du nombre des gardes à vue en huit ans, sans compter les délits routiers.

M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il y a aussi les arrêts de la Cour de cassation !

Mme Delphine Batho. Hier soir, dans votre intervention, monsieur le rapporteur, vous avez eu l’honnêteté de reconnaître que ce que vous appelez la « culture du résultat » – et que j’appelle, moi, la « politique du chiffre » – est directement responsable de l’explosion quantitative du nombre de gardes à vue.

Soit dit en passant, j’ai également écouté avec intérêt que vous expliquiez l’augmentation du nombre des gardes à vue par celle de la délinquance. Ce raisonnement intéressera probablement le ministre de l’intérieur qui a été obligé de reporter sa conférence de presse du début à la fin de la semaine – sans doute pour revoir les statistiques – et qui nous explique régulièrement que la délinquance diminue. Fermons la parenthèse.

Quoi qu’il en soit, nous n’acceptons pas cette façon de faire porter aux policiers et aux gendarmes une responsabilité qui est d’abord la vôtre. Si vous vouliez réduire le nombre de gardes à vue, il n’était pas nécessaire d’attendre une quelconque modification du code de procédure pénale. Il suffisait d’en finir avec cette politique du chiffre, et tous ses effets pervers, que nous n’avons cessé de dénoncer depuis 2003, auraient cessé.

Pendant des années, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont brandi l’augmentation du nombre de gardes à vue comme un bulletin de victoire dans la lutte contre l’insécurité. C’est le Président de la République, Nicolas Sarkozy lui-même, qui a inventé ce système lorsqu’il était ministre de l’intérieur, en publiant, chaque mois, le nombre de gardes à vue comme une preuve du bon travail des services de police. J’ai ici quelques-uns des tableaux qu’il produisait alors dans ses conférences de presse et qui indiquaient, par exemple, une hausse de 39 % du nombre de gardes à vue. Il y en a des pages et des pages !

Cette politique du chiffre, qui a privilégié la statistique quantitative sur la qualité et sur les résultats de l’enquête, a été basée sur une hausse, en grande partie fictive, du taux d’élucidation. L’appareil statistique de la police nationale considère qu’un fait est élucidé dès lors que, pour un fait constaté, un mis en cause est placé en garde à vue. Par ce système biaisé, certains faits sont comptés comme élucidés alors même que, à l’issue de la garde à vue, l’intéressé a été disculpé. C’est ce que, dans le jargon, on appelle une « GAV sans MEC », c’est-à-dire une garde à vue sans mis en cause.

Ainsi, l’amélioration du fameux taux d’élucidation résulte mécaniquement de la hausse du nombre de gardes à vue, véritable pierre angulaire de la politique de sécurité de Nicolas Sarkozy depuis 2002. Cela fait d’ailleurs plusieurs années que l’Observatoire national de la délinquance, présidé par Alain Bauer, recommande d’en finir avec ce fameux taux d’élucidation qui ne veut rien dire et propose de le remplacer par un taux d’identification des auteurs de l’infraction, un taux d’interpellation et un taux de défèrement à la justice.

Vous n’avez pas voulu procéder à cette réforme qui aurait eu un impact positif sur le nombre de gardes à vue, parce que toute la légende que vous entretenez, mais à laquelle les Français ne croient plus, et selon laquelle vous avez de bons résultats dans la lutte contre l’insécurité, est fondée sur cet indicateur pervers. Aujourd’hui, vous versez des larmes de crocodile sur l’augmentation massive du nombre de gardes à vue, mais il ne tenait qu’à vous qu’il en soit autrement.

Je veux aussi rappeler que c’est l’actuelle majorité parlementaire, et Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur, qui a supprimé, par la loi pour la sécurité intérieure de 2003, la référence, dans l’article 63-1 du code de procédure pénale, à la notification du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire.

Cela m’amène à ma deuxième question : ce texte va-t-il mettre la procédure pénale française en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme ? La réponse est non. Bien des collègues ont développé ce point de vue, mais j’y reviens. C’est une hérésie de vouloir réformer la garde à vue sans examiner le reste de la procédure pénale. Vous faites une réforme à l’envers, en mettant la charrue avant les bœufs, alors que la garde à vue n’est pas séparable du reste de la procédure pénale. On voit bien l’impasse où cela vous conduit, avec ce débat, qui traverse même la majorité, sur le contrôle de la garde à vue relevant du parquet ou du juge des libertés et de la détention. Si vous aviez commencé par le statut du parquet, comme l’a demandé la Conférence nationale des procureurs de la République et comme l’exige la Cour européenne des droits de l’homme, la réforme aurait été plus cohérente.

Troisième question : les droits des personnes placées en garde à vue seront-ils mieux respectés ? Ils le seront en théorie, même si le texte est imparfait et peut être amélioré sur plusieurs points, mais, en pratique, cela n’est pas certain. Nous sommes pour notre part attachés à l’effectivité de ces droits. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des inégalités sociales et territoriales qui vont résulter de cette réforme.

De même que le contrôle de l’autorité judiciaire peut sembler parfois théorique, quand, en pratique, des fax sont envoyés et arrivent dans des pièces vides où personne ne les lit, le droit à l’assistance d’un avocat en garde à vue ne doit pas être un droit à géométrie variable, selon que l’on connaît un avocat ou pas, selon que l’on a les moyens de le rémunérer ou pas, selon que l’on habite un grand centre urbain ou en milieu rural. Il y aura un droit théorique à la présence de l’avocat, mais en pratique, malgré la volonté des barreaux de s’organiser, tel ne sera pas le cas sur tout le territoire. Le risque, c’est qu’il y ait une garde à vue à deux vitesses.

Monsieur le ministre, le dispositif de l’aide juridictionnelle est totalement insuffisant. Je veux rappeler que, pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, il faut avoir un revenu mensuel inférieur à 929 euros et que, au-delà de 1 393 euros, il n’y a plus d’aide, même partielle. C’est pourquoi il me semble que nous devrions envisager la création d’une véritable sécurité sociale judiciaire permettant à chaque mis en cause, mais aussi à chaque victime, de pouvoir bénéficier de l’assistance effective d’un avocat.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. C’est le sixième risque ! La sixième branche !

Mme Delphine Batho. Si je me réjouis de l’amendement adopté qui permet que, lors des confrontations, les victimes soient assistées d’un avocat, je pense qu’il faut préciser qu’elles peuvent avoir un avocat commis d’office. Je souhaite aussi que l’on aille plus loin en prévoyant que la victime peut être aidée d’un avocat dès le dépôt de plainte en matière de violence, comme nous l’avons proposé à plusieurs reprises – et je regrette que l’UMP ait voté contre nos amendements.

Dernière question : l’efficacité de l’enquête est-elle préservée ? C’est une question fondamentale. Ce texte va-t-il faciliter le travail des policiers et des gendarmes ? La réponse est non. Non pas parce que l’avocat sera là – sa présence est désormais incontournable –, mais parce que vous ne vous saisissez pas de la venue de l’avocat pour procéder à une réforme d’ensemble qui donnerait lieu à une modernisation profonde de la garde à vue.

Bien sûr, les policiers et les gendarmes s’adapteront, mais le risque existe, avec cette réforme, qu’ils soient démotivés, démobilisés, qu’ils aient le sentiment que le législateur a voulu leur compliquer la tâche. Nous pensons qu’il n’y a là nulle fatalité. Votre erreur, c’est d’ajouter la présence de l’avocat sans modifier les éléments de procédure actuels, qui connaissent déjà certaines lourdeurs.

Il y avait une autre solution. À partir du moment où l’avocat est présent, la logique voudrait qu’il ait un rôle actif, qu’il soit le garant des droits de la défense. La logique voudrait que l’on mette fin à la lourdeur des procès-verbaux, que l’on allège ce formalisme administratif extrêmement lourd qui nuit à la bonne utilisation des moyens et qui ne garantit pas le respect des droits.

C’est pourquoi nous avons proposé un triptyque : présence et rôle actif de l’avocat, remplacement des procès-verbaux redondants et inutiles par un seul procès-verbal de synthèse et un seul procès-verbal de déroulement de la garde à vue, et enregistrement des auditions pour pouvoir s’y référer en cas de besoin.

Le Gouvernement ne touche pas à la politique du chiffre, ne procède pas à une réforme d’ensemble de la procédure pénale, ne s’attaque pas aux inégalités sociales et territoriales, n’engage pas la modernisation nécessaire de la procédure pénale, notamment sa dématérialisation, ne se donne pas les moyens que cette réforme soit acceptée par ceux qui vont être chargés de la mettre en œuvre. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas approuver le texte que vous nous soumettez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. C’est clair !

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig.

M. Émile Blessig. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le présent projet de loi sur la garde à vue apporte incontestablement des progrès décisifs par rapport à la situation actuelle, avec la définition légale du champ de la garde à vue, les modalités de décision et de prolongation de la garde à vue, les nouveaux droits de la personne soupçonnée : nature et date de l’infraction poursuivie, droit au silence, autorisation d’alerter un proche et son employeur, droit à être vu par un médecin. Je pense aussi à l’assistance d’un avocat pour organiser sa défense, au délai de carence ainsi qu’à l’assistance d’un avocat aux côtés de la victime en cas de confrontation. Le texte précise aussi certaines mesures exceptionnelles.

Tous ces points ont été analysés par nombre d’orateurs dans la discussion générale. Pour ma part, je souhaite évoquer une particularité de l’examen de ce texte, le fait que nous légiférons sur l’injonction du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, ce qui, à mon sens, arrive pour la première fois et marque donc une véritable innovation.

En effet si la non-conventionalité de notre régime de garde à vue était prévisible dans la continuité d’une série de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, la transcription de cette jurisprudence par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation est plus récente et assortie d’un délai enjoignant au législateur de « régulariser le régime de notre garde à vue d’ici au 1er juillet 2011 ».

L’autre fait marquant est, à mon sens, le fait que la décision du Conseil constitutionnel résulte d’une question préalable de constitutionnalité, soit de la mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, voulue par la réforme de la Constitution adoptée le 23 juillet 2008. Cela démontre l’utilité et l’efficacité de cette mesure.

Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré le régime de la garde à vue non conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où il n’y avait pas d’équilibre satisfaisant entre la recherche des auteurs d’une infraction et l’exercice de la liberté, c’est-à-dire une non-conformité à l’article 6 de la Convention qui pose le principe du droit au procès équitable.

Dans ses arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation a confirmé la non-conventionalité du régime actuel de la garde à vue en vertu de l’article 6 de la Convention. Cependant, Cour de cassation et Conseil constitutionnel ont décidé de suspendre les effets de la décision jusqu’au 1er juillet 2011, dans le dessein de sauvegarder la sécurité juridique, principe nécessairement inhérent au droit de la Convention européenne des droits de l’homme, et en fonction de l’objectif de valeur constitutionnelle de la bonne administration de la justice.

À mon sens, les apports du projet de loi sont de nature à lever la non-conventionalité du régime de la garde à vue au regard des dispositions de l’article 6 de la Convention et du droit à un procès équitable. L’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 pose le principe qu’une garde à vue de courte durée, contrôlée par le seul parquet, est parfaitement compatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette solution est, par ailleurs, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cet arrêt précise aussi clairement que le ministère public n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’homme parce qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu’il est une partie poursuivante. Cet attendu introduit un élément de fragilité dans notre texte, source de censure future par la jurisprudence européenne.

Je voudrais pourtant souligner ici que, dans notre système français de contrôle de la garde à vue, le parquet, s’il n’est pas indépendant de l’exécutif au sens de la Convention, est indépendant des enquêteurs. De plus, le parquet est saisi dès la première minute de la garde de vue, contrairement à d’autres systèmes où, si le contrôle dans un délai raisonnable est confié à un juge du siège, la première partie de la garde à vue est laissée à l’initiative et à la discrétion des enquêteurs. Les mesures prises par le parquet au cours de la garde à vue font l’objet d’instructions écrites et motivées soumises au contrôle du juge, certes a posteriori, mais avec des conséquences sur la validité de toute la procédure.

La particularité de notre système du parquet « à la française » tient au fait que, magistrat et membre de l’autorité judiciaire, le procureur est le premier intervenant dans le domaine des libertés individuelles au cours de l’enquête initiale, le garant de l’efficacité de l’enquête et des libertés individuelles. À l’issue d’une durée de quarante-huit heures au maximum, il lui appartient soit de mettre un terme aux restrictions de liberté, soit de saisir un magistrat du siège.

Par conséquent, je suis d’avis qu’il convient de saluer ces avancées, mais aussi de mettre un terme à la fragilité inhérente à notre texte, liée au statut du parquet, même si nous ne pouvons pas y répondre ici, ce statut relevant d’une loi constitutionnelle. Ceux qui nous disent qu’il faut réformer en six mois l’ensemble de la procédure pénale se trompent. Soyons clairs : en maintenant la situation actuelle, les pouvoirs du parquet seront peu à peu amputés au fil des décisions de la jurisprudence que nul ne pourra maîtriser. Or les missions du parquet ont beaucoup évolué ces dernières années, interférant même, au gré des réformes, sur les prérogatives du juge.

Le parquet est chargé de la protection des personnes vulnérables. Il est compétent en matière de comparution sur reconnaissance de culpabilité, de composition pénale, d’ordonnance pénale et d’alternatives aux poursuites. Il est donc un élément fondamental de notre système judiciaire et de la mise en œuvre de notre politique pénale. Il serait regrettable et dommageable que, en ce qui concerne son statut, nous soyons contraints d’envisager une régularisation législative d’ordre constitutionnel. Nous nous devons d’anticiper et de résoudre la question de l’évolution du statut du parquet qui demeure posée depuis la loi constitutionnelle du 18 novembre 1998, votée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais jamais soumise à l’approbation du Congrès. Il nous appartient de défendre, de promouvoir et de stabiliser notre conception de l’organisation judiciaire et, ainsi, de rassurer les magistrats du parquet sur leur fonction, leur mission au service de la loi et de l’intérêt des justiciables. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bodin.

M. Claude Bodin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’évolution des jurisprudences en matière de garde à vue nous impose aujourd’hui de légiférer dans l’urgence. Est-ce une bonne chose ? Je ne le pense pas. L’encadrement de la garde à vue se révèle en effet aujourd’hui insuffisant au regard de ce que sont devenus, en 2010, les standards constitutionnels et européens.

Le régime français de la garde à vue a ainsi été récemment déclaré contraire à la Constitution, par une décision rendue le 30 juillet 2010 par le Conseil constitutionnel, et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, puis dénoncé par trois arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus le 19 octobre 2010. Cette décision et ces arrêts imposent à la représentation nationale de procéder à la réforme de la garde à vue avant le 1er juillet 2011. Nous sommes donc dans le cadre d’une réforme contrainte, car le Parlement se voit signifier un ultimatum : il lui faut légiférer en urgence dans un domaine qui représente un enjeu fondamental en termes de libertés publiques et de sécurité. Il aurait été bien préférable que le régime juridique de la garde à vue « à la française », qui distingue la garde à vue de droit commun de procédures dérogatoires, soit révisé dans le cadre d’une réforme globale de la procédure pénale. Influencés par le droit anglo-saxon, nous voici donc contraints de plaquer sur la procédure inquisitoriale qui s’applique en France des mécanismes de protection des libertés adaptés à une procédure accusatoire, ce qui soulève de grandes difficultés.

L’enjeu de la réforme consiste à concilier trois objectifs majeurs : la protection des droits des personnes mises en cause, la préservation de l’efficacité de la police et de la justice contre la délinquance et la garantie des droits des victimes.

Le risque politique essentiel, qui se profile à travers ce projet de loi, est la mise en place d’une réglementation si contraignante qu’elle compromettrait l’efficacité de la police et de la gendarmerie, ce qui enverrait un signal désastreux tant aux Français qui demandent chaque jour plus de sécurité, qu’aux forces de l’ordre qu’il ne faut pas décourager. Je considère donc cette réforme dangereuse, car elle ne peut qu’entraver le travail d’investigation des policiers. La garde à vue est un moment décisif de l’enquête. Il y a d’ailleurs une corrélation frappante entre l’augmentation du nombre de gardes à vue et celle du taux d’élucidation des faits délictueux. Ainsi, entre 2002 et 2009, le nombre de gardes à vue a augmenté de 45 % dans l’agglomération parisienne et – que vous le vouliez ou non, madame Batho, car les chiffres sont têtus – le taux d’élucidation des faits de violence contre les personnes a crû de 51 %.

La présence de l’avocat tout au long de la procédure risque de freiner, voire de pénaliser certaines enquêtes dans les affaires dites complexes, là où l’enquête est accélérée lors de la garde à vue avec le recueil d’éléments de preuve. Ce sera le cas, par exemple, pour les affaires de trafic de stupéfiants, de criminalité organisée ou de terrorisme, dans lesquelles l’isolement des protagonistes est une condition sine qua non de réussite de l’enquête. On ne peut pas demander aux policiers et aux gendarmes toujours davantage d’implication dans le combat contre la délinquance si, dans le même temps, de nouvelles règles viennent asphyxier leur travail.

Monsieur le garde des sceaux, je suis choqué par le climat de suspicion, de défiance, et par les procès d’intention, malheureusement trop répandus, sur les méthodes d’enquête des policiers.

M. Michel Vaxès. Ce n’est pas fini !

M. Claude Bodin. De plus, je suis en profond désaccord avec l’amendement voté en commission des lois et qui consiste à transférer au juge de la liberté et de la détention le contrôle de la garde à vue, cher collègue Goasguen !

M. Claude Goasguen. Je m’en doutais un peu !

M. Claude Bodin. Cet amendement introduit une grave confusion entre la phase d’enquête et la phase juridictionnelle, qui va bien au-delà des exigences posées par la CEDH et la Cour de cassation. Il conduirait, s’il était confirmé à l’issue du débat qui s’ouvre, à une paralysie totale des enquêtes et, à terme, à une véritable impunité pour les auteurs et complices de crimes et de délits. Il est donc très lourd de conséquences en termes de sécurité et de justice pour nos concitoyens. Il est indispensable, monsieur le garde des sceaux, de rectifier cette regrettable erreur.

Mes chers collègues, cette réforme est non seulement contrainte, dangereuse, mais elle est aussi coûteuse. En effet, elle entraînera d’importants travaux d’aménagement des locaux de police et de gendarmerie, et une hausse substantielle du budget de l’aide juridictionnelle. Il faudra par ailleurs prévoir les crédits nécessaires à l’installation de la visioconférence dans les commissariats et les gendarmeries. Son impact financier est estimé à plus de 75 millions d’euros.

M. Philippe Houillon. Non !

M. Claude Bodin. En cette période de rigueur budgétaire, il serait bien plus opportun et vertueux d’utiliser cet argent public pour rénover les nombreux commissariats de nos banlieues qui présentent trop souvent un aspect lépreux.

La préservation de la sécurité de nos concitoyens devrait imposer au législateur de mettre en place un régime de garde à vue qui, tout en respectant mieux la présomption d’innocence, ne désarmerait pas les forces de l’ordre pour lutter contre la délinquance. À l’évidence, ce texte ne répond pas à cette exigence.

En conclusion, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous l’aurez compris, si les amendements présentés par nos collèges Éric Ciotti et Jean-Paul Garraud, auxquels je souscris et qui améliorent très nettement ce texte, sont rejetés, je ne voterai pas cette réforme contrainte, dangereuse et coûteuse qui lève de grandes craintes pour l’avenir de la sécurité publique de notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet que nous allons examiner constitue une véritable avancée, qui est positive dans la mesure où l’on a trouvé un juste équilibre entre les droits de la défense et la prise en considération de la victime.

La réforme de la garde à vue a été le feuilleton de l’année 2010 en matière judiciaire, avec ses multiples rebondissements, la teneur du texte étant modifiée au gré des décisions successives des grandes cours. Modestement, je croyais que c’était encore au législateur de faire le droit !

Pour autant, il ne s’agit pas de verser dans la précipitation et l’anticipation systématique. L’urgence n’est pas la solution : elle l’est d’autant moins que ce chantier vaut la peine d’être considéré dans son intégralité.

Dès le mois de mars 2010, l’objectif était simple, il fallait baisser le nombre de gardes à vue, qui augmentait de façon exponentielle, signe d’une carence dans notre système judiciaire. Alors que, en 2009, il y a eu presque 800 000 gardes à vue, la chancellerie souhaitait retenir comme hypothèse le nombre de 500 000.

Les objectifs de la réforme ont évolué avec la jurisprudence, mais l’urgence a été déclarée par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 imposant une réforme au 1er juillet, contrainte calendaire qui sera reprise par les autres cours.

Alors que l’on s’éloigne de l’objectif initial de baisser le nombre de gardes à vue, le texte place désormais au premier plan le renforcement des droits des personnes mises en cause, la préservation des capacités d’enquête des forces de l’ordre et le respect des droits des victimes.

Cette réforme constitue un progrès incontestable pour nos concitoyens, mais elle devra faire face à de nombreuses contraintes, la disponibilité des avocats et le financement de la réforme étant des questions centrales. C’est peut-être très terre à terre, mais c’est ce dont parlait également l’orateur qui m’a précédée.

Les avocats arriveront-ils à assurer une présence sur tout le territoire et dans les meilleurs délais ?

Nous nous félicitons de l’adoption par la commission de l’amendement prévoyant un délai de carence de deux heures. Cette évolution du texte va dans le bon sens, car elle évacue les craintes formulées par les OPJ. Cela évitera que les auditions ne soient bloquées par des contraintes géographiques ou l’organisation des barreaux.

La question des magistrats en charge du contrôle et de la prolongation des gardes à vue est également soulevée et sujette à interrogations multiples. Seront-ils assez nombreux pour assumer les nouvelles fonctions qui leur incombent ? La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que le contrôle doit être effectif, ce qui nécessiterait de renforcer les permanences la nuit et les week-ends. Est-ce envisageable en l’état, techniquement, matériellement, humainement ?

Mes chers collègues, j’espère que ce texte sera examiné avec intelligence et dans l’intérêt de tous. Pour cela, j’appelle votre intention sur les dérives interprétatives qui ont été proposées à la suite de l’arrêt Moulin et ont conduit à placer la garde à vue sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, alors même que le contrôle exercé actuellement par le procureur est reconnu par le Conseil constitutionnel depuis 1993 et a été confirmé par une décision de la Cour de cassation le 15 décembre 2010.

La garde à vue n’est pas une procédure judiciaire, c’est une procédure d’enquête. Il faut dissocier la gestion et le contrôle et refuser une direction bicéphale de l’enquête. Cela ne peut qu’entraîner une complexité matérielle. Dans les faits, cela ne fera qu’alourdir les procédures et gêner le travail des OPJ.

Il faut une unité de direction. On ne peut pas avoir trois parties, policiers, magistrats du parquet et du siège.

Outre les contraintes en matière de ressources humaines, pour appliquer cette réforme dans les meilleures conditions, la question du financement est également à prendre en considération. Il faudra adapter les locaux de la police et de la gendarmerie, et financer la croissance inévitable des demandes d’aide juridictionnelle.

Selon l’étude d’impact présentée dans le projet de loi, la réforme nous coûtera environ 100 millions d’euros : l’aménagement des locaux de garde à vue, permettant d’équiper la police et la gendarmerie de salles réservées aux avocats, est évalué à 21,48 millions d’euros, l’aménagement de salles équipées pour la visioconférence à 27 millions d’euros et, pour le financement de l’aide juridictionnelle, il faut entre 44,5 et 65,8 millions d’euros.

Sur le fond, le texte reste perfectible, et c’est à ce titre que, avec nombre de mes collègues, et notamment Philippe Goujon, nous nous sommes permis d’appuyer certains points.

Les rôles des officiers de police judiciaire et des avocats dans la procédure de garde à vue doivent être bien définis. Parce que les taux d’élucidation sont toujours plus élevés, nous devons conserver cette dynamique et laisser aux OPJ l’exercice de la police de l’audition, tout en laissant à l’avocat la possibilité d’assister son client. C’est pourquoi nous proposons que l’avocat puisse intervenir à la fin de l’audition pour y présenter, dans un délai limité, des observations orales.

En ce qui concerne les droits de la victime, il nous paraît essentiel que cette dernière soit expressément informée de son droit à un avocat. Ce droit ne doit pas être considéré comme une simple éventualité, il doit lui être notifié, dans un souci d’égalité et de sécurité juridique.

Je voterai ce texte parce qu’il renforce les droits de tous les citoyens, mis en cause et victimes, mais je ne peux m’empêcher de déplorer qu’il ait été élaboré dans l’urgence, alors qu’une réforme en profondeur de la procédure pénale est indispensable pour une mise en conformité totale de notre système judiciaire avec les exigences du droit et le respect de nos valeurs démocratiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je remercie tous ceux d’entre vous qui ont participé à cette discussion générale, riche, passionnante, et qui a bien montré l’intérêt du texte sur lequel nous sommes appelés à débattre. Vous avez été nombreux à intervenir, mais sur des sujets souvent proches, ce qui me permettra de regrouper mes réponses.

Je voudrais tout d’abord répondre à une critique récurrente. On nous reproche de nous y prendre trop tard, d’être acculés à demander au Parlement de délibérer ; nous aurions dû conduire une grande réforme du code de procédure pénale. Cela n’est pas faux. Cependant, plusieurs députés ici présents savent que, par le biais de groupes de travail et de réflexion, la réforme de l’ensemble du code est en cours. Si nous avions mis aujourd’hui en discussion tout ce travail de réflexion, il aurait été impossible de parvenir au bout du débat dans les délais qui nous sont imposés, notamment par le Conseil constitutionnel.

On me répliquera que nous aurions dû nous y prendre plus tôt. À cet égard, M. Goasguen a raison de souligner que les gouvernements de droite comme de gauche peuvent chacun faire le ménage chez soi, car il y a bien longtemps que la Cour de Strasbourg a rendu ses premiers arrêts sur la garde à vue et l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme : le premier remonte à 1996… La loi de 2000, qui est une bonne loi, que je ne mets pas en cause, aurait pu traiter la question ; mais le législateur de l’époque, pour de multiples raisons, ne l’a pas fait.

Aujourd’hui, nous sommes réunis pour prendre en considération la jurisprudence tout à la fois de la Cour de Strasbourg, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Nous avons tout intérêt, me semble-t-il, à aborder ce texte avec calme, sérénité et détermination,…

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est seulement de cette façon que nous ferons du bon travail. Je sais parfaitement que nous arrivons à la fin d’une législature et que d’autres intérêts peuvent légitimement devoir être défendus ; mais nous avons aussi besoin que ce texte, même s’il ne peut être approuvé de tous, soit au moins reçu par tous. C’est essentiel.

Je pourrais également rappeler l’intention d’agir de longue date du Gouvernement et du Président de la République. Le 13 octobre 2008, le Président de la République demandait au comité Léger de réfléchir sur la réforme d’ensemble de la procédure pénale. Dans son discours devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009, il déclarait : « Parce que les avocats sont des auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Elle est une garantie pour leurs clients mais elle l’est aussi pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. » Qui peut ne pas être d’accord avec ce propos ?

M. Michel Hunault. Nous sommes d’accord !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Personne ! Surtout si je ne donne pas le nom de l’auteur ! (Sourires.) Eh bien, c’est ce que nous sommes en train d’essayer de faire, ni plus ni moins, et c’est à ce travail que je souhaite convier tous les membres de l’Assemblée nationale.

Plusieurs d’entre vous m’ont demandé de confirmer que nous ne réintroduirions pas l’idée d’audition libre par voie d’amendement. Je le confirme : je n’ai pas déposé d’amendement qui irait dans ce sens.

J’ai beaucoup apprécié les propos de Dominique Perben et Élisabeth Guigou sur le sujet. Mme Guigou a raison de rappeler qu’actuellement, si certains sont placés en garde en vue, d’autres sont simplement entendus. Nous maintiendrons cette distinction : les uns, en raison des nécessités de l’enquête, continueront d’être entendus en garde à vue, les autres seront entendus sans garde à vue.

La question du contrôle de la garde à vue a été abordée par de nombreux orateurs. Je tiens à rappeler que la garde à vue n’est pas le procès. On peut tourner les choses comme l’on voudra…

M. Claude Goasguen. Nous allons les tourner ! (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous fais confiance là-dessus, monsieur Goasguen ! (Sourires.)

Néanmoins, si la Convention de sauvegarde des droits de l’homme comporte deux articles sur le sujet, c’est bien qu’il existe deux cas différents. L’article 5 porte sur l’enquête et les privations de liberté lors de l’enquête ; l’article 6, sur le procès, devant un juge qui doit présenter des garanties d’impartialité et d’indépendance. Cette distinction est reprise par la Cour de cassation, notamment dans le tout dernier arrêt de sa chambre criminelle, rendu le 15 décembre 2010.

S’agissant de la privation de liberté dans le cadre de l’enquête – article 5, paragraphe 3, de la Convention –, tous les arrêts de la Cour de Strasbourg comme de la Cour de cassation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel, demandent que la personne gardée à vue soit présentée à un juge dans un délai « prompt » – c’est le terme qui ressort des diverses traductions des arrêts de la Cour de Strasbourg, ainsi que des conclusions de l’avocat général Marc Robert dans l’arrêt du 15 décembre 2010.

Au fil de l’évolution de sa jurisprudence, la Cour de Strasbourg a assimilé magistrat et juge, exigeant de l’autorité judiciaire contrôlant la garde à vue d’être indépendante de l’exécutif et impartiale vis-à-vis des parties poursuivantes.

M. Claude Goasguen. Tout est dit !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. La même cour a jugé, par tous les arrêts que j’ai rappelés l’autre jour, que l’autorité devait prendre sa décision in concreto, en tenant compte des faits de chaque espèce…

M. Claude Goasguen. C’est pour cela qu’il ne faut pas généraliser !

M. le président. Monsieur Goasguen, seul M. le garde des sceaux a la parole !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’accepte volontiers d’être interrompu, monsieur le président, dès lors qu’il s’agit de faire avancer les explications.

M. Claude Goasguen. Voilà un ministre libéral !

M. le président. Laissez-moi présider, monsieur le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il est vrai, monsieur Goasguen, qu’il n’existe pas dans notre droit d’arrêt de règlement. Toutefois, les arrêts pris les uns après les autres créent une jurisprudence. C’est la répétition, avec l’intention de dire le droit, qui crée la jurisprudence et en fait une source du droit. J’ai donc repris l’ensemble des arrêts cités, en remarquant que tous fixent un délai de présentation au juge de la personne gardée à vue dans un délai variant de trois à quatre jours.

Sur ce qui précède ce délai, la Cour de Strasbourg rappelle qu’elle n’a pas à intervenir. L’arrêt Moulin, cité par M. Blessig qui considère que l’ensemble est fragilisé compte tenu du statut du parquet, indique, dans son considérant 27 : « La Cour n’ignore pas que le lien de dépendance effective entre le ministre de la justice et le ministère public fait l’objet d’un débat au plan interne. Toutefois, il ne lui appartient pas de prendre position dans ce débat qui relève des autorités nationales. » Tenons-nous en à cela. En permettant au procureur d’être présent dès le début, d’être le magistrat qui dirigera et contrôlera dans les quarante-huit premières heures la garde à vue, nous sommes dans le droit tel qu’il est établi par la Cour de Strasbourg et confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt de décembre 2010. Il n’y a rien d’autre dans le projet du Gouvernement.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à tous en vertu de l’article 62 de la Constitution, a expressément rappelé que l’article 66, alinéa 2, de cette même Constitution dispose que l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, et que cette autorité judiciaire comprend les magistrats du siège et ceux du parquet.

M. Philippe Houillon. Certes…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, monsieur Houillon : nous sommes en France, pays de liberté. Mais ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel s’impose à nous. Vous pouvez le critiquer autant que vous voulez, mais c’est le droit.

M. Philippe Houillon. Je ne critique pas !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le système que nous mettons en place est clair : nous appliquons intégralement la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation ; autrement dit, nous mettons en place tout le contrôle conventionnel et constitutionnel sur la garde à vue dans les quarante-huit premières heures.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je souhaitais redire sur le contrôle de la garde à vue, en précisant pourquoi nous n’avons pu aller plus vite ni déposé un texte reprenant la totalité du code de procédure pénale ; c’eût été un énorme chantier qui ne pouvait être conclu en quelques mois.

En ce qui concerne le contenu de la garde à vue lui-même, deux questions essentielles ont été posées : celle de la présence de l’avocat et celle des moyens nécessaires sans lesquels cette réforme n’aurait pas de sens.

S’agissant de la présence de l’avocat, il ne s’agit pas pour le Gouvernement de finasser : l’avocat sera là, point final. Il sera là dès le début de la garde à vue, et il n’y assistera pas en spectateur muet. L’idée qu’un avocat pourrait rester muet ne peut venir qu’à ceux qui n’en ont jamais vu de leur vie ! (Rires sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Noël Mamère. Encore faut-il qu’il ait accès au dossier !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’avocat sera au service de son client et de la vérité, comme toujours.

Je répète donc qu’il ne faut pas entrer à reculons dans cette réforme, mais avec volonté et détermination parce que c’est une bonne réforme. Je veux le répéter à ceux qui peuvent légitimement avoir des craintes, notamment aux officiers de police judiciaire, qu’ils soient policiers ou gendarmes : comme M. Perben, Mme Guigou et d’autres l’ont très bien dit, le fait qu’un avocat soit présent auprès d’une personne entendue dans le cadre de la garde à vue et soupçonnée d’avoir commis telle ou telle infraction, va changer les choses. L’officier de police continuera de mener son interrogatoire : c’est son rôle, nous ne changeons rien sur ce point.

Il doit pouvoir mener son enquête, mais celle-ci comme son résultat seront confortés par la présence de l’avocat. Que l’avocat défende son client, c’est nécessaire. Si, au bout de la garde à vue, le procès-verbal récapitulatif démontre que la personne sur laquelle pesaient des soupçons doit être déférée à la justice, il est bien évident que le résultat de ces interrogatoires aura une valeur bien supérieure à celui qu’il pouvait avoir jusqu’alors, justement parce que l’avocat aura été présent. C’est ainsi qu’il faut voir les choses ; Dominique Perben l’a naturellement mieux dit que je ne le fais cet après-midi, mais c’est une des dimensions essentielles du texte. C’est en tout cas ainsi qu’il faut le comprendre – sinon ce serait un grave échec pour nous tous.

Il y aura donc un avocat présent lors de la garde à vue, le directeur de l’enquête restant l’officier de police judiciaire. Le défenseur pourra poser des questions, faire des observations, accéder aux procès-verbaux ; bref, il fera son métier. Naturellement, chaque fois qu’il y aura une confrontation, la victime elle aussi pourra être assistée d’un avocat, en application tout simplement du principe de l’égalité entre les parties. Je suis sûr que tous ceux qui soutiennent la présence des avocats sont également soucieux de respecter ce principe ; ou alors, cela ne marcherait pas…

Venons-en à la question des moyens. Cette réforme va coûter, et coûter cher, c’est évident. Ne pas le reconnaître ou ne pas le dire serait mentir. Nous allons devoir travailler avec les avocats pour négocier avec eux les systèmes et les modalités de rémunération. La question est simple : doit-on les payer simplement à l’acte, ou faut-il qu’une partie de la rémunération soit versée au barreau pour leurs frais d’organisation, et l’autre partie payée à l’acte ? Nous avons déjà entamé des discussions sur ce sujet avec les représentants des avocats et nous les intensifierons dans les jours qui viennent, après la première lecture devant l’Assemblée nationale. Mais si une réserve est d’ores et déjà prévue dans le budget pour financer la partie concernée de l’année 2011, il faudra trouver des ressources budgétaires pérennes à partir de 2012 pour assurer le bon fonctionnement de cette réforme, que l’on ne peut imaginer sans financement clairement défini. Cette question devra être traitée dans le cadre de la prochaine loi de finances, comme le prévoit la LOLF.

Restent quelques points de détail. Le Gouvernement croit indispensable de prévoir des régimes dérogatoires. On ne peut pas rester désarmé face à certains types de criminalité, notamment la grande criminalité, les stupéfiants, le terrorisme ; il faut donc prévoir des régimes spéciaux. C’est une nécessité, MM. Gosselin, Ciotti, Estrosi et Bodin l’ont rappelé. Nous étions arrivés à un bon équilibre avec les lois Perben ; il nous appartiendra de le préserver dans ce texte, tout en nous appuyant sur les modifications exigées par la jurisprudence tant de la Cour de cassation que de la Cour européenne des droits de l’homme.

Beaucoup de choses ont été dites sur les causes de l’augmentation du nombre des gardes à vue. Pour certains, ce serait uniquement lié à une certaine façon de travailler des services de police et de justice ; pour d’autres, ce serait à cause de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui exige de mettre en garde à vue toute personne sur laquelle pèsent un certain nombre de soupçons afin qu’elle puisse bénéficier des droits accordés dans le cadre de la garde à vue. C’est là une discussion certes extrêmement intéressante, mais finalement un peu vaine dans la mesure où il s’agit de changer le régime de la garde à vue. On peut évidemment faire de l’histoire du droit, et je m’incline bien volontiers devant la science de M. Goasguen dans ce domaine…

M. Claude Goasguen. Vous avez raison, monsieur le garde des sceaux !

M. Dominique Raimbourg. Ne vous inclinez pas trop, restez debout ! (Sourires)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si M. Raimbourg voulait m’apporter un soutien plus vif et plus constant, j’aurais moins besoin de m’incliner. (Rires)

M. Dominique Raimbourg. C’est un appel ! Protégeons-le de M. Goasguen !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. En cherchant bien dans le passé, nous trouverons toujours matière à nous accuser les uns les autres. Mais ce n’est pas le sujet : il s’agit de bâtir un nouveau régime de garde à vue conforme au droit conventionnel et au droit constitutionnel, et dont nous puissions tous être fiers.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. En dépit des invectives.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis pour ma part totalement étranger à toute idée de polémique là-dessus. C’est un sujet suffisamment grave et sérieux. Nous devons bâtir un nouvel équilibre entre deux exigences fondamentales à valeur constitutionnelle : une exigence de sûreté, de sécurité des biens et des personnes, et une exigence de sauvegarde de droits essentiels tels que la liberté de la défense, le respect et la dignité de la personne. Il est possible de discuter à quel niveau on souhaite établir l’équilibre ; reste que la définition et la construction de cet équilibre nouveau au regard des évolutions du droit, c’est, pour le Parlement et le Gouvernement, une tâche passionnante…

M. Manuel Valls. Vous avez raison.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis heureux de voir que M. Valls est de mon avis…

M. Manuel Valls. Ne creusons pas trop !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Au moins sur ce point ! Il faut savoir se contenter de ce que l’on peut avoir…

Le Gouvernement va donc essayer, tout au long de ce débat, de montrer qu’il est ouvert à la discussion avec les députés. Nous avons énormément travaillé avec la commission. Nous n’étions pas forcément d’accord sur tout au départ, il y a eu des discussions ; nous arrivons dans une phase où les accords doivent se concrétiser et nous allons naturellement écouter ce que la commission veut nous dire sur certains points. Nous ferons valoir nos propres arguments, mais je souhaite véritablement que, même si tout le monde ne peut pas voter pour, nous puissions travailler ensemble à l’édification de règles nouvelles qui pourront être partagées pour longtemps par l’ensemble des Français, parce qu’elles seront conformes à une exigence qui nous dépasse.

Mesdames, messieurs les députés, nous sommes maintenant prêts à entrer dans le vif du sujet et à discuter article par article du texte que la commission des lois a bien voulu établir, conformément à la réforme constitutionnelle, et sur lequel le Gouvernement donnera son avis si nécessaire.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Avant l’article 1er

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 20, portant article additionnel avant l’article 1er, qui fait l’objet d’un sous-amendement n° 233.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour défendre l’amendement n° 20.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement, qui trouve sa source dans la jurisprudence de la CEDH, pose un principe simple : on ne peut pas incriminer une personne sur la seule base de déclarations faites hors de la présence d’un avocat. C’est ce qui ressort de l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008, dans lequel la Cour a jugé « qu’il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes aux droits de la défense faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ». Le Gouvernement vous demande de bien vouloir accepter cet amendement qui, en posant ce principe de base, renforce le rôle de l’avocat dans la garde à vue.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, sur le sous-amendement n° 233.

M. Michel Vaxès. Notre sous-amendement est également de principe, monsieur le garde des sceaux. Je propose de rédiger comme suit la fin de l’amendement n° 20 « sur le fondement – et non plus le “seul fondement” – de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu être assistée par un avocat. »

La formulation proposée par le Gouvernement n’est pas strictement conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et notamment au texte de l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008. En fait, si le Gouvernement a pris soin de déposer cet amendement, qui semble aller dans le sens de la protection des droits de la défense, c’est parce qu’il entend réintroduire, par le biais d’un article additionnel après l’article 11, de larges possibilités d’audition sans avocat ; et comme il vous faut rester dans les clous du droit européen, vous tenez à signaler que la personne mise en cause ne peut s’incriminer elle-même. Dans un arrêt d’octobre 2010, la Cour rappelle que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. » Or, dans votre amendement portant article additionnel après l’article 11, vous réintroduisez les possibilités d’audition sans avocat, dès lors que la personne suspectée n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs.

Une telle disposition pose de lourds problèmes et la discussion sur ce point pourra déterminer le vote de mon groupe sur l’ensemble du projet de loi.

En premier lieu, pouvez-vous préciser quelle sera la forme de cette procédure nouvelle qui s’apparente à l’audition libre ?

M. Claude Goasguen. Eh oui !

M. Michel Vaxès. La personne mise en cause aura-t-elle la possibilité ou non d’être assistée d’un avocat ? Quelle est la durée maximale de cette audition ? Quelles sont les garanties en termes de respect de la dignité de la personne suspectée ?

Dans un cas de ce genre, où la personne suspectée n’est pas obligée de rester dans les locaux de la police, le minimum est bien de lui signifier ce droit. Ce qui n’est pas prévu dans le texte de votre amendement portant article additionnel après l’article 11.

La personne sera-t-elle informée de son droit de quitter les locaux à tout moment ? Quelles garanties lui sont apportées pour que ce droit puisse être effectivement et librement exercé ? Qu’est-ce qui empêchera les policiers de prolonger cette audition, éventuellement en menaçant de prononcer la mesure de garde à vue si la personne veut s’en aller sans répondre à des questions ?

Je voudrais citer ici un avis très récent de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, organisme gouvernemental, à propos des présentes dispositions : « Le régime de l’audition hors garde à vue tel qu’envisagé dans le projet de loi ne répond pas aux exigences du procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne. Le projet de loi doit prévoir des garanties au premier rang desquelles figure la notification de sa liberté d’aller et venir, qui implique le droit de mettre fin à tout moment à l’audition, du droit au silence, mais aussi de celui de téléphoner à un proche ainsi qu’à son employeur. De même, la personne doit pouvoir, si elle le souhaite, être entendue assistée d’un avocat. La Cour européenne estime qu’aucune déclaration auto-incriminante effectuée en l’absence de l’avocat ne peut servir de base au prononcé d’une condamnation. Or, il peut exister des “raisons plausibles de soupçonner que la personne [entendue sous ce régime hors garde à vue] a commis ou tenté de commettre une infraction”. Ainsi les informations recueillies pourront servir à alimenter des soupçons déjà existants. À partir du moment où des charges pèsent sur une personne, et afin d’éviter des annulations de procédure par les juridictions nationales et une nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, cette personne doit pouvoir exercer pleinement les droits de la défense. »

Autant de questions sur lesquelles nous aimerions obtenir des réponses précises.

L’adoption de l’amendement du Gouvernement poserait de sérieux problèmes. Notre sous-amendement propose une formulation, plus proche des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme rappelées dans différents arrêts récents.

En tout état de cause, il importe, pour tous ceux qui sont hostiles à l’audition libre, de repousser, lorsqu’il nous sera soumis, l’amendement du Gouvernement portant article additionnel à l’article 11 si rien ne change d’ici là : il reviendrait à introduire l’audition prétendument « libre » en dépit de vos déclarations solennelles devant la représentation nationale, monsieur le garde des sceaux, selon lesquelles le Gouvernement ne reviendrait pas sur la question de l’audition libre.

J’ai donc pris prétexte de la discussion de l’amendement 20 portant article additionnel avant l’article 1er, et de la présentation de notre sous-amendement n° 233, pour vous demander ces précisions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 20 et le sous-amendement n° 233 ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. L’amendement n° 20 me paraît très intéressant. Il s’articule avec l’ensemble du texte ; en posant le principe de l’interdiction de s’auto-accuser, il est conforme à l’arrêt Salduz du 27 novembre 2008. Le fait de l’avoir placé symboliquement avant l’article 1er témoigne du souci de respecter les droits de la défense. Cela dit, il va de soi que des aveux étayés par des preuves ou des indices matériels peuvent fonder une condamnation : nous ne parlons ici que des seules déclarations. La commission a donc émis un avis favorable.

La commission n’a pas examiné le sous-amendement n° 233. Mais par cohérence avec les propos que je viens de tenir, j’y suis à titre personnel défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 233 ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Vaxès, si vous le permettez, je répondrai sur cet article additionnel après l’article 11 au moment où nous l’examinerons, afin de respecter l’ordre des articles venant en discussion. Je vous remercie cependant de nous avoir fait connaître votre position.

Votre sous-amendement n° 233, en prévoyant qu’aucune déclaration ne peut être prononcée contre une personne sur le fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu être assistée par un avocat, même s’il existe d’autres éléments de preuves, me semble poser certains problèmes de principe – j’en vois en tout cas un. Plusieurs d’intervenants ont, dans la discussion générale, insisté sur la nécessité passer d’une culture juridique de l’aveu à une culture juridique de la preuve. Et cela ne date pas d’aujourd’hui : si l’on s’évertue à développer la police scientifique et technique, c’est bien pour passer à une autre culture.

Honnêtement, si l’on a des preuves matérielles, on ne peut les rejeter au motif que le prévenu n’était pas assisté d’un avocat au moment où il a fait ses déclarations : ce serait mettre à bas tous les efforts accomplis pour ériger la preuve comme moyen d’incrimination dans le domaine pénal. Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n° 233.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, avec votre amendement n° 20, nous entrons dans le vif du sujet. Il est intéressant de commencer par la discussion d’un amendement de cette importance, et je ne peux qu’être favorable à l’objectif poursuivi.

Cela dit, je m’interroge sur deux points de l’exposé sommaire, et je veux à ce propos saluer la qualité de l’intervention de M. Vaxès. « En revanche, une condamnation peut bien évidemment être prononcée dès lors qu’il existe d’autres éléments de preuve, ou lorsque la personne, alors qu’elle en avait la possibilité, n’a pas souhaité être assistée d’un avocat », écrivez-vous. Était-elle ou non assistée par un avocat ? Si l’avocat est absent, est-ce parce qu’il n’a pu venir ? La personne entendue a-t-elle été bien été informée de ses droits ? A-t-elle répondu en toute connaissance de cause ? J’aimerais entendre le Gouvernement en réponse à cette interrogation.

Je lis maintenant, toujours dans votre exposé sommaire, au cinquième paragraphe : « L’inscription solennelle de cette règle dans notre code rend totalement cohérente la position du Gouvernement, au regard du nécessaire équilibre de notre procédure, qui souhaite le rétablissement dans le projet de dispositions encadrant l’audition d’un suspect hors garde à vue, sans prévoir sans assistance par avocat ». Je me suis posé les mêmes questions que M. Vaxès : sommes-nous d’accord sur le fait qu’il ne s’agit pas de rétablir l’audition libre, que vous avez solennellement exclue tout à l’heure ?

Comprenez, monsieur le garde des sceaux, que le dépôt de votre amendement nous amène au cœur du projet. Sans doute avez-vous eu l’impression d’avoir été clair, mais permettez-moi de vous demander de bien vouloir nous préciser ces deux points. Je n’étais pas hostile au sous-amendement de précision de notre collègue Vaxès : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu être assistée par un avocat », qui a le mérite de préciser la position du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le garde des sceaux, je voudrais vous faire part de mes réticences concernant votre amendement ; je rejoins à cet égard les interrogations de MM. Vaxès et Hunault.

Si j’ai bien compris – mais peut-être n’est-ce pas le cas – nous sommes en présence d’une procédure où il y aura d’un côté, la garde à vue, obligatoire dès l’instant où il y a contrainte, et de l’autre une audition faite hors garde à vue, que l’on ne peut pas tout à fait appeler « audition libre » au risque de mélanger les choses : il s’agit d’entendre quelqu’un qui se sera présenté de lui-même au commissariat après avoir été convoqué : il s’expliquera à ce moment-là hors les garanties de la garde à vue.

Dès lors, le texte tel qu’il est rédigé me paraît présenter deux inconvénients.

Premièrement, il ne laisse plus la possibilité de ne pas s’auto-accuser : il interdit purement et simplement l’auto-accusation. Que se passera-t-il dans la pratique ? Nous verrons des délinquants non assistés d’un avocat, parce qu’il n’aura pas pu venir, se déclarer coupables, réitérer éventuellement leurs aveux devant le tribunal, mais qu’il sera interdit de condamner au motif que leurs aveux auront été faits hors la présence d’un avocat. Or les délinquants, aussi curieuse que cette formulation puisse paraître, ne sont pas tous malhonnêtes…

M. François Goulard. C’est tout de même paradoxal !

M. Dominique Raimbourg. Je veux dire que certains reconnaissent spontanément les faits. Il existe des hommes et des femmes qui, une fois le délit consommé, se comportent correctement tant devant les forces de police que devant les juges, et qui reconnaissent les faits sans difficulté. Or votre formulation nous met devant le paradoxe extraordinaire : l’impossibilité de condamner quelqu’un qui dirait : « Il faut me condamner parce que je suis coupable »… Ou alors, je ne comprends rien à rien !

Deuxième difficulté, votre amendement revient à officialiser un double régime : d’un côté le régime des gardés à vue, qui seront dès lors protégés par ce texte, et de l’autre le régime de ceux qui auront accepté de se présenter librement dans les commissariats et les gendarmeries pour s’expliquer tranquillement, et qui ne le seront pas !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Si, ils sont concernés par ce texte.

M. Dominique Raimbourg. Je vous renvoie à votre exposé des motifs : « Une condamnation peut bien évidemment être prononcée dès lors qu’il existe d’autres éléments de preuve ou lorsque la personne, dès lors qu’elle en avait la possibilité, n’a pas souhaité être assistée par un avocat ». J’ai du mal à comprendre l’articulation. Mais il est tout à fait possible que je l’aie mal saisie… J’aimerais donc avoir quelques éclaircissements avant que nous ne nous prononcions.

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Je voulais saluer l’initiative prise par le Gouvernement qui, par cet amendement, veut inscrire dans la loi les principes posés par l’arrêt Salduz, qui interdisent de fonder une condamnation sur une auto-incrimination faite sans l’assistance d’un avocat.

Le seul problème, c’est que l’arrêt Salduz interdit totalement l’auto-incrimination. Or l’amendement du Gouvernement souffre d’une erreur de rédaction que je crois involontaire : en employant les mots : « sur le seul fondement », il laisse entendre qu’après tout, si le prévenu avoue un peu, on pourra en tenir compte… un peu, à côté certes d’autres paramètres.

Nous avons donc intérêt à adopter le sous-amendement n° 233 dans la mesure où l’interdiction posée par l’arrêt Salduz est totale. Nous sortirons ainsi clairement de la crainte de voir se poursuivre la religion de l’aveu, faute de quoi nous continuerons à avoir des aveux qu’il suffira d’étayer avec d’autres éléments.

Plusieurs cas de figures peuvent se présenter : il peut s’agir d’une personne en dehors du régime de la garde à vue ou d’une personne pour laquelle le Procureur de la République aura différé pendant douze heures l’assistance d’un avocat. Dans la pratique, lorsqu’il y aura une auto-incrimination dans ce cadre-là, il faudra systématiquement, j’imagine, confirmer les déclarations avec l’assistance d’un avocat. C’est ainsi, me semble-t-il, que les choses devraient se passer.

À ce stade, je pense qu’il faut voter le sous-amendement pour être totalement en accord avec la jurisprudence de l’arrêt Salduz, comme le souhaite du reste le Gouvernement dans son propre exposé des motifs.

M. François Goulard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je voudrais répondre aux interrogations de M. Raimbourg : il n’y a aucune difficulté pour que cela puisse s’appliquer dans l’audition classique, hors garde à vue – que je ne qualifierai pas de « simple » ni de « libre » – à la suite d’une convocation. Nous sommes très clairs sur ce point.

En revanche, nous parlons bien des éléments obtenus sur le seul fondement des déclarations. Si un témoignage permet de dégager une matérialité, donc des preuves, il n’est pas question de les écarter. S’il existe des preuves, à quel titre les retirerait-on ? Reste qu’il ne pourra y avoir d’auto-incrimination sur le seul fondement d’une déclaration.

M. François Goulard. C’est la thèse du Gouvernement !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Ce principe est suffisamment clair pour ne pas poser de problèmes…

M. Claude Goasguen. Mais l’aveu est pris en compte.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. …d’autant que sa place au début du texte est symbolique.

M. Claude Goasguen. Vous réintroduisez la possibilité d’abus.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. C’est une avancée importante…

M. François Goulard. C’est plutôt un recul, ou alors vous avancez dans le mauvais sens !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. …et c’est ce qui a conduit la commission à adopter cet amendement. Pour ma part, je m’en tiens à cette position. Cela étant, le Gouvernement peut faire évoluer sa position compte tenu de la discussion qui vient d’avoir lieu.

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Nous avons été un peu surpris par cet amendement, monsieur le garde des sceaux. En fait, vous n’avez pas confiance dans ce texte. Craignant qu’il ne soit de nouveau montré du doigt, vous avez déposé cet amendement pour éviter une nouvelle condamnation de la CEDH ou d’une autre juridiction. Telle fut en tout cas ma première réaction, car je ne voyais pas du tout l’intérêt de votre amendement. Très honnêtement, je ne le comprends pas. Je ne connaissais pas l’arrêt Salduz.

M. Claude Goasguen. Il est très clair.

Mme Marylise Lebranchu. « Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes aux droits de la défense faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat… ». Pour moi, cet arrêt concerne la garde à vue.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Il n’y a pas de doute.

Mme Marylise Lebranchu. Pour notre part, nous nous interrogeons sur un autre cas de figure, celui d’un interrogatoire de police conduit sur une personne qui se présente volontairement, éventuellement à la suite d’une convocation – auquel cas l’expression « interrogatoire de police subi » n’est plus tout à fait juste – et sans se faire accompagner par un avocat. C’est alors qu’elle déclare sa culpabilité. Les cas de ce genre sont nombreux et les avocats en ont traité beaucoup. Après cet épisode, l’avocat est appelé et un autre interrogatoire est organisé.

Cependant, je ne comprends pas – j’espère avoir une réponse – pourquoi l’on me soutient qu’il s’agit d’un copier-coller de l’arrêt alors que celui-ci parle d’un interrogatoire subi sans assistance possible. De deux choses l’une : ou bien l’on accepte le sous-amendement, ou bien, monsieur le garde des sceaux, puisque vous souhaitez sécuriser le texte, vous complétez votre amendement en précisant : « dans le cadre d’une garde à vue, et en matière criminelle », etc. En tout état cause, la rédaction actuelle n’est pas satisfaisante.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Que les choses soient claires : j’ai déposé cet amendement sans arrière-pensée.

Mme Marylise Lebranchu. Non.

M. Claude Goasguen. Celui qui l’a écrit en avait peut-être une ! (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Permettez-moi de m’expliquer.

Cet amendement me semble important.

M. Claude Goasguen. Il l’est.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Selon l’arrêt Salduz, il n’y a pas de propos auto-incrimants. Une personne, qui n’a jamais eu affaire à la justice ou à la police, peut, n’étant pas un spécialiste en droit, se sentir perdue et se laisser aller à raconter un certain nombre de choses. Ces déclarations ne peuvent servir de base à une incrimination.

M. Claude Goasguen. Il n’y a pas d’accusation.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. En revanche, s’il existe des preuves matérielles, l’incrimination est possible.

Mme Marylise Lebranchu. Non.

M. Philippe Houillon. Je ne suis pas d’accord.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est la raison pour laquelle je suis contre le sous-amendement de M. Vaxès.

Je rappelle que la jurisprudence Salduz a été précisée ultérieurement par un arrêt Yoldas contre Turquie du 23 février 2010, qui considère conforme aux exigences du procès équitable une procédure dans laquelle une condamnation a été prononcée au vu de déclarations faites sans avocat dans la mesure où il existait d’autres éléments de preuve.

C’est la raison pour laquelle je suis défavorable au sous-amendement de M. Vaxès. S’il vous semble que mon amendement réduit de quelque manière que ce soit l’exercice des droits que l’on veut garantir, je suis prêt à le retirer. Je n’ai pas l’intention de faire le contraire de ce que j’ai dit. J’ai pensé très honnêtement que cet article additionnel confortait la protection d’un droit. Mais si vous estimez que tel n’est pas le cas, je retirerai mon amendement. Je n’en ferai pas une maladie : de toute façon, cette jurisprudence s’appliquera. Je trouve seulement dommage que tous ceux qui se posent à longueur d’interventions en défenseurs des droits de la défense, ne veulent pas d’un amendement qui prévoit qu’en l’absence de défense, il n’est pas possible d’incriminer !

M. Michel Hunault. Nous posions seulement une question !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’en reste les bras ballants… Cela fait des heures et des heures que vous me dites que le Gouvernement n’en fait pas assez, qu’il n’y a pas suffisamment de place pour les avocats, que les droits de la défense ne sont pas assez bien organisés. Il suffit que je dépose un amendement prévoyant que, sans la présence d’un avocat, il ne peut être tenu compte des déclarations d’une personne,…

M. Claude Goasguen. C’est bien joué ! (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. ...pour que vous vous mettiez à ergoter,… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Non !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. …à me soupçonner de viser autre chose,…

M. Michel Vaxès. Mais non !

Mme Marylise Lebranchu. Vous n’avez pas compris !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. …de ne pas dire ce que je dis, ou peut-être de pas vouloir faire ce que j’ai dit que je ferai…

M. Dominique Raimbourg. C’est tout simplement que nous n’avons pas compris, et que nous vous demandons des explications !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ma position est claire. Et si vous ne voulez pas de cet amendement, je le retire et nous allons poursuivre l’examen de ce texte.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le garde des sceaux, personne n’a demandé que vous retiriez l’amendement du Gouvernement.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis prêt à le faire.

M. Michel Vaxès. Et si vous le faisiez, il ne faudrait pas nous en faire porter la responsabilité : car nous partageons l’esprit dans lequel, dites-vous, s’inscrit votre amendement n° 20, à ceci près que la rédaction que nous vous proposons dans le sous-amendement n° 233…

M. Claude Goasguen. …est très claire.

M. Michel Vaxès. …est plus proche de l’arrêt Salduz ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Permettez-moi simplement, car j’ai longuement présenté ce sous-amendement, de faire remarquer que la conjonction des mots « le seul fondement » et de l’articulation « ou » pose problème. Cela, monsieur le garde des sceaux, ce n’est pas ergoter : s’entretenir avec un avocat ou être assisté par lui, cela veut dire qu’il reste possible d’incriminer la personne auditionnée sans qu’elle ait bénéficié de l’assistance d’un avocat.

M. Claude Goasguen. Bien sûr.

M. Michel Vaxès. Je regrette que vous ne répondiez pas aux questions que je vous ai posées tout à l’heure, mais nous en discuterons dans le cadre de l’article 11. La rédaction de votre amendement suppose qu’une incrimination peut être posée sans l’assistance de l’avocat. Or tout le texte porte sur la nécessité de la présence de l’avocat avant toute incrimination. C’est bien de cela qu’il s’agit et que vous vous refusez de voir.

Je partage les interventions de nos collègues qui ont soutenu mon sous-amendement, qui ne modifie pas fondamentalement votre amendement. Il précise seulement les choses et en traduit mieux l’esprit.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud.

M. Jean-Paul Garraud. Je partage l’opinion de M. le garde des sceaux.

M. Claude Goasguen. Attention !

M. Jean-Paul Garraud. Comme lui, je m’étonne de la façon dont commence notre discussion.

L’amendement du Gouvernement est parfaitement clair : on ne peut condamner qui que ce soit sur la simple base de ses aveux non corroborés par d’autres éléments, notamment des éléments matériels.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Exactement.

M. Jean-Paul Garraud. En cela, le Gouvernement entérine une jurisprudence bien compréhensible puisque l’on ne peut condamner quelqu’un sur ses seules déclarations.

Malheureusement, ce que je craignais est en train de se produire : une sorte de surenchère est en train d’apparaître : on veut en réalité – c’est le sens du sous-amendement de M. Vaxès – rendre obligatoire la présence de l’avocat quel que soit le cas de figure.

M. Michel Vaxès. Oui.

M. Jean-Paul Garraud. Dites-le clairement, cher collègue. En fait, vous voulez qu’au cours de toutes les auditions, quelles qu’elles soient,…

M. Claude Goasguen. Non !

Mme Marylise Lebranchu. C’est le contraire !

M. Jean-Paul Garraud. …en garde à vue ou lors des auditions subséquentes, l’assistance du conseil soit rendue obligatoire.

M. Claude Goasguen. Cela n’est pas cela du tout !

M. Jean-Paul Garraud. Or il arrive que, pour des raisons que vous avez du reste évoquées, certains individus ne veulent pas forcément d’avocat. La présence de l’avocat n’est en rien obligatoire.

L’amendement du Gouvernement signifie qu’il ne doit pas y avoir de condamnation sur le fondement de simples aveux. Dans les affaires les plus graves, les plus délicates, les plus complexes, il n’y a jamais de condamnation sur de simples aveux.

M. Claude Goasguen. On n’a jamais dit cela !

M. Jean-Paul Garraud. En cours d’enquête, en cours d’audition, il n’y a rien de plus fragile que des aveux : il suffit à l’intéressé de faire de nouvelles déclarations contredisant les précédentes. Nécessairement, il doit y avoir des éléments matériels, mais si nous adoptons le sous-amendement de M. Vaxès, tout change,…

M. Claude Goasguen. Non.

M. Jean-Paul Garraud. …ne serait-ce que pour la garde à vue.

Dans ces conditions, comme M. le garde sceaux l’a indiqué, il vaudrait peut-être mieux retirer cet amendement…

M. Michel Hunault. Mais non !

M. Jean-Paul Garraud. …pour éviter cette discussion. Ce n’est pas qu’elle soit inutile, mais elle est peut-être superflue, car déjà réglée par la jurisprudence.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Il n’y aucune intention malsaine dans les propos qui ont été tenus. Personne, monsieur le garde des sceaux, ne vous soupçonne d’une quelconque volonté de chercher à intervenir dans le processus reconnu pour y réintroduire le contraire de ce que vous affirmez. En vérité, la réponse figure dans le texte même de l’arrêt Salduz : « Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes aux droits de la défense faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. » C’est clair et limpide ; le sous-amendement de M. Vaxès a le mérite d’éviter toute confusion.

M. Jean-Paul Garraud. Non.

M. Claude Goasguen. Loin de moi l’idée de faire un procès d’intention, mais l’histoire nous montre ce qui se passe lorsque nous ne sommes pas suffisamment précis. Voyez l’affaire des juges d’instruction : elle aura a duré un siècle. L’avocat devait être en face du juge d’instruction. On a inventé toutes les procédures imaginables ont été inventées pour qu’il n’en soit pas ainsi et que l’on revienne à la commission rogatoire sans la présence de l’avocat. Prenons garde, mes chers collègues, à l’interprétation que l’on pourra faire de cet article additionnel : il signifie effectivement que l’aveu, seul, ne peut être une incrimination, mais il laisse également entendre qu’il est possible d’avoir un aveu sans la présence de la défense dès lors qu’il existe une preuve, ce que précisément l’arrêt Salduz interdit. Le sous-amendement de M. Vaxès a le mérite d’être totalement conforme aux prescriptions de la Cour européenne et d’éviter toute tentation d’obtenir un aveu hors la présence de l’avocat.

N’y voyez aucune intention malsaine, monsieur le garde des sceaux, mais seulement le souci de clarifier le texte pour éviter les détournements de procédure. Avec un tel changement d’habitudes, il y aura forcément des tentatives de détournement de procédure. Vous aurez toujours de bons juristes qui tenteront d’interpréter et d’exploiter au maximum les éléments restés confus dans le texte de la loi.

Rien n’est donc entrepris contre vous, et je vous remercie pour ma part d’avoir déposé cet amendement, qui pose un principe ; mais essayez d’aller jusqu’au bout de votre démarche, pour éviter des difficultés. Personne ne vous accuse, au contraire : M. Vaxès veut simplement, je crois, expliciter le texte et éviter des détournements.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Ne vous irritez pas, monsieur le ministre.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne m’irrite jamais !

M. Noël Mamère. Et surtout, n’utilisez pas, maintenant que vous siégez sur les bancs du Gouvernement, un vieux procédé de parlementaire que vous connaissez bien, en nous plaçant face à l’alternative du « tout ou rien ».

« Vous n’êtes pas contents ? Je retire mon amendement. » On voit bien quelle est votre intention – même si, en ce qui concerne votre amendement lui-même, nous ne mettons pas en doute votre bonne foi. L’artifice que vous employez n’est pas sérieux ; vous n’êtes pas beau joueur, si je puis employer cette expression dans un contexte où il ne s’agit pas de jouer, mais de construire l’État de droit.

Nous ne pouvons pas nous contenter de votre réponse. Vous dites que vous essayez de faire un effort en plaçant presque en préambule de la loi cet amendement, selon vous conforme à l’arrêt Salduz, mais qui est mal rédigé – je le dis sans surenchère aucune, monsieur Garraud. Sa rédaction est telle, en effet, qu’elle peut conduire à réintroduire le régime de l’aveu, que cette réforme devait nous permettre de quitter au profit de celui de la preuve.

Le sous-amendement de notre collègue Vaxès vise à donner à cet amendement un sens juridique clair, afin de nous protéger, à la fois en appliquant les normes européennes, ici la jurisprudence de la CEDH, et en évitant de réintroduire par la fenêtre non l’audition libre – ce n’est pas ce que nous disons –, mais la culture de l’aveu.

Il ne s’agit pas d’une défense et illustration de l’avocat, ni de placer l’avocat dans tous les compartiments du jeu, comme diraient mes confrères journalistes. Il s’agit simplement de clarifier un amendement qui vise à appliquer l’arrêt Salduz de manière stricte, sans laisser place à l’interprétation.

Car je suis tout à fait d’accord avec M. Goasguen : nous savons que face à cette réforme, qui va beaucoup modifier nos habitudes et notre culture, il se trouvera bien des personnes pour se livrer à une interprétation du droit.

Nous sommes nous-mêmes ici non pour l’interpréter, ce qui appartient au juge, mais pour lui fixer un cadre. Or, à mon sens, monsieur le ministre, la formulation que vous nous proposez rend ce cadre défaillant. Voilà pourquoi je vous recommande vivement d’accepter le sous-amendement de notre collègue Vaxès.

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. J’ai moi aussi senti une forme d’irritation chez M. le ministre. Il est pourtant permis de ne pas comprendre !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est donc que je n’avais pas compris ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu. Comme vous l’avez dit récemment, quand on ne comprend pas, on n’est pas ministre – ce qui est mon cas.

Je ne comprends pas, car l’argumentation développée par M. Garraud – j’allais dire son plaidoyer, mais il est magistrat (Sourires) – nous incite à voter le sous-amendement de M. Vaxès. Nous sommes donc tous du même avis.

Monsieur Garraud, vous avez dit que le sous-amendement visait à rendre obligatoire la présence de l’avocat. Ce n’est pas vrai.

M. Claude Goasguen. Non, ce n’est pas cela !

Mme Marylise Lebranchu. Ce n’est pas vrai : nous disons que quelqu’un peut se présenter spontanément, sans avocat, et que plusieurs étapes, plusieurs procédures seront nécessaires après son auto-incrimination. Vous avez donc plaidé pour le sous-amendement, monsieur Garraud.

M. Jean-Paul Garraud. Ne rêvez pas !

Mme Marylise Lebranchu. À entendre tous les orateurs, le sous-amendement va dans votre sens, monsieur le ministre. Je souhaite donc que vous ne retiriez pas votre amendement à cause de lui.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. L’amendement du Gouvernement est important, car il pose un principe essentiel : l’impossibilité de s’auto-incriminer si l’on n’a pu être assisté par un avocat ou s’entretenir avec lui.

M. Philippe Houillon. Oui !

M. Claude Goasguen. Nous sommes d’accord.

M. Sébastien Huyghe. Bien. Cela signifie que, si l’on est dans le cadre d’une convocation, la personne n’est pas incriminée. Elle se rend librement à la convocation ; elle n’a pu être assistée par un avocat, puisqu’elle ne se sent pas incriminée. Dès lors, l’auto-incrimination n’est pas possible, puisqu’il n’a pas été possible de bénéficier de l’assistance d’un avocat ou d’un entretien avec lui. Ce cas ne pose à mes yeux aucun problème.

En revanche, si, comme le propose le sous-amendement de M. Vaxès, on supprime le mot « seul » de l’expression « le seul fondement », dans le cas où la personne avoue et où, grâce à ses déclarations, on trouve des éléments de preuve matériels, ces derniers ne seront pas recevables, puisqu’ils auront été réunis à partir de déclarations faites hors de la présence d’un avocat.

M. Philippe Houillon. Ça, ce n’est pas sûr !

M. Sébastien Huyghe. Mais si : si l’on supprime « seul », aucun des éléments, y compris matériels, qui viennent à la connaissance des enquêteurs grâce aux déclarations de la personne mise en cause ne peut servir à la condamner.

Mme Marylise Lebranchu. Non !

M. Sébastien Huyghe. Vous mettez ainsi à bas tous les éléments de preuve qui peuvent permettre de condamner cette personne. Il est donc inacceptable de supprimer le terme « seul ».

Ensuite, si la personne mise en cause refuse la présence d’un avocat, le sous-amendement interdit d’utiliser ses déclarations. En d’autres termes, le fait même de refuser la présence d’un avocat devient un avantage pour la personne mise en cause.

M. Philippe Houillon. Non, car l’intervention de l’avocat était possible !

M. Sébastien Huyghe. Mais non, puisque la personne l’a refusée !

L’arrêt Salduz emploie un terme très important : il parle d’« un interrogatoire de police subi sans assistance possible ».

M. Philippe Houillon et Mme Marylise Lebranchu. Oui, « possible » !

M. Sébastien Huyghe. Cela signifie qu’on lui en fournit l’occasion, qu’on lui en donne la possibilité, dût-il la refuser.

M. Michel Vaxès. Il faut arrêter !

M. Jean-Paul Garraud. C’est un choix !

M. Michel Vaxès. S’il la refuse, c’est qu’elle est possible !

M. Sébastien Huyghe. L’amendement du Gouvernement, sans la moindre modification, se situe donc parfaitement dans le cadre de l’arrêt Salduz.

Au nom du groupe UMP, je préconise par conséquent de voter l’amendement du Gouvernement et de repousser le sous-amendement de M. Vaxès.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le ministre, je l’ai dit tout à l’heure : cet amendement est suffisamment important pour que l’on s’y arrête.

Personnellement, je ne souhaite pas que vous le retiriez, car il est au cœur de la philosophie du projet de loi. Néanmoins, j’avoue que votre réaction, qui consiste à vouloir le retirer parce que l’on vous demande des précisions, m’a surpris.

En effet, les précisions apportées par le sous-amendement sont à mes yeux justifiées – non par la rédaction de l’amendement, mais par son exposé sommaire, qui me posait davantage de problèmes.

Vous avez répondu, et je souhaite que vous mainteniez votre amendement. Néanmoins, le sous-amendement de M. Vaxès visait la précision plutôt que la contradiction. Puisque mes collègues ont cité à plusieurs reprises les arrêts de la CEDH, permettez-moi d’ajouter, monsieur le ministre, que, si nous sommes réunis cet après-midi dans cet hémicycle, c’est parce que nous avons été contraints de réformer la garde à vue par le Conseil constitutionnel, saisir d’une question prioritaire de constitutionnalité, et par la CEDH elle-même, qui a épinglé notre système.

Dès lors que vous avez choisi, en déposant cet amendement avant l’article premier, de graver dans le marbre le principe selon lequel rien ne pourra être engagé contre une personne privée de liberté hors de la présence de son avocat, je suis favorable à l’amendement. Mais, je le répète, le sous-amendement de M Vaxès avait l’avantage d’ajouter une dimension à votre amendement, en apportant une précision que je ne trouvais pas dans son exposé sommaire.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Les phrases employées me semblent claires. Si nous votons le sous-amendement tel qu’il est formulé, nous interdisons en fait toute condamnation lorsqu’il n’y a pas d’avocat.

Dès lors qu’il n’y a pas d’avocat, que l’intéressé s’est auto-incriminé…

M. Philippe Houillon. Ce n’est pas possible !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Mais si ! Les conséquences, les voilà !

M. Claude Goasguen. Mais non !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Dans ces conditions, disais-je, la personne aura intérêt à dire qu’elle ne veut pas d’avocat.

M. Philippe Houillon et M. Michel Vaxès. Et quand bien même ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Si l’intéressé ne prend pas d’avocat, s’il y a auto-incrimination, …

M. Michel Vaxès. Mais s’il refuse l’avocat !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Mais non : dans ce cas, la déclaration elle-même tombera,…

M. Michel Vaxès. Non, puisque la présence de l’avocat était possible !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. …et les preuves qui auraient pu en découler tomberont à leur tour. Ce n’est pas possible !

M. Claude Goasguen. C’est une caricature !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Mais non, ce n’est pas une caricature !

M. Philippe Houillon. Ce n’est pas possible de dire des choses pareilles !

M. Michel Hunault. Le débat mérite mieux !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vais essayer de faire calmement le point sur cette affaire et de vous dire mon sentiment. Je puis me tromper ; je ne prétends pas à autant de science que beaucoup d’entre vous. Mais de quoi s’agit-il, et pourquoi le mot « seul » est-il important ?

D’abord, nous avons voulu déposer cet amendement non pour sécuriser, ni pour faire joli, mais pour affirmer quelque chose à quoi nous croyons authentiquement : nous changeons véritablement le régime de la garde à vue, pour passer sans regret ni crainte à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. C’est une donnée ; nous n’allons pas la rejeter ; nous la prenons comme telle.

Monsieur Hunault, il ne faut pas tenir compte de l’exposé sommaire. Nous n’avions pas le droit de le modifier, mais il ne vaut plus dès lors que l’on rejette l’audition libre. L’affaire est donc réglée.

Si nous avons déposé cet amendement, c’est, disais-je, pour montrer que nous portons cette réforme, que nous en sommes fiers et que nous affirmons les principes qu’elle contient.

M. le président. Pardonnez-moi, monsieur le garde des sceaux, de vous interrompre un instant : sur le vote de l’amendement n° 20 et du sous-amendement n° 233, je suis saisi d’une demande de scrutin public.

M. Jean-Paul Garraud et M. Claude Goasguen. Très bien !

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Paul Garraud. Chacun va être placé devant ses responsabilités !

M. le président. Vous avez la parole, monsieur le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Merci, monsieur le président.

L’arrêt Salduz porte sur les propos auto-incriminants. Notre amendement est clair : si une personne placée en garde à vue est seule, sans avocat, et fait une déclaration, elle ne peut être incriminée s’il n’existe aucun autre élément.

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg n’est pas un monument immuable : elle évolue. Ainsi, dans l’arrêt Yoldaş contre Turquie du 23 février 2010, que j’ai cité tout à l’heure, la Cour a jugé conforme à la Convention une condamnation prononcée sur le fondement de preuves matérielles, bien que la personne concernée ait fait des déclarations hors de la présence de son avocat.

Il ne s’agit pas pour nous de renoncer à des preuves matérielles éventuelles. Or la suppression du mot « seul », que souhaite M. Vaxès, tend à réduire à néant les preuves matérielles, scientifiques…

M. Michel Vaxès. Mais non !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mais si ! En supprimant le terme « seul » dans l’expression « sur le seul fondement », votre sous-amendement ouvre la voie à bien des changements.

En particulier, il est tout à fait contraire aux dispositions relatives à l’organisation de la garde à vue, que nous examinerons dans quelques heures. Ainsi, un délai de carence est prévu pour permettre de faire venir l’avocat. Si nous acceptons le sous-amendement, ce délai ne sera plus nécessaire, et tout cela ne servira plus à rien.

Voilà ce à quoi sert le mot « seul », sur lequel porte notre divergence.

Très honnêtement, je ne peux accepter la suppression du mot « seul ». Si cette modification était adoptée, il ne vaudrait même plus la peine de réorganiser la garde à vue et d’assurer la présence de l’avocat. Les dispositions proposées n’auraient plus aucune signification juridique. C’est la raison pour laquelle je suis très hostile à ce sous-amendement, qui met par terre tout le système que nous avons élaboré.

Nous voulons simplement affirmer qu’il n’est pas possible d’incriminer une personne sur le seul fondement d’un aveu fait sans avocat. C’est simple, clair et net.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur le sous-amendement n° 233.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 64

Nombre de suffrages exprimés 62

Majorité absolue 32

(Le sous-amendement n° 233 n’est pas adopté.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’amendement n° 20.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 64

Nombre de suffrages exprimés 64

Majorité absolue 33

(L’amendement n° 20 est adopté.)

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, inscrit sur l’article 1er.

M. Sébastien Huyghe. Au préalable, monsieur le président, permettez-moi de déplorer que certains de nos collègues soient sortis de l’hémicycle au moment du vote du sous-amendement et de l’amendement précédents.

S’agissant de l’article 1er, je salue l’attitude du Gouvernement, qui s’est montré particulièrement attentif aux souhaits de notre assemblée en tenant compte du rejet par la commission des lois du dispositif de l’audition libre. En renonçant de tenter de passer en force, vous faites preuve, monsieur le ministre, d’un véritable respect pour le Parlement. Cette attitude participe de la revalorisation du travail du Parlement voulue par le Président de la République, notamment lors de la dernière révision constitutionnelle, et dont il a réaffirmé la nécessité à l’occasion de ses vœux aux parlementaires la semaine dernière.

Sur l’article 1er, j’avais déposé avec le rapporteur un amendement visant à créer une audition assistée, que certains avaient qualifiée de garde à vue allégée. Même si, depuis 2000, la jurisprudence impose qu’une personne amenée sous la contrainte dans un commissariat de police ou une gendarmerie soit soumise au régime de la garde à vue, toutes les situations ne justifient pas la mise en œuvre de la procédure de garde à vue dans son entier. Le dispositif que nous proposions permettait à l’officier de police judiciaire, une fois l’arrestation opérée, de choisir, selon la situation, entre deux procédures : la garde à vue définie dans le présent texte ou l’audition assistée.

Cela aurait permis de limiter le nombre de gardes à vue, étant donné que l’on peut se demander si cette procédure est bien nécessaire dans tous les cas.

Par ailleurs, l’audition assistée aurait offert à tout moment à l’officier de police judiciaire la possibilité de changer de procédure, en passant de l’audition assistée à la garde à vue, celle-ci étant alors réputée commencer au début de l’audition assistée.

Le fait que vous ayez renoncé à la procédure de l’audition libre, monsieur le ministre, ainsi que les riches débats que nous avons eus en commission des lois, nous ont conduits, le rapporteur et moi-même, à retirer cet amendement avant la séance. Mais la pratique nous ramènera peut-être à ce type de dispositif.

Avant de retirer notre amendement, nous avons pris acte des explications données, de la concertation et de l’attitude constructive des uns et des autres. De la même manière, certains de nos collègues ont retiré les amendements qui avaient pour but de rétablir la procédure de l’audition libre.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes, avant même d’aborder l’article 1er, au cœur même de votre projet. Vous avez eu raison de maintenir votre amendement, qui a été voté à la quasi-unanimité.

Tout au long de la discussion générale, vous avez insisté sur le fait qu’il convenait de limiter le nombre de gardes à vue. Vous avez rappelé à l’instant que vous vous étiez engagé à supprimer l’audition libre, ce dont tout le monde se réjouit.

Toutefois, la lecture des alinéas 3 et 12 de l’article 1er montre l’intérêt qu’il y a à préciser que la garde à vue doit être très encadrée, rester exceptionnelle et ne viser que les délits les plus graves et les crimes.

Il me semble, monsieur le garde des sceaux – et je parle sous votre contrôle – que votre collègue en charge de l’intérieur a très clairement indiqué que le nombre de gardes à vue n’était plus un critère de performance.

Sur tous les bancs de cette assemblée, pendant la discussion générale, nous nous sommes interrogés sur le caractère exceptionnel de la garde à vue. À moins que le rapporteur et le président de la commission des lois aient une réponse, il me semble nécessaire, avant même d’aborder l’article1er, de préciser à quoi sert la garde à vue et de dire qu’en aucun cas elle ne peut constituer un critère de performance pour la police.

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous aurions aimé reprendre l’amendement n° 119 rectifié en le sous-amendant pour ajouter que l’audition assistée l’était « par un avocat ». En défendant l’amendement du Gouvernement, le ministre a évoqué l’arrêt Salduz, qui correspond à la jurisprudence issue de l’arrêt Panovits du 11 décembre 2008. Apporter une telle précision serait conforme à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui avait considéré que la notion d’équité consacrée par l’article 6 de la convention de sauvegarde exigeait que la personne mise en cause bénéficie de l’assistance d’un avocat dès le début des interrogatoires de police.

Nous aimerions donc reprendre cet amendement et le sous-amender en ajoutant « par un avocat » après les mots « audition assistée ».

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Madame Karamanli, nous nous situons dans le cadre de la discussion générale sur l’article 1er et non de la discussion des amendements. L’amendement en question ne peut donc être repris.

Mme Marietta Karamanli. Plus tard !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1 et 140.

La parole est à M. Jacques Valax, pour défendre l’amendement n° 1.

M. Jacques Valax. Au préalable, j’aimerais vous faire part de notre volonté pleine et entière de travailler ensemble en toute objectivité sur ce texte. Le vote de l’amendement du Gouvernement, auquel nous venons de participer, en est une première illustration.

Par ailleurs, j’aimerais souligner l’intervention de notre collègue Michel Hunault, qui rappelait le caractère exceptionnel de la garde à vue, et les propos de M. le ministre selon lesquels nous changeons complètement notre conception du fonctionnement de la justice avec ce nouveau régime de la garde à vue.

Enfin, nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la garde à vue est une mesure grave, qui implique une privation de liberté.

Le présent amendement vise à ajouter, après les mots « mesure de contrainte » le mot « exceptionnelle », afin de donner une certaine solennité à cette procédure et de réduire le nombre de ses mises en œuvre.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour défendre l’amendement n° 140.

M. Michel Vaxès. Il importe en effet de rappeler dans la loi elle-même que la garde à vue doit demeurer une mesure exceptionnelle, conformément aux dispositions de l’article préliminaire du code de procédure pénale, aux termes duquel les mesures de contrainte « doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ».

L’un des objectifs du présent projet de loi doit être de limiter le nombre exorbitant des gardes à vue. C’est une revendication conjointe des avocats et des magistrats. Cette procédure touche chaque année 1 % de la population et les gazettes se nourrissent chaque semaine d’abus graves en ce domaine.

La systématisation progressive du recours à la garde à vue est imputable à la politique du chiffre. Elle se traduit par l’utilisation compulsive de la garde à vue dans des domaines qui, auparavant, ne donnaient pas lieu à cette procédure. L’encadrement prévu par le projet de loi nous apparaît insuffisant. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’écrire que la mesure doit rester « exceptionnelle ».

Je ne doute pas, monsieur le garde des sceaux, que vous allez soutenir cet amendement, pour la simple raison que, dans la presse – je vous lis avec beaucoup d’attention, vous la savez –, vous avez indiqué que la garde à vue devait être une mesure exceptionnelle. Si nous nous apercevions que vous tenez un langage différent dans la presse et dans l’hémicycle, votre réputation en serait très affectée... (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle. L’article 1er énonce six critères qui montrent bel et bien que la garde à vue est déjà considérée comme exceptionnelle. Le préciser dans le texte n’ajoute rien. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marietta Karamanli. Il serait important de le spécifier !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Même avis que la commission.

(Les amendements identiques nos 1 et 140 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour soutenir l’amendement n° 48.

M. Apeleto Albert Likuvalu. Il s’agit de rappeler que la garde à vue doit être proportionnée à la gravité des faits reprochés. Cette procédure ne doit être menée que si elle est strictement nécessaire en dernier recours.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. L’alinéa 12 de l’article1er reprend les notions de proportionnalité et de nécessité. L’amendement est donc satisfait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous propose, monsieur Likuvalu, de retirer votre amendement car il est satisfait à plusieurs titres.

Le caractère nécessaire de la garde à vue figure à l’article 62-3 du code de procédure pénale, qui dispose qu’elle doit être « l’unique moyen » de parvenir à certains objectifs. Quant à l’article 62-5, il prévoit que le procureur de la République vérifie si la mesure est nécessaire à l’enquête.

Enfin, l’exigence de proportionnalité figure à l’article préliminaire du code de procédure pénale, aux termes duquel la garde à vue ou sa prolongation doivent être proportionnées à la gravité des faits.

(L’amendement n° 48 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour soutenir l’amendement n°146.

M. Michel Vaxès. La rédaction du projet de loi conserve la formulation vague selon laquelle la garde à vue se justifie dès lors qu’existent « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner la personne ». Cette formule n’a pas de contours juridiques précis.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si !

M. Michel Vaxès. Non. Il apparaît préférable de faire référence à « plusieurs indices graves et concordants conduisant à soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit », critère actuellement en vigueur dans notre droit pénal pour les mandats de comparution ou pour les prélèvements d’empreintes génétiques versés au fichier national automatisé des empreintes génétiques.

Pour la mise en détention provisoire, la formulation est la suivante : « La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à un ou plusieurs des objectifs suivants : »

M. Jean-Paul Garraud. Cela n’a rien à voir !

M. Michel Vaxès. Si les mêmes critères ne peuvent être requis dans le cadre de la garde à vue, celui de l’existence d’indices graves et concordants est mieux à même de circonscrire précisément le champ de la mise en garde à vue.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. La notion d’indices graves et concordants fonde aujourd’hui la mise en examen, non la simple garde à vue. Cette proposition me paraît donc un peu maladroite.

Par ailleurs, les « raisons plausibles » figurent dans le texte même de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Nous ne faisons que reprendre le texte.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour convaincre M. Vaxès, j’ajoute un autre argument textuel. Outre que, comme l’a dit le rapporteur, la formulation reprend exactement la terminologie de l’article 5 de la convention, les termes « raisons plausibles » figurent dans le code de procédure pénale depuis la loi Lebranchu du 4 mars 2002. C’est la raison pour laquelle je vous disais, monsieur Vaxès, que vous l’aviez déjà votée. Satisfait par vous-même, en quelque sorte, vous pourriez retirer sans problème cet amendement. (Sourires.)

(L’amendement n° 146 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann, pour soutenir l’amendement n° 81.

M. Éric Straumann. Pour notre part, nous proposons de substituer au terme « plausibles » le terme « sérieuses ». L’adjectif « plausible », qui signifie « qui peut être vraisemblable », est de l’ordre de l’hypothétique, tandis que « sérieuses » désigne des faits suffisamment importants pour que la personne concernée puisse être mise en garde à vue. Les deux termes n’ayant pas le même sens, il convient de privilégier le second pour éviter tout abus.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Même remarque que celle qui nous a conduits à demander le retrait de l’amendement précédent : nous avons repris les termes précis de l’article 5 de la convention européenne. Bien qu’enclin à demander de nouveau le retrait, je laisse à M. le ministre le soin de le faire…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je remercie M. le rapporteur (Sourires) et je demande le retrait de l’amendement pour les raisons déjà expliquées.

(L’amendement n° 81 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour soutenir l’amendement n° 57.

M. Apeleto Albert Likuvalu. Cet amendement étant lié à l’amendement n° 48 que j’ai retiré, je le retire également.

(L’amendement n° 57 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 136, 137, 149 et 84, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir les amendements nos 136 et 137.

M. Noël Mamère. En février 2010, nous avions déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à réduire le nombre de gardes à vue, qui s’élevait à près de 800 000 par an. Notre collègue Hunault a fort justement souligné que cette augmentation explosive était une conséquence de la « politique du chiffre » en vigueur.

On constate qu’environ 7 % seulement des condamnations délictuelles ne comportent pas de peine d’emprisonnement. Limiter la garde à vue aux cas d’infractions passibles de peines d’emprisonnement ne changera donc pas grand-chose. Viser les peines d’emprisonnement d’au moins cinq ans permettrait une réduction sensible du nombre de gardes à vue. Si cette proposition n’était pas acceptée, un amendement de repli vise les peines de trois ans, ce qui est conforme à ce que demandent le Syndicat des avocats de France ainsi que les magistrats, de même qu’à l’esprit de la réforme qui nous est proposée.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour soutenir l’amendement n° 149.

M. Michel Vaxès. Tout le monde en convient, il faut impérativement réduire le nombre de gardes à vue. C’est ce que prescrivait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 : « Considérant que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures ; qu’elles ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées ;… ».

La limitation du champ de la garde à vue aux crimes et délits sanctionnés de peines de prison est illusoire. Comme le soulignent aussi bien la Commission nationale consultative des droits de l’homme que le vice-bâtonnier du barreau de Paris, Jean-Yves Le Borgne, très rares sont les délits non punissables d’une peine d’emprisonnement. Par conséquent, si le texte reste en l’état, le chiffre de 800 000 gardes à vue annuelles risque d’être au mieux maintenu, sinon dépassé. Les syndicats de policiers eux-mêmes ont souligné qu’il était aujourd’hui extrêmement rare de placer un suspect en garde à vue lorsque celui-ci n’encourt aucune peine d’emprisonnement, et que la nouvelle formulation ne changerait donc rien à la pratique actuelle.

Comment expliquer l’explosion du nombre des gardes à vue alors que M. Hortefeux, s’appuyant sur les statistiques – dont on pourrait au demeurant beaucoup discuter –, ne cesse de dire que la délinquance est en baisse ? La délinquance est en baisse, mais la garde à vue est en hausse : voilà une contradiction qu’il faudrait nous expliquer. Chaque semaine, les exemples affluent de gardes à vue de vingt-quatre heures pour des motifs dérisoires. Les moyens de la police et de la gendarmerie, en baisse du fait de la politique d’austérité budgétaire du Gouvernement, sont ainsi mobilisés par les gardes à vue à répétition, y compris pour de simples infractions au code de la route ou de bagarres entre enfants.

Comment justifier ces milliers de gardes à vue annuelles pour des délits mineurs, alors que, dans bien des cas, les personnes concernées ne contestent même pas les faits qui leur sont reprochés ? Que dire, en plus, des personnes convoquées qui se rendent de leur plein gré au commissariat et qu’on enferme aussitôt qu’elles arrivent ?

Le critère des crimes et délits susceptibles d’entraîner trois ans de prison est, à ce titre, un filtre tout à fait minimal. En plus de ce filtre, il conviendrait de changer radicalement la doctrine de l’ex-ministre de l’intérieur et de l’actuel qui préside encore aujourd’hui, hélas ! à l’intervention policière, de rompre avec la politique du chiffre et du prétendu résultat, d’en finir avec les indicateurs de performance qui poussent les policiers à recourir à la garde à vue et d’augmenter les moyens et les effectifs partout où c’est nécessaire. C’est le sens de notre amendement, par lequel nous proposons de porter à trois ans la peine minimum encourue pour pouvoir prononcer une garde à vue.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement n° 84.

M. Frédéric Reiss. Afin d’éviter toute garde à vue abusive, il convient de limiter les cas pour lesquels celle-ci est envisageable. Par cet amendement, nous proposons qu’elle soit limitée aux infractions relevant d’une peine criminelle ou correctionnelle d’au moins deux ans d’emprisonnement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. La commission et son rapporteur partagent le souci de réduire le nombre des gardes à vue, mais les différentes propositions que nous venons d’entendre posent un vrai problème.

Dans le projet de loi, la condition nécessaire du déclenchement initial de la garde à vue est le fait que soit encourue une peine d’emprisonnement – et d’une peine d’au moins un an pour sa prolongation au-delà de vingt-quatre heures. Si l’on retenait ces amendements, on écarterait des peines lourdes qui correspondent à des actes graves : le vol, passible de trois ans d’emprisonnement, le délit de fuite – deux ans –, le recel de cadavre – deux ans –, la pédophilie sur internet – deux ans –, la non-présentation d’enfant – un an –, le harcèlement sexuel – un an –, la provocation à la rébellion – deux mois –, le délit d’appartenance à une bande violente – un an… Je ne vais pas faire un inventaire à la Prévert, mais je pourrais en citer d’autres.

Dans ces conditions, il ne me paraît pas judicieux de retenir les propositions des uns ou des autres. Gardons le délai tel qu’il est prévu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage l’avis du rapporteur, qui a parfaitement illustré sa position. Je suis sûr que les auteurs des amendements ne veulent pas désarmer la police face à des faits aussi graves et qu’ils vont les retirer. Sinon, je donnerai un avis défavorable aux quatre.

M. le président. La parole est à M. Dominique Perben.

M. Dominique Perben. À mes yeux, l’objectif principal du projet de loi n’est pas tant de diminuer le nombre de gardes à vue que de changer les conditions de déroulement de la garde à vue.

M. Noël Mamère. C’est les deux !

M. Dominique Perben. La garde à vue est un point de passage nécessaire pour effectuer l’enquête. Il ne s’agit pas d’évoquer déjà le quantum de peine. Cela viendra plus tard. On ne peut pas prédéterminer les choses.

Le quantum de peine prévu dans le texte exprime l’idée qu’on ne met pas en garde à vue quand il n’y a pas d’enjeu significatif. Restons-en là ! Sinon, on n’est plus dans la logique de l’enquête mais déjà dans celle du jugement et de la détermination de la peine. Mes collègues commettent là une erreur d’appréciation, et je les invite à ne pas entrer dans une telle logique.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Nous avons adopté une loi pénitentiaire qui prévoit des mesures alternatives à l’emprisonnement pour les peines prononcées de deux ans de prison et moins. Voter ces amendements serait envoyer un très mauvais signal.

À la fin de votre réponse aux orateurs inscrits dans la discussion générale, vous avez dit, monsieur le ministre, que nous devions répondre à l’exigence d’équilibre entre la sécurité, la recherche de la vérité et les libertés. Les amendements qui viennent d’être présentés me semblent aller à l’encontre de cet équilibre.

Toutefois, je ne souscris pas aux propos de M. Perben sur l’objet du projet de loi, qui n’aurait pas pour vocation de faire diminuer le nombre de gardes à vue. Quand bien même ce serait le cas, je rappelle que le chef de l’État lui-même s’est étonné de ce que, dans notre démocratie, on atteigne 800 000 gardes à vue en un an. L’amendement de nos collègues tendant à rendre la garde à vue exceptionnelle ayant été rejeté, je comprends qu’ils aient eu envie de décliner leur proposition sous forme d’amendements, mais ceux-ci ne sont pas recevables.

Monsieur le ministre, je vous ai demandé tout à l’heure si le nombre de gardes à vue était un critère de performance de la police. Certes, vous n’êtes pas ministre de l’intérieur, et celui-ci est retenu au Sénat par l’examen de la LOPPSI 2. Le président de la commission ou le rapporteur pourraient peut-être essayer de me répondre, au cours de la discussion, afin que je sache si, oui ou non, des instructions ont été données à la police, comme l’avait dit le ministre de l’intérieur, selon lesquelles le nombre de gardes à vue n’était plus un critère de performance. Je me permets d’insister, pour la clarté de nos débats.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous avons sollicité les éléments de réponse, mais nous ne les avons pas encore !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. En entendant les orateurs défendre leurs amendements, on a l’impression que la garde à vue est automatique dès lors que les six critères sont remplis. Or, depuis le début de nos travaux, il a été rappelé qu’elle devait être exceptionnelle et qu’il revenait à l’officier de police judiciaire d’apprécier sa nécessité. La garde à vue n’est donc en aucun cas automatique. Il faut avoir cela à l’esprit avant de voter sur les amendements.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur Huyghe, la garde à vue n’est certes pas automatique, mais, dans la mesure où c’est un système protecteur, l’officier de police qui ne la prononcera pas se mettra dans une situation difficile et l’on retrouvera les problèmes que l’on connaît déjà aujourd’hui.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre gravité de l’infraction et complexité de l’enquête. Ainsi, aux dires des syndicats de police, rien n’est plus difficile à démêler qu’une rixe entre plusieurs individus à la sortie d’un bar, surtout quand ceux-ci ont bu et qu’ils ne se rendent pas bien compte de ce qui s’est passé, alors même qu’il n’y a pas nécessairement eu atteinte grave aux personnes.

M. Sébastien Huyghe. C’est vrai !

M. Dominique Raimbourg. En commission, j’avais proposé un amendement prévoyant un seuil de trois ans. C’est, je crois, un seuil raisonnable, qui correspond au vol à l’étalage, pour prendre un exemple d’infraction courante. De plus c’est le seuil requis pour placer en détention provisoire. La garde à vue étant une mesure de privation de liberté, elle s’apparente un peu à une mesure de détention provisoire.

M. Jean-Paul Garraud. Non !

M. Dominique Raimbourg. Monsieur Garraud, j’ai dit « un peu ». J’ai bien compris que la détention provisoire se situait dans la phase juridictionnelle et la garde à vue dans la phase d’enquête. Vous voyez, je progresse, j’apprends bien mes leçons ! (Sourires.)

En matière de flagrant délit, par contre, une peine encourue de six mois d’emprisonnement suffirait à permettre le placement en garde à vue. Cette durée correspond à des infractions telles que l’outrage ou la rébellion, ce qui permettrait de ne pas laisser les forces de police démunies face au comportement de certaines personnes. On peut discuter à l’infini de la façon dont les contrôles sont effectués, mais, tant que la situation ne s’améliore pas, il ne faut pas laisser les forces de police démunies.

Ce seuil de trois ans aurait pour effet de limiter le recours à la garde à vue, étant précisé que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas garde à vue qu’il n’y a pas d’enquête.

J’avais envisagé néanmoins le seuil de six mois pour les cas de flagrant délit, qui attirent la réprobation du public puisqu’ils sont visibles de tous et que l’arrestation de l’auteur est immédiate.

Voilà le système que j’avais proposé, et qui me paraît assez équilibré.

(L’amendement n° 136 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 137 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 149 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 84 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour soutenir l’amendement n° 49.

M. Apeleto Albert Likuvalu. L’amendement n° 49 vise à compléter les conditions dans lesquelles une personne peut être placée en garde à vue.

Le projet de loi prévoit qu’une personne peut être gardée à vue si elle risque d’exercer une pression sur les victimes ou leur famille. Il convient d’ajouter les proches de la victime, sur lesquels la personne gardée à vue peut également exercer des pressions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement de bon sens.

(L’amendement n° 49, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 226.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. C’est un amendement de cohérence.

(L’amendement n° 226, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann, pour soutenir l’amendement n° 111.

M. Éric Straumann. Cet amendement a pour objet d’étendre les cas de recours à la garde à vue, en permettant à un officier de police judiciaire de placer en garde à vue une personne qui est sur le point de commettre un crime ou un délit, dès lors qu’il s’agit du seul moyen d’empêcher la réalisation de celui-ci.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait puisque le troisième critère vise la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction. Je suggère donc à M. Straumann de retirer l’amendement.

(L’amendement n° 111 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 139.

M. Noël Mamère. Cet amendement vise à permettre plusieurs auditions justifiées par la complexité de l’enquête. Il s’applique principalement aux affaires financières, dans lesquelles il est avéré qu’il est parfois nécessaire de procéder à plusieurs auditions pour mener à bien l’enquête. Il s’agit en fait de renforcer la lutte contre la corruption financière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Le nouveau dispositif me semble tout entier contenu dans le premier critère, à savoir « permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ». Il n’y a pas d’ambiguïté.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement est satisfait. Aussi souhaité-je qu’il soit retiré.

(L’amendement n° 139 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Verchère, pour soutenir l’amendement n° 107.

M. Patrice Verchère. Cet amendement vise à garantir les droits du gardé à vue. Dès lors, son placement en garde à vue ne pourra être arbitraire et se substituer à une mesure de privation de liberté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous sommes dans un État de droit. Donc, par définition, une mesure telle que la garde à vue ne peut pas être arbitraire. Je suggère donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’y suis défavorable.

(L’amendement n° 107 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Dominique Raimbourg. Cet amendement tente de répondre à une difficulté liée à l’organisation des services de police, notamment la nuit. En général, un service de quart fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’officier de police judiciaire de permanence de nuit accueille les personnes amenées sous la contrainte par les équipes de police qui circulent dans la ville. Il n’a pas d’autre possibilité que de commencer les formalités, de notifier la garde à vue et de placer ces personnes dans les geôles, dans l’attente du retour du service d’enquête de jour, afin que l’enquête commence.

M. Claude Goasguen. C’est vrai, cela se passe de cette façon !

M. Dominique Raimbourg. Lors de son audition par le rapporteur, à laquelle j’ai assisté, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a expliqué qu’une garde à vue durait en moyenne douze à treize heures, dont une à deux heures pour l’audition proprement dite. De fait, compte tenu des difficultés à gérer la nuit, les geôles de garde à vue servent de salles d’attente jusqu’au retour des enquêteurs de jour – ainsi que du substitut de permanence qui, à partir d’une certaine heure, est obligé de dormir. En effet, en raison de la faiblesse des effectifs en dehors de Paris, il est impossible aux parquetiers d’assurer un service sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Le dispositif que je propose, et qui nécessite, certes, un peu d’organisation à l’intérieur des services de police, permettrait d’éviter ce placement d’attente, l’OPJ de permanence convoquant la personne pour une audition ultérieure, soit devant lui-même, soit devant un autre enquêteur. Ce système permettrait aussi de faire baisser le nombre de gardes à vue déclenchées pour des faits qui ne les justifient pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Si je partage votre souci, je ne suis pas sûr que le dispositif proposé soit pleinement satisfaisant, car il entre trop dans le détail – même si celui-ci a son importance – alors que la loi a une portée générale. Au demeurant, rien n’interdit pas de procéder ainsi, sans qu’il soit besoin d’alourdir le texte à cet effet. C’est pourquoi l’amendement a été repoussé par la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage le souci de M. Raimbourg, mais on n’est jamais obligé de mettre quelqu’un en garde à vue : on peut toujours le convoquer le lendemain. C’est d’ailleurs l’objet d’un amendement que le Gouvernement présentera à l’article 11. Aussi pourrions-nous revenir sur cette question à ce moment-là. Je suggère donc le retrait de l’amendement.

M. Dominique Raimbourg. Je le retire jusqu’à l’article 11… (Sourires.)

(L’amendement n° 2 est retiré.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)