Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF


N
° 251

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2013 (n° 235),

PAR M. Christian Eckert,

Rapporteur Général

Député

——

ANNEXE N° 48

PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L’ÉTAT

PARTICIPATION DE LA FRANCE AU DÉSENDETTEMENT

DE LA GRÈCE

AVANCES À DIVERS SERVICES DE L’ÉTAT OU ORGANISMES GÉRANT DES SERVICES PUBLICS

Rapporteur spécial : M. Guillaume BACHELAY

Député

____

INTRODUCTION 5

I.– ASSIGNER À L’ÉTAT ACTIONNAIRE UN OBJECTIF DE SOUTIEN À LA COMPÉTITIVITÉ-QUALITÉ DE L’ÉCONOMIE 7

A.– LE PRINCIPE DE L’INTÉGRATION DE L‘ÉTAT ACTIONNAIRE DANS LA POLITIQUE DE COMPÉTITIVITÉ 7

1.– L’objectif premier de protection des intérêts financiers de l’État 7

2.– Un objectif complémentaire de soutien à la compétitivité-qualité de l’économie 8

3.– Les conditions de possibilité de cette évolution 11

4.– Les traductions concrètes du nouvel objectif assigné à l’État actionnaire 13

B.– LES MOYENS NÉCESSAIRES À L’ACCOMPLISSEMENT DE CETTE NOUVELLE MISSION 16

1.– Les moyens administratifs 16

2.– Les moyens financiers 19

3.– L’enjeu de l’articulation entre l’État actionnaire et la Banque publique d’investissement 21

II.– ANALYSE BUDGÉTAIRE DES COMPTES SPÉCIAUX 23

A.– LE COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L’ÉTAT 23

B.– LE COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE PARTICIPATION DE LA FRANCE AU DÉSENDETTEMENT DE LA GRÈCE 26

C.– LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS AVANCES À DIVERS SERVICES DE L’ÉTAT OU ORGANISMES GÉRANT DES SERVICES PUBLICS 26

COMPTE RENDU DE LA COMMISSION ÉLARGIE DU 30 OCTOBRE 2012 À 18 HEURES 31

EXAMEN EN COMMISSION 51

AUDITIONS RÉALISÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL 53

L’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 81 % des réponses étaient parvenues au Rapporteur spécial.

INTRODUCTION

Le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État a trait aux opérations financières menées par l’État actionnaire.

Le Rapporteur spécial soutient l’idée d’une évolution du rôle de l’État actionnaire, qui compléterait son objectif traditionnel de valorisation de son patrimoine financier par un impératif de soutien à la compétitivité-qualité de l’économie. Les entreprises où l’État dispose de participations doivent prendre toute leur part à cet objectif. La justification d’une telle évolution ainsi que les moyens à mobiliser pour la mettre en œuvre sont présentés dans la première partie du présent rapport.

La seconde partie de ce rapport concerne l’analyse budgétaire des comptes d’affectation spéciale Participations financières de l’État et Participation de la France au désendettement de la Grèce et du compte de concours financiers Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics.

I.– ASSIGNER À L’ÉTAT ACTIONNAIRE UN OBJECTIF DE SOUTIEN
À LA COMPÉTITIVITÉ-QUALITÉ DE L’ÉCONOMIE

A.– LE PRINCIPE DE L’INTÉGRATION DE L‘ÉTAT ACTIONNAIRE DANS LA POLITIQUE DE COMPÉTITIVITÉ

1.– L’objectif premier de protection des intérêts financiers de l’État

Les principes directeurs de l’intervention de l’État actionnaire sont aujourd’hui séparés de toute considération de politique économique et sont centrés sur le seul impératif de protection de ses intérêts patrimoniaux.

L’Agence des participations de l’État (APE), qui exerce la mission de l’État actionnaire, a été instituée en 2004 (1) sur la base des recommandations faites par le rapport de M. Barbier de la Serre (2).

La première recommandation de ce rapport était de « distinguer clairement le rôle d’actionnaire de l’État des autres fonctions qu’il remplit à l’égard des entreprises dont il détient une part du capital ». La deuxième préconisation, qui en découle, précisait que « les modalités d’exercice par l’État de ses autres fonctions n’ont pas de raison d’être aujourd’hui substantiellement différentes selon qu’il est ou non présent au capital de l’entreprise. Ces fonctions s’expriment soit par le canal de lois et règlements de portée générale, soit par voie contractuelle. »

L’État actionnaire fonde actuellement ses interventions sur ces deux principes, qui supposent une stricte séparation entre l’État gestionnaire de son patrimoine financier et l’État volontaire poursuivant d’autres objectifs de politique publique. Inscrivant implicitement une telle distinction dans l’acte constitutif de l’APE, le décret du 9 septembre 2004 prévoit, en son article 1er, que celle-ci exerce la mission de l’État « en veillant aux intérêts patrimoniaux de l’État » sans définir d’autres buts à cette mission.

Le contexte de la rédaction du rapport de M. Barbier de la Serre et de la création de l’APE explique en partie cette conception de l’État actionnaire. L’époque était notamment marquée par les difficultés financières de France Télécom, liées à une stratégie hasardeuse de croissance externe qui conduisirent l’État à recapitaliser l’entreprise pour lui permettre de faire face à ses engagements. Dans ce contexte, il s’explique que priorité ait été donnée au renforcement de la capacité de l’État à protéger ses intérêts patrimoniaux afin de prévenir et d’empêcher la réédition de sauvetages tardifs et coûteux d’entreprises publiques.

Cette conception de l’État actionnaire, centrée sur la valorisation du patrimoine public, est complétée par un objectif de cession d’actifs. La stratégie détaillée dans le projet annuel de performances du compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État en témoigne. Il est ainsi précisé que « la finalité du programme (731) (3) est de contribuer à la meilleure valorisation possible des participations de l’État ; dans ce but, l’État actionnaire se voit assigner deux objectifs :

– veiller à l’augmentation de la valeur des participations financières ;

– assurer le succès des opérations de cession des participations financières. »

2.– Un objectif complémentaire de soutien à la compétitivité-qualité de l’économie

La décennie écoulée s’est caractérisée par les limites imposées à l’État actionnaire. La décennie qui s’ouvre, pour l’économie française dans la mondialisation, nécessite une évolution de ce rôle vers une plus grande prise en compte des impératifs de politique économique et, plus particulièrement, de soutien à la compétitivité.

Les entreprises dans lesquelles l’État détient une participation peuvent, sous certaines conditions détaillées plus bas, constituer un vecteur d’intervention utile pour soutenir la compétitivité-qualité, c’est-à-dire la montée en gamme de notre tissu productif et la création d’emplois dans la compétition internationale, par le soutien au financement des entreprises et à la structuration de filières industrielles dans les territoires, par l’appui à la politique d’innovation et à la recherche et développement, ainsi que par le renforcement des liens entre entreprises, enseignement supérieur et formation.

Dès lors, il est indispensable de mettre fin à la réduction progressive de la présence de l’État au capital de ces entreprises de façon à ne pas amputer ses moyens d’action.

Le premier facteur justifiant une telle évolution est à rechercher dans la dégradation sans précédent de la compétitivité de l’économie et dans l’urgence à inverser cette tendance.

La compétitivité de l’économie s’est, en effet, régulièrement et gravement dégradée depuis 2002. Un tel constat est étayé par de nombreux indicateurs – solde des transactions courantes excédentaire de 19,2 milliards d’euros en 2002 et déficitaire de 38,9 milliards d’euros en 2011 (4), taux de marge des sociétés non financières passant de 30,1 % en 2002 à 28,6 % en 2012 (5), diminution de plus d’un quart des parts de marché à l’export entre 2000 et 2010 (6).

Sauf à se résigner à une accélération et une amplification du décrochage – notamment industriel – de notre économie, il semble nécessaire de mettre au service de la politique de compétitivité l’ensemble des instruments à disposition de l’État, y compris les entreprises dont il est actionnaire. Elles sont un atout, et non un coût, une chance et non une charge.

La seconde raison renvoie aux leçons à tirer de l’intervention de l’État au moment de la crise financière de l’automne 2008. Il est ainsi intervenu financièrement en vue de porter assistance aux établissements bancaires fragilisés par la crise – par l’injection de fonds propres – et aux constructeurs automobiles – par l’octroi de financements sous forme de prêts directs.

Deux enseignements peuvent être tirés de ces interventions.

D’une part, la protection des intérêts financiers de l’État a été reléguée au second plan en raison d’objectifs de politique publique qui ont primé sur la stratégie qui aurait dû accompagner ces interventions. À titre d’exemple, la participation de la Société de prise de participations de l’État (SPPE) dans Dexia, dont la valeur d’acquisition s’élève à 1 milliard d’euros, est aujourd’hui entièrement provisionnée. L’État actionnaire, via la SPPE en l’espèce, a donc subi un préjudice financier que l’on peut justifier par la nécessité de stabiliser le système financier.

L’urgence à soutenir la compétitivité de l’économie relève d’un horizon temporel différent de celle du soutien au système financier. Toutefois, dès lors que le soutien à la production sur le territoire national est une condition du maintien de la prospérité du pays à long terme, un tel impératif pourrait inspirer l’État actionnaire de la même manière que l’exigence de stabilité financière l’avait guidé en 2008 et 2009, en conciliant protection du patrimoine public et impératifs de politique économique.

D’autre part, la crise financière a rappelé que les grandes entreprises internationalisées restent dépendantes de l’État dans les situations de crise. En particulier, l’État a prouvé qu’il était prêt à s’engager financièrement pour porter assistance à des entreprises dont la faillite ne lui paraît pas acceptable, quand bien même il n’en était pas actionnaire.

Les entreprises dont il est actionnaire sont, à plus forte raison, bénéficiaires d’un tel engagement. L’expérience a ainsi montré que l’État était prêt à assumer des coûts importants pour soutenir ou secourir certaines d’entre elles – le Crédit lyonnais au milieu des années 1990, France Télécom en 2002-2003. Compte tenu de la garantie implicite que l’État accorde à ces entreprises, il semble que le principe de réciprocité implique que celles-ci prennent en compte certaines de ses préoccupations, notamment en matière de soutien à la compétitivité du territoire national. Dans une période où les ressources publiques se font rares et où leur meilleur usage est impérieux, l’intervention financière de la puissance publique ne peut s’opérer sans que soient clairement fixées des garanties industrielles, sociales et environnementales aux entreprises qui perçoivent le soutien de l’État.

Les auditions menées par le Rapporteur spécial lui ont permis de vérifier que l’idée d’une subordination des décisions des entreprises françaises – y compris lorsque l’État n’est pas actionnaire – à des impératifs d’intérêt national, tels que la nécessité de préserver la prospérité du pays à long terme, peut être partagée par certains dirigeants d’entreprises.

Le principe d’une évolution en ce sens du rôle de l’État actionnaire semble également pouvoir faire l’objet d’un certain consensus.

Décidée sous la précédente législature à la suite des états généraux de l’industrie, la création de la fonction de commissaire aux participations de l’État (7) répond en effet à une préoccupation de même nature que celle exprimée par le Rapporteur spécial. Le commissaire aux participations de l’État, qui est également le directeur général de l’APE, a ainsi pour fonction d’« animer la politique actionnariale de l'État, sous ses aspects économiques, industriels et sociaux ». La mention de ces trois aspects tend à élargir l’action de l’État actionnaire à des champs ne relevant pas strictement de la valorisation du patrimoine financier et à permettre la prise en compte d’autres objectifs de politique publique, en particulier des objectifs de soutien à la compétitivité de l’économie.

S’il est encore trop tôt pour faire un bilan exhaustif de l’action du commissaire aux participations, on notera cependant que sa création s’inscrit dans un mouvement d’évolution de la conception du rôle de l’État actionnaire, qui semble dépasser les clivages politiques.

Lors de son audition devant la commission élargie du 30 octobre 2012, le ministre chargé de l’économie a confirmé le fait que l’instauration du commissariat général à l’investissement constitue une première évolution conduisant à la prise en compte par l’État actionnaire d’impératifs de politique industrielle. Le ministre a ainsi souligné « l’évolution profonde du rôle de l’APE, dotée depuis quelques mois d’un nouveau directeur et qui se voit désormais attribuer un rôle explicite en matière de stratégie industrielle nationale des entreprises qu’elle suit. Dans la continuité des états généraux de l’industrie réunis au printemps 2010, l’État a renforcé pour chacune des participations son implication dans la définition d’une stratégie de développement industriel et économique. Ainsi, dans le secteur de la défense, il convient de réfléchir aux implications des contraintes budgétaires sur les dépenses d’armement et d’anticiper la reconfiguration d’une industrie européenne encore très fragmentée. De même, s’agissant de l’énergie, nous devons définir la configuration optimale du secteur ainsi que ses limites en termes de synergie avec des activités connexes ; identifier les ressources minières pour garantir l’approvisionnement ; et orienter le positionnement de certaines de nos entreprises dans leurs filières respectives. »

3.– Les conditions de possibilité de cette évolution

L’évolution ici proposée du rôle de l’État actionnaire suppose toutefois le respect de plusieurs conditions.

En premier lieu, l’attribution à l’État actionnaire de cette nouvelle fonction n’implique nullement l’abandon de la fonction de gestion patrimoniale des participations mais elle impose de la compléter par la prise en compte des objectifs de politique de compétitivité. L’État ne saurait prendre des décisions dont les conséquences porteraient manifestement et durablement atteinte à ses intérêts patrimoniaux.

L’évolution préconisée par le Rapporteur spécial n’a donc pas pour effet de remettre en cause les fondements actuels de l’État actionnaire, mais de les enrichir par un nouveau pilier destiné à soutenir la compétitivité de l’économie, via les entreprises dans lesquelles l’État détient une participation. Il importe en effet de rappeler les coûts importants que la collectivité a dû supporter en raison des pertes assumées par certaines entreprises publiques qui avaient été amenées à prendre des décisions sous la pression de l’État. Pour éviter la répétition de telles situations, l’État doit continuer à réclamer une gestion exemplaire des entreprises dans lesquelles il détient une participation. C’est une exigence d’intérêt national.

Le Rapporteur spécial souligne qu’il peut exister plusieurs conceptions de la valorisation d’actifs financiers, qui dépendent de l’horizon de l’investissement. Dans ce cadre, l’État a vocation à apprécier ses intérêts financiers sur le long terme et à accompagner les entreprises dont il est actionnaire dans le développement de projets dont la rentabilité peut n’apparaître qu’après plusieurs années. Il ne serait pas acceptable que l’État se comporte comme un investisseur attendant un rendement immédiat et qu’il incite les entreprises à prendre des décisions favorisant leur rentabilité à court terme mais pouvant leur être préjudiciables à long terme. Il revient à l’État d’insuffler à l’économie et à ses agents le sens du temps long et de la prise de risque utile à la production, à l’innovation et à l’emploi.

En deuxième lieu, le cadre juridique applicable aux interventions de l’État actionnaire devra être respecté. Le droit communautaire de la concurrence – dont certaines règles gagneraient grandement à être revues dans l’intérêt même de l’industrie européenne et de ses champions – ainsi que la protection des actionnaires minoritaires et de l’intérêt social des entreprises devront être intégrés dans les décisions qu’il propose.

Le droit communautaire de la concurrence réprime les ententes et les abus de position dominante. Il encadre également les fusions-acquisitions et les aides d’État. En l’espèce, ce sont plus particulièrement les règles liées aux aides d’État qui s’imposent à l’État actionnaire. Dans l’hypothèse de l’octroi de financements par l’État – par exemple, dans le cadre d’une augmentation de capital –, le cadre applicable aux aides d’État impose que l’opération soit réalisée en investisseur avisé, c’est-à-dire que le soutien financier accordé par l’État ne soit pas réalisé « à fonds perdus ». Une telle contrainte, qui mériterait une interprétation pragmatique plutôt qu’une application dogmatique, rejoint la nécessité, mentionnée ci-dessus, de préserver les intérêts financiers de l’État actionnaire dans sa nouvelle mission.

Il importe toutefois de ne pas surestimer les contraintes posées par le droit communautaire. Celui-ci n’impose en effet aucune contrainte sur la nature publique ou privée du capital d’une entreprise et ne pose pas d’obstacles particuliers à l’État actionnaire dès lors qu’il se comporte en actionnaire avisé – ce que la proposition du Rapporteur spécial ne remet pas en cause.

En matière de droit des sociétés, les dirigeants ne peuvent prendre une décision contraire à l’intérêt social de l’entreprise. Par ailleurs, la jurisprudence sanctionne les abus de majorité lorsqu’un actionnaire majoritaire prend une décision qui lèse les actionnaires minoritaires et que ne justifie pas la situation de l’entreprise.

Dans les deux cas toutefois, il semble que la jurisprudence apprécie avec une certaine souplesse ces exigences, ce qui laisserait une marge de manœuvre non négligeable pour poursuivre les objectifs mentionnés plus haut. Par ailleurs, dès lors que l’État se comporte en investisseur avisé, il semble peu probable que les décisions qu’il promeut portent atteinte à l’intérêt social de la société concernée.

En troisième lieu, la capacité de l’État à agir par le biais des entreprises dans lesquelles il détient une participation serait nécessairement conditionnée à la part du capital qu’il possède.

L’État actionnaire majoritaire serait nécessairement mieux armé pour faire valoir ses priorités. Il importe néanmoins de ne pas sous-estimer la capacité d’un actionnaire à influencer la direction d’une entreprise dès lors qu’il détient une part substantielle – bien que non majoritaire – du capital. Même s’il ne détient pas la majorité du capital de plusieurs entreprises, l’État en reste le premier actionnaire et il dispose, comme tout actionnaire de cette nature, d’un pouvoir d’influence non négligeable sur les directions des entreprises. Il ne dépend que de lui d’en user pleinement.

Le tableau ci-après recense les principales entreprises dans lesquelles l’État détient une part substantielle ou majoritaire du capital.

PRINCIPALES ENTREPRISES DANS LESQUELLES L’ÉTAT DÉTIENT UNE PART SUBSTANTIELLE OU MAJORITAIRE DU CAPITAL

(en % du capital)

Entreprises

Part de l’État dans le capital (participations directes et indirectes)

EDF

84,4

Areva

83,2

GDF-Suez

36

Safran

30,2

Thales

27,1

Air France

15,9

EADS

15

Renault

15

France Télécom

13,5 *

Source : rapport sur l’État actionnaire.

* Le Fonds stratégique d’investissement détient également une participation de 13,5 %.

Enfin, il est impératif que les décisions prises dans le cadre de la politique de compétitivité-qualité accompagnent cette évolution du rôle de l’État actionnaire.

Une politique volontariste de soutien à la compétitivité de l’économie, traduite notamment par des interventions de l’État via les sociétés dans lesquelles il détient une participation, ne doit pas conduire à la disparition de la politique menée jusqu’alors et consacrée à l’instauration de conditions favorables à la croissance économique.

Au contraire, l’amélioration de l’environnement des entreprises constitue un élément clé pour que les décisions de l’État soient profitables aux entreprises. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il agit pour la localisation d’unités de production, de bureaux d’études ou de centres de recherche sur le territoire national.

À ce titre, le Rapporteur spécial a pu constater, au cours des auditions qu’il a menées, l’importance stratégique que revêt le crédit d’impôt recherche dans la localisation de centres de recherche en France. Considéré unanimement par les acteurs auditionnés comme l’incitation fiscale la plus favorable à la recherche en Europe, ce dispositif doit être préservé et il ne saurait être modifié que dans le but d’en concentrer les effets sur le secteur industriel et les entreprises ou réseaux de compétence – grands donneurs d’ordre et sous-traitants – exposés à la concurrence internationale.

4.– Les traductions concrètes du nouvel objectif assigné à l’État actionnaire

La mise en œuvre des deux objectifs qui seraient désormais assignés à l’État actionnaire – préservation des intérêts financiers de l’État et soutien à la compétitivité-qualité de l’économie – doit faire l’objet d’une attention particulière.

Il importe d’abord de noter ce que n’implique pas l’évolution proposée. En particulier, du fait du nouvel objectif qui lui serait fixé, l’État n’aurait pas vocation à soutenir financièrement une entreprise qui ne réalise pas les innovations requises pour renouer avec un niveau de performance économique satisfaisant.

Par ailleurs, l’évolution préconisée n’aurait pas d’incidence sur les relations de l’État avec les entreprises dans lesquelles il détient une participation dans l’exercice de ses missions de régulateur, dans la gestion d’un service public ou dans les appels d’offre lancés par la puissance publique. En d’autres termes, dans la ligne du rapport Barbier de la Serre, la fonction de l’État actionnaire resterait distincte des autres fonctions qu’il assume vis-à-vis des entreprises concernées mais prendrait désormais en compte un objectif de soutien à la compétitivité.

En pratique, l’évolution proposée par le Rapporteur spécial pourrait trouver principalement trois traductions concrètes.

En premier lieu, les décisions de localisation des centres de recherche et des sites de production ne seraient pas réalisées sur le seul critère de la maximisation du profit. Outre l’intérêt patrimonial de la société, la nécessité de privilégier le territoire national devrait être intégrée dans la décision.

Il importe de remarquer que cette nouvelle action de l’État actionnaire s’articulerait avec une politique « horizontale » de soutien à la compétitivité. Dès lors, la localisation des centres de recherche et des unités de production sur le territoire national n’aurait pas pour effet de mettre à mal les perspectives financières des entreprises concernées, mais, au contraire, de consolider leur base productive.

Il n’y a pas d’arbres puissants sans racines profondes et les racines des entreprises dont l’État est actionnaire sont en France.

Néanmoins, un tel arbitrage devrait prendre en compte la situation financière et les perspectives de chaque entreprise. Ainsi, il semble qu’une entreprise connaissant des difficultés financières doive privilégier la restauration de sa rentabilité. À l’inverse, dans le cas d’une société percevant des bénéfices récurrents, disposant d’un carnet de commandes fourni et dont la structure financière est satisfaisante, l’État actionnaire devrait faire valoir la nécessité de privilégier le territoire national.

Enfin, il serait opportun que l’État actionnaire exerce un contrôle approfondi sur les contrats s’accompagnant de l’installation d’unités de production dans le pays acheteur. L’État doit être en mesure d’évaluer dans quelle mesure les créations d’activité à l’étranger sont nécessaires à la signature des contrats et quelle ampleur elles doivent prendre.

En deuxième lieu, l’État actionnaire serait fondé à demander aux entreprises dans lesquelles il détient une participation de jouer un rôle de structuration, de protection et d’animation des filières industrielles dans lesquelles elles s’inscrivent – par exemple, par l’octroi de soutiens financiers pour mener à bien certains investissements, par la réduction des délais de paiement ou par la garantie d’une certaine visibilité sur le carnet de commandes.

Le rôle d’EADS-Airbus dans la filière aéronautique pourrait utilement servir d’exemple : il prouve qu’une stratégie de coopération entre les petites et moyennes entreprises de la sous-traitance et les grands donneurs d’ordres est profitable à l’ensemble des parties prenantes.

Mais la transposition à l’identique de relations d’une telle nature ne serait toutefois pas forcément à privilégier compte tenu des différences entre les filières – existence d’un ou plusieurs donneurs d’ordre, poids des fournisseurs de premier rang, nombre d’entreprises, périmètre régional ou inter-régional des acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Néanmoins, l’État actionnaire doit être en mesure d’évaluer les conséquences d’une décision d’une entreprise sur ses sous-traitants. En particulier, il devrait exercer un contrôle spécifique concernant l’impact sur les sous-traitants de la délocalisation d’unités de production des donneurs d’ordres.

L’articulation entre l’intervention de l’État actionnaire et celle de l’État dans ses politiques « horizontales » de soutien à la compétitivité – État stratège, investisseurs, régulateur – semble particulièrement importante dans le cas présent. L’État doit en effet favoriser le développement « d’écosystèmes » favorables au développement de filières recentrées sur une quinzaine de secteurs mobilisant l’outil productif dans sa globalité, ce qui implique notamment des formations initiales et continues adaptées, une anticipation des métiers « en tension » ou de l’enjeu majeur de la transmission-reprise d’entreprises, la mobilisation des pouvoirs publics l’échelon territorial via les pôles de compétitivité ou les clusters d’entreprises ainsi que, dans certains cas, la prévisibilité des commandes qu’il peut passer. Pour que l’État soit légitime à demander une implication des entreprises dans la constitution des filières, il doit poursuivre et amplifier de telles politiques.

Enfin, l’État actionnaire doit veiller à garantir des relations durables entre les entreprises relevant d’un même secteur d’activité et favoriser, dans le respect du droit de la concurrence, les accords commerciaux entre elles. On constate en effet que, au sein du portefeuille d’actifs de l’État, plusieurs entreprises relèvent du même secteur d’activité : EDF, Areva et GDF-Suez dans le secteur des énergies ; EADS, Thales, Safran et DCNS dans le secteur de la défense ; Air France-KLM et la SNCF dans le secteur des transports.

Ces entreprises peuvent être concurrentes sur un même marché, auquel cas le droit impose d’éviter toute distorsion de concurrence au profit de l’une d’entre elles.

Toutefois, elles peuvent également être liées par des relations de client à fournisseur – par exemple, EDF et Areva ou Thales, Safran et EADS. Il semble que, dans de tels cas, l’intérêt national est de favoriser les synergies industrielles et d’assurer des relations de qualité entre entreprises et, tout en respectant la concurrence, de considérer qu’une entreprise dont l’État est actionnaire a une vocation naturelle à être cliente ou fournisseur d’une entreprise de même nature.

À titre d’exemple, le rapprochement entre EDF et Areva, entamé depuis le début de l’année 2012 et traduit par divers accords commerciaux (8), devrait être poursuivi. Le Conseil de politique nucléaire du 28 septembre dernier indique ainsi implicitement que le développement de la filière nucléaire vers la Chine nécessite de poursuivre ce travail de coopération, ce qui nécessite un rapprochement des projets de réacteur de moyenne puissance développés séparément par les deux groupes.

B.– LES MOYENS NÉCESSAIRES À L’ACCOMPLISSEMENT DE CETTE NOUVELLE MISSION 

Si l’évolution préconisée par le Rapporteur spécial semble pouvoir faire l’objet d’un large consensus, ses modalités de mise en œuvre peuvent nourrir le débat public.

Il existe en effet un problème récurrent de mise en œuvre de la politique de l’État actionnaire, qui se traduit plus particulièrement par la difficulté rencontrée par les représentants de l’État aux conseils d’administration des sociétés à faire valoir une position intégrant l’ensemble des objectifs poursuivis par la puissance publique. Rappelons que la création de l’Agence des participations de l’État avait notamment pour objet de permettre une définition claire de la position de l’État, qui ne soit pas brouillée par les souhaits des différents ministères concernés. Les personnes auditionnées par le Rapporteur spécial ont admis l’échec de l’État sur cette question.

La réflexion sur les moyens – administratifs et financiers – qui doivent être mobilisés afin de permettre l’évolution préconisée ne peut donc faire l’économie d’une analyse de ce problème récurrent.

La question des leviers de l’État actionnaire conduit naturellement à s’interroger sur leur articulation avec les nouveaux moyens dégagés dans le cadre de la création de la Banque publique d’investissement.

1.– Les moyens administratifs

Sur le plan administratif, le principal défi dans la mise en œuvre de l’évolution proposée par le Rapporteur spécial réside dans la coordination des services de l’État et des autres organismes publics, tant au niveau central qu’à l’échelon déconcentré.

● S’agissant de l’administration centrale, il ressort des auditions menées par le Rapporteur spécial que la coordination des services de l’État en matière de gestion des participations pourrait réaliser encore d’importants progrès.

Par ailleurs, quand bien même une position commune est définie sur un sujet donné, l’État actionnaire semble pâtir des faibles marges de manœuvre de ses représentants au sein des conseils d’administration des entreprises. Ces représentants sont des fonctionnaires et, à ce titre, ils sont soumis à une obligation d’obéissance à leur autorité hiérarchique. Ils ont donc pour mandat de se conformer aux décisions prises avant la réunion du conseil d’administration. Or, comme les auditions menées par le Rapporteur spécial lui ont permis de le constater, un membre d’un conseil d’administration doit faire preuve de réactivité et de capacité d’adaptation. Les réunions des instances dirigeantes constituent en effet le moment où les principales décisions de gestion sont prises, ce qui implique souvent des discussions et des négociations entre leurs membres.

En complétant les objectifs assignés à l’État actionnaire, il est probable que la proposition du Rapporteur spécial contribuera à rendre d’autant plus urgente la nécessité de définir clairement une position commune à l’ensemble des ministères, qui réponde à la fois aux exigences de protection des intérêts patrimoniaux de l’État et à celles de la promotion de la compétitivité du pays.

Pour faciliter dans le temps la définition de la position de l’État, deux solutions pourraient être envisagées, qui en assureraient la cohérence et permettraient des arbitrages clairs entre les différents objectifs assignés à l’État actionnaire.

Reprenant un dispositif prévu au moment de la création de l’APE, la première option consisterait à formaliser une procédure de coordination et d’arbitrage par l’instauration d’un comité ad hoc réunissant les différents ministères concernés. Une telle solution pourrait toutefois alourdir le processus de décision et n’a d’ailleurs jamais été mise en œuvre depuis 2004.

Une seconde option pourrait conduire à l’instauration d’un organisme public – un « opérateur de l’État » – en charge de la gestion des participations et de la détermination de la position des représentants de l’État au sein des différents conseils d’administration. Les services de l’APE, éventuellement complétés par des agents des ministères sectoriels, seraient affectés à cet organisme. Son instance dirigeante, composée des représentants des ministres concernés par la politique de l’État actionnaire, aurait la charge de définir la position de l’État sur les questions relatives aux entreprises dans lesquelles il détient une participation, en arbitrant entre les impératifs de protection des intérêts patrimoniaux et de soutien à la compétitivité de l’économie.

S’agissant de la réactivité des représentants de l’État dans les conseils d’administration, il semble, en revanche, n’exister aucune solution immédiate, hormis peut-être la désignation de fonctionnaires situés au niveau hiérarchique le plus élevé et disposant d’une forte expertise, voire d’une expérience du secteur l’activité de l’entreprise dont il sera administrateur.

● Dès lors que l’État actionnaire assume une double mission de gestion patrimoniale et de soutien à la compétitivité de l’économie, il semble nécessaire d’assurer une coordination entre ses services et les différents services ou organismes publics en charge de la mise en œuvre de la politique de compétitivité.

Une telle approche semble d’autant plus nécessaire que, dans une approche par filière industrielle, la plupart des entreprises dans lesquelles l’État détient une participation occupent une place prépondérante dans leurs filières respectives. Or, il est probable que, pour ces entreprises, la multiplicité des interlocuteurs ne favorise pas le recours aux facilités offertes par l’État. Rappelons qu’en matière de compétitivité, elles peuvent avoir pour interlocuteurs :

– le commissariat général à l’investissement ainsi que les divers organismes en charge de la mise en œuvre des investissements d’avenir – Agence nationale de la recherche, Caisse des dépôts et consignations, Office national d’études et de recherche aéronautiques... ;

– les organismes de la recherche publique – CNRS, Universités ;

– à l’export, la nouvelle direction du ministère des Affaires étrangères en charge du soutien des entreprises à l’export – la diplomatie économique – ainsi que les organismes tels qu’Ubifrance ou la Coface ;

– en matière de financements, la future Banque publique d’investissement et ses déclinaisons dans les régions.

En pratique, l’objectif serait d’assurer une coordination entre ces organismes et l’État actionnaire. Il n’est pas certain qu’une structure permanente soit nécessaire pour assurer une telle coordination dans la mesure où le principal enjeu résiderait dans la circulation de l’information – la position défendue par l’État actionnaire devant être portée à la connaissance de ces organismes qui agiraient en conséquence.

Dans l’hypothèse de la mise en place d’un organisme public en charge des participations de l’État, il pourrait être envisagé que le commissariat général à l’investissement, la Banque publique d’investissement et le ministère des affaires étrangères soient représentés au sein de son instance dirigeante. Globalement, les personnes auditionnées par le Rapporteur spécial ont insisté sur la qualité et la disponibilité des services de l’État et des organismes publics. La poursuite d’un fonctionnement relativement autonome de ceux-ci pourrait être privilégiée si les contacts informels permettant la circulation de l’information s’avèrent suffisants.

Dans le cadre de la « diplomatie économique » que souhaite développer le Gouvernement, l’État actionnaire devra coordonner ses interventions avec celles des services du ministère des Affaires étrangères en charge de ces questions – en particulier sa sous-direction « Entreprises » – et des organismes publics de soutien à l’export – notamment Ubifrance et la Coface. Une telle coordination serait particulièrement nécessaire pour les contrats requérant un appui diplomatique fort, notamment dans le secteur de la défense ou du nucléaire civil.

2.– Les moyens financiers

Sur le plan financier, les marges de manœuvre sont connues dans le cadre du redressement des comptes publics.

Dès lors que la principale ressource de l’État actionnaire est le produit des cessions de ses actifs (9), ces modalités de financement sont intrinsèquement liées à un objectif de rationalisation de la présence de l’État au sein du secteur productif. Une approche plus fine devra être privilégiée dans le futur afin de donner la priorité au renforcement de la présence de l’État dans les entreprises du secteur industriel.

Concrètement, dans l’hypothèse où il souhaiterait développer une stratégie plus « offensive » de soutien financier des entreprises dans lesquelles il détient des participations, l’État actionnaire ne pourrait dégager de nouvelles ressources pour financer ses interventions mais seulement arbitrer entre différentes participations, en réduisant la part des unes pour augmenter celle des autres.

Par ailleurs, l’utilisation de ces ressources a, dans l’histoire récente, été nettement contrainte par les besoins de recapitalisation d’entreprises publiques dont la gestion a pu être défaillante. Ainsi, entre 1986 et 2011, l’État a financé pour 91,9 milliards d’euros de dotations en capital. La quasi-totalité de ces dotations ont eu pour objet de recapitaliser des entreprises en difficulté ou de financer des structures de défaisance – par exemple, l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR) en charge de la gestion des actifs « pourris » du Crédit Lyonnais. Les seules dotations dédiées au financement de nouveaux investissements semblent concerner celles octroyées à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) en 2005 – 4 milliards d’euros – et à l’Agence de l’innovation industrielle en 2005 et 2007 –2 milliards d’euros – et ont donc bénéficié à des organismes publics et non à des entreprises du secteur concurrentiel.

Quand ces dotations n’ont pas été utilisées au renflouement d’entreprises en difficulté, elles ont été consacrées au désendettement de l’État – avec l’affectation de 13 milliards d’euros à la Caisse de la dette publique en 2006.

Le tableau ci-après illustre un tel constat.

LES DOTATIONS EN CAPITAL RÉALISÉES DEPUIS 1986

(en milliards d’euros)

Bénéficiaire de la dotation

Dates d’octrois des dotations

Montant

TOTAL

1986-2011

91,9

EPFR

1995-2006

8,9

Charbonnages de France

1987-2007

7,7

GIAT

1996-2005

4

ERAP

2004-2008

3,9

Bull

1986-2005

3,6

Air France

1991-1996

3,5

Usinor-Sacilor

1986-1995

2,6

Thomson

1986-1989 et 1997

2,4

EPRD *

1994-1998

1,2

Source : d’après ministère de l’Économie et des finances.

* Établissement public de réalisation de défaisance, structure de défaisance des actifs du Comptoir des entrepreneurs.

Il est peu probable que les marges de manœuvre financières de l’État actionnaire se renforcent à court terme.

En matière de ressources, les cessions d’actifs comme principal moyen de financement pourraient s’avérer moins justifiées s’il s’agit de renforcer les interventions de l’État actionnaire, en vue notamment de soutenir la compétitivité de l’économie.

En matière de dépenses, le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État doit assumer un nombre grandissant de charges non directement liées à sa vocation initiale – par exemple, les dotations aux banques multilatérales de développement ou le financement du démantèlement des installations nucléaires du commissariat à l’énergie atomique (CEA) (10).

Le directeur général de l’Agence des participations de l’État a évoqué la possibilité de réinvestir tout ou partie des dividendes perçus en vue de conférer des moyens d’action financiers à l’État actionnaire. Une telle option mériterait examen et le rendement sur lequel elle se fonde de ne pas être exclusivement consacré à la réduction de l’endettement public.

En définitive, les moyens financiers traditionnels de l’État actionnaire semblent réduits pour une durée probablement prolongée. Un tel constat ne fait pas obstacle à l’évolution préconisée du rôle de l’État actionnaire vis-à-vis des entreprises dans lesquelles il détient une participation, afin notamment qu’il assume pleinement son rôle d’impulsion au sein des conseils d’administration pour la constitution d’un tissu d’entreprises moyennes performantes.

Dans ces conditions, la perspective ouverte par la Banque publique d’investissement doit faire l’objet d’une attention particulière dès lors que l’on estime nécessaire de renforcer le rôle de la puissance publique en matière d’interventions directes sur les entreprises du secteur concurrentiel.

3.– L’enjeu de l’articulation entre l’État actionnaire et la Banque publique d’investissement

La création de la Banque publique d’investissement (BPI) constitue un événement majeur de la présente législature. Elle est également attendue des personnalités auditionnées même si, à l’heure où est rédigé le présent rapport, l’ensemble de ses modalités n’a pas été précisé.

Cette institution répondra à l’objectif de soutien à la compétitivité des entreprises par le biais de financements – prêts ou prises de participation – accordés en investisseur avisé. Elle aura l’ambition et le rôle d’un actionnaire public tel que le propose le Rapporteur spécial.

La réunion au sein d’une même entité de trois structures en charge du financement des PME et des ETI – Oseo, CDC Entreprises et le Fonds stratégique d’investissement – permettra la mise en œuvre de stratégies cohérentes de développement des filières industrielles, de soutien aux entreprises exposées à la concurrence internationale et de promotion de l’innovation.

Si l’on admet que l’État actionnaire doit élargir son champ d’intervention pour prendre en compte un objectif de soutien à la compétitivité, il s’agit alors de réfléchir aux modalités d’articulation entre l’État et la BPI.

En premier lieu, une coordination est nécessaire en matière d’organisation des filières industrielles.

Il ressort des premiers éléments d’information transmis par le Gouvernement que la branche de la BPI en charge des prises de participations se situerait sur un champ – celui des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) – distinct de celui de l’État actionnaire – dont le portefeuille d’actifs est principalement constitué de participations dans des grandes entreprises.

Toutefois, si les entreprises dans lesquelles l’État détient une participation ont vocation à structurer, voire animer les filières industrielles et à mettre en place des stratégies coopératives avec leurs sous-traitants, l’État actionnaire et la BPI – voire d’autres acteurs tels que le commissariat général à l’investissement ou les collectivités territoriales – devront agir en synergie.

Il importe donc de réfléchir aux modalités de coordination entre État actionnaire et BPI. Il a été évoqué plus haut l’hypothèse d’un organisme public en charge de la gestion active des participations de l’État, dont l’instance dirigeante pourrait inclure un représentant de la BPI. Inversement, le conseil d’administration de la BPI pourrait comprendre un fonctionnaire de l’APE.

En l’absence d’une telle formalisation de la coopération entre État et BPI, des liens réguliers seraient nécessaires pour suivre de concert les problématiques impliquant une entreprise dont l’État est actionnaire.

En second lieu, l’instauration de la BPI offre un modèle d’intervention publique qui rejoint les préconisations du Rapporteur spécial et pourrait conduire l’État actionnaire à assumer, sur le champ des grandes entreprises, un rôle similaire à celui qu’occupera la BPI sur le champ des PME.

L’État actionnaire pourrait ainsi jouer, s’agissant des grandes entreprises, une fonction de même nature que celle de la branche de la BPI en charge des prises de participations dans les PME et les ETI. Une telle évolution implique que, rompant avec les politiques menées depuis 1986, le produit des cessions d’actifs réalisées par l’État soit réinvesti dans des entreprises jugées stratégiques et que cette nouvelle approche soit réalisée de manière coordonnée avec la BPI.

Il y aurait là, à la fois, performance de la dépense publique et cohérence stratégique de la puissance publique pour le redressement productif de la nation.

Pour assurer la cohérence de l’intervention publique, l’État et la BPI devraient alors partager une même stratégie – par exemple, sur la détermination des secteurs d’activité et des filières industrielles prioritaires – et déterminer des critères communs de sélection des bénéficiaires.

Sur la question de l’articulation entre APE et BPI, le ministre a souligné, lors de son audition par la commission élargie le 30 octobre 2012, le caractère complémentaire de ces deux outils - question se pose en réalité depuis la création du FSI. Il a ainsi indiqué que « l’APE et le FSI sont (...) deux instruments complémentaires s’inscrivant dans des horizons différents. L’APE poursuit un objectif de renforcement de la compétitivité de notre économie à long terme. (...) À la différence de l’État actionnaire, le FSI n’a pas vocation à détenir des participations majoritaires, mais il s’inscrit dans une démarche d’accompagnement des entreprises. Par ailleurs, l’État est actionnaire du FSI à hauteur de 49 %, et à ce titre il participe activement à sa gouvernance. Cela permet une bonne coordination des investissements. De ce point de vue, la création de la BPI n’a vocation à affaiblir ni l’APE ni le FSI. »

II.– ANALYSE BUDGÉTAIRE DES COMPTES SPÉCIAUX

A.– LE COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L’ÉTAT

Depuis le début de la crise financière de l’automne 2008, devenue crise économique depuis lors, le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État est soumis à des contraintes budgétaires marquées.

Rappelons que, depuis l’instauration d’un compte consacré aux participations de l’État, l’essentiel de son activité a consisté à percevoir des produits de cessions d’actifs pour les affecter principalement à la recapitalisation d’entreprises publiques. Toutefois, peu de cessions ont été menées depuis le début de la crise financière de 2008 en raison notamment de la dégradation des marchés d’actions.

Alors que les modalités habituelles de financement du compte étaient entravées, les besoins financiers de l’État actionnaire ont nécessité l’engagement de dépenses de montants relativement substantiels.

L’article 21 de la LOLF prévoyant que les dépenses d’un compte d’affectation spéciale ne peuvent excéder ses recettes, les marges de manœuvre financières de l’État actionnaire s’en sont trouvées de facto contraintes.

La tension budgétaire à laquelle est soumis le compte a conduit, en 2011, à puiser dans le solde reporté – c’est-à-dire les excédents passés reportés d’année en année. Il n’est pas à exclure que, dès 2012, certaines dépenses soient financées sur la part du solde reporté qui devait être initialement consacrée aux augmentations de capital du Fonds stratégique d’investissement (FSI) et de la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM).

Le tableau suivant détaille les différentes composantes de cette « réserve de crédits » qu’est le solde reporté.

LE SOLDE REPORTÉ DU COMPTE AU 1ER JANVIER 2012

(en millions d’euros)

Solde reporté total

2 061

Part destinée à l’augmentation de capital du FSI

1 780

Part destinée à l’augmentation de capital de la SOVAFIM

60

Solde reporté hors FSI et SOVAFIM

221

Source : d’après ministère de l’Économie et des finances.

 Les premiers résultats de l’exécution de l’année en cours – au 31 août 2012 – ne laissent entrevoir aucune modification des conditions budgétaires du compte. Les dépenses s’élèvent à 869 millions d’euros et les recettes à 575 millions d’euros.

Comme prévu par la première loi de finances rectificative pour 2012, l’État a versé à OSEO une dotation de 365 millions d’euros en vue de la constitution de la « Banque de l’industrie » (11), financée par le redéploiement d’une partie des crédits des investissements d’avenir à hauteur de 500 millions d’euros.

Au 31 août, la principale dépense retracée sur le compte a été la libération de la deuxième tranche de l’augmentation de capital de La Poste, pour 466,7 millions d’euros. Elle est complétée principalement par des dotations d’un montant total de 26,5 millions d’euros à diverses banques multilatérales de développement – des versements supplémentaires d’un montant de 30 millions d’euros étant attendus avant la fin de l’année. La principale dépense prévue avant la fin de l’exercice est l’achat, à hauteur de 207 millions d’euros, de titres d’Areva auprès du Commissariat à l’énergie atomique en vue de financer le démantèlement de ses installations nucléaires.

Hors financement du versement à la Banque de l’industrie, la principale recette a été un reversement par la Monnaie de Paris d’une dotation en capital, pour un montant de 36,5 millions d’euros. La principale recette attendue avant la fin de l’année est la perception d’un boni de liquidation de l’Entreprise minière et chimique (EMC) pour 38 millions d’euros.

Au final, hors dotation à la Banque de l’industrie les dépenses s’élèvent au 31 août 2012, à 503,4 millions d’euros.

Elles sont financées :

– à hauteur de 45,4 millions d’euros par les recettes constatées depuis le début de l’année ;

– à hauteur de 221 millions d’euros par le solde reporté « libre » de toute destination préétablie ;

– à hauteur de 237 millions d’euros par des recettes qui étaient initialement destinées à des opérations particulières – FSI, SOVAFIM et Banque de l’industrie (12).

● Il est d’usage que la prévision de dépenses et de recettes du compte pour l’année à venir soit fixée par la loi de finances initiale de manière conventionnelle, à 5 milliards d’euros. Si elle peut paraître dérogatoire au principe de sincérité prévu à l’article 32 de la LOLF, une telle prévision est justifiée par la nécessité de ne pas dévoiler les projets de cessions d’actifs du Gouvernement, ce qui pourrait avoir un impact sur la valorisation des sociétés concernées.

En dépit de cette absence d’indication, il est probable que la tension que connaît le compte s’accroisse en 2013. L’État devra notamment financer un achat de titres d’Areva auprès du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour 418 millions d’euros (13), la dernière tranche de l’augmentation de capital de La Poste, pour 266 millions d’euros, ainsi que de nouvelles dotations aux banques multilatérales de développement, pour 56 millions d’euros.

En l’absence de cessions d’actifs, le financement de ces opérations devra passer par un recours au solde reporté. Dès lors que les recettes ainsi mobilisées ont été prévues en loi de finances en vue de financer d’autres projets, le Gouvernement devra assurer la bonne information du Parlement sur la nouvelle utilisation de ces ressources.

 La performance de la mission est d’abord appréciée au regard de la capacité de l’État actionnaire à gérer ses participations dans une optique patrimoniale. Les indicateurs fournis par le projet annuel de performances doivent toutefois être pris avec prudence car ils dépendent en très grande partie de la situation financière des sociétés dans lesquelles l’État est majoritaire et qui sont donc consolidées par intégration globale – EDF, Areva, la SNCF et Réseau ferré de France principalement.

PERFORMANCE DES ENTREPRISES DU PÉRIMÈTRE (INDICATEURS ASSOCIÉS
À L’OBJECTIF N° 1 DU PROGRAMME 731)

   

2011

Prévision initiale 2012

Prévision révisée 2012

Prévision 2013

1.1

Rentabilité opérationnelle des capitaux employés

7,3

>9

>7

ND

1.2

Rentabilité financière des capitaux propres

5,7

>7,5

>4,5

ND

1.3

Marge opérationnelle

8,5

>9

>8,5

ND

1.4

Soutenabilité de l'endettement (dette nette/EBITDA)

3,8

<4

<4

ND

1.5

Distribution de dividendes

77,6

ND

ND

ND

Source : projet annuel de performances.

De manière générale, les résultats attendus pour l’exercice 2012 seraient en baisse par rapport à 2011 et par rapport à la prévision initiale sans qu’aucune information ne soit fournie pour justifier une telle évolution. Pour mémoire, l’année 2011 avait été marquée par une lourde perte d’Areva, de l’ordre de 2,8 milliards d’euros, ce qui avait contribué à une dégradation des indicateurs 1.1, 1.2 et 1.3 relatifs à la rentabilité du portefeuille de participations de l’État. Une nouvelle évolution à la baisse de ces indicateurs en 2012 impliquerait une détérioration supplémentaire de la rentabilité des entreprises du périmètre.

L’absence de renseignement des objectifs fixés pour l’année à venir est contraire à l’article 51 de la LOLF qui prévoit que le projet annuel de performances doit présenter les résultats attendus « mesurés au moyen d’indicateurs précis ».

À noter qu’il existe des indicateurs évaluant la capacité de l’État à céder ses participations dans de bonnes conditions. Ces indicateurs sont temporairement dépourvus d’utilité puisque aucune cession d’actifs n’a été réalisée depuis 2008.

B.– LE COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE PARTICIPATION DE LA FRANCE AU DÉSENDETTEMENT DE LA GRÈCE

La création par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 (14) du compte d’affectation spéciale Participation de la France au désendettement de la Grèce est liée à la décision de l’Eurogoupe du 20 février 2012 de rétrocéder à l’État grec les intérêts tirés des obligations souveraines grecques rachetées dans le cadre du securities market program.

Le compte tient lieu de canal budgétaire permettant d’assurer ce transfert financier de la Banque de France vers l’État grec.

Aux termes d’une convention du 3 mai dernier entre l’État et la Banque de France, celle-ci verse, en deux fois, la totalité du montant actualisé des intérêts à percevoir jusqu’en 2020. Le compte doit donc constater une recette de 198,7 millions d’euros en 2012 puis de 555,6 millions d’euros en 2013.

Les intérêts sont reversés progressivement à la Grèce, à hauteur de 198,7 millions d’euros en 2012, de 149 millions d’euros en 2013 puis pour des montants annuels décroissants jusqu’en 2020.

Le compte doit donc dégager un excédent de 407 millions d’euros en 2013. S’il contribuera à améliorer le solde budgétaire de l’État, il sera sans impact sur le solde public car, en comptabilité nationale, la totalité des intérêts à verser serait comptabilisée en dépense sur la seule année 2013.

Ce compte est – à juste titre – dépourvu de dispositif d’évaluation de la performance puisque ses dépenses sont fixées, pour chaque année jusqu’en 2020, par la convention passée entre l’État et la Banque de France.

C.– LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS AVANCES À DIVERS SERVICES DE L’ÉTAT OU ORGANISMES GÉRANT DES SERVICES PUBLICS

Le compte de concours financiers Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics retrace, en dépenses, l’octroi d’avances à ces services ou organismes et, en recettes, leur remboursement. Les intérêts perçus sur ces avances sont affectés au budget général.

Depuis 2009, le compte est en déficit structurel du fait de l’accroissement constant, décrit plus bas, de l’endettement du budget annexe du contrôle et de l’exploitation aériens (BACEA). Comme l’illustre le tableau ci-après, il serait à nouveau en déficit en 2013 en dépit de la perception attendue d’une recette de 83 millions d’euros en provenance de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

PRÉVISION DE RECETTES ET DE DÉPENSES DU COMPTE POUR 2013

(en millions d’euros)

 

Dépenses

Recettes

Solde

Compte

7 525,4

7 505,7

– 19,8

P 821

7 200

7 200

0

P 823

62,5

136,7

+ 74,2

P 824

247,9

169

– 78,9

P 825

15

0

– 15

Source : d’après projet annuel de performances.

 Le programme 821 assure le préfinancement des aides de la politique agricole commune (PAC). Les avances versées à l’Agence unique de paiement (AUP) sont systématiquement remboursées avant la fin de l’année – un crédit bancaire étant alors souscrit par l’AUP pour assurer le financement de ces aides jusqu’à leur remboursement par l’Union européenne.

Pour 2013, la prévision de dépenses et de recettes est revue à la baisse, à 7,2 milliards d’euros, contre 7,5 milliards d’euros les années précédentes. Une telle évolution tire les conséquences de plusieurs années marquées par des dépenses inférieures à 7 milliards d’euros et tend donc à améliorer la sincérité de la prévision.

● Le programme 823 retrace l’octroi d’avances à divers organismes de l’État, dont le stock est détaillé dans le tableau ci-après.

STOCK D’AVANCES OCTROYÉES SUR LE PROGRAMME 823

(en millions d’euros)

Organisme

Montant à rembourser au 15/09/2012

Montant prévisionnel restant à rembourser au 31/12/2012

Date prévisionnelle de remboursement

FSN – CDC *

1 200

1 200

2 septembre 2020

AFITF

125,9

110,9

Décision initiale :

15 décembre 2011

Décision de rééchelonnement (15):

15 M€ en 2012

83 M€ en 2013

27,9 M€ en 2014

Cité de la Musique

55,7

53,3

31 décembre 2009

INRAP **

15,5

15,5

Deux avances :

1er mars 2008 (8 M€)

20 décembre 2009 (7,5 M€)

* Fonds pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts dans le cadre des investissements d’avenir.

** Institut national de recherches archéologiques préventives.

Source : ministère de l’Économie et des finances.

Sur le début de l’année 2012 – jusqu’au 14 septembre –, une seule avance a été octroyée, au profit de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), pour un montant de 12,4 millions d’euros, en vue de financer des projets immobiliers sur une période courant jusqu’en 2024. Il est prévu que soit remboursée, avant la fin de l’année, une partie des avances accordées à la Cité de la Musique – pour 2,4 millions d’euros – et à l’AFITF – pour 15 millions d’euros.

Pour 2013, une nouvelle avance de 12,5 millions d’euros serait accordée à l’AEFE. En recettes, il serait constaté un remboursement de 83 millions d’euros provenant de l’AFITF – conditionné à la mise en place de la « taxe poids lourds » dont le produit doit assurer son financement – ainsi qu’un nouveau versement de 2,4 millions d’euros de la Cité de la Musique. Comme il est d’usage, il est également prévu, à titre de précaution, un montant de crédits – et de recettes correspondantes – de 50 millions d’euros destiné à assurer le financement d’éventuels besoins constatés en cours d’exercice.

À noter que les avances octroyées à la Cité de la musique et à l’INRAP n’ont pas fait l’objet d’un constat de pertes ou d’une décision de rééchelonnement alors qu’elles n’ont pas été remboursées dans les délais.

Selon les informations transmises au Rapporteur spécial, de telles décisions ne seraient pas à l’ordre du jour car :

– la Cité de la musique affecte les revenus tirés de la salle Pleyel au remboursement de l’avance qui lui a été accordée – rappelons que l’avance devait initialement être remboursée par la vente de cette salle ;

– aucune décision ne serait prise concernant l’INRAP « dans l’attente des effets de la réforme du financement de l’archéologie préventive engagée en 2011 et d’un règlement global de la situation financière de l’INRAP. »

Ces indications ne suffisent toutefois pas à justifier l’absence de décision du Gouvernement quant au devenir de ces avances dès lors que l’article 24 de la LOLF prévoit que « toute échéance qui n’est pas honorée à la date prévue doit faire l’objet, selon la situation du débiteur, soit d’une décision de recouvrement immédiat (...) soit d’une décision de rééchelonnement (...) soit de la constatation d’une perte probable (...). »

 Le programme 824 retrace l’octroi et le remboursement des prêts accordés par l’État au budget annexe du contrôle et de l’exploitation aériens (BACEA).

La présentation du BACEA est nécessairement équilibrée. Le déséquilibre des opérations de financement menées sur ce compte traduit les déficits récurrents qui affectent ce service de l’État. Comme l’illustre le tableau suivant, le déséquilibre entre octroi de prêts et remboursement d’avances est constant depuis 2007.

OCTROI ET REMBOURSEMENT DE PRÊTS AU BACEA

(en millions d’euros)

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012 (p)

2013 (p)

Octroi de prêts

103

104

282

251

194

250

248

Remboursements

276

25

36

82

86

122

169

Solde

+ 73

– 79

– 246

– 169

– 108

– 128

– 79

Si les prévisions pour 2012 et 2013 se vérifient, la dette du BACEA envers l’État aura augmenté de 809 millions d’euros de 2008 à 2013. Le déséquilibre constant des dépenses retracées sur le programme 824 et des recettes qui y sont associées explique en très grande partie le déséquilibre récurrent de l’ensemble du compte.

● Enfin, il est créé un nouveau programme 825 retraçant les avances accordées à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) en vue de l’indemnisation des victimes du benfluorex. Il est prévu, sur ce programme, l’octroi d’une avance de 15 millions d’euros en 2013 qui serait remboursée ultérieurement.

● L’évaluation – très formelle – de la performance de la mission est appréciée au regard du respect des dispositions de l’article 24 de la LOLF qui prévoit le régime juridique applicable aux avances octroyées sur les comptes de concours financiers.

Les indicateurs portent sur le respect de la neutralité budgétaire des opérations et des règles relatives à la limitation de la durée des avances octroyées.

S’il est assez étonnant que la performance de l’administration soit appréciée au regard de sa capacité à respecter la loi, il ressort, par ailleurs, que l’administration ne respecte pas l’esprit des indicateurs qu’elle a elle-même instaurés. En effet, ceux relatifs à la limite de durée des avances octroyées ne font ressortir ni l’octroi au FSN et à l’AEFE d’avances d’une maturité supérieure à dix ans ni le fait que le refinancement des prêts accordés au BACEA par l’octroi de nouveaux prêts constitue une entorse au principe de limitation de durée des avances.

COMPTE RENDU DE LA COMMISSION ÉLARGIE
DU 30 OCTOBRE 2012 À 18 HEURES

(Application de l’article 120, alinéa 2, du Règlement)

M. Dominique Baert, président. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre de l’économie et des finances, et vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Gilles Carrez qui préside actuellement une autre réunion de la Commission des finances consacrée à la TVA sur la restauration.

Nous sommes réunis en commission élargie pour vous entendre sur les crédits pour 2013 des missions « Engagements financiers de l’État » et « Remboursements et dégrèvements », des comptes d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » et « Participation de la France au désendettement de la Grèce », et du compte de concours financiers « Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics ».

Je rappelle que la Conférence des présidents du 31 juillet dernier a reconduit la procédure des commissions élargies destinée à favoriser les échanges les plus interactifs possible entre les ministres et les députés.

M. Dominique Lefebvre, rapporteur spécial de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour la mission « Engagements financiers de l’État ». Je commencerai par quelques réflexions générales sur la situation de la dette publique.

La mission « Engagements financiers de l’État » comporte six programmes, dont le plus important en volume budgétaire est le programme « Charge de la dette et trésorerie de l’État »,pour lequel 46,9 milliards d’euros de crédits sont ouverts pour 2013 – soit près de 95 % des crédits de la mission. Ce programme représente la première dépense budgétaire de l’Etat hors charges de pensions et la troisième, toutes dépenses confondues, derrière les programmes « Remboursements et dégrèvements » et « Enseignement scolaire ».

En l’espace de trente-cinq ans, la France est passée d’une économie à forte croissance fondée sur le dynamisme de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises à une économie dont le principal ressort est l’endettement public et où la croissance est à la fois plus faible et plus volatile.

Si la dette a augmenté continûment depuis trente-cinq ans, on peut néanmoins distinguer six phases dont deux se démarquent. En effet de 1993 à 1996, puis à compter de 2007, la dette publique a augmenté en moyenne de plus de 4,4 % par an. Il n’y a qu’entre 1997 et 2001 que le taux de dette publique par rapport au PIB s’est stabilisé en deçà du critère fixé par le traité de Maastricht et a même diminué. De 59,5 % du PIB en 1997, la dette n’en représentait plus que 57,1 % en 2001.

La crise est loin d’expliquer cette dérive de la dette publique – dette de l’État principalement, mais aussi dette sociale. La dette sociale cumulée depuis 1996 qui a été transférée à la CADES se monte à 210 milliards d’euros. Même si un mécanisme d’amortissement permet de la ramener aujourd’hui à 140 milliards d’euros, c’est beaucoup trop et surtout peu responsable vis-à-vis des générations futures.

L’évolution constatée est liée, notamment depuis 2002, à un solde structurel négatif. De 2007 à 2011, la dette a augmenté de 22 points de PIB, avec un solde structurel négatif passé de 2,3 % à 4,8 % du PIB de 2006 à 2010. C’est dire que l’accroissement de la dette publique, loin de s’expliquer par la crise et des phénomènes conjoncturels, tient à des décisions publiques qui, pour avoir été ou n’avoir pas été prises, ont aggravé le déficit structurel.

La dette publique représente aujourd’hui une charge de plus de 26 000 euros par habitant et de 62 000 euros par ménage. Sa charge représente 2,2 points de PIB. C’est les deux tiers des ressources nettes de l’impôt sur le revenu ou bien encore 95% des dépenses de fonctionnement nettes de l’État. La nouvelle majorité n’est pas responsable de cette situation : elle n’en doit pas moins l’assumer. L’encours de la dette publique totale devrait atteindre 1 830 milliards d’euros fin 2012 et le besoin de financement de l’Etat s’établir à 171,1 milliards d’euros en 2013.

Maîtriser la dette publique est donc devenu un impératif de souveraineté nationale – avons-nous toujours la capacité de la garantir avec une telle dépendance aux marchés financiers ? – et de responsabilité vis-à-vis des générations futures.

Le poids de la dette et de la charge de ses intérêts dans le budget de l’État expose aujourd’hui à trois risques majeurs.

Un risque financier, tout d’abord, vu la volatilité des taux d’intérêt et l’influence des agences de notation sur le marché des dettes souveraines.

Un risque économique, ensuite, avec un risque d’emballement de la dette. Il n’y a pas de seuil absolu, mais toutes les études rétrospectives montrent qu’au-delà de 90 % du PIB, un effet boule de neige peut se produire et grever durablement la croissance.

Un risque politique, enfin, car tout accroissement de la charge des intérêts de la dette signifie autant de marges de manœuvre en moins pour financer les priorités politiques.

Le choix du nouveau Gouvernement d’inverser la courbe de la dette dès 2014 et d’atteindre l’équilibre structurel en 2016 est donc à la fois courageux et surtout responsable.

Ces remarques générales étant faites, je vous poserai, monsieur le ministre, quatre questions.

Tout d’abord, sur le programme « Charge de la dette et trésorerie de l’État ». Pourrions-nous avoir des informations sur le volume des amortissements de dette arrivant à échéance en 2014 et 2015 ? Le besoin de financement de l’Etat pour 2013, même s’il diminue de près de 12 milliards d’euros par rapport à 2012, demeure colossal, se montant à 171,1 milliards d’euros. Si la part liée au déficit budgétaire régresse, celle des amortissements de dette progresse en revanche. Nous avons besoin d’informations sur la trajectoire. Si l’on connaît les prévisions du Gouvernement en matière de solde budgétaire jusqu’en 2017, il est important de savoir aussi comment les choses évoluent, notamment pour comprendre la dépendance aux marchés.

Je tiens à souligner l’excellent travail réalisé par l’agence France Trésor en matière de gestion de la dette et de trésorerie de l’État. Ce travail a permis de détendre l’exposition de la France. Des efforts importants ont été réalisés pour mieux centraliser les trésoreries sur le compte unique du Trésor, ce qui a permis un moindre recours aux BTF à 3 et 6 mois. Existe-t-il encore des marges de manœuvre en la matière ?

En 2012, la charge nette de la dette sera inférieure d’environ 2 milliards d’euros à la prévision initiale, essentiellement du fait de la faiblesse historique des taux d’intérêt. Le projet de loi de finances pour 2013 table sur une remontée progressive de ces derniers, mais prévoit néanmoins une stabilisation de la charge de la dette, alors même que l’encours continuera de progresser. Cette situation paradoxale perdurera-t-elle au-delà de 2013 ou faut-il s’attendre à une augmentation de la charge des intérêts de la dette en 2014 et 2015 ? Si oui, pour quel montant ?

Le programme « Appels en garantie de l’État » ne présente pas de problèmes particuliers dès lors que l’État maîtrise bien les risques qu’il encourt à proportion des garanties qu’il octroie – j’ai abordé cette question lors de l’audition du directeur général du Trésor. Ce programme se trouve au cœur du soutien financier aux banques, dont Dexia, et du plan de sauvetage en cours des États membres de la zone euro en difficulté. À ce jour, aucun appel en garantie n’a eu lieu à ces titres et il n’en est pas prévu non plus en 2013. Comment évaluez-vous le risque budgétaire à moyen et long terme lié à l’octroi de ces garanties ?

La situation du Crédit immobilier de France (CIF) est préoccupante. Nous avons déjà abordé le sujet en commission et aurons à y revenir en séance publique pour discuter des conditions d’octroi de la garantie de l’État à cet établissement. La colère est grande quand on voit tout ce qui aurait pu être fait depuis de nombreuses années pour éviter la situation actuelle. Où en sont les discussions entre l’État et la direction du CIF depuis l’audition du directeur général du Trésor par la Commission des finances le 22 octobre dernier ?

Je termine par le programme « Épargne ». On constate de nouveau en 2012 un découvert de près de 50 millions d’euros auprès du Crédit foncier de France. Cette dette sera-t-elle apurée ? Si oui, par quel biais ?

M. Dominique Baert, président. Les précédents découverts ont en effet mis du temps à être apurés.

Mme Eva Sas, rapporteure spéciale, pour la mission « Remboursements et dégrèvements ». La mission « Remboursements et dégrèvements » est la plus importante, en volume, du budget de l’État, avec 96 milliards d’euros de crédits prévus pour 2013. Plutôt que d’en présenter de manière exhaustive les crédits, je souhaiterais mettre l’accent sur trois points particuliers.

Tout d’abord, la mission retrace des remboursements de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE). Partant de là, je me suis intéressée plus largement aux dépenses fiscales liées à la consommation d’énergies fossiles.

Selon le rapport du comité d’évaluation de l’Inspection générale des finances sur les niches fiscales, ces dispositifs présentent une double caractéristique.

D’une part, leur incidence sur l’emploi est – je cite le rapport – « vraisemblablement peu significative ». Les exonérations de TICPE au profit des vols intérieurs ne permettraient de sauvegarder que 950 emplois et celles au profit du transport routier seulement 800. Cette dernière exonération représente un coût par emploi de quelque 412 000 euros, ce qui est, vous en conviendrez, exorbitant. Le Gouvernement confirme-t-il les évaluations de l’Inspection générale des finances ? L’argent public ne pourrait-il pas être utilisé plus efficacement, à la fois en soutien de l’emploi et pour la protection de l’environnement ?

Le rapport de l’IGF montre, d’autre part, que la fiscalité applicable aux différents modes de transport ne prend pas en compte leur impact environnemental. En effet, les transports les plus polluants ne sont pas les plus taxés. Les modes de transport collectif, que nous devrions pourtant encourager pleinement pour réduire les émissions de CO2 et désengorger les axes routiers, sont à peine avantagés. La taxe applicable au gazole utilisé dans les transports publics est de 39,19 euros par hectolitre contre 42,84 euros pour celle applicable au gazole utilisé par les particuliers. Quant au transport aérien, qui émet pourtant le plus de CO2 par passager, il est le plus soutenu puisque totalement exonéré de taxe sur le kérosène.

Le Gouvernement partage-t-il ce constat ? Ne faudrait-il pas revoir la fiscalité énergétique en fonction du double critère de l’emploi et des émissions polluantes ?

Je me suis par ailleurs attachée à étudier les contentieux fiscaux dans lesquels l’État a été condamné et qui pourraient lui coûter plus de 8 milliards d’euros sur les années 2012 à 2014, dont 1,8 milliard d’intérêts moratoires.

L’État a été condamné pour les deux régimes fiscaux des OPCVM et du précompte mobilier, du fait desquels les contribuables non résidents étaient plus fortement taxés que les contribuables résidents. Dans ces conditions, la condamnation de l’État ne faisait guère de doute.

D’ailleurs, dans son rapport de juin dernier sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes indique que la direction générale des finances publiques avait alerté le précédent Gouvernement sur les risques de condamnation dans l’affaire des OPCVM. Aucune mesure de correction n’a pourtant été décidée avant cette législature et il a fallu attendre la loi de finances rectificative d’août dernier.

Monsieur le ministre, confirmez-vous que la direction générale des finances publiques avait alerté le Gouvernement précédent des risques de condamnation associés à ces contentieux ? Si oui, comment expliquez-vous que celui-ci n’ait pas réagi ? Une mise en conformité plus rapide du droit aurait pourtant permis que les intérêts moratoires à acquitter soient moindres.

Je souhaite enfin appeler l’attention de la Commission sur deux points particuliers concernant le bouclier fiscal. Celui-ci fait l’objet non pas d’un crédit d’impôt, mais d’une imputation sous forme de réduction de l’ISF sur l’année N et les années suivantes. Malgré sa suppression en juillet 2011, le Gouvernement de l’époque a dû reporter sur les années suivantes des charges très significatives, qui s’élèvent encore à 350 millions d’euros en 2013.

Par ailleurs, et c’est plus gênant encore, la charge prévisionnelle du bouclier fiscal en 2012 a été réévaluée de 150 à 450 millions d’euros. Cette révision n’est pas anodine. En effet, la réforme de l’ISF du printemps 2011 était censée être équilibrée sur le plan financier dès 2012. Cette estimation se fondait notamment sur un coût estimé du bouclier de 150 millions d’euros. On sait maintenant que, contrairement aux annonces du gouvernement précédent, la réforme n’aura pas été équilibrée. Tout laisse à penser que la prévision initiale de 150 millions d’euros avait été volontairement sous-évaluée.

Monsieur le ministre, à votre connaissance, comment se justifiait la charge prévisionnelle du bouclier fiscal pour 2012, estimée au moment de la réforme de l’ISF en 2011 ? Accepteriez-vous de qualifier cette prévision d’insincère ?

M. Guillaume Bachelay, rapporteur spécial, pour les comptes d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » et « Participation de la France au désendettement de la Grèce », et pour le compte de concours financiers « Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics ». En tant que rapporteur des participations financières de l’État, je me suis appliqué à réfléchir au périmètre d’intervention actuel de l’État actionnaire et à voir comment il pourrait évoluer.

La mission actuelle de l’État actionnaire consiste à valoriser son patrimoine financier. La légitimité de cette mission ne fait pas de doute et il n’est pas question de la remettre en cause – c’est d’ailleurs l’objet de la seconde partie de mon rapport.

Chacun s’accordera néanmoins sur la nécessité de soutenir la compétitivité de l’économie – dont l’insuffisance est attestée par le juge de paix incontestable que constituent notre balance commerciale et nos parts de marché à l’exportation, qui se sont gravement et continûment dégradées depuis 2002, dernière année où le solde du commerce extérieur français fut positif.

Pour l’actuelle majorité, la puissance publique doit mobiliser tous les moyens à sa disposition pour renforcer la vraie compétitivité – la compétitivité-qualité – de l’économie française. Les entreprises dont l’État est actionnaire doivent y prendre toute leur part.

L’État actionnaire doit non seulement garantir la bonne gestion de ces entreprises, mais également peser sur leurs décisions afin de renforcer la compétitivité-qualité. Concrètement, l’État devrait encourager ces entreprises à structurer et animer leur filière industrielle, en particulier pour construire des relations de compétences et de confiance entre donneurs d’ordre et PME sous-traitantes ; à privilégier autant que possible la localisation en France de leurs centres de recherche et de leurs unités de production ; à développer des synergies industrielles avec les autres entreprises publiques du même secteur d’activité.

Il s’agit non pas de réactiver les politiques interventionnistes des années 70, mais, dans un contexte de mondialisation et de compétition internationale farouche, de définir une politique économique au sein de laquelle l’État actionnaire pourrait jouer pleinement son rôle dans le double cadre qui s’impose à lui.

Tout d’abord, le cadre juridique du droit de la concurrence – dont votre rapporteur estime qu’il gagnerait à s’appliquer de manière moins dogmatique en Europe – et du droit des sociétés. Ensuite, le cadre financier qui impose une gestion rigoureuse des entreprises publiques. Il n’est pas question de nier ces contraintes, mais l’État conserve une marge d’action non négligeable.

Monsieur le ministre, ma question est double.

Quelle est la position du Gouvernement sur cette proposition d’assigner à l’État actionnaire l’objectif de soutenir la compétitivité- qualité de l’économie, lequel compléterait l’objectif traditionnel de valorisation de son patrimoine financier ?

Alors que la Banque publique d’investissement aura pour vocation de prendre activement des participations dans les PME et les ETI au service l’innovation, en lien avec les acteurs régionaux, et de les soutenir, si les missions de l’État actionnaire demeuraient inchangées, cela ne conduirait-il pas à maintenir l’État dans un rôle de gestionnaire de participations héritées du passé et progressivement cédées au gré des besoins des finances publiques ?

M. Dominique Baert, président. Je remercie les rapporteurs spéciaux. Avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, j’ai moi aussi quelques questions à vous poser.

Tout d’abord, sur le programme « Charge de la dette et trésorerie de l’État ». La France bénéficie actuellement de conditions de financement très favorables grâce à des taux d’intérêt négatifs sur les BTF à 3 et 6 mois et à des taux plus faibles que prévu sur les OAT à 10 ans. Selon vous, quels facteurs pourraient être à l’origine d’un retournement de situation pour la France ? Y a-t-il un risque crédible d’envolée des taux à court ou moyen terme ?

Sur le programme « Appels en garantie de l’État », quelle est votre appréciation générale sur la capacité de l’État à maîtriser le degré d’exposition aux risques pour les garanties qu’il accorde ? L’État ne risque-t-il pas d’être appelé rapidement en garantie pour Dexia ? Quel en serait l’impact sur les finances publiques ?

Enfin, s’agissant du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », il semble que EDF travaille actuellement avec un partenaire chinois, CGNPC (China Guangdong Nuclear Power Company), sur un nouveau réacteur de moyenne puissance. Il est étonnant qu’Areva ne soit pas associé à ce projet et développe, semble-t-il, un projet semblable avec un partenaire japonais. Le gouvernement précédent avait évoqué une mise en commun des deux projets. Quelle est la position de l’actuel Gouvernement sur la question ? Comment au demeurant maîtriser les transferts de technologie vers la Chine si le projet devait aboutir ?

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. J’ai bien pris note de toutes vos questions et vais m’efforcer d’y répondre. Je devrai malheureusement, pour des contraintes d’agenda, vous quitter avant la fin de cette réunion. Benoît Hamon prendra alors le relais.

Après une réunion consacrée la semaine passée aux moyens de fonctionnement du ministère de l’économie et des finances, votre commission examine aujourd’hui des dépenses d’une autre nature, liées aux grandes orientations de la politique économique et, s’agissant des remboursements et dégrèvements, à la politique fiscale.

Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leurs rapports et le caractère incisif de leurs questions.

Les charges de la dette constituent l’essentiel des dépenses de la mission « Engagements financiers de l’État » avec 47 milliards d’euros prévus en 2013, contre 46 milliards pour la mission « Enseignement scolaire » et 26 milliards pour la mission « Recherche et enseignement supérieur ». C’est un montant considérable qui traduit le poids très élevé de l’endettement que notre pays supporte après des années de dérive. Sur ce point, je partage le sentiment de Dominique Lefebvre. Il est vrai qu’il n’y a pas de seuil fatal dans l’absolu, mais 90% du PIB est en général considéré comme celui au-delà duquel se produit un effet boule de neige et où la croissance est durablement atteinte.

Il est donc impératif que l’État se désendette. D’où le choix fait par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2013 et le projet de loi de programmation triennal des finances publiques de redresser les comptes pour dégager ensuite des marges de manœuvre. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises : au-delà d’un certain niveau, le poids de la dette handicape notre croissance et consomme des ressources qui pourraient être utilisées pour financer nos priorités. Il faut casser ce cercle vicieux.

Les charges de la dette dépendent non seulement du poids de celle-ci, mais aussi du niveau des taux d’intérêt, lesquels ne sont naturellement pas indépendants de notre crédibilité budgétaire – le contexte européen actuel le montre amplement. Nous empruntons aujourd’hui à des taux historiquement bas parce que notre politique est crédible. Si nous venions à baisser la garde et à céder aux sirènes du laxisme, il ne fait aucun doute que nous tomberions dans cet autre cercle vicieux que d’autres pays ont connu, où la sanction des marchés est immédiate et où l’augmentation des taux accroît la charge de la dette. Et les deux processus étant cumulatifs, l’augmentation ne se limite pas à quelques dixièmes de point. Il est de l’intérêt de l’État, et de manière plus générale de notre économie, que les taux demeurent bas. Je ne vois pas aujourd’hui de menace, monsieur le président, mais nous devons rester vigilants. Cette discussion budgétaire, ici et au Sénat prochainement, est d’ailleurs scrutée par des spécialistes en France, en Europe et dans le monde.

Les services du ministère s’attachent à cette vigilance avec une compétence reconnue sur le plan international. Maîtrisons-nous l’ensemble des risques ? Je crois que oui. Je ne suis pas de ceux qui accusent la direction du Trésor d’incompétence ou de déloyauté. Elle a sans doute des défauts – c’est le propre de l’humanité. Mais avec l’agence France Trésor, elle gère notre endettement de manière efficace.

Dans les dépenses examinées aujourd’hui, les engagements communautaires de la France comptent également pour beaucoup, avec la contribution prévue en 2013 au Mécanisme européen de stabilité (MES) et l’augmentation de capital de la Banque européenne d’investissement, à la suite des décisions du Conseil européen de juin dernier. Au total, plus de 8 milliards d’euros ont été ouverts à ces deux titres en 2013.

On touche également de près dans ce champ aux interventions économiques, aussi bien à travers des mécanismes permanents – je pense, par exemple, au financement des entreprises exportatrices, que l’État soutient en leur apportant sa garantie – qu’à travers des décisions plus ponctuelles, comme pour Dexia ou le Crédit immobilier de France. Dans ces deux cas, très différents, l’État a pris ses responsabilités.

S’agissant de Dexia, j’ai dû, en arrivant au ministère, traiter ce lourd héritage laissé par l’ancien gouvernement. L’objectif est de stabiliser définitivement la banque résiduelle, afin d’éviter toute incidence systémique. Il est aussi de faire aboutir au plus vite le projet de rachat de DMA par l’État, la Caisse des dépôts et la Banque postale, afin de disposer d’un nouvel outil pour financer les collectivités locales. C’est une priorité pour le Gouvernement qui partage votre préoccupation. J’y insistais la semaine dernière encore à Bruxelles auprès du commissaire Almunia qui doit autoriser l’opération. J’espère qu’elle aboutira très vite.

S’agissant du Crédit immobilier de France, l’État est intervenu pour éviter la faillite de la banque. La garantie n’était pas la solution que souhaitait l’État. Du fait de l’application du droit communautaire et en l’absence de modèle économique viable, celle-ci implique en effet l’arrêt de la production de nouveaux crédits et la mise la mise en extinction de la banque. Le Gouvernement aurait préféré une autre solution qui permette, en adossant le CIF à un grand acteur bancaire, une poursuite de l’activité. Mais beaucoup de temps a été perdu dans ce dossier et la situation économique et financière de l’établissement était trop dégradée pour que cela soit possible.

Le Gouvernement souhaite désormais pouvoir mettre en œuvre la garantie dans les meilleurs délais et notifier au plus vite le dossier aux autorités européennes. Il tente, par ailleurs, de résoudre les questions soulevées par l’arrêt de la production du CIF. Il travaille notamment à faire développer par la Banque Postale une offre de prêts à l’accession sociale à la propriété et à pérenniser les missions sociales des SACICAP, actionnaires du CIF. Nous sommes bien entendu très attentifs aussi au sort des personnels.

Nous aurons l’occasion d’échanger sur la gestion par l’État de ses participations financières, mais sachez d’ores et déjà, monsieur Bachelay, que l’État actionnaire cherche – et c’est bien naturel – à valoriser son patrimoine financier. Sa mission est toutefois bien plus large : il se doit d’accompagner les entreprises publiques vers plus de compétitivité en définissant une stratégie industrielle de long terme, en soutenant leur gouvernance, en les épaulant dans les défis qu’elles doivent relever. Et cet État actionnaire, qui compte dans son portefeuille près de soixante entreprises publiques ou à participation publique, agit de façon complémentaire et coordonnée avec le Fonds stratégique d’investissement qui, demain, sera intégré au sein de la Banque publique d’investissement – dont je sais qu’elle vous est chère, car vous êtes en partie à son origine.

J’en viens aux questions que vous m’avez posées.

S’agissant du programme « Charge de la dette et trésorerie de l’État », le besoin de financement de l’État pour 2013 est toujours colossal : 171,1 milliards d’euros, même s’il diminue de 11,7 milliards d’euros par rapport aux besoins constatés en 2012. Toutefois, la structure de financement évolue, puisque la partie liée au déficit budgétaire se resserre de plus en plus grâce aux efforts du Gouvernement, tandis que la part des amortissements de dette de moyen et long terme arrivés à échéance progresse pour atteindre 109,5 milliards d’euros en 2013.

À la date du 30 septembre 2012, les encours des obligations de moyen à long terme – obligations assimilables au trésor, bons du trésor – sont les suivants : 107,9 milliards d’euros en 2013, 118,1 milliards en 2014, 125,6 milliards en 2015 et 117,1 milliards en 2016. Ces encours ne sont toutefois pas définitifs, parce que d’autres émissions auront lieu dans le futur sur une maturité de deux ans et plus, parce que des achats par anticipation seront réalisés avant la date de maturité de ces titres, ce qui diminuera leur encours, et parce que l’encours est augmenté chaque année de la provision pour charges d’inflation des titres indexés sur l’inflation.

Sur l’exécution 2011 et 2012, les dépôts d’entités sur des comptes ouverts au Trésor – ces entités déposantes devenant ainsi des correspondants du Trésor – constituent une ressource de trésorerie passive qui contribue au financement de l’État. Dans ce contexte, la politique de centralisation des trésoreries publiques consiste, comme son nom l’indique, à centraliser les dépôts d’entités ayant des liens avec le secteur public, par exemple des établissements publics ou des organismes en charge d’une mission de service public ou bénéficiant de financements publics. L’objectif de cette politique est la réduction du recours aux financements de marché, notamment sur la partie courte de la courbe, et la réduction du ratio de dette publique. Cette politique volontariste, menée en lien entre plusieurs services de Bercy et activement soutenue par la Cour des comptes, a nécessité la modernisation des outils de placement offerts par le Trésor. Elle aura permis, depuis 2010, de centraliser plus de 17 milliards d’euros sur le compte unique du Trésor. Les montants rapatriés sur le compte du Trésor issu de la mutualisation correspondent à plus de 1,2 % de l’encours de la dette négociable de l’État attendu à la fin de 2012.

Pour 2013, aucune opération n’est définitivement arrêtée à ce stade et n’a donc été inscrite dans le projet de loi de finances initial. Toutefois, plusieurs opérations sont en cours d’analyse et pourraient aboutir dans les prochains mois. Je ne manquerai pas d’en tenir informée la Commission des finances.

La charge de la dette devrait s’établir en deçà de 46,7 milliards d’euros, soit un niveau inférieur de plus de 2,1 milliards à celui inscrit dans la loi de finances initiale, en raison du faible niveau des taux d’intérêt. D’où la nécessité de maintenir ce niveau, car à l’inverse, si le déficit était plus important et notre crédibilité plus faible, nous pourrions connaître des évolutions extrêmement coûteuses.

Les taux d’émission de la dette souveraine française enregistrés au cours des derniers mois ont été très favorables. À la mi-octobre, le taux moyen pondéré à l’émission de titres à court terme s’établit à 0,1 %, et celui des titres à moyen et long terme à 1,94 %. Dans ce contexte, les hypothèses de taux retenus pour les années 2013 à 2015 dans le budget triennal de l’État sont prudentes. Il faut tenir compte des évolutions de la politique monétaire, de la BCE, de la crédibilité budgétaire de la France. Dans un contexte de sortie de crise des dettes souveraines, nos hypothèses reposent sur un scénario de normalisation des marchés monétaires et financiers qui se traduirait par une remontée limitée, modeste et progressive des taux courts et longs dès l’année 2013 : le taux à dix ans s’établirait en moyenne à 2,9 % sur l’année 2013 et continuerait sa progression de 25 points de base chaque année pour s’établir à 3,65 % en moyenne sur l’année 2015.

Je le dis parce que notre loi de finances doit être réaliste et prudente. On nous reproche parfois d’être trop optimistes, mais je note que ces hypothèses de taux sont supérieures pour 2013 aux anticipations de marché et aux prévisions des économistes retracées dans le consensus forecast. Le budget que nous bâtissons nous donne donc des marges de manœuvre, mais c’est mieux ainsi. C’est bien dans ce sens qu’il faut procéder.

S’agissant du programme « Appels en garantie de l’État », M. Lefebvre le sait déjà, mais nous suivons la situation de manière précise. Quant à Dexia, elle est entrée dans le périmètre des participations de l’État à l’occasion de l’augmentation de capital de 6 milliards d’euros annoncée le 30 septembre 2008, en période de crise financière aiguë, et souscrite par une partie des actionnaires existants ainsi que par les États belge et français, via la Société de prise de participation de l’État. Un premier plan de soutien a permis à la banque de faire face aux difficultés rencontrées dans le contexte de crise financière internationale et d’éviter une matérialisation du risque systémique qui pesait sur le système financier européen. Ce plan reposait notamment sur la mise en place, fin 2008, par les gouvernements belge, français et luxembourgeois, d’une garantie des émissions obligataires assortie d’une clé de répartition – 60,5 % pour la Belgique, 30,5 % pour la France et 3 % pour le Luxembourg – et d’une garantie des obligations de liquidités de Dexia à l’égard de sa filiale FSA Asset Management.

Après un retour aux bénéfices en 2009, le groupe a été impacté par l’aggravation des tensions sur les dettes souveraines de certains pays de la zone euro. Il a été contraint de modifier profondément son périmètre et sa stratégie et de demander à nouveau le soutien de la puissance publique. Un accord a été trouvé entre les trois États en octobre 2011, qui prévoit un plan de résolution ordonnée des activités du groupe Dexia. Il s’appuie sur la vente des entités viables de Dexia – Dexia Banque Belgique, Dexia Banque internationale Luxembourg, Dexia municipal agency, DenizBank –, et sur la gestion extinctive des actifs résiduels, grâce à une garantie de 90 milliards d’euros apportée par les trois États, qui permettra à Dexia de couvrir ses besoins de liquidité jusqu’à l’arrivée à maturité de l’ensemble de son portefeuille. Le risque se répartit selon la clé déjà évoquée. Le plan vise à éviter les pertes liées à la vente rapide d’actifs illiquides et donc décotés.

La Commission européenne, qui doit encore valider ce plan – et nous travaillons activement en ce sens –, avait autorisé dès décembre 2011, compte tenu de l’urgence, une garantie temporaire des États sur le financement de Dexia.

J’espère aboutir rapidement, tant les enjeux sont importants. En effet, l’État est exposé : Dexia n’émet plus sous le régime de garantie de 2008, et les encours déjà émis et non encore échus à ce jour représentent un peu moins de 20 milliards d’euros. Ils arrivent à échéance d’ici à 2014. La garantie de 2008 n’a jamais été appelée ; la garantie temporaire mise en place en décembre 2011 sur les financements de Dexia a été prolongée jusqu’au 31 janvier 2013 et augmentée pour atteindre à peu près 54 milliards d’euros. À ce jour, l’exposition totale de l’État français sur le groupe Dexia est de 36,5 % des 74 milliards d’euros de financement garantis par les trois États, soit 27 milliards d’euros.

Le dossier va évoluer très prochainement, compte tenu de deux échéances majeures : le dépôt devant la Commission européenne du plan de résolution ordonnée du groupe et l’arrêté des comptes du groupe pour le troisième trimestre. Dans ces conditions, une recapitalisation du groupe fait partie des scénarios mis sur la table, comme l’a mentionné le gouverneur de la Banque de Belgique, pour sécuriser le refinancement auprès des banques centrales et écarter sur le long terme tout risque d’appel en garantie pour les États. La discussion sur le montant exact de la garantie, sur sa répartition et son articulation avec les garanties existantes pourrait aboutir très prochainement.

Quant aux garanties européennes, elles transitent essentiellement par les mécanismes du Fonds européen de stabilité financière et du mécanisme européen de stabilité.

En ce qui concerne le Crédit immobilier de France, le Gouvernement a pris l’attache de la Commission dès les premiers jours de septembre et a engagé un dialogue avec la Direction générale de la compétitivité, en charge du dossier. Nous en sommes aujourd’hui au stade de la pré-notification, la notification ne pouvant intervenir formellement que lorsque nous disposerons d’une version finalisée et signée des documents demandés par la Commission, en particulier la convention de garantie et le protocole de garantie. L’affaire suit donc son cours.

S’agissant du programme « Épargne », le Gouvernement est très attentif à la position financière de l’État vis-à-vis du Crédit foncier de France pour le paiement des primes d’épargne logement. Il veille ainsi à maintenir un solde équilibré en moyenne auprès du CFF au titre du règlement des primes d’épargne logement dans la limite des disponibilités budgétaires. L’ouverture éventuelle de crédits sur ce programme sera traitée dans le cadre du projet de loi de finances rectificative et des arbitrages de fin de gestion, qui n’ont pas encore été rendus.

Mme Sas m’a interrogé sur les remboursements de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE. Il est clair que différentes dépenses fiscales affectent cet impôt, soit sous la forme de remboursements – pour un montant de plus de 900 millions d’euros en 2011, à comparer au produit total de cet impôt : 24 milliards d’euros à partager entre l’État, les régions et les départements –, soit par l’application de taux réduits, par exemple pour le gazole utilisé dans le secteur agricole. Ces dispositifs visent à favoriser les biocarburants ou à préserver certains secteurs comme le transport routier ou les artisans taxis.

La récente conférence environnementale s’est engagée à examiner, dans le cadre d’un groupe de travail pluraliste, les niches fiscales antiécologiques, et les taux réduits de TICPE en font clairement partie. Je confirme par ailleurs les évaluations de l’Inspection générale des finances sur l’impact qu’elles ont sur l’emploi. Cependant, le sujet est délicat, puisque nous avons affaire à des secteurs économiques vulnérables ou sensibles – les agriculteurs – ou exposés à une vive concurrence internationale – les transporteurs. Si nous décidons de faire évoluer la TICPE, il faudra envisager parallèlement des mesures d’accompagnement. La Commission permanente de suivi de la fiscalité environnementale sera en place d’ici à la fin de l’année, et les premiers groupes de travail se tiendront dans la foulée.

Vous m’avez par ailleurs interrogé sur trois séries de contentieux fiscaux qui résultent tous d’un débat de principe sur la compatibilité du droit français avec le droit communautaire. Le contentieux « précomptes mobiliers » porte sur les modalités de taxation des dividendes en cas de distribution par une filiale étrangère.

Le contentieux « OPCVM » – organismes de placement des valeurs mobilières – est différent : le dispositif de retenue à la source sur les dividendes versés à des OPCVM étrangers a été maintenu jusqu’en 2012, le précédent régime ayant été supprimé en 2004. C’est surtout dans ce deuxième cas que la gestion du dossier est contestable. La mise en conformité a pris pas moins de sept ans, ce qui s’est révélé coûteux, de nouvelles réclamations et de nouveaux contentieux étant apparus durant cette période. Le coût total du dossier est estimé à 5 milliards d’euros.

Quant au troisième contentieux, il concerne la taxe sur les opérateurs de communications électroniques créée pour compenser la suppression de la publicité après vingt heures dans l’audiovisuel public. Il se poursuit à l’heure actuelle. Le Gouvernement s’est montré prudent en prévoyant 1,3 milliard d’euros de crédits budgétaires en 2013 au cas où le juge communautaire lui donnerait tort. Cette précaution relève de la bonne gestion et ne préjuge bien évidemment pas du résultat de la procédure.

J’en viens aux questions de M. Bachelay sur le compte d’affectation spécial relatif aux participations de l’État. En tant qu’actionnaire, l’État se doit de veiller à la compétitivité de chacune des entreprises publiques ou à participation publique. Ce n’est pas parce qu’une entreprise est publique qu’elle doit être mal gérée. Ce rôle s’apprécie non seulement au regard des coûts de production, mais aussi à travers la qualité, le positionnement des produits et services, ce qui suppose d’encourager l’innovation par l’investissement, la recherche et le développement, en s’appuyant plus largement sur le tissu des petites et moyennes entreprises et des établissements de taille intermédiaire. C’est un gage de pérennité.

La compétitivité n’est pas seulement un mot à la mode ; c’est un impératif pour réindustrialiser la France. La responsabilité de l’État, à cet égard, est d’assurer dans la durée le succès d’une filière, dans la mesure où elle participe à un écosystème.

L’État peut aussi s’appuyer sur le Fonds stratégique d’investissement – FSI – pour agir au-delà de ses participations directes. Il dispose d’un certain nombre d’outils, dont une implication forte au sein des différents conseils d’administration et de surveillance et la promotion de codes de bonne conduite, comme la charte de la sous-traitance établie par le médiateur de la sous-traitance et dont l’Agence des participations de l’État – APE – encourage la signature pour les entreprises qui relèvent de son périmètre.

J’attire d’ailleurs votre attention sur l’évolution profonde du rôle de l’APE, dotée depuis quelques mois d’un nouveau directeur et qui se voit désormais attribuer un rôle explicite en matière de stratégie industrielle nationale des entreprises qu’elle suit. Dans la continuité des états généraux de l’industrie réunis au printemps 2010, l’État a renforcé pour chacune des participations son implication dans la définition d’une stratégie de développement industriel et économique.

Ainsi, dans le secteur de la défense, il convient de réfléchir aux implications des contraintes budgétaires sur les dépenses d’armement et d’anticiper la reconfiguration d’une industrie européenne encore très fragmentée. De même, s’agissant de l’énergie, nous devons définir la configuration optimale du secteur ainsi que ses limites en termes de synergie avec des activités connexes ; identifier les ressources minières pour garantir l’approvisionnement ; et orienter le positionnement de certaines de nos entreprises dans leurs filières respectives.

De manière générale, l’APE doit poursuivre sa réflexion sur les effets de l’ouverture à la concurrence de secteurs traditionnellement réglementés comme les transports ou la poste. Ces évolutions ont été consacrées par le décret du 31 janvier 2011 qui indique que le commissaire aux participations de l’État anime la politique actionnariale de l’État sous ses aspects économiques, industriels et sociaux. À cet effet, une revue de la politique industrielle des entreprises concernées est menée annuellement.

L’État a toujours agi avec le souci de l’intérêt social de ses entreprises ainsi que de son intérêt patrimonial. C’est par exemple cet intérêt qui a dicté une partie de notre stratégie de négociation dans le cadre de la fusion – qui finalement n’a pas abouti – entre EADS et BAE. Nous étions parvenus à sauvegarder nos intérêts patrimoniaux, mais comme vous le savez, ce n’est pas l’État français qui a pris l’initiative d’interrompre les discussions.

Au total, l’État actionnaire porte maintenant une attention particulière à la contribution des entreprises publiques au développement industriel français.

Le FSI continuera de contribuer au renforcement de nos filières industrielles stratégiques au sein de la Banque publique d’investissement. Le fait de mettre en place une telle banque, regroupant différents métiers, les mettant en synergie, leur donnant une cohérence, augmentant les moyens d’action, ne signifie pas la suppression d’un quelconque de ces métiers. L’APE et le FSI sont d’ailleurs deux instruments complémentaires s’inscrivant dans des horizons différents. L’APE poursuit un objectif de renforcement de la compétitivité de notre économie à long terme. Le suivi des participations passe notamment par une implication active dans les travaux des organes sociaux. Créé par la Caisse des dépôts en décembre 2008, le FSI est un actionnaire de moyen terme en mesure d’adapter le temps de l’investisseur au temps industriel. À la différence de l’État actionnaire, le FSI n’a pas vocation à détenir des participations majoritaires, mais il s’inscrit dans une démarche d’accompagnement des entreprises.

Par ailleurs, l’État est actionnaire du FSI à hauteur de 49 %, et à ce titre il participe activement à sa gouvernance. Cela permet une bonne coordination des investissements. De ce point de vue, la création de la BPI n’a vocation à affaiblir ni l’APE ni le FSI.

M. Baert m’a interrogé sur les investissements d’EDF en Chine. Ce pays représente, pour les trente ans à venir, la moitié du marché nucléaire mondial. Or la France dispose d’un savoir-faire inégalé dans cette filière, qui peut, j’en ai la conviction, contribuer à résorber notre déficit commercial. Les différents ministres qui interviennent dans le champ économique à Bercy, qu’il s’agisse de Mme Bricq ou de moi-même, sont très attentifs à cette question. Les engagements pris par le Président de la République en matière de mix énergétique ne préjugent pas, en effet, de notre capacité exportatrice, qui reste intacte. De même, nous avons décidé de ne pas déployer le second EPR, parce que nous n’en avons pas besoin compte tenu de l’ampleur de notre parc, mais cela ne signifie pas que le premier n’entrera pas en fonctionnement ou qu’il n’est pas exportable. Au contraire, il s’agit d’une technologie extrêmement performante. Des marchés sont d’ailleurs en cours de finalisation, et d’autres restent à conquérir.

Le Conseil de politique nucléaire a confirmé la volonté de la France d’être présente à l’export sur le secteur du nucléaire. À cet égard, la Chine représente, je le répète, un marché stratégique, et je me réjouis que les industriels de notre pays y soient implantés. Deux des quatre EPR actuellement en construction dans le monde sont en Chine. La coopération franco-chinoise est ancienne, puisqu’elle aura trente ans dans quelques jours. Pour autant, et vous avez raison, les entreprises françaises doivent jouer collectif en Chine. Elles ne doivent pas être présentes à n’importe quel prix, en particulier du point de vue des transferts de technologie. Nous devons être attentifs à bien articuler les exportations que nous réalisons à court terme avec les conséquences qu’elles peuvent avoir à long terme sur notre balance commerciale et notre indépendance. Les décisions du Conseil de politique nucléaire du 28 septembre vont clairement dans ce sens.

M. Dominique Baert, président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir fait le plaisir et l’honneur de votre présence, inhabituelle en cette circonstance, ainsi que pour la clarté et la précision de vos réponses.

Je salue l’arrivée de M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je suis arrivée immédiatement après l’autorisation, par la Commission des finances, de la publication du rapport sur les conséquences de la baisse de la TVA dans la restauration. J’ignorais, monsieur le président, que notre commission pût tenir deux réunions en même temps.

M. Dominique Baert, président. Je l’ignorais également…

Mme Marie-Christine Dalloz. Je me souviens par ailleurs que vous étiez, l’année dernière, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l’État ». Dans le passé, il revenait donc à l’opposition de travailler sur cette importante mission.

M. Dominique Baert, président. Vous savez très bien, madame la députée, que la désignation des rapporteurs spéciaux a été effectuée de manière consensuelle par le président de la Commission des finances et le rapporteur général. Je ne pense donc pas qu’il y ait là matière à polémique.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce n’était qu’une simple remarque.

Je me suis d’ailleurs reportée au rapport que vous avez publié l’an dernier : vous prévoyiez que les crédits du programme « Charge de la dette et trésorerie de l’État » atteindraient 55,2 milliards d’euros en 2013. Ils seront finalement de 46,9 milliards. Vous aviez donc fait preuve d’un pessimisme pour le moins exacerbé.

Pilotée par la direction générale du Trésor, la mission « Engagements financiers de l’État » est un assemblage de crédits à destinations diverses, mais qui ont tous pour objet de couvrir différents passifs de l’État, et de lui permettre d’honorer ses engagements financiers en toutes circonstances, au meilleur coût pour le contribuable et dans des conditions de maîtrise maximale des risques financiers et techniques.

C’est cette mission qui recouvre la charge de la dette, qui pourrait s’établir selon le Gouvernement à un niveau inférieur à 46,7 milliards d’euros, soit un niveau inférieur de plus de 2,1 milliards d’euros à celui inscrit dans la loi de finances initiale, en raison du niveau très faible des taux d’intérêts.

Pour l’année 2013, la charge de la dette progresserait à 46,9 milliards d’euros, puis enregistrerait une progression plus soutenue en 2014 et 2015.

Cette prévision tient compte de la baisse des taux d’intérêt enregistrée au cours des derniers mois. Mais il convient de rester prudent, puisque le scénario retenu par le Gouvernement repose sur l’hypothèse d’un retour progressif relativement rapide à des conditions normales de marché au cours des prochaines années, ce qui se traduirait immanquablement par une remontée des taux.

La gestion de la dette répond à l’impératif de couvrir le besoin de financement de l’État tout en minimisant, sur la durée, la charge de la dette pour le contribuable. La mise en œuvre de cet objectif se décline en deux volets : d’une part, la gestion de la dette obligataire, qui porte essentiellement sur la politique d’émission primaire et, d’autre part, la gestion du portefeuille de produits dérivés.

Les taux à l’émission de la dette souveraine française enregistrés au cours des derniers mois ont été favorables. À la mi-septembre 2012, le taux moyen pondéré à l’émission des titres à court terme s’est établi à 0,11 % et celui des titres à moyen et long termes à 1,99 %, contre respectivement 0,81 % et 2,80 % en 2011. Ces taux historiquement bas sont dus essentiellement à la crédibilité de la politique budgétaire menée par le précédent gouvernement, qui a permis à la France d’obtenir la confiance des investisseurs internationaux à la recherche de titres de qualité pour investir leurs liquidités, ainsi qu’à la politique accommodante de la BCE et à sa récente annonce d’un programme d’« opérations monétaires en prise ferme ».

D’après les prévisions du Gouvernement, le taux à dix ans s’établirait en moyenne à 2,9 % sur l’année 2013 et continuerait sa progression de 25 points de base chaque année pour s’établir à 3,65 % en moyenne sur l’année 2015.

Je remarque tout d’abord que la trajectoire fixée pour le redressement des finances publiques est une obligation intangible pour le Gouvernement. C’est d’ailleurs à cette condition que le groupe UMP a accepté de voter en faveur du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.

J’en viens à mes questions. En 2011, la dette souveraine de la France était détenue pour un tiers par des résidents nationaux, pour un autre tiers par des ressortissants de la zone euro et pour un dernier tiers par des non-résidents situés hors de la zone euro. Quelle est la répartition actuelle ?

Tout le monde s’accorde à juger que le Gouvernement surestime les perspectives de croissance en fixant un taux de 0,8 % pour 2013. De même, il est inconcevable que la croissance atteigne 2 % en 2014 et 2015. Il faut faire preuve d’un plus grand sérieux budgétaire. Quel est votre sentiment sur la sensibilité de la dette au choc des taux d’intérêts et à l’inflation ? Vous le savez, le ratio de la dette augmente mécaniquement quand le PIB diminue : c’est ce que l’on appelle l’effet « dénominateur ».

En conclusion, je vous appelle instamment à engager les réformes de structure nécessaires pour garantir la bonne gestion des finances et assurer l’efficacité de la dépense publique. Le projet de loi de finances pour 2013 ne s’attaque pas suffisamment aux dépenses ; c’est une réalité à laquelle vous serez à nouveau confrontés dans l’avenir. Il est donc temps d’assumer vos responsabilités et d’aller plus loin dans la voie de leur réduction.

M. Éric Alauzet. Je concentrerai mon propos sur le Crédit immobilier de France, dont la situation complexe a mobilisé beaucoup d’énergie. L’État a décidé d’apporter sa garantie en l’assortissant d’une annonce d’extinction. Il me semble nécessaire de reculer cette échéance de l’extinction pour laisser encore une chance à l’établissement.

On nous dit que 85 % de l’activité du Crédit immobilier de France pourraient être assumés par des banques classiques, mais on peut en douter, sachant que plus de 50 % des prêts sont accordés sans aucun apport et que l’apport moyen n’est que de 3 % pour l’ensemble des personnes s’adressant au CIF.

Par ailleurs, lorsque, pour se conformer à la demande de l’autorité de contrôle prudentiel – l’ACP – le CIF a dû appliquer les règles prudentielles – 20 % d’apport personnel, une durée du crédit n’excédant pas vingt ans, 33 % d’effort personnel – l’activité de la banque s’est effondrée. Cela prouve que bien plus de 15 % des clients du CIF appartiennent à des publics en difficulté.

En dépit de ce fait, le Crédit immobilier de France a toujours su entourer ses prêts de garanties qui les préservaient de l’insécurité. Il vérifie que ces personnes n’ont pas connu de graves incidents de paiement pendant les trois années précédentes ; il mène un long travail de pédagogie auprès d’elles pour s’assurer qu’elles sont bien conscientes de leur engagement. Enfin, la durée de ces prêts peut aller jusqu’à vingt-cinq, voire trente ans. Moyennant toutes ces précautions, le taux d’échec est extrêmement faible et les risques minimes.

Via les sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété, les SACICAP, le CIF joue en outre un rôle décisif en matière de résorption de l’habitat indigne. Sans lui, je ne vois pas comment des programmes tels qu’ « Habiter mieux »pourraient être menés à bien. Ce rôle est d’autant plus important aujourd’hui qu’il est à craindre que le public visé ne fasse que croître dans les prochaines années sous l’effet d’une crise dont chacun sait qu’elle ne va pas se résorber rapidement.

Pour toutes ces raisons, le Crédit immobilier de France semble irremplaçable. Il serait bon qu’on se donne encore un peu le temps d’aller au bout de la réflexion, plutôt que de décider de son extinction dès maintenant.

M. André Chassaigne. Ma première question porte sur la gestion de la dette publique. Plusieurs orateurs ont souligné que la France a bénéficié cette année de taux d’emprunt historiquement bas sur les échéances de moyen et long terme. Elle a ainsi pu, en septembre, emprunter sur dix ans à 2,21 %, et elle profite depuis juillet de taux négatifs sur le court terme. Il faut toutefois remarquer que la moitié des créanciers de la France pour la dette levée en 2012 sont en Asie et au Moyen-Orient, contre à peine un tiers pour la zone euro. Philippe Mills, directeur général de l’Agence France Trésor, soulignait récemment ne pas constater de phénomène de redomestication de la dette française, qui reste très diversifiée. Fin juin 2012, les détenteurs de cette dette sont encore majoritairement hors de France pour ce qui est du stock, à hauteur de 62,7 %. Le Gouvernement compte-t-il mettre en place des outils susceptibles de domestiquer la dette publique et garantir ainsi une proximité accrue ? Des initiatives pourraient-elles être prises en ce sens, notamment dans le cadre de la réforme bancaire ? On pourrait, en outre, ouvrir aux particuliers la possibilité de souscrire des obligations d’État, comme cela a été fait en Italie : cela a permis au gouvernement italien de lever 18 milliards d’euros auprès des épargnants italiens.

Ma deuxième question porte sur les choix du Gouvernement en matière d’orientation de l’épargne vers le financement des politiques publiques. Fin septembre, l’encours du Livret A, qui sert à financer les logements sociaux, s’élevait à 232,6 milliards d’euros au total. Pour favoriser la construction de tels logements, le plafond du Livret A a été relevé de 25 % le 1er octobre, un second relèvement de 25 % devant intervenir d’ici à la fin de l’année. On estime que le doublement du plafond du Livret de développement durable et du Livret A devrait rapporter entre 30 et 55 milliards d’euros les deux prochaines années. Cette épargne réglementée, dont l’encours dépasse 300 milliards d’euros, est un outil majeur de financement de l’économie

Or actuellement, sur 100 euros collectés, seuls 65 sont conservés et gérés, pour le compte de l’État, par la Caisse des dépôts et des consignations ; les 35 euros restants sont conservés par les banques, soit 100 milliards d’euros en 2011, que celles-ci prétendent consacrer au financement des PME. Nous sommes pour notre part favorables à ce que l’État conserve une part supérieure de la collecte et permette ainsi au Livret A de financer autre chose que le logement social. La mise en place d’une Banque publique d’investissement nous semble renforcer la pertinence d’une telle option. Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ?

Mon troisième point a trait à la dotation en capital du Mécanisme européen de stabilité, le MES. Le projet de loi de finances nous propose d’autoriser le versement, en 2013, de deux des cinq tranches de la quote-part française de souscription au capital du Mécanisme européen de stabilité, soit une contribution d’un peu plus de 6,5 milliards d’euros l’an prochain. Comme vous le savez, nous doutons de la pertinence de ce type d’aides, destinées à pallier le désengagement des banques, et dont la mise en œuvre est conditionnée par l’adoption de politiques d’austérité qui n’ont en rien assuré une meilleure cohésion de la zone euro : la faiblesse des taux d’emprunt de la France porte à sa manière témoignage de la persistance et de l’aggravation des déséquilibres entre le nord et le sud de l’Europe.

Nous avions proposé l’an passé, conjointement avec nos collègues allemands de Die Linke, la création d’un fonds européen de développement ayant le statut de banque, afin qu’il puisse se financer auprès de la BCE. Il s’agirait de couper court à la spéculation sur les dettes des États en permettant aux plus fragiles de ne plus dépendre des marchés financiers pour le financement de leurs investissements. Que pensez-vous de cette proposition ?

Je consacrerai la dernière partie de mon exposé au Crédit immobilier de France. Jusqu’à sa dégradation par Moody’s cet été, la santé du CIF, banque sans dépôt, était bonne, avec un résultat excédentaire de 78 millions d’euros affiché pour 2011 et près de 2,4 milliards d’euros de fonds propres. Son modèle économique étant complètement dépendant des marchés, la dégradation de sa note par Moody’s a coupé son seul accès au financement.

Pour Bercy, la disparition de cet organisme de crédit serait désormais inéluctable. Sans parler des 2 500 emplois qui sont ainsi menacés, l’extinction programmée de cet organisme de crédit ferait peser une lourde menace sur le financement de l’accession des plus modestes à la propriété – le CIF assure 15 % des crédits d’accession sociale.

Pour notre part, nous pensons comme Bernard Sevez, l’ancien président du CIF, que « seule la constitution d’un outil public garantira la continuité de financement de l’accession sociale de manière pérenne ». Des banques se disent aujourd’hui intéressées par la reprise d’une partie du réseau du Crédit immobilier de France. La solution d’une reprise du CIF par l’État ou la Caisse des dépôts et des consignations ne vous semble-t-elle pas préférable, quitte à engager une négociation avec Bruxelles en ce sens ?

M. Jean-Louis Dumont. Laissez-moi vous raconter une matinée dans la vie d’un député d’une circonscription rurale.

Il rencontre d’abord un maire, à qui aucune banque, même pas du réseau mutualiste et coopératif, n’accepte de prêter les 300 000 euros qui lui font défaut pour boucler le plan d’assainissement de sa commune. Pour se remonter le moral, notre député décide de rendre visite au chef d’une entreprise d’une trentaine de salariés, dont le chiffre d’affaires est en augmentation constante, et qui n’a pas de dettes, sinon quelques versements sociaux en retard. Après avoir injecté beaucoup d’argent personnel, le chef d’entreprise s’est tourné vers le représentant de l’État dans la circonscription pour qu’il lui indique le moyen d’obtenir une ligne de trésorerie ou une aide. La seule réponse lui est parvenue sous la forme d’un contrôle fiscal. Peut-être choisira-t-il de s’exiler au Portugal, où il est attendu !

Notre député rencontre enfin un artisan, qui veut reprendre une très petite entreprise en redressement. Ce n’est pas tant l’argent qui lui manque, mais il faudrait que certains organismes dépendants de l’État fassent un effort : or il n’en est pas question.

Voilà où en est notre économie. Alors que les intérêts versés par les collectivités locales qui ont souscrit des emprunts toxiques continuent à augmenter, on attend toujours la banque qui va aider l’investissement, la création d’emplois, l’entreprise. On nous promet qu’elle arrive, mais avec une lenteur dont on espère qu’elle n’est que le signe de sa majesté. Pendant ce temps, des salariés perdent leur emploi, des entreprises sont contraintes de réduire la voilure, alors qu’elles œuvrent dans des secteurs qui ne sont pas susceptibles de délocalisations : travaux publics, bâtiment, vie quotidienne.

On s’interrogeait sur l’existence d’une volonté politique lors de la faillite de Dexia : cette question se pose aussi dans le cas du Crédit immobilier de France. Il faut rappeler que le Conseil d’État avait donné raison au CIF quand celui-ci contestait le renforcement par l’ACP de ses ratios de solvabilité. Sans qu’elle ait été précédée de la moindre alerte, d’une mise en demeure, de discussions, on apprend début septembre la décision d’extinction prise, sous couverture des ministres, par l’administration, et dont on nous dit qu’elle est désormais irréversible.

Aujourd’hui, c’est la possibilité pour des populations fragiles d’accéder à la propriété qu’on balaie d’un revers de main. D’où notre colère, monsieur le président. Nous ne pouvons pas accepter que l’État actionnaire n’exerce pas ses droits. Puisque, dans sa sagesse, le Conseil constitutionnel a censuré la loi sur le logement social, nous débattrons peut-être à nouveau de la volonté du Gouvernement de mettre en place des outils pour assurer la construction de 150 000 logements sociaux. Il y a aujourd’hui des terrains disponibles : il suffit de les concéder via des baux emphytéotiques, comme le faisaient certaines collectivités locales il y a cinquante ans. Une nouvelle politique peut se servir des outils qui ont déjà fait la preuve de leur utilité sur le plan économique et social.

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Madame Dalloz, vous attribuez le bas niveau des taux auxquels nous empruntons à la politique budgétaire du précédent gouvernement : c’est pourtant sous le gouvernement précédent que la France a perdu son triple A. Ce n’était pas la marque d’une grande confiance des agences de notation à l’égard des choix budgétaires opérés à l’époque. Nous avons été obligés, en loi de finances rectificative, de franchir une marge de 0,5 point de PIB pour respecter une trajectoire de réduction des déficits conforme à l’engagement pris par le précédent Président de la République à l’égard de l’Union européenne. Nous réalisons aujourd’hui, fait salué par l’ensemble des observateurs, une marge supplémentaire de 1,5 point de PIB en loi de finances initiale, ce qui représente un effort significatif.

Si certains conjoncturistes estiment que la croissance sera en deçà de l’hypothèse de 0,8 point sur laquelle le Gouvernement a fondé ses prévisions de recettes fiscales, d’autres prévoient une croissance supérieure. Je note avec satisfaction que M. Mariton a reconnu notre sincérité dans ce domaine : cela démontre qu’au sein même de l’UMP on reconnaît que les estimations du Gouvernement ne sont pas totalement absurdes, dès lors qu’elles sont assorties d’une stratégie de croissance. Celle-ci s’appuiera notamment sur une politique fiscale favorisant l’innovation, notamment en étendant le bénéfice du crédit impôt recherche aux PME, sur une politique fiscale plus favorable à l’investissement et moins à la distribution de dividendes. Ce sont ces choix politiques et fiscaux qui nous permettent de considérer une croissance de 0,8 point comme un objectif réaliste.

La dette française se répartit selon une clé des trois tiers entre résidents et non-résidents : un tiers est détenu par des résidents, les deux autres par des non-résidents, dont un tiers par des non-résidents n’appartenant pas à la zone euro.

Vous avez interrogé le Gouvernement sur la sensibilité de nos prévisions budgétaires à l’inflation. Nous estimons aujourd’hui que si l’inflation varie de 1 % par rapport à nos prévisions, la charge de la dette variera de 1,5 milliard d’euros, et nous avons intégré cette estimation à nos prévisions.

Les éléments de réponse que Pierre Moscovici vous a apportés à propos du CIF ont suscité des commentaires de la part de plusieurs d’entre vous : je vais essayer d’y répondre de manière globale.

L’extinction du CIF n’est pas un choix, c’est une obligation. La réalité c’est que le CIF n’est plus viable dès lors qu’un adossement n’est pas possible.

Vous avez évoqué la nécessité de trouver des organismes qui se substituent au CIF dans l’exercice de ses missions, notamment en direction des ménages les plus modestes. Il faut rappeler que le CIF n’était pas le seul organisme à faire crédit aux ménages modestes : c’est le cas aussi de la Banque postale ou du Crédit foncier. L’État souhaite que la Banque postale puisse développer son offre dans son domaine. De même, le Gouvernement souhaite pérenniser les missions locales que mènent les SACICAP au côté de l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat, l’ANAH.

Vos propositions en matière d’orientation de l’épargne ne manquent pas d’intérêt, monsieur Chassaigne. Les conclusions du rapport Duquesne pour réformer l’épargne réglementée sont tout aussi intéressantes, notamment quant à l’utilisation des crédits décentralisés. Je suis particulièrement intéressé par la proposition d’orienter ces crédits vers le financement des stratégies de transition écologique et de l’économie sociale et solidaire, ce vaste gisement d’emplois non délocalisables. Il est clair que les orientations du Gouvernement s’inspireront largement des conclusions de ce rapport.

Que des non-résidents détiennent de la dette française n’est pas mauvais en soi, monsieur Chassaigne : c’est au contraire un signe de confiance à l’égard de la France. Cette diversification est par ailleurs un gage d’équilibre. La « redomestication » de la dette espagnole, c’est-à-dire son rachat par les banques espagnoles, est a contrario un signe de faiblesse aux yeux de beaucoup. Les investisseurs français restent intéressés par la dette, mais ils doivent aussi financer des acteurs privés français : nous ne pouvons pas avoir pour objectif de siphonner l’épargne des Français pour financer la dette publique. Il est vrai que l’Italie a levé 18 milliards d’euros auprès des particuliers, mais au taux très élevé de 2,5 % hors inflation, alors que la France empruntait la même semaine au taux de moins 0,04 % hors inflation. C’est parce qu’elle avait un programme d’émission en forte hausse par rapport à ses prévisions que l’Italie a accepté de payer un prix élevé : nous n’avons pas ce problème. En tout état de cause, les épargnants français détiennent de la dette, via leur livret A ou leur assurance-vie, même si la question de l’utilisation de cette épargne se pose aujourd’hui.

Le MES, inauguré le 8 octobre, permettra de porter assistance aux États sous tension financière. La France a apporté 6,5 milliards de capital cette année ; elle apportera en tout 16,3 des 80 milliards d’euros en provenance de l’ensemble des États européens. Ce capital permettra au MES de soutenir les États en difficulté à hauteur de 500 milliards d’euros, afin de les mettre à l’abri de la pression des marchés financiers. Il s’agit de faire en sorte que les citoyens ne soient pas les seuls à supporter, par le sacrifice de leur modèle social, les conséquences d’une crise dans laquelle ils n’ont aucune responsabilité. En soustrayant les États à la dépendance à l’égard des marchés financiers et des agences de notation, le MES garantit que l’Europe ne se retrouvera pas dépourvue de toute protection sociale au terme de cette crise.

Les conditions de politique économique dont l’aide est assortie sont adaptées au type d’assistance déployée. Ainsi, l’aide octroyée à l’Espagne pour lui permettre de renforcer son secteur bancaire n’est conditionnée qu’à la réforme de celui-ci. La Banque centrale européenne a son propre mandat, fixé par les traités, et participe activement à la lutte contre les tensions en zone euro. L’annonce par M. Draghi de son nouveau programme d’achat de dettes marque d’ailleurs un changement de doctrine de la BCE dont ne peuvent que se réjouir ceux qui, comme vous, appellent depuis longtemps celle-ci à jouer véritablement son rôle de banque centrale. Désormais, elle ne devrait plus être « la seule banque clandestine au monde », pour reprendre les mots de Mme Kirchner.

S’agissant du financement des collectivités territoriales, vous avez décrit, monsieur Dumont, une situation que beaucoup de parlementaires, d’élus locaux et d’acteurs économiques de terrain connaissent. Le sort de Dexia a pesé lourd dans cette situation. L’État a pris des mesures fortes, en dégageant des enveloppes exceptionnelles à partir du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 5 milliards d’euros.

De plus, comme l’a indiqué Pierre Moscovici, le Gouvernement travaille activement pour que la Commission européenne donne son feu vert au lancement de la banque des collectivités locales créée à partir de Dexia Municipal Agency (DMA). Celle-ci doit être opérationnelle – c’est notre objectif – dès 2013. Il est cependant nécessaire de respecter des délais dont nous n’avons pas, à nous seuls, la maîtrise.

S’agissant du CIF, de nombreuses alertes ont été émises quant à sa situation. Comme l’a indiqué le directeur général du Trésor, les 500 millions d’euros prélevés en 2006 n’ont pas eu d’impact sur sa liquidité. C’est non pas la solvabilité du CIF ou le niveau de ses fonds propres qui est en cause, mais la rentabilité et la viabilité de son activité de crédit immobilier : le CIF était systématiquement obligé de se refinancer sur les marchés. Le Gouvernement – Pierre Moscovici le rappelle régulièrement – est mobilisé pour trouver une réponse à la question de l’accession sociale à la propriété. La Banque postale, notamment, va développer une offre de prêt à l’accession sociale se substituant à celle du CIF.

Ce que vous avez dit à propos des baux emphytéotiques est exact, monsieur Dumont. Cependant, les collectivités territoriales ont toujours la possibilité de recourir aux baux emphytéotiques administratifs (BEA) pour favoriser la construction de logements. Le Gouvernement le souhaite et c’est le sens du projet de loi qu’il a présenté…

M. Jean-Louis Dumont. Rien ne figurait à ce sujet dans le projet initial ! C’est ce que nous reprochons au Gouvernement. Ces dispositions ont été introduites grâce au Parlement !

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Je m’en réjouis : les propositions du Gouvernement – qui n’a pas le mo nopole des bonnes idées – s’enrichissent grâce à cette co-production de la norme avec le Parlement.

Quoi qu’il en soit, il est dommage que le Conseil constitutionnel ait censuré la loi. En outre, le dispositif proposé par le Gouvernement invite à pratiquer une décote. Nous espérons que ces mesures permettront d’atteindre nos objectifs en matière de logement.

EXAMEN EN COMMISSION

Après l’audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances, et de M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, lors de la commission élargie sur les missions Engagements financiers de l’État et Remboursements et dégrèvements, sur les comptes d’affectation spéciale Participations financières de l’État et Participation de la France au désendettement de la Grèce et sur le compte de concours financiers Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics, la commission des Finances examine les crédits de ces missions, de ces comptes d’affectation spéciale et de ce compte de concours financiers.

Suivant l’avis favorable de M. Guillaume Bachelay, Rapporteur spécial, la Commission adopte les crédits des comptes d’affectation spéciale Participations financières de l’État et Participation de la France au désendettement de la Grèce et du compte de concours financiers Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics.

AUDITIONS RÉALISÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

– Agence des participations de l’État : M. David Azema, directeur général, commissaire aux participations de l’État, M. Jérôme Baron, secrétaire général

– Thales : M. Hervé Multon, directeur de la stratégie, Mme Isabelle Caputo, directrice des relations parlementaires et politiques

– EADS : M. Marwan Lahoud, directeur général délégué, M. Philippe Bottrie, directeur des affaires publiques

– Renault : Mme Véronique Dosdat, directrice des affaires publiques, Mme Louise d’Harcourt, directrice des affaires politiques et parlementaires

© Assemblée nationale

1 () Décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l’État.

2 () « L’État actionnaire et le gouvernement des entreprises publiques », 24 février 2003.

3 () Ce programme (Opérations en capital intéressant les participations financières de l’État) est le principal programme de la mission.

4 () Source : INSEE.

5 () Source : INSEE.

6 () Source : Commission européenne, bilan approfondi pour la France en application de l’article 5 du règlement (UE) n° 1176/2011, 30 mai 2012.

7 () Décret n° 2011-130 du 31 janvier 2011 modifiant le décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l'État.

8 () En matière d’approvisionnement en uranium et en combustible ainsi que pour la modernisation du parc nucléaire français.

9 () Pour plus de précisions sur ce point, se référer à l’analyse budgétaire du compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État dans la seconde partie du présent rapport.

10 () Pour plus de détails, se référer au développement relatif à l’analyse budgétaire du compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

11 () OSEO Industries, nommée à sa création la « banque de l’industrie », est une filiale d’OSEO dont la constitution a été permise par une ouverture de crédits dans la première loi de finances rectificative pour 2012.

12 () La dotation à la Banque de l’industrie s’est élevée à 365 millions d’euros quand le financement prévu s’établissait à 530 millions d’euros. Cet écart est dû notamment au fait que la Caisse des dépôts a suivi l’augmentation de capital d’OSEO, ce qui a permis de minorer la dépense de l’État. Il se dégage donc une recette excédentaire de 165 millions d’euros.

13 () Prévu dans le cadre du financement des opérations de démantèlement des installations nucléaires du CEA.

14 () Article 21 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.

15 () Du 18 avril 2012 et publiée au Journal Officiel du 10 mai 2012.