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Commission chargée des affaires européennes

mercredi 15 octobre 2008

9 heures

Compte rendu n° 68

Présidence de M. Pierre Lequiller Président
puis de
M. Michel Herbillon
Vice-Président

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission
puis de M. Michel Herbillon, Vice-Président de la Commission

La séance est ouverte à neuf heures

I. Communication de M. Michel Herbillon sur le « paquet télécommunications » (documents E 3701, E 3702 et E 3703)

M. Michel Herbillon, rapporteur. Vous avez aimé le troisième « paquet de libéralisation du marché de l’énergie », le « paquet routier », le « troisième paquet de sécurité maritime », et avant que vous aimiez le « paquet énergie-climat », vous adorerez le « paquet télécommunications ». L’Europe des « paquets » est en marche !

Vous me pardonnerez cette pointe d’ironie. Je pense néanmoins que la sémantique peut jouer un rôle important dans le développement de la citoyenneté européenne. Des erreurs dans ce domaine peuvent provoquer des effets dévastateurs sur la compréhension des enjeux par la population européenne. Cet effort de communication aurait été particulièrement louable s’agissant des textes « Télécommunications », dans la mesure où ils visent des activités au centre de la vie quotidienne des citoyens européens : l’audiovisuel, l’internet et le téléphone.

Les problématiques abordées ne sont certes pas « grand public » au premier abord. Il s’agit de renforcer le marché intérieur en permettant davantage d’harmonisation des pratiques de régulation, de rendre plus flexible et efficace la gestion du spectre radioélectrique et enfin de renforcer la protection des consommateurs et la sécurité des réseaux. Plus précisément, la proposition de règlement et les deux propositions de directive visent à réviser le cadre règlementaire actuel des réseaux et services de communications électroniques, adopté en 2002 pour succéder au cadre initial, qui avait permis, en 1998, l’ouverture à la concurrence de ces marchés. Il s’agit donc d’une matière mouvante et des modifications postérieures interviendront assez vite probablement.

Quelques chiffres illustrent le développement des télécommunications ces dernières années. En 2003, l’Europe comptait 23 millions d’abonnés haut débit ; ils étaient 100 millions au 1er janvier 2008. Dans le même temps, le nombre des abonnés au téléphone mobile est passé de 370 à 495 millions. Le secteur des communications électroniques a généré en 2007, en Europe, un chiffre d’affaires de 300 milliards d’euros, soit 2 % du PIB de l’Union. Enfin 50 milliards d’euros ont été investis dans le secteur l’an dernier.

La réforme proposée s’articulent autour de quatre axes :

– une meilleure réglementation, en renforçant notamment les pouvoirs et l’indépendance des autorités de régulation nationales (ARN) et en ajoutant à la panoplie des remèdes la séparation fonctionnelle, c’est-à-dire la filialisation des activités d’un opérateur intégré, comme ultime moyen de résoudre des problèmes persistants d’accès discriminatoire aux réseaux ;

– une nouvelle politique de gestion du spectre ;

– un accroissement des pouvoirs de la Commission, avec l’extension de son pouvoir de veto aux remèdes proposés par les ARN et, par ailleurs, la création d’une Autorité européenne du marché des télécommunications électroniques ;

– la protection des consommateurs et le renforcement de la sécurité et de l’intégrité des réseaux et services de communications électroniques.

Il m’a semblé pertinent d’aborder ces documents sous un angle politique en me demandant s’ils satisfont aux exigences du pluralisme et de la diversité culturelle, du développement de l’innovation et des investissements, du renforcement des droits et de la protection des consommateurs et du principe de subsidiarité.

J’ai choisi d’aborder la question du pluralisme et de la diversité culturelle au début de ma communication, afin de bien marquer l’intérêt que la France lui attache et sa grande importance à mes yeux.

Selon la Commission européenne, le système actuel de gestion du spectre radioélectrique a atteint ses limites, surtout dans le contexte du passage de la télévision analogique au numérique qui va libérer, dans la partie la plus précieuse du spectre, des « fréquences en or », celles qui ont de gros potentiels, en terme de couverture, de débit et de pénétration, pour de nouvelles utilisations dans le domaine de la radiodiffusion, comme la télévision mobile et pour d’autres applications, comme le haut débit sans fil. Il n’est pas proposé, bien sûr, de centraliser la gestion du spectre à l’échelle européenne, puisque les fréquences radioélectriques appartiennent au domaine public national et relèvent de la compétence de chaque Etat membre. Néanmoins, la Commission européenne pose ou réaffirme des principes communs pour la gestion du spectre en Europe, afin de simplifier l’accès à ce dernier et de lever les restrictions inutiles à son utilisation :

– le principe de neutralité technologique, qui accorde la liberté d’utiliser n’importe quelle technologie dans une bande de fréquences ;

– le principe de neutralité à l’égard des services, qui donne la liberté d’utiliser le spectre pour n’importe quel service de communications électroniques ;

– le développement du marché secondaire des fréquences, permettant aux opérateurs de vendre ou louer à d’autres entreprises leurs droits individuels d’utilisation de radiofréquences.

L’énoncé de ces divers principes a suscité des craintes de natures diverses. Sur le plan technique, tout d’abord, plusieurs professionnels se sont dits inquiets quant aux risques de brouillages et d’interférences liés à la neutralité technologique. Ces risques pourraient aussi empêcher une gestion optimale du spectre à cause des bandes de protection qu’il serait nécessaire d’établir entre des services d’usages différents pour éviter les brouillages. C’est cependant sur le plan culturel que se sont manifestées les réactions les plus fortes, qui s’attaquent au principe de neutralité à l’égard des services et au marché secondaire des fréquences. Lors de la réunion à Versailles, les 21 et 22 juillet dernier, des ministres de la culture et de l’audiovisuel, Mme Christine Albanel s’est ainsi montrée soucieuse que la réforme de la gestion du spectre ne soit pas considérée du seul point de vue économique, mais tienne compte de sa contribution aux objectifs d’intérêt général comme la promotion de la diversité culturelle et le pluralisme des médias.

Il faut ici le dire clairement : les objections et les inquiétudes ont été prises en compte aussi bien par le Conseil que par le Parlement européen. Certes, les principes de neutralité technologique et de neutralité à l’égard des services demeurent, de même que le marché secondaire des fréquences. Mais les autorités françaises reconnaissent que ces principes sont nécessaires pour rendre la gestion du spectre plus flexible et efficace. Elles souhaitent simplement que la gestion du spectre soit abordée de façon pragmatique, en conciliant les principes de neutralité avec la complexité de la gestion de cette ressource rare. Cette conciliation implique l’édiction de dérogations aux principes posés et c’est justement dans cette voie que se sont engagées les institutions communautaires. En ce qui concerne les problèmes d’interférences et de brouillages, même le Royaume-Uni, réticent à l’origine à toute intervention, s’est rendu compte, comme le note avec humour le Président de l’ARCEP, que « la Manche est petite » et qu’une harmonisation européenne au niveau des frontières s’avère nécessaire. Le texte accorde donc aux Etats la possibilité de prévoir des restrictions pour éviter les interférences nuisibles. De plus, si, pour la Commission européenne, la neutralité technologique s’appliquait à l’égard des types de réseau de radiocommunications (faisceaux hertziens, mobile, satellite), le Conseil et le Parlement ont adopté une approche restreinte à la neutralité à l’égard des types de technologies (WiFi, UMTS, Wimax).

Quant au pluralisme et à la diversité culturelle, les textes en discussion précisent que les Etats membres peuvent faire valoir des dérogations pour réaliser un objectif d’intérêt général, ce qui englobe – et je cite ici le texte – « la promotion de la diversité culturelle et linguistique et le pluralisme des médias ». Le Parlement européen, lors de la première lecture de ces documents, le 24 septembre dernier, a aussi rajouté dans la liste des objectifs d’intérêt général, la promotion de la cohésion sociale, régionale ou territoriale. Il a, enfin, précisé que les opérations réalisées sur le marché secondaire des fréquences devront être conformes aux plans nationaux d’allocation des fréquences.

La question du « dividende numérique » ne peut être évoquée que rapidement car elle ne figure pas, à proprement parler, dans les dispositions du « paquet télécommunications ». Je me limiterai donc à quelques observations :

– au niveau communautaire, il semble impossible d’envisager une réglementation contraignante compte tenu des structures très disparates des Etats membres et du fait qu’un certain nombre d’entre eux ont déjà fixé les grandes orientations de la répartition du dividende numérique sur leur territoire. Une coordination et une harmonisation européennes devraient toutefois être mises en œuvre pour éviter les interférences dans les zones frontalières ;

– au niveau national, la commission du dividende numérique, présidée par notre collègue sénateur Bruno Retailleau et dont M. Christian Paul est membre, a remis ses recommandations au Premier ministre fin juillet et ce dernier devrait prendre très prochainement des décisions. Il lui faut attendre la présentation du plan « Numérique 2012 » par le chef de l’Etat, prévue initialement pour le 13 octobre mais différée à la semaine prochaine à cause de la crise financière. Le Président de la République pourrait, à cette occasion, annoncer des aides pour les foyers les plus modestes, comme la subvention à l’achat de décodeurs TNT.

La deuxième exigence que la réforme des télécommunications doit remplir a trait aux investissements et à l’innovation. Le déploiement de la fibre optique est un enjeu industriel et culturel très important pour les prochaines années. L’arrivée de la fibre doit permettre un accès à très haut débit à l’internet, autorisant ainsi le développement de nouveaux services. A la différence des potentialités ouvertes par le dividende numérique en termes de mobilité, ce réseau filaire répondra aux besoins d’une utilisation fixe, en offrant de nouvelles possibilités en matière de simultanéité de l’usage. Au-delà des perspectives économiques et culturelles résultant de ces innovations, il y aurait d’ailleurs une réflexion à mener sur les fins d’une société disposant d’une hypertrophie de moyens et où les gens – les jeunes, en particulier – se parlent de moins en moins…

Les autorités françaises considèrent que les principes et les objectifs du cadre réglementaire actuel des télécommunications sont toujours valables et ne constituent pas un obstacle au déploiement de la fibre optique, notamment grâce au concept de la concurrence par les infrastructures qui, en assurant le succès du dégroupage ces dernières années, a permis une diversification de l’offre et une concurrence effective. Elles admettent néanmoins que la réforme proposée fait preuve d’une insuffisance de vision prospective. Ce constat est surtout dressé par les opérateurs de télécommunications. Les représentants du groupe France-Télécom-Orange ont critiqué, lors de leur audition, la nature essentiellement institutionnelle de la réforme et l’absence de dynamique nouvelle.

Le Président Pierre Lequiller. J’ai également eu l’occasion de les rencontrer et ils ont beaucoup insisté sur ce point.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Il convient de préciser que ce débat se déroule sur fond de conflit entre les opérateurs historiques et les nouveaux entrants sur le marché. Ces derniers dénoncent les entraves à la concurrence résultant de la primauté des ex-monopoles dans la détention des infrastructures. Les opérateurs historiques, en revanche, ne souhaitent pas que leurs efforts d’investissements dans les réseaux profitent directement à leurs concurrents.

Le Parlement européen a souhaité prendre en compte la question des investissements et a donc introduit les notions de segmentation géographique des marchés réglementés et de partage du risque entre les opérateurs pour renforcer l’incitation à investir. La segmentation géographique prévoit que les règles qui régissent l’accès au réseau s’appliquent de façon différenciée selon l’état de la concurrence dans la zone considérée. La notion du partage du risque vise à favoriser la conclusion de contrats entre opérateurs – en lieu et place de la régulation – de sorte que les opérateurs souhaitant disposer d’un accès s’engagent sur un volume et une durée, prenant par là même une part du risque de l’investissement initial, alors que la norme actuelle privilégie plutôt l’utilisation « accès par accès » d’un réseau existant.

La Commission européenne a également accepté de s’engager dans cette voie. Elle vient de lancer, le 18 septembre, une consultation publique qui devrait déboucher sur une recommandation début 2009. Cette recommandation pourrait reprendre la notion de segmentation géographique. S’agissant de l’avantage à accorder aux investisseurs, elle semble encore hésiter entre le partage du risque retenu par le Parlement européen et la prime de risque, qui se traduirait par une majoration (entre 8 et 12 %) des prix d’accès aux réseaux.

Les discussions vont donc encore se poursuivre dans les prochains mois, d’autant que la segmentation géographique est une notion à manier avec prudence : les autorités françaises jugent qu’elle pourrait figer une situation insuffisamment concurrentielle que le marché aurait résorbée naturellement. Il conviendrait donc de prévoir que la pertinence d’une segmentation géographique relève de la compétence des régulateurs nationaux.

Le troisième axe de mon intervention vise à souligner les avancées en faveur des consommateurs. Cet aspect de la réforme du cadre règlementaire des télécommunications mérite d’être valorisé car il illustre les avancées concrètes que l’Europe est susceptible d’offrir aux citoyens européens. Il est d’autant plus intéressant que le cadre actuel, adopté en 2002, comporte peu de dispositions en matière de droit des consommateurs et que cette lacune apparaît de plus en plus nettement dans un contexte marqué par l’extension des marchés et l’accroissement de la concurrence.

Par ailleurs, on sait que la question des droits des consommateurs est devenue le cheval de bataille de la commissaire en charge de la société de l’information, Mme Viviane Reding. Après avoir fait adopter, en 2007, un premier règlement sur les appels vocaux en itinérance, elle multiplie les initiatives : une nouvelle proposition de règlement présentée fin septembre tend à compléter le dispositif sur l’itinérance en imposant le tarif à la seconde, en plafonnant le prix des SMS et en exigeant plus de transparence sur les coûts des transferts de données ; de plus, Mme Viviane Reding souhaite engager, avec le soutien total de la présidence française, un débat sur l’extension du service universel au haut débit, pour que l’ensemble des territoires bénéficient de cette couverture à un prix abordable. Ces diverses propositions suscitent de vives réactions, mais il nous appartiendra de les examiner plus tard car elles ne font pas partie du champ de la révision du « paquet télécommunications ». Ce dernier propose, d’une part, d’améliorer la protection des consommateurs et, d’autre part, de renforcer la protection de la vie privée et de la sécurité.

Le premier volet comporte des dispositions visant notamment à :

– accroître la transparence des informations transmises par les prestataires de services aux consommateurs. Il est ainsi prévu d’imposer aux opérateurs l’obligation de publier des informations comparables, actualisées et aisément accessibles sur les conditions de fourniture et les tarifs. De telles mesures mettraient fin au « maquis » que nous connaissons aujourd’hui ;

– renforcer le droit à la portabilité des numéros, en limitant à un jour ouvrable le délai de transfert d’un numéro de téléphone après changement d’opérateur de téléphonie fixe ou mobile : ce sujet suscite de fortes réserves au Conseil où une majorité d’Etats membres estime que ce délai est trop court pour les services mobiles ;

– faciliter l’utilisation et l’accès des communications électroniques pour les utilisateurs handicapés ;

– accorder un meilleur accès aux services d’urgence.

S’agissant de la protection de la vie privée et de la sécurité, plusieurs avancées sont aussi à signaler :

– les fournisseurs de services devront informer leurs abonnés et les autorités de régulation nationales de toute violation de la sécurité entraînant la destruction accidentelle ou illégale de leurs données personnelles, leur perte, leur divulgation ou l’accès non autorisé. Afin d’assurer davantage d’efficacité à cette obligation, le Parlement européen a souhaité qu’une autorité compétente puisse évaluer la gravité de la violation ;

– l’envoi de « pourriels » à des fins de prospection directe ne pourra être autorisé que si les abonnés ont donné leur consentement préalable. Ce dispositif a été étendu aux SMS par le Parlement européen. La France souhaiterait aller plus loin encore, en incluant un mécanisme visant à engager la responsabilité des opérateurs.

S’agissant des questions liées à la protection des droits d’auteur et aux téléchargements illégaux, il est prévu de mieux informer les utilisateurs de leurs obligations légales au travers des informations contractuelles données par les opérateurs. Certains parlementaires européens ont saisi cette occasion pour engager un débat sur les modalités de la lutte contre le piratage et pour proposer de restreindre la surveillance des actions des internautes. Leur intention évidente est d’empêcher la mise en œuvre du mécanisme de « riposte graduée » choisi par la France à la suite des « accords Olivennes » et qui donnera lieu à l’examen prochain du projet de loi « création et Internet » à l’Assemblée nationale. Il s’agit du désormais fameux « amendement n° 138 » ou « amendement Bono », prévoyant qu’« aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux d’internet sans décision préalable des autorités judiciaires », alors que le projet français vise à créer une haute autorité indépendante extrajudiciaire. Comme on le sait, le Président de la République a écrit à la Commission européenne pour lui demander de ne pas retenir cet amendement dans la proposition modifiée qu’elle doit présenter dans les prochains jours, mais le cabinet de Mme Viviane Reding s’y est refusé, provoquant, selon certaines sources, un débat au sein de la Commission européenne. Selon l’analyse faite par les autorités françaises, l’amendement ne constituerait pas un obstacle juridique empêchant la mise en œuvre de la riposte graduée. Il est surtout perçu comme un problème politique et la voie de sortie consistera peut-être dans le retrait de toutes les dispositions ayant un lien, de près ou de loin, avec le droit d’auteur, y compris celles figurant dans la proposition initiale de la Commission européenne. La compétence des Etats membres dans les modalités de la lutte contre le piratage serait ainsi réaffirmée, ce qui reflète une position majoritaire au Conseil.

Le respect du principe de subsidiarité est le point qui a manifestement le plus fortement mobilisé les énergies au sein du Conseil et du Parlement européen. On peut aussi rappeler que, le 7 juillet dernier, lors de la réunion des Présidents de la COSAC, ici à l’Assemblée nationale, le Président de la Commission des affaires européennes du Parlement hongrois avait appelé l’attention des participants sur les problèmes de subsidiarité soulevés par la réforme des télécommunications.

La Commission européenne a effectivement cherché à étendre sensiblement ses compétences dans ce domaine, mais elle s’est heurtée à l’opposition conjuguée des Etats membres et du Parlement européen, qui vont la contraindre à limiter ses ambitions, résolvant ainsi les problèmes de subsidiarité.

On le constate, en premier lieu, dans le refus de la création d’une Autorité européenne du marché des communications électroniques. Selon la Commission européenne, la mise en œuvre des règles de l’Union à l’aide de 27 systèmes règlementaires nationaux distincts présenterait deux inconvénients majeurs : la segmentation artificielle des marchés sur une base nationale et un manque total de cohérence dans la façon dont les règles communautaires sont appliquées. Ces disparités sont admises par tous. Il existe bien le Groupe des régulateurs européens (GRE), mais travaillant par consensus, il lui est difficile de remettre en cause les méthodologies de certains régulateurs nationaux et la coopération tend à éviter les sujets les plus conflictuels.

La Commission européenne a donc proposé d’instituer une Autorité européenne ayant un rôle essentiellement consultatif auprès d’elle, pour tout ce qui concerne la réglementation des marchés et la gestion du spectre radioélectrique. Cette agence devait aussi reprendre les fonctions de l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information (ENISA). La majorité des Etats membres considère qu’il importe de maintenir le rôle central des régulateurs nationaux, tout en renforçant les coopérations et en améliorant la transparence et l’efficacité des mécanismes décisionnels du Groupe des régulateurs européens. Le Conseil demeure donc opposé à la création de toute nouvelle entité communautaire, jugée trop dépendante de la Commission européenne et disposant de compétences trop étendues, liées à la gestion du spectre ou à la sécurité des réseaux. Un débat se poursuit néanmoins sur la nécessité de doter le Groupe des régulateurs européens d’un secrétariat d’au maximum 25 personnes. Le Parlement européen rejette aussi l’idée d’une Autorité européenne mais se montre disposé à aller plus loin que le Conseil dans l’institutionnalisation du GRE. Il propose donc la mise en place d’un « Organe des régulateurs européens des télécommunications » (ORET ou BERT en anglais), chargé d’émettre des avis et des recommandations destinés à la Commission et aux régulateurs nationaux. Le financement de cet organe a donné lieu à de nombreuses discussions : la Commission européenne souhaite un financement intégralement communautaire, mais les députés européens ont opté pour un financement mixte (budget communautaire et financement par les régulateurs nationaux), sans préciser à ce stade la part respective de chacun.

La Commission européenne proposait, par ailleurs, d’étendre ses pouvoirs dans le cadre de la procédure d’analyse du marché, en se dotant d’un droit de veto sur les remèdes préconisés par les régulateurs nationaux à l’encontre des opérateurs puissants sur le marché. Le Parlement européen – sur le rapport de Mme Catherine Trautmann – envisage d’encadrer ce droit de veto en exigeant un avis préalable favorable de l’ORET. Encore une fois, le Conseil se montre plus ferme face aux tentatives d’élargissement des compétences de la Commission européenne. Une majorité d’Etats membres souhaite préserver l’équilibre institutionnel existant et donc laisser aux régulateurs nationaux une certaine marge de manœuvre dans les choix et l’application des remèdes, afin de tenir compte des spécificités nationales. Le compromis élaboré par le Conseil se contente dès lors de donner à la Commission européenne la possibilité de publier des recommandations lorsqu’elle n’est pas satisfaite des remèdes envisagés par une autorité de régulation nationale ; l’ARN devant se justifier si elle s’écarte des préconisations de la Commission.

La Commission européenne souhaite enfin donner aux régulateurs nationaux la possibilité d’imposer aux opérateurs intégrés – avec l’approbation préalable de la Commission – la séparation fonctionnelle des activités de fourniture en gros de services d’accès. Il s’agit d’assurer l’égalité d’accès des prestataires de services à la boucle locale en ordonnant à l’entreprise dominante de filialiser ces activités. Selon la Commission européenne, la séparation fonctionnelle ne serait demandée qu’à titre de mesure exceptionnelle, pour remédier à des discriminations persistantes auxquelles l’ensemble des autres mesures coercitives n’apporte pas de solution. L’option de la séparation fonctionnelle a déjà été mise en œuvre au Royaume-Uni ; trois autres pays – l’Italie, la Pologne et la Suède – envisageraient d’y recourir pour empêcher que leurs opérateurs historiques passent sous le contrôle d’entreprises étrangères. Cet instrument est jugé inutile en France par l’ARCEP, qui considère avoir réussi à imposer à l’opérateur historique des offres de gros satisfaisantes pour la concurrence, mais elle reconnaît que ce n’est pas le cas dans tous les Etats membres. Dans ces conditions, le Conseil et le Parlement européen ont accepté de mettre le remède de la séparation fonctionnelle à la disposition d’autorités de régulation nationales confrontées à la persistance de pratiques discriminatoires. Les parlementaires européens ont néanmoins tenu à réaffirmer qu’il s’agirait d’une mesure exceptionnelle, devant être avalisée par l’ORET, que le Parlement souhaite créer.

Le Parlement européen a voté les textes télécommunications, le 24 septembre dernier, en première lecture. Le Conseil des ministres doit les examiner le 27 novembre. L’objectif est de parvenir à un accord politique. La présentation, qui vient d’être réalisée, montre bien néanmoins qu’il subsiste des divergences entre le Conseil et le Parlement européen en ce qui concerne le droit de veto de la Commission sur les remèdes proposés par les régulateurs nationaux ou encore sur la question de l’entité alternative à l’Autorité européenne. Un accord politique au Conseil ne pourra donc pas être totalement en ligne avec la position du Parlement. Dans ces conditions, la présidence française cherche à incorporer dans le compromis du Conseil un certain nombre d’amendements des parlementaires, afin que ces derniers soient disposés à voter la réforme, en seconde lecture, avant la fin de la législature. La tâche de la France dans ce dossier n’est pas aisée car, à vrai dire, aucun Etat membre ne considère que cette réforme soit urgente, ce qui rend plus difficile l’obtention de concessions. Le secrétaire d’Etat à la consommation, M. Luc Chatel, a donc prévu une quinzaine de réunions de travail lors de ce semestre et il compte sur la « flexibilité » de la Commission européenne pour lui faciliter la tâche.

Les conclusions que je propose à votre approbation reprennent les différents points de la communication.

M. Christian Paul. Comme chacun l’a compris, le débat ne se limite pas à l’avenir du téléphone et porte sur celui de la société numérique, ce qui concerne la vie quotidienne des citoyens et le développement des territoires. Aussi souhaiterais-je réagir sur quatre points figurant dans la proposition de conclusions. Au préalable, il est intéressant de s’interroger sur la nécessité ou non d’étoffer les règles européennes. Ces dernières peuvent venir rappeler des principes fondamentaux mais il faut aussi que les parlements nationaux puissent intervenir afin d’éviter que la règle européenne ne soit mauvaise.

Le principe de neutralité est bon dans sa conception mais d’application difficile. Il conduit à disposer d’un réseau neutre et ouvert, évitant les effets de rente, mais il faut être conscient qu’il peut être évoqué par des géants industriels pour tailler des croupières aux opérateurs historiques. Aussi ne faut-il pas être naïf.

Le déploiement de la fibre optique est stratégique pour les départements. Je redoute toutefois que l’Etat n’accorde pas un euro de subvention à ces actions. Aussi cela pose-t-il la question du partage des investissements entre les réseaux privés et ceux d’initiative publique car le marché ne peut pas tout financer. Il n’ira pas dans les zones blanches c’est-à-dire rurales et périurbaines.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Je partage ce point de vue, cela pose-t-il un problème par rapport à la rédaction des conclusions ?

M. Christian Paul. Pourrions-nous évoquer dans les conclusions la question du partage du risque entre opérateurs privés ou entre réseaux privés et réseaux d’initiative publique ?

M. Michel Herbillon, rapporteur. Cette proposition ne me pose pas de problème.

M. Christian Paul. Sur le dividende numérique, je suis en phase avec les conclusions de Mme Viviane Reding, mais il est exact que cette question ne figure pas dans le « paquet télécommunications ».

Sur le point 5 des conclusions, j’ai un désaccord de fond avec le rapporteur qui me conduit à faire deux remarques. La première est qu’il est inapproprié de revendiquer des solutions nationales pour réglementer le téléchargement, problème qui dépasse largement les frontières. D’autre part, si l’amendement adopté par le Parlement européen à une très forte majorité de 573 voix contre 74 ne pose pas de problème juridique, pour quelles raisons le Président de la République en demande-t-il le retrait ? Je crois qu’il est important de rappeler les termes de l’amendement du Parlement européen pour lequel « aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux d’internet sans décision préalable des autorités judiciaires ». J’aurais souhaité que les précautions rappelées par le Parlement européen soient reprises dans les conclusions de notre Commission.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Le vote du Parlement européen ne s’assimile pas à ce stade aux Tables de la loi. La question est de savoir si ce dispositif ne s’oppose pas au consensus établi par le rapport Olivennes sur la riposte graduée. Le souhait des autorités françaises d’établir ce dispositif est-il compatible avec l’amendement du Parlement européen ? Le désir français de créer une autorité extrajudiciaire sera au cœur du prochain débat lors de l’examen du projet de loi « création et Internet ». Je suis disposé à rajouter au point 5 la référence à une nécessaire coordination au niveau européen pour que les conclusions proposées fassent l’objet d’un consensus.

M. Christian Paul. Il faut se donner les moyens du consensus. Sur le fond, il est probable que le projet de loi qui viendra en discussion transgressera les clivages politiques. Aussi aurait-il été intéressant de rappeler quelques principes fondamentaux tels que le rôle de l’autorité judiciaire. Cette demande de voir rappeler ce principe dans les conclusions n’est pas mineure.

M. Gérard Voisin. Je rappelle que Christian Paul est le vice-président de la région Bourgogne. Je rends hommage au travail sur le haut débit effectué par cette collectivité. Je m’étonne que nous parlions exclusivement de la fibre optique au moment où d’autres techniques sont en train de voir le jour.

M. Christian Paul. La fibre optique constitue l’avenir du très haut débit mais son coût en limite le déploiement, ce qui implique le recours à d’autres moyens tels que l’hertzien ou le satellite. Nous essaierons dans ce domaine d’aller le plus loin possible mais il est important que Bruxelles ne s’oppose pas aux initiatives publiques.

A l’issue de ce débat, la Commission adopte – MM. Christian Paul et Jérôme Lambert votant contre – les conclusions suivantes :

« La Commission,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre règlementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques (COM [2007] 697 final/n° E 3701),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) n° 2006/2004 relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs (COM [2007] 698 final/n° E 3702),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne du marché des communications électroniques (COM [2007] 699 final/n° E 3703),

1) souligne que la réforme du cadre règlementaire des télécommunications ne peut se réduire aux seules infrastructures et doit aussi prendre en considération les services diffusés ; dès lors, les principes de neutralité technologique et de neutralité à l’égard des services, ainsi que le marché secondaire des fréquences, nécessaires pour rendre la gestion du spectre radioélectrique plus flexible et efficace, doivent être assortis de dérogations garantissant le pluralisme et la diversité culturelle ;

2) juge que le déploiement de la fibre optique constitue un enjeu économique et culturel très important pour l’Europe et insiste pour qu’un mécanisme de partage des risques entre les opérateurs privés ou entre les réseaux privés et les réseaux d’initiative publique soit institué rapidement en vue de développer les investissements dans ce secteur ;

3) considère avec intérêt la notion de segmentation géographique des marchés règlementés, à condition que la détermination des zones à règlementer relève de la compétence des régulateurs nationaux du fait de leur connaissance précise du marché ;

4) se félicite des progrès envisagés en matière de protection des consommateurs et de renforcement de la sécurité ;

5) affirme que les modalités de la lutte contre les téléchargements illicites relèvent de la compétence des Etats membres et d’une nécessaire coordination au niveau européen ;

6) s’oppose à la création d’une Autorité européenne des télécommunications, mais estime nécessaire de renforcer les structures du Groupe des régulateurs européens et d’améliorer ses processus décisionnels en abandonnant la règle du consensus pour un vote à la majorité qualifiée ou à la majorité simple selon les domaines concernés ;

7) souhaite davantage d’harmonisation des pratiques nationales de régulation, ce qui peut justifier un droit de veto de la Commission européenne sur les solutions préconisées par les régulateurs nationaux à l’encontre des opérateurs puissants sur le marché, à condition que ce pouvoir soit strictement encadré par un avis du Groupe des régulateurs européens ;

8) estime de la même manière que la séparation fonctionnelle peut être mise à la disposition des autorités de régulation nationales pour mettre fin à la persistance de pratiques discriminatoires, mais il ne peut s’agir que d’une mesure exceptionnelle de dernier ressort dont la mise en œuvre doit être encadrée par les régulateurs européens. »

II. Communication de M. Daniel Fasquelle sur les droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (document E 3903)

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Cette première communication permet à l’Assemblée nationale de se saisir très en amont d’une proposition de directive importante pour les Européens. L’objectif est, conformément au renforcement du rôle des parlements nationaux prévu par le traité de Lisbonne et, sur le plan national, aux orientations de revalorisation du rôle du Parlement prévues par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, d’entrer dans une démarche de « co-décision » avec le Parlement européen ainsi que de dialogue avec la Commission européenne. La Commissaire européenne à la santé, Mme Androulla Vassiliou, a d’ailleurs été entendue par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, le mercredi 8 octobre dernier.

Il faut être très clair sur le champ d’application de cette proposition de directive, pour éviter toute confusion, tout amalgame. Celle-ci ne vise que la mobilité des patients. Elle ne concerne pas la mobilité des professionnels. Il ne s’agit donc pas d’appliquer la directive « services » au domaine de la santé.

Si la mobilité des patients reste pour l’instant modeste, à raison d’1 % des dépenses de maladie des Etats membres et de 3 à 4 % des citoyens de l’Union, selon la Commission européenne, un sondage CSA de 2007 fait cependant apparaître qu’une majorité d’Européens se déclare favorable à un déplacement dans un autre Etat membre pour y recevoir des soins. Un récent reportage à la télévision française a également montré que des dentistes hongrois se sont installés sous une tente, dans un lieu public, à Londres, pour faire des consultations gratuites et proposer aux patients des soins lourds qui seront réalisés en Hongrie. Il convient donc de ne pas méconnaître ce sujet d’actualité, comme le propose la Commission européenne, et de favoriser, mais aussi d’encadrer la libre circulation des patients.

L’état du droit n’est pas clair. A côté du règlement de 1971 de coordination des régimes de sécurité sociale, qui permet la prise en charge des soins inopinés reçus dans un autre Etat membre et, sur autorisation préalable uniquement, celle des soins programmés (des soins délibérés), la Cour de justice a développé une jurisprudence qui lui est sur certains aspects contradictoire et dont l’application n’est, en outre, pas homogène dans tous les Etats membres.

Par conséquent, la proposition de la Commission européenne présente plusieurs avantages :

– elle vise à codifier la jurisprudence de la Cour, de manière à simplifier et à clarifier ;

– elle réaffirme la compétence nationale sur les questions d’organisation de soins de santé et de sécurité sociale. L’intervention de l’Union européenne n’est, en effet, qu’une coordination entre les différents systèmes nationaux, en la matière ;

– elle renforce certains droits des patients, notamment en leur offrant des garanties d’information, et répond ainsi aux souhaits de certains d’entre eux à bénéficier de soins spécifiques qui ne sont pas disponibles dans leur Etat membre d’affiliation, ou bien à accéder à des soins dans des conditions plus favorables, le coût restant à leur charge étant moins élevé dans l’Etat membre de traitement, ou encore à recevoir les traitements qui leur sont nécessaires dans de meilleurs délais. C’est d’ailleurs sur cette question des délais d’attente que la Cour de Justice a rendu plusieurs arrêts favorables au droit des patients à aller se faire soigner dans un autre Etat membre ;

– elle permet le maintien de l’autorisation préalable pour les soins hospitaliers qui sont les plus lourds et les plus coûteux et, par conséquent, la capacité de régulation et de planification des Etats membres.

Dans l’ensemble, ce texte de clarification représente un point d’équilibre entre les contraintes d’organisation des systèmes nationaux de santé et la liberté de circulation des patients.

A ce stade, il est cependant d’ores et déjà possible de faire quelques propositions d’amélioration et quelques remarques sur le fond du dispositif présenté par la Commission européenne :

– en ce qui concerne la définition des soins hospitaliers, lesquels sont soumis à autorisation préalable, d’abord. Le texte prévoit d’en donner une définition. Ce n’est pas la bonne voie : d’une part, les différences entre les Etats membres font qu’il est difficile d’envisager de parvenir in fine à une définition partagée et comprise ; d’autre part, une telle intention n’est pas respectueuse de l’esprit de la directive comme du traité, qui est de coordonner et non d’uniformiser. Le renvoi au droit national s’impose par conséquent ;

– ensuite, en ce qui concerne notamment l’autorisation préalable pour les soins hospitaliers, il est nécessaire de s’en tenir à la jurisprudence de la Cour. A défaut, on risque, à côté des deux voies de droit sur les soins transfrontaliers, celle du règlement de coordination et celle de la future directive, d’ouvrir une troisième voie, qui serait jurisprudentielle. Dans une telle hypothèse, l’objectif final ne serait pas atteint. On aurait complexifié au lieu de simplifier ;

– la question de l’articulation avec ce même règlement de coordination des régimes de sécurité sociale doit également être résolue. Il n’est pas bon de laisser, sur un même sujet, cohabiter deux corps de règles. Il faut veiller pour le moins à prévoir une coordination entre les deux textes. Ensuite, il faudra parvenir à un seul texte ;

– en outre, de même que l’autorisation préalable aux soins hospitaliers est une clause de sauvegarde pour les « flux sortants », il faut prévoir une disposition symétrique pour les « flux entrants » des patients qui viendraient se faire soigner dans un Etat membre. On ne peut risquer de voir les affiliés d’un Etat membre exclus, de fait, de l’accès à leurs propres hôpitaux. Ce serait très grave ;

– enfin, la question des soins de suite en cas de complications consécutives à des interventions opérées dans d’autres Etats membres n’est pas traitée. Or, deux problèmes sont d’ores et déjà perceptibles : d’une part, celui de la prise en charge ultime de ces soins ; d’autre part, celui d’une mise en cause de la responsabilité du professionnel. Le texte prévoit l’application du droit de l’Etat de traitement pour les relations avec le patient, mais il faudra bien réexaminer cette question au regard de l’intérêt du patient.

Le Président Michel Herbillon. Il s’agit donc d’une première communication ; un rapport suivra, après la tenue d’auditions supplémentaires. Je souhaiterais savoir ce qui explique l’écart dans les sondages entre les aspirations des citoyens européens à se faire soigner dans un autre Etat membre et la pratique, puisqu’ils sont peu nombreux à le faire effectivement. Par ailleurs, quelle raison explique que la formule d’un texte unique n’a pas été retenue ? La coexistence de deux textes – le règlement et la directive – risque, en effet, de susciter des difficultés d’adaptation et d’ajustement.

M. Céleste Lett. Je crains également les problèmes liés à cet empilement de textes et de règles – le règlement de 1971, la directive et la jurisprudence de la Cour européenne de justice –, qui rendra la situation encore plus complexe.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Le décalage entre les aspirations des citoyens aux soins à l’extérieur de leur pays et la réalité tient au fait que jusqu’à présent, ils n’avaient pas conscience des possibilités qui leur étaient ouvertes par le traité de Rome. Leur attention a été attirée par une médiatisation de la question. Il s’agit d’ailleurs d’un phénomène mondial concernant, entre autres, les pays d’Afrique du Nord ou d’Amérique du Sud où il est possible de faire réaliser, par exemple, des actes de chirurgie esthétique pour un coût moindre mais avec les risques que cela implique. La prise en charge de ces risques et la mise en cause de la responsabilité des praticiens sont encore plus problématiques que dans le cadre européen. Les soins à but exclusivement esthétique, non remboursés, sont hors du champ de la future directive.

La coexistence de deux textes tient à des raisons historiques. En effet, la directive « Services » devait, à l’origine, concerner la santé. S’agissant du règlement de 1971, il ne traite pas seulement de la santé mais de l’ensemble des branches des régimes de sécurité sociale. La solution de facilité a donc été de codifier la jurisprudence de la Cour de justice dans une directive. Cela constitue déjà un progrès et un pas vers l’égalité des citoyens dans la mesure où, à l’heure actuelle, seuls certains Etats appliquent cette jurisprudence, qui reconnaît pourtant des droits aux patients. Cependant, une telle situation n’empêche pas de souhaiter l’élaboration, à terme, d’un texte unique. Cela supposerait toutefois une reprise à plat du règlement de 1971. J’évoquerai ce point avec mes interlocuteurs dans le cadre des futures auditions, notamment à Bruxelles.

M. Céleste Lett. Quand vous parlez de «  soins de suite » , il est important de préciser qu’il s’agit en quelque sorte du «  service après-vente » et non des séjours hospitaliers de court et moyen séjour. D’une façon générale, en tant que député du Haut-Rhin, je tiens à faire part des préoccupations des 85 000 ouvriers frontaliers qui travaillent soit au Luxembourg, soit en Allemagne. La directive prend-elle en compte l’ensemble de leurs problèmes ? Par exemple, si à l’occasion d’un match de football se tenant en France tout près de la frontière, un joueur allemand est blessé, doit-on l’hospitaliser dans un établissement allemand situé à quarante kilomètres alors qu’il existe un hôpital français beaucoup plus proche ? Il existe certes déjà des conventions entre la France et l’Allemagne , notamment des conventions locales dans le cadre des métropoles transfrontalières. Quelle sera la place de la directive dans la hiérarchie des normes de droit ? Enfin, je voudrais aborder la question de la divergence d’appréciation des taux d’invalidité selon qu’ils sont évalués par un médecin allemand ou un médecin français. Les critères étant différents, il est fréquent qu’un médecin allemand ne reconnaisse pas l’invalidité du salarié, ce qui donne lieu parfois à des situations dramatiques pour certains salariés frontaliers. A l’occasion des assemblées générales des associations de travailleurs frontaliers auxquelles j’ai eu l’occasion d’assister, je me suis rendu compte du paradoxe qui existe entre ces citoyens qui vivent l’Europe au quotidien mais qui ont voté contre le traité. Cela tient en grande partie au fait qu’ils sont confrontés à ce type de difficultés. Il est donc nécessaire de faire porter les efforts sur un ajustement des réglementations.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Pour ne pas être spécifiquement visés, les soins transfrontaliers font évidemment partie, et au premier chef, du champ d’application de la proposition de directive, qui viendra compléter les diverses conventions bilatérales existantes. En encadrant et en codifiant la jurisprudence de la Cour de justice, la directive donnera plus de cohérence et, je l’espère, plus de clarté aux droits concrets des patients. Il importe d’ailleurs de relever que les deux arrêts décisifs de la Cour de 1998 concernaient des Luxembourgeois. Je rappelle aussi que, s’agissant des soins inopinés, les transfrontaliers disposent d’une carte européenne d’assurance maladie leur donnant accès aux soins dans tous les pays de l’Union.

Pour autant, le taux d’indemnisation ne relève pas de la directive, mais du règlement de 1971, étendu aux étudiants et à certains inactifs en 1995, qui couvre le champ beaucoup plus vaste de l’ensemble des branches de la sécurité sociale, y compris les retraites. C’est évidemment une source de complexité, mais, par pragmatisme, la Commission européenne a choisi de travailler d’abord sur la directive pour réexaminer, dans un second temps, le règlement.

M. Céleste Lett. La directive est-elle suffisamment attentive aux cas concrets qui handicapent quotidiennement la vie de nos concitoyens ? Prenons l’exemple d’une personne habitant à quelques kilomètres de la frontière et qui a besoin de soins hebdomadaires, qui pourraient être fournis par un hôpital proche, mais de l’autre côté de la frontière. Comment la soustraire à la complexité des règles, voire à l’arbitraire des décisions administratives, pour lui permettre d’accéder aux soins dont elle a besoin ?

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. C’est précisément l’objet de la directive. La Cour de justice a progressivement consolidé les droits des patients en circonscrivant avec précision les cas dans lesquels l’autorisation préalable de soins dans les autres pays peut être refusée. Mais il faut reconnaître que ces critères ne sont pas toujours connus par les principaux intéressés, qui renoncent parfois, face à cette complexité, à exercer leurs droits. C’est pourquoi la directive codifie ces règles, renforçant sans doute leur clarté.

Le Président Michel Herbillon. Voilà un nouvelle exemple de l’effrayante complexité, pour ne pas dire de l’illisibilité des règles qui nuisent tellement à l’image de l’Europe. Une directive, un règlement, des dizaines d’arrêts de la Cour : dans ce maquis juridique, il est bien difficile pour nos concitoyens d’y voir clair, sur un sujet qui les concerne pourtant au premier chef, leur propre santé.

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point A

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a approuvé les textes suivants :

Ø Agriculture

- proposition de règlement du Conseil modifiant les règlements (CE) no 1290/2005 relatif au financement de la politique agricole commune et (CE) no 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement « OCM unique ») en vue de la mise en place d'un programme en faveur de la consommation de fruits à l'école (document E  3929).

Ø Commerce extérieur

- décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire de l'accord de partenariat économique d'étape entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et le Ghana, d'autre part (document E 3914) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire de l'accord d'étape vers un accord de partenariat économique entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et l'Afrique centrale, d'autre part (document E 3919) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire de l'accord de partenariat économique d'étape entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Côte d'Ivoire, d'autre part (document E 3927) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord de partenariat économique d'étape entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et le Ghana, d'autre part (document E 3928) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord d'étape vers un accord de partenariat économique entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et l'Afrique centrale, d'autre part (document E 3930) ;

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 55/2008 introduisant des préférences commerciales autonomes pour la République de Moldavie (présentée par la Commission) (document E 3979) ;

- recommandation de la Commission au Conseil autorisant la Commission à entamer des négociations avec la Confédération suisse dans l'optique d'une coopération accrue et de la suppression des entraves techniques aux échanges dans les domaines de la santé, de la protection des consommateurs, de la santé animale et de la santé des végétaux, du bien-être des animaux et de la sécurité de la chaîne alimentaire (document E 3987) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire de l'accord établissant un cadre pour un accord de partenariat économique entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats partenaires de la Communauté d'Afrique de l'Est, d'autre part (document E 4004) ;

- proposition de décision du Conseil concluant l'accord établissant un cadre pour un accord de partenariat économique entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats partenaires de la Communauté d'Afrique de l'Est, d'autre part (document E 4005).

Ø Droit des sociétés

- proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne (document E 3909).

Ø Institutions

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (Euratom, CECA, CEE) no 549/69 déterminant les catégories des fonctionnaires et agents des Communautés européennes auxquelles s'appliquent les dispositions des articles 12, 13, deuxième alinéa, et 14 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés (document E 3884).

Ø PESC et relations extérieures

- décision du Conseil modifiant les annexes III et IV de la position commune 2007/140/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (document E 4007) ;

- position commune du Conseil concernant l’accueil temporaire de certains Palestiniens par des Etats membres de l'Union européenne (document E 4008).

Point B

Ø Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire de l'accord de partenariat économique provisoire entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats de l'APE CDAA, d'autre part (document E 3991) ;

- proposition de décision du Conseil concluant l'accord de partenariat économique intérimaire entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats de l'APE CDAA, d'autre part (document E 3994).

Ø Défense

- Proposition de règlement du Conseil portant modification et mise à jour du règlement (CE) no 1334/2000 instituant un régime communautaire de contrôles des exportations de biens et technologies à double usage (document E 3982).

Ø Energie

- Proposition de décision du Conseil relative à un mandat de négociation autorisant la Commission à négocier un accord entre la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) et le ministère de l'énergie des Etats-Unis d'Amérique (USDOE) dans le domaine de la recherche et du développement en matière de sécurité nucléaire (document E 3952).

Ø Pêche

- proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2009, les possibilités de pêche et les conditions associées applicables en mer Baltique pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques (document E 3967) ;

- proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2009 et 2010, les possibilités de pêche ouvertes aux navires de la Communauté pour certains stocks de poissons d'eau profonde (document E 4009) ;

- proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2009, les possibilités de pêche et les conditions y afférentes applicables en Mer Noire pour certains stocks halieutiques (document E 4011).

Ø Politique sociale

- Proposition de décision du Conseil sur la conclusion, par la Communauté européenne, de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (document E 3966).

Ces huit textes ne présentant pas de difficulté ont été approuvés.

Par ailleurs, la Commission a pris acte de l’approbation, selon la procédure d’examen en urgence, des textes suivants :

- avant-projet de budget rectificatif no 7 au budget général 2008 - Etat des dépenses par section - Section III - Commission (document E 3770-7) ;

- proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation du Fonds de solidarité de l'Union européenne (document E 3977) ;

- proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République de Cuba conformément à l'article XXIV, paragraphe 6, du GATT de 1994, et modifiant et complétant l'annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (document E 3985) ;

- décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et la Fédération de Russie sur la participation de la Fédération de Russie à l'opération militaire de l'Union européenne en République du Tchad et en République centrafricaine (opération EUFOR Tchad/RCA) (document E 4000) ;

- adoption de la décision du Conseil autorisant la Commission à ouvrir les négociations en vue de la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et le Canada sur la coopération et l'échange d'informations dans les enquêtes de concurrence (document E 4001).

Enfin, en application de la procédure adoptée par la Commission le 23 septembre 2008 s’agissant des projets de décision antidumping, celle-ci a approuvé tacitement le texte suivant :

- proposition de règlement du Conseil imposant un droit antidumping définitif sur les importations de certains accessoires de tuyauterie, en fer ou en acier, originaires de la République de Corée et de Malaisie à la suite d'un réexamen au titre de l'expiration des mesures conformément à l'article 11, paragraphe 2, du règlement no 384/96 (document E 3983).

La séance est levée à dix heures quarante