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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 120

Réunion du mercredi 23 mars 2005 à 10 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communication de M. Christian Philip sur la conformité du troisième paquet ferroviaire au principe de subsidiarité

Le Président Pierre Lequiller a présenté le projet initié par la COSAC, à la demande de M. Hubert Haenel, Président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne, visant à réaliser une expérimentation « à blanc » du mécanisme de contrôle du respect du principe de subsidiarité prévu par le traité constitutionnel européen. Cet exercice porte sur le « troisième paquet ferroviaire », composé de quatre projets d'actes législatifs européens :

- une proposition de directive ouvrant à la concurrence le transport international de passagers à compter du 1er janvier 2010 et autorisant le cabotage [COM (2004) 139 final] ;

- une proposition de directive fixant des règles communautaires pour la certification des conducteurs de trains [COM (2004) 142 final] ;

- une proposition de règlement sur les droits et les obligations des passagers, définissant les responsabilités des entreprises ferroviaires en cas d'accident, de retard, d'annulation, ainsi que les montants de compensation [COM (2004) 143 final] ;

- une proposition de règlement relative notamment aux compensations dues en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire [COM (2004) 144 final].

Le Président Jean-Louis Debré a autorisé cette expérience, dès lors qu'elle ne préjuge en rien du résultat du référendum du 29 mai et de la procédure interne à l'Assemblée nationale, qui sera décidée le moment venu, en cas de ratification de la Constitution européenne, pour mettre en œuvre le futur article 88-5 de la Constitution française.

M. Christian Philip, rapporteur, a précisé la procédure utilisée pour ce test, conformément aux orientations définies par ses collègues MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin dans le rapport qu'ils ont présenté à l'automne. La mission d'instruction et d'examen des textes européens au regard du principe de subsidiarité relève ainsi de la Délégation pour l'Union européenne, qui transmet sa position à la commission permanente compétente au fond (en l'espèce, la commission des affaires économiques) qui peut confirmer, amender ou infirmer l'avis adopté par la Délégation. L'expérimentation se déroule dans un délai de six semaines, qui a été fixé artificiellement entre le 1er mars et le 12 avril. Le rapporteur a indiqué que la Délégation avait déjà débattu au fond du troisième paquet ferroviaire et voté une proposition de résolution examinée par la commission des affaires économiques le 15 février 2005. Or il s'agit désormais de se placer comme si la Délégation n'avait pas encore examiné ces textes au fond, et de ne se prononcer que sur le seul critère de la conformité au principe de subsidiarité.

Le rapporteur a indiqué que la Délégation du Sénat pour l'Union européenne s'était réunie le 17 mars pour un premier échange de vues, à l'issue duquel deux rapporteurs ont été désignés : l'un sur la proposition de directive autorisant le cabotage [COM (2004) 139 final] et l'autre sur la proposition de règlement relative notamment aux compensations dues en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire [COM (2004) 144 final].

Evoquant ensuite l'état d'avancement de l'expérience dans les autres parlements de l'Union, le rapporteur a souligné le caractère encore provisoire des procédures utilisées, qui font apparaître le rôle important joué par les commissions des affaires européennes. Il a également signalé la création aux Pays-Bas d'une commission mixte aux deux chambres, spécialement chargée du contrôle de la subsidiarité. Il ne semble, en revanche, nulle part envisagé de prolonger l'expérimentation jusqu'à un éventuel examen en séance publique, afin de ne pas préjuger de la ratification du traité constitutionnel.

Le rapporteur a ensuite présenté son analyse du troisième paquet ferroviaire au regard du respect du principe de subsidiarité :

¬ Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires (document E 2535)

Après l'ouverture du transport de fret, la proposition vise à ouvrir les transports internationaux de voyageurs à la concurrence. Elle prévoit une possibilité de cabotage intérieur, c'est-à-dire que les entreprises offrant des services internationaux se verraient accorder le droit de prendre et de laisser des passagers entre deux gares situées sur un trajet international, y compris entre deux gares situées dans un même Etat membre. Le rapporteur a estimé que cette proposition ne posait pas de problème particulier au regard du principe de subsidiarité dès lors qu'elle s'inscrit indiscutablement dans la mise en œuvre de la politique commune des transports prévue à l'article 71 TCE. Rappelant toutefois que la Délégation du Sénat avait nommé un rapporteur sur ce texte, il a souligné la difficulté de distinguer l'examen au fond de celui au seul titre du principe de subsidiarité. Or, il ne faudrait pas prendre prétexte de la subsidiarité pour s'opposer au fond à l'ouverture à la concurrence des transports internationaux de voyageurs.

¬ Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux (document E 2536)

La Commission propose de fixer des exigences minimales applicables à l'information des voyageurs avant, pendant et après leur voyage et d'établir un régime de responsabilité des entreprises ferroviaires en cas d'accident, de retard ou d'annulation.

Cette proposition est également rattachée par la Commission à la mise en œuvre de la politique commune des transports mais pourrait également se rattacher à la protection des consommateurs.

Le rapporteur a considéré ce texte conforme au principe de subsidiarité, rappelant que la Commission vise ainsi à adapter au transport ferroviaire des dispositions qui sont déjà appliquées dans le transport aérien.

¬ Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la certification du personnel de bord assurant la conduite de locomotives et de trains sur le réseau ferroviaire de la Communauté (document E 2696)

Le rapporteur a estimé que ce texte ne posait pas de problème au regard du principe de subsidiarité. Il concourt incontestablement à la mise en œuvre de la politique commune des transports, puisque de son adoption dépend la bonne application du deuxième paquet ferroviaire.

¬ Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les compensations en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire (document E 2537)

La Commission souhaite instaurer un système de compensations applicables aux contrats de transport de marchandises. Il est vrai que le transport international comporte peu de contrats de qualité analogues à ceux qui, dans le trafic national, prévoient une compensation en cas de retard. De tels contrats sont limités aux trains de transport combinés ou aux trains complets. La proposition de règlement vise à couvrir la perte et l'avarie de la marchandise, les retards et les annulations ainsi que le non-respect de toute autre exigence de qualité stipulée dans le contrat de transport. Elle fixe également des planchers minimaux et maximaux pour les indemnisations.

Tout en déclarant que l'amélioration de la compétitivité du fret ferroviaire est un objectif important, le rapporteur a contesté la conformité de cette proposition de règlement au regard du principe de subsidiarité, au motif que la fixation du montant des indemnisations en cas de retard dans la livraison des marchandises devrait incomber aux parties au contrat plutôt qu'au législateur européen. En outre, le recours à un règlement plutôt qu'à une directive a pour effet de remettre en cause les marges de manœuvre laissées aux Etats membres, conformément à la directive 2004/51 du 29 avril sur l'ouverture des réseaux de fret à la concurrence.

Il a indiqué que la conformité au principe de subsidiarité se posait en des termes différents selon qu'il s'agit du transport de voyageurs ou du fret ferroviaire, puisqu'à la différence des voyageurs, les clients de services de fret peuvent conclure un contrat qu'ils négocient. C'est la raison pour laquelle, le rapporteur a estimé qu'une recommandation de la Commission serait plus appropriée que l'adoption d'un règlement.

En conclusion, M. Christian Philip, rapporteur a estimé que l'intérêt de cette expérimentation résidait dans la possibilité ouverte aux parlements nationaux qui le souhaitent de prendre une position rapidement, ce qui rend difficile la séparation entre le contrôle de subsidiarité proprement dit et l'examen au fond des textes. Le projet de directive sur les services montre en effet qu'un texte communautaire peut poser de nombreux problèmes et que si le test de subsidiarité lui avait été appliqué, cela aurait permis aux parlements nationaux de se prononcer beaucoup plus tôt. Il leur incombe d'ouvrir un débat le plus rapidement possible devant l'opinion publique lorsqu'un texte de la Commission soulève une controverse.

Le Président Pierre Lequiller, tout en approuvant les remarques du rapporteur selon lesquelles le contrôle de la subsidiarité permettra un examen plus précoce des textes, a estimé toutefois qu'il conviendrait d'éviter d'éventuelles dérives et de s'en tenir à l'examen de la subsidiarité sans procéder à l'examen au fond.

Rappelant la procédure envisagée, à ce stade, à l'Assemblée nationale, il a indiqué que l'avis motivé de la Délégation sera transmis ensuite à la commission des affaires économiques et qu'en cas de désaccord, la Conférence des Présidents pourrait être amenée à statuer.

M. Guy Lengagne a constaté que le contrôle de subsidiarité sera utilisé par les Etats pour procéder à un examen au fond et, le cas échéant, pour bloquer des textes, sur la base de ce qu'il a qualifié d'arguties juridiques.

M. François Guillaume a estimé que l'exercice auquel procédait la Délégation lui paraissait d'autant plus intéressant qu'à ses yeux il porte sur l'une des dernières responsabilités des parlements nationaux. Il a considéré qu'il aurait été utile que le rapporteur établisse un bilan qualitatif des conditions dans lesquelles le contrôle du principe de subsidiarité est actuellement appliqué. Celui-ci pourrait montrer selon lui que ce principe est appliqué dans des conditions inverses de celles adoptées par l'Eglise catholique, puisqu'en l'occurrence il s'agit d'une subsidiarité descendante et non montante, la Commission décidant des questions qui reviennent aux Etats et non l'inverse. Or, sur ce point, le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe n'apporte aucun changement. Evoquant la procédure du contrôle de subsidiarité prévue par le traité au terme de laquelle les avis motivés d'un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux auront pour effet, si la Commission ne modifie pas son texte, de transmettre le dossier à la Cour de justice, il a déploré le risque d'un gouvernement des juges, car il y a lieu de craindre que le problème de la subsidiarité ne soit constamment soulevé.

Abordant les différents projets du troisième paquet ferroviaire, il a déclaré que la proposition de règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux n'était pas conforme au principe de subsidiarité, au motif que les services fournis pouvaient varier selon les Etats et que la fixation des tarifs dépendait des gestionnaires de chemin de fer de ces derniers. Enfin, il s'est enquis des conditions dans lesquelles seraient rémunérés les personnels ferroviaires qui vont être embauchés dans d'autres Etats membres que ceux dont ils sont les ressortissants. Il a estimé que si devait s'appliquer la règle du pays d'origine, en particulier celle de pays dont la protection sociale est plus faible qu'en France par exemple, il pourrait en résulter le risque d'un dumping social.

M. Pierre Forgues, tout en déclarant qu'il lui apparaissait difficile de définir le principe de subsidiarité, s'est étonné que la constatation par la Commission de l'extrême lenteur des trains de fret ait pu la conduire à présenter la proposition visant à réglementer les exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire. Il a considéré que cette matière relevait non pas de la responsabilité de la Commission mais de celles du transporteur et du client.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe permettrait désormais aux parlements nationaux de contrôler la conformité des propositions de la Commission au principe de subsidiarité. Il a considéré que, dans l'hypothèse où huit parlements nationaux - dont le Parlement français - constateraient une non-conformité, il sera difficile - au plan politique - à la Commission de ne pas en tenir compte. Se référant au projet de directive « Bolkestein », il a constaté que devant la réaction du Parlement français, la position de la Commission était en train d'évoluer.

M. Jacques Floch, approuvant les propos du Président Pierre Lequiller, a déclaré que dans cette procédure, il fallait distinguer la lettre et l'esprit. Le juge ne sera saisi que si au terme des discussions qui se sont déroulées dans les parlements nationaux, au Parlement européen et au Conseil, un désaccord persistait entre ces derniers et la Commission. Ces discussions préalables auront le mérite d'empêcher que la Cour de justice ne soit saisie de recours trop nombreux.

M. Michel Delebarre a considéré qu'il revenait à juste titre à la Cour de justice de l'Union européenne de montrer la voie dans de nombreux domaines. Il a suggéré que la Délégation pour l'Union européenne auditionne le Procureur général auprès de la Cour et a estimé que le juge de Luxembourg refusera de se poser en arbitre des débats politiques où l'argument de la subsidiarité ne serait qu'un prétexte pour s'opposer au fond d'un texte. Or la Cour ne recevra pas les dossiers qui reposeraient sur une argumentation manifestement sans lien avec la conformité au principe de subsidiarité.

M. Christian Philip, rapporteur, a, dans le même esprit, établi une comparaison avec certains recours abusifs formés devant la Cour européenne des droits de l'homme, lorsqu'ils n'ont pour objet que de permettre un appel supplémentaire une fois épuisées les voies de recours internes. De même, il ne faudrait pas détourner la procédure de recours devant la Cour de justice de l'Union européenne. Il s'est ensuite inscrit en faux contre l'analyse selon laquelle les arrêts de la Cour de justice sur l'application du principe de subsidiarité conduiront à un gouvernement des juges ; il a, au contraire, estimé qu'il s'agissait là de la caractéristique d'un Etat de droit et que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg sera très utile lorsque se posera réellement un problème de subsidiarité, dont il est nécessaire de préciser les contours. A cet égard, il a souhaité que la Délégation pour l'Union européenne approfondisse sa réflexion sur une grille d'analyse de la conformité des projets d'actes législatifs européens au principe de subsidiarité.

En réponse à l'intervention de M. François Guillaume, le rapporteur a réitéré son interprétation quant à la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux. Il a d'ailleurs rappelé l'accueil positif réservé à la réglementation européenne en vigueur contre la pratique du « surbooking » dans les avions et estimé que rien ne justifiait une approche différente pour les transports ferroviaires. S'agissant, en revanche, de la proposition de règlement sur le fret ferroviaire pour laquelle il recommande l'adoption d'un avis motivé, le rapporteur n'a pas contesté le bien fondé de l'objectif visant à réduire les retards dans le fret ferroviaire, moins compétitif à cet égard que le transport routier. Pour autant, ce n'est pas à une règle générale de fixer les indemnités en cas de retard, mais au contrat conclu entre le transporteur et son client.

M. François Guillaume a rappelé le caractère éminemment subjectif de la notion de subsidiarité.

M. Pierre Forgues a tenu à déclarer de nouveau qu'une initiative de la Commission ne lui apparaissait pas nécessaire pour réglementer la qualité des services de fret ferroviaire.

M. Guy Lengagne a considéré qu'il fallait rattacher le projet de directive contestée sur la qualité du fret ferroviaire à la volonté manifestée par la Commission de revitaliser le rail.

M. François Guillaume a souhaité savoir quel statut serait applicable aux conducteurs de trains polonais traversant les frontières.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

- la qualité des services de fret relève des stipulations contractuelles ;

- le statut social des conducteurs de train n'entre pas dans le champ d'application de la directive et devra donc être réglé par un texte spécifique.

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité de la qualité des travaux concernant cet exercice qu'il a qualifié de très intéressant.

En conclusion du débat, la Délégation a adopté une proposition de résolution portant avis motivé sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les compensations en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaires [COM (2004) 144 final] rédigée comme suit :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-5 de la Constitution,

- Vu l'article 6 du Protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au Traité établissant une Constitution pour l'Europe,

a adopté l'avis motivé qui suit, exposant les raisons pour lesquelles la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les compensations en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire [COM (2004) 144 final] est non conforme au principe de subsidiarité.

Le 8 mars 2004, la Commission européenne a présenté quatre textes, qui constituent ce qu'il est convenu d'appeler le « troisième paquet ferroviaire ».

Il s'agit :

- d'une proposition de directive ouvrant à la concurrence le transport international de passagers à compter du 1er janvier 2010 et autorisant le cabotage [COM (2004) 139 final] ;

- d'une proposition de directive fixant des règles communautaires pour la certification des conducteurs de trains [COM (2004) 142 final] ;

- d'une proposition de règlement sur les droits et les obligations des passagers, définissant les responsabilités des entreprises ferroviaires en cas d'accident, de retard, d'annulation, ainsi que les montants de compensation [COM (2004) 143 final];

- d'une proposition de règlement relative notamment aux compensations dues en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire [COM (2004) 144 final].

Si les trois premiers textes ne posent pas de problème particulier au regard du principe de subsidiarité - parce qu'ils s'inscrivent clairement dans le cadre de la politique commune des transports, il n'en va pas de même pour le dernier concernant la qualité des services de fret.

Bien que chacun s'accorde sur la nécessité de poursuivre cet objectif, on peut douter que la démarche proposée par la Commission soit conforme au principe de subsidiarité.

- On se trouve ici dans un domaine qui relève non pas de la politique commune des transports, mais du marché et du jeu des relations contractuelles. Il en résulte que la fixation du montant des indemnisations en cas de retard dans la livraison des marchandises devrait incomber aux parties au contrat plutôt qu'au législateur communautaire.

- Il existe déjà la directive 2004/51 du 29 avril 2004 qui a procédé à l'ouverture totale des réseaux de fret à la concurrence, afin d'améliorer la qualité des services de fret. Se pose donc la question de l'opportunité de l'initiative de la Commission.

- Le choix de recourir à l'instrument juridique du règlement qui s'applique à tous les Etats membres de manière uniforme les prive de la marge de manœuvre qui leur a été accordée par la directive 2004/51.

En conséquence, l'Assemblée nationale :

1. Estime que les exigences minimales obligatoires que la proposition de règlement susvisée souhaite mettre en place ne sont pas conformes au principe de subsidiarité.

2. Juge, dès lors, préférable que la Commission émette une recommandation, par laquelle serait ouverte la possibilité de conclure des contrats-types de portée supplétive mais aux dispositions desquelles les parties auraient, pour certaines raisons, la faculté de déroger. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point A

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé le texte suivant :

¬ Politique sociale

- proposition de directive du Conseil concernant l'accord entre la Communauté européenne du rail (CER) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) sur certains aspects des conditions d'utilisation des travailleurs mobiles effectuant des services d'interopérabilité transfrontalière (document E 2833).

Point B

¬ Droit des sociétés

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (document E 2762).

M. Christian Philip, rapporteur, a indiqué que la deuxième directive sur le droit des sociétés adoptée en 1976 a permis de coordonner les dispositions nationales concernant la constitution des sociétés anonymes, le capital minimum souscrit, les distributions aux actionnaires ainsi que l'augmentation et la réduction de capital.

Puis il a considéré que les modifications proposées par la Commission, à l'exception de celles protégeant les droits des créanciers qui existent déjà en droit français, imposeront quelques adaptations des textes nationaux.

La proposition de directive vise à simplifier, en premier lieu, les procédures d'apport en nature.

La Commission propose de laisser aux Etats membres le choix de maintenir ou de supprimer l'obligation d'évaluer ces apports dans trois cas précisément définis.

La directive prévoit actuellement d'informer, par un rapport écrit, les actionnaires lorsqu'une telle augmentation de capital a lieu.

La Commission prévoit, en deuxième lieu, de supprimer l'obligation d'informer les actionnaires en cas d'augmentation du capital, une proposition qui suscite les réserves des autorités françaises.

La Commission propose, en troisième lieu, de permettre aux Etats membres d'autoriser l'acquisition par une société de ses propres actions dans la limite du montant de ses réserves distribuables. Elle prévoit, en outre, de prolonger la durée de validité de l'autorisation accordée par l'assemblée générale jusqu'à cinq années maximum.

La proposition donne par ailleurs aux Etats membres la possibilité d'autoriser les sociétés anonymes à accorder une aide financière en vue de l'acquisition de leurs actions par un tiers, dans la limite de leurs réserves distribuables.

Enfin, la Commission propose d'introduire des droits de « retrait obligatoire » et de « rachat obligatoire ».

La France soutient l'approche globale de la Commission, tout en défendant les demandes suivantes :

- la fixation de la durée d'évaluation des apports en nature doit être laissée aux Etats membres, demande satisfaite par la Commission ;

- la limite actuelle fixée pour le rachat d'actions doit être conservée ;

- s'agissant de la possibilité d'accorder des aides financières, cette proposition n'est pas opportune, car risquant de conduire à des abus, éventuellement susceptibles de qualification pénale ;

- la proposition au sujet des droits de retrait et de rachat obligatoires peut être soutenue, mais à deux conditions : cette procédure doit être réservée aux sociétés cotées et le principe de subsidiarité doit être appliqué pour la fixation du seuil maximal d'actions pouvant être rachetées, comme pour les modalités de fixation du juste prix.

Sur la proposition du rapporteur, la Délégation a approuvé ce texte, tout en apportant son soutien aux demandes des autorités françaises.

La Délégation a ensuite approuvé le document suivant :

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

- communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative à certaines actions à entreprendre dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et d'autres formes graves de criminalité, notamment en vue d'améliorer les échanges d'informations. Proposition de décision du Conseil relative à l'échange d'informations et la coopération concernant les infractions terroristes (document E 2576).

¬ Institutions communautaires

- programme de travail de la Commission pour 2005 - Communication du Président en accord avec Mme Wallström, Vice-présidente (document E 2822) ;

- communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les « Objectifs stratégiques 2005-2009 - Europe 2010 : un partenariat pour le renouveau européen - Prospérité, solidarité et sécurité » (document E 2826).

La Délégation a pris acte de ces deux documents, tout en demandant à la Commission, conformément à la résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 15 mars 2005 le réexamen de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (COM (04) 2 final/E 2520) et l'élaboration d'une directive cadre sur les services d'intérêt économique général.

Par ailleurs, la Délégation a pris acte de l'approbation, selon la procédure d'examen en urgence, des deux textes suivants :

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2792/1999 en ce qui concerne une action spécifique de transfert de navires vers des pays touchés par le tsunami en 2004 (document E 2831) ;

- proposition de directive du Conseil modifiant l'annexe IV de la directive 2000/29/CE concernant les mesures de protection contre l'introduction dans la Communauté d'organismes nuisibles aux végétaux ou aux produits végétaux et contre leur propagation à l'intérieur de la Communauté (document E 2832).

Enfin, la Délégation a pris acte de l'accord tacite de l'Assemblée nationale, en vertu d'une procédure mise en œuvre en 2000, dont a fait l'objet le texte suivant :

- lettre de la Commission européenne du 11 janvier 2005, relative à une demande de dérogation présentée par la République fédérale d'Allemagne et le Royaume des Pays-Bas en date du 8 octobre 2004 et du 25 octobre 2004 en application de l'article 27 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, relative aux taxes sur le chiffre d'affaires. Système commun de taxe sur la valeur ajoutée, assiette uniforme (document E 2820).

III. Nomination d'un rapporteur

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a désigné M. Christian Philip rapporteur d'information sur la proposition de directive concernant l'accès au marché des services portuaires.

IV. Audition, ouverte à la presse, de M. Franco Frattini, Vice-président de la Commission européenne en charge de la justice, de la liberté et de la sécurité

Le Président Pierre Lequiller a souligné le plaisir qu'avait la Délégation à accueillir le Président Franco Frattini, en cette période importante pour l'Europe et à quelques semaines du référendum français sur la Constitution européenne. L'espace de justice, de liberté et de sécurité est en effet au cœur des préoccupations des citoyens. Selon un sondage Eurobaromètre de mars 2004, 85 % des citoyens de l'Union souhaitent des règles communes en matière d'asile et 71 % sont favorables à une action commune contre la criminalité organisée. En France, la création d'une justice commune arrive en tête des avancées les plus décisives attendues de l'Union. La Constitution européenne comporte plusieurs progrès dans ce domaine, telles que l'extension de la majorité qualifiée ou la perspective d'un parquet européen. Le Président Pierre Lequiller a souhaité savoir quel est le calendrier prévu pour la mise en place d'un « casier judiciaire européen », dont l'affaire Fourniret a souligné la nécessité. Il a également souhaité connaître le bilan que la Commission fait des premiers mois d'application du mandat d'arrêt européen, ainsi que les perspectives d'évolution d'Eurojust.

M. Franco Frattini, Vice-président de la Commission européenne, a rappelé que l'Europe a connu de profonds changements l'année dernière, avec l'élargissement, les élections européennes, la désignation d'une nouvelle Commission et les progrès de la politique de justice, de liberté et de sécurité. Le programme de Tampere de 1999 a constitué une première étape, en fixant de grandes orientations pour la période de cinq ans comprise entre 1999 et 2004. Pour une politique n'ayant commencé à exister qu'en 1999, de grands progrès ont été accomplis. Les Etats membres ont reconnu l'importance de coopérer dans ces matières. Les citoyens européens nous ont envoyé un message clair à ce sujet : ils estiment que la lutte contre la criminalité et le terrorisme doivent constituer une priorité pour les responsables politiques européens. Le poids politique et l'autorité de l'Europe sont aussi liés à sa capacité à « produire » de la sécurité. Pendant de longues années, notre sécurité a été assurée par d'autres et nous nous sommes limités à la consommer. Les récents malentendus dans les relations transatlantiques s'expliquent en grande partie par la longue absence de l'Europe en matière de sécurité.

Les chefs d'Etat et de gouvernement ont été ambitieux lorsqu'ils ont défini le deuxième programme pluriannuel en matière de justice, de liberté et de sécurité, dit « programme de La Haye ». Ce programme est ambitieux, car il s'efforce d'intégrer autant que possible les innovations apportées par le traité constitutionnel. Mais il est aussi réaliste, en tirant parti des progrès déjà accomplis. Le programme de La Haye aborde toutes les politiques qui se rapportent à l'espace de justice, de liberté et de sécurité : droits fondamentaux, citoyenneté, asile et immigration, gestion des frontières, intégration, lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, justice pénale, coopération policière et justice civile. Une stratégie antidrogue y a été ajoutée en décembre 2004.

La liberté est le premier pilier de ce programme, qui commence par aborder la protection et la promotion des droits fondamentaux. Le traité constitutionnel comporte deux avancées importantes à ce sujet : l'inclusion de la Charte des droits fondamentaux, qui sera ainsi dotée d'une force juridique contraignante, et l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme. Le programme prévoit par ailleurs la transformation de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes en une Agence des droits fondamentaux. La Commission déposera une proposition de règlement d'ici la fin du mois de juillet. Une Europe qui veille sur les droits fondamentaux est une Europe puissante et respectée, répondant aux aspirations des peuples. Face à la renaissance des fondamentalismes, nous devons donner toute leur place à ces droits, par le dialogue interculturel.

Les progrès sur la voie d'un régime d'asile commun doivent être poursuivis. Dans le programme de La Haye, une attention particulière est accordée à la lutte contre l'immigration clandestine et le trafic d'êtres humains, en particulier des femmes et des enfants. Le deuxième rapport annuel sur l'immigration clandestine sera présenté à la fin de 2005. Il fera le point sur les progrès accomplis et envisagera les mesures ultérieures qui s'imposent. Le programme recommande également la définition d'une nouvelle stratégie de gestion des flux migratoires et le développement d'une politique d'immigration commune prévoyant des procédures et des critères d'admission. L'Europe a besoin d'une politique qui tienne compte de ses besoins démographiques. La Commission a lancé une consultation publique sur les migrations économiques et proposera avant la fin de l'année un programme d'action relatif à l'immigration légale à des fins d'emploi. Le partenariat avec les pays tiers d'origine et de transit est également fondamental, et il faut aider ces pays à renforcer leurs capacités dans des domaines comme la gestion des flux migratoires, la protection des réfugiés ou la lutte contre l'immigration clandestine. Il faut aussi que nos sociétés jouissent des avantages de l'immigration et éviter l'isolement et l'exclusion sociale des communautés immigrées. Une politique d'immigration exige une gestion intégrée des frontières extérieures et une politique commune en matière de visas. L'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres sera opérationnelle au début du mois de mai 2005, et sera complétée par la mise en place d'un fonds de gestion des frontières et d'équipes d'experts nationaux. L'extension des dispositions Schengen aux nouveaux Etats membres est une priorité du programme. Avant cela, une évaluation aura lieu en 2006 et la nouvelle génération du système d'information Schengen (SIS II), qui devrait être opérationnelle en 2007, sera mise en place.

En ce qui concerne la sécurité, le programme de La Haye ouvre plusieurs pistes. Il recommande une approche innovante de l'échange d'informations en matière répressive, fondée sur le principe de disponibilité. Ce principe signifie que tout agent des services répressifs d'un Etat membre qui doit obtenir certaines informations d'un autre Etat membre pour exercer ses fonctions les obtiendra de l'administration répressive compétente dans cet autre Etat membre, aux fins indiquées. Le Conseil européen recommande la mise en œuvre intégrale du plan d'action de l'Union européenne contre le terrorisme. En matière de lutte contre le financement du terrorisme, il faudra renforcer l'échange d'informations et la transparence, avec la participation active des entreprises. La coopération policière entre les Etats membres sera plus efficace si elle porte sur des thèmes précis entre les Etats membres concernés, le cas échéant avec la création d'équipes communes d'enquête, appuyées au besoin par Europol et Eurojust. La Commission présentera des propositions en vue de développer l'acquis de Schengen en matière de coopération policière transfrontalière et afin d' élaborer, en coopération avec le Collège européen de police (CEPOL), des programmes d'échanges entre services de police.

La justice constitue le troisième pilier du programme de La Haye. La coopération judiciaire a enregistré des progrès importants sur le fondement du principe de reconnaissance mutuelle. Ce principe ne peut fonctionner que si les Etats membres font confiance à leurs systèmes juridiques respectifs. La confiance mutuelle doit donc être renforcée, par exemple en créant un réseau européen de formation destiné aux autorités judiciaires. Dans le domaine pénal, le programme de reconnaissance mutuelle devra être poursuivi. Le programme de La Haye mentionne plusieurs propositions, telles que le projet de décision-cadre relative à certains droits procéduraux, le projet de décision-cadre relative au mandat européen d'obtention de preuves et la proposition relative à l'échange d'informations issues des registres nationaux des condamnations et déchéances. Il faut réduire les entraves aux enquêtes et aux poursuites, tout en protégeant les droits fondamentaux et en respectant la diversité des traditions juridiques des Etats membres. La coopération en matière civile est l'un des aspects de la politique de justice, de liberté et de sécurité qui est le plus présent dans la vie quotidienne des citoyens. Le programme de La Haye a pour objectif de faire en sorte que les frontières entre les Etats membres cessent de constituer une entrave à l'obtention et l'exécution des décisions judiciaires.

La politique extérieure de l'Union prend désormais en compte la dimension « justice et affaires intérieures ». La Commission présentera une stratégie sur les aspects extérieurs de la politique de l'Union en matière de liberté, de sécurité et de justice. Un intérêt accru apparaît chez nos partenaires pour renforcer la coopération dans ces domaines, pour partager nos valeurs dans des matières comme la migration, l'asile et la lutte contre le blanchiment d'argent. La Commission travaille ainsi à la construction d'un espace commun avec la Russie. La politique de justice, liberté et de sécurité sera de même une composante importante de la politique européenne de voisinage, notamment avec l'Ukraine et les pays des Balkans occidentaux. Un dialogue renforcé a été établi avec les Etats-Unis, en particulier dans la lutte contre le terrorisme.

Le Conseil européen a clairement indiqué que la politique européenne en matière de justice, de liberté et de sécurité doit constituer une priorité pour l'Union, et il a fixé des objectifs ambitieux. Lorsque les citoyens sont interrogés sur leurs principales préoccupations, la criminalité arrive en tête. Cela signifie qu'il faut tenir compte des implications financières de ce programme et doter cette politique de ressources suffisantes. La Commission européenne est résolument décidée à s'acquitter de ses responsabilités. Elle présentera un plan d'action s'appuyant sur le programme de La Haye en mai 2005, en vue d'une approbation par le Conseil européen en juin 2005. Ce plan comprendra des mesures concrètes et un calendrier d'adoption précis. Une responsabilité importante pèse sur la France en ce qui concerne la ratification de la Constitution européenne. Toutes les forces politiques vont sans doute se mobiliser pour répondre positivement. Il faut être à l'écoute des préoccupations des citoyens, et le domaine de la sécurité est un domaine privilégié pour y répondre.

M. Philippe Martin, rappelant que le Parlement français a adopté une législation relative aux ressortissants étrangers qui prévoit la suppression de la « double peine », dite « loi Sarkozy », a souhaité savoir si des dispositions similaires existent dans d'autres Etats membres et si la Commission prévoit d'harmoniser ce domaine.

M. Jacques Floch, se félicitant que le Président Franco Frattini soit un défenseur de la Charte des droits fondamentaux, a demandé comment la Commission compte, dans la perspective du référendum, promouvoir les apports de ce texte et informer les citoyens européens des conditions d'utilisation de ce nouvel outil.

Cette clarification est nécessaire, car, en France, la thèse selon laquelle la charte n'apporterait aucune avancée est trop souvent défendue. Ainsi, il n'est pas rare d'entendre que ce texte est inutile ou redondant, car les citoyens bénéficient déjà de tous les droits consacrés par la Charte.

S'agissant d'Europol et d'Eurojust, lors des travaux de la Convention, auxquels il a participé, M. Jacques Floch a indiqué qu'il avait beaucoup œuvré pour faire reconnaître l'importance de la mission qui serait confiée à ces deux organes. Se félicitant que le Président Frattini défende la création d'équipes communes d'enquêtes appuyées au besoin par Europol et Eurojust, M. Jacques Floch a souhaité connaître les modalités prévues pour assurer le contrôle, dans ce cadre, des policiers par les magistrats. La bonne utilisation de ces deux instruments repose sur une bonne répartition des rôles entre policiers et magistrats, qui soit garante des droits des justiciables.

Enfin, M. Jacques Floch a interrogé le Président Franco Frattini sur les contours probables du futur Parquet européen.

M. André Schneider, faisant part de son expérience d'élu d'une ville frontalière, a abordé la question des réseaux de prostitution des femmes originaires de l'Est. Il est souvent constaté que si les femmes sont originaires de ces pays, en revanche ceux qui les exploitent peuvent être originaires d'un Etat membre frontalier, comme l'Allemagne, dont la législation est différente de celle appliquée en France. Les divergences juridiques créant de véritables difficultés pour la lutte contre ce type de prostitution, que compte proposer la Commission dans ce domaine ? Par ailleurs, M. André Schneider a interrogé le Président Frattini sur les dispositifs européens permettant de régler les problèmes des couples binationaux, en particulier le divorce et la garde d'enfants.

M. Thierry Mariani a interrogé le Président Franco Frattini sur cinq points :

- S'agissant de l'immigration économique, quelles ont été les réactions des Etats membres au Livre vert de la Commission ? Dans ce contexte, la mise en place de quotas d'immigration semble-t-elle opportune au Président Franco Frattini ?

- Quel est l'état d'avancement des négociations des accords de réadmission, en particulier avec l'Algérie, le Maroc, l'Albanie, la Russie, l'Ukraine et la Chine ?

- Quel est le calendrier prévu pour l'introduction des mesures biométriques devant figurer sur les passeports et les visas ? Le coût de ces mesures a-t-il fait l'objet d'une évaluation ?

- En ce qui concerne l'Agence européenne de gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, sa mise en place, prévue au 1er mai 2005, signifiera-t-elle que cette structure sera pleinement opérationnelle et son siège est-il fixé ?

- S'agissant des relations de voisinage avec l'Ukraine, quelles réponses l'Europe entend-elle donner aux demandes des autorités de ce pays ?

M. François Guillaume a souhaité connaître ce qu'il reste de l'acquis de Schengen dans l'Union élargie. Puis, il a demandé au Président Franco Frattini si ce dernier est favorable à une immigration sélective, consistant à faire entrer des immigrants en fonction de leurs compétences professionnelles. De même, il a interrogé le Président Frattini sur sa position concernant les quotas dans ce domaine. En ce qui concerne les centres de rétention extérieurs à l'Union européenne, il serait souhaitable de connaître leur avenir. Toutes ces questions sont extrêmement sensibles pour les citoyens d'autant qu'elles risquent d'aboutir à la négociation de textes au cours de laquelle les Etats membres les moins affectés par l'immigration pourront jouer un grand rôle au Conseil.

Aux questions posées, M. Franco Frattini, Vice-président de la Commission européenne, a apporté les éléments de réponse suivants :

- la Commission européenne a présenté en octobre 2004 une proposition de décision relative à l'échange d'informations contenues dans les casiers judiciaires nationaux, afin d'améliorer à court terme les mécanismes de coopération existants. Dans un deuxième temps, conformément à une demande du Conseil, la Commission espère parvenir à la création d'un système informatisé d'échanges qui puisse être consulté au moyen d'un moteur de recherche automatique et sans filtre permettant d'obtenir des connaissances rapides et exhaustives. Une coopération quadripartite prépare déjà la voie à ce système unifié et n'est pas en contradiction avec les propositions de la Commission. Les casiers judiciaires nationaux ne sont pas toujours équivalents, du fait qu'ils ne prennent parfois pas en compte les condamnations amnistiées ou prononcées dans un autre Etat membre. Les règles protégeant les données personnelles seraient respectées, car la consultation du casier européen permettrait seulement de savoir si un individu y figure ou non, sans connaître la nature de sa condamnation. Des renseignements plus précis pourraient être obtenus ultérieurement grâce à la collaboration bilatérale entre les services nationaux concernés. La Commission espère obtenir sur ce dispositif le soutien des Etats membres ;

- le mandat d'arrêt européen a connu un grand succès en 2004, puisque 2 500 mandats ont été délivrés au cours de l'année, principalement pour des infractions liées au terrorisme et à la criminalité organisée. Une forte progression est aussi attendue pour 2005. La création d'un mandat européen pour l'obtention de preuves constitue la prochaine étape ;

- Europol se trouvera renforcé lorsque la Constitution européenne entrera en vigueur, car il disposera alors de nouveaux instruments juridiques. Cela lui permettra de ne plus se cantonner dans un rôle d'analyse, mais de remplir également des fonctions opérationnelles. La « Task force » des chefs de la police n'assure en effet aujourd'hui qu'une simple coordination. Sans aller jusqu'à parler d'un « FBI européen », Europol doit néanmoins avancer dans le sens d'une intégration plus approfondie ;

- Eurojust était conçue à l'origine comme une première étape sur la voie d'un parquet européen. Mais plus d'un Etat membre est aujourd'hui hostile à ce qu'un processus de ce genre aille jusqu'à son terme. Quand le Conseil européen a approuvé le programme de La Haye en novembre 2004, beaucoup d'Etats membres ont ainsi refusé de faire une référence claire au parquet européen, estimant que le projet de Constitution se contentait de ménager la possibilité d'en créer un par une décision prise à l'unanimité. Vu les résistances rencontrées, il ne semble pas que cette voie sera explorée dans un avenir proche ; les Britanniques ont notamment fait savoir qu'ils ne pourraient accepter quelque entorse que ce fût aux principes de la Common law. Il sera néanmoins possible de renforcer Eurojust sur ses bases actuelles et l'institution devrait pouvoir jouer un rôle accru grâce à la Constitution européenne ;

- le Livre vert consacré à la politique migratoire de l'Union européenne a fait naître de nombreuses réactions positives de la part des gouvernements nationaux, des entreprises, des syndicats et de la société civile en général. La méthode retenue est appréciée et permet, en ouvrant un débat public, de collecter toutes les données, propositions et suggestions utiles. Sur cette base, la Commission publiera d'ici novembre 2005 une proposition sur la stratégie relative aux migrations économiques. Le débat actuellement en cours permet d'espérer un bon accueil. La proposition prendra en compte la lutte contre l'immigration clandestine ainsi que l'intégration et l'accueil des migrants réguliers. L'expression de « quotas européens » n'est pas heureuse : le projet de Constitution a confirmé que les Etats membres restaient maîtres du nombre d'immigrants qu'ils souhaitent accueillir, au vu de la situation sur leur marché du travail et de leur capacité à développer une véritable politique d'accueil. Ils sont en effet seuls à même d'évaluer l'évolution de ces facteurs. L'Union européenne se contentera de chercher un accord sur des principes communs pour définir les règles d'admission et les procédures applicables. Mais elle ne saurait se substituer aux gouvernements nationaux pour établir un chiffre de personnes à accueillir ;

- l'Union européenne doit engager avec les pays d'origine et de transit un dialogue pour définir avec eux une stratégie commune. En stimulant leur développement, l'Union européenne peut espérer en faire des partenaires dans la prévention plutôt que des auxiliaires dans la répression de l'immigration illégale. L'Union européenne devrait ainsi signer prochainement un accord de réadmission avec l'Albanie ; les négociations engagées avec le Maroc touchent à leur fin ; un dialogue devrait s'ouvrir prochainement avec l'Algérie. Cette politique suppose une relance du processus de Barcelone qui permette de résoudre à la racine le problème de la stratégie à adopter contre l'immigration illégale ;

- l'Union européenne engage le combat contre le trafic d'êtres humains à la fois sur le terrain de la répression et sur le terrain de l'aide et du soutien aux victimes, car les femmes et enfants victimes des trafiquants méritent plus d'attention des pouvoirs publics. La Commission européenne va ainsi publier prochainement une proposition pour la protection des enfants exploités. La lutte contre la prostitution passe aussi par la coopération transfrontalière des services de police et des contrôles effectués en commun. L'obtention de titres de séjour doit être facilitée pour les victimes qui acceptent de coopérer et de fournir des informations sur les trafiquants. La Commission présentera en juin 2005 une proposition relative à la traite d'êtres humains.

- l'Agence européenne de gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures fonctionnera à partir du 1er mai 2005. Le lieu de son siège n'a pas encore été fixé. Plusieurs nouveaux Etats membres ont posé leur candidature : la Hongrie, Malte et la Pologne. Il faut espérer que le prochain Conseil « Justice et affaires intérieures », qui se tiendra le 14 avril, abordera ce sujet. Une discussion en profondeur est en effet nécessaire ;

- chaque Etat membre doit se doter d'éléments d'identification biométriques dans les passeports et les visas d'ici début 2007. Le processus est en marche et un bon accord a été atteint concernant les solutions techniques. Le système d'information Schengen de seconde génération (SIS II) et le système d'information sur les visas (VIS) sont en cours de développement et des résultats sont attendus au début de l'année 2007, dans les délais prévus ;

- l'expression « immigration sélective » n'est pas satisfaisante. Elle laisse penser qu'une différence va être faite entre les individus et que la « fuite des cerveaux » dans les pays d'origine va être encouragée.

L'une des questions les plus importantes posées par le Livre vert sur la gestion des migrations économiques est celle des critères d'admission. La Commission n'a pas d'opinion établie sur ce point, et souhaite avoir des réponses de la part des acteurs qu'elle a consultés (Etats membres, ONG, entreprises, syndicats) ;

- la Commission ne soutient pas l'idée de créer des centres de rétention à l'extérieur de l'Union européenne. D'ici juillet, un « programme pilote » régional sera lancé, avec pour objectifs la protection, l'information et le soutien des Etats d'origine et de transit, afin d'éviter la création de tels centres. Il importe de mieux informer sur les possibilités d'entrée légale dans l'Union européenne, ainsi que d'aider au développement des Etats d'origine ;

- le Président Franco Frattini a indiqué qu'il avait eu une rencontre très utile avec les ministres de l'intérieur et de la justice de l'Ukraine. Celle-ci a une vocation européenne très forte. On ne peut cependant envisager un processus d'adhésion pour l'instant, car celui-ci nécessite des étapes. La première serait d'engager l'Ukraine dans un véritable dialogue sur la lutte contre la corruption et la criminalité organisée ainsi que la création d'un système judiciaire indépendant. Les autorités ukrainiennes ont dit être prêtes à un tel dialogue et ont demandé l'ouverture de négociations afin de favoriser la délivrance de visas pour les étudiants, les hommes d'affaires et les diplomates. L'Ukraine et sur la bonne route et la Commission souhaite l'aider. L'évolution importante qu'elle a connue depuis la révolution orange justifie l'optimisme.

M. Pierre Forgues, après avoir souligné que l'une des priorités citées par le Président Franco Frattini était la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment, a estimé qu'au sein de l'Union européenne, le Luxembourg occupait une place particulière dans ce domaine, ainsi que plusieurs territoires inclus dans l'espace géographique européen, comme Andorre, les îles anglo-normandes et Monaco. Il a souhaité connaître l'attitude que l'Union européenne devrait avoir à cet égard.

Il a ensuite interrogé le Président Franco Frattini sur l'interprétation des effets de la Charte des droits fondamentaux. Le secrétaire d'Etat au Foreign Office a en effet affirmé que celle-ci ne saurait servir de source à de nouveaux droits et constituait un frein plutôt qu'un accélérateur.

Il a demandé des précisions sur les moyens pour un Etat membre de fixer seul des quotas d'immigration et de les faire respecter, compte tenu de la libre circulation des personnes.

M. Michel Delebarre a interrogé le Président Frattini sur l'idée d'un fichier européen des condamnations dans lequel figureraient les condamnations amnistiées. Un tel fichier entrerait en contradiction avec le principe français selon lequel, par définition, une condamnation amnistiée ne figure pas au casier judiciaire.

Il a ensuite indiqué que la commission des affaires étrangères avait auditionné M. Gijs de Vries, coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme. Celui-ci avait donné l'impression d'être assez isolé dans sa fonction, bien que très volontaire.

En effet, une politique européenne de lutte contre le terrorisme semble encore très éloignée : celle-ci relève surtout des relations bilatérales et les législations des Etats membres n'ont pas toutes incorporé cet objectif. L'idée d'un « FBI européen » ne correspond pas à la réalité, ni à la culture des services.

Il a enfin souligné que l'entrée massive d'immigrants illégaux sur le littoral du Nord Pas-de-Calais persistait, malgré la fermeture du centre de Sangatte. Cette situation s'explique par l'attractivité exercée par le Royaume-Uni. Il est nécessaire que celui-ci accepte une discussion sur les conditions de l'immigration, dans le cadre de l'Union européenne. Cette situation amène également à s'interroger sur les pays de transit dans l'Union européenne. Les immigrants illégaux entrent probablement par l'Italie ou les nouveaux Etats membres, puis parcourent des milliers de kilomètres dans des conditions épouvantables, sans être arrêtés par la police, qui semble incompétente. Une vraie coopération policière et des pratiques convergentes sont nécessaires pour lutter contre ces flux, qui sont des trafics d'êtres humains.

En réponse à ces dernières interventions, le Président Franco Frattini a fait part des éléments suivants :

- le droit de la famille relève de la seule compétence des Etats membres. Il convient donc, dans le cadre de l'harmonisation européenne, de prévoir uniquement le règlement des conflits de juridictions et de lois, qui engendrent de graves difficultés pour les justiciables. Il n'appartient pas à la Commission de se prononcer sur les questions de fond telles que la reconnaissance des couples homosexuels. En revanche, il lui incombe de prévoir les règles applicables, dès lors qu'une union est reconnue comme légale par un Etat membre, par exemple en cas de succession ou de divorce mettant en jeu la législation d'un autre Etat membre. En l'absence d'initiative européenne, chaque partie sera tentée de choisir la loi qui lui est la plus favorable, c'est ce qu'il convient d'éviter. En ce qui concerne plus précisément la protection des mineurs, il a rappelé avoir présenté un manuel opérationnel pour régler la question des enfants enlevés, au sein même de leur famille, par l'un des parents, et résidant dorénavant dans un pays qui ne reconnaît pas la décision du juge de l'Etat de départ. Un nouveau règlement (dit « Bruxelles II »), entré en vigueur le 1er mars 2005, prévoit que le premier jugement doit prévaloir et que les juridictions des autres Etats membres sont tenues de l'exécuter. En matière de divorce et de succession, la même démarche sera appliquée. Des Livres verts ont été élaborés de manière à être à l'écoute de l'opinion publique, avant toute initiative, sur ces sujets sensibles ;

- s'agissant des échanges d'informations pénales, certains pays considèrent, comme la France, que l'amnistie efface la condamnation et que cette dernière ne doit plus être mentionnée dans le casier judiciaire. D'autres Etats n'ont pas la même conception et estiment que l'amnistie ne vaut pas effacement de la condamnation. Dans l'hypothèse où une législation européenne interviendrait, son dispositif relèverait plus vraisemblablement des principes de liberté et de démocratie suivant lesquels la condamnation est effacée ;

- M. Gijs de Vries est investi d'une fonction de coordinateur en matière de lutte contre le terrorisme. Il y a parfois certaines divergences sur l'interprétation de sa mission. Suivant les règles habituelles, le Conseil européen a compétence pour déterminer les grandes orientations politiques et les stratégies que doit suivre la Commission. Les mesures d'exécution incombent en revanche à cette dernière. C'est donc le commissaire compétent qui doit présenter le plan d'action pour mettre en œuvre la stratégie de La Haye et préciser la teneur du rôle de coordination. Ce dernier heurte indéniablement certaines susceptibilités institutionnelles dans les Etats membres. Néanmoins, il faut souligner que la coopération judiciaire et policière exige une importante dimension opérationnelle. La Commission recommandera à la présidence britannique de donner une priorité absolue à la mise en place d'un réseau européen des autorités policières et judiciaires. ;

- seule la coopération permet de régler des difficultés telles que celles de l'ancien centre de Sangatte ou, plus généralement, du Pas-de-Calais. La présence d'immigrés clandestins provient de ce que le Royaume-Uni n'est pas dans l'espace Schengen. Il convient donc de rechercher une harmonisation du régime d'accueil entre les Etats membres pour éviter de tels dysfonctionnements ;

- le principe de la solidarité doit également jouer en matière migratoire. Les Etats membres doivent éviter de prendre des décisions qui ont un impact sur les autres Etats. La Commission a ainsi appris par la presse la régularisation de 500 000 illégaux en Espagne. De telles mesures ne devraient plus pouvoir intervenir à l'avenir sans avoir fait l'objet d'une information des autres Etats membres et d'une discussion avec eux. Cette démarche ne suffira pas, peut-être, à régler l'ensemble des difficultés mais elle représente une première étape significative ;

- les immigrés légaux ne bénéficient de la libre circulation dans l'espace communautaire qu'à l'issue d'une période de cinq ans de séjour régulier et qu'en conformité avec les règles de résidence dans le pays d'accueil ;

- les programmes financiers de la Commission vont traduire la priorité accordée à la coopération transfrontalière. Le principe de libre circulation est important, mais celui des contrôles et de la sécurité ne l'est pas moins ;

- la lutte contre le blanchiment, notamment en matière de terrorisme, figurera parmi les priorités. Trois pistes seront évoquées. En ce qui concerne d'abord les paradis fiscaux, les difficultés qu'ils engendrent seront abordées en profondeur, qu'il s'agisse d'Etats membres de l'Union européenne ou d'entités incluses, géographiquement, dans son territoire. S'agissant ensuite du secteur privé, la coopération avec le secteur bancaire doit être accrue. Enfin, il convient de resserrer la coopération avec les pays tiers qui ont soutenu des organisations extrémistes ou sont encore susceptibles de le faire, tels que le Pakistan, l'Arabie saoudite ou le Liban. Engager un dialogue politique étroit au niveau européen devrait faciliter le processus de règlement des difficultés.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le Président Franco Frattini de la qualité, comme de la précision, des réponses qu'il a apportées à l'ensemble des questions qui lui ont été adressées par les membres de la Délégation.