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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 25 mai 2010

Deuxième séance du mardi 25 mai 2010

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente . La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Réforme des collectivités territoriales

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n os 2280, 2516, 2459, 2510).

Le temps de parole restant pour chaque groupe est le suivant : pour le groupe UMP, quatorze heures quarante-trois minutes ; pour le groupe SRC, dix-neuf heures quarante-trois minutes ; pour le groupe GDR, sept heures cinquante-quatre minutes ; pour le groupe Nouveau Centre, six heures trente-sept minutes ; les députés non inscrits disposent de une heure dix minutes.

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, c’est à la majorité que je m’adresse d’abord : vous n’avez pas accepté cet après-midi, la motion de rejet préalable.

Mme Isabelle Vasseur. Hé non !

M. Bernard Derosier. Pourtant, l’adopter vous donnait l’occasion de vous racheter aux yeux de la population, très attachée à ses collectivités territoriales, que vous remettez en cause. Mais il n’est pas trop tard. Je vous propose une séance de rattrapage. (Sourires)

Sur ce projet, nous avons eu jusqu’à ce jour un dialogue de sourds. Est-il possible d’y mettre un terme ? Bien sûr. Cela passe par une réponse simple du Gouvernement à une question aussi simple : Aujourd’hui, l’Assemblée nationale est-elle en mesure de statuer sur le projet de réforme des collectivités territoriales ?

M. Bruno Le Roux. Non.

M. Bernard Derosier. Il répondra par l’affirmative car c’est son intérêt politique et celui de l’UMP. Mais ce n’est pas l’intérêt des collectivités territoriales, ni celui de la décentralisation, ni de la démocratie locale. Ces deux dernières sont mises à mal, et en fin de compte, c’est la démocratie elle-même qui est menacée et, d’une certaine façon, les institutions de la République.

Mme Isabelle Vasseur. Vous y allez fort.

M. Bernard Derosier. En ce qui me concerne, la réponse à cette légitime interrogation est clairement non. Les députés ne disposent pas actuellement des moyens pour se prononcer sur ce texte dans les conditions conformes aux principes qui fondent notre République démocratique.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Bernard Derosier. Pour que leur mission souveraine puisse s’exercer et que leur vote soit pleinement éclairé, ce projet de loi doit faire l’objet d’un examen bien plus approfondi que la caricature de débat que nous avons eu en commission des lois le 4 mai dernier, avec un ministre de l’intérieur – qui nous fait ce soir l’honneur d’être au banc du Gouvernement – qui part au bout d’une heure. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Chers collègues, veuillez écouter l’orateur.

M. Bernard Derosier. Mais ils m’approuvent, madame la présidente.

Mme la présidente. Je n’en doute pas, mais je veux simplement faciliter votre exposé.

M. Bernard Derosier. Je vous en remercie.

Deux ministres, M. Marleix et M. Mercier, restent en commission certes, mais ils se contredisent.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Ce n’est pas possible.

M. Bernard Derosier. C’est pourquoi je soumets à votre approbation une motion de renvoi en commission. Trois considérations la motivent.

La première touche aux modifications substantielles apportées au texte par le Gouvernement par voie d’amendement. La deuxième est relative à l’absence de réponse du Gouvernement à nos interrogations. La troisième découle de l’absence totale de suite donnée par le rapporteur aux opinions exprimées par les personnes auditionnées.

M. Patrick Roy. Hélas !

M. Bernard Derosier. J’ajouterai une quatrième considération.

M. Michel Delebarre. Est-ce encore nécessaire ? (Sourires.)

M. Bernard Derosier. Elle tient à l’annonce formulée la semaine dernière par le Premier ministre d’un gel des moyens apportés par l’Etat aux collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Soisson. Il ne vous reste que cela, les finances ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Derosier. Monsieur Soisson, il m’est agréable de vous voir rejoindre l’hémicycle…

M. Jean-Pierre Soisson. Je parle quand je veux, et je dis ce que je veux ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous, vous m’emmerdez !

M. Bernard Derosier. Il m’est maintenant agréable de vous voir prendre place à votre banc, et je veux croire que vous n’étiez pas passé par la buvette de l’Assemblée avant de nous rejoindre.

M. Jean-Marc Nesme. Ce genre d’attaque personnelle est vraiment nulle ! (Rires.)

M. Bernard Derosier. Ce n’est pas une attaque personnelle. Vous le prenez comme tel, cher collègue, peut-être parce que vous vous sentez concerné.

M. Jean-Marc Nesme. C’est nul !

M. Bernard Derosier. Je vous laisse votre appréciation. J’ai la mienne vous concernant.

Mme la présidente. Revenons au texte. Merci de poursuivre, monsieur Derosier.

M. Bernard Derosier. J’évoquais les conditions inacceptables de la présentation du projet par trois membres du Gouvernement, le 4 mai dernier. Inacceptables d’abord parce que dans le même temps que nous auditionnions les ministres, l’Assemblée se prononçait sur quatre textes, par scrutin public. Les articles 41 et 159 de notre Règlement n’étaient pas respectés, monsieur le président Warsmann. Nous l’avons dénoncé sans être entendu de vous. Vous avez refusé de suspendre les travaux de la commission jusqu’à la fin des votes. Vous avez récidivé aujourd’hui en examinant des amendements sous couvert de l’article 88. C’est inacceptable.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Bernard Derosier. Conditions inacceptables également du fait que le Gouvernement a profondément modifié le dispositif qu’il proposait en déposant, en commission des lois, des amendements qui auraient nécessité qu’on prenne le temps d’en analyser les conséquences.

M. Patrick Roy. Absolument !

M. Bernard Derosier. Les membres de la commission des lois ont disposé en tout et pour tout de dix minutes pour apprécier ces modifications (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) , d’une portée telle que l’équilibre du texte adopté par les sénateurs en première lecture est totalement bouleversé.

Présentés le jour même de l’examen du texte par la commission des lois de notre assemblée,…

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Un déni de démocratie !

M. Bernard Derosier. … même si, la veille, le président du Sénat avait évoqué cette hypothèse, ces amendements portent sur des aspects aussi importants que le mode de scrutin des conseillers territoriaux et le découpage des cantons.

M. Patrick Roy. Leur charcutage !

M. Alain Néri. Mais le ministre Marleix est dans son lit !

M. Bernard Derosier. Aujourd’hui encore, le Gouvernement récidivait avec un nouvel amendement, qui venait remplacer tant bien que mal celui qu’il avait essayé de faire adopter en commission des lois la semaine précédente mais que, dans leur sagesse, la majorité et le rapporteur – auquel j’en donne acte – n’avaient pas retenu tant la ficelle était grosse.

M. Michel Delebarre. Oh oui !

M. Bernard Derosier. Cela consistait à organiser le découpage des territoires d’élection des futurs conseillers territoriaux par ordonnance et sans consulter les assemblées départementales alors que la loi le prévoit. Cet après-midi encore, nous l’avons échappé belle grâce à la vigilance du rapporteur et de votre serviteur. En effet, un autre amendement du Gouvernement prévoyait un dispositif qui aurait exclu la consultation préalable des assemblées départementales sur le nouveau découpage cantonal.

M. Patrick Roy. Oh ! ce n’est pas bien !

M. Bernard Derosier. La répartition des compétences entre les différentes collectivités locales fera l’objet d’un amendement réécrivant l’article 35 que le rapporteur a déposé en commission.

Ce passage en force sur des dispositions qui devaient faire l’objet de projets de loi distincts marque une étape supplémentaire dans un processus législatif qui, dès le début, s’est caractérisé par un mépris inacceptable de ce Gouvernement à l’égard du Parlement.

Ce processus législatif mérite qu’on en rappelle les différentes étapes tant il a été tortueux.

Initialement, le Gouvernement a choisi de dissocier son projet de réforme en quatre textes distincts. La manipulation que ce choix révélait a maintes fois été dénoncée, notamment au cours des débats au Sénat.

Pour réfuter cette accusation, le Gouvernement affirmait que les quatre projets de loi avaient été déposés au Sénat et que, dès lors, les parlementaires étaient parfaitement en mesure, dès le mois de décembre 2009, d’apprécier la réforme dans sa globalité.

Cet argument ne pouvait convaincre que les idéologues de droite,…

M. Olivier Dussopt. Et il y en a !

M. Bernard Derosier. …puisqu’il a toujours été question qu’un cinquième texte suive l’examen de ces quatre projets de lois. Ce dernier devait être adopté dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la première loi-cadre dont nous débattons aujourd’hui.

Or, les parlementaires ignoraient tout du contenu de ce texte, lequel constituait pourtant sans conteste, l’une des pièces maîtresses de la réforme des collectivités territoriales.

C’est d’ailleurs par ce texte sur les compétences qu’il aurait fallu commencer, et nous n’avons cessé de le réclamer. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

En effet, seul ce dernier texte fixait le détail de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales.

En l’absence d’information sur le contenu même de ce cinquième projet de loi, les parlementaires devaient se contenter des grandes lignes tracées par ce projet de réforme, et celles-ci étaient rédigées de manière pour le moins obscure.

Le Gouvernement se refusait alors à annoncer le programme.

Le chemin emprunté n’était sans doute pas suffisamment tortueux, et il a fallu qu’il prenne encore une autre direction. Le Gouvernement ne cherche d’ailleurs pas à dissimuler sa motivation, puisque le 12 mai dernier, le secrétaire d’État chargé des collectivités territoriales précisait qu’au moyen de ces amendements, il s’agissait d’éviter qu’un débat long et difficile ne s’engage. En réalité, le Gouvernement et sa majorité s’organisent pour fuir le débat devant le Parlement.

M. Bruno Le Roux. Ils veulent rester entre eux.

M. Bernard Derosier. J’évoquais tout à l’heure un dialogue de sourds, et c’est bien de cela qu’il s’agit, puisque les parlementaires qui, au sein même de la majorité, ont dénoncé ces conditions inacceptables de débat n’ont pas été entendus.

Nous souhaitions davantage de transparence, davantage de cohérence.

En réponse à ces revendications légitimes en démocratie, nous avons eu droit, en définitive, à la précipitation et à la confusion.

Nous avons eu droit à la précipitation. Faut-il le rappeler, le Gouvernement s’était engagé à garantir les conditions d’un débat serein autour de cette réforme des collectivités territoriales. Il s’était également engagé à ne pas déclarer l’urgence sur les projets de loi constituant la réforme, après avoir fait usage de cette procédure lors de l’adoption de la loi relative à la concomitance du renouvellement des conseils généraux et des conseils régionaux.

Que vaut à présent cet engagement, alors que les députés sont appelés à se prononcer en quelques jours sur un projet de loi dont le contenu et la portée n’ont plus rien à voir avec le texte examiné par les sénateurs en première lecture ?

Nous sommes donc en pleine confusion. La méthode qui consiste à éclater une réforme en quatre ou cinq textes ne favorisait déjà pas la lisibilité du projet du Gouvernement. Le changement de stratégie opéré au moment même de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale en première lecture ajoute encore à la confusion de cette réforme. Il démontre, par ailleurs, que le Gouvernement fait preuve d’un réel amateurisme.

M. René Dosière. Pas d’amateurisme, plutôt de machiavélisme !

M. Bernard Derosier. Ce motif, tiré du processus législatif qui a conduit à l’élaboration de cette réforme, justifie que l’on permette à la commission des lois de procéder à un nouvel examen du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales.

Messieurs les ministres, vous entraînez le pays dans une réforme ratée. Vingt-huit ans après la grande réforme de la décentralisation, ce que la France attend, ce n’est pas une pseudo-simplification, mais une réelle clarification des compétences.

Une nouvelle étape de la décentralisation aurait pu s’écrire en précisant qui fait quoi, et en distinguant clairement les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales. Vous avez pris un autre parti : celui de casser l’organisation existante parce qu’elle contrarie vos intérêts politiques et partisans du moment.

Mais, mes chers collègues, ce n’est pas là la seule considération qui devrait vous faire voter pour cette motion de renvoi en commission. En effet, celle-ci est également motivée par la nécessité impérieuse de laisser du temps au Gouvernement, afin qu’il apporte les réponses aux interrogations majeures que suscite ce texte, ainsi profondément bouleversé.

Le premier point sur lequel le Gouvernement doit répondre concerne le devenir de ces projets de loi déposés au Sénat qui sont aujourd’hui, d’une certaine façon, devenus sans objet. Il importe en effet de dissiper toutes les incertitudes sur ce point car, à ce jour, je n’ai pas entendu de déclaration claire de la part d’un membre du Gouvernement à ce sujet.

Je n’insisterai pas sur l’inconstitutionnalité manifeste des derniers événements. Tel n’est pas l’objet de la présente motion. Bernard Roman a déjà bien présenté la position du groupe SRC quant à l’inconstitutionnalité de ce projet de loi.

M. Michel Delebarre. Plus que bien : très bien !

MM. Alain Cacheux ,  Bruno Le Roux et Patrick Roy. Il a été excellent !

M. Bernard Derosier. Monsieur le ministre, vous constatez que vous n’êtes pas le seul à être apostrophé. Cela arrive aussi lorsqu’un orateur socialiste se trouve à la tribune.

Il faudra que le Gouvernement cesse d’affirmer haut et fort que les parlementaires ont été à même d’apprécier la globalité de cette réforme, alors qu’il est manifeste que ce n’est pas le cas.

Ainsi, à ce moment de nos travaux, nous ignorons encore le nombre de textes qui composeront la réforme. Y en aura-t-il deux ou trois ? N’y en aura-t-il aucun autre ?

M. Jean-Pierre Soisson. Dieu le décidera !

M. Bernard Derosier. Messieurs les ministres, répondez à ces questions simples. Quant à Dieu, je ne sais pas s’il a quelque chose à faire dans le fonctionnement de nos institutions. Personnellement, je n’en crois rien, et je veux penser, monsieur Soisson, que vous partagez cet avis.

Le deuxième point sur lequel le Gouvernement doit apporter des précisions concerne les conseillers territoriaux, et plus particulièrement, les modalités de leur désignation, fixées par l’article 1 er A du projet de loi.

Le texte envisage de réduire le nombre d’élus locaux en créant des super-élus appelés à siéger dans deux assemblées délibérantes distinctes dont le rôle et les compétences sont fondamentalement différents. Le Gouvernement doit donc être composé d’amateurs passionnés de la série Mission impossible . Peut-être le projet de loi va-t-il s’autodétruire à la fin de mon exposé ?

Imaginer qu’un conseiller territorial unique – ou une conseillère, quand il y en aura quelques-unes – pourra accomplir seul toutes les missions que la loi confie aujourd’hui à un conseiller régional et à un conseiller général – je ne parle même pas du fait que l’élu peut vouloir se rendre à la fête d’un village de son canton ou dans telle ou telle manifestation locale –, c’est mission impossible.

M. Bernard Roman. Mission impossible !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. C’est un non-sens !

M. Michel Delebarre. C’est un cumul inacceptable !

M. Bernard Derosier. Monsieur le ministre de l’intérieur, il y a peu, en répondant à une question, vous disiez que le conseiller territorial était la clé de voûte de votre réforme. En fait, vous avouiez alors votre véritable objectif : vous voulez casser les majorités de gauche dans les régions et les départements parce qu’elles ne servent pas vos intérêts politiques partisans. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Delebarre. On comprend mieux !

M. Patrick Roy. C’était donc ça !

M. Bernard Derosier. Monsieur le ministre, il semble que j’aie bien fait d’insister sur ce point : plusieurs membres de mon propre groupe politique ne s’étaient manifestement pas rendus compte de la manœuvre. (Sourires.) Il faut que les choses soient claires : vous devriez dire aux Français ce qu’il en est, vous vous grandiriez en reconnaissant votre véritable objectif.

Une telle mesure malmène profondément les principes qui fondent une démocratie décentralisée, dans laquelle chaque niveau de collectivité doit disposer de ses propres élus.

Par ailleurs, ces dispositions, qui ont fait l’objet d’un amendement présenté par le Gouvernement, prévoient à présent que le mode d’élection du conseiller territorial assure la représentation des territoires par un scrutin uninominal à deux tours.

Face aux oppositions qui se sont élevées à gauche, mais également au sein de sa propre majorité, le Gouvernement a été contraint de renoncer à cette sorte d’ovni que constituait le scrutin à un seul tour. Il est vrai que le résultat des élections régionales de mars dernier, qui n’ont pas été très bons pour vous (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) , pas plus en Auvergne ou en Rhône-Alpes qu’ailleurs, y est peut-être pour quelque chose. Les élections en Grande-Bretagne viennent aussi de montrer les limites du scrutin uninominal à un tour.

Pour autant, beaucoup de questions demeurent sur le mode de scrutin. Il ne m’a pas échappé que, dans une version provisoire du rapport de Dominique Perben, il était mentionné que l’article 1 er A du projet de loi se bornait à formuler de simples déclarations d’intention, auxquelles le législateur n’était pas lié juridiquement.

M. Christian Eckert. Quelle formule !

M. Bernard Derosier. Cette formule n’a certes pas été reprise dans la version définitive du rapport, mais elle laisse subsister un doute sur les intentions du Gouvernement.

Qu’en est-il aujourd’hui, après la précision, apportée par l’amendement du Gouvernement, censée garantir qu’un second tour serait organisé pour désigner les futurs élus régionaux et départementaux ? Faut-il en déduire que ce second tour ne constitue qu’une simple déclaration d’intention, et craindre que le Gouvernement se considère libre d’instaurer un scrutin à un seul tour, lorsque l’air du temps lui sera redevenu plus favorable ? Vous pouvez toujours rêver, monsieur le ministre de l’intérieur.

M. Jacques Le Nay. Excellente idée !

M. Bernard Derosier. Dès lors, il apparaît tout aussi clairement que les garanties apportées par cet article 1 er A portant sur le respect de l’expression du pluralisme politique, et le respect de la parité et de la représentation démographique des territoires, ne sont formulées qu’en raison des circonstances. Rien ne permet de s’assurer qu’elles seront suivies d’effets.

À ce sujet, je regrette tout particulièrement que la question essentielle du respect de la parité soit aussi évasivement traitée. En effet, l’article 1 er A du projet de loi est rédigé de telle manière que ce principe protégé par l’article 1 er de la Constitution apparaît comme une simple finalité. Or, messieurs les ministres, la parité doit être respectée, et non simplement recherchée.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Bernard Derosier. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle.

Sur ce sujet, tout n’est pas réglé, puisque les parlementaires appelés à se prononcer aujourd’hui ignorent encore selon quelles modalités les candidats pourront accéder à un second tour. Nous n’avons toujours pas de réponses précises du Gouvernement ou de la majorité sur la question du respect constitutionnel de la parité.

Le temps que nous donnerait un nouvel examen en commission des lois devrait donc permettre au Gouvernement de préciser la portée de cet article 1 er A du projet de loi.

M. Michel Delebarre et M. Alain Néri. En effet !

M. Bernard Derosier. De plus, le mode de scrutin pour l’élection des conseillers territoriaux n’est pas le seul point qui suscite l’interrogation légitime des députés, loin s’en faut.

Cet après-midi, j’écoutais Michel Piron, qui pratiquait une gymnastique très inconfortable lorsqu’il affirmait que, le suffrage étant universel, rien n’empêchait qu’il y ait autant de femmes que d’hommes candidats. Vous le savez, monsieur Piron, l’UMP, dont vous êtes membre, n’est pas un modèle en la matière. Vous avez prouvé votre attachement à la parité, cet après-midi, en ne votant pas la proposition de loi défendue par Bruno Le Roux.

M. Christian Eckert. Et voilà !

M. Bernard Derosier. Devant la commission des lois, M. Marleix a annoncé l’examen d’une proposition de loi UMP sur la parité – les députés UMP n’étaient manifestement pas au courant, lui oui. Attendez donc que nous adoptions ce texte, nous a-t-il dit, les problèmes seront réglés. Messieurs les ministres, comment le Gouvernement va-t-il régler le problème que pose ce projet de loi en termes de parité ? Ce texte marque en effet un recul puisque la parité qui était garantie pour les conseils régionaux ne le sera plus.

Mme Marylise Lebranchu et M. Bernard Roman. Très bien !

M. Bernard Derosier. À la lecture des dispositions du projet de loi, et notamment après l’adoption des amendements du Gouvernement, on a peine à se rappeler que l’un des objectifs premiers de la réforme consistait en une clarification des compétences et en une simplification du paysage institutionnel français.

M. Michel Delebarre. Parlons-en !

M. Bernard Derosier. Je me suis rendu compte que le Président de la République n’était finalement ni gourmand ni gourmet. Il s’en est pris à cette pâtisserie appelée millefeuille, que nous sommes nombreux à apprécier. Pourquoi considérer qu’il faut alléger un gâteau qui a si bon goût ? Quelle méconnaissance de la pâtisserie française !

Cela dit, monsieur le ministre, en créant les métropoles, les pôles métropolitains ou les nouvelles communes, en plus de ce qui existe et sans proposer aucune suppression, vous ajoutez vous-même à l’empilement des structures que vous dénonciez ici il y a quelques jours.

M. Patrick Roy. C’est la tour de Pise ! Cela va finir par s’effondrer !

M. Bernard Derosier. Or ce n’est certainement pas en figeant le cadre juridique applicable à ces collectivités qu’on leur permettra de s’adapter aux réalités sociales, démographiques et économiques de notre pays.

Pourtant, tel aurait dû être l’enjeu d’une réforme des collectivités territoriales qui devait avoir pour finalité première d’encourager toutes les formes de coopération entre ces collectivités. Bien au contraire, le projet de loi dont nous débattons instaure des freins au développement de ces coopérations locales. Les dispositions relatives aux financements croisés en constituent ainsi un exemple significatif.

Par amendement, le rapporteur a réécrit l’article 35, qui précise désormais les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales seraient habilitées à participer financièrement à la réalisation d’un même projet.

M. Michel Piron. Très bien !

M. Bernard Derosier. Ces dispositions interdisent purement et simplement le cumul de subventions d’investissement ou de fonctionnement, pour un projet décidé ou subventionné par un département, une région ou une commune dont la population est supérieure à 3 500 habitants.

Mais que l’on se rassure : les opérations dont la maîtrise d’ouvrage relève de l’État, ou encore celles inscrites dans le cadre des contrats de projet entre État et une région pourront continuer de bénéficier de financements publics multiples.

Récemment encore, le préfet de mon département me demandait, au titre d’autres fonctions que j’exerce, de quelle manière la collectivité territoriale départementale pourrait participer aux travaux sur les routes nationales !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Comme d’habitude !

Mme Marylise Lebranchu. Eh oui !

M. Bernard Derosier. Il ne faisait qu’exercer sans pudeur la mission que lui avait confiée le Gouvernement : rechercher des financements pour compléter ceux, insuffisants, de l’État.

M. Patrick Roy. L’État n’a aucune pudeur !

M. Bernard Derosier. Les collectivités territoriales se voient donc appliquer des règles contraignantes dont l’État pourrait librement s’affranchir.

Par ailleurs, la volonté du rapporteur du projet de loi de rendre plus normatives les dispositions sur la répartition des compétences s’est traduite, en définitive, par un pas supplémentaire vers la rigidité du projet soumis à l’examen des parlementaires. Il aurait pourtant suffi de laisser les choses en l’état, en précisant les compétences, sans remettre en question une organisation qui a fait ses preuves. Cette rigidité est telle que l’on peut légitimement douter que ces dispositions soient applicables en l’état de leur rédaction.

Par amendement, là encore, le Gouvernement a proposé d’étendre certains domaines de compétence transmis de plein droit par les collectivités territoriales aux métropoles, sans pour autant rechercher une plus grande cohérence dans ces transferts automatiques. Dans le même temps, le projet de loi tel qu’adopté par la commission des lois confirme que les départements et les régions exerceront leurs compétences dans les domaines que la loi leur attribue. Il leur serait désormais interdit d’intervenir dans des domaines confiés par la loi à une autre catégorie de collectivités locales. La lisibilité de l’action publique n’a rien à gagner à la mise en œuvre de ces dispositions, qui risquent surtout de faire obstacle à l’émergence de projets communs. C’est la solidarité territoriale, appréciée à l’échelle d’un département ou d’une région, qui est ainsi abandonnée.

La troisième considération que je développerai à l’appui de cette motion de renvoi en commission tient à la nécessité évidente de laisser au Gouvernement et au rapporteur du projet de loi un temps de recul suffisant pour que les opinions exprimées lors des auditions soient prises en compte. Il est en effet manifeste que les propositions et les avis émis par les élus, les représentants d’associations de collectivités – M. le président Pélissard est présent –, ainsi que par les éminents professeurs de droit public auditionnés par le rapporteur n’ont pas été intégrés dans le projet de loi. Si tel avait été le cas, celui-ci n’aurait très certainement pas prévu de réduire de moitié le nombre d’élus locaux, car les personnalités auditionnées n’ont jamais souhaité cet affaiblissement de la démocratie locale engendré par la création des conseillers territoriaux.

Si ces personnalités avaient été entendues, le texte n’aurait pas davantage proposé de créer des établissements métropolitains auxquels une majeure partie des ressources publiques serait affectée, alors que les collectivités plus fragiles, confrontées à la raréfaction des ressources, disposeront de moyens toujours plus contraints pour répondre aux besoins de la population.

Nous sommes donc très loin de l’ambition politique qui animait les grandes lois de décentralisation de 1982 et 1983, initiées par Pierre Mauroy et Gaston Defferre. Il s’agissait alors de tirer toutes les conséquences de la démocratie territoriale, de rapprocher les citoyens des représentants agissant en leur nom et, à cette fin, de donner les moyens aux collectivités territoriales d’agir dans un cadre autonome.

À contre-courant des opinions exprimées par la majorité des autorités auditionnées, le projet de réforme qui nous est aujourd’hui présenté tend à priver de tout contenu l’organisation décentralisée de notre pays, à éloigner le citoyen de l’exercice du pouvoir local et à accroître les inégalités entre les territoires. Ces orientations sont inacceptables, car elles traduisent la tendance presque obsessionnelle du Président de la République et de son gouvernement à considérer la révision générale des politiques publiques, appliquée aveuglément aux collectivités territoriales, comme la réponse unique et standardisée à tous les maux de notre organisation institutionnelle.

La quatrième considération porte sur le gel des moyens, annoncé par le Président de la République et le Premier ministre. Comment peut-on parler d’un tel gel, quand les collectivités territoriales sont victimes depuis plusieurs années – depuis que vous êtes aux affaires, monsieur le ministre – d’un étranglement patient et continu ?

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Bernard Derosier. Certes, la clause de compétence générale, qui avait été supprimée, est en partie rétablie. Mais à quoi cela servira-t-il si les collectivités territoriales, qui rencontrent déjà des difficultés sans nom pour accomplir leurs missions obligatoires telles que prévues dans la loi, n’ont pas les moyens d’exercer ces compétences ? On est loin de l’autonomie financière préconisée par la Constitution, et plus encore de l’autonomie fiscale qui, si elle ne figure pas dans la Constitution, est un des fondements du fonctionnement et de la libre administration des collectivités territoriales. La récente suppression de la taxe professionnelle, qui aurait pu être suivie d’une modernisation de notre système de fiscalité locale, est aujourd’hui dans l’impasse, car si des compensations ont bien été versées aux collectivités territoriales, elles ont été évaluées sur la base 2009. Les collectivités n’ont donc pas pu voter le taux de cet impôt comme elles le faisaient auparavant ; or, si elles avaient pu le faire cette année, à taux constant, elles auraient enregistré une plus-value non négligeable.

M. Bernard Roman. Exactement !

M. Bernard Derosier. En vérité, messieurs les ministres, ce que vous voulez, c’est moins d’élus,…

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Philippe Vuilque. Moins d’élus de gauche, surtout !

M. Bernard Derosier. …moins d’administration territoriale – car, selon vous, celle-ci coûte cher – et, au bout du compte, moins de services publics de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Voilà la vérité !

M. Bernard Derosier. Telle est la véritable raison de votre réforme. La casse des services publics assurera une maîtrise économique, grâce à des partenaires privés qui sont prêts à prendre en charge, par exemple, les services aux personnes âgées ou l’entretien de tel ou tel bâtiment public. Bref, il s’agit de privatiser et privatiser encore, afin d’assurer le profit de ceux qui bénéficieront de cette privatisation.

M. André Chassaigne. Très juste !

M. Bernard Derosier. Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, en vertu de l’article 91, alinéa 6, de notre règlement, d’adopter la motion de renvoi en commission. La commission des lois aura ainsi le loisir d’approfondir ses réflexions sur ce projet de loi, certes important, mais si mal ficelé qu’il nécessite qu’elle se remette au travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Perben, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Perben, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, après avoir entendu M. Derosier nous suggérer de renvoyer le projet de loi en commission, je souhaiterais rappeler, de manière très factuelle, l’ampleur des travaux accomplis par cette dernière.

En effet, plus d’une vingtaine d’auditions nous ont permis d’entendre, durant une trentaine d’heures, élus, responsables de collectivités et d’associations d’élus, responsables économiques et sociaux, afin de recueillir leur avis sur le projet qui nous a été transmis par le Sénat. J’ajoute, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que nous avons pu dialoguer avec vous pendant plus de trois heures et demie le 4 mai dernier et que nous avons également auditionné longuement le président du comité de réflexion, M. Édouard Balladur. Enfin, nous avons examiné les différents articles du texte pendant six heures.

Certes, on peut, comme vient de le faire M. Derosier, critiquer la réforme point par point. Mais nous aurons l’occasion de répondre aux questions qu’il a évoquées article après article, amendement après amendement. J’estime, en tant que rapporteur, que nous avons bien travaillé. Nous avons examiné, ligne par ligne, le texte qui nous a été transmis par le Sénat, en y apportant les modifications souhaitées par la majorité de la commission des lois, parfois rejointe par l’opposition. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas lieu de renvoyer le texte devant la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Michel Piron, pour le groupe UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Je suis sensible à l’émotion que provoque ma prise de parole.

Je souhaiterais tout d’abord vous remercier, monsieur Derosier, pour la compassion que vous avez exprimée au début de votre propos en réclamant une séance de rattrapage. Hélas, je suis obligé de relever certains éléments de votre intervention, qui me semblent étonnants du point de vue de la logique.

Ainsi, vous nous reprochez d’avoir introduit dans le projet de loi des modifications « substantielles » par voie d’amendement. Faut-il comprendre que vous blâmez l’Assemblée nationale pour le travail qu’elle a accompli ? Je me serais plutôt attendu à ce que vous lui rendiez hommage.

M. Bernard Roman. Sophiste !

M. Michel Piron. Certes, nous avons modifié le texte du Sénat, mais c’est le droit de l’Assemblée, pour ne pas dire son devoir. Au reste, vous lui reprochez à la fois de reprendre le texte tel qu’il lui a été transmis et de le modifier. J’avoue avoir du mal à vous suivre ; vous manifestez là un goût de la contradiction pour le moins insistant, et peut-être un peu étrange.

Par ailleurs, nous aurions dû, selon vous, commencer par examiner le texte relatif aux compétences des collectivités. Il s’agit d’une question extrêmement difficile, car, si une définition formelle, juridique, de ces compétences peut faire florès dans certains cercles, on s’aperçoit, dès que l’on s’approche d’une définition opérationnelle, que tout le monde les exerce peu ou prou. C’est pourquoi je préfère de très loin les excellentes modifications apportées par notre rapporteur avec l’accord du Gouvernement, ainsi que les précisions qui ont été ajoutées ici ou là, notamment à l’article 35.

Précipitation, disiez-vous. Tout de même ! Prenons le chapitre consacré aux communes et aux intercommunalités : j’ai, pour ma part, eu le bonheur d’entendre le secrétaire d’État aux collectivités locales présenter, après toutes les consultations possibles et imaginables des associations d’élus – AMF, ADCF, et j’en passe – un premier texte sur ce sujet en janvier 2008, lors d’un congrès à Montpellier.

M. Bernard Roman. Quel congrès ? Un congrès de l’UMP ?

M. Michel Piron. Je l’ai à nouveau entendu présenter ce chapitre lors d’un congrès à Aix-Les-Bains en 2009.

M. Bernard Roman. Quel congrès ?

M. Michel Piron. Il est vrai que cela ne fait qu’un peu plus de deux ans. Encore une fois, j’ai du mal à vous suivre lorsque vous parlez de précipitation.

M. Bernard Roman. Quel congrès ?

M. Michel Piron. Confusion, avez-vous dit également, évoquant à ce sujet l’inconstitutionnalité du texte. Or, j’avoue avoir du mal à déceler une telle confusion, sinon dans votre argumentaire.

Pour couronner le tout, vous qualifiez les conseillers territoriaux de « super-élus » qui devront exercer, dites-vous, les mêmes missions. Eh bien, là, je vous réponds très clairement : non. Nous avons choisi de créer les conseillers territoriaux, non pas pour qu’ils exercent les mêmes missions, mais précisément pour éviter que le même sujet ne soit traité deux fois, puisque ces nouveaux conseillers siégeront dans les deux assemblées. Il s’agit en somme de supprimer des redondances aussi coûteuses qu’inutiles et de rendre complémentaires les travaux des assemblées régionales et départementales.

Par ailleurs, je n’ai guère apprécié la formule que vous avez employée au sujet de l’universalité, réduisant celle-ci à l’objet d’un exercice de gymnastique alors qu’il s’agit d’un principe fondateur de la démocratie.

Quant à l’article 35, qui interdit les financements croisés, donc l’addition des instructions pour les mêmes dossiers, qui pourrait s’en plaindre, en dehors de vous ?

Au fond, vous souhaitez, que tout le monde continue à s’occuper de tout, tout en demandant une clarification. Que de contradictions !

Enfin, vous avez conclu en évoquant la question des moyens, reprochant à l’État de geler ses crédits. Permettez-moi de souligner que, dans le contexte actuel, lorsque l’État a vu fondre, du fait de la crise, près de 25 % de ses recettes, le gel des crédits représente déjà un effort considérable. Comment ne pas comprendre que les collectivités ne pourront pas s’affranchir des contraintes qui pèsent sur notre pays tout entier, comme elles pèsent sur nos voisins européens, qui, eux, l’ont compris et en tiennent compte aujourd’hui ?

Il est grand temps que nous entrions dans la discussion du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Roy, pour le groupe SRC. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, vous ne serez pas surpris si je vous dis, au nom des élus de gauche ici présents – voire de quelques députés qui, bâillonnés par la discipline majoritaire, n’osent pas exprimer publiquement toutes les réserves que leur inspire ce texte –, que ce projet de loi est une horreur. Bernard Derosier l’a, du reste, démontré avec talent, en tenant de vous convaincre de voter la motion de renvoi en commission.

Ce faisant, il a avancé plusieurs arguments irréfutables. Il a ainsi rappelé la manière dont, depuis de nombreuses années déjà – et vous perpétuez votre forfait –, vous étranglez, asphyxiez, égorgez – on dirait que le sang appelle le sang – les collectivités territoriales.

Ces collectivités vont se retrouver démunies et, au demeurant, le sont déjà. J’ai vu le président du conseil général du Nord passer des nuits blanches à essayer d’établir pour 2010 un budget qui puisse tenir la route. Vous avez essayé de l’asphyxier, mais il est robuste, il a survécu et continue le combat !

Notre collègue Derosier a également dit que le Parlement avait été méprisé. Malheureusement, nous sommes habitués à vous voir agir de la sorte. M. Perben a affirmé que le renvoi du texte en commission n’était pas nécessaire, dans la mesure où il a été procédé à plus de vingt auditions. Quand on sait qu’il ne s’est écoulé que dix minutes entre le dépôt d’un amendement majeur sur le mode de scrutin et son débat en commission, on se demande comment ces dix minutes ont pu permettre vingt auditions, à moins que celles-ci n’aient duré que trente secondes chacune – ces auditions sont d’ailleurs demeurées secrètes, du moins en ce qui nous concerne. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

J’ai écouté, avec beaucoup de peine et un peu d’admiration, l’explication laborieuse de notre collègue de l’UMP tentant de nous convaincre du fait que la disparition du scrutin proportionnel au profit du scrutin majoritaire allait favoriser la parité. Le talent oratoire qui fut déployé à cette occasion n’a pas suffi : chacun sait bien que le scrutin majoritaire qui va être imposé pour les élections des deux assemblées va tuer la parité, comme le montrent les chiffres très parlants dont nous disposons… (Les exclamations provenant des bancs du groupe UMP couvrent les propos de l’orateur.)

Mme la présidente. Allons, mes chers collègues, laissez M. Roy s’exprimer !

M. Patrick Roy. …et ce ne sont pas les vociférations de l’UMP qui changeront la réalité.

Autre argument qui ne tient pas la route : le ministre de l’intérieur, M. Hortefeux, nous a expliqué qu’il fallait réduire le mille-feuille. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Laissez la place !

M. Patrick Roy. D’abord, je tiens à souligner que proposer de réduire le mille-feuille ici, dans notre hémicycle, quand on connaît la qualité exceptionnelle du mille-feuille du restaurant de l’Assemblée, est un exercice qui ne peut que nous révolter. (Rires et exclamations sur tous les bancs.) Plus sérieusement, vous n’allez faire que compliquer le mille-feuille administratif, puisque vous ne supprimez rien, mais, au contraire, ajoutez encore des ingrédients : ainsi, il y aura des métropoles et de nouvelles communes. Ce n’est plus un mille-feuille, mais un « dix-mille-feuille », une bible électorale !

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que nous allons voter massivement le renvoi de ce texte en commission. Je vous appelle, mes chers collègues de la majorité, à voter avec votre cœur : levez le bras gauche ou le bras droit, mais comme nous, votez pour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe GDR.

M. François de Rugy. Madame la présidente, mes chers collègues, je voudrais reprendre une phrase tirée de l’exposé de notre collègue Derosier : « Nous sommes très loin des grandes lois de décentralisation. » Il va sans dire que nous partageons ce point de vue. Pourtant, les angles d’approche ne manquaient pas si nous avions voulu bâtir une nouvelle organisation et faire figurer dans la loi un certain nombre d’avancées dans le sens de la décentralisation. Nous aurions pu le faire en traitant de la question de la démocratie au sein des collectivités locales, ce qui n’est pas le moindre des sujets pour nos concitoyens. Ainsi, nous aurions pu chercher à créer les conditions réelles d’une généralisation de la parité dans les organes délibérants, dans les assemblées intercommunales, dans les conseils généraux…

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Commencez par céder la place à une femme, on verra après !

M. François de Rugy. …à défaut de fusionner, comme je le souhaite personnellement, les conseils généraux et les conseils régionaux. Au contraire, vous organisez un recul de la parité.

Nous aurions pu progresser sur la question du non-cumul des mandats, en inscrivant dans la loi un certain nombre d’incompatibilités de mandats. Au lieu de cela, vous créez un nouveau cumul automatique avec la fonction de conseiller territorial.

Nous aurions même pu – rêvons un peu – profiter de ce texte pour instaurer le droit de vote des étrangers aux élections locales. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Voilà encore une grande avancée démocratique qui aurait pu figurer dans un large paquet de mesures de décentralisation ! Un ministre s’est permis, tout à l’heure, de railler la loi relative à la démocratie de proximité. Pourtant, nous aurions pu généraliser les conseils de quartier qui existent actuellement dans les villes sur la base du volontariat.

Enfin, nous aurions pu instaurer l’élection au suffrage universel direct des assemblées intercommunales. M. Piron a brocardé, tout à l’heure, la proposition que j’ai faite à ce sujet. Laissez-moi vous dire que vous n’êtes pas très cohérent, mon cher collègue : il y a quelques jours, lors du débat sur le Grenelle de l’environnement, vous avez proposé un amendement – qui n’a, certes, pas été défendu très vaillamment sur les bancs de votre groupe – proposant le plan local d’urbanisme intercommunal.

M. Michel Piron. Oui, c’est vrai.

M. François de Rugy. J’ai fait partie de ceux, peu nombreux, qui ont voté en faveur de cet amendement. Ne serait-il pas plus légitime, pour l’assemblée délibérante appelée à voter ce PLU, d’être élue au suffrage universel direct ?

Nous aurions également pu progresser sur le terrain de la clarification et du regroupement des compétences, comme je l’ai dit lorsque j’ai défendu la motion de rejet préalable. M. Piron a affirmé que cette réforme se traduirait par des effets mécaniques de regroupement des politiques par le conseiller territorial. Or, avec deux exécutifs distincts, deux budgets distincts, des ressources et des services distincts, je crains plutôt que ne surgissent, dans les assemblées, des rivalités entre les conseillers territoriaux siégeant au sein d’un exécutif départemental et ceux siégeant au sein d’un exécutif régional – un même conseiller territorial pouvant d’ailleurs siéger dans une assemblée départementale et une assemblée régionale de majorités politiques différentes. Le regroupement de compétences ne me paraît donc pas de nature à entraîner un regroupement mécanique des politiques. Pour ma part, je ne vois dans cette mesure qu’un cache-sexe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

J’ai évoqué, tout à l’heure, notre proposition de regrouper vraiment la région et le département. Pour ouvrir le débat, j’avais déposé un amendement visant à ce que le conseil régional exerce l’ensemble des compétences des conseils généraux des départements composant la région concernée. Or, cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40, ce qui empêche tout débat sur le sujet, alors même que, selon vos dires, le regroupement devrait entraîner des économies !

Nous aurions pu procéder à des avancées et des clarifications sur la question du redécoupage de certaines régions – une question sur laquelle la commission Balladur avait fait des propositions. Ma région, la Bretagne, est particulièrement concernée, mais elle n’est pas la seule.

Nous aurions pu avoir un vrai débat et de vraies décisions en vue de l’avènement de métropoles capables de créer une dynamique au profit de l’ensemble du département ou de la région où elles sont situées, mais votre projet ne comporte aucune disposition en ce sens.

Enfin, il y a aurait eu un vrai sujet à aborder, celui des ressources fiscales des collectivités locales, maintenues dans un état de dépendance à l’égard des subventions de l’État, de la dotation globale de fonctionnement et des contrats de plan – devenus contrats de projet État-régions‚–, ce qui ne fait que contribuer à l’illisibilité pour les citoyens. Nous aurions pu débattre de la possibilité de fournir aux collectivités locales des ressources pérennes, nous aurions pu évoquer la péréquation nationale. J’ai parlé tout à l’heure de l’appel de Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, qui a souligné que 10 % des communes les plus riches de France concentrent 30 % des recettes fiscales, alors que 10 % des plus pauvres se contentent de 1 % des recettes. Peut-on sérieusement parler de solidarité, tout en continuant sur cette voie ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous aurions pu entreprendre, sur cette question, une vraie réforme faisant partie d’un paquet institutionnel local.

Nous aurions également pu aborder la question de la péréquation de proximité, avec la caisse commune à l’échelle intercommunale ou régionale, que j’ai évoquée précédemment. Au lieu de cela, vous nous proposez un fouillis législatif, vous restez au milieu du gué sans traiter des vrais sujets.

Sur la forme comme sur le fond, le renvoi en commission serait particulièrement justifié. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir comment la commission des lois a été traitée sur la question du mode de scrutin de l’élection du conseiller territorial – une question qui a son importance. L’ensemble des commissaires se sont élevés, toutes tendances politiques confondues, contre la méthode du Gouvernement consistant à déposer deux amendements sur table, l’un adopté de justesse, uniquement avec les voix de l’UMP, l’autre rejeté. Le renvoi en commission permettrait peut-être au Gouvernement de répondre aux arguments sur la forme que nous avançons depuis le début de la discussion. Ni mon intervention pour défendre la motion de rejet préalable, ni l’intervention de notre collègue Derosier pour défendre le renvoi en commission, n’a fait l’objet de la moindre répondre des ministres siégeant au banc du Gouvernement, ce qui est une marque de mépris supplémentaire à l’égard de la représentation nationale.

Oui, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront sans hésitation cette motion de renvoi en commission défendue par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

M. Bernard Derosier. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Madame la présidente, je m’étonne que vous ayez demandé à notre collègue Patrick Roy de conclure son intervention. Je me permets de vous rappeler que ce débat se déroule dans le cadre d’une procédure de temps programmé et que chaque orateur dispose, dès lors, du temps qu’il juge bon de prendre.

Certes, le président de l’Assemblée a indiqué, à l’ouverture des travaux, le souhait exprimé par la commission de modification du règlement de voir les orateurs respecter le temps indiqué par le groupe pour chaque intervention, mais nous ne sommes pas pour autant disposés à procéder de la sorte. Je vous demande par conséquent, madame la présidente, de bien vouloir nous donner acte du fait que nous sommes en temps programmé.

Mme la présidente. Nous sommes effectivement en temps programmé, monsieur Derosier, mais je ne crois pas avoir demandé à M. Roy de conclure. Au contraire, j’ai demandé à nos collègues de le laisser s’exprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Jibrayel. Bravo, madame la présidente !

M. Philippe Boënnec. Et pourtant, son intervention présentait bien peu d’intérêt !

Mme la présidente. De la même manière, j’ai fait en sorte de faciliter le déroulement de votre exposé, monsieur Derosier.

Si je n’avais pas appliqué les règles du temps programmé, il y a longtemps que j’aurais demandé aux orateurs de conclure leurs interventions. Il me semble que nous pouvons aborder sereinement la discussion générale. Je rappelle que le nombre particulièrement élevé d’orateurs dans la discussion a conduit la Conférence des présidents à demander à ce que chacun respecte le plus possible les temps indicatifs attribués par les groupes. Par conséquent, bien que nous soyons dans le cadre du temps programmé, je signalerai aux intervenants, le cas échéant, que leur temps de parole indicatif est atteint.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons à traiter d’un sujet essentiel, qui marque une étape importante dans une réforme appelée à en connaître d’autres. Il s’agit d’interroger la gouvernance de notre pays dans le triple rapport des communes aux communautés, des régions aux départements, et des collectivités locales à l’État.

Il peut être utile de rappeler que les rapports entre collectivités continuent de s’exercer, en France, dans le respect d’une autonomie définie comme l’absence de tutelle, dont aucun pays voisin ne fournit d’exemple.

Quant au rapport de ces collectivités à l’État, il s’efforce toujours de concilier une centralisation aiguë du champ réglementaire et une décentralisation des moyens financiers.

Étape importante dans le rapport communes-communauté, avec l’achèvement de la carte intercommunale prévue en 2013 – rappelons qu’aujourd’hui 89 % des communes et 93 % de la population sont dans l’intercommunalité –, avec l’élection directe, grâce au scrutin fléché des délégués intercommunaux, avec une définition plus simple, si l’on suit notre commission des lois, de l’intérêt communautaire, avec le renforcement de métropoles dont on peut souhaiter qu’elles appellent des compétences plutôt départementales que régionales dans le souci d’une cohérence territoriale.

Étape importante dans le rapport région-départements, avec la création de conseillers territoriaux dans les deux assemblées qui devraient substituer la cohérence aux coûteuses concurrences et permettre de clarifier les responsabilités, avec la limitation prévue à l’article 35 des financements croisés, avec un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui a au moins le mérite de la lisibilité.

Étape, enfin, qui ne prétend nullement achever une réforme longue et dont personne n’ignore qu’elle est difficile. Difficile, tout d’abord, parce qu’une longue tradition s’accommode mal chez nous de réponses territoriales différenciées. Difficile, ensuite, parce qu’on a trop peu appris à penser l’égalité comme celle des chances, à travers la péréquation non seulement verticale, venant de l’État, mais tout autant horizontale entre les collectivités elles-mêmes. Difficile, enfin, parce qu’elle questionne l’atomisation des pouvoirs locaux et que, lorsqu’on pose la question : « qui fait quoi ? », elle divise trop souvent ceux qui pensent « qui » – et moi, et moi et moi ? – alors qu’elle devrait rassembler ceux qui pensent « quoi » – TER, université, zones d’activité, centres hospitaliers, urbanisme.

Parmi beaucoup de rapports commis sur ce sujet, celui de M. Balladur me semble toujours concentrer la somme des bonnes questions, y compris dans ses annexes.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui répond incontestablement à un certain nombre d’entre elles. Je souhaite que le temps des autres questions – quelle hiérarchie entre les collectivités, quelle dévolution du champ réglementaire ? – vienne, non sous le poids des contraintes économiques et financières extraordinaires, mais dans la perspective d’une gouvernance qui parie sur les intelligences territoriales, c’est-à-dire qui assure et assume l’achèvement de la décentralisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, sauf à faire preuve de mauvaise foi, personne ne conteste les changements, nombreux et positifs, que la décentralisation, en trente ans et deux actes, a apportés à la France. Tournant le dos à une tradition centralisatrice à bout de souffle, elle a permis de retrouver la diversité des territoires, de renforcer la vie démocratique, de dynamiser les initiatives locales. Cette démarche est largement approuvée et la région est désormais bien ancrée dans le paysage institutionnel. Pour ses contempteurs d’hier comme pour ceux qui l’ont toujours soutenu, le fait régional est une réalité incontournable.

Il faut d’emblée faire remarquer que, dans les régions d’outre-mer et particulièrement à la Réunion, la décentralisation a, de plus, contribué à apaiser le débat récurrent sur le statut de l’île. Jusque-là, toutes les réformes et l’ensemble des enjeux électoraux se ramenaient à des oppositions entre départementalistes et autonomistes, voire indépendantistes. À partir de 1982, les termes du débat changent pour laisser la place à la problématique du développement. En un sens, on pourrait dire que la réforme de 1982 et l’épisode de l’assemblée unique ont provoqué les derniers affrontements sur le statut.

Après la loi fondatrice de 1982, après la réforme constitutionnelle de 2003 qui instaure une organisation décentralisée de la République, après les multiples lois de transferts de compétences, il nous est proposé de franchir une nouvelle étape dans le processus de décentralisation. Au-delà des objectifs annoncés de simplification institutionnelle, de clarification des compétences et d’efficacité budgétaire, il s’agit de définir non seulement la place des collectivités territoriales par rapport à l’État mais aussi leur rôle dans un contexte mouvant de globalisation et de compétition. Quelle architecture institutionnelle promouvoir pour répondre à la fois aux exigences d’une démocratie de proximité et aux impératifs de la mondialisation ? Articuler le local et le global, voilà sans doute un des fils rouges pour dessiner la nouvelle architecture institutionnelle.

Pourtant, alors que nul ne conteste la nécessité d’approfondir le processus de décentralisation, la réforme proposée donne lieu à des confrontations qui vont crescendo. Sans doute parce que la réforme, telle qu’elle est présentée, comporte trop de non-dits. Sans doute aussi parce que les différents éléments en sont examinés selon une logique qui s’oppose à une bonne compréhension. Pourquoi la clarification des compétences est-elle ainsi reléguée en fin de parcours alors qu’on aurait dû commencer par elle ?

Que dire du gel des dotations de l’État aux collectivités locales ? Puisqu’il veut faire participer toutes et tous à la réduction des déficits publics, le Président de la République doit supprimer le dispositif d’exonérations fiscales qui, en trois ans, a déjà privé le budget de l’État de plus de 22 milliards d’euros au bénéfice des entreprises du CAC 40, et, pour rendre cette suppression efficace, il doit convaincre ses partenaires européens d’en faire autant chez eux.

Dans ce contexte, la vision claire et le climat apaisé font défaut. Et toutes les interprétations deviennent possibles, y compris celle des visées électoralistes. Du coup, des aspects primordiaux de la réforme qui doivent faire l’objet de projets de loi spécifiques se trouvent abordés par le biais d’amendements déposés en catimini. Ainsi le mode de scrutin et la révision générale des compétences se retrouvent-ils abordés de façon bien périphérique.

Parmi les silences de ce texte, je voudrais insister sur ceux qui entourent les régions d’outre-mer, et singulièrement la Réunion. Bien sûr, l’argument selon lequel le principe d’identité législative doit, en l’espèce, s’appliquer pourra être – et sera – avancé. Et cela est tout à fait recevable d’un point de vue strictement juridique. Oui, en vertu de l’article 73 de la Constitution, l’article 1 er relatif à la création des conseillers territoriaux est appelé à s’appliquer de plein droit à la Réunion et à la Guadeloupe.

Mais, outre les difficultés attachées au caractère hybride du conseiller territorial, l’application de cette mesure dans des régions mono-départementales débouchera sur une situation pour le moins déroutante. Ce sont strictement les mêmes élus qui siégeront tantôt au conseil régional, tantôt au conseil général. On parlera, bien sûr, du précédent du Conseil de Paris. Mais, sans en évoquer les raisons historiques, est-ce vraiment un gage d’efficacité que de se référer à la puissance d’une « ville-monde » pour établir les institutions des régions les plus pauvres d’Europe ?

En fait, il apparaît de plus en plus que la signification et l’impact de l’application de cet article dans nos régions n’ont pas réellement été évalués. Avec deux assemblées de composition strictement identique et exerçant leurs mandats sur le même territoire, c’est l’institution d’une assemblée unique qui est en marche.

Telle est d’ailleurs, pour toutes les régions d’outre-mer, la solution uniforme que préconisent notamment le comité Balladur et le rapport d’étape du Sénat. C’est aussi le scénario le plus vraisemblable puisque le destin promis au département, c’est de « s’évaporer ». Imagine-t-on le spectacle d’élus se transportant d’un hémicycle à l’autre et jonglant avec les thématiques et les priorités selon le lieu où ils se réunissent ? Vous l’avez reconnu, monsieur le rapporteur – et c’est sans doute aussi l’ancien ministre de l’outre-mer qui a parlé –, cette situation sera vite intenable.

Mais ces régions ne relèvent pas de l’article 72 de la Constitution lorsqu’il permet au législateur de créer une nouvelle collectivité en lieu et place de collectivités déjà existantes. Au contraire, le dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution prévoit explicitement que « la création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu’ait été recueilli (...) le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ». Comme en Martinique et en Guyane en janvier dernier, le projet d’instituer une assemblée délibérante unique à la Réunion et en Guadeloupe doit être nécessairement précédé d’un référendum.

On voit alors à quel point la création des conseillers territoriaux ouvre, même si c’est de façon indirecte, un dossier très sensible outre-mer : celui des institutions, qui se ramène toujours, qu’on le veuille ou non, à celui du statut.

À la Réunion, l’assemblée unique n’est à l’ordre du jour d’aucune formation politique. Elle ne fait pas non plus partie des priorités de la population. Le Congrès créé en 2000 par la loi d’orientation pour l’outre-mer, et qui réunit les deux assemblées délibérantes, n’existe pas à la Réunion. C’est donc le Gouvernement qui, de manière sans doute involontaire, est en train de réactualiser cette question.

Le droit et la sagesse imposent de procéder autrement. Au lieu de vouloir créer d’ores et déjà les conseillers territoriaux, mieux vaut prendre le temps de réfléchir, cas par cas, à la solution la mieux adaptée à chaque région d’outre-mer.

M. Victorin Lurel. Exactement !

Mme Huguette Bello. Pour ce qui concerne la Réunion, il faut rappeler qu’avec seulement 24 communes pour 800 000 habitants, elle ne correspond pas à la véritable spécificité française, qui n’est pas à rechercher dans son organisation en trois niveaux, mais dans son nombre élevé de communes.

Rien de surprenant donc à ce qu’elle soit la seule région d’outre-mer à compter des communes de plus de 100 000 habitants tandis qu’aucune d’entre elles n’est peuplée de moins de 3 500 habitants.

La configuration particulière de la carte communale explique en partie pourquoi, à la Réunion, les institutions ont plutôt bien fonctionné avec une répartition cohérente des compétences. La coexistence sur un même territoire des deux assemblées – mais avec des élus différents – n’a pas donné lieu à des blocages majeurs. Les avancées impulsées par la région Réunion dans le domaine de la formation, des énergies renouvelables ou des infrastructures de transport sont reconnues, de même que sa maîtrise dans la gestion de crédits européens. Ajoutons à cela qu’avec 52 % de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté, les compétences sociales du département sont largement sollicitées.

Pour toutes ces raisons, il apparaît donc plus logique de maintenir en l’état l’architecture actuelle : un conseil régional élu à la proportionnelle et un conseil général avec des conseillers élus dans le cadre de cantons. Bref, des assemblées élues selon des modes de scrutin différents, à l’image de ce qui continuera d’exister pour la Corse.

Cette solution permettra d’aborder de façon sereine et transparente la troisième phase de la décentralisation en outre-mer. Cette période sera mise à profit pour mieux définir les blocs de compétences, notamment par le biais de l’expérimentation, ou encore pour approfondir les façons de recourir davantage à la notion de chef de file, qui facilite également la coordination des collectivités et la mutualisation des moyens.

Notons aussi que, dans l’hypothèse d’un référendum, les termes du choix seraient plus ouverts qu’avec ce qui découlerait de la création des conseillers territoriaux. Les électeurs risquent en effet d’avoir à choisir entre une assemblée unique en deux exemplaires et une assemblée unique par fusion.

Une autre raison qui me pousse à plaider en faveur de cette solution se trouve dans le mode de scrutin que le Gouvernement vient d’annoncer pour l’élection des conseillers territoriaux. Le recul de la parité qu’implique ce mode d’élection est, à vrai dire, injustifiable.

M. Bernard Roman. Inacceptable !

Mme Huguette Bello. Nous étions prévenus : rien n’est jamais acquis – surtout quand il s’agit de parité politique, oserai-je ajouter ! Mais personne n’aurait pu penser que, dix ans après le vote de la loi sur l’égal accès aux fonctions électives, le choix se porterait sur le mode de scrutin le plus hostile à la présence des femmes dans les assemblées élues.

M. Jean Mallot. C’est incroyable !

Mme Huguette Bello. Renforcer la place des femmes dans les conseils municipaux des petites communes et dans les conseils communautaires va dans le sens de l’histoire. Nous saluons cette mesure, non comme la compensation d’un recul, mais parce qu’elle constitue une avancée démocratique. (Applaudissements sur certains bancs des groupes GDR et SRC.)

Nous, les femmes, nous sommes bien placées, dans cet hémicycle où nous représentons 18 % des élus, pour apprécier la portée des sanctions financières, fussent-elles qualifiées d’« insupportables ».

Quant au ticket paritaire, cette formule, outre le fait qu’elle est choquante, se révélera inefficace. Il suffit de s’arrêter quelques minutes sur la composition caricaturale des conseils généraux pour mesurer quel sera son apport paritaire.

Certes, le juge constitutionnel a pu considérer, en 2003, que les dispositions du cinquième alinéa de l’article 3 de la Constitution, qui favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives « n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de priver le législateur de la faculté qu’il tient de l’article 34 de la Constitution de fixer le régime électoral des assemblées ».

C’est donc d’abord aux hommes et aux femmes élus de cette assemblée d’empêcher ensemble le recul que provoquera de façon quasi mécanique le mode de scrutin que le Gouvernement propose en toute connaissance de cause.

Le mode de scrutin du conseiller territorial symbolise à sa manière toutes les ambiguïtés et les impasses de cette réforme : en mélangeant le long et le court terme, la proximité et la stratégie, la simplification des structures territoriales et la création de nouveaux échelons, elle risque d’entraver le processus en cours depuis trois décennies et de coûter cher aux citoyens et aux territoires. Nous sommes loin de l’acte III de la décentralisation ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes cher collègues, je commencerai par une phrase prononcée par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur lors de la remise au Président de la République des conclusions du comité sur la réforme des collectivités locales. Il disait : « Maintenant, il faut aboutir, il est temps de décider. »

M. Michel Hunault. Très bien !

M. François Sauvadet. À l’époque, le rapport dressait un constat qui était partagé par tous, y compris par la gauche. La réussite impliquait de franchir une nouvelle étape du processus de décentralisation. Celui-ci avait déjà été engagé depuis des années, notamment avec des révisions constitutionnelles en 2003 puis en 2004, mais le système – chacun le sait bien et le ressent sur le terrain‚– était perçu par nos compatriotes, par les élus locaux, bref par tous, comme une organisation territoriale devenue illisible. L’enchevêtrement des structures – sujet évoqué régulièrement‚– est devenu un frein pour notre compétitivité, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur et monsieur le ministre, mais aussi, tout simplement, pour l’efficacité territoriale.

Pour nous, au Nouveau Centre – je le dis clairement, monsieur le ministre‚–, la réforme est nécessaire et donc nous la souhaitons. Je regrette qu’à peine annoncée, une fois ses grandes orientations arbitrées, elle ait été instantanément décriée, et parfois – je veux le rappeler‚– avec beaucoup de démagogie, par la gauche.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ce n’est notre genre ! (Sourires.)

M. François Sauvadet. Alors que l’enjeu est de clarifier les compétences, de mieux coordonner les politiques et de refonder la démocratie locale, l’opposition n’a eu de cesse – je l’ai vérifié sur le terrain, en Côte-d’Or, dont je suis président du conseil général‚– d’inquiéter les élus locaux. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) en dénonçant une recentralisation et une mise sous tutelle des collectivités locales, en agitant régulièrement, dans toutes les associations de maires, le spectre de communes qui, avec cette réforme, ne seraient plus accompagnées ni aidées par les solidarités régionale et départementale.

M. Bernard Roman. C’est bien pire que ça !

M. Bernard Derosier. Vous vous trompez de côté : c’est le Gouvernement qu’il faut accuser !

M. François Sauvadet. J’ai même vu, pas plus tard que pendant les dernières élections régionales, des associations agiter ce spectre. Je pense notamment au Comité national olympique et sportif, qui prétendait partout, à chacune de ses réunions, que, avec cette réforme, les collectivités territoriales seraient dans l’impossibilité de l’accompagner.

En tout cas, sur ce sujet, les amendements qui ont été déposés vont dans le bon sens.

M. Jean Mallot. Exactement : il a fallu déposer des amendements !

M. François Sauvadet. Il s’agit donc de clarifier les compétences et de mieux coordonner les politiques. Vous avez fait le choix, à gauche – et je tenais à le dire car, après tout, dans un débat de cette importance, il faut parler franchement‚– de jouer sur les peurs en annonçant une élimination systématique des communes rurales,…

M. Bernard Roman. Vous avez senti le vent du boulet dans votre département !

M. François Sauvadet. …de même que des regroupements autoritaires de départements et de régions – je l’ai entendu de votre bouche.

M. Jean Mallot. Oui ! C’est le mot juste.

M. François Sauvadet. Là, franchement, j’ai trouvé votre attitude assez irresponsable. Comme si l’émiettement du pouvoir local était devenu la reconnaissance ultime de son existence ! Comme si, finalement, rien ne devait changer, parce que ne rien changer c’était garantir l’avenir de nos collectivités, alors que, chacun le sait, nous ne pouvons en rester à l’organisation territoriale actuelle.

Avec vous, c’est un peu comme sous l’Ancien Régime, lorsque un foisonnement anarchique de privilèges accordés à telle ou telle province, à tel ou tel bourg, à telle ou telle principauté, était perçu comme le principal garant des libertés locales.

Eh bien, mes chers collègues, la décentralisation – je voudrais le redire ici au nom du groupe Nouveau Centre‚– n’est pas de droite.

M. Jean Mallot. Ça, c’est sûr !

M. François Sauvadet. …Elle n’est pas de gauche… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Merci de laisser M. Sauvadet s’exprimer !

M. Bernard Roman. Il fait de la provocation !

M. François Sauvadet. Je vous disais donc que la décentralisation n’est ni de droite, ni de gauche ; elle est au centre. (Rires.)

Je précise ma pensée : je veux dire qu’elle est au centre de nos préoccupations et de notre engagement. Elle devrait nous rassembler, monsieur le rapporteur, parce que, depuis désormais plusieurs décennies, elle est une tendance structurante de notre histoire politique.

M. Jean Mallot. Ce n’est pas une tendance, c’est une réalité !

M. François Sauvadet. Son objectif, c’est tout simplement de rapprocher les lieux de décision de l’endroit où elles s’appliquent, c’est-à-dire de nos compatriotes.

Les lois Defferre, adoptées sous une majorité socialiste, ont constitué – il faut le dire‚– une étape décisive, mais je voudrais aussi rappeler, dans une perspective historique, l’intuition du général de Gaulle, lorsqu’il déclarait en 1968 à propos de notre pays : « L’effort multiséculaire de centralisation, qui lui fut longtemps nécessaire […], ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain. »

J’évoque la longue histoire de la décentralisation, mais qui se souvient du rôle joué, au lendemain de la Libération, par la deuxième assemblée constituante, lorsqu’elle adopta ce qui allait devenir le texte de l’article 85 de la Constitution de 1946 : « La République Française, une et indivisible, reconnaît l’existence des collectivités territoriales » ? Les collectivités accédaient alors à l’âge adulte en devenant des entités juridiquement distinctes dans la République. Ce processus est bel et bien historique, et nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins.

M. Jean Mallot. Au centre, quoi ! (Sourires.)

M. François Sauvadet. Depuis 1982, les lois de décentralisation ont incontestablement libéré les énergies locales en donnant aux acteurs locaux la responsabilité de véritables politiques publiques. La révision constitutionnelle de 2003 a installé la décentralisation au sommet de notre ordre juridique ; elle a ouvert aux collectivités la possibilité de mener des expérimentations sur des matières relevant de la loi ; elle a permis que se tiennent localement des referendums à vocation décisionnelle.

Au gré des réformes – loi Marcellin, lois Defferre, loi relative à l’administration territoriale de la République, dite ATR, en 1992, loi Chevènement, loi de 2002 sur la démocratie de proximité, loi du 13 août 2004 sur les libertés et les responsabilités locales‚–, notre organisation territoriale s’est progressivement muée en un véritable maquis administratif. Dans le même temps – je vous le dis avec beaucoup de franchise, parce que c’est ainsi que je le ressens‚– les effectifs des collectivités et leurs dépenses de fonctionnement ont augmenté beaucoup plus vite que les transferts de compétences,…

M. Bernard Roman. De 3,1 % par an ! Ce n’est quand même pas beaucoup !

M. Jean Mallot. Et en Côte-d’Or ?

M. François Sauvadet. …et ce alors que l’État territorial lui-même tardait de son côté à se réformer pour prendre acte de cette évolution. Je me réjouis de voir que la réorganisation est désormais engagée par l’État dans les territoires pour tenir compte de la décentralisation.

Cette complexité, ressentie par les acteurs, par les citoyens et par les élus, est sans doute l’une des raisons de l’érosion de la participation de nos compatriotes aux élections locales, cantonales ou régionales, qui n’a eu de cesse – vous l’aurez observé, mes chers collègues‚– de baisser, pour atteindre des records lors des dernières élections régionales en mars dernier.

M. Jean Mallot. Surtout celle des électeurs de l’UMP ! (Sourires.)

M. François Sauvadet. Pour nous, au Nouveau Centre, nous le disons clairement, la réforme est nécessaire. Le débat sur cette réforme a été ouvert par le Président de la République – je tiens à le rappeler ici, monsieur le rapporteur, comme vous l’avez fait dans votre intervention‚– dès octobre 2008. Il a eu lieu dans chacune de nos formations politiques, au sein de chaque association d’élus ; il a donc eu le temps de mûrir.

Pour notre part, nous estimions et nous estimons toujours que nous avions, avec cette réforme, une occasion historique, celle de bâtir pour notre pays une organisation territoriale…

M. Bernard Roman. Il n’y aura plus d’élus du Nouveau Centre !

M. Philippe Vuilque. Prenez garde : vous allez vous faire avoir !

M. François Sauvadet. Vous raillez, mais il faudra que vous vous expliquiez sur le terrain !

Oui, je pense que c’est une occasion historique pour l’ensemble de nos collectivités d’avoir une organisation territoriale plus lisible, plus efficace et plus économe des deniers publics.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. François Sauvadet. Cette réforme permettra, mes chers collègues, d’asseoir la décentralisation sur une démocratie locale refondée. Voilà l’enjeu de cette réforme territoriale.

Comme l’a réaffirmé tout à l’heure M. le ministre de l’intérieur, le département doit continuer à gérer les politiques touchant le plus directement la vie quotidienne de nos compatriotes. La région est quant à elle l’échelon le plus pertinent pour mener les grands projets d’infrastructures et les politiques économiques, ainsi que, d’une manière générale, les projets d’aménagement du territoire.

M. René Dosière. Avec quels moyens ?

M. François Sauvadet. Mais, plus encore, mes chers collègues, nous sommes, au Nouveau Centre, en faveur de la responsabilité locale, qui constitue à nos yeux le véritable horizon de la décentralisation : responsabilité dans la dépense…

M. Bernard Roman. Elle existe déjà !

M. François Sauvadet. …et dans les politiques menées, ce qui suppose de revoir les financements croisés et de donner à chaque échelon des compétences mieux définies, tout en préservant naturellement les capacités juridiques de nos communes. Voilà le cadre que nous souhaitons au Nouveau Centre.

En ce qui nous concerne, nous sommes favorables à des impôts dédiés qui soient de nature à garantir une nécessaire péréquation. Celle-ci doit être confortée car elle ne l’est pas suffisamment aujourd’hui.

M. Maurice Leroy. Bien sûr !

M. Philippe Vuilque. Il y a du boulot !

M. François Sauvadet. L’enjeu de ce débat, c’est bien de proposer aujourd’hui les termes d’une réforme juste et pérenne, comprise de l’ensemble de nos compatriotes et pas seulement des spécialistes. C’est pourquoi – je veux le dire clairement, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur‚– je trouve que, comparé au rapport courageux d’Édouard Balladur, le texte que vous nous présentez aujourd’hui marque un retrait par rapport aux ambitions affichées.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

M. François Sauvadet. La création du conseiller territorial marque en effet une étape extrêmement importante, et – j’y reviendrai‚– nous la soutenons. Mais, dans le même temps, permettez-moi de vous le dire comme le ressent le groupe Nouveau Centre, c’est d’abord un recul en ce qui concerne la nécessaire clarification des compétences respectives de chaque échelon de collectivités.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire . Très bien !

M. François Sauvadet. On assiste aujourd’hui à une sorte de coup de pied dans la fourmilière. La clause générale de compétence des régions et des départements est transformée en une compétence d’initiative locale. J’ai, comme beaucoup d’entre vous, participé aux débats sur l’article 35, qui revient finalement à affranchir le Gouvernement de l’obligation – qu’il avait lui-même proposé de se fixer – de présenter d’ici un an un nouveau texte précisant de manière exhaustive l’ensemble des compétences dévolues à chacune des collectivités. Peut-être, monsieur le ministre, pourrez-vous nous apporter des informations sur ce sujet.

Il n’y aura donc pas de grand soir de la clarification des compétences.

M. Maurice Leroy. Eh non !

M. François Sauvadet. Pourtant, le texte comporte, il faut le dire, de nombreux éléments de nature à calmer les inquiétudes – largement suscitées par la gauche –, notamment celles des petites communes, ainsi que celles qui concernent le financement de la culture, du sport et du patrimoine. C’était une préoccupation qui a également été exprimée par le Nouveau Centre : les amendements déposés donnent, me semble-t-il, toutes les assurances nécessaires sur ce sujet.

Mme Monique Iborra. Si seulement c’était vrai !

M. François Sauvadet. La création même du conseiller territorial permettra sans doute de trouver de nouvelles synergies, dans la clarification des compétences, dans les initiatives que nous pourrons prendre pour une nécessaire coordination.

M. Philippe Vuilque. On peut toujours espérer !

M. François Sauvadet. Quand on pense aux politiques de transport, quand on pense aux politiques menées dans le domaine du très haut débit, on voit combien sont nombreuses les entraves à l’efficacité de l’action publique, et même la déperdition d’argent public, s’il n’y a pas d’accord entre le conseil régional et les conseils généraux. On peut l’observer régulièrement !

Le fait de siéger dans les deux assemblées permettra, je crois, de créer des synergies, et pourquoi pas de dégager des économies d’échelle dans les structures même d’organisation de nos départements et de nos régions.

M. Jean Mallot. Ensuite, il y aura la synergie ultime : c’est le Président de la République qui décide de tout, tout seul !

M. François Sauvadet. Le troisième recul par rapport aux ambitions du Comité Balladur, on l’observe – malgré le travail de M. le rapporteur qui, je le sais, a beaucoup fait évoluer le texte – sur ce qui devait pourtant être l’une des grandes ruptures de cette réforme : la création des métropoles.

Nous sommes, pour notre part, partisans de soutenir le monde rural, tout en organisant notre pays pour faire face à une compétition internationale de plus en plus marquée. La création des métropoles est donc, je crois, une bonne initiative.

L’ambition initiale – à laquelle, monsieur le rapporteur, je vous sais très attentif – consistait à doter les grandes agglomérations françaises d’un statut de collectivités à statut particulier, à même d’initier et de mener de manière unifiée, concertée, l’ensemble des politiques nécessaires pour développer leur compétitivité à l’heure où le monde en vient à se penser comme un archipel urbain.

M. Jean Mallot. Quelle magnifique formule !

M. François Sauvadet. La métropole telle que vous la défendez risque de se transformer en complexité supplémentaire. Nous sommes bien loin des objectifs initiaux : aujourd’hui, cette réforme revient simplement à créer une nouvelle catégorie d’établissement public de coopération intercommunale – même si je conviens, monsieur le rapporteur, que vos amendements tendent à remettre un peu d’ambition dans ce projet de métropole, notamment en ce qui concerne l’intégration fiscale de ces nouveaux EPCI.

M. Jean Mallot. Et pourtant, vous allez la voter, cette réforme.

M. François Sauvadet. Je n’oublie pas les inquiétudes qu’exprimait Philippe Vigier sur les conséquences financières de ce texte.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Merci, monsieur le président !

M. François Sauvadet. J’aurais d’ailleurs aimé entendre ces inquiétudes mieux partagées sur les bancs de cet hémicycle.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

M. François Sauvadet. J’ai, pour ma part, soutenu la réforme de la taxe professionnelle. Mais il faudra que nos politiques soutiennent davantage les secteurs qui ont de faibles moyens, par rapport à ceux qui ont les moyens de développer leurs propres politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. Vincent Descoeur. Très bien !

M. François Sauvadet. Je suis un fervent partisan des politiques différenciées, et Philippe Vigier a, je crois, parfaitement exprimé nos inquiétudes concernant les moyens financiers des collectivités locales de demain, avec la création des métropoles. Je n’y reviens pas.

Le dernier recul concerne la refondation de notre démocratie locale, et je voudrais insister sur ce point.

En présentant initialement, au titre de la réforme des collectivités territoriales, quatre textes distincts, le Gouvernement avait fait le choix de traiter de manière séparée les aspects institutionnels et électoraux de cette réforme. Le texte dont nous discutons aujourd’hui devait s’en tenir à poser le principe du remplacement, à l’horizon 2014, des conseillers généraux et des conseillers régionaux par un nouvel élu, le conseiller territorial.

Nous avons soutenu – et nous soutenons, contrairement à la gauche – la création du conseiller territorial parce que nous croyons, profondément, depuis des années, au rapprochement entre la région et les départements qui la composent. La création d’un collège unique d’élus appelés à siéger simulta nément dans les assemblées régionale et départementales contribuera à donner une plus grande cohérence aux différentes politiques locales.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. François Sauvadet. Elle donnera aussi à nos compatriotes des élus locaux dont le rôle sera désormais mieux identifié et dont les responsabilités seront incontestablement accrues, favorisant ainsi l’avènement d’une démocratie locale plus responsable et sans doute plus transparente.

Pour autant, monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur le fait que ce collège unique est appelé à succéder à deux collèges élus selon des modalités différentes : les conseillers généraux sont à l’heure actuelle élus au scrutin majoritaire dans le cadre de leur canton, et le seront encore l’an prochain ; les conseillers régionaux sont désignés à l’issue d’un scrutin proportionnel de listes.

En d’autres termes, la loi électorale privilégie actuellement au niveau du département le lien entre l’élu et ses électeurs quand, au niveau régional, c’est le pluralisme, la diversité des opinions, mais aussi et surtout la parité entre hommes et femmes qui se trouvent favorisés par le scrutin proportionnel.

M. Maurice Leroy. Tout à fait.

M. François Sauvadet. Nous pensons, au Nouveau Centre, qu’au-delà des apparences, ces deux exigences – lien avec le territoire et représentation visant à assurer le pluralisme et la parité – ne sont pas antinomiques.

J’appelle l’attention de tous sur les exemples étrangers. M. le ministre de l’intérieur a clairement indiqué tout à l’heure que notre organisation n’était pas fédérale.

M. Maurice Leroy. Et c’est dommage !

M. François Sauvadet. Pourquoi, effectivement, ne pas réfléchir à une évolution de nos pratiques et de nos institutions ?

En Allemagne, l’élection du Bundestag se fait en un seul tour : chaque citoyen y dispose de deux voix, la première lui permet de désigner un candidat se présentant dans le cadre de sa circonscription, la seconde lui permet d’exprimer une préférence politique au niveau fédéral. La moitié des députés allemands sont ainsi les élus d’un territoire, et l’autre moitié sont élus pour représenter des courants de pensée. On observe d’ailleurs que dans la partie territoriale des élections, les électeurs font parfois le choix d’une personne proche d’eux : les opinions politiques ne prévalent pas toujours dans le choix qu’ils sont amenés à faire. Le choix politique fait dans la partie proportionnelle de l’élection peut être différent.

M. Jean Mallot. Ils élisent des gens qui ne font pas de politique, autrement dit des gens de droite.

M. François Sauvadet. Vous savez combien nous sommes attachés – contrairement à d’autres – à l’expression du pluralisme. Chaque courant de pensée doit pouvoir trouver son expression.

M. Jean Mallot. Et à la fin, vous votez toujours à droite.

M. François Sauvadet. Je voudrais rappeler qu’en première lecture, le Sénat avait, à l’initiative du groupe Union centriste, adopté un amendement visant à inscrire dans ce texte-ci un article 1 er  A, dans lequel étaient repris les grands principes devant présider au choix du mode de scrutin alors proposé par le Gouvernement, et refusé, je l’observe au passage, par le parti socialiste.

M. Maurice Leroy. Le groupe Union centriste avait d’ailleurs à l’époque un excellent président. (Sourires.)

M. François Sauvadet. Le scrutin que proposait le Gouvernement était un scrutin mixte, dans lequel 80 % des conseillers territoriaux étaient élus au scrutin majoritaire à un tour, et les 20 % suivant une répartition proportionnelle au plus fort reste des voix non utilisées.

Ce mode de scrutin n’était sans doute pas parfait : la vocation de la part de scrutin proportionnel était en quelque sorte de recycler les voix des battus, plutôt que de corriger véritablement les fortes distorsions de représentation induites par le scrutin majoritaire. Cela pouvait provoquer des interrogations. Il n’en demeure pas moins – je le dis avec une profonde conviction – qu’il apportait une première réponse aux questions soulevées par la fusion des élections cantonales et régionales, notamment en termes de parité et de respect du pluralisme.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

M. François Sauvadet. Mais la garantie d’un respect du pluralisme par une dose de proportionnelle avait fait l’objet d’un accord politique au Sénat avec le groupe Union centriste. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.) Il ne s’agissait pas d’un marchandage, comme la gauche l’a dit en commission des lois, mais d’un accord politique. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Maurice Leroy. Il s’agissait même d’un vote du Sénat.

M. François Sauvadet. Il faut défendre ses convictions, il faut défendre le pluralisme, il faut défendre la parité ; et nous voulons, nous, défendre ces principes de base au moment où nous refondons la démocratie locale.

M. Victorin Lurel. Curieuse défense, tout de même.

M. François Sauvadet. En commission, le Gouvernement a cependant proposé une réécriture de cet article visant à ce que l’ensemble des conseillers territoriaux soient désormais élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Je regrette cette proposition.

M. Henri Jibrayel. Votez contre le texte, alors !

M. François Sauvadet. Je la regrette d’autant plus que le Président de la République avait indiqué, à maintes reprises, qu’il était prêt à discuter de l’ensemble des modalités électorales. Mais j’ai bien l’impression que le groupe UMP a exercé une très forte pression pour que ce mode de scrutin soit retenu. En tout cas, c’est ce qui s’est passé.

En proposant cette réécriture, le Gouvernement a mis terme à l’accord que nous avions passé… (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Jibrayel. La magouille est rompue !

M. Jean Mallot. Marchandage, donc.

M. François Sauvadet. Écoutez, il y a une différence entre vous et nous. Vous, à gauche, vous êtes partisans de la combine en arrière-boutique ; nous, nous assumons clairement, à la tribune de l’Assemblée nationale, devant le Gouvernement, un accord politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. Jean Mallot. Et si on reparlait plutôt du financement du Nouveau Centre ?

M. Maurice Leroy. Quand vous voulez !

M. François Sauvadet. J’entends les remarques selon lesquelles ce mode scrutin uninominal à deux tours serait celui auquel nos compatriotes seraient le plus attachés ; il serait constitutif du processus électoral – presque une forme d’ADN politique.

M. Jean Mallot. Ici, on a l’ADNC : à droite le Nouveau Centre.

M. François Sauvadet. N’en déplaise à certains, je veux aussi rappeler les débats qui ont animé notre assemblée quand, lors de la révision constitutionnelle, il s’agissait de réfléchir au mode de scrutin pour l’élection des députés.

Nous n’avons certes pas permis l’introduction d’une part de proportionnelle dans ce mode de scrutin, mais nous avons inscrit dans le marbre constitutionnel le caractère pluraliste de notre démocratie et fixé à la loi l’obligation, non seulement de favoriser l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs, mais aussi de garantir la participation équitable de l’ensemble des groupements politiques à la vie démocratique de la nation – la gauche, je m’en souviens bien, ne l’avait pas voté : vous dites défendre le pluralisme, mais nous nous sommes souvent retrouvés parfois bien seuls face à une alliance UMP-PS.

M.  Maurice Leroy et M.  Philippe Vigier. C’est vrai !

M. François Sauvadet. En l’état, la fusion des élections cantonales et régionales et le mode de scrutin proposé par le Gouvernement constituent à nos yeux un recul sur le chemin de la parité, un recul sur l’expression du pluralisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Henri Jibrayel. Ne votez pas le texte, alors !

M. François Sauvadet. Je veux également attirer l’attention de la représentation nationale sur le second aspect de cette réforme électorale, sur lequel j’aimerais beaucoup entendre la position claire du parti socialiste.

M. Maurice Leroy. Oh, dans ce cas, la séance de nuit risque de durer très longtemps !

M. Jean Mallot. Notre position est limpide.

M. François Sauvadet. Elle n’est pas si limpide que ça : j’entends que vous voulez favoriser la représentation démographique, c’est-à-dire mettre le curseur encore plus loin pour assurer la représentation des habitants là où ils résident – un homme, une voix – alors que nous sommes, nous, pour une représentation des populations là où elles habitent. Cela fait une forte différence !

M.  Maurice Leroy et M.  François Rochebloine. Très bien !

M. François Sauvadet. Et j’aimerais entendre votre position sur ce point. Nous sommes, nous, les défenseurs du monde rural et d’une représentation équilibrée entre villes et campagnes.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Très bien !

M. François Sauvadet. La création des presque 6 000 conseillers territoriaux autorise la réduction du nombre d’élus locaux. Je ne suis pas contre a priori . Mais il faut conserver le sens de la mesure.

M. Victorin Lurel. C’est filandreux.

M. Henri Jibrayel. C’est confus.

M. François Sauvadet. Pour nous, la réduction de moitié des conseillers généraux et régionaux ne doit pas constituer l’alpha et l’oméga de la réforme.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. François Sauvadet. Car cela reviendrait à jeter insidieusement l’opprobre sur des centaines d’élus locaux qui remplissent leur mandat avec dévouement et conviction, sans compter ni leur temps ni leur énergie.

M. Henri Jibrayel. C’est peut-être pour cela qu’on veut les éliminer !

M. François Sauvadet. Et cette réduction drastique du nombre d’élus locaux poserait très directement la question de la représentation des zones rurales au sein des instances de décision. (Approbation sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Louis Gagnaire. Nous l’avons dit !

M. Jean Mallot. Tiens ! Il a vu le piège.

M. François Sauvadet. Ces zones rurales, si on leur avait appliqué sèchement le système, se seraient retrouvées – avec d’ailleurs l’appui du parti socialiste – victimes d’une double peine : une réduction de moitié des élus sur les territoires, dont on dit qu’ils sont surreprésentés alors qu’ils se sentent souvent abandonnés, et en même temps un rééquilibrage démographique. Pour nous, cela aurait été tout à fait inacceptable.

M. Maurice Leroy. Implacable démonstration.

M. François Sauvadet. Aussi, nous nous sommes, comme l’ensemble des groupes, et comme le président Warsmann, opposés à la perspective d’ordonnances pour définir le tableau des effectifs des conseillers territoriaux par département et par région.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Heureusement !

M. François Sauvadet. Je me réjouis de cette belle unanimité. C’est une question qu’il revient au Parlement de trancher. Vous l’avez dit à cette tribune, monsieur Perben, et je vous ai applaudi.

C’est une grande avancée que d’avoir eu ce tableau avant l’ouverture du débat, je sais que vous y avez mis toute votre énergie, comme M. Warsmann, et j’ose considérer que nous y avons pris nous aussi une part active. Cela permet d’avoir un nombre un peu plus grand de conseillers territoriaux, non pour garantir la situation des élus, mais simplement pour assurer la juste représentation des territoires ruraux et des villes. C’est un premier pas important dans ce domaine. Nous serons extrêmement attentifs et veillerons particulièrement…

M. Jean Mallot. Vous voterez le texte de toute façon !

M. François Sauvadet. …à ce qu’il n’y ait pas de recul sur cette première proposition de tableau.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques pistes que nous avons voulu tracer pour une réforme nécessaire pour le pays, une réforme dont chacun attend qu’elle soit au service de l’efficacité publique et, à gauche, plutôt que de vociférer, vous feriez mieux de faire part de vos propositions. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Jibrayel. Nous n’arrêtons pas !

M. Maurice Leroy. Ils sont aussi bons que sur les retraites !

M. François Sauvadet. Je n’en entends aucune si ce n’est qu’il ne faut toucher à rien, qu’il faut tout laisser en l’état et qu’on ira mieux demain. Les Français ne sont pas dupes de ce genre de comportement.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en l’état actuel, ce projet de loi est pour nous inachevé. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Allons donc ! Vous nous faites peur !

M. Jean-Pierre Grand. Il ne faut pas le voter !

M. François Sauvadet. Nous voulons obtenir des garanties concernant la parité et le pluralisme et des confirmations sur la présence territoriale. Nous souhaitons donc, contrairement à vous, mes chers collègues de gauche, que le dialogue s’engage pour parvenir à une réforme démocratiquement juste et territorialement équilibrée. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. Maurice Leroy. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Bourg-Broc.

M. Bruno Bourg-Broc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme dont nous discutons aujourd’hui est à bien des égards essentielle. Nos collectivités territoriales façonnent entièrement notre pays. Depuis les premières vraies lois de décentralisation de 1982, leurs compétences se sont multipliées, avec des résultats dont on ne peut que se féliciter. Les collectivités territoriales sont avant tout le produit de notre démocratie, de sa maturité, de la proximité voulue par nos concitoyens.

Pourtant, je ne vous apprendrai rien en affirmant le peu d’attrait qu’elles suscitent chez nos concitoyens, le peu de compréhension qu’elles inspirent, comme en témoigne la piètre participation aux dernières élections régionales. Notons toutefois l’exception du scrutin municipal, pour lequel les Français se sont toujours sentis directement concernés.

Alors que le Président de la République vient d’annoncer des mesures drastiques en vue d’assainir durablement et collectivement les finances de notre pays, les collectivités territoriales entendent participer à l’effort collectif, raisonné et ancré dans une perspective cohérente de long terme. Sur ce point, veillons cependant à ne pas affaiblir la dynamique d’investissement des collectivités territoriales, 73 % de l’investissement public, et leur rôle pivot dans la cohésion sociale.

Dans le contexte que je viens très sommairement de résumer, la réforme des collectivités territoriales s’impose comme l’une des pierres angulaires de l’action collective que nous devons mener. Le projet initial proposé par le Gouvernement consistait en la réorganisation des collectivités existantes autour de deux pôles, l’un fondé sur une étroite collaboration entre les communes et l’intercommunalité, l’autre autour des départements et des régions.

Le but initialement recherché de simplifier et d’alléger l’architecture territoriale n’est cependant pas tout à fait atteint. Trois structures sont créées – métropoles, communes nouvelles, pôles métropolitains –, ce qui ne simplifie pas et ne donne pas un bon signal à nos concitoyens à qui de gros efforts sont demandés. Pourquoi diable n’être pas allé jusqu’au bout de la logique de cette réforme, vers les économies de structure dont a parlé Dominique Perben tout à l’heure ?

La création de la fonction de conseiller territorial est par contre un signe fort émis pour une plus grande simplicité. Cette fonction ne doit pas être envisagée comme un échelon supplémentaire. En siégeant à la fois au conseil régional et au conseil général, le conseiller territorial constituera un lien privilégié entre l’élu et son représentant, à l’échelle de son territoire. L’élection de ces conseillers, prévue au suffrage universel, est évidemment un gage fort du caractère résolument démocratique de la réforme en cours.

Président de la fédération des maires des villes moyennes, les villes de 20 000 à 100 000 habitants, cette réforme me tient particulièrement à cœur. Nous sommes tous favorables à une réforme qui tende vers plus de simplification, de lisibilité, de décentralisation. En tant qu’élus de terrain, nous devons garder à l’esprit l’exigence de l’autonomie de gestion et d’administration des collectivités territoriales. L’effort budgétaire demandé aux collectivités ne doit pas occulter le fait que ces dernières ne contribuent qu’à moins de 10 % aux déficits publics.

De même, si la nouvelle étape de l’intercommunalité dans laquelle s’engage le Gouvernement doit être saluée, nous devons rappeler que l’intercommunalité n’existe que dans le sens où toutes les communes y sont représentées de façon juste, selon une approche démographique et territoriale. À travers l’essor de l’intercommunalité se développe une véritable logique d’agglomération, de bassin de vie, permettant d’impulser et de renouveler le développement local, de rationaliser l’exercice des compétences par le développement de la mutualisation, d’améliorer et de développer les services rendus aux citoyens. Il est évident qu’en réglant le problème de la représentation au sein de l’intercommunalité sur une base démographique et territoriale, on réglera également le problème de la gouvernance, qui a inéluctablement conduit un certain nombre d’entités intercommunales à n’être que des coquilles vides.

L’élection au suffrage universel des délégués aux conseils de communauté en 2014, en même temps que le scrutin municipal, constituera un défi de maturité pour les intercommunalités. Aura-t-on un simple mode de désignation de délégués des communes, ou cela entraînera-t-il l’émergence d’un « citoyen intercommunal », d’autant plus concerné par les choix intercommunaux que la réforme de la taxe professionnelle, transférant la part départementale de la taxe d’habitation aux intercommunalités, en fera un gros contribuable ? Autant de questions sur lesquelles notre assemblée devra se pencher.

Ainsi, les règles qui régiront ce scrutin ne devront pas perdre de vue l’exigence d’une représentation équilibrée de tous les habitants, même si chaque commune doit à l’évidence être représentée. Comment ces règles pourraient-elles ne pas être fixées par la loi ? Ne doivent-elles pas être uniformes sur l’ensemble du territoire ?

Nous devons profiter de cette réforme historique pour aller plus loin dans la rationalisation de nos collectivités. À cet égard, il est indispensable d’effectuer un travail de fond concernant la détermination des compétences.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Bruno Bourg-Broc. Il est bien dommage que soit annulé le texte prévu initialement sur les compétences des collectivités territoriales. Il est vrai qu’il eût mieux valu le prévoir avant qu’après.

M. Robert Lecou. C’est vrai !

M. Bruno Bourg-Broc. Il ne s’agit pas uniquement de rationaliser nos dépenses, il en va également de la visibilité de notre action. Je souhaite que le Gouvernement engage la concertation qu’il avait promise. Certains domaines d’action appartiennent par nature à l’ensemble des collectivités, je pense particulièrement à la culture, à l’enseignement et au tourisme. Il ne sert à rien d’imposer des participations minimales aux communes car, d’une part, cela va à rencontre de la libre administration des collectivités, et, d’autre part, une commune peuplée n’est pas forcément une commune riche.

C’est à nous maintenant, élus de terrain, qu’il revient de donner aux collectivités l’image du XXI e  siècle. À l’heure où la France connaît de profondes mutations, montrons-nous dignes de notre mandat et engageons avec responsabilité et courage une nouvelle étape de sa modernisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1982, ici même, moins d’un an après la première élection de François Mitterrand, sous l’impulsion du ministre de l’intérieur, Gaston Defferre, et du Premier ministre, Pierre Mauroy, étaient adoptées des lois audacieuses, novatrices, et structurantes de l’organisation de la République.

Depuis ces lois Defferre-Mauroy, la décentralisation fait l’objet d’un consensus entre différents bords politiques. La droite, d’abord hostile, s’est convertie aux bienfaits de la décentralisation, M. Hortefeux l’a reconnu tout à l’heure dans son discours.

Oui, depuis plus de vingt-cinq ans, la décentralisation a rallié à sa cause les éternels sceptiques, les jacobins invétérés, les élus locaux et les parlementaires, la majorité des hommes et des femmes politiques de tous les partis.

C’est un gouvernement de gauche qui avait initié le grand mouvement de décentralisation. Notre assemblée a voté l’acte I en 1982, et a engagé en 1999 le regroupement des communes avec la loi sur les intercommunalités. En 2003, c’est un gouvernement de droite dirigé par Jean-Pierre Raffarin qui a poursuivi le travail en faisant voter l’acte II de la décentralisation.

Les grandes réformes ont fait leurs preuves : la décentralisation a considérablement amélioré la vie quotidienne de nos concitoyens et contribué amplement au développement de notre pays.

Aujourd’hui, vingt-cinq ans après, la gauche est parfaitement consciente de la nécessité d’améliorer le fonctionnement de la République décentralisée, d’aménager le territoire en prenant en compte les évolutions, les migrations, et les changements intervenus, de parachever l’intercommunalité. La gauche appelle de ses vœux une réforme territoriale.

Pour parfaire la décentralisation et parachever l’intercommunalité, la gauche était prête à contribuer à un nouveau projet d’organisation territoriale, à voter un acte III de la décentralisation. Une attitude républicaine, démocratique et respectueuse de l’intérêt des citoyens, monsieur le ministre, eût bien sûr consisté à consulter les élus locaux, les parlementaires et les partis politiques, pour mener à bien une réforme territoriale réfléchie, consensuelle et fédératrice, mais, après la commission Balladur, qui a accordé une heure d’audition aux dirigeants du parti et du groupe socialiste, la concertation politique a été réduite à un entretien d’une heure, entretien certes courtois entre M. Marleix, Martine Aubry et moi-même, mais entretien bien trop bref pour un sujet de cette importance. Puisque la décentralisation ne devrait pas être un enjeu partisan, une concertation approfondie était indispensable pour une réforme consensuelle.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux de la réorganisation territoriale, il ne relève pas le défi du parachèvement de la décentralisation, n’a de réformateur que son intitulé.

Clarifier, simplifier et moderniser, ce n’est pas amputer un niveau régional ou départemental qui existe partout en Europe, ni affaiblir les pouvoirs locaux. C’est au contraire, expérimenter, privilégier l’initiative locale et la confiance faite aux élus, bref renforcer la décentralisation. Je regrette que vous vous soyez engagé sur la voie d’une pseudo-réforme territoriale par bien des aspects, d’une contre-réforme territoriale sur beaucoup d’autres. Je regrette que vous ayez fait l’économie d’une vaste consultation qui aurait pu vous éviter de tomber dans les pièges de la triple régression démocratique, sociale et territoriale que votre texte, hélas, organise.

Sans doute le regrettez-vous également puisque le texte qui nous est aujourd’hui proposé est une version édulcorée du premier projet de loi, qui avait suscité des remous jusque dans les rangs de la majorité. Cependant, malgré ces modifications, vous avez choisi de maintenir la création du conseiller territorial, cet élu non identifié qui fait déjà l’unanimité contre lui.

M. Jean-Pierre Grand. C’est vrai !

Mme Élisabeth Guigou. Malgré tout, vous avez choisi de supprimer la taxe professionnelle sans la remplacer totalement par un impôt économique performant. Vous savez que votre réforme fiscale aura pour inévitable conséquence l’étranglement financier des collectivités territoriales. Vous savez également qu’elle engendrera une nouvelle hausse des impôts sur les ménages et qu’elle aggravera les inégalités territoriales, déjà insupportables. Vous savez enfin qu’elle diminuera, par ricochet, la qualité des services publics locaux et les soutiens pourtant si nécessaires aux associations, qui contribuent tant au lien social et au « vivre ensemble ». Malgré tout, vous avez choisi de ne pas faire de la solidarité territoriale un pilier de votre réforme. Malgré tout, vous avez persisté dans l’erreur.

Le conseiller territorial, élu qui se substituera au conseiller général et au conseiller régional, devait initialement, conformément à la première version du texte, être élu au scrutin uninominal à un tour, ce scrutin britannique si brillamment défini par un ancien ministre de l’intérieur, devenu depuis Président de la République, et qui affirmait dans une intervention au Sénat : « Le scrutin le plus simple, c’est incontestablement le système anglais : le scrutin uninominal majoritaire à un tour. Il est d’une simplicité biblique, mais d’une brutalité sauvage. » M. Sarkozy avait, en ce 9 avril 2003, totalement raison. Oui, totalement raison !

M. Alain Cacheux. Et ce n’est pas souvent !

Mme Élisabeth Guigou. Le scrutin que vous aviez élaboré présentait une autre spécificité : la mixité entre un scrutin uninominal, pour 80 % des sièges, et un scrutin proportionnel.

Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler que le Conseil d’État, dans un avis rendu le 15 octobre 2009, avait émis des réserves quant à l’efficacité d’un mode de scrutin hybride qui ne permettrait pas de dégager de majorité stable dans les assemblées territoriales, et qu’il s’était interrogé sur la légalité et la sincérité d’un suffrage qui autoriserait une liste ayant recueilli moins de votes qu’une autre au niveau régional à obtenir plus de sièges qu’elle.

Dans ce contexte, un amendement d’origine gouvernementale adopté le 12 mai en commission des lois permet de balayer les doutes de la haute juridiction administrative. Il est en effet prévu désormais que « les conseillers territoriaux sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours ». Mais si le Conseil d’État ne semble désormais plus en mesure de faire obstacle à votre projet, le Conseil constitutionnel pourrait bien sanctionner un vice de procédure.

M. Bernard Roman. C’est vrai !

Mme Élisabeth Guigou. Vous vous êtes en effet rendus coupables de vice de procédure en cédant aux menaces qui sourdaient dans les rangs de votre propre majorité. Dans une décision en date du 3 avril 2003, que je tiens à vous rappeler, le Conseil constitutionnel avait jugé : « Si le conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s’il lui est possible d’en modifier le contenu, c’est, comme l’a voulu le constituant, à la condition d’être éclairé par l’avis du Conseil d’État ; que, par suite, l’ensemble des questions posées par le texte adopté par le conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d’État lors de sa consultation. » Or l’amendement que vous avez déposé en commission des lois introduit une disposition radicalement différente de celle examinée par le Conseil d’État et pourtant d’une importance décisive puisqu’elle concerne le mode de scrutin.

En outre, ce n’est pas le projet examiné ici qui traite en détail du mode de scrutin du conseiller territorial, mais un autre projet de loi, le n° 61, relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, lequel y consacre tout son titre premier. Le Parlement aurait donc dû être saisi par une lettre rectificative modifiant cet autre projet de loi n° 61, ce qui aurait permis la consultation du Conseil d’État et la délibération du conseil des ministres.

M. Maurice Leroy. C’est juste !

Mme Élisabeth Guigou. Là ne s’arrêtent pas les soupçons d’inconstitutionnalité qui pèsent sur le dépôt de cet amendement. En effet, selon les dispositions de l’article 39, alinéa 3, de la Constitution, « la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique ». En application de cette disposition, l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 a prévu que les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact, sauf ceux cités à l’article 11. Une circulaire datée du 15 avril 2009 et signée de l’actuel Premier ministre a insisté sur l’importance des études d’impact. Reconnaissez que la présentation au Parlement d’une nouvelle étude d’impact eût été utile et efficace, et vous eût surtout permis, accessoirement, de vous conformer à la nouvelle procédure que vous avez vous-mêmes créée en 2008…

Pire encore : non seulement vous avez fait voter un amendement en commission des lois fixant le nombre des conseillers territoriaux, mais vous avez aussi réalisé une répartition entre régions et départements sans en informer préalablement l’Assemblée. C’est un mépris sans précédent pour le Parlement.

L’ombre de l’inconstitutionnalité plane donc une nouvelle fois sur votre projet de loi, en raison des changements que vous avez récemment apportés.

Je souhaite revenir sur la création des conseillers territoriaux, l’objet même, la raison d’être, la disposition principale de votre projet de loi.

Ces nouveaux élus devront assumer une double mission. Ils devront partager leur temps entre leurs différentes fonctions. Ils devront défendre les dossiers de proximité ainsi que les problématiques de formation professionnelle ou de développement économique. Ils devront maintenir du lien social avec les citoyens mais également s’inscrire dans un cadre européen ambitieux. Ils devront travailler sur le versement des prestations sociales mais également sur les lignes à grande vitesse. Ce seront sans doute des « super-élus ». Mais ces « super-élus » seront néanmoins contraints d’organiser leurs activités dans une journée qui compte vingt-quatre heures ; ils devront donc se consacrer pleinement à cette activité d’élu. Ainsi voit-on se profiler le risque du professionnel de la politique, du suzerain local attaché à son mandat, de la femme ou de l’homme exclusivement politique.

Et même en y passant tout leur temps, ces élus auront du mal à remplir correctement leurs missions. Le conseiller territorial, à la fois conseiller départemental et conseiller régional, cumulera de facto , et parfois contre son gré, deux mandats. À l’heure où se multiplient les propositions sages et progressistes en faveur du non-cumul des mandats, à l’heure où les citoyens se désintéressent de la chose publique, à l’heure où le lien entre le peuple et le pouvoir politique doit impérativement être renoué, il n’est pas absolument certain que ce nouvel élu jouisse de la popularité, de la confiance, du respect et de la légitimité qui siéraient en ces circonstances.

Un conseiller territorial, dont l’indemnité sera supérieure à celle aujourd’hui touchée par les conseillers départementaux et les conseillers régionaux, dont le suppléant sera lui aussi indemnisé, qui devra sillonner les routes de la région et du département pour mener à bien ses missions, et dont la création obligera les régions à agrandir leurs hémicycles pour permettre à l’assemblée territoriale de siéger – nous le voyons avec votre tableau distribué en commission des lois –,…

M. Bernard Roman. Qui paiera ?

Mme Élisabeth Guigou. …ce conseiller territorial coûtera évidemment plus cher financièrement et écologiquement que les élus actuels.

Votre conseiller territorial, loin de simplifier, de clarifier et de réaliser des économies, sera source de cumul, de confusion, d’opacité et de dépenses supplémentaires.

M. Jean-Pierre Grand. C’est malheureusement vrai !

Mme Élisabeth Guigou. L’introduction d’un mode de scrutin à deux tours a contenté nombre d’élus farouchement opposés à un mode de scrutin à un seul tour ; cette concession a permis d’éteindre, momentanément en tout cas, une vraie révolte dans les rangs de la majorité. Mais ce scrutin uninominal à deux tours est structurellement défavorable aux femmes. Je veux rappeler ici, après d’autres, qu’en 2008, les femmes conseillères générales, élues au scrutin uninominal à deux tours, ne représentaient que 13,1 % de l’ensemble des élus départementaux. La situation n’évolue pas, puisque lors du dernier renouvellement, en 2008, on comptait seulement 12,3 % de femmes parmi les conseillers généraux. En revanche, les conseils régionaux comptent 48 % de femmes, soit quasiment la moitié des élus.

Les projections qui ont été réalisées par l’Observatoire de la parité, présidé par Mme Brunel, élue UMP, et la délégation aux droits des femmes, présidée par Mme Zimmermann, autre élue de votre majorité, sont cruelles : avec un scrutin uninominal qui remplacera les scrutins départementaux et régionaux, en 2014, les « conseillères territoriales » occuperont moins de 20 % des sièges, au lieu de 48 % actuellement dans les régions. Vous avez donc consenti à multiplier par deux le nombre de tours de scrutins, mais en divisant par deux le nombre d’élues femmes. C’est inadmissible, choquant et même indécent.

Car l’objectif de parité que vous dites faire vôtre en octroyant aux femmes la suppléance des conseillers territoriaux, sans même vous rendre compte de ce que ce lot de consolation peut avoir d’insultant, cet objectif de parité est inscrit dans la Constitution depuis le 8 juillet 1999, au départ dans l’article 3 du Préambule, puis à l’article 1 er , alinéa 2.

Le 6 juin 2010, nous fêterons le dixième anniversaire de la loi électorale sur la parité qui a permis l’application concrète de la réforme constitutionnelle, que j’avais eu l’honneur de porter ici même et au Sénat, au nom du Gouvernement. N’y avait-il pas de manière plus élégante de fêter cet anniversaire et de célébrer cette conquête démocratique majeure, à laquelle les Français sont particulièrement attachés ? Ne trouvez-vous pas scandaleux que la patrie des Lumières figure à une modeste dix-neuvième place sur vingt-sept dans l’Union européenne en termes de représentation politique des femmes ? Ne souhaitez-vous pas que la France redore son blason et fasse mieux que le Rwanda, l’Afrique du Sud et Cuba ? Ne voulez-vous pas, enfin, aider le Premier ministre, qui prétend que la gauche n’a plus le monopole du souci de la parité, à mettre en cohérence ses actes avec ses paroles ?

M. Alain Cacheux. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. La commission des lois n’a pas seulement introduit un deuxième tour de scrutin pour l’élection du conseiller territorial ; prolixe en amendements, elle a considérablement fait évoluer le projet de loi du Gouvernement.

Vous aviez expliqué en décembre 2008 que la clause de compétence générale constituait un frein à l’investissement et à la croissance, et c’est pour cela que vous l’aviez initialement supprimée pour les régions et les départements. Pourtant, la commission des lois l’a subrepticement réintroduite, de manière très encadrée, certes, puisqu’elle est limitée aux seuls domaines de compétence dont la loi n’a pas décidé l’attribution, et que des exceptions ne peuvent être consenties que pour le patrimoine, la création artistique et le sport.

Ne craignez-vous donc plus que l’investissement et la croissance soient bridées par cette clause de compétence générale ? Ou bien savez-vous – je crois que là est la véritable explication – que cette concession est vaine et ne sert qu’à calmer des élus en colère dans vos propres rangs ? Car la clause de compétence générale n’a d’intérêt et d’utilité que si les collectivités territoriales jouissent de la liberté d’action, de la capacité de choisir et surtout de l’autonomie fiscale nécessaires pour mener à bien des projets d’envergure.

Plusieurs députés du groupe SRC. Évidemment !

Mme Élisabeth Guigou. La commission des lois n’a malheureusement pu revenir sur votre réforme fiscale. Or c’est cette disposition, qui figurait dans la loi de finances pour 2010, qui aura des conséquences iniques : ce sont 11,8 milliards d’euros qui ne rentreront pas cette année dans les caisses des collectivités territoriales, 6 milliards qui manqueront ensuite chaque année à leurs ressources. Dans ces conditions, vous aviez beau jeu de maintenir en façade la compétence générale puisque, de toutes façons, les collectivités territoriales n’avaient plus les moyens financiers de l’exercer. Telle est la véritable signification de votre réforme.

Les collectivités territoriales vont perdre leur autonomie fiscale, constitutionnellement garantie, et ne bénéficieront plus du droit de lever l’impôt elles-mêmes, celui-ci étant compensé, d’ailleurs imparfaitement, par une contribution économique territoriale directement versée par l’État. C’est donc in fine le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales qui est remis en cause.

Les collectivités territoriales, orphelines de taxe professionnelle mais obligées d’assumer les missions que l’État ne veut plus ou ne peut plus assurer, devront trancher un dilemme cornélien. Deux solutions seulement s’offrent à elles pour compenser ce manque à gagner.

Ou bien le niveau des recettes budgétaires sera maintenu, mais dans ce cas les impôts locaux devront être augmentés et ce sont les ménages qui subiront de plein fouet une nouvelle attaque, un an et demi après le début de la crise économique d’une gravité inédite que nous connaissons et dont les conséquences sociales n’ont pas encore été mesurées dans toute leur ampleur.

Ou bien, alternative tout aussi grave, la qualité des services publics rendus à la population diminuera faute de ressources suffisantes pour entretenir les infrastructures et faire face aux dépenses obligatoires. Dois-je rappeler que les collectivités territoriales réalisent pourtant 73 % de l’investissement public, avec une dette dix fois moins importante que celle creusée par l’État ?

M. Alain Cacheux. Eh oui ! Il fallait le rappeler !

Mme Élisabeth Guigou. Ce n’est pas un hasard si tant de voix d’élus locaux se sont élevées contre votre réforme territoriale. Ce n’est pas un hasard si les maires se sont mobilisés pour manifester leur hostilité à ce projet. Ce n’est pas un hasard si nombre de présidents de conseils généraux de droite – Jean Arthuis, Philippe Adnot, Alain Lambert, Anne d’Ornano –, comme de gauche, ont alerté le Gouvernement sur la situation catastrophique de leurs finances. Ce n’est pas un hasard si sept présidents – dont deux sont membres de l’UMP – ont décidé de présenter une proposition de loi visant à réévaluer les compensations financières actuelles et futures de l’État en faveur des départements. Ce n’est pas un hasard si ces mêmes sept présidents, soutenus par la majorité de leurs collègues, ont menacé d’employer la manière forte en saisissant le Conseil constitutionnel pour atteinte au principe d’autonomie financière des collectivités territoriales. Les présidents de conseil général en ont assez d’être confinés dans le rôle de supplétifs d’un État impécunieux et irresponsable.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Je confirme !

Mme Élisabeth Guigou. En Haute-Loire, département présidé par Gérard Roche, membre de l’UMP, le budget d’investissement s’élève à 30 millions d’euros. Imaginez la surprise, puis la colère de M. Roche lorsque l’État lui a demandé d’investir à sa place 60 millions, deux fois son budget annuel, dans un chantier routier dont le financement aurait dû être assuré par l’État.

M. Alain Cacheux. Eh oui !

Mme Élisabeth Guigou. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, le conseil général a fait voter un budget qui fait figurer dans la colonne des recettes les fonds dus par l’État au titre de la compensation des prestations sociales mais non payés par lui, soit la modique somme de 75 millions d’euros.

M. Bernard Roman. C’est un scandale !

Mme Élisabeth Guigou. Dans tous les départements, l’établissement d’un budget en équilibre a été un casse-tête douloureux car il a consisté à choisir les postes de dépenses qui seraient victimes de coupes sévères ou à acter l’augmentation des impôts sur les ménages. Ainsi, dans le Gard, 22 millions d’euros du budget d’investissement ont été supprimés ; en Haute- Savoie – UMP –, les impôts ont augmenté de 9,6 % ; dans la Meuse – UMP –, les subventions aux associations sportives et culturelles ont baissé de 25 %. Une vingtaine de départements ont cette année équilibré leur budget au prix de décisions cruelles : pour compenser le dynamisme des dépenses sociales, qui augmentent chaque année de 4 % à 6 %, ils ont été obligés de sacrifier les dépenses consacrées aux compétences facultatives – sport, culture, investissement, rénovation des collèges –, autant de domaines qui touchent directement la vie des Français, autant de choix qui auront des conséquences mesurables sur le quotidien des citoyens, autant de décisions qui diminueront la qualité des services publics et des autres services rendus à la population. Les associations sportives et culturelles seront sacrifiées sur l’autel de la rigueur subie ; ignorez-vous, monsieur le ministre, le rôle qu’elles jouent en termes de construction du lien social, d’apaisement des tensions, d’ouverture à d’autres horizons pour les jeunes en difficulté ? Mesurez-vous les espoirs que ces structures suscitent, en particulier dans des départements défavorisés comme mon département de Seine-Saint-Denis ?

Cette année encore, l’association des départements de France estime à 5, 5 milliards les sommes dues par l’État aux conseils généraux. Les départements sont aujourd’hui les premières victimes du rouleau compresseur libéral qui cumule désengagement de l’État et asphyxie financière. Car tel est le paradoxe de votre politique : l’application des remèdes libéraux, avec une réduction drastique de la sphère publique et un désengagement de l’État de ses missions, y compris régaliennes, oblige les collectivités territoriales à le suppléer – par exemple en contribuant au financement des lignes à grande vitesse ou en délivrant des prestations sociales tels le RSA ou l’APA. Mais la recentralisation rampante, par la voie de la fin de l’autonomie fiscale, empêche déjà et empêchera à terme les collectivités de se substituer à l’État pour assurer un service public de qualité auprès des citoyens.

Malheureusement, les communes et les régions subiront, elles aussi, les conséquences dramatiques d’une stratégie de recentralisation qui ne dit pas son nom. Outre la réduction de la sphère publique, c’est le service public à la française qui est aujourd’hui menacé : face au désengagement de l’État, les collectivités territoriales ont su assumer ses missions, mais elles ne pourront plus désormais le faire.

Les grandes lois de décentralisation de 1982 étaient guidées par un principe très clair : l’absence de tutelle d’un niveau de collectivité sur un autre. Qu’implique ce principe ? Des assemblées et des élus distincts, pour des dossiers et des intérêts divers. Inutile de dire que le projet que vous nous soumettez, qui organise la confusion des fonctions, ne répond pas exactement à ce principe désormais consacré par la Constitution. Le Conseil Constitutionnel, en s’appuyant sur l’article 72 alinéa 3 de notre constitution, lequel impose que « coexistent de manière distincte deux assemblées qui ne sauraient être confondues », pourrait bien censurer votre réforme.

M. Alain Cacheux. On veut vous rendre service, monsieur le ministre !

Mme Élisabeth Guigou. Vous ne simplifiez pas. Au contraire, vous mélangez les rôles, les fonctions – celles des élus des conseils départementaux et des conseils régionaux. Vous allez exactement en sens contraire des objectifs que vous vous êtes assigné. Vous recentralisez au lieu de décentraliser ; et au lieu de miser sur la confiance entre l’État et les collectivités, vous stigmatisez ces dernières et les étranglez financièrement.

M. Jean-Pierre Grand. Chirac, reviens !

Mme Élisabeth Guigou. Ce constat, sévère j’en conviens, souffre une exception. En effet, nous prônons la rationalisation de l’organisation territoriale par la voie de l’achèvement de la carte intercommunale et, comme vous, nous souhaitons que soit fixée une date butoir avant laquelle l’ensemble des communes de France devront adhérer ou construire une intercommunalité. Vous avez, sur ce sujet, repris une proposition qui figurait dans le rapport Mauroy,…

M. Alain Cacheux. Excellent rapport !

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. Il n’était pas le seul à le faire !

Mme Élisabeth Guigou. …issu des travaux de la commission pour l’avenir de la décentralisation, et publié en 2000. Nous nous en réjouissons et nous souhaitons que les conseillers communautaires jouissent de la légitimité démocratique que confère le suffrage universel direct. Voilà, monsieur le Ministre, une nouvelle preuve que la gauche et la droite auraient pu se rejoindre dans le cadre d’une réforme consensuelle.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. Eh oui !

Mme Élisabeth Guigou. N’est-ce pas une nouvelle illustration qu’un accord eût été possible si vous aviez accepté de mener à bien consultations et concertations vraiment approfondies ? Vous n’avez pas daigné nous écouter. J’en suis navrée, à plus forte raison lorsque j’étudie vos propositions concernant la création des métropoles.

Nul bien sûr ne conteste l’urgence d’accompagner le fait urbain en France, de développer des villes capables de rivaliser avec les grands pôles européens. Le parti socialiste s’est prononcé de longue date en faveur d’un développement urbain harmonieux, respectueux des exigences du développement durable, socialement juste et capable de renforcer les pôles métropolitains. Mais votre conception des métropoles ne s’inscrit malheureusement pas dans cette philosophie : précisée par des amendements votés en commission des lois, elle se résume au contraire à une double erreur.

La première erreur, c’est la dilution des communes, qui, après un nouvel amendement adopté en commission des lois, perdent leur autonomie fiscale, et donc, à terme, risquent de disparaître. Je redis ici notre attachement aux communes, et j’exprime à nouveau un doute quant à la constitutionnalité d’une disposition : je ne suis pas persuadée que confier la levée de l’impôt à une structure qui n’est pas une collectivité de plein droit soit juridiquement acceptable.

M. Bernard Depierre. C’est surtout un scandale !

Mme Élisabeth Guigou. Seconde erreur : l’affaiblissement des régions, qui se verront départies de leurs compétences et attributions au profit des métropoles. Quel rôle aura la région si la métropole participe à la mise en œuvre des contrats de plan État-région ? Quel rôle pour la région si la métropole a la charge du développement économique, de l’aménagement du territoire, des questions relatives à la politique de la ville ? Alors que, dans l’Europe d’aujourd’hui, il est vital de renforcer les régions, vous décidez de les miner de l’intérieur et d’émietter notre organisation territoriale, au risque d’affaiblir encore davantage la compétitivité de nos territoires.

Confusion, dilution, complexification : vous transformez, hélas, le fameux mille-feuille en une pâtisserie lourde et indigeste. Alors qu’un consensus républicain aurait permis d’établir une réforme territoriale conforme aux intérêts des territoires et des citoyens, vous avez préféré orchestrer une régression inédite, à base d’inégalités sociales, de recentralisation et de reculs démocratiques. Vous tombez dans la facilité en multipliant contre nous les procès en immobilisme alors que nos propositions ont pourtant été publiées. Martine Aubry, Première secrétaire du parti socialiste, les avait exposées il y a plus d’un an devant la commission Balladur, et les a réitérées dans le cadre d’un entretien avec le Premier ministre.

Monsieur le ministre, je vous répète qu’une réforme fédératrice était possible, autour de trois principes cardinaux : solidarité, démocratie et égalité. Une autre réforme territoriale, fondée sur la confiance dans les élus locaux, dans ceux qui chaque jour dessinent l’avenir de leurs territoires, dans ceux qui, au quotidien, tissent un lien avec les citoyens, était possible. Je vais vous en donner les grandes lignes. Peut-être n’est-il pas trop tard pour que vous écoutiez, enfin, nos propositions.

La réduction des inégalités territoriales est pour nous un préalable à toute politique de justice sociale et fiscale. Inutile, me semble-t-il, de préciser que la loi de finances pour 2010, mère de la suppression de la taxe professionnelle non compensée par un impôt territorial équivalent, serait évidemment revue et corrigée. Votre projet fiscal réduit en effet à néant l’autonomie des collectivités territoriales en brisant la dynamique de leurs ressources. Ce que nous réclamons, c’est la création d’un véritable impôt économique, sur des bases justes socialement et efficaces économiquement.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Quelles bases ?

Mme Élisabeth Guigou. En effet, l’impôt sur les entreprises ne doit pas pénaliser l’investissement et l’innovation ; il doit permettre d’assurer un lien entre l’activité économique et les collectivités territoriales en donnant aux entreprises un rôle et une responsabilité dans l’avenir de nos territoires.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Je n’ai pas eu de réponse, madame Guigou !

Mme Élisabeth Guigou. Pour nous, l’impôt économique doit contribuer à la moitié au moins du financement des collectivités territoriales,…

M. François Sauvadet. Rien que ça !

Mme Élisabeth Guigou. …ce que n’assure pas la réforme que le Gouvernement a fait voter, bien au contraire. Quant à l’impôt sur les ménages, auquel vous ne touchez pas, il doit être entièrement refondé. Non seulement il faut enfin en réviser les bases, mais il faut également établir un lien avec le revenu des habitants. Il n’est en effet plus acceptable que la taxe d’habitation soit aujourd’hui plus élevée en Seine-Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine. L’impôt sur les ménages doit contribuer à la réduction des inégalités territoriales qui sont devenues insupportables, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural.

Fiscalement, l’égalité que nous prônons ne peut être atteinte que par une véritable péréquation, qui ne consiste pas en une simple incantation destinée à enduire de vernis social des réformes purement libérales. Le rapport Jamet, que M. le Premier ministre avait commandé, prône une solidarité horizontale entre territoires riches et pauvres ; il aurait fallu qu’il se penche aussi sur la solidarité verticale, mais il n’en dit, hélas, pas un mot. Or la responsabilité majeure dans la péréquation revient à l’État. C’est à lui de réaliser cette péréquation par des transferts vers les territoires les plus défavorisés, au lieu d’étrangler financièrement les collectivités locales. Je vous invite à lire l’appel lancé par M. Claude Dilain et par les maires de plusieurs dizaines de villes, de ces villes les plus pauvres, dans lequel il explique comment 30 % des communes parmi les plus défavorisées se partagent seulement 1 % des recettes fiscales alors que 10 % des communes les plus favorisées s’en partagent 30 %. Voilà la situation que non seulement vous consolidez, mais qu’encore vous aggravez avec votre réforme.

M. Alain Cacheux. Eh oui !

Mme Élisabeth Guigou. Il eût fallu, c’est au cœur de nos propositions, faire d’une véritable péréquation le préalable de toute réforme fiscale car les inégalités entre territoires constituent la mère et la matrice de toutes les autres. Nous avons donc proposé que l’État organise une véritable péréquation verticale en créant un fonds de solidarité et en y consacrant des ressources substantielles, afin évidemment de renverser les inégalités actuelles. Nous voulons, contrairement à vous, un État qui poursuive et accompagne la décentralisation alors qu’actuellement il est souvent redondant et ne remplit même pas ses compétences. Nous souhaitons un État qui remplisse ses missions régaliennes, qui joue son rôle de stratège dans les investissements d’avenir, qui exerce sa mission de cohésion et de solidarité sociales et territoriales.

Modernisation, simplification et clarification des compétences sont les maîtres-mots de notre réforme. En lieu et place du « mille-et-deux-feuille » mal ficelé que vous nous proposez, nous exigeons le maintien des trois niveaux constitutionnels de collectivités territoriales, qui existent partout ailleurs en Europe, et le maintien de leur clause de compétence générale, inséparable de leur autonomie fiscale. Bien sûr, il faut poursuivre la spécialisation déjà bien engagée entre les régions et les départements. Lorsqu’il s’agit de compétences partagées – que vous-même vous résignez à reconnaître inévitables –, au demeurant aujourd’hui minoritaires dans les interventions des collectivités territoriales, nous proposons de désigner des chefs de file pour coordonner les actions et les financements. C’est possible. Il eût suffi de le vouloir.

Enfin, notre réforme sera marquée par le sceau de l’exigence démocratique. Nous oeuvrerons, comme nous l’avons toujours fait, en faveur de la parité, que nous développerons et encouragerons dans toutes les catégories de collectivités. De plus, parce que la participation et l’intégration dans la vie de la cité doit aussi se traduire par l’octroi de droits civiques, nous accorderons le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non communautaires résidant en France depuis plus de cinq ans. L’approfondissement de la démocratie locale passe aussi par le renforcement et par la démocratisation des intercommunalités : seule l’élection au suffrage universel direct, sur la base d’un programme et d’un projet proposés par une équipe, permettra de conférer légitimité, reconnaissance et sens des responsabilités aux structures intercommunales.

M. François Sauvadet. C’est vous qui le dites !

Mme Élisabeth Guigou. Nous souhaitons donc un scrutin mixte qui ferait siéger, au sein du conseil communautaire, des conseillers élus au suffrage universel direct et des représentants des communes désignés par les maires. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.

Voilà, monsieur le ministre, les fondements de l’acte III de la décentralisation que nous mettrons en œuvre lorsque nous reviendrons aux responsabilités.

M. François Sauvadet. Ah, et ça simplifie !

Mme Élisabeth Guigou. J’ai esquissé des propositions, Monsieur Sauvadet, sans attendre que vous m’incitiez à le faire.

Il ne vous a sans doute pas échappé, monsieur le ministre, que si d’aventure votre texte était adopté par votre majorité et n’était pas censuré par le Conseil Constitutionnel, la première élection des conseillers territoriaux aurait lieu en 2014, soit deux ans après l’élection présidentielle de 2012.

Je confirme ici, solennellement, l’engagement pris par le parti socialiste : si la gauche arrive au pouvoir en 2012, elle supprimera le conseiller territorial et elle rétablira les conseillers départementaux et les conseillers régionaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

La gauche au pouvoir mettra en œuvre une véritable réforme territoriale…

M. Louis Giscard d’Estaing. Laquelle ?

Mme Élisabeth Guigou. …solidaire, juste, démocratique et égalitaire. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Bernard Roman. Vous nous remercierez !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le mardi 20 octobre 2009, jour où le Président de la République exposait à Saint-Dizier son projet de réforme des collectivités territoriales, restera dans notre histoire comme un jour noir pour la démocratie locale.

Depuis de nombreux mois, plane le spectre de changements radicaux, discutables et discutés, dans l’organisation administrative de notre pays.

Sous couvert d’une réduction des dépenses de l’État et d’une simplification du fonctionnement de nos institutions, le Gouvernement veut en réalité bouleverser en profondeur notre République, transformer les services publics locaux en services marchands, après avoir asséché les ressources financières de nos collectivités.

En réduisant de moitié le nombre des élus locaux, en regroupant au forceps nos collectivités territoriales, en supprimant la clause de compétence générale aux régions et aux départements, ce projet bouleverse l’architecture administrative de la France et entame gravement les marges de manœuvre de ses collectivités.

Nos territoires présentent de grandes disparités. Le département dans lequel je vis connaît de grandes difficultés sociales. Jusqu’alors, la clause de compétence générale l’autorisait à agir au-delà du champ de ses compétences obligatoires, et permettait encore d’apporter quelques réponses aux besoins des habitants, singulièrement des plus démunis.

Il permettait notamment de répondre – certes partiellement‚– à l’urgence sociale qui caractérise les quartiers dits sensibles. Il palliait ainsi pour une part les dramatiques conséquences économiques et sociales des politiques impulsées par l’État durant ces sept dernières années.

À compter de mars 2014, les mêmes élus siégeront à la fois au sein de l’assemblée régionale et de l’assemblée départementale. Cette fusion des fonctions de conseiller régional et de conseiller général anticipe la fusion projetée de ces deux assemblées. Elle entraînera la création d’un nouveau type d’élu : le conseiller territorial. Elle s’apparentera à une véritable institutionnalisation du cumul de mandats.

Quelle méconnaissance du rôle du conseiller général qui est et reste un interlocuteur essentiel des maires, des élus locaux et des populations ! Son nouveau territoire et sa charge de travail considérablement amplifiée l’amèneront peu à peu à abandonner sa proximité avec les habitants et les élus locaux qui les représentent.

Peu vous importe car vous voulez des élus techniciens, des professionnels déconnectés de la réalité sociale locale. Point n’est besoin d’élus pour faire ce travail, d’excellents fonctionnaires suffisent !

La notion et la pratique que nous avons de l’élu local – au conseil général et au conseil régional comme dans nos communes et nos agglomérations – ne sont pas celles d’un élu enfermé dans la seule préoccupation du gestionnaire, mais celles d’un animateur de la démocratie participative, d’un mobilisateur des énergies locales, mais aussi pour nous, élus communistes, d’un soutien irremplaçable à celles et ceux qui luttent et qui vivent, si vous me permettez cette référence à Victor Hugo.

Votre vision de l’élu est totalement régressive. Vous le réduisez volontiers à un distributeur d’enveloppes préremplies et prétimbrées par Bercy. Vous voulez transformer les élus de proximité en petits télégraphistes au service d’une politique que vous aurez déterminée au sommet de l’État, au plus près des milieux financiers, au plus loin des habitants des villes et villages de France.

Ce sera, ni plus ni moins, que le retour aux conseillers généraux du Second Empire ! Belle avancée démocratique !

Quant au mode électoral, tel qu’imaginé dans votre projet initial, il n’avait pour but que d’assécher la démocratie en tuant le pluralisme.

J’ajoute – mais vous le savez – que vous allez, dans le même mouvement, remettre les femmes à la place que vous voulez pour elles, c’est-à-dire hors de l’espace politique. Il est évident pour tous que seule la généralisation du scrutin proportionnel permet la vraie parité. D’ailleurs, c’est dans les assemblées élues avec ce système que les femmes sont désormais les plus présentes.

Vous prévoyez de réduire de moitié le nombre des élus locaux, le faisant passer de 6 000 à 3 000 dans cinq ans. Ce faisant, ce sont 3 000 foyers de démocratie que vous vous apprêtez à éteindre.

Au-delà de la réduction du nombre d’élus jugés trop coûteux, le Gouvernement justifie cette fusion annoncée de la région et du département par la volonté « d’éviter les actions concurrentes ou redondantes sur un même territoire. »

Or les financements croisés entre départements et régions, ici montrés du doigt, ne représentent que 10 % des financements globaux. Cet argument économique ne tient donc pas. Il ne sert qu’à masquer votre désir d’hégémonie politique et ses conséquences en termes d’austérité pour nos concitoyens.

Le nombre de fonctionnaires, jugé trop important par votre Gouvernement, est une excuse supplémentaire pour mieux réduire les moyens des collectivités et imposer l’idée d’une réforme favorisant notamment le recours au privé pour mener à bien les missions de service public.

Pourtant, pour ne prendre qu’un seul exemple, vous savez très bien que l’eau est moins chère là ou sa gestion est assurée par le service public. Cela vous est insupportable.

Plus de 30 000 postes ont été supprimés en 2009 dans la fonction publique d’État, essentiellement par le biais du non-remplacement des agents partant à la retraite. En 2010, environ 34 000 postes supplémentaires disparaîtront.

Seuls les effectifs de la fonction publique territoriale sont en augmentation constante à la suite d’un transfert croissant de compétences de l’État aux collectivités territoriales. En 2007, le nombre de salariés a augmenté de 86 000, en raison du mouvement d’intégration des personnels titulaires de l’État dans la fonction publique territoriale, mais aussi parce que les collectivités ont mené des politiques innovantes au service des populations, en s’appuyant sur de l’emploi public. Cela aussi vous est insupportable.

L’argument du déficit public est globalement irrecevable. Vous savez pertinemment que le budget des collectivités locales ne représente que 10 % du déficit public. Aussi le discours selon lequel, en ces temps où l’État manque de moyens, il faut réduire la dépense des collectivités territoriales est bien peu crédible.

La vérité c’est qu’après avoir grevé le budget de l’État pour répondre aux injonctions des milieux financiers et du MEDEF, vous avez besoin de faire les poches des collectivités locales.

M. Jean-Claude Sandrier. Exactement !

M. Michel Vaxès. Ces collectivités gèrent pourtant leur budget de façon responsable et rigoureuse pour une raison assez simple : elles sont légalement tenues de voter leur budget en équilibre, contrairement à l’État ou à la Sécurité sociale française.

Si l’on doit chercher des coupables au déficit de la France, la première piste à explorer n’est donc sans doute pas celle des collectivités territoriales, mais celle de vos orientations et décisions politiques.

Vous taisez l’essentiel : en un peu plus d’un quart de siècle, la productivité du travail a augmenté de 70 %, alors que sa rémunération sous formes de salaires ou de services publics a perdu 10 points quand celle du capital en a gagné autant.

Vous le savez mieux que quiconque, le FMI estime que la part des salaires dans le PIB a baissé de 5,8 % dans les pays du G7. Selon la Commission européenne, cette part a chuté de 8,6 % en Europe. En France, vous avez fait mieux puisqu’elle a baissé de 9,3 %. Dans le même temps, la part des dividendes dans la valeur ajoutée a quasiment triplé.

La vérité est dure à entendre ; elle n’en reste pas moins la vérité.

Qui a décidé pour les plus riches des allégements fiscaux invraisemblables en période de crise ? C’est vous !

Qui a décidé de rompre le lien entre l’entreprise et son territoire en attaquant de plein front la taxe professionnelle ? C’est vous !

Qui a décidé qu’il était urgent d’attendre pour réformer un impôt local qui désormais ne pèse quasiment plus que sur les ménages et qui, dans sa structure même, est profondément injuste ? C’est vous !

Mme Pascale Crozon. Eh oui !

M. Michel Vaxès. Qui, une fois de plus, n’a pas jugé important de créer un véritable statut de l’élu ? C’est vous !

Qui aurait pu profiter de cette réforme pour élargir le cercle de ceux qui ont leur mot à dire aux élections locales, en octroyant le droit de vote aux étrangers non communautaires qui payent l’impôt local comme n’importe lequel d’entre nous ?

M. Maurice Leroy. C’est nous !

M. Michel Vaxès. C’est encore et toujours vous !

Avec ses 36 000 communes, ses 26 régions et ses 100 départements, la France fait, dites-vous, figure d’exception en Europe. Tant mieux ! Cette exception est très positive puisqu’elle permet l’exercice d’une véritable démocratie locale et une identification efficace des problématiques et des enjeux locaux. La France doit être fière de son exception démocratique.

Cette particularité française – notamment l’échelon communal – est depuis longtemps critiquée. Dès 1971, la loi Marcellin visait la fusion et le regroupement des communes. Elle fut un échec total. Les Français sont attachés à l’échelon communal.

Si le Gouvernement a décidé d’abroger prochainement la loi Marcellin, c’est pour mieux étouffer la démocratie en projetant de créer des agglomérations considérablement élargies et une « commune nouvelle ».

La création de ces communes nouvelles reste en théorie une option, mais les incitations financières associées seront autant d’attraits puissants. Connaissant les difficultés budgétaires actuelles et à venir de nos collectivités, on comprend, qu’à terme, nombre de communes n’auront d’autres possibilités que d’accepter, contraintes et forcées, ce type de fusion.

Circonstance aggravante : la suppression de la compétence générale pour les départements et les régions aura des conséquences importantes pour les petites communes. En effet, les conseils régionaux et généraux jouent actuellement un rôle essentiel dans le financement de leurs équipements.

Si la réforme territoriale prévoit effectivement que les départements pourront continuer à cofinancer les projets des petites communes, ces dernières seront tout de même sommées d’assurer au moins 50 % de leur financement.

Il y a malheureusement fort à parier que de telles contraintes seront difficilement supportables pour beaucoup de communes. La technique présidentielle est simple : affamer pour mieux réformer.

M. Michel Ménard. Tout à fait !

M. Michel Vaxès. Certes les communes, telles que nous les connaissons depuis la Révolution française, ne disparaîtront pas sur le papier. Elles deviendront des communes déléguées au sein de cette commune nouvelle. Elles pourraient ne conserver, comme seule attribution, que la tenue des registres de l’état civil. Les pouvoirs du maire délégué et de ses conseillers communaux seront réduits à peau de chagrin. Cette réforme signe donc bel et bien la mort des communes actuelles.

M. François Sauvadet et M. Maurice Leroy. Mais non ! (« Mais si ! » sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Michel Vaxès. Si, et vous le savez bien ! Mais peut-être préparez-vous votre vote sur le texte…

Pour vous, cette réforme serait un nouveau souffle pour la décentralisation, vingt-cinq ans après sa mise en place ; mais il s’agit d’une conception de la décentralisation dont nous n’avons cessé de dénoncer les effets pervers car, si le noble objectif de ses initiateurs était de rapprocher les citoyens des centres de décisions, vous l’avez transformée en une gigantesque entreprise de désengagement de l’État, sur le dos des collectivités.

M. Michel Ménard. Eh oui ! C’est l’asphyxie des collectivités !

M. Michel Vaxès. La recherche d’économies reste, en fait, l’objectif inavoué d’une réforme que le Gouvernement considère comme historique. Se vantant de sonner le glas de tous les saupoudrages, gaspillages, corporatismes, clientélismes et conservatismes, votre majorité soutient en fait de façon inconditionnelle la baisse des recettes, donc des dépenses sociales des collectivités, des intercommunalités, des départements et des régions. Votre majorité se retrouvera bien seule dans cette entreprise car, n’en doutez pas, au plus profond de notre peuple, on trouve un tout autre écho.

En dépossédant communes, communautés d’agglomération, départements et régions de leurs moyens, de leurs attributions et de leurs pouvoirs, le Gouvernement a pour objectif de recentraliser la décision politique et économique au seul échelon de l’État. Plutôt que de décider directement de la suppression des départements et de la fusion des communes, ce qui aurait pu soulever une véritable fronde, vous avancez masqués en choisissant de vider ces entités de leur contenu pour mieux les faire disparaître à terme.

Vous n’aimez ni la dépense sociale, pourtant si utile, ni la démocratie qui en exprime l’exigence.

M. Maurice Leroy. C’est vous qui n’aimez pas la démocratie !

M. Michel Vaxès. Je comprends que vous défendiez ce texte bec et ongles, y compris avec le Nouveau Centre et contre les plus réticents de votre majorité. Mais dans un pays qui a toujours su dire « Non » aux reculs démocratiques, il n’échappera pas à notre peuple que votre réforme ne va pas dans le sens de l’histoire.

Alors que les populations veulent être associées plus et mieux à la décision publique, alors que la proximité devrait rester l’échelon de démocratie à préserver à tout prix, vous n’avez qu’un regard de froids technocrates ; alors que les élus locaux ont tant attendu et se sont tant battus pour acquérir leur autonomie, leur indépendance, vous voulez les cantonner à un rôle de spectateurs, en les privant des moyens de répondre aux besoins des populations qui leur ont leur accordé confiance.

Soyez assurés que nous ne serons pas dans le cortège qui accompagnera l’enterrement de la démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Leroy.

M. Maurice Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année dernière, le comité présidé par Édouard Balladur pour la réforme des collectivités territoriales remettait au Président de la République des recommandations précises, à la fois audacieuses et réalistes.

Audacieuses, ces propositions l’étaient si l’on en juge par la levée de boucliers qu’elles ont suscitée, réaction révélatrice des conservatismes de tous bords qui paralysent nombre de nos collectivités territoriales ; réalistes, elles l’étaient aussi parce qu’elles se tournaient vers une traduction directe en actes, et non vers l’enrichissement de la collection de multiples et brillants rapports que le sujet avait pu inspirer auparavant.

Comme l’écrivait Édouard Balladur en exergue de son rapport, « il est temps de décider ». Oui, mes chers collègues, il est grand temps de décider.

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Maurice Leroy. Nous sommes tous d’accord sur le constat : notre organisation territoriale est un imbroglio institutionnel aux logiques obscures, qui engendre des coûts inutiles, des lenteurs administratives et, au final, une inefficacité permanente. Nous aurons beau revoir toutes les politiques publiques, si dans le même temps les structures administratives ne sont pas réformées, l’effort sera vain.

L’impératif de la réforme tient à la nécessité d’en finir avec la superposition des structures, l’enchevêtrement des compétences et des financements croisés, bref, à la nécessité de clarifier la gouvernance, les attributions et le financement des collectivités territoriales.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Maurice Leroy. On ne peut en effet supporter plus longtemps un système où, par exemple, les intercommunalités et les conseils généraux empiètent constamment sur des domaines qui relèvent des régions, comme l’aménagement du territoire, le développement économique ou l’action culturelle.

Je tiens tout d’abord à souligner l’excellent travail réalisé par notre rapporteur de la commission des lois, Dominique Perben, pour définir un texte qui soit le plus équilibré possible. Globalement, tel qu’il ressort des travaux de notre commission des lois, mais aussi de la commission des finances – dont je salue le rapporteur, Philippe Vigier – et de la commission du développement durable, le texte permettra d’améliorer nettement l’organisation territoriale de notre pays, même s’il reste, reconnaissons-le, beaucoup de travail à accomplir. L’intercommunalité en sort démocratisée ; les structures territoriales existantes vont pouvoir se regrouper de façon volontaire ; les grandes métropoles urbaines vont être enfin dotées d’une gouvernance unifiée, ce à quoi, monsieur le rapporteur, vous avez largement contribué, au sein du comité Balladur comme de notre commission des lois. Par ailleurs, la coopération entre communes et intercommunalités va pouvoir légitimement se renforcer. Quant aux structures territoriales qui sont devenues objectivement moins utiles, elles voient leur importance se réduire, problème auquel il fallait avoir le courage de s’attaquer : je ne m’attarde pas sur ce point, car le président de notre groupe, François Sauvadet, l’a rappelé, et Michel Hunault aura le soin de le développer.

Je veux pour ma part aborder les deux aspects de la réforme territoriale qui me paraissent les plus importants : la répartition des compétences entre collectivités et la représentation territoriale. À travers ces deux aspects, j’aurai l’occasion de souligner les principes qui nous paraissent, à nous, élus du Nouveau Centre, devoir guider la réforme et en garantir le succès.

Le premier aspect est la redéfinition des compétences. Redéfinir les domaines d’intervention des collectivités les rendra en effet plus efficaces.

M. François Sauvadet. Oui !

M. Maurice Leroy. Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, les différents niveaux de collectivité interviennent chacun de son côté, le plus souvent sans se concerter sérieusement avec les autres.

La réforme conduira à rationaliser les structures autour de deux blocs : départements-régions d’une part, communes-intercommunalités de l’autre. Ainsi seront clarifiées les compétences entre régions et départements selon le principe de la complémentarité, la clause de compétence générale étant laissée aux communes et aux communautés de communes : Michel Vaxès doit être rassuré sur ce point. Il faut vraiment être très fort pour faire croire à une possible disparition des communes alors que celles-ci conservent la clause de compétence générale !

Avec cette clarification des compétences, l’esprit de décision prévaudra sur la culture de la négociation et la concurrence qui prédominent actuellement et compromettent l’efficacité des politiques territoriales. La réforme permettra la complémentarité des missions, lesquelles seront confiées aux mêmes femmes et hommes, décidant tantôt dans le cadre régional, tantôt au niveau départemental. Annoncer la « cantonalisation » de la région – ou l’inverse – n’a franchement pas grand sens. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Si, quand même !

M. Maurice Leroy. Je suis heureux d’avoir réveillé nos collègues socialistes ! (Sourires.) Cela n’a pas de sens, vous dis-je.

Sur la base de compétences redéfinies, les mêmes élus traiteront de questions différentes, et la cohérence d’ensemble des politiques territoriales y gagnera beaucoup, l’une et l’autre institution devenant chacune plus efficace, donc moins dépensière.

M. Philippe Duron. Nous en reparlerons !

M. Maurice Leroy. Bien sûr, mon cher collègue.

Mme Pascale Crozon. On fera les comptes après !

M. Maurice Leroy. Comment, en effet, douter que ces changements se traduiront par des économies d’échelle, économies indispensables au moment où l’argent public est devenu si rare ?

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis de la commission des finances . Très bien !

M. Maurice Leroy. Ne gâchons donc pas la chance historique qui nous est donnée de moderniser nos institutions. Intercommunalité, départements, régions, fiscalité locale : ne transformons pas ces chantiers essentiels pour la France en entreprises de défense de ce qu’il faut bien appeler des intérêts catégoriels. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Balligand. Vous jouez de la flûte, et même du pipeau !

M. Michel Ménard. On voit surtout que vous avez perdu toutes les régions !

M. Maurice Leroy. Tout cela va et vient, mon cher collègue : les alternances sont désormais la règle ; soyez donc prudent. Je veux surtout vous dire que nos collectivités ne sont pas des gâteaux qu’il faudrait partager avec le maximum de convives tout en préservant sa part. C’est à cause de ce genre d’attitude que nos concitoyens désespèrent parfois de leurs élus.

Ayons donc le courage de réformer notre organisation territoriale pour en faire un levier de dynamisme économique, de justice sociale et d’équilibre des territoires.

M. Jean-Pierre Balligand. Et vous êtes président de conseil général !

M. Maurice Leroy. Oui, monsieur Balligand ; et le président de conseil général que je suis a soutenu très activement le comité Balladur et la réforme qu’il proposait. Je n’ai jamais vu, je l’avoue humblement, un crocodile entrer dans une maroquinerie : je vous en donne acte. Mais je suis très favorable à cette réforme, et je suis sûr que, dans votre for intérieur, vous l’êtes aussi.

M. Jean-Pierre Balligand. Je ne vais pas tarder à détailler ma position.

M. Maurice Leroy. Je vous écouterai avec attention.

C’est ce que les Français, disais-je, attendent de nous : adapter nos territoires à la réalité en faisant notre propre révolution. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

Fort heureusement, on cumule encore un peu les mandats au parti socialiste,…

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Sans quoi ce serait la fronde au Sénat !

M. Maurice Leroy. …ce qui permet à certains élus de garder les pieds dans la glaise locale : le jour où l’on ne pourra plus cumuler un mandat national et un mandat local, nos débats, notamment en séance de nuit, deviendront bien sympathiques !

Mme Pascale Crozon. Vous entendre défendre ainsi le cumul des mandats, cela ne manque pas de piquant !

M. Maurice Leroy. Nous verrons ce qu’en diront vos collègues sénateurs ! Pour ma part j’assume mes positions : je suis favorable au cumul d’un mandat local et d’un mandat national ; la réforme Jospin me va très bien !

Dois-je vous rappeler, chère madame Crozon, que la compétence économique, pour ne parler que d’elle, est une compétence obligatoire des régions ?

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Eh oui ! C’est la loi de 2004.

M. Maurice Leroy. Il serait un peu dramatique que vous l’ignoriez : il s’agit, disais-je, d’une compétence obligatoire des régions mais aussi des intercommunalités, et d’une compétence possible des départements.

Mme Pascale Crozon. Et alors ?

M. Maurice Leroy. Il est dramatique que vous posiez cette question, car c’est précisément la raison de l’inefficacité constatée sur nos territoires : trop de guichets dédiés à la compétence économique – j’oubliais d’ailleurs les chambres consulaires et les sociétés d’économie mixte. Résultat : pour la compétence économique, on trouve jusqu’à sept guichets différents dans un seul département !

Mme Pascale Crozon. Qu’est-ce que cela justifie à vos yeux ?

M. Maurice Leroy. Libre à vous de trouver cette situation formidable ; pour ma part je soutiens la réforme.

Le deuxième aspect de celle-ci concerne cette innovation majeure que sont les conseillers territoriaux. Un seul vote, le même jour, permettra d’élire de nouveaux élus qui siégeront dans les départements et les régions. Les conséquences de cette réforme se mesureront en termes de légitimité politique, de cohésion et de lisibilité de l’action publique, et d’efficacité des politiques territoriales. C’est une réforme que nous avons toujours défendue à l’UDF, comme M. le ministre doit s’en souvenir.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. Toujours !

M. Maurice Leroy. Nous avons continué de le faire au Nouveau Centre. C’était l’une des principales idées que nous partagions lors de l’élection présidentielle.

Vous le constatez donc, nous sommes tout à fait cohérents, et nous continuons de défendre le conseiller territorial.

En premier lieu, contrairement à tout ce qu’on a prétendu ici, l’institution du conseiller territorial garantit et renforce un principe vital pour la démocratie : le lien entre l’élu et le territoire. Ce lien existe actuellement pour les conseillers généraux, même si le canton a perdu de sa pertinence et si les citoyens ne cernent pas toujours le rôle de ces élus, du fait notamment de l’enchevêtrement des compétences entre région et département. En revanche, un problème demeure jusqu’à présent indépassable : qui connaît ses élus au conseil régional ? Ce défaut de proximité est l’une des causes du désintérêt des Français pour l’institution régionale et de leur absentéisme récurrent lors des scrutins régionaux. Nous l’avons – hélas ! – encore constaté tout récemment, sur tous les bancs. Je me rappelle d’ailleurs avoir été interpellé par mes collègues socialistes ici même lorsque je prenais la parole, au nom du groupe Nouveau Centre, pour défendre le projet de concomitance des élections pour 2014. Souvenez-vous – cela figure au Journal officiel –, je disais que nous nous retrouverions, que nous verrions quel serait le taux de participation aux élections régionales, scrutin qui allait se tenir seul, et nous avons vu quel il fut, mes chers collègues ! Les choses sont donc claires.

M. Jean-Pierre Balligand. Comme si c’était la seule raison !

M. Maurice Leroy. Ce n’est sans doute pas la seule raison, mais c’est bel et bien une raison.

Les conseillers territoriaux seront plus connus, donc plus reconnus et plus légitimes.

La création d’une forme inédite de continuité territoriale et de cohésion des politiques conduites sera un autre apport de la réforme : le conseiller territorial, élu d’une circonscription électorale, délimité en partant des cantons actuels mais élargis, sera acteur des politiques publiques au plan départemental et régional. Cette nouvelle responsabilité apportera, de fait, un gage de cohésion de l’action publique puisque celle-ci sera exercée par les mêmes élus.

Cette plus grande unité de pilotage entre les échelons départemental et régional conduira tout naturellement à renforcer l’efficacité d’une action aujourd’hui compliquée par les négociations qu’impliquent les financements croisés et l’intervention d’élus différents et de services techniques souvent en concurrence ou en désaccord.

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Maurice Leroy. Le Nouveau Centre est donc très favorable à l’institution du conseiller territorial. J’ai personnellement été l’un des premiers présidents de conseil général à applaudir le rapport Balladur, et ce, dès le lendemain de sa remise au Président de la République. Le soutien du Nouveau Centre a donc été sans faille. C’est là une réforme majeure, qu’il est urgent de mettre en œuvre.

S’agissant du mode de scrutin, comme l’a rappelé le président de notre groupe, François Sauvadet, un accord politique entre le Gouvernement et le groupe centriste du Sénat avait été trouvé afin d’instaurer un système inédit, combinant scrutin majoritaire et représentation proportionnelle. Ce système est en effet le seul qui permette de garantir le lien avec le territoire, le pluralisme des opinions politiques représentées dans les assemblées délibérantes, l’équilibre entre zones urbaines et rurales et le respect de la parité entre hommes et femmes.

Ce sont là des principes essentiels pour le groupe du Nouveau Centre. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC. – Mme Pascale Crozon s’exclame.)

Or le Gouvernement est revenu sur cet accord en modifiant l’article 1 er A du projet de loi afin d’instaurer un scrutin uninominal à deux tours. Il semble bien que cela résulte des pressions du groupe UMP de l’Assemblée nationale, et j’en donne évidemment acte au Gouvernement. C’est sans doute dû à la fameuse « coproduction législative » !

Comme le président de notre groupe, François Sauvadet, l’a clairement exprimé, si cette position devait être maintenue, le groupe du Nouveau Centre se verrait contraint d’en tirer toutes les conséquences.

M. Michel Ménard. L’UMP tremble !

M. Maurice Leroy. Monsieur le ministre, nous vous appelons donc à en revenir à l’accord trouvé au Sénat, qui engage le Sénat entier. Seule la voie de l’instauration d’un mode de scrutin reposant sur les trois piliers du pluralisme, de la parité et de la représentation des territoires ruraux permet de garantir l’équilibre de la réforme.

M. Alain Cacheux. Vous n’avez jamais autant défendu la parité !

M. Maurice Leroy. En l’état, le texte serait rejeté par le groupe centriste du Sénat et, même si le Gouvernement réussissait à réunir une majorité, sa conformité à la Constitution au regard du principe constitutionnel selon lequel les lois doivent favoriser la parité suscite de sérieux doutes.

Or la parité est aujourd’hui assurée au niveau régional : le scrutin de liste permet d’atteindre un taux de féminisation des conseillers régionaux de 48,6 %, alors que celui des conseillers généraux n’est que de 12,4 %. Avec le seul scrutin uninominal, sans aucune dose de scrutin proportionnel, comment assurer que le principe de parité sera respecté chez les futurs conseillers territoriaux ?

Ce qui a été adopté par le Sénat – je dis bien par le Sénat, monsieur le ministre, pas seulement par les sénateurs centristes –, c’est un principe clair selon lequel les sources de légitimité sont : la représentation territoriale et l’expression du pluralisme politique, ainsi que la représentation démographique suivant un scrutin proportionnel. Je le répète, il s’agit d’un vote de l’ensemble du Sénat !

Dois-je rappeler, monsieur le ministre, que l’article 1 er de la Constitution dispose que la loi favorise non l’égalité des chances mais « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » ?

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Très bien !

M. Maurice Leroy. Or, à l’évidence, le nouveau texte gouvernemental qui nous est soumis ne favorisera pas l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller territorial. Il s’agit là, incontestablement, d’un recul sur lequel je ne doute pas que le Conseil Constitutionnel ait à se prononcer ! J’ajoute que l’article 4 alinéa 3 de la Constitution dispose que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Cet alinéa a été introduit par l’article 2 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Très bonne référence !

M. Maurice Leroy. Or, ici aussi, dès lors que le scrutin majoritaire devient la règle pour l’élection de tous les conseillers territoriaux, sans aucune exception, cette disposition constitutionnelle n’est plus respectée ! De même, bien entendu et pour les mêmes raisons, le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant le suffrage, énoncé aux articles 1 er et 3 de la Constitution, n’est pas respecté.

Je le dis très clairement à cette tribune : nous avons des désaccords avec le groupe socialiste, j’ai des désaccords avec Mme Guigou, mais les propos qu’elle vient de tenir devant vous, monsieur le ministre, à propos de la rupture d’égalité, sont tout à fait justes, tout à fait avérés. J’espère que le Conseil constitutionnel sera vigilant et se penchera sur la question. Je vous donne rendez-vous à ce propos.

Voilà pourquoi le Nouveau Centre souhaite que les opinions minoritaires aient le droit à une certaine représentation !

Notre proposition d’un scrutin mixte représentant les territoires et complété par une part compensatrice importante de proportionnelle est la seule qui respecte ces trois légitimités d’ordre constitutionnel : le regroupement territorial des électeurs ; le pluralisme des opinions ; la parité. Notre proposition a le mérite d’assurer la parité ainsi que la diversité et le pluralisme politiques, tout en favorisant la proximité. Selon nous, un bon mode de scrutin est un mode mixte qui permet de dégager des majorités, tout en assurant la représentation de toutes les sensibilités politiques.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Maurice Leroy. Une dose de proportionnelle, comme l’avait d’ailleurs initialement proposé le Gouvernement, monsieur le ministre, permet de corriger les excès du scrutin majoritaire en garantissant à nos concitoyens que leur vote sera entendu.

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Exactement !

M. Maurice Leroy. L’institution du conseiller territorial, réforme majeure, doit être vue comme une occasion historique de nous doter une organisation territoriale plus efficace et plus performante.

Au regard de cet enjeu, faire de la division par deux du nombre d’élus locaux l’argument majeur en faveur du texte me paraît relever soit de la démagogie soit de l’illusion, soit des deux à la fois. Si chercher à atteindre cet objectif purement symbolique doit aboutir à une sous-représentation du monde rural et des territoires ruraux, qui peinent déjà à se faire entendre, l’élu rural que je suis vous le dit sans détours : nous ne sommes pas d’accord !

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Philippe Vigier, rapporteur pour avis . Parfait !

M. Maurice Leroy. Je me réjouis de l’intervention efficace de Dominique Perben et du président Jean-Luc Warsmann, qui ont réussi à faire comprendre au Gouvernement que son amendement 670, déposé en commission et rejeté à l’unanimité – c’est assez rare pour être relevé et, en l’occurrence, je m’en réjouis personnellement – par la commission des lois, était inacceptable !

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. Peut-être faut-il remercier le Gouvernement d’avoir contribué à cette unanimité !

M. Maurice Leroy. Si le Nouveau Centre défend depuis très longtemps la création du conseiller territorial, c’est bel et bien parce que cela permettra aux départements et aux régions de sortir de l’ignorance réciproque dans laquelle ils se trouvent trop souvent. Raison de plus, comme l’a très bien dit le président Sauvadet, pour ne pas faire de la réduction pure et simple du nombre d’élus à 3 000 conseillers territoriaux l’alpha et l’oméga de cette réforme qui mérite beaucoup mieux !

Pour le Nouveau Centre, il est fondamental de revenir à l’essentiel de la réforme territoriale et de ne pas se tromper d’objectif.

Contrairement au syndicat corporatiste des présidents de conseils généraux et au non moins corporatiste syndicat des présidents de conseils régionaux, nous croyons en cette réforme et nous voulons qu’elle réussisse. Soyons donc à la hauteur des enjeux et soyons-le en nous fondant sur le consensus le plus large car notre intérêt commun réside dans la réforme, maintenant et en profondeur. Nos concitoyens l’attendent. C’est notre responsabilité d’élus nationaux et d’élus locaux de la promouvoir et d’œuvrer à son succès. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Tout d’abord, mes chers collèges, un grand bravo au Gouvernement qui a eu le courage de prendre à bras le corps le dossier de la réorganisation territoriale ! On en parle depuis la Libération, depuis cette époque où Michel Debré, dans La Mort de l’État républicain , préconisait une France à 47 départements, mais, jusqu’à présent, aucune majorité n’avait bougé et, une fois encore, c’est nous qui le faisons.

Un député SRC. La décentralisation, c’est vous ?

M. Michel Diefenbacher. La décentralisation n’avait pas touché aux structures territoriales.

Difficile en elle-même, impopulaire aux yeux de nombre d’élus, cette réforme est pourtant indispensable.

Près de 40 % d’abstention aux dernières élections municipales, près de 45 % d’abstention au deuxième tour des élections cantonales, 50 % d’abstention aux élections régionales de cette année, c’est à la fois inacceptable et dangereux. L’enjeu premier de cette réforme, c’est donc le renouveau de la démocratie locale.

Si je soutiens ce texte, monsieur le ministre, je formulerai toutefois deux observations.

La première porte sur l’obligation imposée à toutes les communes, sauf celles des départements de la petite couronne, d’intégrer une intercommunalité. Les mérites de l’intercommunalité, notamment la mutualisation, à la fois, des projets et des moyens, ne sont pas contestables. Pour autant, toutes les intercommunalités n’ont pas les mêmes vertus. Certaines sont bien gérées ; d’autres ne le sont pas. De même, les communes récalcitrantes ne sont pas toutes identiques. Certaines refusent d’entrer dans une intercommunalité parce qu’elles sont riches et ne veulent pas partager ; d’autres, moins riches, revendiquent simplement le droit d’exercer leur liberté et d’assumer pleinement leurs responsabilités.

Lorsqu’il s’agit d’élaborer un schéma départemental de la coopération intercommunale, il est normal de prévoir que ce document s’appliquera à l’ensemble du territoire, c’est-à-dire à toutes les communes, qu’elles soient ou non intégrées dans une intercommunalité. Mais lorsqu’il s’agira de mettre en œuvre ce schéma, il faudra faire preuve de beaucoup de discernement et de doigté.

N’oublions pas que l’un des objectifs de la réforme est la maîtrise des dépenses publiques et que les communes indépendantes ont bien peu de responsabilité dans la dérive des comptes publics. Il n’en va pas toujours de même pour les intercommunalités qui, depuis une quinzaine d’années, ont une part non négligeable de responsabilité dans l’inflation des effectifs de la fonction publique territoriale et dans l’explosion de la fiscalité locale. Outre qu’elle serait peu respectueuse des libertés locales, une marche forcée vers l’intercommunalité ne garantirait pas en elle-même l’amélioration de la gestion locale.

Ma seconde observation concerne la limitation du cumul des mandats.

Si je souhaite évoquer ce point dès maintenant, c’est parce que la création des conseillers territoriaux va à cet égard soulever une question de principe.

Mme Pascale Crozon. Absolument !

M. Michel Diefenbacher. La limitation du cumul, les Français y sont plutôt favorables…

M. Alain Cacheux. Largement !

M. Michel Diefenbacher. …les élus, eux, sont plutôt réservés. Il va falloir trancher et, s’agissant des conseillers territoriaux, c’est une décision de principe qu’il nous faudra prendre.

Aujourd’hui, quand un même élu siège dans un conseil général et un conseil régional, il exerce deux mandats différents et ne peut pas les cumuler avec un troisième. Demain, devenu conseiller territorial, le même élu exercera exactement les mêmes fonctions, mais il le fera dans le cadre d’un mandat unique. Dès lors, la question se pose de savoir s’il pourra cumuler ce mandat avec un autre mandat de parlementaire ou d’élu municipal.

Mme Pascale Crozon. Il le pourra !

M. Alain Cacheux. Et il aura trop de travail !

M. Michel Diefenbacher. Si nous acceptons, ce sera objectivement un pas en arrière dans le processus de limitation des cumuls. Jusqu’ici, cela n’avait jamais été fait. Ce serait donc une grande première.

Si, au contraire, nous refusons ce cumul, il nous faudra revoir les règles applicables aux conseillers municipaux, car il serait indéfendable que ceux-ci puissent cumuler leur mandat avec un mandat parlementaire ou de conseiller communautaire, alors que les conseillers territoriaux ne pourraient, quant à eux, exercer aucun autre mandat.

La création du conseiller territorial nous conduira donc à un choix de principe : il nous faudra soit accélérer soit inverser le processus, jusqu’ici linéaire, qui paraissait devoir nous rapprocher très progressivement du mandat unique.

Dossier difficile, réforme nécessaire, disais-je tout à l’heure. Il fallait au Gouvernement du courage pour s’y engager. Il en faudra à présent aux parlementaires pour trancher les questions qui s’y attachent. Je souhaite, mes chers collègues, que nous n’en manquions pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de ne pas répéter ce qui a été si bien dit, notamment par mes collègues socialistes.

Le ministre et le secrétaire d’État ont rappelé les acquis positifs de la décentralisation. Puis, certains se sont escrimés à reprendre la question de la décentralisation sans toujours préciser que, malgré le rapport Guichard, malgré quelques avancées faites depuis trente ans par certains gouvernements de droite, le socle, l’idée, le concept de décentralisation, nous le devons à la gauche. En outre, lorsque le gouvernement de Pierre Mauroy a mis en place la décentralisation en 1982 avec, dans le texte, un article 1 er   précisant qu’il était mis fin à la tutelle des préfets sur les collectivités locales, la droite a voté contre.

Il faut rappeler que la décentralisation a été faite par la gauche. Si je le dis, ce n’est pas un hasard, car je pense qu’aujourd’hui, elle est menacée. On pourrait se demander d’ailleurs – puisqu’on évoque le bilan des collectivités locales, en s’inquiétant quelque peu de leurs supposées dérives‚–ce que serait la France sans la décentralisation.

Dès lors qu’on dit que les collectivités locales génèrent 75 % de l’investissement public, force est de se retourner sur vingt, vingt-cinq ou trente ans d’investissement public dans nos communes, nos intercommunalités, nos départements et nos régions. Comment ne pas se demander quel serait l’état des lycées et des collèges si l’État avait continué à les gérer, comme il l’avait fait en construisant sur l’ensemble du territoire national, pour répondre à la demande, des collèges et des lycées Pailleron que nous avons dû démolir les uns après les autres pour construire des lycées accueillants et sûrs ?

M. Alain Cacheux. Cela n’a plus rien à voir !

M. Bernard Roman. Comment ne pas ne pas se demander ce que seraient devenues les infrastructures, et notamment les routes ? Et d’ailleurs la question revient avec le transfert aux départements, il y a deux ans, d’un certain nombre de routes nationales que l’État n’est plus en mesure d’entretenir. N’oublions pas le rail, le train, les TER, et toutes ces demandes de contractualisation, que l’État qui, par votre voix, monsieur le ministre, nous reproche de trop dépenser aujourd’hui, nous demande de cofinancer avec lui.

M. Alain Cacheux. Largement !

M. Bernard Roman. Ce sont, par exemple, 200 millions d’euros que l’État demande à la région Nord-Pas-de-Calais pour cofinancer le canal Seine-Nord. Ces 200 millions s’ajoutent à 1,6 milliard d’euros qui sont demandés à l’ensemble des collectivités locales traversées par ce canal.

Il n’est pas sérieux, monsieur le ministre, de dire que nous dépensons trop, que nos dépenses évoluent plus vite que le niveau des dépenses nationales, et de nous demander dans le même temps de financer avec l’État le plan Campus, les campus internationaux, le canal Seine-Nord et les infrastructures parce que l’État ne veut plus en faire davantage... Après de telles demandes, ne reprochez pas aux collectivités locales le fait que leurs dépenses, hors transferts, évoluent de 3,1 % par an ! Car c’est vrai, les dépenses des collectivités locales, ces dix dernières années, hors transferts, ont augmenté de 3,1 % par an. Cela figure dans votre rapport, monsieur Perben.

Mais, au-delà de ce que l’État nous demande de financer, au-delà du financement des commissariats par la région Ile-de-France parce que l’État ne peut pas les construire – je me ferai un plaisir de le rappeler au cours du débat si le ministre de l’intérieur nous rejoint‚–, lorsque nous finançons des équipements, des crèches, par exemple, ou des théâtres, des écoles, il faut financer leur construction, mais il faut ensuite les faire fonctionner. Cela s’appelle le service public local. Je rappelle que le paquet fiscal coûte 15 milliards d’euros par an. Aussi, s’il y a, dans ce gouvernement, des ministres qui estiment qu’une augmentation annuelle de 3,1 % sur les 100 milliards de dépenses des collectivités locales, c’est trop pour le service public local, il faut qu’ils le disent devant les Français ! Est-ce trop pour faire vivre des crèches et accueillir la petite enfance, créer des spectacles, de l’art, apporter à nos concitoyens ce que les pouvoirs publics peuvent leur apporter ? Eh bien non, ce n’est pas trop ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vive la décentralisation, vivent ceux qui l’ont mise en œuvre, mais attention à ceux qui la menacent aujourd’hui ! Car, sans le dire, vous engagez une entreprise de démolition, une mise à mort de la décentralisation, un retour des préfets et de l’ordre d’État : là où nous avions supprimé la tutelle, vous êtes en train de faire revenir les préfets.

Vous avez commencé par l’étranglement financier. Je l’ai évoqué tout à l’heure au sujet des régions : les vingt-deux régions métropolitaines ne disposent, pour financer leur budget à partir de cette année, que de 5, 6 ou 7 % de ressources fiscales, avec la modulation de la TIPP, accordée par Bruxelles il y a quatre ans, c’est-à-dire un peu plus d’un centime par litre d’essence ou de gazole vendu sur le territoire, et la taxe sur les cartes grises. Plus de taxe professionnelle ! Elle s’est envolée avec, au passage, 13 milliards de cadeaux aux entreprises, dont nous n’avons eu aucun retour. Plus de taxe foncière : à travers un débat sénatorial, elle est passée de la région aux autres collectivités locales. Et l’on nous parle de régions responsables qui auraient une capacité à agir, alors que vous leur avez enlevé toute leur capacité d’autonomie fiscale ! C’est, là encore, une façon de tuer la décentralisation.

Vous continuez à mettre en cause la décentralisation par ce texte qui ne répond en rien aux objectifs initiaux. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, qu’il s’agissait de clarifier, de simplifier et d’économiser. Vous nous avez parlé de ce millefeuille auquel les Français ne comprennent rien, de son manque de cohérence. Or nous partons de cinq niveaux : les communes, les intercommunalités, les départements, les régions, l’État. Avec ce texte, si par malheur, il était voté par le Parlement, nous arriverions à huit niveaux : les communes, les communes nouvelles, les intercommunalités, les métropoles, les pôles métropolitains, les départements, les régions et l’État... La « simplification » du millefeuille que nous propose le Gouvernement consiste à passer de cinq à huit niveaux ! Voilà qui favorisera à coup sûr la compréhension et l’appropriation du système par les citoyens… C’est la mise à mort de la décentralisation, et d’abord celle des régions, contrairement à ce que je peux lire ici ou là. L’un d’entre vous contestait la cantonalisation des régions. Or c’est exactement ce à quoi nous allons assister.

M. Alain Cacheux. C’est vrai !

M. Bernard Roman. Vous proposez, dans l’amendement qui nous a été présenté ce matin, de créer environ 3 400 conseillers territoriaux, au lieu des 3 900 conseillers généraux qui existent aujourd’hui. M. Marleix ne sera pas très content, puisque son découpage ne va consister qu’à créer 500 cantons supplémentaires, en sus des 3 400 qui existent déjà ! Cela veut dire que ceux qui seront les conseillers territoriaux de demain sont pour l’essentiel les conseillers généraux d’aujourd’hui. Vous aurez donc des assemblées régionales qui fonctionneront avec des hommes et des femmes – surtout des hommes, d’ailleurs, pour 85 % d’entre eux – qui sont aujourd’hui conseillers généraux, certains depuis longtemps, à qui vous demanderez d’être, outre les conseillers généraux qu’ils sont déjà, des conseillers régionaux, dans une optique tout à fait différente, avec des compétences également très différentes.

Au lieu de conforter l’un des pôles essentiels, celui des régions, à côté de celui des intercommunalités et des métropoles, vous êtes en train de tuer l’idée même de la décentralisation et de recentraliser. Vous avez commencé avec les financements, vous poursuivez avec le retour des préfets.

Je conclurai sur le mode de scrutin que vous nous proposez et avec votre amendement surprise, arrivé en commission au titre de l’article 88, portant sur la répartition des sièges, département par département, à travers la France.

La rupture du principe d’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives, que Mme Guigou et M. Derosier ont parfaitement explicitée devant vous, justifiera le recours que nous déposerons devant le Conseil constitutionnel, au moins sur cette partie du texte. Si le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer à propos de la modification du mode de scrutin sénatorial en 2003, il ne s’agissait que d’une toute petite modification : il s’agissait de faire passer le seuil de la proportionnelle de 4 à 3 dans les départements où l’on élisait les sénateurs.

Aujourd’hui, il s’agit d’une nouvelle loi comportant une disposition qui défavorise l’égal accès aux fonctions électives. Il ne s’agit pas de l’adaptation d’un dispositif existant, mais d’une loi globale qui va totalement à l’encontre d’une disposition constitutionnelle que nous avons voulue il y a onze ans, en 1999, comme l’a rappelé tout à l’heure Élisabeth Guigou.

Outre la parité, un autre principe est mis à mal par ce texte, c’est le principe d’égalité. Le Nord-Pas-de-Calais par exemple aurait des représentants au nombre de 136, pour une population de 4 millions d’habitants, tandis que la région presque voisine de Champagne-Ardenne compterait 138 conseillers, pour 1,3 million d’habitants.

M. Alain Cacheux. Eh oui !

M. Bernard Roman. Cela signifie qu’en Champagne-Ardenne, 10 000 habitants valent, méritent un conseiller territorial, tandis que dans le Nord, il faut 35 000 habitants pour valoir un conseiller territorial. C’est une drôle de conception du principe d’égalité.

Vous me rétorquerez que le principe d’égalité se juge région par région, comme c’est un peu le cas aujourd’hui puisqu’il y a des différences de ratio d’une région à l’autre. Mais je réfute cet argument parce que, aux articles 12 et 13, vous proposez aussi la fusion des régions. Si vous fusionnez des régions sur des principes d’inégalité de représentation…

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. On refait tout !

M. Bernard Roman. Non, vous ne refaites pas tout, monsieur le ministre, ou alors, il faudrait l’écrire dans le texte. Mais pour tout refaire, il faudrait revenir devant l’Assemblée, pour qu’elle reprécise les choses. Or votre texte prévoit que c’est un décret en Conseil d’État qui validera le dispositif.

Je poursuis, pour le Conseil constitutionnel qui examinera notre recours : si le Nord-Pas-de-Calais veut faire une fusion avec la région Picardie, il y aura 248 conseillers pour 5,8 millions d’habitants, dont la moitié représenteront 18 000 habitants chacun, pour la région Picardie, tandis que les autres représenteront 35 000 habitants chacun, pour la région Nord-Pas-de-Calais. On est dans l’inconstitutionnalité la plus totale !

Je suis au regret de vous dire que vous devrez revoir cette copie.

M. Alain Cacheux. Il ne faut pas le regretter.

M. Bernard Roman. Pour permettre la représentation des diversités, pour permettre l’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions et aux mandats et pour permettre que le principe d’égalité, qui est un principe essentiel de la République française surtout quand elle est décentralisée, soit respecté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Cacheux. Le ministre est KO debout !

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. Votre remarque sur l’égalité ne tient pas la route !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je reconnais bien volontiers que le Gouvernement, dans ce débat qu’il conduit depuis plusieurs mois sur la réforme des collectivités territoriales, fait preuve d’une certaine habileté, pour ne pas dire d’une habileté certaine, pour banaliser les enjeux de la réforme et pour en minimiser les conséquences, que je considère comme gravissimes pour l’avenir même de la République. L’habileté consiste à tenter de faire apparaître cette réforme comme une évolution naturelle, sous réserve de simplification et de clarification. Cet exercice, le Gouvernement le mène, il faut bien le dire, au prix d’un flou artistique, d’une confusion…

M. Alain Cacheux. De contorsions !

M. Marc Dolez. …d’ambiguïtés délibérément et savamment entretenues, au point de laisser croire à certains que, sur le sujet, sa position n’est pas tout à fait claire et pas encore totalement tranchée, ce que, pour ma part, je ne crois pas.

La logique eût voulu que le débat sur la réforme des collectivités territoriales vienne après un débat sur la répartition des compétences. Ce n’est pas le cas. Je dirais même que le débat que nous avons aujourd’hui aurait dû être, de mon point de vue, précédé d’un bilan précis de près de trente années de décentralisation. Il faut en effet clarifier la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, mais aussi les compétences de l’État : il faut redéfinir ce que doivent être la place et le rôle de l’État, place et rôle qui n’ont cessé de diminuer toutes ces dernières années.

L’objectif de la réforme est clair et sa philosophie se trouvait déjà dans le rapport Balladur : ce rapport concluait au regroupement des communes pour en réduire le nombre, et, sinon à la disparition des départements – comme l’envisageait clairement le rapport Attali‚–, au moins à leur évaporation, ainsi qu’au regroupement, à la fusion des régions.

Votre réforme ne pouvait pas reprendre directement toutes les préconisations du rapport Balladur, d’abord, parce que, si vous l’aviez fait, vous auriez provoqué, je crois, des réactions très vives, encore plus vives que celles suscitées par votre projet, ensuite parce que vous n’auriez pas pu faire l’économie d’une révision de la Constitution.

Vous avez choisi une voie plus subtile, plus insidieuse aussi : on ne supprime pas formellement de collectivités, on ne crée pas formellement de collectivités, mais c’est bien une nouvelle architecture qui se profile, dans laquelle vont se côtoyer nos collectivités actuelles, appelées, je crois, à disparaître à terme, et de nouvelles institutions, de nouvelles entités, les communes nouvelles, les métropoles, sous couvert d’intercommunalité et d’interterritorialité.

Cette nouvelle architecture entraînera un bouleversement de notre paysage administratif, un bouleversement permis, il faut bien le dire, par la liberté que prend ce texte avec la distinction, classique pourtant, entre une collectivité territoriale et un établissement public de coopération intercommunale : la collectivité locale est normalement caractérisée par la clause de compétence générale, corollaire de la libre administration, alors que l’établissement public est caractérisé par le principe de la spécialité.

Nous en avons d’ailleurs un bel exemple avec la création des métropoles : le rapporteur de la commission des lois écrit dans son rapport que la métropole, qui ressemble à une collectivité territoriale mais qui n’en est pas une, représente un saut qualitatif par rapport à l’établissement public de coopération intercommunale.

Je me contenterai de deux séries de remarques qui touchent véritablement, je crois, au fond de la réforme et aux principes qui sont en cause.

D’abord, j’ai la conviction que ce texte porte atteinte aux principes mêmes de la République. Il porte en effet en lui la suppression, à terme, des communes et des départements, deux créations héritées de la révolution française. Depuis la Révolution française, le lien commune-département est indissociable de la République une et indivisible et cette logique, on la retrouve dans la création des communes nouvelles à l’article 8, une création qui s’inspire de la réduction autoritaire des communes qui est intervenue dans d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Belgique, des communes qui, avec le texte tel qu’il est sorti de la commission des lois, pourront disparaître sans le consentement ni de leur conseil municipal ni de leur population.

Nous avons, là, la remise en cause, comme le montrait parfaitement tout à l’heure Michel Vaxès, de la spécificité française de nos 36 000 communes et du réseau de 500 000 élus locaux qui en découle.

M. Alain Cacheux. Tout à fait !

M. Marc Dolez. Cela fait maintenant très longtemps, il est vrai, plusieurs décennies, que cette spécificité française est remise en cause. La réponse à l’émiettement communal, c’est une intercommunalité de projet, le nombre de communes dans notre pays restant, je crois, une richesse incomparable pour la démocratie locale.

M. Michel Hunault. Personne n’a dit le contraire !

M. Marc Dolez. Et puis la suppression à terme des communes et des départements, c’est aussi la logique qui préside à la création des métropoles, à l’article 5. vous l’avez vous-même rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur, le statut de métropole va entraîner une extension des compétences et une plus grande intégration financière. Les métropoles, sont à l’évidence, avec la création des conseillers territoriaux, le point nodal de la réforme. Les métropoles vont porter, je pense, un coup sévère aux communes et aux départements.

D’abord, aux communes qui vont perdre leur autonomie fiscale et je reprends volontiers à mon compte l’expression utilisée par l’Association des maires de France qui craint une « vassalisation » des communes.

Ensuite, aux départements, qui, lorsqu’ils compteront une métropole sur leur périmètre, devront se contenter de gérer ce qui ne sera pas géré par la métropole. En clair, ils géreront des territoires pauvres et étendus sans disposer des moyens financiers qui auront été captés par la métropole. On assistera, je le crois, à un renforcement des inégalités, et à l’opposition entre les territoires urbains et les territoires ruraux.

La réforme qui nous est proposée menace aussi, à terme, l’unité de la République et je m’appuie là sur l’article 13 bis du texte qui ouvre la voie à la création de nouvelles collectivités issues d’une fusion entre une région et les départements qui la composent, une collectivité qui, à l’instar de ce qui est déjà possible pour l’outre-mer, pourrait prendre la forme d’une collectivité à statut particulier. Je crois que c’est la voie ouverte à la mise en concurrence des territoires, qui creusera encore un peu plus les inégalités entre eux.

Enfin, je pense qu’on ne peut pas comprendre la signification du texte que vous nous proposez aujourd’hui sans le mettre en parallèle avec la réforme de l’État déjà engagée avec la RGPP. Ces deux réformes que vous nous proposez aujourd’hui, celle de l’État et cette réforme territoriale, portent en germe la remise en cause du principe fondamental d’égalité républicaine, et détruisent à l’arrivée l’égalité des citoyens devant l’impôt et devant les services publics. Le double affaiblissement de l’État déconcentré et des collectivités territoriales aura notamment pour conséquence de réduire les services publics, qu’ils relèvent de l’État ou des collectivités territoriales.

M. Alain Cacheux. C’est un réquisitoire !

M. Marc Dolez. Dans le même temps, ce double affaiblissement ouvrira largement le champ au secteur privé pour occuper les espaces abandonnés par la responsabilité publique, comme mon collègue André Chassaigne l’a parfaitement indiqué cet après-midi. C’est pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que les députés communistes, républicains et du parti de gauche sont résolument opposés à ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. À cette heure tardive de la nuit, je voudrais, monsieur le ministre, vous apporter mon soutien dans cette réforme.

J’ai écouté très attentivement les différents orateurs qui se sont succédés à cette tribune, et je les ai entendus, tel notre collègue à l’instant même, dire que votre texte mettait en cause l’unité de la République et l’égalité des citoyens devant les services publics. Je crois que l’opposition a été d’une très grande sévérité à l’égard de ce projet de loi.

M. Alain Cacheux. Sévères, mais justes.

M. Marc Dolez. L’histoire nous départagera.

M. Michel Hunault. Il faut remettre ce texte en perspective. Nos collègues ont posé des questions qui étaient tout à fait légitimes. Mais le travail du rapporteur, que je souhaite saluer ainsi que celui des députés de la majorité qui sont aussi attachés que vous à certains principes, et la capacité d’écoute du Gouvernement ont permis d’apporter un certain nombre de modifications au texte initial.

La décentralisation a été positive pour notre pays. On doit aux régions, aux départements, à l’intercommunalité, un certain nombre d’équipements et de services qui ont été rendus à nos concitoyens et qui n’auraient pas existé sans cette décentralisation. Que souhaitent le Gouvernement et la majorité parlementaire ? Remettre un peu d’ordre dans une intercommunalité dans laquelle, à l’heure où nous parlons, la superposition de collectivités sur des politiques crée un enchevêtrement, une illisibilité, une inefficacité, et bien souvent, un surcoût. Il est bon que dans cette vaste réforme de la décentralisation, nous ayons la possibilité par ce texte de rationaliser le rôle de chacune des collectivités territoriales, et de les rendre plus efficaces.

Je souhaite rendre hommage à l’ensemble des élus, et particulièrement à ceux qui ne sont pas forcément concernés au premier chef par notre réforme, ceux qui se dévouent au service de leurs concitoyens dans les conseils municipaux des trente-six mille communes, avec peu de moyens. L’intérêt de cette réforme, c’est de conforter l’intercommunalité qui a permis à la fois de mutualiser et d’accroître les moyens de ces communes.

Monsieur le ministre, votre projet met aussi de l’ordre dans le rôle des régions et des départements. J’ai entendu nos collègues tout à l’heure. Que n’auraient-ils dit si nous avions envisagé de supprimer un échelon ! Tous les échelons sont maintenus. Mais une spécificité est donnée à chacun d’entre eux. Enfin, lorsque l’on voit ces situations quelque peu ubuesques où, pour une même inauguration, sept financeurs viennent avec sept paires de ciseaux couper le ruban d’une même réalisation, je crois que l’intérêt de cette réforme est aussi de rappeler le rôle de chacune des collectivités territoriales concernées.

Monsieur le ministre, vous le savez car vous êtes issu de la famille centriste, mon groupe politique a émis des réserves sur l’élection des conseillers territoriaux. Je voudrais vous demander de faire en sorte qu’il y ait une représentation du monde rural. Vous avez déjà rassuré les députés de la majorité en commission et au travers d’un certain nombre d’expressions publiques en disant que cette préoccupation était partagée par le Gouvernement.

Tout à l’heure, j’ai entendu des réserves sur le lien entre nos concitoyens et le conseiller territorial. Là encore, vous apportez une réponse très concrète au fait qu’aujourd’hui le scrutin de liste régional fait que l’électeur ne connaît pas, même au bout de six ans de mandat, son conseiller régional. Le conseiller territorial sera attaché à un territoire, ce sera un lien entre la population, son territoire, et l’assemblée au sein duquel il siégera.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je souhaite vous apporter notre soutien. Il demeure néanmoins des interrogations tout à fait légitimes, notamment concernant les moyens donnés aux petites communes. Sur ce point, je voudrais à nouveau remercier le rapporteur, puisque ce sont les députés qui ont demandé au Gouvernement d’améliorer son texte, et que vous permettez aujourd’hui aux communes de moins de trois mille cinq cent habitants, soit quatre-vingt dix pour cent des communes rurales, de faire jouer la clause de compétence générale. On pourra donc solliciter les départements et les régions pour obtenir des subventions pour des équipements culturels et sportifs. Combien de fois avons-nous entendu avant les élections régionales que toute cette aide ne serait plus possible ? Il y a une amélioration sensible, et les craintes qui étaient légitimes ont obtenu une réponse favorable grâce à votre qualité d’écoute.

Nous aborderons dans quelques heures l’examen des articles, nous proposerons un certain nombre d’amendements pour essayer d’améliorer encore le fonctionnement de nos collectivités territoriales, mais le danger qui nous guette serait de ne rien faire. Nous sommes engagés dans une vaste réforme des collectivités et plus globalement de l’État. Nous sommes là au seul service de nos concitoyens, les collectivités territoriales n’appartiennent à personne, et nous devons soutenir cette réforme.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. C'est désormais chose faite, des élections auront lieu en 2014 pour élire les futurs conseillers territoriaux. La question qui se pose à nous aujourd'hui est d'envergure : des conseillers territoriaux pour quoi faire ?

Depuis 1982, la France s'est lancée dans une démarche de décentralisation, avec la ferme volonté de répondre au mieux, au plus près et avec succès, aux préoccupations des Français.

Or, le projet de réforme des collectivités territoriales est mal inspiré parce qu'il ne simplifiera ni ne clarifiera quoi que ce soit. Il pousse à la fusion-absorption de l'échelon de proximité par un autre échelon plus vaste en superficie ou plus important en nombre d'habitants. Mais pour économiser combien ? Et être plus efficace en quoi ?

La réforme est censée apporter lisibilité et simplification de l'organisation territoriale et des finances locales pour plus d'efficacité et d'économies par la limitation des financements croisés, la réduction du nombre d'élus et de collectivités.

En ce qui concerne la lisibilité et la simplification, il suffit de lire le projet de loi pour comprendre. Ce dernier est encombré de détails réglementaires, saucissonné en tranches sans liens entre les finances, les compétences et l'organisation. Il répond à des problématiques opposées. Il y a donc de quoi douter.

Vient ensuite l'efficacité. Les collectivités sous perfusion étatique seront-elles plus efficaces que des collectivités fiscalement autonomes et responsables devant leurs électeurs ? Les conseillers territoriaux géreront-ils mieux les départements que les conseillers généraux actuels ? Et à qui fera-t-on croire que renforcer le cumul des fonctions en fusionnant deux mandats est un gage de progrès et d'efficacité ?

Par ailleurs, prenons garde à trois idées reçues. Première idée reçue, il y aurait en France trop d'élus. À l'image des autres pays européens, comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou l'Italie, la France possède trois niveaux de collectivités : les régions, les départements et les communes. Pouvons-nous décemment faire croire à nos concitoyens que c'est en divisant par deux le nombre de conseillers régionaux et généraux que nous pourrons résorber la dette de l'État ? La France est ainsi faite qu'il existe aujourd'hui trente-six mille communes. Il ne s'agit pas d'une faiblesse mais d'une richesse historique, géographique et culturelle sur laquelle il faut savoir s'appuyer.

Deuxième idée reçue, les financements croisés seraient compliqués et source de gaspillages. C'est une terrible erreur. D'abord parce que les élus locaux et les associations savent parfaitement comment cela fonctionne. Mais aussi parce que les financements croisés permettent au contraire de faire émerger des initiatives locales de qualité, qui répondent d'abord à des enjeux d'intérêt général et non à des enjeux soumis à des considérations politiques.

Troisième idée reçue, les collectivités territoriales coûteraient cher. Faut-il rappeler que depuis 1982, les collectivités territoriales ne prélèvent que 20 % des impôts de notre pays et réalisent 73 % des investissements publics ? Faut-il rappeler que leur dette, consacrée principalement à l'investissement, a même diminué depuis 1982 et se situe aujourd'hui aux alentours de 7 % du PIB ? Faut-il rappeler que, parallèlement, depuis 1982, la dette de l'État destinée non pas à l'investissement mais à son fonctionnement a triplé pour atteindre presque 50 % du PIB ? Le procès fait aux collectivités territoriales s'appuie sur une négation totale de la réalité. Ce ne sont pas elles qui coûtent cher aux contribuables, c'est le fonctionnement de l'État.

Mais ce qui est le plus grave dans ce projet de loi, c'est la suppression de la clause générale de compétence, qui a largement fait les preuves de son utilité.

La remise en cause de la clause générale de compétence, c'est la remise en cause des libertés locales. C'est l'étouffement des initiatives locales et du dynamisme des collectivités. Remettre en cause la clause générale de compétence signifie réduire les régions et les départements à de simples établissements publics, voire des services déconcentrés de l'État. La fin de la clause générale de compétence revient à transformer les conseils généraux en simple distributeurs d'aides sociales sans prise avec la réalité économique du département.

Cette réforme des collectivités territoriales, mes chers collègues, va coûter cher à la France. Plus cher qu'en l'état actuel des choses. Pourquoi ? Tout d’abord parce qu'elle va entraîner l'éloignement des centres de décision. Cet éloignement représente une régression démocratique. De plus, la répartition rigide des compétences aura pour conséquence de couper les ailes de nos départements et de favoriser à terme leur disparition. Cela va engendrer des manques de réactivité, des manques de souplesse et cela va surtout provoquer l'attente, l'inaction des pouvoirs publics et le mécontentement de la population. Enfin, ces conseillers territoriaux seront, de fait, coupés des maires des petites communes, eux-mêmes fondus dans des cantons trop grands.

Sans liberté d'action, sans innovation, sans capacité d'adaptation, sans rapidité d'intervention, les collectivités territoriales ne pourront répondre au mieux aux besoins de tous. La démarche de recentralisation proposée par ce projet de loi et son article 35 nous éloigne de tous les efforts consacrés jusqu'à maintenant pour dynamiser nos départements et en particulier les zones rurales.

La clause générale de compétence est la raison d’être de nos collectivités territoriales, c’est le poumon de nos départements. Sans elle, la fonction d’élu local, d’élu de proximité, n’aurait plus de sens.

Pour conclure, je rappellerai que l’identité française, c’est aussi une certaine façon d’habiter la France, territoire uni par sa diversité, avec ses petites communes et ses grandes villes. Notre organisation politique et administrative résulte de cette histoire. C’est notre devoir de ne pas l’oublier.

M. Bernard Roman et M. Jean Lassalle. Très bien.

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mercredi 26 mai à quinze heures :

Questions au Gouvernement.

Discussion sur le rapport de la commission mixte paritaire du projet de loi relatif au Grand Paris

Discussion sur le rapport de la commission mixte paritaire du projet de loi relatif au Conseil économique, social et environnemental

Suite de la discussion du projet de réforme des collectivités territoriales

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 26 mai 2010, à une heure trente.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma