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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 28 mai 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Réforme du Conseil supérieur de la magistrature

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)

M. Julien Aubert

M. Pascal Popelin

M. Laurent Marcangeli

M. Sergio Coronado

M. Sébastien Huyghe

M. Jean-Jacques Cottel

M. Sébastien Denaja

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Discussion des articles

Article 1er

Amendements nos 21, 2

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Amendements nos 45, 44

Après l’article 1er

Amendement no 46

Article 2

Amendements nos 35, 43, 53, 3, 22, 4, 23, 24, 5, 42, 25, 47, 41, 40, 26, 27, 20, 54, 48, 8, 61, 39, 9, 38, 11, 28, 69, 37, 29, 30, 36, 59, 60, 10, 68, 67, 12, 31, 15, 66, 32, 63, 16, 65, 33, 34, 57 rectifié, 56, 58

Article 3

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Réforme du Conseil supérieur de la magistrature

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (nos 815, 1050).

Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Julien Aubert. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi visant à modifier la Constitution dans le but de rendre notre justice plus indépendante. Mais ce texte renforce surtout le corporatisme et le fonctionnement en vase clos qui caractérisent, hélas, notre système judiciaire. Il commence par graver dans le marbre constitutionnel que le Conseil supérieur de la magistrature concourt à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire, proposition qui n’est pas choquante en soi. Mais concomitamment, il fait du CSM une structure majoritairement dominée par les magistrats, ce qui est plus regrettable.

Cela montre que l’on se trompe à la fois sur ce que signifie l’indépendance de la justice et sur ce que recouvre une gestion transparente des carrières. Depuis vingt ans, on persiste à établir des portes coupe-feu entre la justice et la démocratie. On en voit le résultat.

S’agissant des carrières, j’ai été stupéfié de découvrir que le juge d’Outreau avait été promu à la Cour de cassation. Y a-t-il au monde une administration ou une organisation où une faute aussi avérée soit sanctionnée d’un simple blâme, suivi d’une prestigieuse promotion ?

M. Sergio Coronado. Oui, l’Assemblée nationale ! (Sourires.)

M. Julien Aubert. Avec un tel raisonnement, il faudrait que M. Cahuzac soit rapidement promu à l’Ordre national du mérite ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Geneviève Gaillard. Oh, cela commence mal !

M. Julien Aubert. Quant à l’indépendance, avons-nous l’impression que cette justice en manque, alors qu’un magistrat, qui voulait incriminer un ancien président de la République et boucler son instruction à n’importe quel prix, a pu le mettre en examen sur un motif totalement invraisemblable, pour ne pas dire indigne, voire – puisque la parole m’est donnée à cette tribune – déshonorant pour la personne visée, pour les institutions républicaines et pour la justice ? Vous voyez bien que la justice est indépendante !

M. Pascal Popelin. Voilà bien le fond de votre problème !

M. Julien Aubert. En réalité, la réforme qui nous est proposée se résume à expliquer que ce sont les magistrats qui sont les mieux à même de garantir leur indépendance, après avoir progressivement marginalisé le garant constitutionnel de la magistrature, élu par la nation : le Président de la République.

Or, mes chers collègues, c’est au contraire grâce à une composition diversifiée et ouverte que le Conseil supérieur de la magistrature peut prétendre légitimement jouer son rôle.

Le proverbe dit que la guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires.

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas un proverbe, mais une citation de Georges Clemenceau !

M. Julien Aubert. Il en est de même pour les carrières des juges.

Quant à l’indépendance de l’autorité judiciaire, elle réside certes dans la non-immixtion des pouvoirs exécutif et législatif dans le processus d’enquête et de contentieux, mais, pour coller aux réalités modernes, il faut aussi l’entendre plus largement comme le strict devoir de neutralité politique des magistrats qui la composent. Un magistrat partial qui s’abriterait derrière son statut n’en affaiblirait pas moins la justice qu’il prétend exercer.

Le CSM doit pouvoir faire respecter cela, et le faire de manière transparente.

Votre texte accélère au contraire le processus qui nous a conduits jusqu’ici. Il participe d’un mouvement de pensée castrateur,…

Mme Geneviève Gaillard. Oh la la !

M. Julien Aubert. …qui interdirait aux représentants de la nation de discuter, commenter ou critiquer tout ce qui touche à la justice.

C’est ce tabou qui interdit de dire que la police et la gendarmerie s’échinent à arrêter des délinquants, qui sont relâchés dans les heures qui suivent ! C’est ce dogme qui fait qu’un parlementaire est convoqué parce qu’il a osé s’indigner et exprimer son opinion sur une mise en examen. La police de la pensée, elle, fonctionne !

Cet archipel qu’est devenue l’administration judiciaire est une négation de l’esprit de la Ve République que je ne peux que déplorer en tant que gaulliste. Dois-je vous rappeler que la justice n’est pas un « pouvoir » mais une « autorité », qu’elle rend la justice « au nom du peuple français », et que ce peuple élit l’Assemblée nationale ? La légitimité ne peut procéder seulement d’un statut ou d’un concours. Nous n’avons pas aboli la monarchie de droit divin pour établir le gouvernement des juges !

M. Georges Fenech. Très bien !

M. Julien Aubert. J’ai proposé des amendements en ce sens car je sais que beaucoup de magistrats souffrent de la dérive de leur corps. Je l’ai moi-même ressentie dans mes anciennes fonctions de magistrat, assistant à l’écœurement progressif de la majorité silencieuse.

Ce que je vous propose, c’est de faire du Conseil supérieur de la magistrature une instance de sages. Par mes amendements, je suggère ainsi qu’il soit composé notamment de magistrats honoraires, avec la compétence qui est la leur, mais qui seront détachés de leur carrière, de six parlementaires honoraires, capables de faire le lien avec le Parlement, de sentir l’opinion publique et de garder une plus grande marge de manœuvre par rapport aux partis politiques. Le mandat des membres du CSM serait de dix ans. Le Président de la République, à nouveau, présiderait le CSM : force est de constater que, malgré la réforme de 2008, certes intéressante, certains magistrats ont oublié leur devoir de neutralité ! Enfin, je propose que le CSM, à l’instar du Conseil constitutionnel, puisse être saisi par 60 députés ou 60 sénateurs. La séparation des pouvoirs est nécessaire, le dialogue démocratique aussi.

Le projet de loi que vous présentez n’ouvrira pas la voie à une justice plus efficiente et plus indépendante, au contraire. Il renforcera une situation de fait, que le « mur des cons » n’est pas sans rappeler : la politisation des nouveaux magistrats, qui ne se cachent plus. La justice n’a pas besoin de murs ou de maçons, mais de portes et de ponts. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais vous parler de la République. Parce qu’elle constitue dans cet hémicycle le modèle commun dans lequel, à quelques rares individualités près, nous nous reconnaissons tous. Parce qu’elle est le ciment de la nation française, le lien qui fonde notre manière de vivre ensemble.

Cette République s’est construite par la force du temps. Née de la volonté d’un peuple qui l’imposa par la révolte, elle fut balayée par des coups d’État et des restaurations, avant de revenir, à une voix près. Elle manqua de vaciller devant des factieux massés sur le pont de la Concorde, fut mise entre parenthèses dans un casino thermal puis faillit succomber à une « résurrection » parachutiste venue d’outre-Méditerranée.

Même si l’article 89 de la Constitution dispose que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », l’histoire nous enseigne qu’il appartient à tous les Français, et singulièrement à la représentation nationale, de veiller sur la République. Et la Constitution du 28 floréal An XII, dont l’article 1er confiait le gouvernement de la République à un empereur, est là pour nous rappeler que les mots ne suffisent pas toujours.

Je veux donc vous parler de la République exemplaire. Non parce qu’il s’agit du titre d’un des chapitres des 60 engagements pour la France de François Hollande, mais parce que la solidité des institutions tient avant tout à la confiance que les citoyens d’un pays placent en elles.

M. Julien Aubert. Merci de Gaulle !

M. Pascal Popelin. Pour ma part, je ne confonds pas la République exemplaire et la République de la vertu. Ceux qui se sont perdus dans cette quête ne sont pas parvenus à guillotiner la nature humaine.

Comme l’histoire de la République elle-même, la République exemplaire ne se construit que par touches successives et évolutives, dont l’ambition doit être de donner de la maturité à nos institutions.

C’est dans cet état d’esprit que nous devons traiter de l’indépendance du pouvoir judiciaire et discuter du projet de loi constitutionnelle. Chacun conserve en mémoire l’assertion de Montesquieu, extraite de L’Esprit des lois, selon laquelle « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Force est de constater que, s’agissant du fonctionnement de notre justice, le code génétique des institutions françaises – ce que nous venons d’entendre le prouve – n’a pas toujours tenu compte de ce principe.

Voilà pourquoi l’engagement 53 du Président de la République indiquait notamment : « Je garantirai l’indépendance de la justice et de tous les magistrats : les règles de nomination et de déroulement de carrière seront revues à cet effet ; je réformerai le Conseil supérieur de la magistrature ». Indépendamment de toute autre considération, tel est l’objet de nos délibérations de ce jour.

La proposition de réécriture de l’article 65 de la Constitution vise à mettre le Conseil supérieur de la magistrature davantage à l’abri des interventions politiques. Nous débattrons avec le Gouvernement de sa composition exacte, l’essentiel étant de nous situer dans les standards européens. Mais le plus important est la modification des conditions de désignation de la présidence et des personnalités qualifiées, pour faire disparaître tout lien direct avec le pouvoir exécutif.

Ce projet de loi constitutionnelle vise aussi à renforcer l’impartialité du parquet, puisque la nomination des magistrats le composant sera subordonnée à l’avis conforme du CSM. Leur régime disciplinaire, aligné sur celui des magistrats du siège, relèvera de cette instance, qui pourra en outre se saisir d’office des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. En effet, indépendance ne peut signifier irresponsabilité.

Bien sûr, cette réforme ne saurait garantir, à elle seule, une république exemplaire. Elle n’empêchera pas les manquements, mais elle garantira davantage la diligence de leur recherche et de leur sanction.

Combinée au projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, que nous examinerons demain, elle renverra définitivement au passé les procureurs réduits au rôle de courroie de transmission de la Place-Vendôme ou de la Rue-du-Faubourg-Saint-Honoré.

Au même titre que les textes relatifs à la transparence de la vie publique ou que le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, bientôt également à notre ordre du jour, ce projet de loi constitutionnelle a toute sa place dans la construction permanente de cette République exemplaire que nous appelons tous de nos vœux.

M. Éric Straumann. On en est loin !

M. Pascal Popelin. Une telle ambition partagée vaut bien un moment d’unité, au-delà des clivages habituels et des postures politiques, que nous cultivons légitimement dans cette enceinte, afin de réunir le moment venu les trois cinquièmes des membres du Congrès, voire bien davantage, au mois de juillet prochain à Versailles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. Jamais !

M. le président. La parole est à M. Laurent Marcangeli.

M. Julien Aubert. Lui, il sait ce qu’est l’autonomie ! (Sourires.)

M. Laurent Marcangeli. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui afin de discuter d’un texte dont l’objectif devrait nous rassembler : renforcer l’indépendance de la justice et sa séparation d’avec le pouvoir exécutif.

Pour ce faire, le Gouvernement nous propose de réformer une institution indispensable à notre démocratie : le Conseil supérieur de la magistrature, c’est-à-dire l’organe censé garantir la neutralité des magistrats.

Le souci du Gouvernement est louable. Malheureusement, je crois qu’une fois encore il n’évite pas certains écueils. D’abord, en plus d’être un véritable serpent de mer du débat constitutionnel, ce projet de loi nous donne la désagréable impression d’être une réforme de circonstance : une réponse, qui n’en n’est pas vraiment une, à une affaire qui a secoué notre Landerneau.

M. Julien Aubert. Et nous ne parlons pas de l’affaire Dreyfus !

M. Laurent Marcangeli. Certes, la réforme du CSM était déjà envisagée auparavant, mais elle a été présentée par le Président de la République en réaction directe aux aveux d’un ancien ministre, parmi les mesures permettant de moraliser la vie politique.

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une affaire, un fait d’actualité fût-il aussi grave que celui que nous avons connu, doive donner lieu à une disposition constitutionnelle nouvelle. Légiférer pour modifier la Constitution est un acte noble et grave, dont je ne conçois pas qu’il puisse être accompli dans la précipitation.

Une réforme du CSM n’était pas urgente : dois-je rappeler à nouveau que la dernière date seulement de 2008 ? Quelle lisibilité pour le citoyen qui voit ses institutions susceptibles d’être modifiées tous les quatre matins ? D’autant que la réforme de 2008 avait permis d’introduire deux innovations substantielles : elle avait élargi les compétences du CSM en lui permettant de donner son avis simple sur les nominations aux emplois de procureur général et elle avait augmenté le nombre de ses membres n’appartenant pas à la magistrature.

Sans doute la sagesse aurait-elle consisté à laisser plus de temps à cette réforme. Surtout qu’en l’absence d’étude d’impact, même si cette dernière n’est pas nécessaire pour un projet de loi constitutionnelle, il me semble difficile d’apprécier les tenants et les aboutissants du projet du Gouvernement.

Mais le plus grave, et c’est le point central du texte, c’est qu’il envoie un mauvais signal aux citoyens. Je pense bien entendu à la nouvelle composition du CSM qui, selon le texte présenté par le Gouvernement, devait de nouveau être formé d’une majorité de magistrats – huit –, pour sept personnalités extérieures.

Dans le contexte de la triste affaire du « mur des cons » du Syndicat de la magistrature, était-il opportun de vouloir ainsi écarter des personnalités extérieures au profit de magistrats, dans une instance dont l’une des missions est précisément de juger des affaires délicates concernant les magistrats ? Je ne crois pas que ce type de messages permette de restaurer la confiance des citoyens en l’indépendance de la justice de leur pays.

M. Julien Aubert. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Laurent Marcangeli. Le CSM se doit d’être représentatif, car le peuple a un droit de regard sur les conditions dans lesquelles s’exerce la justice rendue en son nom.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Laurent Marcangeli. Aussi, je ne peux que me réjouir que la commission des lois ait finalement adopté des amendements établissant une parité entre magistrats et non-magistrats, à défaut d’avoir pu rétablir la majorité des personnalités extérieures. Je remarque toutefois qu’il s’agit d’un désaveu pour le Président de la République : il appréciera.

Néanmoins la parité représente un infléchissement important par rapport à la majorité acquise aux personnalités extérieures : faut-il y voir une forme de régression ?

En résumé, non seulement cette réforme précipitée et incomplète du CSM ne suffira pas à renforcer l’indépendance de l’autorité judiciaire mais, en plus, elle peut entraîner un délitement de la confiance des citoyens dans la justice de leur pays. Cela justifie-t-il donc un déplacement à Versailles ?

M. Julien Aubert. À Rethondes, peut-être…

M. Laurent Marcangeli. Une fois de plus, je suis au regret de constater que ce gouvernement et cette majorité sont bien loin des préoccupations de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, « une justice digne de ce nom, non payée, non achetée […], sortie du peuple et pour le peuple » : c’est ainsi que Michelet définissait l’idéal révolutionnaire de 1789. C’est cet idéal que nous n’avons cessé de poursuivre, pour libérer les hommes et les femmes du despotisme, de l’arbitraire et de l’injustice, car nous savons tous que l’indépendance de la justice est un des marqueurs de la vitalité d’une démocratie.

Il n’y a pas de démocratie sans justice. Les révolutionnaires l’avaient compris, qui, d’une part, instaurèrent la séparation des pouvoirs, le principe d’égalité devant la justice et sa gratuité, la présomption d’innocence, la légalité des infractions et des délits, et, d’autre part, supprimèrent les juridictions seigneuriales.

L’énonciation de ces principes est en soi insuffisante. La justice n’est justice que parce que des hommes et des femmes se mettent en danger pour elle ; la justice n’est justice que parce que sont mis en place des organes dont le rôle et la composition font vivre son indépendance.

Aujourd’hui encore, la justice devrait être, pour chaque citoyen, ce pouvoir gardien des libertés. Pourtant, même ici, elle ne cesse d’être contestée, et sans doute est-ce en partie liée à l’ombre portée de la politique. En effet, ces dernières années, le lien entre politique et justice, notamment dans certaines affaires qui ont défrayé la chronique, est apparu trop étroit, la perte de confiance en l’une renforçant la perte de confiance en l’autre. De cette proximité incestueuse ne peut naître que le désamour des citoyens pour la démocratie et la République.

La multiplication des affaires a mis en évidence la tentation de certains responsables politiques, parfois au plus haut sommet de l’État, d’une justice aux ordres ou, pire, d’une justice à deux vitesses : faible avec les puissants, implacable avec les faibles.

Cette situation est devenue insupportable aux yeux de nos concitoyens. Le sentiment d’une justice entravée, manipulée ou empêchée se traduit par un affaiblissement de la démocratie.

Comme l’a rappelé la garde des sceaux, l’indépendance de la justice est un objectif que nous assigne notre Constitution même. C’est aussi un des engagements du Président de la République et de la majorité.

Nous savons que cette indépendance a été et reste un combat. Les pressions contre les juges qui ont instruit les affaires financières au cours des années quatre-vingt-dix et, plus récemment, les attaques dont a été l’objet le juge Jean-Michel Gentil de la part de nombreux parlementaires démontrent que l’institution judiciaire doit être protégée et son indépendance garantie.

Je le dis haut et fort, au nom des écologistes : l’intrusion politique dans les affaires de la justice est intolérable et n’est pas digne d’une démocratie !

M. Éric Straumann. Il y a toujours des juges en politique !

M. Sergio Coronado. En période de crise plus que jamais, il faut opérer un retour à l’éthique, au sens des limites, au respect des règles. Il nous fallait surtout, et c’est l’opération à laquelle se livre aujourd’hui le Gouvernement, garantir et renforcer l’indépendance de la justice, de la magistrature et de son organe principal, le Conseil supérieur de la magistrature, qui concourt, ou veille, à son indépendance.

Le présent projet de loi s’inscrit dans cet esprit. Jusqu’en 1993, tous les membres du CSM étaient désignés par le pouvoir politique. Depuis cette date, les magistrats siégeant au Conseil sont élus par leurs pairs. La réforme constitutionnelle de 2008 a permis de nouvelles avancées, notamment en retirant la nomination de la présidence du CSM au Président de la République.

Cette réforme doit par ailleurs nous conduire à nous interroger sur le maintien de l’alinéa 1 de l’article 64 de la Constitution. Comment en effet le Président de la République peut-il rester seul garant de l’indépendance de la justice, alors que nous envisageons une réforme qui le ramène à un statut juridique plus ordinaire – j’allais dire plus normal ?

M. Julien Aubert. Parce qu’il est élu par le peuple !

M. Sergio Coronado. La réforme constitutionnelle de 2008 tendait à préserver le poids de l’exécutif via la nomination de six personnalités extérieures. Par ailleurs, ainsi que l’a souligné Mme la garde des sceaux, l’interprétation de cette réforme par le Conseil constitutionnel a dénié au CSM la faculté de s’autosaisir.

Le projet du Gouvernement s’attache donc à réformer les points suivants : composition, fonctionnement et compétences du Conseil supérieur de la magistrature, nomination de ses membres.

Nous saluons ce qui constitue à nos yeux une avancée réelle, à savoir la parité entre magistrats et non-magistrats au sein du CSM, mais également, grâce à l’un des amendements écologistes proposés en commission, la parité entre hommes et femmes, qui devrait normalement être adoptée, si j’en crois nos discussions en commission.

En évitant le double écueil de la prééminence des magistrats, qui laisse toujours un soupçon de corporatisme, ou de celle des personnalités extérieures, avec les craintes d’une mainmise politique sur la justice, cette parité permettra au CSM d’acquérir la légitimité qui lui a parfois fait défaut.

Les membres non-magistrats ne seront plus désignés par l’exécutif, mais par un collège dont le choix des membres, désignés au titre de leur fonction, reflète la volonté d’indépendance de la justice et garantit la légitimité des décisions : il s’agit du vice-président du Conseil d’État, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du Premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du Premier président de la Cour des comptes ainsi que d’un professeur des universités. Les écologistes sont heureux qu’à ce collège soit également associé le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Ces organismes dont s’est doté l’État disposent d’une réelle légitimité aussi bien en termes de représentation des corps sociaux, qu’en termes d’expertise, chacun dans leur domaine.

La parité entre femmes et hommes est également une nécessité : les femmes représentent 60 % de la magistrature, mais moins d’un tiers des membres du CSM. Ce n’est plus acceptable et nous saluons les avancées faites en commission.

Nous saluons également la possibilité désormais offerte au CSM de se saisir d’office des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. Nous avons déposé un amendement visant à permettre également aux magistrats de saisir le Conseil, y compris sur les questions d’indépendance.

Enfin, ce projet de loi constitutionnelle vise à renforcer l’impartialité du parquet, en prévoyant que la nomination des magistrats du parquet soit subordonnée à l’avis conforme du CSM. Il s’agit là d’une disposition essentielle. Aucune nomination d’un magistrat du parquet n’est intervenue après un avis défavorable rendu par le CSM entre 1997 et 2002 et depuis 2008. Encore s’agissait-il de graver cette règle dans le marbre. Nous pouvons nous féliciter que cela soit presque chose faite.

Les écologistes proposent également d’élargir la disposition relative aux nominations des magistrats du parquet aux magistrats du siège. Les nominations aux postes les plus importants du parquet font régulièrement l’objet de polémiques, ce que nous devons à tout prix éviter, y compris dans le cas du poste de procureur de la République financier que le Gouvernement souhaite instituer.

Ce texte est une étape importante pour la justice française. Mais il semble nécessaire d’accélérer la marche, notamment pour donner aux magistrats du parquet les mêmes garanties qu’aux magistrats du siège. Le parquet français a des pouvoirs trop étendus, ce qui rend indispensable ce rééquilibrage.

« Il se passera du temps encore avant que la justice des hommes ait fait sa jonction avec la justice », disait Hugo. C’est ce but que nous poursuivons aujourd’hui, et j’espère que nos débats seront à la hauteur, et que la proposition de réforme constitutionnelle qui nous est ici soumise recevra l’assentiment de cette assemblée, avant celle du Congrès, en juillet prochain. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. Julien Aubert. L’espoir fait vivre !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’indépendance de la justice, consacrée par l’article 6 de la CEDH, vise à garantir à toute personne le droit fondamental de voir son cas jugé équitablement, en l’absence de toute influence indue. L’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif constitue un aspect fondamental de l’État de droit.

Avec Nicolas Sarkozy, nous nous sommes battus pour moderniser et rééquilibrer les institutions de la Ve République ; nous nous sommes battus pour qu’au-delà de l’affirmation de principe, les conditions d’une réelle indépendance soient définies et garanties par la Constitution.

Le comité de réflexion et de proposition créé par Nicolas Sarkozy et présidé par M. Édouard Balladur, qui avait déposé son rapport en octobre 2007, a ainsi permis : premièrement, de mettre fin à la présidence du Conseil par le Président de la République pour lui substituer dans cette fonction une personnalité indépendante ; deuxièmement, d’élargir la composition du Conseil, les magistrats y devenant minoritaires et le garde des sceaux n’en étant plus membre de droit ; troisièmement, de reconnaître au Conseil une compétence consultative pour la nomination des procureurs généraux ; quatrièmement, de permettre aux justiciables de saisir le Conseil à titre disciplinaire, de consacrer, en d’autres termes, la possibilité pour les citoyens de déposer une plainte contre un magistrat.

La dernière réforme du CSM permise par la révision constitutionnelle de 2008 a ainsi introduit deux innovations substantielles : élargir les compétences du Conseil supérieur de la magistrature en lui permettant de donner son avis sur les nominations aux emplois de procureur général et augmenter le nombre de ses membres n’appartenant pas à la magistrature.

Rappelons qu’en janvier 2013, dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de l’audience de rentrée de la Cour de cassation, François Hollande, réitérant son engagement de campagne d’asseoir plus encore l’indépendance de la justice, a indiqué de manière explicite qu’il mettrait en place trois évolutions majeures à ses yeux : la première concerne la composition du CSM, avec « davantage de magistrats que de personnalités extérieures à la magistrature » ; la deuxième porte sur le mode de nomination des membres du CSM ; la troisième concerne les pouvoirs du Conseil, qui seront étendus – ainsi l’avis conforme sera requis pour toutes les nominations des magistrats du parquet.

Je ne m’attarderai pas sur vos propositions de modification du statut du parquet, qui passent essentiellement par l’introduction d’un avis conforme du CSM, préalable à toute nomination. Car, disons-le, il s’agit d’une pratique aujourd’hui effective : si, à la suite de la révision de 2008, le Conseil supérieur de la magistrature peut donner son avis simple pour les nominations aux emplois de procureur général, dans les faits, la nomination des magistrats du parquet fait suite à un avis conforme. Le projet de loi permettra au mieux de consolider juridiquement une pratique déjà existante mais n’introduit en la matière aucune nouveauté.

La vraie question est celle de savoir comment le CSM, dont les compétences principales concernent la nomination des magistrats et les procédures disciplinaires qui leur sont applicables, doit être composé. L’indépendance de la justice passe-t-elle par le fait que les magistrats s’auto-désignent ? Cette question a été tranchée en 2008 : nous avons considéré que les magistrats devaient être minoritaires, que le CSM avait besoin d’un regard extérieur sur son fonctionnement institutionnel, regard venu de personnes qui n’appartiennent pas au corps judiciaire. Nous ne pouvons que déplorer que l’actuelle majorité souhaite aujourd’hui revenir en arrière.

C’est légitimement que l’on s’interroge sur le bien-fondé d’un projet de loi constitutionnelle qui modifie la composition du CSM – actuellement formé de huit personnalités qualifiées et sept magistrats – en prévoyant une répartition inverse, soit une majorité de magistrats.

Cette interrogation est d’autant plus légitime que par un retournement tout à fait surprenant, des amendements identiques de l’UDI et du rapporteur, adoptés mercredi dernier en commission des lois, fixent la composition du CSM à huit magistrats et huit personnalités extérieures au lieu des huit contre sept prévus initialement dans le projet de loi constitutionnelle réformant le CSM. En clair, la montagne accouche d’une souris, et les magistrats ne redeviendront pas majoritaires au sein du CSM !

Le président socialiste de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, s’était dit défavorable à ce que les magistrats soient majoritaires. M. Raimbourg a noté, quant à lui, que la parité était souhaitée par la commission dite Outreau ainsi que par nombre d’interlocuteurs et qu’elle serait « de nature à mettre fin au récurrent débat relatif à la composition du CSM ». Et de l’aveu de Mme la garde des sceaux elle-même, « il apparaît que la parité serait mieux reçue par les parlementaires » !

Nous sommes stupéfaits de constater que la majorité elle-même s’apprête à désavouer François Hollande en refusant de rétablir la majorité de magistrats !

Mme Geneviève Gaillard. On en est loin !

M. Sébastien Huyghe. Nous ne pouvons, bien entendu, que nous réjouir que vous abandonniez cette mauvaise idée d’une majorité de magistrats au sein du CSM. Peut-être est-il donc permis d’espérer qu’après avoir opté pour la parité, votre prise de conscience vous conduira à comprendre le risque majeur que constituerait le renforcement de la présence des syndicats de magistrats au sein du CSM et que vous conviendrez avec nous de la nécessité que les magistrats demeurent minoritaires !

Devant cette palinodie, je m’interroge donc sur la nécessité et l’urgence qu’il y avait à présenter une réforme qui n’en est finalement pas une, sur l’urgence et la nécessité qu’il y a à se réunir à Versailles pour une seule personne de plus. Mais il est vrai que le manque de courage semble la marque de fabrique de la gauche : fixer un prétendu grand et beau cap que l’on contourne par reculades successives !

Je tiens par ailleurs à souligner que le Conseil issu de la réforme de 2008 a pris ses fonctions le 26 janvier 2011. Au nom de la stabilité des institutions, je suis fermement opposé à toute révision constitutionnelle et je pense qu’il est impératif de maintenir une majorité de non-magistrats au sein du CSM afin d’éviter que le soupçon de corporatisme ne pèse à nouveau sur cette noble profession.

Vous ne cessez de nous abreuver de votre volonté de lutter contre les conflits d’intérêts, de renforcer l’indépendance de la justice, vous prétendez laver plus blanc que blanc, mais il s’agit là d’une gesticulation supplémentaire : votre réforme du CSM qui nous a été présentée comme un pilier de la « République exemplaire » sur l’autel de la moralisation de la vie politique n’est en réalité qu’une réformette cache-misère, qui peine à dissimuler le malaise de la majorité à la suite du séisme provoqué par l’affaire Cahuzac et votre silence éloquent, madame la garde des sceaux, auquel nous sommes malheureusement habitués, dans l’affaire du « mur des cons ».

C’est donc par pur calcul et par une stratégie dilatoire que vous avez vidé votre réforme de tout contenu. Si la majorité a rebroussé chemin, c’est parce que vous savez pertinemment que François Hollande n’a pas les mains libres pour réformer la Constitution. La réforme constitutionnelle devra, après avoir été approuvée par chacune des deux chambres, être votée à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par les députés et sénateurs réunis en Congrès. Or, vous savez qu’en l’état, vous ne disposerez pas des trois cinquièmes, d’autant que toucher au CSM est une question sensible qui divise votre propre majorité.

Je regrette donc profondément que nous soyons encore en train de perdre un temps précieux sur un projet de loi qui n’aboutira pas. Je regrette profondément que cette réforme soit, en définitive, et une fois de plus, un écran de fumée pour faire oublier votre incapacité à vous atteler aux vraies préoccupations des Français que sont le chômage, le pouvoir d’achat et l’insécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Cottel.

M. Jean-Jacques Cottel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons, avec l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, le premier texte du « paquet institutionnel », oserais-je dire, qui vise, grâce à l’action de cette majorité et aux engagements du président François Hollande, à améliorer et moraliser notre démocratie.

Outre cette réforme du CSM sont prévues plusieurs autres réformes : Conseil constitutionnel, responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement avec, notamment, la fin du cumul de leurs fonctions gouvernementales avec toutes fonctions exécutives locales,…

M. Éric Straumann. Ce n’est pas près d’être voté !

M. Jean-Jacques Cottel. …création de nouvelles dispositions visant à favoriser la transparence de la vie publique et la lutte contre la fraude fiscale.

En écho à cette modification des articles 64 et 65 de notre Constitution, évoquons encore le projet de loi visant à supprimer la possibilité pour le garde des sceaux d’adresser au parquet des instructions individuelles, qui entrera en discussion dès demain.

Comme vous le constatez, mes chers collègues, cette liste de réformes est longue. Elle illustre bien nos ambitions et reflète ce que nous souhaitons de manière globale pour notre pays, nos concitoyens et le fonctionnement de nos institutions : le redressement !

À ce titre, l’institution judiciaire et le Conseil supérieur de la magistrature ont besoin de ces réformes, et de cette réforme constitutionnelle en particulier, pour donner un nouveau crédit à l’image de la justice dans notre pays, ce qui passe d’abord par la garantie de son indépendance et l’amélioration de son fonctionnement.

C’est ce que permet très clairement ce texte.

En premier lieu – et ces dispositions sont élémentaires –, sa composition est revue conformément aux standards européens : présence à nouveau majoritaire des magistrats, parité entre magistrats du siège, magistrats du parquet et personnalités qualifiées, présence d’autant d’hommes que de femmes – disposition que nous devons à l’un des amendements du rapporteur adopté en commission – désignation de son président parmi les personnalités qualifiées, elles-mêmes désignées par un collège de hauts responsables de l’État parmi lesquels le Défenseur des droits ou encore le Président du Conseil économique, social et environnemental. Ajoutons qu’à la suite d’un amendement adopté en commission, la nomination de ces derniers sera soumise au vote des membres des commissions des lois des deux assemblées à la majorité qualifiée.

Mes chers collègues, nous sommes bien loin, comme l’a dit Mme la garde des sceaux, de l’époque – qui a duré jusqu’en 1993 – où tous ses membres étaient désignés par le pouvoir politique. Nous aurons désormais un CSM impartial, aux personnalités faisant consensus,…

M. Julien Aubert. C’est un vœu pieu !

M. Jean-Jacques Cottel. …condition sine qua non pour réaliser notre belle ambition d’une justice indépendante de l’exécutif alors que la réforme constitutionnelle de 2008 l’avait rendue plus dépendante à l’égard du pouvoir.

En deuxième lieu, des améliorations notables sont apportées au fonctionnement du CSM, grâce à une composition équilibrée de sa formation plénière qui comportera quatre magistrats et quatre non-magistrats.

Dans le même esprit, le régime disciplinaire des magistrats du parquet sera aligné sur celui des magistrats du siège. Leur nomination sera subordonnée à l’avis conforme du CSM.

Autre amélioration concrète : le Conseil sera saisi d’office des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats.

Ces modifications, certes très techniques et sans doute difficilement intelligibles pour le plus grand nombre, sont fondamentales pour le bon fonctionnement de notre institution judiciaire et pour l’intérêt général de tous les justiciables.

Grâce à ces nouvelles dispositions, nous éviterons les épisodes détestables et les dérives que nous avons connus ces dernières années. Il est important de rappeler, par exemple, que l’ancien Président de la République avait tenté de supprimer le juge d’instruction, bel exemple de confiance dans l’institution judiciaire ! D’aucuns, ici, ont peut-être oublié les nombreuses atteintes à l’indépendance de la justice qui ont pu être constatées : nominations de personnalités proches de l’exécutif, interventions dans des dossiers sensibles, mutations ou rétrogradations de ceux qui exprimaient des réserves ou réagissaient aux vexations subies.

En définitive, ce projet de loi constitutionnelle, dans ce qu’il représente de nécessaire et d’indispensable pour une justice indépendante et impartiale, vaut bien la convocation du Parlement en Congrès.

M. Pascal Popelin. Très juste !

M. Jean-Jacques Cottel. Sachez que je serai fier de voter cette réforme et de faire partie de ceux qui auront permis ce progrès démocratique pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en bon républicain, je considère que ce sont des principes simples qui doivent guider notre philosophie et notre action politiques. Parmi ces principes, il en est un qui devrait s’imposer comme une évidence, c’est que la justice doit être la même pour tous et partout, que l’on soit de Neuilly ou de Bobigny.

Pourtant, il est arrivé, même dans un passé assez récent, que la volonté des magistrats de rendre une justice impartiale ne puisse surmonter ni les portes de certains hôtels particuliers, ni les obstacles de certains hippodromes, ni certains sommets de l’Himalaya.

Nous ne pouvons plus accepter que perdure une justice à plusieurs vitesses. C’était là l’essence même de la proposition 53 – puisque, aujourd’hui, tout le monde connaît les numéros par cœur – du candidat François Hollande : mettre la justice à l’abri de l’ère du soupçon pour entrer dans l’ère de la transparence.

Dois-je rappeler qu’entre 1997 et 2002, lorsque Lionel Jospin était Premier ministre, et depuis un an déjà, le Gouvernement a respecté scrupuleusement l’indépendance de la justice ?

M. Julien Aubert. J’écoute ces belles promesses !

M. Sébastien Denaja. Tous les syndicats en conviennent.

Aujourd’hui comme hier, nos actes, à gauche, sont conformes à nos engagements.

À l’inverse, dans ce débat, l’UMP a réaffirmé, la semaine dernière encore, que les nominations devaient rester une prérogative du pouvoir politique. M. Fenech a même estimé légitime que le pouvoir politique puisse continuer à nommer ces magistrats.

M. Georges Fenech. Je n’ai jamais dit une chose pareille !

M. Sébastien Denaja. Cela figure dans le compte rendu de la commission.

M. Julien Aubert. Quel art de la nuance, monsieur Denaja !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Ça vous va bien de dire ça !

M. Sébastien Denaja. Votre position en matière de justice, la voilà : une justice aux ordres !

Chers collègues, vos électeurs vous ont-ils élus pour une justice servile ? Bien sûr que non ! Contrairement à ce que vous avez dit pendant dix ans, les magistrats ne sont pas les ennemis. Ils doivent être respectés parce qu’ils assurent dans des conditions difficiles une fonction quotidienne d’ordre et de paix sociale.

Notre pays a besoin d’une justice efficace. Pourtant, l’UMP n’a cessé, pendant dix ans, de réduire les moyens de la justice, de fermer des tribunaux,…

M. Julien Aubert. Et vous, les avez-vous rouverts ?

M. Sébastien Denaja. …et de saper le moral des agents du service public de la justice. Or les citoyens devraient pouvoir être fiers de leurs magistrats, fiers de la justice de la République.

Pour cela, les choses sont simples : personne ne doit être au-dessus de la loi. C’est là un principe essentiel de notre système : à ce titre, le pendant de l’opportunité des poursuites doit être le respect de l’intérêt général, de l’intérêt de la loi. L’opportunité des poursuites, ce n’est pas l’opportunisme au gré des amitiés ou des affaires.

M. Éric Straumann. Et Mitterrand, combien de fois est-il intervenu ?

M. Sébastien Denaja. En ce sens, le projet qui nous est présenté inscrit enfin dans la Constitution le principe d’une réelle indépendance de l’autorité judiciaire.

Tout d’abord, le Président de la République, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, s’appuiera désormais sur un nouveau Conseil supérieur de la magistrature qui veillera, à ses côtés, au respect de cette mission.

De plus, les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont véritablement étendues, celui-ci disposant désormais d’un pouvoir d’auto-saisine et d’un pouvoir renforcé en matière de nomination des magistrats du parquet.

M. Georges Fenech. C’est le compromis !

M. Sébastien Denaja. C’est là un progrès décisif, et c’est cela qui gêne M. Huyghe.

M. Julien Aubert. Cela nous gêne tous !

M. Sébastien Denaja. Dorénavant, les magistrats du parquet seront nommés dans des conditions absolument irréprochables. Voilà pourquoi vous ne voulez pas aller à Versailles !

M. Julien Aubert. Nous sommes solidaires !

M. Sébastien Denaja. Cette réforme constitutionnelle entérine de réels progrès en matière de déontologie et d’indépendance des magistrats.

À cet instant du débat, je tiens à saluer le travail de notre rapporteur Dominique Raimbourg, qui permet à ce texte d’enregistrer de véritables progrès par un meilleur équilibre entre les différentes formations du Conseil supérieur de la magistrature.

Ces personnalités seront désignées de façon paritaire – je vise ici la parité entre les femmes et les hommes.

M. Julien Aubert. Ah !

M. Sébastien Denaja. Je salue le travail qui a été mené en ce sens. Nous veillerons également, madame la ministre, à inscrire la parité entre les femmes et les hommes dans la loi organique.

Oui, chers collègues, contrairement à ce que disent certains esprits chagrins, et en dépit d’apparences trompeuses, il s’agit bien d’une réforme décisive dans l’édification d’une République exemplaire.

Chers collègues de l’opposition, les opposants à l’indépendance de la magistrature que vous êtes trouvent dérisoire de réunir le Congrès à Versailles pour cela.

Je ne sais si Paris valait bien une messe, mais je crois que l’indépendance de la justice républicaine vaut bien une journée à Versailles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. C’est un rideau de fumée !

M. Pascal Popelin et M. Nicolas Bays. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Excellent !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre présence, dense à la gauche de l’hémicycle, courageuse à sa droite,…

M. Julien Aubert. C’est gentil !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et pour la qualité de vos interventions.

Toutes n’appellent pas des réponses ou des éclaircissements. Je vais cependant apporter quelques éléments d’information concernant les observations de M. Tourret, qui intéresseront l’ensemble des députés, sur l’impact d’une disposition de la réforme de 2008 offrant aux justiciables la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature.

Ainsi que je l’ai indiqué, si le Parlement décide d’adopter ce projet de loi constitutionnelle, le projet de loi organique qui suivra améliorera le dispositif de saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le justiciable.

Nous avons demandé au Conseil supérieur de la magistrature de nous communiquer l’état des saisines effectuées, leur traitement et leur résultat.

Il est certain que les saisines ont été importantes ; il n’est d’ailleurs pas surprenant de noter qu’elles ont été nombreuses dans un premier temps, avant de connaître un tassement. Je rappelle que cette disposition est applicable depuis un peu moins de deux ans, puisqu’elle a été mise en œuvre en 2011.

Pour l’année 2011, au cours du premier trimestre, 191 plaintes ont été adressées au Conseil supérieur de la magistrature, 125 au deuxième trimestre, et 55 au troisième trimestre. Il s’agit d’un processus habituel lorsqu’un nouveau droit est ouvert : dans un premier temps, les citoyens s’emparent de la nouvelle possibilité qui leur est offerte ; au fur et à mesure, une régulation se met en place, puis les justiciables se rendent compte que ce n’est pas forcément la meilleure procédure pour se faire entendre.

Concernant la répartition de ces plaintes, M. le député Tourret a affirmé qu’une seule avait abouti. Je tiens à rectifier sensiblement son propos : sept plaintes ont été déclarées recevables ; trois ont fait l’objet d’une décision, dont une décision de renvoi devant la formation disciplinaire.

Il est intéressant d’étudier la typologie de ces saisines, afin d’améliorer le dispositif par la suite. Ainsi, 17,7 % d’entre elles ont été rejetées pour cause de prescription, les justiciables s’étant adressés au Conseil supérieur de la magistrature après que la décision irrévocable a été rendue.

Ensuite, 55,8 % des plaintes étaient relatives à des contestations de décisions de justice. Nous savons que le propre d’un jugement est de faire au moins un mécontent, quand ce ne sont pas deux ; l’on peut concevoir que les justiciables, ayant désormais le pouvoir de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, aient eu l’impression qu’il s’agissait d’un niveau supplémentaire de juridiction et qu’ils pouvaient ainsi faire valoir leur insatisfaction à l’égard de la décision de justice.

Par ailleurs, 11,6 % des plaintes ont été rejetées pour cause d’imprécision. Il y a donc lieu de faire un travail d’information des justiciables pour qu’ils formulent différemment leurs saisines. Enfin, 6,7 % des plaintes concernaient des procédures dont les magistrats sont toujours saisis.

Il y a donc là toujours matière à améliorer le dispositif, afin de faire de la possibilité de saisine du Conseil supérieur de la magistrature un vrai droit, et non une source nouvelle de frustration. Nous imaginons assez volontiers le désarroi, la détresse ou simplement le mécontentement d’un justiciable qui, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature, pense obtenir gain de cause, et découvre finalement que ce n’est pas le cas.

Ce point d’information me paraissait vous être dû ; c’est pourquoi j’ai tenu à vous le détailler.

Pour le reste des observations, l’on doit reconnaître que certains des arguments avancés par l’opposition sont récurrents : vous êtes fidèles à vous-mêmes !

M. Julien Aubert. À nos idées et à nos valeurs !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous répétez constamment les mêmes choses, même dans des débats et sur des projets de loi de natures différentes !

Ainsi, l’argument selon lequel nous ferions mieux de nous occuper d’autres sujets est récurrent : quel que soit le sujet que l’on vous présente, nous devrions traiter d’autre chose !

M. Julien Aubert. Nous n’avons pas parlé de la procréation médicalement assistée !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est vrai ! Mais vous venez de vous rattraper !

M. Julien Aubert. J’ai réussi à la placer, ce qui n’était pas évident !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, et cela figurera au Journal officiel ! Vous avez failli nous dépayser ! Je m’étais déjà déshabituée, je dois l’avouer !

M. Fenech, dont l’argument a été également repris par M. Aubert, réclame à nouveau une inspection judiciaire. Pardonnez-moi, monsieur le député, mais cessez de me demander de ne pas respecter la loi ! C’est le décret de 2010, adopté sous la majorité à laquelle vous apparteniez, qui a défini les conditions dans lesquelles l’inspection générale des services judiciaires peut intervenir. L’article 10 va jusqu’à préciser les lieux auxquels cette inspection a accès.

Que vous ayez une idée fixe contre le syndicalisme dans la magistrature, que vous vouliez en faire un sujet de débat, ce n’est pas choquant en soi : il suffit simplement de regarder l’histoire de l’organisation de la magistrature, l’histoire des associations dans un premier temps, puis de la construction du syndicalisme en tant que tel au sein de la magistrature, pour considérer que ce n’est pas un sujet conjoncturel.

Vous avez tout à fait le droit de considérer que cela peut faire l’objet d’un débat ; mais ne faites pas du syndicalisme une infraction ! Ne faites pas du syndicalisme une pratique illégale ! Pensez-en ce que vous voulez, mais ne me demandez pas de transgresser la loi ni le droit, surtout quand ce droit a été écrit par votre majorité !

M. Pascal Popelin. Très bien dit, madame la ministre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour le reste, les débats et les interventions ont montré l’importance du contenu de cette réforme. L’opposition nous dit, souvent dans une même intervention – il est vrai que, ces dernières semaines, elle a eu du mal à se trouver en accord avec elle-même –, que c’est à la fois trop et trop peu.

Ainsi, M. Fenech nous a d’abord dit cet après-midi que nous confondions indépendance et autonomie, et que l’indépendance n’était pas souhaitable ; puis, dans la chute magnifique de sa motion de rejet préalable, il nous a reproché de ne pas respecter suffisamment l’indépendance.

Ces conversations avec soi-même peuvent bien entendu se poursuivre. Mais il est pour nous évident que le contenu de cette réforme est important, car nous modifions substantiellement le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, et nous choisissons de faire confiance aux syndicats – pardon, aux magistrats.

M. Julien Aubert. Il est vrai qu’il vous arrive parfois de les confondre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons une très haute opinion de ce qu’est la mission de juger, une opinion si haute que nous estimons qu’il faut réfléchir profondément à cette mission de juger au XXIe siècle.

J’ai donc confié à l’Institut des hautes études sur la justice, dont je pense que vous reconnaissez les grandes qualités et les mérites, une étude pour nous éclairer sur ce point, ainsi que sur le périmètre d’intervention du juge, l’équipe d’assistants qui doit être à ses côtés et la juridiction du XXIe siècle.

J’ai également mobilisé la direction des services judiciaires pour qu’elle mène, en association avec les organisations syndicales, une réflexion sur les mêmes sujets. Nous prendrons ensuite des décisions, notamment pour ajuster la carte judiciaire et pour mieux concevoir l’acte de juger au sein de nos juridictions.

Selon vous, le problème ne vient pas du Conseil supérieur de la magistrature, mais des juridictions et surtout des conditions dans lesquelles les juges exercent, d’une part, et les justiciables peuvent recourir au service public de la justice, d’autre part. Bien évidemment, personne n’a jamais prétendu que le Conseil supérieur de la magistrature posait problème ! Toutefois, le Conseil supérieur de la magistrature actuel génère des insatisfactions et présente un caractère inachevé, que nous rectifions.

Mais nous ne faisons pas que cela : nous exposons également notre conception de cette instance : les conditions de nomination doivent être respectées par le pouvoir exécutif et toute ingérence du pouvoir exécutif doit devenir impossible, tant dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature que dans son fonctionnement – et a fortiori dans le fonctionnement et l’exercice de juger de nos juridictions. Voilà ce que nous disons très clairement.

Nous complétons donc ce qui était inachevé, tout en adoptant une approche différente du Conseil supérieur de la magistrature.

Pour le reste, nous faisons le travail nécessaire, qui est colossal compte tenu de la dégradation de nos juridictions ces dernières années.

Je ne veux pas vous chercher querelle, et pas seulement parce que j’espère atteindre la majorité des trois cinquièmes : vous savez bien que je ne vous cherche jamais querelle !

M. Julien Aubert. Jamais !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il m’arrive de riposter !

M. Julien Aubert. Et encore !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et encore, pas systématiquement…

M. Julien Aubert. Pas assez !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pas assez, j’en conviens très volontiers ; mais je me rattraperai de temps en temps afin de remettre les pendules à l’heure.

Je ne veux pas vous chercher querelle parce que c’est inutile. Mais si vous nous accusez de choses dont vous êtes comptables, je vais procéder à quelques rappels ! Je rappelais ainsi à la tribune qu’il manque 1 400 magistrats pour compenser les départs à la retraite déjà programmés sur le quinquennat. Ces dernières années, les dispositions en faveur de la formation de magistrats n’ont pas été prises, qui auraient au moins permis de compenser ces 1 400 départs à la retraite.

M. Éric Straumann. Vous n’avez qu’à reculer l’âge du départ à la retraite !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Aujourd’hui, lorsque nous créons des postes – ce que je fais depuis 2013 –, nous ne disposons pas systématiquement de magistrats à nommer sur ces postes ; nous devons donc nous débrouiller pour rattraper la situation et régler ce problème.

C’est la continuité de l’État : il existe un besoin, une nécessité, des urgences parfois. Étant aux responsabilités, nous prenons les dispositions nécessaires.

Aussi, lorsque vous nous dites qu’« il faudrait faire », je vous réponds exactement ce qu’il faut faire. Regardez l’état de l’immobilier judiciaire : il faudrait faire, et faire beaucoup – et nous le faisons.

J’ajoute que nous le faisons dans des conditions qui n’endettent pas les générations à venir puisque, contrairement à vous, qui avez eu recours aux partenariats public-privé, nous réalisons des travaux lorsque cela est nécessaire en maîtrise d’ouvrage.

Vous avez négligé considérablement aussi bien l’immobilier judiciaire que l’immobilier pénitentiaire, au point que nous sommes confrontés aujourd’hui à des besoins, à des urgences liés à une forte dégradation du parc judiciaire et pénitentiaire.

Les frais de fonctionnement ont été fortement réduits ces dernières. Aussi devons-nous faire des efforts – et nous en avons fait – pour les augmenter. Les frais de justice ont été fortement pénalisés. D’ailleurs, en 2012 – année qui ne relevait pas de notre responsabilité budgétaire –, nous avons dû trouver, dès les mois de juin et juillet, les crédits nécessaires pour permettre le fonctionnement des juridictions jusqu’à la fin de l’année. Voilà la réalité que nous devons affronter quotidiennement !

Certes, ce n’est pas le sujet du débat d’aujourd’hui.

M. Julien Aubert. Effectivement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais c’est vous qui en faites un argument pour démontrer que cette réforme n’est pas nécessaire et qu’il importe surtout de faire mieux fonctionner la justice. Eh bien, nous nous y employons, et je vous explique comment nous procédons !

En conclusion, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature s’inscrit dans un mouvement de consolidation de nos institutions, dans un processus historique de démocratisation et il est une marque de confiance dans les magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sergio Coronado. Très bien !

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle.

Article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 21 et 2.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement n° 21.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Cet amendement vise à substituer, à l’alinéa 2 de l’article 1er, au mot : « concourt » le mot : « veille ».

La rédaction proposée par cet amendement, qui est identique à l’amendement n° 2 de M. Fenech, paraît préférable.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Georges Fenech. C’est le seul point sur lequel nous serons d’accord ce soir ! Le mot : « veille » semble en effet plus approprié que le mot : « concourt ».

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à ces amendements. Il avait hésité entre le mot : « participe » et le mot : « concourt ». Quant au mot « veille », il avait la préférence du Conseil supérieur de la magistrature.

Je répète qu’il nous faudra trouver – peut-être le ferons-nous avec nos collègues du Sénat – une autre formulation que « par ses avis et ses décisions », de façon à ne pas enfermer toute l’expression du Conseil supérieur de la magistrature.

(Les amendements identiques nos 21 et 2 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour soutenir l’amendement n° 45.

M. Julien Aubert. Cet amendement vise à compléter l’article 1er par un alinéa qui précise la notion d’indépendance, car, si l’on en parle beaucoup, l’indépendance n’est définie nulle part.

Si nous concevons tous spontanément que l’indépendance est la non-immixtion des pouvoirs exécutif et législatif dans le processus judiciaire, elle suppose également la neutralité politique, c’est-à-dire la non-immixtion des magistrats dans le domaine politique.

En effet, on a bien vu, dans l’affaire dite du « mur des cons », qui a agité cet hémicycle ces dernières semaines, que lorsque des magistrats révèlent une préférence ou – comme c’était le cas en l’espèce, à l’encontre de l’opposition – une hostilité politique, ils perdent toute apparence d’impartialité, d’indépendance, de sorte que le citoyen peut douter que la justice est rendue de manière impartiale et équilibrée.

S’il est de notre devoir de protéger l’indépendance de l’autorité judiciaire, encore faut-il que les magistrats qui la composent la protègent également. Puisque nous sommes ici pour essayer de trouver des convergences afin de parvenir à un large consensus entre la droite et la gauche, il est essentiel de réaffirmer la neutralité politique des magistrats pour bien montrer que l’indépendance est assurée du dehors mais aussi du dedans et que les magistrats ont des droits et des devoirs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable, pour plusieurs raisons.

Premièrement, je ne crois pas qu’un consensus se ferait, même si nous adoptions cet amendement. En tout cas, je serais prêt, à ce moment-là, à revoir ma position.

Deuxièmement, le statut des magistrats dépend de la loi organique.

La troisième raison est plus politique et concerne la fameuse question du « mur des cons », que je vous propose d’évacuer une bonne fois pour toutes.

Le précédent Président de la République avait déclaré que les magistrats étaient des petits pois : quand on sème le vent, il ne faut pas s’étonner de récolter une mini-tempête. Les magistrats sont tenus à un devoir de réserve personnel, et ils le respectent. Le syndicat a cru bon se lancer dans une opération potache ; c’est une réponse du berger à la bergère. Je vous propose de laisser le berger et la bergère régler seuls leurs petites affaires et de revenir à nos moutons constitutionnels, à Versailles – lieu qui, selon Marie-Antoinette, était approprié à l’élevage des moutons (Sourires) – dans sa dimension républicaine.

M. Gilles Bourdouleix. Marie-Antoinette a mal fini !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Si ça a mal fini pour elle, ça finira très bien pour nous !

M. Julien Aubert. Ce sera une réforme guillotinée !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le point essentiel de votre amendement a trait à la neutralité politique, qui devient chez vous, vous en conviendrez, un peu une idée fixe.

Je serais étonnée que vous fassiez l’unanimité dans vos rangs, car vous proposez de réduire les droits civiques. Or nous sommes dans une démocratie. L’autre jour, j’ai eu l’impression que M. Mariani pensait qu’il était infamant d’être magistrat. Il y a des magistrats dans vos rangs.

M. Julien Aubert. Moi, je suis magistrat !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous savez bien que, lorsque le magistrat endosse la robe, il quitte ses convictions et il juge en droit. Acceptons de faire confiance aux magistrats.

Je ne vois pas pourquoi on les priverait de droits civiques. Ils ont le droit d’avoir une opinion politique, voire de mener une action politique – certains le font et sont assez connus, réputés pour cela dans la société. Mais en tant que magistrats, ils observent la neutralité que vous réclamez, monsieur Aubert.

M. Julien Aubert. Pas toujours !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Votre amendement ne me paraît donc pas pertinent, non seulement parce que, comme l’a rappelé M. le rapporteur, une telle disposition n’aurait pas sa place dans la Constitution, mais aussi parce que, dans une société démocratique, dans un État de droit comme le nôtre, je ne conçois pas que l’appartenance syndicale vous préoccupe à ce point. J’ai du mal à comprendre que vous n’acceptiez pas que les magistrats jugent en droit, au nom du peuple français et en respectant les règles qu’ils doivent appliquer.

M. Julien Aubert. On n’a pas dit cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quelles que soient les appréciations subjectives, politiques ou partisanes que l’on peut porter sur une décision ou sur une autre, la réalité est que le corps de la magistrature fonctionne correctement et dignement dans ce pays.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. M. Raimbourg veut évacuer la question du « mur des cons » ; il a raison.

Madame la garde des sceaux, vous dites que la loi ne vous permet pas de saisir l’inspection des services judiciaires. Je n’en suis pas convaincu. Qui qu’il en soit, vous auriez pu au moins saisir la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature plutôt que sa formation plénière. À ce moment-là, il se serait déclaré compétent, comme il l’a indiqué dans sa décision.

Vous n’imaginez pas le mal que cette affaire a fait à la justice. Je le constate tous les jours sur le terrain, quand je rencontre les Français, comme tous mes collègues parlementaires. Sur ce mur, je vous rappelle qu’il y avait deux pères de victimes de tueurs en série.

L’amendement de M. Aubert n’est pas aussi anodin que cela. Le vrai problème est sans doute celui de la politisation de la justice. Vous prétendez qu’une fois qu’ils ont endossé leur robe, les magistrats redeviennent des juges indépendants. Ce n’est pas toujours le cas. Souvenez-vous de ces slogans syndicaux : « Juger est un acte politique » ou encore « Faites pencher la balance du côté du plus faible ».

Aujourd’hui, l’image de la justice est écornée par des juges engagés. Lorsqu’ils endossent leur robe, ils ne mettent pas au vestiaire leur idéologie et ils rendent des décisions en fonction d’une idéologie. C’est contre cela qu’il faut lutter. Pour avoir été président d’un syndicat de magistrats, je sais de quoi je parle. J’ai combattu cette politisation de la justice. Qu’il y ait un syndicalisme professionnel, comme il en existe dans les chambres régionales des comptes ou les juridictions administratives, où l’on ne fait pas de politique, c’est normal. Mais en France, nous nous trouvons dans cette situation particulière où des juges refusent d’appliquer la loi, appellent à ne pas l’appliquer et à faire battre le candidat Sarkozy. C’est un engagement politique qui discrédite l’institution judiciaire. Il faudrait mener une réflexion sur cette question.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous nous opposons, bien entendu, à cet amendement, pour plusieurs raisons.

M. Aubert tente de définir l’indépendance de l’autorité judiciaire par « la non-immixtion des pouvoirs exécutif et législatif dans le processus d’enquête et de contentieux » et par le respect du « devoir de neutralité politique des magistrats qui la composent ». Je suis navré de dire que ce n’est pas la définition de l’indépendance de l’autorité judiciaire. L’indépendance et l’impartialité sont des éléments consubstantiels à la situation du magistrat.

Tout à l’heure, dans la discussion générale, j’ai rappelé que le Président de la République avait indiqué, lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, que l’indépendance de la justice dépendait aussi de la volonté des magistrats d’être indépendants et que chacun d’entre eux devait avoir un sens profond des fonctions qu’il exerce.

Cet amendement est un réquisitoire contre le Syndicat de la magistrature ; ce débat n’est pas celui de la réforme constitutionnelle.

Nous savons que l’obligation d’indépendance et d’impartialité fait partie du statut du magistrat. S’il manque à l’impartialité, il peut en rendre compte. Du reste, grâce au dispositif proposé dans la réforme, il le pourra de plus en plus. C’est un progrès.

L’indépendance des magistrats n’est pas limitée aux points que vous évoquez dans votre amendement. C’est plutôt très inadapté à un texte constitutionnel.

(L’amendement n° 45 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour soutenir l’amendement n° 44.

M. Julien Aubert. Pourquoi modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature ? Pour ce qui me concerne, cette instance est une autorité, et non un pouvoir – tel est d’ailleurs le sens qui lui est donné dans la Constitution de la Ve République – et je conteste l’idée que le pouvoir démocratique ne saurait à aucun moment contrôler ce que font les juges. Or, non seulement depuis 2008, le CSM n’est plus présidé par le Président de la République, mais vous souhaitez maintenant qu’il soit composé d’une majorité de magistrats, car vous estimez que la justice doit être gérée par les magistrats. Eh bien, je dis : non ! Car la composition du Conseil supérieur de la magistrature doit refléter, accompagner, aider, favoriser le contrôle démocratique de l’autorité judiciaire en ouvrant la justice sur la société et sur le pouvoir législatif. Le CSM ne doit donc pas être composé uniquement de magistrats ; il doit comprendre, non pas des parlementaires en exercice, mais des parlementaires honoraires qui sont donc capables de faire le lien avec les autres pouvoirs. C’est ce que je proposerai tout à l’heure.

J’ai bien vu, madame la garde des sceaux, que vous n’étiez pas à l’aise lors de la discussion de l’amendement précédent, car vous ne voulez pas dire que les magistrats doivent être neutres politiquement. Vous en arrivez même à nier le fait qu’ils puissent prendre des positions partiales, alors que nous sommes dans un pays où des syndicats appellent à battre un candidat à l’élection présidentielle, où des syndicats, dans des courriers et des courriels, critiquent la loi telle qu’elle est proposée par le garde des sceaux alors qu’ils doivent l’appliquer ensuite. Comment, dans ces conditions, demander aux Français de croire en cette fiction que le magistrat est neutre dès lors qu’il endosse la robe, alors que dix minutes auparavant il tirait à boulets rouges sur le Gouvernement ?

Je crois qu’une certaine minorité, au sein de la magistrature, doit faire preuve d’un peu plus de retenue et que, si un contrôle doit être exercé par le CSM, il ne doit pas être laissé aux seuls magistrats.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable, pour plusieurs raisons. Premièrement, il ne s’agit pas d’un problème de syndicalisme : le CSM est là pour contrôler la nomination et la carrière des magistrats. Deuxièmement, le CSM n’est pas là pour assurer le fonctionnement de la justice, mais pour garantir la non-immixtion du pouvoir politique dans l’évolution des carrières.

Quant à la question de savoir si la justice fonctionne suffisamment sous le contrôle démocratique du peuple français, c’est le seul point sur lequel je peux rejoindre M. Aubert. J’ai du reste proposé, dans un rapport, de créer des conseils d’administration au sein des tribunaux, de façon que le fonctionnement démocratique de la justice soit assuré. Mais c’est une question totalement différente, qui est en dehors de notre débat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Parfois, je me demande dans quel monde vous vivez, monsieur Aubert. Nous sommes tout de même dans un système démocratique et contradictoire. À vous entendre, on a l’impression que le juge est tout-puissant, qu’il fait absolument ce qu’il veut, qu’il juge à sa fantaisie, de manière complètement irrationnelle et sans aucun contrôle. Mais non ! Nous avons un système contradictoire. Les audiences sont publiques. Quand je vous écoute, je me demande où nous sommes !

Vous ne pouvez pas dire que le juge n’est pas contrôlé. Il y a des procédures disciplinaires : il y en a eu douze sur les douze derniers mois, soit un petit peu plus que ces dernières années. Les juges sont donc bien contrôlés, par le Conseil supérieur de la magistrature, parfois par le premier président de la cour d’appel.

Nous avons de nombreux points de désaccord, mais ne laissez pas croire aux justiciables qu’ils ont des institutions sur lesquelles ils ne peuvent pas compter et dont ils doivent douter parce que leurs membres ne sont dignes ni de respect, ni de confiance. Ce faisant, vous ne rendez pas service au citoyen ni, surtout, au justiciable le plus vulnérable, celui qui a besoin d’un service public de la justice solide, celui qui a besoin de recourir à la justice lorsqu’il est en difficulté, pour des problèmes à caractère civil ou pénal. C’est pour ce justiciable-là que nous avons besoin d’institutions solides. Ne faisons pas croire que le magistrat fait strictement ce qu’il veut, qu’il fait n’importe quoi, qu’il juge en fonction de ses opinions et de ses exaspérations : ce n’est pas le cas !

Nous sortons d’une période où, effectivement, nous avons assisté à de véritables disputes publiques entre la magistrature et les pouvoirs publics ; mais enfin, qui a commencé la bataille ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous faisons en sorte, depuis un an, qu’elles ne se poursuivent pas, mais ne laissons pas dire ici que les magistrats sont des personnes fantaisistes. Les magistrats prêtent serment, ils sont soumis à une déontologie et à des règles disciplinaires, monsieur Fenech.

Je ne sais pas si cela va devenir un feuilleton et qu’à chaque fois que vous prendrez la parole, vous reviendrez sur ce mur. Certes, cela peut être obsédant, mais il n’y a pas là de faute disciplinaire. C’est un acte répréhensible, moralement contestable, inacceptable, dommageable, mais ce n’est pas une faute disciplinaire. Vous voulez envoyer l’inspection alors que le décret l’interdit, vous voulez saisir le CSM disciplinaire alors que vous ne pouvez pas établir l’existence d’une faute disciplinaire. Il s’agit de droit ; les magistrats aussi respectent le droit. On peut penser que, dans ce pays, la grande majorité des magistrats respectent le droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Georges Fenech. Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !...

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Vous m’inquiétez, madame la ministre. Je croyais benoîtement que nous avions le même diagnostic, mais ce n’est pas vrai. Vous avez l’air d’ignorer totalement la désespérance qu’inspire aux Français le fonctionnement du système judiciaire : je vois défiler des gens qui sont dans des situations évidentes de déni de justice et qui viennent me voir pour demander que faire.

Surtout, vous semblez ignorer que dans vos tribunaux,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce sont les tribunaux de la république !

M. Julien Aubert. …il y a des situations aberrantes : parfois, un juge de première instance statue en totale violation de la loi ; son jugement remonte à la Cour de cassation, qui la casse ; et le juge de première instance reprend le même arrêt, et ça repart !

Il arrive que le Parlement vote une loi, comme sur la garde à vue, et que le juge s’en affranchisse dans son interprétation, au point que le procureur de la Cour de cassation ait parlé de forfaiture. Vous semblez ignorer que certains magistrats s’affranchissent totalement du contrôle démocratique.

Je n’ai pas dit – et ne nous faites pas dire – que tous les magistrats aujourd’hui sont fantaisistes : 99 % d’entre eux appliquent la loi.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Dans ce cas, pourquoi déposez-vous un amendement pour modifier la Constitution ?

M. Julien Aubert. Je ne vous dis pas que, dans tous les locaux de France, il y a un « mur des cons », mais c’est bien parce qu’il y en a eu un que nous sommes obligés de faire attention à ce genre de choses.

Vous nous dites que le contrôle existe. Des contrôles par qui ? Par des structures internes. Or, le Parlement ou le peuple ont aussi le droit d’exercer leur contrôle : cela s’appelle le contrôle externe.

(L’amendement n° 44 n’est pas adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour soutenir l’amendement n° 46, portant article additionnel après l’article 1er.

M. Julien Aubert. Mon amendement vise – vous n’en serez pas étonnés – à réaffirmer que les magistrats doivent s’abstenir de prises de position susceptibles de nuire à la neutralité de l’autorité judiciaire.

Vous allez me répondre qu’il y a le devoir de réserve, le statut des magistrats, les lois organiques… Or, ce que je constate aujourd’hui, c’est que le devoir de réserve n’est visiblement pas assez caractérisé, puisqu’une certaine partie de la magistrature ose s’en affranchir. En lui donnant une valeur constitutionnelle, le Parlement enverra un signal clair pour rappeler que la magistrature est une administration comme les autres. Si nous sommes tous attachés à l’indépendance de l’autorité judiciaire et si, nous tous, parlementaires, hommes politiques, nous nous interdisons dans nos fonctions exécutives ou législatives d’intervenir dans le fonctionnement de la justice,…

M. Matthias Fekl. Et Guaino ?

M. Julien Aubert. …nous ne voulons pas non plus d’une démocratie à l’italienne, où des magistrats protégés peuvent faire ce qu’ils veulent.

Votre extrême prudence est assez curieuse : vous êtes prêts à modifier le CSM tous les deux ou trois ans, mais, lorsqu’on propose d’inscrire dans la Constitution l’obligation de neutralité des magistrats, que tout le monde reconnaît, cela vous gêne. Pourquoi ? Je ne me l’explique pas. On peut se cacher derrière des arguties, recourir à la logorrhée, la véritable question est la suivante : les magistrats doivent-ils être neutres politiquement et cela doit-il être validé au plan constitutionnel ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable. Premièrement, nous n’allons pas passer la nuit sur le « mur des cons », aussi intéressant que ce soit…

M. Pascal Popelin. Il faut l’interdire dans la Constitution !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Deuxièmement, je ne sais pas quelles sont vos opinions personnelles, monsieur Aubert, mais comment soutenir l’argumentation que vous avez défendue quand on s’en prend à un juge d’instruction ? Cela pour un motif qui est peut-être fondé, mais un homme politique ne peut pas s’en prendre à un juge d’instruction. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Avis défavorable : je propose que nous avancions rapidement, car, encore une fois, nous n’allons pas passer la nuit sur le « mur des cons » !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je parlais tout à l’heure de l’art de ne pas être d’accord avec soi-même. Monsieur Aubert, vous avez indiqué que 99 % des magistrats faisaient correctement leur travail, et pourtant, vous voulez définir les règles du CSM pour répondre à l’hypothèse de 1 % des magistrats qui ne feraient pas correctement leur travail, n’observeraient pas la neutralité politique ou ne seraient pas contrôlés selon les procédures prévues. C’est assez acrobatique !

Avis défavorable. Je pourrais vous donner quelques exemples, mais je ne vois aucun intérêt à les introduire dans la discussion…

M. Julien Aubert. Désolé d’être là !

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Dominique Raimbourg a été choqué d’une critique assez forte émise par notre collègue Henri Guaino contre un juge d’instruction. Dois-je vous rappeler ce qui s’est passé, à une certaine époque, quand M. Emmanuelli avait été mis en examen par M. Van Ruymbeke ?

M. Pascal Popelin. Si on va par là !...

M. Georges Fenech. Monsieur Popelin, ayez le respect du débat contradictoire. Je ne souviens qu’au congrès du parti socialiste, on faisait le procès de Van Ruymbeke. Vous vous en souvenez, ne dites pas le contraire. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cela démontre quoi ? C’est ce qu’il ne faut pas faire !

M. Sébastien Denaja. Guaino n’est jamais là, qu’il vienne !

M. Georges Fenech. Monsieur Denaja, je vous répondrai tout à l’heure. Je dois d’abord répondre au garde des sceaux. Je relève en effet avec étonnement, concernant le « mur des cons » – puisque vous m’avez relancé sur ce sujet – …

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous écrivons la Constitution !

M. Georges Fenech. Prenez la parole, Le Bouillonnec !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faut relever un peu le niveau !

M. le président. M. Fenech seul a la parole.

M. Georges Fenech. Nous allons essayer de rester à un certain niveau. Vous ne m’empêcherez pas d’aller jusqu’au bout de mon propos.

Madame la garde des sceaux, en parlant encore une fois de cette malheureuse affaire, vous nous avez dit que c’était un comportement anormal, condamnable et tout ce que nous voulions, mais que ce n’était pas disciplinaire. Que je sache, le conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature est également compétent pour tout ce qui touche au comportement des magistrats, qui doit être loyal, digne, respectable. Vous évoquez des critères qui n’existent pas. Que vous ne vouliez pas saisir la formation disciplinaire, c’est votre droit, mais ne dites pas que vous n’avez pas les moyens de le faire. Ce n’est pas vrai.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai pas dit que je n’avais pas les moyens de le faire, j’ai dit que ce n’était pas disciplinaire. C’est du français !

(L’amendement n° 46 n’est pas adopté.)

Article 2

M. le président. Nous en venons aux amendements à l’article 2.

Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 35, 43 et 53, tendant à supprimer cet article.

La parole est à M. Éric Straumann, pour soutenir l’amendement n° 35.

M. Éric Straumann. Par cet amendement, il est en effet proposé de supprimer l’article 2. Nous le savons tous, les décisions de justice sont rendues en France au nom du peuple français. Cette formule résulte de l’article 454 du code de procédure civile et figure en en-tête de ses décisions.

Cet en-tête n’est pas une simple figure de style, elle a une dimension historique, démocratique et politique majeure. Maurice Aydalot l’a rappelé aux magistrats, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en octobre 1973 : « Nous devons mériter la confiance du peuple français, de tout le peuple français, si nous voulons assurer à notre justice cette crédibilité sans laquelle nous ne construirions que sur du sable. »

Or, il faut le constater, à tort ou à raison, la confiance de nos concitoyens envers les magistrats se délite. Un fossé s’est creusé entre le juge et le peuple, et même entre celui-ci et l’institution judiciaire. Le peuple français, qui a confié au magistrat le pouvoir de juger, doit être en mesure d’exercer un contrôle à travers le Conseil supérieur de la magistrature. C’est pour cette raison que je vous propose de maintenir la règle qui veut que les magistrats ne soient pas majoritaires au CSM.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n° 43.

M. Guillaume Larrivé. Je défends cet amendement de suppression en cohérence avec ce que j’ai exposé dans la discussion générale, pour deux raisons principales. La première vient d’être rappelée par notre collègue : nous pensons, contrairement au Président de la République, au Premier ministre et à vous, madame la garde des sceaux, qu’il convient que le Conseil supérieur de la magistrature ne soit pas dans les mains des magistrats eux-mêmes et ainsi qu’il convient que ceux-ci demeurent minoritaires.

Mais il y a une seconde raison : il nous paraît assez extravagant de vouloir retirer au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale, au Président du Sénat, qui sont les plus hautes autorités de l’État, fortes d’une légitimité acquise grâce au suffrage universel, tout pouvoir de domination au bénéfice d’autorités fort sympathiques mais qui, comme le président du Conseil économique, social et environnemental, n’ont – pardon de le dire – à peu près rien à voir avec le sujet qui nous occupe.

Pourquoi diable le Président de la République, le président du Sénat ou le président de l’Assemblée, seraient-ils moins légitimes que le président du Conseil économique, social et environnemental ou que le défenseur des droits, pour nommer des personnalités qualifiées au sein du Conseil supérieur de la magistrature ? En vérité, madame la garde des sceaux, vous vous méfiez du suffrage universel, vous vous méfiez du peuple français et vous vous efforcez, chemin faisant, au fond, de conforter cette espèce de corporatisme judiciaire que nous continuons à dénoncer.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 53.

M. Georges Fenech. Madame la ministre, observez cet hémicycle : on compte à peu près une vingtaine de députés de la majorité et moins d’une dizaine de députés de l’opposition. Je le regrette mais c’est vous dire l’enthousiasme, évoqué par Mme Guigou tout à l’heure, à l’idée de voter cette grande réforme constitutionnelle, cette réforme décisive… Vous rendez-vous compte ? Nous avons vraiment ce soir l’impression d’un débat surréaliste !

Parité, majorité de personnalités civiles… cela n’empêchera pas la justice de tourner, cela n’ajoutera ni n’enlèvera rien à l’indépendance de la justice et Dominique Raimbourg le sait aussi bien sinon mieux que moi. Sitôt que le Conseil supérieur de la magistrature se réunit, il y a entre les clercs et les laïcs, comme on dit, une volonté commune d’assurer l’indépendance de la justice. Votre texte ne changera pas fondamentalement la face du monde judiciaire.

Nous sommes réunis pour discuter d’une réforme dont nous pensons vraiment qu’elle est devenue une peau de chagrin, une réforme ne présentant plus le même intérêt que lorsque François Hollande avait proposé de renverser la majorité au sein du CSM – ce qui du reste aurait pu faire craindre un plus grand risque encore d’isolement du monde judiciaire.

Ce soir, j’éprouve une profonde tristesse voire un certain ennui, je dois le dire, de devoir débattre d’un texte qui ne s’impose pas, qui se révèle même inopportun, et je persiste à penser, madame la garde des sceaux, que la justice avait besoin que nous consacrions du temps à d’autres problèmes plus réels, à d’autres problèmes auxquels le justiciable est confronté chaque jour. Encore une fois, il s’agit d’une réformette, pour reprendre le mot de Sébastien Huyghe tout à l’heure : tout ça pour ça !

Nous allons néanmoins continuer de débattre toute la soirée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements de suppression ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable. Tous les arguments ont déjà été échangés au cours de la discussion générale.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces mêmes amendements ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour que le Journal officiel en fasse foi, monsieur Fenech, je vous répète – et j’espère que c’est la dernière fois – à propos de cette malheureuse histoire qui vous obsède, que je n’ai jamais dit que je n’avais pas les moyens de saisir l’inspection des services judiciaires. J’insiste sur le fait que ce dont il est ici question ne constitue pas une faute disciplinaire en droit. Je ne me défausse pas, parce que ce n’est ni mon tempérament ni mon éthique. Je n’ai jamais dit, je le répète, que je n’avais pas les moyens de saisir l’inspection. J’ai toujours affirmé, et j’espère que mes propos seront enfin audibles, qu’il ne s’agissait pas d’une faute disciplinaire en droit. Je sais bien que, ces dernières années, on a fait ce qu’on voulait du droit : on l’a modifié, on l’a rendu contradictoire, incohérent, inintelligible ; reste qu’en l’état actuel de ce droit, il ne s’agit pas d’une faute disciplinaire.

Pour le reste, le Gouvernement émet un avis défavorable à ces trois amendements identiques : à quoi bon être ici si c’est pour supprimer l’article qui modifie l’article 65 de la Constitution ?

(Les amendements identiques nos 35, 43 et 53 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Georges Fenech. Il est défendu.

(L’amendement n° 3, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 22 et 4.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 22.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je me félicite de cette rédaction commune avec M. Fenech.

M. Georges Fenech. Je vous remercie.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Georges Fenech. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’honnêteté étant une de nos vertus cardinales, nous nous félicitons également de cette rédaction commune. Avis favorable.

(Les amendements identiques nos 22 et 4 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 23.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle.

(L’amendement n° 23, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 24, du rapporteur, est également rédactionnel.

(L’amendement n° 24, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 5, de M. Georges Fenech, est défendu.

(L’amendement n° 5, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 42 et 25, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 42.

M. Sergio Coronado. Il s’agit par cet amendement de permettre à tout magistrat de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Dès lors qu’il existe une possibilité de saisine pour tout citoyen ou pour le pouvoir exécutif, il semble anormal que les magistrats soient exclus de la possibilité de saisine. Le Conseil supérieur de la magistrature concourant, par ses avis et ses décisions, à garantir l’indépendance de la justice, il semble important que tout magistrat puisse le saisir sur toute question concernant la déontologie des magistrats mais également l’indépendance de la justice.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 25.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. L’amendement n° 42 devrait être retiré puisqu’il est satisfait par l’amendement n° 25.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable à l’amendement n° 42 de M. Coronado. Nous pensons nous aussi que les magistrats doivent pouvoir saisir le Conseil supérieur de la magistrature ; seulement, votre amendement vise à permettre aux magistrats de saisir le CSM dans sa formation plénière. Or j’ai déjà expliqué à quel point le Conseil supérieur de la magistrature lui-même, comme nous, est embarrassé par la définition de la formation qui peut être saisie. Il envisage donc plutôt une commission de déontologie qui serait à ses côtés. Aussi, si j’approuve votre idée, je vous propose, pour des raisons pratiques, de retirer votre amendement.

Quant à l’amendement n° 25 de M. le rapporteur, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Nous avions eu cette discussion en commission en l’absence de Mme la garde des sceaux. J’avais déjà retiré cet amendement au bénéfice de celui défendu par le rapporteur. Je fais de même en séance publique.

(L’amendement n° 42 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Dans la mesure où les magistrats sont des citoyens, qu’est-ce qui leur interdit, en tant que tels, de saisir le Conseil supérieur de la magistrature ? Aurais-je mal compris ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La procédure n’est pas de même nature !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Les citoyens peuvent déposer plainte, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

(L’amendement n° 25 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour soutenir l’amendement n° 47.

M. Julien Aubert. Toujours dans la même veine, il s’agit d’établir des ponts…

M. Matthias Fekl. Avec le front national ?

M. Julien Aubert. …entre le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire en créant un droit de saisine du Conseil supérieur de la magistrature, réservé à soixante députés ou soixante sénateurs, sur le modèle de ce qui existe pour le Conseil constitutionnel. On garde ainsi l’indépendance de la justice tout en établissant des passerelles entre les institutions. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis étonnée par cet amendement, je vous le dis en toute franchise. En l’état actuel du droit, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel ; or il s’agit ici du Conseil supérieur de la magistrature, auquel vous êtes en train de donner un pouvoir que le texte ne prévoit pas.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La Constitution évoque en effet l’autorité judiciaire et non le pouvoir judiciaire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous allez au-delà du texte, monsieur Aubert, et, par le biais de cet amendement, vous donnez presque au Conseil supérieur de la magistrature une stature juridictionnelle ; ce que je trouve, je le répète, surprenant.

Je me permets de revenir à la question que vous avez posée à l’occasion de la discussion des deux amendements précédents. Il s’agit pour les magistrats de pouvoir saisir le Conseil supérieur de la magistrature sur des questions de déontologie qui les concernent. En effet, les magistrats s’interrogent parfois dans leurs juridictions. Parfois ils s’adressent à leur syndicat, parfois non car tous les magistrats ne sont pas syndiqués. Ils n’ont pas d’interlocuteur pour évoquer telle ou telle question déontologique qui les concerne dans l’exercice de leur mission de magistrat.

C’est dans ce sens que nous travaillons parce que, comme je l’ai déjà évoqué, même le CSM s’interroge sur les thématiques et la forme de cette saisine. Reste qu’il est ici question non pas du magistrat en tant que citoyen mais du magistrat en tant que magistrat.

Avis défavorable à l’amendement n° 47.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je ne vois pas en quoi le parallélisme dans le mode de saisine modifie profondément la substance juridique du Conseil supérieur de la magistrature. Ce n’est pas parce que vous êtes saisi par soixante députés que vous devenez automatiquement un organe juridictionnel.

Il est arrivé, au cours des débats parlementaires, que des faits judiciaires soient connus, que des personnalités ou des magistrats soient mis en cause, que des questions se posent. Or un moyen d’évacuer le débat, de le rendre plus pratique, si je puis dire, c’est de permettre aux députés et aux sénateurs qui considèrent qu’il y a un problème disciplinaire concernant un magistrat, dans l’hypothèse, a fortiori, où le garde des sceaux ne souhaite pas forcément réagir, de convoquer, de saisir le CSM. Charge à ce dernier, ensuite, de statuer en fonction de ses règles internes.

En calquant la saisine du Conseil supérieur de la magistrature sur la saisine du Conseil constitutionnel – et j’ai écrit soixante parlementaires d’une même chambre comme j’aurais pu écrire cinquante ou quarante ; il s’agissait simplement d’obtenir, en fixant ce seuil, un certain volume –, j’entendais lancer l’idée qu’il n’est pas tout à fait stupide de permettre à des parlementaires de saisir la justice pour l’interroger.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Vous confondez deux éléments, mon cher collègue. Jamais soixante députés ou soixante sénateurs ne peuvent saisir un conseil de discipline à l’encontre d’un fonctionnaire quel qu’il soit.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Le pouvoir de saisir un conseil de discipline est donc impossible à constitutionnaliser.

Ensuite, si vous pensez que les parlementaires pourraient demander au Conseil supérieur de la magistrature un avis déontologique sur des questions générales, vous vous trompez également. Le CSM a essentiellement pour vocation de s’occuper de nominations et d’en assurer l’indépendance. Le CSM, on l’a dit, n’est pas un Conseil supérieur de la justice. Si un jour on devait en instituer un, on l’organiserait différemment avec des représentants d’autres fonctionnaires de justice, des représentants, pourquoi pas, de la police, de la pénitentiaire voire des élus locaux. Or nous sommes ici dans une tout autre perspective.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La comparaison avec le Conseil constitutionnel est aberrante : si nous saisissons le Conseil constitutionnel, c’est parce que nous avons une compétence constitutionnelle pour faire la loi. Et, faire la loi, c’est notre instrumentum. Du même coup, et nécessairement, faculté est laissée à ceux qui font la loi d’évoquer devant le Conseil constitutionnel l’inconstitutionnalité de dispositions adoptées par la majorité – puisque cette saisine est en général exercée par l’opposition.

Que demanderions-nous au Conseil supérieur de la magistrature ? Si des questions déontologiques sont en jeu, notre interlocuteur est le ministre de la justice, garde des sceaux, tant que n’existe pas, comme vient de le souligner le rapporteur, un Conseil supérieur de la justice. C’est au garde des sceaux, dans le cadre des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif, que nous demandons des éléments d’interprétation sur le code. Le Parlement ne saurait aller questionner une autorité qui n’a aucune compétence dans les domaines qui sont ceux des assemblées. Nous n’avons pas vocation à nous intéresser aux processus disciplinaires. Je suis assez inquiet, pour ne rien vous cacher, que l’on puisse faire une telle suggestion ici.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Nous avons un problème de méthode. Puisque nous sommes ici pour modifier la Constitution, me dire que jusqu’ici les choses ne se sont jamais passées de cette manière, ou que ce que je propose n’existe pas, c’est un présupposé qui est faux.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je n’ai jamais dit cela !

M. Matthias Fekl. Vous n’avez rien compris !

M. Julien Aubert. Cela ne vous a pas empêchés de modifier le Conseil supérieur de la magistrature au gré des majorités, de le faire évoluer, et de modifier ainsi le rapport de la justice avec les deux autres pouvoirs.

Cela n’a pas de sens de dire qu’il ne faut pas faire une chose, au motif qu’elle n’existerait pas ou qu’elle serait contraire à une loi : par définition, on touche ici à la loi fondamentale. Or je vous ai déjà expliqué que ma vision du Conseil supérieur de la magistrature est différente de la vôtre : pour moi – et je suis logique avec moi-même – il doit concourir à faire la transparence sur la manière dont l’autorité judiciaire est gérée.

Enfin, quand vous me dites qu’il faut passer par le ministre de la justice, cela veut dire, grosso modo, que seule la majorité dans l’hémicycle a un pouvoir de saisine du CSM…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais je n’ai jamais parlé de saisir le CSM !

M. Julien Aubert. …par l’intermédiaire du ministre de la justice. Quand vous êtes dans l’opposition et que le garde des sceaux refuse de saisir le CSM du sujet que vous évoquez, vous n’avez aucune possibilité. Cela signifie que les Français que nous représentons, qui peuvent être en désaccord avec la politique judiciaire, telle qu’elle est menée…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Qu’est-ce que c’est, une politique judiciaire ?

M. Julien Aubert. Pouvez-vous me laisser parler, monsieur ?

M. Matthias Fekl. On ne fait que cela depuis le début de la soirée !

M. Julien Aubert. Monsieur, quand vous parlez, je vous laisse faire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Répondez : qu’est-ce qu’une politique judiciaire ?

M. le président. Monsieur Le Bouillonnec, s’il vous plaît.

M. Julien Aubert. Lorsque le ministre refuse de saisir le CSM, il fait de la politique judiciaire. Si je ne suis pas d’accord avec sa position, en tant que député de l’opposition, je n’ai aucun moyen de saisir la justice, qui doit pourtant être indépendante, et pas être corrélée à la majorité du moment.

M. Sébastien Denaja. Il va s’autosaisir !

M. Julien Aubert. Je ne vois vraiment pas ce qui vous ennuie dans le fait d’instaurer plus de démocratie et plus d’ouverture vis-à-vis de la justice.

(L’amendement n° 47 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 41, 40 et 26, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir les amendements nos 41 et 40

M. Sergio Coronado. Ces deux amendements tendent à aligner le mode de nomination du parquet sur ceux du siège. Dès lors que le Conseil supérieur de la magistrature peut faire des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de la cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance, il faut que le Conseil supérieur de la magistrature puisse proposer des postes comparables pour les magistrats du parquet.

L’amendement n° 41 propose d’intégrer à cette liste le procureur de la République financier, duquel nous allons débattre dans un prochain projet de loi.

M. le président. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous présenter l’amendement n° 26 et donner l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable aux amendements nos 41 et 40. On ne peut pas aligner complètement la situation des magistrats du parquet sur celle des magistrats du siège et donner au CSM un pouvoir de proposition, parce que les magistrats du parquet sont chargés d’appliquer la politique pénale du Gouvernement.

M. Georges Fenech. Ah !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il faut donc absolument qu’il y ait un lien, et ce lien consiste en ce que c’est le garde des sceaux qui fait les propositions.

Quant à l’amendement n° 26, il s’agit d’un amendement rédactionnel relatif à l’avis conforme pour les magistrats du parquet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis défavorable aux amendements nos 41 et 40, pour les raisons que vient de développer le rapporteur. Notre système juridique a ses bases, ses fondements et sa cohérence. Le parquet est lié par l’ordonnance statutaire de 1958 à la politique pénale du garde des sceaux. Vous savez que nous allons vous proposer, dès demain soir d’ailleurs, un projet de loi qui réécrit les attributions du garde des sceaux et ses relations avec les parquets généraux et les parquets.

Nous avons voulu laisser aux parquets généraux et aux parquets la coordination et l’animation de l’action publique que le garde des sceaux ne va plus exercer. Il demeure que ce parquet a la responsabilité de la mise en application de la politique pénale. Par conséquent, il est important que le Gouvernement puisse continuer à effectuer ses propositions de nominations auprès du Conseil supérieur de la magistrature. Pour ces raisons que, j’en suis sûre, vous entendez, je vous propose de retirer ces amendements.

Avis favorable à l’amendement n° 26.

M. le président. Monsieur Coronado, les amendements sont-ils retirés ?

M. Sergio Coronado. Oui, monsieur le Président.

(Les amendements nos 41 et 40 sont retirés.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

MM. Sébastien Denaja. Les amendements ont été retirés !

M. Georges Fenech. Nous sommes ici au cœur d’un sujet essentiel. Il y a, me semble-t-il, dans les explications fournies, aussi bien par la garde des sceaux que par le rapporteur, une certaine contradiction. Dans tout ce projet, comme dans celui qui sera défendu demain par notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, votre vision du parquet, c’est d’aligner le statut du procureur sur celui du juge, en supprimant les instructions individuelles ou en alignant le statut disciplinaire.

Et là, tout à coup, je vous entends dire qu’il est tout de même important que le garde des sceaux continue de pouvoir proposer la nomination des procureurs, puisque ceux-ci, comme l’a dit le rapporteur, sont chargés de faire appliquer l’action publique dont vous êtes la responsable, politiquement, en tant que membre du Gouvernement.

Je suis content d’entendre cela, mais allons jusqu’au bout. Si vous proposez une nomination à un poste de procureur – je pense évidemment à un poste important, dans une juridiction importante –, à partir du moment où vous modifiez la règle et où vous proposez l’avis conforme, il faudra bien que vous ayez l’accord du Conseil supérieur de la magistrature pour pouvoir nommer ceux que vous considérez comme les mieux à même d’appliquer l’action publique.

Il n’y a rien d’illégitime à ce qu’un garde des sceaux puisse nommer des hommes et des femmes qu’il considère aptes à mener sa politique. Mais à partir du moment où vous en venez à l’avis conforme, vous alignez le statut du parquet sur celui du siège et vous vous en remettez au Conseil supérieur de la magistrature, qui pourra vous débouter. Vous n’aurez plus le libre choix des procureurs généraux et des procureurs de la République dans les grandes juridictions qui seraient à même d’appliquer l’action publique.

Tout cela part d’une confusion, qui est entretenue, entre le parquet et le siège. Que je sache, le procureur de la République est une partie au procès, pas un juge. Il a l’action publique et il déclenche la poursuite. C’est au juge d’avoir une indépendance totale dans sa nomination, son statut et sa carrière, puisque lui, il doit dire et rendre la justice. Cette confusion est apparue clairement à l’instant précis où vous avez dit, et je m’en réjouis, que c’est vous qui avez la responsabilité de l’action publique. Mais encore une fois, vous allez vers une dépossession du politique, en faveur de la justice.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député Fenech, j’apprécie que vous appréciiez, mais c’est chez vous qu’il y a une contradiction.

Vous dites que tous les gardes des sceaux, depuis quelques années, respectent l’avis conforme. Vous dites que vous vous en réjouissez et que cela ne nécessite pas d’être constitutionnalisé. Vous estimez donc que cette pratique est bonne ! C’est ce que vous pensez, et pourtant, vous faites tout un développement pour nous dire qu’il ne faut pas que le garde des sceaux accepte l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Georges Fenech. Je n’ai pas dit cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais si ! Vous dites que je me lie, ou plutôt que le garde des sceaux se lie – car nous ne faisons pas les lois pour le quinquennat, ni intuitu personæ, mais pour les institutions.

Ce que nous disons clairement, s’agissant du parquet, c’est que le procureur exerce l’action publique et que le procureur général est chargé de la coordonner et de l’animer ; c’est lui qui rend compte sur la politique pénale au garde des sceaux, lequel – c’est une disposition que nous introduisons – vient rendre compte au Parlement. Mais le choix du procureur ou du procureur général qui doit appliquer l’action publique ne se fait pas selon l’appréciation subjective du garde des sceaux. Le choix se fait en fonction de la carrière de ce magistrat, en fonction de son parcours, de ses qualités, de ce qu’il a déjà fait, de ses états de service. C’est sur ces critères que le choix est fait.

J’en suis à ma cinquième ou sixième « transparence » depuis ma prise de responsabilité, et je peux vous dire que les candidatures de magistrats que nous recevons offrent un véritable choix, en termes de qualités professionnelles, de parcours et d’états de services. La question n’est donc pas de savoir si untel me plaît plus qu’un autre pour appliquer la politique pénale ; la question, c’est de savoir quel est le magistrat que je retiendrai et que je proposerai au Conseil supérieur de la magistrature, parce que ses états de service, son parcours, ses qualités professionnelles font qu’il paraît le mieux placé. Si c’est sur cette base objective que la proposition est faite, il n’y a aucune raison que l’avis conforme ne soit pas respecté. Il ne s’agit pas de choisir selon ses goûts. Pour toutes ces raisons, il n’y a absolument aucune contradiction.

(L’amendement n° 26 est adopté et l’amendement n° 6 tombe.)

M. le président. L’amendement n° 27 du rapporteur est rédactionnel.

(L’amendement n° 27, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement n° 7 tombe.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 20.

M. Georges Fenech. Le renforcement des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature doit permettre aux magistrats de l’ordre judiciaire de saisir le CSM, notamment pour prévenir de la déontologie des magistrats et de leur hiérarchie. Le CSM deviendrait ainsi une véritable instance de transparence, de contrôle et de cohésion dans la magistrature, en garantissant à chacun, à la fois le droit à un procès équitable pour les citoyens par exemple, et l’effectivité des droits reconnus historiquement au statut de magistrats.

Il n’y a vraiment aucune raison de ne pas permettre aux magistrats de saisir le CSM.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cet amendement a été satisfait par le vote de l’amendement n° 25.

M. le président. Monsieur Fenech, retirez-vous cet amendement, s’il est satisfait ?

M. Georges Fenech. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n° 25 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 54.

M. Gilles Bourdouleix. J’ai évoqué tout à l’heure, dans la discussion générale, cet amendement tout à fait fondamental pour le groupe UDI, qui vise à créer une incompatibilité entre le fait de siéger au Conseil supérieur de la magistrature et l’exercice de la fonction de magistrat. Il s’agit de réserver les postes de membres du Conseil supérieur de la magistrature, dans la catégorie des magistrats, soit à d’anciens magistrats, soit à des magistrats dont on aura mis la carrière entre parenthèses, pour éviter tout conflit d’intérêt et pour éviter qu’un magistrat se trouve en situation de devoir juger son supérieur hiérarchique ou un collaborateur de son tribunal.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Le problème posé est bien réel, mais l’avis de la commission est défavorable, car cela relève de la loi organique : nous reverrons donc cette question lorsque nous examinerons la loi organique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’entends votre argumentaire, monsieur le député Bourdouleix. Puisque vous aviez déposé cet amendement, je me suis renseignée. Pour l’instant, les magistrats qui siègent au CSM exercent à temps partiel dans leur juridiction. J’ai noté deux difficultés : la première, c’est la localisation du CSM à Paris, qui pose des problèmes très matériels et pratiques aux magistrats qui n’habitent pas ici et qui doivent se déplacer. La deuxième difficulté touche aux conditions de retour en juridiction après l’exercice du mandat.

Je ne souhaite pas émettre un avis défavorable, parce que je le ferais pour des raisons pratiques et ce ne sont pas les meilleures quand on fait la loi. Ce que je vous propose, c’est que nous laissions un peu mûrir ce projet ; la Direction des services judiciaires va y travailler un peu plus et nous vous ferons retour avant la fin de la navette, ce qui nous laissera un peu de temps pour examiner les choses. Cela ne relève pas de la Constitution, mais plutôt de la loi organique.

Par ailleurs, je ne suis pas sûre qu’il faille constitutionnaliser une disposition de cette nature et la loi organique a quand même plus de force que la loi ordinaire.

En tout état de cause, le Gouvernement n’est pas en mesure, aujourd’hui, de vous donner une réponse positive, compte tenu de l’impact que cette mesure peut avoir, notamment sur la carrière des magistrats, qui est organisée par la loi. Je vous propose donc un délai et vous engager à retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. J’entends bien les arguments du rapporteur et de la garde des sceaux. Vous évoquez le fait que les magistrats qui seraient détachés, pour ainsi dire, au Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas localisés à Paris. Il me semble néanmoins que nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle à ne pas forcément être localisés à Paris, et cela ne nous empêche pas de venir exercer toutes les semaines notre mandat de député à l’Assemblée nationale…

En ce qui concerne la carrière, il est vrai qu’il est sans doute nécessaire d’apporter des précisions.

Enfin s’agissant du rattachement à la loi organique, la principale incompatibilité pour les membres du Conseil constitutionnel, qui est notamment la fonction de parlementaire, est inscrite dans la Constitution. D’autres cas sont prévus par la loi organique, mais il nous semblait que l’importance à accorder à cette incompatibilité méritait de l’inscrire dans la Constitution. Cela ne va pas allonger de plusieurs articles notre Constitution, mais d’une seule ligne, et il nous semble que cela mérite de figurer dans la loi constitutionnelle.

Toutefois j’entends bien votre proposition de réfléchir à cette question au cours de la navette et, dans ces conditions, je retire cet amendement.

(L’amendement n° 54 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert., pour soutenir l’amendement n° 48.

M. Julien Aubert. Cet amendement propose une composition alternative du Conseil supérieur de la magistrature qui s’inscrit dans la droite ligne de la thèse que j’ai défendue jusqu’ici.

Tout d’abord, la majorité de magistrats au sein du CSM, qui constitue le point fort de votre réforme, va totalement à l’encontre de ce qu’il faut faire. Vous repliez la justice sur elle-même alors qu’il faudrait l’ouvrir.

J’ai également défendu l’idée, qui a suscité des protestations véhémentes sur certains bancs, qu’il faut ouvrir le contrôle démocratique.

Voici ma proposition de composition afin de garantir l’indépendance. Tout d’abord, cinq magistrats honoraires du siège. Cela permet de retenir des personnes hors carrière, et qui pourront donc s’exprimer de manière plus libre sur leurs collègues juges. Ensuite, cinq magistrats honoraires du parquet, pour les mêmes raisons. Puis cinq personnalités extérieures qualifiées n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire, c’est ce qui existe déjà, après avis conforme de l’Assemblée nationale afin de bien montrer que c’est le Parlement qui est maître. Enfin, six parlementaires honoraires : ce ne sont plus des hommes politiques, mais des personnes déliées des partis qui conservent néanmoins des opinions et qui connaissent le Parlement, elles seront donc à même d’apporter une sensibilité particulière, sans être majoritaire, qui facilitera l’ouverture de cette autorité judiciaire au contrôle démocratique.

Dernier point : leur mandat serait d’une durée de dix ans, non renouvelable. Cela permettrait, comme pour le Conseil constitutionnel, d’extraire ce sujet des nominations au Conseil supérieur de la magistrature du calendrier politique ou de la vie politique elle-même, et de leur donner une plus grande liberté de manœuvre dans l’exercice de leurs fonctions. Ces personnes seraient pour moi des garants essentiels de l’indépendance. Cela permet d’avoir des gens indépendants et tout aussi compétents que ceux que vous proposez. Les magistrats seraient en minorité, puisque c’est l’objet de nos propositions, et l’ouverture du CSM serait plus large.

Cela me semble un moyen plus équilibré d’assurer l’indépendance de l’autorité judiciaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable, nous avons déjà échangé tous les arguments à ce sujet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable également. Vous procédez à une confusion de pouvoirs en introduisant des parlementaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Julien Aubert. Des parlementaires honoraires ! Ils ne sont plus parlementaires !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’il ne s’agit que de parlementaires honoraires, détachés de tout exercice de la fonction, ce n’est pas concevable d’une façon générale et plus encore s’agissant du Conseil supérieur de la magistrature. J’ai vraiment du mal à concevoir cette composition du CSM.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Pardon d’allonger nos débats, mais je pense qu’il faut faire œuvre de pédagogie, et cet amendement peut en donner l’occasion.

M. Julien Aubert. C’est gentil de me donner une leçon, monsieur Denaja !

M. Sébastien Denaja. Je ne me permettrais pas de donner de leçons, mais siège à côté de moi celle qui fut directrice de l’ENA lorsque vous en êtes sorti…

Dans cet amendement, vous évoquez des magistrats honoraires du siège, dont un de l’ordre administratif, puis des magistrats honoraires du parquet, dont un de l’ordre administratif. Je voudrais vous faire remarquer que dans l’ordre juridictionnel administratif, nous ne distinguons pas le siège et le parquet. Pour les étudiants en deuxième année de droit administratif qui vont lire le Journal officiel, il serait bon d’indiquer qu’il y avait une erreur, si ce n’est de français, au moins de droit.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Excusez-moi, cher monsieur ! Puisque vous tenez absolument à avoir un cours de droit, vous apprendrez qu’à la Cour des comptes – qui est une juridiction administrative – il y a un procureur près du parquet. Cela permettra d’étoffer vos connaissances juridiques.

Mme Marie-Françoise Bechtel. L’exception ne fait pas la règle !

M. Julien Aubert. Il y a aussi un commissaire du Gouvernement qui fait office.

M. Pascal Popelin. Quelle suffisance !

M. Laurent Furst. Vous êtes expert…

M. Julien Aubert. Évidemment, l’arrogance est toujours du mauvais côté de l’hémicycle !

Madame la ministre, vous dites que ma proposition n’est pas concevable. Pour moi, la politique est l’art de concevoir.

Je propose de nommer une personnalité extérieure qui soit un ancien parlementaire. Elle pourrait aujourd’hui être nommée en qualité de personnalité extérieure, c’est donc possible. La différence est que je propose de créer une catégorie particulière : les anciens députés et anciens sénateurs. Ce ne sont plus des politiciens, il n’y a donc pas d’immixtion, mais leur compétence particulière dans l’exercice de la fabrication de la loi et leur connaissance du milieu parlementaire font qu’ils faciliteront la compréhension à l’intérieur et à l’extérieur. Ils agiront comme des fenêtres ouvertes sur l’autorité judiciaire sans porter atteinte à son indépendance.

Je ne vois pas en quoi le fait d’être un ancien député empêcherait d’être une personnalité siégeant au CSM. C’est une différence d’opinion : vous pouvez me dire que le CSM ne doit être réservé qu’à des magistrats, mais on pourrait aussi penser qu’il ne devrait y avoir aucun magistrat au sein du CSM. Il faut trouver un équilibre entre des magistrats et d’autres personnalités, et l’on voit bien qu’il y a aujourd’hui un problème de compréhension. Vous ne le voyez pas, mais nous si, et nous proposons des solutions permettant d’y remédier. Mais je vois que vous avez reçu une fiche de vos assistants qui va peut-être vous permettre de répondre !

M. Sébastien Denaja. Elle n’a pas besoin de fiches ! Pas elle !

M. Julien Aubert. Non cher collègue, pour ce qui la concerne, elle n’a pas besoin de fiches ou de cours !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous devriez travailler davantage !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Heureusement, nos institutions sont bien organisées et j’ai effectivement le privilège d’avoir trois membres de mon cabinet pour m’assister : je n’y vois rien d’humiliant ni pour moi, ni pour eux.

M. Pascal Popelin. Personne ne va les frapper ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faut juste qu’ils évitent de sourire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je peux partager avec vous ce qui figure sur la fiche que l’on vient de me donner et que je vous montre : il y a en ce moment un parlementaire honoraire au sein du CSM. Je le connais d’ailleurs, puisque j’ai rencontré les membres du CSM il y a une semaine de cela.

Lorsque je dis que ce n’est pas concevable, je ne veux pas brider votre imagination, monsieur le député. Simplement, nous ne fabriquons pas des OVNI. Nous avons un droit, des institutions, des principes. Il s’agit ici du Conseil supérieur de la magistrature.

Avec l’amendement proposé par le rapporteur et adopté par la commission des lois, nous devrions décider d’une composition paritaire : pour moitié des magistrats et pour l’autre moitié des personnalités extérieures, parmi lesquelles figure déjà un parlementaire honoraire. Je crois qu’il s’agit d’un sénateur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Exactement ! Il s’agit de M. Pierre Fauchon.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il peut donc arriver que siège un parlementaire au sein du CSM. Nous proposons d’y faire figurer huit personnalités de la société civile, extérieures à la magistrature.

Dans le détail, deux sont des avocats nommées par le Conseil national des barreaux, et un conseiller d’État est élu, d’après la nouvelle rédaction, par l’assemblée générale du Conseil d’État. Jusqu’à présent, il était désigné par l’assemblée générale du Conseil d’État.

Ce qui m’étonne, c’est qu’il y a parfois une variation dans l’appréciation que vous avez de la société civile. Nous avons entendu à plusieurs reprises certains d’entre vous dire que le Conseil économique, social et environnemental semblait un peu incongru dans ce collège. Mais quelle institution représente plus la société civile que ce Conseil économique, social et environnemental, compte tenu de sa composition et de la diversité de ses membres ?

M. Georges Fenech. Le Président de la République !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous trouvez que la majorité de magistrats, telle qu’elle est prévue dans le projet de loi du Gouvernement, ne fait pas assez de place à la société civile. En même temps, dans le collège, vous trouvez que des membres de la société civile sont incongrus. J’ai un peu de mal à vous suivre, je vous l’avoue.

Ceci étant, je m’écarte de l’objet de votre amendement.

M. Georges Fenech. On parlera plus tard du collège !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Effectivement nous y viendrons, mais vous vous êtes déjà abondamment exprimé sur la composition de ce collège. Voilà pourquoi je me sens autorisée à vous faire ce retour.

Avis défavorable à l’amendement.

(L’amendement n° 48 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 8 et 61, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Georges Fenech, pour défendre l’amendement n° 8.

M. Georges Fenech. Nous avons déjà beaucoup échangé à ce propos. Il s’agit de la question de la proportion de magistrats, à parité ou en majorité.

Nous pensons que la loi constitutionnelle de 2008 avait bien fixé les choses. Vous aviez d’ailleurs salué vous-mêmes, de même que Mme Guigou tout à l’heure, l’avancée considérable de cette loi constitutionnelle de 2008. Grâce à elle, le Président de la République n’est plus le président du CSM, et le garde des sceaux n’en est plus le vice-président. Elle a également disposé que le CSM serait composé en majorité de personnalités civiles, ce qui enlève tout soupçon de corporatisme. Les apparences aussi sont importantes en cette matière.

Vous avez cru devoir lancer cette réforme constitutionnelle à la demande du Président de la République pour amoindrir ensuite son impact puisque vous en revenez à la parité. Nous, nous maintenons notre point de vue : c’est un projet de loi constitutionnelle inopportun, inutile et que personne ne réclamait.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Georges Fenech. Nous vous demandons encore une fois, sans grand espoir que vous nous entendiez quand bien même vous aurez besoin de nos voix pour aller à Versailles, d’en rester aux dispositions qui ont donné satisfaction à tout le monde : celles de 2008.

M. Julien Aubert. Cette réforme restera bloquée !

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 61.

M. Gilles Bourdouleix. Il s’agit du même argument : donner une majorité aux personnalités extérieures. Encore une fois, et comme l’a dit notre collègue Fenech, à l’image de ce qui existe depuis la réforme de 2008. Il ne faut pas prendre le risque d’instaurer une majorité de magistrats.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable. L’équilibre de la réforme est de rétablir la parité et de créer un président qui soit « laïc », pour dire les choses simplement, c’est-à-dire un président non-magistrat. Cet équilibre paraît tout à fait satisfaisant pour garantir l’indépendance et la légitimité, c’est-à-dire l’absence de risque de corporatisme.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

(Les amendements nos 8 et 61, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 39.

M. Sergio Coronado. Cet amendement et le suivant visent à ce que la composition du Conseil supérieur de la magistrature tende vers la parité entre hommes et femmes.

Lors de nos débats en commission, il m’a été répondu que ce sujet serait certainement inclus dans la future loi organique. Suite à cette réponse, j’ai retiré mes deux amendements. Je souhaite avoir aujourd’hui confirmation du Gouvernement de la présence de cette obligation de parité entre hommes et femmes dans la future loi organique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cette question est renvoyée à la loi organique. Nous ferons tous les efforts possibles pour qu’il y ait une parité entre hommes et femmes dans le processus électoral des magistrats. C’est assez compliqué à obtenir, comme je l’ai indiqué en commission, parce qu’il existe pour l’heure trois collèges électoraux.

Nous nous sommes donc engagés à faire en sorte qu’il y ait une parité entre hommes et femmes, mais une légère incertitude demeure sur sa faisabilité compte tenu du mode électoral. Mais nous tendrons vers cet effort.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il y a effectivement un obstacle technique : lorsque nous avons écrit le projet de loi, nous étions soucieux d’introduire ce dispositif de parité mais, lorsque nous avons examiné le mode de scrutin et les collèges, nous nous sommes rendus compte qu’il était presque impossible d’atteindre ce résultat.

Nous passons de quatre à trois collèges. Sur la représentation des femmes, je suis en mesure vous réconforter : nous sommes en train d’améliorer la présence des femmes à un niveau hiérarchique plus élevé. En fait, la difficulté est que les femmes, dans la magistrature, sont fortement représentées à la base de la profession, mais moins nombreuses aux plus hauts niveaux.

Les propositions de candidatures que nous avons faites, et qui ont obtenu l’avis conforme du CSM et ont donc débouché sur des nominations, ont déjà modifié substantiellement la présence des femmes en haut de la hiérarchie. Nous avons maintenant plusieurs femmes procureures générales.

Ainsi, la situation s’améliore : les femmes entreront au CSM par le biais des scrutins, mais il existe un obstacle technique pour obtenir ce résultat de parité. C’est pourquoi je vous propose une fois de plus de retirer votre amendement, monsieur Coronado.

M. le président. Monsieur Coronado ?

M. Sergio Coronado. Je le retire.

(L’amendement n° 39 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 9.

M. Georges Fenech. Il est défendu.

(L’amendement n° 9, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 38.

M. Sergio Coronado. Je le retire.

(L’amendement n° 38 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 11, 28, 69 et 37, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 28 et 69 sont identiques.

La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 11.

M. Georges Fenech. Défendu.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 28.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cet amendement établit la parité entre magistrats et non-magistrats au sein des formations du CSM.

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 69.

M. Gilles Bourdouleix. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 37.

M. Sergio Coronado. Je le retire.

(L’amendement n° 37 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 11 de M. Fenech ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 11, 28 et 69 ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable à l’amendement n° 11. Avis favorable aux amendements identiques nos 28 et 69.

(L’amendement n° 11 n’est pas adopté.)

(Les amendements identiques nos 28 et 69 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 29.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Amendement rédactionnel.

(L’amendement n° 29, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 30 et 36.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 30.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cet amendement vise à créer une parité hommes-femmes parmi les six personnalités désignées par le collège d’autorités de nomination.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 36.

M. Sergio Coronado. J’avais déjà proposé cet amendement en commission où il avait reçu l’assentiment du rapporteur. L’objectif est de rendre paritaire la composition du CSM.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis favorable, donné avec grand plaisir. (Sourires.)

(Les amendements identiques nos 30 et 36 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 59.

M. Gilles Bourdouleix. Il est défendu.

(L’amendement n° 59, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 60.

M. Gilles Bourdouleix. Défendu également.

(L’amendement n° 60, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 10.

M. Georges Fenech. Je soumets l’idée qu’un membre du Conseil national de l’aide aux victimes, désigné par les membres de cette instance au titre des représentants d’associations œuvrant dans le domaine de l’aide aux victimes intègre le CSM.

À travers l’indépendance – qui n’est pas une fin en soi, comme nous l’avons dit –, le Conseil national de la magistrature vise à protéger les justiciables et à rapprocher la justice des citoyens. Le CSM compte des magistrats du parquet et du siège, des avocats et des membres du Conseil d’État : pourquoi ne pas y ajouter un justiciable, qui émanerait du Conseil national de l’aide aux victimes et permettrait d’améliorer la représentation de la société civile au sein du CSM ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable, pour deux raisons. Premièrement, les victimes ne sont pas les seuls justiciables. Deuxièmement, la désignation d’un représentant du Conseil national de l’aide aux victimes serait extrêmement compliquée car cette instance est une fédération d’associations.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Fenech, je ne doute pas de votre intention. Il paraît toujours embarrassant de dire non à une proposition concernant des victimes.

Je rappelle tout de même que, lorsque j’ai réuni le Conseil national de l’aide aux victimes il y a environ deux mois, cette institution n’avait pas été réunie depuis deux ans. Sous la précédente législature, nous avons entendu parler sans arrêt de l’attention à porter aux victimes, alors que le budget qui leur était consacré avait diminué.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous l’avons revalorisé de 25 %.

Nous avons également ouvert des bureaux d’aide aux victimes. Je me suis engagée à ouvrir un tel bureau dans chaque tribunal de grande instance, ce qui représente une centaine de bureaux à ouvrir pendant la seule année 2013. Au cours des trois dernières années, cinquante bureaux d’aide aux victimes avaient été ouverts. En moins de cinq mois, nous en avons déjà ouvert cinquante : nous tiendrons notre engagement d’ouvrir cent bureaux pendant la seule année 2013.

Nous sommes donc attentifs aux victimes : nous augmentons le budget qui leur est consacré, nous les recevons et nous les réunissons. Toutefois, je ne crois pas qu’il soit pertinent d’introduire des membres du CNAV au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

À cela s’ajoutent les difficultés relatives aux conditions de nomination au sein de ce CNAV, que vient d’évoquer le rapporteur. Cette instance comporte des ministres, des parlementaires, des associations d’aide aux victimes, des associations de victimes et d’autres personnalités. À la limite, le CNAV pourrait donc désigner une personne qui ne représenterait ni une association d’aide aux victimes, ni une association de victimes.

Le CNAV regroupe des personnes de qualité et fournit un travail de qualité. Cette structure doit pouvoir continuer à travailler. Cependant, le Gouvernement émet un avis défavorable à l’amendement de M. Fenech.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est avec moins d’embarras que la garde des sceaux que, pour ma part, je me prononce sans hésitation contre cet amendement qui vise à identifier la notion de victime à celle de justiciable.

Derrière cet amendement se cache l’idée qu’il faudrait favoriser les victimes parce qu’il y aurait une sorte de laxisme de la politique pénale. Cet amendement est connoté d’une manière qui me semble peu agréable à l’encontre d’une politique de la justice qui n’est pas ici en cause, puisque nous parlons formellement du Conseil supérieur de la magistrature et non du contenu des politiques pénales.

Pour ma part, je n’ai donc aucun embarras à demander le rejet de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je ne cherche absolument pas à être agréable à Mme Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cela tombe bien !

M. Georges Fenech. J’ai une sensibilité particulière pour les victimes plutôt que pour les criminels. Je l’assume totalement.

M. Sébastien Denaja. Et nous, nous préférons les criminels ! Justement, je viens d’étrangler un chat ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-Françoise Bechtel. Et voilà ! J’avais bien dit que cet amendement était connoté !

M. Georges Fenech. C’est vous qui le dites, madame Bechtel ! J’assume totalement cette connotation devant les Français qui nous regardent.

(L’amendement n° 10 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir les amendements nos 68 et 67, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

M. Gilles Bourdouleix. Ces deux amendements ont pour objectif d’organiser la parité – non pas celle entre les magistrats et les personnalités extérieures, mais celle entre les hommes et les femmes – au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Mais un certain nombre de points ont déjà été évoqués et certaines dispositions ont déjà été adoptées par notre assemblée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Défavorable, pour les raisons techniques que j’ai déjà indiquées. Cependant, nous étudierons à nouveau cette question lors de l’examen de la loi organique, de façon à favoriser le plus possible la parité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable, compte tenu des difficultés que causeraient les dispositions proposées dans le cadre d’élections. S’agissant de la parité parmi les personnalités qualifiées, elle fait déjà l’objet d’un amendement présenté par votre commission.

(Les amendements nos 68 et 67, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 12.

M. Georges Fenech. La défense de cet amendement me permet de répondre à notre collègue Sébastien Denaja qui a prétendu, lors de la discussion générale, que j’étais favorable à la nomination des magistrats par les politiques. Je n’ai jamais dit une chose pareille ! J’ai simplement affirmé – et je le maintiens – qu’il me paraît plus légitime que les personnalités civiles membres du Conseil supérieur de la magistrature soient nommées par les représentants politiques. C’est l’objet de mon amendement.

Le présent projet de loi constitutionnelle modifie substantiellement le mode de nomination des personnalités extérieures en créant ce que j’ai appelé, lors de la défense de la motion de rejet, une « usine à gaz ». Il s’agissait initialement d’un collège qui devait nommer ces personnalités collectivement, avec un adoubement collectif par les commissions permanentes des assemblées. Heureusement, vous êtes maintenant revenus à des nominations individuelles. Tout cela est très compliqué ! Que vient faire le président du Conseil économique, social et environnemental au CSM ? Qu’a-t-il à voir avec cette institution ? Que vient faire également la commission nationale consultative des droits de l’homme ? Que vient faire le Défenseur des droits ?

Nous avions un bon système, qui prévoyait la désignation des personnalités extérieures par les plus hautes autorités du pays, à savoir le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, détenteurs de la légitimité première, le suffrage universel direct. Y a-t-il une raison de jeter la suspicion sur les plus hautes autorités du pays ? N’avons-nous pas connu des exemples très frappants et éclairants de l’autorité morale d’un chef de l’État ? Je peux citer la nomination de Didier Migaud par le président Sarkozy. Un Président de la République est au-dessus des clivages : il nomme les personnes en fonction de leur qualité. Vous allez finalement affaiblir la légitimité des membres du CSM en noyant leur nomination dans un dispositif collectif, très complexe, alors que personne ne les remettait en cause jusqu’à présent.

Pourquoi rejeter ce qui fonctionnait bien ? Allez-vous proposer, demain, une réforme constitutionnelle pour modifier aussi le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel, qui sont toujours nommés par le Président de la République et les présidents des chambres ? À trop vouloir donner le sentiment de se méfier de nos plus hautes autorités, on affaiblit toute la République et toute notre démocratie. Il s’agit, là aussi, d’une régression.

M. Gérald Darmanin. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Sur ce sujet, les arguments ont déjà été échangés. J’ai souligné tout à l’heure la nécessité de l’apparence de la vertu, quand bien même les institutions ne sont pas en cause.

M. Fenech affirme que le Président de la République se trouve au-dessus des clivages politiques. Or c’est mon deuxième mandat de député, et je n’ai pas eu ce sentiment au vu des questions et des critiques qui ont fusé, d’un côté comme de l’autre, à l’égard du Président de la République dont on dit aujourd’hui qu’il n’a pas su réaliser en sept jours les réformes nécessaires. Il ne me semble pas que nous ayons affaire à des autorités au-dessus des clivages politiques. Du temps où le Président de la République était M. René Coty ou M. Vincent Auriol – un temps que je ne regrette pas –, on pouvait effectivement penser qu’il avait un rôle de garant du fonctionnement de la justice. Dès l’instant où il est élu au suffrage universel, les nominations auxquelles il procède suscitent forcément une suspicion, quand bien même son honnêteté n’est pas du tout en cause. En conséquence, il est préférable d’adopter un système qui le mette à l’écart et qui allie la vertu à l’apparence de la vertu.

M. Pascal Popelin. Excellente réponse !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis perplexe. Monsieur Fenech, vous dites qu’il n’y a strictement rien dans cette réforme : « tout ça pour ça ». Or vous refusez là une modification substantielle : pour la première fois, les personnalités extérieures ne seront pas nommées par le pouvoir politique ; vous dites que cette réforme affaiblira la légitimité des personnalités qui seront ainsi nommées, alors même que vous affirmez dans le même temps que cette réforme ne sert à rien.

La confusion et la complexité que vous dénoncez viennent peut-être d’un défaut ou d’une difficulté de compréhension. Cependant, nous maintenons en tout état de cause le fait que ces personnalités extérieures doivent être nommées autrement que par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Ces derniers ont d’ailleurs eux-mêmes souhaité se déposséder de cette prérogative ; le président de l’Assemblée nationale a déclaré que la légitimité démocratique de ces nominations serait plus forte si c’était la commission des lois de l’Assemblée nationale qui y procédait en bout de processus.

Monsieur Fenech, vous demandez ce que le Défenseur des droits et le président du Conseil économique, social et environnemental viennent faire au CSM. Ils ne sont pas au CSM : ils composent le collège qui désigne les personnalités membres du CSM.

M. Georges Fenech. Bien sûr !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne s’agit pas de les introduire au CSM.

Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Monsieur Fenech, je ne me serais pas permis de tronquer votre citation : le respect dû à ses contradicteurs mérite que l’on respecte ce qu’ils ont dit. Lors de la discussion générale, je me suis contenté de citer la page 75 du rapport n° 1050 de la commission des lois : vous dites bien, à propos des magistrats du parquet, « en particulier les procureurs », qu’il est « légitime que le pouvoir politique, élu démocratiquement au suffrage universel, puisse continuer à nommer ces magistrats ». Je ne sais pas si vous ne l’avez jamais dit ; en tout cas, le rapport confirme que vous avez tenu ces propos la semaine dernière…

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais, d’un mot, défendre le Président de la République…

Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. …non la personne de l’actuel Président de la République…

M. Matthias Fekl. Allez, un petit effort !

M. Guillaume Larrivé. …mais la fonction.

Le projet de loi, monsieur le rapporteur, ne modifie pas – et c’est heureux – le premier alinéa de l’article 64 de la Constitution qui dispose que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Quel est ce raisonnement qui voudrait que la plus haute autorité de l’État n’ait surtout rien à voir, d’aucune manière, avec le Conseil supérieur de la magistrature ?

Telle est votre position, monsieur le rapporteur, mais ce n’est pas celle de la Ve République. C’est la raison pour laquelle nous nous en tenons à notre point de vue, l’amendement de M. Fenech étant extrêmement bien rédigé à cet égard. Il est tout à fait légitime que le chef de l’État, quel qu’il soit, quelle que soit la contingence politique du moment, nomme au CSM une, deux ou trois personnalités qualifiées. Il n’est pas moins légitime qu’un président de Conseil économique, social et environnemental ou qu’un Défenseur des droits.

Il y a une vraie différence entre nous s’agissant de la conception même de la Ve République et de la légitimité du chef de l’État.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur Denaja, j’ai effectivement dit qu’il était normal que le politique puisse s’entourer des procureurs. Mais je n’ai pas affirmé que les politiques devaient nommer les magistrats du siège.

M. Pascal Popelin. Ça fait longtemps…

M. Sébastien Denaja. On avait compris !

M. Georges Fenech. Madame la garde des sceaux, la suspicion est jetée sur le Président de la République qui ne doit plus nommer personne. Le Premier président de la Cour des comptes fera partie du collège désignant des personnalités extérieures. Mais qui a nommé le Premier président de la Cour des comptes ?

M. Pascal Popelin. Il est inamovible !

M. Georges Fenech. C’est le Président de la République. Il y a là déjà un parfum de suspicion. La légitimité ne se divise pas, elle est entière. Le Président de la République est légitime et notre collègue Guillaume Larrivé a eu parfaitement raison de le rappeler.

M. Gérald Darmanin. Tout à fait !

M. Georges Fenech. Que les nominations aux plus hautes fonctions doivent revenir aux plus hautes autorités de notre pays relève de notre tradition républicaine.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne peux pas laisser le débat s’achever ainsi sans rectifier. Il n’est question ni de suspicion pesant sur le Président de la République ni de défiance à son égard. Il s’agit de faire en sorte que les nominations des personnalités extérieures se fassent en dehors du pouvoir politique, ce qui ne revient pas à vouer le politique aux gémonies. C’est un choix de nomination.

Permettez-moi de rappeler que notre pays a une histoire : la relation avec l’exécutif a, notamment ces dix dernières années, posé problème à la société tout entière. Le Président de la République actuel a le courage de déclarer qu’il se dessaisit du pouvoir de nomination au sein du CSM. Ce n’est donc pas sur lui que pèse la moindre suspicion.

Nous sommes à un moment de notre histoire où il s’agit d’approfondir le processus qui a consisté à mettre de la distance entre le CSM et l’exécutif ; cela a du reste commencé avec la IVRépublique. Cette distance peut s’établir sur la base des modalités de nomination, mais elle peut prendre d’autres formes. Aucune suspicion ne pèse sur le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat. Nos institutions mûrissent au rythme de notre république, de la façon dont elle vit et fonctionne. Nous considérons – et c’est le choix du Président de la République et du Premier ministre – que les personnalités extérieures doivent être nommées par des personnalités qui sont incontestables, elles aussi.

M. Gérald Darmanin. Elles ne sont pas légitimes !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous ne pouvez contester que ces personnalités, y compris lorsqu’elles ont été nommées en Conseil des ministres, exercent leurs responsabilités de manière indépendante à la hauteur de la mission qui leur est confiée, soit dans une juridiction comme la Cour des comptes soit dans une institution administrative indépendante, comme le Défenseur des droits. En outre, elles sont nommées à des moments différents, par des pouvoirs politiques différents. Vous citiez l’exemple du Premier président de la Cour des comptes, on peut également citer le Défenseur des droits. Le Président du Conseil économique, social et environnemental a été nommé à un autre moment.

Nous pouvons certes engager un débat interminable sur le sujet, mais le fait est que, parmi les éléments significatifs de cette réforme, il y a la volonté de rupture avec la désignation de des personnalités par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat.

(L’amendement n° 12 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 31.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Une instance consultative de protection des libertés publiques et de défense des droits de l’homme, dont la loi organique pourrait par la suite préciser qu’il s’agit de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme fera partie du collège désignant les personnalités qualifiées. Cette adjonction répond à la nécessité de représenter les justiciables. La commission des droits de l’homme représente tout à la fois les victimes et les personnes poursuivies. Cette instance visant à faire respecter les droits des justiciables a toute sa place dans le collège des autorités de nomination et répond au souci d’ouverture vers la société civile.

M. Georges Fenech. Deux poids, deux mesures…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Je souhaite d’abord faire remarquer que le Défenseur des droits représente désormais pour vous une autorité incontestable et légitime alors que vous vous étiez opposés à sa création et aviez voté contre lors de la réforme constitutionnelle présentée par Nicolas Sarkozy. S’il a trouvé grâce à vos yeux aujourd’hui, tant mieux. Je m’en réjouis particulièrement s’agissant de l’actuel Défenseur des droits.

Ensuite, madame la garde des sceaux, personne ne conteste l’indépendance des autorités, c’est même ce qui les caractérise. Pour autant sont-elles aussi légitimes que le pouvoir politique, le pouvoir démocratique, issu du vote du peuple ? Nos collègues Fenech et Larrivé ont posé la question de la légitimité. Des élus, légitimes, procèdent à des nominations et le Président de la République est le plus légitime d’entre eux, puisqu’il est élu au suffrage universel direct par la nation française. Mais se pose aussi la façon dont on rend compte des nominations. Un de nos collègues a précisé que le Premier président de la Cour des comptes, une fois nommé, était inamovible. Mais le Président de la République doit rendre compte des nominations – et c’est pourquoi le Premier ministre répond aux questions des parlementaires. Si les nominations ne se font plus par le biais des élus du peuple ou par le Président de la République, se pose un problème de contrôle démocratique.

Que reproche-t-on aux instances européennes ? Indépendamment de la qualité de leur travail, dont on peut discuter, les citoyens sont dans l’impossibilité de contrôler démocratiquement l’action de ce que l’on a coutume d’appeler la technocratie européenne. Or voilà que vous créez des « machins » qui éloigneront davantage encore le peuple du pouvoir de contrôle qu’il pourrait légitimement exercer.

Les magistrats, notamment les magistrats du parquet, doivent répondre, puisqu’ils agissent au nom du peuple français, de leur politique pénale, de leur vision de la justice. C’est un sujet éminemment politique car il touche à la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n° 31 est adopté et les amendements nos 13, 62, 14, 18 et 19 tombent.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 15.

M. Georges Fenech. Il est défendu.

(L’amendement n° 15, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 66.

M. Gilles Bourdouleix. Nous proposons d’organiser des auditions publiques pour chaque personne désignée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable.

Cela étant, nous ne sommes pas opposés à l’idée de l’audition. Pour autant, il ne faut pas l’inscrire dans la Constitution car cela relève du règlement de l’Assemblée nationale. Si pour une raison quelconque, une des personnalités ne pouvait pas être auditionnée, cela mettrait à mal le processus. Il faut se prémunir contre les grippes saisonnières et ne pas inscrire cet amendement dans la Constitution. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable, car cela relève du règlement de l’Assemblée nationale et n’a pas sa place dans la Constitution.

(L’amendement n° 66 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 32, 63,16 et 65, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 32.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il s’agit de remplacer le vote bloqué de liste par un vote sur chaque nom. La légitimité des personnalités est ainsi garantie. L’amendement prévoit que le vote des commissions permanentes de chaque assemblée – les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale – se fasse à la majorité des trois cinquièmes, ce qui répond à la préoccupation de M. Darmanin s’agissant du contrôle démocratique. Toute nomination est validée par la commission des lois.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Il s’agit d’une réelle avancée du travail parlementaire. Au sein d’un Parlement aussi clivé que peut l’être le Parlement de la Ve République, nous montrons qu’il est possible de dégager un consensus sur des personnalités. Il appartiendra au collège de nomination de choisir des personnalités qui pourront recueillir un accord majoritaire.

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir les amendements n°s 63 et 65.

M. Gilles Bourdouleix. Comme le rapporteur, je défends l’idée que le vote des commissions porte sur chaque personnalité proposée et non sur la liste. Nos amendements diffèrent dans la forme, pas sur le fond.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 16.

M. Georges Fenech. Mon amendement est satisfait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement entend ces arguments et s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

(L’amendement n° 32 est adopté et les amendements nos 63, 16 et 65 tombent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 33.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. L’amendement rétablit la parité au sein de l’assemblée plénière entre magistrats et non magistrats. Il prévoit que la formation plénière sera composée des huit personnalités qualifiées, dont le président, ainsi que de quatre des huit magistrats du siège et de quatre des huit magistrats du parquet. La parité est totale. Le risque de corporatisme ou celui de perdre le contact avec le peuple français évoqué à plusieurs reprises est ainsi évité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis favorable pour les raisons que j’ai exposées lors de mon intervention à la tribune. Le Gouvernement était plutôt favorable à une formation plénière avec l’ensemble des membres des deux formations et des personnalités extérieures, mais nous entendons parfaitement l’argument de la parité.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Comment allez-vous désigner ces quatre magistrats ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cette question est renvoyée à la loi organique.

J’ai par ailleurs oublié de préciser que cette nouvelle composition permettrait de répondre au problème de la saisine par un magistrat du Conseil supérieur de la magistrature sur une question déontologique. Mme la garde des sceaux a en effet fait valoir à juste titre que cette saisine pourrait bloquer une procédure disciplinaire : un magistrat particulièrement visé par une procédure disciplinaire pourrait saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour qu’il se prononce sur cette question déontologique de façon à l’empêcher de statuer ensuite en formation disciplinaire. Dès lors que la formation plénière comprend quatre magistrats et non les huit, certains d’entre eux pourront se réserver pour la formation disciplinaire, la préservant ainsi de toute critique.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Même à cette heure tardive, je veux souligner combien cet amendement constitue un camouflet pour le Président de la République qui n’est décidément pas à la fête ce soir.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Oh, ce n’est pas gentil de dire cela.

M. Guillaume Larrivé. Mme la garde des sceaux vient de donner un avis favorable à un amendement qui revient sur une disposition absolument essentielle du projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement. Le Président de la République a expliqué devant la Cour de cassation que les magistrats devaient être majoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature et ce soir, fort heureusement, dans un éclair de bon sens, le groupe socialiste, ou du moins la commission des lois, par la voix de M. Raimbourg, vient nous démontrer que le projet de M. Hollande, de M. Ayrault et, par conséquent, de Mme Taubira, est en réalité à jeter aux orties.

Bien entendu, nous nous en réjouissons même si, rassurez-vous, cela ne changera pas notre vote sur l’ensemble de ce projet de loi constitutionnelle que le groupe UMP, naturellement, rejette.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je voudrais apporter une simple précision. Nous avions déjà déposé des amendements sur la parité lors de la réforme constitutionnelle de 2008 – j’étais même celui qui argumentait. Nous défendions d’ailleurs cette proposition avec M. Bayrou et beaucoup d’autres députés du centre. Je vous le répète : le groupe socialiste de l’Assemblée a toujours soutenu l’hypothèse de la parité.

(L’amendement n° 33 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 34 et 57 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l’amendement n° 34.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cet amendement vise à régler les problèmes de majorité. L’initiative en revient à M. Bourdouleix mais il me semble préférable d’écrire, « En formation plénière, la voix du président est prépondérante », plutôt que « la voix du président compte double ». L’adjectif « prépondérant » me semble plus adapté mais sur le fond, l’idée est la même.

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix pour soutenir l’amendement n° 57 rectifié.

M. Gilles Bourdouleix. Je partage pleinement l’avis du rapporteur et je retire mon amendement qui est satisfait par celui du rapporteur, dont la terminologie est nettement meilleure.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Merci.

(L’amendement n° 57 rectifié est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis favorable. Bien évidemment, tel que fonctionne le Conseil supérieur de la magistrature, un consensus devrait se dégager mais mieux vaut anticiper la survenue d’un litige insoluble, d’un vrai désaccord, en définissant les conditions d’un arbitrage.

Monsieur Larrivé, je ne suis pas certaine que le Président de la République suive nos travaux mot à mot mais je ne manquerai pas de lui faire part de votre sollicitude à son égard.

M. Guillaume Larrivé. À l’égard de sa fonction !

(L’amendement n° 34 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 56.

M. Gilles Bourdouleix. Il est défendu.

(L’amendement n° 56, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix, pour soutenir l’amendement n° 58.

M. Gilles Bourdouleix. Cet amendement vise à ce que la voix du président soit prépondérante dans le cas où, en formation disciplinaire, le nombre de magistrats serait égal à celui des membres extérieurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable car la formation disciplinaire est présidée soit par le procureur général près la cour de cassation soit par le Premier président. Elle est par conséquent en nombre impair et il n’est pas nécessaire d’accorder une voix prépondérante au président dans cette formation.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je confirme les propos du rapporteur : avis par conséquent défavorable.

(L’amendement n° 58 n’est pas adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

(L’article 3 est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi constitutionnelle auront lieu le mardi 4 juin après les questions au Gouvernement.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 29 mai, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Déclaration du Gouvernement relative au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et débat sur cette déclaration.

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 29 mai 2013 à zéro heure vingt.)