Histoire et Patrimoine
Frise chronologique
Troisième République
L’Assemblée nationale entre 1871 et 1873 – Le « Gouvernement Thiers »
La convention d’armistice signée le 28 janvier 1871 impose l’élection d’une Assemblée nationale pour décider de la conclusion de la paix ou de la reprise des hostilités. L’expiration de l’armistice étant fixée au 21 février, les élections sont organisées dans un délai très court, dans une France dont plus d’un tiers des départements est occupé par l’armée du nouvel empire allemand, proclamé en janvier 1871 au château de Versailles et dont la capitale, en état de siège et sous rationnement, est toujours encerclée par les troupes ennemies.
Les électeurs, dont beaucoup font partie du corps militaire et dont près de 500 000 sont prisonniers en Allemagne, ne savent pas si l’Assemblée élue s’attribuera une autre mission que la négociation de la paix ou la poursuite de la guerre, comme celle de définir la forme du régime politique à donner à la France car, si la République a été proclamée le 4 septembre 1870, aucun texte ne lui a donné de valeur juridique. La convocation aux premières élections législatives qui se tiennent depuis la capitulation de Napoléon III précise toutefois que les électeurs doivent élire une Assemblée constituante. Le scrutin se tient le 8 février 1871. Une majorité de quatre cents « conservateurs » est élue sur 630 députés, partagée entre légitimistes et orléanistes qui souhaitent la paix et espèrent, pour la plupart, une restauration monarchique.
Réunie dans le Grand Théâtre de Bordeaux, la représentation nationale ne peut se satisfaire de la seule question de la paix ou de la guerre. Pour se constituer, elle doit exercer sa souveraineté et instituer un gouvernement pour traiter avec l’ennemi. Mais elle doit aussi répondre aux besoins immédiats d’un pays exsangue. Lors de sa première séance effective, le 13 février 1871, le Gouvernement provisoire de la défense nationale représenté par son ministre des affaires étrangères Jules Favre, remet ses pouvoirs à l’Assemblée nationale. Il reconnaît la souveraineté de l’Assemblée en proclamant : « Nous ne sommes plus rien si ce n’est vos justiciables, prêts à répondre de tous nos actes, convaincus que nous ne rencontrerons dans leur examen que la loyauté qui inspirera chacune de vos délibérations ».
L’Assemblée nationale a besoin d’un règlement pour son fonctionnement. Devant rapidement se mettre au travail, elle adopte celui de l’Assemblée législative de 1849. Le 16 février, l’Assemblée élit son bureau et son Président, Jules Grévy, républicain modéré. Le 17 février, elle adopte à mains levées la résolution désignant Adolphe Thiers, orléaniste, comme « chef du pouvoir exécutif de la République française ». Elle se déclare « dépositaire de l’autorité sommaire » et considère « qu’il importe, en attendant qu’il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement aux nécessités du Gouvernement et à la conduite de négociations ». Cette motion affirme le pouvoir souverain de l’Assemblée et réserve son droit à statuer ultérieurement sur la forme du régime politique de la France, ménageant ainsi les espérances de la majorité monarchiste.
Adolphe Thiers présente à l’Assemblée les ministres de son Gouvernement le 19 février et prononce un discours dans lequel il affirme que le renvoi ultérieur de la question constitutionnelle est impératif et démontre qu’une seule politique est impérieuse : « Faire cesser les maux qui nous accablent dont l'occupation étrangère, reconstituer l’armée après la Débâcle, réformer les conseils locaux, relever les finances du pays, prévoir le retour des prisonniers à l’étranger et nourrir la population qui est obligée de livrer aux soldats étrangers le dernier morceau de pain qui leur reste […] ». Il poursuit : « Sachez donc renvoyer à un terme, qui ne saurait être bien éloigné, les divergences de principes qui nous ont divisés, qui nous diviseront peut-être un jour, mais n'y revenons que lorsque ces divergences […] ne seront plus un attentat contre l'existence et le salut du pays. » Ce « Pacte de Bordeaux » prononcé par Adolphe Thiers promettant le renvoi à une date ultérieure de la question des institutions, lui offre la confiance de ses pairs.
Le vote de la « loi Rivet », le 31 août 1871, change son titre équivoque de chef du pouvoir exécutif de la République française en celui de Président de la République, tout en le maintenant dans ses fonctions de chef du Gouvernement. Fort de cette caution, Thiers poursuit la réorganisation de la France qu’il avait débutée par l’adoption, le 10 août 1871, d’une loi qui institue le département comme une collectivité territoriale et qui dote le Conseil général d’une pleine compétence pour régler les affaires d'intérêt départemental. La loi du 27 juillet 1872 introduit le principe d'un service militaire obligatoire de cinq ans qui, bien qu’universel, autorise le tirage au sort, les dispenses et supprime le droit de vote des militaires. Afin d’être en mesure de payer la lourde réparation de cinq milliards de francs-or requise par l’Allemagne, Adolphe Thiers lance, après un premier emprunt en juin 1871, un second en juillet 1872, les deux étant couverts grâce à l'épargne accumulée par les Français à la faveur de l'expansion économique sous le Second Empire. Ces emprunts fructueux permettent le départ anticipé des troupes d'occupation dès septembre 1873 (à l'exception de l'Alsace et du nord de la Lorraine annexés) ce qui lui vaut d’être proclamé « libérateur du territoire » par l’Assemblée nationale. Il remanie également le système fiscal avec une augmentation des impôts indirects, moins impopulaires que les impôts directs.
La renommée croissante d’Adolphe Thiers consolidée grâce à l’étendue de ses réseaux issus notamment du cumul de ses fonctions de chef de l’État et du Gouvernement, inquiète l’Assemblée nationale. Le 15 février 1872, les députés adoptent une loi prévoyant que dans le cas d’une dissolution illégale de l'Assemblée ou si celle-ci se trouve dans l'impossibilité de se réunir, le Gouvernement est assuré par des délégués des conseils généraux. Les représentants de la nation envisagent ainsi de garantir la pérennité du régime représentatif en cas de retour d’une crise politique grave, d’un coup d’État, d’une invasion étrangère ou d’une insurrection civile.
Lorsqu’Adolphe Thiers, déjà en conflit avec l’Assemblée nationale depuis janvier 1872 sur la politique fiscale, annonce à mots couverts dans son message du 13 novembre sa conversion à une République conservatrice, il s'aliène définitivement la majorité royaliste coalisée autour du duc Albert de Broglie qui considère que le pacte de Bordeaux est désormais rompu.
Afin de réduire davantage l’influence d’Adolphe Thiers, l’Assemblée adopte, le 13 mars 1873, la « loi de Broglie » visant à réduire les interventions du Président de la République devant la Chambre par le biais d’une stricte réglementation. Ses messages seront désormais lus à la tribune par un ministre. La responsabilité ministérielle est dissociée de la responsabilité présidentielle, marquant un pas vers le régime parlementaire. La loi dispose également que l’Assemblée nationale ne peut se séparer avant d’avoir organisé les pouvoirs exécutif et législatif, exprimant ainsi clairement la nécessité de pourvoir à l’organisation régulière du pays. Thiers doit accepter sans réserve le pouvoir constituant de l’Assemblée et son exclusion des séances parlementaires, sauf dans des cas exceptionnels.
Début avril 1873, son allié Jules Grévy quitte la présidence de l’Assemblée nationale au profit de l’opposant orléaniste Louis Buffet. Lors d’élections législatives partielles en avril et mai, des républicains sont élus contre les candidats soutenus par Thiers. Le 18 mai, il remanie son cabinet au profit du centre gauche mais le jour même, ses adversaires menés par le duc Albert de Broglie préparent sa succession au profit du légitimiste maréchal Patrice de Mac Mahon. Le 20 mai, une demande d'interpellation sur la politique du cabinet, signée par 320 députés, est lue à l'Assemblée. Lorsque le 24 mai, le monarchiste Edmond Ernoul dépose un ordre du jour réclamant une « politique résolument conservatrice » adopté par 368 voix contre 344, Adolphe Thiers démissionne de ses fonctions de Président de la République et, de fait, de celles de chef du Gouvernement.
Bien que l’Assemblée nationale compte une majorité monarchiste, la Restauration espérée est retardée en raison de la persistance du prétendant légitime au trône – Henri V, duc de Bordeaux et comte de Chambord – à refuser le drapeau tricolore au profit d’un retour au drapeau blanc. Dans l’attente d’un revirement escompté de sa part, il convient d’élire un nouveau Président de la République. Décidé à s’effacer devant le roi si le trône était rétabli, le maréchal de Mac Mahon est élu Président de la République, le jour de la démission d’Adolphe Thiers, le 24 mai 1873, par 390 voix sur 721 présents. Le 30 octobre, le comte de Chambord publie dans le journal L’Union une déclaration intransigeante : « Je veux rester tout entier ce que je suis ». Pour préserver les chances de la restauration monarchique et gagner du temps pour trouver une solution, l’Assemblée adopte le 20 novembre la loi dite « du septennat ». Celle-ci dispose que « le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi : ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de Président de la République et dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles ».
Plusieurs projets constitutionnels seront proposés à partir de 1873 mais jamais adoptés. Il faut attendre les trois lois organiques de 1875 pour que la Troisième République soit constitutionnalisée.