Histoire et Patrimoine
Frise chronologique
Troisième République
La Chambre des députés et le Sénat confient la conduite de la guerre au Gouvernement
Quand, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, la République reste, en droit, fondée sur les lois constitutionnelles de 1875 qui établissent un régime parlementaire. Aucune réforme modifiant l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif pour le cas de circonstances exceptionnelles n’a abouti. La modeste puissance des gouvernements confrontés à des majorités fluctuantes risque d’affaiblir le pays dans la conduite de la guerre, dans un contexte européen dominé par des monarchies plus ou moins autoritaires. Si l’article 9 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 prévoit que le président de la République déclare la guerre, il ne peut le faire sans l’accord préalable des deux assemblées car, s’il dispose de la force armée aux termes de l’article 3 de la loi organique du 25 février 1875, le pouvoir législatif doit s’effacer devant lui en la matière.
En outre, l’article 42 de la loi du 21 mars 1905 portant sur le recrutement de l’armée, exclut toute dispense, au nom du principe d'égalité, à l'obligation du service militaire actif dont la durée est ramenée à deux ans. Elle dispose qu’« En cas de mobilisation, nul ne peut se prévaloir de sa fonction ou de l’emploi qu’il occupe pour se soustraire aux obligations de la classe à laquelle il appartient ». La mobilisation générale étant déclarée par décret le 1er août 1914, les assemblées parlementaires ne peuvent plus continuer à fonctionner normalement alors que nombre de ses membres sont en âge d’être mobilisés et ne bénéficient d’aucune exemption. Si l’âge des sénateurs les exclut de l’appel sous les drapeaux dans leur grande majorité, il n’en va pas de même des députés : près du tiers d’entre eux sont mobilisés, engagés volontaires ou officiers de réserve.
Dès la proclamation de l’état de siège sur l’ensemble du territoire le 2 août 1914, le président de la République, Raymond Poincaré, convoque les deux assemblées en session extraordinaire pour le 4 août, jour des obsèques de Jean Jaurès. Dans son message, lu par le président du Conseil René Viviani, Raymond Poincaré requiert la solidarité de tous les groupes parlementaires face à l’ennemi : « Dans la guerre qui s'engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l'éternelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique. »
Au cours de cette seule séance, les deux assemblées votent, sans discussion et sans interpellation, 18 projets de loi concernant la conduite de la guerre, dont celui qui vise à ratifier le décret du 2 août instaurant l’état de siège, celui adoptant les crédits nécessaires à la guerre et le projet tendant à réprimer les "indiscrétions" de la presse en temps de guerre. Elles autorisent le Gouvernement à légiférer par décret contrairement au droit en vigueur qui leur impose, aux termes de la loi du 3 avril 1878, de se réunir de plein droit dans un délai de dix jours lorsqu’un décret présidentiel proclame l’état de siège pour cause de péril imminent résultant d’une guerre ou d’une insurrection. Le 5 août 1914, par décret gouvernemental, l’état de siège ratifié est maintenu pour toute la durée de la guerre dans les 86 départements français, le territoire de Belfort et les trois départements de l’Algérie.
Le ralliement des élus à cet effacement des assemblées parlementaires permet à ceux qui sont mobilisables ou aux engagés de rejoindre leur affectation sous huit jours et de remplir leur devoir militaire, sans avoir le sentiment de faillir à leur mandat politique. La conviction d'une guerre courte – et victorieuse – motive également cette adhésion.
À la fin de la séance du 4 août, les Chambres s’ajournent sine die et s’en remettent volontairement au Gouvernement de René Viviani qui est remanié fin août. Les élus de la SFIO, Marcel Sembat et Jules Guesde en sont membres – traduisant dans les faits l’Union sacrée mais rompant avec le refus de la guerre prôné par la IIe Internationale –, et d’influents parlementaires tels que Aristide Briand, Théophile Delcassé, Alexandre Millerand, Alexandre Ribot et Gaston Doumergue font leur entrée au Gouvernement, tous ayant déjà exercé des responsabilités ministérielles.
Jamais jusqu’alors un nouveau ministère ne s’était constitué sans un vote de confiance des Chambres. Ce nouveau Gouvernement semble avoir peu d’autorité sur le Grand quartier général, installé à Compiègne, puis à Chantilly à partir de novembre 1914, parfois surnommé « la dictature de Chantilly », dirigé par le général Joseph Joffre, auquel le ministre de la guerre, Alexandre Millerand, laisse non seulement la direction des opérations militaires mais également la conduite du conflit.
La session extraordinaire des deux assemblées réunies est clôturée par décret du président de la République le 3 septembre 1914, au moment de leur départ vers Bordeaux, contrevenant de nouveau à la législation sur l’état de siège qui prévoit qu’elles doivent siéger de plein droit. Elles sont de nouveau convoquées en une session extraordinaire de deux jours pour voter le budget, le 22 décembre 1914. La session est clôturée le lendemain.