Histoire et Patrimoine
Frise chronologique
Troisième République
La Chambre des députés pendant la première guerre mondiale
Le 1er août 1914, à 15 heures, l’ordre de mobilisation générale arrive par télégramme à la Chambre des députés présidée par Paul Deschanel, où il est immédiatement affiché. En cas de mobilisation générale, les parlementaires suivent les dispositions de la loi militaire de 1913 et, comme tous les Français, sont mobilisables de 22 à 47 ans. Au-delà, les anciens militaires d’active et les officiers de réserve sont également appelés sous les drapeaux. Certains députés, dispensés, exemptés ou réformés, peuvent contracter des engagements volontaires. Ceux qui relèvent de l’armée territoriale ou de sa réserve sont affectés dans des dépôts, à la logistique de la guerre. Les volontaires ou les officiers de réserve peuvent combattre en première ligne. 190 députés sont mobilisés en août 1914, soit près du tiers de l’effectif de la Chambre. Beaucoup sont de simples soldats.
Fin août 1914, l’avancée des troupes allemandes menace Paris. 50 000 Parisiens quittent la capitale en quelques jours et, comme en 1871, les pouvoirs publics se replient sur Bordeaux. Après un trajet en train de nuit, les services de la Chambre des députés s’installent au théâtre de l’Alhambra dans lequel aucune séance ne sera tenue jusqu’en décembre, date du retour des autorités à Paris. Les assemblées sont convoquées en une session extraordinaire de deux jours, les 22 et 23 décembre par le président de la République Raymond Poincaré. Elles ratifient à l'unanimité les décisions prises depuis le 4 août dont le recours à l’emprunt pour financer la guerre. Elles votent notamment les crédits pour le premier semestre de 1915 et le report de toutes les élections pour l’après-guerre, y compris les élections sénatoriales initialement prévues en 1915. Le président du Conseil René Viviani définit à la tribune de chaque Chambre les buts de guerre de la France et prend soin de rappeler que le Gouvernement entend respecter leurs prérogatives respectives afin de calmer les inquiétudes des élus quant à un nouvel ajournement.
La session ordinaire s’ouvre réglementairement le premier mardi de janvier 1915. Le ministre de la guerre, Alexandre Millerand, souhaite que les Chambres se placent à nouveau en congé pour laisser les mains libres à l’exécutif et au commandement militaire afin de poursuivre la conduite la guerre, mais la majorité des parlementaires refusent. Le Gouvernement cède dans le souci de ne pas rompre avec la légalité républicaine. Après quelques semaines de discussions, le ministre des finances, Alexandre Ribot, annonce qu’il demandera chaque trimestre le vote des crédits nécessaires au fonctionnement de l’État et au financement de la guerre (douzièmes provisoires), ce qui revient à assurer aux parlementaires de siéger sans interruption jusqu’à la fin de la législature, en novembre 1919. Mais les élus sont sensibles aux risques de renseigner l’ennemi en abordant en séance publique des questions relatives à la défense nationale. Il est donc admis que ces questions seront débattues en commissions, dont les séances sont secrètes. Le président du Conseil et les ministres se rendent à leurs convocations pour répondre à leurs interrogations et interpellations. Ainsi les commissions, tout en conservant leur rôle traditionnel d’examen des projets et propositions de loi, deviennent le lieu privilégié du contrôle de l’action gouvernementale.
Toutefois, certains parlementaires souhaitent redonner de l'importance aux séances plénières afin de leur permettre à tous, et pas seulement aux membres des commissions les mieux informées, d'exercer un contrôle sur le Gouvernement et le Haut commandement. Ces derniers leur opposent la nécessité d'éviter toute indiscrétion susceptible de compromettre le succès des opérations militaires et soutiennent que la publicité obligatoire des débats en période de guerre constitue un risque pour la sécurité de la nation. Les députés et les sénateurs demandent alors d’exercer le droit de chacune des chambres de se constituer en comité secret – à huis clos – prévu par leur règlement et conformément à la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. Après avoir déjà repoussé deux résolutions demandant la réunion en comité secret de la Chambre des députés en octobre et décembre 1915, le Gouvernement d’Aristide Briand accepte celle de juin 1916 requise par la quasi-totalité des groupes parlementaires, votée par 401 voix contre 120. La première formation de la Chambre en comité secret se réunit le 16 juin 1916, en présence du Président du Conseil qui en accepte l’ordre du jour. Les participants sont engagés sur l’honneur à ne rien dévoiler de ce qui sera dit au cours de ces séances et il est décidé, avec l’aval du Bureau de la Chambre, qu’un compte rendu sténographique sera rédigé et déposé dans ses archives. Le comité siège pendant sept jours et aborde entre autres sujets la bataille de Verdun, le corps expéditionnaire d'Orient et les relations entre le Gouvernement et le Haut commandement (séance du comité secret du 16 juin 1916).
Des difficultés d’approvisionnement commencent au début de 1915. En 1916, l’hiver est très rigoureux avec des minima de - 23° C. Les restrictions en fourniture d’énergie et d’alimentation n’empêchent toutefois pas le fonctionnement de la Chambre des députés pendant toute la durée du conflit. Le Palais-Bourbon, dans sa vie quotidienne, s’adapte aux vicissitudes de la guerre et prend des allures de camp retranché. Les œuvres d'art qui n'ont pas pu être évacuées, comme le bronze monumental de Dalou représentant Mirabeau, situé dans le salon Casimir-Perier, sont protégées par des étais de bois et des sacs de sable. La verrière de l'hémicycle est recouverte de toile sombre pour éviter de fournir un point de repère aux avions ennemis. À cet égard, en mars 1915, un poste de microphones est installé au fronton pour repérer de loin les bruits de moteurs dans le ciel. Quand des Zeppelin ou des Gotha sont signalés à l'horizon, des agents parcourent les couloirs du palais, donnant l'alerte à l'aide d'une cloche à main, tandis que le clairon de garde passe dans les cours intérieures : députés et fonctionnaires se réfugient dans les sous-sols, puis dans des abris aménagés au rez-de-chaussée après l'apparition des premiers projectiles asphyxiants dont on redoute les fumées lourdes qui peuvent envahir les caves. Au printemps 1918, le Palais-Bourbon est une des cibles possibles des bombardements sur Paris, non plus par les avions mais par les nouveaux canons de longue portée des troupes allemandes stationnées à 120 kilomètres – surnommés Pariser kanone (canons parisiens). Le palais est épargné, alors que des obus tombent alentour, notamment sur le ministère de la guerre, boulevard Saint-Germain.
De janvier 1915 à septembre 1917, le consensus porté par l’Union sacrée permet aux institutions de fonctionner : les assemblées poursuivent leur œuvre législative – 102 lois sont adoptées de 1915 à décembre 1916 – et si les gouvernements qui se succèdent ne sont pas mis en minorité, ils présentent leur démission quand les critiques exprimées au sein des commissions et lors des comités secrets traduisent la perte de confiance des chambres. Ces dernières s’efforcent également d’assurer un contrôle parlementaire sur l’armée. Au terme de longues discussions, les membres de la commission de l’armée obtiennent en octobre 1917 des laissez-passer permanents pour se rendre en mission d’information sur le front. Ce consensus politique est ébranlé par la rupture de l’Union sacrée à l’été 1917 et la mise en minorité du Gouvernement de Paul Painlevé, en novembre. Dès lors, le président Poincaré se résigne à faire appel à Georges Clemenceau qui forme un Gouvernement soutenu, non plus par l’unanimité des deux assemblées, mais par une majorité des deux tiers.
Le 11 novembre 1918, la nouvelle de l’armistice soulève un tel enthousiasme qu’avant même dix heures du matin, un public nombreux attend sur le quai d'Orsay, aux grilles du palais Bourbon. Jamais autant de cartes d’accès à la Chambre n'avaient été demandées selon le secrétariat général de la Chambre et de la questure. Devant un hémicycle comble, des galeries et des tribunes bondées, le président du Conseil, Georges Clemenceau, fait son entrée vers 16 heures, salué par des acclamations unanimes des députés comme du public. Le calme revenu, il donne lecture, dans un silence profond, des conditions d’armistice, puis rend hommage à l’Alsace et la Lorraine retrouvées, aux combattants morts ou vivants puis à la République. Le président de la Chambre, Paul Deschanel, prend ensuite la parole et prononce une allocution qu’il conclut par ces mots : « Et vous, combattants sublimes de la grande guerre, votre courage surhumain a fait de l'Alsace-Lorraine, aux yeux de l'Univers, la personnification même du droit ; le retour de nos frères exilés n'est pas seulement la revanche nationale, c'est l'apaisement de la conscience humaine et le présage d'un ordre plus haut ! ».
Au total, 16 députés sont tués pendant la guerre, au cours de leur mandat. Jusqu’à la fin de la législature, leur siège dans l’hémicycle demeure voilé de crêpe noir entouré de leur écharpe tricolore. Leur nom est aujourd’hui gravé sur le monument aux morts de la salle des Quatre-Colonnes.