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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 28 septembre 2010

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

. Questions au Gouvernement

Profanations

M. Armand Jung

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales

Projet de loi sur l'immigration

M. Claude Goasguen

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire

Écoutes téléphoniques

M. Noël Mamère

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales

Mécontentement des éleveurs

M. Thierry Benoit

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche

Affaire Bettencourt

M. Olivier Dussopt

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Politique économique

M. Jean-Pierre Gorges

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

Réforme des retraites

Mme Marie-Hélène Amiable

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement

Droits à la retraite des victimes de l’amiante

M. Daniel Garrigue

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi

Services publics en milieu rural

M. Jean-Marie Rolland

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire

Réforme des retraites

Mme Catherine Coutelle

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement

Processus de paix au Moyen-orient

M. Jean Bardet

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Indemnisation de Bernard Tapie

Mme Aurélie Filippetti

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

Déclaration franco-allemande sur l’avenir de la PAC

M. Michel Diefenbacher

M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche

Politique du logement

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie

Entreprise Lejaby

M. Étienne Blanc

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie

Réforme des collectivités territoriales

M. Bernard Derosier

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire

. Réforme des collectivités territoriales

Explications de vote

M. Michel Diefenbacher, M. Bernard Derosier, M. François de Rugy, M. Claude Leteurtre

. Immigration, intégration et nationalité

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Présidence de M. Marc Laffineur

M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales

Motion de rejet préalable

Mme Sandrine Mazetier

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, M. Serge Blisko, M. Patrick Braouezec, M. Claude Goasguen

Motion de renvoi en commission

Présidence de Mme Danielle Bousquet

M. Noël Mamère

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, M. Thierry Mariani, rapporteur, M. Éric Diard, M. Christophe Caresche, Mme Anny Poursinoff

5. Opposition à la discussion d’un texte en procédure d’examen simplifié

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

(Au moment où le président de l’Assemblée nationale monte au fauteuil de la présidence, les députés des groupes SRC et GDR restent assis ; les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent.)

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, conduite par son président, Mevlüt Çavusoglu.

(Mmes et MM les députés ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Profanations

M. le président. La parole est à M. Armand Jung, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Armand Jung. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

M. Gaëtan Gorce. Du désordre intérieur plutôt !

M. Armand Jung. Monsieur le ministre, il règne depuis plusieurs mois dans notre pays un climat délétère et malsain de haine et de xénophobie. Cela se traduit notamment par une recrudescence importante des profanations de cimetières qui touchent toutes les confessions religieuses, qu’elles soient israélite, musulmane ou chrétienne.

Je voudrais vous citer quelques exemples d'actes graves qui se sont déroulés à Strasbourg et dans sa région depuis le début de cette année.

Un cimetière israélite a été profané le jour anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz.

Des stèles du carré musulman du cimetière nord ont été dégradées et brisées. Vous avez d'ailleurs pu le constater sur place, monsieur le ministre, et je vous en remercie.

Un autre cimetière israélite, celui de Wolfisheim, a été profané.

La semaine dernière, ce sont trente-six stèles du carré musulman du cimetière sud qui ont été profanées.

Depuis quelque temps, des citoyens et des responsables publics sont également touchés : un responsable de la grande mosquée de Strasbourg ; le directeur d'un cinéma d'art et d'essai, d'origine turque, dont la voiture et le domicile ont été tagués et incendiés ; jusqu'au maire de Strasbourg dont le domicile a été recouvert de l'inscription « Non aux minarets ! »

Plus récemment, on a constaté la reprise scandaleuse des « soupes au cochon », particulièrement blessantes et stigmatisantes.

Monsieur le ministre, nous condamnons avec la plus grande fermeté ces actes odieux. Où en sont les enquêtes que vous avez diligentées ? Quels moyens mettez-vous en œuvre pour trouver les responsables et les commanditaires de ces actes ? Plus généralement, mettez donc plus de zèle à trouver les coupables de ces actes odieux….

M. le président. La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le député Armand Jung, en qualité de ministre des cultes,…

M. Jean-Pierre Brard. Oui, mon père !

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur … je suis naturellement tout autant que vous et que chaque membre de l’Assemblée choqué…

M. Roland Muzeau. Mariani est le seul à ne pas l’être !

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur … par ces profanations qui ont eu lieu notamment – mais pas uniquement – dans le département du Bas-Rhin.

Je pense naturellement à la profanation du cimetière israélite de Cronenbourg, au mois de janvier, à celle du carré musulman au cimetière de la Robertsau où vous vous êtes rendu ainsi qu’André Schneider et d’autres, et à celle du cimetière de la Meinau, vendredi dernier.

Malheureusement, d’autres départements que le Bas-Rhin sont concernés. Vous l’avez évoqué, une vingtaine de tombes catholiques ont été profanées dans les Deux-Sèvres.

Au cours des sept premiers mois de l’année, au total 387 cimetières et lieux de culte ont été dégradés. Vous l’avez dit, aucune confession, croyance ou religion n’est épargnée. Face à de tels actes, la communauté nationale tout entière se trouve offensée.

Nous devons évidemment y répondre par la fermeté la plus absolue. À la condamnation morale doit s’ajouter la sanction pénale.

Vous m’interrogez sur le résultat des enquêtes. Grâce notamment à l’action de la police scientifique et technique, soixante-huit personnes – dont cinquante et un mineurs – ont été interpellées depuis le début de l’année.

À la haine, à l’extrémisme et – pour être tout à fait clair – à l’imbécillité doivent répondre le respect, l’écoute et le dialogue, mais aussi la plus grande fermeté. C’est une conviction profonde, monsieur le député Jung, mais c’est aussi un principe d’action pour l’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Projet de loi sur l'immigration

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Brard. Encore un gauchiste !

M. Claude Goasguen. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’immigration, Éric Besson. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Nous allons débattre d’une loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité.

M. Patrick Roy. Encore une loi !

M. Claude Goasguen. Eh oui ! Il y a trois directives européennes…

M. Patrick Roy. Cinq lois !

M. Claude Goasguen.… et nous sommes obligés de voter cette loi. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) En effet, trois directives européennes ne se refusent pas.

Par ailleurs, puisque vous avez l’air extrêmement en forme cet après-midi, je vous rappelle qu’une loi similaire a été votée dans tous les pays européens, y compris en Espagne où le gouvernement est socialiste, y compris par les socio-démocrates au Parlement européen. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cette loi n’est donc pas aussi dramatique et tragique que vous la présentez.

C’est pourquoi, en appelant chacun à la sérénité nécessaire qui devrait accompagner la discussion de lois sur des problèmes aussi importants, je vous demande, monsieur le ministre, quel est le sens et la signification politique de votre loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Monsieur le député Goasguen, votre question présente deux mérites principaux. D’abord, elle rappelle le cadre européen dans lequel nous inscrivons notre action. Sous présidence française, et à l’initiative de mon prédécesseur, les vingt-sept pays de l’Union européenne ont adopté un pacte européen de l’immigration et de l’asile que nous déclinons étape après étape. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Bernard Roman. C’est une honte !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ce pacte dit des choses claires : l’Europe veut favoriser l’immigration légale ; l’Union européenne veut lutter avec force contre l’immigration irrégulière et avec une détermination accrue contre les filières mafieuses de l’immigration clandestine.

L’Union européenne veut essayer d’harmoniser sa politique de l’asile. C’est particulièrement important pour nous, Français, qui sommes très généreux en matière d’asile. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

L’Union européenne veut dialoguer davantage avec les pays sources d’immigration et les aider. C’est ce qu’on appelle le co-développement ou le développement solidaire.

Telle est la politique que nous menons.

M. Pierre Gosnat. Elle n’est pas bonne !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous avez rappelé, à juste titre, que cette politique est suivie dans tous les pays de l’Union européenne, quelle que soit la sensibilité politique.

Je travaille avec les socialistes espagnols, grecs et portugais – comme je le faisais naguère, avec les travaillistes britanniques – sans aucune difficulté. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Le deuxième mérite de votre question est de mettre le groupe socialiste, ici dans l’hémicycle, face à ses contradictions.

C’est François Mitterrand qui a créé les centres de rétention administrative. (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Néri. Pas toi ! Pas ça !

M. le président. Je vous en prie.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est Lionel Jospin qui a étendu les chambres familiales dans les centres de rétention administrative. C’est Paul Quilès qui a créé les zones d’attente.

Je crois qu’ils ont, les uns et les autres, bien fait. Il existe une gauche républicaine qui va de Gambetta à Clemenceau, à Chevènement et même, par certains aspects, à Daniel Vaillant. Ce PS là n’y est pas fidèle ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Écoutes téléphoniques

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Noël Mamère. Monsieur le Premier ministre, les informations que je vais vous livrer maintenant et que vous trouverez ce soir dans le Canard Enchaîné (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) montrent les limites d’un pouvoir qui pratique la barbouzerie d’un côté et l’opacité de l’autre. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

D’un côté, un procureur de la République n’entend pas ce que lui dit le procureur près la Cour de cassation et ne veut pas ouvrir d’information judiciaire. « Circulez ! Il n’y a rien à voir ! », voilà ce que vous nous répondez, que nous soyons parlementaires, journalistes ou simplement préoccupés par les règles de la démocratie. De l’autre, vous voulez tout savoir sur ceux qui s’interrogent légitimement sur le respect des principes démocratiques.

Nous savons, depuis l’affaire du Monde, que la direction générale de la police et la direction centrale des renseignements ont pris des libertés avec les règles, en particulier avec la loi de 1991,…

M. Jean-Michel Ferrand. Vous parlez des écoutes électorales !

M. Noël Mamère. …en allant fouiller dans les appels d’un journaliste du Monde. (« Mitterrand ! Mitterrand ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Nous apprenons maintenant, par deux documents classés « confidentiels défense », que, dans son assemblée plénière de janvier 2010, la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité a accepté que l’on se renseigne auprès des opérateurs de téléphonie pour récupérer des données telles que les fadets et la géolocalisation ; et elle l’a permis au ministère de l’intérieur et au ministère de la défense au nom de la sécurité nationale.

M. Faugère, le directeur de cabinet de M. le Premier ministre, a publié, en février 2010, un arrêté classé « confidentiel défense » pour autoriser précisément ces inspections sans intervention de la commission. M. Vaillant, qui est membre de cette commission, a indiqué n’avoir jamais entendu parler d’une telle autorisation au cours de la conférence plénière. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Quand donc, mettrez-vous un terme, monsieur le Premier ministre, à ces barbouzeries ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur divers bancs du groupe SRC. - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur Mamère, les interceptions de sécurité se font dans un cadre juridique précis – celui de la loi du 10 juillet 1991 (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) – et sous le contrôle d’une commission indépendante, qui dresse chaque année, un rapport public.

M. Patrick Roy. Menteur !

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur. Vous me traitez de menteur ! (« Oui ! Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.) Vous pourrez le vérifier vous-même !

La réalité est très simple, monsieur Noël Mamère : le Gouvernement ne pratique aucune écoute téléphonique illégale dans notre pays. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vous évoquez, par ailleurs, les conditions dans lesquelles a été identifié un fonctionnaire, magistrat travaillant à la Chancellerie, soupçonné d’avoir divulgué et diffusé des procès-verbaux d’enquêtes en cours d’instruction, au mépris le plus absolu du respect du secret professionnel.

Mme Chantal Brunel. Scandaleux !

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur. Comme je vous l’ai déjà dit, monsieur Mamère, la direction centrale du renseignement intérieur ayant reçu une information, il était de son devoir d’enquêter à son sujet dans le cadre de sa mission de protection de la sécurité nationale et de procéder à des vérifications techniques. Ces dernières ayant confirmé l’information, la direction centrale du renseignement intérieur a, selon l’article 40 du code de procédure pénale, saisi la justice.

Évitez donc, monsieur Mamère, de propager des rumeurs, d’attaquer les administrations de l’État et de vous ériger en accusateur public.

M. Patrick Roy. M. Mamère a raison !

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur. Laissez la justice faire son travail et le faire sereinement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.- Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

Mécontentement des éleveurs

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, je relaie ici l'appel au secours des agriculteurs et, plus particulièrement, des éleveurs. Bien qu’un nouveau plan de soutien ait été engagé, après la loi de modernisation agricole, la situation s’aggrave.

Alors que les revenus des agriculteurs avaient déjà chuté de près de 60 % en 2009, nous assistons aujourd’hui à une envolée des prix des céréales, liée à la spéculation. C’est inacceptable.

Pour les députés du Nouveau Centre, regroupés derrière leur président François Sauvadet et, plus largement, les centristes, la France, première puissance agricole européenne doit relever plusieurs défis.

Le premier est d’ordre économique et fiscal : notre souhait de convergence avec l'Allemagne se heurte pour le moment à la concurrence faite sur la main-d'œuvre et sur la TVA. Il faut, monsieur le ministre, agir sur ces deux points.

Le deuxième défi est alimentaire, la sécurité en ce domaine, restant notre priorité. Or la hausse récente des prix des matières premières représente une menace sérieuse. Une solution provisoire a été trouvée pour le prix du lait mais la production porcine se trouve dans une situation catastrophique. Faut-il prévoir, pour les éleveurs de porcs, un plan de développement ou un plan de reconversion ?

Troisième défi : concilier l'urgence économique et l'urgence écologique. L'environnement restant au cœur de nos préoccupations, l'urgence écologique doit s'inscrire dans une logique d'action dynamique, par le soutien des initiatives agricoles en faveur l'environnement, et non pas dans une logique tatillonne conduisant l’administration à oppresser les agriculteurs.

Quelle stratégie le Gouvernement entend-il mettre en œuvre, monsieur le ministre, pour relancer nos éleveurs aujourd'hui dans la tourmente ? (Applaudissements sur divers bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le député, quelle est la situation agricole en cette rentrée 2010 par rapport à celle de la rentrée 2009 ?

M. Jean Glavany. Mauvaise !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture. Dans toutes les filières, elle s’améliore. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

La tonne de lait est à 300 euros, contre 260 euros l’année dernière. L’été a été bon pour la filière des fruits et légumes. La situation s’améliore dans la viticulture. Les prix remontent dans le secteur des céréales et des grandes cultures.

Contrairement à ce que laissent entendre nos amis socialistes, la ferme France est dans la bonne direction. Elle s’en sort et elle y arrivera. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Il n’y a qu’une seule filière qui souffre aujourd’hui de l’envolée des cours des céréales. C’est, comme vous l’avez indiqué, celle de l’élevage. Il n’est pas acceptable – je voudrais que chacun en prenne conscience – que les prix des produits de l’élevage, bovins ou porcins, continuent à augmenter alors que les rémunérations des producteurs bovins ou porcins stagnent ou ne cessent de baisser depuis plusieurs années. Il n’est pas acceptable que le prix du kilo de viande augmente pour la ménagère alors que la rémunération des producteurs ne cesse de diminuer.

Je lance donc un appel solennel à l’ensemble des acteurs de la filière – industriels privés, coopératives, grande distribution – pour qu’ils fassent en sorte que la rémunération des producteurs s’améliore dans les semaines à venir.

De son côté, l’État, sous l’autorité du Premier ministre et du Président de la République, prend toutes ses responsabilités. Nous avons dégagé 30 millions d’euros d’aide d’urgence pour les éleveurs en difficulté et j’ai annoncé, il y a quelques semaines, un plan de soutien à la filière de l’élevage de 300 millions d’euros sur trois ans dont 100 millions d’euros pour mettre aux normes les installations, soutenir les exportations et faire en sorte que nous mettions de l’innovation dans l’industrie agroalimentaire.

Nous ne laisserons pas tomber la filière de l’élevage bovin et porcin en France. Nous continuerons à prendre toutes les décisions nécessaires en faveur d’une filière qui représente des milliers d’emplois dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.- Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Michel Vergnier. Trop tard !

Affaire Bettencourt

M. le président. La parole est à M. Olivier Dussopt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Olivier Dussopt. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Madame la ministre, voilà plusieurs mois que les députés du groupe SRC réclament la désignation d’un juge d’instruction afin que toute la lumière soit faite dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Woerth-Bettencourt. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Nous ne pouvons pas nous contenter des extraits de procès-verbaux transmis à la presse par tel ou tel. Hier, ce n’est plus l’opposition, mais M. Nadal, procureur général près la Cour de cassation, autorité morale incontestée, le plus haut magistrat du Parquet de France, qui a publiquement recommandé la saisine d’un juge d’instruction pour poursuivre les investigations.

Cet avis est d’abord un avis de bon sens : les révélations sur les nombreux conflits d’intérêts, l’imbrication entre le cercle des donateurs de l’UMP et le traitement de certains contentieux fiscaux, comme l’affaire Bettencourt pour laquelle la fraude est désormais connue, l’affaire Wildenstein, l’affaire César, la vente des domaines de la forêt de Compiègne pourtant réputés inaliénables, les remises de légions d’honneur, les soupçons qui entourent le financement de la campagne présidentielle de 2007, ou encore les dons à des micro-partis, tout cela pèse sur la vie politique de notre pays et chacun attend de la justice qu’elle puisse enfin faire son travail, c’est-à-dire faire éclater la vérité.

Cet avis du procureur Nadal est également un désaveu du procureur Courroye, ami du pouvoir…

M. Jean Glavany. Courroye de transmission !

M. Olivier Dussopt. …dont on apprend que les « investigations ne sont pas suffisantes en l’état ». Pourtant, M. Courroye a fait savoir dès hier soir qu’il continuait de s’opposer à l’ouverture d’une information judiciaire et qu’il n’entendait pas se dessaisir du dossier.

Madame la ministre, ma question est très simple. M. Courroye est, comme tous les procureurs, placé sous votre autorité. Pouvez-vous nous dire quelles instructions vous comptez lui donner après avoir entendu la recommandation du procureur général ? Si vous refusiez de suivre cette dernière, pouvez-vous nous dire pourquoi le Gouvernement s’obstine à refuser un juge d’instruction, alors que tous les magistrats s’accordent à penser qu’une information judiciaire indépendante aurait dû être ouverte dès le début de cette triste affaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le député, le procureur général près la Cour de cassation a dit trois choses.

Il a d’abord estimé qu’il n’y avait pas lieu, en l’état, de saisir la Cour de justice de la République…

M. Bruno Le Roux. Pour l’instant !

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. …ce qui était une réponse à certains d’entre vous.

Il a ensuite déclaré qu’il souhaitait que l’enquête se poursuive, ce qu’elle fait, et ce qui est normal.

Enfin, il a donné un avis sur le cadre procédural le mieux à même, selon lui, de garantir les droits de la défense. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe SRC.) Cela ne vous intéresse peut-être pas, mais cela me paraît la moindre des choses.

Monsieur le député, le Parquet peut choisir d’ouvrir une information judiciaire s’il l’estime nécessaire, tout comme il a la possibilité de continuer à enquêter lui-même. Ce choix lui appartient et ne saurait être dicté par une quelconque position politicienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je ne vois pas ce qui, en l’état, justifierait l’intervention de quiconque dans la procédure.

Monsieur le député, je respecte l’indépendance de la justice (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et j’ai trop de considérations pour les magistrats pour m’immiscer en quoi que ce soit dans les procédures.

Mesdames et messieurs les députés de gauche, personne n’est dupe. Vous faites de grandes déclarations solennelles sur l’indépendance de la justice, mais vous ne rêvez que de désigner vous-mêmes les juges, voire de condamner avant toute enquête. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) C’est votre conception de la justice : ce n’est pas la mienne. (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Bernard Roman. Zéro !

M. Henri Emmanuelli. C’est honteux !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Vous n’utilisez jamais le téléphone ?

Politique économique

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Gorges, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Alors que vous allez présenter demain en conseil des ministres le projet de loi de finances pour 2011, il est primordial d’apporter à nos concitoyens les moyens de faire face à cette crise économique sans précédent. Les chiffres le montrent : notre stratégie économique nous permet de mieux résister à la crise que nos partenaires.

Plus de deux ans après le discours de Toulon, où le Président de la République avait pris des engagements forts devant les Français pour lutter contre la crise, un constat s’impose : tous les engagements ont été tenus. Le Gouvernement a affronté la crise de façon méthodique, rapide et efficace. Il a assuré le financement de l’économie grâce au plan bancaire et au dispositif de soutien au crédit. Il a mis en œuvre un plan de relance fondé sur l’investissement pour soutenir l’activité et préparer l’avenir.

M. Pierre Gosnat. Quatre millions de chômeurs !

M. Jean-Pierre Gorges. Il a pris des mesures massives pour protéger l’emploi des Français tout en soutenant le pouvoir d’achat des plus modestes. Je souhaite également saluer la lucidité du Gouvernement et de la majorité qui n’ont pas cédé aux pressions socialistes tendant à augmenter les prélèvements sociaux et les impôts. Cela a permis de maintenir un haut niveau de consommation des ménages, gage d’une durabilité réelle de la croissance.

Madame la ministre, vous l’avez dit ce week-end, l’économie française devrait progresser d’au moins 1,5 % en 2010 et de 2 % en 2011. Il s’agit d’une reprise nette. Nous devons continuer dans ce sens en réduisant notamment notre dette publique. Pouvez-vous réaffirmer l’engagement du Gouvernement dans la mise en œuvre de réformes structurelles pour combattre cette crise économique ?

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

M. Patrick Roy. Et du chômage ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur le député Jean-Pierre Gorges, après une crise sans précédent, la France est dorénavant entrée dans l’après-crise. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les résultats sont là. Au deuxième trimestre 2010, la croissance a atteint un rythme de 0,7 %, c’est-à-dire, en rythme annualisé, 2,5 %. Les trois moteurs de l’économie – l’investissement des entreprises, qui augmente de 1,1 %, la consommation des ménages, qui croît de 0,3 %, l’exportation, qui augmente de 2,8 % – contribuent tous à sa relance.

Ceux qui, à gauche, le 13 août 2009, prédisaient qu’une récession menaçait pour 2010 se sont trompés. La politique de relance menée sous l’autorité du Premier ministre et du Président de la République a porté ses fruits.

M. Roland Muzeau. Parlez-en aux chômeurs !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. La politique économique dont nous allons débattre ici même dans le cadre de la discussion budgétaire reposera essentiellement sur deux piliers. Le premier est la réduction du déficit. Le déficit était légitime, nous devions l’engager pour relancer la machine économique. Dorénavant, en période de reprise, nous devons le réduire. Le choix déterminé du Gouvernement, c’est de réduire la dépense publique et non pas, comme vous le suggérez parfois, d’augmenter les prélèvements obligatoires. La France a le plus fort taux de prélèvements obligatoires de toute l’Europe. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe SRC.) Cela suffit. Il ne faut pas augmenter les impôts et les charges. C’est donc la dépense publique que nous allons viser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Le second pilier, c’est la restauration de la compétitivité des entreprises. Pour ce faire, nous allons encourager l’augmentation du volume de travail, renforcer l’innovation des entreprises – des dispositions seront prévues dans le projet de loi de finances pour soutenir l’effort d’investissement.

De la même manière, avec le plan Campus, avec les grands investissements dans l’enseignement supérieur, nous allons relancer la compétitivité des entreprises.

Telle est la politique économique déterminée que nous mènerons ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-Hélène Amiable. Monsieur le Premier ministre, trois millions de personnes ont à nouveau manifesté contre votre projet de réforme des retraites. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Lucien Degauchy. Cinq millions !

M. Michel Havard. Dix millions !

Mme Marie-Hélène Amiable. Elles sont soutenues par une large majorité de nos concitoyens, qui ne peuvent pas toujours faire grève, et par notre jeunesse, qui s’est lancée dans la mobilisation. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe GDR.) Le 2 octobre prochain, nous serons à leurs côtés. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Non, votre réforme n’est pas raisonnable. Elle a seulement ses raisons, qui ne sont pas celles de l’intérêt commun : rassurer les marchés financiers en reculant l’âge de départ à la retraite, en diminuant les pensions et en facilitant un régime par capitalisation. La fébrilité de votre majorité, lorsqu’elle minimise le nombre de manifestants ou lorsqu’elle écourte brutalement les débats dans notre hémicycle, montre que vous êtes battus, avec ce texte mais aussi sur le terrain économique et social. Le pouvoir d’achat promis, vous ne l’avez soutenu que pour les banques et le CAC40. La crise, vous instrumentalisez ce qu’elle produit d’insécurité sociale, avec vos chiffons sécuritaires et xénophobes, qui font honte à la patrie des droits de l’homme, comme, aujourd’hui, votre énième projet de loi sur l’immigration.

Non, relever l’âge de départ à la retraite n’est pas la seule façon sérieuse et responsable d’agir. C’est irresponsable car, en allongeant la durée de cotisation, vous aggraverez le chômage et, en reculant l’âge de départ à la retraite, vous risquez d’inverser la courbe de l’espérance de vie. C’est la pire façon d’agir : injuste, inefficace à terme et discriminante envers les femmes.

D’autres solutions existent. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche, ont prouvé, avec leur proposition de loi, que l’on pouvait maintenir la retraite à soixante ans et à taux plein, à condition d’agir résolument contre le chômage et pour l’emploi, et de taxer le capital ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Et si nous arrêtions à un moment, madame la députée, les discours dogmatiques et regardions les Français en face pour leur dire la vérité sur les retraites ? (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Yves Nicolin. Ils en sont incapables !

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Quelle est la vérité ?

Aujourd’hui, une retraite sur dix est financée à crédit. Voulez-vous continuer dans cette spirale infernale du financement à crédit de notre système de retraites ? Ce que nous voulons, ce que veut le Gouvernement, ce que veut cette majorité, c’est sauver le régime par répartition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Madame la députée, il n’y a pas cinquante solutions : soit on augmente les cotisations, mais ce serait insupportable ; soit on baisse les pensions, mais ce serait inacceptable. La seule solution viable, retenue par tous les grands pays développés, quelle que soit leur sensibilité politique, est celle de l’alignement de la durée du travail sur l’allongement de la durée de vie.

Nous vivons quinze années de plus que la génération qui nous a précédés. Il n’est pas anormal que nous financions ces quinze années de plus par deux années de travail supplémentaires.

Ce sont des efforts que nous demandons aux Français, c’est vrai, mais nous les demandons, madame la députée, avec discernement. Nous avons intégré, pour la première fois, un dispositif de pénibilité en faveur de ceux qui ont travaillé dur tout au long de leur parcours professionnel. (Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Nous avons intégré les carrières longues, puisque ceux qui ont commencé à travailler avant dix-huit ans pourront continuer à partir avant soixante ans. (Même mouvements.) Contrairement à ce que vous prétendez, nous avons intégré le travail des femmes, avec des dispositifs spécifiques.

Vous le voyez donc : il y a une majorité et un Gouvernement qui défendent la retraite des Français et le régime par répartition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur divers bancs du groupe NC. – Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

Droits à la retraite des victimes de l’amiante

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue, au titre des non-inscrits.

M. Daniel Garrigue. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail.

Malgré l’ampleur de la catastrophe sanitaire liée à l’amiante, il a fallu le rapport de l’INSERM de 1996 pour que l’usage de l’amiante soit interdit au 1er janvier 1997 et pour que la loi de financement de la sécurité sociale de 1998 crée le fonds de cessation anticipée d’activité pour les travailleurs de l’amiante.

Ce dispositif permet aux travailleurs victimes d’une maladie liée à l’amiante de cesser leur activité à partir de l’âge de cinquante ans. En l’absence de maladie et en cas d’exposition, il permet un départ en préretraite, fixé par rapport à l’âge légal en retranchant de celui-ci le tiers du temps travaillé dans l’établissement.

Ce dispositif a bénéficié individuellement à de nombreux salariés. Il tient également une place importante dans certains plans sociaux, où la question se trouve posée, notamment aujourd’hui, à l’établissement Bergerac NC du groupe SNPE. Or la loi sur les retraites, en décalant de deux ans l’âge de la retraite, remet profondément en cause ce dispositif, alors que la nature et les conséquences de l’exposition n’ont nullement changé. (Applaudissements sur divers bancs des groupes SRC et GDR.)

Monsieur le ministre, quelles dispositions comptez-vous prendre pour maintenir ce dispositif essentiel en l’état ?

Par ailleurs, envisagez-vous un réexamen de la situation des établissements ayant contenu de l’amiante et des dates fixées de façon parfois extrêmement étroites ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. Permettez-moi tout d’abord, monsieur le député, de vous demander d’excuser Éric Woerth, retenu au Sénat pour le débat sur la réforme des retraites.

S’agissant de la catastrophe sanitaire qu’a représenté l’amiante pour notre pays, vous avez rappelé les drames familiaux auxquels il a donné lieu. Je tiens à saluer l’action de Jacques Barrot qui, en 1997, lorsqu’il était ministre, fut le premier à avoir le courage d’interdire l’utilisation de l’amiante. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Vous connaissez les modalités selon lesquelles s’exerce la solidarité nationale à l’endroit des travailleurs qui ont été exposés à l’amiante. Tout d’abord, ceux qui ont été exposés dans leur travail ont la possibilité de bénéficier d’un système de préretraite avant l’âge de la retraite. Par ailleurs, pour les cas les plus douloureux, ceux qui ont contracté une maladie à la suite de leur exposition à l’amiante peuvent partir dès l’âge de cinquante ans.

Éric Woerth l’a rappelé solennellement lors du débat devant la représentation nationale, le Premier ministre et le Président de la République l’ont évidemment confirmé : le dispositif sera maintenu dans le cadre de la réforme des retraites. Cela signifie deux choses très simples : d’abord il ne sera pas touché à l’âge de cinquante ans, seuil fixé pour l’exercice de la solidarité nationale à l’endroit des victimes de l’amiante ; ensuite les victimes bénéficiant aujourd’hui de dispositifs de préretraite seront bien entendu accompagnées jusqu’à l’âge légal de la retraite, même modifié par la réforme des retraites.

Sur ce dossier, vous le voyez très bien, monsieur le député, le Gouvernement a été attentif aux questions de pénibilité, surtout sur un sujet aussi délicat que celui de l’amiante. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Services publics en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Rolland, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Marie Rolland. Je souhaite interroger M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire sur l’accord national qu’il vient de signer relatif aux services au public.

M. Henri Emmanuelli. Ah ! Bravo !

M. Jean-Marie Rolland. Nous le savons tous, l’espace rural commence parfois aux confins de la région parisienne et le département que j’ai l’honneur de représenter, l’Yonne, en est le témoignage. Avec 435 communes sur 455, qui comportent moins de 3 000 habitants – c’est-à-dire plus de 95 % des communes –, avec une ville préfecture rassemblant moins de 10 % de la population du département, nous sommes un territoire rural, même si, aujourd’hui, nous accueillons un événement sportif exceptionnel : l’arrivée du Real Madrid dans une commune de 35 000 habitants (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP), avant de recevoir Milan et Amsterdam.

Monsieur le ministre, nous avons participé, les uns et les autres, aux assises du territoire que vous aviez organisées il y a quelques mois. Nous y avions exprimé avec force notre souci d’accroître l’attractivité de notre territoire, de renforcer l’accès aux services et de faciliter la vie des familles. Aussi, monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître les modalités concrètes de l’accord que vous avez signé avec neuf opérateurs publics.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. D’abord, monsieur le député, je souhaite bonne chance ce soir à l’AJ Auxerre. J’espère qu’elle nous donnera à tous une bonne leçon d’optimisme !

L’accord « plus de services au public » se situe dans la droite ligne des assises des territoires ruraux, qui se sont déroulées l’an passé, et du CIADT que le Premier ministre a présidé le 11 mai dernier. Il s’agit d’accompagner le renouveau des territoires ruraux. Il y a, dans tous ces territoires, une forte demande pour avoir accès partout aux services au public. Chacun doit trouver une réponse aux questions qu’il se pose sur sa retraite, pouvoir acheter un billet de TER, avoir un lien avec la MSA ou la caisse d’assurance maladie. C’est essentiel.

Avec cet accord, nous avons lancé une expérimentation. Avec neuf de ses opérateurs, l’État va mener, pendant dix-huit mois, dans vingt-trois départements, une expérimentation qui débouchera sur une généralisation. Le principe de l’expérimentation, c’est la mutualisation des moyens des opérateurs qui mettent en commun leurs moyens humains et techniques pour organiser une réponse adaptée sur tous les territoires. Il s’agit de mettre plus de services, là où il n’y en avait pas.

Dès la semaine prochaine, les préfets de départements réuniront les opérateurs et les collectivités locales, choisiront les sites d’expérimentation, mettront en place les contrats départementaux d’expérimentation. L’État consacrera 15 millions d’euros pour financer cette expérimentation.

M. Henri Emmanuelli. C’est moins que Liliane Bettencourt !

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural. Les opérateurs apporteront leur part. Au bout de dix-huit mois, nous généraliserons l’expérimentation, dans le cadre d’une négociation qui concernera, cette fois, tous les élus locaux.

Réforme des retraites

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Catherine Coutelle. Monsieur le Premier ministre, je reviens sur la réforme des retraites.

Vous opposez, dites-vous, un « non ferme et tranquille » aux Français. Or les Français sont de plus en plus nombreux à vous dire que votre réforme est injuste.

Elle est injuste parce qu'elle touche particulièrement les travailleurs qui effectuent des métiers pénibles, et pénibilité ne veut pas dire incapacité.

Elle est injuste pour ceux qui ont débuté leur carrière jeunes. Certains devront cotiser quarante-quatre ans sans gagner plus !

Elle est injuste parce qu'elle aggrave les inégalités envers les femmes, et c’est seulement maintenant que vous semblez vous en rendre compte. Elles sont déjà 30 % à attendre 65 ans pour liquider leurs droits à taux plein. Faute de cotisations suffisantes, elles devront, demain, travailler jusqu’à 67 ans.

Les Français sont de plus en plus nombreux à craindre non seulement l’injustice, mais aussi l’inefficacité de votre réforme. Ils ont bien compris que vous n'aviez pas trouvé le financement complet des retraites et surtout pas jusqu’en 2018. Financement qui pèsera essentiellement sur les salariés et qui se fera aux dépens des générations futures, lesquelles vont subir un véritable hold-up par le pillage du fonds de réserve des retraites. Financement qui se fera aux dépens des seniors qui devront rester plus longtemps au travail, ou sans travail, ainsi qu’aux dépens de l'assurance chômage, qui voit sa dette s'alourdir.

Le parti socialiste a fait des propositions…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Lesquelles ?

Mme Catherine Coutelle …vous n'avez pas voulu les entendre. Vous êtes resté fermé à toutes les discussions avec l'opposition pendant le débat parlementaire, comme vous l'aviez été avec les partenaires sociaux au printemps !

Samedi prochain, les Français seront dans la rue pour la troisième fois en un mois. Combien de temps allez-vous rester sourd à leur attente d’une retraite juste et équitable pour tous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Mesdames et messieurs les députés, je voudrais d’abord excuser Éric Woerth, qui est actuellement au Sénat.

Madame la députée, vous avez fait référence à plusieurs sujets. S’agissant de la pénibilité, qui a proposé un système qui, pour la première fois en Europe, relie la retraite et la pénibilité ? C’est le gouvernement de François Fillon.

Vous avez parlé des carrières longues. Qui avait, en 2003, inventé pour la première fois un système de départ à la retraite intégrant ceux qui ont commencé à travailler tôt, à seize ou à dix-sept ans ? C’était le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, avec la réforme voulue par François Fillon.

Aujourd’hui, nous proposons d’élargir le système, en intégrant ceux qui ont commencé à travailler avant dix-huit ans ; ils pourront continuer à prendre leur retraite à 60 ans.

Enfin, madame la députée, vous évoquez la question des femmes. Mais il faut se poser les bonnes questions sur les retraites des femmes.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale. Aujourd’hui, les femmes qui ont cinquante-quatre ou cinquante-cinq ans partiront à la retraite avec autant de trimestres que les hommes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe GDR.) La question n’est donc pas là ! Le vrai sujet n’est pas non plus, contrairement à ce que vous répétez, celui de la remontée de l’âge de départ à la retraite à 67 ans : aujourd’hui, 80 % des femmes liquident leur pension avant 65 ans. La vraie question, madame la députée, c’est l’origine de ce mal qu’est l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Le Gouvernement a proposé un amendement, afin d’agir dans ce domaine. Le Premier ministre, le ministre du travail et le président du Sénat ont évoqué la possibilité que ces discussions évoluent au Sénat, parce que nous voulons répondre à cette question.

Comme vous le voyez, madame la députée, cette réforme est juste et équitable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Processus de paix au Moyen-orient

M. le président. La parole est à M. Jean Bardet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Maxime Gremetz. Rendez-nous Debré !

M. Patrick Roy. Debré reviens !

M. Jean Bardet. Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes ; la reprise des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens a fait naître un nouvel espoir de paix au Moyen-Orient. Je dis bien « un espoir », car l’expérience du passé permet d’être, sinon sceptique, du moins dubitatif. Malheureusement, la non-reconduction du moratoire sur les colonisations, que le Président de la République a dénoncée hier, vient accréditer mon pessimisme. La venue du Président palestinien, Mahmoud Abbas et son entretien avec le Président de la République ont permis à celui-ci de réaffirmer le rôle que la France et l'Europe entendaient tenir dans le processus de paix.

Le Président de la République a annoncé, hier, la venue, à Paris, de M. Mahmoud Abbas et de M. Benyamin Netanyahu pour préparer le sommet de l’Union pour la Méditerranée prévu fin novembre. À cette occasion, ils parleront aussi de la paix. Cependant, monsieur le ministre, le temps joue contre la paix, laissant le champ libre aux extrémistes de tout bord qui tendent toujours à faire échouer les tentatives des hommes et des femmes de bonne volonté. La semaine dernière, douze jeunes ont été reçus au ministère des affaires étrangères en présence du président Accoyer et de mon collègue Claude Goasguen. Ces jeunes palestiniens et israéliens, âgés de quinze à dix-huit ans, veulent faire la paix avec beaucoup de générosité. Alors, ne les décevons pas !

Le processus de paix apparaît à nouveau dans l’impasse. Quelles initiatives la France entend-elle prendre pour faire rebondir les discussions ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Au revoir ! Au revoir !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, vous avez résumé l’initiative de la France, mais il n’y a pas que cela. (Plusieurs députés du groupe SRC chantent : « Ce n’est qu’un au revoir ! »)

La semaine dernière, nous attendions tous de savoir, avec l’Assemblée générale des Nations unies, jusqu’à dimanche soir si les Israéliens décideraient ou non de la poursuite du moratoire. Il ne s’est rien passé ; donc, il n’y a pas eu d’arrêt du moratoire. Mais tout indiquait, en même temps, que les constructions allaient reprendre.

Dans ces conditions, la sagesse du Président Abbas a été de dire qu’il convoquait la réunion, le samedi 3 octobre, de la Ligue arabe. De son côté, le Premier ministre Netanyahu a demandé aux colons de rester calmes. Ce n’est, bien entendu, pas suffisant, mais, à cela, s’ajoute cette initiative française : la préparation à Paris, dans le courant du mois d’octobre, de la réunion de l’Union pour la Méditerranée, prévue en novembre.

Est-ce suffisant ? Non ! Néanmoins c’est le meilleur choix pour poursuivre les négociations directes. N’oubliez pas que ce n’est que le 3 septembre que les négociations indirectes ont commencé et que les négociations directes se sont déroulées à Washington, où nous n’étions pas, à Charm el-Cheikh et à Jérusalem où nous n’étions pas présents non plus.

Plusieurs députés du groupe SRC. Où étiez-vous ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Le rôle des États-Unis est évidemment irremplaçable, mais il n’est pas exclusif. La France prend une initiative qui appuiera ce processus de paix dont nous attendons beaucoup ! Et c’est autre chose que des cris ridicules ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Indemnisation de Bernard Tapie

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Aurélie Filippetti. Madame la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, dans le cadre de la procédure entre l’État et Bernard Tapie, vous aviez estimé, il y a deux ans, devant la commission des finances, l’enrichissement supplémentaire de M. Tapie entre 30 et 50 millions d’euros. Aujourd’hui, vous refusez de communiquer précisément le montant de son enrichissement final.

M. Jean Auclair. Il n’était pas ministre de Mitterrand, Bernard Tapie ?

Mme Aurélie Filippetti. Pourtant, Charles de Courson, député de votre majorité, et Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, ont, eux, calculé que Bernard Tapie disposera d’un « reste à vivre » de 220 millions d’euros. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Pourquoi ce manque de transparence, madame la ministre ? L’écart entre votre estimation et ces calculs ne peut résulter d’une méconnaissance des éléments de ce dossier. Ne nous opposez pas le secret fiscal, car vous vous êtes autorisée, il y a deux ans, à donner une estimation. Dès lors, pourquoi refuser de le faire aujourd’hui ?

M. Patrick Lemasle. Absolument !

Mme Aurélie Filippetti. Ce refus de répondre aux parlementaires et, à travers eux, à l’opinion publique, n’est pas acceptable. Je rappelle qu’il s’agit de 220 millions d’euros, madame la ministre ! La vérité, c’est que vous n’assumez sans doute pas l’enrichissement exorbitant dont Bernard Tapie bénéficie du fait d’une décision politique, que vous avez prise, de recourir à une procédure d’exception ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.)

Je ne vous demanderai pas, aujourd’hui, de justifier le recours à cet arbitrage plutôt qu’à la justice classique. Je ne vous demanderai pas, aujourd’hui, les raisons pour lesquelles vous n’avez pas fait appel du montant astronomique accordé à M. Tapie. Ce que je vous demande aujourd’hui, parce que c’est de l’argent public, c’est le montant de l’enrichissement net de Bernard Tapie, c’est-à-dire de son parachute doré. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. Jean Ueberschlag. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Madame la députée, vous parlez d’une affaire de l’État contre Bernard Tapie. Or il faut que les faits soient rectifiés : il ne s’agit pas de l’affaire Tapie (« Si ! Si ! » sur les bancs du groupe SRC), mais d’une affaire qui a opposé le Crédit Lyonnais, devenu le CDR, à Adidas (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC) et à ses propriétaires de l’époque, une époque où la gauche était aux affaires ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

À cette époque, les banques étaient sous le contrôle de l’État et s’improvisaient investisseurs hasardeux des deniers publics. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Quinze ans plus tard, des centaines d’heures d’audience plus tard, et après quelques médiations tentées par certains, j’ai trouvé une douzaine de procédures…

M. Henri Emmanuelli. Répondez à la question !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …j’ai trouvé des millions d’honoraires d’avocats…

Plusieurs députés SRC. Combien avez-vous donné ?

M. le président. Je vous en prie !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …et un risque avéré que l’État français soit condamné à quelques milliards supplémentaires (Protestations sur les bancs du groupe SRC) qui seraient venus s’ajouter à la liste des milliards mis à la charge du contribuable français.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas vrai !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le tribunal arbitral, prévu par le code civil français, a rendu, en vertu de l’article 1476 du code de procédure civile, une décision de justice qui s’impose à tous. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) La sentence a été rendue. J’ai été entendue, à l’époque, par la commission des finances pendant plus de deux heures et demie. J’ai fourni toutes les informations dont je disposais (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Henri Emmanuelli. C’est faux ! Vous avez refusé !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. …toutes les analyses auxquelles j’avais procédé. (Dénégations sur les bancs du groupe SRC.)

J’ai, bien entendu, répondu à toutes les questions qui m’ont été posées en parfaite bonne foi et en totale transparence !

M. Christian Bataille. Alors répondez-nous !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Depuis, la justice est passée. Le tribunal administratif, saisi, m’a donné raison. Les décisions de justice, pour celles qui restaient, ont été rendues en faveur de Bernard Tapie.

Plusieurs députés des groupes SRC et GDR. Combien ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le liquidateur procède à la liquidation sous le contrôle du tribunal de commerce de Paris.

Vous ne cherchez pas la vérité en posant une telle question. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous cherchez l’affrontement, le règlement de compte ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je vous le dis, madame Filippetti, il fallait régler les comptes il y a quinze ans ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Déclaration franco-allemande
sur l’avenir de la PAC

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Michel Diefenbacher. Je souhaite interroger M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, sur le devenir de la politique agricole commune et, en particulier, la position commune franco-allemande.

Monsieur le ministre, vous avez l’habitude de dire que l’avenir de l’agriculture française passe par l’Europe et, lorsqu’il s’agit d’infléchir les positions européennes, vous n’hésitez pas à parcourir l’Europe pour démarcher nos partenaires et trouver la majorité qui nous est nécessaire. Personne n’a oublié votre engagement personnel, en particulier lors de la crise laitière.

Ce qui est aujourd’hui de plus en plus évident, c’est que, dans le domaine agricole comme dans pratiquement tous les domaines, la solution européenne passe par un accord franco-allemand.

Pendant longtemps, les intérêts français et allemands ont été divergents : la priorité des Allemands était surtout industrielle et les Français ont longtemps compté sur la contribution allemande pour financer leur agriculture.

Nous nous étions habitués à ce paysage mais, comme beaucoup d’autres, il est lui aussi en train de changer : l’Allemagne devient un producteur agricole, et la France, longtemps premier bénéficiaire de la PAC, en est aujourd’hui un contributeur net.

C’est dans ce contexte nouveau que vous avez pris l’initiative de rechercher une position commune pour la PAC d’après 2013. Avec votre collègue d’outre-Rhin, vous avez récemment rendu publique une déclaration commune particulièrement ambitieuse.

Pouvez-vous nous donner les grandes lignes de cet accord sur cette indispensable régulation dont l’agriculture a besoin et en préciser le contenu ? Je souhaiterais en particulier vous demander si l’on peut espérer que, demain, les produits importés respecteront les normes que nous nous imposons à nous-mêmes pour nos produits. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le député, il y a deux faits nouveaux dans l’Europe agricole.

Le premier, c’est que l’Allemagne est désormais le principal concurrent des agriculteurs français, ce qui nous oblige à réaliser des efforts de compétitivité et à nous doter de nouveaux instruments économiques pour être aussi performants que les agriculteurs allemands. C’est ce que vous avez fait en adoptant la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche il y a quelques mois.

Le second, c’est que, pour la première fois dans l’histoire de la politique agricole commune, la France et l’Allemagne ont une position commune sur l’avenir de cette politique après 2013.

Cette position commune franco-allemande, c’est la garantie la plus forte pour l’avenir de l’ensemble des paysans sur le territoire français.

C’est la garantie que l’Europe défendra la régulation des marchés agricoles contre la spéculation et la libéralisation des marchés.

C’est la garantie que nous maintiendrons un budget agricole à la hauteur des ambitions de l’agriculture européenne, contre tous ceux qui voulaient le réduire de 30 à 40 % dans les prochaines années.

C’est la garantie que nous soutiendrons les exportations agricoles.

C’est la garantie que nous aurons une réciprocité totale dans les échanges et que nous ne laisserons pas venir sur le territoire européen des produits agricoles ne respectant pas les mêmes règles sanitaires, environnementales ou sociales.

C’est la garantie, enfin, que l’agriculture est bien un fait stratégique en Europe et non pas une politique comme les autres.

Nous avons ces garanties pour les agriculteurs français. Nous les avons pour tous les agriculteurs européens. Ce que je souhaite maintenant, c’est que l’ensemble des États membres nous rejoignent – vingt États ont déjà annoncé qu’ils le feraient – sur cette position équilibrée et défendent l’avenir de la politique agricole commune. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Politique du logement

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le secrétaire d’État au logement et à l’urbanisme, dans la loi, l’État est garant du droit au logement. Dans les faits, ce sont les collectivités et les organismes de logement qui sont contraints d’agir à sa place et, demain, nous l’avons compris, vous exigerez que ce soient aussi les locataires.

Comble du cynisme, en effet, vous décidez aujourd’hui d’organiser au profit du budget de l’État un prélèvement de 2 % sur les loyers versés par les locataires à leurs bailleurs sociaux : 340 millions d’euros dans les poches de l’État, une taxe de 80 euros par an et par locataire.

Après le prélèvement des crédits immobiliers, le pillage des ressources du 1 % et l’amende sur les HLM, vient le tour des locataires. Personne n’est dupe. Lorsque l’État décide de prélever chaque année 2 % sur les recettes des loyers, ce sont les locataires qui paient, et c’est bien dans leurs poches que vous vous servez pour régler la facture du bouclier fiscal. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Avec l’augmentation des charges d’électricité, d’eau et de gaz, cette nouvelle taxe sera pour eux une véritable catastrophe.

En payant leur loyer, les locataires participent notamment aux services qui leur sont rendus, à l’amélioration de leur cadre de vie, aux réhabilitations et aux travaux d’économies d’énergie. Ils aident aussi à construire de nouveaux logements, en exprimant la solidarité des locataires, alors que l’État supprime sa participation.

Vous allez répondre que vous demandez le gel des loyers, mais c’est une opération de communication aussi grossière que malhonnête. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous savez très bien que les organismes respectent le cadre de la loi, que l’État leur doit encore 80 millions d’euros et que leur équilibre financier est aussi fragile que celui des ménages. À croire que vous souhaitez la disparition des bailleurs sociaux et celle du logement social, que vous ne financez plus !

Monsieur le ministre, c’est un hold-up. (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) À Strasbourg, aujourd’hui, tout le monde vous le dit. Allez-vous renoncer à cet acte inacceptable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Permettez-moi d’abord, monsieur le député, d’excuser Benoist Apparu, qui se trouve au Sénat pour défendre le projet de loi sur le marché électrique.

Vous nous dites que l’État se désengage de la construction de logements sociaux. (« Oui ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Étant néophyte sur ce sujet, je me suis permis de regarder les chiffres. Ce que vous oubliez de dire, c’est qu’en 2010, on n’a jamais autant construit de logements sociaux, 140 000. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n’est pas vous qui les payez !

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Ce que vous oubliez de dire, c’est qu’il est prévu davantage d’autorisations d’engagement dans le budget pour 2011 que dans le budget de 2010 et que l’on financera au moins 120 000 logements sociaux. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce que vous oubliez de dire, c’est qu’il n’y a pas que le budget de l’État qui finance les logements sociaux : il y a aussi les aides fiscales, qui étaient de 4 milliards d’euros l’année dernière, et les APL, qui représentaient 5 milliards. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Lemasle. Vous ne répondez pas à la question !

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Vous me parlez de justice sociale. L’objectif de cette contribution sur le revenu locatif, il faut peut-être le rappeler, c’est d’assurer une péréquation (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) pour redistribuer des moyens des zones les moins tendues vers les zones les plus tendues. Ça, c’est une mesure de justice sociale. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Scandaleux !

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Le risque, effectivement, était que cette contribution soit répercutée sur les loyers des locataires. C’est la raison pour laquelle nous avons instauré un plafond obligatoire.

Honnêtement, avec le plan de Jean-Louis Borloo et la politique mise en place par François Fillon, pouvez-vous me dire qui a autant fait dans le domaine du logement social ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Entreprise Lejaby

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Étienne Blanc. Monsieur le ministre chargé de l’industrie, en 2008, le groupe autrichien Palmers a fait l’acquisition, par l’intermédiaire du groupe Warnaco, de la société Lejaby, qui exploite plusieurs sites textiles, notamment dans la région Rhône-Alpes et le Massif Central.

Il y a quelques mois, nous avons appris que cette société entendait mettre un terme à l’activité d’un certain nombre de sites de production, notamment ceux de Bellegarde-sur-Valserine, de Bourg-en-Bresse et du Teil en Ardèche. Un plan social a été immédiatement mis en œuvre, conformément aux dispositions du code du travail, et des négociations ont été lancées entre les organisations syndicales, les représentants du personnel, les salariés et la direction.

Il y aura approximativement 197 licenciements, qui concernent des femmes dont la plupart sont âgées de plus de cinquante ans. C’est un problème social majeur pour un certain nombre de communes.

Or nous avons appris, il y a quelques jours, que les discussions entre la direction et les salariés étaient rompues, que le siège du groupe, à Rillieux-la-Pape, dans la région lyonnaise, était même occupé, et qu’une grève avait été lancée. Cette rupture des négociations pose un énorme problème social.

Tel est donc, monsieur le ministre, le sens de ma question, à laquelle j’associe mon collègue Xavier Breton, député de la circonscription de Bourg-en-Bresse : quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en œuvre pour que le dialogue se renoue et pour qu’il soit mis un terme à cette situation bloquée, préjudiciable et pour l’entreprise et pour les salariés ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie. Monsieur le député, je salue la mobilisation qui est la vôtre et celle de votre collègue Xavier Breton aux côtés des salariés de l’entreprise Lejaby, qui se trouvent malheureusement, au moment où vous me posez cette question, dans une situation bloquée. Je salue également l’action de ces femmes salariées qui mènent avec beaucoup de courage et non sans dignité un formidable combat.

Je n’accepte pas de voir une direction bloquer, sous la pression de fonds d’investissement étrangers, tout dialogue social. Pour le Gouvernement, cette situation est totalement inacceptable. C’est la raison pour laquelle l’État a décidé de mettre en place une médiation, et que j’ai demandé au préfet de région d’engager dès ce soir cette mission de médiation entre la direction et les salariés, afin de placer les dirigeants devant la totalité des responsabilités qu’ils ont à assumer.

Je n’accepterai pas que s’impose une logique purement spéculative (Exclamations sur les bancs du groupe GDR), que l’on mette la clé sous la porte sans avoir proposé des conditions acceptables à l’ensemble des salariés, en leur rendant toute la dignité qui doit être la leur.

C’est l’occasion de rappeler que cette démarche s’inscrit dans les vingt-trois mesures voulues par le Président de la République et le Premier ministre dans le cadre d’une grande stratégie industrielle de relocalisation dans notre pays. Ainsi – dernier exemple en date –, l’entreprise Rossignol a décidé ce matin de rapatrier la production de 60 000 paires de skis en France, pour relancer la création d’emplois français. Tout cela nous permet de gagner des commandes industrielles…

Réforme des collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Bernard Derosier. Monsieur le Premier ministre, M. Sarkozy ne supporte pas que, dans notre pays, une majorité de communes, de départements et de régions soient animés par la gauche.

M. Yves Nicolin. Il a raison !

M. Bernard Derosier. Pour satisfaire cette phobie, vous avez déposé un projet de loi au prétexte de simplifier l’organisation territoriale ; en fait, vous l’avez sérieusement complexifiée. Samedi, les élus socialistes ont d’ailleurs mobilisé la population pour défendre les communes, les départements et les régions.

Le président Chirac et M. Raffarin avaient engagé une procédure constitutionnelle pour que le concept de décentralisation figure dans notre texte fondamental : c’est l’article 1er de la Constitution.

Une deuxième lecture de votre projet de loi a eu lieu la semaine dernière. Ne venez pas nous reprocher de ne pas y avoir participé ; vous en connaissez les raisons : nous n’acceptons pas que 142 députés aient été interdits de parole. (Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC. – Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC. –.)

Qui plus est, nous avons assisté en commission des lois à une caricature de débat. Vous avez balayé le travail sénatorial, alors que le Sénat représente les collectivités territoriales, en vertu de l’article 24 de la Constitution ; il s’agit, là encore, d’une atteinte au texte constitutionnel.

On vous prête l’intention de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire. Ce serait un nouveau déni de démocratie parlementaire.

Monsieur le Premier ministre, avez-vous l’intention de soumettre ce texte à une troisième lecture dans chacune des deux assemblées, et d’abord au Sénat, qui le réclame par la voix de plusieurs sénateurs et du président Larcher lui-même ? Comment expliquez-vous cette volonté qui vous anime de casser la décentralisation et de porter un mauvais coup à la démocratie locale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Monsieur Derosier, il est vrai que nous avons beaucoup débattu de ce texte. Je rappelle que, dès 2008, le Gouvernement a saisi du projet les associations d’élus. Ensuite, deux cent heures de débat ont eu lieu au Parlement. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Lemasle. Pas sur le texte !

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural. C’est l’un des textes qui a été le plus largement discuté dans les instances parlementaires. Vous n’avez pas participé à la dernière lecture, et c’est regrettable (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR dont les membres montrent le président) parce que nous avons toujours correctement débattu.

Ce texte n’est pas un texte contre la décentralisation. (« Si ! Si ! » sur les bancs du groupe SRC) ; c’est un texte qui au contraire, tend à l’approfondir. Il s’agit de faire en sorte que le département et la région travaillent mieux ensemble, par l’institution d’un conseiller territorial.

Nous avons également maintenu le rôle des communes, qui gardent la compétence générale et se retrouveront dans un cadre intercommunal plus démocratique et plus efficace. Assurer davantage de démocratie, d’efficacité, de clarté, c’est aussi l’objet de la clarification des compétences adoptée par l’Assemblée nationale.

C’est donc un texte équilibré qui a été voté en seconde lecture par l’Assemblée, un texte dans le droit fil de la politique de décentralisation menée par l’État qui permettra à nos collectivités d’agir dans la clarté, la démocratie et l’efficacité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La séance des questions au Gouvernement est terminée.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Réforme des collectivités territoriales

Vote solennel

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi, en deuxième lecture, de réforme des collectivités territoriales. (n°s 2720, 2779)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe UMP.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, monsieur le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comment réformer notre organisation territoriale tout en respectant scrupuleusement la libre administration des collectivités ? C’est sur cette ligne de crête que nous avons cheminé tout au long de nos débats, ce qui nous conduit, au terme de cette deuxième lecture, à poser trois règles simples. La première : si tous les territoires ne sont pas identiques, l’organisation ne doit pas être uniforme ; la deuxième : si les mécanismes de décision et de financement sont trop complexes et trop opaques, il faut les simplifier, les clarifier et – pourquoi pas ? – les rendre moins coûteux ; la troisième : si l’on veut faire vivre la démocratie locale, il faut que les décisions soient prises par les élus locaux en consultant, pour les questions les plus sensibles, en particulier les rapprochements entre collectivités, la population.

La loi que nous allons voter ne contraint pas : elle ouvre des possibilités aux collectivités, met des outils à la disposition des élus, et c’est à ceux-ci de dire s’ils souhaitent s’en servir et comment. En deuxième lecture, notre assemblée a été conduite à préciser, et le plus souvent à confirmer, sa position sur les différents points qui restaient en discussion après les débats qui ont eu lieu au Sénat. Je me focaliserai sur deux d’entre eux seulement : le mode d’élection des conseillers territoriaux et la clarification des compétences des collectivités, en particulier des régions et des départements.

La création des conseillers territoriaux est sans doute le point le plus important de la réforme. Nous voulons qu’un territoire soit représenté par un élu pour que la population identifie clairement celui ou celle qui a en charge la conduite des affaires régionales et départementales et qui en sera responsable à ce titre, car il n’y a pas d’autorité sans responsabilité. Et puis, nous voulons que les élus soient choisis individuellement par les électeurs, et non pas désignés collectivement par les appareils des formations politiques. La démocratie, c’est en effet d’abord la possibilité pour chacun d’être élu et donc candidat, qu’il appartienne ou non au sérail d’une formation politique. C’est pourquoi nous tenons tant au scrutin uninominal, scrutin qui s’inscrit dans la tradition française et qui est l’expression la plus simple, la plus claire et la plus pure de la démocratie. (« Oh ! là là ! » et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Reste la question de la parité hommes-femmes. À ce sujet, soyons clairs, évitons les procès d’intention : nous sommes tous attachés à la parité.

M. Jean Glavany. Prouvez-le !

M. Michel Diefenbacher. Mais nous savons tous que le chemin qui y conduit est parsemé d’obstacles, de difficultés et de délais. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Ce n’est pas vrai ! La parité est déjà dans les régions !

M. Michel Diefenbacher. Qu’est-ce qui nous permettra de surmonter au mieux ces difficultés ? Des mesures d’ordre technique telles que le mode de scrutin ou le financement des formations politiques ? Ne serait-ce pas plutôt l’évolution des esprits, que nous devons faciliter (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),…

Mme Monique Iborra. C’est incroyable d’entendre ça !

M. Michel Diefenbacher. …ou la volonté politique, que nous devons affirmer ? Pour ma part, je pense qu’il s’agit du sens de l’histoire que nous devons avoir. Le texte prévoit une modification des règles de financement pour inciter les formations politiques à jouer le jeu. C’est bien, mais l’essentiel, c’est la volonté que nous devons avoir de faire évoluer les choses. Et cette volonté, à l’UMP comme dans tous les autres partis politiques, nous l’avons, car ce qui est en cause, c’est la justice, l’efficacité et le bon sens.

S’agissant de la clarification des compétences entre les régions et les départements, il faut être clair : on ne peut pas à la fois fustiger la jungle des financements, la confusion des rôles, l’opacité des dispositifs, et ne pas vouloir mettre un peu d’ordre dans tout cela. Nous proposons de faire un premier pas dans le sens de la clarification, progressivement, en faisant chaque année une évaluation précise des avantages et des inconvénients d’une telle démarche pour voir ce qui va et qui doit être encouragé, et ce qui ne va pas et le corriger. Nous souhaitons également, j’y insiste vivement, maintenir toutes leurs sources de financement aux collectivités les plus fragiles (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),c’est-à-direles communes de moins de 3 500 habitants et les EPCI de moins de 50 000 habitants, ainsi qu’aux associations sportives, culturelles, touristiques dont nous mesurons tous le rôle irremplaçable au service du lien social. Tous ceux qui ont voulu faire peur aux associations ont eu tort. Rappelons-nous, mes chers collègues, de la campagne menée au début de l’année par les présidents de conseils généraux socialistes, de ces lettres qu’ils diffusaient à l’envi à toutes les associations de leur département : « Nous souhaiterions pouvoir continuer à vous aider, mais regardez ce gouvernement, regardez cette majorité : c’est eux qui vont nous en empêcher. »

M. Michel Vergnier. C’est vrai !

M. Michel Diefenbacher. Mais ceux qui ont voulu faire peur aux associations leur ont, une fois encore, menti ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Pour terminer, je tiens à remercier le Gouvernement pour son volontarisme, son pragmatisme et son écoute, à complimenter la commission des lois, son président et son rapporteur pour le très remarquable travail qui a été accompli. Mais je regrette que le parti socialiste ait déserté cet hémicycle pendant tous les travaux de la deuxième lecture.

M. Jean-Marc Roubaud. Eh oui !

M. Michel Diefenbacher. Nos collectivités, nos territoires, nos élus, tous ceux qui se battent au service de l’action locale méritaient assurément une attitude bien différente. Mes chers collègues du groupe socialiste, entre l’obstruction et la désertion,…

M. Bernard Roman. Ce n’est pas une explication de vote, monsieur le président !

M. Michel Diefenbacher. …il y a place pour une opposition plus responsable, plus digne, plus constructive, simplement plus républicaine. Quand donc en aurez-vous conscience ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier, pour le groupe SRC.

M. Bernard Derosier. Monsieur Diefenbacher, nous n’avons pas déserté, nous avons vivement défendu les collectivités territoriales par d’autres moyens.

M. Jean-Marc Roubaud. Non !

M. Bernard Derosier. Nous ne pouvions pas être présents dans l’hémicycle, et nous nous en sommes expliqués.

M. Jean-Marc Roubaud. Non !

M. Bernard Derosier. Monsieur Hortefeux, vous n’avez pas daigné répondre tout à l’heure à ma question d’actualité, et je le déplore. Le 15  septembre dernier, vous déclariez que vous vouliez un débat qui ne soit « ni précipité ni tronqué ».

M. Bernard Roman. Eh oui ! Mais on a eu les deux !

M. Bernard Derosier. Chacun, ici, connaît le vieil adage selon lequel un menteur n’est jamais cru, même quand il dit la vérité. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Or, en matière de déformation de la vérité, vous êtes un orfèvre, monsieur le ministre.

Au reste, les faits nous ont donné raison : s’il est un débat d’importance – puisqu’il concerne 36 000 communes, 102 départements et 25 régions – qui a été tronqué, c’est bien celui-ci. En effet, vous avez plusieurs fois changé de cap, nous présentant finalement un projet de loi contenant des dispositions qui devaient faire l’objet d’un texte spécifique ultérieur. Vous avez ainsi changé de pied face à la résistance, à laquelle nous avons contribué, des élus locaux et des collectivités territoriales.

Par ailleurs, la seconde lecture du projet de loi à l’Assemblée a donné lieu à une caricature de débat en commission des lois. En effet, le rapporteur a balayé, par des amendements successifs, les travaux du Sénat, afin de rétablir un texte que nous avions combattu en en démontrant tous les dangers. Les propositions sénatoriales ont ainsi été rejetées sans ménagement par la majorité de l’Assemblée nationale, pour de simples raisons idéologiques. Il s’agissait – et M. Hortefeux est toujours aux manettes dans ces cas-là – de ne pas décevoir le chef, qui aurait pu en prendre ombrage et rappeler à l’ordre les députés qui se seraient mal comportés. Au reste, nous avons vu ce qu’il en était lors du débat sur les retraites, quand l’injonction a été faite de conclure la discussion dans les délais que le Gouvernement avait fixés. Alors, oui, nous avons refusé de siéger, pour ne pas cautionner la même mascarade que celle à laquelle nous avions assisté quelques heures auparavant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Bien entendu, ce ne sont pas les seules raisons pour lesquelles nous nous opposons à ce texte – et nous nous y opposerons jusqu’au bout. En effet, messieurs les ministres, vous bafouez la Constitution, vous vous asseyez sur notre loi fondamentale.

M. Jean-Luc Reitzer. Oh ! là là !

M. Bernard Derosier. Faut-il rappeler que l’article 1er dispose que la France est une République dont l’organisation est décentralisée ? Sachez, monsieur le ministre, que si mes propos suscitent votre hilarité,…

M. Jean-Luc Reitzer. Il y a de quoi !

M. Bernard Derosier. …votre politique ne fait pas rire les Françaises et les Français.

L’article 1er de la Constitution, disais-je, dispose que la France est une République décentralisée. Or vos dispositions remettent en question la décentralisation. Ce même article précise, en outre, que « la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux ». Or vous ne respectez pas le principe de la parité,…

M. Patrick Roy. Hélas !

M. Bernard Derosier. …dont la création du conseiller territorial signe l’abandon pur et simple, notamment dans les assemblées régionales.

Par ailleurs, l’article 24 dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Or, en ne tenant pas compte, en deuxième lecture à l’Assemblée, des modifications qu’elle a apportées au texte, vous semblez faire peu de cas de la Haute assemblée. Tout à l’heure, j’ai demandé au Gouvernement – et M. Mercier a eu l’amabilité de me répondre – si une troisième lecture aurait lieu au Sénat. Sur ce point, l’incertitude demeure, et c’est une raison supplémentaire de dénoncer les manœuvres dans lesquelles vous vous êtes engagés.

Enfin, l’article 72 de la Constitution précise que les collectivités territoriales s’administrent librement. Or vous supprimez la clause de compétence générale des départements et des régions. Certes, le ministre Mercier a rappelé qu’elle était maintenue pour les communes. Mais à quoi servira-t-elle si les communes, privées de partenariats avec les régions et les départements, n’ont pas les moyens de mener à bien leurs politiques ? Votre texte aura, en la matière, des conséquences désastreuses qui seront démultipliées dans les zones sensibles de nos villes où sont engagées des politiques de rénovation. J’ajoute que les dispositions de la loi qui excluent un certain nombre de communes des périmètres de rénovation urbaine vont créer des situations particulièrement difficiles.

Il nous faudrait encore dénoncer, sur la forme, les amendements que vous avez déposés à la dernière minute, tant en commission qu’en séance publique.

Quant à cet être hybride que sera le conseiller territorial, en tant que membre de deux assemblées différentes dotées de compétences distinctes, il aura l’impossibilité physique, matérielle, d’exercer ses responsabilités. Votre projet marque un retour à la technostructure dans une organisation territoriale qui avait rendu aux élus les responsabilités qu’ils exercent au nom des citoyens. Ce faisant, vous rabaissez ces derniers,…

M. le président. Merci, monsieur Derosier.

M. Bernard Derosier. …qui seront, de surcroît, inégalement représentés, selon les départements et les régions où ils vivent, les modes de calcul retenus ne permettant en rien une représentation démocratique. Cela est inacceptable.

Pourtant, nous aurions pu faire avancer la décentralisation. Nos propositions allaient dans ce sens.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Derosier.

M. Bernard Derosier. En conclusion, vous portez de graves atteintes à la décentralisation, vous étranglez les collectivités locales, vous remettez en question la parité, vous mettez à mal la démocratie locale et les services publics de proximité. C’est pourquoi nous voterons sans hésitation contre votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je fais d’ores et déjà annoncer le scrutin dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe GDR.

M. François de Rugy. Messieurs les ministres, je veux tout d’abord dénoncer l’ultime passage en force auquel vous vous êtes livrés, puisque vous avez refusé, depuis le début de la discussion de ce projet de loi, d’entendre non seulement la voix de l’opposition – cela ne nous étonne pas, c’est habituel –, mais aussi et surtout celle du Sénat – ce qui est plus inhabituel, compte tenu de sa majorité – et, plus grave, les élus locaux ainsi que l’ensemble de leurs associations, qui ont exprimé de très vives critiques vis-à-vis de votre texte.

Celui-ci est l’épilogue de nombreux rendez-vous manqués.

Rendez-vous manqué avec les objectifs que vous vous étiez vous-mêmes fixés. Je veux parler de la simplification et de la clarification que devait favoriser un projet de loi auquel plus personne ne comprend rien, sinon qu’il ajoute des strates supplémentaires au millefeuille que vous vous plaisez à dénoncer, qu’il rend la vie des élus locaux plus compliquée encore et la démocratie locale plus opaque pour nos concitoyens.

Rendez-vous manqué avec la décentralisation, puisque votre texte masque mal un mouvement de recentralisation amorcé avec la réforme de la taxe professionnelle qui, ainsi que M. Balladur, qui a présidé le comité pour la réforme des collectivités locales, l’a lui-même indiqué, n’aurait pas dû précéder la réforme territoriale.

Rendez-vous manqué avec la démocratie locale, et c’est sans doute le plus grave. Ce projet de loi marque en effet une régression démocratique, tant du point de vue de la diversité sociologique et politique des assemblées régionales et départementales que du point de vue de la parité, qui est actuellement garantie par le mode de scrutin des élections régionales mais qui sera abandonnée en raison du mode de scrutin du conseiller territorial. Même au sein de votre majorité, des voix se sont élevées contre cette régression démocratique. Mme Zimmermann, dont j’ignore quel sera le vote, s’est ainsi exprimée très clairement sur ce point, lors de la discussion. Au reste, un amendement que j’ai défendu a failli être adopté – onze voix contre neuf –, car de nombreuses femmes du groupe UMP ont joint leurs voix aux nôtres. Si cet élément n’est pas modifié par la commission mixte paritaire, nous attendons du Conseil constitutionnel qu’il vous renvoie dans vos buts et qu’il censure cette disposition antidémocratique.

Enfin, rendez-vous manqué avec la solidarité territoriale, la solidarité financière entre les territoires. Votre projet de loi ne comporte en effet aucune mesure en ce sens. Depuis des années, vous n’avez eu de cesse que de dénoncer les financements croisés entre collectivités. Or, depuis trois ans, vous appelez ces dernières à la rescousse pour pallier la situation budgétaire catastrophique de l’État, en leur demandant de financer ses projets partout en France. C’est notamment le cas dans ma région, avec le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Tout au long de la discussion, avec mes collègues communistes André Chassaigne et Jean-Paul Lecoq, nous avons également démontré comment votre politique met à mal les services publics locaux. Les collectivités locales ont pourtant montré leur savoir-faire et leur efficacité dans la gestion des services publics au plus près des besoins de nos concitoyens, dans des domaines aussi variés que les écoles, les collèges, les lycées, les crèches, les maisons de retraite ou les transports en commun.

Pour toutes ces raisons, non seulement nous voterons contre votre projet de loi, mais nous prenons l’engagement clair, net et précis d’abroger, si nous obtenons la confiance des Français en 2012, cette aberration qu’est le conseiller territorial. Nous ferons l’acte III de la décentralisation en clarifiant les compétences et les ressources financières des collectivités locales, pour approfondir la démocratie locale. Contrairement à vous, nous ne commencerons pas par stigmatiser les élus locaux ; nous leur ferons confiance : ils seront les premiers partenaires de la réforme territoriale que nous appelons de nos vœux.

Les députés écologistes, communistes, du parti de gauche et d’outre-mer du groupe GDR voteront contre ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, faut-il réformer nos collectivités territoriales ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est bien, au fond, la première question qui mérite d’être posée, au moment où s’achève la seconde lecture de ce projet de loi.

Nombreux étions-nous, il y a encore quelques mois, sur tous les bancs de l’hémicycle, à partager le même constat : au fil des années et des interventions législatives, le plus souvent inabouties, nous avons vu notre architecture territoriale se muer en un véritable maquis administratif, aussi illisible que coûteux pour le contribuable local, les effectifs des collectivités et leurs dépenses de fonctionnement augmenter plus vite que les transferts de compétences, alors que l’État territorial lui-même tardait à se réformer pour prendre acte de cette évolution. Par ailleurs, la participation de nos concitoyens aux différentes élections territoriales n’a cessé de s’effriter, pour atteindre les records que nous avons connus en mars dernier.

Après le rapport Balladur et face à ces enjeux, le texte initialement présenté par le Gouvernement avait une cohérence et une ambition qui ont été largement remises en cause lors des différentes étapes de la navette parlementaire, notamment lors de son examen au Sénat, dont, en l’espèce, on perçoit mal la légendaire sagesse.

M. François Sauvadet. Très juste !

M. Claude Leteurtre. À nos yeux, ce texte avait en effet un grand mérite, celui de poser le principe de la création du conseiller territorial. Nous avons soutenu et nous soutenons cette création, car nous croyons au rapprochement entre la région et les départements qui la composent. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.) Nous étions même, déjà du temps de l’UDF, de ceux qui proposaient d’aller plus loin, en fusionnant la région et ses départements.

Pour autant, et même si nous prenons acte du vote de notre assemblée en première lecture, nous persistons à croire que retenir un scrutin uninominal majoritaire à deux tours n’est pas une réponse à la hauteur des enjeux de notre démocratie locale. C’est même jouer un bien mauvais tour tant à la parité qu’au pluralisme de notre démocratie. C’est pourquoi le groupe Nouveau Centre a proposé d’étendre immédiatement à toutes les communes de plus de 2 000 habitants le mode de scrutin proportionnel de liste pour les élections municipales – sans succès, hélas !

Au-delà de la seule question du mode de scrutin, reconnaissons que cette seconde lecture s’est ouverte sur un fond de divergences profondes entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

S’agissant des métropoles, le texte dont nous discutons se place indéniablement en deçà des ambitions initiales, ne prévoyant finalement plus qu’un mécanisme de transferts financiers en direction des communautés d’agglomérations abusivement rebaptisées « métropoles » ; ces transferts à hauteur de 28 millions d’euros se font au détriment des autres communautés, puisque l’enveloppe est fermée.

Pour ce qui est de la nécessaire clarification des compétences transférées, reconnaissons, là encore, que rien n’est véritablement clarifié. Nous saluons, bien entendu, le maintien de la clause de compétence pour toutes les collectivités en ce qui concerne le sport, le tourisme et la culture, mais ne pouvons que constater un renoncement par rapport aux ambitions initiales. La grande révision générale des compétences n’aura pas lieu, ce qui constitue pour nous un autre motif de regret.

Mes chers collègues, il se dégage de l’examen de ce texte un sentiment d’inachevé. Plutôt qu’un aboutissement, nous voyons dans ce projet de loi un texte d’étape qui devra nécessairement faire l’objet d’une évaluation. Tel était, du reste, le sens de l’amendement que j’ai déposé avec l’excellent Philippe Vigier ainsi que François Sauvadet, président de notre groupe, et qui a été adopté à notre initiative : inscrire la démarche de clarification des compétences dans un processus d’évaluation, avec des clauses de rendez-vous devant le Parlement. À ce titre, c’est emplis d’espérance et en formant le vœu que la commission mixte paritaire parvienne à élaborer un texte équilibré entre les préoccupations de chacune de nos assemblées que les députés du Nouveau Centre voteront majoritairement en faveur de ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 552

Nombre de suffrages exprimés 540

Majorité absolue 271

(Le projet de loi est adopté.)

(Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Immigration, intégration et nationalité

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (nos 2400, 2814, 2782).

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé sur la base d’un temps attribué aux groupes de trente heures.

Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : pour le groupe UMP, huit heures trente minutes ; pour le groupe SRC, onze heures vingt-cinq ; pour le groupe GDR, cinq heures quarante-cinq ; pour le groupe Nouveau Centre, quatre heures vingt. Les députés non inscrits disposent de cinquante minutes.

En conséquence, chacune des interventions des députés, en dehors de celles des rapporteurs et du président de la commission saisie au fond, sera décomptée du temps du groupe de l’orateur.

Les temps qui figurent sur le « jaune » ne sont, en tout état de cause, qu’indicatifs.

La parole est à M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui vient aujourd’hui devant votre assemblée est le deuxième du quinquennat dans le domaine de l’immigration. Avec ce texte, nous mettons en œuvre les engagements souscrits par le Président de la République devant les Français en 2007, et l’une des priorités de l’action du Gouvernement.

Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des membres de la commission des lois, et en particulier son président Jean-Luc Warsmann, pour la qualité du travail accompli depuis six mois. Je remercie aussi particulièrement le rapporteur Thierry Mariani, spécialiste reconnu des questions d’immigration,…

Mme Pascale Crozon. Ça, c’est sûr !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …avec lequel ce travail préparatoire fut intense et productif. J’y associe beaucoup de députés, notamment Claude Goasguen et Éric Diard, et bien d’autres encore. Je n’oublie pas la commission des affaires sociales, saisie pour avis, et son rapporteur Arnaud Robinet, qui ont apporté des amendements que je crois utiles à notre texte.

Ce projet de loi a un objectif central : poser les premières pierres d’une politique européenne de l’immigration. Il donne une suite concrète au pacte européen sur l’immigration et l’asile, conclu le 16 octobre 2008. Permettez-moi de rappeler ici que ce texte, élaboré sous la présidence française et à l’initiative de la France, sous l’impulsion de mon prédécesseur Brice Hortefeux, a été adopté à l’unanimité des vingt-sept États membres, toutes tendances politiques confondues.

M. Jean Roatta. Très bien !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Trois directives ont été adoptées à la suite de ce pacte, qu’il nous revient aujourd’hui de transposer.

J’ai entendu certains questionner l’utilité d’un nouveau projet de loi sur l’immigration, trois ans après la loi du 20 novembre 2007. Notre réponse est simple : un pacte européen a été conclu entre-temps, le 16 octobre 2008, et trois directives européennes ont été adoptées par la suite, que la France a l’obligation de transposer dans les prochains mois. Ce projet de loi est donc indispensable pour que la France respecte ses engagements européens et continue à prendre une part active dans la construction d’une politique européenne de l’immigration.

À ceux qui dénoncent le principe même d’un nouveau texte sur l’immigration, je voudrais dire qu’on ne peut pas à la fois – comme j’ai entendu plusieurs députés socialistes le faire sur tous les sujets – présenter l’Europe comme la seule solution aux problèmes d’immigration et s’opposer au pacte, adopté à l’unanimité des vingt-sept États membres, et à la transposition des directives qui constituent la première base de cette politique européenne de l’immigration. On ne peut pas à la fois réclamer en toute occasion une politique européenne de l’immigration et rejeter toutes les avancées accomplies dans ce sens, à l’unanimité des vingt-sept États membres, toutes tendances politiques confondues.

La directive « carte bleue européenne » – j’aurais préféré, honnêtement, qu’on l’appelle autrement, mais ainsi soit-il (Sourires sur les bancs du groupe UMP) –, adoptée le 25 mai 2009, crée un premier titre de séjour européen, ouvrant les mêmes droits au séjour et au travail dans les vingt-sept pays membres de l’Union européenne pour les salariés qualifiés. Il s’agit là de la mise en place, au niveau européen, d’une politique d’immigration choisie. Je veux d’ailleurs dire dans cet hémicycle que le concept d’immigration choisie n’est pas spécifique à la France ; l’adjectif est employé dans la plupart des pays européens.

M. Lionnel Luca. Bien sûr !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Les Espagnols parlent d’immigración seleccionada et les Britanniques de targeted immigration, pour immigration sélectionnée et immigration ciblée. Vous voyez donc que la politique dite d’immigration choisie n’est pas spécifique à la France et à ce gouvernement : elle est européenne.

La carte bleue européenne se veut équivalente à la carte verte américaine et elle bénéficiera à un grand nombre des personnes qui viennent aujourd’hui vivre en France. Je réponds là à la critique que j’ai entendue, selon laquelle cette carte serait par essence élitiste. D’une part, en la circonstance, cette orientation est en partie assumée, puisque la stratégie de Lisbonne consistait à faire en sorte que la France et l’Europe soient compétitives. D’autre part, sur le plan numérique, je veux rappeler qu’en 2009, et contrairement à une idée reçue, plus de 25 % des ressortissants étrangers autorisés à entrer et séjourner en France étaient titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

La directive « sanctions », adoptée le 18 juin 2009, prévoit des normes minimales concernant la lutte contre l’emploi d’étrangers sans titre de séjour. Il s’agit là de viser tout particulièrement ceux qui exploitent l’immigration clandestine et en retirent un bénéfice économique. Ces personnes portent atteinte à notre pacte républicain et à notre modèle social. On ne peut pas à la fois promouvoir un niveau élevé de protection sociale et laisser se développer l’immigration illégale et le travail illicite.

L’autorité administrative, c’est-à-dire le préfet, pourra notamment, en tenant compte, bien sûr – je le précise en réponse aux commentaires et aux demandes de précision de la majorité, qui étaient légitimes –, du contexte, de la bonne foi du contrevenant et, en proportionnant les sanctions à l’ampleur des faits constatés, rendre les employeurs inéligibles aux appels d’offres nationaux et européens ou aux aides publiques, mais aussi ordonner, par décision motivée, la fermeture d’un établissement, à titre provisoire et pour une durée qui ne peut excéder trois mois.

Quant à la directive « retour », j’ai compris qu’elle était la plus discutée. Adoptée le 16 décembre 2008, elle fixe les normes et les procédures applicables au retour des ressortissants étrangers en séjour irrégulier.

En application de cette directive, le projet de loi ouvre la possibilité pour l’autorité administrative d’assortir sa décision d’éloignement d’une interdiction de retour sur l’ensemble du territoire européen…

M. Jacques Myard. Du territoire des États membres : il n’y a pas de territoire européen !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …d’une durée de trois ans, pouvant être portée dans certains cas à cinq ans. Tout étranger ne respectant pas le délai de départ volontaire d’un mois qui lui a été accordé pourra être concerné par cette mesure.

Cette procédure est entourée de plusieurs garanties.

D’abord, elle n’est pas automatique. Le préfet peut la prendre dans certains cas, par exemple le non-respect du délai de retour volontaire, mais il n’y est pas obligé. Ensuite, elle est modulable et proportionnée. La loi pose le principe selon lequel il sera tenu compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France. Enfin, elle est abrogée si l’étranger respecte le délai qui lui est accordé pour quitter volontairement le territoire.

Cette mesure constitue donc avant tout un puissant instrument d’incitation au départ volontaire des étrangers en situation irrégulière visés par une mesure d’éloignement.

M. Jean-Paul Garraud. Très bien !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Permettez-moi de rappeler que la directive « retour » a été adoptée par le Parlement européen – je le dis aux députés socialistes, que j’ai entendu parler depuis ce matin sur les ondes de « directive de la honte » –…

Mme Pascale Crozon. Tout à fait !

M. Bernard Roman. C’est la transposition qui est honteuse ! Et puis, il vaut mieux se répéter que se contredire !

M. Jean-Paul Garraud. Vous en êtes la preuve !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …avec les voix des socialistes espagnols et celles des sociaux-démocrates allemands. En Europe, seuls les socialistes français ont voté contre ce texte.

À ces dispositions qui transposent les directives communautaires, le Gouvernement a ajouté quatre mesures qui permettent, elles aussi, d’avancer vers une politique européenne de l’immigration. La France ne peut en effet continuer à se singulariser en Europe par la complexité de ses procédures, qui aboutit malheureusement à ce que 75 % des décisions d’éloignement soient vouées à l’échec.

M. Jacques Myard. C’est inadmissible !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Reconduire les étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine, ce n’est une honte ni pour la France ni pour l’Europe.

À cet égard, je voudrais citer ce que déclarait Lionel Jospin à la tribune de l’Assemblée en 1998 : « […] dire à ceux qui ne peuvent être régularisés qu’ils doivent repartir dans leur pays, qu’ils ont vocation à être reconduits à leurs frontières. C’est simplement le respect du droit international et je dirais même du droit des gens. C’est très exactement cette politique, qui se complète d’une volonté d’intégration ».

M. Jean-Pierre Schosteck. On le regretterait presque. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Paul Garraud. Nos collègues socialistes devraient écouter !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il ajoutait : « Je ne connais aucune formation politique représentée sur ces bancs qui ait préconisé l’entrée sans règles d’étrangers sur notre territoire et qui ait voulu qu’aucun étranger en situation irrégulière ne puisse être reconduit dans son pays. […] Il serait d’ailleurs inconséquent, politiquement et intellectuellement, d’adopter une telle politique. »

Voilà ce que disait Lionel Jospin le 8 avril 1998 ici même. Je pense que certains pourraient y réfléchir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La première mesure ajoutée par ce projet de loi concerne l’allongement de la durée maximale de la rétention administrative, de trente-deux à quarante-cinq jours.

Je voudrais d’abord rappeler que la rétention administrative n’est pas une sanction contre les étrangers en situation irrégulière, mais une étape cruciale dans la procédure d’éloignement, permettant, d’un côté, à la personne retenue d’exercer ses droits et de bénéficier d’une assistance juridique financée par l’État, et, de l’autre, à l’administration d’obtenir ce que l’on appelle le laissez-passer consulaire nécessaire à la reconduite et d’organiser le retour dans le pays d’origine.

Les centres de rétention ne constituent pas une atteinte mais, au contraire, une protection des droits des étrangers en situation irrégulière. Ils sont issus de la loi du 29 octobre 1981, voulue par François Mitterrand.

M. Jean-Paul Garraud. Ils n’écoutent pas !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. L’objectif de cet allongement est de permettre la conclusion d’accords de réadmission au niveau européen, la France ne pouvant maintenir un délai maximal de trente-deux jours, alors que tous les autres pays européens – tous les autres – ont fixé ce délai au-delà de soixante jours. Seule la France est à trente-deux ! Si vous acceptez de voter le texte que le Gouvernement vous propose, nous passerons à quarante-cinq jours : la France restera ainsi le pays dont la durée maximale de rétention sera, de très loin, la plus courte d’Europe.

Ceux qui critiquent cet allongement devront nous expliquer comment on pourrait construire une politique européenne de l’immigration avec un délai maximal de rétention échappant à tout effort d’harmonisation et bloquant la négociation de tout accord européen de réadmission, puisque les pays étrangers avec lesquels la Commission européenne négocie nous demandent tous au moins trente à trente-cinq jours pour reconnaître leurs ressortissants.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je veux rappeler que le délai maximal fixé par la directive n’est pas de quarante-cinq jours mais de six mois, avec possibilité de douze mois supplémentaires.

M. Jacques Myard. Il ne faut pas mégoter ! Passons à six mois !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La deuxième mesure que nous vous proposons va aussi dans le sens de la construction d’une politique européenne de l’immigration : c’est l’amélioration de la transposition de la directive du 29 avril 2004 relative à la circulation et au séjour des ressortissants européens au sein de l’Union européenne. Cette directive fixe plusieurs conditions. Pour les séjours de moins de trois mois, les ressortissants européens ne doivent pas menacer l’ordre public ou constituer une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale du pays d’accueil. Pour les séjours de plus de trois mois, les ressortissants européens doivent disposer d’un emploi ou de ressources suffisantes.

Des amendements proposés par le Gouvernement, et adoptés en commission des lois, permettront de sanctionner par une mesure d’éloignement ceux qui abusent du droit au court séjour par des allers-retours successifs, afin de contourner les règles plus strictes du long séjour, ceux qui représentent une charge déraisonnable pour notre système d’assistance sociale, mais aussi ceux qui menacent l’ordre public par des actes répétés de vols ou de mendicité agressive.

Permettez-moi d’insister : ces mesures ne constituent pas, elles non plus, une « dérive sécuritaire ».

Mme Pascale Crozon. Pourtant elles y ressemblent fort !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Elles s’inscrivent dans le cadre de la transposition de la directive du 29 avril 2004.

La construction européenne n’implique pas un droit des personnes les plus démunies à s’établir là où le système d’assistance sociale est le plus généreux. L’Union européenne ne doit pas devenir un supermarché des protections sociales. Elle implique, au contraire, un effort, par chaque État-membre, d’intégration de ses propres ressortissants, et d’abord des plus fragiles. C’est pour cela que l’Union européenne a mis en place des fonds de cohésion sociale, auxquels la France apporte une contribution budgétaire très importante.

Mme Pascale Crozon. C’est incroyable ! C’est le discours du Front national !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Une troisième mesure est inspirée du rapport de la commission présidée par Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qui a remis son rapport le 11 juillet 2008.

C’est la mise en place d’une articulation entre l’intervention du juge administratif et celle du juge judiciaire. Comme l’a souligné Pierre Mazeaud, le délai de quarante-huit heures aujourd’hui imparti au juge judiciaire, parallèlement au recours devant le juge administratif, est trop court : il aboutit à « l’enchevêtrement des procédures » judiciaire et administratives, cause d’insécurité juridique.

M. Jean-Paul Garraud. Tout à fait !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. L’administration doit, en un très court moment, conduire parallèlement deux procédures juridictionnelles. L’étranger est transporté dans des délais très brefs en plusieurs endroits différents. Et surtout, les décisions juridictionnelles rendues peuvent être contradictoires : cela crée soit des maintiens en rétention abusifs, soit des remises en liberté infondées.

Le projet de loi prévoit donc un délai de quarante-huit heures pour saisir le juge administratif, puis un délai de soixante-douze heures pour lui permettre de statuer, enfin la saisine automatique du juge judiciaire pour autoriser le maintien en rétention.

Le premier délai de quarante-huit heures pour saisir le juge administratif est indispensable pour permettre à la personne placée en rétention et aux personnes qui l’assistent dans l’exercice de ses droits de prendre connaissance de l’ensemble du dossier et de préparer la procédure contentieuse.

Mme Sandrine Mazetier. Vous dites cela, mais les droits des étrangers ne vous préoccupent pas beaucoup !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Le deuxième délai de soixante-douze heures est nécessaire pour permettre au juge administratif de se prononcer sur la légalité des cinq décisions qui peuvent désormais viser la personne placée en rétention : décision d’éloignement, décision de refus du délai de départ volontaire, décision fixant le pays de renvoi, décision d’interdiction de retour sur le territoire européen, décision de placement en rétention.

Ce délai total de cinq jours pour l’intervention du juge judiciaire, après celle du juge administratif, n’exprime aucune défiance à l’égard du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, conformément à l’article 66 de notre Constitution.

Mme Sandrine Mazetier. Ben voyons !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Le juge administratif est le juge naturel de la légalité des décisions administratives. En droit français, c’est le tribunal administratif qui juge les décisions du préfet. Le juge judiciaire est le juge naturel de la privation de liberté. Mais le juge administratif n’est pas moins protecteur des libertés que le juge judiciaire – contrairement à ce que l’on peut entendre depuis quarante-huit heures.

Et c’est bien la justice elle-même qui ne poursuit pas le délit de séjour irrégulier, pourtant inscrit dans la loi de la République. C’est donc bien la justice, et non pas ce projet de loi, qui laisse à l’administration le soin d’agir en premier. Je rappellerai aussi que la bonne administration de la justice est, elle aussi, un objectif de valeur constitutionnelle. Le gâchis de temps, d’argent, de moyens matériels et humains pour en arriver à cet enchevêtrement et à ces décisions contradictoires ne va pas dans le sens de la bonne administration de la justice.

Le délai de cinq jours est, par ailleurs, proche de délais déjà implicitement validés par le Conseil constitutionnel, comme le délai de quatre jours de maintien en zone d’attente avant l’intervention du juge judiciaire.

Enfin, le projet de loi maintient intacte une garantie essentielle de notre État de droit, qui me paraît fondamentale : aucun étranger en situation irrégulière ne pourra être éloigné sans avoir eu la possibilité de former un recours suspensif contre la décision d’éloignement. M. le rapporteur et moi l’avons souligné en commission des lois : c’est bien un recours suspensif. Il serait donc bien que celles et ceux qui ont travaillé sur ce texte cessent de dire, comme on a pu l’entendre, que nous voudrions profiter de ce délai pour reconduire des étrangers en situation irrégulière dans leur pays sans laisser au juge des libertés et de la détention la possibilité d’intervenir.

Mme Pascale Crozon. C’est pourtant vrai !

M. Philippe Boënnec. Vous n’en êtes pas à un mensonge près !

M. Jean-Paul Garraud. Ils ne s’arrêtent pas aux points techniques.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Le recours est suspensif, c’est inscrit expressément dans la loi.

La quatrième mesure qui figure dans ce projet de loi est un dispositif d’urgence adapté aux afflux d’étrangers en situation irrégulière en dehors des points de passage frontaliers.

Le préfet pourra créer une zone d’attente temporaire, qui relie les lieux de découverte d’un groupe de migrants au point de passage frontalier où sont normalement effectués les contrôles des personnes. Pour recourir à cette disposition, il sera nécessaire d’établir qu’un groupe de plus de dix étrangers vient manifestement de franchir la frontière en dehors d’un point de contrôle, dans un périmètre inférieur à dix kilomètres. Ces précisions, proposées par votre rapporteur, ont été votées par votre commission des lois.

L’affaire des 123 ressortissants syriens arrivés sur les plages de Bonifacio le 22 janvier 2010 a en effet, une nouvelle fois, révélé une faiblesse de notre législation, justement sanctionnée par les juges : lorsque de nombreux ressortissants étrangers se présentent à notre frontière en dehors d’un point de passage traditionnel, compte tenu de la difficulté à réunir dans des délais suffisamment courts les interprètes, les avocats, les médecins, les autorités judiciaires se trouvent dans l’impossibilité d’organiser l’interpellation et la garde à vue de ces personnes, et les autorités administratives dans l’incapacité matérielle de les maintenir sous un quelconque régime de contrôle administratif.

Le régime juridique applicable à la zone d’attente temporaire sera identique à celui de la zone d’attente permanente, créée – je le rappelle là encore à Mme Mazetier, que j’ai entendu s’exprimer sur le sujet – par la loi Quilès du 6 juillet 1992, dont je ne sache pas qu’elle ait porté une atteinte grave au droit des étrangers ou au droit d’asile.

Mme Sandrine Mazetier. On sait où se trouve cette zone, on peut y accéder.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La zone d’attente temporaire comportera exactement les mêmes droits et les mêmes obligations que la zone d’atteinte classique. Comment pourrait-elle être une atteinte aux droits des étrangers ?

Mme Sandrine Mazetier. Nous, nous produisions du droit ; vous ne produisez que du désordre !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Certains caricaturent ces mesures de lutte contre l’immigration illégale, qui seraient la preuve d’une sorte de volonté sadique du Gouvernement de porter préjudice à des personnes, afin de flatter une prétendue xénophobie, qui, selon eux, serait très répandue en France. Ils se méprennent gravement, sur nos objectifs et sur la France.

M. Bernard Roman. Ne nous prenez pas pour des imbéciles ! Les électeurs jugeront ; ils l’ont fait aux élections régionales, ils l’ont fait dans les sondages. Vous devriez réfléchir !

M. Lionnel Luca. Écoutez l’orateur !

M. Bernard Roman. Oh, l’orateur, c’est un grand mot.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ces mesures de lutte contre l’immigration illégale sont la condition de l’intégration de l’immigration légale. L’humanisme, ce n’est pas d’accueillir tout le monde sans condition.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Absolument !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. L’humanisme, c’est de pouvoir accueillir dignement ceux à qui nous donnons droit de séjour.

Mme Pascale Crozon. Vous osez parler d’humanisme !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est cela, la France. Dans le cadre du débat sur l’identité nationale ouvert l’an passé, le séminaire gouvernemental, présidé par le Premier ministre le 8 février 2010, a conclu à la nécessité de renforcer nos politiques d’intégration des immigrés qui s’établissent en France.

Le projet de loi rappelle ce lien indissociable entre lutte contre l’immigration illégale et intégration de l’immigration légale. Il conditionne tout d’abord l’accès à la nationalité française à la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen. Cette charte ne sera pas un simple rappel des principes constitutionnels et législatifs qui régissent notre république ; à juste titre, votre commission a particulièrement insisté sur ce point. Elle réaffirmera aussi la nécessaire adhésion à notre identité nationale, avec sa culture, son histoire, sa langue, ses valeurs. Elle appellera chaque nouveau Français à apporter sa contribution à notre destin commun et à faire vivre, en France comme à l’étranger, la fierté d’être français.

Nous avons aussi décidé de réagir face aux actes d’une gravité sans précédent récemment commis contre les représentants de la nation et de l’État qui l’incarne, avec la prise à partie de forces de l’ordre par des assaillants, l’utilisation d’armes de guerre et l’intention de tuer des agents pour le seul motif qu’ils exercent la mission première et fondatrice de l’État.

C’est pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement, adopté en commission des lois, étendant les motifs de la procédure de déchéance de la nationalité aux personnes ayant porté atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique – en particulier, les policiers, les gendarmes, les préfets, les magistrats, pour ne citer qu’eux.

M. Rémi Delatte. Très bien !

M. Philippe Boënnec. Les socialistes ne vont quand même pas soutenir les criminels !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Permettez-moi de rappeler que la déchéance de la nationalité pour atteinte aux intérêts essentiels de l’État n’est pas non plus, comme on a pu le lire ou l’entendre, une dangereuse dérive sécuritaire.

M. Jean-Paul Garraud. Très bien !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Elle est inscrite à l’article 7 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la nationalité du 6 novembre 1997, qui prévoit qu’un État partie peut inscrire dans son droit la déchéance de sa nationalité dans le cas d’un « comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État ».

Deuxièmement, elle respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel,…

M. Jean-Pierre Dufau. Non.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …et en particulier la décision du 16 juillet 1996,…

Mme Sandrine Mazetier. Eh non !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …qui a validé l’extension des motifs de déchéance opérée par la loi du 22 juillet 1996 pour les actes ayant porté atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, et aux actes de terrorisme.

M. Serge Blisko. Rien à voir !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Troisièmement, elle maintient les motifs de déchéance bien en deçà de ce qu’ils étaient depuis 1945 et jusqu’à la loi du 16 mars 1998.

Mme Sandrine Mazetier. On entend là comme un regret !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. L’article 98 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité, resté en vigueur jusqu’en 1998, prévoyait ainsi la déchéance pour l’étranger « condamné à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement. »

La République a ainsi vécu pendant un demi-siècle, y compris sous les deux septennats de François Mitterrand, avec des motifs de déchéance qui allaient bien au-delà de ce que propose aujourd’hui le Gouvernement. (Approbation sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Ça fait mal, hein !

M. Jean-Paul Garraud. La gauche n’écoute pas.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. On a quand même le droit d’évoluer !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Mesdames et messieurs les députés, faire fi de la nation, proclamer que tout homme de la planète a les mêmes droits qu’un citoyen en France, c’est méconnaître le principe d’égalité entre citoyens.

Affirmer l’existence des droits de l’homme, en oubliant qu’ils sont l’attribut de citoyens organisés pour faire de leur volonté une loi commune, structurés par une histoire, une culture, une langue, un territoire, ce n’est pas seulement se bercer d’illusions, c’est aussi miner les fondements de l’État républicain, porter atteinte au cadre d’exercice de nos libertés, et saper notre modèle social.

M. Jean-Paul Garraud. Absolument ! Dans les droits de l’homme, il ne faut pas oublier le citoyen.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Le maintien d’un haut niveau de protection sociale n’est pleinement compatible qu’avec une lutte sans merci contre l’immigration illégale et le travail illicite. Et le libre séjour sans condition n’est pleinement conciliable qu’avec un libéralisme sans frein. Abolir les frontières, ce serait rallier les apôtres des seules règles du marché mondial.

Selon les chiffres de l’ONU, le trafic d’êtres humains passera l’an prochain au deuxième rang mondial par le chiffre d’affaires, toujours loin derrière le trafic de drogues, mais désormais devant le trafic d’armes.

Mme Sandrine Mazetier. Que contient ce projet de loi pour lutter contre la traite humaine, monsieur le ministre ?

Mme Pascale Crozon. Rien !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Chaque jour, au cœur de nos villes, sur les trottoirs de la prostitution et de la mendicité, dans les ateliers clandestins, sur les chantiers de travaux publics, dans les arrière-cuisines de restaurants, des hommes et des femmes sont exploités dans des conditions inhumaines et indignes.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très juste !

M. Jean-Paul Garraud. La réponse est là !

M. Jean-Pierre Dufau. Il suffirait de les régulariser !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Les mesures de régularisation massive sont immédiatement vouées à l’échec par l’arrivée de nouveaux flux illégaux qu’elles suscitent.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Tout à fait !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La France et l’Europe doivent réaffirmer qu’elles ne toléreront pas ces dérives.

Les premiers pas vers une politique européenne d’immigration ont été accomplis avec le pacte que j’ai cité du 16 octobre 2008 et les trois directives qui l’ont suivi. Je souhaite que ce projet de loi contribue, à son tour, à cette politique européenne de l’immigration juste et humaine que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour être efficace, la politique française de maîtrise de l’immigration doit être réactive et concertée avec nos principaux partenaires européens. Depuis 2002, grâce à Nicolas Sarkozy, les pouvoirs publics l’ont bien compris, en élaborant plusieurs lois importantes sur le sujet…

M. Pascal Deguilhem. Pour quel résultat ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. …et en sensibilisant leurs homologues européens sur les enjeux de cette question de dimension désormais communautaire, qui préoccupe légitimement les citoyens de l’Union européenne.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne, au second semestre de l’année 2008 a été, chacun en convient, l’occasion d’avancées remarquables en la matière.

Elle a tout d’abord donné lieu, les 15 et 16 octobre 2008, à l’adoption par le Conseil européen d’un pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui a formalisé cinq engagements communs à l’ensemble des États membres et qui représente ainsi le socle d’une vision partagée sur ces questions.

Elle a ensuite permis l’aboutissement ou, à tout le moins, l’avancée décisive de trois directives qui, après les premières directives relatives au statut de résident de longue durée et au regroupement familial de 2003 puis les directives sur les étudiants et les chercheurs de 2004 et 2005, touchent à des domaines essentiels à la maîtrise des flux migratoires sur le sol européen.

Ces trois directives, relatives respectivement aux normes et procédures applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, dite directive « retour », aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, dite directive « carte bleue européenne », et aux normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « sanctions », doivent être transposées entre décembre 2010 et juin 2011. Il est heureux que, sur un sujet aussi essentiel, le Gouvernement ait décidé de respecter ces échéances en soumettant au Parlement français, comme vous le faites aujourd’hui, un projet de loi de transposition dans les meilleurs délais.

Pour autant, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est davantage qu’un simple texte de transposition de directives européennes. Il comporte en effet des dispositions qui traduisent des choix politiques propres à la France.

M. Jean-Pierre Dufau. Hélas !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il en va ainsi, notamment, des mesures relatives au droit de la nationalité et au contrat d’accueil et d’intégration, qui s’inscrivent dans le prolongement des conclusions du débat sur l’identité nationale et qui visent à donner une plus large importance à l’implication personnelle des étrangers qui séjournent en France ou qui aspirent à devenir français dans le processus d’intégration que leur propose la République et, in fine, à leur naturalisation.

(M. Marc Laffineur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il en va de même de l’élargissement du ressort des zones d’attente, pour tirer les enseignements des difficultés rencontrées dans la prise en charge et dans le traitement des cas d’une centaine d’immigrants kurdes échoués sur une plage de Corse du Sud le 22 janvier 2010.

Tel est également le cas, ensuite, de la réforme du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. La transposition de la directive « retour » contraignant notre pays à une réforme de ses procédures, il y avait là une bonne occasion de simplifier un contentieux excessivement complexe, caractérisé par un enchevêtrement des compétences des juges administratifs et judiciaires, mis notamment en avant par le rapport de la commission sur le cadre constitutionnel de la politique d’immigration, présidée par Pierre Mazeaud.

Je me félicite que le Gouvernement ait repris les propositions du rapport Mazeaud visant à mieux encadrer les décisions des juges des libertés et de la détention. Je considère en effet que les distorsions considérables de politiques jurisprudentielles selon les tribunaux sont tout à fait injustifiées et démoralisent le travail des forces de l’ordre qui n’arrivent, bien souvent, plus à savoir ce qu’il faut faire pour ne pas voir annuler une procédure !

Enfin, il en va également du transfert à l’office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des salariés étrangers sans titre, ainsi que de la modification des termes de l’immunité pénale pour l’aide humanitaire aux étrangers.

En définitive, la discussion du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité offre au Parlement une nouvelle occasion de débattre assez largement de la politique d’immigration menée en France et en Europe.

Certes, celle-ci a d’ores et déjà donné des résultats tangibles, comme en attestent, depuis 2006, le rééquilibrage de l’immigration pour motifs professionnels par rapport à l’immigration familiale – le rapport entre les deux étant passé de 16 % en 2003 à 33 % en 2008 –, ainsi que le redressement très net du nombre de mesures de reconduite à la frontière effectivement exécutées : 29 288 en 2009 contre 11 692 en 2003. Il convient cependant de conforter et d’amplifier ces résultats, en adaptant le cadre juridique de notre politique d’immigration aux nouveaux défis que revêt celle-ci. En cela, le débat qui s’ouvre est on ne peut plus légitime.

Le 15 septembre dernier, la commission des lois a souscrit aux principales orientations de ce texte. Elle en a néanmoins substantiellement enrichi le contenu,…

M. Serge Blisko. Aggravé, plutôt !

M. Thierry Mariani, rapporteur. …à l’initiative du Gouvernement et du rapporteur, mais aussi du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, dont tous les amendements ont été adoptés, ainsi que de plusieurs députés de la majorité et de l’opposition. Personnellement, je me félicite de la qualité des échanges, très longs, que nous avons eus, qui illustrent la large prise de conscience – j’oserais dire enfin ! –, sur tous les bancs, des problèmes induits par une immigration non maîtrisée, tant en termes de sécurité publique que d’emplois ou de dérives de nos comptes publics et sociaux.

Au regard du nombre important d’amendements adoptés en commission, vous me pardonnerez, mes chers collègues, de n’insister, à ce stade de nos débats, que sur les apports les plus significatifs qui en ont résulté.

Pour ce qui concerne les dispositions relatives à la nationalité, sujet ô combien symbolique et essentiel, la commission a accepté de surseoir au débat sur la réintroduction d’une manifestation de volonté à la majorité des jeunes étrangers nés de parents étrangers sur le sol français dans l’attente des conclusions de la mission de réflexion annoncée par l’exécutif.

M. Jacques Myard. C’est bien dommage !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Elle n’en a pas moins adopté quatre dispositions nouvelles de portée majeure :

En premier lieu, la commission a souscrit à la proposition du Gouvernement de prévoir la possibilité de déchoir de la nationalité française les ressortissants d’origine étrangère ayant attenté à la vie de dépositaires de l’autorité publique, cette mesure nous semblant conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 juillet 1996 sur la loi sur le terrorisme ;

En deuxième lieu, nous avons choisi de préciser davantage le niveau et les modalités de contrôle de la connaissance de la langue française requise des candidats à la naturalisation et des conjoints de Français, la voie réglementaire devrait en effet se référer à des standards techniques proches de ceux qui s’appliquent en Europe et prévoir une certification par des organismes spécialisés, de manière à objectiver davantage l’entretien d’assimilation en préfecture ;

En troisième lieu, nous nous sommes prononcés en faveur d’une déclaration préalable des nationalités conservées en plus de la nationalité française pour ceux qui accèdent au statut de ressortissant français, sans pour autant remettre en cause le principe de la bi ou multinationalité, qui est répandu dans le monde et fait partie de nos traditions ;

En quatrième lieu, nous avons allongé à trois ans les délais permettant au Gouvernement de prendre un décret de retrait de la nationalité, à raison d’erreurs commises dans l’instruction des dossiers ou de fraudes caractérisées.

S’agissant des dispositifs relatifs aux zones d’attente, la commission a partagé l’objectif du Gouvernement de permettre la création de zones d’attente temporaires. Mais il nous a semblé important de mieux encadrer le dispositif afin qu’il soit vraiment utilisé pour des afflux temporaires d’étrangers et éviter toute utilisation en dehors de ce cadre. Nous avons donc fixé un seuil de dix étrangers, en dessous duquel il nous semble que les procédures de droit commun peuvent être mises en œuvre.

S’agissant des décisions d’éloignement, nous avons eu une lecture plus littérale de la directive « retour », car nous avons estimé que l’interdiction de retour devait être, conformément aux termes précis de la directive, le principe dans deux cas : si le délai de retour volontaire n’a pas été respecté et si aucun délai de départ volontaire n’a été accepté. Il ne s’agira pas pour autant d’une mesure automatique puisque des considérations humanitaires pourront être prises en compte. De plus, il sera toujours possible de lever cette interdiction de retour pour accorder une régularisation.

Sur les procédures contentieuses, la commission a voté une disposition incluant la décision relative au séjour parmi celles que le juge administratif devra juger en urgence. Il nous semble en effet que la nouvelle architecture des procédures contentieuses va accroître la charge de travail de la juridiction administrative et que la mesure de simplification que nous proposons pouvait rationaliser un peu le contentieux des étrangers. Une chose est certaine, pour que cette réforme fonctionne, il faudra, quoi qu’il arrive, que la juridiction administrative dispose des moyens correspondant à ses nouvelles prérogatives. Je pense, monsieur le ministre, que vous pourrez nous rassurer sur ce point pendant les débats.

En matière de lutte contre l’emploi d’étrangers clandestins, la commission des lois a veillé à préserver les employeurs de bonne foi de sanctions potentiellement lourdes de conséquences. Elle a aussi intensifié, grâce à notre collègue Arnaud Robinet, l’étendue du contrôle effectué en instaurant une procédure sécurisée de vérification des déclarations et du paiement des contributions sociales par les donneurs d’ordres à l’égard de leurs sous-traitants.

De même, sur proposition du groupe SRC, il a été précisé que les sommes dues par les employeurs aux salariés étrangers en situation irrégulière devront être versées dans un délai de trente jours et que ces salariés pourront apporter la preuve, par tout moyen, d’une durée d’emploi supérieure à la durée minimale présumée. Enfin, dans un souci de simplification et d’optimisation des procédures, la commission a décidé de transférer au Trésor public le recouvrement des amendes administratives applicables aux employeurs d’étrangers sans titre, l’OFII n’étant pas, de son propre aveu, dimensionné pour une telle mission.

Avant de conclure, je dois faire état de dispositions nouvelles plus ponctuelles, mais elles aussi très importantes, que la commission des lois a introduites dans le projet de loi.

Tout d’abord, dans l’attente d’une réflexion d’ensemble sur ce thème, nous avons voulu aborder la question de l’aide médicale de l’État, qui donne une couverture médicale entièrement gratuite aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis plus de trois mois. En Europe, seuls l’Espagne et le Portugal offrent un accès aux soins aux clandestins dans des conditions aussi favorables.

En ces temps de contrainte budgétaire, qu’il me soit simplement permis de préciser que les dépenses de l’aide médicale d’État ont explosé depuis deux ans.

Mme Pascale Crozon. Ce ne sont pas eux ! Il ne faut pas exagérer.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Elles ont augmenté de 13,3 % en 2009 et pour 2010, la tendance observée s’approche des 17 % de hausse, ce qui amènerait les dépenses d’AME à 600 millions d’euros par an !

M. Serge Letchimy. Et c’est dû aux étrangers ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Très modestement, je dirais même trop modestement, nous avons décidé la création d’un guichet unique, à la caisse primaire d’assurance maladie, pour mettre fin à une situation dans laquelle les étrangers en situation irrégulière pouvaient déposer un dossier de demande à quatre organismes différents, ce qui permettait toutes les fraudes possibles et en tout cas interdisait un quelconque contrôle efficace.

Sur le sujet, différent, de la carte de séjour attribuée aux étrangers malades, nous avons seulement décidé d’en revenir à une interprétation plus raisonnable…

M. Serge Blisko. Plus restrictive !

M. Thierry Mariani, rapporteur. …de la notion d’accès aux soins dans le cadre de la délivrance de cette carte de séjour, interprétation qui avait cours jusqu’au 7 avril de cette année, date à laquelle le Conseil d’État a changé sa jurisprudence sur le sujet. En réalité, on en revient simplement à l’application de la loi de M. Chevènement et à l’interprétation que vous-mêmes, chers collègues socialistes, en aviez faite pendant des années, rien de plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Il ne s’agit donc en aucun cas d’arrêter de soigner les étrangers atteints de grave maladie, mais seulement de ne pas systématiquement, en plus des soins, leur attribuer une carte de séjour avec tous les avantages afférents – accès à l’emploi, regroupement familial, etc.

Mme Danielle Bousquet. Eh bien oui ! C’est mieux qu’ils ne travaillent pas !

M. Thierry Mariani, rapporteur. À l’initiative de nos collègues Jean-Paul Garraud et Claude Greff, nous avons également renforcé les sanctions à l’encontre des étrangers contractant des mariages insincères dans le but d’obtenir un titre de séjour ou la nationalité française. Désormais, les étrangers ayant effectué un mariage « gris » seront notamment passibles de sept ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Par ailleurs, sur la suggestion de nos collègues Éric Diard et Jean-Paul Garraud, les procédures du droit d’asile ont été rationalisées, de manière à éviter les abus en matière d’octroi de l’aide juridictionnelle et à faciliter les instances de la CNDA pour les demandeurs d’asile résidant outre-mer.

En définitive, mes chers collègues, le texte dont notre assemblée a à débattre embrasse l’ensemble des aspects de l’immigration. À ce titre, il doit être considéré non comme un simple texte de transposition de directives, mais bien comme une réforme globale majeure. Je ne doute pas que nos travaux permettent encore de l’améliorer, dans l’intérêt réciproque de nos concitoyens, des étrangers en situation irrégulière et même des victimes d’une exploitation économique inadmissible sur notre territoire. Pour ma part, bien évidemment, je soutiendrai ce texte et, avec mes collègues de la majorité, je veillerai à l’améliorer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la recherche, toujours difficile, d’une politique d’immigration qui concilie efficacité et justice. Il renforce non seulement la politique d’intégration et d’ouverture à l’immigration de travail, mais aussi les outils de lutte contre l’immigration irrégulière et contre l’emploi d’étrangers dans des conditions irrégulières. La commission des affaires sociales s’est saisie pour avis du titre IV qui porte spécialement sur ce dernier point : les droits des salariés étrangers employés illégalement et les sanctions dont sont passibles leurs employeurs.

On ne sait pas exactement, par définition, combien d’étrangers sans papiers vivent dans notre pays. On dit souvent qu’ils seraient de 200 000 à 400 000 ; ce qui est certain, c’est que plus de 200 000 sont inscrits à l’aide médicale d’État qui leur est destinée et que 70 000 à 80 000 étrangers en situation irrégulière sont interpellés chaque année.

Certains seulement de ces étrangers travaillent. Les seules sources objectives disponibles sur le travail des étrangers en séjour irrégulier sont celles qui rendent compte de l’activité de contrôle et de répression des services compétents. Les infractions constatées en matière d’emploi d’étrangers sans titre de travail apparaissent de plus en plus nombreuses. Le nombre de personnes mises en cause, c’est-à-dire d’employeurs, dans ces faits, a quasiment triplé de 2006 à 2009, passant de 1 200 à 3 200.

Le mouvement social conduit par des travailleurs sans papiers qui exigent leur régularisation depuis plus d’un an a par ailleurs donné une autre visibilité à la question. Il aurait concerné plus de 6 000 personnes, employées notamment dans le bâtiment et les travaux publics, la restauration et le gardiennage. Plus de 1 600 demandes de régularisation ont été déposées dans le cadre des circulaires prises par le Gouvernement.

Le dispositif légal et réglementaire qui réprime l’emploi irrégulier d’étrangers est déjà substantiel, avec tout un arsenal de sanctions pénales et administratives telles que des amendes administratives et l’exclusion des aides publiques.

À cet égard, je regrette que cette réglementation, qui doit légitimement être sévère et que nous allons renforcer, ne distingue pas mieux deux cas de figure lorsque les étrangers en cause sont employés et déclarés sur la base de faux documents : l’employeur peut être à l’initiative ou complice de la falsification ; il peut aussi être trompé par le salarié. Or le droit actuel ne prend pas clairement en compte cette différence de situation entre employeurs de bonne foi ou non. Le code du travail dispose en effet que « Nul ne peut, directement ou par personne interposée » employer un étranger sans titre, créant ainsi une sorte de prohibition objective sans qu’une intention frauduleuse de l’employeur ait à être établie pour fonder des sanctions. Cela a des conséquences : l’employeur qui découvre qu’un de ses salariés s’est fait embaucher sur la base de faux documents en subit les conséquences – amende administrative à l’OFII, éventuelle contribution aux frais de reconduite et versement d’une indemnité forfaitaire – sans que son éventuelle bonne foi puisse l’en exonérer.

M. Claude Goasguen. Exact !

M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis. Il faudrait avancer sur cette question, même si l’équilibre à trouver sur ce point est délicat. La commission des lois a adopté un amendement en ce sens ; j’espère, monsieur le ministre, qu’il pourra constituer une bonne base de travail pour clarifier ce point.

Si l’on change de point de vue et que l’on regarde la situation des étrangers employés sans titre, on constate que le code du travail leur reconnaît déjà des droits : ils sont assimilés, à compter de la date de leur embauche, à des salariés régulièrement engagés pour ce qui concerne les obligations de l’employeur relatives à la réglementation du travail. En cas de rupture de la relation de travail, le salarié étranger sans titre a droit à une indemnité forfaitaire d’un mois de salaire, sauf application de règles légales et conventionnelles plus favorables.

Un autre aspect doit être souligné, le caractère européen de la question de l’immigration. Celle-ci est maintenant au cœur des préoccupations de nombreux membres de l’Union européenne et est devenue, ces dernières années – il faut s’en féliciter – un objet de l’action communautaire. Le présent projet de loi transpose d’ailleurs dans notre droit national trois directives européennes, le titre IV dont nous parlons transposant en particulier la directive dite « sanctions » du 18 juin 2009, qui concerne les mesures à l’encontre des employeurs d’étrangers en séjour irrégulier.

Les mesures du titre IV s’inscrivent dans quatre axes.

Premier axe : une extension de la coresponsabilité des « donneurs d’ordre », solidairement tenus avec leurs cocontractants à certains paiements. En effet, la directive distingue deux niveaux de responsabilité des donneurs d’ordre : vis-à-vis des salariés étrangers en situation irrégulière employés directement ou par leurs sous-traitants directs ; vis-à-vis des salariés de leurs sous-traitants indirects, mais seulement si ces donneurs d’ordre étaient au fait de la situation d’emploi illégal.

M. Claude Goasguen. Eh oui ! C’est clair !

M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis. Le code du travail prévoit déjà le premier niveau de co-responsabilité, vis-à-vis des sous-traitants directs. Les articles 57, 60, 61 et 62 du projet de loi prévoient aussi une responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis de l’ensemble de leur chaîne de sous-traitance, dès lors qu’ils recourent « sciemment » à des sous-traitants indirects qui emploient des étrangers sans titre de travail. Par ailleurs, la portée de cette coresponsabilité est élargie : actuellement limitée à des amendes administratives, le projet de loi l’étend aux salaires et arriérés de salaire, frais d’envoi de ceux-ci et indemnités de rupture de la relation de travail.

Deuxième axe du titre IV : l’accroissement et la sécurisation des droits financiers des étrangers employés sans titre. L’article 58 institue une présomption, sauf preuve contraire, que la relation de travail a duré trois mois, donc doit donner lieu au versement d’arriérés de salaire équivalents, et porte de un à trois mois de salaire l’indemnité forfaitaire en cas de rupture de la relation de travail. Ces deux fois trois mois de salaire permettront aux étrangers employés sans titre de bénéficier de droits voisins de ceux des salariés dont l’emploi n’a pas été déclaré, qui perçoivent une indemnité égale à six mois de salaire.

Par ailleurs, l’article 59 vise à garantir l’effectivité des droits financiers des travailleurs étrangers sans titre. Il prévoit, d’une part, une obligation de versement pesant sur l’employeur, sous un délai fixé par décret en Conseil d’État, des sommes dues à ces travailleurs ; d’autre part, un dispositif permettant, sous le même délai, la consignation et le reversement des sommes dues aux intéressés, lorsqu’ils sont placés en rétention ou renvoyés dans leur pays.

Le renforcement des sanctions contre les employeurs constitue le troisième axe du titre IV, avec les articles 65 à 67, qui ont notamment pour objet d’instaurer des mesures administratives de fermeture d’établissement et d’exclusion des marchés publics. Ces articles suscitent des réactions mitigées non seulement chez les organisations patronales, ce qui se comprend, mais même chez les syndicats de salariés comme la CGT ou la CFDT, qui s’inquiètent d’une éventuelle contradiction entre l’annonce d’un renforcement des sanctions et la démarche de régularisation des situations des sans-papiers engagée suite au récent conflit. Sans doute faudra-t-il veiller à ce que ces nouvelles prérogatives, parfois nécessaires face à des situations particulièrement abusives, soient utilisées avec mesure par l’administration.

Enfin, quatrième axe, l’article 64 porte sur les pouvoirs des agents chargés de contrôler le travail dissimulé. Ces agents disposent déjà du pouvoir d’entendre des personnes, avec leur consentement, dans le cadre de leur mission de lutte contre le travail dissimulé ; il s’agit d’étendre ce pouvoir à la lutte contre toutes les formes de travail illégal.

La commission des affaires sociales a donné un avis favorable au titre IV, sous réserve d’amendements que la commission des lois a bien voulu reprendre et intégrer à son texte. L’un de ces amendements vise à améliorer la lutte contre le travail non déclaré, c’est-à-dire la fraude aux cotisations sociales, indépendamment d’ailleurs de la régularité ou non du séjour des salariés en cause. Il obligera les sous-traitants à fournir à leur donneur d’ordre un document attestant du paiement des charges sociales, ce qui facilitera pour celui-ci le contrôle de la concordance du nombre de salariés déclarés et de salariés effectivement présents sur le chantier en cause. À l’initiative du groupe SRC, nous proposons aussi que la preuve de la durée de la relation de travail d’un salarié étranger en situation irrégulière, pour le calcul des salaires qui lui sont dus, puisse être faite par tout moyen. Enfin, nous avons voulu veiller à la proportionnalité des sanctions en spécifiant que la mesure d’exclusion des marchés publics devrait être prononcée en tenant compte de la gravité et de la répétition des faits d’emploi d’étrangers sans titre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Sixième projet de loi en huit ans – Thierry Mariani l’a dit – relatif à l’immigration et l’asile, le projet de loi intitulé « Immigration, intégration et nationalité », présenté au printemps dernier, signait d’emblée l’échec de la politique migratoire du Gouvernement théorisée par Nicolas Sarkozy alors qu’il était ministre de l’intérieur. Celui-ci prétendait alors régler le « chaos migratoire » en prônant l’immigration dite « choisie » : on allait énergiquement mettre de l’ordre et, par un cercle vertueux, le refus des uns – familles, peu qualifiés – garantirait l’arrivée et l’intégration des autres, étrangers diplômés et qualifiés, heureux gagnants des titres de séjour. On fermait Sangatte pour adresser un message au monde entier et mettre fin à « l’appel d’air ». Huit ans plus tard, quelle est la situation ?

Même en tordant les chiffres, le ministère a le plus grand mal à démontrer que l'immigration se produit désormais majoritairement pour motif professionnel, et Thierry Mariani se prête aussi à ces distorsions. Le nombre de cartes compétences et talents est tellement ridicule que vous n’osez plus en parler.

De politique d'intégration, on ne parle plus non plus, comme si tout se passait merveilleusement bien dans ce domaine, et les territoires qui accueillent effectivement les populations étrangères sont tenus à l'écart des décisions qui les concernent. Le budget consacré à l'accueil et l'intégration a fondu.

Quant à la lutte contre l'immigration irrégulière, dont Arnaud Robinet vient de parler, des centaines de milliers de personnes, entre 200 000 et 400 000 selon votre prédécesseur, se trouvent en France en situation irrégulière, ou sur le point d'y basculer parce que leur titre de séjour n'est pas renouvelé pour une raison souvent obscure. Ces personnes deviennent alors les proies de toutes les exploitations, de toutes les humiliations.

Les exilés présents sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord survivent désormais dans des jungles et sont encore un peu plus livrés aux mains de réseaux mafieux. Ces réseaux étaient prévenus longtemps à l'avance par vos annonces urbi et orbi de l’intention de démanteler la seule jungle de Calais.

Au terme de cette opération, la plupart des personnes arrêtées ont été relâchées, et vous avez renvoyé en Afghanistan, au mépris de leur vie, quelques pauvres malheureux en prétendant que Kaboul était une zone sûre.

M. Claude Goasguen. Et les soldats français !

Mme Sandrine Mazetier. Le lendemain, un attentat sanglant venait tragiquement démentir vos propos.

Ces constats auraient dû vous amener à la prudence, la modestie, à la réflexion. Or voilà un texte de plus, un texte de trop.

D'ailleurs, après avoir piétiné d'abord la fraternité, avec le délit de solidarité, puis la liberté dans la moitié des articles, c'est aujourd'hui, avec les récents ajouts, à l'égalité devant la loi qu'on s'en prend, soit au dernier pilier de notre pacte républicain.

Demain, si ce projet de loi passait en l'état, ou s’enrichissait d’amendements déposés par certains membres de l’UMP, pour un même crime ou délit, on ne serait pas sanctionné de la même manière selon que l'on est Français de souche, potentiels, naturalisés, ou étrangers. Certains s'apprêtent à trier les justiciables : il y aurait les étrangers dont on sanctionnera spécifiquement l'insincérité des intentions matrimoniales, c’est l’article 21 ter ; les mineurs délinquants potentiellement français dont certains à l'UMP trouvent astucieux de traiter non la délinquance mais la nationalité ; les Français naturalisés et enfin les Français de souche et de sang.

Après ces reniements successifs, La France va-t-elle mieux pour autant ? C'est naturellement tout l'inverse, et les Français le voient. Cette politique du coup de menton et de la diversion, dont l'été a fourni un raccourci saisissant, n'a non seulement rien réglé mais a des conséquences désastreuses : ce ne sont plus seulement les droits fondamentaux des étrangers qui sont bafoués, quand la vocation historique de la France est de proclamer et de défendre l'universalité des droits. Ce sont aussi les Français qui sont inquiétés et déstabilisés, et la France qui est abîmée aux yeux du monde par les différentes mesures votées depuis quelques années, et encore présentées dans ce texte.

Mme Sophie Primas. Sortez les mouchoirs !

Mme Sandrine Mazetier. Malheur à ceux qui aiment un étranger, leur droit à vivre en famille est remis en cause. Et désormais avec l'article 23 qui instaure un bannissement de trois ans sans garantie de fin, des familles seront ainsi indéfiniment séparées.

Malheur à ceux dont les grands parents ne sont pas nés en France métropolitaine, leur qualité de Français est douteuse, comme l'ont douloureusement découvert des centaines de personnes anonymes ou plus célèbres comme Daniel Karlin ou Anne Sinclair.

Malheur enfin à ces Français qui n'ont pas l'air de l'être, selon les critères de ce que d’aucuns nomment le corps traditionnel français, leur couleur de peau les désigne comme sujets d'incessants contrôles d'identité.

Mme Sophie Primas. Ça suffit !

M. Bernard Roman. Mais c’est la vérité !

Mme Sandrine Mazetier. Votre projet de loi, déjà au printemps, et davantage encore avec ses derniers ajouts, dégrade encore la France au sein des démocraties et en Europe.

Avec vous, le recul de l'état de droit est généralisé, ce texte en est un exemple supplémentaire. Dans un État de droit, la liberté est la règle, sa privation, l'exception. Pourtant 800 000 personnes se sont retrouvées en garde à vue l'an dernier dans ce pays, dont près de 10 % d'étrangers. Et vous vous apprêtez à banaliser encore davantage la privation de liberté, par la création des zones d'attentes aux articles 6 à 12, ou par l’allongement de la durée maximale de la rétention de trente-deux à quarante-cinq jours, dans l'article 41.

L'État de droit, le contrôle des juges sur les actes de l'administration dérange ? Le projet de loi les marginalisent et réduit leur pouvoir d'appréciation, en étendant le champ et la durée de l'arbitraire et du discrétionnaire.

Les irrégularités de procédures commises à l'égard des étrangers se multiplient sous la pression de la politique du chiffre ? Au lieu de rétablir le droit, vous différez au contraire la notification des droits, vous organisez la purge des nullités.

Les reconduites effectives à la frontière sont insuffisantes ? Vous allongez symboliquement la durée de la rétention, donc son coût pour le contribuable, alors même que chacun sait que ce n'est pas la durée de la rétention qui détermine la possibilité d'éloigner effectivement une personne en situation irrégulière.

Vous faites d'ailleurs dire aux directives européennes ce qu'elles ne disent pas : rien dans la directive « retour » n'oblige à créer de zones d'attente supplémentaire, mobiles, rien n'oblige à allonger la durée de la rétention. Un ministre de la République, votre prédécesseur, s’était d’ailleurs engagé sur ce point dans cet hémicycle en réponse à une question de Serge Letchimy.

La clause de sauvegarde prévue à l’article 4 de la directive « retour » prévoit explicitement que sa transposition doit se faire sans préjudice de dispositions plus favorables dans le droit national pour les personnes concernées. Mais au contraire vous trahissez l’esprit et la lettre des directives : l'esprit de la directive « retour » c'est de privilégier les départs volontaires sur la contrainte.

M. Bernard Roman. C’est le contraire de ce que vous faites.

Mme Sandrine Mazetier. Votre texte, dans son article 23, prévoit huit hypothèses qui permettent à l'administration de refuser d'accorder un délai de départ volontaire. Quelle imagination !

La lettre de la directive, c'est de limiter la privation de liberté : « Toute rétention est aussi brève que possible » prévoit son article 15, qui conditionne également la rétention à « des perspectives raisonnables d'éloignement. »

L'article 17 de la directive précise que : « Les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu'en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible. »

Où sont donc, monsieur le ministre, les dispositions du texte transposant ces articles de la directive ? Où sont les éléments de garanties procédurales élémentaires : effectivité et caractère réellement suspensif d'un recours ?

S’agissant de la directive « sanctions », vous la transposez à votre manière, et en manifestant une extraordinaire mansuétude à l’égard des donneurs d’ordre, pourtant impliqués dans ce que vous appelez l’exploitation de l’immigration clandestine.

Quant à la directive « carte bleue », qui n’est pas la pire, elle prévoit des conditions de rémunération que vous avez augmentées, afin qu’elles offrent des possibilités de circulation accrues pour les cadres de grands groupes ayant des établissements dans différents pays européens et que cette directive concerne, c’est-à-dire peu de monde.

La France, moteur historique de la construction européenne, dont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a inspiré toutes les grandes démocraties dans le monde et la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la France légitimement intransigeante sur la liberté, l'égalité et la fraternité, la France est aujourd'hui – honte à vous ! – sous la menace d'une procédure d'infraction à la législation européenne.

M. Claude Goasguen. Ah bon ?

Mme Sandrine Mazetier. Et que faites-vous ? Au lieu de retrouver l'avant-garde européenne dans la défense et la promotion des valeurs universelles qui font de cet espace une construction politique inédite, qui témoigne qu'un monde démocratique, équilibré et pacifié est possible, vous tirez un trait sur les principes généraux du traité de Rome pourtant constitutif de la citoyenneté européenne et sur les dispositions de la directive de 2004 sur la libre circulation.

Non content d'avoir démontré au monde entier cet été que vous pratiquiez les expulsions collectives au mépris du droit, ciblant explicitement une minorité et violant les garanties procédurales fondamentales des citoyens européens, vous aggravez le cas de la France par les articles 17 A, 25 et 49 de ce texte, vous portez atteinte au droit à la libre circulation, vous plaquez sur le séjour de moins de trois mois des conditions prévues pour l'installation durable de ressortissants européens en France.

Tout au long de l'examen de ce texte, nous mettrons en lumière l'ensemble des dispositions anticonstitutionnelles qui le caractérise et le recul de l'État de droit dont il est empreint. Permettez-moi d'en évoquer certaines qui justifient d'emblée le rejet préalable.

À commencer par l'article 3 bis sur la déchéance de nationalité, qui ne viole rien de moins que l'article 1er de notre Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. »

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est le cas.

Mme Sandrine Mazetier. Même lorsqu'en 1996, le Conseil constitutionnel a admis l'introduction du terrorisme dans les motifs de déchéance, il a rappelé dans un même mouvement : « qu'au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ».

Depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, nombreuses sont les voix au Gouvernement ou dans la majorité à en atténuer la portée. De fait, la disposition prévue à l'article 3 bis ne s'appliquerait qu'à un très faible nombre de cas, et nous le souhaitons, s’agissant de la mort de représentants de l’ordre, et son caractère dissuasif à l'égard des criminels qu'elle est censée impressionner est probablement nul.

Mais la portée symbolique du discours du Président de la République est déflagratoire pour la société. Elle ébranle les fondements mêmes de notre pacte républicain, elle heurte une certaine idée de la France et de la conception de la nationalité française, qui s'exprime continûment depuis la Révolution française à tous les moments clés de notre histoire. Depuis la Révolution, la nation se confond avec la république. C'est ce discours distinguant les Français d'origine étrangère des autres Français, prononcé par celui qui est pourtant constitutionnellement le garant de nos institutions, qui trouve dans ce funeste article sa concrétisation.

Ce texte est manifestement anticonstitutionnel au regard de l'article 66 de notre Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

Les articles 6 à 12 créent des zones d'attente que vous qualifiez de temporaires mais dont rien dans le texte ne précise le caractère éphémère. La zone d'attente est un régime de privation de liberté, comme l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 1992, considérant à propos du maintien en zone de transit que conférer à l'autorité administrative « le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l'autorité judiciaire d'intervenir dans les meilleurs délais » était contraire à la Constitution.

Si le projet de loi est adopté en l'état, nombre des personnes dont la seule constatation de la présence est constitutive de ces zones d'attente risquent d'être éloignées sans que le juge des libertés et de la détention ait pu exercer son contrôle en tant que gardien de la liberté individuelle.

L'article 37 du projet de loi prévoit l'allongement du délai de saisine du juge des libertés et de la détention en le portant de quarante-huit heures à cinq jours. Or le juge constitutionnel est très clair, il avait considéré inconstitutionnel le maintien en détention pendant sept jours sans que le juge judiciaire n'intervienne. Le Conseil constitutionnel rappelait alors que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».

Le plus court délai possible, c'est celui qui est aujourd'hui pratiqué : quarante-huit heures. Rien ne justifie que vous l'allongiez, sauf à considérer que la sauvegarde de la liberté individuelle est un principe anecdotique.

Vous contrevenez non seulement à la Constitution, mais aussi à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui dans son article 5 est également très claire en précisant que : « Toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. »

Vous tentez par ailleurs par tous les moyens de réduire les droits de la défense et le pouvoir d'appréciation du juge, ce qui rend les procédures déséquilibrées et inéquitables par avance. Les articles 8, 12, 42 et 43 du projet de loi instaurent un système inacceptable de purge des nullités, spécifique au contentieux des étrangers, faisant d'un étranger un justiciable de seconde zone.

Et comme si cela ne suffisait pas, l'article 39 du projet de loi instaure la notion de « grief substantiel ». Mais toute atteinte au droit est substantielle, a fortiori quand la vie d'un individu ou la sauvegarde de son intégrité et de sa dignité sont en jeu, comme c'est le cas de nombreux demandeurs d'asile que vous souhaitez refouler. Il s'agit là encore d'éloigner le juge en limitant les cas dans lesquels le juge pourrait sanctionner les irrégularités qu'il constate. L'interprétation du caractère substantiel d'une « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, générera à n'en pas douter un contentieux infini.

L'article 38 du projet de loi retarde la notification des droits. Les droits des étrangers interpellés seront mis entre parenthèses, au gré de l'administration, et pendant une durée indéterminée, jusqu'à à l'arrivée dans un lieu de rétention, en dehors de tout cadre juridique, de tout contrôle et de toute forme de sécurité.

Quand à la brièveté des délais de recours, tels qu'ils sont prévus par la procédure d'urgence, elle ne rend pas ces derniers effectifs.

Vous banalisez l'enfermement à l’article 23, et l'article 41 du projet de loi allonge la durée de rétention administrative.

Par ailleurs, le Président de la République avait annoncé que, à partir de l’automne, on allait « délégiférer ». Nous y sommes. Certains articles de ce projet défont des lois dont Thierry Mariani était, il n’y a pas si longtemps, le rapporteur. Ainsi, vous délégiférez en supprimant la commission nationale d’admission exceptionnelle au séjour. Sans doute le contrôle qu’exerçaient les membres de cette commission sur les critères de régularisation était – il encore trop lourd et insupportable à vos yeux.

Pour nous, il est temps de rompre avec cette spirale dans laquelle la France se perd elle-même et se perd aux yeux du monde. Notre particularisme à nous, c’est l’universalisme, c’est l’invention, la proclamation et la défense de principes essentiels qui valent pour l’humanité tout entière. Vous leur tournez le dos. Car enfin, il y a pire encore que la douleur d’être seuls et isolés en Europe, posture que certains semblent rechercher, il y a la honte d’être applaudis par Berlusconi et la Ligue du Nord, et d’inspirer à l’extrême droite suédoise ses thèmes de campagne.

Vous proposez de cultiver la fierté d’être Français. Mais monsieur Besson, malgré vous, et tant qu’il y aura des républicains sincères dans ce pays, la France est et sera grande, la France est et sera belle et désirable quand elle tutoiera l’universel, dans la voie singulière qui est la sienne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.) Nous refusons de singer le pire et d’ânonner des slogans xénophobes.

Nous en appelons à des choix radicalement différents. D’abord, l’asile ne saurait être une variable d’ajustement de la politique migratoire.

M. Serge Blisko. Très bien !

Mme Sandrine Mazetier. C’est un droit présent continûment dans tous nos textes fondateurs, de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en passant par la convention de Genève ou la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Nous présenterons de multiples amendements pour les défendre.

Surtout, la politique migratoire de la France doit sortir du champ stérile et insupportable de la polémique, de l’instrumentalisation, de la stigmatisation et de l’opacité.

Les Français y aspirent. Selon le dernier baromètre BVA, 60 % d’entre eux trouvent qu’on exagère beaucoup le problème de l’immigration. Ils ne sont pas dupes de l’instrumentalisation à laquelle vous vous livrez.

Nous avons proposé que la politique migratoire de la France fasse l’objet d’un débat démocratique d’orientation et d’évaluation à l’Assemblée tous les trois ans, en associant en amont tous les acteurs concernés, les collectivités locales qui assurent l’accueil, et les partenaires sociaux puisque vous parlez tant d’immigration et d’emploi. Pourquoi le refusez vous ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est anticonstitutionnel.

M. Claude Goasguen. Et c’est absurde !

Mme Sandrine Mazetier. Nous proposons que rien ne soit tabou, que tout soit sur la table, que les objectifs et les moyens de cette politique et de sa réussite soient énoncés, évalués, ajustés. Qu’avez vous donc à craindre de ce débat ? Peut-être la vérité, l’audace et le consensus qui pourrait s’y faire jour, et qui contrarie cette stratégie de la tension et de la division qui est votre marque.

Nous proposons de sortir de la précarité ces milliers de personnes qui nous rejoignent pour un temps. Sécurisons leur mobilité au lieu de les enfermer dans l’incertitude.

Si la France doute, comme certains le disent, de ses capacités d’intégration, parlons-en au lieu d’être muet comme l’est votre texte, et destructeur comme l’est l’action du Gouvernement en matière d’éducation, de politique de la ville, de logement, de lutte contre les discriminations, de réduction des moyens des pouvoirs publics.

Nous sommes convaincus que l’État de droit, la transparence, l’énoncé de règles claires et stables, et l’ambition de faire gagner la France dans la mondialisation sont plus efficaces et mobilisateurs que le règne actuel de l’arbitraire, du discrétionnaire, de l’opacité.

Mme Danielle Bousquet. Très bien !

Mme Sandrine Mazetier. Il faut pour cela une vision, et des convictions ; elles vous font cruellement défaut.

Les Français, monsieur Besson, ne se fabriquent pas dans un ministère.

M. Serge Blisko. Absolument.

Mme Sandrine Mazetier. Ce sont eux qui fabriquent la France, eux qui la rêvent et la réinventent chaque jour, chaque instant.

Alors oui, nous avons raison de demander le rejet préalable de ce texte, et de considérer, avec les Français, qu’un consensus est souhaitable et possible pour que la France retrouve son influence, pour en finir avec cette France sous influence que vous incarnez. (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Madame Mazetier, je vous ai écoutée avec le plus grand intérêt. Je pense qu’en lisant votre discours au Journal officiel, si l’on fait abstraction des mots « République française » on pourra se demander de quel pays vous parlez. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Parliez-vous d’une dictature ?

En vous écoutant à l’instant, je songeais : Mais quelle haine de soi, quelle haine de son pays, quelle caricature, quel dénigrement, quelle autoflagellation, et quelle outrance ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Même la presse le dit !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Le pays que vous avez essayé de décrire est un pays qui accueille 200 000 étrangers chaque année au titre du long séjour…

Mme Sandrine Mazetier. Pourquoi 200 000 ? Pourquoi pas 250 000 ?

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …dont 50 000 étudiants ; un pays qui accorde deux millions de titres de court séjour chaque année ; le pays le plus généreux en Europe en matière d’asile, le second dans le monde après les États-Unis.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Absolument !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est aussi celui dans lequel les demandes d’asile augmentent le plus. Leur nombre est stable au niveau mondial. Depuis deux ans, il a augmenté de 3 % dans l’Union européenne, mais de 45 % en France. Pourquoi cela ? Parce que le droit des étrangers est particulièrement bien respecté en France, parce que le droit d’asile y est particulièrement généreux. Pour prendre un seul exemple, la France est le seul pays au monde où, lorsque le jury de la cour nationale du droit d’asile est constitué, un assesseur représente le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies. Lorsque les pays européens veulent discuter d’asile et partager leurs expériences avec les États-Unis et le Canada, c’est à Paris que cela se passe, comme ce fut le cas il y a trois semaines. Lorsque la ministre de l’intérieur sud-africaine s’interroge sur la façon dont l’Europe évolue en matière d’immigration, c’est en France qu’elle vient – je l’ai vue aujourd’hui même.

Dès lors, pourquoi n’acceptez-vous pas qu’en la matière, la France mène une politique à la fois ferme et juste ?

Elle est ferme et juste pour l’asile, elle l’est pour l’octroi de la nationalité. En 2009, la France a accordé la nationalité à 108 000 étrangers. Rapporté à la population étrangère par pays, ce chiffre fait de nous un pays particulièrement généreux en Europe : dans la tradition républicaine, l’accès à la nationalité française vient sanctionner positivement la réussite de l’intégration.

Mais ce qui peut-être vous pose problème, et ce qui nous distingue, c’est que, dans ce pacte républicain, nous sommes autant attachés aux droits qu’aux devoirs et que nous essayons de rétablir l’équilibre entre eux.

Ensuite, j’ai noté avec intérêt que vous ne voulez pas répondre sur ce qui n’est qu’un simple constat : Pourquoi les socialistes français sont-ils isolés parmi les partis socialistes et socio-démocrates d’Europe ?

M. Jean-Patrick Gille. Ce n’est pas vrai !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La directive « retour », vous l’avez vilipendée et vous avez été les seuls, parmi les partis socialistes et socio-démocrates européens, à voter contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Sandrine Mazetier. C’est tout le contraire !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Les socialistes espagnols ont voté pour, les socio-démocrates allemands ont voté pour.

D’autre part, la transposition des directives qui vous est proposée a été votée par les socialistes grecs, par les socialistes espagnols, par les socialistes portugais, par les travaillistes britanniques. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Cela vous pose problème, mais c’est la réalité.

Aussi tous vos cris, vos caricatures, vos outrances n’ont-ils pour objet que de masquer, derrière des envolées lyriques, votre absence totale de proposition et le grand écart absolu auquel vous êtes contraints sur ces questions fondamentales.

Prenons, puisque vous y tenez, la question des Roumains en situation irrégulière. Qui faut-il croire ? Mme Aubry, quand elle demande le démantèlement des campements tout en refusant la reconduite dans le pays d’origine ?

M. Bernard Roman. C’est une position claire !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ou François Rebsamen qui explique qu’il aurait fait exactement comme le Gouvernement, qu’il fallait démanteler les campements et que c’est à bon droit que la France a reconduit dans leur pays les Roumains en situation irrégulière ?

Prenons maintenant les régularisations, puisque c’est votre préoccupation constante. Aucun d’entre vous n’a encore su expliquer la différence entre la régularisation « large » que demande Mme Aubry et la régularisation « massive ». Vous parlez de « régularisation large sur critères ». Peut-être qu’au cours des nombreuses heures que nous allons passer ensemble, vous nous expliquerez ce que sont ces critères et en quoi vous changeriez la loi.

Mme Sandrine Mazetier. C’est à vous de vous expliquer sur les critères !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je pourrais multiplier les exemples. Vous n’arrivez jamais à dire très clairement ce que vous abrogeriez, ce que vous proposeriez. Vous vous réfugiez derrière des anathèmes et des pétitions de principe.

Je n’aborde que rapidement les autres points que vous avez évoqués ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans la discussion des amendements.

S’agissant du nombre de textes dans ce domaine, je l’avais dit en introduction : la France veut être le fer de lance d’une politique d’immigration et d’asile en Europe. Au niveau européen, cette politique aboutit à l’adoption d’un certain nombre de directives. Que proposez-vous ? Que nous ne les transposions plus et que nous expliquions à nos partenaires européens que nous voulons être fer de lance, mais que nous ne voulons pas transposer les directives ?

Mme Sandrine Mazetier. La directive « retour » n’a rien à voir avec la politique d’immigration !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Chaque fois qu’il y aura une directive, il y aura un projet de loi pour la transposer. Si vous ne voulez pas le faire, vous l’expliquerez.

S’agissant de l’intégration, je vous dirai au cours du débat toutes les mesures que le Gouvernement et mon ministère ont prises depuis des mois pour la favoriser. Une chose me surprend : chaque fois que vous parlez d’acquisition de la nationalité, de titre de séjour, vous parlez systématiquement des humiliations, des vexations, des « raisons obscures » – ce sont vos termes – qui motiveraient l’administration à l’encontre des étrangers. Cela vient-il de ce même parti socialiste qui défend en permanence les fonctionnaires ? Avez-vous pensé que, derrière ce ministère que vous désignez, il y a des femmes et des hommes qui mettent en œuvre de façon digne, humaine, juste et républicaine ces procédures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) En parlant en permanence de « raisons obscures », d’humiliations, ce sont ces fonctionnaires du service public que vous insultez, que vous bafouez. Ils vous écoutent, ils vous regardent et ils vous lisent et le moment venu, vous aurez à rendre compte de vos propos. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Il n’y a même pas de fonctionnaires dans votre ministère !

M. le président. Je vous en prie, seul le ministre a la parole.

M. Bernard Roman. C’est le faire-valoir d’une politique ignoble !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Dans un tel brouhaha, je n’entends même pas ce que vous hurlez, mais ce n’est pas grave.

S’agissant du démantèlement de la « jungle » de Calais, je l’assume totalement et, je le répète, cela a porté ses fruits. Il y a environ 80 % d’étrangers en situation irrégulière en moins dans le Calaisis…

M. Christian Hutin. Bien sûr, ils sont chez nous à Dunkerque !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …et sur la côte.

Si vous voulez en avoir la confirmation, allez discuter avec la police aux frontières de Menton. Elle vous expliquera comment nous avons, dans le même temps, démantelé beaucoup de filières mafieuses de l’immigration clandestine qui exploitaient ces Afghans, et aussi des Érythréens, des Somaliens et d’autres. Comment pouvez-vous avoir le moindre soupçon de bienveillance à l’égard de ces filières qui exploitent la misère humaine ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. - Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Ce sont elles que nous traquons et une coopération européenne se met en place dans ce domaine.

M. Bernard Roman. Les Afghans, ils crèvent à Calais et à Dunkerque !

M. le président. Seul le ministre à la parole.

M. Bernard Roman. C’est scandaleux !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Lorsque Mme Mazetier multiplie les outrances et les caricatures, cela ne vous pose aucun problème. Mais lorsque j’essaye d’y répondre sobrement, cela déchaîne vos réactions Il est amusant de constater combien vous supportez mal la vérité.

Vous avez évoqué les « Français de souche », mais personne n’a parlé de « Français de souche ». Dans les conventions internationales, dans nos règles constitutionnelles, et dans l’article 25 du code civil, il y a simplement la possibilité de prononcer la déchéance de la nationalité d’une personne récemment naturalisée – c'est-à-dire depuis moins de dix ans – qui aurait porté atteinte aux intérêts supérieurs de la nation.

M. Claude Goasguen. Eh oui ! C’est pourtant clair !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Au moins douze pays membres de l’Union européenne ont déjà exactement les mêmes règles que celles que nous allons adopter. Puisque vous faites mine d’en douter, je vous donnerai la liste de ces pays lorsque nous aborderons l’article 3 bis.

M. Bernard Roman. On s’en fiche !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Nous verrons si vous êtes aussi sûrs de vous lorsque je vous fournirai cette liste.

M. Bernard Roman. Il n’y a qu’un pays des droits de l’homme !

M. Christian Hutin. Monsieur Besson, nous sommes en France !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il faudra que vous nous expliquiez pourquoi il est légitime de prononcer la déchéance de la nationalité d’une personne qui aurait commis un acte de terrorisme, et pourquoi vous pensez qu’il est indigne de le faire à l’encontre d’une personne qui aurait tué un préfet, un magistrat, un policier ou un gendarme…

M. Bernard Roman. Et tuer un enfant, ce n’est pas grave ?

M. Christian Hutin. Et un commerçant ?

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous nous expliquerez la différence de nature entre ces actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman. On peut tuer dix enfants, trois commerçants et deux personnes âgées : ça ne compte pas ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous n’aurez pas les voix du Front national ! (Mêmes mouvements.)

M. Claude Goasguen. On s’en fout !

M. Philippe Boënnec. Ce n’est pas le problème !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. En ce qui concerne le passage de la durée de rétention administrative de trente-deux à quarante-cinq jours, vous ne voulez pas entendre ce que j’ai essayé de vous expliquer à plusieurs reprises, notamment en commission des lois.

À l’origine, ce n’est pas la France qui veut augmenter le délai de rétention administrative. Ce sont les pays auxquels nous demandons les laissez-passer consulaires qui nous expliquent qu’ils ont besoin d’un délai suffisant pour reconnaître la nationalité de leurs ressortissants.

M. Éric Diard. Le Maroc !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est le cas du Maroc, du Pakistan ou du Vietnam. De nombreux pays nous ont fait cette demande.

Madame Mazetier, je vois que vous ne m’écoutez pas ; je réponds pourtant à l’un des arguments que vous répétez sur tous les tons.

Mme Sandrine Mazetier. Je vous écoute scrupuleusement !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Comment pouvons-nous expliquer à ces pays du Sud qui nous demandent ce délai que nous refusons de les entendre ? Comment justifier notre refus auprès de nos vingt-six partenaires européens qui nous demandent d’accepter d’augmenter le délai de rétention afin d’harmoniser sa durée dans l’Union européenne ? Pourquoi dirions-nous à ces vingt-six pays, qui ont tous, sans aucune exception, un délai de rétention égal ou supérieur à soixante jours, que nous refusons de modifier ce délai, au risque d’entraîner la rupture du dialogue avec les pays du Sud ?

Madame Mazetier, plutôt que de répéter pour la millième fois que la France avait déclaré qu’elle n’augmenterait pas le délai, j’aimerais que vous répondiez à cette question : Que dit le Parti socialiste aux vingt-six pays de l’Union européenne et à tous les pays du Sud qui nous demandent cette harmonisation ? Il serait intéressant de vous entendre sur ce point – ne serait-ce qu’une seule fois. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Madame Mazetier, vous avez énoncé beaucoup d’inexactitudes concernant le projet de loi ; j’aurai l’occasion de les corriger. En voici une, prise au hasard : selon vous, « rien dans le projet de loi ne précise le délai prévu pour le maintien en zone d’attente temporaire ». C’est pourtant le cas : il est prévu un délai de quatre jours, comme pour toutes les zones d’attentes.

Certains l’ont dit, j’ai effectivement quelques souvenirs du Parti socialiste,…

Mme Sandrine Mazetier. Cela ne nous intéresse pas !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …et je sais que vos propos ne l’engagent pas.

Vous êtes seulement là pour gambader, pour vous ébrouer, comme l’a dit un ancien Premier ministre, le temps que le Parti socialiste puisse essayer de réfléchir à ce que pourraient être ses propositions pour la campagne présidentielle. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Vous verrez qu’aucune de vos déclarations ne sera incluse dans le programme du Parti socialiste, parce que le moment viendra où ce dernier comprendra que, passé le temps des épouvantails et du lyrisme, vient le temps des responsabilités. (Mêmes mouvements.) Il se souviendra qu’il peut être parfois un parti de gouvernement. Alors, on n’entendra plus le genre de propos que vous venez de tenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Sandrine Mazetier. C’est pitoyable !

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Serge Blisko, pour le groupe SRC.

M. Serge Blisko. Mes chers collègues, Mme Mazetier a justement dénoncé un texte qui, non seulement, porte atteinte aux droits inhérents à la dignité de la personne humaine mais qui, surtout, est empreint de dispositions anticonstitutionnelles.

J’en donne un exemple. Vous proposez de déchoir de sa nationalité un Français qui se serait rendu coupable d'un crime à l’encontre d'un dépositaire de l'autorité publique. Il en résulte une liste étrange selon laquelle tuer un gardien d’immeuble – ce qui est évidemment très répréhensible – entraîne la déchéance de la nationalité alors que l’on peut assassiner froidement, après les avoir torturées, deux personnes âgées sans encourir la même sanction. J’attends encore qu’on nous explique cet effet de manche qui n’a strictement rien de constitutionnel et qui crée des inégalités. Permettez-moi de penser que l’assassinat d’un enfant est tout aussi grave que celui d’un avocat ou d’un gardien d’immeuble.

M. Max Roustan et M. Jacques Houssin. Mais on peut allonger la liste si c’est ce que vous voulez !

M. Serge Blisko. Pis encore, votre projet de déchéance de la nationalité concerne un Français, mais pas n'importe quel Français : celui qui a obtenu sa nationalité depuis moins de dix ans et ne pourrait donc se prévaloir d'être Français de souche.

Vous avez donc inventé un nouveau statut : le Français de seconde zone, le Français stagiaire qui n’est pas encore complètement titularisé, au-dessus de la tête duquel vous décidez de placer une épée de Damoclès. Vous savez pourtant fort bien que cette disposition est contraire à l'article 1er de notre Constitution qui consacre l'égalité des droits.

De plus, vous vous prenez les pieds dans le tapis juridique puisque vous devez introduire une distinction entre les binationaux et les personnes n’ayant qu’une seule nationalité auxquelles votre projet ne pourra pas s’appliquer, au risque de les rendre apatrides alors que vous avez souscrit des engagements internationaux pour limiter l’apatridie. Votre article est donc complètement bancal et manifestement totalement contraire à l’esprit de notre Constitution et à notre histoire

Les nouvelles dispositions introduites par votre texte sont une insulte à l'État de droit et au respect de la légalité. Vous méconnaissez l'article 66 de la constitution qui précise que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et que « l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Par ailleurs, selon l'article 5-4 de la Convention européenne des droits de l'homme, « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ». En permettant au juge administratif de se substituer en premier lieu au juge judiciaire, vous faites fi d'une éventuelle décision allant à l’encontre d'une reconduite rapide de l'étranger en situation irrégulière. Votre projet de loi prévoit de reporter au cinquième jour la première intervention du juge des libertés, soit ultérieurement à la décision du juge administratif. Par conséquent, l'étranger pourra être reconduit à la frontière, même si la procédure qui a conduit à son interpellation est ultérieurement qualifiée d’irrégulière.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Mais non !

M. Serge Blisko. Le juge judiciaire, chargé de veiller à la régularité des conditions d'interpellation, de garde à vue et de notification des droits, risque de ne plus pouvoir statuer si le juge administratif, en charge du contrôle de la seule légalité de la mesure d'éloignement, valide celle-ci. Paradoxalement, la personne serait jugée alors qu’elle aurait déjà été expulsée du territoire national.

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est de la science-fiction !

M. Serge Blisko. C’est un mépris de la garantie de la liberté individuelle, d’autant que la personne expulsée n’aura pas la possibilité technique ou physique de revenir. L’atteinte à la liberté individuelle serait très grave.

Cette loi risque aussi d'asphyxier les tribunaux administratifs déjà fortement sollicités et d'affaiblir le rôle des juges des libertés. On risque également d’aliéner la justice à l'objectif chiffré de reconduire toujours plus d'étrangers aux frontières – pourquoi 27 000, 28 000 ou 30 000 ? C'est en tous les cas ce qu'a estimé hier l'Union syndicale des magistrats administratifs.

En effet, rien n'est prévu pour renforcer les effectifs des tribunaux administratifs. Or, d'après cette organisation qui représente la grande majorité de juges des tribunaux administratifs, c'est au minimum cinquante postes de magistrats et autant de postes de greffiers qu'il faudrait prévoir pour l'application spécifique de cette loi qui, comme toutes celles que cette majorité a fait adopter, restera un effet d’annonce et ne sera finalement ni appliquée ni applicable. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Je vous le confirme : tandis que toutes ces lois s’empilent, le droit devient de plus en plus complexe et la vie des étrangers dans notre pays devient extrêmement difficile.

Monsieur le ministre, vous citiez les fonctionnaires qui appliquent la loi ; vous devriez les écouter. Ils se plaignent des lois qui changent en permanence et du climat dans lequel ils doivent travailler. Ils sont rarement volontaires pour travailler au bureau des étrangers dans les préfectures, et il faut souvent les y obliger tellement la situation est pour eux difficile et intolérable.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je vous demande de voter en faveur de cette motion de procédure. Ce texte méconnaît les règles de droits et présente de nombreux motifs d'inconstitutionnalité, il n'y a donc pas lieu de poursuivre le débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le groupe GDR.

M. Patrick Braouezec. Nous voterons la motion de rejet défendu par le groupe socialiste car ce projet de loi est inconstitutionnel ; il va créer des citoyens qui seront toujours suspectés.

Contrairement à ce que le ministre a affirmé, la politique menée par le Gouvernement n’est pas une politique réaliste. La réalité, c’est que des dizaines de milliers de personnes attendent une régularisation de leur situation. À vous entendre, on a souvent l’impression que votre projet concerne des immigrés qui viennent d’arriver – évidemment, ils existent, même si les textes qui ont précédé celui que nous examinons ont déjà fait subir un traitement rigoureux à la politique d’entrée sur le territoire. On a le sentiment que vous oubliez que les sans-papiers sont souvent dans cette situation depuis cinq, sept, dix ans et plus – puisque l’une de vos lois a remis en question l’automaticité de la régularisation après dix ans de séjour. Il s’agit de personnes installées dans notre pays depuis plusieurs années qui, bien souvent, travaillent, et ont une famille. Avec ce projet de loi, vous allez les fragiliser encore plus.

Monsieur le ministre, je pense qu’il n’est pas de bonne politique d’opposer les fonctionnaires qui appliquent, avec plus ou moins de zèle, des lois qu’ils n’ont pas faites aux élus et aux associations qui, quotidiennement, se trouvent aux côtés des sans-papiers demandant à être régularisés.

Ce projet de loi va aggraver une situation déjà bien fragile et précaire pour bon nombre d’habitants de ce pays. Je ne pense pas que le réalisme soit de votre côté car, Serge Blisko vient de le dire, ce projet n’est qu’un texte de façade, un texte tout à fait conjoncturel, comme l’ont été les lois que vous avez fait voter précédemment sur le sujet.

M. Philippe Boënnec. Et la directive européenne !

M. Patrick Braouezec. Vous vous réfugiez derrière la prétendue nécessité de transposer des directives européennes. Nous démontrerons dans le débat que cet argument ne tient pas car vous allez bien au-delà de ce que demandent les directives.

Alors, quelle est votre motivation réelle ? En fait, aujourd’hui, vous ne voulez pas vous retrouver sur le terrain du chômage, du logement, de la formation, de la sécurité ou de l’éducation. Vous déplacez donc le débat. Vous en fabriquez un, idéologique et factice, qui ne répond pas à la préoccupation majeure des Français, en prenant pour thème l’immigration et la peur de l’autre, avec toutes les stigmatisations que cela peut représenter.

La motion de renvoi du groupe socialiste est donc parfaitement justifiée : nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe UMP.

M. Claude Goasguen. Le ministre a parfaitement répondu.

M. Jean-Claude Lenoir. En effet !

M. Claude Goasguen. Dans son intervention, Mme Mazetier disait vouloir des débats sereins en matière d’immigration ; elle n’a pas vraiment donné l’exemple !

Pour ma part, j’appelle vraiment à la plus grande sérénité, car le débat sur l’immigration est politique…

Mme Pascale Crozon. Idéologique !

M. Claude Goasguen.… au sens noble du terme.

Or de ce point de vue, à part des déclarations d’intention, de vœu – vous avez vous-même parlé de rêve –…

Mme Sandrine Mazetier. C’est possible !

M. Claude Goasguen. C’est possible effectivement, mais il faut pouvoir gérer une situation extrêmement préoccupante non seulement en France mais dans le monde.

Or vous n’avez présenté aucune proposition. M. Blisko, M. Braouezec et vous-même, madame Mazetier, vous vous êtes seulement substitués au Conseil constitutionnel, donnant une interprétation personnelle sûrement intéressante, encore qu’un peu aléatoire.

M. Bernard Roman. Nous avons le droit de le saisir !

M. Claude Goasguen. Vous avez ce droit, effectivement, mais vous n’êtes pas le Conseil constitutionnel.

M. Bernard Roman. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Claude Goasguen. Si puisque, selon vous, tout est anticonstitutionnel.

M. Patrick Braouezec. Certains articles le sont !

M. Claude Goasguen. Vous avez l’air de dire qu’il nous est impossible de discuter de ce texte parce qu’il est anticonstitutionnel. De quel droit pouvez-vous le dire ?

M. Bernard Roman. C’est notre règlement !

M. Claude Goasguen. Je vais prendre un seul exemple : la déchéance de nationalité que vous prétendez anticonstitutionnelle existe en France depuis 1789.

M. Bernard Roman. Nous n’avons pas prétendu le contraire !

M. Claude Goasguen. Elle a d’ailleurs été très pratiquée en 1789, période dont vous faites l’apologie.

M. Manuel Valls. Ah la Révolution française ! (Sourires)

M. Claude Goasguen. Le régime qui a le plus usé de la déchéance de nationalité, c’est justement celui en vigueur pendant la Révolution française, et la mesure s’accompagnait en général de la mort civile ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Je signale aussi qu’une loi, adoptée en 1945, n’a pas été abrogée par François Mitterrand en 1981.

M. Serge Blisko. La vieille rengaine !

M. Claude Goasguen. C’est en 1998 que nous avons abrogé la loi sur la déchéance de nationalité.

M. André Schneider. Exactement !

M. Claude Goasguen. L’article 25 du code civil a toujours existé. Était-il anticonstitutionnel ? Je vous conseille d’en faire une question préalable, puisque vous avez désormais la possibilité de le faire. Qu’attendez-vous pour soumettre l’article 25 au Conseil constitutionnel ? Vous devriez le faire !

Qu’a dit le Conseil constitutionnel ? Il a limité l’usage de la déchéance de nationalité à un certain nombre de cas ; il ne l’a pas supprimé.

Autant dire que toutes vos interprétations sont très bien, mais le dispositif n’est pas anticonstitutionnel.

M. André Schneider. Voilà !

M. Bernard Roman. Ce n’est pas à vous d’en décider, vous n’êtes pas le juge constitutionnel !

M. Claude Goasguen. C’est une limitation de l’usage de la déchéance de la nationalité.

S’agissant des traités sur la déchéance de nationalité dont il a été beaucoup question, je signale qu’aucun d’eux n’a été ratifié par la France. Aucun ! C’est dire que la France entend garder sa souveraineté en matière d’attribution aussi bien que de déchéance de la nationalité, en ne signant pas ces traités.

D’ailleurs, à ma connaissance, vous-mêmes n’avez jamais ratifié de traités sur la déchéance de nationalité…

Mme Sandrine Mazetier. Sur l’apatridie !

M. Claude Goasguen. …sauf en ce qui concerne les apatrides. Vous n’avez pas ratifié les traités sur la déchéance de nationalité !

À l'instar du ministre, je vous demande d’arrêtez de caricaturer la France ! En Europe, quel pays donne la possibilité aux enfants d’immigrés clandestins d’aller à l’école ? La France est seule dans ce domaine !

M. André Schneider. Exactement !

M. Claude Goasguen. Et vous osez dire que ce droit fondamental nous serait reproché !

En Europe, quel est l’unique pays offrant l’intégralité des soins à ceux qui sont en situation irrégulière ? La France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Élie Aboud. Aucun autre pays !

M. Claude Goasguen. Et vous osez dire que la France attente aux droits de l’homme !

Vous n’êtes pas fiers de votre pays, et je regrette que vous ne le soyez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Noël Mamère.

(Mme Danielle Bousquet remplace M. Marc Laffineur au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Danielle Bousquet,
vice-présidente

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 2003, 2006, 2007 et maintenant ce texte. Le train des réformes législatives en matière de droit des étrangers fonctionne donc à plein : quatrième texte en sept ans, en effet, pour modifier et durcir encore les conditions d'entrée et de vie dans notre pays. Autant de textes qui prennent l'étranger comme cible, autant de reculs des droits des étrangers, du droit d'asile, des libertés. Autant de textes qui dégradent l'image de la France dans le monde.

Le débat sur l'identité nationale que vous aviez lancé sur ordre, monsieur le ministre, était donc le point de départ de cette séquence politique qui pue le cynisme, la démagogie et le populisme. Il a d’ailleurs marqué une forme d'autorisation politique au défouloir des peurs que certains de vos collègues n'ont pas hésité à attiser.

La condamnation du ministre de l'intérieur pour injure raciale à une amende contraventionnelle de 750 euros, après des propos adressés à un jeune militant UMP, est venue en quelque sorte sanctionner le déchaînement de propos xénophobes et racistes que ce débat avait suscités.

Nombreux sont ceux qui ont vu dans cette séquence une opération de diversion destinée à masquer les échecs de votre gouvernement.

Doit-on les rappeler ? Le président du pouvoir d'achat est devenu celui du chômage. Le président de ceux qui se lèvent tôt est devenu le président des riches. La république exemplaire est devenue celle des conflits d'intérêts, des renvois d'ascenseur, des petites crapuleries et des luttes de clans.

M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis. Parlez du texte !

M. Noël Mamère. Presque toutes les promesses ont été trahies, y compris celles qui n'avaient pas été faites, comme les retraites ! Le candidat Sarkozy n'avait-il pas dit qu'il n'y toucherait pas ? Aujourd'hui, ce n'est pas une réforme, mais une contre-réforme injuste, que le Président tente d'imposer en force contre les partenaires sociaux, contre le Parlement, contre les Français, au mépris d'une mobilisation massive de nos concitoyens.

À la veille des élections régionales, la ficelle du débat sur l'identité nationale était grosse ; les Français l’ont si bien vue que le résultat fut limpide : votre majorité n'a conservé que l'Alsace, mais elle a réussi à remettre en selle le Front national, confirmant ainsi l'adage de Le Pen selon lequel les électeurs d'extrême droite préfèrent l'original à la copie.

Il me semble que le virage politique opéré par le Gouvernement au nom duquel vous présentez ce projet est profond et durable.

Nous sommes moins dans la tactique électorale que dans la stratégie politique. Les deux années qui nous séparent de l'élection présidentielle vont malheureusement illustrer jusqu'à la nausée cette orientation, d'autant qu'elle s'inscrit dans un contexte européen favorable et pour le moins inquiétant.

Ainsi, se dessine par petites touches une nouvelle droite aux formes diffuses, car encore incertaines, aux relations incestueuses avec le monde de la finance, que la soirée du Fouquet's ou le scandale Woerth-Bettencourt illustrent à merveille.

Cette nouvelle droite tisse sa toile d'influence dans les médias ; elle méprise la culture, puisqu'elle considère que la consommation et le divertissement sont les deux piliers de la modernité ; elle est décidée à réduire le contrôle de l'État et les services publics ; elle dénigre le monde intellectuel.

Cette nouvelle droite est rétive au respect de son opposition, considérant toujours que son élection aux plus hautes responsabilités est une sorte de chèque en blanc, une autorisation au passage en force, au mépris des institutions et du respect des règles de prise de décision en démocratie.

Cette nouvelle droite qui prend corps chaque jour, ici devant nous, existe ailleurs en Europe. Elle prend, chez nos voisins italiens, le visage de Berlusconi, soutien sans failles de votre chasse aux Roms, lors du dernier conseil européen…

Mme Pascale Crozon. C’est le seul !

M. Noël Mamère. …et de toutes les dérives sarkozystes.

Cette droite agit au nom de ce que veut prétendument le peuple, mais elle violente la démocratie. Cette droite que vous incarnez ce soir sur ces bancs, monsieur le ministre, abaisse notre République.

Elle ne croit plus en rien, si ce n'est à son droit d'accaparer le pouvoir. Pour cela, elle flirte sans complexes avec le populisme et puise dans le fonds de commerce de l’extrême droite en s'inventant les mêmes boucs émissaires, tout en feignant de croire que tout cela est sans conséquences.

Le puzzle épars a pris forme à Grenoble, quand Nicolas Sarkozy, pour mieux conjurer sa chute de popularité dans l'opinion, a décidé de franchir la ligne jaune qu'aucun homme d'État n'avait osé transgresser avant lui.

Dans un discours aussi limpide que guerrier, dans la droite ligne de Le Pen,…

Mme Pascale Crozon. Tout à fait !

M. Noël Mamère. … le Président a lié immigration et délinquance. C'est une folie, mais une folie malheureusement assumée.

Le durcissement spectaculaire, en discours comme en actes, de la politique sécuritaire et migratoire française, depuis le début de l'été, ne constitue pas seulement le signe de l'échec définitif de la stratégie d'ouverture d'un Président désormais à la recherche d'une majorité aujourd'hui improbable mais plausible, faisant fi de ses convictions républicaines pour mieux intégrer les thèses frontistes, et peut-être, demain, ses hommes.

Ce durcissement représente une transgression majeure, et sans doute irréversible, de notre pacte républicain.

M. Serge Blisko. Eh oui !

M. Noël Mamère. La parole présidentielle mérite d'être prise au sérieux, car elle entraîne la République sur le chemin de la réprobation internationale et de la trahison des idéaux de notre patrie des droits de l'homme.

Ce pathétique discours de Grenoble, assimilant immigration et délinquance, remet en cause les conditions d'appartenance à la nation et ouvre la chasse à ceux que l’on pourrait appeler les indésirables.

La parole présidentielle a libéré et légitimé une logique mortifère contre laquelle, du fait même de l’origine de cette parole, il n'existe pas, en l'état actuel, d'antidote efficace.

Radicaux, socialistes, communistes, écologistes, humanistes, et – je l’espère – quelques hommes et femmes de droite pour qui la République et ses valeurs ne sont pas un vain mot, nous allons donc tenter ici de redonner force aux principes humanistes et universalistes, alors même que les xénophobes et les racistes disposent désormais d'une légitimité aux plus hauts sommets de l'État.

Trois directives européennes servent de prétexte à ce texte.

Rappelons que l'adoption par l'Union européenne en 2008 de la directive sur les retours forcés…

M. Serge Blisko. La directive de la honte !

M. Noël Mamère. …que nous avions qualifiée à juste titre de « directive de la honte » est le symbole de l'impasse des politiques européennes à l'égard des migrants.

Cette directive « retour », puisque tel est son nom, représente un compromis boiteux et répressif entre les vingt-sept États membres de l'Union. Elle banalise l'enfermement – donc la privation de liberté – comme méthode de gestion des personnes migrantes.

C'est un dispositif dans lequel les mesures suspicieuses et leurs conséquences répressives et sécuritaires sont totalement disproportionnées au regard des objectifs annoncés. Il consacre l'Europe forteresse.

Rappelons les mots de la lettre du président Evo Morales à l'Union européenne. « Il durcit de manière drastique les conditions de détention et d'expulsion des migrants sans papier, quel qu'ait été leur temps de séjour dans les pays européens, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le succès de leur intégration », écrivait-il dans sa missive.

Et d'ajouter : « L’Union européenne est la principale destination des migrants du monde, conséquence de son image positive d'espace de prospérité et de libertés publiques. Dans leur immense majorité, ces migrants viennent dans l'Union européenne pour contribuer à cette prospérité, non pour en profiter. Ils occupent les emplois de travaux publics, dans la construction, les services aux personnes et dans les hôpitaux, que ne peuvent ou ne veulent occuper les Européens. Ils contribuent au dynamisme démographique du continent européen, à maintenir la relation entre actifs et inactifs qui rend possible ses généreux systèmes de solidarité sociale et dynamisent le marché interne et la cohésion sociale. »

Le président Morales conclut : « Les migrants offrent une solution aux problèmes démographiques et financiers de l’Union européenne. »

M. Victorin Lurel. Très juste !

M. Noël Mamère. Cette directive considérait déjà les migrants comme des intrus, des problèmes en soi, des charges déraisonnables.

Monsieur le ministre, votre texte accentue et aggrave cette orientation, car il va bien au-delà de ce qu'aurait dû être une simple transposition.

Cette directive marquait un renoncement de l'Europe à ses propres valeurs. Sinon, que dire des refoulements massifs effectués par le gouvernement italien et le renvoi des refoulés vers la Libye ?

Ne marquent-ils pas l'abandon, désormais assumé explicitement par certains États, du principe d'universalité des droits de l'homme ?

Votre texte prévoit des dispositions contraires à nos engagements internationaux et à nos traditions.

Nous connaissons pourtant les causes de ces migrations : les déséquilibres économiques et l'inégale répartition des richesses ; les écarts démographiques ; les conflits, notamment liés au contrôle des sources d'énergie ; l'absence de démocratie dans un nombre important de pays du sud ; les catastrophes climatiques et écologiques.

Nous savons par ailleurs qu'en raison de sa situation démographique, l'Europe ne pourra pas se passer de l'apport de l'immigration.

Cette directive, que nombre d'associations de défense des droits humains et nombre de gouvernements de la planète avaient dénoncée, apparaît comme un rempart. Quel triste paradoxe pour celles et ceux qui la considéraient comme une honte – et c'est mon cas – de devoir s'y référer pour freiner les ardeurs répressives et sécuritaires de votre politique et combattre les abus que vous prétendez introduire dans la législation par votre projet de loi. Vous auriez pu choisir, monsieur le ministre, le mieux-disant, mais vous avez préféré le pire.

La « carte bleue européenne » que transpose également ce projet s'inscrit dans la logique de l'immigration choisie qui vise à attirer en Europe des travailleurs qualifiés. Tout comme la carte « compétence et talents » apparue en 2006, elle concernera peu de monde.

La directive sur la lutte contre l'emploi des étrangers sans titre de séjour est une avancée en trompe-l'œil. Quelques mesures visent, certes, à améliorer les droits des travailleurs sans papiers en cas de rupture de contrat de travail et d'éloignement, en relevant les indemnités qui leur sont dues, mais elles sont à la fois limitées et problématiques à appliquer.

Il est prévu une aggravation des sanctions, notamment contre les donneurs d'ordre, mais je doute qu’il y ait une véritable volonté politique de lutter contre ces pratiques : les intéressés pourront facilement s'exonérer de leur responsabilité pénale ou de la solidarité financière avec leurs sous-traitants, comme ce fut le cas dans cette maison même, lorsqu’ont été employés des travailleurs sans papiers pour les travaux de rénovation de nos locaux situés au 101 rue de l'Université. La présidence de l'Assemblée a affirmé avoir été abusée par les entreprises sous-traitantes et cela a suffi pour la dédouaner de toute responsabilité. Il n'est pas sûr, par ailleurs, que, dans l'actuel contexte économique et social, l'administration prenne la responsabilité de fermer un établissement dans lequel aura été constatée une infraction de travail illégal.

Je commencerai donc par vous dire que, sur bien des points, monsieur le ministre – et je le regrette –, la directive de la honte offre de meilleures garanties aux migrants que votre texte.

Mme Pascale Crozon. Absolument !

M. Noël Mamère. Aux termes de l'article 18 de la directive « Retour » : « Lorsqu'un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d'un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l'État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, décider d'accorder pour le contrôle juridictionnel des délais plus longs que ceux prévus à l'article 15, paragraphe 2, troisième alinéa, et de prendre des mesures d'urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celle énoncées à l'article 16, paragraphe 1 et à l’article 17, paragraphe 2. Lorsqu'il recourt à ce type de mesures exceptionnelles, l'État membre concerné en informe la Commission. Il informe également la Commission dès que les motifs justifiant l'application de ces mesures ont cessé d'exister. Aucune disposition du présent article ne saurait être interprétée comme autorisant les États membres à déroger à l'obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu'elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de la présente directive. »

On ne peut pas dire que votre gouvernement soit très respectueux des termes de cette directive, dont la transposition justifie pourtant la présentation du projet de loi. Par exemple, la circulaire sur le démantèlement des campements de Roms était une violation flagrante de nos engagements communautaires, puisqu’elle était fondée sur la discrimination et la stigmatisation d'une population. La Commission européenne a eu raison de protester. Elle aurait, d’ailleurs, raison d'engager une procédure de sanction contre le Gouvernement, d'autant que vous lui avez menti, monsieur le ministre, avant de reconnaître votre bévue, une fois qu’elle fut révélée par la presse.

M. René Rouquet. Quelle honte !

M. Noël Mamère. Que sont devenus les termes contraignants de la directive que le texte de loi transpose ? Ils se sont évaporés et ont fini par disparaître.

Vous tentez de nous faire adopter des dispositions qui sont sans rapport avec le caractère exceptionnel pourtant explicitement visé par la directive. Dans votre projet de loi, il n’est fait mention nulle part de conditions d’urgence et encore moins du caractère exceptionnel que doit avoir la situation. Ce qui est retenu comme référence, c'est la présence de plusieurs étrangers. L'exceptionnel devient la norme.

M. René Rouquet. Quelle honte !

M. Noël Mamère. La notion de groupe est emblématique des dérives de votre texte. Alors que la directive évoque un afflux massif, le projet de loi mentionne un groupe d'étrangers, groupe que vous ne définissez jamais, sans doute pour mieux tout englober. Alors que l’expression employée dans la directive, « nombre exceptionnellement élevé », est claire, celle de « groupe d'étrangers » permet le recours à des mesures d'exception dans des situations courantes. Les associations que vous avez reçues pour discuter du projet étaient sorties pour le moins surprises de ce rendrez-vous improbable : la notion de groupe semblait alors être définie par le nombre de personnes pouvant prendre place dans une barque ! Au cours des débats en commission, vous avez mieux défini, monsieur le ministre, ce que le Gouvernement entend par groupe d'étrangers, en faisant tomber tous les garde-fous et en s'affranchissant des limites fixées par le texte communautaire.

Le débat n'est pas que lexical, car ne pas se référer à la directive dans les mêmes termes et, dans le cas d'espèce, ne pas définir clairement ce que l'on entend « par groupe », a un objectif clair et précis : permettre à l'administration d'agir de manière dérogatoire. En omettant le caractère exceptionnel et urgent des situations comme condition d’application, vous permettez à l'administration d'avoir recours à des dispositifs répressifs disproportionnés, de manière permanente et non plus exceptionnelle. Ce qui avait été envisagé comme une exception par nos partenaires européens devient la règle sur notre territoire.

La création des zones d'attente ad hoc, illustre parfaitement cette pratique.

Je rappelle que la zone d'attente est un espace physique, créé et défini par la loi du 6 juillet 1992, qui s'étend « des points d'embarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles des personnes ». Elle est instituée par voie d'arrêté préfectoral.

M. Thierry Mariani, rapporteur. On la définit par amendement !

M. Noël Mamère. Cette notion souple a encore été élargie par M. Sarkozy en 2003 puisque le texte prévoyait déjà la possibilité de créer une zone d'attente à proximité du lieu de débarquement et non plus seulement dans une gare, un port ou un aéroport.

La nouvelle disposition introduite par l'article 7 permet de placer les étrangers sous le régime de la zone d'attente lorsqu'ils arrivent par groupes. En précisant que la zone d'attente s'étend du « lieu de découverte au point de passage frontalier le plus proche », vous en faites un espace illimité. Par ce montage juridique, l'administration pourra à l'avenir créer à sa convenance des espaces d'extraterritorialité sur le territoire national. Nous verrons apparaître des zones d'attente éphémères et itinérantes : celles-ci pourront émerger n'importe où et à tout moment ; elles seront, en quelque sorte, des zones d'attente « sac-à-dos ».

Le texte de 2003 avait assoupli et élargi la notion de zone d'attente en anticipant la censure annoncée par le tribunal administratif de Nice d'une décision préfectorale permettant la création d’une zone ad hoc dans un camp militaire désaffecté, destinée à maintenir en détention les réfugiés kurdes arrivés par bateau sur les côtes de Fréjus. Prenant prétexte aujourd’hui de l'annulation par les juges de toutes les décisions d'éloignement et de placement en rétention de 123 Kurdes de Syrie arrivés en barque sur les côtes corses en janvier 2010, vous voulez, par ce texte, permettre à l'administration d'expulser tout groupe d'étrangers – niant au passage leur éventuelle condition de réfugiés –, en instaurant un tour de passe-passe, une fiction juridique de zone d'attente virtuelle, qui va coller à la peau de tout groupe d'étrangers, supposé composé de primo-arrivants, découvert à l'intérieur du territoire, en dehors d'un poste frontalier.

Comme on le voit, lorsque la justice déplaît, lorsqu'elle condamne des abus de pouvoir, le Gouvernement préfère changer la loi, la modeler à sa guise, introduire des dispositifs d'exception par le biais de textes de circonstances. On se demande, dès lors, pourquoi le Gouvernement n'a pas tenté de modifier la loi de 1972 après la condamnation de Brice Hortefeux pour injure raciale ?

Tout le texte est empreint d'une hostilité et d'une méfiance à l'égard de la justice, en l'occurrence, du juge des libertés et de la détention – JLD –, considéré comme un empêcheur d'expulser efficacement. Faire passer de quarante-huit heures à cinq jours le délai de comparution de l'étranger devant ce juge – qui pourra lui rendre sa liberté ou prolonger sa détention – a un objectif précis : permettre au juge administratif de statuer sur la légalité de la mesure d'expulsion avant que le JLD ne se prononce sur le maintien en rétention. L'étranger pourra donc désormais être expulsé – immédiatement ou dans le délai de cinq jours – sans qu'aucun contrôle des conditions d'interpellation n'ait eu lieu. Pourtant, ce n’est pas l’administration mais le magistrat qui est le garant de nos droits et de nos libertés.

Cette mesure est autonome : elle n'est dictée par aucune directive européenne. Or elle organise une sorte de déni de justice, puisqu'aucun juge, ni pénal, ni civil – faute d'être saisi avant la mise à exécution de la mesure –, ni administratif – faute d'être compétent – n'aura jamais à connaître des atteintes aux droits fondamentaux des personnes concernées.

En affaiblissant le pouvoir du JLD, votre texte restreint considérablement les droits des étrangers.

Vous nous proposez, à l'article 7, d'adopter une règle dérogatoire en matière de notification des droits en zone d'attente, qui assouplit les obligations auxquelles l’administration ne pourra se soustraire si elle se trouve en présence d'un « nombre important d'étrangers ». La notification des droits des personnes privées de liberté est pourtant une garantie essentielle. Elle est au cœur du contrôle exercé par le juge, gardien de la liberté individuelle. En prévoyant que cette notification se ferait « dans les meilleurs délais » possibles, l'article 7 vise à rendre régulières des privations de liberté de plusieurs heures hors de tout cadre juridique. Je me demande, pour ma part, combien de temps il va falloir au Gouvernement pour passer de la notion de « notification dans les meilleurs délais » à celle de « notification si c’est possible » ?

Dans ce texte, qui représente un net recul pour les droits des migrants et qui est présenté par le Gouvernement comme la transposition nécessaire de trois directives dont il ne respecte ni la lettre ni l’esprit, plusieurs dispositions heurtent plus que les autres notre tradition républicaine de terre d'accueil.

Je pense en particulier à l’amendement introduit en commission par le rapporteur sur les étrangers malades, qui revient à supprimer le dispositif législatif de 1998.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Noël Mamère. La régularisation pour raison médicale concerne actuellement les étrangers gravement malades qui ne peuvent bénéficier d'un traitement approprié dans leur pays d'origine. Cependant s'interroger sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé est dénué d'intérêt si l'on ne prend pas la peine de vérifier si l'étranger malade peut y avoir accès.

Du fait de la globalisation, les traitements existent partout dans le monde, à de rares exceptions près, mais ils ne sont pas toujours accessibles : les obstacles financiers, l'état sanitaire des pays, le nombre réduit de médicaments disponibles, l'insuffisante formation des professionnels de santé, l'absence de prise en charge et de suivi excluent, de fait, la majorité de la population d'un traitement approprié.

Si le traitement existe mais est inaccessible, les conséquences pour le malade sont les mêmes que s'il n'existait pas. Refuser le droit au séjour à des étrangers gravement malades vivant en France au motif que le traitement requis par leur état de santé existe dans le pays de renvoi revient à jouer avec leur vie.

La décision du Conseil d’État du 7 avril 2010 n'a fait que rappeler l'objectif de la loi, qui est de prendre en compte l'accès effectif des personnes aux soins, et n'est donc pas de nature à modifier profondément le nombre de cartes de séjour délivrées ni à faire peser sur le système français de santé une obligation déraisonnable. Je rappelle, monsieur le rapporteur, que, selon les dernières données disponibles, datant de fin 2008, le nombre d’étrangers régularisés pour raisons médicales a été de 28 460 personnes, soit 0,8 % des 3,5 millions d’étrangers en France.

La migration pour raisons médicales reste donc une exception. L’immense majorité des personnes concernées découvrent leur maladie à l’occasion d’un examen médical pratiqué en France alors qu’elles y résident déjà. La disposition introduite par le rapporteur est inhumaine et le Gouvernement s’honorerait de la supprimer.

Mme Catherine Coutelle. Tout à fait !

M. Noël Mamère. Dans la liste des dispositions contraires à notre tradition, figurent, bien sûr, les nouvelles mesures de déchéance de la nationalité, qui étaient au cœur de la surenchère du discours de Grenoble.

Le Président de la République semble avoir oublié que notre République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine ». Ce principe est si fondamental qu’il figure dans le tout premier article de la Constitution française, notre loi fondamentale. En conséquence, tous les Français sont égaux devant la loi, quelles que soient leur origine, qu’ils soient français de naissance ou par acquisition.

Le raisonnement présidentiel ressemble à si méprendre, malheureusement, à la distinction opérée par l’extrême droite entre ceux qu’elle appelle les vrais Français et les Français de papier.

Malgré sa Constitution, notre pays, comme l’Europe, a connu des heures noires, marquées par des déchéances massives de nationalité dans la première moitié du XXsiècle.

M. Claude Goasguen. Il y avait longtemps !

M. Noël Mamère. Elle est tenue par des engagements internationaux, puisqu’elle a signé la convention du Conseil de l’Europe qui ne permet pas la déchéance pour des motifs de droit pénal général.

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. » La déchéance de la nationalité ne saurait être considérée comme une sanction nécessaire en ce sens. Là encore, il me semble que le Gouvernement s’engage sur un chemin glissant et dangereux.

Enfin, il y a l’interdiction de retour.

Cette trouvaille juridique, inspirée par la directive « Retour », représente un véritable bannissement. Cette mesure pourra être prise en même temps qu’une obligation de quitter le territoire français. Elle pourra même concerner des personnes vivant depuis des années sur notre territoire, y ayant des attaches familiales, éventuellement mariées à des Français. Les personnes faisant l’objet de l’interdiction de retour seront fichées au système européen d’information Schengen. Cette disposition figure certes dans la directive, mais, là encore, vous avez décidé de vous dispenser de conserver plusieurs des protections prévues par le texte, telles les possibilités de recours suspensif, la protection de certaines catégories de personnes ou l’existence de règles d’abrogation ou d’annulation de la mesure.

Le durcissement extraordinaire, brutal, des politiques contre les migrants aurait, d’une certaine façon, pu s’accompagner d’une plus grande ouverture dans l’accès à la nationalité. Malheureusement, il n’en est rien. Au fil des réformes, les délais d’acquisition de la nationalité française par les conjoints ou conjointes, par exemple, ont été considérablement allongés. Quatre ans après le mariage pour déposer la demande, un an pour l’enregistrer, deux ans pour une éventuelle opposition du Gouvernement : c’était sans doute trop peu. Votre texte ajoute donc une année au délai d’enregistrement, ce qui fait huit ans d’attente en tout.

Ce texte instaure par ailleurs ce que l’on pourrait appeler une gestion industrielle des expulsions, que vient de confirmer la construction des nouveaux centres de rétention 2 et 3 du Mesnil-Amelot. Plusieurs sénateurs et députés, dont ma collègue Anny Poursinoff et moi-même, ont visité le centre de rétention administrative numéro 1 du Mesnil-Amelot : il est loin d’être plein, puisqu’il n’accueillait que soixante-huit personnes. Mais votre cabinet, monsieur le ministre, a refusé que nous visitions, à 800 mètres de là, les nouveaux bâtiments Mesnil-Amelot 2 et 3, sous prétexte qu’ils étaient encore en travaux et inoccupés, et que, en pénétrant dans ces lieux qui ressemblent de plus en plus à des prisons, les parlementaires auraient pris des risques pour leur sécurité.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ils étaient en travaux !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ils étaient inoccupés !

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, ce n’est pas très républicain de votre part d’interdire à des parlementaires de visiter des lieux de privation de liberté.

Mme Sandrine Mazetier. Absolument !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration et M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis. Des chantiers !

M. Noël Mamère. Vous savez très bien que la loi nous autorise à le faire.

Vous dites que ce sont des chantiers, mais nous nous sommes rendus devant ces bâtiments. Il nous a paru que le chantier était complètement terminé. Il nous a d’ailleurs été dit qu’il y avait un petit problème, que l’on avait posé des portes blindées devant les douches, que cela ressemblait trop à une prison et qu’il fallait les changer.

Je vois derrière vous, monsieur le ministre, un membre de votre cabinet qui rigole. Tout fonctionnaire que vous êtes au côté du ministre, monsieur, je ne vous autorise pas à hocher la tête lorsque je dis des vérités. (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ce n’est pas correct !

M. François de Rugy. Il y a le devoir de réserve, ici à l’Assemblée !

M. Noël Mamère. Ce monsieur est en effet soumis à l’obligation de réserve. Les seuls qui puissent réagir, ce sont M. le ministre ou M. le rapporteur. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Arnaud Robinet, rapporteur pour avis. C’est lamentable !

M. Noël Mamère. J’en ai assez de voir des collaborateurs de ministres – car ce n’est pas la première fois qu’ils nous font le coup – réagir à ce que nous disons à la tribune de l’Assemblée. Il faut croire que le pouvoir a accaparé tous les rouages de nos institutions et qu’il peut tout se permettre, y compris que des fonctionnaires sortent de leur obligation de réserve. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – « Provocateur ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. François de Rugy. Ce monsieur devrait sortir de l’hémicycle !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Mamère.

M. Noël Mamère. J’attends, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des explications plus complètes et plus véridiques sur les raisons qui vous ont conduit à nous empêcher de visiter ces centres de rétention. J’incite mes collègues de droite, qui ont également cette possibilité, à être vigilants, à aller voir ce que sont les conditions de vie dans ces centres et à rencontrer ces gens qui sont en quelques sortes des « damnés de la terre », comme les appelait Frantz Fanon.

En vous affranchissant des garde-fous et des limites fixées par des textes que vous prétendez transposer, vous fragilisez de manière extraordinaire la situation des migrants, vous les privez de leurs droits les plus élémentaires, vous trahissez la longue tradition d’accueil de notre République. Les libertés qui ont été prises avec les textes des directives, dont vous ne conservez que le caractère répressif et jamais les protections, pourraient conduire la France à se retrouver dans le collimateur de la Commission, comme c’est le cas aujourd’hui pour mauvaise transposition d’une législation de 2004 sur la libre circulation des citoyens.

Bref, vous nous proposez ce texte dans un climat délétère (Murmures sur les bancs du groupe UMP), dans une France qui pue. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Je suis à la tribune de l’Assemblée, j’ai le droit de dire ce que je veux et d’affirmer mes convictions ! (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Lionnel Luca. Incroyable !

M. Noël Mamère. J’espère que notre pays n’est pas mithridatisé à force de s’être fait inoculer le poison du refus de l’autre…

M. Jean-Michel Fourgous. Vous abaissez la fonction parlementaire !

M. Noël Mamère. …à force de s’inventer des boucs émissaires : hier les étrangers, les sans-papiers, avant-hier les Roms et aujourd’hui les migrants. (Bruits continus sur les bancs du groupe UMP.)

J’espère que les politiques responsables, attachés à quelques valeurs républicaines, qu’ils soient de droite ou de gauche, éveilleront l’esprit des Français, et que vous le paierez le jour où vous viendrez devant les électeurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je ne reviendrai pas sur tous les propos tenus par Noël Mamère, mais je tiens à lui répondre sur un ou deux points, dont le premier est anecdotique.

Monsieur Mamère, si vous n’avez pas pu visiter les centres du Mesnil-Amelot 2 et 3, c’est tout simplement parce que, comme vous l’avez dit, ils sont vides pour le moment et encore en travaux. Mon cabinet n’a pas jugé opportun que vous visitiez des centres de rétention en travaux.

Mon directeur de cabinet et préfet m’a demandé de vous transmettre toutes ses excuses. En effet, lorsque vous avez déclaré que les douches avaient des portes blindées, il n’a pu réprimer un sourire. Je ne l’ai pas pu non plus ; j’en avais le droit, il ne l’avait pas. Excusez-le, il ne le fera plus.

En ce qui concerne votre conclusion, je me demande si vous vous rendez compte, vous qui êtes représentant du pays, de ce que cela signifie de parler du haut de cette tribune de « la France qui pue ».

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est scandaleux !

M. Daniel Mach. C’est minable !

M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Peut-être y a-t-il là un clivage entre nous. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Pour notre part, nous voulons défendre la fierté d’être français et rétablir l’équilibre des droits et des devoirs. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Mach. M. Mamère n’aime pas la France ! Voilà la vérité !

M. François de Rugy. Ça suffit !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je regrette, que, dans son intervention, Noël Mamère ait cédé à la tentation de la caricature et des postures.

Mme Marie-Josée Roig. C’est son fonds de commerce !

M. Thierry Mariani, rapporteur. De fait, son intervention a caricaturé tout ce qu’il était humainement possible de caricaturer.

En introduction, je vais citer un paragraphe de l’entretien qu’a accordé M. Jean-Pierre Garçon, chef de la division des migrations internationales à l’OCDE, à un grand journal du soir

M. Noël Mamère. Je l’ai lu !

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est bien !

M. Noël Mamère. Oui, parce que je sais lire en plus !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il dit : « La France est globalement parmi les premiers pays d’accueil pour les demandeurs d’asile. La durée de rétention y est aussi la plus courte d’Europe. Le nombre des expulsions n’est pas non plus très élevé, mais, en fait, ce n’est pas le plus important. Il y a des tas de lobbies qui défendent les droits particuliers des migrants et qui en font des combats essentiels, mais ils ont souvent des propositions peu réalistes sur la libre circulation. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

On ne saurait mieux résumer l’attitude d’une partie de la gauche française, qui constitue en effet une exception en Europe. De très nombreuses démocraties ont su parvenir à un véritable consensus sur ce dossier.

Monsieur Mamère, je veux insister sur trois points, et vous parler d’abord des centres de rétention.

J’ai conduit une mission, il y a un an et demi, dont étaient membres M. Braouezec, M. Blisko et Mme George Pau-Langevin. Franchement, nous n’avons pas à rougir de nos centres de rétention. Il fut un temps, en effet, où ils étaient une honte pour la France.

M. Daniel Mach. À leur époque !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je ne voudrais pas polémiquer, mais c’était peut-être dû à l’état dans lequel la gauche nous les avait laissés. (Approbations sur les bancs du groupe UMP.) Aujourd’hui, les centres de rétention ont été refaits dans leur quasi-totalité.

Monsieur Mamère, citez-moi un seul État européen qui donne 4 millions d’euros d’argent public à des associations d’aide aux migrants ; je pense, bien entendu, à la CIMADE, mais aussi à d’autres associations présentes dans les centres de rétention. Je n’en connais pas d’autre que la France. Évidemment, il n’est jamais agréable, pour un étranger, de passer dans un centre de rétention et d’être reconduit dans son pays, mais ce rapport a montré que, parmi les pays européens, la France agissait de la manière la plus humaine possible.

Deuxièmement, je sais que tous les débats sur les lois d’immigration sont propices à la caricature. Je voudrais donc être très clair sur deux points que vous avez évoqués : l’aide médical d’État et la carte d’étranger malade.

En ce qui concerne l’AME, le texte ne propose aucun changement dans l’immédiat. Il faudra que nous ayons un vrai débat sur l’AME…

M. Serge Blisko. Nous l’aurons !

M. Thierry Mariani, rapporteur. …qui représente 600 millions d’euros. Pour l’heure, le rapporteur que je suis vous propose simplement de faire en sorte qu’il y ait un guichet unique pour déposer les dossiers. Vous savez aussi bien que moi que, aujourd’hui, on compte quatre guichets, qu’aucun contrôle n’est possible et que cela peut être la source de bien des fraudes.

Je ne change rien au panier de soins, je ne change rien aux conditions pour en bénéficier. Simplement, au lieu de déposer son dossier dans des associations caritatives, dans un bureau d’aide sociale départemental, dans un bureau d’aide sociale communal ou dans une caisse d’assurance maladie, l’intéressé ne pourra plus s’adresser qu’à un seul guichet. Pardonnez-moi de vous faire remarquer que c’est déjà la situation pour tous les Français ou pour tous les étrangers en règle. Il n’est tout de même pas normal qu’il y ait quatre guichets et que cela puisse favoriser toutes les fraudes.

Ensuite, je veux être très clair sur un dossier à propos duquel je sais pertinemment que nous allons être caricaturés. Remettons-nous en question la carte d’étranger malade ? Non. Je propose simplement d’en rester à l’interprétation qui a prévalu pendant treize ans. Vous l’avez dit, le 7 avril 2010, une jurisprudence du Conseil d’État a décidé de changer le périmètre de la carte d’étranger malade.

Selon la loi Chevènement – que vous avez votée et que nous avons combattue, mais que nous avons appliquée –tout étranger sur notre sol pouvait prétendre à une carte d’étranger malade s’il n’avait pas effectivement accès aux soins. Tout est dans l’adverbe « effectivement ». De 1998 au 7 avril 2010, l’interprétation qui en a été faite a été la suivante : si les médicaments n’existaient pas dans le pays, la personne n’avait effectivement pas accès à la carte. C’est ce que la gauche a appliqué quand elle était au pouvoir, et nous avons fait de même.

Le 7 avril 2010, le Conseil d’État a modifié sa jurisprudence. J’ai la faiblesse de croire que les lois sont faites ici et que ce n’est pas aux juges d’en changer radicalement l’application. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Certains, parmi vous, essaient de caricaturer ce que nous proposons aujourd’hui. Il ne s’agit pas du tout de ne plus soigner les étrangers, mais d’en revenir à la jurisprudence qui a été appliquée pendant douze ans par la gauche comme par la droite. C’est ici que se fait la loi. Je veux bien qu’on la change, mais c’est dans l’hémicycle qu’il faut le faire, et non pas au détour d’une jurisprudence du Conseil d’État. Évitons les caricatures.

Je sais – pour l’avoir vécu à propos d’un autre amendement – que rien n’est plus facile, mais vous ne m’aurez pas une deuxième fois !

La majorité entend soigner humainement tous les étrangers malades qui sont en France, mais, comme l’avait dit en son temps un Premier ministre de gauche, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

M. Daniel Mach. À l’époque, c’était passé sans problème !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je ne pense pas que la sécurité sociale française puisse soigner toute la misère du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Ou alors il faudra dire aux Français, quand on déremboursera des médicaments ou qu’on réduira certaines prestations de la sécurité sociale, que cela s’impose pour préserver l’équilibre, certaines prestations ayant été ouvertes trop largement. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Éric Diard, pour le groupe UMP.

M. Éric Diard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je demande que l’on entre dans le débat d’idées, que l’on discute. Nous attendons sereinement les propositions alternatives de l’opposition.

M. Daniel Mach. Il n’y en a pas !

M. Éric Diard. Nous voulons qu’on arrête les cris et les anathèmes.

M. Daniel Mach. Il faut aimer la France !

M. Éric Diard. Je n’ai rien entendu dans ce qu’a dit M. Mamère qui justifie un renvoi en commission.

M. Mamère a des problèmes d’odeur, je l’ai noté. Il a commencé son discours en disant que ce texte « pue le cynisme et la démagogie » pour finir en affirmant que nous vivons dans une « France qui pue ». (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur Mamère, lorsque je suis dans un endroit malodorant, moi, je le quitte ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP. – Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Noël Mamère. Et vous seriez apatride !

M. Éric Diard. Ces propos sont intolérables dans l’hémicycle. En rupture avec ceux-ci, je vous invite, pour ma part, à un vrai débat de fond sur l’intégration et la nationalité. C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, de repousser la motion de renvoi en commission défendue par M. Mamère. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe SRC.

M. Christophe Caresche. M. le ministre a abondamment fait référence à des personnalités de gauche : Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement, Paul Quilès, Daniel Vaillant. Effectivement, ce ne sont que des gens très bien, et – je l’ai noté – aucun ministre de droite ne figure dans son panthéon. Il est vrai que c’est la gauche qui, sur ces questions, a essayé, ces dernières années, d’apporter un certain nombre de réponses à la fois réalistes et respectueuses de l’État de droit.

M. Jean-Michel Fourgous. Pour quel résultat !

M. Jean-Michel Ferrand. Cela n’a pas été probant !

M. Christophe Caresche. C’est vrai, c’est la gauche qui a créé les centres de rétention car, à l’époque, les étrangers allaient en prison.

C’est vrai, c’est la gauche qui a créé les zones d’attente car, à l’époque, il n’existait pas de statut juridique pour les étrangers retenus.

C’est vrai, c’est la gauche, monsieur Besson, qui a élaboré la loi RESEDA, et vous l’aviez votée à l’époque ; il s’agissait de mettre fin, par des solutions d’apaisement et d’équilibre, des solutions humaines, à la scandaleuse situation qui était celle des sans-papiers après l’expulsion de l’église Saint-Bernard.

Ne doutez pas, monsieur le ministre, que nous serons, dans l’avenir, fidèles à cet acquis, fidèles à cet héritage. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Il est également vrai, monsieur le ministre, que, depuis 2002, nous avons précisément assisté à un démantèlement, à une remise en cause de cet héritage et des progrès que nous avaient permis d’accomplir des gouvernements de gauche. Depuis 2002, notamment par le fait de Nicolas Sarkozy, six textes ont été examinés dans cet hémicycle, qui ont profondément remis en cause le cadre législatif du droit des étrangers et du droit de l’éloignement. Il ne reste aujourd’hui pas grand-chose des acquis de Lionel Jospin et de Jean-Pierre Chevènement.

Contrairement à ce que vous essayez de faire croire, vous n’êtes pas, monsieur le ministre, l’héritier de Lionel Jospin ou de Jean-Pierre Chevènement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Mach. Dieu merci !

M. Christophe Caresche. …vous êtes le dernier avatar du sarkozysme.

Depuis 2002, nous assistons à une instrumentalisation sans précédent, à une stratégie de la tension. Tout cela a mené à une politique qui a pour nom arbitraire, notamment en matière de régularisations, et inefficacité, car la politique du chiffre que vous menez en matière d’expulsions est un véritable fiasco, à la fois pour les juridictions, pour la police et pour les étrangers. Cela se traduit également par un véritable recul du droit, car vous n’avez cessé de rogner les garanties procédurales et juridiques des immigrants.

Cette politique, monsieur le ministre, est aujourd’hui contestée au-delà de nos frontières. Elle est contestée par les institutions européennes (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Myard. Et alors ?

M. Christophe Caresche. …et je vais le démontrer.

Précisons auparavant que, s’agissant de la directive « Retour », vous n’êtes pas bien informé.

M. Bernard Roman. Il est bien informé mais il ment !

Mme Pascale Crozon. C’est une habitude !

M. Christophe Caresche. Si 369 parlementaires européens ont voté pour cette directive, les 197 qui ont voté contre se recrutaient bien au-delà des rangs des parlementaires socialistes français : il y avait notamment des Italiens, des Portugais, des Allemands, des Grecs, des Suédois, des Finlandais, des Bulgares, des Roumains. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Et les Espagnols ?

M. Daniel Mach. Et la France ? Vous en faites quoi de la France ?

M. Christophe Caresche. L’opposition à la directive excédait donc largement la délégation française du groupe socialiste.

La vérité, monsieur le ministre, c’est que ce ne sont pas les socialistes français qui sont isolés sur le plan européen : c’est le Gouvernement français. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Lorsque la Commission européenne lui demande des comptes sur la manière dont il a expulsé, cet été, les Roms, c’est le Gouvernement français qui est isolé. De même est-il isolé lorsque la Commission européenne lui demande des comptes sur la manière dont il a transposé la directive « libre circulation ».

N’en doutez pas, monsieur le ministre, la Commission européenne vous demandera également des comptes sur la manière dont vous allez transposer la directive « Retour ». Nous en ferons la démonstration au cours de ce débat : vous ne respectez ni le droit européen ni les principes retenus par le Parlement européen lors de l’adoption de cette directive. En fait d’isolement, c’est bien vous et le Gouvernement français qui êtes sur la sellette.

M. Christian Jacob. On assume !

M. Christophe Caresche. Nous verrons demain si la Commission décidera finalement de traduire la France en manquement devant la Cour européenne de justice. Nous verrons alors quelle est la situation de la France.

En tout cas, lors du vote au Parlement européen, la résolution qui a condamné la France a, elle, réuni une majorité, qui allait largement au-delà des rangs des socialistes européens. Ainsi le Parti libéral et M. Verhofstadt s’y sont-ils associés, non sans employer des mots extrêmement durs pour la politique française.

C’est donc vous, monsieur le ministre, et le Gouvernement français qui êtes aujourd’hui en difficulté. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anny Poursinoff, pour le groupe GDR. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Anny Poursinoff. Je sens que ma prise de parole suscite un enthousiasme auquel je ne m’attendais pas. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, seule Mme Poursinoff a la parole.

Mme Anny Poursinoff. La fierté d’être Français, nous l’éprouvons, mes chers collègues, lorsque nous sommes exemplaires en matière de droit des personnes, et vous n’êtes pas exemplaires !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Si, nous sommes exemplaires !

Mme Pascale Crozon. Est-ce être exemplaire que d’être condamné par tout le monde ?

Mme Anny Poursinoff. Nous éprouvons aussi cette fierté lorsque nous ne considérons pas que l’étranger pauvre – je ne parle pas de l’étranger riche, qui aura même droit à une carte spéciale – est obligatoirement un délinquant.

Le discours de Noël Mamère n’était pas du tout caricatural il était admirable, et je suis très fière d’appartenir au même groupe que lui. Je ressentais profondément les propos qu’il a tenus.

Je ne parlerai pas aussi bien que lui, je n’en suis pas capable, mais il a tenu des propos profondément humanistes, dont je le remercie énormément. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nouvelle députée, j’ai le droit de parler, tout de même !

Plusieurs députés du groupe UMP. Noël ! Noël !

Mme la présidente. Mes chers collègues, s’il vous plaît, seule Mme Poursinoff a la parole pour l’instant.

M. Lionnel Luca. C’est le fan-club de Noël Mamère !

Mme Anny Poursinoff. Noël Mamère a rappelé que nous nous nous sommes rendus hier dans un centre de rétention. C’était la première fois que j’en visitais un et j’ai été profondément choquée : il s’agissait d’une véritable prison, avec des tables et des bancs en fer, même si les portes n’étaient pas fermées à clef. (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Bruits ininterrompus.)

Il était extrêmement dur pour moi de visiter un endroit où des gens sont privés de liberté pour avoir commis l’énorme faute d’être étrangers. C’est effectivement sur ce seul critère qu’ils sont là.

Certes 70 % ou, peut-être, 80 % d’entre eux ressortiront libres de cet endroit. Qu’attend-on pendant leur rétention ? On attend que leur pays d’origine dise s’il les reconnaît, oui ou non, comme ses ressortissants ; on attend de savoir s’ils auront un visa. Cela justifie-t-il la prison ? Pour cette seule raison, vous les punissez, pendant trente-deux jours, et vous voulez maintenant porter cette durée jusqu’à quarante-cinq jours : c’est indigne !

Vous nous avez assuré qu’on soignait tout le monde, mais nous avons rencontré, dans ce centre de rétention, un monsieur atteint d’un grave problème rénal, qui séjournait en France depuis vingt et un ans. Il a effectivement vu un médecin, mais celui-ci ignorait qu’on le mettait aujourd’hui dans l’avion ! Que va devenir cet homme, gravement malade ? Est-ce de l’humanitaire ? Aurait-on des raisons d’être fier d’être français dans de telles conditions ? Non ! On est fier d’être français lorsque l’on est proche des gens, lorsque l’on est ouvert, lorsque l’on ne construit pas une forteresse. La forteresse Schengen, la forteresse européenne ne vous suffisent pas, et il vous faut une forteresse en France ! Je ne suis pas fière de cela. Je suis en revanche fière de voter contre ce projet qui aurait effectivement dû retourner en commission pour que l’on puisse trouver de meilleures solutions.

Vos propositions ne sont pas bonnes, nous ne pourrons pas les soutenir, vous le savez très bien. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Un député UMP. À dégager ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. Je vous en prie.

5

Opposition à la discussion d’un texte en procédure d’examen simplifié

Mme la présidente. J’informe l’Assemblée que M. le président du groupe de la gauche démocrate et républicaine a fait opposition à la discussion selon la procédure d’examen simplifiée du projet de loi n° 2587 autorisant l’approbation de l’accord entre la France et Antigua et Barbuda relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)