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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Séance du jeudi 22 décembre 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing

1. Répression de la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi

Mme Valérie Boyer, rapporteure

M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

Mme Monique Boulestin

M. François Rochebloine

M. Jean-Paul Lecoq

M. Renaud Muselier

M. René Rouquet

M. Christian Estrosi

M. Dominique Souchet

Mme Sylvie Andrieux

M. Michel Diefenbacher

Mme Pascale Crozon

M. Richard Mallié

M. Henri Jibrayel

M. Éric Raoult

M. François Pupponi

M. Patrick Devedjian

M. Patrice Calméjane

Discussion des articles

Article 1er

M. Jean-Philippe Maurer

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Lionel Tardy

M. Bruno Le Roux

M. Jacques Myard

M. Jean Bardet

M. François Bayrou

M. Dominique Raimbourg

Amendement no 5

M. Lionel Tardy

Mme Valérie Boyer, rapporteure

M. Patrick Ollier, ministre

M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Luc Reitzer

M. Claude Goasguen

M. Jean Glavany

M. Bruno Le Roux

M. François Pupponi

M. Dominique Dord

M. Jean-Christophe Lagarde

Amendement no 6

M. Christian Vanneste

Amendement no 7

M. Lionel Tardy

Amendement no 8

Article 2

M. Jean-Philippe Maurer

M. Henri Jibrayel

Amendements nos 9, 1

Après l'article 2

Amendements nos 10, 4

M. Jacques Remiller

Explications de vote

M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Renaud Muselier

Vote sur l’ensemble

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Répression de la contestation
de l’existence des génocides
reconnus par la loi

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi (n° 4035).

Je souhaite que ce débat se déroule dans la sérénité et la dignité.

C’est pourquoi je rappelle au public installé dans les galeries et tribunes qu’il doit rester assis et silencieux. Il ne peut en aucun cas manifester des marques d’approbation ou de désapprobation à l’égard des propos tenus par les orateurs qui s’expriment dans l’hémicycle.

Mes chers collègues, je vous rappelle également que vous ne devez en aucune manière vous adresser au public.

La parole est à Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, notre assemblée est réunie aujourd’hui pour examiner la proposition de loi que j’ai déposée le 18 octobre dernier et qui visait, dans sa rédaction originelle, à transposer la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’Union européenne sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie afin de pénaliser la contestation de l’existence du génocide arménien. Mais, aujourd’hui, nous ne sommes pas réunis ici pour voter une loi mémorielle. Il s’agit d’examiner un texte de coordination législative.

Avant tout développement complémentaire, je voudrais remercier les nombreuses délégations qui sont présentes dans les tribunes et qui sont des témoins vivants.

M. Jean-Paul Lecoq. Il faudrait savoir ! Le président vient de rappeler qu’on ne doit pas s’adresser au public !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Mais on peut le remercier ! Je voudrais aussi leur dédier nos travaux de ce jour.

Permettez-moi maintenant de vous exposer les raisons qui m’ont poussée à déposer cette proposition de loi. Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait le principe selon lequel la France « reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Ce principe devint officiellement une loi de la République le 29 janvier 2001, avec la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. En reconnaissant l’existence du premier génocide du XXsiècle, la République française redonnait symboliquement au génocide arménien une place dans la mémoire collective de l’humanité.

Mais si la reconnaissance a pu être considérée comme un achèvement pour certains, à mon sens il fallait aller plus loin. Un travail législatif important restait donc à réaliser afin de tirer toutes les conséquences de cette reconnaissance, c’est-à-dire la pénalisation du négationnisme.

C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien a été déposée à l’Assemblée nationale et adoptée le 12 octobre 2006, soutenue par le sénateur-maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, qui s’est toujours énormément impliqué dans ce combat, ainsi que par de nombreux parlementaires, marseillais notamment, de droite comme de gauche.

M. François Rochebloine et M. Bernard Deflesselles. Très bien !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Malheureusement, ce texte n’a jamais été examiné par la Haute assemblée en raison de l’absence de majorité, de gauche comme de droite. C’est d’ailleurs ce que nous avons pu tristement constater le 4 mai dernier, lorsque le Sénat a rejeté une initiative parlementaire similaire par l’adoption, à l’unanimité des membres de la commission des lois, d’une exception d’irrecevabilité soutenue notamment par Robert Badinter.

À cet instant, j’ai pensé que nous avions perdu une bataille, mais pas la guerre, contre le négationnisme, et qu’il était de notre devoir de proposer une nouvelle solution législative. Constatant le rejet du Sénat, qui paraissait insurmontable, je me suis engagée à poursuivre le combat, en tant que vice-présidente du groupe d’amitié France-Arménie, et avec le soutien sans faille d’éminentes personnalités, dont le président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, notre collègue Guy Teissier.

Lors d’une réunion à Marseille, j’ai annoncé que je déposerais un nouveau texte juridiquement plus solide. C’est ce que j’ai fait en m’appuyant sur les travaux d’un avocat marseillais, maître Philippe Krikorian, que je tiens à féliciter. Aujourd’hui, je me réjouis que le Gouvernement ait trouvé un espace pour cette initiative parlementaire dans l’ordre du jour de notre assemblée, de façon à ce que ce texte puisse être adopté avant la fin de la législature.

Il s’agissait d’ailleurs d’une promesse que le Président de la République avait faite lors de son dernier voyage en Arménie, auquel j’ai eu l’honneur de participer, avec le président du groupe d’amitié, ici présent aujourd’hui. Je constate une fois de plus que la promesse a été tenue, malgré les pressions et les menaces incompréhensibles de la part de certains pays, sur lesquelles je reviendrai.

Cette proposition a été cosignée par cinquante députés. Je tiens à remercier plus particulièrement devant vous Roland Blum, Guy Teissier et Patrick Devedjian, qui ont été les premiers à le faire. Ma proposition de loi visait à transposer une décision européenne dont l’objectif est de faire en sorte que les infractions racistes et xénophobes soient passibles dans tous les États membres d’un niveau minimum de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives – en l’occurrence, un an d’emprisonnement au minimum et trois ans au maximum.

La principale innovation du texte consistait à pénaliser la négation des crimes de génocide, et cela – permettez-moi d’y insister – dans un cadre bien précis, en l’espèce lorsque le comportement est exercé de manière à inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe. C’est sur ce dernier point que la loi française doit être mise en conformité avec le droit européen et c’est tout l’objet de la proposition de transposition partielle que je vous soumets aujourd’hui.

Au terme d’un travail très consensuel que nous avons mené à la commission des lois – et je voudrais à cet égard féliciter les collègues des différents bancs de l’Assemblée pour leur attitude républicaine –, ma proposition de loi a été amendée avec ingéniosité par le président Jean-Luc Warsmann, pour bien circonscrire le dispositif légal aux seuls crimes de génocide reconnus par la loi française et ainsi ne pas ouvrir la boîte de Pandore, c'est-à-dire l’élargir à l’ensemble des crimes contre l’humanité ou crimes de guerre dont la reconnaissance reste encore fragile ou discutable.

Intitulée désormais « proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi », elle est composée de deux articles.

Le premier consiste, par la création d’un article 24 ter dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à pénaliser les personnes qui auront contesté ou minimisé de façon outrancière l’existence des crimes de génocide définis par l’article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française. Cet article permet donc de punir pénalement les personnes qui contestent en France le génocide reconnu par la loi du 29 janvier 2001. Les peines encourues sont décrites dans le présent texte.

Le second article ouvre le droit aux associations défendant les intérêts moraux et l’honneur des victimes de génocide, comme le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, d’agir en justice pour faire reconnaître les infractions prévues à l’article premier, à savoir la contestation ou la minimisation outrancière des crimes de génocide. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement pour consolider ce texte.

Mes chers collègues, à l’heure où le Président de la République, interrogé sur la nécessité pour la France de faire adopter une loi spécifique réprimant la négation du génocide arménien, répondait que « si la Turquie ne reconnaît pas le génocide arménien il faudra aller plus loin », cette proposition de loi offre une solution législative nouvelle et difficilement contestable puisqu’elle est inspirée du droit européen.

Je tiens à préciser qu’il ne s’agit en rien d’une loi mémorielle comme certains souhaitent le croire ou le faire croire. Il s’agit simplement d’une loi prévoyant de pénaliser ceux qui contestent, sur notre territoire, l’existence des génocides que nous avons reconnus nous-mêmes par la loi.

M. Dominique Tian. Très bien !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Vous le voyez, il ne s’agit absolument pas d’une loi dirigée contre la Turquie ; c’est une mise en cohérence avec la loi de 2001.

M. Jean-Paul Lecoq. Il faut aller plus loin !

M. Éric Raoult. Vous allez voter le texte, alors taisez-vous !

M. Jean-Paul Lecoq. Quel rapport ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Un peu de dignité, s’il vous plaît !

Puisque je vous parle de ce qui se passe aujourd’hui, permettez-moi d’exprimer ma consternation devant les pressions, voire les menaces qui ont été proférées par certaines autorités contre la France ces dernières semaines à la suite de l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour.

M. Jean-Christophe Lagarde. Scandaleux !

M. François Rochebloine. Inadmissible ! La Turquie fait pourtant partie du Conseil de l’Europe !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Nous n’acceptons pas de légiférer sous la contrainte. Dans cette affaire, je considère que les autorités qui se livrent à ces menaces sont irresponsables. Elles ne respectent pas la souveraineté de la France et le fonctionnement de nos institutions. C’est une très grave ingérence dans les affaires intérieures de notre République que de brandir la menace d’une rupture des relations diplomatiques ou, pire, de représailles économiques.

La représentation nationale démocratiquement élue ne légifère pas sous la menace d’un État, quel qu’il soit, qui plus est sur des sujets relatifs à la défense des droits de l’homme sur notre territoire. Ces méthodes archaïques, que je qualifie volontiers de diplomatie de la menace, n’honorent pas ce grand pays ami qu’est la Turquie et me renforcent dans ma volonté de voter ce texte pour protéger des personnes qui sont aujourd’hui françaises. Je suis persuadée, mes chers collègues, que vous l’affirmerez haut et fort en votant majoritairement ce texte qui n’est dirigé contre aucun pays.

Le génocide arménien est reconnu en Russie, au Canada, en Argentine, en Italie, en Suède et en Allemagne. Sa négation est pénalisée en Suisse, en Slovaquie, et elle le sera prochainement dans d’autres États.

M. Patrice Calméjane. Très bien !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Pourtant, aucun de ces États n’est menacé dans ses relations diplomatiques ou commerciales avec la Turquie.

Je tiens à rappeler que, l’année suivant l’adoption de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français, le volume des échanges commerciaux entre la France et la Turquie a connu une forte croissance. Les menaces proférées par les autorités étrangères envers la France ne furent pas appliquées. La situation actuelle étant sensiblement identique, il faut souhaiter qu’il en sera de même aujourd’hui, parce que ce pays est un partenaire de la France. J’appelle donc nos amis turcs à revenir à la raison et à faire preuve de tolérance vis-à-vis de ceux qui possèdent une lecture différente de l’histoire et souhaitent protéger sur leur territoire les ressortissants français et la mémoire des victimes.

M. Dominique Tian. Bravo !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je voudrais également rassurer les entrepreneurs français qui ont subi de très fortes pressions en leur rappelant que ce pays est membre de l’Organisation mondiale du commerce et qu’il est lié à l’Union européenne par un accord d’union douanière, ce qui implique un traitement non discriminatoire à l’égard des entreprises de l’Union.

Mais revenons à notre sujet. La France possède une longue histoire avec le peuple arménien. Nicolas Sarkozy disait récemment : « L’Arménie est une sœur pour la France. » Nos relations vont au-delà de l’amitié. Ces liens très forts qui nous unissent, conjugués à la présence d’un grand nombre de Français d’origine arménienne dans l’hexagone, expliquent pourquoi nous sommes un moteur sur ces questions en Europe.

Les 600 000 Français d’origine arménienne, qui ont toujours témoigné un profond respect et une fidélité sans faille à la République, aspirent à vivre en toute quiétude et sérénité dans leur pays, la France. Or les manifestations négationnistes sur la voie publique, les destructions de monuments commémoratifs et la diffusion de propos révisionnistes dans la presse et sur internet se multiplient en toute impunité sur le territoire français.

J’ai ici à votre disposition une liste non exhaustive de nombreux actes négationnistes et profanatoires commis ces dix dernières années en France, auxquels s’ajoutent en permanence, sur les réseaux Facebook et Twitter, sur YouTube et autres publications de presse en langue française, des contestations souvent insultantes à l’égard des victimes du génocide arménien.

Ces actes bafouent la mémoire des victimes du génocide arménien et ajoutent de la douleur à celle déjà existante pour ces Français. Pour eux, je réclame la protection de la République contre cette insupportable agression morale.

À partir du moment où la loi Gayssot pénalise la négation de la Shoah et que la France a reconnu un deuxième génocide, celui des Arméniens de 1915, il est parfaitement normal que la négation de ce dernier soit également sanctionnée. J’insiste sur le fait que nous ne sommes pas dans un débat mémoriel mais sur une loi de coordination.

Grâce à la reconnaissance du génocide arménien par la France, nous avons franchi une première étape dans la voie du deuil. Avec la pénalisation de sa négation, qui empêche que certains puissent nier en toute impunité sur le territoire français les horreurs de 1915, le deuil pourra s’accomplir pleinement. Pour la mémoire des 1,5 millions d’Arméniens qui ont été massacrés ou déportés en 1915 – soit les deux tiers de la population arménienne vivant dans l’Empire ottoman à l’époque –, mais également pour leurs familles, pour leurs descendants, j’espère que nous irons au bout et que nous montrerons que la France reste à jamais le pays des droits de l’homme. C’est bien dans ce sens que j’inscris ma démarche et que je vous demande, mes chers collègues, à droite comme à gauche, de voter ce texte.

Il n’est pire crime pour la démocratie que l’oubli, et j’espère que nous serons tous unis dans ce débat pour la dignité humaine et les droits de l’homme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Éric Raoult. Madame la rapporteure, vous êtes une femme de cœur !

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chère Valérie Boyer, mesdames et messieurs les députés, je vous demande de bien vouloir excuser l’absence de M. le garde des sceaux, qui est, normalement, responsable de ce texte ; il assiste actuellement avec M. le Président de la République à une réunion concernant la lutte contre la drogue et la toxicomanie. Car nous sommes aussi en train d’agir contre ce genre de délit.

M. Bruno Le Roux. Tant mieux, car la situation est vraiment critique.

M. Jean-Paul Lecoq. Chacun choisit ses priorités !

M. Éric Raoult. Il s’occupe de l’affaire Guérini !

M. Patrick Ollier, ministre. J’entends bien, monsieur Raoult.

La question qui vous est soumise n’est pas nouvelle. Elle a été soulevée dans de très nombreuses propositions de loi déposées au cours des trois dernières législatures. Elle préoccupe de nombreux parlementaires, comme le démontre une nouvelle fois le texte déposé à l’initiative de Mme la rapporteure Valérie Boyer, qui vise à réprimer la contestation ou la minimisation outrancière des génocides reconnus comme tels par la loi.

Je dois dire que je suis surpris des réactions provoquées par ce débat, car il ne faut pas se tromper de débat. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans la discussion d’une loi mémorielle.

M. Richard Mallié. Exactement !

M. Patrick Ollier, ministre. Ces débats ont eu lieu il y a vingt-deux et douze ans déjà : en 1990 et en 2001. Je souhaite donc que l’on en revienne à l’objet de ce texte,…

M. Jean-Christophe Lagarde. De cet excellent texte !

M. Patrick Ollier, ministre. …qui n’est qu’un texte de coordination juridique tirant les conséquences d’un vide dans notre droit. Il convient donc d’aborder ce débat avec sagesse et calme, en veillant aux mots que l’on emploie, afin de ne heurter personne et, tout simplement, d’essayer de faire une bonne loi et du bon droit.

Je prends la pleine mesure de ce sujet qui peut partager la représentation nationale. En effet, il ne s’agit pas d’un débat simple, car ce texte – qui, je l’ai dit, vise à harmoniser notre droit – peut, pour certains, renvoyer à un débat de conscience. Je le comprends et l’admets tout à fait.

Dans cet hémicycle, la conscience pousse un certain nombre d’entre vous à s’exprimer. C’est ce qui donne de l’intensité à vos échanges. Soucieux de permettre le débat sur cette initiative récurrente, le Gouvernement a donc accepté l’inscription, ce jour, de la proposition de loi.

Je remercie, à cet égard, pour la qualité de leurs travaux, les membres de la commission des lois et son président, M. Jean-Luc Warsmann, qui ont fait évoluer la proposition initiale en prenant en compte les observations des uns et des autres, notamment du Gouvernement.

La proposition de la commission se présente désormais comme un texte global, qui ne cherche à viser personne en particulier. C’est un texte de principe : il ne s’agit pas de légiférer sur des problèmes historiques, mais seulement d’harmoniser notre droit pour combler un vide dans l’application de notre législation pénale.

En effet, à ce jour, deux génocides ont été reconnus comme tels par la loi : la Shoah, par la loi Gayssot du 13 juillet 1990, et le génocide arménien par celle du 29 janvier 2001. Seule la négation de la Shoah est pénalement réprimée, et le dispositif pénal qui sanctionne la négation du génocide juif n’est pas applicable à d’autres génocides. Voilà pourquoi cette proposition vient aujourd’hui à l’ordre du jour.

Certes, si notre droit ne permet pas, en l’état, de poursuivre et de sanctionner le négationnisme quand il vise d’autres génocides, d’autres qualifications pénales sont susceptibles de fonder la poursuite de tels propos. Car le négationnisme relève le plus souvent d’une logique de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, nationale ou religieuse, et de tels agissements sont systématiquement poursuivis par le ministère public. Le garde des sceaux a d’ailleurs adressé une circulaire aux parquets le 6 mai 2011, dans laquelle il rappelle la nécessité d’une réponse ferme et systématique aux infractions de cette nature.

Mais beaucoup plaident aujourd’hui pour que la négation de tous les génocides reconnus comme tels par la loi française soit également réprimée. C’est bien le seul objet de la proposition de loi qui vient en discussion aujourd’hui, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois.

La question de l’opportunité des lois mémorielles est un réel et vaste sujet auquel aucun parlementaire, aucun juriste ni aucun historien ne peut répondre de manière définitive. Le Gouvernement respecte toutes les opinions, qu’elles soient favorables ou défavorables, quant à l’opportunité de ces lois. Néanmoins, dans le cas présent, il ne s’agit pas, je le répète, de reconnaître ou de nier tel génocide mais bien de prévoir, ou non, une réponse pénale à la contestation ou à la minimisation d’un génocide déjà reconnu par la loi française. Ce texte ne vise donc personne en particulier ; il complète simplement notre législation pénale.

Mais, bien entendu, nul ne peut ignorer la réaction de nos amis turcs.

La Turquie est un grand pays, avec lequel nous souhaitons ardemment développer nos relations, qu’elles soient amicales, économiques ou culturelles. La Turquie joue un rôle stratégique dans sa région et au-delà. Nul ne le conteste. Le Gouvernement souhaite rappeler sa conviction que nos intérêts stratégiques communs, notre coopération pour la paix et la liberté en Syrie et en Afghanistan, notre appartenance commune à l’OTAN ou au G20, nos coopérations culturelles et économiques sont suffisamment forts pour surmonter les épreuves que peuvent traverser nos relations.

S’agissant du texte qui est proposé, je veux en revenir à son article premier. Cet article insère un nouvel article 24 ter dans la loi du 29 juillet 1881 concernant la presse, qui dispose que ceux qui auront contesté ou minimisé de façon outrancière l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide défini par l’article 211-1 du code pénal, et reconnus comme tels par la loi française, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, cette infraction pouvant être commise dans des réunions publiques, par affichage, par la distribution de tracts, mais aussi sur Internet.

L’article 2 vise, quant à lui, à élargir la capacité d’agir en justice des associations qui se proposent de défendre l’honneur des victimes de crimes de génocide. L’amendement de coordination déposé par Mme la rapporteure vise à permettre à ces associations d’agir en justice en ce qui concerne l’infraction prévue par l’article 24 ter de la loi du 29 juillet 1881, créé par l’article premier de la proposition de loi.

Tel est le dispositif législatif qui vous est aujourd’hui proposé. Le Gouvernement relève que cette proposition s’inscrit dans un mouvement d’ensemble – que je souhaite rappeler – qui vise à pénaliser les propos racistes ou xénophobes. Je veux insister devant les parlementaires qui m’écoutent sur le fait que ce texte n’a rien d’une initiative isolée.

Ainsi l’Union européenne a-t-elle adopté en 2008 une décision-cadre sur la pénalisation de certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Patrick Ollier, ministre. Ainsi douze États de l’Union européenne ont-ils d’ores et déjà adopté un dispositif de pénalisation, dont six visent la négation des génocides sans les nommer, comme le texte que nous étudions aujourd’hui.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Patrick Ollier, ministre. En France, ce sujet avait déjà fait l’objet de plusieurs propositions de loi par le passé. Il a donc déjà été débattu à l’Assemblée nationale et au Sénat.

L’innovation qu’introduit la proposition de loi en discussion, c’est qu’elle vise à combler une lacune de notre droit pénal en incriminant le négationnisme de tous les génocides reconnus comme tels par la loi française, sans en mentionner aucun expressément.

M. François Rochebloine. Et des crimes contre l’humanité.

M. Patrick Ollier, ministre. Par rapport aux textes précédents, elle a donc l’avantage de protéger et de rendre justice à la mémoire des uns sans heurter la sensibilité des autres, en particulier de ceux qui estiment qu’il n’appartient pas au Parlement de légiférer sur l’histoire. Ceci est, bien sûr, un autre débat.

Mesdames, messieurs les députés, nous sommes conscients du progrès que cette proposition de loi de Mme Boyer représente et des réponses qu’elle apporte à une partie de notre communauté nationale. Nous sommes aussi informés de la sensibilité que ce texte revêt pour d’autres, même si je rappelle que la France est un pays souverain, avec des valeurs et des convictions, qui légifère en toute indépendance.

M. Renaud Muselier. Exactement.

M. Patrick Ollier, ministre. En conséquence, je m’en remets à la sagesse de votre assemblée, et je sais qu’elle est grande ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Roux. Quel courage !

M. Renaud Muselier. Quelle sagesse !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Monique Boulestin.

Mme Monique Boulestin. Monsieur le ministre, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, le texte discuté aujourd’hui, comme cela vient d’être rappelé, a pour objet de pénaliser toutes celles et tous ceux qui, de manière outrancière, incitent à la haine et nient les génocides déjà reconnus par la France. Il est donc en cohérence avec les textes votés précédemment en ces lieux.

L’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ou d’une partie de groupe, pour des raisons ethniques, religieuses ou sociales, a durablement marqué l’histoire du XXe siècle. C’est pourquoi la communauté internationale, qui a longtemps aspiré à la création d’une cour internationale permanente, est enfin parvenue à la fin du XXe siècle à un consensus sur une définition du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Après les procès de Nuremberg et de Tokyo, qui ont jugé des auteurs de crimes commis pendant la Seconde guerre mondiale, des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda sont nés d’un autre consensus sur le refus de l’impunité. Puis la communauté internationale a franchi une étape historique lorsque cent vingt États ont adopté le Statut de Rome, fondement juridique de la création de la Cour pénale internationale permanente. Par cette création, il s’agit bien de mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale et, vous le savez, à ce jour, la Cour a ouvert une procédure d’enquête dans sept nouveaux cas.

Monsieur le ministre, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, ce matin, il ne s’agit ni de stigmatiser telle ou telle communauté ni de s’orienter vers une « victimisation généralisée du passé », pour reprendre l’expression de l’historien Pierre Nora,…

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

Mme Monique Boulestin. …ni même de rédiger une nouvelle loi mémorielle – car cela a été dit aussi –, mais bien de travailler pour l’avenir.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !

Mme Monique Boulestin. Permettez-moi une réflexion toute personnelle : native d’une région qui a vécu le terrible drame d’Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, je sais combien il est difficile de préserver la mémoire de ce passé douloureux et surtout d’en faire respecter la vérité historique : faute d’outils législatifs paraissent régulièrement des écrits négationnistes et révisionnistes qu’avec les derniers témoins et les associations, notamment d’anciens combattants, nous ne cessons de dénoncer et de poursuivre. C’est pourquoi nous souhaitons naturellement inscrire le massacre d’Oradour dans la liste des crimes contre l’humanité.

Mes chers collègues, même si les faits historiques ne sont pas comparables entre eux, et ne voyez aucune insulte dans mes propos, l’exemple que je viens de donner suffit à lui seul à faire comprendre que nous sommes bien, avec cette proposition de loi, dans une coordination juridique à partir de vérités historiques telles qu’elles découlent de témoignages et de travaux aux sources scientifiques incontestables et incontestées. Oui, l’histoire est une science, qui doit progresser avec les historiens et garder, notamment, la mémoire des génocides et autres crimes commis contre l’humanité.

En ce début du XXIe siècle, puissent les peuples d’Europe et d’ailleurs reconnaître les crimes de leurs aïeux ainsi que ceux perpétrés dans un passé plus proche : après l’Allemagne, la France s’emploie aussi à reconsidérer son héritage, et je pense notamment à la loi Taubira. Et ce doit être désormais le devoir d’inventaire de tous les peuples qui ont connu de sombres périodes, à l’instar de celles qui marquèrent la fin de l’Empire ottoman.

Le travail entrepris par le Parlement français, comme celui mené aujourd’hui par la Cour pénale internationale, constituera pour les nouvelles générations une source de réflexion indispensable pour une Europe enfin pacifiée qui doit unir les hommes et les femmes dans la reconnaissance d’une histoire enfin assumée et partagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. Éric Raoult. Sur ce sujet, il est bon !

M. Jean-Christophe Lagarde. Sur beaucoup de sujets ! Vous devriez l’écouter plus souvent.

M. le président. Seul M. Rochebloine a la parole.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, au moment où je prends la parole à cette tribune, j’éprouve un grand sentiment de satisfaction.

Satisfaction en effet de voir aboutir une revendication légitime exprimée depuis longtemps par la communauté des Français d’origine arménienne – mais pas seulement par cette communauté. Présent depuis des années à ses côtés, solidaire aussi des efforts du peuple arménien pour rebâtir après la chute du bloc soviétique un avenir commun, je comprends et je ressens la blessure qu’éprouvent les Arméniens face au déni systématique de la réalité de leur histoire.

M. Henri Jibrayel. Très bien !

M. François Rochebloine. Oui, il faut le redire et avec force, il y a eu en 1915, dans l’Empire ottoman déclinant, une entreprise délibérée de massacre et d’élimination programmée d’un peuple, le peuple arménien, par des troupes agissant sous les ordres du gouvernement Jeune-Turc d’un État devenu ensuite la Turquie.

Cela, ce n’est pas une assemblée politique qui le dit, ce sont les historiens, qui ont conduit leurs travaux selon les usages de leur discipline, en rassemblant sources et témoignages et en les soumettant à un examen critique.

L’Assemblée nationale, pour sa part, a fait son devoir quand elle a reconnu le génocide arménien au terme d’une longue et complexe procédure, dans un combat mené de façon pluraliste. Qu’il me soit permis de rendre un hommage particulier à celles et ceux qui ont œuvré tant d’années en faveur de cette reconnaissance.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. François Rochebloine. Je veux citer mes amis Jean-Christophe Lagarde, Roland Blum, René Rouquet, André Santini, qui ne peut être présent ce matin, et bien sûr Patrick Devedjian.

M. Éric Raoult. Et nous ? Nous ne sommes pas des amis ? C’est bien d’un centriste !

M. Renaud Muselier. Et nous, on n’est rien ?

M. François Rochebloine. Et tous les autres.

Rapporteur du texte adopté le 18 janvier 2001, je sais combien cette solidarité et cette fidélité de nombreux collègues de toutes sensibilités, comme au Sénat où les présidents des six groupes cosignèrent un texte commun, ont été déterminantes pour triompher des embûches et des retardements de procédure.

Déjà à l’époque, les autorités turques avaient exercé des pressions et brandi des menaces de rétorsions diplomatiques et économiques. C’était inadmissible hier, c’est inadmissible aujourd’hui.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. François Rochebloine. Périodiquement, le gouvernement turc suscite des manifestations sur notre territoire. Après avoir visé surtout la minorité kurde, ces agitations peu spontanées prennent pour cible, depuis une dizaine d’années, la reconnaissance du génocide arménien. De même, profanations de lieux de mémoire, de stèles, de monuments commémoratifs, déferlement de propos révisionnistes et négationnistes sur Internet se développent dans une totale impunité.

La France, État souverain et démocratique, ne saurait admettre de tels agissements, de telles manoeuvres, de telles ingérences. Faut-il le rappeler, la loi de 2001 n’est pas dirigée contre la Turquie. Elle est une affirmation de vérité, une expression de solidarité et de fraternité humaines.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !

M. François Rochebloine. La création d’une infraction pénale réprimant la négation du génocide est une conséquence de cette affirmation de vérité. Or l’exigence de vérité dans la connaissance de l’histoire est universelle.

C’est pourquoi, quand elle est jugée opportune, la répression des atteintes portées à cette vérité doit être, elle aussi, universelle. Le Président de la République ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait à Erevan, le 6 octobre dernier : « La Turquie, qui est un grand pays, s’honorerait à revisiter son histoire comme d’autres grands pays dans le monde l’ont fait, l’Allemagne, la France, on est toujours plus fort quand on regarde son histoire et le négationnisme n’est pas acceptable. »

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

M. Jean-Paul Lecoq. Il y a du boulot !

M. François Rochebloine. Il rappelait ainsi que la France, patrie des droits de l’homme, n’oubliait pas le génocide arménien et l’atteinte portée d’abord à la vie et à la dignité des victimes, mais aussi à l’honneur de toute l’humanité.

Oui, nous attendons de la Turquie ce geste de reconnaissance indispensable à la paix des peuples. Seul ce geste, hautement symbolique, peut permettre de refermer la page de cette première grande tragédie du XXe siècle.

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. François Rochebloine. En légiférant, notre Parlement confirmera le vote historique de 2001 et confortera la position de la France dans le concert des nations.

Je me félicite de voir le texte adopté par la commission des lois le 7 décembre dernier rejoindre des positions que j’ai pour ma part toujours défendues. Dès la première proposition de loi que j’ai déposée sur ce sujet, le 16 mai 1995, j’ai constamment demandé que la répression s’attache à la négation de tous, je dis bien de tous, les génocides et crimes contre l’humanité.

Notre assemblée a déjà pris position clairement dans le même sens, en se prononçant à une très large majorité, le 12 octobre 2006, en faveur d’une proposition de loi ayant le même objet. Hélas ! plus de cinq ans après ce vote, le Sénat n’a toujours pas commencé l’examen de ce texte.

La négation du génocide, quel qu’il soit, n’est pas réprimée parce qu’elle constituerait une atteinte à la qualité de la pensée universitaire ; il incombe en effet aux autorités universitaires, aux jurys, aux professeurs, d’y veiller, et le législateur n’a pas à intervenir sur ce terrain, même si le citoyen que je suis pense que, parfois, la vigilance des autorités académiques pourrait être plus grande.

La négation du génocide doit être réprimée toutes les fois qu’elle constitue une atteinte à l’ordre public démocratique, ce qui n’est pas possible aujourd’hui en l’état actuel du droit. Il y a un trouble, une atteinte grave à la démocratie quand on nie l’existence des pratiques génocidaires. En effet, ces pratiques sont manifestement contraires aux droits de l’homme tels qu’ils sont reconnus par les sociétés civilisées et constatés dans des déclarations universelles obligatoires en droit international. En niant leur caractère de génocide, on affaiblit du même coup la portée de ces déclarations de droits et des garanties qu’elles présentent pour les citoyens. On porte ainsi atteinte à la démocratie elle-même. Cela ne peut être toléré par une société soucieuse de son avenir et de sa cohésion dans le respect des libertés fondamentales.

Faut-il ajouter qu’il n’y a aucune automaticité dans la répression des pratiques négationnistes, et que la France, en ratifiant la Convention européenne des droits de l’homme, a ouvert un recours efficace aux personnes qui seraient, par hypothèse, victimes d’une application erronée de la loi ?

Je suis conscient que la perspective d’échéances électorales majeures pourrait inciter certains à se contenter de grandes déclarations de principes tout en repoussant la vraie décision à plus tard, comme ce fut le cas en 2000 ou en 2006. C’est pourquoi l’engagement solennel de ce matin devra très vite être confirmé au Sénat.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre position est sereine, elle est fondée sur notre attachement à la démocratie et à l’État de droit, sur notre confiance en la justice. Aucune pression, d’où qu’elle puisse venir, n’infléchira notre position.

Aussi, avec la très grande majorité de mes collègues du groupe du Nouveau Centre, en particulier Jean-Christophe Lagarde ici présent, je voterai avec détermination la proposition de loi dont l’initiative revient à notre collègue Valérie Boyer et que nous présente la commission ce matin. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Éric Raoult. J’applaudis, en mémoire de Guy Ducoloné.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, le droit français sanctionne la contestation des crimes contre l’humanité depuis la loi Gayssot du 13 juillet 1990. Ainsi, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée, punit-elle ceux qui auront contesté l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par le statut du tribunal militaire international et qui ont été commis par les membres d’une organisation déclarée criminelle ou par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.

Concrètement, seule la Shoah est aujourd’hui concernée par cette pénalisation du négationnisme. Or la France a reconnu depuis, dans une loi de la République adoptée à l’unanimité en janvier 2001, l’existence d’un autre génocide, celui des Arméniens en 1915.

Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !

M. Jean-Paul Lecoq. Malgré la portée symbolique évidente de cette loi, la rédaction de la loi sur la liberté de la presse est telle qu’elle ne permet pas de réprimer la contestation ou la minimisation outrancière de ce génocide, qui peut donc demeurer impunément démenti ou contesté.

Cette proposition de loi permet de réprimer la contestation ou la minimisation outrancière des génocides reconnus comme tels par la loi française. Pour ce qui nous concerne, s’il convient d’être vigilant car ce n’est pas à la représentation nationale d’écrire l’histoire, nous ne pouvons qu’approuver la pénalisation du négationnisme, qui doit être sanctionnée avec la plus grande fermeté.

Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !

M. Jean-Paul Lecoq. En effet, comme le dit si justement Yves Ternon dans La problématique du négationnisme, « la négation d’un génocide est une composante du crime ».

M. François Rochebloine. Absolument !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très juste !

M. Jean-Paul Lecoq. « Elle est tissée avec le crime. C’est une stratégie de destruction de la vérité et de la mémoire. »

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. Jean-Paul Lecoq. « La négation est à la fois un instrument du meurtre – elle fait disparaître le cadavre – et une réaction de défense contre une accusation de meurtre. »

Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !

M. Jean-Paul Lecoq. La proposition de loi qui nous occupe ce matin peut être un levier dans le combat pour l’émancipation humaine et les valeurs universelles qui fonde mon, notre engagement communiste. Elle ouvre également la porte pour le renforcement du rôle de la France dans la défense des droits de l’homme et du droit des peuples à la justice.

C’est la lecture que nous faisons de cette proposition de loi qui, il est vrai, ne concerne aujourd’hui que le génocide arménien, puisqu’il est le seul reconnu légalement par la France, mais qui, demain, est susceptible de concerner d’autres génocides.

Nous préférions la rédaction initiale, qui était plus large, celle de Mme la rapporteure, à celle de M. Warsmann, car elle permettait de pénaliser l’apologie, la négation ou la banalisation grossière des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre reconnus par les instances internationales et qui auraient fait l’objet d’une reconnaissance non pas seulement par la loi mais aussi par une convention internationale, par une décision prise par une instance communautaire ou internationale, ou qualifiés comme tels par une juridiction française. Cette écriture, moins étroite dans son interprétation, aurait plus facilement permis de mener un combat pour la reconnaissance de notre passé, si douloureux soit-il.

À cet égard, le Premier ministre turc n’a pas tort lorsqu’il nous invite à regarder du côté de notre propre histoire, du côté de l’Algérie et du côté du Rwanda par exemple.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Vous aviez bien commencé, mais ça finit mal !

M. Richard Mallié. Vous ne pouvez pas vous en empêcher !

M. Jean-Paul Lecoq. Il est en effet du devoir de notre pays, si facilement donneur de leçons, d’accomplir son propre devoir de mémoire, même s’il est parfois honteux. Marc Ferro le dit sans ambages : si pénible soit-il, l’événement doit être reconnu, car le silence est à la fois la première forme de la contre-histoire et la source première des haines que nourrit la complicité de l’oubli avec le pouvoir.

La France doit oser, si elle souhaite gagner en crédibilité sur la scène internationale, se souvenir par exemple de ses tristes périodes coloniales et des faits qu’elle a occultés durant de trop nombreuses années. C’est toute son histoire qu’elle a le devoir de se remémorer et de reconnaître.

M. Richard Mallié. S’il vous plaît, ne mélangez pas les torchons et les serviettes !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Pas d’amalgame !

M. Jean-Paul Lecoq. À ce titre, je vous rappelle que notre groupe a déposé en novembre dernier une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de la République française dans le massacre du 17 octobre 1961, jour où au moins deux cents travailleurs algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris ont été victimes de la répression d’une extrême violence des forces de l’ordre, alors dirigées par le préfet de police Maurice Papon.

M. Éric Raoult. Vous gâchez toute votre intervention !

M. Jean-Paul Lecoq. La République a reconnu sa responsabilité dans la chasse aux juifs sous Vichy ; elle a reconnu sa responsabilité vis-à-vis de l’esclavage : elle doit la reconnaître également dans le massacre du 17 octobre.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Ça suffit ! C’est une honte !

M. Patrick Ollier, ministre. C’est outrancier !

M. Jean-Paul Lecoq. Benjamin Stora nous enseigne que l’oubli est aussi organisé par les États. Une forme d’oubli qui instaure des amnésies, des silences consciemment entretenus par l’État, silences partagé avec la société qui, de gré ou de force, les intériorise. Cet oubli, peu ou prou, est aussi une forme de négation, un mensonge par omission pourrait-on dire.

Par ailleurs, si notre mémoire semble bien sélective pour l’histoire de notre pays, elle l’est aussi à l’échelle internationale. Il est nécessaire de reconnaître le génocide arménien, au même titre que la Shoah, et de punir sa négation, mais qu’en est-il par exemple de la reconnaissance du génocide des Indiens d’Amérique ou encore des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Et le génocide soviétique ? Il n’y a que Staline que vous épargnez !

M. Dominique Dord. Et le goulag ?

M. Jean-Paul Lecoq. D’octobre 1939, avec les premières déportations des Tziganes d’Autriche puis la création d’un camp d’internement de Tziganes à Leopoldkrom près de Salzbourg, au 27 février 1945, avec l’évacuation de mille femmes tziganes du camp de Ravensbrück, entre 500 000 et 750 000 Tziganes sont morts assassinés, le plus souvent gazés, par l’Allemagne hitlérienne.

M. Jean-Christophe Lagarde. Et les Arméniens sous Staline ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Et les Polonais ? Et les Ukrainiens ?

M. Jean-Paul Lecoq. 30 000 Tziganes français ont été internés dans des camps en France. Des dates dramatiques marquent les douleurs de cette communauté, dates oubliées, voire volontairement effacées de l’histoire. La France doit aussi ouvrir les yeux sur ce génocide. Sans oublier ses propres responsabilités historiques, notamment les ordres du maréchal Pétain relatifs à l’internement des Tziganes dans des camps de concentration.

C’est dans ce but que nous avons déposé en avril dernier une proposition de loi tendant à reconnaître le génocide tsigane – mais toutes les lois n’empruntent pas le même chemin, à la même vitesse. De même, pour ne pas tomber dans l’indignation sélective, reconnaissons aussi le génocide au Rwanda.

Mme Boyer, députée de la majorité, a pu obtenir l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour, alors même qu’à quelques mois des élections il est particulièrement chargé. Nous n’osons imaginer qu’il s’agisse là d’une démarche électoraliste en direction de la communauté arménienne de France.

M. Dominique Dord. C’est une promesse à tenir !

M. Jean-Paul Lecoq. Il serait en effet insupportable que l’histoire de ce peuple puisse être instrumentalisée par le Président-candidat de la République.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Que faites-vous de la séparation des pouvoirs ?

M. Jean-Paul Lecoq. Pour ce qui nous concerne, ce qui nous guide aujourd’hui c’est la lutte contre l’oubli et la reconnaissance de la responsabilité des auteurs des crimes les plus odieux. De tous les crimes, y compris ceux dont la France a à assumer la paternité. Si telle n’était pas la motivation des auteurs de ce texte et du Gouvernement, il leur faudrait alors assumer une telle posture. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche voteront donc pour cette proposition de loi qui pénalise la négation des génocides et qui appréhende plus globalement qu’aujourd’hui la pénalisation de l’apologie du racisme et des génocides. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Renaud Muselier.

M. Renaud Muselier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est un grand honneur pour moi de défendre ce matin un texte qui s’inscrit dans la continuité de celui que nous avons adopté il y a dix ans.

Je m’étais exprimé au nom du groupe RPR, le 18 janvier 2001, en faveur de l’intégration dans la loi française de la reconnaissance du génocide du peuple arménien. Nous étions déjà nombreux à nous être mobilisés à l’époque ; nous sommes aujourd’hui présents à ce nouveau rendez-vous, à l’image notamment de mes collègues Patrick Devedjian et Roland Blum. Les parlementaires des Bouches-du-Rhône étaient présents alors ; ils sont de nouveau là aujourd’hui, que ce soient Mme Andrieux, M. Jibrayel ou mes amis Christian Kert, Bernard Deflesselles, Dominique Tian, Bernard Reynès et Richard Mallié, sans oublier Éric Raoult, élu de Seine-Saint-Denis.

Je tiens à saluer le travail remarquable de la rapporteure, Mme Boyer, qui présente aujourd’hui un texte d’importance. Je suis fier et ému d’intervenir à nouveau pour parachever notre travail de législateur et faire en sorte que désormais soit interdite et punie la contestation de l’existence des génocides. Il s’agit d’un processus engagé de très longue date par la France et d’une promesse tenue par le Président de la République qui, faut-il le rappeler, était membre de notre assemblée pendant la onzième législature. Ce n’est pas une loi de circonstance mais une avancée dans la défense et la protection des opprimés et des minorités, qui relève de notre devoir moral.

Je souhaite par là répondre aux récentes mais récurrentes menaces de la Turquie, ainsi qu’aux critiques qui sont adressées à la représentation nationale. Si elles ne nous impressionnent pas plus en 2011 qu’en 2001, je tiens cependant à réaffirmer ici l’amitié de la France pour la République turque, qui est un partenaire diplomatique, politique et géographique essentiel dans sa région.

Je ne relèverai pas ici le détail des déclarations de la Turquie, mais je souhaite rappeler, à la suite du ministre des affaires étrangères, qu’en tant que membre de l’OMC elle ne peut prendre de mesures discriminatoires à l’encontre de la France. Membre de l’ONU, de l’OTAN, du G20 et de l’Union pour la Méditerranée, comme la France, la Turquie est un grand pays. Son rôle diplomatique est croissant et se trouverait renforcé par une reconnaissance de son histoire.

M. François Rochebloine. Bien sûr !

M. Renaud Muselier. Nous avons besoin d’une nation forte dans cette région du monde, à nos frontières, aux portes de l’Orient et de l’Occident.

Il me semblerait cohérent, à l’heure où la République turque a condamné avec courage le régime libyen et les conflits en Syrie, qu’elle admette sa responsabilité dans ce qui est reconnu par un grand nombre de pays comme un génocide, sur la base du rapport de l’ONU de 1985 qui établit le caractère génocidaire du massacre des Arméniens.

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

M. Renaud Muselier. Avec ce texte, nous ne récrivons pas l’histoire, mais le massacre des Arméniens n’est est pas un point de détail. La Turquie conforterait la place qu’elle mérite dans la communauté internationale si elle ouvrait les yeux sur la vérité de son passé, comme l’ont fait l’Allemagne et la France, qui aujourd’hui sont le moteur de l’Europe.

Ce texte ne la condamne aucunement, ni les ressortissants turcs vivant en France, ni les Turcs eux-mêmes, mais il concerne des centaines de milliers d’Arméniens ou de Français d’origine arménienne auprès desquels la France a pris un engagement de dignité et d’humanisme.

Moi qui ai grandi à Marseille, avec des Français d’origine arménienne, les Melian, les Tcherpachian, les Melkonian, les Tavitian, les Gourdikian, les Parakian, je sais à quel point ce peuple a souffert et souffre encore.

Permettez-moi de reprendre quelques extraits de mon intervention d’il y a dix ans : « Comment passer sous silence la première grande tragédie du xxe siècle ? Comment rester insensible à l’évocation de ces faits historiques qu’aujourd’hui plus personne ne songe à contester ? […] En 1915, au cœur des dernières convulsions de l’Empire ottoman, le jeune gouvernement turc décide, par un acte prémédité, de rayer de la carte la population arménienne, alors majoritaire dans les provinces orientales de l’Empire. […] Cette déportation à grande échelle s’achève par l’extermination de 1 500 000 personnes. […] Les témoignages oculaires et les récits des survivants convergent pour démontrer qu’il s’agit réellement d’un génocide perpétré contre le peuple arménien par le gouvernement ottoman. […]

« Pourquoi le Parlement français tient-il, par un texte de loi, à reconnaître ce génocide ? Cette reconnaissance, c’est d’abord un geste d’amitié envers ce peuple qui a souffert dans sa chair et qui a été privé d’une partie de ses racines. En effet, ce ne sont pas uniquement des morts que l’on déplore, ce sont aussi l’élimination d’une culture et la destruction d’une civilisation. C’est également une affaire de dignité. […]

« Loin de moi l’idée d’imputer une responsabilité quelconque aux dirigeants actuels de la Turquie dans les massacres perpétués en 1915. Toutefois, il s’agit de condamner ces actes de barbarie et d’en obtenir la reconnaissance. Nous demandons l’affirmation de la vérité au regard de l’histoire. […] En reconnaissant comme tel le premier génocide du xxe siècle, la France montre qu’elle n’oublie pas sa vocation sacrée de patrie des droits de l’homme. En votant ce texte, nous nous montrons dignes et respectueux de nos écharpes tricolores. »

Aujourd’hui, dix ans après, je ne retire pas une phrase de ce discours, pas un mot.

Mes chers collègues, mon grand-père a donné la Croix de Lorraine à la France libre, mon père a été déporté à Dachau, l’ensemble de ma famille a été torturée ou déportée, je sais combien il est fondamental de faire la paix avec le passé pour construire l’avenir. L’Allemagne l’a fait en une demi-génération, la Turquie doit également suivre ce chemin : 1915-2011, il est temps d’y arriver.

Toutefois, le texte que nous examinons aujourd’hui va plus loin et permet à la France d’appliquer les progrès de la justice internationale. C’est en effet au Parlement de faire le lien entre les décisions internationales – en particulier les décisions de la Cour pénale internationale – et la loi française.

En 1999, nous avons adopté une loi constitutionnelle reconnaissant la juridiction de la Cour pénale internationale. En 2002, le Parlement adoptait une proposition de loi de M. Robert Badinter portant sur la coopération entre la France et la CPI, puis en 2010, lors du vote du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la CPI, les juridictions françaises ont été rendues compétentes pour juger, sur notre territoire, un coupable présumé de génocide.

Il s’agit aujourd’hui, dans la continuité, de donner aux magistrats les moyens de sanctionner avec justesse les actes de négationnisme à l’encontre des génocides reconnus comme tels par la loi française.

L’article premier de cette proposition de loi ajoute à la loi sur la liberté de la presse, qui contient déjà un article sur la contestation des crimes contre l’humanité créé par la loi Gayssot en 1990, un article 24 ter, qui concerne spécifiquement la contestation des génocides que la France reconnaît aujourd’hui, ou reconnaîtra à l’avenir. C’est une suite logique à notre travail de reconnaissance.

Il appartient de plus au législateur de poursuivre la mise en conformité de la loi avec les engagements politiques pris par notre pays. Ainsi, comme le prévoit cette proposition, « les peines [...] sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé de manière outrancière [...] l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide [...] reconnus comme tels par la loi française ».

Les moyens retenus par les juridictions afin d’évaluer ces contestations seront les mêmes que ceux déjà définis pour l’incitation à la haine et à la violence, la provocation à des actes de terrorisme, l’apologie des crimes de guerre, les atteintes à la vie et l’extorsion, l’utilisation des modes de communication à des fins de provocation à des crimes et délits.

Il est de notre devoir d’enrichir la loi de dispositions protégeant certains groupes ou individus ciblés par des discours ou des actes délibérément haineux, voire criminels. Bien entendu, cette proposition de loi n’a absolument pas vocation à entraver les recherches historiques et les débats sur les périodes les plus sombres de l’histoire, mais à faire la différence entre information et propagande négationniste.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

M. Renaud Muselier. Car non, les blessures ne sont pas toutes refermées et j’espère, avec l’adoption de ce texte, que nous allons contribuer à apaiser le dialogue et les relations entre les hommes dans notre pays.

D’ailleurs, au-delà des craintes, des passions, des angoisses et des attentes, en votant ce texte, nous ne faisons que transcrire dans notre droit une décision-cadre du Conseil de l’Europe de novembre 2008 qui pénalise « l’apologie, la négation ou la banalisation outrancière des crimes de masse, des crimes contre l’humanité ».

M. Patrick Ollier, ministre. C’est vrai !

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Renaud Muselier. Ce texte ne relève pas d’une approche communautaire. Il n’est pas une agression contre la grande nation turque. Il est conforme aux valeurs de la République française, il l’honore et il permet une réconciliation durable sans la négation des souffrances. Après le vote de ce texte à l’Assemblée, j’en attends avec impatience le vote au Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. René Rouquet.

M. René Rouquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, ce 22 décembre peut être un jour historique pour la défense des droits de l’homme, du droit des peuples à leur histoire et du principe universel de mémoire, car la représentation nationale a aujourd’hui l’occasion d’œuvrer pour la vérité et la justice.

Vérité au regard de l’histoire : en 1915, on extermina les Arméniens établis sur le territoire de l’Empire ottoman, par des procédés barbares, perpétrés au nom d’une idéologie nationaliste et raciste. Cela reste à ce jour l’une des plus graves tragédies humaines, et cela s’appelle un génocide.

Justice pour le peuple arménien, dont la mémoire continue d’être hantée, et salie, par ceux qui contestent aujourd’hui encore la réalité du crime commis sur un million cinq cent mille hommes, femmes et enfants qui furent assassinés dans le cadre du premier plan d’extermination du XXe siècle.

C’est l’honneur de l’Assemblée nationale de vouloir enfin parachever le processus législatif qui avait été initié voici treize ans avec la première proposition de loi reconnaissant le génocide arménien de 1915, votée le 29 mai 1998 à l’unanimité, et dont je suis fier d’avoir été le rapporteur, puis par le vote, également à l’unanimité, de la loi de 2001 dont François Rochebloine a été le rapporteur.

M. Roland Blum. Très bien !

M. René Rouquet. Depuis lors, le Parlement français a voulu rendre au peuple arménien la part de lui-même qui lui avait été arrachée en 1915, en s’engageant dans un processus de reconnaissance législative qui s’est heurté à de très nombreux obstacles et pressions, nous en avons eu de nouvelles preuves tous ces derniers jours.

C’est à présent un appel solennel qui nous est lancé, mes chers collègues, et le groupe socialiste votera cette proposition de loi parce qu’à nos yeux l’histoire a parlé et que la réalité historique du génocide n’est pas négociable : voter la loi n’est pas un acte mémoriel, c’est un acte politique. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Et c’est au Parlement qu’il revient de légiférer, car contester la vérité historique insulte à nos valeurs républicaines, et doit être puni par la loi républicaine, au même titre que le racisme et l’antisémitisme dans notre pays.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

M. René Rouquet. Chacun ici mesure la nécessité de rendre justice à la mémoire du peuple arménien, pour que s’accomplisse enfin le deuil des martyrs de 1915. En votant ce texte, nous voulons respecter la parole donnée, et parachever la longue marche pour la justice et pour le droit, initiée en France par le Président François Mitterrand, qui, dès le 7 janvier 1984, à Vienne, affirmait « la volonté de la France de rappeler l’identité arménienne marquée par le génocide».

M. Éric Raoult. Pourquoi n’a-t-il pas fait voter un texte par le Parlement ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bruno Le Roux. M. Raoult est toujours à côté de la plaque.

M. Richard Mallié. Non, ce sont les faits !

M. Éric Raoult. Et cela les gêne.

M. René Rouquet. Depuis 30 ans de grandes voix, comme celle d’Henri Saby au Parlement européen, se sont élevées pour faire progresser les esprits en faveur de la reconnaissance du génocide par les instances internationales. Des intellectuels comme Bernard-Henri Lévy se sont mobilisés aux côtés de la classe politique, de la diaspora arménienne et de ses organisations, dont je veux saluer l’engagement.

À ceux qui nous disent que « ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire», je rappelle que personne ne demande aux députés de se substituer aux historiens !  L’histoire a prouvé de façon irréfutable que, de Constantinople jusqu’aux rives de l’Euphrate, les Arméniens de l’Empire ottoman ont été les victimes d’une extermination planifiée, qu’on appelle depuis Nuremberg un génocide ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Jaurès et Churchill l’ont dit. Péguy évoquait déjà le massacre des Arméniens comme le « plus grand massacre du siècle ». Ce qu’on attend de nous, c’est de voter cette loi, pour nous conformer aux valeurs de la République et d’éclairer le chemin, aux yeux des Arméniens d’Arménie, des diasporas de France et de tous les pays où les rescapés du génocide se sont réfugiés pour fuir le malheur. Je salue nos compatriotes d’origine arménienne, qui ont tant apporté à notre pays dans tous les domaines, et je leur dis : nous sommes à vos côtés ! A cet instant je pense à mon ami Vartkès Kosdikian, militant des droits de l’homme qui m’a éveillé a la cause arménienne, et qui a été de tous les combats pour rendre justice à la mémoire de son peuple, avant de s’éteindre il y a quelques semaines dans ma commune. Je pense à toi, Vartkès, quand je dis avec Élie Wiesel : « Tolérer le négationnisme, c’est assassiner une seconde fois les victimes». (Applaudissements sur de très nombreux les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Monsieur le président. monsieur le ministre, chers collègues, permettez-moi d’abord un constat « technique », que, je pense, nous partageons tous en tant que législateurs avec les grands juristes du passé et du présent : une loi dépourvue de sanction consent par avance à sa violation. Elle devient un écrit paradoxal, dont le poids équivaut aux plus légères paroles, celles que le vent emporte. Au lieu de confier à la justice le soin de protéger les plus faibles, voire les victimes, elle délègue son application à la brise impalpable. Au lieu d’être puissance, elle est invocation.

M. Dominique Dord. Très bien !

M. Christian Estrosi. Mes chers collègues, le 29 janvier 2001, il y a plus de dix ans maintenant, j’étais à cette tribune avec la même émotion et la même détermination. Ce jour là, nous avons voté à l’unanimité la loi qui reconnaissait l’application du terme de génocide à la tragédie vécue en 1915 par le peuple arménien. Aujourd’hui, nous sommes appelés à adopter les sanctions qui font passer de l’invocation à la puissance.

Comme Renaud Muselier, je voudrais rappeler quelques-uns des propos que je tins alors à cette tribune :

« La vérité historique finit toujours par s’imposer, mais il y a aussi, en l’occurrence, un peuple exceptionnel qui a choisi de faire de la France, au moment le plus désespéré de son histoire, sa terre d’accueil, son refuge où il allait tenter de panser ses plaies, sans pour autant oublier. Si les premières générations ont gravé au plus profond d’elles-mêmes les images – les plus atroces qui soient – de la disparition des leurs, elles ont su aussi les transmettre aux générations nouvelles, dans l’attente que leur nouvelle patrie, la France, prenne l’initiative, que nous prenons enfin ensemble aujourd’hui, la seule capable d’ouvrir la voie de la réconciliation et de contribuer à une paix durable et constructive avec la Turquie. »

J’ajoutais : « L’histoire du peuple arménien se confond aujourd’hui avec la nôtre. C’est pourquoi nous devons être encore plus fiers d’être Français en votant le présent texte. » Pour conclure : « En aucun cas, ce débat ne doit être interprété comme une offense au peuple turc. Ce nouveau millénaire doit être l’occasion pour les peuples qui se sont déchirés de se réconcilier. C’est notre tâche, c’est le rôle de la France. Je suis convaincu qu’aujourd’hui, en rendant sa dignité au peuple arménien, nous contribuons à cette indispensable entreprise de réconciliation. » C’était le 29 janvier 2001.

Aujourd’hui, grâce à notre rapporteure, Valérie Boyer, à la commission des lois, au Président de la République, et avec l’accord du Gouvernement, nous sommes appelés à adopter les sanctions qui font passer de l’invocation à la puissance.

Et vraiment, je ne vois pas quels arguments peuvent s’y opposer.

Juridiquement, nous sommes absolument fidèles à l’esprit et à la lettre de l’ensemble des règles internationales et nationales qui régissent la répression des crimes contre l’humanité et de leur apologie.

Scientifiquement, je ne sache pas qu’il y ait un débat où se trouveraient en présence deux hypothèses, fondées sur des documents, qui tiendraient la balance égale entre deux interprétations des faits, l’une selon laquelle il n’y aurait pas eu génocide, et une autre selon laquelle il aurait eu lieu. Le débat, si l’on peut appeler ainsi ce sinistre décompte, me semble aujourd’hui limité non plus à la qualification des faits, mais au nombre de morts.

Les historiens le disent : il y eut un massacre planifié selon des critères ethniques. Les juristes le disent : en droit, un massacre planifié selon des critères ethniques s’appelle un génocide. La loi, notre loi de 2001, ne se substitue donc pas à un débat entre historiens. Elle en enregistre les conclusions.

Moralement enfin, je reste convaincu que ce texte a une double et juste portée.

Il dit à tous les Français d’origine arménienne, ou de la diaspora - et je pense en particulier à tous ceux qui, depuis un siècle, ont apporté leur pierre à la prospérité de cette ville qui m’a vu naître, moi, fils d’immigré italien, et grandir avec mes frères arméniens - qu’on ne peut impunément cracher à la face de leur douleur. En septembre dernier, j’ai inauguré à Nice, en présence de sa fille, une stèle commémorative dédiée au poète arménien Roupen Sevag. Francophile et de ce fait ami de la liberté, Roupen Sevag fut, comme tant d’autres, assassiné en 1915.

Or, mes chers collègues, je ne connais pas de poète assassin, je ne connais pas de poète comploteur, je ne connais pas de poète terroriste, à moins qu’aimer le printemps de sa patrie ne soit un crime.

Donc, aucun des crimes qui furent invoqués pour assassiner cet homme, et avec lui tant d’autres hommes et femmes, vieillards et enfants, ne me paraît crédible, à moins de considérer que le fait d’être Arménien, en 1915, dans l’Empire ottoman, constituait en soi un crime. Et je crois bien que ce fut, hélas, le cas.

Ce texte dit aussi au peuple turc que les nations se grandissent toujours en assumant tout autant leurs forces que leurs faiblesses. Ce courage lucide est un acte évident de maturité démocratique, que chacun, en Europe, la France y compris, a posé au fil de son histoire et notamment du XXe siècle. Il n'est pas de courage qui ne soit accompagné de peur, ni de lucidité qui n'ait un goût amer, chacun d'entre nous, dans sa propre vie, peut en témoigner.

Cette peur et cette amertume accompagnent souvent le passage de l'adolescence à l'âge adulte, comme le passage de la toute-puissance à la sagesse. Voilà, je crois, pourquoi, loin d'offusquer les vrais démocrates turcs, ce texte est à leur égard une main tendue.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Parfaitement !

M. Christian Estrosi. Cette loi, mes chers collègues, participe de cet esprit, autant parce qu'elle délivre de l'oppression produite par le déni de mémoire que parce qu'elle protège les plus faibles de la tyrannie abjecte de l’insulte.

Voilà pourquoi, avec en mémoire le souvenir de Roupen Sévag, et aussi celui de Nichan Der-Mardirossian, assassiné à Nice, en 1944, par la milice, au terme d'un héroïque combat, dans une maison située au 7, rue de France, comme si cette adresse était un lieu prédestiné au sacrifice pour sa patrie, c'est sans réserve que je voterai ce texte. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Superbe intervention !

M. le président. La parole est à M. Dominique Souchet.

M. Dominique Souchet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’Assemblée nationale peut s'honorer d'avoir contribué à conférer au génocide arménien la place qui doit lui revenir dans l'histoire collective de l'humanité : celle du premier génocide du XXe siècle.

Cependant, si la loi de 2001 est symboliquement importante, sa portée est purement déclarative. Il est donc nécessaire de légiférer à nouveau pour étendre le champ de la pénalisation.

Pourquoi se battre avec autant d’énergie contre le négationnisme à propos du génocide arménien ? C'est parce que nous faisons face à un négationnisme d'État, jusqu'ici inébranlable, un négationnisme nullement platonique, mais qui inspire directement la politique actuelle de la Turquie. Ainsi, les autorités turques ont exigé le silence absolu sur la question du génocide arménien comme condition nécessaire pour engager la négociation de normalisation avec l'Arménie.

Nous connaissons aussi l’usage qui est fait de l'article 301 du code pénal turc pour criminaliser dans ce pays toute forme de reconnaissance du génocide arménien, usage que vient de condamner à l'unanimité, fin octobre, la Cour européenne des droits de l'homme. Les livres scolaires turcs continuent de rester muets sur le génocide arménien. La formation des jeunes diplomates turcs au discours de la négation est maintenue.

Aujourd’hui encore, les autorités turques persistent à proposer la réunion d'une « commission historique mixte », comme si la réalité du génocide était encore sujette à caution. Comme l'a dit le Président de la République, Nicolas Sarkozy, à Erevan, « 1915-2011, c'est un temps suffisant pour la réflexion ».

Les réactions menaçantes et disproportionnées des représentants officiels turcs et leur chantage indigne et insupportable pour tenter d'empêcher l'adoption de cette proposition de loi par notre assemblée suffisent à montrer leur attachement à cette politique d'État négationniste et leur incapacité à regarder leur histoire en face.

Ce négationnisme d'État pose à tous les responsables politiques un problème de conscience qui dépasse très largement les frontières de la Turquie.

Cependant, à côté de cette politique d'État ancrée dans la dénégation, on peut constater certaines évolutions positives au sein de la société civile turque : des pétitions circulent demandant pardon pour la Grande catastrophe subie par les Arméniens ottomans en 1915. Le vote de notre proposition de loi peut donc constituer un signal important pour tous ceux qui, au sein de la société civile turque, tentent courageusement de secouer le joug du négationnisme d'État, afin qu'un jour le déni soit définitivement brisé.

L'échéance du centenaire de 2015 pourrait alors jouer un rôle d'aiguillon, analogue, peut-être, à celui qu'a joué le bicentenaire de 1993 à propos de la Vendée, même si la reconnaissance officielle de ce génocide originel, ordonné par la Convention, reste encore à finaliser. En témoignent à la fois l'inaboutissement de la proposition de loi déposée par notre collègue Lionnel Luca en 2007, invitant la République « à reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794 », et l'amendement proposé par Jacques Remiller à la présente proposition de loi, qui va dans le même sens. Cette initiative devra être reprise sur la base des révélations des fouilles du Mans et de la redécouverte des archives de la défense, qui confirment de manière éclatante l'intention génocidaire.

Notre légitimité à légiférer sur le déni du génocide arménien est entière, le génocide étant l'élément fondateur de la relation franco-arménienne. « De la tragédie du génocide est née notre alliance », a rappelé Nicolas Sarkozy au mémorial d’Erevan.

Je vois dans cette loi l'aboutissement du combat persévérant et courageux mené par les survivants de la diaspora arménienne et leurs descendants pour donner un sens à leur survie, à travers une lutte permanente contre la facilité de l'oubli.

Appartenant à une région, la Vendée, qui doit une bonne part de son identité à la volonté exterminatrice dont elle a été l'objet, je puis attester des conséquences profondes et durables qu'entraîne, par-delà le temps du génocide lui-même, la persistance de son déni. Ce n'est pas un hasard si c'est sur ce fondement même que s'est nouée une coopération étroite et profonde entre la Vendée et l’Arménie, malgré l'absence de toute communauté d'origine arménienne dans notre région.

Pénaliser le déni de génocide, ce n'est pas se substituer aux historiens. C'est reconnaître que cette dénégation n'est pas une simple opinion, mais la poursuite dans le présent de l'acte génocidaire. C'est mettre en œuvre la notion d'imprescriptibilité spécifiquement attachée au génocide et contribuer ainsi à la prévention de toute répétition. C'est attester que notre Parlement place la dignité humaine au premier rang des valeurs qu’il entend défendre.

Pénaliser le déni de génocide, c'est souligner le rôle particulier de la France dans la défense du droit fondamental des personnes à leur histoire et du droit des peuples à la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Andrieux.

Mme Sylvie Andrieux. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 13 mai 1998, une proposition de loi visant à reconnaître le génocide arménien a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale par nos amis Didier Migaud, Jean-Paul Bret et René Rouquet. Elle a été discutée lors de la séance du 29 mai. À l’époque, avec vous, j'ai voté et milité pour ce texte qui fut adopté à l'unanimité. Malheureusement, au Sénat, la majorité refusa de l'inscrire à l’ordre du jour.

Deux ans plus tard, le 21 mars 2000, sur le fondement d'une proposition de loi déposée par des sénateurs socialistes et communistes, une nouvelle tentative échoua. Le 7 novembre 2000, cette proposition de loi fut finalement adoptée à la majorité au Sénat.

Nous avions donc deux textes reconnaissant le génocide arménien émanant des deux chambres. Il fallait que le texte d'origine sénatoriale retourne devant l'Assemblée nationale pour une adoption conforme. Ce fut le cas le 18 janvier 2001, j’ai de nouveau voté pour ce texte ; j'ai de nouveau milité en sa faveur. Les mots « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 » prenaient alors force de loi.

En avril 2006, c'est une nouvelle fois le groupe socialiste qui a évoqué dans l’hémicycle de l’Assemblée le sujet du génocide arménien et la protection de la mémoire des rescapés et des descendants de cette tragédie. Lorsque, enfin, le 12 octobre 2006 nous avons pu nous prononcer sur ce texte, nous avons réaffirmé notre détermination à combattre pour la reconnaissance du génocide arménien.

Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer, comme l’ont déjà fait d’autres orateurs, les nombreux représentants de la communauté arménienne présents dans les tribunes.

Le négationnisme n'est pas pour moi l'expression d'une banale opinion. Ce n'est même pas une position politique, c'est un mensonge d'État ; c'est une insulte faite à l’humanité tout entière, une provocation à la dignité humaine. Le négationnisme est contraire aux valeurs de notre République. C'est pourquoi il nous faut le combattre par la pédagogie, la diffusion de la vérité, mais aussi et surtout par la force de la loi. C'est tout le sens du combat que je mène à Paris et à Marseille. Vous connaissez la sensibilité et la force de l’engagement de l’ensemble des parlementaires de toutes sensibilités issus de cette ville, de son sénateur-maire, de son premier adjoint et de l’ensemble des collègues déjà cités par Renaud Muselier – à cette occasion, permettez-moi d’évoquer plus particulièrement mon collègue Henri Jibrayel.

En juillet 1972, il y a plus de trente ans, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité la loi qui créait les infractions de discrimination en raison de la race, de la religion, de la nation, de l'ethnie, de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale. L’un des fléaux les plus détestables de la société française, le racisme, cessait d'être tenu pour une opinion comme une autre : il devenait un délit puni par la loi. Malheureusement, dans un contexte de recrudescence du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie, cette loi s'est révélée insuffisante. Un nouveau dispositif a donc vu le jour grâce la loi Gayssot.

Au travers de nos débats et de l'adoption, je l'espère du texte que nous examinons ce matin, il ne s'agit pas d'établir une vérité d'État, une vérité officielle, comme certains historiens le prétendent, nous souhaitons seulement ensemble pénaliser la négation de tous les génocides.

En octobre 2004, Jacques Chirac déclarait au quotidien La Provence, lors des vingt ans de l'association Judaïsme et liberté : « Négationnisme et révisionnisme encore tristement à l'œuvre doivent être punis avec la plus grande rigueur. »

Il est donc de notre compétence, de notre ressort et de notre devoir de protéger l'ensemble de nos concitoyens contre les dérives antisémites, racistes et négationnistes. La singularité d'un génocide ne doit pas nous fermer à la souffrance d'autrui. Ni concurrence des victimes, ni banalisation, ni remise en cause de la spécificité d'un crime contre l’humanité ne doivent nous troubler dans notre démarche.

Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas de stigmatiser la Turquie. Bien au contraire, la France souhaite participer à l'établissement d'une paix durable entre Turcs et Arméniens.

La réalité du génocide est établie. Les preuves sont aussi flagrantes que les recherches abondantes sur le sujet. C'est la raison pour laquelle ceux qui se revendiquent de la liberté de douter sont des usurpateurs.

La liberté d'expression et d'opinion est aussi parfois invoquée pour combattre la loi. Mais personne, à notre connaissance, ne conteste celle de 1972 qui fait du racisme un délit, pas plus que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui précise dans son article 10, relatif à la liberté d’expression : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique […] ». De même, la loi sur la presse de 1881 qui protège de la diffamation n’est pas contestée.

Ce 22 décembre, c’est l’honneur de notre assemblée et des députés de voter la proposition de loi qui nous est soumise. C’est un acte politique juste à la signification forte. J’espère que mon ami Garo Hovsepian, maire des treizième et quatorzième arrondissements de Marseille, pourra annoncer aux Français d'origine arménienne qu'après la sépulture que le Parlement français a donnée à ses martyrs, la mémoire du génocide arménien est maintenant protégée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Renaud Muselier et M. François Rochebloine. Bravo !

M. le président. Je rappelle à Mme Andrieux, que l’orateur ne doit s’adresser qu’aux personnes siégeant dans l’hémicycle.

M. Jean-Paul Lecoq. Certains des orateurs précédents ne l’ont pourtant pas fait et vous n’avez rien dit !

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne ne peut rester insensible aux atrocités commises dans l’Empire ottoman en 1915. Personne ne peut rester indifférent au sort alors réservé à la communauté arménienne. Président du groupe d'amitié France-Turquie, profitant de la liberté qui s'attache à la diplomatie parlementaire, je suis allé à la rencontre des Turcs comme des Arméniens. J’ai visité le mémorial d'Erevan. Comment ne pas en revenir bouleversé ?

Comment dès lors ne pas vouloir consacrer la très modeste responsabilité qui me revenait au rapprochement des uns et des autres ? Dans cette région stratégique, si sensible et si fragile, personne n'a intérêt à souffler sur les braises. C'est pourtant ce que font les auteurs du texte qui nous est soumis. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jérôme Lambert. C’est vrai !

M. Michel Diefenbacher. Ce texte, je ne peux pas le voter. Pour être plus précis, je voterai contre. Je voterai contre parce que je ne crois pas qu'aucun État souverain puisse accepter qu'un autre État souverain vienne revisiter son histoire, imposer sa propre lecture et sanctionner ceux qui ne la partagent pas.

Que dirions-nous, nous, Français, si un autre pays – non pas ses historiens, mais les politiques – venait, par un vote de son Parlement, nous dire ce qu’il faut penser du massacre des Vendéens sous la Convention…

M. Jérôme Lambert. Ou de celui de Sétif !

M. Michel Diefenbacher. …et nous menacer de sanctions si nous pensons autrement ? Jacques Chirac aurait-il reconnu la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs s’il avait été sommé de le faire par une puissance étrangère ? Si l’on veut qu’un jour la Turquie jette un nouveau regard sur cette période tragique, il faut l’y aider, et non pas le faire à sa place en la montrant du doigt.

Je voterai contre ce texte parce que la France, berceau des Lumières, terre des libertés, patrie des droits de l’homme, ne peut pas se ranger aux côtés des pays où la pensée officielle s’impose à tous.

M. Hervé de Charette. Très bien !

M. Michel Diefenbacher. Qui d’entre nous pourrait accepter que, demain, des historiens, des philosophes, des hommes de lettres ou de science viennent en France participer à des colloques, avec un sparadrap sur la bouche ?

Je voterai contre ce texte parce que rien, dans notre Constitution, n’autorise le Parlement à statuer sur ce sujet. La loi est, certes, l’expression de la volonté générale, mais elle n’existe que dans le respect de la Constitution. Relisez l’article 34 : vous n’y trouverez rien qui permette à la loi de définir l’histoire.

M. Jean-Christophe Lagarde. Elle définit le droit pénal !

M. Michel Diefenbacher. Évoquant, lors de son audition en 2008 par la mission présidée par Bernard Accoyer, la loi du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien, Robert Badinter avait déclaré : « La loi est inconstitutionnelle parce que, à l’évidence, l’article 34 de la Constitution ne permet pas au Parlement de se prononcer ainsi sur un événement historique. » Et il ajoutait : « Quels que soient les sentiments que l’on puisse éprouver au sujet du génocide arménien, force est de conclure que le Parlement n’avait pas de compétence pour voter un tel texte. »

Je ne voterai pas ce texte parce que, de surcroît, seul le juge est autorisé à donner une qualification juridique à un fait, quel qu’il soit. À l’incompétence tirée de l’article 34, n’ajoutons pas la violation du principe de la séparation des pouvoirs, qui est un fondement majeur de notre droit public et la première protection des libertés.

Et la loi Gayssot, me dira-t-on ? Au cours de la même audition, Robert Badinter rappelait que l’objet de cette loi est, non pas de donner une qualification juridique aux crimes de la Shoah – cela avait déjà été fait par le tribunal militaire de Nuremberg –, mais de réprimer des propos allant à l’encontre de l’autorité de la chose jugée. C’est parce que les crimes nazis avaient été qualifiés par le juge que l’intervention du législateur était devenue légitime. Dans le cas du génocide arménien, de quelle décision juridictionnelle peut-on se prévaloir ? Aucune, puisque la loi de 2001 n’a été soumise au contrôle ni du Conseil constitutionnel ni de la Cour européenne. Le législateur n’est donc nullement fondé à intervenir.

Je ne voterai pas ce texte parce que ce serait rendre un bien mauvais service aux Arméniens eux-mêmes. Si la loi est votée, un délit sera créé, des contentieux seront ouverts, une question prioritaire de constitutionnalité sera posée,…

M. Lionel Tardy. Exactement !

M. Michel Diefenbacher. …et il est possible et, à mon sens, probable que la loi de 2001 soit annulée. Si tel était le cas, tout ce qui a été fait il y a dix ans serait perdu et, par un seul vote, le législateur s’exposerait à une censure juridique et à un échec politique, mettant ainsi la France en rupture tout à la fois avec la Turquie et avec l’Arménie.

Je ne voterai pas ce texte parce que je pense aux chrétiens d’orient, à ces hommes, femmes et enfants qui sont aux avant-postes du « choc des civilisations » qui menace. Si la loi est votée, le monde musulman y verra l’expression d’un choix confessionnel. Les persécutions qui frappent aujourd’hui la chrétienté ne sont-elles pas suffisantes pour qu’on y réfléchisse à deux fois ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Justement !

M. Michel Diefenbacher. Mes chers collègues, j’entends dire que la proposition de loi ne cite nullement le génocide arménien. Littéralement, c’est vrai. Mais, dans le rapport de la commission des lois, il est écrit : « Pour qu’une contestation puisse être considérée comme une infraction pénale [...], il faudra que les faits aient été reconnus comme tels par la loi. Un seul génocide a fait l’objet d’une telle reconnaissance : il s’agit du génocide arménien de 1915. » C’est donc de cela seul qu’il s’agit aujourd’hui.

Notre collègue François Cornut-Gentille m’a demandé de l’associer à un dernier message. La loi, dans notre pays, est souvent critiquée : loi bavarde, loi de circonstance, dit-on. Les parlementaires sont souvent vilipendés : trop sensibles aux sollicitations des groupes de pression, juge-t-on. Le débat d’aujourd’hui nous offre une occasion unique de répondre à ces attaques. Mes chers collègues, montrons notre attachement à la noblesse de la loi et à l’indépendance du Parlement : repoussons cette proposition de loi ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et SRC.)

M. Henri Jibrayel. Jamais !

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les propos de René Rouquet, que je partage. Lorsque j’ai lu la proposition de loi, je me suis posé la question suivante : appartient-il au politique de dire l’histoire ? À cette question, que nous a posée le président Accoyer et à laquelle nous avons réfléchi collectivement au sein de la mission d’information sur les questions mémorielles, nous avons répondu que le propre d’une démocratie est de reconnaître l’histoire comme une matière vivante qui ne saurait être figée dans le marbre de la loi et qu’il revient non au Parlement, mais aux historiens, de nous la faire connaître et aux juges de la qualifier. Telle est toujours ma position.

J’ai beaucoup lu et entendu, ces derniers jours, que cet argument suffirait à repousser la proposition de loi, qui pourrait être qualifiée de mémorielle. C’est, je crois, une mauvaise interprétation, pour ne pas dire un faux procès. En effet, il ne s’agit pas, pour nous, aujourd’hui, de dire l’histoire. Nous ne sommes pas réunis dans cet hémicycle pour désigner des bourreaux ou des victimes, ni pour faire acte de repentance ou de reconnaissance. En revanche, nous sommes dans notre rôle de législateur en bâtissant le cadre positif et général qui nous permettra enfin de sortir de ce débat. Un cadre qui respecte et consacre le rôle du juge international pour déterminer les actes qui relèvent d’un génocide, un cadre qui offre, sur cette base et à tous, les mêmes moyens juridiques pour lutter contre les insultes à la mémoire, dont fait partie la négation du génocide arménien.

Cette démarche me paraît nécessaire, pour au moins deux raisons. Tout d’abord, il nous faut sortir de cette insupportable concurrence des mémoires, qui nous a conduits, par le passé, à hiérarchiser les blessures de l’histoire. Or telle est précisément la démarche qui est la nôtre aujourd’hui lorsque nous conférons, sans discrimination ni exclusive, la même force de droit aux décisions rendues par les tribunaux et cours pénales internationales qui ont eu et, je le crains, auront encore à qualifier les actes relevant de génocides, comme ce fut le cas au Rwanda, ou dans l’ex-Yougoslavie.

Et le génocide arménien, me demanderez-vous ? À cette question, qui attire l’attention de nos concitoyens et des médias sur nos débats de ce matin, je veux répondre simplement, mais fermement. La France reconnaît l’existence du génocide arménien ; nul, dans cet hémicycle, ne soutient le contraire. Elle le reconnaît pleinement. Elle ne le reconnaîtra pas moins demain si cette proposition de loi n’est pas votée.

M. François Rochebloine. Elle le sera !

Mme Pascale Crozon. Elle ne le reconnaîtra pas davantage si, comme je le souhaite, nous la votons.

Partant de ce principe et tenant compte du fait que la mission d’information sur les questions mémorielles recommandait, certes, de ne plus voter de loi mémorielle, mais également de ne pas revenir sur celles qui avaient été adoptées par la représentation nationale, il me semble légitime, et plus encore si l’on souhaite légiférer une fois pour toutes sur ces questions, de conférer aux génocides reconnus par la loi, dont le génocide arménien, le même statut que ceux établis par le juge.

Notre objectif n’est pas de placer tel ou tel pays, telle ou telle communauté, sur le banc des accusés. Notre objectif est avant tout de lutter contre toutes les formes de racisme. Non, l’idée selon laquelle les hommes ne naissent pas libres et égaux n’est pas une opinion dont nous devrions garantir la liberté. Elle est la négation de nos valeurs et principes fondamentaux, un cancer qui menace la cohésion nationale et l’ordre public. Le législateur est donc pleinement dans son rôle lorsqu’il transpose une directive européenne, qui pénalise « l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre [...] qui risque d’inciter à la violence ou à la haine ».

Cette dernière phrase est essentielle pour la reconnaissance du génocide arménien. Ce qui est en jeu, ce n’est évidemment pas la liberté des historiens d’établir, d’interpréter ou de faire parler les faits. Ce qui est en jeu, c’est au contraire la dissimulation ou le maquillage de faits dans le seul but de soutenir des idéologies de haine. Voila pourquoi je ne peux accepter les pressions exercées au nom de la liberté d’opinion par ceux qui ne la reconnaissent ni à leurs historiens ni à leurs journalistes.

M. Richard Mallié. Très bien !

Mme Pascale Crozon. Parce qu’il est conforme à l’idée que je me fais de la République, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité une proposition de loi comprenant un seul article : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Il s’agit en l’espèce d’une loi mémorielle. Cette reconnaissance est devenue officielle avec la loi du 29 janvier 2001. Par cet acte symbolique, la République française redonna au génocide arménien une place dans la mémoire collective de l’humanité. Notre pays a ainsi rendu au peuple arménien la part de lui-même qu’il avait perdue 85 ans plus tôt. Il aura fallu beaucoup d’espoir et de pugnacité à cette communauté pour mener à bien son combat pour la reconnaissance du génocide qui a si douloureusement marqué son histoire et continue à la marquer aujourd’hui encore.

Dans les Bouches-du-Rhône, les Français d’origine arménienne sont particulièrement nombreux et, pour avoir bien souvent échangé avec eux, je sais combien les atteintes à la mémoire qu’ils continuent parfois de subir sont douloureuses. Je mesure à chacune de ces rencontres toute la richesse de la communauté arménienne et la grandeur d’âme qui fait la force d’un peuple qui a tant souffert.

En effet, il aura fallu plusieurs décennies pour que les massacres, les arrestations arbitraires, les déportations dont les Arméniens ont souffert soient officiellement reconnus par la République française. Mais la reconnaissance de 2001 n’était pas suffisante, car nous avons pu voir, depuis, des manifestations ou des prises de position publiques niant ce génocide. Un travail législatif restait donc à réaliser afin de pénaliser le négationnisme de ce génocide.

C’est pourquoi, en 2006, l’Assemblée nationale a examiné une proposition de loi réprimant la contestation du génocide arménien, proposition corédigée par cinq parlementaires de tous bords politiques – les sénateurs Jean-François Ficheral et Robert Bret ainsi que les députés Christophe Masse, Roland Blum et moi-même – et cosignée par de nombreux parlementaires. Après l’adoption de ce texte, en octobre 2006, l’émotion était palpable dans cet hémicycle. Ce jour-là, les parlementaires ont eu l’impression de rendre enfin sa dignité au peuple arménien.

Cependant, l’illusion du devoir accompli l’emporta sur les promesses faites et, depuis cette date, ce texte n’a pas reçu un accueil favorable au Sénat. Aussi examinons-nous ce matin un texte différent de celui de 2006, plus général, car il transpose une décision européenne permettant de réprimer la contestation d’un génocide. Dans le texte déposé par notre collègue Valérie Boyer, le fait de contester ou de minimiser de façon outrancière l’existence d’un crime de génocide reconnu comme tel par la loi française est constitutif d’une infraction. Ainsi, dès lors que notre République aura reconnu un génocide dans la loi, sa négation sera de facto réprimée par notre droit pénal. Toute personne qui enfreindra ce principe par des discours, des écrits, des dessins, des affiches ou par voie électronique sera punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Après l’adoption de ce texte, les deux génocides seront nommément reconnus comme ne pouvant être niés. C’est une grande avancée pour notre pays ; nous serons enfin cohérents avec les textes votés.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Richard Mallié. La communauté arménienne n’a pas été épargnée au cours du xxe siècle et ses descendants, nos compatriotes, continuent de porter les stigmates de cette souffrance. Tant que cette loi ne sera pas définitivement votée, notre devoir de parlementaires ne sera pas entièrement accompli. En effet, nous avons tous un devoir de responsabilité vis-à-vis de la communauté arménienne. Aussi bien à droite qu’à gauche, nous avons pris des engagements pour que la négation du génocide arménien soit pénalement réprimée en France.

Le Président de la République s’est rendu récemment en Arménie, il a visité le musée du génocide et le mémorial, et a planté un arbre à la mémoire des victimes, comme le veut la tradition. Il a montré toute l’affection et l’empathie qu’il a pour l’Arménie autant que pour la communauté arménienne de France.

Au nom de tous ceux qui ont souffert, de ceux qui ont payé le prix fort, nous devons aujourd’hui être fermes et décidés vis-à-vis de ceux qui ne respectent pas la loi française. On me dit que tel pays le prend mal. Pourquoi se sent-il concerné ?

M. François Rochebloine. Eh oui ! Bonne question !

M. Richard Mallié. Est-ce lui qui a commis les exactions ? Non, bien évidemment ! Alors, plutôt que de pénaliser l’usage du mot même de génocide chez lui, ou d’essayer de dicter une politique à la France, il ferait mieux de simplement reconnaître ce génocide et de demander pardon, comme l’avait fait, en son temps, le Président Chirac au nom de la France, à propos de l’attitude de notre pays durant l’occupation.

La République a ses valeurs et ne cédera jamais face au chantage économique et aux menaces de représailles diplomatiques. Il est important de rappeler tout l’attachement qui est le nôtre, non seulement à la communauté arménienne mais aussi à son histoire.

Pour conclure, je souhaite reprendre l’un des proverbes arméniens cités dans l’ouvrage de Reine Ciouladjian intitulé Et les mots pour héritage : « De quoi vit l’Arménien ? D’espoir. » Chers collègues, ayons le courage d’honorer l’espoir que la communauté arménienne a mis en nous. C’est pourquoi, pour ma part, je défendrai avec ardeur et je voterai avec force et conviction ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri Jibrayel.

M. Henri Jibrayel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord rendre hommage au combat républicain mené à Marseille par l’ensemble des parlementaires marseillais, notamment ma collègue et amie Sylvie Andrieux. Je veux également saluer l’excellent travail du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France et de son président, Pascal Chamassian, ainsi que de l’ensemble des associations œuvrant pour la reconnaissance du génocide arménien.

La proposition de loi qui nous est soumise, visant à transposer le droit communautaire sur la lutte contre le racisme et à réprimer la contestation du génocide arménien, prévoit de punir ceux qui se seront rendus coupables d’apologie, de négation ou de banalisation grossière publiques des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Enfin, ai-je envie de dire, et surtout tant mieux ! Tant mieux pour tous nos amis arméniens, et je salue en particulier mes amis de la communauté arménienne de Marseille, qui avoisine actuellement 80 000 personnes.

Élu de terrain dont la proximité est une philosophie plutôt qu’une attitude préélectorale, j’ai été de tous les combats œuvrant pour la pénalisation de la négation du génocide arménien. Aujourd’hui encore j’entends des arguments diplomatiques évoquant les conséquences que pourrait engendrer l’adoption d’une loi sanctionnant la négation du génocide arménien. Je veux vous rappeler que c’est à cause de ce type de raisonnement technocratique et sans cœur que nos amis arméniens ont été victimes du premier génocide du xxe siècle, sans même que les nations s’insurgent !

« Il faut sauver les Arméniens ! », s’écria Jaurès le 3 novembre 1896 pour condamner un drame abominable. Malgré ces formidables mots prononcés devant les représentants de la nation, des mots qui auraient dû les alerter, les Arméniens allaient souffrir jusqu’en 1915. On trouve déjà trace dans les rapports internationaux rédigés pendant la guerre de la mention de « génocide ». Leurs auteurs décrivent – c’est la qualification juridique même du génocide – le caractère systématique du programme de suppression des Arméniens.

En 1914, on assiste à la déportation de toutes les populations civiles arméniennes vers les déserts de Syrie pour de prétendues raisons de sécurité. La destination réelle de ces populations, ce sera en fait la mort ! Durant la Première Guerre mondiale, 1,5 million d’Arméniens ont été tués sur place ou sont morts au cours de leur déportation, soit les deux tiers de la population arménienne vivant dans l’Empire ottoman.

Le génocide et sa négation ont été des réalités trop longtemps niées. Je voudrais rappeler ici combien de fois j’ai été choqué d’entendre des personnes contester, en toute impunité, jusque sur le territoire français, l’horrible réalité du génocide arménien. La Turquie de 1915 a été le théâtre d’une extermination méthodique et planifiée du peuple arménien. Depuis le grand procès de Nuremberg, ces actes ont un nom : génocide. Il n’est pas acceptable que de tels actes soient encore niés et leur négation impunie.

Je voudrais maintenant m’arrêter un instant sur le sort des Arméniens de Marseille.

M. Jean Bardet. On ne fait pas une loi pour Marseille !

M. Henri Jibrayel. Les premiers rescapés du génocide arménien arrivent en France à partir de septembre 1922 en provenance de Turquie, de Syrie, du Liban, de Grèce. Ce sont pour la plupart des femmes, des vieillards ou de très jeunes adultes. Ils logent dans des hôtels meublés du quartier de Belsunce et de la gare Saint-Charles, où ils s’entassent à plusieurs familles dans une chambre.

Nombre d’entre eux sont dirigés vers un camp situé à proximité de la gare Saint-Charles. Devant l’afflux de réfugiés, un second camp, situé dans le quartier d’Oddo et ayant servi pendant la Première Guerre mondiale pour les troupes coloniales, est ouvert de 1922 à avril 1927. À l’époque, le gouvernement français souhaite envoyer ces réfugiés arméniens, à 80 % des paysans, dans les campagnes où la main-d'œuvre fait défaut. En fait, nombre d’entre eux trouveront du travail dans les usines, où ils effectueront les travaux les plus pénibles. Jusqu’en 1936, ils vivent dans des bidonvilles situés à proximité des industries, dans des quartiers comme Saint-Loup, Sainte-Marguerite, Saint-Antoine ou Saint-Jérôme. Dès 1927, ils construisent, dans chacun de ces quartiers, des maisons, mais surtout des écoles et des églises, qui permettent de recréer symboliquement un bout d’Arménie.

Ce que je viens d’évoquer, je le tiens de ce que m’ont raconté les Arméniens de Marseille, qui le tiennent eux-mêmes de leurs parents et de leurs grands-parents. Aujourd’hui, je suis particulièrement heureux et ému de voir que la pénalisation de la négation du génocide arménien revient en débat à l’Assemblée nationale. La pénalisation de la négation du génocide arménien n’est pas un simple acte législatif : c’est un devoir pour nous, élus du peuple, de faire en sorte que soit pénalisée la négation de ce que l’histoire ne cesse d’affirmer,

Une fois encore, pour tous mes amis arméniens, je me réjouis de ce texte et ne ferai que mon devoir en lui apportant mon approbation, avec une pensée pour Hrant Dink. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Éric Raoult.

M. Éric Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame l’auteure de cette proposition de loi, c’est un très long chemin d’honneur et de fidélité qui nous a menés jusqu’à ce 22 décembre 2011, comme c’était aussi un très long chemin pour ceux qui, partant de Constantinople, se rendaient à Alfortville, Décines ou Livry-Gargan en passant par Marseille.

Par le vote de la loi 2001-70 du 29 janvier 2001, le Parlement français a reconnu l’existence du génocide arménien de 1915. Cette loi ayant mis fin à la négation des crimes subis par le peuple arménien était demandée depuis des années par des associations mais aussi, avec courage, par la représentation nationale. M. Lecoq n’est plus là, mais je voudrais évoquer le souvenir de Guy Ducoloné, qui fut, en son temps, le seul à avoir rédigé une proposition de loi en ce sens. D’autres en avaient sans doute eu l’idée mais ne l’avaient pas défendue ici.

La loi de 2001 ne faisait pas l’unanimité : défendre les positions que nous soutenons aujourd’hui était alors difficile et le Premier ministre de l’époque, qui n’était pas issu de la majorité actuelle, avait bloqué l’examen de cette loi, provoquant de la gêne chez nombre d’entre nous. Le plus dur semble avoir été fait lors du vote de cette loi de janvier 2001, la représentation nationale ayant, avec beaucoup de volonté, permis à la France de reconnaître enfin le génocide arménien. Cependant, si cette loi reconnaissait publiquement le génocide arménien, elle ne prévoyait aucune disposition sanctionnant la négation de ce génocide. Considérant que la loi de l’État doit être respectée, il apparaissait donc nécessaire de remédier au caractère déclaratif de la loi de 2001 en adoptant les dispositions adéquates.

Aujourd’hui, la proposition de loi sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer va dans le bon sens. Il ne s’agit pas de stigmatiser un État, quel qu’il soit, mais bien d’interdire, au sein de notre pays, les déclarations et écrits négationnistes de celles et ceux qui voudraient nier cette réalité, afin de respecter la douleur des familles victimes de ces événements dramatiques.

Depuis près de trente ans, je suis aux côtés de la communauté arménienne de France. À deux reprises, je suis intervenu devant une foule de manifestants, notamment une fois près du Sénat, afin d’expliquer les raisons de mon engagement, de ma fidélité à une cause.

Connaissez-vous Tebrotzassère ? Ce nom, qui signifie « notre école » en arménien, est celui d’une école, créée dans notre pays en 1924 par deux cent douze jeunes orphelines arrivées d’Istanbul en 1917, avec les photos de leurs parents décapités. Aujourd’hui, l’école Tebrotzassère vit toujours, au milieu d’une circonscription – la mienne – où l’on compte trente à quarante fois plus de ressortissants turcs que de ressortissants arméniens. Pourtant, je suis resté fidèle à la cause qui m’est chère.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !

M. Éric Raoult. La ville que j’administre est très fière d’avoir fêté, voici quelques années, l’anniversaire de la création de cette école. Depuis plus de trente ans, je partage les actions de la cause arménienne, parce que je pense qu’il faut voter avec son cœur plutôt qu’en fonction d’intérêts financiers, mais aussi avec sa raison.

Or la raison me fait dire que la négation du génocide arménien existe encore. Je l’ai rencontrée hier soir, sur les plateaux d’une chaîne de télévision, où une personne m’a dit très clairement nier l’existence du génocide arménien, allant jusqu’à me menacer par ces mots : « Vous, on vous a repéré, on viendra vous chercher lors des prochaines élections ! » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Inadmissible !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. C’est une honte !

M. Éric Raoult. Je ne croyais pas qu’une telle chose pût arriver, et pourtant !

Il y a quelques années, l’école Tebrotzassère du Raincy a fait l’objet d’une agression. Les salles de classes ont été souillées d’inscriptions niant le génocide arménien. D’autres événements de même nature, survenus dans d’autres lieux, montrent que la négation du génocide est bel et bien, au-delà des télégrammes diplomatiques, une réalité endémique. Cette actualité récurrente et les pressions que nous avons connues ces derniers jours prouvent malheureusement que la reconnaissance simple ne suffit pas. À la reconnaissance morale nous devons donc ajouter une réponse pénale.

Le génocide arménien, perpétré à partir de 1915, devait être le premier génocide du xxe siècle. Accusés de participer à un vaste complot, les Arméniens de la Sublime Porte ont été massacrés parce qu'on pensait qu'ils étaient du côté de la France, de la Russie ou de la Grande-Bretagne. Cela a suffi à les faire arrêter, torturer, déporter. Au final, près de 1 200 000 personnes ont péri, soit les deux tiers de la population arménienne de l'Empire ottoman.

Lors du vote de 2001, nous avons reconnu dans cet hémicycle l'existence du génocide arménien. La France donnait ainsi force de loi à la reconnaissance de cette tragédie historique, manière de s'associer à la douleur des victimes et de leurs familles.

À l'époque, nous pensions avoir décidé d'un acte solennel, et que le temps atténuerait les réticences et les oppositions. Notre discussion d'aujourd'hui démontre que ce n'est pas toujours le cas. Même pour des questions aussi douloureuses et pour des faits aussi bien établis, de simples déclarations de principe ne suffisent pas : il faut des prescriptions juridiques.

Il s'agit de sanctionner dans notre pays les velléités négationnistes des plus extrémistes. Il s'agit, au sein de notre communauté nationale et européenne, de reconnaître la douleur de ces frères et sœurs d’origine arménienne. Il s'agit de passer de la reconnaissance morale et politique à la prescription légale et juridique.

Monsieur le ministre, en votant cette proposition de loi, nous allons pouvoir faire respecter la mémoire et la douleur des victimes de ce génocide. Voilà pourquoi le groupe UMP votera, à une large majorité, ce texte. Nous tenons à respecter l’engagement pris par le chef de l’État, Nicolas Sarkozy, le 7 octobre 2011, devant le mémorial d’Erevan.

Personnellement, je resterai fidèle à la mémoire des dames Tebrotzassère. C’est la raison pour laquelle, parmi toutes les lois votées sous cette législature nous te remercions, Valérie, pour celle-là. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici à l’heure de vérité. Dans quelques minutes, il va falloir que nous prenions nos responsabilités pour voter enfin cette proposition de loi et mettre un terme à dix ans de renoncements, de refus, de faux-fuyants. Nous aurions dû, depuis dix ans, adopter un texte qui pénalise la négation du génocide arménien. Nous ne l’avons pas fait pour les motifs que vous connaissez tous.

Pour ma part, je vois cinq raisons fondamentales de voter la proposition qui nous est soumise.

Premièrement, nous devons le faire pour les victimes. Comment peut-on imaginer que, dans le pays des droits de l’homme, certains aient encore le droit de nier l’extermination, en 1915, d’un million et demi d’Arméniens, alors que la France a reconnu ce génocide ?

Comment peut-on accepter en France, comme l’a dit René Rouquet à juste titre, qu’en niant l’extermination de ces Arméniens, nous participions collectivement à leur mort ? C’est vraiment en pensant à eux en leur mémoire que nous devons leur donner la possibilité de reposer enfin en paix.

Deuxièmement, nous devons le faire pour leurs descendants qui sont venus sur notre terre de France, qui ont décidé, compte tenu de leurs difficultés, de rester dans notre pays, de devenir des citoyens éclairés de la République française. Comment pouvons-nous aujourd’hui les côtoyer, leur parler, tout en acceptant que certains puissent nier l’extermination de leurs parents, grands-parents, arrière-grands-parents ? Comment pouvons-nous aujourd’hui regarder droit dans les yeux ces Arméniens qui ont accepté depuis 1915 de devenir des citoyens exemplaires de notre République et un symbole d’intégration, sans leur donner la possibilité de défendre, grâce à la loi, la mémoire de leurs disparus ?

Troisièmement, nous devons le faire pour réparer un vide juridique. Deux génocides ont été reconnus par la France. L’un ne peut pas être nié, la Shoah, et c’est tout à l’honneur de notre pays. L’autre, le génocide arménien, peut l’être. Comment expliquer cela, à la fois aux Arméniens, mais aussi tout simplement aux citoyens français ? Nos concitoyens ne comprennent pas cette distinction juridique. Comme le disait à l’instant M. Diefenbacher, il y a peut-être des risques. Mais ces risques, nous devons les prendre car ce vide juridique est insupportable pour la mémoire collective. Comment peut-on justifier une telle différence de traitement ?

Quatrièmement, nous devons le faire pour l'honneur de la politique et de la République. Mes chers collègues, arrêtons l’hypocrisie, à droite comme à gauche. Depuis des années, nous assistons aux commémorations le 24 avril, nous allons dans les meetings électoraux, nous sommes reçus par des associations arméniennes. Tous autant que nous sommes, nous avons promis aux Arméniens de France de faire voter ce texte.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. C’est vrai !

M. François Pupponi. L’honneur d’un élu, d’une femme, d’un homme politique, malgré les risques que cela comporte, c’est de voter en conscience et de respecter la parole donnée. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC et plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

M. François Pupponi. Je suis convaincu que c’est l’une des raisons pour lesquelles nombre d’entre nous vont voter ce texte.

Cinquièmement, nous devons le faire pour permettre un dialogue constructif avec la Turquie. La Turquie est un grand pays et il faut que nous ayons un partenariat fort avec elle. Doit-on continuer ce partenariat sur la base de tabous, de faux-semblants, en cachant la vérité ? Il faut aborder le sujet de la reconnaissance du génocide avec la Turquie, mais aussi celui des Kurdes et des minorités de ce pays. Il faut le faire avec fermeté mais dans le cadre d’un dialogue apaisé. La proposition de loi n’attaque pas l’actuel gouvernement turc. Je suis convaincu qu’elle permettra d’aborder l’avenir dans de meilleures conditions.

M. Jean-Luc Reitzer. Voilà une vue bien optimiste !

M. François Pupponi. Nous voterons ce texte en espérant que le processus parlementaire ira jusqu’au bout et que nous ne tromperons pas une nouvelle fois la communauté arménienne, les Français d’origine arménienne. Trop souvent, tant à gauche qu’à droite, nous les avons trahis et trompés, trop souvent nous les avons déçus.

Mes chers collègues, je le dis avec une certaine solennité, j’espère que, tous ensemble, nous voterons aujourd’hui ce texte. J’espère aussi que le ministre s’engagera à ce que le processus législatif aille jusqu’au bout.

M. François Rochebloine. Avant la fin de la législature !

M. François Pupponi. Nous ferons tous en sorte de convaincre nos collègues sénateurs de voter ce texte afin que nous ayons l’honneur de respecter notre engagement collectif avant la fin de la législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et plusieurs bancs du groupe UMP).

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Mes chers collègues, je le dis honnêtement : j’ai hésité à prendre la parole dans ce débat, tant on a dit qu’il avait un caractère électoraliste et qu’il était instrumentalisé par la prégnance de la communauté arménienne, qui se livrait à tant de mensonges. J’avais donc besoin du soutien de mes collègues de l’Assemblée, et je suis heureux de les voir réunis sur les bancs de la gauche et de la droite pour voter un texte de dignité. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Je veux répondre à quelques observations qui ont été faites, mais pas ici où le débat est d’une grande dignité. Je tiens d’ailleurs à dire à ceux qui ne veulent pas voter ce texte que leurs interventions étaient aussi d’une grande dignité.

M. Jacques Myard. Merci !

M. Patrick Devedjian. J’ai été impressionné par la démonstration de force que la Turquie a éprouvé le besoin de nous imposer en dressant le drapeau turc face à notre assemblée démocratique…

M. Philippe Meunier et M. François Rochebloine. C’est honteux !

M. Patrick Devedjian. …ou en faisant paraître dans deux grands quotidiens nationaux deux pages de publicité dont le coût est certainement très élevé.

M. François Rochebloine. Et la Turquie veut entrer dans l’Europe !

M. Patrick Devedjian. Je pense que l’opinion française en prendra la mesure. Le peuple français est intelligent, il comprend donc très bien. Mais si l’on assiste à une telle démonstration de force sur le territoire français, je vous laisse imaginer ce qui se passe pour les communautés chrétiennes de Turquie. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Ce matin, je ne peux m’empêcher de penser à Hrant Dink, journaliste turc d’origine arménienne qui luttait pour la reconnaissance du génocide arménien en Turquie et qui a été assassiné dans des conditions très obscures.

Une chose est acquise : le génocide arménien est une réalité incontournable parce qu’il est reconnu par la loi de 2001 et je salue tous ceux qui ont pris part à sa reconnaissance. Je le dis aussi parce qu’on l’ignore souvent : le génocide arménien a été reconnu, en 1919, par le gouvernement démocratique de Ferid Pacha – avant Atatürk et après les Jeunes-Turcs – et a donné lieu à des jugements de la cour martiale de Constantinople, qui a condamné à mort les auteurs du génocide. Quand, aujourd’hui, l’État turc tombe dans le négationnisme, il renie sa propre histoire.

Les preuves du génocide arménien sont accablantes. Je ne les citerai pas toutes car nous en aurions jusqu’à demain matin – il y a malheureusement plus de preuves du génocide arménien que de la Shoah parce que, malgré leur défaite, les nazis ont tenté d’effacer toutes les traces. Je vous lirai simplement les trois premières lignes du télégramme du 22 septembre 1915 adressé par le premier ministre turc au préfet d’Alep : « Le droit des Arméniens de vivre et de travailler sur le territoire de la Turquie est totalement aboli. Le gouvernement assumant toutes les responsabilités à ce sujet a ordonné de n’en même pas laisser les enfants au berceau. »

M. François Rochebloine. Scandaleux !

M. Patrick Devedjian. Nul besoin de réunir les historiens pour savoir s’il y a eu ou non un génocide. Comme l’a dit à juste titre René Rouquet, il ne s’agit pas d’écrire l’histoire mais de poser un acte politique historiquement indiscutable.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Patrick Devedjian. Il ne vient d’ailleurs à l’idée de personne de réunir un comité d’historiens pour savoir si la Shoah a existé. Pourtant, les historiens sont utiles, et même indispensables pour connaître les conditions dans lesquelles un génocide est perpétré.

Je souhaite la liberté de travail des historiens, même si ce travail va à l’encontre de ce que je pense. « Liberté pour l’histoire », dit Pierre Nora. Depuis 80 ans, les historiens français ont eu toute latitude pour écrire sur le génocide arménien. À l’exception des travaux de M. Ternon, que je salue respectueusement, je n’ai pas vu grand-chose en la matière.

En Turquie, liberté pour l’histoire. Un grand historien, Taner Aksham, vient d’écrire un livre sur le génocide arménien, apportant des documents nouveaux d’origine turque que les Arméniens et la communauté internationale ignoraient. Il est poursuivi par la justice turque.

Quant au grand écrivain Orhan Pamuk, le seul prix Nobel que la Turquie ait jamais eu, il a osé dire qu’il y avait eu un génocide des Arméniens. Il a été poursuivi par la justice turque.

M. le président. Monsieur Devedjian, votre temps de parole est largement dépassé !

M. Patrick Devedjian. Je vais me hâter, monsieur le président.

L’article 301 du code pénal turc punit ceux qui affirment l’existence d’un génocide arménien en Turquie. Et la Turquie vient nous faire la leçon ! Il ne faut pas confondre la liberté d’opinion et la propagande.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Patrick Devedjian. Comme cela a été dit, nous avons affaire à un négationnisme d’État. Voilà le fond du problème.

Ce que demande le texte présenté par Valérie Boyer, c’est en effet d’interdire la propagande fabriquée par un État.

M. Bernard Deflesselles. Tout à fait !

M. Patrick Devedjian. Car cette propagande poursuit les enfants de la haine dont leurs parents ont été victimes. Il s’agit donc de voter une loi de paix civile. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Calméjane, dernier orateur inscrit.

M. Patrice Calméjane. Initialement prévue pour réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien, génocide que la France a reconnu par la loi du 29 janvier 2001, la proposition de loi de Mme Boyer a été amendée en commission des lois pour prévoir la répression de la contestation ou de la minimisation grossière de l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide lorsqu’ils sont reconnus comme tels par la loi française.

Ce texte relance le débat sur les lois mémorielles et sur le rôle du législateur vis-à-vis de l’histoire. En 2001, nous avons reconnu le génocide arménien. Le Statut de Rome, acte fondateur de la Cour pénale internationale, définit le génocide comme « l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ethnique, national, religieux ou racial ». Il s’agit d’une forme extrême de crime contre l’humanité.

De très nombreux documents attestent la réalité du génocide arménien. Ce n’est pas nous, législateurs, qui écrivons l’histoire.

Mme Françoise Hostalier. Absolument !

M. Patrice Calméjane. Elle est le fait des hommes. Les historiens l’analysent, les professeurs l’enseignent, nous ne faisons que la constater.

Le présent texte ne vise pas la seule question arménienne mais les propos racistes et négationnistes. Rappelons que ce n’est pas la première fois que notre pays se saisit de cette grave question. Pour combattre plus efficacement le négationnisme, Charles Pasqua, dès 1987, avait envisagé la création d’un délit de négation des crimes contre l’humanité. Georges Sarre avait également déposé, en avril 1988, une proposition de loi visant ceux qui porteraient atteinte à la mémoire ou à l’honneur des victimes de l’Holocauste nazi en tentant de le nier ou d’en minimiser la portée.

La loi française reconnaît deux génocides. En ce qui concerne la Shoah, la loi Gayssot de 1990 prévoit la pénalisation d’une forme particulière d’antisémitisme. Le racisme n’est pas une opinion mais un délit. Pour ce qui est du génocide arménien, reconnu de manière spécifique par notre droit, la loi adoptée en 2001 ne comporte pas cette pénalisation. L’objectif du présent texte est par conséquent de compléter le dispositif afin de tirer toutes les conséquences juridiques de cette reconnaissance – en somme, il s’agit de pénaliser le négationnisme.

Il nous paraît indispensable de garder la mémoire de ces tragédies. Si nous avons reconnu le génocide arménien, comment accepter qu’il soit impunément nié sur notre territoire ?

M. Jean-Luc Reitzer. Il y en a eu d’autres, des génocides !

M. Patrice Calméjane. Ne serait-ce pas renoncer à notre devoir de mémoire, se montrer complice d’une censure, accepter tout simplement l’histoire officielle établie par ceux-là mêmes qui ne veulent pas reconnaître la réalité ?

Certains craignent que cette proposition n’entrave l’exercice de leur profession ; mais si la liberté de conscience peut être totale, la liberté elle-même ne peut être absolue. C’est le fondement même d’une démocratie que de limiter la liberté de chacun à celle de l’autre. La reconnaissance de la Shoah a-t-elle empêché les historiens de faire leur travail, a-t-elle entravé leurs recherches ? Certainement pas.

N’oublions pas que ce qui importe au juge n’est pas de savoir si ce que dit l’historien est vrai, mais si ses allégations relèvent d’une intention de nuire ou répondent au devoir d’objectivité et aux règles de la bonne foi.

Espérons, mes chers collègues, que les génocides restent dans la mémoire des hommes et des femmes comme la plus grande des catastrophes du XXe siècle. Espérons qu’au XXIe siècle, grâce aux dirigeants de tous les pays – et notamment du nôtre, Nicolas Sarkozy –, l’ONU, le Tribunal pénal international, le droit d’ingérence mais aussi l’usage des nombreux médias et des nouvelles technologies constitueront une barrière contre de tels actes.

Le sujet dont nous débattons n’est ni de droite ni de gauche mais concerne les droits de l’homme. C’est pourquoi chacun d’entre nous sera amené à prendre sa décision en conscience. Pour ma part, je suis favorable à ce texte.

Dernier orateur inscrit dans la discussion générale, je forme le vœu, en cette fin d’année, que, partout où il y a des conflits, cette période soit un moment de paix pour les enfants, les femmes et les hommes qui composent l’ensemble des pays du monde. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

M. le président. Huit orateurs sont inscrits sur l’article 1er. Je demande à chacun de respecter le temps de parole, qui est de deux minutes.

La parole est à M. Jean-Philippe Maurer.

M. Jean-Philippe Maurer. Voilà une proposition de loi à l’indignation sélective, qui cherche à ajouter à la condamnation morale, prononcée par la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, la condamnation pénale. De plus, s’il fallait en croire le titre, la France va reconnaître bien d’autres génocides puisque la Shoah, qui a fait l’objet de la loi Gayssot, est déjà prise en compte, alors que la mention de génocide arménien, qui figurait initialement dans le présent texte, a disparu, même si l’on ne parle ici que de lui.

La France devient donc le nouveau procureur international, syndrome de la « grande nation » qui va dispenser des leçons d’histoire à la terre entière. Mais cherchez l’erreur : pour la France, en cent ans, seuls deux génocides seraient donc reconnus. C’est maigre et c’est bien faible. Il y a donc vraiment un problème de méthode.

Reste que, pour dispenser des leçons d’histoire, encore faut-il être prêt à en recevoir, et là, les rangs se font beaucoup plus clairsemés – j’entends déjà les cris, voire les hurlements, si des États souverains se mettaient à qualifier les interventions armées et la politique de la France dans le monde depuis près de cent ans.

Si telle était notre volonté, autant aller jusqu’au bout de cette logique et donner compétence à nos juridictions, comme en Espagne, pour engager des poursuites planétaires pour crimes contre l’humanité. Si telle était vraiment notre volonté, autant conférer une compétence pleine et entière à nos juridictions à l’instar du Tribunal pénal international de La Haye.

Une mesure de sagesse avait été la mise en place de la mission d’information sur les lois mémorielles, présidée par M. Accoyer, qui concluait à la nécessité de cesser de légiférer dans ce domaine.

La présente proposition de loi constitue bien une innovation car il s’agit de légiférer à ce sujet au prétexte de la transposition du droit communautaire. De ce fait, je demande la suppression de l’article 1er qui, d’abord, nous engage à une revisitation historique sans fin à cause de laquelle les blessures anciennes, bien loin d’être apaisées, seront ravivées, qui, ensuite, ignore les évolutions de la société turque vers toujours plus et mieux de démocratie (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP),…

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Ah oui ?

M. François Rochebloine. C’est incroyable d’entendre des choses pareilles !

M. Jean-Philippe Maurer. …et qui, enfin, sous-estime la capacité actuelle du Tribunal pénal international de La Haye, que nous devons soutenir sans faillir.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est impossible de traiter en deux minutes d’un sujet aussi vaste mais je souhaite vous livrer quelques réflexions que la discussion générale m’a inspirées. Il ne s’agit pas de délibérer sur l’existence ou non du génocide arménien : c’est chose faite depuis 2001.

Il ne s’agit pas non plus de discuter d’une proposition de loi mémorielle puisque nous examinons une proposition de loi pénale, qui crée donc un délit nouveau dans le code pénal, un délit de négation non pas seulement du génocide arménien, même si c’est le premier que nous avons tous à l’esprit aujourd’hui, mais de tous les génocides. Je remercie les auteurs du texte de nous éviter ainsi d’avoir à légiférer de nouveau pour sanctionner la négation d’autres génocides qui seront peut-être, un jour, reconnus par la France.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je suis en outre choqué par le mélange permanent que l’on fait entre crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Pardon de rappeler à M. Lecoq qu’il s’est passé des choses anormales dans de très nombreux conflits auxquels la France a participé. En effet, la France a parfois commis des crimes de guerre.

M. Philippe Meunier. C’est vrai !

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais le crime contre l’humanité, depuis le tribunal de Nuremberg, est un crime spécifique en droit pénal, imprescriptible, alors que le crime de guerre, lui, est prescriptible. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.) Le mélange des deux est à mes yeux une forme dangereuse de révisionnisme.

La loi de la République française punit déjà la négation du génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale – auxquels je voudrais ajouter les Tziganes. Le présent texte recouvre, lui, l’ensemble des génocides. Et puisque le droit pénal considère la négation du génocide juif comme un crime, au nom de quoi aurions-nous le droit, chers collègues, de dire que ce n’est pas un crime de nier l’existence du génocide arménien ? (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Enfin, si je comprends que le Gouvernement doive faire preuve de diplomatie, ce n’est pas le cas des parlementaires, qui n’ont pas à se soucier des relations entre États…

M. Jean-Luc Reitzer. C’est la meilleure ! À quoi servons-nous ?

M. Jean-Christophe Lagarde. …mais de ce que la nation française pense d’une situation.

J’ai été profondément heurté, ces derniers jours, par les déclarations répétées du Premier ministre turc, M. Erdogan.

M. François Rochebloine. Des propos scandaleux !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est à la tête d’un grand pays ami et allié de la France, qui a notre respect et auquel nous n’entendons pas imposer nos lois lorsque nous avons des différences d’appréciation sur la façon dont fonctionne la société turque. Il est à la tête d’un grand peuple qui n’est pas responsable du génocide arménien ! À l’esprit de qui viendrait-il de considérer les Allemands de notre génération comme responsables de ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale ?

M. Jean-Luc Reitzer. C’est bien tout le problème du présent texte !

M. Jean-Christophe Lagarde. Les Turcs d’aujourd’hui ne sont pas responsables de ce qui s’est passé en 1915.

En revanche, nous ne pouvons accepter que des menaces, des pressions économiques et diplomatiques d’un grand pays qui se veut démocratique, mais dont l’attitude finit par ressembler à celle de la Chine, pèsent sur le Parlement français, sur les entreprises françaises, sur le gouvernement français. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

J’y insiste, ce n’est pas acceptable. Et je finirai en m’adressant à M. Erdogan : la loi française se vote dans cet hémicycle, à Paris, elle ne peut pas être dictée à Ankara. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)

M. Jean-Luc Reitzer. Sans doute, mais la loi française doit s’occuper avant tout de la France !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Quel discours enflammé, monsieur Lagarde ! (Murmures.)

Avec l’article premier, nous entrons dans le cœur du problème, celui de la pénalisation de propos et de prises de position, qui constitue une restriction à la liberté d’expression. Cet article propose en effet un nouveau dispositif afin de limiter la liberté d’expression, qui vient s’ajouter à celui résultant de la loi Gayssot.

En tant que libéral, je suis par principe opposé à toute forme de restriction de la liberté d’expression. Je peux admettre que, pour des motifs impérieux, notamment la préservation de la paix sociale ou le trouble à l’ordre public, l’on impose le silence sur certains sujets polémiques. Je peux admettre qu’après la dernière guerre, interdire de rappeler des faits vieux de plus de dix ans fut une façon d’empêcher que des épisodes douloureux ne refassent surface. J’admets aussi qu’on ait pu, au début des années 90, interdire la contestation du verdict d’un tribunal international, car derrière cette contestation se cachait un antisémitisme dont on sait ce qu’il a donné en termes de troubles de la paix sociale.

Sommes-nous dans la même configuration aujourd’hui ? Un trouble à l’ordre public met-il donc tellement à mal la cohésion de la société française qu’il faille restreindre la liberté d’expression pourtant consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? Ce n’est bien évidemment pas le cas et cette proposition de loi illustre parfaitement une dérive grave de notre société.

Nous n’acceptons plus le débat comme un échange, comme une délibération. Nous sommes dans le combat, où il faut imposer son point de vue et écraser l’adversaire. Pour cela, tous les coups sont permis, nous l’avons vu depuis quelques jours. Il est plus facile, plutôt que de répondre sur le fond, de disqualifier son adversaire. Trop de débats qui ne devraient pas sortir des pages « opinions » des grands quotidiens finissent devant les tribunaux. Ce n’est pas normal et il faut en finir avec ces pratiques.

Je propose donc de supprimer l’article 1er, outil néfaste qui va achever de tuer tout débat et tout échange intellectuel sur des sujets sensibles ou mettant en cause des intérêts moraux mais aussi matériels de communautés sachant pratiquer le lobbying et l’intimidation.

Autant, dans le cas de la loi Gayssot, il est évident que l’antisémitisme constitue un trouble à l’ordre public suffisant, autant, dans les autres cas, le trouble à l’ordre public ne me semble pas suffisant pour justifier une telle loi. (Murmures sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Vous trouvez ?...

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. On a utilisé le mot « coordination ». S’il s’agit d’une proposition de loi de coordination, c’est en tout cas un texte de cohérence que nous allons voter, un texte indissociable de celui que nous avons adopté en janvier 2001. Peut-être, d’ailleurs, aurions-nous dû à l’époque associer directement la présente disposition au texte de loi.

M. François Rochebloine. Ce n’est pas faute d’avoir essayé !

M. Bruno Le Roux. Nous avions essayé en effet. Et si nous le faisons dix ans plus tard, c’est bien par souci de cohérence et c’est bien parce qu’en dix ans se sont produits, non pas à l’étranger mais sur le territoire national, un certain nombre d’actes inadmissibles au regard de la loi de 2001, des actes de négationnisme, de remise en cause de la loi républicaine. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Dix ans plus tard, le texte dont nous discutons est indissociable de cette loi.

Indépendamment des opinions politiques, nous avons toujours été très clairs sur la portée du négationnisme aujourd’hui. Il s’inscrit dans la démarche génocidaire en perpétuant le crime à travers le temps et l’espace. Il parachève l’acte de génocide car, après l’intention d’extermination d’un peuple, qui n’est plus discutée aujourd’hui, la négation du crime, la politique du déni permet d’associer à la destruction physique la destruction de la mémoire de l’humanité. On voit bien le raisonnement politique des tenants de cette attitude, dans notre pays comme ailleurs. Dans notre République, nous avons pris, en 2001, une décision d’importance, et nous ressentons vraiment comme une nécessité de préciser que nous ne tolérerons pas, sur le territoire national, la moindre atteinte à la loi que nous avons votée naguère. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Les menaces de représailles dont nous avons été l’objet confèrent à notre vote d’aujourd’hui une dimension supplémentaire. Non seulement il condamnera le négationnisme, mais il adressera également un signe à tous ceux qui, en France, en Europe, dans le monde, se battent pour les droits de l’homme, pour la vérité, pour la liberté, car c’est librement que nous débattons et votons.

Même si le débat a été digne, je veux dire à M. Diefenbacher que nous n’attisons aucune braise. Nous essayons simplement de faire vivre de façon apaisée la flamme du souvenir, déjà présente sur certains de nos monuments.

M. Jean-Luc Reitzer. Il y en a d’autres à faire vivre !

M. Bruno Le Roux. Cette flamme est importante pour construire, demain, une relation apaisée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Le génocide des Juifs, des Tziganes, des Arméniens sont des réalités historiques intangibles. Je ressens comme une blessure inguérissable ces tragédies du XXe siècle, qui marquent à jamais le genre humain.

Je tiens ici à saluer avec force l’apport fécond des Français d’origine arménienne à la nation française. Je me souviendrai toujours de la noblesse des propos du réalisateur Henri Verneuil, d’origine arménienne, devant la commission Marceau Long sur la nationalité. Il remit fermement à sa place une jeune immigrée qui, vivant en France et étant Française, rejetait la France, en l’invitant à aimer son pays ou à partir. Les Arméniens ont épousé la France. C’est la grandeur de notre pays de les avoir fraternellement accueillis. Néanmoins, je reste opposé à inscrire dans le droit pénal comme un délit la négation d’un génocide avéré.

D’abord, pour une raison juridique. La décision-cadre de 2008 du Conseil des ministres européens ne condamne pas en tant que telle la négation d’un fait historique : « Est punissable l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide lorsque le comportement est exercé de manière à inciter à la violence et à la haine raciale. » Ce n’est donc pas la négation d’un fait historique en soi qui est, au regard de cette décision-cadre, un délit.

Chacun connaît les propos de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez exprimer votre opinion. » En rappelant ce fondement même de la liberté d’expression, droit constitutionnel, j’ai bien le sentiment que la forte émotion qui règne à juste titre dans notre hémicycle, au rappel d’événements avérés et tragiques, sera un élément déterminant dans le vote. Pour ma part, je demeure convaincu que la liberté d’expression doit rester le fondement de notre démocratie, même si on peut bouillir et se révolter face à des opinions révoltantes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bardet.

M. Jean Bardet. Je ne nie aucun génocide. Comme vous, je les condamne tous bien que, depuis ce matin, je n’aie entendu parler pratiquement que du génocide arménien. J’ai aussi, dans ma circonscription, des Arméniens ; je les respecte, je les rencontre régulièrement.

Allant plus loin, je condamne toutes les dictatures, d’Hitler à Staline, de Mao à Pol Pot, de l’ayatollah Khomeini à Khadafi, de Pinochet à Amin Dada. Je condamne tous les pogroms, toutes les ratonnades, tous les crimes contre l’humanité, les massacres au Rwanda, l’esclavagisme, les guerres de religion et toutes les guerres. Je condamne la terre entière car, depuis la Bible jusqu’au XXIsiècle, l’histoire n’est faite que de crimes, de guerres, de meurtres, de tortures et de viols.

M. Claude Goasguen. Ça n’a rien à voir !

M. Jean Bardet. Je condamne la peine de mort et les pays, démocraties ou dictatures, qui la pratiquent.

Notre pays, la France, n’est pas à l’abri des reproches.

« France, mère des arts, des armes et des lois ». Que dire de la France qui a mené les croisades, les guerres de religion ? De la France de la Terreur, des massacres de septembre, du génocide vendéen, des exactions de la Commune, qu’elles soient commises par le camp versaillais ou communard ? De la France de Vichy et de la grande boucherie de 14-18 ?

M. Claude Goasguen. Rien à voir !

M. Jean Bardet. Si j’avais vécu à cette époque, j’aurais voulu être Jaurès.

« Démocratie, que de crimes on commet en ton nom ! » Il est bon, en cette période de crise grecque, de rappeler que la démocratie est née en Grèce. En est-on sûr ? A-t-on oublié que la Grèce antique avait environ 400 000 esclaves et que c’est au nom de la démocratie que Socrate a été obligé de boire la ciguë ?

Va-t-on réécrire toute l’histoire, et l’histoire doit-elle être écrite dans la loi ? Les livres d’histoire ne seront plus des livres d’histoire, mais des codes s’ajoutant aux codes existants. À côté des code civil, de procédure pénale, du travail, de la sécurité sociale, il y aura le code de l’histoire politiquement correcte ! (Murmures.)

M. Claude Goasguen. Scandaleux !

M. Jean Bardet. Que signifie juridiquement « outrancière » ? Laissons les historiens écrire l’histoire. Que la mémoire de ceux qui nient des vérités historiques se perde dans le ridicule et l’oubli et qu’on ne donne pas à ceux-là d’importance. Que le législateur fasse des lois pour que les crimes du passé ne se renouvellent pas dans l’avenir.

J’indique, pour terminer, que je n’ai subi aucune pression d’aucune sorte et que je ne voterai pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou. À mon sens, ce texte est déraisonnable et dangereux. Je suis de ceux qui ont voté, en conscience, la loi de 2001. Je suis de ceux, avec François Rochebloine, qui sont allés au mémorial d’Erevan dans des circonstances mémorielles extrêmement douloureuses. Cependant, je veux dire à Patrick Devedjian en particulier que le texte que nous examinons ne correspond pas aux arguments qu’il a donnés à la tribune. Ce qu’il a dit, et ce qu’un certain nombre d’autres ont défendu, c’est qu’un génocide avait bien existé, dont les Arméniens avaient été victimes en 1915, et qu’il n’était pas besoin de commission d’historiens pour le garantir. Oui, bien entendu, et nous, comme législateurs, nous avons, au nom de la République française, reconnu que ce génocide existait.

L’objet de ce texte est tout différent. Il s’agit d’enrôler la justice pénale de notre pays pour que soient traduits devant elle des gens qui nieraient ce génocide ou en considéreraient la qualification comme erronée. C’est une position défendue par un État et par beaucoup de familles qui, à tort, je le crois, ont transmis à leurs enfants l’idée que cet affrontement de communautés au sein de l’Empire ottoman en 1915 n’était pas la même chose que d’autres génocides. Je considère comme dangereux et déraisonnable de notre part de traduire devant la justice de notre pays des jeunes d’origine turque qui se contenteraient de répéter ce qu’on leur a dit dans leur famille ou ce que dit l’État dont ils sont originaires. Ce n’est pas à cela que la justice pénale doit servir.

M. Philippe Meunier. Quelle inconséquence !

M. François Bayrou. Cher collègue, vous avez le droit de penser que c’est n’importe quoi, mais j’ai le droit de défendre cette thèse devant vous !

M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait !

M. François Bayrou. C’est une décision dont nous verrons les conséquences se développer loin au-delà de cette question et loin au-delà des années que nous allons vivre. Dominique Souchet, chaleureusement applaudi par la gauche, a rappelé à la tribune le génocide vendéen. Mais nous avons connu d’autres génocides, au Rwanda, au Cambodge, et les majorités se succédant, d’autres seront reconnus. La justice pénale doit-elle être enrôlée dans ce débat ?

Je considère que c’est dangereux, que faire flamber ces braises présente un risque pour la société française. Le Président de la République, à la tête des autorités de notre pays, aurait dû s’adresser à la majorité qui le soutient pour la prévenir contre une telle imprudence. Il me semble qu’il y a là un risque contre la loi et la définition de la loi, et contre l’histoire que nous n’avons pas le droit de prendre. C’est pourquoi je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. J’ai écouté avec intérêt les explications de M. Bayrou. Ce texte, incontestablement difficile et compliqué, nous renvoie à des problèmes aigus et, comme il l’a dit, de nature à rallumer les braises. Cependant, la présence en France d’une importante communauté arménienne rend ce débat légitime, tout autant que la gravité des événements de 1915. Pour sortir de ce qui peut être à la fois une passion franco-française et une controverse franco-turque, le texte a le mérite de renvoyer à l’Europe, c’est-à-dire à des instances non nationales et, finalement, ce qui est beaucoup plus sage, au juge international. La définition du génocide échappant à juste titre, à mon avis, au Parlement, le juge retrouve une place centrale dans l’appréciation de la négation de faits qualifiés par lui. L’équilibre du texte permet d’éviter que les passions françaises ne se remettent à flamber.

En ce qui concerne le rétablissement de la vérité historique, le texte a aussi le mérite de ne pénaliser que les négations « outrancières ». Tout est dans cet adjectif. L’appréciation de l’outrance sera réservée au juge et la sanction pénale ne s’exercera pas à l’encontre de celui qui, comme vous le disiez avec beaucoup de justesse, monsieur Bayrou, répétera ce qu’on lui a appris, sans doute à tort, dans sa famille, mais à l’encontre de celui qui fait usage de la recherche historique dans le but d’exciter à la haine et aux passions.

La proposition de loi me semblant ainsi équilibrée, je retire les amendements que j’ai déposés, maladroitement écrits dans la précipitation en raison de la rapidité avec laquelle ce texte a été inscrit à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 5.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je rappelle pourquoi je suis pour la suppression de l’article 1er : si l’antisémitisme me semble constituer un trouble à l’ordre public suffisant pour justifier la loi Gayssot, les autres cas me semblent insuffisamment le constituer pour justifier la présente loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement vide la proposition de loi de sa substance. La commission y est donc évidemment défavorable.

Ce texte a pour objet de compléter les dispositifs réprimant la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi afin de leur donner une pleine effectivité. Il ne s’agit donc pas, comme l’exposé sommaire de l’amendement le laisse entendre, d’une proposition de loi mémorielle.

La négation des génocides, c’est la prolongation de la composante du crime, et c’est pourquoi il ne s’agit pas non plus d’une loi de circonstance, comme Renaud Muselier l’a montré, mais d’une loi qui fait l’unité nationale. Il est normal et légitime que des voix divergentes s’expriment : cela prouve que nous sommes dans un grand pays démocratique. Ce débat se déroule dans la dignité et la mesure.

Voter cette loi n’est pas un acte mémoriel, mais un acte politique fort. M. Estrosi a brillamment rappelé qu’une loi dépourvue de sanction consent par avance à sa violation et qu’il faut confier à la justice le droit de protéger les plus faibles. L’Assemblée s’honore, comme l’a dit M. Souchet, à prolonger ce combat. M. Raoult nous l’a rappelé, c’est le chemin de l’honneur et de la fidélité que nous suivons. Sur les bancs de l’opposition, je note qu’il a été dit que le négationnisme n’est pas une simple opinion, qu’il faut le combattre par la force de la loi et que ceux qui revendiquent la liberté de douter sont des imposteurs et des usurpateurs. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de légiférer aujourd’hui.

M. Devedjian a rappelé que la liberté d’opinion est très différente de la propagande d’État. C’est bien contre cette propagande d’État que nous souhaitons lutter, car elle poursuit les enfants de la haine dont leurs parents ont été victimes, et nous empêchent de trouver la paix civile.

J’ai entendu dire que les troubles à l’ordre public n’étaient pas suffisants, je ne peux pas souscrire à cette remarque.

M. François Rochebloine. Honteuse !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je tiens à votre disposition une liste non exhaustive mais déjà longue des contestations, des profanations et des exactions commises envers la mémoire des descendants des victimes ou des victimes encore vivantes.

On ne saurait aujourd’hui, en tant que député, ne pas protéger nos concitoyens français contre des exactions et des profanations commises sur le sol français. C’est de cela dont il s’agit aujourd’hui. Cette loi concerne des ressortissants français et leur mémoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Avant de donner mon avis sur cet amendement de suppression, permettez-moi de répondre aux orateurs inscrits sur l’article 1er et dans la discussion générale.

Mesdames et messieurs les députés, je tiens à dire que nous avons assisté à un débat d’une grande tenue et d’une hauteur de vue qui honore ses participants, quelles que soient leurs opinions.

Un consensus que je sens favorable semble se dégager, mais je peux comprendre que ce débat fasse appel à la conscience de chacun. Je respecte celles et ceux qui se sont exprimés, y compris lorsqu’ils se sont trompés de débat.

De fait, certains d’entre vous se sont trompés de débat. Je ne voudrais pas que nous sortions de cette assemblée en ayant le sentiment d’avoir refait les débats de 2001 et de 1990. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’une loi mémorielle. Vous avez voté de manière consensuelle, voire unanime, sur ces lois mémorielles, il n’y a pas lieu d’y revenir.

Il s’agit simplement de tirer les conséquences de ce qui a été voté par votre assemblée. Vous avez décidé dans la loi de 1990 sur la Shoah que sa négation pouvait être sanctionnée, et vous ne l’avez pas fait dans la loi de 2001. Aujourd’hui, la proposition de loi permet simplement de combler un vide juridique dans un souci de coordination pénale. C’est mon sentiment à la lecture du texte et des travaux de la commission des lois.

J’ai entendu ce qui s’est dit ici, et j’ai vécu des moments d’émotion qui n’ont rien à voir avec l’objet de la loi, mais qui ont été vécus par les uns et les autres avec beaucoup d’intensité, je ne veux pas y revenir.

Je veux dire à ceux qui se sont exprimés en défaveur de cette proposition de loi qu’il n’est pas grave de se tromper de débat, pourvu que l’on ne tombe pas dans la redite de ce qui s’est passé il y a vingt ans et dix ans.

Monsieur Bardet, je suis comme vous contre les dictatures et contre les pogroms. Qui, ici, pourrait se lever en disant qu’il est pour ? Bien sûr que je suis d’accord avec vous, mais ce n’est pas notre débat. Nous sommes ici dans la maison de la démocratie, et il s’agit simplement de faire une loi de cohérence avec des lois votées dans le passé.

Monsieur Diefenbacher, je vous ai écouté avec attention et j’ai beaucoup de respect pour vous ainsi que pour M. Maurer, mais je ne peux pas accepter vos arguments. Comme d’autres, vous revenez à un débat passé, qu’il n’y a plus lieu de rouvrir.

Pour finir, je dirai à M. Bayrou que lui aussi se trompe de débat car, s’il a voté la loi de 2001, il doit être cohérent et faire en sorte qu’il n’y ait pas deux catégories de génocides reconnus par la loi française : ceux dont la négation pourrait être sanctionnée et d’autres dont la négation ne pourrait pas l’être.

M. Jean Glavany. Il n’y a pas d’obligation en démocratie ! Il est inimaginable d’entendre de tels arguments d’autorité !

M. Patrick Ollier, ministre. Voilà le débat qui nous occupe aujourd’hui, et je souhaite, mesdames et messieurs les députés, vous y ramener.

S’agissant de l’amendement de M. Tardy, le Gouvernement y est évidemment opposé, conformément à son souhait que la proposition de loi soit examinée aujourd’hui. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.).

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. J’avais cru comprendre que le Gouvernement s’en remettrait à la sagesse de l’Assemblée, mais je sens qu’après le débat le ministre exprime une conviction très claire.

Mais là n’est pas l’objet de mon intervention. Je veux indiquer les raisons pour lesquelles le groupe GDR est contre cet amendement. Nous considérons que nous ne devons pas avoir peur que d’autres génocides puissent être reconnus par la loi française. Cependant, nous préférions la rédaction initiale de la proposition de loi, parce qu’elle était plus large et ne se limitait pas aux seuls génocides reconnus par la France mais intégrait l’ensemble des génocides reconnus par les juridictions internationales.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Reitzer.

M. Jean-Luc Reitzer. Je voterai pour l’amendement de mes collègues Tardy, Vandewalle et Maurer. Je considère en effet que l’article propose un nouveau dispositif qui limite la liberté d’expression, en plus de ceux qui existent déjà et qui résultent de la loi Gayssot.

Cette proposition de loi limite la liberté d’expression et va à l’encontre de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme, texte à valeur constitutionnelle, qui dispose : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. »

Madame Boyer, vous avez dit avec raison qu’il y avait parfois eu des troubles à l’ordre public liés au génocide arménien. Mais si nous devions légiférer chaque fois qu’il y a trouble à l’ordre public, nous y passerions de longues heures !

À mon sens, l’article 1er contrevient également à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme qui dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté. » Je pense que ces conditions ne sont pas réunies.

Enfin, je considère que la solidité juridique de l’article 1er est sujette à caution. Le périmètre exact du délit n’est pas fixé, et il pourrait toujours s’étendre suite au vote de nouvelles lois reconnaissant l’existence de génocides.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Il ne faut pas tout mélanger. Patrick Devedjian l’a très bien dit : nous n’étudions pas une loi mémorielle au sens propre du terme, nous affirmons un acte politique qui doit être assumé dans sa spécificité.

Lorsque je parle de spécificité, j’entends par comparaison avec la Shoah, et les conséquences judiciaires, juridiques et d’ordre international que nous en avons tirées. En 1945, à Nuremberg, a été défini ce qu’était un génocide. C’est un crime très particulier, trop souvent confondu avec le crime contre l’humanité et les crimes de guerre. Le génocide signifie étymologiquement et juridiquement la volonté déterminée d’exterminer pour des appartenances raciales ou ethniques. Cela limite singulièrement le champ d’application de l’atteinte ainsi faite à l’ensemble d’un genos. Mais si nous comparons la Shoah au génocide arménien, quelle est la différence fondamentale ? La Shoah est reconnue comme un génocide par les pays qui l’ont organisée. Ce n’est pas le cas pour le génocide arménien.

En réalité, notre texte signifie que nous ne saurions approuver l’attitude d’un État qui ne reconnaît pas ce génocide historique, et qui se livre au contraire à une propagande négationniste moderne, non pas à destination des historiens – je partage le sentiment qu’ils n’ont pas grand-chose à voir dans cette affaire – mais à l’égard des jeunes Turcs qui sont sous la main de leurs parents ou de l’ambassade de Turquie. Nous ne pouvons pas accepter que, dans notre pays de liberté, on puisse, par la voix d’un État étranger, continuer à propager un négationnisme moderne qui peut constituer une atteinte à l’ordre public.

Le crime de génocide a une spécificité essentielle dans l’affaire entre la Turquie et les Arméniens : tant que le gouvernement turc n’aura pas changé d’attitude à l’égard de son histoire et continuera à faire de la propagande active pour le négationnisme, la France ne le tolérera pas. C'est la raison pour laquelle il faut voter ce texte sans ambiguïté (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. À titre personnel, je voterai cet amendement de suppression qui, en vidant le texte de sa substance, signifierait son rejet.

Contrairement à ce que dit M. Ollier dans un raccourci ahurissant, ce texte n’est pas automatiquement lié à la loi de reconnaissance du génocide. Si tel avait été le cas, notre Parlement, à l’époque, dans sa grande sagesse, aurait adopté par voie d’amendement ou d’article additionnel le dispositif d’aujourd’hui.

M. François Rochebloine. Nous avons essayé !

M. Jean Glavany. Mais cela n’a pas été fait.

Personne ne conteste que ce génocide était bien un génocide. Nous l’avons reconnu comme tel et, ce faisant, la République française et la représentation nationale ont accompli un acte solennel, important pour l’histoire de la République.

Faut-il aussi dénoncer, tous ensemble, les pressions insupportables exercées par le Gouvernement turc sur la représentation nationale ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !

M. Jean Glavany. Ce sont des pressions scandaleuses qui cherchent à porter atteinte à la souveraineté nationale et à notre capacité de délibérer. Et j’estime comme vous que nous devons légiférer en toute sérénité, en toute indépendance et sans aucune pression, surtout venant de l’étranger.

Je voterai cet amendement de suppression, car ce n’est pas, je le pense comme d’autres ici sur tous les bancs, au Parlement d’écrire l’histoire, mais aux historiens. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. François Rochebloine. Cela n’a rien à voir !

M. Richard Mallié. Ici, on écrit le droit pénal pas l’histoire !

M. Jean Glavany. Si je suis venu de mon bureau - car je ne voulais pas initialement participer à ce débat –, c’est à force d’entendre des députés répéter : « Ce n’est pas une loi mémorielle ! » En psychiatrie ou en psychologie, cela s’appelle la dénégation-aveu. Et je voudrais qu’on laisse les historiens écrire l’histoire. 

Je voterai aussi cet amendement de suppression parce que ce texte, vous le savez tous, est anticonstitutionnel.

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Jean Glavany. Maintenant qu’existe la question préjudicielle de constitutionnalité, il y aura un recours et cette loi s’effondrera comme un château de cartes !

Enfin, je voterai cet amendement parce que la République est une et indivisible…

M. Alain Gest. Ce n’est pas un argument !

M. Jean Glavany. …et que dans la course folle au communautarisme, de temps en temps, certains d’entre nous doivent dire stop ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe SRC.)

M. François Bayrou. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Je le répète, nous n’écrivons ni ne réécrivons l’histoire. Nous permettons aujourd’hui l’application de la loi de la République que nous avons votée dans cet hémicycle. Je veux réaffirmer avec fermeté que le vote de cette loi a eu lieu sans pression d’aucune sorte, d’où qu’elle vienne.

Je suis aujourd’hui choqué lorsque je vois que cet amendement est défendu au nom de la liberté d’expression.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo, monsieur Le Roux !

M. Bruno Le Roux. Si un secrétaire d’État du gouvernement turc a pu dire au Sénat, le 6 avril dernier, qu’il n’y a pas eu de génocide arménien en Turquie, ces propos relèvent peut-être de sa responsabilité politique, mais je souhaite que demain, aucun citoyen français, aucune personne vivant en France ne puisse dire la même chose sur le territoire national ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Ce n’est pas restreindre la liberté d’expression que de vouloir inscrire cet interdit dans la loi.

J’approuve les arguments exposés par Claude Goasguen. J’indique amicalement à Patrick Devedjian, avec qui je partage les mêmes valeurs, qu’il est anachronique de laisser penser qu’il y ait pu avoir une reconnaissance du génocide en 1919. La notion de génocide n’était pas encore établie à cette époque. Il y a seulement eu une prise de conscience de crimes perpétrés contre l’humanité.

Ainsi notre geste ne réécrit pas l’histoire, mais il n’est pas simplement de cohérence, il permet d’envoyer un signe fort à ceux qui nous regardent, et plus prosaïquement, il nous donne les moyens d’appliquer, dans toute la dimension que nous avons souhaité lui donner, une loi que nous avons votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Monsieur Tardy, dans l’exposé des motifs de votre amendement n° 5, deux choses me gênent.

Premièrement, vous soutenez que, contrairement à ce qui se passe pour la Shoah, la négation du génocide arménien ne constituerait pas un trouble à l’ordre public. La différence que vous faites entre les deux me gêne, pour ne pas dire me choque.

Deuxièmement, le risque de trouble à l’ordre public est quotidien, il est réel, il est patent. Dans ma circonscription, il y a une forte communauté turque, une forte communauté arménienne, une forte communauté assyro-chaldéenne de chrétiens d’Orient qui ont quitté la Turquie il y a vingt ans. Lorsqu’on discutera avec le gouvernement turc, il faudra aussi parler du sort des chrétiens d’Orient. Ils ont quitté la Turquie non en 1915, mais il y a vingt ans ; leurs villages ont été rasés.

À Sarcelles, il y a un an, une association turque a voulu organiser une manifestation culturelle et le chanteur invité avait repris sur ses affiches le faciès et le look de l’assassin de Hrant Dink. J’ai pris, en tant que maire, la décision d’interdire le concert. La communauté turque a attaqué mon arrêté. Le juge a admis que le motif de risque de trouble à l’ordre public était justifié et que j’avais à juste titre interdit cette manifestation.

M. Lionel Tardy. Ce qui montre que la proposition de loi est inutile !

Mme Françoise Hostalier. La loi de 2001 existe, et elle suffit !

M. François Pupponi. Monsieur Tardy, nous avons quotidiennement des risques patents de troubles à l’ordre public liés à la négation du génocide.

Mes chers collègues, je vais vous lire l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi. » Il s’agit, avec l’article 1er, de nous mettre en conformité avec nos principes fondateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord. Monsieur le président, je n’avais pas prévu d’intervenir dans ce débat, mais ce que j’ai entendu me pousse à le faire.

M. Glavany nous a dit avoir quitté son bureau pour rejoindre l’hémicycle, je ne résiste donc pas au plaisir de lui dire deux ou trois choses.

S’il y a un texte mémoriel, c’est celui de 2001. Celui de 2011 ne l’est pas : il prévoit de pénaliser la négation des génocides.

M. François Rochebloine. Exactement !

Plusieurs députés du groupe UMP. Bien sûr !

M. Dominique Dord. En quoi serait-ce un texte mémoriel, monsieur Glavany ? Vous allez devoir nous l’expliquer. Le texte de 2001 en était un ; le texte de 2011, s’agissant des génocides, est un texte de portée générale.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas nier la pression qui pèse aujourd’hui sur le Parlement et sur les députés, nombreux, qui siègent sur nos bancs.

M. Alain Gest. C’est inadmissible !

M. Dominique Dord. Je ne connais qu’une seule manière de résister à la pression, c’est la liberté de conscience et la liberté de vote. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Lorsque j’ai découvert l’amendement déposé par M. Tardy, qui est un parlementaire sérieux, je me suis posé des questions. Mais en écoutant M. Glavany, je ne peux m’empêcher de réagir, afin que les gens qui nous écoutent ou nous liront sachent de quoi nous parlons.

La proposition de loi n’a pas de finalité mémorielle – c’était l’objet du texte de 2001 –, elle précise simplement les sanctions pénales applicables à ceux qui contesteraient ou minimiseraient de façon outrancière, par un certain nombre de moyens de communication, l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide définis à l’article 211-1 du code pénal.

Dès lors, monsieur Tardy et monsieur Glavany, je ne comprends pas votre position. Si l’on prolonge votre raisonnement, on est en droit de vous poser quelques questions. Pourquoi êtes-vous favorables à la pénalisation actuelle de la contestation du génocide juif ? Au nom de quoi allez-vous faire une différence avec le génocide arménien ? Pardonnez-moi, mais je ne peux admettre cette distinction. À partir du moment où vous reconnaissez qu’il y a eu génocide, si la contestation de l’un est pénalisée, la contestation de l’autre doit l’être aussi. Sinon, on aboutit à une forme d’absurdité. C’est d’ailleurs l’erreur commise en 2001 – je n’étais pas parlementaire à l’époque –, une erreur qui est bien réparée ici, puisque tout génocide qui viendrait à être reconnu à l’avenir tombera sous le coup de la loi.

M. Philippe Meunier. Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde. Le maire de Drancy que je suis peut le dire : lorsqu’on fait visiter les camps d’extermination à des groupes de jeunes et que ceux-ci, qui ne sont pas seulement d’origine turque, émettent un doute sur le génocide juif, lorsque des enfants, à Auschwitz, peuvent se mettre à rire, cela signifie que nous n’avons pas fait non seulement notre travail d’enseignement, mais aussi notre travail de lutte contre des gens cherchant à diffuser, à travers le révisionnisme et le négationnisme, une propagande qui vise à nier les principes les plus fondamentaux des droits de l’homme, auxquels nous sommes attachés. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Je veux répondre aux arguments développés en faveur de l’amendement n° 5.

Monsieur Tardy, si le Gouvernement a accepté d’inscrire la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée, c’est parce qu’il approuve la cohérence de la rédaction affinée par la commission deslois.

Monsieur Lecoq, si le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée sur le vote de la proposition de loi, encore faut-il que l’article 1er, qui est un des éléments essentiels du dispositif, ne soit pas supprimé. Sinon, il n’y aurait plus de cohérence.

M. Jean-Paul Lecoq. Absolument !

M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Glavany, vous vous trompez de débat.

M. Jean Glavany. Ce n’est pas à vous de décider de quel débat il s’agit !

M. Patrick Ollier, ministre. Je ne vais pas répéter mes propos avec autant de force mais, si vous aviez été là depuis le début de la séance, vous auriez pu entendre ce que j’ai dit.

M. Jean Glavany. C’est un argument ridicule !

M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Lagarde, je vous remercie d’avoir développé mieux que le Gouvernement n’aurait pu le faire, en tout cas aussi bien, les arguments qui s’opposent à la suppression de l’article.

Monsieur Glavany, c’est votre droit le plus absolu de vouloir maintenir un vide juridique, tout comme M. Bayrou. Mais cette proposition de loi le comble et évite ainsi qu’une distinction soit faite entre les génocides, la négation de l’un étant sanctionnée, tandis que la négation des autres ne le serait pas, ce qui reviendrait à admettre qu’il existe des catégories différentes de génocides.

Je voudrais terminer en évoquant les inquiétudes de M. Tardy en ce qui concerne la liberté de la recherche, la liberté de travail des universitaires. Cette proposition de loi ne met en rien cause le travail des scientifiques, bien au contraire. Car la nouvelle incrimination générale de négationnisme ne pourra viser ni les universitaires qui chercheront à établir la vérité historique, ni ceux qui travaillent sur ces sujets. Si vous le désirez, nous reprendrons ce débat plus tard, mais le Gouvernement réaffirme son opposition à l’amendement.

(L'amendement n° 5 n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 6.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. M. le ministre a abordé dans sa réponse un autre point sensible du texte : l’atteinte possible aux recherches universitaires et les pressions qui peuvent s’exercer sur l’écriture de l’histoire.

Ce problème n’est pas théorique. Oliver Pétré-Grenouilleau, universitaire reconnu, a fait l’objet d’une plainte, qui n’a heureusement eu aucune suite, car ses travaux sur la traite négrière, pourtant sérieux et solides, dérangeaient les intérêts d’un groupe de pression. Il faut donc créer une exception, une immunité pour les travaux universitaires. On entend par travaux universitaires, cela va de soi, les travaux sérieux, reconnus et validés par la communauté universitaire. Cela implique qu’elle fasse le ménage chez elle car, pendant longtemps, le négationnisme sur la Shoah prospérait au sein même de l’université Lyon 3.

La liberté de la recherche est essentielle et mérite à mon avis une protection explicite. C’est ce à quoi tend l’amendement n° 6.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Contre.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Cet amendement est intéressant. Nous partageons le souci exprimé par ses auteurs.

Les historiens et scientifiques qui travaillent sur ces sujets doivent pouvoir le faire librement et à l’abri de toute pression. Différents orateurs ont souligné cette nécessité. S’il faut le préciser dans le texte, afin que le juge puisse mieux l’appliquer en mettant à l’abri les historiens, faisons-le. Nous voterons donc cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, mes chers collègues, je ne voterai personnellement ni pour ni contre ce texte, car j’estime qu’il est malvenu.

Il est malvenu pour deux raisons.

La première vient d’être rappelée : c’est une atteinte à la liberté d’expression,…

M. François Rochebloine. On ne peut pas tout dire !

M. Christian Vanneste. …fondement même de notre République. Nous avons passé des semaines et des semaines au sein de la mission sur les lois mémorielles. La conclusion de ce travail, c’est qu’il ne fallait plus légiférer sur ces questions. Manifestement, nous y revenons !

Plusieurs députés du groupe UMP. Ce n’est pas une loi mémorielle !

M. le président. Quelle est votre position sur l’amendement, monsieur Vanneste ?

M. Christian Vanneste. Pascal Bruckner a rappelé…

M. Dominique Tian. On s’en fout !

M. Christian Vanneste. …que protéger par la loi une vérité historique ne conforte pas cette vérité, mais au contraire l’affaiblit.

M. Jean-Michel Boucheron. C’est tout à fait exact !

M. Christian Vanneste. Car cela la protège d’une manière judiciaire. Il faut donc laisser aux historiens le soin d’établir la vérité.

Voilà pourquoi, personnellement, je m’associe à cet amendement tout en regrettant que le privilège ne soit pas donné à l’histoire de notre pays, la France, et qu’aujourd’hui, le débat soit entre les électeurs arméniens de certaines circonscriptions et les pressions économiques de la Turquie dans d’autres. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe SRC et du groupe UMP.)

M. François Pupponi. Allégations honteuses !

M. le président. Je rappelle qu’il s’agit d’une discussion sur les amendements, monsieur Vanneste.

Dorénavant, je donnerai la parole à un orateur pour l’amendement et à un orateur contre.

Pour l’amendement, monsieur Raimbourg ?

M. Dominique Raimbourg. Contre l’amendement car, dans le passé, M. Faurisson a écrit une thèse que chacun connaît.

M. Richard Mallié. Exactement !

M. Dominique Raimbourg. Si l’on prévoit une exception aussi large que le propose M. Tardy, nous verrons apparaître des thèses racistes.

Plusieurs députés du groupe SRC. Absolument !

M. Dominique Raimbourg. On peut comprendre qu’il faille protéger les travaux des historiens, mais il y a d’autres manières de le faire qu’en créant une véritable immunité. (« Très bien ! » sur de nombreux bancs.)

M. le président. Pour l’amendement, monsieur Bardet ?

M. Jean Bardet. Personnellement, je voterai cet amendement. Je signale qu’avant la soutenance d’une thèse, il y a un jury et un président de thèse qui ont étudié le travail de l’étudiant. Si la thèse a été acceptée, c’est qu’elle devait contenir des arguments qui les avaient convaincus. L’amendement de notre collègue Lionel Tardy va donc dans le bon sens et je le voterai.

M. le président. Les points de vue ont maintenant été défendus et je me tourne à nouveau vers la commission.

Plusieurs députés du groupe UMP. Au vote !

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Tout à l’heure, j’ai simplement indiqué que la commission avait rejeté l’amendement. Compte tenu de ce qui vient d’être dit, je me dois de donner des explications plus amples. M. Tardy propose que les travaux menés dans le cadre universitaire ou scientifique ne puissent pas faire l’objet de poursuites. Personnellement, je partage les préoccupations qui concernent la protection des historiens. Cependant, je souligne que les termes retenus dans le texte, c’est-à-dire la minimisation de façon outrancière, tendent précisément à permettre aux historiens de travailler sans craindre d’être poursuivis. À l’inverse, la rédaction proposée dans l’amendement, qui ne définit pas ce qu’est un cadre scientifique, pourrait permettre à des organismes prétendument scientifiques de se constituer aux seules fins de contourner la loi.

Mme Pascale Crozon. En effet.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Nous avons déjà eu ce type de problème.

Je souligne également que l’appréciation de l’outrance est réservée au juge et que nous ne mettons pas en cause le travail des scientifiques. La liberté d’expression, ce n’est pas propager le négationnisme. Le négationnisme, le racisme et la xénophobie ne sont pas une opinion, mais un délit qu’il faut combattre par la loi.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Je comprends votre impatience, mesdames et messieurs les députés, mais je souhaite répondre à M. Tardy et lui demander de bien vouloir retirer son amendement.

Pourquoi ? La proposition adoptée par la commission ne vise pas, au plan pénal, les historiens qui travaillent à établir la vérité historique. L’amendement est donc satisfait dans la mesure où le texte n’incrimine pas le fait d’effectuer des recherches sur le déroulement, l’étendue, les auteurs ou les victimes d’un génocide. La loi permettra aux historiens de débattre du contexte et ainsi de mener leurs travaux en toute liberté.

De plus, comme l’a dit très justement Mme la rapporteure, l’amendement n’est pas suffisamment précis au plan juridique. Sa rédaction peut être la porte ouverte à des dérives inacceptables. Je vous demande donc, monsieur Tardy, de le retirer.

M. Lionel Tardy. Je le retire.

(L'amendement n° 6 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 7.

La parole est à M. Lionel Tardy.

Plusieurs députés du groupe UMP. Retirez-le également !

M. Lionel Tardy. Non, je ne le retirerai pas et, de toute façon, je voterai contre le texte.

Par cet amendement, je propose de préciser le champ de l’infraction afin de consolider juridiquement le texte, car la définition qu’il en donne est trop large. Ce qui, dans les affaires de négationnisme, pose problème, c’est qu’il y a toujours en arrière-plan une organisation, des groupes plus ou moins puissants qui se servent du négationnisme pour promouvoir des positions qui tombent clairement sous le coup de l’incitation à la haine ou à l’entretien de nationalismes divers et variés.

Le problème, mes chers collègues, n’est pas posé par quelques hurluberlus isolés qui pensent avoir trouvé la vérité et sont persuadés d’être les seuls à la détenir. Des complotistes, il y en aura toujours et les réprimer ne sert à rien. Il faut sévir quand le négationnisme est le faux-nez d’autre chose, et dans ce cas, il y a forcément une organisation par derrière. C’est uniquement dans ce cas qu’une répression est envisageable. Voilà ce que j’entends préciser par cet amendement, que je ne retirerai pas.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. La commission est évidemment contre cet amendement qui propose que seule la contestation organisée d’un génocide soit punie par la loi.

Une telle rédaction fragiliserait la proposition de loi, ce qui est logique dans la mesure où l’auteur de l’amendement y est opposé. Nous créerions ainsi le premier délit qui n’en est pas un s’il est commis par une personne seule.

En outre, cette complexification du dispositif rendrait la jurisprudence longue à établir et ouvrirait la porte à des stratégies de personnes contestant le génocide tout en dissimulant les liens qui pourraient les unir. Ce serait prêter le flanc à une incertitude juridique majeure vis-à-vis de ceux qui camoufleraient le fait que le négationnisme est organisé.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, contre l’amendement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Selon vous, monsieur Tardy, votre proposition consoliderait le texte ; je pense pour ma part qu’elle l’affaiblirait considérablement, en tout cas pour ce qui concerne la possibilité de poursuites judiciaires. La « manière organisée » n’est tout simplement pas démontrable devant un tribunal. Les magistrats lisent nos débats pour savoir quelle a été la volonté du législateur. Nous leur laissons une liberté d’appréciation parce que c’est leur travail, leur rôle, leur mission au service de la République. De la même façon que pour les travaux de recherche, qu’il n’est pas dans notre intention d’interdire ou de pénaliser, nous voulons simplement faire obstacle à une propagande qui devient une menace pour l’ordre public et les valeurs de la société. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, et il semble que M. Lagarde exprime le même souci.

Monsieur Tardy, j’entends bien que vous tenez à répéter votre position, et c’est légitime. Mais je vous rappelle que nous rédigeons une loi pénale – pardon de revenir à l’objet du texte.

Or, dans une loi pénale, il faut être précis. « De manière organisée », ne veut pas dire grand-chose. Que nous y réfléchissions de manière précise à l’avenir, pourquoi pas ? Mais pour l’instant, mieux vaut retirer cet amendement.

M. le président. Qu’en est-il, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Je le maintiens.

(L'amendement n° 7 n'est pas adopté.)

M. le président. M.  Raimbourg a retiré l’amendement n° 2.

La parole est à M. François Pupponi, pour présenter l’amendement n° 11.

M. François Pupponi. N’oublions pas les Assyro-Chaldéens. Eux aussi ont été victimes du génocide de 1915.

Mais pour ne pas prolonger le débat et afin d’aboutir au consensus le plus large possible, je retire mon amendement.

(L'amendement n° 11 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 8.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Là, il s’agit d’un amendement important. (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

Oui, chers collègues, car il concerne la question prioritaire de constitutionnalité. Dans cet article, il est dit que la loi peut reconnaître des crimes de génocide, et c’était l’objet de la loi de 2001. Cette disposition est tout simplement inconstitutionnelle, car ce n’est pas à la loi qu’il revient de donner une qualification juridique des faits. Cela relève du pouvoir judiciaire et de lui seul.

Ce texte viole donc le principe de la séparation des pouvoirs, ce qui sera sanctionné par le Conseil constitutionnel s’il est saisi. Et il le sera certainement sous forme d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la base de l’incompétence négative. L’article 34 de la Constitution fixe de manière précise et limitative ce qui relève du domaine de la loi. Nulle part dans cet article 34, il n’est dit que la loi peut reconnaître un génocide. L’article 1er de la proposition sera donc censuré. J’aimerais entendre la réponse du Gouvernement à cet égard.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. La commission est bien évidemment défavorable à cet amendement qui, comme le précédent, vide la proposition de loi de sa substance. En effet, la rédaction proposée interdit de contester un génocide sans préciser qui constate les faits constitutifs de ce génocide.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement est également opposé à votre amendement, monsieur Tardy. L’Assemblée nationale ne peut pas laisser au juge le soin de préciser de telles définitions. Il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités et ce moment est arrivé. Ne serait-ce que pour cette raison, je souhaite que vous retiriez votre amendement.

M. le président. Monsieur Tardy ?...

M. Lionel Tardy. Je le maintiens.

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. François Rochebloine. Ce qu’il a dit tout à l’heure à propos des communautés était scandaleux !

M. Christian Vanneste. Je suis pour l’amendement de M. Tardy.

Je voudrais rappeler les conclusions de la mission qui, pendant de longues semaines, a travaillé sur les lois mémorielles. (Protestations sur de nombreux bancs.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Ce n’est pas la question du jour !

M. Jean-Christophe Lagarde. La proposition n’est pas mémorielle !

M. le président. N’oubliez pas, monsieur Vanneste, que vous défendez l’amendement n° 8.

M. Christian Vanneste. Laissez-moi m’exprimer, chers collègues. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Lors des travaux de cette mission, une distinction a été opérée entre ce qui a reçu l’avis d’une instance judiciaire et ce qui ne l’a pas reçu. Il se trouve qu’il y a une loi mémorielle qui est protégée par une décision de caractère judiciaire : celle qui concerne la Shoah. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Pupponi. Et les Arméniens, on les oublie alors ! Et tous ceux qui n’ont pas été défendus par la communauté internationale !

M. Christian Vanneste. Je vous rappelle qu’il y a eu une décision judiciaire à Nuremberg. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et SRC.)

M. Patrick Ollier, ministre. Cela n’a rien à voir avec le texte !

M. le président. Monsieur Vanneste, êtes-vous pour l’amendement ?

M. Christian Vanneste. Si on me laissait parler, je pourrais vous le dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Pendant des mois, nous avons travaillé sérieusement. Je constate que ce texte va à l’encontre des conclusions de la mission.

M. Dominique Tian. Ça suffit !

M. Christian Vanneste. La Shoah est protégée par la décision de Nuremberg. Ce n’est pas le cas pour les faits qui nous réunissent aujourd’hui.

M. François Pupponi. Honteux ! C’est la double peine pour les Arméniens !

M. Christian Vanneste. C’est la raison pour laquelle (Brouhaha)…

M. Jean-Luc Reitzer. Laissez-le parler !

M. le président. Monsieur Vanneste, encore une fois, êtes-vous pour l’amendement ?

M. Christian Vanneste. Je veux seulement appeler l’attention sur le fait que, quelle que soit l’amitié que nous avons pour les Arméniens, et c’est une évidence (Exclamations sur de nombreux bancs), 

M. Dominique Dord. Arrêtez !

M. François Pupponi. Ça suffit !

M. Christian Vanneste. …nous risquons manifestement d’ouvrir la boîte de Pandore.

M. Henri Jibrayel. On assume !

M. Christian Vanneste. Il suffirait en effet que notre Parlement vote un certain nombre de lois reconnaissant des génocides pour que ces génocides soient protégés par la loi que l’Assemblée va adopter aujourd’hui.

(L'amendement n° 8 n'est pas adopté.)

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 2.

La parole est à M. Jean-Philippe Maurer.

M. Jean-Philippe Maurer. L’article 2 renforce ce que j’indiquais à l’article 1er, à savoir que l’ajout de la mention relative à la capacité d’ester en justice pour les associations en élargissant leur champ d’action à l’apologie des génocides confirme l’amplification tacite et explicite de la multiplication des lois mémorielles.

Je me demande même si la commission des lois a pris l’exacte mesure de cette innovation car, sans nul doute, elle sera saisie à la suite de cette mise en perspective de demandes qui s’appuieront sur cet article 2, arguant qu’il serait beaucoup trop restrictif d’en limiter l’application à un seul génocide reconnu, celui qui a frappé les Arméniens, puisque la loi Gayssot a fait le nécessaire pour la Shoah.

Cet article nous reviendra comme un boomerang et la France sera prise dans un engrenage sans fin à cause de ce pluriel mis au terme de « génocide », pour tenter bien maladroitement de faire croire qu’il ne s’agit pas de stigmatiser la Turquie.

La distinction deviendra une forme de discrimination et de partialité.

Jusqu’à présent, c’étaient la Résistance et la déportation qui étaient dans le champ de notre attention scrupuleuse. Là, nous déplaçons le champ de notre opprobre officiel aux frontières entre l’Arménie et la Turquie, en passant même par Marseille.

Cent ans d’histoire, de génocides, cherchez l’erreur ! Il y a véritablement un grave problème dans la méthode de travail.

L’article 2 soutient l’article 1er dans une course éperdue à la pénalisation. La querelle entre les apologues, leurs victimes, leurs défenseurs, entre les doutes des uns et les certitudes des autres, ne fait que commencer, à moins que le Conseil constitutionnel ne remette tout à sa place en revenant au statu quo ante que nous n’aurions jamais dû quitter.

Voilà pourquoi je demande la suppression de cet article 2.

M. le président. La parole est à M. Henri Jibrayel.

M. Henri Jibrayel. J’aimerais savoir si M. Vanneste…

Plusieurs députés du groupe UMP. Il est parti !

M. Henri Jibrayel. …a un jour marché, le 24 avril, aux côtés de la communauté arménienne de France ? A-t-il un jour parlé avec ses membres ? A-t-il a évoqué avec eux ces femmes violées et ces hommes massacrés dans le désert de Mésopotamie ? A-t-il entendu parler de ces 400 000 orphelins qui ont débarqué au Liban ? A-t-il considéré la souffrance de ce peuple arménien qui, depuis quatre-vingt-seize ans, attend la reconnaissance du génocide que lui a fait subir le peuple négationniste turc ?

Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour discuter d’une loi qui pénalise le révisionnisme. Votons-la en conscience !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 9.

M. Lionel Tardy. Cet article permet aux associations qui se donnent pour but de défendre une cause d’attaquer en justice tous ceux qui dévieraient de la ligne qu’elles ont réussi à imposer par la loi.

On permet ainsi à un groupe d’interdire les propos contraires à ses positions et on lui donne ensuite le droit de poursuivre. Malheureusement, cette police de la bien-pensance existe déjà. Nous connaissons tous les associations qui assignent en justice plus vite que leur ombre pour un soupçon de dérapage verbal. Même si bien des actions sont finalement classées sans suite, le mal médiatique est fait : ce qui compte, c’est l’intimidation.

Ce n’est pas ainsi que j’envisage le débat. Quand l’une des parties dit vouloir débattre tout en braquant sur votre tempe la menace d’une attaque en justice, je n’appelle pas cela un vrai débat.

Bien entendu, il ne faut pas laisser passer les propos qui tombent sous le coup de la loi. Que les poursuites ne puissent pas être engagées par ceux qui sont directement concernés, qu’il y ait un médiateur, un filtre, serait une bonne solution. Il faudrait surtout qu’il y ait davantage de sanctions pour procédures abusives.

Là encore, je souhaite vivement que nous réfléchissions à la manière dont nous concevons le débat d’idées. Il existe des dérives profondément malsaines qu’il ne faut pas laisser prospérer car elles portent atteinte au fonctionnement même de notre démocratie.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je suis bien évidemment défavorable à cet amendement qui tend à supprimer la possibilité pour les associations de victimes de génocide de se porter partie civile.

Son exposé sommaire est encore plus inquiétant que la présentation que vous en avez faite, monsieur Tardy, puisqu’y est évoquée l’idée que le ministère public devrait avoir le monopole des poursuites en la matière. Une telle procédure ne prévaut que dans les dictatures !

Quant à votre expression de « police de la bien-pensance », elle ne me paraît pas correcte, eu égard au travail mené par les associations, qui ont su faire preuve de patience et de dignité et qui, depuis des années, militent avec beaucoup de loyauté pour faire reconnaître le génocide et pour faire en sorte que la négation des génocides soit punie par la loi.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement et se rallie aux arguments de la commission. Mais si vous pouviez le retirer, monsieur Tardy, ce serait encore mieux.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Je le maintiens.

M. le président. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Je ne peux pas laisser dire à M. Tardy que les associations attaquent plus vite que leur ombre. Les associations de la cause arménienne sont tout à fait respectueuses, et responsables, on ne peut pas les traiter de la sorte.

Mme Sylvie Andrieux. Très bien !

M. François Pupponi. Pour revenir aux propos de M. Vanneste, je dirai que oui, il y a eu Nuremberg ; oui, ce fut à l’honneur de la communauté internationale de faire ce procès pour condamner le nazisme ; mais c’est tout au déshonneur de la communauté internationale d’avoir laissé les Arméniens se faire tuer sans réagir.

On ne peut pas dire qu’il est légitime d’interdire la négation du génocide dont les Juifs ont été victimes parce qu’il y a eu un procès à Nuremberg, et refuser aux Arméniens cette protection parce qu’il n’y a pas eu de procès international. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

(L'amendement n° 9 n'est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3 de M. Raimbourg a été retiré.

M. François Pupponi. Mon amendement n° 12 l’est également, monsieur le président.

(L'amendement n° 12 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n° 1.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination avec la rédaction retenue par la commission des lois à l’article 1er. Les associations défendant les intérêts moraux et l’honneur des victimes de génocide doivent pouvoir agir en justice au titre des infractions prévues par l’article 24 bis mais aussi par l’article 24 ter de la loi du 29 juillet 1881, créé par l’article 1er de la proposition de loi.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Favorable.

(L'amendement n° 1 est adopté.)

(L'article 2, amendé, est adopté.)

Après l'article 2

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 10.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cet amendement tire les conséquences de ma position sur le rôle de la loi. Ce n’est pas au législateur de qualifier juridiquement des faits, ce n’est pas au législateur d’ériger des vérités officielles et des dogmes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Richard Mallié. C’est au législateur de faire respecter les lois !

M. Lionel Tardy. Une mission d’information a mené un très important travail sur la question de la mémoire et du rôle des différents acteurs de la société dans la construction de la mémoire collective. Cette mission avait conclu au retrait du législateur de ce champ. Cette préconisation doit trouver une concrétisation. C’est pourquoi je propose dans le présent amendement d’abroger deux lois mémorielles. Cela revient non pas à nier ce qui a été exprimé par ces deux lois mais à affirmer que ce n’est pas à la loi de le dire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Nous sommes bien évidemment défavorables à cet amendement qui propose d’abroger deux lois. Ce n’est pas l’objet du débat d’aujourd’hui.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Défavorable pour les mêmes raisons.

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Monsieur Tardy, je le dis solennellement : c’est l’amendement de trop. !

M. André Schneider. Nous sommes d’accord !

M. Bruno Le Roux. Vouloir revenir sur la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien et sur la loi Taubira tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, voilà qui place vos amendements précédents là où nous ne voulions pas les voir. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !

M. le président. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Oui, monsieur le président.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Sage décision.

(L'amendement n° 10 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Jacques Remiller. Vous allez peut-être encore dire qu’il s’agit d’un amendement de trop ou qu’il est hors sujet, ce dont j’ai bien conscience. Vous m’avez demandé, monsieur le ministre, de le retirer et je vais le faire.

Je sais bien que nous discutons d’une loi pénale. Pourquoi donc cet amendement visant à ce que la République française reconnaisse le génocide vendéen de 1793-1794, déjà évoqué par Dominique Souchet lors de la discussion générale ? Je n’exposerai pas à nouveau les raisons qui le motivent. J’ai simplement souhaité rappeler à la mémoire collective les événements tragiques de l’histoire de la Vendée, même s’ils remontent à 1793-1794. La Convention était mue – permettez-moi de le dire également en tant qu’historien – par la volonté incontestable d’anéantir la Vendée : je l’affirme sous le contrôle des autres députés qui la représentent.

M. Jean-Christophe Lagarde. Abolissons la Convention ! ‘(Sourires.)

M. Jacques Remiller. La Vendée a depuis surmonté sa douleur et sa vengeance et a donné des hommes prestigieux à la République, tels Georges Clémenceau et le maréchal Jean de Lattre de Tassigny.

Je retire donc mon amendement, mais j’aimerais entendre les explications de M. le ministre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Remiller, je vous remercie de retirer votre amendement, mais à l’évidence nous ne nous situons pas dans le cadre d’une loi mémorielle.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Patrick Ollier, ministre. Le sujet que vous évoquez n’est pas concerné par la présente proposition de loi. Vous avez les moyens législatifs d’intervenir d’une autre manière. Je vous invite à vous en saisir.

(L'amendement n° 4 est retiré.)

Explications de vote

M. le président. Nous avons terminé l’examen des articles.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Dominique Raimbourg, pour le groupe SRC.

M. Dominique Raimbourg. Le groupe SRC dans sa majorité votera la proposition de loi.

J’ai déjà expliqué qu’il était légitime que le Parlement s’empare de cette question puisqu’en France une partie de la population est d’origine arménienne.

En outre, il s’agit d’un texte de bonne méthode : il place le juge au centre du dispositif et englobe, de manière équilibrée, l’ensemble des génocides.

Il réintroduit aussi l’Europe au cœur du dispositif, participant ainsi à l’effort de création d’un espace de paix, alors qu’au cours de l’histoire, la quasi-totalité des nations se sont construites par le sang, par le fer et par le feu. Il est très important que nous replacions ce texte dans le cadre européen.

Sur le plan des libertés, ce texte n’empêche rien. Il n’interdit pas la discussion entre historiens puisque seule sera poursuivie la négation « outrancière » – l’adjectif a son importance.

Il n’empêche pas non plus la réflexion sur les lois mémorielles. À titre personnel, je dois dire que je ne suis pas un chaud partisan de ce type de loi : je ne crois pas qu’il faille inscrire la vérité historique dans la loi. S’il y a une critique à émettre à l’encontre de nos décisions, elle doit s’adresser non à la proposition de loi que nous examinons mais à la loi de 2001, dont elle est la suite logique. C’est bien avant que nous aurions pu essayer de réfléchir à d’autres moyens de protéger la mémoire. Le droit pénal est un droit riche. La poursuite de l’incitation à la haine et à la violence aurait peut-être permis à l’époque de donner une réponse acceptable.

Enfin, ce texte n’interdit pas non plus la lucidité, et d’abord vis-à-vis de notre propre histoire.

M. Jean-Luc Reitzer. Nous n’avons pas à donner de leçons !

M. Dominique Raimbourg. Bien que nous nous autoproclamions patrie des droits de l’homme – ce qui est vrai historiquement –, nous n’avons pas toujours témoigné vis-à-vis de ces droits le respect qui leur est dû. Les guerres coloniales n’ont pas toujours été des combats dans lesquels nous nous sommes honorés. Nos collègues ont, à juste titre, rappelé le douloureux épisode des guerres vendéennes. C’est hors sujet mais cela n’interdit pas d’y réfléchir.

À quelques mois des élections présidentielles, ce texte n’est sans doute pas de nature à apaiser les passions. Peut-être eût-il fallu le programmer à une autre date. Mais nous ne sommes à pas à l’origine de ce calendrier. La question ne se pose donc pas.

Je dis simplement que nous voterons cette proposition de loi, car elle nous permettra peut-être d’éviter, par le recours à la mécanique européenne, que les passions françaises ne flambent comme elles ont pu flamber quelquefois ce matin. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’associe naturellement François Rochebloine à mon explication de vote, et d’autant plus que, si nous sommes satisfaits de l’équilibre de cette proposition de loi, madame la rapporteure, c’est parce qu’en considérant l’ensemble des génocides, vous rejoignez les textes que lui-même a déposés pendant des années : c’est utile et important pour apaiser les passions.

Le propre d’un criminel –contre l’humanité ou pas – est de vouloir effacer son crime. Le génocide arménien est le premier de l’ère « moderne ». Il a été reconnu plus tard que le génocide juif qui l’a suivi : seulement en 2001. La loi mémorielle, c’est celle-là, je le répète ; ce n’est pas celle que nous discutons aujourd’hui.

La présente proposition vise simplement à mettre à égalité de reconnaissance, et à égalité dans la pénalisation la négation de tous les génocides, quels qu’ils soient, dans notre pays. C’est là une avancée du droit que nous devons saluer.

Par cette loi, je le répète, nous ne rendons pas responsables les populations ou le gouvernement turc de ce qui s’est passé en 1915. Ce peuple est l’ami de la France. Nous espérons qu’il le restera, mais cela dépend de son choix. Nous avons le droit, entre amis, d’avoir des opinions ou des options différentes ; nous avons aussi le droit de voter nos lois sans les menaces et les pressions inadmissibles que j’ai dénoncées.

M. Jean-Luc Reitzer. Il y a aussi des menaces électorales !

M. Jean-Christophe Lagarde. Enfin, par cette loi, que disons-nous ? Nous disons que la négation d’un génocide est un délit réprimé par la loi parce que cette négation est le premier pas vers la préparation d’un autre génocide. À quoi servirait-il d’apprendre à nos enfants les droits de l’homme, à quoi servirait-il de les afficher dans toutes les salles de classe, si c’était pour leur apprendre dans le même temps à fermer les yeux chaque fois qu’un crime contre l’humanité est commis ?

M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Reitzer et M. André Schneider. Ce n’est pas le problème !

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans cette loi, nous exprimons clairement la volonté que nos enfants soient éduqués et protégés contre ces dérives. J’ai entendu, au cours de ce débat, défendre des thèses qui se voulaient au départ neutres vis-à-vis du génocide arménien, ou plus générales, mais qui se recentraient progressivement, petit à petit, vers la défense d’autres révisionnismes. Je dois dire que cela m’a beaucoup gêné.

Au regard des votes qui ont déjà eu lieu sur l’article 1er et sur l’article 2, je pense que ce texte sera adopté par l’Assemblée. Mais, mes chers collègues, monsieur le ministre, n’en restons pas là : le groupe Nouveau Centre souhaite qu’il soit très rapidement inscrit à l’ordre du jour du Sénat, afin qu’il devienne enfin la loi de la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. François Rochebloine. Oui ! Il faut qu’il soit voté avant la fin de la législature !

M. le président. La parole est à M. Renaud Muselier, pour le groupe UMP.

M. Renaud Muselier. La très grande majorité du groupe UMP votera bien sûr cette proposition de loi.

Je veux souligner la qualité de ce débat, qui honore le Parlement. Incontestablement, nous avons tous pu nous exprimer en essayant de ne pas tout mélanger. On se rend bien compte de la difficulté de l’exercice, quand on a au fond de soi des convictions très fortes, qui sont tout à fait indépendantes des formations politiques auxquelles nous appartenons.

Cette loi est conforme aux valeurs et aux traditions de la République française. Ce n’est pas une loi contre la Turquie, qui est une grande nation.

M. Jean-Luc Reitzer. Elle sera pourtant perçue comme cela !

M. Renaud Muselier. Cette loi, je veux le dire, n’est pas une loi communautaire, et nous ne sommes pas là pour faire du communautarisme.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Renaud Muselier. Cette loi n’est pas conjoncturelle : elle est le fruit d’un long processus ; notre assemblée a su, au fil du temps, bâtir des lois conformes à nos valeurs républicaines.

Cette loi, enfin, cela a été dit et répété mais je veux le rappeler, n’est pas une loi mémorielle. Elle permet de lutter contre le négationnisme. Elle transcrit une décision-cadre de l’Union européenne.

Nous sommes franco-français, c’est sûr, et nous disposons d’une totale liberté d’expression dans nos familles politiques, mais je suis très attentif à cette région du monde. La Turquie est un grand pays, qui se positionne partout à l’international.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Renaud Muselier. Je suis donc désolé d’assister à un négationnisme d’État, et je veux dire clairement à nos amis turcs, aux dirigeants turcs, qu’ils ne sont pas responsables de ce qui s’est passé dans leur histoire, mais qu’ils s’honoreraient à regarder devant eux en faisant une part du chemin. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 10 janvier 2012 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Vote solennel sur le projet de loi organique et le projet de loi portant application de l’article 11 de la Constitution ;

Projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France ;

Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures vingt.)