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Assemblée nationale

commission Élargie

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

Commission du développement durable
et de l’aménagement du territoire

(Application de l’article 120 du Règlement)

Jeudi 25 octobre 2012

Présidence de M. Gilles Carrez,
président de la Commission des finances,
et de M. Jean-Paul Chanteguet
président de la Commission du développement durable

La réunion de la commission élargie commence à quinze heures cinq.

projet de loi de finances pour 2013

Politique des territoires

M. le président Gilles Carrez. Madame la ministre de l’égalité des territoires et du logement, soyez la bienvenue.

M. Michel Vergnier, rapporteur spécial. Avec 304,6 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 321,9 millions de crédits de paiement en 2013, la mission « Politique des territoires » est certes modeste par son volume budgétaire ; toutefois, son ancrage dans la programmation triennale 2013-2015 donne une visibilité particulière aux actions territoriales de l’État.

Vous nous avez fait part, madame la ministre, de vos ambitions en matière d’aménagement du territoire. Vous proposez une stratégie globale qui rompra avec les actions menées précédemment, qui ne s’inscrivaient pas dans une vision d’ensemble. Replacer les territoires sous le sceau de l’égalité est votre ligne d’action, et nous y souscrivons pleinement. Votre souci de l’équilibre, dont vous m’avez fait part lors de notre entretien, sera tout particulièrement utile aux territoires les plus fragiles.

La mission comprend deux programmes. Le premier, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », est doté de 263,3 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de 280,7 millions de crédits de paiement, en diminution par rapport à 2012, afin de participer à l’effort de redressement des comptes publics. Gérés par la DATAR, ces moyens seront néanmoins suffisants pour couvrir les engagements pris, parmi lesquels on peut citer l’animation des politiques de réseaux d’entreprises – pôles de compétitivité, pôles d’excellence rurale et grappes d’entreprises –, l’accompagnement des territoires touchés par les restructurations de la défense, l’installation des maisons pluridisciplinaires de santé dans les territoires ruraux et la poursuite des contrats de projets État-régions.

Des questions se posent toutefois sur le devenir de la DATAR et sur son nouveau rôle. Pouvez-vous, à ce stade, nous en dire plus ? Quel est, par ailleurs, l’avenir de la prime d’aménagement du territoire (PAT) et de certains zonages, comme les zones de revitalisation rurale (ZRR) et les aides à finalité régionale (AFR) ? Leur évaluation ne saurait être uniquement comptable.

S’agissant de l’accélération de la consommation des crédits européens, quelle est la nouvelle stratégie ? Comme beaucoup d’entre nous, je suis particulièrement attentif aux mesures devant permettre un égal accès aux nouvelles technologies de l’information et de la connaissance. Vous poursuivez les actions nécessaires à la couverture du territoire en téléphonie mobile, vous favorisez le développement de l’Internet à haut et très haut débit, et vous avez repris, en collaboration avec Mme Pellerin, ministre de l’économie numérique, le pilotage du plan national de déploiement du très haut débit. Pensez-vous que l’objectif de couverture intégrale à l’horizon 2022 sera atteint ? Quelles seraient, selon vous, les meilleures solutions pour alimenter de façon pérenne le fonds d’aménagement numérique du territoire ? Pour rappel, les sommes à mobiliser, si nous voulons atteindre l’objectif fixé, sont de l’ordre de 22 milliards d’euros d’ici à 2022.

Le programme « Interventions territoriales de l’État », doté de 41,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 41,2 millions en crédits de paiement, se caractérise par un mode de gestion adapté à la mise en œuvre de projets territorialisés ayant des enjeux spécifiques. Les quatre actions qu’il contient depuis 2009 sont reconduites en 2013, mais deux d’entre elles – l’action 6, « Marais poitevin », et l’action 8, « Plan chlordécone » –, devraient en sortir l’année prochaine. Il conviendra donc de poursuivre la réflexion engagée en 2012 pour alimenter ce programme, qui fait ses preuves, par des actions nouvelles. Quelle sera la méthode retenue ?

J’aimerais notamment appeler votre attention sur le développement de la filière bois, qui, bien qu’elle constitue la deuxième source du développement commercial français, ne permet pas à notre pays de subvenir à ses besoins. Cette situation traduit une forme d’échec, en ce domaine, du partenariat entre l’État et les collectivités. Comment le Gouvernement entend-il favoriser un consensus interrégional ?

Quant à l’Agence française pour les investissements internationaux, dont le travail d’accompagnement des collectivités territoriales permet, chaque année, d’aider des entreprises étrangères à s’implanter sur notre territoire, ses résultats sont très encourageants, puisque, en 2011, près de 700 investissements ont été recensés, ce qui a permis de sauvegarder ou de créer 28 000 emplois. Les moyens de cette agence seront-ils maintenus ou développés ? Ne craignez-vous pas les effets de la réduction des crédits ?

Enfin, quel est l’avenir de la présente mission ? Ne serait-il pas souhaitable de la fusionner avec la mission « Égalité des territoires, logement et ville » ?

M. Alain Calmette, rapporteur pour avis de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Mes analyses recoupent, sur de nombreux points, celles dont vient de nous faire part M. le rapporteur spécial.

La mission, effectivement modeste au plan financier, comprend deux programmes. Le premier, « Interventions territoriales de l’État », est atypique en ce qu’il ne génère pas de dépenses supplémentaires, puisqu’il repose sur la mutualisation des moyens consacrés aux actions qui le composent ; de sorte qu’il n’a, selon moi, d’intérêt qu’avec un certain renouvellement de ces dernières. L’action « Dynamisation de la filière bois en Auvergne-Limousin-Bourgogne », en particulier, pourrait utilement y être intégrée en remplacement d’une autre arrivée à son terme, d’autant qu’elle s’appuie sur les travaux issus des États généraux du bois qui se sont achevés en juin 2012.

Le programme 112 se voit doté d’un budget de transition, qui permettra de réfléchir à l’efficacité des politiques d’aménagement du territoire et d’envisager certaines évolutions. On peut notamment s’interroger sur celle des missions de la DATAR, le devenir de la PAT, la clarification des zonages – dont les superpositions créent trop de complexité –, la contractualisation – qu’il s’agisse des pôles d’excellence rurale ou des pôles de compétitivité –, et bien entendu la présence des services publics dans les zones les plus défavorisées, car il y va de notre cohésion territoriale.

S’agissant du numérique, l’objectif affiché du Président de la République est la généralisation du très haut débit à l’échéance de dix ans ; mais cela passe par un financement pérenne. Nous attendons, sur ce point, le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin sur la fiscalité du numérique, ainsi que l’étude menée par la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, afin d’évaluer le coût d’un tel déploiement. Quels que soient les résultats de ces études, la question du mode de financement du fonds d’aménagement numérique du territoire sera néanmoins posée.

D’une façon plus générale, madame la ministre, un nouvel élan me semble nécessaire en matière d’aménagement du territoire. S’agissant de la maquette financière, ne serait-il pas plus logique de réunir les missions « Politique des territoires » et « Égalité des territoires, logement et ville » en une seule ?

Quoi qu’il en soit, la priorité n’est-elle pas de porter le plus grand effort sur les territoires en voie de décrochage, et dont l’importance démographique est à proportion inverse de l’étendue géographique ? La suppression de certains services publics, et plus généralement les effets de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), menacent de rendre ce décrochage irréversible, au risque de rompre le principe républicain d’égal accès aux services publics. Il est urgent d’agir, car nous avons atteint le point de bascule.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il serait utile de rompre avec la logique libérale des appels à projets ? Faute de moyens ou d’ingénierie, certaines collectivités ne peuvent y répondre, si bien que les territoires les plus fragiles en sont souvent exclus. Ces procédures créent donc des inégalités.

M. André Chassaigne. Cela est hélas parfaitement exact, Monsieur le rapporteur pour avis, je l’ai constaté moi aussi.

M. Alain Calmette, rapporteur pour avis de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. L’aménagement du territoire gagnerait aussi à être envisagé de manière horizontale, plutôt que selon des logiques ministérielles verticales et cloisonnées. Des fermetures de services peuvent apparaître cohérentes pour l’administration centrale, mais, cumulées sur certains territoires, elles sont à l’origine du décrochage que j’évoquais.

Au vu de ces constats, certains outils et missions ne devraient-ils pas être réformés, qu’il s’agisse de la DATAR, des observatoires, des PER, des pôles de compétitivité ou encore des zonages, afin d’adapter les procédures de contractualisation avec l’État ? Enfin, si le Gouvernement décide de mettre en œuvre ces grands chantiers, quel en sera le calendrier ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. J’espère être la première d’une longue liste de ministres de l’égalité des territoires, car, au-delà du débat sur la fusion de cette mission avec la mission « Égalité des territoires, logement et ville » – fusion à laquelle je ne vois personnellement pas d’inconvénients –, se pose effectivement la question d’une vraie politique d’égalité en ce domaine.

Une telle politique doit tirer les leçons de ce que fut l’aménagement du territoire dans notre pays, comme de son relatif abandon au cours des dix dernières années, où l’on a fait le choix de privilégier certains territoires – à travers, par exemple, les pôles de compétitivité –, dont on considérait qu’ils seraient des locomotives pour d’autres, quitte à prévoir certaines compensations pour ceux qui ne suivraient pas. Renverser cette logique conduit à considérer que tous les territoires doivent faire l’objet d’une attention égale, bien que différenciée selon leur situation, certains d’entre eux ayant pu être meurtris.

Même si les crédits de la mission ne sont pas considérables, ils s’inscrivent dans une logique contractuelle, c’est-à-dire ascendante et horizontale plutôt que verticale, comme précédemment : la question des services publics me semble emblématique à cet égard. Les cinquante ans de la DATAR, que nous fêterons l’an prochain, seront une bonne occasion d’ouvrir de nouvelles perspectives à cette institution. La Commission présidée par M. Thierry Wahl y réfléchit, à propos notamment du futur Commissariat général à l’égalité des territoires : outre son rôle de coordination et de définition stratégique, cet organisme disposera des grilles de lecture permettant de valider les politiques d’égalité entre les territoires.

Il est vrai, monsieur le rapporteur pour avis, que les territoires en situation de décrochage ne sont pas les mieux armés, notamment en matière d’ingénierie, pour répondre aux appels à projets, si bien que ces derniers favorisent les territoires mieux dotés. L’intention du Gouvernement est de donner à chaque territoire la possibilité de valoriser ses atouts, plutôt que d’encourager la capitalisation à partir d’une situation déjà établie : nous y travaillerons avec l’Agence française des investissements internationaux.

Il s’agit bien de décliner une vision générale intégrant en particulier le problème des zones rurales et très rurales, pour lesquelles l’État s’est montré moins attentif, et ce depuis très longtemps. La fracture numérique, qui pourrait potentiellement s’aggraver, est de ce point de vue une question centrale. Je ne puis vous répondre, monsieur le rapporteur pour avis, sur l’abondement du fonds d’aménagement numérique du territoire, mais chacun est conscient des montants en jeu. Un consensus semble se dégager sur la mutualisation des compétences, afin d’assurer la réalisation de projets financés, faisant l’objet d’appels d’offre techniques auxquels certaines collectivités sont plus en mesure de répondre que d’autres.

J’ai déjà été interrogée, hier, sur la présence des services publics dans les territoires, notamment des sous-préfectures – même si celles-ci ne relèvent pas directement de mon ministère. J’y suis très sensible. Cette présence, au demeurant, doit d’abord être humaine, car l’accès dématérialisé ne peut être une réponse au sentiment d’abandon des habitants de certains territoires. La RGPP, avec sa logique verticale et univoque, a eu des effets dévastateurs à cet égard, entraînant des restructurations brutales sans concertation.

La filière bois est pour moi un autre sujet de préoccupation majeure. La France dispose en ce domaine de richesses considérables, et elle avait un savoir-faire qui est en passe de disparaître : dans les métiers du sciage, nous devons faire appel à des professionnels d’autres pays européens. Mon intérêt pour cette filière, que je souhaite partager avec Arnaud Montebourg, tient aussi à ce que je suis chargée du logement, lequel peut constituer un débouché durable, non seulement dans le cadre de la transition écologique, mais aussi parce que l’activité n’est pas délocalisable. L’intégration d’une action relative à la filière bois au sein du programme des interventions territoriales de l’État (PITE) est donc en cours de discussion ; elle ne pourra intervenir dès le projet de loi de finances de 2013, mais il est quasi certain que ce sera chose faite dans celui de 2014.

Les pôles de compétitivité ne sauraient constituer le seul outil d’aménagement du territoire. Les évaluations montrent qu’ils ont une efficacité très variable, et qu’il convient de réfléchir à leur gouvernance, de mieux associer les PME et d’en assurer une meilleure diffusion sur les territoires concernés. En d’autres termes, au sein des pôles, des ressources doivent être mobilisées en faveur des PME, car celles-ci éprouvent des difficultés à s’y intégrer d’elles-mêmes.

S’agissant du calendrier, Monsieur Calmette, le rapport de la Commission présidée par Thierry Wahl devrait être remis fin décembre-début janvier et celui de la mission de prospective confiée à Éloi Laurent, fin janvier. Il s’agit de se doter à la fois d’une analyse sur les moyens opérationnels de notre politique et d’une réflexion précise sur le concept d’égalité des territoires, afin d’écrire une nouvelle page de l’histoire des politiques d’aménagement. Cette approche reposera sur l’expertise de l’ensemble des collectivités territoriales – la Commission est d’ailleurs composée de fonctionnaires de l’État et de tous les types de collectivités, rurales et urbaines. Elle doit nous conduire à mettre en place un dispositif rapidement opérationnel : la DATAR fêtera ainsi son 50e anniversaire en regardant vers l’avenir. La question de l’égalité des territoires, qui dépasse les clivages politiques, est aujourd’hui cruciale pour un certain nombre de territoires ruraux au bord du décrochage.

M. Christophe Bouillon. Nous observons tous les attentes des territoires dans de nombreux domaines : l’éducation, la santé, la couverture en termes de réseaux – qu’il s’agisse du très haut débit ou de la téléphonie –, les transports, le logement, l’attractivité économique, la culture ou la dépendance. Il y a urgence à y répondre, compte tenu des inégalités qui se font jour.

Au nom du groupe SRC, j’estime que vous avez pris ces problèmes  à bras-le-corps, Madame la Ministre. Vous cherchez, dans le cadre de cette mission, à organiser un aménagement solidaire et équilibré et à conforter la logique du développement durable.

En matière de santé, vous souhaitez poursuivre la mise en place des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), mais, dans certains territoires, cela se heurte à des difficultés : si les agences régionales de santé (ARS) veillent à les promouvoir, la définition des zones déficitaires fait l’objet de divergences d’appréciation avec les élus locaux, qui auraient besoin d’être soutenus.

La fracture numérique est un enjeu important, car beaucoup d’installations ou d’entreprises dépendent du haut ou très haut débit. Il convient de renforcer les moyens donnés aux collectivités territoriales à cet effet : il est paradoxal que les zones rurales aient tant de besoins alors que les opérateurs sont à la recherche de nouveaux clients.

Si l’on peut se réjouir des compétences nouvelles de la région pour la gestion des fonds européens, la plupart d’entre eux ne sont pas utilisés, en raison de la difficulté que rencontrent parfois les petites collectivités, en termes d’ingénierie, pour élaborer des projets répondant aux exigences communautaires. Une aide pourrait leur être apporté dans ce domaine.

S’agissant des territoires sensibles, se pose la question des trames verte et bleue : beaucoup d’élus de petites communes ayant élaboré une véritable démarche prospective en matière de développement durable craignent d’être confrontés à de nouvelles contraintes. Les pouvoirs publics devraient expliquer en quoi la construction de ces trames ne va pas bousculer leurs efforts.

Par ailleurs, il y a lieu de faire le bilan des pôles de compétitivité, d’autant que, parfois, ils n’intègrent pas les petites et moyennes entreprises.

Enfin, vous avez souligné le rôle de la DATAR : que pensez-vous du document de prospective Territoires 2040, alors que nous sommes confrontés à la question urgente de la réduction des inégalités entre les territoires ? Dans quelle mesure comptez-vous tenir compte du vieillissement de la population dans la mise en œuvre des politiques publiques ?

M. Olivier Marleix. Il y a un contraste, Madame la Ministre, entre les grands discours que vous teniez voici quelques mois et la « petite » mission que vous nous présentez : je salue, au nom du groupe UMP, l’élégance des deux rapporteurs, qui ont évité d’évoquer la baisse de 20 % des crédits de paiement sur le programme 112 !

Certes, cette mission ne résume pas tout ce qui est fait dans le domaine de l’aménagement du territoire, mais si l’on tient compte du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux dans la mission « Administration générale et territoriale de l’État », de la suppression de 450 postes dans l’administration territoriale ainsi que de nombreuses sous-préfectures, de la réduction sans précédent des dotations aux collectivités territoriales en 2014 et 2015 – on annonce à cet égard une baisse de 2,5 milliards d’euros –, et des diminutions nettes dès cette année pour les communautés de communes en termes de taxes additionnelles – les territoires ruraux payant la facture des dotations garanties aux agglomérations, aux communautés urbaines et aux métropoles –, la situation est très inquiétante pour le monde rural.

Le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), qui est le principal instrument, est sacrifié, avec une baisse de 16,6 % des autorisations d’engagement hors contrats de projets État-région (CPER). Prévoyez-vous de faire disparaître cet outil essentiellement consacré aux pôles d’excellence rurale ? Quel instrument d’intervention directe de l’État sur les territoires envisagez-vous d’utiliser ?

S’agissant des CPER, le Gouvernement n’a rien dit sur leur avenir alors qu’ils doivent s’achever fin 2013 et que la prochaine génération devrait avoir commencé. Il n’en est même pas fait cas dans la récente déclaration commune État-régions : comptez-vous les prolonger et dépenser en neuf ans ce qui aurait pu l’être en sept ?

Vous avez dit, Madame la Ministre, que la prime à l’aménagement du territoire (PAT) s’était éloignée de son objectif, mais le projet annuel de performances (PAP) relève qu’il s’agit d’un outil de lutte contre la crise ayant permis de sauver 11 481 emplois, notamment dans les secteurs difficiles, et d’aider de nombreux projets en matière de recherche et développement ou d’innovation : quelle est la position du Gouvernement sur cet outil, qui est aujourd’hui le seul dont nous disposons pour soutenir notre activité industrielle dans les territoires les plus en crise ?

Concernant le très haut débit, je rappelle que 2 milliards d’euros sont toujours inscrits au titre du grand emprunt alors que 267 millions d’euros ont été engagés au profit des projets soutenus par les collectivités territoriales. Par ailleurs, 1 milliard d’euros était consacré à un guichet opérateur qui n’aurait pour l’instant donné lieu à aucune dépense. Que comptez-vous faire pour accélérer le déploiement de ces crédits ?

Plus largement, quels moyens l’État consacrera en 2013 à la lutte contre l’exclusion numérique – je pense notamment au développement de la 3G, qui pour l’instant se traduit par une dégradation de la couverture du territoire ?

Madame la ministre, avec des outils en voie d’extinction et des crédits en baisse pour 2013, nous nous interrogeons sur la réalité de vos ambitions !

S’agissant de la lutte contre les déserts médicaux, participez-vous aux réflexions conduites par Mme Touraine ? Êtes-vous favorable, au-delà des MSP que nous avons mises en place, à des mesures plus contraignantes de garde, voire d’installation ?

Que proposez-vous pour rétablir un peu d’égalité entre territoires ruraux et urbains ? Les dotations de l’État hors garanties aux intercommunalités sont de 19 euros par habitant pour une communauté de communes rurale et de 105 euros pour une communauté urbaine : cela correspond-il à votre conception de la justice ?

On dit souvent que les deux tiers de l’argent des CPER vont aux départements chefs-lieux de région : est-ce exact ? Sinon, que proposez-vous à l’avenir pour permettre une répartition plus juste ?

Êtes-vous favorable à une réforme du versement transport ? Conçu il y a quarante ans – quand un salarié faisait en moyenne neuf kilomètres pour aller travailler –, il conduit aujourd’hui à monopoliser au seul profit des modes de transport urbains des sommes prélevées sur les salariés banlieusards ou néo-ruraux n’ayant pas d’autre moyen de transport que leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail.

Par ailleurs, chaque année, 100 000 Français quittent les villes pour aller vivre dans les zones rurales : quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour accompagner ce mouvement ?

Je confirme qu’existe une forte attente dans les territoires ruraux et périurbains, qui sont hétérogènes et ne se reconnaissent pas dans le modèle du tout urbain. Cependant, l’égalité passe non par des discours, mais par une ambition. C’est un sujet complexe, qui demande beaucoup d’imagination si l’on veut trouver des solutions : nous sommes prêts à participer à la réflexion. Mais celle-ci doit se traduire dans les chiffres, et pour l’instant ceux-ci font état d’une baisse de 20 % !

M. Thierry Benoit. Madame la ministre, si dans les cinq ans qui viennent, vous réussissez à mobiliser autant de crédits qu’au cours des cinq années passées, je vous féliciterai.

Je ne vous reprocherai pas de rechercher des économies, mais il n’y a pas lieu de dire, comme un des rapporteurs, qu’au cours des cinq dernières années, les réformes ont été menées de façon désorganisée et qu’il est impératif de réparer des territoires meurtris en raison d’une politique d’aménagement en déshérence depuis dix ans !

Je rappelle, au nom du groupe UDI, que pendant cette période, marquée par une crise sans précédent depuis l’après-guerre, ont été mobilisés de nombreux instruments tels que les aides à finalité régionale (AFR), les primes à l’aménagement du territoire, les CPER, les pôles de compétitivité, les pôles d’excellence rurale ou le Fonds national de revitalisation des territoires (FNRT).

Les crédits de la mission vous permettent-ils d’assurer les engagements du Gouvernement précédent pour les actions entreprises – je pense notamment aux pôles d’excellence rurale ?

Concernant le haut et très haut débit, il faut distinguer trois zones : les métropoles ou les zones très denses, auxquelles, par nature, les opérateurs s’intéressent ; les territoires qui ont fait l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt d’investissement ; et les territoires ruraux, qui sont négligés et où les élus font tout pour se mobiliser. Au-delà de la question de l’utilisation des 2 milliards d’euros inscrits au titre du grand emprunt, êtes-vous favorable à un dialogue permanent avec les opérateurs privés pour définir un cadre juridique d’intervention sous la forme d’un partenariat public-privé dans les territoires ruraux pour leur permettre d’accéder à cette capacité dans les meilleurs délais ?

Face à la désertification médicale, vous ferez comme le Gouvernement précédent, c’est-à-dire avec très peu de moyens. Au cours des cinq dernières années, celui-ci a laissé la place aux élus des territoires qui avaient des idées et faisaient des propositions : agirez-vous de même ? Concernant les MSP, des pays et des communes rurales font preuve d’imagination, sans répondre systématiquement à des appels à projet : allez-vous encourager ces initiatives ?

Par ailleurs, poursuivrez-vous les mesures engagées lors de la précédente législature pour améliorer l’articulation entre les services régionaux de l’État, les conseils régionaux, les conseils généraux et les communautés, afin de faire émerger les projets locaux ?

Comment allez-vous transposer les dispositions du Grenelle 2 de l’environnement, qui seront difficiles à mettre en œuvre pour les territoires ruraux, dans des domaines aussi importants que la mobilité ou l’accès à l’énergie pour les entreprises ?

Enfin, s’agissant des outils de planification, je comprends que la DATAR se projette à une échéance de 2040, mais il faut le faire aussi pour 2015 ou 2020. Allez-vous par ailleurs corriger trente ans de conception urbaine de la France – promue par une administration à laquelle je rends néanmoins hommage –, alors que dans les territoires ruraux, les populations, sentant que leurs élus disposent de peu de moyens financiers, ont parfois l’impression d’être abandonnées à leur sort ?

L’enveloppe d’environ 300 millions consacrée à cette mission est relativement modeste, même si elle a le mérite d’exister. De plus, votre action est transversale, puisque vous agissez au côté de la ministre chargée de la santé pour les MSP et de celle chargée de l’économie numérique pour le haut et très haut débit. Comme vos prédécesseurs, vous ferez avec le peu de moyens dont vous disposez et, plus le temps passera, plus votre action sera difficile à conduire : il faut l’expliquer à nos concitoyens, ce qui n’a pas été fait pendant la campagne électorale.

M. Paul Molac. Madame la ministre, j’ai apprécié, au nom du groupe écologiste, vos propos sur l’égalité des territoires : on assiste en effet parfois à un sentiment d’abandon de l’État dans les campagnes.

La désertification a un coût économique : c’est le cas quand une exploitation de 150 hectares consacrée à l’agriculture biologique n’arrive pas à retrouver un repreneur parce que tous les services ont disparu, qu’il s’agisse des écoles ou des commerces, de même que lorsque surviennent des accidents comme les incendies. La vitalisation des milieux ruraux sera donc une chance pour notre pays.

L’accès au très haut débit est très important à cet égard : j’ai vu par exemple que des personnes quittaient la région parisienne pour s’installer dans le Cantal où ils pratiquaient le télétravail. Comment comptez-vous soutenir les actions menées en la matière ?

Quant aux maisons de santé, elles sont effectivement souvent promues par des collectivités territoriales, qui remédient ainsi à certaines carences médicales. Si 250 d’entre elles ont été prévues entre 2011 et 2013, sur quels critères reposera leur financement ? Un indicateur sera-t-il mis en place pour tenir compte de la désertification médicale ?

Cela dit, je ne suis pas sûr que ces raisons suffisent pour obtenir une répartition équitable du nombre de médecins : des mesures de sectorisation, telles que celles existant pour les pharmacies, seraient sans doute opportunes.

S’agissant des pôles d’excellence rurale, nous nous réjouissons de la deuxième génération en cours : ils tendent à soutenir des territoires ruraux grâce à des projets innovants créateurs d’emplois et de richesses associés à des partenaires publics. Mais nous nous inquiétons de la réduction de 30 % des crédits par rapport à la première génération : la sélectivité a-t-elle été accrue ou la diminution du nombre de projets répond-elle à des considérations budgétaires – alors que ces territoires ont plus que jamais besoin de soutien ? Enfin, une troisième génération verra-t-elle le jour en 2013 ?

Certains problèmes sont en effet spécifiques au milieu rural, qu’il s’agisse des transports ou de l’habitat dispersé ; plusieurs mesures du Grenelle de l’environnement tendent à remédier, y compris en matière de rénovation immobilière.

M. André Chassaigne. Je salue les cris d’alarme lancés en faveur du monde rural. Il s’agit d’un sujet grave : notre passion à défendre les territoires ruraux, quelles que soient nos sensibilités politiques, doit aboutir à des actes forts, si l’on ne veut pas qu’elle se transforme en colère. Considérons enfin que les campagnes de France sont une grande cause nationale !

J’ai apprécié la présentation des rapporteurs – qui ont exposé avec beaucoup de délicatesse les crédits de la mission et ont fait des propositions pertinentes –, de même que les premières réponses de Mme la ministre. Mais la volonté ne peut suffire.

Pour paraphraser Pascal : « Erreur en deçà des élections, vérité au-delà ». Nous devons continuer à le dire : les moyens financiers sont indispensables pour lutter contre les inégalités territoriales.

S’agissant des crédits du programme 112 Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoiremis en œuvre par la DATAR, la prévision triennale offre davantage de lisibilité, j’en conviens avec le rapporteur spécial. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : 322 millions d’euros en 2013 ; 310 en 2014 ; 300 en 2015.

Or, les actions engagées au titre de ce programme ont eu des résultats sans doute insuffisants, mais satisfaisants. Grâce, en particulier, à la prime à l’aménagement du territoire – pour laquelle 40 millions d’euros sont prévus en 2013 –, des PME ont pu se développer, passer des caps difficiles et créer des emplois. De même, les grappes d’entreprises et les pôles d’excellence rurale ont permis un développement industriel. Il convient de pérenniser ces actions en leur affectant davantage de moyens. Je ne suis pas sûr que les 20 millions d’euros inscrits au budget suffiront.

Je partage votre point de vue, madame la ministre, sur les pôles de compétitivité : ils n’ont pas abouti à une réindustrialisation des territoires fragilisés. Pour l’essentiel, ils ont favorisé la vassalisation des PME par les grands groupes : au lieu d’irriguer le tissu industriel, ils ont drainé vers les grands groupes les moyens des PME. Il convient de redéfinir la vocation des pôles de compétitivité, en leur confiant une mission non seulement de réindustrialisation, mais de planification écologique.

S’agissant de l’amélioration de l’accès au service public dans les zones rurales, les maisons de service public et les maisons de santé jouent un rôle important. Cependant, dans les maisons de santé, ne pourrait-on pas exiger des médecins libéraux qu’ils pratiquent des tarifs relevant du secteur 1, en contrepartie des aides publiques dont ils bénéficient ?

Par ailleurs, à l’instar du rapporteur spécial Michel Vergnier et du président du conseil régional d’Auvergne René Souchon, je plaide en faveur du déploiement des réseaux de télécommunication à très haut débit. La question de son financement n’est toujours pas réglée, dans la mesure où le Fonds d’aménagement numérique des territoires n’est pas abondé, si ce n’est par le produit des éventuelles sanctions prononcées contre les opérateurs. Le rapport du sénateur Hervé Maurey a conclu à la nécessité de reprendre les choses en main. Je soulève, pour ma part, la question suivante : ne pourrait-on pas envisager que les grands opérateurs – qui ont réalisé des bénéfices considérables – versent une taxe qui alimenterait ce fonds ? Sans moyens financiers, les objectifs de développement du très haut débit ne seront pas atteints.

Enfin, les premières journées de recherche du plan chlordécone – qui correspond à l’action 8 du programme 162 – se tiennent en ce moment en Martinique et en Guadeloupe. De quelle manière les propositions formulées à cette occasion par les scientifiques et les chercheurs seront-elles prises en compte ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Monsieur le député Chassaigne, « là ou il y a une volonté, il y a un chemin ». La volonté et les choix politiques sont déterminants en matière d’égalité des territoires. Il convient de redéfinir le cap de cette politique, puis de la doter de moyens. Certes, mon ministère participe à l’effort de maîtrise des dépenses publiques, mais les crédits du programme 112 baissent de 6,5 %, non de 20 %, monsieur Marleix.

Je suis très sensible à la question des territoires ruraux, qu’il ne faut pas opposer à celle de la ville. Cela pourrait d’ailleurs avoir du sens de regrouper les programmes Aménagement du territoire et Politique de la ville, dans la mesure où certains problèmes, par exemple l’accès aux services publics, se posent dans des termes analogues à Champigny et en Lozère. Par exemple, le délai pour obtenir un rendez-vous médical peut compter tout autant que la proximité géographique du médecin. À cet égard, la question de l’accès aux pédiatres est déterminante, dans la mesure où ce sont les enfants qui permettent de maintenir la vitalité d’un territoire.

La politique des pôles de compétitivité devra être revue. La désertification a un coût, j’en conviens volontiers avec M. Molac : il est beaucoup plus difficile de réparer les dommages a posteriori que d’éviter l’effondrement d’un territoire. Nous sommes arrivés à un moment critique, où il convient de redéfinir nos objectifs. L’enjeu n’est pas seulement le montant des subventions, mais le pilotage de cette politique, qui pourrait être assuré par le Commissariat général à l’égalité des territoires.

Les contrats de projets État-région (CPER) demeurent un outil déterminant. En dépit des critiques parfois justifiées sur certaines contributions de l’État, ils ont rempli leur mission : les contrats qui arriveront à échéance en 2013 ont été exécutés à 80 % en moyenne.

Nous allons poursuivre cette démarche en travaillant non seulement sur les contrats régionaux, mais en nous posant également la question des contrats territoriaux. En effet, les évolutions des dix dernières années le montrent : si le développement est plus homogène entre les régions – les revenus par habitant des différentes régions se rapprochent de la moyenne nationale –, les inégalités entre les territoires se creusent au sein même des régions. Par exemple, des villes moyennes peuvent progresser, alors que les territoires périurbains et les zones hyper-rurales connaissent un décrochage marqué.

Il convient donc de travailler au niveau infra-régional, à l’échelle des territoires. J’ai eu des échanges approfondis à ce propos avec l’Association des départements de France, notamment sur les services publics de proximité : petite enfance, maintien à domicile des personnes âgées, sécurité civile et pompiers, transport scolaire. Efforçons-nous de repenser ces questions dans une double logique de mutualisation de l’expertise et de proximité au service des citoyens.

Pour répondre à M. Marleix, la PAT a sans doute été utile, mais constitue-t-elle le meilleur outil d’aménagement du territoire ? Elle a certes permis d’aider certaines entreprises et de sauvegarder un certain nombre d’emplois. Mais le dispositif n’est mobilisé que par celles qui en ont la capacité et ne répond pas nécessairement aux situations les plus urgentes. C’est pourquoi nous voulons revoir le périmètre d’intervention et le financement de la PAT.

Le plan national de soutien aux maisons de santé a enregistré des résultats très positifs, même s’il n’a pas été mis en œuvre de manière homogène. Nous devons établir une cartographie plus précise des territoires déficitaires : la DATAR est en train de mettre en place un observatoire des maisons de santé, afin de vérifier l’efficacité de cette politique, le maillage pertinent et l’adaptation du dispositif aux territoires. En effet, des situations différentes peuvent appeler des réponses différentes, qui doivent être apportées au plus près des territoires, le cas échéant avec le soutien de l’État. Mais le rôle de l’État consiste aussi à identifier les territoires les plus meurtris, et cela concerne aussi la ville de Clichy-sous-Bois et la copropriété du Chêne Pointu. Ensuite, il travaillera en partenariat avec les collectivités territoriales pour intervenir dans les situations les plus difficiles. Telle est notre conception de l’égalité des territoires.

En ce qui concerne le déploiement des réseaux à très haut débit, il s’agit en effet de débloquer son financement et de trouver des moyens à cette fin. Le Commissariat général à l’égalité des territoires pourrait avoir une branche spécialisée dans ce domaine, chargée de fournir l’expertise adéquate pour la rédaction des cahiers des charges, en appui aux collectivités territoriales qui mettent en place des réseaux d’initiative publique. Les collectivités ont fait la démonstration de leur dynamisme et de leur capacité d’action. L’État a cependant un rôle à jouer en matière de mutualisation, afin d’éviter la coexistence de réseaux différents.

Pour répondre à M. Benoit, les documents d’urbanisme – qui s’articulent les uns aux autres – jouent un rôle déterminant en matière de planification. La question est celle du bon niveau. Elle sera abordée dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le logement et l’urbanisme qui sera présenté au premier semestre 2013. Pour ma part, j’appelle de mes vœux l’instauration de plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI). Tout en respectant le rôle des maires dans la délivrance des permis de construire, on peut imaginer une mise en cohérence des programmes d’urbanisme à l’échelle intercommunale.

En outre, la question des schémas de cohérence territoriale (SCOT) demeure ouverte. Il est urgent de rendre les SCOT moins vulnérables sur le plan juridique : aujourd’hui, tout un chacun peut demander leur révision pendant toute la durée de leur validité. De nombreuses collectivités territoriales, qui se sont investies dans l’élaboration harassante des SCOT, sont contraintes, tel Sisyphe, de reprendre en permanence leur travail, en dépit de moyens d’ingénierie parfois limités. La préservation des SCOT est primordiale pour la lutte contre l’artificialisation des sols annoncée par le Président de la République lors de la conférence environnementale.

La réponse à la question de M. Bouillon sur la trame verte et bleue se trouve aux niveaux intercommunal – notamment dans les SCOT que je viens d’évoquer –, régional et européen. Une politique des territoires est indispensable au niveau européen. Contrairement à M. Marleix, je trouve normal que l’on ait confié le pilotage des fonds structurels aux régions, comme l’ont d’ailleurs fait tous les autres pays européens. La centralisation a montré ses limites lorsque l’État a retenu puis a dû restituer une partie de ces fonds. Il est préférable de faire confiance aux régions, dans le cadre d’une contractualisation, pour faire bon usage des fonds européens.

La France défendra avec ardeur le maintien de la politique structurelle européenne, comme elle le fait actuellement pour la politique agricole commune (PAC). Je rencontrerai demain le Commissaire européen à la politique régionale. Je plaiderai en faveur des régions intermédiaires, qui ont besoin, comme je l’ai dit, d’une politique spécifique.

Vous avez évoqué le travail « Territoires 2040 » de la DATAR. Il ne faut pas opposer prospective et vision de court terme. Pour être efficaces, les politiques doivent s’inscrire dans une trajectoire globale. Le Commissariat général à l’aménagement du territoire conservera l’expertise et la vision stratégique de la DATAR. Il en fera usage dans sa mission de redéfinition des contrats régionaux, voire de contrats territoriaux. Certains territoires – littoraux, de montagne – doivent faire l’objet de politiques spécifiques.

M. Thierry Benoit. Les crédits de la mission seront-ils suffisants pour que l’État honore ses engagements au titre des pôles d’excellence rurale ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Oui. Il n’y a ni remise en cause de cette politique ni diminution des crédits qui lui sont affectés. Au 1er octobre 2012, nous avons engagé 37 millions d’euros en autorisations d’engagement et 6,4 millions en crédits de paiement.

Il nous faut définir au mieux les objectifs de la politique des territoires, sur la base d’un constat partagé des inégalités infra-régionales que j’ai mentionnées. Elles existent d’ailleurs aussi dans certaines grandes agglomérations, comme Lille-Roubaix-Tourcoing.

Sachons procéder par étapes : identifier les inégalités, trouver la bonne politique, y affecter des moyens. J’invite tous les parlementaires qui le souhaitent à s’associer à la phase – qui sera relativement brève – de redéfinition de notre politique. La cohésion nationale et l’égalité des territoires sont des sujets qui n’appartiennent à aucune famille politique. Elles supposent en revanche une forte volonté politique. Notre réflexion pourra, le cas échéant, avoir des conséquences sur la carte des sous-préfectures.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Je ne mets pas en doute votre volonté politique, madame la ministre. Mais j’espère que le terme sympathique et bucolique « d’égalité des territoires » trouvera une traduction concrète.

Permettez-moi de vous renvoyer au rapport que j’ai rédigé sur les territoires ruraux. Au fil des 4 000 auditions que j’ai menées, j’ai souvent entendu prononcer le mot « exaspération ».

Deux observations. D’abord à propos de la coordination interministérielle. Aucune administration n’a de culture rurale dans notre pays. En outre, j’ai déjà dit tout le mal que je pensais de la DATAR, ce « machin » qui produit de beaux documents de prospective, mais n’est plus en mesure aujourd’hui de donner les impulsions nécessaires. Vous en changez le nom, la dotez d’une vision et lui confiez un rôle de coordination. Soit. Mais, de grâce, ne placez pas un préfet à sa tête, il faut une personnalité politique capable de mobiliser les administrations. Sinon, rien ne changera.

Ma seconde remarque concerne les normes. Ce ne sont pas moins de 8 000 lois et de 400 000 normes qui sont aujourd’hui en vigueur. « Nul n’est censé ignorer la loi », mais personne ne sait plus comment appliquer les textes législatifs et réglementaires. J’ai proposé, avec d’autres élus, d’instaurer un principe d’adaptabilité des normes, qui n’a pas été adopté à ce stade. Tout le monde en convient : dans le monde rural – qui représente 80 % du territoire national et comprend 11 millions d’habitants –, l’enjeu est aujourd’hui la gestion de la norme au quotidien. Le Conseil d’État m’a renvoyé au Conseil constitutionnel, mais rien dans la Constitution n’interdit de créer un nouveau principe général d’adaptabilité des normes.

J’ignore si la prochaine loi de décentralisation comportera des dispositions à ce sujet. Avec Michel Vergnier, qui co-préside avec moi la Commission « communes et territoires ruraux » de l’Association des maires de France, nous proposerons des amendements. Si vous voulez faire œuvre utile, madame la ministre, faites avancer le principe d’adaptabilité.

M. Florent Boudié. La colère, voire une certaine forme de désespérance, se manifestent déjà dans les territoires ruraux. Nous l’avons senti à l’occasion des derniers scrutins. La politique de la ville a été imaginée il y a une vingtaine d’années, celle de la ruralité reste à inventer. Plusieurs d’entre nous souhaitent aborder cette question dans le cadre des débats sur l’acte III de la décentralisation. Comment êtes-vous, madame la ministre, associée à ces réflexions ?

S’agissant de la DATAR, qui est loin d’être un « machin », il vaut mieux la conserver que la supprimer.

Ma question concerne le périmètre du programme 112. En 2008, le gouvernement précédent a pris la décision de fermer quatre écoles de gendarmerie à Châtellerault, Montargis, Le Mans et Libourne. Elles n’ont pas été concernées par le dispositif de reconversion des sites militaires, au motif que la gendarmerie nationale serait rattachée, à la date de leur fermeture, au ministère de l’Intérieur. Elles demeurent pourtant des sites militaires à part entière, propriété du ministère de la Défense, mais aucune étude d’impact sur leur fermeture n’a été conduite ; elles n’ont en outre bénéficié ni de contrats de redynamisation, ni de fonds spécifiques. Les projets de reconversion sont aujourd’hui au point mort.

Vous avez fléché, madame la ministre, certains de ces sites au titre du dispositif de cession gratuite et je vous en remercie. Cette réponse ne sera malheureusement que partielle, dans la mesure où certains sont trop vastes pour être dédiés dans leur totalité à des programmes immobiliers.

Que peut-on envisager pour ces quatre sites et d’autres situations comparables ? Le Gouvernement serait-il prêt à se saisir de la question, par exemple sous la forme d’un amendement au projet de loi de finances ?

M. Jean-Luc Moudenc. Vous avez, Madame la Ministre, formulé des critiques un peu lapidaires envers les pôles de compétitivité : ils insuffleraient une dynamique économique insuffisante dans le territoires, notamment ruraux – ce dont nous pouvons tous convenir ; ils n’auraient pas assez bénéficié aux PME. Ne peut-on en avoir une vision un peu plus positive ?

Comment concevez-vous leur rôle dans la problématique générale de la compétitivité, enjeu crucial pour notre pays ? Le Gouvernement a commandé un rapport à M. Louis Gallois sur le sujet et donne aujourd’hui le sentiment de vouloir en saper les conclusions avant même qu’elles soient rendues publiques.

Selon quels critères appréciez-vous l’efficacité des pôles de compétitivité ? Retenez-vous seulement les deux inconvénients susmentionnés ou considérez-vous également le nombre d’emplois créés ou les innovations qu’ils ont permises ? Qu’en attendez-vous exactement ?

Les pôles de compétitivité ayant été créés en 2005, nous avons désormais un certain recul. En outre, le ministère des Finances a publié un rapport les concernant. Quels sont les aspects qui ont bien fonctionné ? Quelles dynamiques conviendrait-il d’amplifier ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Madame la ministre, l’acte 3 de la décentralisation sera un moment important pour le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Selon vous, que nous apportera-t-il en matière d’aménagement du territoire ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Monsieur Morel-A-L’Huissier, je ne crois pas que l’on puisse qualifier l’égalité, qui est l’une des trois valeurs qui fondent la République, de « formule bucolique ». Du reste, l’adjectif « bucolique » n’a pour moi aucune connotation négative, bien au contraire.

En revanche, je pense moi aussi très sérieusement qu’il faut poser la question de l’interministérialité. À l’occasion du redéploiement des services extérieurs de l’État, trente ans après le début de la décentralisation, nous devons nous interroger sur le rôle de l’administration d’État, qui doit agir au plus près des territoires. Bien sûr, il ne sera pas facile de changer la situation. Mais nous gagnerons à impulser cet état d’esprit.

Chaque administration doit travailler de manière beaucoup plus proche avec les autres niveaux de service public, en particulier avec les fonctionnaires territoriaux. Ainsi, dans les Maisons de service public, qui abritent plusieurs services publics dans un même lieu, les administrations devraient pouvoir travailler ensemble, évitant aux usagers de courir d’un étage à l’autre ou d’un bâtiment à l’autre. Cela irait dans le sens d’une amélioration de l’efficacité globale du service public, notamment pour les usagers qui ont des difficultés à y accéder.

Sur les normes, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer hier. Je suis en effet concernée à double titre, cela intéresse aussi l’urbanisme et le logement. Mais je remarque que ces normes sont le résultat, d’ailleurs tout à fait légitime, du vote législatif : les parlementaires aiment à les voter. Ce qui signifie que la clarification des normes, qui représente un vrai travail, suppose une véritable révolution mentale.

Vous pourrez participer, au printemps, à un exercice en grandeur réelle. Je souhaite en effet m’engager dans une démarche de clarification des normes d’urbanisme. Mais je redoute un peu l’ingéniosité des auteurs d’amendements !

M. le président Gilles Carrez. Madame la ministre, vous serez soutenue ! J’ai noté avec intérêt vos propos sur la protection des schémas de cohérence territoriale.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Prenez l’exemple de la densification. Comme je l’ai dit à propos de la proposition de loi qui a abrogé le droit automatique d’agrandir son logement de 30 %, cinq dispositifs de densification, plus complexes les uns que les autres, coexistaient ! Pour que l’urbanisme reste une compétence territoriale et ne soit pas confisqué par des experts, il faut que les responsabilités incombant aux élus et que les documents qui sont mis à leur disposition soient lisibles. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à deux enjeux, de clarification et de lisibilité.

Certains craignent que le débat sur les normes, lesquelles concernent souvent la sécurité, la protection de l’environnement ou l’aide aux personnes en situation de handicap, n’aboutisse à les abaisser. Non, clarifier ne signifie pas aller vers moins de protection ou de précision, mais rendre les outils plus lisibles et, au final, plus efficaces.

Nous allons donc nous atteler à ce chantier, et je me rappellerai notre échange d’aujourd’hui. Ce sera l’occasion de « confronter les discours aux actes ».

Monsieur Boudié, j’ai été sensible à votre intervention sur la reconversion des sites militaires, qui n’en étaient plus au moment où ils ont dû être reconvertis. Je ne peux pas vous apporter une réponse qui vous satisfasse. De fait, cette reconversion est pilotée par le ministère de l’intérieur, dans un dispositif qui ne s’intègre pas au dispositif intéressant les sites militaires. Néanmoins, je propose d’étudier avec vous, dans le cadre du dispositif de cession du foncier public, le cas particulier des quatre sites que vous avez cités.

Monsieur Moudenc, vous m’avez demandé sur quels critères nous nous fondions pour apprécier l’efficacité des pôles de compétitivité. Il y en a plusieurs, que vous pouvez retrouver sur le site internet de mon ministère et sur celui du ministère de l’économie et des finances.

Je n’ai pas dit que les pôles de compétitivité étaient un mauvais dispositif, mais que leur logique, qui était de considérer que, telles des locomotives, ils allaient tirer le territoire, n’a pas fonctionné. Tout le monde s’accorde sur ce point. Mais il est vrai qu’ils ont dynamisé certains secteurs et généré un certain nombre de créations d’emplois.

Si les pôles de compétitivité ne peuvent pas être l’outil exclusif de l’aménagement du territoire, mais ils auraient un rôle de mutualisation à jouer au profit des PME. La diffusion d’énergie économique vers le territoire rural ne doit pas se traduire par l’assujettissement des PME aux grosses entreprises, mais par une logique d’innovation.

Monsieur le président Chanteguet, vous avez raison de souligner le lien existant entre la prochaine étape de la décentralisation et la politique d’aménagement du territoire. C’est pour cela qu’il convient d’y réfléchir, dans le cadre dessiné par le Président de la République lors des états généraux, avec les collectivités locales qui peuvent intervenir comme chefs de file dans un certain nombre de domaines.

La contractualisation représente selon moi un des meilleurs outils. Elle permet de rapprocher les différents niveaux de collectivités locales et de déterminer des objectifs partagés dans certaines politiques, chacun y contribuant selon ses compétences – au-delà, évidemment, du débat piloté par Marylise Lebranchu, dans le cadre de sa mission de réforme et de modernisation de l’État.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Madame la ministre, ma parole est libre et indépendante. J’appartiens au groupe UMP, mais cela ne m’a pas empêché de voter contre les conseillers territoriaux – d’où mes surnoms de « sniper » ou de « Scud ». Cela ne m’empêchera pas non plus de vous aider, s’agissant de l’interministérialité.

S’agissant des normes, nous sommes confrontés à une logorrhée législative. Pour le flux, on pourra sans doute faire mieux. Mais pour le stock ? Le président Debré ne nous permettra pas de revenir sur les 400 000 normes existantes. D’où notre idée d’élaborer un principe général du droit, qui apporterait quelque souplesse. C’est le sens du combat que nous entendons mener, et je souhaite que votre ministère puisse nous accompagner.

M. Thierry Benoit. Agissons tous ensemble !

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Je ne rejetterai aucun soutien et me réjouis de la perspective d’un intéressant débat politique. Le chantier n’est pas simple, mais si tout le monde y met du sien, chacun en tirera bénéfice. Ce sera l’occasion de redonner de la lisibilité à l’action publique et de faciliter la réalisation des projets. Au cours de mes déplacements, j’ai constaté que certains élus, notamment dans les petites communes, baissaient les bras devant la complexité des procédures à mettre en œuvre.

Ce chantier de clarification et de simplification a de modestes ambitions, et nous n’imaginons pas pouvoir tout changer. Mais il sera collectivement et politiquement utile.

M. le président Gilles Carrez. Nous avons terminé l’examen de ces crédits, et je vous remercie, Madame la Ministre.

La réunion de la commission élargie s’achève à seize heures cinquante.

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