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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 1 février 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Questions au Gouvernement

Situation en Syrie

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Prix des carburants à La Réunion

Mme Huguette Bello

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique

Taxe sur les transactions financières

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Logement

Mme Annick Lepetit

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement

Situation au Sénégal

M. Christian Bataille

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Finances publiques

M. Jérôme Bignon

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Tva sociale dans les départements d'outre-mer

M. Alfred Marie-Jeanne

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer

Rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire

M. Guénhaël Huet

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique

Plans sociaux dans l’industrie textile

M. Pascal Terrasse

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique

Compétitivité des entreprises

M. Jean-Michel Fourgous

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Réforme du financement de la protection sociale

Mme Jeanny Marc

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Proposition de loi sur le don d’heures de réduction de temps de travail

M. Paul Salen

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Réforme du financement de la protection sociale

M. Jacques Valax

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Visite d’État du président Ouattara

M. Jean-Louis Christ

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Pouvoir d’achat

M. Guy Delcourt

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

2. Mise en œuvre du principe de précaution

Discussion générale

M. Alain Gest

Présidence de Mme Catherine Vautrin

M. Philippe Tourtelier

M. André Chassaigne

Mme Geneviève Fioraso

M. Christophe Bouillon

Mme Anny Poursinoff

M. Jean-Paul Chanteguet

M. Jérôme Bignon

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

Vote sur la proposition de résolution

3. Protection de l’identité

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable

M. Serge Blisko

M. Christian Vanneste, Mme Sandrine Mazetier

Motion de renvoi en commission

M. Jean-Jacques Urvoas

M. Philippe Goujon, rapporteur

Discussion générale

M. Michel Hunault

M. Marc Dolez

M. Christian Vanneste

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Article 5

Mme Sandrine Mazetier

Amendement no 1

Vote sur l’ensemble

4. Contrôle moderne des armes

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

M. Claude Bodin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Daniel Vaillant

M. Pascal Brindeau

M. André Chassaigne

M. Michel Diefenbacher

M. Patrice Verchère

M. Michel Hunault

M. Claude Guéant, ministre

Discussion des articles

Article 1er

M. Pierre Lang

M. Claude Guéant, ministre

Amendements nos 1, 2 rectifié, 3, 29, 30

Article 2

Amendements nos 31, 4, 28

Avant l’article 3

Amendement no 5 rectifié

Article 3

Amendements nos 32, 6, 23, 24, 35

Article 5

Article 8

Amendements nos 33, 7, 37, 36

Article 10

Articles 11 et 12

Article 13

Articles 14 et 15

Article 16

Articles 17 à 20

Article 21

Articles 21 bis à 25

Article 27

Amendement no 8

Article 28

Amendement no 9

Article 29

Amendement no 10

Article 30

Amendement no 11

Article 31

Article 32

Amendement no 12

Articles 32 bis, 32 ter et 33

Article 35 A

Article 35

Amendements nos 14, 17, 15, 22

Article 35 ter

Amendements nos 27, 16

Vote sur l’ensemble

M. Claude Bodin, rapporteur

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Situation en Syrie

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Depuis plus de dix mois, l’insurrection syrienne se heurte à la férocité et à la sauvagerie du pouvoir en place. La répression des populations civiles se fait de plus en plus sanglante, et, selon l’ONU, à ce jour, plus de 5 000 personnes ont été victimes du régime du président Bachar el-Assad. Lundi dernier, on dénombrait quatre-vingt-seize morts, dont cinquante-cinq civils ; hier, vingt et un morts. Et la comptabilité morbide ne fait que croître.

Devant cette situation, le statu quo n’est plus tenable. L’attitude du régime syrien a conduit l’Union européenne à décider, avec la fermeté qui s’imposait, d’une série de sanctions à l’encontre de la Syrie. Mais cela ne suffit pas. Ces derniers jours, un pas de plus vers la condamnation du régime a été franchi avec le dépôt par la Ligue arabe et les pays occidentaux d’un projet de résolution à l’ONU. Le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni hier, en votre présence, pour examiner ce projet, qui prévoit le transfert par le Président Bachar el-Assad de ses pouvoirs à son vice-président, qui prévoit des élections libres et transparentes, sous supervision arabe et internationale, et qui, enfin et surtout, commande de mettre fin immédiatement aux violations des droits de l’homme et aux attaques contre ceux qui forcent notre admiration par leur courage et veulent continuer à exercer leurs droits de libre expression et de résistance à l’oppression.

Soutenue par la France, cette initiative de la Ligue arabe continue de se heurter à l’opposition de la Russie, alliée traditionnelle de Damas.

Alors, monsieur le ministre d’État, devant cette situation de blocage, liée notamment à la position russe, pourriez-vous nous éclairer sur l’issue de cette réunion du Conseil de sécurité, et indiquer à la représentation nationale quels sont les moyens que le Gouvernement français, que l’Europe et que nos alliés entendent utiliser pour augmenter encore la pression sur la dictature syrienne, dans l’espoir d’éviter la guerre civile qui se profile là-bas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, je voudrais d’abord excuser M. le Premier ministre, qui est retenu loin de l’Assemblée par une urgence.

Monsieur le député, vous avez donné quelques chiffres : j’en ajouterai quelques-uns : 6 000 morts, aujourd’hui ; selon l’UNICEF, 384 enfants massacrés par le régime ; 15 000 prisonniers ; 15 000 réfugiés.

Depuis le début, la France n’a pas cessé de condamner cette tragédie et d’appeler à la mobilisation de la communauté internationale. Nous avons malheureusement été, jusqu’à aujourd’hui, bloqués, au Conseil de sécurité, par la menace de veto de la Russie et l’hostilité de ce qu’on appelle les BRICS, qui incluent le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Un fait nouveau s’est produit depuis quelques semaines. C’est l’engagement de la Ligue arabe, qui non seulement a envoyé sur le terrain des observateurs, mais qui a également élaboré un plan de sortie de crise. Et c’était l’objet de la réunion d’hier au Conseil de sécurité, à laquelle je me suis rendu. L’objectif, c’est de faire endosser par le Conseil de sécurité ce plan de la Ligue arabe, qui, d’abord, enjoint au régime de stopper les violences, et qui, ensuite, propose une transition politique, un peu de la même inspiration que ce qui s’est passé au Yémen.

Nous en avons longuement discuté et, sans faire preuve d’un optimisme excessif, je dois dire que, pour la première fois, l’attitude de la Russie, l’attitude des BRICS, pour reprendre ce terme, a été moins négative. Cette initiative reçoit bien sûr le soutien de tous les Européens – le Royaume-Uni, le Portugal, l’Allemagne – comme celui des Américains.

Nous allons donc travailler d’arrache-pied, dans les jours qui viennent, pour essayer d’arriver à une résolution qui permettra ensuite à la Ligue arabe de s’investir pleinement dans la recherche de cette solution. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Une fenêtre d’espoir s’est ouverte.

Je voudrais, pour terminer, faire remarquer une chose. C’est que la France tire son influence dans le monde de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Ce serait une grave faute que de l’abandonner. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Prix des carburants à La Réunion

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Huguette Bello. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Jour après jour, les indicateurs tombent pour confirmer une dégradation continue de la situation sociale et économique. Les territoires les plus fragiles sont frappés de plein fouet. Dans les outre-mer, le démantèlement minutieux des dispositifs en faveur de l’emploi marchand et la marginalisation de l’économie solidaire ont des conséquences redoutables que la crise ne fait qu’aggraver. Le chômage atteint des sommets.

Mais ce n’est pas le seul triste record que nous enregistrons. À partir d’aujourd’hui 1er février, les Réunionnais paieront leur carburant et leurs bouteilles de gaz plus cher qu’ils ne l’ont jamais fait. Ainsi le litre de super sans plomb va augmenter de neuf centimes pour atteindre 1,66 euro. Ces augmentations constantes sont d’autant moins supportables qu’il n’y a pas d’alternative à la voiture et que le pouvoir d’achat, déjà sévèrement mis à mal, le sera encore plus si le projet de TVA dite sociale devait entrer dans les faits.

De toute évidence, le nouveau mode de fixation des tarifs ne suffit pas pour enrayer l’envolée des prix à la pompe. Il faut probablement se pencher à nouveau sur les conclusions de la Haute Autorité de la concurrence et sur les propositions émises par un rapport parlementaire consacré à ce problème.

Les unes et les autres ont été formulées à la suite des mouvements sociaux qui, en 2008, avaient gagné l’ensemble des régions d’outre-mer, et dont le détonateur, je le rappelle, était déjà le prix des carburants. Plusieurs questions liées au monopole de fait dans ce secteur sont restées en suspens, notamment celle des niveaux des droits de stockage ou celle des contrats de location-gérance.

Professionnels et particuliers, tous les usagers de la route attendent des solutions avec d’autant plus d’inquiétude que le secteur des énergies renouvelables, dans lequel l’avance de La Réunion est incontestable, subit les soubresauts des décisions gouvernementales.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour répondre durablement à leur attente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. C’est vrai, madame la députée, le prix du carburant a augmenté en janvier en France et dans l’île de La Réunion. Mais à La Réunion, les prix sont réglementés, ils évoluent une fois par mois.

Au 1er février, l’application de la formule de calcul conduit à la hausse des prix que vous avez rappelée : quatre centimes pour le gazole, et neuf centimes pour le sans-plomb. Cette évolution s’explique, en métropole comme à La Réunion, par les mêmes facteurs. Tout d’abord, les cours du pétrole : vous connaissez la situation de tension géopolitique, ainsi que la hausse constante de la consommation mondiale. Le second facteur la hausse est le niveau de l’euro : sa valeur a baissé par rapport au dollar, les prix à la pompe exprimés en euros ont donc augmenté.

Je rappelle que cette hausse fait suite à deux mois consécutifs de stabilité des prix. Je veux ajouter que les consommateurs réunionnais de gazole paient aujourd’hui leur gazole onze centimes moins cher qu’en métropole.

À ceux que j’ai entendu dire au cours des derniers jours qu’il fallait casser la formule de calcul, je répondrai que c’est une mauvaise idée. Cette formule a un caractère protecteur pour les Réunionnais, du fait du mécanisme de réglementation des prix. Elle protège le consommateur en fixant un prix maximum à la pompe et sur les bouteilles de gaz.

Nous avons refondu le dispositif en 2010 pour le rendre totalement transparent, le plus réactif possible, mais aussi le plus proche possible de la réalité des coûts d’approvisionnement. Il s’agit d’un prix maximum, il peut y avoir des prix inférieurs si les pétroliers le désirent. Quant aux taxes, que vous avez évoquées, n’y voyez pas malice mais le conseil régional a compétence pour fixer le taux de la taxe spéciale sur les carburants à La Réunion.

La vraie réponse à long terme, madame la députée, est de réduire notre dépendance aux hydrocarbures. C’est ce à quoi nous nous employons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Taxe sur les transactions financières

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le président, mes chers collègues, nous venons d’apprendre qu’une solution pour le site Lejaby d’Yssingeaux et ses quatre-vingt-treize salariés avait été trouvée sous l’égide du Gouvernement, et notamment de Laurent Wauquiez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Roland Muzeau. Grâce aux travailleurs !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Mon groupe s’en félicite, et j’espère que ce sentiment est partagé sur l’ensemble de nos bancs.

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le ministre, le Président de la République a annoncé la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières dès le mois d’août prochain.

C’est un acte courageux qui s’inscrit dans la suite logique des discussions internationales qui ont lieu à son initiative depuis le début de la crise économique et financière, en vue de réguler les échanges sur toutes les places boursières de la planète et de mettre fin à certains excès.

Cette taxe frapperait toutes les cessions d’actions d’entreprises cotées à Paris, quelle que soit la localisation de l’acheteur et du vendeur et quel que soit le lieu de la transaction. Le taux serait de 0,1 %, identique à celui prévu dans le projet de directive européenne. Il est prévu que cette taxe rapporte un milliard d’euros en année pleine.

Pouvez-vous nous indiquer comment cette taxe pourra être mise en œuvre unilatéralement sans provoquer de délocalisations et comment elle s’articule avec le projet de directive communautaire ?

M. Bruno Le Roux. Le ministre n’en sait rien lui-même !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Par ailleurs, pouvez-vous nous expliquer en quoi ce projet se distingue du rétablissement de l’impôt de bourse ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean Glavany. Une question surprise !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, vous avez raison de rappeler que la France a été aux avant-postes de ce débat dans le concert international sur une contribution du secteur de l’industrie financière à la réparation de la crise mondiale que nous traversons depuis 2009.

M. Jean-Pierre Brard. C’est la rédemption !

M. François Baroin, ministre. La France a été aux avant-postes dans le cadre de la présidence du G20. Nous avons fait bouger les lignes, nous avons obtenu un mouvement des chancelleries sur cette question, et nous avançons dans la bonne direction.

Le même esprit…

M. Jean-Pierre Brard. C’est l’Esprit Saint !

M. François Baroin, ministre. …a animé la France sous l’énergique impulsion du Président de la République, aux côtés de la chancelière allemande, pour qu’il y ait une taxe sur les transactions financières à l’échelle de la zone euro, voire plus, à l’exception singulière des Britanniques. Leur position, que je qualifierai presque d’idéologique, s’appuie sur une industrie financière qui constitue l’essentiel de leur activité économique.

Vous posez deux questions essentielles. Tout d’abord, comment cette taxe va-t-elle éviter les délocalisations ? Justement par le choix que nous faisons de taxer les entreprises cotées, et non pas les titres. Si nous avions taxé les titres cotés sur la place de Paris, alors nous aurions provoqué des délocalisations. Mais, puisque nous choisissons de taxer les entreprises cotées quel que soit le lieu de l’échange de titres, nous préservons les emplois et leur localisation. D’une certaine manière, ce système s’inspire du modèle actuellement en vigueur en Grande-Bretagne, le stamp duty. Il ne sera donc pas contesté de l’autre coté de la Manche.

Ensuite, en quoi ce système diffère-t-il de l’impôt de bourse ? Tout d’abord, son assiette est plus large et il n’y a pas de plafond ; il rapportera ainsi quatre fois plus. Mais nous avons également veillé à ce qu’il n’y ait pas d’impact sur la relance de l’activité économique, et c’est l’une des raisons pour laquelle nous avons exclu la taxation des obligations corporate, ainsi, naturellement, que celle des obligations d’État, pour éviter de pénaliser les investisseurs institutionnels qui soutiennent nos dettes.

M. Jean-Pierre Brard. Cela donne quoi, en français ?

M. François Baroin, ministre. Nous avons en revanche décidé de taxer les dérivés très spéculatifs et la finance à haute fréquence. En ce sens, cette taxe préfigurera la taxe européenne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jean Glavany. Vifs applaudissements à l’UMP !

Logement

M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Annick Lepetit. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du logement.

Monsieur le secrétaire d’État, interviewé hier matin à la télévision, vous avez déclaré à propos de l’augmentation du droit à construire de 30 % : « On nous dit en permanence qu’il n’y a pas assez de logements, c’est vrai. On nous dit qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, c’est vrai. On prend la seule mesure possible, qui ne coûte pas un euro et qui fait plus de logements, on va nous dire comme toujours que ce n’est pas possible. »

Ce que nous disons, nous, monsieur le secrétaire d’État, c’est que cette mesure est inutile. Elle s’apparente davantage à de l’improvisation qu’à une « mesure extrêmement puissante », comme l’a qualifiée le Président-candidat.

D’abord, elle existe déjà pour les logements les plus performants socialement et écologiquement. Vous ne faites que l’étendre aux logements les moins performants. Quel progrès !

Ensuite, vous risquez d’encourager l’augmentation du prix des terrains, car les propriétaires les vendront plus cher.

Le jour où la Fondation Abbé Pierre nous rappelle que plus de 8 millions de personnes sont touchées par le manque de logements, par des loyers inabordables, par les prix d’achat qui explosent, votre mesure est particulièrement faible.

Enfin, si les caisses de l’État sont vides, c’est parce que vous les avez vidées. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez créé des dispositifs coûteux et inefficaces, tels le dispositif de Robien, le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, le prêt à taux zéro sans conditions de ressources. Quant à votre « France des propriétaires », elle n’est, depuis 2007, qu’à l’état de slogan.

S’il n’y a pas assez de logements, c’est parce que les sept lois que vous avez votées en dix ans ont aggravé la crise au lieu de la résoudre.

Pourquoi ne pas plutôt mettre en place l’encadrement des loyers, le doublement du plafond du livret A ou la mise à disposition des terrains de l’État par exemple, comme le propose François Hollande ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Monsieur le secrétaire d’État, les Français attendent maintenant des solutions efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement. Madame la députée, il y a, dans votre question, un point que je n’ai pas bien compris. Cette mesure est-elle inutile ou bien existe-t-elle déjà ? Les communiqués de presse de M. Delanoë, très contradictoires, sont d’ailleurs assez éclairants à cet égard. Lundi, M. Delanoë déclare que cette mesure ne sert à rien et qu’il ne l’appliquera pas. Mercredi, il dit que cette mesure ne sert à rien et qu’il l’applique déjà à Paris. Je voudrais comprendre quelle est la position exacte du parti socialiste sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. On va vous expliquer !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Par ailleurs, comparons les bilans. Les chiffres ont été publiés hier. En 2011, on a produit 425 000 logements, toutes catégories confondues ? Nous sommes très proches des 500 000 logements demandés par la Fondation Abbé Pierre.

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Cette année, on a produit 124 000 logements sociaux et, sur l’ensemble du quinquennat, 600 000. Sous le gouvernement de M. Jospin, seuls 265 000 logements sociaux furent produits. (Huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roland Muzeau. C’est faux !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Nous souhaitons continuer dans cette direction. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé deux mesures puissantes, que nous mettrons en œuvre avec Nathalie Kosciusko-Morizet dans les semaines à venir. La première concerne le foncier public, avec 100 000 logements construits, dont 50 000 en Île-de-France. Quant à la seconde, qui concerne la constructibilité, nous souhaitons la voir appliquer partout, pour une raison très simple : pour économiser du foncier, il faut mieux l’utiliser et construire davantage de logements sur chaque terrain, ce qui fera baisser les prix. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Situation au Sénégal

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Bataille. Monsieur le ministre des affaires étrangères, au Sénégal, pays auquel beaucoup de Français sont très attachés, la situation politique prend un chemin préoccupant et l’on est au bord d’émeutes très graves.

Les opposants n’ont malheureusement plus d’autres solutions que la rue, face aux manquements à la Constitution et à l’obstination du Président sortant Abdoulaye Wade qui, en contradiction avec la Constitution cherche à briguer un troisième mandat.

De plus, il a fait arrêter des opposants, en particulier de nombreux militants du parti socialiste sénégalais d’Ousmane Tanor Dieng. Enfin, il a empêché la candidature de Youssou N’Dour.

Le groupe socialiste redit son attachement à l’héritage de stabilité et de démocratie de Léopold Sédar Senghor et de Abdou Diouf.

Le gérontocrate Wade prend le risque de plonger son pays – l’un des rares, en Afrique, à avoir été épargné par les coups d’État, souvent sanglants – dans de graves désordres.

Jusqu’à ce jour, le Gouvernement français s’est réfugié dans un mutisme consternant et cautionne implicitement ce président et son régime au bord du gouffre. Monsieur le ministre d’État, pourquoi ce silence de votre part alors que l’on a souvent entendu le Président de la République, ainsi que son gouvernement, se prononcer sur bien des situations à l’étranger, notamment en Afrique ?

Ne doit-on pas penser que vous dissimulez un soutien honteux à un président qui doit partir et à un régime à la dérive ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, ne confondons pas mutisme et surdité. Je me suis exprimé à de nombreuses reprises sur ce dossier. Si vous ne m’avez pas entendu, c’est qu’il doit y avoir un problème d’audition.

M. Roland Muzeau. Vous ne parlez pas assez fort !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Face aux processus électoraux en Afrique, la France a pris une position d’une très grande clarté. Nous demandons tout d’abord le respect de l’état de droit et des libertés fondamentales. Nous appelons au rejet de toutes les violences, d’où qu’elles viennent. Et nous ne nous engageons pour aucun candidat, ni d’un côté ni de l’autre.

C’est très exactement la position que nous avons prise s’agissant du Sénégal, pays à longue et profonde tradition démocratique.

Le Conseil constitutionnel a validé quatorze candidatures, dont celle de M. Wade, mais il n’a pas validé celle de M. Youssou N’Dour, ce qui a provoqué un certain nombre de manifestations, parfois pacifiques, parfois violentes.

M. Roland Muzeau. Vous trouvez ça normal ?

M. Alain Juppé, ministre d’État. Qu’est-ce que j’ai dit et que vous n’avez pas entendu ? J’ai dit que nous regrettions que certaines sensibilités ne soient pas représentées.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Arrogant !

M. le président. Je vous en prie chers collègues !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je le répète, vous n’avez pas entendu ce que j’ai dit et je suis très surpris de votre réaction.

M. le président. Écoutons M. le ministre dans le silence.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Je disais donc que nous avons regretté que certaines sensibilités ne soient pas représentées. Nous avons même souhaité – ce que vous n’avez pas entendu non plus – que le passage de génération soit organisé : je vous garantis que, si le message n’a pas été entendu au parti socialiste, il l’a été à Dakar.

Enfin, nous avons appelé à la retenue et à l’absence de toute violence.

Pendant des années, on nous a parlé de ce qui était en grande partie un fantasme, la Françafrique. Je peux vous dire aujourd’hui que ce n’est plus qu’une chimère à laquelle vous êtes les derniers à croire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Finances publiques

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jérôme Bignon. Ma question s’adresse à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État.

Dépenser moins, dépenser mieux, voilà l'action à laquelle notre majorité s'est attelée grâce à de nombreuses réformes structurelles depuis 2007. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. Ah oui ?

M. Jérôme Bignon. Je pense notamment à la réorganisation des services de l'État, qui a permis le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux tout en garantissant un service au public effectif et efficient. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Et voilà que, avec la campagne électorale, certains voudraient que la France remette en cause ce mouvement de lutte contre les déficits et la dette.

En effet, la semaine dernière, un candidat marchand de sable est passé et nous a livré son programme. Beaucoup de nouvelles dépenses : remise en cause de la réforme des retraites, arrêt du « un sur deux », contrats d'avenir, création de 60 000 postes, contrats de génération…(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Ménard. Vous l’avez appris par cœur !

M. Jérôme Bignon. J’en oublie probablement ! À côté de cela, les Français n’ont entendu aucune proposition pour réduire les déficits. Dépenser, dépenser, ça, vous savez faire !

M. Henri Emmanuelli. Vous aussi ! Et vous ne vous en êtes pas privés !

M. Jérôme Bignon. Il est pourtant essentiel pour notre pays de poursuivre ses efforts, pour nos enfants d'abord, mais aussi pour la France, car la parole de la France est engagée auprès de nos partenaires européens. Ceux-ci ont d'ailleurs récemment décidé de renouveler leur engagement à lutter contre les déficits et à mettre en place des mesures structurelles pour favoriser la croissance.

M. Henri Emmanuelli. Trop tard !

M. Jérôme Bignon. Ce matin, récidive : au cours d'une intervention de François Hollande sur une radio, qu'apprend-on ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Je le cite, écoutez-le : « S'il n'y a pas de croissance, nous ne tiendrons pas les objectifs de réduction des déficits publics. »

M. Jean Glavany. Vous non plus !

M. Jérôme Bignon. J’aurais préféré entendre : « S’il n’y a pas de croissance, on réduit les dépenses. » Le masque tombe, la vérité éclate : la gauche revient à ses vieilles lunes, dépenser, dépenser et encore dépenser sans jamais compter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, il y a effectivement trois sujets d’inquiétude majeure dans les propos récents de François Hollande. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le premier concerne le pacte de discipline budgétaire et de solidarité au sein de la zone euro qui vient d’être approuvé, hier,par vingt-cinq pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce pacte est de nature est de ramener la confiance dans la zone euro parce que tous les pays européens s’engagent à respecter une discipline budgétaire et une règle d’or. (Mêmes mouvements.)

M. Jean Glavany. Quelle pitrerie !

Mme Valérie Pécresse, ministre. François Hollande dit qu’il renégociera ce pacte, qu’il ne l’accepte pas. Il prend le risque de déstabiliser la zone euro. C’est très grave. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le deuxième sujet d’inquiétude concerne la réduction des déficits publics. Nous sommes sur un chemin de désendettement et de réduction des déficits. (Même mouvement.)

M. Philippe Briand. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous avons une trajectoire. C’est le retour à l’équilibre en 2016.

M. Jean Glavany. Ben voyons !

M. Pierre-Alain Muet. Vous avez doublé le déficit en dix ans !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Aujourd’hui, que nous dit François Hollande ? « Si la croissance n’est pas au rendez-vous, je ne tiendrai pas cet engagement de la France. » (Huées sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Eh bien, nous, ces engagements, nous les avons tenus, y compris cette année, en 2011 au moment où la conjoncture devenait plus morose.

M. Philippe Briand et M. Franck Riester. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous les avons tenus et nous sommes même en avance.

M. Philippe Briand. Très bien !

Mme Valérie Pécresse, ministre. François Hollande prend le risque de faire perdre la parole de la France, sa crédibilité ; c’est très dangereux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. Quelle arrogance !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Troisième sujet d’inquiétude, le chômage. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. C’est un comble ! Le chômage a explosé sous ce gouvernement !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous avons aujourd’hui 150 000 chômeurs de plus. Nous devons baisser le coût du travail en France pour créer de l’emploi.

Que propose François Hollande ? La suppression d’une partie des allégements de charges Fillon sur les bas salaires et la hausse de la CSG salariale et patronale pour financer le retour de la retraite à soixante ans. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Glavany. Nul ! Ça suffit !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Il prend le risque de sacrifier l’emploi en France ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. Aucun respect du Parlement ! Et le président Accoyer laisse faire : bravo !

Tva sociale dans les départements d'outre-mer

M. le président. La parole est à M.  Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine

M. Alfred Marie-Jeanne. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion ont un dispositif d'exonérations diversifié et assez complexe. Ce dispositif a beaucoup évolué dans le temps.

Concernant la TVA dite sociale, nous l'avons déjà expérimentée puisque la loi Perben du 25 juillet 1994 l'avait instaurée pour et je cite : « exonérer de 100 % les cotisations patronales de sécurité sociale sur la partie des salaires n'excédant pas le Smic, dans des secteurs d'activité exposés à la concurrence... »

À l'époque, cette exonération a été financée par le consommateur avec un relèvement de deux points de la TVA en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion.

Pour faire face à la crise actuelle, le Président de la République propose une augmentation de 1,6 point de la TVA pour compenser la suppression des charges familiales patronales.

Ce nouveau dispositif ne va t-il pas entrer en divergence avec les mesures en vigueur dans ces pays depuis la loi d’orientation pour le développement économique de l’outre-mer ?

Ce qui est sûr, c'est que cette TVA pèsera surtout sur les ménages les plus modestes, alourdira la pression en termes de prélèvements et augmentera les prix à la consommation.

Sachez que toutes les enquêtes ont révélé que le pouvoir d'achat y est réduit avec un PIB inférieur au moins de 33 % à la moyenne française ; un revenu moindre outre-mer inférieur de 38 % au revenu moyen français ; un différentiel de prix qui fait notoirement désordre jusqu'à présent.

Monsieur le ministre, eu égard à la situation bien connue que je viens de rappeler, pensez-vous que la réforme envisagée soit appropriée à cette conjoncture préoccupante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée de l'outre-mer.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le député, comme vous l’avez rappelé, le Président de la République a annoncé l’allégement des charges sociales compensé, entre autres, par un relèvement du taux de TVA pour accroître la compétitivité de nos entreprises et pour préserver nos emplois.

M. Henri Emmanuelli. Il serait temps !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. S’agissant de l’outre-mer, je vous confirme que ce relèvement qui est justifié en métropole n’y sera pas appliqué, comme j’ai eu l’occasion de le dire lors d’un déplacement aux Antilles ce week-end, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, les collectivités d’outre-mer, vous le savez, ont, pour certaines, un statut particulier qui ne relève pas de la fiscalité de droit commun. Ensuite, les départements et régions d’outre-mer, vous l’avez rappelé, bénéficient d’un système dérogatoire de taxation indirecte avec l’octroi de mer dont les modalités d’application sont fixées par la loi de 2004, destinée à protéger notre économie locale.

Par ailleurs, ces départements bénéficient d’ores et déjà d’allégements de charges sociales, en particulier par le biais de la loi d’orientation pour le développement économique de l’outre-mer que le Parlement a votée en 2009.

Ces mesures sont destinées à soutenir et développer les activités des entreprises ultramarines et à protéger l’emploi. En conséquence, l’application de la mesure gouvernementale d’allégement des charges sociales n’aurait pas d’effets économiques outre-mer. C’est pourquoi au regard de ces règles spécifiques fiscales et sociales, le Gouvernement a décidé que la hausse de la TVA ne sera pas appliquée outre-mer,…

M. Jean-Pierre Brard. C’est laborieux !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. …et si l’on veut agir sur le pouvoir d’achat outre-mer, il faut avoir une réflexion à l’occasion de la révision de l’application de l’octroi de mer.

M. Albert Facon. Personne n’applaudit !

Rapport de la Cour des comptes
sur les coûts de la filière électronucléaire

M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guénhaël Huet. Monsieur le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, la Cour des comptes vient de rendre public le rapport qui lui avait été demandé par le Premier ministre dans un souci de transparence sur les coûts de l’énergie nucléaire.

Le sujet faisant polémique depuis longtemps, il était nécessaire de disposer de chiffres aussi précis que possible afin de ne pas laisser le sentiment d’une opacité, voire d’une volonté délibérée de ne pas afficher l’ensemble des coûts de la filière nucléaire, depuis la construction des centrales jusqu’au retraitement des déchets, en passant par les charges d’exploitation, les coûts de maintenance et de prolongation des réacteurs, les coûts de recherche, les coûts de transport de l’électricité produite, les coûts des garanties en responsabilité civile d’EDF et, enfin, les coûts de démantèlement des centrales.

Pour l’essentiel, la Cour des comptes reconnaît qu’il n’y a pas de coûts dissimulés. Elle souligne toutefois l’importance des inconnues financières et techniques sur plusieurs des points précédemment cités.

Ainsi, selon la Cour des comptes, il faudrait multiplier par deux les investissements pour maintenir la production à son niveau actuel, ce qui augmenterait mécaniquement les coûts de 10 %. Plus largement, la Cour estime que la France n’a plus les moyens de renouveler son parc de centrales, ce qui imposerait, selon elle, de faire durer nos réacteurs au-delà de quarante années.

Elle évoque la possibilité de faire appel aux énergies renouvelables, ce qui est d’ailleurs conforme au Grenelle de l’environnement qui prévoit de porter à 23 % leur part dans la production d’électricité, à l’horizon 2020.

Monsieur le ministre, la France a besoin de l’énergie nucléaire. Il apparaît que nos voisins allemands ont beaucoup de difficultés à gérer les conséquences de leur décision de sortie du nucléaire. Pouvez-vous nous indiquer les conclusions que tire le Gouvernement de ce rapport ?

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Monsieur le député, vous avez raison de souligner que la Cour des comptes a élaboré un rapport de qualité, objectif, qui fournit des éléments d’appréciation très intéressants.

Il a abouti à une première conclusion : il n’y a pas de coûts cachés. À celles et ceux qui parlaient d’omerta, d’opacité, la Cour répond clairement qu’il n’existe aucune source de dépenses non identifiées. Tous les coûts ont été intégrés, y compris les dépenses publiques de recherche.

Deuxième conclusion : la Cour insiste sur la nécessité de préciser le coût du démantèlement et de la gestion des déchets. Nous avons déjà lancé plusieurs audits en ce sens. Les premiers résultats seront connus avant la fin de cette année. La Cour indique clairement qu’il n’y aura pas d’augmentation importante du coût du kilowattheure du fait de ces audits.

Troisième conclusion : même si l’on intègre les éventuelles réévaluations pointées par la Cour, le coût de l’électricité nucléaire restera extrêmement compétitif. Le prix du mégawatheure est de 42 euros. Avec une augmentation de 10 %, voire de 12 %, il atteindrait 46 euros à 49 euros : dans tous les cas, l’électricité nucléaire resterait, après l’hydroélectricité, la source d’électricité la moins chère, à comparer avec l’énergie éolienne – 75 euros à 80 euros le mégawatheure – ou avec l’énergie solaire – 200 euros le mégawatheure.

Pour l’avenir, les choses sont simples. Il y a la politique que nous préconisons, qui allie efficacité énergétique, développement des énergies renouvelables et poursuite du programme nucléaire, notamment avec l’EPR, le réacteur de troisième génération, plus sûr que ceux de deuxième génération. Il y a une autre politique qui, en préconisant le démantèlement de la filière du retraitement et l’arrêt de vingt-quatre réacteurs nucléaires sur cinquante-huit, aboutirait à la perte de la compétitivité française. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plans sociaux dans l’industrie textile

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Pascal Terrasse. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Je ne reviendrai pas sur les propos qu’il vient de prononcer, lesquels sont, à mon avis, en dehors de la réalité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Après une succession d’annonces de plans sociaux en France, c’est au tour de l’Ardèche de subir l’épouvantable choc d’un plan social massif : le groupe Chomarat vient de décider d’engager un plan prévoyant 182 suppressions de postes sur un site comptant 690 salariés.

Avec mon collègue Jean-Jack Queyranne et les élus locaux, nous avons mis en place des politiques d’accompagnement et des actions de sauvegarde de l’emploi. La pérennisation de l’emploi dans ce territoire fragile est un enjeu majeur.

L’entreprise Chomarat, qui a bénéficié d’aides publiques, se trouve aujourd’hui confrontée à une situation économique difficile. Pourtant, cette holding dispose d’une trésorerie importante.

Face à cette situation dramatique, d’un point de vue économique comme social, chacun doit prendre ses responsabilités.

D’abord, il importe que l’État accompagne le maintien de l’outil industriel par des mesures économiques. Monsieur le ministre, avez-vous encore une stratégie industrielle pour notre pays ? L’État doit également encourager des mesures d’âge, quand cela est possible. Les salariés de Lejaby à Yssingeaux, mais aussi au Teil et à Bourg-en-Bresse, le demandent. L’État doit également contribuer à maintenir des activités menacées d’être délocalisées dans des pays low cost.

Ensuite, il importe que les collectivités locales prennent toutes les mesures nécessaires. Je souhaite que le Gouvernement fasse de même et qu’il prenne toutes les mesures à même d’alléger le prix que paient injustement les salariés à cause d’une politique qui a conduit à fermer en trois ans 880 sites industriels et à mettre au chômage 100 000 personnes.

Quelles mesures comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour enrayer le massacre économique que subissent nos régions ?

M. Franck Gilard. La nationalisation ?

M. Pascal Terrasse. Pensez-vous sincèrement que vous allez freiner la désindustrialisation de la France en augmentant la TVA ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Monsieur le député, vous affirmez que ce que j’ai dit en réponse à la question précédente était faux. Vous vous êtes bien gardé d’aller plus loin, ce qui est normal : vous savez pertinemment que l’application de l’accord Verts-PS, que plus personne sur vos bancs ne défend, signifierait la mort pure et simple du site nucléaire du Tricastin que nous avons en commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Sachez que nous sommes complètement mobilisés en faveur de l’activité textile, qui réclame, soulignons-le au passage, une électricité peu chère, celle que fournit notre programme nucléaire.

Concernant le site de Chomarat, vous savez qu’un plan de sauvegarde de l’emploi portant sur 122 salariés a été annoncé. Avec Xavier Bertrand, nous avons demandé aux représentants du groupe de mettre en œuvre tous les dispositifs existants pour préserver le maximum d’emplois au Cheylard. Je pense en particulier à l’activité partielle de longue durée, dispositif dont le Président de la République a annoncé le renforcement à la suite du sommet social du 18 janvier dernier. Nous demandons également à ce qu’une concertation ait lieu avec les organisations syndicales.

Concernant Lejaby, nous nous sommes battus en deux temps. Il s’est d’abord agi de sauvegarder l’entreprise elle-même : nous avons obtenu une offre, retenue par le tribunal de commerce de Lyon, qui concerne 195 emplois à Rillieux-la-Pape. Il s’est ensuite agi de trouver une solution pour les quatre-vingt-treize salariés du site d’Yssingeaux, ce qui a mobilisé le Gouvernement dans son entier. Mon collègue Laurent Wauquiez a annoncé il y a quelques minutes que, parmi la dizaine d’offres de grande qualité que nous avons reçues, il y en a une qui nous paraît particulièrement solide, celle du maroquinier Sofama, situé dans l’Allier, partenaire du groupe LVMH : il vient de proposer de reprendre la société et de garder l’ensemble des salariés.

Vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement est totalement mobilisé en matière de politique industrielle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Compétitivité des entreprises

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Fourgous, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Michel Fourgous. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, ma question porte sur la compétitivité. En pleine guerre mondiale économique (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), il faut tout faire pour protéger nos emplois et nos entreprises,…

M. Philippe Briand. C’est décisif !

M. Jean-Michel Fourgous. …mais les vieilles recettes du passé ne marchent plus ! (Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Julien Dray. Du passé faisons table rase !

M. Jean-Michel Fourgous. Il ne s’agit plus de créer de l’emploi public avec de l’argent emprunté sur les marchés. Depuis 1981, l’embauche de plus d’un million de fonctionnaires représente plus de 1 000 milliards d’euros de dette, d’impôts et de charges supplémentaires pour les Français. (Mêmes mouvements.) Il ne s’agit plus d’appliquer les 35 heures, principales responsables de la désindustrialisation de la France, ou d’augmenter l’ISF qui, accrochez-vous bien, mesdames et messieurs, a fait fuir 500 milliards d’actifs financiers hors de France en trente ans ! (Mêmes mouvements.) Il ne s’agit plus, non plus, de revenir à la retraite à soixante ans, mesure qui nous a coûté plus de 1 000 milliards d’euros de dette en trente ans ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Enfin, il ne s’agit plus, comme nous le propose le parti socialiste, d’ouvrir les vannes de la dépense publique, qui représente déjà 57 % de notre PIB, record mondial, contre moins de 47 % en Allemagne. Résultat : les Allemands ont un taux de chômage de 5,5 %, alors que le nôtre est de 9,8 % ! Car, avec toutes ces mesures, nos entreprises payent 140 milliards d’euros supplémentaires de charges annuelles que leurs concurrentes allemandes. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Au XXIe siècle, la priorité des priorités, c’est la compétitivité de nos entreprises, de nos PME !

M. Albert Facon. Vous êtes au pouvoir depuis dix ans !

M. Jean-Michel Fourgous. Ce mot est totalement absent du programme socialiste. Pourtant, c’est la meilleure et la seule protection sociale des Français, la seule manière de protéger leurs emplois durablement !

Il est grand temps de choisir (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC) entre la hausse des dépenses publique et la création de richesse et d’emploi productif.

M. Michel Ménard. Le changement, c’est maintenant ! (Rires.)

M. Jean-Michel Fourgous. Et, je vous le rappelle, seules nos entreprises créent la richesse.

Monsieur le ministre, ma question est simple : que compte faire le Gouvernement pour soutenir la compétitivité de nos entreprises afin de relancer la croissance et de lutter contre le chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. — Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Chacun, monsieur le député, connaît votre engagement, votre implication, vos convictions en matière de développement de la liberté au service de la création de richesses, de l’emploi et évidemment du développement de nos entreprises.

Je vous rejoins sur un certain nombre de points, notamment sur l’idée que la réponse pour 2012 ne peut passer par la relance de la dépense publique. Plus aucun pays, que son gouvernement soit de gauche ou de droite, ne propose aujourd’hui de soutenir l’activité économique par une relance de la dépense publique. C’est un temps qui est derrière nous : c’est la grande leçon de la crise de 2009, dont la réplique se fait aujourd’hui sentir dans la zone euro.

M. Henri Emmanuelli. Et vous êtes crédible, pour parler de la crise !

M. François Baroin, ministre. La question de l’endettement public conditionne aujourd’hui l’ensemble des politiques publiques, y compris celles qui sont au service du développement de la compétitivité de nos entreprises et de la création d’emplois.

M. Régis Juanico. Redites-nous de combien est la croissance !

M. François Baroin, ministre. Toutes les propositions qui iront dans le sens de la création d’emplois publics, de l’augmentation de la dépense publique, iront à rebours de ce qui est nécessaire pour coordonner, préserver notre monnaie, garantir la stabilité de la zone euro, relancer la croissance mondiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Julien Dray. Comment se fait-il que la crise continue ?

M. François Baroin, ministre. Le chemin proposé par le Gouvernement, et présenté par le Président de la République dimanche dernier, est un chemin qui va dans le sens que vous évoquez, c’est-à-dire…

M. Julien Dray. C’est-à-dire une impasse !

M. François Baroin, ministre. … la compétitivité de notre économie.

Nous aurions pu choisir simplement la piste du temps de travail : elle est ouverte, dans les entreprises, avec les syndicats, avec les accords compétitivité-emploi. Mais nous avons choisi de nous mobiliser aussi pour faire baisser le coût du travail. Baisse du coût du travail, augmentation de la TVA : c’est un solde neutre, mais c’est un élément de compétitivité puissant pour nos entreprises. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Ménard. Personne n’y croit !

M. François Baroin, ministre. Une baisse de 5 % des charges, cela aidera évidemment nos entreprises qui exportent et qui bénéficieront d’un coût du travail plus faible, d’un coût de revient moins élevé ; cela pénalisera naturellement les entreprises qui importent, puisqu’elles ne bénéficieront pas des allègements de charges proposés pour les entreprises de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Issindou. Bla-bla-bla !

Réforme du financement de la protection sociale

M. le président. La parole est à Mme Jeanny Marc, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Jeanny Marc. Madame la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, les populations vivant outre-mer ont entendu avec beaucoup d’inquiétude l’annonce faite par le Président de la République du relèvement de 1,6 point du taux de la TVA. Ces populations savent – et aucune étude sérieuse ne peut le contester – que toute augmentation de la TVA accroît inexorablement la vulnérabilité des ménages sans pour autant favoriser le développement des entreprises.

Les outre-mer, figurez-vous, ont déjà vécu l’expérience de la TVA sociale : en 1994, la loi Perben avait prévu un relèvement de deux points du taux de la TVA, passée de 7,5 à 9,5 %. Ce prélèvement devait, en contrepartie, participer au financement d’exonérations de charges sur les salaires dans certains domaines d’activité.

Au regret de devoir doucher quelques-uns de vos espoirs, madame la ministre, nous n’avons pas, outre-mer, gardé le souvenir que cette mesure ait créé de l’emploi, amélioré la compétitivité de nos entreprises, soutenu l’activité ou encore favorisé l’exportation. En revanche, nous pouvons vous rappeler que cette mesure a eu des conséquences immédiates : la flambée des prix, l’augmentation du coût de la vie et la diminution du pouvoir d’achat.

Les récents événements sociaux ont montré à quel point le délicat problème des prix reste une question sérieuse, qu’aucun gouvernement ne peut ignorer. Le Président de la République n’a eu de cesse de nous ressasser, lors du conseil interministériel de l’outre-mer en 2009, que les outre-mer devaient être les laboratoires de la République.

Puisque votre politique économique a échoué outre-mer, comment pouvez-vous envisager qu’elle soit un succès pour le reste du territoire national ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-Pierre Brard. Oh non ! Je préfère Roselyne ! (Sourires.)

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Mesdames et messieurs les députés, madame la députée, comme Marie-Luce Penchard vous l’a très bien expliqué, l’augmentation de la TVA voulue par le Président de la République en contrepartie d’une baisse du coût du travail en métropole ne s’appliquera pas outre-mer. En effet, des allègements de charge y existent déjà, selon un mécanisme très particulier, d’ailleurs plus favorable que celui de la métropole.

Nous avons, vous le voyez, le souci constant de protéger l’emploi et l’activité outre-mer...

Mme Huguette Bello. Et pourtant le chômage y est plus élevé !

M. Roland Muzeau. Donc, la TVA détruit l’emploi !

Mme Valérie Pécresse, ministre. …et nous prenons en compte les spécificités de vos territoires et leur éloignement de la métropole.

Mais, madame la députée, puisque vous vous souciez, à juste titre, de l’activité et de l’emploi dans les territoires ultramarins, je vous suggérerai, si vous me le permettez, une autre question. Je vous proposerai de poser, à votre candidat à l’élection présidentielle, François Hollande, une question. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Puisqu’il souhaite supprimer les niches fiscales, puisqu’il souhaite plafonner à 10 000 euros les niches de l’impôt sur le revenu, demandez-lui s’il inclut dans ce plafonnement les niches qui concernent le logement social outre-mer et les investissements productifs outre-mer ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean Glavany. Ça suffit ! On en a marre !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je crois que les ultramarins attendent sa réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs du groupe SRC.)

Proposition de loi sur le don d’heures
de réduction de temps de travail

M. le président. La parole est à M. Paul Salen, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Paul Salen. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question – à laquelle j’associe mes collègues de la Loire Dino Cinieri et François Rochebloine – s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

La semaine dernière, notre assemblée a adopté un texte qui prouve, une fois de plus, notre volonté constante de trouver des solutions concrètes pour renforcer notre solidarité nationale.

Je fais référence à la proposition de loi que j’ai portée avec plus de 140 de mes collègues députés et qui vise à faire don d’heures de réduction de temps de travail ou de récupération à un parent d’un enfant gravement malade.

Depuis son adoption, j’ai reçu de très nombreux témoignages me prouvant de manière concrète le bien-fondé de cette loi. Permettez-moi de vous donner lecture d’un très court extrait provenant d’un médecin niçois.

M. Jean-Pierre Brard et M. Michel Ménard. C’est de l’autosatisfaction !

M. Paul Salen. « Il y a un projet qui m’a particulièrement touché, lors de ma lecture quotidienne de la presse médicale, c’est le vôtre qui est très humaniste. Souhaitons que votre projet se généralise rapidement, non seulement pour la fin de vie mais également en cas de maladie importante, lorsque des collègues sont prêts à faire don de RTT ou de jours de congés. »

M. Jean Glavany. Voilà qui valide les 35 heures !

M. Paul Salen. Madame la secrétaire d’État, nous avons levé ici un immense espoir en direction de ces familles. Celles-ci espèrent un vote définitif de ce texte pour une promulgation aussi rapide que possible. Cela suppose qu’il soit inscrit dans les meilleurs délais à l’ordre du jour des travaux du Sénat.

Durant les débats que nous avons menés, tant en commission que dans l’hémicycle, vous avez su écouter avec cœur et conviction et enrichir la proposition initiale.

Aussi, que chacun en soit remercié, y compris ceux qui, sur les bancs de l’opposition, ont su faire taire les clivages pour que soit adoptée une loi fidèle aux principes humanistes de la République.

Pour toutes ces familles qui attendent, je souhaiterais que vous nous précisiez vos intentions quant à l’inscription en urgence de ce texte à l’ordre du jour du Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le député, la semaine dernière, l’Assemblée nationale a en effet adopté une proposition de loi que vous avez portée et surtout élaborée à la lumière d’une magnifique solidarité.

Dans le département de la Loire, à Saint-Galmier, des salariés de l’entreprise Badoit ont fait le don de 170 jours de RTT…

M. Régis Juanico. Merci les 35 heures !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État. …à l’un de leurs collègues pour qu’il puisse accompagner son fils, Mathis, en fin de vie.

Ce formidable élan de solidarité,…

Plusieurs députés du groupe SRC. Grâce aux 35 heures !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État. …vous l’avez inscrit dans ce texte, recevant le soutien de 140 de vos collègues.

Le groupe UMP et le groupe Nouveau Centre ont adopté cette proposition de loi qui apporte, dans notre protection sociale et dans notre code du travail, un dispositif complémentaire du congé de solidarité familiale et du congé de soutien familial. C’est une avancée considérable de la solidarité.

M. Jean-Paul Lecoq. Cela exonère les patrons !

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État. Je forme le vœu que la majorité nouvelle du Sénat ne fera pas obstacle, pour des raisons doctrinales ou idéologiques, (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) à ce qui constitue une avancée sociale et de solidarité. Je crains que nos compatriotes qui attendent ne le comprennent pas.

Monsieur le député, je le répète, je soutiens, au nom du Gouvernement, cette avancée considérable que vous avez portée et je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Réforme du financement de la protection sociale

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jacques Valax. « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots », disait Jean Jaurès.

M. Jean Auclair. Pourquoi ne pas citer Staline, pendant que vous y êtes ?

M. Jacques Valax. C’est ce que l’on pourrait dire aujourd’hui de l’attitude des membres de votre Gouvernement dont les gesticulations de fin de mandature ne peuvent faire oublier les choix désastreux qui ont creusé le déficit public.

Un exemple est révélateur de votre comportement, celui de la TVA. Le relèvement de cette taxe est une mesure antisociale. C’est une attaque en règle contre les classes populaires et moyennes. Elle ruinera leur pouvoir d’achat en leur faisant supporter toute la charge financière de leur protection sociale. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Richard Mallié. Vous ne savez même pas compter !

M. Jacques Valax. Cette TVA antisociale n’est rien d’autre qu’une augmentation massive des impôts pour les ménages. Elle ne créera pas d’emplois.

Je rappelle ici que la suppression des cotisations patronales, pour ceux qui touchaient entre 1 et 1,6 SMIC, n’a pas réduit le chômage puisque la France compte aujourd’hui 1 million de chômeurs supplémentaires…

M. Richard Mallié. Si on ne l’avait pas fait, qu’est-ce que cela donnerait aujourd’hui ?

M. Jacques Valax. …et que les emplois agricoles ne sont pas concernés.

Comment, dès lors, expliquer aux 5 millions de chômeurs et aux 8 millions de personnes qui vivent avec moins de 880 euros par mois que votre mesure antiéconomique va créer des emplois ?

Nous savons tous qu’un État stratège et fort doit investir dans la recherche, l’innovation, et accompagner les investissements lourds des PME et des artisans. Or vous n’avez eu de cesse que de casser et le rôle et l’image de l’État.

Vous devriez méditer cette phrase de Talleyrand (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) : « Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l’État les fait mal ». Votre État a mal fait les affaires !

M. Dominique Dord. Ridicule !

M. Jacques Valax. Monsieur le Premier ministre, ne pensez-vous pas que François Hollande, à qui vous avez adressé beaucoup de questions aujourd’hui, a raison quand il dit que l’augmentation de la TVA est inopportune, injuste, infondée et improvisée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Talleyrand, modèle de François Hollande !

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics…

M. Jean Glavany. Du chômage !

M. le président. …et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous présentation est tronquée et donc volontairement trompeuse.

Vous parlez de la hausse de la TVA, mais vous oubliez de dire pourquoi elle est nécessaire. L’État ne mettra pas un seul euro sans sa poche.

M. Jean Glavany. Cette mesure n’en est que plus idiote !

Mme Valérie Pécresse, ministre. La hausse de la TVA vient compenser la baisse du coût du travail.

Visiblement, vous aimez les bons auteurs. Savez-vous qui a dit : « La taxation du travail constitue probablement un facteur défavorable au développement de l’emploi dans notre pays » ?

M. Henri Emmanuelli. Confucius ? (Sourires.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Hollande ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. C’était Lionel Jospin (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP), pour justifier la commande d’un rapport à l’économiste Malinvaud sur l’évolution des cotisations patronales. Qui était ministre du travail et de l’emploi, à l’époque ? Martine Aubry ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Oui, vous avez commandé des rapports sur le rôle pervers des cotisations patronales. Pour notre part, nous allons les baisser et, pour vous expliquer pourquoi, je prendrai un exemple. En raison du coût du travail, les producteurs français et étrangers de voiture sont tous intéressés pour aller produire hors de France et réimporter ensuite leur production pour que les Français l’achètent.

M. Michel Ménard. Merci, madame « Je sais tout » !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cela détruit de l’emploi en France. Ainsi, nous avons perdu 500 000 emplois industriels…

Plusieurs députés du groupe SRC. Non, 100 000 !

Mme Valérie Pécresse, ministre. …et notre balance commerciale est déficitaire.

Nous allons donc baisser le coût du travail…

M. Michel Ménard. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Dix ans !

Mme Valérie Pécresse, ministre. …afin de diminuer le coût des produits en France, et nous allons taxer les importations pour que les producteurs français et étrangers aient intérêt à créer de l’emploi en France. Voilà ce que nous allons faire, et qui n’est pas ce que vous décrivez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Visite d’État du président Ouattara

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Christ,…

M. Jean Mallot. Mon Dieu !

M. le président. …pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Louis Christ. Monsieur le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, huit mois après son installation à la présidence de la Côte-d’Ivoire, Alassane Ouattara a effectué la semaine dernière sa première visite officielle en France.

Rappelons que, pendant près de dix ans, les Ivoiriens ont été privés d’élections et, durant ces longues années, la France n’a pu développer ces liens historiques, culturels…

M. Jean-Paul Lecoq. Et financiers !

M. Jean-Louis Christ. …et économiques qu’elle entretenait avec la patrie du président Houphouët-Boigny.

Au terme d’une grave crise politique, le président Ouattara a été élu démocratiquement. Il représente aujourd’hui le choix libre des Ivoiriens et peut faire reposer son action sur la légitimité du suffrage universel.

M. Marc Dolez. N’en rajoutez pas trop !

M. Jean-Louis Christ. Homme de courage et de consensus, le nouveau président n’a eu de cesse de multiplier ses efforts pour réconcilier le peuple ivoirien dans la reconstruction de son pays et de le remettre sur le chemin de l’unité et de la concorde avec cette ambition : assurer la sécurité pour chacun et asseoir durablement la démocratie et le progrès.

Cette visite représente le symbole d’une relation nouvelle entre la Côte-d’Ivoire et la France.

Fort de ce que la France est le premier partenaire économique de la Côte-d’Ivoire et fort de nos liens historiques avec ce pays, le Président de la République française a proposé de nouer un partenariat exemplaire et équilibré entre nos deux nations.

Dans cet esprit, il a assuré le président Ouattara de la solidarité de la France et de son plein appui face aux nombreux défis que la Côte-d’Ivoire s’engage à relever, notamment la lutte contre la pauvreté, le redémarrage économique et le renforcement de l’État de droit.

Lors de cette visite, plusieurs accords ont été signés et des partenariats noués.

Dans ce contexte, pouvez-vous, monsieur le ministre d’État, nous indiquer quel bilan vous dressez de ces entrevues et quelles perspectives se présentent désormais pour la Côte-d’Ivoire ? Enfin, comment la France compte-t-elle soutenir le président Ouattara et son équipe dans la reconstruction de leur pays ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le député, chacun se souvient, dans cette assemblée, de la situation de la Côte-d’Ivoire il y a un an : le pays était au bord de la guerre civile.

À l’occasion de la visite d’État du président Ouattara, du 24 au 27 janvier, nous avons pu mesurer le chemin parcouru. Et si la Côte-d’Ivoire est aujourd’hui repartie dans la bonne direction, si elle se reconstruit, on le doit en grande partie à la sagesse du président Ouattara et à son esprit de réconciliation.

Le Président de la République l’a donc assuré du soutien de la France dans trois domaines.

Politique, tout d’abord : nous avons avec la Côte-d’Ivoire un dialogue constant sur tous les sujets bilatéraux mais aussi sur les questions régionales car ce pays y joue un rôle important.

En matière de sécurité, ensuite, nous avons signé un nouveau traité de défense qui remplace celui de 1961. Ce nouveau traité est entièrement public et ne contient donc aucune clause secrète. Et tous les éléments français qui seront maintenus en Côte-d’Ivoire auront pour seule mission d’aider ce pays dans le secteur de la formation.

Enfin, en matière de partenariat économique, des liens étroits existent entre nos entreprises et les entreprises ivoiriennes. Des réunions ont eu lieu en ce sens. Le Président de la République a confirmé un engagement très fort de la France : un contrat de désendettement-développement, portant sur 2 milliards d’euros, permettra à la Côte-d’Ivoire de réaliser un certain nombre de ses priorités. L’Agence française de développement est également présente sur le terrain.

Ce qui ce passe en Côte-d’Ivoire est pour moi l’occasion de saluer le nouveau cours de la politique française en Afrique : nous avons refondu la quasi-totalité de nos accords de défense, resserré nos liens avec l’Afrique anglophone et lusophone ; enfin, nous soutenons partout les processus de démocratisation.

L’Afrique sera le continent émergent du XXIe siècle et la France y jouera tout son rôle. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Pouvoir d’achat

M. le président. La parole est à M. Guy Delcourt, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Guy Delcourt. Madame la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, Jean-Paul Delevoye, membre influent de l’UMP, président du Conseil économique, social et environnemental, estime aujourd’hui entre 12 à 15 millions le nombre de personnes qui, en fin de mois, sont en déficit de 50 à 150 euros.

Étienne Pinte, député UMP des Yvelines et président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, confirme que les résultats ne sont pas à la hauteur des besoins des publics les plus défavorisés.

Ces propos qui émanent d’élus de la majorité présidentielle sont sans équivoque quant à l’action du Président de la République dans ce domaine. Plutôt que d’honorer sa promesse d’octobre 2007 à la suite de laquelle il demandait à votre gouvernement de réduire d’au moins un tiers la pauvreté durant son quinquennat, il a privilégié le monde de la finance aux dépens des 8 millions de Français victimes de la précarité.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et dressent un triste bilan de votre action. À titre d’exemple : 25 % des travailleurs ne gagnent que 750 euros par mois. Que dire de ceux qui sont au chômage ? Et – on n’en parle pas assez – près d’un quart des jeunes femmes isolées vivent sous le seuil de pauvreté.

Ces derniers jours ont de nouveau démontré l’urgence à agir. Les moins riches des Français dépensent 40 % de leur budget à se loger dans le secteur privé. Les sans-abris sont toujours plus nombreux à chercher un toit pour la nuit. Et les queues s’allongent aux points de distribution de repas mis en place par les associations humanitaires obligées de compenser les absences d’un État qui ne peut à la fois nourrir les banquiers et les pauvres. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Ça suffit !

M. Guy Delcourt. Et l’on peut penser que la situation va se détériorer avec la taxation des mutuelles de santé, la réduction des indemnités pour les accidentés du travail, avec le nouveau tour de vis touchant les retraités et les assurés sociaux ou encore avec la TVA sociale.

Face à ce constat accablant, madame la ministre, soyez moins arrogante avec vos leçons de sincérité et d’honnêteté que vous rabâchez ici même à l’adresse des élus de la gauche ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.) Qui a échoué ? Vous-mêmes, la majorité parlementaire, Nicolas Sarkozy, ou les trois ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je ne partage absolument pas votre diagnostic. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Quelle surprise !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Jamais un Gouvernement n’a autant fait pour les plus fragiles des Français. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous avons fait un véritable bouclier social qui s’appelle le revenu de solidarité active. Nous l’avons d’ailleurs mis en place avec quelqu’un qui n’était pas de la majorité présidentielle, Martin Hirsch,…

M. Jean-Paul Bacquet. Qui est allé à la soupe !

Mme Valérie Pécresse, ministre. …qui est venu nous aider parce qu’il croyait que c’était un beau projet, un projet social, une avancée sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Souhaitez-vous donc le supprimer, chers collègues de l’opposition ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Une évaluation indépendante récente nous révèle que, grâce au RSA, 150 000 de nos compatriotes sont sortis du seuil de pauvreté.

Plusieurs députés du groupe SRC. Et les autres ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Alors reconnaissez-le, monsieur Delcourt !

Par ailleurs, les minima sociaux ont augmenté de manière inédite pendant ce quinquennat. Nous avons augmenté le minimum vieillesse de 25 %. C’était l’engagement du Président de la République, nous l’avons tenu. (Exclamations continues sur les bancs du groupe SRC.) Nous avons augmenté de 25 % l’allocation d’adulte handicapé. C’était l’engagement du Président de la République, il a été tenu. Nous avons augmenté de 37 % les dépenses de protection sociale du budget de l’État.

Jamais les filets de protection sociale n’ont été aussi fort dans notre pays, jamais, monsieur le député. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Et vous seriez bien en peine de trouver un seul dispositif qui aurait été sacrifié par le Gouvernement, car il n’y en a pas eu ! Nous avons lutté contre le chômage (Nouvelles exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) et nous continuerons avec la baisse du coût du travail parce que là où vous avez raison, monsieur le député, c’est que le chômage est la première source de précarité. Et pour lutter contre le chômage, il faut baisser le coût du travail, il faut conclure des accords de compétitivité, il faut encourager l’activité partielle. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Mise en œuvre du principe de précaution

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution d’Alain Gest et Philippe Tourtelier relative à la mise en œuvre du principe de précaution (n° 4008).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Gest.

M. Alain Gest. Monsieur le président, madame la ministre de l’écologie, mes chers collègues, le débat que nous ouvrons est la conséquence de la décision de notre Comité d’évaluation et de contrôle, que vous présidez, monsieur le président, de retenir, comme premier sujet de son premier programme de travail 2009-2010, le thème de l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement, relatif au principe de précaution. Cinq ans après l’entrée en vigueur de la Charte, le moment était en effet venu de juger de l’effectivité de sa disposition phare : le principe de précaution.

Nommés co-rapporteurs par le Comité d’évaluation et de contrôle, Philippe Tourtelier et moi-même avons d’abord mené une série d’auditions auprès de juristes, de scientifiques, de représentants de la société civile, d’organismes publics, de philosophes, d’entreprises, et je pourrais poursuivre la liste. Nous avons également bénéficié de nombreux travaux concernant la mise en œuvre du principe de précaution. Cette première approche a été complétée par un séminaire parlementaire organisé le 1er juin 2010, sur la base d’un rapport d’étape dans lequel nous nous étions volontairement cantonnés à poser un certain nombre de questions, afin de faire réagir les participants au débat. Ce travail nous a conduits à quelques constats.

En premier lieu, aucun de nos interlocuteurs n’a clairement souhaité remettre en cause l’existence du principe de précaution, qui vous est cher, madame la ministre. Nous avons donc fidèlement tiré les conclusions de cette situation en repoussant d’emblée l’idée d’une abrogation ou même d’une modification de l’article 5 de la Charte de l’environnement. Je tiens à le réaffirmer ici sans ambiguïté, car certains, extérieurs à cette assemblée, ont soit parce qu’ils ne s’étaient pas livrés à une lecture suffisamment attentive du rapport, soit parce qu’ils avaient décidé de faire croire à de telles conclusions, nous ont fait ce mauvais procès.

En revanche, la plupart des contributions reçues nous ont fait part de la nécessité de rendre plus claire, donc plus efficiente l’utilisation du principe.

Deux aspects devaient à l’évidence être pris en compte.

D’abord, le principe de précaution est invoqué le plus souvent dans des cas très éloignés de sa définition constitutionnelle, notamment dans le domaine sanitaire, que le législateur, je le rappelle, n’avait pas retenu comme domaine d’application de la Charte constitutionnelle. Les exemples pour illustrer cette situation ne manquent pas, ne serait-ce que durant la période de nos travaux : par exemple, la suspension des vols des avions de ligne à la suite de l’éruption du volcan islandais ou la grippe H1N1.

Dans le premier cas, le risque était à l’évidence avéré, en raison du danger pour les avions de voler dans un nuage opaque. Le risque était également avéré dans le second cas dans la mesure où chacun sait que, s’il peut y avoir doute sur l’intensité du risque dans le cas de la propagation d’un virus, il n’y en a pas sur l’existence de ce risque ni sur la réponse à apporter, à savoir vacciner.

Dans aucun de ces deux cas, le principe de précaution n’était concerné, mais le grand public, les médias, voire les pouvoirs publics, confondaient précaution et prévention, c’est-à-dire risque non avéré et risque réellement connu. Premier travers, donc, du principe de précaution : la terminologie employée, très souvent inadaptée et à l’origine des critiques portées à l’encontre de l’existence même du principe.

Dans le rapport de suivi que le Comité d’évaluation et de contrôle nous a demandé de réaliser pour juger de la mise en œuvre des conclusions de notre premier rapport, nous avons été amenés à constater d’autres utilisations inappropriées du principe de précaution.

Ce fut le cas, d’abord, de la question posée par la méthode de prospection des gaz et huiles de schiste. Ce sujet qui, de mon point de vue personnel – je n’engage pas mon co-rapporteur –, a été abordé dans la plus extrême confusion, où l’émotionnel a prévalu sur le rationnel, a de nouveau mis en lumière la difficulté de distinguer entre prévention et précaution, selon que les uns et les autres considéraient le risque comme avéré ou non, s’agissant de la méthode dite de fracturation hydraulique. L’avenir nous montrera sans doute que le Parlement se serait honoré de prendre le recul nécessaire avant de condamner, sans doute définitivement, un élément non négligeable de l’indépendance énergétique de notre pays.

Ensuite, l’affaire du Mediator a mis en exergue l’intérêt de l’utilisation du principe de précaution, donc de l’évaluation en termes de bénéfices-risques, en matière médicale.

Par ailleurs, le débat sur les éventuels dangers pour la santé du téléphone mobile et de ses antennes relais, que j’avais pu étudier dans le cadre d’un rapport pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, m’avait aussi alerté sur les difficultés, pour la jurisprudence, de bien interpréter la volonté du législateur en matière de précaution. N’est-il pas curieux de constater qu’en France, alors même que l’absence de risques liés aux antennes relais réunit un quasi-consensus scientifique, c’est justement dans ce domaine que les cours d’appel de Versailles, en 2009, et de Montpellier, en 2010, ont rendu des décisions visant à démanteler des antennes relais, en se fondant sur un unique rapport dont le caractère authentiquement scientifique n’est pas reconnu, et en s’appuyant sur le principe de précaution ? Décisions judiciaires contestables, absence de jurisprudence de la Cour de cassation, divergences d’appréciation des juridictions judiciaires et administratives, notamment du Conseil d’État, tout cela concernant les antennes relais mais en aucun cas la question plus légitime de l’exposition à long terme aux téléphones mobiles eux-mêmes, et s’insérant dans un contexte médiatique qui rend, là encore, très difficile une appréciation rationnelle de la problématique du risque éventuel pour la santé.

Outre que le principe de précaution est invoqué le plus souvent de façon inappropriée, il n’est pas mis en œuvre de façon raisonnée, réfléchie et organisée. C’est la raison pour laquelle nous avons considéré, pour à la fois en faciliter l’utilisation et davantage éclairer les juges, qu’il convenait d’imaginer une procédure en plusieurs étapes, encadrant son usage tant dans le domaine environnemental que sanitaire. Il nous a semblé indispensable de renforcer la valeur des expertises permettant d’identifier le caractère plausible ou non des risques incertains, de mieux apprécier la notion de bénéfices-risques, sous l’angle scientifique, bien sûr, mais aussi sociétal, de mieux organiser de débat public et de laisser à un opérateur unique le soin de contribuer à la prise de décision, du seul ressort des autorités publiques.

La première phase de cette procédure est celle de l’identification de l’émergence de nouveaux risques pour l’environnement, la santé publique ou la sécurité alimentaire. Cette identification serait confiée à une instance que nous avons jugé pouvoir être le Comité de la prévention et de la précaution, qui a le mérite d’exister, ce qui nous évite de créer un nouvel organisme, et qui pourrait être utilisé sous réserve de la modification de sa composition et, sans doute, de son caractère, qui devrait devenir interministériel.

Le Comité de la prévention et de la précaution pourrait être saisi par le Gouvernement, par le Parlement et par le Conseil économique, social et environnemental. Dès lors qu’il aurait identifié un risque plausible, il désignerait un référent unique qui rendrait compte publiquement de la mise en œuvre du régime de précaution. Ce référent susciterait une double expertise, scientifique et sociétale, contradictoire et indépendante. Son rapport devrait faire état des coûts et bénéfices de l’action ou de l’absence d’action. À l’issue de l’expertise, le réfèrent soumettrait aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l’organisation d’un débat public, dont il serait également chargé de rendre publics les résultats.

C’est à l’issue de ce processus que les pouvoirs publics seraient appelés à décider des mesures à prendre. La procédure comporterait donc quatre phases : identification, études, débat public et décision de l’autorité compétente. Elle serait, à nos yeux, susceptible d’éviter les difficultés de mise en œuvre du principe de précaution. Ces quatre phases ont pour objectif de démontrer que le principe de précaution a toujours été entendu non comme un principe d’inaction systématique mais comme l’encadrement de mesures provisoires et proportionnées au regard des dommages envisagés ; elles offrent aussi l’opportunité de proposer des expertises qui permettent de mieux connaître les risques.

Mes chers collègues, nous avons souhaité, avec cette proposition de résolution, expliciter la position de notre assemblée sur les conditions procédurales de mise en oeuvre du principe de précaution. Il s’agit ni plus ni moins d’un guide, d’un outil pour rendre le principe efficient et éclairer la jurisprudence. Il nous a semblé important de ne pas mettre sur le même plan experts et parties prenantes, car nous croyons nécessaire la réhabilitation de l’expertise, même s’il faut avoir la volonté d’associer la société civile à la procédure. Mais il nous a surtout paru indispensable qu’une initiative parlementaire soit prise pour répondre aux interrogations encore à lever. Cette résolution prendrait toute sa force dans un vote unanime, auquel je ne peux que vous convier. Plus tard peut-être, dans un contexte plus éloigné d’échéances électorales, la proposition de loi dont Philippe Tourtelier et moi-même sommes les initiateurs, qui définit le principe de précaution dans le domaine de santé, compléterait donc utilement un dispositif plus opérationnel de mise en œuvre du principe de précaution.

Mes chers collègues, voter cette résolution, c’est tout simplement conforter le principe de précaution. Voilà pourquoi j’ai confiance dans votre décision.

(Mme Catherine Vautrin remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie par avance de m’excuser pour certaines redites après l’intervention d’Alain Gest, mais outre le fait qu’elles témoigneront de notre accord profond sur la proposition de résolution, elles sont nécessaires pour les lecteurs éventuels qui ne prendraient connaissance que de mon intervention. (Sourires.)

La préoccupation de plus en plus affirmée de notre assemblée de ne pas s’en tenir au vote de la loi, mais de procéder aussi au contrôle de l’application des lois a amené le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et son président, Bernard Accoyer, à nous confier, à Alain Gest et à moi-même, une mission sur l’évaluation de la mise en oeuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution, depuis son introduction dans la Constitution en 2005.Rappelons-nous en effet nos débats de l’époque à partir des propositions de la commission Coppens, débats souvent transpartisans, mais aussi parfois simplificateurs, aboutissant alors à se positionner pour ou contre le principe de précaution, indépendamment du contexte de son application.

Six ans après, nous avons donc auditionné de nombreux protagonistes de ce domaine, des chercheurs, des chefs d’entreprise, bref tous ceux qui ont été confrontés à ce nouvel environnement constitutionnel. Nous avons vu émerger de nouveau les questions sous-jacentes au principe de précaution : le risque, la recherche, le progrès, l’expertise, la responsabilité, la place de la société civile, la justice, et j’en passe. Avant de rédiger notre rapport, nous avons souhaité confronter nos premières conclusions à des avis qui nous semblaient autorisés, lors d’un séminaire parlementaire réuni le 1er juin 2010, avec deux tables rondes réunissant scientifiques, philosophes, représentants de l’administration, représentants de la société civile, sociologues, économistes – la liste n’est pas exhaustive. Enfin, nous l’avons rédigé définitivement, faisant des propositions au gouvernement, et l’avons présenté au CEC le 8 juillet 2010.

Quelles en étaient les principales conclusions ?

Tout d’abord, évoquons le contexte. Nous avons constaté que si, dans le droit international, le principe de précaution est une référence encore émergente, dans le droit européen, qui s’impose à notre droit, il est présent, défini et s’applique dans trois domaines : l’environnement, la santé et la sécurité des consommateurs. Qu’en est-il en France ? Quatre constats nous ont paru essentiels.

Le premier, Alain Gest vient de le rappeler, c’est qu’aucun de nos interlocuteurs – même les plus réticents à l’égard du principe de précaution – ne nous a proposé de faire marche arrière et de l’enlever de la Constitution. Le risque de stérilisation de la recherche a bien sûr été évoqué, mais jamais constaté – sauf momentanément sur les organismes génétiquement modifiés et certaines biotechnologies, suite au débat sur les OGM. Mais certains chercheurs ont l’impression d’avoir une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête en raison des incertitudes entourant l’application du principe de précaution.

Le deuxième constat, Alain Gest l’a aussi évoqué, c’est l’extrême confusion sur le sens même du principe de précaution, très souvent confondu avec le principe de prévention par les médias, l’opinion publique et même les politiques au plus haut niveau. Cela s’explique d’ailleurs par la langue française : quand on applique le principe de prévention, pour éviter l’arrivée de ce que l’on redoute et que l’on connaît, l’usage courant est de « prendre ses précautions », ce qui ne favorise pas en effet la clarification. Mais une telle attitude de prudence dans une situation de prévention ne doit pas être confondue avec le principe de précaution.

Troisième constat : le principe de précaution introduit dans la Constitution via la Charte de l’environnement est d’abord invoqué dans le domaine de la santé, beaucoup plus que dans celui de l’environnement.

Le dernier constat s’explique dans ce contexte : des jurisprudences divergentes, rappelées par Alain Gest, nous renvoient nous, législateurs, à nos insuffisances dans l’énoncé de la loi.

Suite à ces constats, non pas de remise en cause du principe de précaution mais de confusion dans son approche, nous avons fait, conformément à la loi, des propositions au Gouvernement, qu’Alain Gest a rappelées. Elles ont pour objet de répondre à des enjeux qui nous apparaissent essentiels et sur lesquels je voudrais insister.

Le principal enjeu, c’est l’humanisme, dont je rappelle la définition selon Le petit Robert : « Théorie, doctrine qui prend pour fin la personne humaine et son épanouissement. » Il s’agit en fait de la croyance dans la capacité des femmes et des hommes de développer leurs potentialités individuelles et collectives. Le principe de précaution est au coeur de l’humanisme du XXIe siècle car il tente de concilier deux dimensions : la croyance au progrès et la responsabilité. La croyance au progrès, issue de l’humanisme de la Renaissance et du siècle des Lumières, a largement favorisé l’émergence des sciences, sur laquelle se sont appuyés essor technologique et développement, mais avec les effets pervers que l’on connaît et qui amènent certains à rejeter l’idée même de progrès et donc l’humanisme.

Or ne confondons pas la science, c’est-à-dire le progrès dans la connaissance, avec la technologie, qui est l’usage que l’on fait de cette connaissance. Ainsi, un marteau peut aussi bien servir à aider un voisin à construire sa maison qu’à le tuer. Faut-il pour autant interdire le marteau ? D’ailleurs, dans le domaine de la santé, on constate que les technologies efficaces ne sont pas remises en cause. Personne ne demande la suppression de la production de l’insuline par les OGM, alors qu’on peut légitimement s’interroger sur le système économique induit par les OGM en agriculture. De même, les recherches sur les nanomatériaux visant à créer des nanovecteurs permettant de transporter la molécule qui guérit sur la cellule cancéreuse ne sont pas remises en cause, alors qu’on peut douter de l’intérêt de prendre des risques avec les nanoparticules d’argent pour désodoriser les chaussettes quand on sait qu’on retrouvera ces nanoparticules dans l’eau potable.

L’humanisme, ce n’est pas la technologie, c’est le développement de la connaissance de l’homme sur lui-même et sur ce qui l’entoure. Ne nous laissons pas aveugler par le sentiment que cette connaissance serait déjà bien avancée : nous ne sommes pas au bout de la science, nous n’en sommes qu’aux prémices. Les frontières entre les disciplines scientifiques sont de plus en plus floues, en particulier dans l’infiniment petit, et notre rapport au vivant risque d’être bouleversé dans le siècle qui commence.

Quand on voit les possibilités qui apparaissent dans la construction du vivant, ou dans sa reconstruction en cas de dégénérescence, faut-il s’interdire toute recherche porteuse de progrès sous prétexte qu’elle est aussi porteuse de risques potentiels ? La question n’est pas nouvelle, et la réponse ne relève pas d’abord de la science mais de la morale, c’est-à-dire de ce qui caractérise l’homme parmi les êtres vivants. Mais la réponse morale ne peut être trouvée au détriment de cette autre spécificité humaine qu’est notre aspiration à la science, c’est-à-dire à la connaissance. Il nous faut concilier les deux. Dès le XVIe siècle, Rabelais, un des premiers humanistes, à la fois scientifique – puisqu’il était médecin – et littéraire, l’avait compris lorsqu’il écrivait : «Science sans conscience n’est que ruine de i’âme. »

En effet, la responsabilité est la deuxième dimension essentielle de l’humanisme, celle qui doit empêcher un développement incontrôlé de techniques qui serait néfaste pour l’humanité. Le principe de précaution est au coeur de cette articulation entre progrès scientifique et responsabilité, puisqu’il concerne aussi les générations futures et ne s’applique que s’il y a incertitude scientifique. Dans le cas d’une incertitude scientifique, qui a la légitimité pour représenter les générations futures ? Personne ; ou plutôt chacun d’entre nous, tout le monde. C’est pourquoi, dans l’application du principe de précaution que nous proposons, il est indispensable d’instaurer un débat avec la société, de plus en plus méfiante vis-à-vis des experts et de la science car elle n’a pas l’occasion de s’exprimer sur ces sujets. Toute découverte scientifique, si elle est un progrès dans la connaissance, n’en est pas forcément un dans ses applications technologiques : la médecine nucléaire ne peut faire oublier la bombe atomique. Dans Le Monde du 28 janvier dernier, Stéphane Foucart commente un ouvrage collectif récemment publié, La science et le débat public, notant « les dangers d’une société scientifique en ce qu’elle menace parfois de nous faire tendre vers l’oligarchie », mais rappelant aussi « l’importance de la science dans le maintien de la démocratie en ce qu’elle permet de construire l’esprit rationnel du citoyen ».

L’application du principe de précaution telle que nous la proposons, si elle devient un mode opératoire assimilé par tous, et cela peut prendre du temps, participe de cette démarche démocratique permettant des débats plus sereins et moins émotionnels, en rappelant que la précaution n’est pas la prévention, en précisant ce qu’est un lanceur d’alerte, une alerte plausible, l’incertitude scientifique, en définissant l’expertise comme étant l’état de la science à un instant donné, avec ses divers points de vue. Le débat scientifique sera replacé dans son contexte sociétal, présent et futur, avec une appréciation collective des risques et des avantages. Ainsi, on peut espérer que les décisions « provisoires et proportionnées » prises par les pouvoirs publics seront mieux comprises, en particulier leur caractère provisoire lié à la réduction éventuelle de l’incertitude scientifique grâce à l’accélération de la recherche liée au principe de précaution. On pourra dès lors réconcilier la société civile et l’expertise autour du principe de précaution.

Enfin, si le principe de précaution est invoqué devant la justice, la recherche en responsabilité ne se fera plus seulement sur un tri plus ou moins subjectif de l’avocat ou du juge parmi les études scientifiques évoquées au procès, tri pour lequel ils n’ont ni l’un ni l’autre aucune compétence particulière, ce qui explique à la fois les quelques jurisprudences contradictoires et le peu de recours explicite à ce principe. En revanche, le juge pourra exercer son contrôle sur le respect de la procédure de mise en oeuvre du principe de précaution telle que nous la proposons.

L’application du principe de précaution proposée dans notre résolution nous paraît ainsi susceptible de lever beaucoup d’ambiguïtés et de réintroduire le débat politique au sens noble du terme, celui de la cité, dans le débat scientifique.

Au début du mois de janvier, l’Académie des sciences et l’Académie de médecine, saisies de la proposition de résolution, ont relevé quelques points sur lesquels il y a lieu d’apporter des précisions utiles.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Tourtelier. M. le président de l’Assemblée m’ayant demandé d’évoquer ces points, si vous me laissez une minute, madame la présidente, je pourrai répondre à sa requête.

Mme la présidente. Dans un élan de bonté, je vous accorde une minute supplémentaire.

M. Philippe Tourtelier. Je vous en remercie.

Il ne fait aucun doute que le référent indépendant mentionné au premier alinéa de l’article unique devra être doté d’une solide protection juridique, sinon il se trouvera peu de candidats. De même, l’instance chargée d’identifier les risques plausibles devra être rattachée au Premier ministre car ses compétences présentent un caractère interministériel manifeste, nous l’avons montré dans l’exposé des motifs. Enfin, la lecture de l’alinéa 14 ne doit pas susciter d’ambiguïté : il n’y est nullement question de mélanger l’expertise scientifique et l’expression de la société civile ; elles ont chacune leur légitimité, mais ne sont pas de même nature.

Cela dit, il reste des questions difficiles en suspens, par exemple dans le domaine de la santé où le principe de précaution se pose aussi de façon individuelle : il peut exister une incertitude sur la façon dont tel ou tel patient réagira à tel ou tel médicament. C’est alors dans le dialogue entre le médecin et le patient qu’est abordée la question risques-avantages. Mais le principe de précaution individuel peut se heurter à des actions collectives de prévention, telle une campagne de vaccination. Faut-il rendre celle-ci obligatoire au mépris du principe de précaution individuel ou la laisser facultative au risque d’être collectivement inefficace en multipliant ainsi le danger individuel ? Le problème de la gestion individuelle ou collective du risque, autrement dit du rapport entre liberté individuelle et sécurité collective, n’est d’ailleurs pas propre à notre discussion d’aujourd’hui.

En conclusion, je rappelle que notre proposition de résolution n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions posées par le principe de précaution. Elle se veut le reflet des suggestions que nous ont faites un certain nombre d’acteurs que nous avons consultés et qui réfléchissent à ce sujet depuis une dizaine d’années. Outre la levée des incertitudes juridiques, elle a d’abord pour ambition de réaffirmer que le principe de précaution, bien appliqué, est la clef pour éviter un divorce entre la science et nos concitoyens. C’est pourquoi je vous invite, comme Alain Gest, à l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Gest. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner la qualité du travail mené depuis plusieurs années par les rapporteurs de ce texte, qui ont souhaité traduire leur réflexion sur la mise en application du principe de précaution dans une proposition de résolution.

En prolongement des différents travaux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, qui s’est saisi de cette thématique dès 2009, a permis aux rapporteurs d’avoir une vision d’ensemble des difficultés posées par l’inscription de ce principe dans notre loi fondamentale, notamment au travers des conclusions du rapport d’information de 2010.

La révision constitutionnelle introduisant la Charte de l’environnement dans notre Constitution est entrée en vigueur le 1er mars 2005. Le principe de précaution, mentionné et défini à l’article 5 de la Charte, avait fait l’objet, lors de l’examen de la loi constitutionnelle par le Parlement au printemps 2004, de débats nourris traduisant des appréciations très différentes sur la portée de ce principe constitutionnel, ses limites et la capacité qu’aurait la puissance publique à le mettre en application en rapport avec tous les risques potentiels touchant à notre environnement.

Tout en défendant l’inscription de ce principe dans la Constitution, je m’étais à l’époque longuement exprimé, en défendant une motion de renvoi en commission, sur le fait que la rédaction de cet article 5 de la Charte de l’environnement nourrissait beaucoup d’incertitudes. Je précisais certes que la constitutionnalisation de ce principe marquait « la reprise en main du politique, dont le silence avait laissé les juges trop souvent démunis devant leur obligation de dire le droit et de préciser la portée juridique d’un principe émergent en droit national comme en droit communautaire. » Mais je relevais aussi que la rédaction de l’article 5 « renvoyait l’application directe du principe de précaution à la justice, sans l’encadrer suffisamment au préalable ». Seule la justice était donc à même de préciser les conditions de sa mise en œuvre, dépossédant la représentation nationale de la faculté d’arrêter les modalités d’application, alors même que l’autorité judiciaire ne pouvait se prévaloir de la légitimité démocratique des élus et que ses compétences scientifiques étaient à la fois limitées et inégales d’une juridiction à l’autre.

Le travail des rapporteurs, sept ans plus tard, revient à ces interrogations initiales à la lumière des conditions d’application – ou souvent d’invocation – du principe de précaution par tous ceux qui cherchent un débouché réglementaire à une problématique environnementale ou de santé.

L’article 5 devait encadrer à la fois l’expertise et la gestion des risques par les autorités publiques, mais cela n’a pas été le cas et le juge judiciaire continue de construire sa doctrine sans forcément respecter l’esprit du texte constitutionnel.

Le principe de précaution est devenu une sorte de parapluie à la fois pour tous ceux qui évoquent la probabilité de risques environnementaux ou de santé qui devraient être anticipés et pour les autorités, qui le substituent à bon compte au principe de prévention, en installant une confusion entre risque potentiel et risque avéré, quitte à donner le primat à l’émotion et à l’irrationalité.

Partant de ce constat, la proposition de résolution se fixe essentiellement pour objectif de définir une méthodologie pour l’identification et la mise en place du principe de précaution en créant une instance nouvelle qui serait chargée « une fois l’émergence d’un risque hypothétique analysée comme plausible, de désigner un référent indépendant, pilotant la mise en œuvre du régime de précaution ». C’est l’objet du premier point.

Les huit autres points de la proposition précisent le contenu du travail d’expertise que devra effectuer le référent, les principes qui doivent régir son action, la nécessité d’ouvrir sur la base des éléments fournis aux autorités compétentes un débat public et d’aboutir à des mesures proportionnées au niveau de risque.

Sur l’ensemble des propositions présentées, je ferai quatre remarques pour exprimer des réserves quant à l’intérêt et à la portée de ce texte.

Premièrement, il me semble toujours plus facile, devant un problème de fond qui se pose au législateur, de créer une énième structure ad hoc chargée de le conseiller ou d’émettre des avis.

Cela me rappelle les débats sur le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, et la création du Haut conseil des biotechnologies, censé faire la lumière sur les risques potentiels de la diffusion de chaque organisme dans l’environnement. Ce conseil a eu toutes les peines du monde à fonctionner correctement, faute de moyens suffisants d’abord, mais aussi en raison de la primauté accordée aux avis du comité scientifique par rapport aux recommandations du comité économique, éthique et social. Cela conduit encore actuellement à l’émission d’avis qui ne tiennent pas suffisamment compte de dispositions législatives pourtant très clairement définies, comme c’est le cas pour l’application du fameux et excellent amendement n° 252 qui précise : « La mise en culture, la commercialisation et l’utilisation ne peuvent se faire que dans le respect des structures agricoles, des écosystèmes locaux, et des filières de production et commerciales qualifiées "sans organismes génétiquement modifiés", et en toute transparence. »

La composition et les modalités d’organisation de la nouvelle structure font aussi inévitablement l’objet de critiques, quels que soient les principes d’indépendance ou d’autonomie avancés pour la justifier, car nous touchons là à des problèmes majeurs. N’oublions pas que la science n’est pas homogène et que le champ scientifique subit des influences comme tous les autres, qu’il n’est pas hors la société. Les disciplines scientifiques sont soumises à une rude concurrence, voire au clientélisme, ce qui influe sur les moyens octroyés : certaines reçoivent plus que d’autres, et certains domaines sont ignorés alors qu’ils pourraient offrir de fortes perspectives d’amélioration des connaissances.

C’est ainsi que l’écotoxicologie – dont j’avais longuement parlé lors du Grenelle de l’environnement – n’a toujours pas la place que devrait lui conférer une politique de recherche ambitieuse dans le domaine de l’environnement et de la relation entre santé et environnement. D’autres exemples concernent des choix de recherche internes à des domaines disciplinaires ou la volonté de scléroser certaines recherches.

À la lumière de cette expérience, je crois qu’il ne faut pas voir la création d’un comité ou d’un haut conseil comme la planche de salut pour lever les ambiguïtés auxquelles l’application d’un principe constitutionnel expose directement le législateur et la puissance publique.

Ma deuxième réserve porte sur le caractère complexe de ces propositions qui prévoient deux niveaux de délégation : l’instance chargée d’identifier l’émergence d’un risque nouveau ; le référent indépendant chargé de conduire l’expertise. Cette mécanique me semble d’autant plus complexe, que le texte ne précise pas sous quelle tutelle agiraient cette nouvelle instance et les référents qu’elle désignerait.

Ma troisième réserve tient aux conséquences de cette organisation sur le travail de la représentation nationale. Indirectement, ne s’agit-il pas de limiter nos propres capacités d’expertise et de décision en confiant à cette structure toute interrogation autour du principe de précaution dans un domaine donné ? Quelle place sera réservée à nos commissions d’enquête et à nos rapports d’information ?

Ma dernière réserve tient à un constat : les limites du débat démocratique quand les autorités chargées de mettre en place des débats publics se fondent sur les seuls éléments transmis par des référents dits compétents, avec le risque de privilégier, dans notre système marchand, l’intérêt d’une certaine vision économique sous l’habillage d’une analyse coûts-avantages. Nous avons besoin de donner toute sa place à une démarche alliant les savoirs techno-scientifiques à la pluralité des analyses provenant de savoirs non techniques.

M. Philippe Tourtelier. C’est exactement ce que nous proposons !

M. André Chassaigne. À mon sens, cela implique de ne pas permettre à un comité d’experts de tout cadenasser à l’avance. Les fameux débats publics sont souvent des leurres démocratiques utilisant les arguments d’autorité des experts dits officiels, faisant eux-mêmes écho aux arguments avancés par des groupes d’intérêt puissants.

Pourquoi ne pas imaginer de nouvelles démarches comme celle des conventions de citoyens, en partant d’expériences déjà conduites dans de nombreux pays ? Ne soyons pas dupes d’une confrontation scientifique parée de toutes les vertus de transparence et d’indépendance, alors qu’en réalité elle ne s’extrairait pas des rapports de force qui se font jour dans ces instances. Cela exige aussi de donner à la recherche publique, notamment à la recherche fondamentale, des moyens à la hauteur des enjeux.

Pour toutes ces raisons, bien que nous partagions de nombreux éléments de constat relevant de la difficile application du principe de précaution dans notre pays, notre groupe s’abstiendra dans le vote sur cette proposition de résolution.

M. Alain Gest. Oh !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Vraiment, monsieur Chassaigne ?

M. André Chassaigne. Je précise qu’il s’agit du groupe des députés communistes, citoyens et du parti de gauche, et que j’en suis le porte-parole.

M. Philippe Tourtelier. C’était laborieux !

Mme la présidente. La parole est à Mme Geneviève Fioraso.

Mme Geneviève Fioraso. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, cette proposition de résolution fait suite au rapport d’information très complet réalisé par Philippe Tourtelier et Alain Gest en juin 2010, dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle de la mise en œuvre des dispositions de la loi constitutionnelle de 2005 relatives au principe de précaution.

Ce rapport et le débat parlementaire qui l’a accompagné ont confirmé l’intérêt du principe de précaution qui, il faut le rappeler, concerne les risques potentiels, c’est-à-dire les risques de risques, les risques avérés relevant de la prévention et non pas de la précaution.

M. Jean Mallot. Très bien !

Mme Geneviève Fioraso. Il est important de rappeler ce qui semble une évidence, tant il y a eu d’interprétations erronées de ce principe, qui reste un principe d’action puisqu’il oblige, par des recherches complémentaires, à réduire les incertitudes et à mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques.

Par ailleurs, ce n’est pas un moratoire puisque le principe de proportionnalité donne à l’État la responsabilité de mettre en place les mesures provisoires et révisables les plus adaptées, en pesant les intérêts en présence : impact sur l’environnement, seul champ théoriquement concerné par la loi de 2005 ; mais aussi conséquences sur l’innovation, l’économie, les avancées de la science et les risques et bénéfices sociétaux, dans une approche équilibrée.

Tout cela, c’était l’esprit de la loi de 2005.

Dans la réalité des saisines et des jurisprudences depuis 2005, que s’est-il exactement passé ? Pourquoi cette loi et même la résolution que nous prenons aujourd’hui suscitent-elles tant d’inquiétudes chez les chercheurs et les industriels, qui craignent de prendre du retard par rapport à d’autres pays, mais aussi dans une partie de la population, qui assimile volontiers risque potentiel et risque avéré et qui a largement perdu confiance dans l’expertise scientifique, comme l’indiquent de récentes études ?

M. Alain Gest. Exact !

Mme Geneviève Fioraso. Ajoutons à cela le rôle joué par les médias, qui abordent ces sujets à l’occasion de dysfonctionnements, réels ou non, dans un climat chargé émotionnellement, ce qui n’encourage pas la sérénité nécessaire à des débats souvent complexes et ce qui accentue les peurs face à des avancées scientifiques et technologiques de plus en plus rapides.

L’expérience de ces six années montre que la jurisprudence a de facto élargi le cadre initial puisque le contentieux porte majoritairement sur les questions d’urbanisme et de santé. Elle souligne aussi l’absence de référent et de coordinateur du dispositif du principe de précaution, et donc la prédominance de la jurisprudence.

L’exemple le plus flagrant est fourni par la Cour d’appel de Versailles qui, le 4 février 2009, a décidé de surseoir à l’installation d’une antenne relais, au motif d’un trouble anormal de voisinage, en fondant sa décision non pas sur le risque sanitaire ou une quelconque expertise, mais sur l’angoisse ressentie par les plaignants face à l’impossibilité d’obtenir la garantie d’une absence totale de risque sanitaire. Cette interprétation extensive pourrait d’ailleurs s’appliquer à de nombreux équipements considérés comme gênants – voitures, industrie, éoliennes, camions – et engendrer des excès faciles à imaginer.

Comparé à d’autres pays développés, le nôtre reste en retrait dans le domaine des biotechnologies, des cellules souches, des OGM. Dans ce contexte, il est nécessaire de bien préciser le cadre mais aussi de rendre crédible le recours au principe de précaution, en améliorant sa gouvernance et son champ d’application.

Cette résolution vise à créer un référent indépendant, dont il faudra préciser les caractéristiques dans les débats liés au principe de précaution pour éviter que ce dernier ne soit régulé par une jurisprudence forcément aléatoire et parfois incohérente.

Cette résolution va, je l’espère, rétablir l’état d’esprit qui a présidé à l’inscription dans la Constitution du principe de précaution comme principe d’action. Elle me paraît donc bienvenue et je la soutiens. Cependant, pour éviter de nouveaux dysfonctionnements et ne pas retarder le développement de notre recherche, de notre industrie, des progrès sanitaires, sociaux et environnementaux, je me permets d’insister sur quelques points que le référent devra approfondir.

Premier point : rétablir la crédibilité de l’expertise, en l’ouvrant aux sciences humaines et sociales, en favorisant la pluralité de l’expression et en distinguant l’expertise scientifique de l’expertise sociétale.

Deuxième point : hiérarchiser les risques, en les mettant en perspective et en favorisant une approche bénéfices/risques, prenant aussi en compte l’impact économique et la création d’emplois.

Troisième point : améliorer l’environnement de la prise de décision en développant la culture scientifique et technique dès le plus jeune âge, en finançant les études en épidémiologie, biosécurité, biosûreté, éco-toxicologie, en parallèle aux travaux de recherche et en s’engageant à publier les résultats de ces études de façon compréhensible, en toute transparence. Nous avons les technologies qui le permettent.

Quatrième point : réintroduire la science et la technologie dans le discours des politiques et des médias, de façon responsable et partagée.

Cinquième point : tenir compte du caractère très évolutif des domaines nouveaux et très prometteurs pour leurs applications, comme la biologie de synthèse, et prévoir des évaluations transparentes, crédibles et réactualisées régulièrement.

Enfin, développer des lieux de dialogue pluralistes et décentralisés, à l’image de ce qui a été organisé au Royaume-Uni par la Royal Society dans les régions, avec des experts, des citoyens et des médias préalablement formés, sur un domaine émergent et sensible : la biologie de synthèse. Ces échanges ont permis un débat éclairé et serein, qui a donné lieu à des recommandations. Nous avons de bonnes pratiques à développer en France à partir de ces expériences réussies, en impliquant davantage l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, sous-utilisé dans le débat national organisé à propos des nanotechnologies, un débat qui – c’est un euphémisme – n’a pas été très réussi.

C’est bien cette culture du projet partagé qu’il nous faut développer en toute transparence, en identifiant les risques potentiels et en faisant tout pour les éviter, sachant que le risque zéro n’existe pas. Je souhaite vivement que cette résolution nous aide à y parvenir, en toute transparence et en toute sérénité, avec un pilote crédible dans l’avion et une responsabilité partagée par le plus grand nombre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Bouillon.

M. Christophe Bouillon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec le même enthousiasme que ceux qui m’ont précédé à la tribune que je prends la parole pour défendre l’adoption de la proposition de résolution de nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier sur la mise en œuvre du principe de précaution.

Ce texte a pour objet de réaffirmer et de préciser la volonté du législateur en matière de mise en œuvre du principe de précaution, tâche qui se révèle nécessaire au vu du travail produit ces dernières années par notre assemblée, notamment par son Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, mais également au vu de la production scientifique, associative, citoyenne autour du principe de précaution.

Nous devons en effet, en tant que législateurs, veiller en permanence à rester au contact des évolutions de la société. Or celle-ci est marquée, depuis un certain nombre d’années déjà, par des bouleversements technologiques, techniques et scientifiques qui appellent à la vigilance.

Cette vigilance ne se fonde pas sur des préjugés. Elle trouverait plutôt son origine, si vous me permettez ce détour philosophique, dans le concept aristotélicien de phronèsis développé dans l’Éthique à Nicomaque, que certains auteurs traduisent par « prudence » ou par « sagacité », voire par « sagesse pratique ». Cette phronèsis doit permettre à l’homme de choisir ce qui lui paraît juste, de manière rationnelle, dans des circonstances et des moments, tous différents, qui comportent une part d’incertitude, une part d’imprévisible. C’est tout le sens de la résolution qui nous est présentée aujourd’hui : permettre au législateur d’appliquer ce principe de prudence ou de sagacité à des situations toujours nouvelles où l’imprévisible et l’incertitude rendent difficile l’application du droit.

Ce principe de prudence renouvelé, redéfini à la lumière de l’évaluation faite par le Comité d’évaluation et de contrôle de la mise en œuvre du principe de précaution tel qu’inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement, doit permettre de répondre à de nombreux enjeux dans un contexte particulier.

N’oublions pas, en effet, que les bouleversements technologiques qui marquent notre société depuis quelques années ont rendu les citoyens plus vigilants car plus informés, ce qui est une très bonne chose. Nous avons aujourd’hui, peut-être plus qu’hier, à rendre des comptes à de véritables citoyens-acteurs qui, lorsqu’une question scientifique vient à faire son entrée dans le débat public, s’informent, recoupent leurs sources, s’intéressent et posent de véritables questions.

L’heure n’est donc plus aux choix obscurs, faisant l’économie d’explications. L’heure est, au contraire, à des démarches publiques et transparentes.

C’est tout le sens de cette résolution qui relève le défi de l’application, dans notre pays, d’un principe de précaution manié de façon claire et transparente via un référent indépendant, qu’il faut en effet préciser et définir.

L’application de ce principe de précaution sera le fruit d’une véritable expertise scientifique contradictoire, qui prendra en compte le plus vaste champ de variables en utilisant, pour y parvenir, des méthodes d’analyse d’ordre social ou éthique incontestables. Elle se traduira dans les faits par des mesures proportionnées de protection, qui nous mettront ainsi à l’abri de toute perte de chance dans le domaine du progrès scientifique.

Le principe de précaution s’inscrira dans la durée. Il sera appliqué tant que le doute ne sera pas levé, tant que les travaux scientifiques demeureront incomplets, imprécis ou non concluants. Aussi, mes chers collègues, en votant la résolution proposée par nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier, nous demandons que notre pays réaffirme, dans un contexte particulier, dans une époque de changement constant, sa volonté de gérer sérieusement tous les risques et, ainsi, de remplir efficacement son devoir de protection de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anny Poursinoff.

Mme Anny Poursinoff. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègue, en tant qu’écologiste, je suis bien évidemment favorable à l’application du principe de précaution.

On ne regrettera jamais assez que ce principe n’ait pas été appliqué dès que les risques liés à l’utilisation de l’amiante ont été observés. C’était, je le rappelle, en 1906.

Aujourd’hui, vingt ans après la conférence de Rio, force est de constater que même la prévention de l’aggravation du réchauffement climatique n’est pas encore une réalité. Alors, que dire du principe de précaution que nous aurions dû appliquer pour assurer le devenir de notre planète et l’avenir des générations futures ?

Le principe de précaution doit s’appliquer de manière large et ouverte, en faisant appel à l’expertise mais aussi au débat démocratique. J’ai déjà pu le dire dans le rapport sur les crédits de la santé que je vous ai présenté, et j’y reviendrai.

Il ne faut cependant pas invoquer ce principe en vain. Ma collègue sénatrice Marie-Christine Blandin l’a dit avant moi : l’invoquer, par exemple, pour justifier l’achat de millions de doses de vaccins contre la grippe H1N1 n’était pas justifié. En revanche, le principe de précaution devrait s’appliquer pour les adjuvants et les conservateurs utilisés dans les vaccins, notamment l’aluminium.

Le principe de précaution aurait dû s’appliquer concernant l’industrie nucléaire. Ceux qui prônent de mettre en balance les risques avec ce qu’ils appellent « les coûts économiquement acceptables » doivent admettre aujourd’hui que le calcul était erroné depuis le départ puisque personne n’est en mesure de chiffrer les coûts du démantèlement et du traitement des déchets. Les idéologues, aujourd’hui, sont du côté des pro-nucléaire, pas du côté des écologistes. Ces derniers proposent des solutions pragmatiques pour sortir de cette énergie dangereuse, onéreuse et sans avenir.

Quant à l’intégration de la santé dans le champ de la précaution, elle me semble aller de soi. Je le dis d’autant plus volontiers que j’ai insisté sur la nécessité de la précaution dans le rapport sur la prévention et la sécurité sanitaire que je vous ai remis, chers collègues, au mois de novembre dernier.

En effet, santé et environnement sont étroitement liés ; on le voit dans bien des domaines, qu’il s’agisse des pesticides, des perturbateurs endocriniens ou de la pollution atmosphérique.

D’autres questions appellent notre attention ; je pense aux OGM en agriculture et à la limitation des ondes électromagnétiques. Elles ne sont pas réservées à l’expertise scientifique : elles impliquent l’ensemble de la société.

C’est la raison pour laquelle le débat démocratique est essentiel. C’est la raison pour laquelle des débats contradictoires et des conférences de consensus sont indispensables.

Pour que le principe de précaution s’applique, il faut aussi une recherche publique indépendante et mieux financée, comme vient de le réaffirmer notre collègue André Chassaigne.

Il faut encore que l’expertise soit mieux valorisée dans la carrière des chercheurs et que le rôle des lanceurs d’alerte soit reconnu. Les exemples de chercheurs qui ont subi ou subissent des discriminations ou des sanctions sont nombreux. La reconnaissance du statut de lanceur d’alerte et la protection qu’il confère sont donc essentielles. Sans tomber dans une société de la psychose, il faut bien reconnaître que, face à de nouveaux risques, les procédures ne peuvent pas être définies à l’avance. Les alertes sont souvent informelles. C’est la raison pour laquelle il faut aussi savoir écouter les personnes de bonne foi qui détectent des risques émergents.

Si cette résolution a pour objectif d’encourager réellement le débat public, elle contribuera alors à remplir les exigences démocratiques qui doivent être les nôtres. Cependant, il ne faudrait pas, sous couvert d’une évaluation du principe de précaution ou de son encadrement, donner des moyens à ceux qui voudraient continuer à mettre sur le marché des substances ou des produits hasardeux. Les écologistes seront absolument vigilants sur ce point.

Le président Accoyer s’est inquiété d’une hémorragie de nos savoir-faire et de nos cerveaux scientifiques que pourrait, selon lui, entraîner une trop large application du principe de précaution. Je crois qu’il se trompe, car le principe de précaution peut, au contraire, être un formidable accélérateur de l’innovation, une véritable stimulation pour la recherche.

La compétitivité ne se construit pas sur des innovations à risque pour l’environnement et la santé, car la réparation, quand elle est possible, coûte davantage, et sur des fonds publics. La vraie compétitivité, c’est plutôt de concevoir des produits sains et recyclables, ou encore d’investir dans les énergies renouvelables plutôt que dans le nucléaire, technologie archaïque et gouffre financier.

Le principe de précaution, c’est se donner les moyens du changement maintenant, pour mieux assumer nos responsabilités à long terme. C’est bien ce à quoi nous aspirons dans les mois à venir.

Cela implique notamment de prendre la responsabilité de choix énergétiques courageux, en particulier de tourner le dos au nucléaire et de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.

En conclusion, cette résolution a le mérite de rappeler l’importance de l’application du principe de précaution et de la dimension démocratique de l’anticipation des risques. Cependant, je tiens à mettre en garde mes collègues contre un encadrement trop strict du principe de précaution, qui pourrait étouffer dans l’œuf l’émergence de nouvelles alertes et leur prise en compte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.

M. Jean-Paul Chanteguet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le principe de précaution n’est pas nouveau puisque c’est en 1987 que sa première reconnaissance internationale intervint, à Londres, lors d’une conférence pour la protection de la mer du Nord, et que c’est au mois de juin 1992, lors de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement à Rio de Janeiro que sa consécration mondiale eut lieu. Il n’est pas inutile de rappeler le principe 15 de la déclaration de Rio : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »

La même année, l’article 130 R du traité de Maastricht a précisé que la politique de la Communauté européenne dans le domaine de l’environnement « est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive ».

C’est en 1995 que le principe de précaution fait son entrée dans le droit français grâce à la loi dite « loi Barnier ».

C’est enfin en 2005 qu’il connaît une consécration constitutionnelle avec son introduction dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution.

Au vu de l’expérience des cinq premières années de sa mise en œuvre, nos rapporteurs ne peuvent que constater l’urgence de mieux organiser son application et de prendre une initiative parlementaire pour préciser la volonté du législateur. Il paraît en effet judicieux de ne pas laisser cette responsabilité à la seule jurisprudence, puisque la formation de celle-ci est longue et incertaine et qu’elle manque de cohérence entre les ressorts juridictionnels, tant qu’elle n’est pas exprimée par le Conseil d’État ou la Cour de cassation saisis par les parties. Il peut en outre y avoir des divergences entre les ordres juridictionnels.

La nécessité de définir un mode d’emploi s’impose aujourd’hui à nous. Ce mode d’emploi est déjà balisé par les jurisprudences française, communautaire et internationale au travers de procédures concrètes d’organisation et de critères à satisfaire. Ce mode d’emploi est aussi grandement influencé par les autorités communautaires, qui imposent progressivement dans la gestion des risques émergents une évolution procédurale et des principes directeurs.

Ainsi, tandis que le Parlement européen introduit des obligations relatives à la consultation publique et à l’expertise dans la procédure législative relative à la proposition de règlement sur les OGM, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé les exigences qui s’imposent déjà aux États membres en vertu de la jurisprudence et qui portent sur le caractère proportionné et provisoire des mesures et leur justification sur la base d’une expertise scientifique préalable aussi complète que possible.

Pour nous, la procédure et la méthodologie retenues dans cette proposition de résolution ne portent pas atteinte au principe de précaution et permettent de préserver des conditions acceptables de développement du progrès technique et scientifique. La proposition prévoit en effet de confier à une instance choisie à dessein l’identification de l’émergence de nouveaux risques pour l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, et la désignation d’un réfèrent indépendant qui aura la faculté de susciter l’expertise scientifique, qui soumettra aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l’organisation d’un débat public et, enfin, qui saisira de l’ensemble des conclusions de l’expertise et des débats les autorités publiques afin qu’elles prennent les mesures qui s’imposent pour limiter le risque.

Pour Dominique Bourg, cette résolution n’émane pas du lobby anti-principe de précaution, contrairement à ce que pense Arnaud Gossement, pour qui on est en train d’encadrer le principe de précaution pour mieux l’étouffer ; n’affirme-t-il pas que cette proposition de résolution revient à l’ensevelir sous une montagne de conditions préalables, inscrites si possible dans le marbre du droit, avec pour seul effet de paralyser son application ?

Pour Dominique Bourg, la proposition de résolution ne porte pas atteinte au principe de précaution. En effet, elle ne renvoie pas tout à une analyse coûts-bénéfices puisqu’elle est préconisée « lorsque cela est approprié et réalisable, sans préjudice d’autres méthodes d’analyse non économiques, notamment d’ordre social ou éthique, tout particulièrement pour ce qui touche à la protection de la santé ».

D’ailleurs, il ne partage pas l’avis de certains, comme Jacques Attali – ou plutôt comme la Commission pour la libération de la croissance française, qui proposait dans son rapport remis au début de l’année 2008 le retrait du principe de précaution de la Constitution, au motif que ce dernier briderait l’innovation dans notre pays. Cela reviendrait à considérer que tout progrès technologique est bénéfique, ce que Dominique Bourg ne pense pas.

Enfin, il tient à affirmer, soutenant en cela la démarche de nos deux rapporteurs, que « la mise sur pied d’une procédure, pour éviter un mauvais usage du principe, ne va pas à son encontre ».

C’est pourquoi le groupe SRC votera, bien entendu, cette proposition de résolution qui éclairera à n’en pas douter utilement l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des tribunaux, des acteurs de la société civile, de l’administration ou encore des scientifiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la résolution est un acte par lequel notre assemblée émet un avis sur une question déterminée. Cette modalité d’expression qui avait été quasiment éliminée, au nom du parlementarisme rationalisé, par les constituants de 1958 a repris vigueur avec les actes européens, qui lui ont redonné vie. C’est surtout la réforme constitutionnelle que nous avons votée en 2008 qui a ouvert la voie à un renouveau de cette procédure.

C’est ainsi qu’Alain Gest et Philippe Tourtelier ont mené un très important travail d’évaluation, dont ils ont scrupuleusement rendu compte au Comité d’évaluation et de contrôle, sur la mise en œuvre du principe de précaution inscrit en 2005 à l’article 5 de la Charte de l’environnement. Ce travail a donné lieu à deux rapports, le premier en 2010 et le second en 2011, sur le suivi des conclusions du premier.

Nos collègues ont été amenés à déposer un projet de résolution qui traduit « l’opportunité d’une initiative parlementaire pour préciser la volonté du législateur ». J’approuve bien évidemment cette initiative, pertinente et heureuse, tant dans sa forme que dans son contenu.

Le principe de précaution est conceptuellement complexe et sa simple lecture peut plonger dans une certaine perplexité. On aurait donc pu imaginer que la jurisprudence, en tant que source du droit, vienne jouer le rôle utile qui est le sien dans la tradition juridique française. Mais chacun sait que, pour être source du droit, la jurisprudence doit être répétée, car un même point de droit doit être interprété dans le même sens par différents tribunaux, et hiérarchisée, les cours suprêmes fixant au bout du compte la règle qui devient source de droit, c’est-à-dire la jurisprudence dite « constante » de la Cour de cassation ou du Conseil d’État.

La difficulté du principe de précaution, chacun l’a compris, est que son interprétation a été et reste soumise à une jurisprudence d’abord supranationale, rendue par l’Organisation mondiale du commerce ou par la Cour de justice de l’Union européenne ou encore par la Cour européenne des droits de l’homme. Certes, on sent, dans la quarantaine de décisions qui ont été rendues après une douzaine d’années, une certaine homogénéisation progressive de la jurisprudence mais on est encore loin du compte pour pouvoir considérer que les choses sont stabilisées.

Les juridictions françaises ont également apporté leur contribution à la jurisprudence. Les rédacteurs de la Charte avaient certes essayé de colmater les brèches à l’avance : ils étaient conscients des difficultés qu’ils allaient provoquer en posant ce principe extrêmement intéressant mais complexe. Cette mission était probablement impossible puisque, dans sa conception, ce principe met en œuvre trop de notions qui sont, par nature, aléatoires : l’incertitude scientifique du risque, l’incertitude quant aux connaissances scientifiques du moment – à quel moment doit-on se situer pour l’apprécier ? –, l’incertitude quant à l’irréversibilité du dommage. Toutes ces incertitudes rendent les craintes réelles ; elles sont fondées même s’il est trop tôt pour faire un bilan.

En outre, il n’y a pas en France un seul juge mais plusieurs : Conseil constitutionnel, avec maintenant la question prioritaire de constitutionnalité, juge administratif, juge civil, juge pénal. Il y a aussi plusieurs contentieux : celui de la légalité, celui de la responsabilité. C’est dire à quel point, dans une matière supranationale, diverse et avec des contentieux de types différents, il est difficile de créer une jurisprudence stabilisée qui permette à nos concitoyens de comprendre dans quel cadre le principe de précaution doit être apprécié.

Si certains juges semblent pourtant s’être bien situés dans la logique de la Charte, d’autres, par des glissements insidieux, ont fait évoluer la jurisprudence de la précaution vers la prévention, de telle sorte qu’il est aujourd’hui préférable d’opter pour une autre solution. Certains juges nationaux d’autres pays de l’Union européenne ont d’ailleurs adopté une position similaire : on a vu par exemple les juges belges faire dériver considérablement l’apport que peut constituer la jurisprudence en dénaturant fondamentalement le principe de précaution.

J’évoquais à l’instant la question prioritaire de constitutionnalité, qui connaît un développement assez fantastique mais qui n’a pas encore donné toute sa mesure s’agissant du principe de précaution. Sans qu’il faille en avoir peur, ce mécanisme aurait pu rendre difficile la stabilisation de la jurisprudence sur ce sujet.

La proposition de résolution qui nous est soumise doit être soutenue. Le rôle qu’elle confie au Comité de la prévention et de la précaution paraît pertinent. Ce dernier est complété et enrichi, mais on ne crée pas un organisme nouveau. La procédure préconisée pour la saisine est cohérente. La prise en compte de la santé paraît conforme aux aspirations de nos concitoyens et aux premières tendances de la jurisprudence, dont je viens d’écarter l’utilisation mais qu’il n’est néanmoins pas inutile de prendre en compte.

Pour conclure, je suis favorable à l’adoption de cette proposition de résolution.

M. Alain Gest. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je veux tout d’abord saluer le travail de fond considérable réalisé, depuis près de deux ans, par Alain Gest et Philippe Tourtelier, auteurs de cette proposition de résolution. On peut dire qu’ils sont tous deux devenus d’éminents spécialistes d’un concept relativement jeune dans notre corpus juridique, ce qui est peu commun.

Nous avions précisément besoin que ce jeune concept soit regardé, ausculté, travaillé par des parlementaires avisés et chevronnés…

M. Serge Blisko. Ils vont subitement se sentir bien vieux… (Sourires.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. ...qui s’en emparent et se l’approprient pour l’inscrire plus nettement encore dans notre paysage normatif, mais aussi dans notre paysage mental en le mettant à l’horizon de nos débats dans de nombreux domaines. Vous avez fait, messieurs, œuvre de pionniers, je vous en félicite et vous en remercie.

Voilà donc sept années que le principe de précaution est inscrit dans notre Constitution, avec la Charte de l’environnement adoptée en 2005. Chacun connaît mon engagement personnel dans cette reconnaissance nécessaire, je n’y reviens pas.

Toutefois, je ne me cache pas la réalité. Je sais que des voix s’élèvent encore, ici ou là, pour contester le principe de précaution, pour le critiquer, pour continuer d’affirmer qu’il constituerait un frein aux activités de recherche et même au développement économique.

Vous ne serez pas étonnés que je ne partage pas du tout ce point de vue. Le principe de précaution n’est pas la négation du progrès, il n’est pas la négation de la science. Il est même tout le contraire, car le doute, qu’il soit méthodique ou hyperbolique, mais aussi l’éthique sont partie intégrante de la démarche scientifique : Philippe Tourtelier nous a rappelé à ce propos la citation de Rabelais. Intégrer le doute et l’éthique, c’est l’inverse du dogme et c’est le contraire de l’obscurantisme, c’est tout simplement une science bien ordonnée. En fait, le principe de précaution est aujourd’hui l’une des conditions de possibilité et de crédibilité de la science moderne.

Il constitue à mon sens un exemple d’une vision nouvelle de l’écologie : non plus une écologie de l’objection et de l’obstacle, mais une écologie « intégrée » aux processus tant politiques qu’économiques ou scientifiques, une écologie qui les accompagne, les fonde en légitimité et leur donne de la viabilité.

De la même manière, le principe de précaution constitue une assurance de long terme, tant pour le chercheur que pour l’industriel. Face à des risques toujours plus incertains, à des conséquences qui peuvent être toujours plus graves, à mesure que progressent la science et la portée de ses applications techniques, il serait inconséquent – plus inconséquent encore que par le passé – d’attendre pour voir, pour connaître et pour éprouver la réalité du risque. En la matière, il ne faut pas confondre les expériences de la science, balisées et maîtrisées, avec les expérimentations, tentatives et tentations d’apprentis sorciers pas toujours désintéressés.

Le résultat d’un laisser-faire intégral en la matière serait, comme tout laisser-faire, exactement l’inverse de l’effet recherché, de la même manière que la liberté excessive peut dégénérer en tyrannie.

Et puis, outre ses conséquences concrètes, le laisser-faire total aurait pour résultat de démultiplier la défiance du corps social vis-à-vis des travaux et des professions scientifiques, dont le prestige a pourtant besoin d’être restauré si nous voulons construire une « société de la connaissance », capable de nous distinguer dans la mondialisation et que nous appelons de nos vœux.

Pour que la France reste un pays d’innovation, de progrès technique, de technologies de pointe, il faut qu’elle soit un pays dans lequel la science est crédible parce qu’elle sait anticiper. Les exemples sont multiples, certains en ont donné. Je n’entrerai pas dans le détail car je sais que là se trouvent peut-être des sources de contentieux.

Mais je veux dire ici que je ne défends pas une vision figée du principe de précaution. C’est au contraire un principe profondément dynamique, parfaitement adaptable en fonction de l’état des connaissances scientifiques. Ce n’est pas un principe déconnecté du droit, c’est avant tout un principe procédural. C’est pourquoi il est indispensable de clarifier les conditions de sa mise en œuvre. Je partage sur ce point l’analyse extrêmement fine de la jurisprudence que vient de faire Jérôme Bignon, rejoignant me semble-t-il, les propos de Christophe Bouillon.

Il faut battre en brèche l’idée encore trop répandue que le flou, voire l’arbitraire présiderait à l’application du principe de précaution : tel n’est pas le cas ! Ce principe est tout sauf dénué de rationalité. Toute sa difficulté réside dans le fait que, par définition, le champ de la précaution suppose un très fort niveau d’incertitude.

J’indique au passage que je partage le point de vue d’Alain Gest quant à la nécessité de bien distinguer le régime de la précaution – où nous ne savons pas quantifier le niveau de risque – du régime de la prévention, dans lequel le risque est assez bien connu et où il s’agit de prendre des mesures qui permettent de le maintenir à un niveau jugé acceptable par la société. C’est une démarche que l’on connaît bien par exemple dans les installations Seveso ou dans les phénomènes naturels comme les inondations. Les outils de la prévention des risques sont fondamentalement différents et vous avez raison d’insister, les uns et les autres, sur le fait qu’il ne faut pas les confondre avec ceux de la précaution. C’est trop souvent le cas, et pourtant ils n’ont rien à voir.

Pour toutes ces raisons, je juge particulièrement stimulant le travail qui vous est présenté aujourd’hui dans le cadre de cette proposition de résolution.

Je trouve en particulier intéressante l’idée de mettre en place un processus clair, ce n’est pas André Chassaigne, après son intervention, qui me contredira, au moins sur ce point.

Il est d’abord intéressant de s’appuyer sur des processus pluridisciplinaires, donc sur de nouvelles expertises. Pour renforcer l’acceptabilité sociale des décisions, je crois à la nécessité de compléter l’expertise scientifique par une expertise socio-économique, pour faire clairement le bilan coût-avantage – dont Jean-Paul Chanteguet a souligné la nécessité – de chaque décision. Vous le savez, c’est ce que nous nous efforçons de réaliser, par exemple dans le domaine des biotechnologies.

Il faut aussi mettre en place, lorsque cela est nécessaire, une coordination précise. On rejoint là l’idée de réfèrent qui est développée dans le projet de résolution et à laquelle tiennent particulièrement Alain Gest et Philippe Tourtelier.

À ce propos, je ne partage pas la sévérité d’André Chassaigne sur le Haut conseil des biotechnologies. Les avis des deux comités du Haut conseil ont leur importance. Sur un sujet comme les OGM, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il y ait facilement consensus, mais des travaux de qualité ont été menés par ces deux comités. Leurs éclairages respectifs sont utiles, en particulier pour le Gouvernement. Je citerai à ce propos un décret d’actualité, puisque c’est hier, 31 janvier, qu’a été publié au Journal officiel le décret sur l’étiquetage des produits sans OGM. Il s’appuie très fortement sur l’avis du HCB, quelle que soit par ailleurs la diversité des opinions qui ont pu s’exprimer. Les structures grenelliennes nous ont permis d’avancer.

Comme vous l’avez souligné, madame Fioraso, nous avons aussi besoin d’associer le public aux étapes successives de la mise en œuvre du principe de précaution, selon des modalités qui restent à préciser. C’est l’intuition fondamentale du Grenelle de l’environnement, et ce mode de gouvernance semble absolument nécessaire pour assurer l’acceptabilité sociale de la décision qui devra être prise in fine.

Enfin, il faut distinguer très nettement ce qui relève de l’expertise et ce qui appartient à la décision publique sur les suites à donner.

Vous l’aurez compris, j’adhère à l’essentiel du projet de résolution. J’aurai, en revanche, des nuances à exprimer sur deux points d’organisation.

S’agissant d’abord du rôle que vous proposez de confier au référent, je partage avec vous l’idée qu’il est nécessaire d’avoir un point focal unique pour coordonner les différentes expertises à mettre en œuvre, mais je suis plus réservée quant à l’idée de confier à ce référent l’organisation des autres phases, celle par exemple du dialogue avec le public.

Je pense en effet qu’il faut clairement distinguer dans le processus ce qui relève strictement de l’expertise et nécessite un pilote technique, et ce qui est du domaine du débat et de la décision, qui devrait rester dans le champ de responsabilité des autorités publiques – où le Parlement peut avoir un rôle important à jouer. Je marque donc une réserve sur ce point de la proposition de résolution.

Le second sujet qui me semble devoir être nuancé concerne l’initialisation de la démarche. Vous proposez que le Gouvernement, le Parlement et le Conseil économique, social et environnemental puissent lancer le processus. Ne faut-il pas prendre d’abord le temps d’apprendre et d’évaluer ce processus de mise en œuvre du principe de précaution ? Ne faut-il pas, a minima, mettre en place des garde-fous – règles de majorité, vœux adressés au Gouvernement chargé de la saisine – pour éviter que le nombre de saisines ne discrédite le processus ?

Enfin, je voudrais revenir sur votre proposition d’étendre le processus aux domaines de la santé et de la sécurité alimentaire.

Nous avons eu ce débat, déjà très vif, à l’occasion de l’examen du texte relatif à la Charte de l’environnement. Le choix fait à l’époque a été de définir le principe de précaution dans le champ environnemental.

Il est vrai que, si l’on adopte un instant le point de vue d’un non-spécialiste, on peut être tenté, dans la vie courante, de faire référence à ce principe pour d’autres sujets que l’environnement. Je veux le dire très clairement : dans les domaines de la santé et de la sécurité alimentaire comme dans l’environnement, des situations de grande incertitude scientifique peuvent se produire et nous conduire à craindre des conséquences graves. Il est vrai aussi qu’il existe des liens entre les différents domaines. Anny Poursinoff, notamment, a évoqué les liens existant entre la santé et l’environnement. C’est pourquoi je comprends parfaitement les raisons qui vous ont conduits à poser la question de l’extension du processus à ces champs.

Cela étant, il ne faut pas méconnaître les implications juridiques – et singulièrement constitutionnelles – qu’entraînerait une telle évolution.

Il sera sans doute nécessaire d’ouvrir ce débat, mais il s’agira d’un débat constitutionnel. Il serait à l’évidence prématuré de prétendre le trancher aujourd’hui, dans le cadre de la discussion de cette proposition de résolution, et ce avant même qu’il n’ait lieu ! Je doute que le moment comme le texte soient adéquats.

Je vois, en tout cas, dans cette volonté d’extension du principe de précaution le signe indubitable qu’un pas essentiel a été franchi dans l’appropriation de ce principe par la représentation nationale, et je tenais à vous dire à quel point je m’en réjouis. C’est avec émotion que je me souviens des débats très vifs qui ont accompagné l’entrée du principe de précaution dans la Constitution.

Je donnerai donc, au nom du Gouvernement, un avis favorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Vote sur la proposition de résolution

Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

3

Protection de l’identité

Discussion, en nouvelle lecture,
d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi relative à la protection de l’identité (nos 4223, 4229).

La parole est à M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, nous sommes réunis une nouvelle fois aujourd’hui autour de la proposition de loi relative à la protection de l’identité de nos concitoyens.

Je dis « une nouvelle fois », car il s’agit d’une proposition de loi qui a déjà fait l’objet d’un long et fructueux débat : elle a été passée au crible par le Conseil d’État, elle a été évaluée par la CNIL, elle s’est nourrie de nos échanges et elle s’est enrichie de vos amendements.

Au terme de la deuxième lecture, nous nous étions accordés ici, à l’Assemblée, sur un texte équilibré et cohérent entourant de toutes les garanties légales nécessaires l’établissement d’un lien fort entre données biométriques et données d’état civil au sein de la base TES – titres électroniques sécurisés.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 10 janvier dernier, a dénaturé cet équilibre en substituant un lien faible au lien fort.

Vous avez rejeté, la semaine dernière, les conclusions de la CMP et êtes revenus une première fois à la version issue de la deuxième lecture.

Le Sénat, malheureusement, a refusé de suivre l’Assemblée nationale dans ce choix de l’équilibre et de l’efficacité. Aujourd’hui, à la suite de votre rapporteur, je vous demande donc de confirmer une deuxième fois la version sur laquelle nous nous étions accordés.

Je ne vous le demande pas seulement par souci de cohérence. Je vous le demande parce que ce texte auquel nous étions parvenus – conforme, permettez-moi de le rappeler, à l’esprit voulu par les auteurs mêmes de cette proposition de loi, les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel – se fonde sur une vision partagée de la protection de l’identité.

Nous partageons d’abord une même vision des enjeux qui sous-tendent la lutte contre l’usurpation d’identité. Nous ne débattons pas aujourd’hui de principes abstraits. Bien au contraire. Nous débattons, très concrètement, de la vie et de l’avenir de plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens chaque année. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas perdre de vue ces enjeux et la souffrance des victimes. Mais au-delà de cette claire vision des enjeux, nous partageons surtout la même vision des moyens concrets de protéger l’identité de chacun de nos concitoyens.

Je dis « des » moyens, mais je devrais plutôt dire « du » moyen. Seul le lien fort, en effet, est une solution. Le lien faible, lui, n’est qu’une illusion.

Illusion, d’abord, car il ne permet que de constater l’usurpation d’identité, mais en aucun cas de remonter jusqu’à l’identité de l’usurpateur.

Illusion, ensuite, car l’entreprise qui propose le lien faible doute elle-même de sa fiabilité en reconnaissant qu’il n’est pas opérationnel.

Aux nombreux défauts du lien faible répond en revanche la solidité technique, opérationnelle et – je le souligne – juridique du lien fort.

Sur le plan des libertés publiques, le texte apporte les garanties recherchées.

Je pense aux garanties définies par la CNIL en matière d’utilisation des fichiers : restriction de l’accès à la base aux seuls agents chargés de la fabrication et de la délivrance des titres, et traçabilité de ces accès ; segmentation des données ; sécurité des transmissions et sécurité contre les intrusions.

Des garanties légales supplémentaires ont également été prévues par la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui : interdiction de croiser la base TES avec les autres fichiers publics ; limitation à deux du nombre d’empreintes enregistrées ; interdiction de la reconnaissance faciale ; limitation à trois cas, et trois cas seulement, de l’utilisation de la fonction d’identification à partir des empreintes pour retrouver une identité : pour la délivrance ou le renouvellement du titre ; sous le contrôle du procureur de la République, dans le cadre d’une procédure judiciaire, pour des infractions en lien avec une usurpation d’identité ; enfin, pour l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophes naturelles.

Mesdames et messieurs les députés, en rétablissant le texte de cette proposition de loi dans la version que vous aviez adoptée à l’issue de la deuxième lecture, vous inscrirez dans notre droit les moyens de lutter vraiment contre l’usurpation d’identité.

À la suite de votre rapporteur, au nom du Gouvernement et dans l’intérêt de nos concitoyens, je vous demande donc de revenir à cette version. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les enjeux de ce texte méritent mieux que de vaines polémiques. Aussi ne répondrai-je pas aux critiques injustifiées adressées à notre assemblée par le président de la commission des lois du Sénat dans ce que l’on pourrait appeler une regrettable démarche d’intimidation.

Les faits parlent pour nous : dans un esprit de dialogue constructif, le ministre l’a excellemment rappelé, l’Assemblée nationale a présenté à la commission mixte paritaire un article 5 largement réécrit en deuxième lecture, pour aboutir à un compromis avec le Sénat.

Aussi, la version qui vous est présentée ce jour est-elle, conformément à l’article 45 de la Constitution, compte tenu du rejet du texte de la CMP par le Sénat, celle que nous avions adoptée le 13 décembre dernier, en deuxième lecture. Il s’agit bien de la version d’équilibre à laquelle nous étions parvenus, autour d’un lien fort qui, certes, permet d’identifier les usurpateurs et les fraudeurs, mais un lien fort très encadré, seul à même de rendre opératoire l’objectif de la loi qui est, je le rappelle, la protection de l’identité de nos concitoyens.

Conformément aux recommandations de la CNIL et du Conseil d’État comme aux observations du Sénat, le nombre d’empreintes conservées dans la base est limité à deux, la reconnaissance faciale explicitement exclue, et l’accès à la base sur réquisition judiciaire restreint aux seules infractions liées à l’usurpation d’identité et à la recherche de corps de victimes de catastrophes collectives et naturelles.

Dois-je rappeler encore les insuffisances du lien faible ? Qualifié de système dégradé par son inventeur lui-même, jamais mis en œuvre nulle part au monde pour son manque de fiabilité, le lien faible n’offre aucune possibilité de retrouver l’identité d’un usurpateur qui se serait introduit dans la base ni d’identifier un cadavre. Le naufrage du Costa Concordia vient de nous rappeler cruellement à quel point une telle base est utile pour l’identification des corps des victimes. C’est précisément l’objet que peut avoir une telle loi.

M. Serge Blisko et M. Jean-Jacques Urvoas. Tous les arguments sont bons !

M. Philippe Goujon, rapporteur. C’est un argument supplémentaire, mais nous en avons déjà suffisamment…

M. Christian Vanneste. C’est un excellent argument !

M. Richard Mallié. Évidemment !

M. Philippe Goujon, rapporteur. Un argument si fort qu’il s’impose ! Je vous remercie, monsieur Vanneste !

Perméable à la fraude, le taux d’imprécision du système à lien faible – vous-même, monsieur Blisko, êtes obligé de le reconnaître – générerait des centaines de milliers d’enquêtes annuelles et priverait tout simplement la justice d’un moyen efficace de confondre les délinquants. La police n’aurait tout simplement pas le temps d’effectuer les enquêtes et la fraude identitaire s’aggraverait au rythme même de son impunité.

Votre rapporteur vous propose donc, mes chers collègues, de maintenir votre texte, le seul de nature à rassembler aussi bien les défenseurs des libertés que ceux qui œuvrent pour une meilleure sécurité des Français, c’est-à-dire nous tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Raymond Durand. Très bien !

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai bien compris que vous étiez impatients d’en terminer avec ce texte. Pour la quatrième fois dans cet hémicycle, nous nous heurtons à ce désaccord entre nos deux chambres sur un seul article, certes fondamental, vous l’avez dit, monsieur Goujon, le fameux article 5 qui démontre que la conception de la majorité à l’Assemblée nationale est très différente de celle qui a prévalu au Sénat dans sa sagesse et dans une quasi-unanimité, je tiens encore une fois à le souligner.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Il est revenu sur sa rédaction ! Il est moins unanime maintenant !

M. Serge Blisko. Sans doute, monsieur le ministre, considérez-vous que les interventions des députés de l’opposition sont vouées à ne pas être entendues, en tout cas à ne pas être suivies – c’est superfétatoire – en raison de la majorité automatique que vous avez à l’Assemblée. Je peux déjà vous annoncer, même si je ne suis pas pronostiqueur, que vous aurez certainement le dernier mot…

M. Philippe Goujon, rapporteur. Vous êtes perspicace !

M. Serge Blisko. …puisque, après un passage au Sénat, l’Assemblée se prononcera une dernière fois. Nous l’espérons tous, parce que les meilleures pièces ont tout de même une fin et que nous connaissons les arguments.

Ce texte qui touche aux libertés publiques, ce qui est fondamental, avait un but tout à fait honorable et louable que nous partageons : lutter contre une délinquance qui peut être particulièrement destructrice pour les victimes – l’usurpation de leur identité –, qui a des effets ravageurs et dont les conséquences économiques, sociales, fiscales, voire judiciaires, peuvent se poursuivre durant des années. Il n’est, en effet, rien de plus compliqué que de démontrer que quelqu’un a usurpé votre identité.

Sans doute les termes sont-ils quelque peu indistincts, mais il y a ce que l’on peut appeler l’usurpation d’identité et la création, grâce à un certain nombre de moyens informatiques nouveaux, la scanographie entre autres, d’une identité totalement inventée. Je n’entrerai pas dans le détail, car ce n’est absolument pas l’objet de la proposition de loi. Il n’en reste pas moins que nous reconnaissons tous, même si les chiffres annoncés – 200 000 infractions constatées chaque année – nous laissent quelque peu dubitatifs, qu’il est plus qu’ennuyeux et désagréable d’être victime d’une usurpation d’identité.

Vous profitez de ce fait délictueux que nous ne contestons pas pour réaliser finalement – permettez-moi cette expression, monsieur le ministre – le vieux rêve de la Place Beauvau : créer aujourd’hui un grand fichier informatique très moderne, rassemblant des données biométriques de millions de Français. On sait qu’une carte d’identité est exigée pour se rendre à l’étranger et il est parfois obligatoire de présenter deux pièces d’identité au commerçant lorsque l’on règle un important achat par chèque. Tous les Français qui renouvelleront, à partir de l’âge de quinze ans, soit leur vieille carte en carton – un certain nombre d’exemplaires étant toujours en circulation – soit les cartes plastifiées que nous connaissons depuis quelques années figureront dans un fichier, qui rassemblera donc, à terme, cinquante millions de citoyens. Vous parlez doucereusement d’une base, monsieur le ministre mais, dans les textes, il s’agit d’un fichier.

M. Philippe Goujon, rapporteur. C’est un fichier administratif !

M. Serge Blisko. Certes, monsieur le rapporteur, mais il n’empêche que c’est un fichier numérique, informatique et biométrique.

M. Richard Mallié. Au XXIe siècle, on n’en est plus à écrire à la main !

M. Serge Blisko. Personne ne conteste les progrès fulgurants de l’informatique, encore faut-il y réfléchir !

M. Richard Mallié. Vivez avec votre temps !

Mme la présidente. Seul M. Blisko a la parole !

M. Serge Blisko. Si la CNIL a été créée en 1978, c’est justement parce que les fichiers informatiques présentent plus de dangers pour les libertés publiques et les libertés individuelles que les fiches en carton.

M. Michel Hunault. Parlons-en !

M. Serge Blisko. Je ne critique pas l’informatique, mais l’usage que vous en faites. En effet, les données biométriques touchent à l’intimité physique, voire génétique. On nous dit aujourd’hui qu’un certain nombre de données biométriques figureront dans la puce de cette carte d’identité. Chacun d’entre nous a des caractéristiques biométriques uniques. La biométrie établit notre identité.

M. Philippe Goujon, rapporteur. C’est fait pour cela !

M. Serge Blisko. Le terme de « biométrie » est une sorte de grand portefeuille qui peut contenir un certain nombre de données, mais la reconnaissance faciale et des données génétiques n’y figurent pas : Dieu nous en garde, si j’ose dire dans cet hémicycle ! Certes, le passeport biométrique contiendra deux et non huit empreintes comme cela avait été envisagé à l’origine et nous sommes heureux de ce recul, mais qui nous dit que, demain, un autre ministre de l’intérieur ne demandera pas, suite à une affaire, que des données génétiques, voire médicales y soient intégrées ?

M. Philippe Goujon, rapporteur. Pas si nous restons au pouvoir !

M. Serge Blisko. Il y a, aujourd’hui, un risque de glissement extrêmement grave et pernicieux, car seront rassemblées dans un ministère régalien, le ministère de l’intérieur – et je n’ai rien contre cette belle maison qui emploie de très grands fonctionnaires –, les données sensibles de millions de Français.

M. Michel Hunault. Ce n’est pas ce que dit le texte !

M. Serge Blisko. Nous devrions mener une réflexion plus approfondie sur cette question. Je n’entrerai pas dans le détail, mais nous connaissons tous ce que l’on appelle dans notre jargon la « puce régalienne ». Même s’il y a eu, à ce propos, une précision intéressante et de bon aloi, notre intimité la plus personnelle sera tout de même accessible sur réquisition judiciaire aux services de police et de gendarmerie. Vous nous avez assurés – de bonne foi, je le crois – de la parfaite étanchéité de cette puce dite régalienne, contenant les données biométriques, y compris par rapport à la deuxième puce de la carte d’identité, dite puce commerciale, qui sécurisera les transactions dans les magasins ou sur internet.

La France, de ce point de vue, est en avance. Nombre de pays ont des cartes de paiement moins sécurisées que la nôtre. Cette proposition de loi – et c’est ce qui fait son charme – laisse apparaître nos réussites industrielles en ce domaine. Notre nation en a besoin, tout comme d’autres pays que nous pouvons ainsi aider. Ce texte est donc sous-tendu, nous l’avons assez dit, par de gros enjeux industriels et économiques, auxquels nous ne sommes pas opposés, surtout dans cette saison, si j’ose dire, mais il ne faut pas agir au détriment de principes fondamentaux pour nos libertés.

J’ai déjà fait remarquer, monsieur le ministre, qu’aucune puce contenant des données n’était à l’abri d’une intrusion, d’un piratage, d’un détournement, dans un monde où des cybercriminels, situés en général dans un pays inaccessible ou très lointain et totalement incontrôlables, peuvent avec un seul ordinateur en contrôler des dizaines de milliers et en retirer, au moyen de techniques virales, des données personnelles. Ces cybercriminels ont assez de connaissances informatiques pour pirater ou bloquer des sites internet pourtant très sécurisés, comme ceux des agences fédérales américaines, du Pentagone, ou des bases de données bancaires extrêmement confidentielles. Ils ont même, pire encore, mis en difficulté des gouvernements, comme cela a été le cas voici quelques mois dans les pays baltes. Vous imaginez bien que la base de données centralisées que vous prévoyez de créer va attiser bien des convoitises. Ce ne serait pas le cas si les données biométriques, que je ne remets pas en cause, n’étaient pas rassemblées dans un immense fichier, mais restaient stockées sur la future carte d’identité biométrique. C’est le fichier qui pose problème et non la biométrie.

Le Sénat, vous le savez, a estimé à trois reprises qu’il était légitime de créer une base de données biométriques. Si nous allons jusqu’au bout du raisonnement sénatorial, et c’est en cela que nous différons avec M. Goujon, nous devons admettre que cette base ne peut en aucun cas avoir un lien univoque, par exemple la connaissance de l’identité à partir des empreintes digitales. Vous pouvez aujourd’hui comparer les empreintes relevées sur une scène de crime avec celles figurant dans des fichiers de type délinquants sexuels, mais avec le fichier que vous allez créer, vous accéderez à la base de données de tous les Français, c’est-à-dire au fichier des gens honnêtes. Le fait d’avoir déposé vos empreintes digitales permettra ainsi à des gens plus ou moins bien intentionnés de connaître vos faits et gestes à tout moment de la journée. Vous allez, j’y insiste, créer un fichier de toute la population à partir d’une base de données biométriques. Il ne s’agit pas simplement d’un fichier de suspects, de personnes incriminées, recherchées ou déjà condamnées, mais du fichier de tout le monde, de citoyens honnêtes dont le seul tort aura été d’avoir demandé le renouvellement de leur carte d’identité, pourtant bien utile.

À maintes reprises le Sénat s’est exprimé contre l’existence de ce lien univoque, appelé lien fort dans notre jargon, pour préférer ce que nous appelons, faute de meilleur terme, lien faible, terme quelque peu péjoratif qui vous permet une certaine ironie.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous persistez à imposer ce lien fort dont nul ne contestera qu’il est beaucoup plus puissant que le lien faible, bien entendu. C’est justement ce qui pose problème.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Il est efficace !

M. Serge Blisko. Il est trop efficace et trop fort.

M. Christian Vanneste. Extraordinaire : on protège trop les honnêtes gens !

M. Serge Blisko. En effet, vous n’arrivez toujours pas à expliquer pourquoi il est utile de ficher toute la population vivant sur le territoire français. Je ne suis pas parvenu à comprendre en quoi, considérant votre chiffre, sans doute un peu trop fort, de 200 000 usurpations d’identité par an, il serait utile de ficher cinquante millions de personnes.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Avec le lien faible, vous fichez aussi tout le monde !

M. Serge Blisko. Vous dépassez le lien de proportionnalité que la CNIL a toujours essayé de mettre en avant depuis trente ans. On ne crée pas un fichier énorme pour une infraction faiblement répandue. Vous établissez un rapport excessif entre cinquante millions et 200 000, chiffre que je veux bien admettre. C’est pourquoi le Sénat a refusé le lien fort dans sa rédaction de l’article 5 adoptée par 340 voix contre cinq, puis votée par la majorité de la CMP. Vous avez cependant rétabli l’article 5 dans sa rédaction initiale.

Comme je l’indiquais il y a trois semaines, l’attention du groupe socialiste a été alertée en particulier par l’alinéa 10 de l’article 5 qui, dans le système que vous voulez instaurer, étend à trop de délits la possibilité pour l’autorité policière de consulter ce fichier biométrique. Est-il utile de consulter un fichier biométrique comportant des renseignements intimes sur plusieurs dizaines de millions de personnes pour des délits mineurs tels que le franchissement illicite d’un portillon dans le métro ou le déplacement sans titre de transport ? C’est en effet ce que cela signifie. Je veux bien croire que, pour certains, sauter le portillon dans le métro doit être puni d’une peine très lourde. Mais faut-il pour autant recourir à un fichier biométrique ? Nous craignons une telle dérive. Il est encore temps de revenir à la raison, de ne pas faire en France ce qui n’existe dans aucun pays démocratique d’Europe et de mettre à l’abri nos concitoyens d’aujourd’hui et de demain de ce monde « orwellien » – permettez-moi cette expression – de fichage généralisé.

Je vous invite, en conséquence, à voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Christian Vanneste, pour le groupe UMP.

M. Christian Vanneste. Le groupe UMP votera contre cette motion.

Tout d’abord, je vous remercie, monsieur Blisko, d’avoir rappelé qu’il y avait deux chambres dans notre pays, l’une composée de personnes qui ne sont pas élues au suffrage direct et qui oublient un peu la réalité de la souffrance quotidienne de nos citoyens (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Michel Hunault. Ce n’est pas convenable de tenir de tels propos !

M. Christian Vanneste. …et l’autre composée de représentants élus directement. Je constate que, d’un côté, on a défendu les libertés abstraites et que nous, nous nous intéressons aux libertés concrètes, menacées par l’usurpation d’identité.

Vous avez fait allusion à plusieurs reprises aux victimes, mais je suis tout de même un peu surpris. Vous parlez de la douleur de ces victimes, vous trouvez que c’est bien ennuyeux mais, à aucun moment, vous ne voulez prendre les mesures nécessaires pour répondre à leur attente.

Enfin, je trouve assez extraordinaire votre argumentation selon laquelle on ne peut avoir un fichier public répondant aux exigences de l’ordre public, protégé bien évidemment par la justice, parce que des cybercriminels pourraient accéder aux données.

On pourrait même ajouter qu’il existe aujourd’hui des fichiers incroyablement fournis qui sont entre les mains non des pouvoirs publics mais de grandes entreprises internationales.

C’est cela que vous favorisez, monsieur Blisko, et c’est la raison pour laquelle nous rejetterons bien sûr cette motion.

Mme la présidente. Pour le groupe SRC, la parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je vous rappelle, monsieur Vanneste, que vos collègues du groupe UMP au Sénat et l’ensemble de mes collègues sur ces bancs sont des défenseurs des libertés et de la sécurité…

M. Michel Hunault. Comme nous !

Mme Sandrine Mazetier. …et luttent avec une égale intensité contre l’usurpation d’identité.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Christian Vanneste. Ils n’en donnent pas la preuve !

Mme Sandrine Mazetier. Pourtant, avant même le changement de majorité, vos collègues du groupe UMP du Sénat se sont opposés à l’article 5.

M. Serge Blisko. Étrange tout de même !

M. Philippe Goujon, rapporteur. Ils ont changé d’avis depuis !

Mme Sandrine Mazetier. Ils n’étaient pas contre l’objectif de lutter contre l’usurpation d’identité mais ils refusaient la disproportion et les dangers induits par ce fichage généralisé.

Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui luttent contre l’usurpation d’identité et, de l’autre,…

M. Christian Vanneste. Les défenseurs de la délinquance !

Mme Sandrine Mazetier. …ceux qui défendent les libertés individuelles. Il y a les personnes sérieuses et les personnes comme vous, un peu légères sur ces sujets. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 250 lois ont été votées au cours de cette législature, une centaine relevant de la commission des lois, et nous avons souvent de cette tribune dénoncé les procédures accélérées dont le Gouvernement use et abuse.

Nous sommes dans le cadre d’une discussion législative où le temps pour confronter nos opinions et affirmer nos convictions nous a été donné. Nous vivons les délices du bicamérisme. Le Sénat, dans sa quasi-unanimité, a adopté un texte contre l’avis du Gouvernement, et la commission mixte paritaire a confirmé ce vote. Il y a donc eu en CMP une majorité composée des députés de l’opposition et d’une partie des sénateurs, dont certains de l’opposition sénatoriale, pour voter ce texte. Nous avons ainsi deux versions différentes et nous devons en discuter une nouvelle fois.

Je crains de ne pas apporter d’éléments supplémentaires, mais être député de l’opposition, c’est avoir des convictions et de la persévérance, mettre en garde nos collègues contre d’éventuels votes qui pourraient mettre en place des bombes à retardement, pour reprendre le terme utilisé par François Pillet dans le premier rapport qu’il avait déposé au Sénat lors de la discussion initiale de la proposition de loi.

Nous avons déjà beaucoup débattu des avancées que permet ce texte et des différents problèmes qu’il pose.

Lien fort, lien faible : la question est apparemment technique mais, en réalité, elle est politique. Elle touche à l’idée que nous nous faisons de l’adéquation des moyens à un objectif que nous partageons tous, la lutte contre l’usurpation d’identité, dès lors qu’il est question de la préservation des libertés publiques.

Nous aboutissons à un désaccord sur un article, l’article 5.

Selon le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée, il faut retenir le lien fort, qui permet d’établir de manière univoque un lien entre les empreintes digitales d’une personne et son identité.

Le lien faible, que nous défendons, ne l’autorise nullement. Il est fondé sur le principe de non-réversibilité totale entre l’identité et les empreintes d’une personne. Cela dit, il permet de constater l’usurpation d’identité. Le procédé est donc techniquement aussi valable que celui que vous défendez puisque c’était l’objectif initialement recherché par la proposition de loi même si, au fil de nos débats, il a pu y avoir des évolutions.

Le problème est que ce but fort louable n’est plus suffisant pour le Gouvernement, qui, avec le soutien de la majorité, a fait adopter des amendements modifiant l’objectif, ce qui nous amène à avoir une confrontation sur les libertés publiques.

Sur la forme, même si c’est constitutionnel, le fait que le Gouvernement ait déposé un amendement après la réunion de la commission mixte paritaire m’a semblé inopportun. Il aurait suffi, en effet, que l’Assemblée nationale rejette les conclusions de la commission pour parvenir au même résultat. D’ailleurs, saisir l’Assemblée alors que c’était une proposition d’initiative sénatoriale était pour le moins discourtois pour le Sénat, même si c’était, j’imagine, un hommage rendu à l’Assemblée nationale. La procédure était assez surprenante, mais cela me permet de rendre hommage au travail parlementaire lié au bicamérisme.

Sur le fond, j’ai pris connaissance du jugement formulé par M. Richert au Sénat, selon lequel, après la dernière lecture à l’Assemblée, le texte serait parvenu à une version équilibrée et efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité et présenterait de sérieuses garanties au regard des libertés publiques.

J’entends bien que des assouplissements ont été consentis, comme le passage de huit à deux du nombre des empreintes digitales enregistrées dans la base, ainsi que le voulait le Conseil d’État. Il n’en demeure pas moins que le cœur du dispositif n’a pas changé.

Nous sommes de nouveau en harmonie avec le Sénat, qui, avec la sagesse qu’on lui prête d’habitude et la capacité de discernement dont il lui arrive de faire preuve, a rejeté le texte le 26 janvier dernier.

Au fond, la tâche qui nous incombe est de trouver un point d’équilibre entre la protection de l’identité de nos concitoyens et la protection des libertés publiques. La version de la proposition de loi qui nous est soumise n’y parvient pas. Elle sacrifie, au nom d’une prétendue efficacité dont l’effectivité reste à démontrer, monsieur le rapporteur – c’est en effet un pari sur l’avenir, une intention et pas encore un résultat –, un certain nombre de principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés, qui nous paraissent menacés, pour ne pas dire bafoués.

Nous ne comprenons toujours pas pourquoi la France cherche à se dissocier des autres pays de l’espace Schengen. Les pays voisins, en effet, vous le savez comme moi, n’ont pas fait le choix de cette base centralisée que vous prévoyez. Or dans cet espace de libre circulation, la lutte contre l’usurpation d’identité ne peut être conduite avec efficacité que si nous n’agissons pas seuls et à notre guise, sans nous préoccuper de ce que font nos voisins. Pourquoi donc cette singularité française qui fait que nous aurions besoin d’un fichier centralisé alors que nos voisins s’en passent fort bien ? La Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans laquelle l’opposition de l’Assemblée nationale n’est pas représentée puisque nos deux collègues qui y siègent sont membres du groupe UMP, ne préconisait d’ailleurs pas une telle solution.

Certes, l’usurpation d’identité constitue un problème dont personne ici ne sous-estime la portée. Nous sommes tous conscients, pour avoir rencontré des victimes ou lu des témoignages, qu’il pourrit la vie d’un nombre croissant de nos concitoyens, sans que l’on sache d’ailleurs exactement combien puisque nous n’avons pas d’étude incontestable sur le sujet. Mais la proposition de loi initiale offrait des garanties pour lutter contre ce phénomène.

C’est le cas notamment du renforcement des contrôles de la délivrance des documents d’état civil autorisant l’établissement d’une carte nationale d’identité, qui doit en toute logique induire une diminution des tentatives de fraude. Si cela ne suffit pas, autrement dit si l’instauration d’un fichier se révèle nécessaire – à vrai dire, nous n’en discutons plus puisque c’était l’objet d’un autre article dont nous n’avons plus à débattre –, appliquons-nous au moins à prescrire une thérapie adaptée au mal que nous avons à combattre.

Notre objectif doit être d’instituer un dispositif permettant de vérifier que le porteur d’un titre d’identité en est bien le titulaire légitime. La proposition de loi du 27 juillet 2010 déposée par nos collègues UMP au Sénat, notamment M. Lecerf, y répondait pleinement. Elle retenait, dans son article 5, le principe de la constitution d’une base biométrique selon la technique du lien faible. Nous persistons à penser qu’une telle base, tout en protégeant parfaitement des risques d’usurpation d’identité, constitue la meilleure garantie contre d’éventuelles utilisations détournées.

Le Gouvernement, fidèle à son habitude, a préféré opter pour un remède de cheval qui risque bien à terme de tuer le patient. En vue de lutter contre un fléau bien réel, il veut en effet établir un fichier national où l’on ne sait même pas combien de millions de personnes seront intégrés. On évoque le chiffre maximal, c’est-à-dire 50 millions, y compris les enfants.

J’entends bien que le Gouvernement tente de nous rassurer en réduisant les finalités d’accès à la base, mais l’expérience montre que, dans ce pays, il est dans l’ordre des choses que, un fichier une fois constitué, les possibilités de le consulter soient étendues.

Monsieur le ministre, vous avez fait semblant de croire, dans Le Nouvel observateur du 19 janvier, que nous étions opposés au fichier des empreintes génétiques. Comme vous êtes attentif à ce que nous disons, à ce que nous écrivons, vous savez que ce que nous contestons, ce sont ses élargissements successifs.

Nous continuons à contester le fait que son alimentation soit forcée puisque le prélèvement est juridiquement contraint et que le refus constitue un délit. Nous n’acceptons pas ce principe, comme nous n’avons pas accepté que, pour une simple suspicion, on figure dans le fichier alors que ce n’était pas son objectif initial, sans compter que l’actualité judiciaire de ces derniers mois nous incite à la plus grande prudence sur le possible détournement de certains fichiers.

Comment ne pas voir les risques majeurs que ferait courir à la protection des libertés individuelles la constitution d’une base de dizaines de millions d’entrées ? Qui peut sincèrement nous garantir que l’usage qui en sera fait demain restera dans les limites fixées aujourd’hui ? Comment ne pas voir l’irrésistible tentation que cela peut représenter pour des apprentis sorciers peu scrupuleux ?

Je rappelle que M. Pillet avait estimé que le dispositif envisagé était une bombe à retardement. Nous partageons pleinement ses craintes à l’égard d’un fichier policier intrusif.

La CNIL a elle aussi émis les plus extrêmes réserves sur une telle éventualité.

Pour la Cour européenne des droits de l’homme, l’établissement de fichiers contenant des données biométriques pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucune poursuite judiciaire en cours constitue une violation flagrante des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il contrevient par ailleurs manifestement à la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe. En substance, la promulgation de cette proposition de loi nous exposerait donc à des recours devant la CEDH, générant ainsi un climat d’insécurité juridique dont nous pouvons bien nous passer.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons le retour au lien faible. Lui seul impose des restrictions techniques qui rendent impossible l’usage de la base à des fins détournées.

Dans cette perspective, les freins juridiques préconisés par le Gouvernement seront toujours moins efficaces, car constamment susceptibles d’être contournés ou levés.

Je suis même très perplexe sur ce qui est parfois présenté comme le grand atout du système de base de données à lien fort, à savoir sa fiabilité à toute épreuve. Vous avez vous-même reconnu, monsieur le ministre, qu’un tel dispositif ne pourrait permettre de mettre un terme définitif au problème posé par l’usurpation d’identité. Vous avez signalé qu’on serait dans l’incapacité de retrouver le fraudeur dès lors que celui-ci se serait fait délivrer le titre d’identité d’une personne non encore inscrite dans les bases. Sur internet, d’ailleurs, il est toujours possible de se faire passer pour quelqu’un d’autre ou d’envoyer des messages avec une identité usurpée.

Bref, le lien fort est non seulement potentiellement attentatoire aux libertés individuelles mais, en plus, il est loin d’être d’une efficacité absolue. Et chacun d’entre nous sait très bien que nous disposons d’ores et déjà d’outils informatiques qui nous permettent aisément, en recourant à un système de tamis, de lier, le cas échéant, une identité biographique à une identité biométrique.

Bref, même en s’affranchissant de considérations relatives à la défense des libertés individuelles, le fait est que nous n’avons pas besoin d’une base de données à lien fort. Si le seul objectif recherché est la protection des victimes, alors le lien faible est la solution suffisante.

Au final, le dispositif envisagé par le Gouvernement aurait donc tout à la fois pour effet d’isoler notre pays en Europe, ce qui n’est jamais une bonne chose ; de l’exposer à d’inquiétantes dérives, dont chacun ici serait fort marri ; et surtout, s’agissant du fléau que nous prétendons combattre, l’usurpation d’identité, de laisser des marges de manœuvre aux délinquants, qui arriveraient toujours à s’en sortir.

La voie proposée mène, au mieux, à l’impasse, et au pire, à un contrôle policier de la population, inacceptable dans un régime comme le nôtre. Nous vous suggérons donc une dernière fois d’avoir la sagesse, le bon sens de ne pas emprunter cette voie, et donc de renvoyer ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Je ne vais pas entrer à nouveau dans le fond du dossier. Cette motion de renvoi en commission est d’autant plus injustifiée que nous avons examiné ce texte à trois reprises en commission, et que nous aurons l’occasion de l’examiner encore – ce sont les joies de la procédure parlementaire.

Surtout, je voudrais rappeler les conditions dans lesquelles la CMP a adopté, par une majorité de circonstance,…

M. Serge Blisko. Oh !

Mme Sandrine Mazetier. C’est scandaleux de dire cela !

M. Philippe Goujon, rapporteur. …un texte qui ne correspond pas du tout à ce sur quoi aurait débouché une discussion normale de CMP. Lorsqu’une commission mixte paritaire se réunit, et c’est l’article 45 de la Constitution qui le prévoit, il s’agit pour chacune des deux assemblées de tenter de faire un pas vers l’autre en vue d’aboutir à un texte qui puisse recueillir l’assentiment des deux chambres. C’est ce qu’a fait notre assemblée. D’ailleurs, Serge Blisko a lui-même déclaré en CMP que l’Assemblée nationale avait finalement adopté un texte beaucoup moins attentatoire aux libertés publiques qu’en première lecture, ce qui révélait…

M. Serge Blisko. Grâce au Sénat !

M. Philippe Goujon, rapporteur. Mais enfin, c’est quand même l’Assemblée qui a modifié le texte !

…ce qui révélait, disais-je, une véritable évolution.

M. Serge Blisko. Voilà un bon travail parlementaire.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Voilà un bon travail parlementaire. Très bien ! Il y a donc des critiques plus véhémentes.

À partir de là, à quoi avons-nous eu affaire en CMP ? À un refus total, de la part du Sénat, de modifier si peu que ce soit ses positions. Mme Mazetier a eu raison de dire qu’il y avait une majorité pour rejeter le texte dans une première version, mais en CMP, une bonne partie de la majorité sénatoriale a accepté le nouveau texte émanant de l’Assemblée nationale. Par conséquent, déjà, la majorité n’était plus la même. Or, ce qui se passe habituellement lorsque les positions des deux chambres sont inconciliables et qu’une seule d’entre elle fait des efforts de compromis, ce n’est pas qu’une assemblée l’emporte sur l’autre, mais que la CMP échoue, après quoi il est procédé à une nouvelle lecture du texte dans chacune des chambres. On peut donc considérer que nous sommes, peut-être pas devant un dévoiement de la procédure parlementaire, mais du moins devant une mauvaise manière qui a été faite au regard de l’usage habituel qui prévaut dans l’application de cette procédure.

Les propos de Mme Mazetier m’amènent, pour finir, à donner une précision. Le sénateur Jean-René Lecerf, qui est quand même l’auteur de la proposition de loi dont nous discutons – et qui fut également l’auteur d’un rapport remarqué sur la fraude identitaire –, a déclaré lors de cette CMP : « Il faut adopter le fichier à lien fort que propose l’Assemblée, et dont elle a retiré – c’est cela qui est important, et que vous auriez dû reconnaître, mes chers collègues – toute la toxicité, faute de quoi nous n’aurons rien fait qui vaille. »

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault, premier orateur inscrit.

M. Michel Hunault. Madame la présidente, mes chers collègues, comme l’ont rappelé le ministre et le rapporteur, après deux lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat, et l’élaboration par la commission mixte paritaire d’un texte reprenant la version adoptée par le Sénat, nous abordons à nouveau l’examen de cette proposition de loi relative à la protection de l’identité, sur laquelle j’espère que nous parviendrons à trouver un accord.

S’il est un point sur lequel nous nous accordons tous, sur tous les bancs de cet hémicycle, c’est bien la nécessité de lutter contre le véritable fléau qu’est l’usurpation d’identité. Ce phénomène, comme l’a rappelé notre rapporteur, fait aujourd’hui plus de 200 000 victimes. Et j’insiste sur le mot « victime », car si ce texte nous est soumis, c’est bien en vue de leur venir en aide.

Le souci des libertés n’est pas partagé d’un seul côté de cet hémicycle. Mais il faut bien que nous trouvions une solution à un problème qui existe. C’est le but de cette proposition de loi. Il n’est pas toujours inutile de rappeler les objectifs des textes dont nous discutons.

Au-delà de la question de l’existence même d’un fichier, nous sommes appelés à débattre de ce qui constitue le cœur de la réforme : l’architecture du fichier destiné à centraliser les données biométriques, ainsi que les garanties qui les entourent.

Poser la question de l’architecture d’un fichier central biométrique, c’est s’interroger sur l’opportunité d’une telle mesure au regard des droits et des libertés fondamentaux dont chacun de nos concitoyens est en droit d’exiger le respect, notamment pour la protection de son intimité. Ces droits et libertés, nous devons les concilier avec la nécessité pour les services de police et de renseignement de disposer d’outils, de répertoires qui leur permettent de remplir efficacement leurs missions. Car, au-delà des polémiques, c’est bien de la sécurité qu’il s’agit, celle que l’État doit garantir à chacun.

Et je note, malgré le départ de nos collègues socialistes, qu’à chaque fois, monsieur le ministre, que vous-même ou vos prédécesseurs nous avez proposé de doter vos services de fichiers, il y a toujours eu des oppositions. Je n’aurai pas la cruauté de les rappeler à cette tribune. Et l’on sait aujourd’hui qu’en matière de recherche criminelle, ces fichiers ont permis de retrouver un certain nombre d’auteurs et d’élever considérablement le taux d’élucidation.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Il a doublé !

M. Michel Hunault. J’entends certains de mes collègues parler de la CNIL. Je respecte cette institution, qui est là pour garantir les libertés individuelles. Mais je n’oublie pas, monsieur le ministre, et je veux le dire solennellement à cette tribune, que quand vous êtes venu devant la commission pour parler de la sécurité des biens et des personnes, le représentant de la nation que je suis – au même titre que ses 576 collègues – vous a interrogé sur la position de la CNIL, qui combat mes amendements tendant à autoriser les caméras autour des établissements scolaires afin d’accroître la sécurité des lycéens et des collégiens victimes du racket et du trafic de drogue, et que j’ai reçu le lendemain une lettre de la nouvelle présidente de la CNIL s’étonnant qu’un député de la République puisse oser demander au ministre de l’intérieur que l’on installe à nouveau des caméras. Eh bien oui, j’assume ici, à la tribune de cet hémicycle, devant mes électeurs et devant la nation, qu’il est de notre mission d’assurer la sécurité des biens et des personnes.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Absolument !

M. Michel Hunault. Mes engagements, notamment au sein de la commission des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, où j’ai siégé durant dix-huit ans, démontrent que je suis au moins aussi attaché que tout autre aux libertés individuelles. Mais je suis à vos côtés, monsieur le ministre, quand il s’agit de doter vos services des moyens indispensables pour qu’ils puissent s’adapter aux nouvelles formes de la criminalité. Et l’usurpation d’identité est une forme de criminalité organisée, dont 200 000 de nos compatriotes sont victimes, et contre laquelle ce texte a pour but de lutter efficacement.

Plutôt que de donner des leçons en matière de respect des libertés, chacun devrait mesurer ses propos. Personne n’a le monopole de la défense des libertés individuelles.

M. Pierre Lang. Ni de la vertu !

M. Michel Hunault. Le dispositif que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, est équilibré. La rédaction de l’article 5 proposée par le Sénat enlève à la proposition de loi tout son sens, à savoir la protection de l’identité. Comment éviter à nos concitoyens de se trouver dépossédés de leur identité s’il est impossible d’identifier les fraudeurs ? C’est là une question de bon sens, qui appelle la réponse que vous nous proposez.

Il me semble qu’on aurait pu faire l’économie d’un débat sur le point de savoir lequel, du député ou du sénateur, serait le plus soucieux de l’efficacité. Dans un régime qui compte deux chambres, elles ont une égale légitimité démocratique. Et je suis de ceux qui pensent que les deux chambres sont utiles.

M. Christian Vanneste. L’une plus que l’autre, quand même !

M. Michel Hunault. Je me félicite que le texte adopté par notre assemblée en deuxième lecture ait retenu la technique du lien fort. Ces dispositions sont les bienvenues. En deuxième lecture, nous avons apporté des garanties juridiques importantes, afin de préserver les libertés fondamentales de nos concitoyens. C’est même M. Blisko qui l’a dit tout à l’heure : il est nécessaire de recueillir l’autorisation du juge pour avoir accès à certaines données.

Monsieur le ministre, nous avons débattu hier soir d’une proposition de loi relative à la simplification du droit. Je me suis élevé contre l’amendement à l’article 59 qui a affaibli le dispositif de lutte contre le blanchiment. Il se trouve que j’ai été le rapporteur des lois de lutte contre le blanchiment et la corruption. Vous savez que l’économie souterraine est une réalité. Je pense que ce n’est pas le moment de baisser la garde.

J’avais par ailleurs déposé un amendement tendant à permettre à vos services, avec l’autorisation du juge, de procéder à l’ouverture des coffres de voiture, ce qui n’est aujourd’hui possible que pour les services de douane. On m’a dit que mon amendement était irrecevable. Notre souci doit être de proposer des textes équilibrés. Or la sécurité est la première des libertés.

M. Yvan Lachaud. Très bien !

M. Christian Vanneste. Montesquieu.

M. Michel Hunault. C’est une mission régalienne, que vous vous efforcez de mener à bien, monsieur le ministre. Lutter contre les délinquants, avoir un langage de fermeté, ce n’est pas forcément populaire. Mais il y a une exigence qui est commune au ministre et au législateur : nous ne sommes pas là pour plaire, nous sommes là pour remplir notre mission. Je regrette qu’il y ait un déséquilibre dans certains textes que vous voulez faire passer, monsieur le ministre.

S’agissant de celui-ci, dont l’objet est fondamental, nous en sommes à la troisième lecture. Nous sommes aussi garants que nos collègues de l’opposition de cette exigence de respect des libertés individuelles. C’est au nom de mes collègues du Nouveau Centre, et tout particulièrement d’Yvan Lachaud, qui travaille beaucoup sur ces questions, que je vous apporte notre soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis son dépôt en juillet 2010, cette proposition de loi a fait l’objet d’un long feuilleton marqué par l’obstination du Gouvernement à établir une base de données à lien fort. Notre conviction est à la hauteur de cette obstination. La carte d’identité biométrique associée à un fichier central de grande ampleur, portant sur plus de 40 millions de Français, pourrait se transformer en outil dangereux voire liberticide.

La traçabilité des individus est susceptible de générer des contrôles et surveillances à leur insu, comme l’a brillamment démontré l’ancien président de la CNIL, le sénateur du Nord Alex Türk, dans un ouvrage intitulé La vie privée en péril, des citoyens sous contrôle.

Les données biométriques ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres. Elles présentent la particularité de permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps, et dont elle ne peut s’affranchir. Cette spécificité implique une vigilance toute particulière quant à leur utilisation ; en respectant les deux principes fondateurs du droit à la protection des données à caractère personnel : la finalité et la proportionnalité.

Or c’est précisément à cet égard que cette proposition de loi suscite de vives inquiétudes. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui n’a pas été consultée sur cette proposition de loi, a pris l’initiative de présenter des observations le 25 octobre dernier. Si elle n’est pas hostile par principe à l’utilisation de la biométrie dans le cadre de la délivrance des titres d’identité, la CNIL estime en revanche que « la proportionnalité de la conservation sous forme centralisée de données biométriques, au regard de l’objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire, n’est pas à ce jour démontrée ».

Cet avis est également partagé par le Comité consultatif national d’éthique et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, par un arrêt du 4 décembre 2008, a jugé que la pratique du « fichage génétique », comportant notamment les empreintes digitales de la population, était incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a ainsi estimé que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées [...] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure qu’il vient systématiser autour de trois propositions principales, comme le relève le professeur Frédéric Sudre. En premier lieu, la mémorisation des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérence dans le droit garanti par l’article 8, que ces données soient utilisées par la suite ou non.

En second lieu, pour déterminer si les données conservées relèvent de la « vie privée », et donc du champ protégé par l’article 8, la Cour recourt à plusieurs critères : la nature des données et le contexte dans lequel elles ont été consignées ; les modalités de leur conservation et de leur traitement ; la finalité de leur utilisation.

En troisième lieu, rappelant que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour affirme le principe, déjà énoncé à propos des informations relatives à la santé, du contrôle rigoureux de la proportionnalité de l’ingérence au but poursuivi.

Cela implique que, pour être conformes à l’article 8, la conservation et l’utilisation de données à caractère personnel sans le consentement de la personne concernée doivent s’accompagner de garanties adéquates contre les abus, lesquelles sont précisées par la Convention du Conseil de l’Europe de 1981 sur la protection des données.

Si elle était adoptée, cette proposition de loi s’exposerait donc à des recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, et le risque est grand que la France soit condamnée.

Le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l’homme ont vivement dénoncé dans un communiqué commun ce fichage à terme de l’ensemble de la population française qui représente, selon eux, « une disposition démesurée et dangereuse pour les libertés publiques, unique dans les pays démocratiques, et qui laisse la porte ouverte à toutes les dérives. »

M. Pierre Lang. Si les syndicats l’ont dénoncée, alors c’est une bonne proposition de loi !

M. Marc Dolez. En dépit de toutes ces critiques et mises en garde, le Gouvernement reste hélas déterminé à rétablir le lien fort qui permet techniquement d’utiliser le fichier à d’autres fins que la protection contre l’usurpation d’identité. Il suffit de se référer à l’article 5 pour comprendre que la finalité du fichier n’est pas simplement administrative.

Même si des assouplissements ont été insérés en deuxième lecture, tendant à consolider le régime juridique d’accès au fichier central, ceux-ci ne sont guère suffisants pour garantir la protection des libertés individuelles, car le cœur du dispositif reste identique. D’ailleurs, après la deuxième lecture, la CNIL a réitéré son opposition en ces termes : « Sur la carte d’identité biométrique, nous avions considéré que la création d’une base centrale était disproportionnée au regard de l’objectif de sécurisation des titres. Si toutefois la base centrale est constituée, la meilleure garantie contre les utilisations détournées serait la garantie technique, celle du lien faible. C’est pourquoi la CNIL est inquiète : les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques, qui rendent impossibles l’utilisation de la base à des fins détournées. »

Pour notre part nous contestons la création de ce type de fichier central, qui constitue une menace pour les libertés publiques. C’est pour cette raison essentielle que le groupe GDR votera une nouvelle fois contre ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui à la dernière étape de l’étude du texte consacré à la protection de l’identité. Je serais tenté de dire que le chemin que nous avons suivi a été beaucoup trop long en raison des obstacles que certains ont cru devoir mettre à notre recherche d’une protection des personnes contre un délit particulièrement douloureux de notre époque, notamment en raison de son développement sur internet.

L’usurpation de l’identité consiste à s’emparer de ce qui constitue l’essentiel pour une personne dans son existence sociale : être bien celle qu’elle est, être reconnue comme telle par les autres, capable d’agir et de faire valoir ses droits. À partir du moment où l’usurpateur a pris sa place, la vie de la victime peut devenir un cauchemar. Elle peut être ainsi privée de l’usage de ses biens et de ses avoirs, poursuivie en justice pour des faits qu’elle n’a pas commis, empêchée de se marier et de se déplacer. Bref, sa vie peut être totalement vampirisée.

Il existe trois façons de lutter contre ce fléau, qui est en expansion. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales recensait 13 900 fraudes documentaires à l’identité en 2009, la direction des affaires criminelles et des grâces avait estimé à 11 621 le nombre des condamnations correspondantes. Si l’on élargit le champ de la délinquance identitaire à l’usage illicite de données personnelles, les chiffres sont beaucoup plus considérables, puisque le Credoc a publié une étude relevant 210 000 victimes en 2009 et 213 000 en 2010. Le coût en est évalué pour 2010 par l’inspection générale de l’administration à 20 milliards d’euros.

Certes, il est possible de considérer que le champ de ces infractions est plus large que celui de l’usurpation d’identité, mais il me paraît intéressant de souligner que ces fameuses données personnelles que l’on veut protéger de l’intrusion des services publics ne sont effectivement pas suffisamment protégées, mais des fraudeurs.

La première solution consiste à prendre la fraude en général, et la fraude à l’identité en particulier, au sérieux. Deux réponses peuvent alors être apportées : soit l’on prévient le risque en amont en établissant un registre national des personnes, avec un numéro unique d’identification. Cette mesure, qui existe dans plusieurs pays européens, de vieilles démocraties comme la Suède ou la Belgique, est un moyen de contrôle légitime dans une démocratie sociale ou l’État providence se donne les moyens d’éviter les abus et les fraudes qui peuvent naître d’un système de protection sociale très généreux. Soit l’on considère, dans une conception plus libérale, que l’individu, moins protégé socialement, ne doit pas non plus subir un contrôle social trop important, ce qui est le cas en général dans les pays anglo-saxons. Mais alors, on punit très sévèrement les usurpations.

Depuis 2005, le Royaume Uni avec le Fraud Bill considère l’usurpation d’identité comme un crime passible de dix ans d’emprisonnement. Le Canada applique la même peine de dix ans. De nombreux pays augmentent les peines afin d’enrayer l’accroissement des usurpations d’identité numérique. On comprend la logique propre aux deux systèmes, préventif ou répressif : soit l’on protège les victimes a priori en contrôlant davantage tout le monde ; soit l’on protège au maximum les donnés personnelles de tout contrôle, mais alors on réprime avec sévérité et a posteriori les atteintes à l’identité qui proviennent justement de la faiblesse du contrôle.

La seconde solution adoptée par le Sénat dans ce que certains appellent sa sagesse consiste à ne jeter qu’un regard distrait sur les victimes et à se priver des moyens d’identifier l’usurpateur. Vous pensez : cela risquerait d’éviter la récidive ! La raison invoquée est le respect des libertés publiques, c’est-à-dire des libertés abstraites qui vont protéger l’anonymat du délinquant au détriment de ses futures victimes. La belle âme socialiste détourne pudiquement son regard des victimes pour se pâmer devant la statue de la liberté tandis que, très concrètement, des personnes en chair et en os perdent leur liberté réelle d’agir, de vivre, d’être elles-mêmes. La belle âme socialiste veut avoir les mains pures, mais c’est parce qu’elle n’a pas de mains, comme aurait dit Charles Péguy, des mains capables d’arrêter les faussaires.

Il faut d’ailleurs reconnaître que la belle âme socialiste en connaît un bout en matière d’usurpation !

M. Serge Blisko. Pardon ?

M. Christian Vanneste. « La République rattrapera les délinquants », proclame son candidat, mais nous voyons, nous, que texte après texte le parti socialiste fait tout pour qu’on ne les rattrape pas ou qu’on les relâche au plus vite. C’est particulièrement net dans le cas présent puisque le groupe socialiste s’arc-boute sur la technique du lien faible qui ne permet pas d’identifier l’usurpateur, de rattraper le délinquant. Dites-le à votre candidat !

Lors de son audition par la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, Michel Bergue, directeur du projet de lutte sur la fraude documentaire et d’identité, soulignait que 80 % des fraudes à l’identité détectées sont le fait de ressortissants étrangers souhaitant se maintenir irrégulièrement sur le territoire. Il ajoutait que ces faux titres de séjour pouvaient servir de support à d’autres fraudes, à la législation du travail comme à la législation fiscale ou sociale, ou encore à mettre en place des escroqueries pures et simples. On comprend mieux, avec cet exemple, l’hostilité du groupe socialiste, notamment au Sénat, à l’encontre de ce texte.

Entre ces deux solutions, nous en avons choisi une troisième, médiane, que le rapporteur a rappelée tout à l’heure. Cette solution devait s’adapter aux avis de la CNIL, toujours frileuse quant aux croisements de fichiers. Je rappelle, comme l’a très bien fait Michel Hunault tout à l’heure, que la CNIL doit certes être écoutée, mais que sa légitimité est inférieure à celle du Parlement. Dans le texte issu de la seconde lecture à l’Assemblée nationale, il s’agit d’une part de se donner les moyens d’identifier les usurpateurs afin d’éviter toute récidive et de protéger efficacement les victimes. C’est pourquoi nous avons retenu la technique du lien fort dans la base TES.

En revanche, nous avons exclu toute possibilité de recours à la reconnaissance faciale. La base ne pourra être consultée que sous le contrôle d’un magistrat, uniquement dans le cadre des enquêtes de flagrance, des enquêtes préliminaires, dans l’exécution de commissions rogatoires liées à des infractions de fraudes à l’identité, ou encore pour l’identification de victimes de catastrophes naturelles. Un exemple récent vient de nous rappeler l’utilité de cet usage, M. le rapporteur y a fait référence.

Ces reculs par rapport au texte initial avaient pour but de permettre un consensus, une unanimité sur un sujet qui n’aurait pas dû créer de polémique puisqu’il touche à trois questions majeures. Malheureusement l’opposition désormais majoritaire au Sénat s’y est refusée en ignorant superbement trois questions.

D’abord celle de la protection des victimes. Il est clair que l’opposition défend la liberté du renard fraudeur dans le poulailler des honnêtes gens.

Ensuite celle de la lutte contre la fraude, qui contribue si puissamment au déséquilibre de notre dépense publique et transforme donc tous les Français en victimes.

Enfin celle de la volonté de faire que non seulement le délit soit rendu plus difficile mais aussi que le délinquant soit rattrapé et sanctionné.

Ce texte est donc nécessaire même s’il n’est pas suffisant, et le groupe UMP le soutient en soulignant du même coup l’irresponsabilité à répétition de l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Article 5

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article 5 de la proposition de loi, qui est le seul restant en discussion.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, inscrite sur l’article.

Mme Sandrine Mazetier. Je reviendrai sur la genèse de cette proposition de loi et sur l’étonnante vision de la coproduction législative qui est celle du Gouvernement et du rapporteur de ce texte à l’Assemblée.

Le Gouvernement a fait plusieurs tentatives de projet de loi et, à plusieurs reprises, il a dû retirer son texte pour finalement passer par une proposition de loi.

Celle-ci a été combattue par la majorité des membres du groupe auquel appartenait l’auteur de cette proposition de loi au Sénat. Aujourd’hui, dans le rapport de notre collègue Goujon, on décrit comme un insupportable dévoiement de la procédure prévue par l’article 45 de la Constitution le fait que la commission mixte paritaire rassemblant des sénateurs et des députés qui, soumis au principe de l’entonnoir, travaillent et tentent de se mettre d’accord, se soit opposée à ce qui reste en discussion, l’article 5 de cette proposition de loi.

Loin d’être une majorité de circonstance, comme le dit M. Goujon, c’est une majorité de fond et d’idées qui défend une vision des parlementaires partagée par des parlementaires, tous groupes confondus, dans le Parlement, au sens le plus noble.

M. Marc Dolez. Eh oui !

Mme Sandrine Mazetier. Le Gouvernement, qui se déguise derrière cette initiative parlementaire, s’obstine à passer en force. Il devrait plutôt prendre acte du regard extrêmement négatif, en matière de lutte contre l’usurpation d’identité et de protection des libertés individuelles et collectives, que le Parlement de la France a, presque unanimement, jeté sur la technique contenue dans l’article 5, auquel nous nous opposons une nouvelle fois.

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 1.

La parole est à M. Serge Blisko, pour le défendre.

M. Serge Blisko. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises et Mme Mazetier a déjà tout dit.

Mais je ne peux pas laisser dire qu’il y aurait une bonne majorité à l’Assemblée nationale et qu’au Sénat on ne trouverait que des irresponsables, comme semble le penser M. Vanneste, ou des personnes soucieuses de libertés formelles plus que réelles.

Un vrai débat a eu lieu et, par un étrange court-circuit, vous oubliez de préciser que la CMP était conclusive et qu’une majorité s’y est constituée.

Comme l’a dit excellemment Mme Mazetier, ce n’était pas la majorité automatique et simpliste de la droite contre la gauche.

Mme Sandrine Mazetier. C’était une majorité d’idées.

M. Serge Blisko. Cette majorité représentait tous les groupes et toutes les familles politiques. C’est important, car, sur cette question des libertés collectives et individuelles, les républicains se sont retrouvés.

M. Philippe Goujon, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Serge Blisko. Nous aussi, nous avons fait des concessions. M. Dolez l’a dit, nous étions contre tout fichier et toute base de données.

Le Sénat, dans sa diversité républicaine, est arrivé à cette conclusion, et cet amendement reprend ce qu’il a voté. Nous rétablissons cet amendement pour montrer à quel point nous sommes respectueux et attachés au travail que cette majorité d’idées républicaine a mené au Sénat.

Je regrette que le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale soient fermés au bon travail parlementaire qui a été fait tout au long de ces mois.

Nous présentons donc cet amendement qui est fidèle au texte du Sénat.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Goujon, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.

Ce plaidoyer sénatorial de mes collègues est assez touchant, d’autant plus qu’il est très récent.

Mme Sandrine Mazetier. C’est plutôt un plaidoyer parlementaire !

M. Philippe Goujon, rapporteur. Mais l’histoire n’est pas celle qui vient d’être décrite.

En commission mixte paritaire – commission qui doit se réunir pour aboutir à un compromis et non pas pour passer en force –, je vous rappelle, mes chers collègues, que le groupe UMP a voté dans le sens contraire de votre majorité sénatoriale.

M. Serge Blisko. C’est donc à revoir !

M. Philippe Goujon, rapporteur. Non, c’est très clair. Il n’y a pas une majorité républicaine pour un texte et une minorité contre. Les choses ne se sont pas passées de cette manière.

Je ne reviendrai pas sur le fond du texte, mais, il est évident, comme l’ont rappelé excellemment mes collègues Vanneste et Hunault, que le système à lien faible ne fonctionne pas.

D’ailleurs, il n’est utilisé nulle part au monde et, de surcroît, il ne peut pas être produit par nos industriels, qui en refusent le principe même. M. Blisko, qui était présent à l’audition du GIXEL, le Groupement français des industries de composants et de systèmes électroniques, s’en souvient comme moi.

Il est plus intrusif pour les libertés publiques que le système à lien fort. En effet, s’il n’y a pas de lien univoque entre l’identité et les empreintes, la police doit intervenir et faire des enquêtes sur une centaine de personnes pour retrouver un fraudeur. Ainsi, une centaine de suspects seront dérangés et leur vie sera troublée, pour que la police puisse détecter le fraudeur parmi eux. Avec un lien univoque, on obtiendra immédiatement l’identité du fraudeur par des moyens informatiques. C’est essentiel et beaucoup plus efficace.

On a entendu beaucoup de contrevérités. Je rappelle donc qu’il ne s’agit pas d’un fichier judiciaire, mais d’un fichier administratif comme il en existe beaucoup – je pense notamment au fichier du surendettement, qui recense des dizaines de millions de personnes.

Vous l’avez reconnu vous-même, monsieur Blisko, nous avons fait du bon travail et nous avons fait évoluer ce texte en apportant des garanties à la protection des libertés publiques.

À ce titre, l’amendement du Gouvernement est essentiel : l’accès à la base centrale a été restreint par rapport au droit commun des fichiers administratifs. Sur réquisition judiciaire, on ne pourra accéder à la base centrale que pour des recherches de fraudes identitaires qui, certes peuvent prendre de nombreuses formes. Mais c’est la seule raison qui permettra à la police d’entrer dans la base de données pour rechercher le fraudeur.

À cela s’ajoute bien sûr l’identification des corps des victimes de catastrophes naturelles. Mon collègue Vanneste l’a rappelé, des recherches de ce type sont extrêmement utiles dans le cas de catastrophes comme celle du Costa Concordia.

Beaucoup d’avancées ont également été faites en matière de protection des libertés publiques en réponse aux souhaits de la CNIL. Nous avons pratiquement accepté toutes les demandes de la CNIL, notamment l’encadrement de la base centrale, mais aussi les recommandations du Conseil d’État, qui reconnaît le caractère proportionné de la base centrale.

J’entendais certains d’entre vous attaquer la base centrale. Pourtant, le Conseil d’État comme la CNIL en admettent le bien-fondé, cela ne fait pas de doute.

Nous avons renoncé à l’interconnexion des données digitales et faciales, puisque la reconnaissance faciale a été explicitement exclue, comme le souhaitait la CNIL. Nous sommes passés de huit à deux empreintes biométriques, conformément à la demande de la CNIL.

Nous allions la protection des libertés publiques et l’efficacité dans la lutte contre la fraude identitaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Je ne répéterai pas les arguments que vient de présenter votre rapporteur.

Mais, en effet, il est très clair, monsieur Blisko, que nous avons des approches différentes de ce dossier. Voici pourquoi.

Nous partageons tous le même constat : l’usurpation d’identité est un fait grave, c’est un fléau qui, quantitativement, est important. Par conséquent, il faut nous donner les moyens de lutter contre.

Mais nous constatons deux approches. Celle du Gouvernement et du rapporteur consiste à dire : « Puisque nous avons les moyens techniques pour identifier l’usurpateur, utilisons-les. » L’autre approche, exprimée par les orateurs de gauche, consiste à dire : « Surtout, ne nous donnons pas les moyens de parvenir à l’identification de l’usurpateur. Nous disposons d’un moyen formidable, le lien faible, qui permet de ne pas être efficace. » Ce système nous conduit à l’identification de quelques dizaines de personnes suspectes d’usurpation, voire d’une centaine, selon les experts. Par conséquent, il faudra mener une enquête particulière sur chacune de ces personnes. C’est une conception assez curieuse pour exprimer la volonté d’aboutir à l’éradication de l’usurpation qui, comme tout le monde le dit, est un véritable fléau.

Malheureusement, nous avons pu constater cette différence d’approche en écoutant les propos de M. Urvoas sur le fichier national des empreintes génétiques. Lors de la dernière lecture, il avait regretté – il l’a encore regretté aujourd’hui mais de manière moins détaillée – toutes les infractions pour lesquelles il existait une extension de la possibilité d’utiliser le fichier. Je suis consterné par l’énumération de ces infractions car, tous les jours, des victimes trouvent justice grâce aux preuves apportées par le fichier. M. Urvoas aurait pu préciser que, dès la création du fichier, son parti y était hostile.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

(L’article 5 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

4

Contrôle moderne des armes

Discussion, en deuxième lecture, d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. (nos 4062, 4184)

La parole est à M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, un peu plus d’un an après son examen en première lecture, la proposition de loi relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif revient devant vous, après son adoption par le Sénat le 8 décembre dernier.

Comme vous, les sénateurs ont adopté le texte à l’unanimité. Ces deux votes consensuels illustrent l’importance que nous accordons tous à ce texte et, au-delà, à la nécessité de faire évoluer la réglementation des armes.

Dès le 28 mai 2009, devant les principaux acteurs de la sécurité, de la chaîne pénale et de l’éducation nationale, le Président de la République avait demandé que soit engagée une réflexion « sur les moyens d’améliorer la réglementation du commerce d’armes » afin, notamment, de « mettre fin à la banalisation du port d’armes dans la rue ».

Plusieurs drames récents sont venus nous rappeler la nécessité d’engager la réforme voulue par le chef de l’État.

Rappelons-nous que, lors de l’examen du texte au Sénat, nous avions appris avec peine et émotion le décès du lieutenant Lales, fonctionnaire de police d’Aix-en-Provence, abattu par des malfaiteurs à l’arme de guerre.

Nous devons tout faire pour empêcher que des armes, souvent même des armes de guerre, ne se retrouvent entre les mains des trafiquants et des délinquants.

Le Gouvernement est pleinement conscient de ces dangers. La lutte contre les trafics d’armes fait partie de ses priorités. La mobilisation des forces de sécurité intérieure porte ses fruits.

En 2011, ce sont 3 500 armes qui ont été saisies, contre 2 719 en 2010, soit une augmentation de plus de 28 %. Il faut donc poursuivre les efforts. C’est pourquoi une nouvelle législation est nécessaire.

Ce texte a fait suite aux travaux de la mission d’information parlementaire sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, que vous aviez créée.

Son rapport a été adopté en juin 2010 à l’unanimité des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Il s’est enrichi des réflexions et échanges nombreux avec les détenteurs légitimes d’armes à feu, chasseurs, tireurs sportifs, collectionneurs ou armuriers, réunis dans le comité Guillaume Tell, avec lequel le ministère de l’intérieur entretient un dialogue régulier et constructif.

Vous l'avez compris, le texte qui vous est présenté aujourd'hui reflète le long et fructueux travail de concertation avec l'ensemble des parties prenantes.

Il s'agit surtout d'un texte de qualité, que votre commission des lois a adopté il y a quelques jours, après avoir complété et ajusté les dispositions issues du Sénat. Sous l'égide de votre rapporteur, elle a fait, pendant la genèse de ce texte, un remarquable travail que je veux saluer ici.

Grâce à tous ces efforts combinés, nous examinons aujourd'hui un texte équilibré répondant à une double exigence : exigence de simplification du droit, d'abord, car pour être connue et appliquée par tous, la loi doit être claire et compréhensible ; exigence de sécurité publique, ensuite, en renforçant les moyens juridiques de lutte contre le trafic d'armes.

Le texte que nous examinons aujourd'hui répond d'abord à l'impératif de simplification de notre législation sur les armes.

La législation en vigueur est devenue, au fil du temps, inadaptée par rapport aux enjeux actuels. Tous les acteurs le soulignent.

Héritière du décret-loi du 18 avril 1939, notre législation sur les armes n'a pris en compte ni les évolutions technologiques ni les évolutions sociologiques de la délinquance survenues depuis.

Il ressort ainsi des travaux conduits par l'Assemblée nationale et le Sénat la nécessité d'une refonte de ce dispositif complexe, maîtrisé seulement par quelques spécialistes.

Le texte propose donc une nouvelle classification des armes. Plus simple et plus accessible, elle permet aussi de mettre notre droit en conformité avec nos obligations européennes en la matière.

Au lieu des huit catégories actuelles, il y aura donc, désormais, quatre grandes catégories d'armes :

Catégorie A : les armes de la catégorie A sont « interdites à l'acquisition et à la détention » ;

Catégorie B : armes « soumises à autorisation » ;

Catégorie C : armes « soumises à déclaration » ;

Catégorie D : les autres armes, celles soumises à enregistrement et celles dont la détention est libre.

Par ailleurs, et c’est une innovation considérable, les critères de classification correspondront désormais à la dangerosité réelle : le tir est-il répétable rapidement et facilement, l'arme a-t-elle une grande capacité de tir, etc. Ils ne reposeront plus sur le critère dépassé du «calibre de guerre » même si les calibres les plus dangereux resteront toujours interdits à l'acquisition et à la détention.

M. Pierre Lang. Très bien !

M. Claude Guéant, ministre. Le texte adopté par le Sénat a précisé la définition de la catégorie A et rend donc plus aisée la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l'Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité.

De nouvelles dispositions sont également prévues pour les collectionneurs avec la création de la carte du collectionneur, que nous avions évoquée il y a un an, et qui a été précisée au Sénat, au terme d'une réflexion approfondie avec les représentants des associations de collectionneurs. Ses titulaires se voient reconnaître la possibilité d'acquérir et de détenir des armes soumises à déclaration, la collection constituant désormais un motif légitime d'acquisition.

Les collectionneurs pourront également accéder librement à de nouvelles armes et à de nouveaux matériels de guerre, en raison du relèvement à 1900 pour les armes et 1946 pour les matériels les millésimes définissant le caractère d'arme ou de matériel de collection.

Au-delà de la simplification du droit, le texte que nous examinons aujourd'hui renforcera les dispositifs techniques existants de lutte contre le trafic d'armes.

Le Gouvernement a d'ores et déjà pris deux mesures d'ordre réglementaire pour renforcer le contrôle de la circulation des armes dans notre pays.

Première mesure : le fichier AGRIPPA – application de gestion du répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes – est devenu un outil efficace et moderne de traçabilité des armes en circulation. Cette application recense à ce stade 3,5 millions de détenteurs d'armes.

Cet outil permet de tracer les armes soumises à autorisation, à déclaration et, depuis le 1er décembre 2011, à enregistrement pour les armes de chasse acquises à compter de cette date.

Depuis l'adoption de la loi à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2011, la base AGRIPPA s'est modernisée pour remédier aux imperfections signalées dans le rapport de la mission d'information parlementaire. Jusqu'à très récemment, seuls les agents des préfectures bénéficiaient d'un accès direct à cette application. Si les forces de sécurité avaient besoin d'un renseignement, elles devaient donc saisir les préfectures avec les délais que cela induit. Le rapport de la mission parlementaire avait à juste titre relevé cette anomalie. Aussi, je vous confirme que l'ensemble des unités de police et de gendarmerie peuvent désormais accéder directement à la base AGRIPPA.

Deuxième mesure : le fichier national des interdits d'armes a été créé par le décret du 5 avril 2011. L’objectif est simple : nous voulons que des personnes présentant un danger pour autrui ne puissent plus acquérir une arme.

D'ores et déjà, 18 000 personnes font l'objet d'une interdiction de détention d'armes. Pour faire respecter plus efficacement cette interdiction, un nouveau fichier, le fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes – FINIADA – a été créé le 5 avril 2011 dernier.

Parce qu'il permet de renforcer l'information des services préfectoraux, des services de police et de gendarmerie, des services des douanes, des armuriers, de la Fédération nationale des chasseurs et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage quant aux personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes, ce fichier permet d'éviter qu'une arme ne soit vendue ou qu'un permis de chasse ne soit délivré à une personne jugée inapte à détenir une arme.

Aujourd'hui pleinement opérationnelle, cette base nationale répertorie les personnes frappées d'interdiction d'acquisition et de détention d'armes suite à une décision du préfet territorialement compétent. La gestion de ces dossiers est dévolue aux services des armes des préfectures.

Votre proposition de foi vient renforcer, enfin, l'efficacité des moyens de lutte contre le trafic d'armes et alourdir les sanctions pénales.

Outre la simplification de la classification des armes que j'ai déjà mentionnée et qui facilitera le contrôle de l'application de la législation sur les armes, je mentionnerai notamment trois mesures très positives.

Première mesure : assurer une plus grande sécurisation des conditions d'acquisition pour les détenteurs légaux.

En clarifiant ces conditions, le texte sécurise les détenteurs légaux tout en facilitant la tâche des services de contrôle qui peuvent, ainsi, mieux se concentrer sur les délinquants et les trafics.

Dans un souci de lisibilité et de sécurisation des conditions d'acquisition des armes des catégories B et C, votre rapporteur a proposé de distinguer plus précisément les formalités requises pour la demande d'autorisation d'une arme de catégorie B et pour le dépôt d'une déclaration pour l'acquisition d'une arme de catégorie C.

Le Gouvernement souscrit à cette mesure qui assurera une plus grande lisibilité de la liste des pièces à fournir par les tireurs sportifs, les chasseurs et les collectionneurs lors de l'acquisition de l'arme.

La sécurisation des conditions d'acquisition est aussi renforcée en matière de vente par correspondance ou à distance des armes des catégories B et C. Dans notre société où ce mode de transaction se développe, il faut assurer une complète sécurité juridique et la nécessaire traçabilité aux tireurs sportifs, aux chasseurs ou aux collectionneurs qui utilisent ce procédé d'acquisition.

Ainsi, votre commission des lois a étendu la vente par correspondance aux armes de catégorie B. Désormais, ces armes ainsi que celles de la catégorie C pourront être directement livrées à l'acquéreur, sous conditions. Le Gouvernement prendra un décret qui encadrera et sécurisera ces transactions.

Deuxième mesure : l'acquisition et la détention d'une arme deviendront impossibles pour une personne qui a été condamnée pour une infraction dénotant un comportement violent, incompatible avec la possession d'une arme à feu.

Le texte adopté par votre commission des lois ainsi que par le Sénat étend le fichier FINIADA aux personnes interdites d'armes par décision judiciaire, en particulier celles qui auront été condamnées à une peine complémentaire d'interdiction d'acquisition et de détention d'armes.

Ainsi, la base de données couvrira progressivement toutes les personnes qui, en raison de leur comportement, présentent une menace pour la sécurité publique si elles sont mises en possession d'une arme.

Votre assemblée avait limité le champ d'application de cet article aux seules infractions volontaires ; le Sénat a précisé la liste des incriminations pénales concernées. Des infractions telles que la fabrication, la vente ou l'exportation sans autorisation d'un engin ou produit explosif incendiaire ont été ajoutées à celles qui interdiront à leurs auteurs la détention légale d'une arme.

Très concrètement, une vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire permettra de s'assurer, au moment de la vente, qu'une personne souhaitant acquérir une arme n'a pas fait l'objet par le passé d'une condamnation pour l'une des infractions mentionnées dans la proposition de loi. Ces infractions sont graves : vol, extorsion, atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne. Personne ne conteste qu'elles sont incompatibles avec la détention d'une arme.

Troisième mesure : des peines complémentaires obligatoires telles que l'interdiction de port d'arme sanctionneront les auteurs de violences volontaires condamnés définitivement.

Ce texte complète le dispositif pénal en instaurant des peines complémentaires automatiques pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme.

Le dispositif a été concentré sur les infractions les plus graves, en ne rendant plus automatique la peine complémentaire pour certaines contraventions et pour certaines infractions mineures sans lien direct avec l'usage d'une arme.

En revanche, les infractions d'attroupement armé ou de provocation à un tel attroupement et d'introduction d'armes dans un établissement scolaire ont été ajoutées à la liste de celles entraînant les peines automatiques.

Au nom du Gouvernement, j'approuve totalement ce dispositif, que le Sénat a confirmé, en suivant la démarche engagée par votre assemblée pour rendre plus systématique et plus effectif le prononcé des peines complémentaires relatives aux armes.

Vous l'avez compris, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement soutient très largement l'initiative qu'ont prise plusieurs de vos collègues et les en remercie.

L'équilibre actuel qui vous est soumis, fondé sur un esprit de responsabilité et de sécurité publique, s'est enrichi des échanges très constructifs qui se sont déroulés dans les deux assemblées autour de cette proposition.

Je salue encore une fois le travail du rapporteur Claude Bodin, qui a favorisé un large consensus que je tiens à saluer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bodin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Claude Bodin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, la proposition de loi relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif.

Par un vote unanime, notre assemblée avait, le 25 janvier 2011, approuvé un texte qui représente une réforme inédite du régime d'acquisition et de détention des armes et des matériels de guerre en France. Le 8 décembre 2011, le Sénat a lui-même ajouté sa pierre à ce nouvel édifice en approuvant à son tour la proposition de loi, également à l'unanimité, tout en lui apportant quelques modifications.

Il s'agit donc de parachever ici l'important travail que le Parlement a accompli en première lecture. Comment et sur quels points ?

En premier lieu, en nous en tenant aux objectifs que nous nous étions assignés avec Bruno Le Roux et l'ensemble des députés qui formaient la mission d'information sur les violences par armes à feu et l'état de la législation.

Je tiens à les réaffirmer. En premier lieu, simplifier la vie de ceux de nos concitoyens – chasseurs, pratiquants du tir sportif et du ball-trap, collectionneurs – qui ont acquis et détiennent des armes conformément aux lois et aux règlements ; établir un cadre dans lequel les obligations correspondent à la dangerosité des armes et ne soient source d'aucune formalité ou contrainte inutile ; enfin, garantir la sécurité de tous en permettant aux pouvoirs publics de lutter contre les délinquants qui font trafic ou usent d'armes pour leurs méfaits.

En deuxième lieu, en poursuivant la démarche raisonnée et collective que les pouvoirs publics, et au premier chef les assemblées parlementaires, ont adoptée afin d'entreprendre cette réforme.

Pour ce qui concerne l'Assemblée nationale, cette méthode a consisté à prendre en considération les remarques qu'ont pu exprimer les ministères chargés de la mise en œuvre du texte, notamment le ministère de l’intérieur, avec qui nous avons travaillé de façon très fructueuse, mais également les utilisateurs légaux d'armes, et ce dans toute leur diversité, représentée par l’actif et constructif comité Guillaume Tell.

C’est ainsi que nous avons souhaité et défendu la création d’un véritable statut du collectionneur qui, dans le respect de la sécurité publique, permettra la préservation de notre patrimoine et fera de la collection un motif légitime, à part entière, d’acquisition et de détention d’armes. Certes, à l’issue de nos délibérations, certaines demandes pourraient demeurer sans suite dans l’immédiat. Toutefois, rien n’interdira dans une phase ultérieure de la réflexion collective d’aborder, dans un cadre ad hoc, les questions plus spécifiques que soulève la collection d’armes en France.

La réglementation des armes présente depuis toujours un caractère complexe et chacun pourra convenir de la difficulté à rebâtir un dispositif dont les plus anciennes fondations remontent à un décret d’avril 1939.

Cependant, nous pouvons sans doute donner à cette délicate entreprise un premier aboutissement. Pour ce faire, il convenait en dernier lieu d’apporter les quelques ultimes ajustements que nécessitait le texte adopté au Sénat, ce qu’a fait la commission des lois lors de son examen de la proposition de loi en deuxième lecture.

J’emploie à dessein ce terme d’« ajustements », car il existe à l’évidence un réel accord de fond entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur les finalités et les modalités du nouveau cadre juridique dans lequel doit s’exercer le contrôle des armes. Cette communauté de vue explique qu’au total, par-delà quelques modifications au demeurant peu nombreuses et circonscrites, le Sénat ait maintenu les grands équilibres de la proposition de loi.

Sans rappeler le détail de toutes les dispositions du texte, les termes de cet équilibre se résument en deux éléments fondamentaux.

Il s’agit, premièrement, d’une simplification et d’une réduction significative des catégories du classement des armes, désormais fondé sur un régime encadrant les conditions d’acquisition et de détention, et non plus sur les caractéristiques d’une arme ou d’un matériel.

Il s’agit, deuxièmement, de l’instauration d’un cadre comportant des obligations graduées et proportionnées pour les utilisateurs légaux d’armes et sanctionnant mieux et plus les délinquants et les trafiquants.

Cette volonté se traduit, à l’issue de la première lecture au Sénat, par la reprise et la confirmation de plusieurs éléments.

La notion de dangerosité est établie comme pierre angulaire du classement des armes tandis que sont repris les critères énumérés par l’Assemblée nationale pour encadrer son appréciation par le pouvoir réglementaire. Le champ de la définition des armes historiques et de collection est élargi, avec notamment le choix du 1er janvier 1900 pour les armes et du 1er janvier 1946 pour les matériels de guerre – je vous renvoie à l’article 2.

Les conditions communes d’acquisition et de détention sont énoncées par le texte sous certaines réserves : pour l’ensemble des armes, il faut être majeur et disposer d’un bulletin n° 2 du casier judiciaire ne comportant pas de mention de condamnation pour l’une des infractions mentionnées par la proposition de loi et ne pas se signaler par un comportement dangereux – article 3.

Sont également établies les règles principales des régimes de prohibition, d’autorisation, de déclaration et de liberté énoncées par le texte adopté par l’Assemblée nationale – article 3.

Est créé à l’article 3 un statut du collectionneur – nous l’avons déjà évoqué.

La proposition de loi prévoit encore des dispositions destinées à renforcer les sanctions pénales encourues pour les infractions portant atteinte à la législation sur les armes – articles 25 à 34 – et le caractère progressif des conditions d’entrée en vigueur du texte afin de permettre l’édiction des mesures réglementaires d’application et de mettre nos concitoyens en mesure de prendre connaissance des modalités de la réforme – articles 35 A et 35 ter.

Tout en restant dans le cadre des grands équilibres du texte, la commission des lois a, lors de l’examen de la proposition de loi en deuxième lecture, apporté quelques ajustements.

À l’article 8, la commission a étendu le champ du dispositif de la carte de collectionneur d’armes, en permettant à ses titulaires d’acquérir et de détenir des armes de catégorie D soumises à enregistrement, ainsi que des munitions énumérées par arrêté interministériel, compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique. Je sais que ces modifications, en dépit de l’encadrement strict qu’a prévu la commission des lois, ne sont pas totalement approuvées par le Gouvernement, mais nous aurons l’occasion de revenir sur ce point lors de l’examen des articles.

À l’article 32, la commission a clarifié les dispositions relatives aux conditions de transport et de port légitimes des armes utilisées pour l’activité de chasse : à la différence du texte adopté par le Sénat, le texte adopté par notre commission a distingué le transport – uniquement soumis à la condition de possession d’un permis de chasser, sans condition tenant à sa validation – du port des armes, lequel est soumis à la double condition de la possession d’un permis de chasser et de la validation de celui-ci pour l’année en cours ou l’année précédente.

Il s’agit là d’un équilibre tout à fait satisfaisant, qui permet de concilier parfaitement les deux objectifs de simplification de la vie des chasseurs et de protection de la sécurité publique.

Enfin, à l’article 35, la commission a inclu les armes de la catégorie B parmi celles pouvant être directement livrées à leur acquéreur dans le cadre d’une vente par correspondance ou à distance.

En conclusion, chers collègues, si nous faisons la part de nos ambitions initiales, des nécessités de la sécurité publique et des intérêts légitimes de chacun des acteurs de ce dossier, nous pouvons aujourd’hui estimer que nous sommes parvenus à un dispositif satisfaisant, car il est équilibré : non seulement il est compatible avec les obligations découlant de la directive européenne du 18 juin 1991, mais il préserve les spécificités du droit national et de notre mode de vie.

C’est pourquoi je vous demande d’adopter la présente proposition de loi, avec – je le souhaite – la même unanimité qu’en première lecture. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Vaillant.

M. Daniel Vaillant. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Bruno Le Roux, qui regrette de ne pouvoir être présent du fait d’un déplacement organisé par le groupe d’amitié France-Suède, qu’il préside.

Bruno Le Roux fait figure, depuis 1998, de pionnier en matière de lutte contre la prolifération des armes. Connaissant mon engagement en faveur d’une amélioration de la législation encadrant et contrôlant l’acquisition et de la détention d’armes, il m’a demandé de le remplacer et c’est avec plaisir que j’ai accepté d’intervenir ce soir en faveur de cette proposition de loi qui constitue une avancée réelle et attendue dans le domaine de l’encadrement, de l’acquisition et de la détention des armes. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail du rapporteur, Claude Bodin.

Comme vous le savez, j’ai été confronté en tant que ministre de l’intérieur à la tragédie de la fusillade de Nanterre en 2002. J’ai beaucoup regretté que l’auteur de cette tuerie ait pu disposer aussi facilement d’armes à feu, d’autant qu’il était connu des services départementaux de psychiatrie.

Depuis, d’autres drames de ce type sont venus hélas noircir l’actualité. Les récentes fusillades qu’ont connues les villes de Marseille, Colombes ou encore Saint-Ouen, les arsenaux découverts ce week-end à Marseille, ne font que confirmer la nécessité d’une amélioration de l’encadrement de l’acquisition et de la possession d’armes, dans l’intérêt nos concitoyens et pour leur sécurité.

Dix ans après mes initiatives réglementaires, qui n’ont pas fait consensus à l’époque, cette position fait aujourd’hui l’objet d’un large accord au sein des deux chambres du Parlement, de l’opposition à la majorité gouvernementale, ce dont je m’en réjouis. Elle reçoit aussi l’assentiment des utilisateurs et détenteurs légaux d’armes : c’est encore mieux.

Cela n’aurait pu être possible sans le travail d’écoute et de prise en compte des préoccupations de tous les acteurs concernés : police, gendarmerie, justice et associations de chasseurs, de tireurs sportifs et de collectionneurs.

Je veux donc rendre hommage au travail minutieux et efficace réalisé en amont dans le cadre de la mission d’information sur les violences par armes à feu, qui a permis d’aboutir à un texte équilibré, offrant une véritable avancée dans les domaines du contrôle des armes, de la prévention des violences et de la simplification du droit. Cette proposition, qui nous revient en seconde lecture, ne réglera pas tous les problèmes mais constitue une réponse législative efficace qui mérite d’être saluée.

La recrudescence du nombre de victimes de violences par arme à feu, à l’origine de la demande de création d’une mission d’information, a permis de mettre en évidence de nouvelles problématiques liées à la détention et à l’utilisation des armes dans notre pays. On a constaté une évolution préoccupante du trafic, une augmentation du nombre d’armes de guerre en circulation mais aussi une augmentation de l’usage d’armes factices, qui si elles sont bien évidemment moins dangereuses, témoignent d’une réelle intention de nuire.

S’agissant du trafic, les conclusions de la mission d’information s’avèrent plutôt rassurantes quant au nombre d’armes qui circulent illégalement en France et plus particulièrement dans les quartiers les plus touchés par la délinquance. Contrairement aux apparences, les auditions ont fait apparaître que leur nombre n’avait pas sensiblement augmenté, mais que les membres d’un même groupe délinquant mutualisaient de plus en plus leur usage. D’autre part, ces mêmes conclusions tendent aussi à relativiser le rôle que peut jouer Internet en favorisant l’accès illégal aux armes. S’agissant du cadre légal actuellement en vigueur, la mission d’information a fait apparaître sa trop grande complexité et son obsolescence dues à l’empilement des dispositions relatives à la classification, à l’acquisition et à la détention des armes depuis le décret-loi du 18 avril 1939.

Cette proposition de loi vise donc à simplifier la classification des armes à feu en remplaçant les huit catégories du décret du 6 mai 1995 par quatre catégories – A, B, C, D – plus conformes à la législation européenne.

En modifiant l’ancienne classification fondée sur les caractéristiques techniques des armes, le nouveau classement introduit une meilleure lisibilité pour les forces de l’ordre, les préfectures ainsi que pour les utilisateurs et détenteurs légaux. Les règles encadrant l’acquisition et la détention sont ainsi proportionnées selon les différentes catégories d’armes, organisées selon leur degré de dangerosité et donnent lieu à une gradation des régimes juridiques. L’acquisition et la détention de certaines armes seront ainsi soit interdites, soit autorisées ou feront l’objet d’une déclaration, d’un enregistrement. Les moins dangereuses resteront librement accessibles.

D’autre part, ce texte opère une distinction entre les détenteurs légaux d’armes à feu, qu’il s’agisse des tireurs sportifs, des chasseurs, des collectionneurs, et les détenteurs illégaux. Il répond ainsi positivement aux préoccupations des citoyens, détenteurs légitimes d’armes, en sécurisant le cadre juridique lié à l’exercice de leurs activités sans porter atteinte au droit de chasser, de pratiquer le tir sportif ou de collectionner des armes. Les questions soulevées par les associations de collectionneurs pourront d’ailleurs, comme il a été dit, faire l’objet d’un texte spécifique de clarification. En effet peut-on mettre sur le même plan un collectionneur d’armes anciennes et la personne gardant chez elle des munitions datant de la première guerre mondiale récupérées dans des champs du Nord-Est de la France ? J’ai ainsi pu voir une collection de bombes de gaz de la guerre de 14-18 alignées sur un manteau de cheminée. Je ne sais d’ailleurs pas où en est le débat sur le démantèlement des armes et la construction de l’usine Sequoia, sur le territoire de Vimy, que vous connaissez bien pour y être né, monsieur le ministre.

Enfin, ce texte offre à nos forces de l’ordre des moyens supplémentaires pour prévenir et lutter contre les violences par armes à feu, contre la délinquance et les trafiquants d’armes.

Les dispositions relatives au fichier national automatisé nominatif des personnes interdites d’acquisition et de détention des armes – le FINADIA – sont élargies aux personnes qui font l’objet d’une condamnation visant à la confiscation de leurs armes ou leur interdisant la détention et le port d’armes. Elles participeront ainsi au renforcement des dispositifs de prévention.

Les nouvelles dispositions étendant le champ d’application de la procédure de saisie, harmonisées avec le code de procédure pénale, permettront quant à elles d’aller chercher les armes là où elles se trouvent.

Acceptez que je m’arrête un instant sur ce point. L’élargissement du fichier FINADIA et l’extension des possibilités de mise en œuvre des saisies administratives ne constituent pas en eux-mêmes des moyens suffisants pour éradiquer le phénomène de la détention illégale d’armes. En effet, si la présence des armes dans les quartiers sensibles s’avère, et heureusement, moins massive que nous ne pouvions le craindre, il ne faut pas avoir la naïveté de penser que les armes sont absentes. Elles restent accessibles aux voyous qui savent, par le trafic, se les procurer.

Pour lutter contre cette criminalité, qui n’hésite plus à s’armer, à tirer et à tuer dans le seul but de faire – pardonnez-moi cette expression triviale – toujours plus de fric, il faut que les forces du droit disposent des moyens matériels et humains à la hauteur des enjeux.

M. Pierre Lang. Et informatiques !

M. Daniel Vaillant. Une loi, si bonne soit-elle, n’y suffira pas.

Malgré cette observation sur la présence policière qui doit se renforcer là où c’est le plus nécessaire, je vous confirme que le groupe socialiste, radical et citoyen votera en faveur de ce texte consensuel, avec enthousiasme, afin de permettre son adoption définitive par l’Assemblée nationale.

Permettez-moi d’ajouter, avant que nous ne passions à l’examen des articles, que j’ai découvert un peu tardivement la liasse des amendements. Je veux d’ores et déjà vous dire qu’ayant eu connaissance du travail approfondi mené en commission, je me garderai bien de m’éloigner des propositions de M. le rapporteur Claude Bodin, excluant ainsi de voter d’autres amendements qui pourraient rompre le consensus.

Nous voterons donc cette proposition de loi, ainsi que les amendements du rapporteur, en accord avec lui, mais sans aller au-delà. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons en seconde lecture est l’occasion de traiter d’une question importante, qui touche à la fois à la sécurité et aux libertés fondamentales, comme d’ailleurs la discussion précédente sur la lutte contre l’usurpation d’identité.

L’examen de cette proposition de loi par les deux chambres du Parlement et son adoption à l’unanimité par chacune d’elles nous permettent de mesurer le consensus politique et parlementaire – c’est heureux et important de le rappeler – qui se dégage sur un sujet primordial participant à l’édification de notre pacte républicain.

Ce consensus naît d’un constat lui aussi consensuel, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur : notre législation, largement héritée du décret-loi de 1939, ne correspondait plus aux nécessités de l’ordre et de la sécurité publics. Inefficace pour appréhender la dangerosité réelle des armes à feu et leur trafic, trop complexe pour ceux qui détiennent et utilisent légalement ces armes, l’arsenal législatif actuel se révèle incomplet et inadapté.

Garantir un meilleur contrôle des armes, c’est en premier lieu en établir une classification plus lisible et compréhensible de tous. La présente proposition de loi établit un classement des armes dont les catégories ne sont plus définies en fonction de leurs caractéristiques propres, mais du régime applicable aux conditions d’acquisition et de détention de celles-ci. De huit catégories, nous passons à quatre, pour plus de clarté et de lisibilité.

Le dispositif vise également à simplifier les démarches administratives, tant pour les usagers que pour les services chargés d’assurer le contrôle des armes, rejoignant en cela une indispensable démarche de simplification du droit, dans tous les champs de celui-ci, dont nous débattions hier encore dans cet hémicycle.

Les modifications apportées tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat ont permis d’aboutir à un texte que chacun qualifie d’équilibré, soucieux à la fois de la sécurité collective et des libertés individuelles.

En effet, la légitimité de notre démarche et la réussite de cette législation renouvelée se fondent sur la nécessité d’assurer une protection effective de la société tout en préservant la liberté de nos concitoyens, particulièrement de ceux qui, dans le cadre de pratiques strictement réglementées, font des armes un usage légitime. On pense ici bien sûr aux tireurs sportifs, aux chasseurs et aux collectionneurs notamment.

En rendant obligatoire le prononcé de peines complémentaires et en renforçant les sanctions pénales en cas de violation de la législation sur les armes, la proposition de loi répond au premier objectif. Nos consciences restent bien évidemment frappées par des faits divers tragiques, rappelés par M. Vaillant, qui légitiment une refonte du dispositif existant, une meilleure prévention et une plus grande sûreté de notre société.

Le deuxième objectif commande de mettre en œuvre une réglementation qui ne soit pas préjudiciable aux détenteurs légaux d’armes à feu, chasseurs, tireurs sportifs ou encore collectionneurs, qui ont pu nourrir de légitimes inquiétudes.

À ce titre, je me félicite de la suppression par notre assemblée, en première lecture, de dispositions qui n’étaient pas indispensables et qui suscitaient des réserves : je pense à la mise en place d’une « carte grise » de l’arme ou encore à l’instauration d’un « délai de refroidissement » entre l’achat d’une arme et sa remise effective à l’acheteur.

Nos collègues sénateurs ont également enrichi le texte : le statut du collectionneur, menacé de suppression, sort finalement renforcé et élargi des travaux parlementaires. Je veux rappeler qu’en première lecture, au nom du groupe Nouveau Centre, j’avais interpellé M. le garde des sceaux sur les interrogations qu’avait fait naître la proposition de loi, en particulier chez les collectionneurs d’armes.

Il me paraît en effet important d’accorder une juste place – dans le respect de règles élémentaires de précaution et de sécurité publique – aux quelque 100 000 collectionneurs d’armes et de matériels de guerre, qui œuvrent à une meilleure connaissance de l’histoire des armes et par conséquent à une meilleure connaissance du danger de leur usage non maîtrisé.

En outre, les contraintes qui pesaient sur la détention de carabines de chasse ont été supprimées par le Sénat.

Grâce aux précisions apportées par la commission des lois et à celles susceptibles de l’être par le rapporteur, le groupe Nouveau Centre apportera son soutien à cette proposition de loi qui établit un cadre juridique cohérent, alliant répression accrue contre les trafiquants et délinquants et respect garanti des droits des utilisateurs légaux d’armes à feu. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après son adoption à l’unanimité par le Sénat, cette proposition de loi montre la préoccupation, partagée par l’ensemble de la représentation nationale, de revoir la législation sur les armes, et pas seulement les armes à feu, comme l’indiquait le précédent titre de la proposition de loi en première lecture.

Cette préoccupation part d’un double constat : d’une part, les armes prolifèrent en France, où elles semblent se vendre très facilement, faisant désormais l’objet d’un véritable trafic ; le nombre des victimes augmente, en lien avec la diffusion d’armes de plus en plus dangereuses, et parmi ces victimes il y a notamment des policiers. D’autre part, les textes actuels visant à contrôler et à sanctionner la détention illégale d’armes sont trop complexes, et l’encadrement juridique insuffisamment dissuasif et proportionné devant une telle propagation.

Des mesures ont bien été prises pour renforcer la sécurité : le décret du 8 juillet 2010 modifiant le régime des matériels de guerre, armes et munitions a institué un régime d’autorisation administrative d’ouverture pour les armuriers ; un amendement visant à soumettre les armuriers à un agrément individuel a également été voté dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Mais c’est bien parce qu’il est apparu que l’encadrement juridique des armes à feu ne répondait plus à l’objectif de préservation de la sécurité publique que la commission des lois a créé en octobre 2009 une mission d’information sur les violences par armes à feu et l’état de la législation.

Ce texte fait suite aux conclusions du rapport de cette mission ; il se fixe plusieurs objectifs qui vont dans le bon sens : établir une classification plus lisible et conforme à la réelle dangerosité des armes ; mettre en place une action préventive à l’égard des détenteurs d’armes représentant un danger pour eux-mêmes ou pour la société ; réprimer plus sévèrement et plus efficacement les trafics d’armes, avec la volonté politique et toutes les implications que cela suppose, notamment s’agissant de l’argent et de son blanchiment, ce qui pour nous est essentiel.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. André Chassaigne. Enfin, il propose d’assurer la traçabilité des armes en renforçant l’efficacité des fichiers recensant les armes à feu et leurs détenteurs.

Si – vous le savez, mes chers collègues – nous ne sommes pas pour le recours systématique au fichage des citoyens, la question de la détention d’armes fait exception, eu égard aux risques encourus pour la sécurité publique. Cette question sort en effet du domaine du fichage injustifié des citoyens auquel on nous a, hélas ! peu à peu habitués.

Nous avons pris acte du fait que le texte qui nous est proposé est issu d’une réelle concertation et répond aux attentes des chasseurs, des tireurs sportifs, des amateurs de ball-trap, des collectionneurs et des armuriers.

Au-delà de notre accord sur ce texte et des avancées unanimement approuvées, je souhaite soulever quelques interrogations.

L’article 1er renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des « matériels, armes, munitions, éléments essentiels, accessoires et opérations industrielles compris dans chacune des catégories établies ». On peut regretter que cette détermination ne revienne pas au législateur.

Je souhaiterais plus particulièrement évoquer certaines armes de quatrième catégorie : les armes à impulsions électriques, permettant de provoquer un choc électrique à distance, et les armes à impulsions électriques de contact, permettant de provoquer un choc électrique à bout touchant, armes qui, comme les armes à feu, sont théoriquement interdites à la vente libre.

J’estime que, comme pour les armes à feu, le pouvoir exécutif doit, dans le décret, au moins interdire la vente aux particuliers des pistolets à impulsion électrique, puisque, comme l’a jugé le Conseil d’État dans sa décision du 2 septembre 2009, leur emploi « comporte des dangers sérieux pour la santé, résultant notamment des risques de trouble du rythme cardiaque, de syndrome d’hyperexcitation, augmentés pour les personnes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool, et des possibles complications mécaniques liées à l’impact des sondes et aux traumatismes physiques résultant de la perte de contrôle neuromusculaire ; que ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou indirectement la mort des personnes visées. »

Un contrôle renforcé quant au respect de ce contrôle devrait être effectué. Souvenons-nous que le comité de l’ONU contre la torture, dans un rapport sur le Portugal du 23 novembre 2007, indiquait au sujet du Taser que « l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que, dans certains cas, il peut même causer la mort. »

Je rappelle que des sénateurs communistes et du parti de gauche avaient déposé en 2010, avec d’autres, une proposition de loi visant à interdire l’utilisation d’armes de quatrième catégorie par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, ainsi que leur commercialisation ou leur distribution pour des polices municipales ou des particuliers.

Monsieur le ministre, lors des débats au Sénat, votre collègue Philippe Richert a répondu à ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat : « je rappellerai que le Taser est une arme non létale, ayant vocation à être classée dans la catégorie B, parmi les “armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention”. Cette arme a donc un usage parfaitement réglementé et elle remplit sa vocation opérationnelle. » Cette subtile distinction conduit à dire que ces armes ne sont mortelles que pour certaines personnes. Il reste que, lorsqu’on les emploie, on ne sait pas si les personnes susceptibles d’être atteintes font partie de celles pour lesquelles elles sont létales. Doit-on comprendre par ailleurs que le Gouvernement a toujours une appréciation très différente des risques soulevés par le comité de l’ONU contre la torture et la décision du Conseil d’État sur le Taser ? Nous pensons que ce n’est pas acceptable, et je vous propose d’y revenir dans nos débats.

De plus, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, à la suite de nombreux drames liés à l’usage par la police de ce type d’arme, a recommandé de ne pas utiliser le flash-ball « lors de manifestations sur la voie publique ». Dans ce domaine encore, il serait souhaitable que l’actuel débat apporte des avancées.

La CNDS rappelait en effet que cette arme, dont les policiers municipaux peuvent être équipés, risque de causer des blessures graves et irréversibles, d’autant que leurs trajectoires de tir sont imprécises. Elle soulignait en outre que des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ». Voilà près d’un an, le lundi 13 décembre 2010, à Marseille, un homme décédait victime d’un arrêt cardiaque après avoir reçu un tir de flash-ball d’un policier.

C’est pourquoi je renouvelle dans l’immédiat notre souhait de voir proclamer un moratoire pour l’utilisation de ces armes de quatrième catégorie par l’ensemble des forces de l’ordre et des polices municipales.

Enfin, monsieur le ministre, j’aimerais que vous apportiez dans ce débat des réponses précises concernant l’application du décret n° 2011-795 du 30 juin 2011. Celui-ci autorise les représentants de l’État, militaires et fonctionnaires en charge des missions de maintien de l’ordre public, à utiliser des armes à feu dans le cadre d’actions pour le maintien de l’ordre public, « en fonction des situations ».

En règle générale, seuls les grenades lacrymogènes et leurs lanceurs sont autorisés. Avec ce décret, il semble que dans les situations prévues au quatrième alinéa de l’article R. 431-3 du code pénal, c’est-à-dire lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre la force publique ou lorsque cette dernière est dans l’impossibilité de défendre autrement le terrain qu’elle occupe, il soit possible aux forces de sécurité d’utiliser le fusil à répétition de calibre 7,62 qui est une arme de guerre.

Puisque la France n’est ni en état de siège ni sous le coup d’une guerre civile, j’aimerais connaître l’intérêt de telles dispositions qui pourraient mettre en péril la vie des citoyens. Mon collègue Jean-Jacques Candelier vous avait interpellé par écrit à ce sujet, mais vous n’avez pas répondu.

Monsieur le ministre, même si cela ne conditionne pas notre vote positif, nous serons très attentifs aux réponses que vous nous apporterez sur ces points à propos desquels le Gouvernement n’a pas encore tranché.

Puisque j’ai évoqué une question écrite sans réponse de mon collègue Candelier, j’en profite pour rappeler que les réponses de votre ministère aux questions des députés sont une denrée rare. Il va jusqu’à ne pas répondre à certaines questions signalées, comme cela a été le cas pour la question n° 116 558 posée le 16 août 2011 et signalée le 8 novembre 2011. Il est pourtant convenu que les questions signalées obtiennent une réponse dans les quinze jours qui suivent. Le respect de la représentation nationale passe aussi, monsieur le ministre et peut-être prochain député, par la prise en compte de certaines petites règles républicaines qui organisent les relations entre le Gouvernement et notre assemblée.

Pour conclure, je rappellerai les engagements du ministre Hortefeux en première lecture concernant les armes blanches, et plus particulièrement les couteaux fermants. Vous comprendrez que cette question m’intéresse tout particulièrement en tant que député de Thiers. Ces armes relèvent de la catégorie D ; leur acquisition et leur détention demeurent libres. Cependant, cette proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d’État, soumettant l’acquisition et la détention de certaines d’entre elles à des obligations particulières. Je ne doute pas que la rédaction de ce décret sera attentive aux particularités que représentent les couteaux pour notre patrimoine industriel ni que vous confirmerez les propos apaisants sur ce point de votre prédécesseur auvergnat.

Et puisque vous évoquiez le dynamique et efficace comité Guillaume Tell, je suis convaincu que vous n’interpréterez pas mes différentes interrogations comme un ver glissé artificiellement dans la pomme d’un exceptionnel consensus. (Sourires.)

M. Daniel Vaillant. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette deuxième lecture de la proposition de loi sur le contrôle des armes, nous arrivons au terme d’une procédure législative que l’on peut qualifier d’exemplaire.

C’est notre commission des lois qui s’est interrogée sur la pertinence d’un dispositif qui remontait pour l’essentiel à 1939, c’est-à-dire à une période troublée où tout détenteur d’une arme à feu était regardé comme constituant une possible menace pour l’ordre public.

C’est une mission d’information, présidée par Bruno Le Roux, député SRC, et rapportée par Claude Bodin, député UMP, qui a conclu à la nécessité de réformer.

C’est notre assemblée qui lors de la première lecture a fait prévaloir ces idées qu’une arme n’est dangereuse que si elle est utilisée d’une manière dangereuse, qu’il faut donc traiter d’une manière différente, d’un côté les propriétaires et les utilisateurs pacifiques – chasseurs, tireurs sportifs, collectionneurs – et de l’autre ceux qui menacent la sécurité publique ; qu’il est par conséquent nécessaire de supprimer les tracasseries qui pèsent sur les premiers et de renforcer les contrôles sur la cession des armes pour éviter qu’elles tombent dans de mauvaises mains ; qu’il faut être impitoyable dans la lutte contre le trafic et l’utilisation délictuelle des armes.

Je voudrais féliciter la commission des lois pour sa lucidité et son pragmatisme dans cette approche, et pour la qualité des échanges qu’elle a constamment entretenus avec les professionnels qui produisent, vendent ou utilisent des armes et les associations, c’est-à-dire les chasseurs, les sportifs, les collectionneurs. Ces compliments s’adressent tout particulièrement à Jean-Luc Warsmann, président de la commission, et à Claude Bodin, rapporteur du texte après avoir été rapporteur de la mission d’information.

Je souhaite également saluer l’approche de ce texte par la Haute assemblée en première lecture. Le Sénat partage pour l’essentiel les analyses de notre assemblée sur la nécessité de simplifier la législation, d’instaurer des obligations graduées selon non seulement les caractéristiques des armes mais aussi la nature des détenteurs, de durcir les sanctions à l’encontre des délinquants et des trafiquants, notamment par le prononcé obligatoire de peines complémentaires.

La plupart des modifications que propose la Haute assemblée ne portent atteinte ni à l’équilibre ni à l’efficacité de la réforme que nous souhaitons.

Il reste à présent à mettre au point les derniers réglages. Et il était important que cet exercice soit fait non seulement en pleine transparence à l’égard des professionnels et des associations, mais également avec leur participation. Comment, à cet effet, ne pas saluer l’initiative prise par la commission des lois d’organiser, le 12 janvier dernier, la table ronde qui a permis à chacun de préciser ses positions ?

Il nous reste quatre points majeurs à trancher.

Le premier concerne le champ des dérogations apportées à l’interdiction d’acquisition et de détention des armes de la catégorie 1. Il est clair que ces dérogations doivent être très strictement limitées. Toutefois, il est indispensable que certains services publics ou certaines professions puissent en bénéficier. Il s’agit des services opérationnels, civils ou militaires, chargés de la sécurité publique, mais aussi des entreprises privées qui sont en relation étroite avec ces services et qui sont exposées à des risques majeurs. Je pense notamment aux convoyeurs et à certaines sociétés de gardiennage ou de surveillance. Sur ce point, la position exprimée par la commission des lois me paraît procéder d’une appréciation très lucide – hélas ! – de la situation.

Le deuxième point concerne les conditions d’acquisition des armes de catégories B et C. Il faut simplifier les procédures, mais il faut également sécuriser les transactions. Les précisions préconisées par la commission des lois me paraissent à cet égard particulièrement bienvenues.

Le troisième point porte sur les droits qui s’attachent à la possession d’une carte de collectionneur. La détention d’une carte simplifiera considérablement la vie des collectionneurs. Dès lors qu’ils auront satisfait aux conditions fixées par la loi, conditions qui ont été durcies par le Sénat, ils ne seront plus tenus de disposer d’un permis de chasser ou d’une licence de tireur sportif des armes de catégories C et D. Reste la question des munitions neutralisées, sur laquelle le Gouvernement manifeste des réticences. Nous en débattrons dans un instant.

Le quatrième point concerne les conditions de transport et de port d’armes, pour lesquelles la solution proposée par la commission des lois tient compte des observations justifiées formulées par les chasseurs : plus de souplesse pour le transport des armes de chasse puisque les chasseurs pourront légitimement transporter ces armes même si leur permis de chasser n’a pas été validé l’année en cours ou l’année précédente ; en revanche, plus de rigueur pour le port d’une arme de chasse, en action de chasse ou pour une activité qui y est liée, la détention d’un permis de chasse, validé l’année en cours ou l’année précédente étant dans ce cas requise.

Je ne doute pas que, sur ces différents points, notre assemblée saura trouver un très large consensus, en plein accord avec le Gouvernement.

En définitive, les débats parlementaires auront permis d’aboutir à une large convergence de vues entre la majorité et l’opposition, entre l’Assemblée nationale et le Sénat, entre le Parlement et le Gouvernement.

Dans cet hémicycle où les affrontements sentent parfois la poudre (Sourires), il aura fallu que l’on traite de la législation des armes pour que les tensions s’apaisent et que le consensus se fasse. À l’approche des débats du printemps, serait-ce le signe annonciateur de l’émergence d’une démocratie apaisée ? On peut bien sûr rêver.

M. Pierre Lang. Si vis pacem, para bellum !

M. Michel Diefenbacher. En tout état de cause, c’est en toute lucidité que le groupe UMP adoptera cette réforme qui devrait satisfaire aux exigences, en général si difficiles à concilier, de la sécurité et de la liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc saisis, en deuxième lecture, d’un texte de loi très attendu par les différents utilisateurs légaux d’armes à feu.

Très attendu car il constitue un grand progrès par rapport à la législation actuelle, qui est une accumulation de dispositions prises à la suite du décret-loi de 1939.

Très attendu aussi car, grâce au travail du président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, de l’excellent rapporteur de la proposition, Claude Bodin, et du président de la mission parlementaire, Bruno Le Roux, ce texte répond quasiment à l’ensemble des attentes légitimes des chasseurs, des tireurs sportifs, des amateurs de ball-trap, des collectionneurs et des armuriers.

Cette proposition de loi fait remarquablement consensus, probablement grâce au travail de concertation et de dialogue entre les pouvoirs publics et la société civile, qui a abouti à un diagnostic partagé sur la nécessité d’une réforme profonde du cadre hérité d’avant la seconde guerre mondiale.

Ce cadre ne correspond plus aux nécessités de la protection de l’ordre et de la sécurité publics et constitue une source de démarches parfois inutiles et de complexité injustifiée pour les utilisateurs légaux d’armes.

Ainsi, l’excessive complexité de la réglementation actuelle est préjudiciable, tant pour les citoyens que pour les administrations chargées de son application.

Si, malheureusement, aucune société n’est à l’abri de comportements déviants, les pouvoirs publics n’en doivent pas moins s’efforcer de trouver le moyen de garantir la sécurité publique sur tout le territoire sans remettre en cause l’exercice de passions individuelles. Monsieur le rapporteur, votre texte parvient, d’un côté à garantir les droits des honnêtes gens et, de l’autre, à mieux réprimer ceux qui utilisent ou seraient tentés d’utiliser des armes à feu dans un cadre délictueux et criminel.

Ainsi, votre texte a trouvé un certain équilibre entre la nécessaire réglementation de l’accès aux armes à feu pour toutes celles et tous ceux qui détiennent ou souhaitent détenir légalement, et de la manière la plus pacifique, des armes à leur domicile, parce qu’ils sont collectionneurs, chasseurs ou encore tireurs sportifs, et la nécessaire législation permettant de mener aussi efficacement que possible le combat contre ceux qui utilisent les armes à feu dans un cadre inapproprié et illégal.

Il me semble que l’introduction de la notion de dangerosité comme principe de classement des armes constitue une importante innovation juridique. Celle-ci traduit la volonté de mettre fin au classement actuel, selon lequel des armes d’une dangerosité comparable peuvent se trouver dans des catégories différentes.

Toutefois, si cette notion de dangerosité pour le classement des armes constitue une amélioration, il n’en reste pas moins que la dangerosité est un terme subjectif et peut donc être sujet à interprétation.

Des associations qui ont rappelé les avancées significatives de votre proposition de loi craignent néanmoins, et cela semble être du vécu, que le pouvoir réglementaire n’applique un classement des armes différent en décidant seul, sans concertation, sans expertise, et que ce même pouvoir réglementaire modifie unilatéralement ce classement suivant les circonstances ou l’actualité du moment.

Afin de prévenir le risque d’instabilité réglementaire qui fait craindre aux détenteurs d’armes d’en être dépossédés du jour au lendemain, je souhaite que le ministre puisse les rassurer en apportant des garanties.

Enfin, je me réjouis que cette proposition de loi comporte des dispositions favorables aux collectionneurs d’armes, en particulier le fait que la date en deçà de laquelle une arme est considérée comme arme de collection soit repoussée, sauf dangerosité particulière, à 1900.

Je suis également satisfait de la création du statut de collectionneur qui permet de reconnaître la possibilité au titulaire de ce statut d’acquérir et de détenir des armes soumises à déclaration, la collection constituant désormais un motif légitime d’acquisition et de détention dont la justification permet de ne plus avoir à obtenir la qualité de chasseur ou de tireur sportif.

Ces nouvelles dispositions vont assurer une meilleure préservation de notre patrimoine et une meilleure conservation de matériels présentant un intérêt historique, technique, industriel ou culturel indéniable.

En effet, ces objets représentent un élément du patrimoine commun en tant que vestiges de périodes souvent malheureusement douloureuses de l’histoire de notre pays.

Mes chers collègues, la proposition de loi prévoit un cadre juridique moderne, équilibré, simplifié et adapté aux nouvelles contraintes du contrôle des armes. L’objectif était de parvenir à un texte cohérent, assurant l’efficacité du contrôle de la circulation des armes. Il me semble que nous nous en sommes bien approchés. Je pense que nous le devons probablement au fait que ce texte a été consensuel et a dépassé les clivages politiques traditionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collèges, rassurez-vous, je n’allongerai pas le débat, d’autant que mon collègue Pascal Brindeau s’est déjà exprimé.

Je tiens tout d’abord à remercier le rapporteur, Claude Bodin. Je suis membre de la commission des lois depuis quelques législatures et je veux saluer la méthode qui y a été utilisée et que le ministre a rappelée : un rapport parlementaire, une mission d’information, un groupe de travail composé de personnes concernées par le texte, notamment les collectionneurs qui se posaient beaucoup de questions.

L’enjeu était considérable, puisqu’il s’agit de la sécurité.

Je salue l’esprit de responsabilité de l’un de vos prédécesseurs, Daniel Vaillant. Quand je l’entendais parler à la tribune, je me disais que, grâce à la grandeur de la fonction de ministre de l’intérieur, les clivages pouvaient parfois s’estomper au nom d’une cause telle que la sécurité.

C’est un défi. Nous sommes tous au contact de nos populations mais également des forces de police, qui sont confrontées à cette dangerosité et cette violence de plus en plus graves, avec des armes de plus en plus inquiétantes. Vous avez cité l’exemple de Marseille mais on aurait pu évoquer la criminalité organisée de façon plus large.

Il s’agit d’un texte d’équilibre. La nouvelle classification va permettre de sécuriser, de conforter ceux qui possèdent des armes en toute légalité – vous avez cité les collectionneurs, les chasseurs et les sportifs –, et de lutter contre la grande criminalité organisée.

Je ferai miennes les interrogations d’André Chassaigne : nous ne devons pas sous-estimer les armes blanches. Nous avons été, dans l’Ouest et plus particulièrement en Loire-Atlantique, marqués par des drames épouvantables. Je pense aussi à ce film, Scream, à la publicité qui en a été faite dans le métro, à l’utilisation d’armes blanches qu’il met en scène… Nous avons vu à quel point cela pouvait déboussoler un certain nombre de personnes. Aussi ne faut-il pas oublier les armes blanches.

Outre une nouvelle classification, la lutte contre les trafics d’armes, ce texte prévoit deux fichiers qui, pour une fois, font l’unanimité. C’est que la création de fichiers est mise au service de la sécurité pour une plus grande efficacité.

Vous n’êtes par ailleurs pas sans savoir, monsieur le ministre, que je suis en mission auprès du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, pour réfléchir sur les institutions que la France accueille en matière de sécurité. Pourquoi ne pas élargir la présente problématique au niveau européen ?

La France, si elle adopte ce texte, se situera plutôt à la pointe en matière de lutte contre tous les trafics d’armes et contre la criminalité organisée. Le ministre de l’intérieur ainsi que Daniel Vaillant le savent bien : c’est là aussi un défi pour les autres pays européens. Peut-être, monsieur le ministre, y aurait-il une dimension à donner à ce texte afin de mieux coordonner la lutte contre les trafics au plan européen.

Comme notre collègue Pascal Brindeau, j’apporte le soutien des députés du groupe Nouveau Centre à l’immense travail accompli par le rapporteur Claude Bodin, travail dont je le remercie.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Je salue à mon tour l’esprit qui caractérise ce débat, et en particulier l’intervention de mon prédécesseur, Daniel Vaillant.

Ce qui fera sans doute le plus plaisir à M. Chassaigne sera d’apprendre que les couteaux de la ville de Thiers seront en détention libre. C’est que le Gouvernement, comme lui, se soucie de cette grande tradition industrielle française.

Pour ce qui est des flashballs, ils seront classés en catégorie B ou C selon leur puissance de tir, et les tasers, les appareils à impulsion électrique, pour employer une expression plus générique, sont et resteront interdits.

M. Chassaigne a évoqué un moratoire pour l’utilisation de ces équipements par les forces de l’ordre. Ces armes ne sont pas complètement sans danger mais j’appelle l’attention sur le fait qu’elles permettent d’éviter l’utilisation des armes à feu, des armes létales. Le Gouvernement n’entend donc pas en enlever l’utilisation aux forces de l’ordre. J’ajoute que, compte tenu des conditions très rigoureuses en opérations, difficiles à interpréter en matière de légitime défense, il est parfois très important de disposer d’un pistolet à impulsion électrique plutôt que d’hésiter à utiliser une arme à feu.

M. Verchère a évoqué quant à lui la question importante de la stabilité de la réglementation et de sa pertinence, en aval par conséquent du travail du législateur. Je lui confirme que les décrets seront préparés en relation avec les représentants des différentes catégories d’utilisateurs. J’ajoute que si certains d’entre vous souhaitent, étant donné la spécialité qu’ils ont acquise, s’associer à ces travaux, j’en serai heureux.

Michel Hunault a envisagé l’éventualité d’un élargissement au niveau européen de la réflexion sur la réglementation des armes. Je souscris tout à fait à cette démarche. Récemment, dans un domaine de sécurité, nous avons pu vérifier la pertinence d’une extension de la réflexion au plan européen : il s’agissait de la réglementation sur les achats d’or. Nous pouvons tous constater, dans les journaux, la grande abondance de publicités à ce sujet, et l’augmentation des cours de l’or entraîne incontestablement une recrudescence des vols. La réglementation en la matière est assez sévère et, par exemple, les acheteurs d’or ne peuvent payer en liquide. Seulement, il suffit d’aller dans des pays limitrophes pour que cela soit possible. Une réflexion européenne est donc utile.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lang, inscrit sur l’article 1er.

M. Pierre Lang. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’il y a près d’un an j’avais soulevé la question importante du lien qu’il ne fallait pas faire entre la dangerosité de l’arme, c’est-à-dire la capacité à tirer en rafales ou avec des chargeurs importants, et le calibre. Établir ce lien mettrait le texte en grande difficulté par rapport à la législation en vigueur partout ailleurs en Europe et rendrait chaque chasseur européen utilisant un calibre autorisé chez lui en toute légalité passible des poursuites les plus graves en France.

Si je me réfère à un catalogue qu’on trouve chez tous les armuriers, il existe une quarantaine de calibres courants. Une dizaine, toujours dans ce catalogue, sont marqués d’un astérisque indiquant qu’il s’agit de calibres qui, en France, ont été un jour utilisés par des armées ou le sont encore, et de ce fait sont interdits puisque classés dans la catégorie A.

Dans l’alinéa 11 de l’article 1er, on a retiré la notion de calibre, et je félicite les députés et les sénateurs pour leur travail. En revanche, l’alinéa 12 m’inquiète beaucoup : il prévoit que, par dérogation, on pourrait à nouveau classer des armes en catégorie A ou B en fonction de leur calibre.

Bien sûr, les calibres des mitrailleuses lourdes n’intéressent pas les chasseurs.

M. Claude Bodin, rapporteur. Il vaut mieux !

M. Pierre Lang. Bien sûr, la kalachnikov n’est pas une arme de chasse puisqu’elle est automatiquement classée dans la catégorie A.

Reste que les calibres les plus usuels, ceux qui figurent dans le catalogue cité, y compris le 308 Winchester, qui est le calibre de l’OTAN, mais aussi le 223 Remington, équivalent au 5,56 x 49 utilisé par l’OTAN, sont couramment utilisés par les chasseurs étrangers des pays limitrophes. Nous ne voudrions pas mettre en prison les chasseurs allemands, belges ou luxembourgeois, possesseurs de telles armes, parce qu’ils auraient traversé nos frontières pour chasser en toute légalité, pourvus d’un permis européen légal.

Un arrêté ministériel d’une telle nature serait automatiquement soumis à une juridiction européenne. Je souhaite par conséquent, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions et des garanties à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Je suis en mesure de rassurer M. Lang. En effet, l’alinéa qu’il cite vise précisément une arme du type de la kalachnikov. En revanche, les autres armes qu’il a mentionnées, comme la 223 Remington ou la 308 Winchester, ont vocation à être classées en catégorie C, c’est certain.

Un travail fin de classification reste à réaliser au niveau réglementaire mais, je le répète, les professions seront associées à la rédaction des textes réglementaires et si des parlementaires le souhaitent, comme vous-même qui suivez de très près les questions relatives à la chasse, ils seront les bienvenus.

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 1.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Bodin, rapporteur. Il s’agit de mettre en cohérence, d’une part, l’article 1er instituant le classement des matériels et des armes et, d’autre part, les dispositions de l’article 3 qui fixent leurs conditions d’acquisition et de détention.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Favorable.

(L’amendement n° 1 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 2 rectifié.

M. Claude Bodin, rapporteur. Cet amendement se justifie par le fait que la notion d’accessoire ne repose sur aucune définition juridique et qu’il importe donc d’en supprimer la mention dans l’énoncé des catégories constitutives du classement des matériels et des armes.

(L’amendement n° 2 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Claude Bodin, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.

(L’amendement n° 3, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n° 29.

M. Charles de Courson. Cet amendement vise à substituer aux alinéas 10 à 12 trois alinéas qui précisent davantage les futures classifications en quatre catégories.

Il s’agit d’obtenir une plus grande stabilité et une plus grande sécurité juridiques ainsi qu’une meilleure harmonisation dans les classements par catégories pour les citoyens détenteurs légaux d’armes. En effet, si la description précise du contenu des quatre catégories peut relever du pouvoir réglementaire, il ne fait pas de doute qu’elle doit impérativement consister en la transcription fidèle des obligations de la directive sans évoquer de notions imprécises et floues comme la dangerosité. En effet, monsieur le ministre, la dangerosité concerne plutôt celui qui porte l’arme et non l’arme en elle-même.

M. Philippe Boënnec. Ça se discute !

M. Charles de Courson. Une arme n’est pas dangereuse en soi.

Pour simplifier le dispositif, il s’agit, je l’ai dit, de proposer un classement en quatre catégories. La catégorie A concernerait les armes automatiques et les matériels de guerre – canons, chars, missiles, puisque certains ont encore des collections de ce type. Dans la catégorie B, on classerait les armes à feu courtes à répétition ainsi que les armes à feu longues semi-automatiques pouvant tirer plus de trois coups. Figureraient notamment en catégorie C les armes à feu longues à répétition à canon rayé, quel que soit leur calibre, tandis que les armes de chasse à un coup à canon lisse seraient classées en catégorie D, tout en étant soumises à enregistrement lors de leur acquisition. Les autres armes, armes blanches, historiques et de collection, resteraient en vente et détention libres, elles aussi en catégorie D.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Défavorable pour trois raisons. D’abord, il ne semble pas utile de faire référence à la directive européenne du 18 juin 1991 puisque, suivant la jurisprudence du Conseil d’État, les actes administratifs doivent nécessairement respecter les directives européennes.

Ensuite, la réécriture de l’alinéa 11 telle que la propose l’amendement apparaît très problématique car elle supprime la notion fondamentale de dangerosité.

M. Daniel Vaillant. Absolument !

M. Claude Bodin, rapporteur. La rédaction que vous proposez remet en cause le consensus qui se dégage entre l’Assemblée et le Sénat et même, au-delà, avec les utilisateurs et le Gouvernement, sur les critères d’appréciation de cette dangerosité et sur le caractère subsidiaire du calibre parmi eux.

Enfin, les modifications proposées n’améliorent pas la qualité du texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Pour les mêmes raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n° 29 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n° 30.

M. Charles de Courson. Je le retire également, madame la présidente, par cohérence.

(L’amendement n° 30 est retiré.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n° 31.

M. Charles de Courson. Il s’agit du problème un peu technique de la neutralisation des armes. L’amendement n° 31 a pour objet de préciser que les munitions et chargeurs neutralisés sont bien en catégorie D, le terme de neutralisation étant reconnu juridiquement. En effet, la directive européenne de 2008 définit ainsi l’arme à feu : « On entend par arme à feu toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible. » Or l’épave d’une arme à feu est un bloc de rouille compacte dont la culasse ne fonctionne pas. Ce n’est donc pas une arme à feu. Elle peut être classée dans les armes de collection ou exclue de la législation sur les armes.

Bien sûr, monsieur le ministre, si vous nous précisez que ce sera le cas, je retirerai l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Cet amendement inclut dans la définition des armes historiques et de collection les munitions neutralisées et les épaves d’armes. L’amendement que j’aurai l’occasion de présenter à l’article 8 étend déjà le champ de ce qui peut être acquis et détenu par les titulaires d’une carte de collectionneur d’armes aux munitions neutralisées, suivant un dispositif spécifique.

S’agissant des épaves d’armes, la notion ne repose sur aucune définition juridique établie, ni en droit français ni dans la directive européenne du 18 juin 1991 à laquelle, cher collègue, vous faisiez précédemment référence. Des critères satisfaisants apparaissent difficiles à définir dans l’immédiat ; il vaut mieux que la notion fasse l’objet d’un examen approfondi, dans le cadre d’une réflexion plus globale sur les collections d’armes. J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Même avis que le rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. M. le rapporteur fait quelques ouvertures, dans l’amendement qu’il vient de rappeler, au sujet de la neutralisation des armes. S’agissant des épaves d’armes, inaptes au tir, il est par contre resté flou, hésitant. Le danger, c’est que certains requalifient une arme inapte au tir comme une arme pure et simple. Dès lors que d’anciennes armes sont inaptes au tir, classons-les parmi les armes de collection.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Bodin, rapporteur. La notion est aujourd’hui très floue. Ce que je propose et que j’ai indiqué dans ma réponse, c’est que nous prenions le temps et le recul nécessaires pour examiner ce problème avant de prendre la décision d’inclure ou non les épaves d’armes parmi les armes de collection.

M. Charles de Courson. Je retire l’amendement.

(L’amendement n° 31 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination n° 4 de M. le rapporteur.

(L’amendement n° 4, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n° 28.

M. Charles de Courson. L’amendement n° 28 pose une vraie question, car le droit français est pour le moment calé sur 1946 et non sur 1950.

Il s’agit de mieux assurer la préservation du patrimoine et la conservation de matériels détenus par des particuliers ou des associations, et qui présentent un intérêt historique, technique, industriel ou culturel indéniable quant au devoir de mémoire. La date de 1950 correspond à des critères techniques précis ainsi qu’à des exigences communautaires et européennes. Il me semble donc qu’il vaut mieux caler le dispositif sur cette date plutôt que sur l’actuelle date de 1946, afin d’éviter tout problème pour les années entre 1946 et 1950.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Défavorable. Cet amendement reporte au 1er janvier 1950 la date de conception au-delà de laquelle les matériels de guerre ne peuvent entrer dans le champ des armes historiques et de collection. L’alinéa 9 de l’article 2 permet de dépasser cette question du millésime puisqu’il évoque « les matériels de guerre relevant de la catégorie A2 dont le modèle est postérieur au 1er janvier 1946 et dont la neutralisation est garantie dans les conditions prévues au 4° et qui sont énumérés dans un arrêt du ministre de la défense compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique ». Le texte ouvre donc déjà considérablement les possibilités de collection, dans le respect de la sécurité publique.

Par ailleurs, sur ce dossier, il existe un consensus avec le Sénat sur la date du 1er janvier 1946. M. le sénateur César, dans son rapport sur l’évolution du cadre juridique applicable aux collectionneurs d’armes et de matériels de guerre de collection, l’a de fait retenue comme permettant de procéder à un examen au cas par cas des matériels à déclasser de manière pertinente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Défavorable également. J’ajouterai deux arguments. Tout d’abord, les progrès technologiques entre 1945 et 1950 ont été considérables en ce qui concerne les performances des armes ; en termes de sécurité, c’est un élément que nous devons avoir à l’esprit. Ensuite, il existe une cohérence entre la date de 1946 et certaines réglementations européennes.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je ne suis pas du tout d’accord, monsieur le ministre. C’est l’inverse : si vous avez ouvert cette possibilité, comme l’a rappelé M. le rapporteur, c’est précisément afin de décaler la date pour toute une série d’armes. Il existe une catégorie un peu bizarroïde entre 1946 et 1950 ; certaines armes basculeront et d’autres non. Ce n’est pas très clair. Cela dit, il y a des sujets plus importants ; je retire l’amendement.

(L’amendement n° 28 est retiré.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Avant l’article 3

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 5 rectifié tendant à introduire un article additionnel avant l’article 3.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Bodin, rapporteur. Cet amendement se justifie par le fait que la notion d’accessoire ne repose sur aucune définition juridique.

(L’amendement n° 5 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. À l’article 3, je suis saisie d’un amendement n° 32.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Voilà un bel amendement qui plaira, j’en suis sûr, au ministre de l’intérieur ! (Sourires.) Il y a aux États-Unis un grand débat sur ce sujet depuis trente ou quarante ans : a-t-on le droit, en démocratie, de priver les citoyens du droit de porter des armes ?

M. Michel Hunault. Pour des raisons de sécurité !

M. Charles de Courson. Pour des raisons de sécurité, bien sûr, mais chacun sait que l’interdiction ne fait pas régresser les attaques à main armée.

C’est un amendement de principe, qui dispose : « L’État garantit aux citoyens le droit d’avoir des matériels, armes et munitions, ces derniers ayant le devoir de respecter les conditions prévues par la loi pour les acquérir et les détenir. » C’est l’inverse de l’attitude française qui consiste à interdire tout et à autoriser par exception. Il serait beau, monsieur le ministre, de dire : « Nous faisons confiance au citoyen ! » Il faut sortir de ce modèle de société qui, systématiquement, commence par interdire et autorise ensuite certaines choses. Ce serait une démocratie plus équilibrée.

Je ne me fais cependant aucune illusion sur votre position. Tous vos conseillers vont bien sûr vous expliquer qu’il ne faut surtout pas reconnaître le droit des citoyens à porter des armes dans le respect des conditions fixées par la loi.

M. André Chassaigne. M. de Courson veut porter l’épée ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Cet amendement est davantage l’affirmation d’une position philosophique qu’une modification profonde du texte sur des aspects techniques. Je crois avoir déjà dit, en première lecture, qu’à nos yeux, acquérir et détenir des armes est un droit,…

M. Charles de Courson. Très bien !

M. Claude Bodin, rapporteur. …évidemment assorti de devoirs et d’obligations. Dans la mesure où je l’ai affirmé en tant que rapporteur, il ne me paraît pas nécessaire de le redire par un amendement qui vient modifier l’article 3 sans grande nécessité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est tenté de demander à M. de Courson de retirer son amendement. Le texte tout entier crée des droits au profit des personnes qui ont envie de disposer d’armes de façon légitime, que ce soit pour la chasse, le tir sportif ou la collection. Il ne me semble pas nécessaire d’affirmer un droit supérieur. Sur le fond, je rejoins volontiers sa philosophie politique : c’est la liberté qui droit primer.

M. Charles de Courson. Voilà !

M. Claude Guéant, ministre. Il me permettra toutefois d’ajouter, en tant que ministre de l’intérieur, que plus il y a d’armes en circulation, plus les dangers sont grands.

M. André Chassaigne. Évidemment !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Vaillant.

M. Daniel Vaillant. Il peut arriver que je sois d’accord avec M. le ministre de l’intérieur.

M. Michel Hunault. Quel consensus !

M. Daniel Vaillant. Ce n’est pas en l’occurrence sur la notion de liberté, car je ne crois pas que le droit de porter une arme soit une liberté. Quand M. de Courson fait allusion à la philosophie américaine en matière de détention d’armes, cela me fait même froid dans le dos. Il faut en rester aux propos du rapporteur, au travail effectué en commission. En matière de droits, il y a quand même autre chose à défendre que le droit de porter une arme !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur l’ancien ministre de l’intérieur, si je peux le dire avec humour, vous êtes contre-révolutionnaire ! (Sourires.) Avez-vous relu la discussion de la nuit du 4 août 1789 et la fameuse intervention du comte de Mirabeau, qui rappelait que, jusque-là, seuls les aristocrates avaient le droit de porter des armes ? Vous avez un comportement aristocratique (Rires)

M. Daniel Vaillant. Certainement, monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. …puisque, au lieu de dire, comme au moment de la Révolution française, que tout être libre a le droit de porter des armes dans le respect de la loi, vous voulez revenir sur le vote de la nuit du 4 août 1789. Avouez que, dans l’histoire politique française, on aura tout vu !

Ce qui m’étonne, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, c’est que vous êtes au fond d’accord avec mon amendement. Adoptons-le donc !

M. Claude Guéant, ministre. Je n’ai pas dit que j’étais d’accord !

M. Charles de Courson. Vous avez dit que vous aviez la même philosophie. Le principe, c’est la liberté de porter des armes.

Mme la présidente. Retirez-vous l’amendement, monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. Non, madame la présidente !

(L’amendement n° 32 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination n° 6 du rapporteur.

(L’amendement n° 6, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 23 et 24, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. Charles de Courson, pour présenter ces deux amendements.

M. Charles de Courson. L’amendement n° 23 est de bien moindre portée que le précédent. Il a pour objet de permettre au Conseil d’État d’apporter les précisions nécessaires aux conditions de délivrance des autorisations d’acquisition et de détention des armes anciennes de catégorie B pour l’exercice de la collection. En effet, il permettra, notamment, aux organismes d’intérêt général ou à vocation culturelle, historique ou scientifique, tels que les musées, ou encore les personnes qui contribuent, par la réalisation de collections, à la conservation, à la connaissance ou à l’étude des armes anciennes de catégorie B, de continuer à les acquérir et à les détenir. En tout état de cause, l’État doit garantir aux citoyens le respect de leur droit aux loisirs, inscrit au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dont vous vous souvenez tous, mes chers collègues.

L’amendement n° 24 est également un amendement de précision. Il a pour objectif de permettre au Conseil d’État d’apporter les précisions nécessaires aux conditions de délivrance des autorisations d’acquisition et de détention des armes de catégorie B pour l’exercice de la légitime défense.

Il serait intéressant que M. le ministre nous apporte quelques petites précisions sur ces questions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Ces deux amendements sont satisfaits ; je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable. En plus de préciser, à droit constant, les conditions d’acquisition et de détention des armes de catégorie B, le IV de l’article 3 comporte déjà une habilitation du pouvoir réglementaire suffisante pour permettre le maintien ou la reconduction des règles actuelles du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 pour le cas relativement singulier des organismes d’intérêt général ou à vocation culturelle, historique ou scientifique, ou encore les personnes qui contribuent, par la réalisation de collections, à la conservation, à la connaissance ou à l’étude des armes.

M. Michel Hunault. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Défavorable également.

Mme la présidente. M. de Courson me fait signe qu’il retire les deux amendements.

M. Charles de Courson. Puisqu’ils sont satisfaits !

(Les amendements nos 23 et 24 sont retirés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 35.

La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Monsieur le rapporteur, dans l’esprit des modifications apportées à l’article 3 par le Sénat, la commission, à votre initiative, a précisé plus nettement les formalités requises pour l’acquisition des armes de catégorie B. Cet amendement confirme que la licence de tir délivrée par une fédération sportive qui a reçu délégation au titre du code du sport est le seul titre permettant d’acquérir et de détenir des armes, éléments d’armes et munitions de la catégorie B. La disposition que le Gouvernement propose est conforme à la réglementation actuelle, qu’il ne s’agit pas de modifier sur ce point. L’amendement s’inscrit dans la logique d’amélioration de la lisibilité de la loi, comme je l’ai déjà évoqué.

(L’amendement n° 35, accepté par la commission, est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, les amendements n°s 26, 20 et 25 tombent.

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 5

(L’article 5 est adopté.)

Article 8

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 33.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il convient de confirmer l’existence d’un statut de collectionneur de munitions permettant de détenir des exemplaires non neutralisés en nombre limité, tout en évitant la constitution de dépôts de munitions. Aucun procédé de neutralisation des munitions n’est défini à ce jour et les cartouches de collection perdraient toute valeur historique en étant neutralisées. De plus, les munitions de collection ne présentent aucun intérêt à être utilisées et leur grande variété, voire leur péremption, induiraient par elles-mêmes une dispersion au tir les rendant impropres à cet usage.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. L’amendement est satisfait. Il vise à maintenir le dispositif remanié au Sénat en étendant le champ de la carte de collectionneur d’armes à la collection de munitions en précisant que cette carte, dont la dénomination serait en conséquence complétée, permettrait d’acquérir et de détenir un échantillonnage adapté à la collection. Mais, en l’état, la proposition de loi comporte déjà un dispositif spécifique encadrant l’acquisition et la détention de certaines munitions. Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

Mme la présidente. Monsieur de Courson ?...

M. Charles de Courson. Je le retire, madame la présidente.

(L’amendement n° 33 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de conséquence, n° 7, présenté à titre personnel par M. le rapporteur.

(L’amendement n° 7, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 37.

La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement a pour objet de supprimer la disposition introduite par la commission des lois visant à étendre la carte du collectionneur d’armes à celles de la catégorie D. En effet, inscrire les armes de la catégorie D soumises à enregistrement, normalement acquises en vue de la pratique de la chasse, sur la carte du collectionneur conduirait à un détournement de l’obligation de détenir un permis de chasser pour leur acquisition.

Par ailleurs, alors que la catégorie C intègre certaines armes historiques ou ayant un caractère patrimonial fort, celles de la catégorie D sont différentes, généralement plus utilitaires, et leur acquisition à un autre titre pourrait favoriser des activités de braconnage. Nous assiterions à une augmentation importante des acquisitions, à la constitution de stocks d’armes par des particuliers, stocks qui représenteraient une source d’approvisionnement importante pour le banditisme en cas de cambriolage. Je rappelle que chaque année environ 4 000 armes sont volées dans notre pays.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Il n’a pas été examiné par commission, mais je tiens à donner mon avis personnel. L’amendement porte suppression de la mention des armes de catégorie D soumises à enregistrement parmi celles que peuvent acquérir et détenir les titulaires de la carte du collectionneur d’armes créée à l’article 8. L’extension du statut du collectionneur résulte d’un amendement que la commission des lois a adopté à mon initiative. Nous avons en effet estimé que les modalités de délivrance de cette carte comportent suffisamment de garanties pour que l’acquisition et la détention des armes de catégorie D soumises à enregistrement ne mettent pas en cause la sécurité publique.

Cela étant,…

M. Charles de Courson. Ah !

M. Claude Bodin, rapporteur. …je comprends les appréhensions que peut susciter, dans le cas de la législation sur les armes, un statut relativement nouveau. Le dispositif que nous proposons doit sans doute faire ses preuves. C’est pourquoi je m’en remets au souhait du Gouvernement tout en espérant vivement que nous n’abandonnerons pas une véritable réflexion sur le statut du collectionneur, y compris s’il faut remettre sur la table le problème des armes de catégorie D.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Je comprends l’amendement du Gouvernement. Notre excellent rapporteur s’en remet à vous, monsieur le ministre, et, pour ma part, je pense que je vais voter votre amendement. Vous avez proposé une méthode tout à l’heure en disant que cette proposition de loi nécessiterait un suivi, invitant, au-delà du rapporteur, les membres des différents groupes parlementaires intéressés par cette question à suivre l’évolution de l’application du texte. J’ai cru comprendre que nous sommes parvenus à un équilibre, et je ne vois pas que votre amendement constitue une entorse à cet égard puisque vous avez raison de mettre l’accent sur ce que la commission n’avait peut-être pas vu : les conséquences des cambriolages, à savoir plusieurs milliers d’armes volées chaque année. Mais, monsieur le ministre, je souhaite un engagement de votre part que, dans le cadre du suivi de cette loi, nous pourrons en évaluer les effets.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Vaillant.

M. Daniel Vaillant. Dans la discussion générale, j’ai envisagé une clarification de la notion de collectionneurs, et je pense que cela correspond à l’état d’esprit de l’ensemble des députés tel qu’il est apparu lors de la discussion en commission des lois. Mais j’ai peur que nous mettions la charrue avant les bœufs. Un suivi de la loi, c’est très bien, mais je préférerais, si le rapporteur en était d’accord et si M. le ministre l’acceptait, que l’on retravaille sur ce sujet après l’adoption de cette proposition de loi car cet amendement n° 37, de même que l’amendement no 36, nous éloignent quelque peu du consensus sur lequel nous nous sommes exprimés positivement. Voilà pourquoi je suis réservé sur ces deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je suis hésitant sur l’amendement n° 37. Votre grand argument, monsieur le ministre, c’est que le dispositif de l’article 8 risquerait de conduire à un détournement de l’obligation de détenir un permis de chasser pour acquérir des armes de catégorie D. Mais si on veut acquérir une arme de chasse, ce n’est en réalité pas difficile. C’est pourquoi je trouve l’argument un peu faible. Si on pousse au bout votre raisonnement, je rappelle qu’il y a aussi des gens qui chassent parfois illégalement avec des armes de catégorie B ou C. Je trouve que la commission a plutôt raison et je serais plutôt contre cet amendement. Mais, monsieur le ministre, je n’en fais pas une affaire d’État.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Chacun sent bien une certaine gêne parce que nous sommes en train d’esquisser un statut dont les contours ne sont pas bien nets. Suivons la suggestion de M. Vaillant et celle de Michel Hunault, qu’il serait bien de poursuivre la réflexion et de mener cette affaire sans prendre aujourd’hui de risques, ce que permet précisément cet amendement.

(L’amendement n° 37 est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 36.

La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Il est dans le même esprit que l’amendement précédent : je ne me répéterai donc pas.

(L’amendement n° 36, accepté par la commission, est adopté.)

(L’article 8, amendé, est adopté.)

Article 10

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 10.

Articles 11 et 12

(Les ‘articles 11 et 12, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Article 13

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 13.

Articles 14 et 15

(Les articles 14 et 15, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Article 16

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 16.

Articles 17 à 20

(Les articles 17 à 20, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Article 21

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 21.

Articles 21 bis à 25

(Les articles 21 bis, 22, 23, 23 bis, 24, 24 bis et 25, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Article 27

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 8, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 8, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 27, amendé, est adopté.)

Article 28

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 9, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 9, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 28, amendé, est adopté.)

Article 29

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 10, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 10, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 29, amendé, est adopté.)

Article 30

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement, n° 11, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 11 est adopté.)

(L’article 30, amendé, est adopté.)

Article 31

(L’article 31 est adopté.)

Article 32

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 12, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 12, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 32, amendé, est adopté.)

Articles 32 bis, 32 ter et 33

(Les articles 32 bis à 33, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Article 35 A

(L’article 35 A est adopté.)

Article 35

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 14, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 14, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Estrosi, pour défendre l’amendement n° 17.

M. Christian Estrosi. D’une part, cet amendement vise à mieux assurer la préservation du patrimoine et la conservation de matériels présentant un intérêt historique, technique, industriel ou culturel indéniable ; en effet, il apparaît important que les musées, les collectivités locales, les organismes d’intérêt général à vocation culturelle, historique ou scientifique, ainsi que les personnes physiques participant à la préservation du patrimoine, puissent se porter acquéreurs dans les ventes publiques des matériels, armes, éléments d’armes et munitions des différentes catégories afin d’en assurer la préservation pour les générations futures.

D’autre part, l’amendement assure la transposition des catégories constitutives du nouveau classement des armes en remplaçant, à l’article L. 2336-2 du code de la défense, la mention de celles de l’ancien classement des armes et matériels.

(L’amendement n° 17, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 15, présenté par M. le rapporteur à titre personnel.

(L’amendement n° 15, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Kert, pour défendre l’amendement n° 22.

M. Christian Kert. Il s’agit d’un amendement de même nature que celui de M. Estrosi. C’est un véritable amendement patrimonial, monsieur le ministre, et je crois que votre sensibilité culturelle doit vous conduire à l’accepter.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. L’amendement est satisfait par l’adoption de celui de M. Estrosi. Je demande donc à M. Kert de bien vouloir le retirer.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Il est en effet satisfait par l’amendement de M. Estrosi. Mais nous pourrons retenir que la paternité de sa proposition est double. (Sourires.)

Mme la présidente. Monsieur Kert, retirez-vous votre amendement ?

M. Christian Kert. Je le retire, madame la présidente.

(L'amendement n°22 est retiré.)

(L’article 35, amendé, est adopté.)

Article 35 ter

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour défendre l’amendement n° 27.

M. Charles de Courson. Cet amendement vise à concrétiser le fait qu’aucune arme légalement détenue avant la publication des mesures réglementaires d’application de la présente loi ne sera classée en catégorie A1, conformément à l’accord conclu entre le comité Guillaume Tell, le ministre de l’intérieur et le ministre de la défense. Il est donc inutile de prévoir un cas de figure qui n’a pas de raison d’être.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Bodin, rapporteur. Le dispositif de l’alinéa 4 de l’article 35 ter garantit seulement la souplesse de l’ensemble du dispositif pour l’avenir : les technologies évoluent, de même que les nécessités de l’ordre public. Il n’anticipe pas un reclassement de certaines armes en catégorie A, la quasi-totalité des armes et des matériels de l’ancien classement ayant vocation à être reclassée dans des catégories B, C et D.

Je préconise donc le rejet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement partage l’avis du rapporteur.

(L’amendement n° 27 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 16 du rapporteur est de coordination.

(L’amendement n° 16, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 35 ter, amendé, est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles.

Je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Bodin, rapporteur. Je voudrais remercier tous les représentants des groupes, qui se sont exprimés ce soir et qui l’avaient déjà fait lors de la première lecture, de leur soutien et de leur vote puisque, comme en première lecture, le vote est acquis à l’unanimité.

Je voudrais aussi remercier tous ceux avec lesquels nous avons préparé cette proposition de loi : le ministère de l’intérieur avec la bienveillance du ministre en personne ; les utilisateurs des armes et notamment le comité Guillaume Tell ; les collaborateurs et administrateurs de la commission des lois qui ont apporté une aide précieuse à ce travail ; mes collègues Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann, eux aussi très présents lors de l’élaboration de ce texte.

5

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, jeudi 2 février 2012 à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinquante.)