Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Commission chargée des affaires européennes

mercredi 17 décembre 2008

10 heures

Compte rendu n° 81

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Examen du rapport d’information de M. Bernard Deflesselles, rapporteur du groupe de travail commun avec la Commission des affaires étrangères, sur le processus de réforme et d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne

II. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 17 décembre 2008

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à dix heures.

I. Examen du rapport d’information de M. Bernard Deflesselles, rapporteur du groupe de travail commun avec la Commission des affaires étrangères, sur le processus de réforme et d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. « Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Louis Bianco et moi-même avons accompli une mission en Turquie du 29 novembre au 2 décembre 2008, au nom du groupe de travail commun à la Commission des affaires étrangères et à la Commission chargée des affaires européennes, pour suivre le processus de réforme de la Turquie en vue de son éventuelle adhésion à l'Union européenne, à partir du rapport de progrès sur la Turquie pour 2008 établi par la Commission européenne, mais aussi d’une mission accomplie à Chypre en juin 2008.

La délégation a eu l’honneur et le privilège d’être reçue en audience par le Président de la République, M. Abdullah Gül. Elle a rencontré le Président de la Commission d’harmonisation avec l'Union européenne, M. Yazar Yakis, et le Président de la Commission des affaires étrangères, M. Murat Mercan, ainsi que des membres des deux commissions. Elle a également eu des entretiens avec des représentants des ONG, avec le vicaire patriarcal des Assyro-chaldéens, le Secrétaire général pour l'Union européenne auprès du Ministre des affaires étrangères ainsi qu’avec le Chef de la Délégation de la Commission européenne.

La délégation s’est réjouie d’avoir pu mener avec les plus hautes autorités et les responsables politiques rencontrés un débat de fond entre amis sur des enjeux fondamentaux, en particulier sur les raisons pour lesquelles la France est, aujourd’hui, opposée à une intégration.

Depuis l’ouverture des négociations le 3 octobre 2005, huit chapitres ont été ouverts, douze sont gelés et quinze sont à ouvrir. Parmi les douze chapitres gelés, huit le sont depuis le Conseil européen de décembre 2006, en raison du refus de la Turquie d’appliquer le protocole additionnel à l’accord d’Ankara étendant l’union douanière UE-Turquie à Chypre. Cinq chapitres directement liés à une adhésion sont bloqués par la France dont le chapitre agriculture également gelé au titre de l’extension de l’union douanière à Chypre.

La délégation a expliqué que le gel français n’empêche pas la négociation de progresser puisqu’il concerne cinq chapitres qui sont toujours examinés en fin de négociation et qu’elle peut se poursuivre sur les quinze chapitres à ouvrir, et même vingt-deux en cas d’extension de l’union douanière à Chypre. La présidence française de l'Union européenne va d’ailleurs s’efforcer d’en ouvrir deux à la conférence intergouvernementale du 19 décembre 2008 : société de l’information et médias, libre circulation des capitaux.

Le droit de veto de la République de Chypre dans la négociation est lié, même indirectement, au règlement de la question chypriote et pourrait constituer le véritable obstacle à la poursuite des négociations, dès 2009. Le nouveau Président de la République de Chypre a relancé avec le représentant de la Communauté chypriote turque des négociations pour mettre fin à la division de l’île, mais le temps presse dans la mesure où, depuis 1974, un fossé culturel, éducatif et politique s’est creusé entre les deux communautés. A la question de savoir si la Turquie était prête à appuyer dès maintenant un règlement de la question chypriote, les parlementaires turcs ont déclaré que la solution serait d’obliger la République de Chypre à accepter le règlement sur le commerce direct entre le Nord de l’île et l'Union européenne, avec ouverture parallèle par la Turquie de ses ports aux navires chypriotes. Mais s’il fallait choisir entre l'Union européenne et Chypre Nord, la Turquie choisirait Chypre Nord.

En deuxième lieu, il y a des raisons objectives d’inquiétude par rapport au cahier des charges des réformes fixé par l’Union européenne. Tout en soulignant les progrès accomplis dans certains domaines comme l’abolition de la peine de mort, la Commission européenne critique la lenteur des réformes relevant des critères politiques depuis 2005. Dans son rapport de progrès 2008, la Commission européenne demande des efforts significatifs pour promouvoir les droits des femmes, garantir la liberté d’expression et de culte dans la pratique, prévenir la corruption, renforcer les droits culturels de tous les citoyens, notamment de la minorité kurde, accroître le contrôle de la société civile sur les forces armées et aligner la législation relative aux syndicats sur les normes de l’OIT et de l'Union européenne.

Dynamiser le processus de réforme politique nécessite de modifier les règles de fonctionnement des partis politiques pour garantir des financements transparents et aligner les règles d’interdiction des partis sur les normes européennes. Il faut créer un médiateur et poursuivre la réforme du système judiciaire.

La troisième question importante concerne les tensions politiques intérieures portant sur les principes constitutifs de l’Etat laïc et démocratique en relation avec les modes de vie de la société turque. La délégation s’en est entretenue avec les autorités et personnalités rencontrées, en particulier avec le Président de la République qui semble marquer plus de souplesse que le Premier ministre.

Le conflit entre le gouvernement musulman modéré de l’AKP (parti de la justice et du développement), au pouvoir depuis 2002, et l’opposition kémaliste et nationaliste s’est déplacé du terrain électoral en 2007 – avec la victoire de l’AKP avec 47 % des voix et la majorité absolue aux élections législatives anticipées du 22 juillet 2007 et l’élection par le Parlement de M. Gül à la Présidence de la République – au terrain judiciaire en 2008, avec les arrêts de la Cour constitutionnelle.

En particulier, le 5 juin 2008, la Cour constitutionnelle a annulé les amendements à la Constitution adoptés par l’AKP en février 2008 pour autoriser le port du foulard à l’université. Puis, saisie par le Procureur général de la Cour de cassation, elle a décidé le 30 juillet 2008 de ne pas interdire l’AKP ni ses 71 membres accusés pour activités anti-laïques (dont le Président de la République et le Premier ministre), mais a réduit de moitié sa dotation publique pour 2009 et a défini dans ses attendus des lignes rouges à ne pas dépasser lors des prochaines réformes de la Constitution. Le Parlement démocratiquement élu ne pourra pas modifier quatre principes fondamentaux de la Constitution : la Turquie est une République, laïque, un Etat démocratique, dont la capitale est Ankara.

Ce conflit politique puis judiciaire a bloqué le processus de réforme durant le premier semestre 2008 et devra être surmonté pour relancer les réformes en 2009. Mais majorité et opposition dialogueront difficilement tant qu’elles ne parviendront pas à surmonter le double soupçon dont elles s’accusent, celui « d’agenda caché » pesant sur l’AKP qui serait déterminé à islamiser la Turquie et à se servir des normes européennes pour démanteler le contrôle de l’armée sur le maintien de la laïcité, celui d’« Etat profond » pesant sur les milieux nationalistes et militaires qui seraient prêts à tout pour déstabiliser un gouvernement musulman modéré démocratiquement élu qui ne se conformerait pas à leurs vues. Le procès du réseau « Ergenekon », composé notamment de militaires retraités accusés d’avoir tenté de renverser le gouvernement AKP, a d’ailleurs commencé en octobre dernier.

La majorité et l’opposition sont en effet en désaccord sur les équilibres fondamentaux de la démocratie laïque turque et les modes de vie de la société. La démocratie turque a érigé l’armée en gardienne de la constitution et de la laïcité au-dessus du pouvoir politique, démocratiquement élu, pour éviter qu’il ne porte atteinte à la laïcité. Les kémalistes expliquent que la laïcité doit être plus forte que la démocratie en Turquie parce que, en pays musulman, la laïcité est la condition fondatrice de la démocratie.

L’alignement sur les normes démocratiques européennes mettrait fin à la prééminence de l’armée sur le pouvoir civil, mais pose à l’AKP la question de confiance de savoir si cette force politique serait prête à garantir l’irréversibilité de la laïcité après la disparition du contre-pouvoir de l’armée.

Le processus d’élargissement à la Turquie fait face à d’autres défis, comme la crise financière internationale. Elle pourrait affecter le redressement économique remarquable des dernières années qui a justifié le soutien de l’opinion publique au gouvernement AKP et porté le PIB par habitant de la Turquie à 42 % de celui de l’Union européenne en 2007. Le Premier ministre avait déclaré que la crise ne toucherait pas l’économie turque, mais celle-ci est tournée vers l'Union européenne et une ligne de crédits de 19 milliards de dollars, selon les propositions du FMI, est actuellement en cours de négociation.

Ensuite, les crises au Caucase et au Moyen-Orient soulignent l’importance géostratégique de la Turquie et son rôle modérateur dans la région. La Présidence française de l’Union européenne a d’ailleurs salué les nombreuses initiatives de la Turquie dans la région, en particulier sa proposition de promouvoir la création d’une plate-forme de stabilité pour le Caucase. La Turquie, réticente au départ à l’égard de l’Union pour la Méditerranée, a compris qu’elle n’était pas un substitut à l’adhésion et qu’elle y avait un rôle important à jouer.

Dans la perspective de l’adhésion, la Turquie se présente comme un grand pays de 72 millions d’habitants qui en comptera 90 en 2030. Ce serait l’Etat membre le plus peuplé de l’Union européenne, avec le plus grand nombre de députés au Parlement européen et sa participation au budget européen en tant que bénéficiaire net comporterait un risque de déstabilisation des politiques communes de l’Union après leur réforme.

Enfin, la délégation a rappelé que la crise des institutions et du projet de l’Union européenne devra être surmontée pour que les peuples acceptent un nouvel élargissement.

La perspective de l’élargissement aux Balkans occidentaux de l’Union européenne à vingt-sept exige une réforme de sa gouvernance qui, jusqu’à présent, n’a pas été à la hauteur de l’intégration. Le système est bloqué et il faut d’abord débattre sur le projet européen ainsi que sur les frontières.

Le langage de vérité est que, au final, les peuples décideront, y compris le peuple turc, et que, dans l’état actuel des opinions publiques et de la crise de l’Union européenne, la Turquie ne pourrait pas entrer dans l’Union européenne.

Le Président Pierre Lequiller. Je me réjouis que cette mission, commune à la commission chargée des affaires européennes et à la commission des affaires étrangères, et que j’avais suggérée, ait eu lieu. Notre commission doit poursuivre son travail sur la question de la Turquie, qui va continuer à se poser de manière récurrente et qui est très liée au problème de Chypre.

M. Daniel Garrigue. Le rapporteur a, dans sa présentation, surtout mis l’accent sur les arguments négatifs en ce qui concerne le processus d’adhésion de la Turquie. Mais s’il y a bien un certain nombre de critères qui concernent la Turquie, dont il importe de vérifier le respect et pour lequel le bilan n’est pas très positif, il y a également des critères qui concernent l’Union européenne elle-même. On ne souligne pas assez une question essentielle : si la Turquie entre dans l’Union européenne, dans quelle Europe entrerait-elle ? Dans une Europe essentiellement centrée sur le marché unique et très « atlantiste », ou dans une Europe bien plus organisée et affirmant son indépendance ? L’entrée de la Turquie aggraverait les problèmes dans la première hypothèse puisqu’elle est très intéressée par le marché et qu’elle est elle-même membre de l’OTAN. En revanche, son entrée poserait infiniment moins de problèmes dans la deuxième hypothèse.

Par ailleurs, le statut de « partenaire privilégié » qui pourrait éventuellement être proposé a-t-il été clairement expliqué à la Turquie ?

M. Didier Quentin. Le rapporteur considère-t-il, au vu des éléments d’information qu’il a recueillis, qu’à choisir entre continuer d’occuper le Nord de Chypre et adhérer à l’Union européenne, la Turquie privilégiera l’occupation de Chypre ? Qu’en est-il de la question des ports ? Une formule de « partenariat privilégié » est-elle envisageable ? Enfin, un argument est parfois invoqué, par exemple, dans leurs écrits, par M. Guy Lengagne et M. Michel Rocard : rejeter la demande d’adhésion de la Turquie aurait pour conséquence de renforcer la position des islamistes en Turquie ; cet argument vous semble-t-il valable ?

M. Hervé Gaymard. Je félicite d’abord le rapporteur pour la qualité de sa présentation. Dans vos contacts avec les autorités turques, avez-vous le sentiment que la question est d’abord de nature politique – en termes de géostratégie, de laïcité ou de religion –ou bien le processus, très itératif, des chapitres de négociation et les questions économiques sont-ils déterminants ? J’ai le sentiment qu’on se réfugie dans l’aspect technique des négociations pour éviter de parler des aspects politiques.

En Turquie, j’avais été frappé par l’extraordinaire modernisation de l’économie, du système financier, des infrastructures. Le pays avait un excédent commercial alors qu’il était dépourvu de « rente » naturelle. Dans le même temps, sans porter de jugement de valeur, on constatait l’existence de postures archaïques en contradiction avec cette évolution.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Je connais bien la Turquie, c’est un pays qui s’est modernisé très vite, l’évolution est impressionnante. Le problème est que les Européens qui s’y rendent s’arrêtent souvent à Istanbul, métropole extraordinaire, voire à Ankara, la capitale, qui s’est aussi beaucoup modernisée. Mais il faut aller plus loin à l’Est et là, la situation est très différente, la modernisation est bien peu visible. C’est un pays extraordinairement complexe, de par sa situation politique, géostratégique, historique et religieuse.

La société turque est complexe, travaillée de l’intérieur par plusieurs forces contradictoires.

On le voit bien dans les relations avec les communautés religieuses. Dans un pays à 99 % musulman, l’AKP souhaite faire de l’Islam le fondement de la République, alors qu’en 1923 Atatürk avait fait prévaloir la laïcité et donné le droit de vote aux femmes bien avant la France. La communauté chrétienne que nous avons rencontrée est aujourd’hui affaiblie et ne peut pas se développer car elle n’a plus de séminaires lui permettant de former des prêtres et elle ne peut en faire venir de l’étranger. Elle ne reçoit plus aucun financement de l’Etat, alors même que le ministère des cultes, composé de 100 000 fonctionnaires, paie les imams et exerce un contrôle étroit de l’Etat sur la religion majoritaire. Ce système de deux poids, deux mesures prévaut aussi à l’encontre des minorités musulmanes. Ainsi, les alévis, qui peuvent être perçus comme une version plus moderniste de l’Islam et représentent 15 à 20 millions des 72 millions de Turcs, n’ont plus de relations institutionnelles ou financières avec l’Etat depuis six ans.

Ces contradictions apparaissent également dans le traitement de la question arménienne. Ces derniers jours, des intellectuels turcs ont commencé à faire signer des pétitions pour la reconnaissance du génocide. On se souvient aussi que le Président Gül avait promis la création d’une commission internationale d’historiens, mais celle-ci paraît s’enliser tandis que Turcs et Arméniens se renvoient la balle sur les causes de ce blocage.

Il est effectivement intéressant de s’interroger sur l’Europe que la Turquie souhaite intégrer. Lors de la mission précédente, en 2004, j’avais posé cette question à M. Abdullah Gül, alors ministre des affaires étrangères. Il avait mis en avant l’adhésion à une Europe économique, mais ils ont déjà ces relations commerciales et économiques avec l’Union. Il faut donc aller plus loin, évoquer les valeurs auxquelles on adhère. M. Gül avait alors eu cette réponse un peu surprenante : « on ne sera pas égoïste ». Je l’avais conduit à préciser qu’il ne s’opposerait pas à l’adhésion future de pays voisins, tels que les trois pays du Caucase. Il avait, toutefois, fait part de difficultés particulières avec l’Iran. On voit ainsi que la Turquie n’a pas élaboré une vision claire des motivations de sa volonté d’adhésion à l’Union européenne. Elle veut bien développer les flux économiques et financiers, mais elle reste plus floue sur les valeurs et les modes de gouvernance. C’est d’ailleurs tout à fait normal dans une société qui, comme je l’ai déjà indiqué, est fortement travaillée par ses contradictions internes entre l’AKP, les kémalistes laïcs, les nationalistes et l’armée et dans laquelle l’armée se dit favorable à l’adhésion, tout en étant moins claire sur le recul de son rôle dans la vie politique.

Le rapport que je vous présente ne se veut pas à charge. Il mentionne les atouts géostratégiques de la Turquie, ses liens d’amitié séculaires avec la France et son appartenance à l’OTAN. Néanmoins, il ne peut manquer de faire référence aux objections évoquées au début de mon intervention. Il s’efforce d’établir, en fait, le constat le plus juste possible.

On ne peut ignorer quand même plusieurs signes n’allant pas dans un sens positif. En 2004, le jour même de l’arrivée de notre précédente mission, le parlement turc décidait de se saisir d’une loi sur la criminalisation de l’adultère des femmes. Il a certes fini par reculer sur cette question sur la pression de l’Union européenne, tout comme plus récemment, en janvier 2008, sur le port du voile à l’université, à cause de l’annulation par la Cour constitutionnelle de cet amendement à la Constitution, mais de telles velléités peuvent inquiéter. De même, il est assez étonnant que le Premier ministre turc ait pu réunir 15 000 Turcs lors de sa dernière visite en février 2008 en Allemagne pour dénoncer les tentations de s’intégrer à la société d’accueil. Le Président Gül s’est démarqué de ces propos, mais cela prouve qu’il existe bien des contradictions à lever si la Turquie veut avoir une chance de rejoindre l’Union européenne.

Mme Marietta Karamanli. La question du processus d’adhésion de la Turquie est très complexe ; elle dépend beaucoup des critères que l’Union européenne peut fixer. Le rapport insiste beaucoup sur les obstacles mais il faut être conscient que l’adhésion ne va pas se faire aujourd’hui.

Il ne faut pas nier le problème de Chypre et la France devrait avoir une position claire sur cette question. Cependant, si l’on s’oriente vers un partenariat privilégié, économique, avec la Turquie, à défaut de l’adhésion, ne risque-t-on pas de négliger la question de Chypre ? Ce que recherche la Turquie à Chypre, c’est justement un partenariat économique, ainsi que l’ouverture de ports. Chypre y est opposé et on ignore quelle sera la position du Royaume-Uni.

Il faut poser la question religieuse dans d’autres termes. En Grèce, la religion orthodoxe est religion d’Etat, tous les prêtres sont fonctionnaires, et cela n’a pas été considéré comme un obstacle lors de l’adhésion de la Grèce à la Communauté européenne.

Le fait d’avancer des principes trop restrictifs risque de prendre l’Europe au piège, en la plaçant dans une position contradictoire sur d’autres questions. Il faut accompagner la Turquie. A force d’avancer des arguments négatifs, on s’oriente vers un système de partenariat économique – la Turquie souhaite d’ailleurs adhérer à l’Union européenne pour des raisons économiques, comme cela fut le cas pour d’autres Etats d’Europe centrale et orientale – qui risque d’amener l’Europe à négliger les questions politiques, de droits de l’homme, la question de Chypre et de l’Arménie. Il convient donc d’être très vigilants sur les positions qui seront prises dans les mois à venir.

M. Jérôme Lambert. Je partage les grandes lignes du rapport. Je souhaite cependant souligner que, dans les aspects négatifs, celui-ci souligne le déséquilibre qui affecterait l’usage des fonds structurels en cas d’adhésion de la Turquie. Or, dans le meilleur des cas, cette adhésion ne se fera pas avant 10 ou 15 ans, à un moment où les pays d’Europe centrale et orientale auront moins besoin des fonds structurels.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Je n’ai pas la réponse à toutes les questions. Nous avons essayé de porter un regard objectif sur la situation, et ne souhaitions pas nous substituer à l’Union européenne dans la définition des critères. Dire aux Turcs que nous avons rencontrés que tout va bien n’aurait pas fait avancer les choses. Nous leurs avons donc parlé avec sincérité. Ils ont réagi avec fierté, en disant qu’ils verraient bien dans 15 ans s’ils souhaitaient adhérer à l’Union. Ils ont évoqué un possible partenariat avec la Russie. La pression du peuple pour l’adhésion est moins forte, comme le montrent les récents sondages.

L’analyse du rapport de progrès montre qu’il y a un certain nombre de points forts, comme la suppression de la peine de mort, des tribunaux d’exception, la libéralisation des médias, mais aussi des points faibles dans le domaine des droits de l’homme, avec la pratique des crimes d’honneur et une certaine culture de l’impunité. Les ONG que nous avons rencontrées nous ont parlé d’une société violente, dans laquelle certains crimes ne sont pas portés en justice, et où la torture est pratiquée dans les prisons.

Sur la question de Chypre, les députés turcs nous ont dit que s’ils devaient choisir entre l’Union européenne et la République chypriote turque du nord, ils choisiraient la République chypriote turque du nord. Ils ne sont donc pas prêts à céder.

Nous avons voulu évoquer objectivement les problèmes de droits de l’homme, de religions, ainsi que les problèmes économiques et institutionnels, avec un pays ami de la France. Nous avons aussi souhaité observer l’évolution de la société.

L’argument selon lequel, à défaut d’adhésion, le pays basculerait dans l’islamisme n’est pas recevable en l’état.

Enfin, il s’agit d’un rapport d’étape, qui pourrait être actualisé chaque année. Les Turcs que nous avons rencontrés nous ont d’ailleurs reproché de ne plus venir les voir par crainte de dire certaines choses. Nous les avons dites et avons eu des débats parfois vifs avec les parlementaires de toutes les tendances.

Le Président Pierre Lequiller. Il faut remercier notre collègue Bernard Deflesselles pour ce rapport très intéressant qui fait bien ressortir toute la complexité du problème. La Turquie est en effet marquée par un mélange de modernité et d’archaïsme. Il faut reconnaître que l’armée a constitué une protection contre les dérives islamistes mais son rôle excède celui dévolu à une armée dans une démocratie traditionnelle. Il existe un réel attachement à la laïcité mais également des pratiques comme les crimes d’honneur. A la complexité des questions qu’affronte la Turquie s’ajoute la complexité de la vision que nous avons de la Turquie. Il est nécessaire de leur laisser une perspective d’entrée mais la question de l’intérêt de l’Europe doit également être posée. Ce pays comptera près de 100 millions d’habitants dans 20 ans et son éventuelle intégration changerait le fonctionnement de l’Europe.

M. Daniel Garrigue. La question que je posais était différente et s’attachait à la nature de l’Europe. Selon moi, une Europe forte et indépendante aurait la capacité d’intégrer la Turquie, mais si l’Europe se concentre sur les échanges et est atlantiste, alors l’entrée de la Turquie aggraverait les choses.

Le Président Pierre Lequiller. Sur cette question, ma conclusion est inverse. La construction d’une Europe politique est complexe à 27, le sera encore davantage à 33. Si la Turquie devait être le trente-quatrième Etat membre, cela soulèverait beaucoup de difficultés pour cette construction.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. J’ai également eu l’occasion de dire aux responsables turcs que j’ai rencontrés qu’ils doivent avant tout faire les réformes pour eux-mêmes et pour leur peuple et non pas pour les autres ou l’Union européenne. Par ailleurs, ils doivent être mieux connus par les Européens car les communautés turques, au-delà de leurs grandes qualités, sont un peu repliées sur elles-mêmes. L’année culturelle de la Turquie en France en 2009-2010 permettra de développer le dialogue. »

La Commission a autorisé la publication de ce rapport d’information.

II. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point A

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a approuvé les textes suivants :

Ø Commerce extérieur

-  proposition de décision du Conseil concernant la position de la Communauté au sujet de la décision n° 1/2008 du Comité mixte vétérinaire institué par l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux échanges de produits agricoles, concernant la modification des appendices 2, 3, 4, 5, 6 et 10 de l'annexe 11 (E 4132) ;

- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 74/2004 du 13 janvier 2004 instituant un droit compensateur définitif sur les importations de linge de lit en coton originaire de l'Inde (E 4135) ;

Point B

Ø Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil autorisant la mise sur le marché de produits contenant du colza T45 (ACS-BNØØ8-2) génétiquement modifié ou produits à partir de celui-ci, à la suite de sa commercialisation dans des pays tiers jusqu'en 2005, en application du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil (E 4063).

M. Robert Lecou, rapporteur. « Notre Commission doit se prononcer sur une proposition du Conseil autorisant la mise sur le marché de produits pouvant contenir fortuitement du colza T45 dont la culture avait été autorisée en Grande-Bretagne lors de la campagne 2005. Je propose que notre Commission suive la position du Gouvernement français et se prononce contre cette mesure qui sera toutefois vraisemblablement adoptée car il n’y aura pas de majorité qualifiée au Conseil pour s’y opposer. »

La Commission s’est opposée à l’adoption de cette proposition.

Puis la Commission a approuvé les cinq textes suivants :

Ø Espace de liberté, de sécurité et de justice

- initiative de l'Autriche visant à modifier l'annexe 2, inventaire A, des instructions consulaires communes en ce qui concerne les titulaires de passeports indonésiens diplomatiques et de service (E 4138) ;

- projet d'accord entre l'Union européenne et l'Islande et la Norvège pour l'application de certaines des dispositions de la décision du Conseil 2008/615/JAI relative à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière, et de la décision 2008/616/JAI de mise en oeuvre de la décision du Conseil 2008/615/JAI relative à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière, y compris son annexe - résultat des négociations - projet de décision du Conseil relative à la signature de l'accord (E 4153).

Ø Institutions

- proposition de règlement du Conseil modifiant le régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (E 4097) ;

- proposition de règlement du Conseil adaptant, à partir du 1er juillet 2008, le taux de la contribution au régime de pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes (E 4130) ;

- projet de décision du Conseil portant nomination des membres du comité prévu à l'article 3, paragraphe 3, de l'annexe I du protocole sur le statut de la Cour de justice (note du Secrétariat général du Conseil) (E 4162).

Ø Pêche

- proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2009, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (E 4091).

M. Robert Lecou, rapporteur. « Les totaux admissibles de captures (TAC) déterminent les quantités maximales de poissons d’une espèce pouvant être prélevées sur une zone et dans une période déterminées. Mesures de conservation des ressources marines pour la politique commune de la pêche, ils sont définis sur la base d’expertises avant d’être adoptés par le Conseil des ministres et ensuite répartis entre les Etats membres sous forme de quotas.

La Commission a défini son approche pour fixer les TAC pour 2009 des principaux stocks halieutiques de l’Atlantique du Nord-Est et de la mer du Nord dans sa communication du 30 mai 2008.

Afin de répondre aux inquiétudes des experts sur le niveau de certains stocks, elle a proposé de modifier, à la fois, les marges de fluctuation annuelles des TAC et le système des jours passés en mer. Ainsi les TAC, qui peuvent actuellement varier de plus ou moins 15%, pourraient fluctuer de plus 25% à moins 25% selon l’état de chaque stock. Un système de kilowatts-jour, combinant la puissance d’un navire et sa durée de présence sur une zone, pourrait être également adopté et appliqué en premier lieu en 2009 à la pêche au cabillaud. A ce propos, j’estime que l’obligation de transmettre chaque mois les données relatives à l’effort de pêche, comme le souhaite la Commission, est, au moins dans un premier temps, excessive.

La Commission a fait des propositions de TAC pour différentes espèces de poissons. La France a marqué son désaccord pour certaines d’entre elles et sera d’autant plus attentive à ce sujet que les propositions de variation des TAC vont à l’encontre de son souhait d’instaurer des quotas de pêche pluriannuels.

Les activités de pêche apparaissent ainsi de plus en plus menacées alors que les préoccupations sur l’insécurité alimentaire mondiale vont croissantes. La fiabilité de la fixation des TAC est, de plus, sujette à caution, les pêcheurs devant être plus amplement associés à l’estimation du niveau des stocks.

Cette proposition de texte restreint de façon trop importante l’activité des pêcheurs qui se trouvent aujourd’hui dans un contexte de crise aiguë. »

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Commission s’est opposée à l’adoption de ce texte.

Ø Protection des consommateurs

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la sécurité des jouets (E 3795).

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. « La sécurité des jouets repose non seulement sur la coopération internationale, puisque les jouets vendus en Europe sont pour l’essentiel conçus aux Etats-Unis et fabriqués en Chine, mais également sur une fixation des normes pour le marché intérieur. L’objectif de la révision de la directive actuellement applicable 88/378/CE est de faire évoluer ces règles dont le respect se traduit pas l’apposition, sous la responsabilité du fabricant ou de celui qui le représente, du marquage CE. Par rapport au texte de 1988, la proposition de la Commission européenne présentée le 25 janvier dernier prévoit un renforcement des obligations des producteurs et importateurs, avec notamment des mesures de réduction du risque chimique, une amélioration de l’information du consommateur, un renforcement des exigences spécifiques pour les jouets associés à des denrées alimentaires ainsi qu’un accroissement des obligations des Etats membres. A l’issue des travaux préparatoires au Conseil et des votes du Parlement européen, un compromis s’est établi autour de mesures supplémentaires, notamment l’introduction du principe de précaution, l’interdiction d’apposer des avertissements qui contredisent les fonctions, dimensions ou caractéristiques du jouet, le renforcement de la prévention du risque chimique, étendue aux substances CMR de catégorie 3 et non plus seulement 1 et 2, ainsi qu’à un nombre accru de substances parfumantes allergisantes, dont la présence est en principe interdite. En outre, une réduction des limites relatives à certains métaux lourds a été décidée, de même qu’une extension du dispositif correspondant à la prévention du risque de contamination par grattage. Enfin, a été prévu un certain nombre d’obligations pour les importateurs notamment l’enregistrement des procédures de plaintes et des cas de non-conformité et de rappels.

On parvient ainsi à un texte qui représente un point d’équilibre entre les Etats membres, mais qui n’exclut pas pour un avenir assez proche trois possibilités d’évolution : d’une part, sur les normes de sécurité relatives aux produits chimiques et aux substances parfumantes allergisantes, de manière que la maîtrise du risque progresse au même rythme que les possibilités techniques ; d’autre part, sur l’intervention obligatoire d’un organisme tiers de certification ; enfin, dans le cadre d’un autre support législatif, sur une amélioration de l’information des consommateurs quant aux conditions sociales et environnementales de fabrication du jouet et quant à ses pays d’origine, celui de conception comme celui de fabrication.

Le Président Pierre Lequiller. Quel est le niveau de risque des jouets fabriqués en Chine et quelles sont les procédures applicables en cas de non-conformité ?

La rapporteure. L’essentiel des jouets vendus en Europe est fabriqué en Chine et la majorité des produits identifiés comme dangereux par le mécanisme RAPEX, provient de ce même pays. En cas de non-conformité, les procédures de retrait du marché et de rappel sont prévues. »

Sous le bénéfice des observations de la rapporteure, la Commission a approuvé la présente proposition d’acte communautaire.

Ø Transports

- proposition de décision du Conseil concernant la signature, au nom de la Communauté européenne, du protocole additionnel relatif à l'accord de coopération pour la protection des côtes et des eaux de l'Atlantique du Nord-Est contre la pollution (E 4046).

La Commission a approuvé ce document.

Procédure d’examen en urgence

Par ailleurs, la Commission a pris acte de l’approbation, selon la procédure d’examen en urgence des textes suivants :

- proposition de directive du Conseil portant mise en oeuvre de l'accord conclu par l'Association des armateurs de la Communauté européenne (ECSA) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) concernant la convention du travail maritime, 2006, et modifiant la directive 1999/63/CE (E 3917) ;

- proposition de décision du Conseil établissant la position de la Communauté européenne au sein du Conseil ministériel de la Communauté de l'énergie (Tirana, 11 décembre 2008) (E 4121) ;

- décision du Conseil mettant en œuvre la position commune 2004/161/PESC renouvelant les mesures restrictives à l'encontre du Zimbabwe (E 4147) ;

- décision du Conseil relative au lancement de l'opération militaire de l'Union européenne en vue d'une contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie et de vols à main armée au large des côtes de la Somalie (Atalanta) (E 4148) ;

- recommandation de la Commission au Conseil autorisant la Commission à ouvrir des négociations au nom de la Communauté pour la conclusion d'un accord de partenariat de pêche avec la République de Guinée (E 4159) ;

- proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation de l'instrument de flexibilité (E 4160).

Accords tacites de la Commission

En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre (textes antidumping) et 29 octobre 2008 (virements de crédits), celle-ci a approuvé tacitement les documents suivants :

La séance est levée à onze heure quarante.