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Assemblée nationale

commission Élargie

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

Commission des affaires étrangères

Commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l’administration générale
de la République

(Application de l’article 120 du Règlement)

Jeudi 25 octobre 2012

Présidence de M. Pierre-Alain Muet,
vice-président de la Commission des finances,
de Mme Élisabeth Guigou,
présidente de la Commission
des affaires étrangères,
et de M. Jean-Jacques Urvoas,
président de la Commission des lois

La réunion de la commission élargie commence à vingt-et-une heures cinq.

projet de loi de finances pour 2013

Immigration, asile et intégration

M. Pierre-Alain Muet, président. Monsieur le ministre, je suis heureux de vous accueillir au nom de la Commission des finances, avec Mme Élisabeth Guigou, présidente de la Commission des affaires étrangères, et M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois. Le président Gilles Carrez, retenu, m’a prié de bien vouloir l’excuser auprès de vous.

Nous sommes réunis en commission élargie afin de vous entendre sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2013.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je me réjouis pour ma part que la Commission des affaires étrangères ait l’occasion de dialoguer avec le ministre de l’intérieur, dont les compétences excèdent largement le cadre de l’hexagone. L’immigration est loin de se réduire à une question intérieure, ce qui explique que notre commission s’y intéresse de près : elle est une dimension de notre relation avec un très grand nombre d’États et fait l’objet d’une politique européenne très avancée.

Si je regrette beaucoup que notre rapporteur pour avis, M. Jean-Pierre Dufau, ait eu un empêchement majeur, je ne doute pas que Mme Seybah Dagoma le suppléera brillamment malgré le bref temps de parole qui lui est imparti.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons beaucoup travaillé avec le ministre de l’intérieur ces derniers jours. Hier soir, nous examinions ici même les crédits de l’administration générale et territoriale de l’État. M. Valls fut un parlementaire assidu, il est aujourd’hui un ministre disponible, et nous lui en sommes reconnaissants.

Attentifs à ce que la majorité et l’opposition puissent s’exprimer, nous avons désigné deux rapporteurs pour avis issus l’un du groupe SRC, l’autre du groupe UMP, ce qui devrait garantir la tonicité de nos échanges.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le courage, disait Jaurès, c’est de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. Il faut saluer ce budget de responsabilité, de vérité, de fermeté et de dignité, qui traduit des efforts substantiels dans un contexte d’austérité et de difficultés financières en Europe, et mobilise des moyens à la mesure des besoins, pour un traitement plus digne des demandeurs d’asile.

Fixées à 662,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 670,9 millions d’euros en crédits de paiement, les dotations de la mission progressent respectivement de 11,6 et 13 %, ce qui représente 69 et 77 millions supplémentaires. Dans le détail, la plupart des actions des deux programmes de la mission, comme son principal opérateur, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, appliquent en réalité les instructions d’économie du Premier ministre en réduisant sensiblement les prévisions de dépenses.

Le renforcement budgétaire des crédits dédiés à la garantie du droit d’asile en est d’autant plus significatif. Il ne s’agit pas seulement de fixer à un niveau plus conforme aux consommations constatées en 2011 les dotations destinées à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile et l’allocation temporaire d’attente qu’ils perçoivent quand ils ne peuvent accéder aux centres d’accueil, les CADA – dépenses systématiquement et fortement sous-évaluées ces dernières années. Cet effort budgétaire traduit aussi le choix d’améliorer l’efficacité et la qualité de l’accueil offert par la France aux demandeurs d’asile, d’une part, en renforçant les moyens de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides pour lui permettre de traiter les demandes dans des délais plus raisonnables que ces dernières années ; d’autre part, en créant 1 000 nouvelles places en CADA, structures qui offrent la prise en charge et l’accompagnement les plus conformes à notre devoir de solidarité internationale.

Les autres migrants ne sont pas pour autant négligés. Grâce à des réformes successives des taxes sur les titres de séjour qui lui sont affectées, l’OFII dispose de moyens consolidés. Il lui est demandé de poursuivre ses efforts de rationalisation des dispositifs dont il est chargé et d’économie sur ses dépenses de fonctionnement, mais son haut niveau d’intervention en faveur des migrants en situation régulière devrait être préservé. En 2012, près de 106 millions d’euros sont consacrés aux actions d’accueil et de formation des primo-arrivants, aux procédures d’immigration familiale et professionnelle et à l’accueil des demandeurs d’asile assurés par l’OFII.

J’évoquerai enfin, même si ces dépenses ne relèvent pas de la mission, les efforts du ministère pour développer la capacité des services préfectoraux à encadrer les multiples démarches exigées des étrangers dans des conditions plus respectueuses des individus, et bien que leurs missions soient nettement plus lourdes qu’auparavant.

En dépit de ces progrès, des questions demeurent sur l’évolution de certaines dépenses, dont celles relatives à l’allocation temporaire d’attente – ATA –, comme sur certains arbitrages non encore rendus.

Tout d’abord, ce projet de budget renforce substantiellement les crédits alloués à l’hébergement d’urgence et à l’allocation temporaire d’attente auxquels peuvent prétendre les demandeurs d’asile n’ayant pas accès aux CADA. Ne serait-il pas plus efficace du point de vue budgétaire, et plus digne, d’accroître encore les capacités d’accueil des CADA, ce qui devrait réduire les dépenses alternatives d’hébergement d’urgence et d’ATA ? À enveloppe budgétaire constante, ne peut-on imaginer un transfert de crédits entre ces différents dispositifs ?

Ensuite, le développement, l’entretien et le fonctionnement des centres de rétention administrative devraient représenter un budget d’environ 44,9 millions d’euros. Les prévisions sont certes en retrait de 3 millions par rapport aux crédits votés pour 2012. Mais, compte tenu du taux moyen d’occupation des centres, qui ne dépasse pas 57,7 % sur l’ensemble du territoire métropolitain, voire 30 % sur certains sites, ne serait-il pas opportun, voire plus rentable, de fermer les centres les moins utilisés ?

Question annexe : le premier marché de l’accompagnement juridique des retenus arrive à son terme le 31 décembre 2012. Les modalités et les conditions de sa reconduite ne sont pas décidées, si bien que les associations concernées ne peuvent définir sérieusement leurs organisations et leurs budgets pour 2013.

Par ailleurs, en 2011, près d’un tiers des personnes faisant l’objet d’une décision d’éloignement du territoire ont regagné leur pays dans le cadre d’un retour aidé. Ils sont encore 9 130 étrangers à bénéficier des aides au retour volontaire. Toutefois, il apparaît que 52 % des bénéficiaires en 2011 et 58 % au premier semestre 2012 sont des ressortissants communautaires qui pourront de plein droit revenir en France. On peut dès lors s’interroger sur la légitimité d’une aide qui ne favorise en rien un retour durable dans le pays d’origine. Ces fonds ne seraient-ils pas mieux employés au service des véritables dispositifs de réinsertion ou de développement solidaire ?

Tout le monde s’accorde sur la nécessité de réduire les délais de traitement des demandes d’asile que l’afflux massif de ces derniers années a fait dériver, retardant la reconnaissance des situations justifiant une protection et pesant lourdement sur les dépenses de prise en charge des demandeurs. Cependant, la diminution des délais d’instruction n’est pas une fin en soi. Comment l’État veille-t-il à ce que l’accélération des procédures devant l’OFPRA ne nuise pas à la qualité du traitement des demandes d’asile, et notamment à ce que les objectifs de productivité demandés aux officiers de protection ne compromettent pas la qualité des entretiens ?

Enfin, monsieur le ministre, pourquoi la construction du nouveau CRA de Mayotte, budgétée depuis plusieurs années, n’a-t-elle pas encore débuté ?

Mme Seybah Dagoma, suppléant M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères. Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » devraient augmenter de 4,9 % en autorisations d’engagement et de 6,2 % en crédits de paiement, ce qui représente un effort réel dans le contexte actuel de réduction des dépenses publiques. Reste que la hausse globale des moyens recouvre des évolutions très disparates. En réalité, seuls les crédits relatifs à l’exercice du droit d’asile sont en progression.

Ma première question concerne le programme « Intégration et accès à la nationalité française ». Les crédits consacrés à l’intégration des étrangers en situation régulière vont baisser de 8 % et ceux affectés à l’intégration des réfugiés vont diminuer de 2 %. Un récent rapport du Haut Conseil à l’intégration dressait pourtant un bilan peu flatteur de l’action menée dans ce domaine. L’on peut regretter que l’intégration ne soit pas une priorité budgétaire cette année. Le Premier ministre a pourtant annoncé récemment que le Gouvernement entendait redéfinir la politique d’intégration, qui a cessé depuis trop longtemps d’être efficace. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire plus sur le cadre et les grands axes de cette réflexion ?

En ce qui concerne les étrangers en situation régulière, un nouveau titre pluriannuel devrait être créé afin de sécuriser les parcours. Même si le projet de loi ne devrait être présenté qu’en 2013, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Il existe d’autres titres de séjour pluriannuels ; quel pourrait donc être le nouveau public concerné ?

S’agissant du traitement des demandes des étrangers, je m’interroge sur les conditions d’accueil dans les préfectures. L’exemple le plus criant est assurément celui de Bobigny où, chaque jour, plusieurs centaines de personnes attendent pendant des heures pour déposer une demande de titre de séjour, de naturalisation ou de renouvellement. Au-delà des moyens humains à déployer, ne pourrait-on concevoir un système de prise de rendez-vous et/ou de gestion de dossier totalement ou partiellement dématérialisé ? Plus généralement, est-il envisagé d’améliorer les conditions d’accueil des demandeurs, notamment en Île-de-France ?

En ce qui concerne l’asile, la revalorisation des dotations vise à mieux respecter le principe de sincérité budgétaire, singulièrement malmené ces dernières années. La parlementaire que je suis est sensible à cet effort, qui est aussi un geste de responsabilité. Cela étant, je m’interroge sur les conséquences de l’arrêt rendu le 27 septembre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne, qui rappelle qu’« un État membre, saisi d’une demande d’asile, est tenu d’octroyer les conditions minimales d’accueil des demandeurs d’asile, même à un demandeur d’asile pour lequel il décide de requérir un autre État membre pour le prendre en charge ou le reprendre en charge en tant qu’État membre responsable de la demande ». Ne faudrait-il pas ajuster en conséquence, dès à présent, les crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente ?

En outre, seules 1 000 places supplémentaires devraient être créées en CADA, ce qui paraît bien peu au regard de la demande globale d’asile – 56 400 demandes en 2011 –, à rapporter aux 21 400 places aujourd’hui disponibles en CADA. Ces structures sont pourtant unanimement reconnues comme les plus propres à accompagner les demandeurs d’asile dans de bonnes conditions. À moyen terme, avez-vous prévu un rééquilibrage en faveur du dispositif de droit commun ? Du strict point de vue budgétaire, France terre d’asile estime qu’une place dans le dispositif d’urgence coûte plus cher qu’une place en CADA – 26,17 euros par jour pour l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile et 11,17 euros par jour pour l’ATA, contre 24 euros en CADA –, pour un service moindre puisque l’accompagnement fait défaut. Si l’opération est rentable, l’investissement dans la production de places de CADA serait ainsi bénéfique à la fois pour les demandeurs d’asile, mieux accueillis grâce à la création annuelle de 140 à 210 postes de travailleurs sociaux à temps plein, et pour les finances publiques.

De même, l’effort de réduction des délais de traitement des demandes d’asile est non seulement une nécessité humaine – l’on ne devrait pas faire attendre si longtemps des personnes déjà très fragilisées –, mais aussi un impératif budgétaire, car il permettrait de réduire la durée de prise en charge par l’État. Un effort a été engagé, mais l’on est encore loin des délais incompressibles. Après 2013, comment comptez-vous tendre vers un délai raisonnable de six mois au total ?

Enfin, le dispositif de rétention est formaté à 1 816 places en 2013, pour un coût par jour de 39,68 euros qui correspond au seul fonctionnement hôtelier des centres de rétention, hors coûts d’entretien, d’éloignement, de prise en charge sanitaire et d’accompagnement juridique. Or, de l’aveu même des associations intervenant en rétention, ces places ne sont pas toutes occupées. Ne pourrait-on donc fermer un nombre significatif de places sans nuire à la capacité de l’État à éloigner les personnes dont la présence est jugée indésirable sur le territoire ?

Je m’interroge en revanche sur la baisse de 0,8 million d’euros que subit l’accompagnement social dans les CRA par rapport à la LFI 2012. Assuré par les associations, qui peinent déjà à accomplir leur mission, cet accompagnement est indispensable pour garantir les droits des personnes retenues. Comment expliquer cette baisse ?

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’immigration, l’intégration et l’accès à la nationalité française. Vous l’avez rappelé vous-même à plusieurs reprises, monsieur le ministre : l’accès à la nationalité française est la conclusion logique d’un parcours d’intégration réussi. Or, les naturalisations ont connu en 2011 une chute brutale, de près de 30 %, qui s’est poursuivie au premier semestre 2012. J’ai voulu en analyser les causes afin de formuler des recommandations que je souhaite vous soumettre.

Il apparaît, à la lumière des quinze auditions et déplacements que j’ai effectués pour préparer mon rapport, que cette chute résulte non pas d’une baisse des demandes ou d’une diminution des décisions rendues – lesquelles sont restées stables, aux alentours de 100 000 par an –, mais bien d’une hausse du taux de décisions négatives sans précédent sous la Ve République. Remarquablement stable de 2000 à 2008, où il oscillait entre 20 et 29 %, ce taux a connu une véritable explosion en 2011, passant à plus de 53 %. Alors qu’un peu plus de deux demandes sur dix étaient rejetées au cours de la décennie 2000, plus de cinq sur dix l’ont été en 2011 et au premier semestre 2012.

Cette hausse du taux de décisions défavorables n’est pas la conséquence d’une modification des critères de naturalisation fixés par la loi ou les textes réglementaires. Les nouvelles modalités d’évaluation de la connaissance du français par un test, prévues par la loi du 16 juin 2011, ne sont en effet applicables qu’aux demandes introduites depuis le 1er janvier 2012, dont aucune ou presque n’avait déjà fait l’objet d’une décision au 30 juin 2012.

La chute du nombre de naturalisations provient en réalité d’un durcissement de l’appréciation des critères de naturalisation par l’administration. Or c’est dans l’opacité la plus complète que la « doctrine ministérielle » a été modifiée, sans aucun débat public, par le biais d’instructions confidentielles adressées aux préfectures sous la forme de fiches « blanches » sans en-tête ni signataires, pudiquement appelées « fiches pédagogiques ».

En attestent les documents – non signés – que je me suis procurés non sans peine auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Le premier, mystérieusement intitulé « Liste des secrétaires généraux de préfecture. Naturalisation », indique notamment qu’il doit être tenu compte de l’irrégularité du séjour quelle que soit l’époque où elle a été constatée. Ainsi des personnes qui ont été en situation irrégulière en 1966 ont-elles vu leur demande rejetée pour ce motif : un crime peut être prescrit, mais pour ceux qui ont voulu venir sur notre sol, il n’y a aucune prescription ! Le second document, le plus dévastateur sans doute, exige implicitement des requérants qu’ils soient employés en CDI. J’ai dans ma circonscription un grutier tunisien qui travaille volontairement depuis vingt ans dans des boîtes d’intérim, car il y est mieux payé que dans les grosses entreprises du BTP : il n’a pas le droit de demander à devenir français ! Telles sont les instructions que M. Guéant a données aux fonctionnaires préfectoraux, au mépris de la légalité républicaine.

Dans certains cas, elles sont venues de simples courriers électroniques de l’une des directions du ministère de l’intérieur. À plusieurs reprises dans notre histoire, le droit de la nationalité a figuré dans la Constitution. De la Constitution à un simple courriel : l’évolution est préoccupante lorsqu’il s’agit de déterminer qui appartient ou non à la communauté nationale. C’est une simple fiche du 16 juin 2011 qui a conduit les préfectures à exiger des postulants qu’ils soient titulaires d’un CDI et c’est encore par courrier électronique qu’il a été demandé aux préfets de ne pas tenir compte de l’antériorité du séjour irrégulier.

Les effets de ce durcissement ont sans doute été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation opérée le 1er juillet 2010. Avant cette date, dans près d’un cas sur deux, les avis défavorables des préfets n’étaient pas suivis par l’administration centrale. Depuis, les préfets sont devenus décisionnaires, et seule une décision négative sur cinq fait l’objet d’un recours : au total, 2 % de leurs décisions négatives sont infirmées, ce qui conduit à une hausse mécanique du taux de rejet.

Voici donc mes recommandations. Il faut refonder l’accès à la nationalité française sur des critères clairs, justes et transparents. Vous avez d’ailleurs suggéré vous-même cette orientation la semaine dernière, monsieur le ministre. Les critères ne doivent plus pouvoir être modifiés en catimini, dans le secret des bureaux : ils doivent être inscrits dans une circulaire accessible à tous. Quant au fond, il faut mettre un terme au durcissement de l’appréciation des critères relatifs à l’insertion professionnelle et la régularité du séjour. Je me félicite que cette première série de recommandations ait été prise en considération dans votre circulaire du 16 octobre 2012.

Il faudrait ensuite sinon revenir sur le principe de la déconcentration des procédures, du moins en modifier les modalités. Deux pistes sont envisageables. L’une consisterait à confier la préparation des décisions favorables – et non plus des décisions négatives – aux préfets, les autres continuant à faire l’objet d’une instruction par l’administration centrale. C’était l’une des propositions de la Commission de la nationalité présidée par M. Marceau Long en 1988. L’autre option consisterait à mutualiser les moyens des préfectures en créant des plateformes interdépartementales, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’accueil des demandeurs d’asile. Je sais que vous attendez les conclusions d’une mission de l’Inspection générale de l’administration sur ce sujet, conduite par M. Fitoussi, mais pourriez-vous indiquer vos premières orientations en la matière ?

Il faudrait également, comme l’a dit Seybah Dagoma, améliorer les conditions d’accueil des demandeurs en préfecture, souvent peu satisfaisantes, les conditions de déroulement de l’entretien et de délivrance des dossiers. À la préfecture des Bouches-du-Rhône, l’entretien a lieu à travers une glace au moyen d’un hygiaphone ! Il conviendrait d’informatiser le retrait et la constitution des dossiers ainsi que la prise de rendez-vous, pour faciliter le travail des préfectures.

Il est enfin nécessaire de renforcer le contrôle parlementaire de la politique de la nationalité, pour éviter un nouveau bouleversement radical non soumis à débat. Je suggère donc que chaque année, le Gouvernement communique, dans son rapport au Parlement sur la politique d’immigration et d’intégration, l’évolution du taux de décisions défavorables et des motifs sur lesquels elles se fondent.

J’espère, monsieur le ministre, que vous donnerez suite à quelques-unes de ces recommandations.

M. Guy Geoffroy, suppléant M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’asile. J’ai d’autant plus volontiers accepté de remplacer ce soir Éric Ciotti que je partage ses analyses et ses interrogations.

Je salue tout d’abord le fait que le ministère de l’intérieur ait conservé l’asile parmi ses compétences. Certains, en particulier dans le secteur associatif, s’en désolent, allant jusqu’à déplorer le double langage de la nouvelle majorité, qui critiquait ce choix lorsqu’elle était dans l’opposition, avant de s’apercevoir qu’il n’était pas si mauvais que cela. Je pourrais rejoindre les esprits cyniques en disant qu’il faut que tout change pour que rien ne change. Je préfère, avec mon collègue Ciotti, me réjouir pour notre pays que vous n’ayez pas remis en cause une excellente réforme.

La réduction des délais de traitement des demandes, à laquelle nous avons souhaité consacrer ce premier avis budgétaire sur l’asile, est une question cruciale, comme l’a bien montré notre rapporteur spécial. Les demandeurs ont le droit d’obtenir une décision rapide. Celle-ci aurait en outre l’intérêt d’éviter une dépense en desserrant la contrainte pesant sur le dispositif d’hébergement des demandeurs, qui est saturé. Selon vos services, une réduction d’un mois du délai d’examen permettrait d’économiser quelque 20 millions d’euros. Ne l’oublions pas au moment de nous prononcer sur l’opportunité de nouveaux recrutements à l’OFPRA ou à la Cour nationale du droit d’asile : ces recrutements sont coûteux, mais génèrent des économies plus importantes encore.

Ma première question porte sur l’engagement du président de la République, lorsqu’il était candidat, de ramener à six mois le délai d’examen des demandes d’asile, engagement souscrit dans une lettre du 25 avril 2012 adressée à France terre d’asile et précisé lors du débat télévisé de l’entre-deux tours. Ce délai de six mois doit sans aucun doute être interprété comme incluant le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile. En effet, le délai d’instruction par l’OFPRA était déjà inférieur à six mois en 2011 : il serait absurde que M. Hollande se soit engagé à rallonger le délai d’examen des demandes d’asile ! Lors du débat de l’entre-deux tours, celui-ci a d’ailleurs fait clairement référence au délai d’un an et demi qu’il souhaitait réduire à six mois et qui correspond au délai de traitement par l’OFPRA et par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA.

C’est donc avec une grande surprise que nous avons appris, en lisant une des réponses adressées par vos services, monsieur le ministre, que l’engagement présidentiel devait être entendu « recours non inclus ». Pourriez-vous rectifier officiellement ce qui est certainement une erreur d’interprétation ? Il ne s’agit pas d’un point purement technique : non seulement pour les trois quarts des demandeurs, c’est-à-dire pour plus de 40 000 personnes par an, le délai d’instruction s’entend recours inclus, mais plus d’un réfugié sur deux s’est vu reconnaître ce statut par la Cour, et non par l’OFPRA.

Ma deuxième question porte sur les moyens que vous entendez affecter à la réduction des délais. Sans esprit de polémique, je rappellerai en effet que la précédente majorité a considérablement renforcé les effectifs de l’OFPRA et de la CNDA. Le nombre d’officiers de protection instructeurs de l’Office a ainsi été porté de 106 à 162 entre 2007 et 2012, tandis que celui des rapporteurs de la Cour nationale du droit d’asile a quasiment doublé en deux ans : de 70 fin 2009, il est passé à 135 fin 2011. Ces renforts ont permis, dans un contexte difficile, marqué par une hausse considérable de la demande d’asile déjà soulignée par les orateurs précédents – plus 61 % entre 2007 et 2011 –, d’accroître de 47 % le nombre de décisions rendues par l’OFPRA au cours de cette même période, et de réduire de six mois les délais de jugement de la Cour en 2011.

On pouvait s’attendre, compte tenu de l’engagement ambitieux pris par le Président de la République, à ce que vous poursuiviez et même amplifiiez ces efforts. Je crains pourtant, à la lecture de ce projet de loi de finances, qu’il n’en soit rien. La Cour ne bénéficiera ainsi d’aucun renfort en 2013, au prétexte que les avocats ne pourraient pas suivre. Et à l’OFPRA, seuls dix officiers supplémentaires seront recrutés, quand le précédent gouvernement en avait recruté cinquante ! Compte tenu du nombre de dossiers traités par agent, il en faudrait trois fois plus pour résorber les stocks, ce qui est indispensable pour réduire les délais.

Pourquoi ne dotez-vous par l’OFPRA et la Cour des moyens nécessaires, sachant que la réduction des délais est génératrice d’économies considérables en termes d’hébergement et que ces recrutements seraient donc – la formule est peu appropriée, je le reconnais – économiquement rentables ?

Ma dernière question porte sur la vacance du poste de directeur général de l’OFPRA – l’ancien directeur général, M. Jean-François Cordet, ayant été nommé préfet de la région Picardie le 1er août dernier. Quels sont ses motifs ? Traduit-elle un désintérêt de ce Gouvernement pour les questions d’asile ? Le Gouvernement estime-t-il la fonction inutile, ou cherche-t-il ainsi à réduire les dépenses publiques ? Il serait très préoccupant de laisser ce poste stratégique vacant, au risque de plonger l’OFPRA dans des difficultés que nous ne pourrions plus résoudre.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Les cinq dernières années, les demandeurs d’asile et les immigrés ont été considérés comme quantité, mais aussi comme qualité négligeable. Cela n’a que trop duré. Le budget consacré au programme « Immigration et asile » a donc été établi à la mesure des enjeux qui s’imposent et des engagements que la France a pris, notamment en ratifiant la convention de Genève qui régit le droit d’asile.

Avant tout, rappelons qu’un demandeur d’asile est, a priori, en situation d’urgence tant psychologique que sociale, n’ayant eu d’autre choix que de quitter sa terre pour se réfugier en France. Rappelons que la France se devrait d’être un modèle en matière d’accueil, autant par son histoire que par les accords internationaux qu’elle a ratifiés. Rappelons que la dernière législature n’a permis de traiter ni avec efficacité, ni avec humanité, ni avec responsabilité la situation administrative, sanitaire et sociale des demandeurs d’asile. Elle n’a pas non plus permis de se justifier d’un succès quelconque en matière d’immigration.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui du logement des demandeurs d’asile. Plutôt que de recourir systématiquement à l’allocation temporaire d’attente et à l’hébergement d’urgence, il aurait été bien plus simple de construire régulièrement le nombre de places nécessaires pour héberger les demandeurs d’asile en centre d’accueil. Il n’en a pas été ainsi, et nous héritons aujourd’hui d’une situation intenable.

En favorisant un accompagnement global des demandeurs d’asile, tant du point de vue de l’hébergement que du point de vue administratif, nous améliorons la clarté et l’efficacité du dispositif, nous garantissons un meilleur suivi des demandeurs d’asile et nous nous dotons d’un projet d’accueil et de régulation à long terme.

Tout d’abord, l’Office français pour les réfugiés et les apatrides, chargé d’instruire les dossiers des demandeurs d’asile, verra ses effectifs augmenter de dix équivalents temps plein. Cet effort permettra de diminuer le délai de traitement des dossiers et de maximiser la hausse prévue du nombre de places disponibles en hébergement pérenne.

Ensuite, la création de 1 000 nouvelles places en centre d’accueil des demandeurs d’asile nous permettra d’atteindre un taux de 45 % de demandeurs en cours de procédure hébergés à l’horizon 2015. Pourquoi seulement 45 % ? Parce que le nombre de places restera insuffisant : les demandeurs d’asile paient l’absence d’investissements réalisés au cours des dernières années. Il nous faudra donc soutenir le mouvement tout au long de la législature. En ce domaine, nous sommes limités non par notre propre volonté, mais par l’absence de volonté des dirigeants d’hier. Compte tenu du délai d’instruction des dossiers et de l’augmentation de la demande, la nécessité de réévaluer les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence n’échappera à personne.

Par ailleurs, la dotation globale de 120 millions d’euros pour soutenir l’activité d’Adoma – une association œuvrant au niveau national en faveur du logement d’urgence –, ainsi que d’autres dispositifs à gestion déconcentrée donneront aux préfets une capacité plus importante en termes de pilotage ou de financement de projets. Mais ne pourrait-on pas utiliser ces crédits supplémentaires pour financer de nouvelles places en CADA ou en CPH – les centres provisoires d’hébergement, qui logent les demandeurs une fois qu’ils ont obtenu le statut de réfugié –, c’est-à-dire pour favoriser l’hébergement pérenne ? Il nous appartient d’y réfléchir.

L’enveloppe couvrant l’allocation temporaire d’attente (ATA) est portée à 370 millions d’euros, et 230 millions seront consacrés aux actions de prise en charge médico-psychologique et sociale. Cette dotation répond à des situations urgentes de fragilité physique et morale.

L’augmentation du budget lié aux demandeurs d’asile ne sert pas uniquement à compenser le déficit d’engagement de la législature précédente. Ces moyens sont au service d’un projet ; ils s’inscrivent dans une perspective politique globale d’accompagnement. Dans cet esprit, le volet financier consacré à l’asile et à l’immigration traduit en actes une volonté politique très forte, attentive aux personnes et soucieuse d’humanité. Le choix de faciliter l’accès à la naturalisation, annoncé par le ministre, symbolise ce changement.

Mais il nous faut continuer nos efforts. Les actions d’intégration des étrangers en situation régulière doivent se poursuivre, notamment en matière d’accès à l’emploi, d’enseignement de la langue française et de formation. Or la réduction des crédits ne risque-t-elle pas de les remettre en cause ? De la même manière, accueillir des personnes en préfecture à six heures du matin n’est pas une bonne chose.

Mes chers collègues, le Gouvernement ne considère pas celui qui fuit ses terres comme un opportuniste, ni comme une variable d’ajustement électorale ou budgétaire. Nous pouvons être fiers de cette posture politique ferme, rigoureuse et raisonnée, qui ne sombre ni dans l’angélisme, ni dans la démagogie, ni dans la stigmatisation. Chacun le sait, c’est à la mesure du sort réservé aux plus fragiles que se juge le souci de justice sociale d’un gouvernement. Le nôtre répond une fois de plus présent ; nous pouvons en être fiers.

M. Guillaume Larrivé. En m’exprimant au nom de l’UMP, je tiens à souligner d’abord combien le défi de l’immigration est difficile à aborder. Il ne s’agit pas d’un dossier comme les autres, qu’il suffirait de traiter par des règles juridiques et des crédits budgétaires ; nous parlons de personnes, d’hommes et de femmes qui souhaitent quitter leur pays pour rejoindre le nôtre.

J’ai la conviction que nous devons aborder ces questions de manière paisible, en gardant à l’esprit trois principes d’action.

Le premier est que la France, comme tout pays au monde, a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire. Le mot de frontière n’est pas un tabou, et il est légitime que l’État fixe des règles pour définir qui peut entrer en France et qui peut s’y installer. Il est tout autant légitime que l’État fasse respecter ces règles. Nous n’avons pas à nous excuser de faire appliquer la loi de la République, ni d’éloigner, y compris par la contrainte, les clandestins qui refusent de retourner volontairement dans leur pays.

Le deuxième principe est que nous devons réduire les flux d’immigration vers la France compte tenu de nos capacités d’accueil. La crise économique et financière qu’affronte notre pays rend en effet nécessaire une diminution du nombre de personnes accueillies en France.

Troisième principe : les personnes étrangères qui séjournent durablement à l’intérieur de nos frontières, qui maîtrisent notre langue, qui connaissent et aiment notre pays, qui travaillent, qui respectent nos lois et nos valeurs ont vocation à rejoindre la communauté nationale. La France est une nation qui sait accueillir en son sein les personnes qui réussissent leur parcours d’intégration et, plus encore – comme le dit explicitement le code civil –, leur assimilation.

C’est au regard de ces trois principes que nous avons attentivement examiné votre budget, traduction d’une politique. Je souhaite vous faire part d’un point d’accord – avec vous, monsieur le ministre, mais pas avec le groupe socialiste – et de trois points de désaccord, qui nous conduiront à ne pas voter les crédits de cette mission.

Le point d’accord porte globalement sur la politique d’asile. Oui, la France doit rester fidèle à sa tradition d’accueil des combattants de la liberté ; oui, nous devons continuer à diminuer les délais d’examen des demandes, devant l’OFPRA comme devant la Cour nationale du droit d’asile ; oui, nous devons réussir à bâtir une véritable politique européenne de l’asile. Vous vous y employez d’ailleurs avec votre collègue allemand au sein du conseil « justice et affaires intérieures » – JAI –, vous inscrivant ainsi pleinement dans la continuité de la conférence sur l’asile organisée par Brice Hortefeux en septembre 2008, pendant la présidence française de l’Union européenne.

Mais – et c’est le premier désaccord majeur – vous n’assumez pas clairement la nécessité de reconduire dans leur pays les étrangers en situation irrégulière, si besoin en utilisant la contrainte. Si plus de 225 000 clandestins ont été raccompagnés chez eux entre 2002 et 2011, c’est parce que les ministres successifs ont assumé le fait de demander aux préfets, aux policiers et aux gendarmes d’intervenir pour les expulser. Au contraire, vous avez choisi de ne plus assigner à chaque préfet un objectif chiffré de reconduite à la frontière. De même, les documents budgétaires ne comportent aucun objectif national.

Je ne sous-estime pas les difficultés pratiques et juridiques entraînées par la jurisprudence récente de la Cour de cassation, qui a compliqué la tâche de l’administration. Il est urgent de modifier la procédure d’éloignement – et nous en débattrons bientôt en examinant un projet de loi –, mais il est aussi urgent de réaffirmer une volonté politique de lutte contre l’immigration irrégulière, qui fait aujourd’hui défaut. Notre collègue Grandguillaume veut fermer des centres de rétention administrative ; nous pensons au contraire qu’il faut les remplir.

Le Gouvernement envoie plusieurs messages d’ouverture à l’intention des clandestins. Cet été, la ministre de la santé a fait voter une réforme de l’aide médicale d’État destinée à rendre totalement gratuits les soins qui leur sont prodigués ; vous proposez quant à vous de supprimer le délit d’aide au séjour irrégulier ; et le ministre du budget a accepté, lundi soir – peut-être dans un moment d’égarement –, une forte diminution de la taxe prélevée sur les cartes de séjour de régularisation : celle-ci passe de 110 à 50 euros. Telle est, au-delà des discours, la réalité.

Le deuxième point de désaccord concerne les naturalisations. Vous avez décidé – par une simple circulaire, une méthode qui diffère peu des courriers électroniques de M. Guéant – de supprimer un certain nombre de contrôles qui permettaient aux agents de l’État de s’assurer de l’assimilation des personnes souhaitant devenir françaises. Vous êtes même allé jusqu’à donner instruction aux préfets d’accepter des demandes de naturalisation présentées par des étrangers entrés illégalement en France. Cela traduit une conception curieuse de l’assimilation dans la communauté nationale.

Enfin, le troisième désaccord porte sur la dimension internationale de la politique d’immigration. Je regrette que le budget du ministère chargé de l’immigration, contrairement à ce qui avait été engagé lors du quinquennat du président Sarkozy, ne comporte plus aucun crédit relatif à l’aide publique au développement : ils ont tous été transférés au Quai d’Orsay. C’est, je le crains, la fin de la politique de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire, qui consistait à négocier des traités avec les pays d’origine. La France en avait signé treize, notamment avec les pays d’Afrique subsaharienne. Il s’agissait à la fois de limiter l’exode de compétences que subissent ces pays et de réduire en retour l’immigration en France. Interpellé à ce sujet, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a eu cette réponse édifiante, publiée au Journal officiel : « La politique d’aide au développement n’a certainement pas pour objet la lutte contre l’immigration irrégulière ».

Tout cela prouve que le Gouvernement défait méthodiquement ce que la précédente majorité avait entrepris dans le but de réduire les flux migratoires. C’est, nous le pensons, un choix dangereux pour la France.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre, le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » est potentiellement le plus clivant qui soit, et ce n’est que par défaut que vous échappez à ce danger. Ainsi, s’agissant des demandeurs d’asile, je ne vois rien de nouveau dans le projet de loi de finances, alors que la France est l’un des premiers pays d’accueil en Europe. Vous ne faites que suivre le rythme, incontestablement soutenu en raison de l’actualité internationale et des engagements pris par notre pays. Vous vous contentez de gérer le flux.

Non seulement les taux de progression des crédits ne varient pas entre 2012 et 2013, mais on peut relever des termes identiques d’un document budgétaire à l’autre, comme dans cet exemple : « des efforts sensibles ont été réalisés, au cours des dernières années, dans la prise en charge des CADA »… Le texte conclut d’ailleurs, et c’est tant mieux, à la nécessité de maintenir cet effort.

Nous partageons bien évidemment vos préoccupations en matière de réduction des délais de traitement des demandes : c’était également celles de vos prédécesseurs. Le rapport montre d’ailleurs l’efficacité de la convention liant l’État et l’OFPRA.

S’agissant des logements des demandeurs d’asile, vous êtes paradoxalement moins généreux que vos prédécesseurs : l’abondement annuel, qui était de 51 millions d’euros en 2011-2012, tombera à 34 millions d’euros en 2012-2013.

En bref, la France reste un pays ouvert au monde, mais vous ne faites que vous inscrire dans une continuité.

En matière d’immigration irrégulière, nous partageons les principes républicains que sont l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires adaptée au contexte économique de notre pays, tout en veillant à garantir en toutes circonstances la dignité humaine, notamment dans les centres de rétention. Or même si ce dossier ne se résume pas à un tableau statistique, nous sommes étonnés de ne vous voir afficher aucun objectif de résultat, au prétexte de la difficulté d’évaluer la pression migratoire. S’agit-il d’un flagrant délit de cachotterie ? Cette façon de camoufler sous de bons sentiments votre incapacité à assumer une politique est décevante et dommageable pour le pacte républicain.

Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est la baisse substantielle de l’effort financier consenti : les crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière refluent à 76 millions d’euros, après avoir atteint 85 millions d’euros en crédits de paiement en 2012. Le risque est donc majeur de ne pas maîtriser un problème très difficile. Vous devez assumer cette charge et ne pas vous contenter de stigmatiser vos prédécesseurs.

Finalement, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez n’est pas vraiment nouveau, dès lors que vos actes politiques sont contraints par les circonstances.

Pour finir, les décisions prises aujourd’hui au Conseil européen sont déterminantes pour la politique d’asile dans notre pays. Elles vont dans le bon sens. La question sensible de l’asile, qui pollue toute la politique du logement, et notamment du logement social, doit être examinée avec beaucoup d’attention et en adoptant une attitude républicaine. C’est ce que nous espérions déjà, avec Mme Danièle Hoffman-Rispal, lorsque nous avons travaillé, juste avant les élections, sur l’hébergement d’urgence. À cet égard, la qualité de nos débats de ce soir me donne beaucoup d’espoir.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR regrette le choix du Gouvernement de continuer à attribuer l’ensemble des compétences en matière d’immigration, dont l’asile et l’intégration, au seul ministère de l’intérieur, alors qu’elles étaient réparties sur plusieurs ministères avant 2007. Nous souhaitons en tout cas qu’une telle décision ne traduise pas la persistance d’une conception sécuritaire de l’immigration, que nous réprouvons.

Les crédits du programme « Immigration et asile » sont en augmentation, mais nous regrettons que, pour la troisième année consécutive, les dispositifs d’urgence se voient dotés d’une part nettement supérieure à celle de l’hébergement pérenne. Nous ne comprenons pas cette logique tendant à octroyer plus de crédits aux dispositifs d’urgence, plus coûteux et moins efficaces, au détriment des dispositifs pérennes, et notamment des CADA, pourtant seuls garants de la stabilité de l’accompagnement, de la dignité et de la justice tout au long de la procédure d’asile. À cet égard, les 1 000 places dont la création est prévue cette année semblent bien dérisoires quand les associations – en particulier France terre d’asile – estiment qu’il en faudrait entre 5 000 et 10 000 de plus. Nous sommes donc soucieux de constater qu’en 2013, le dispositif d’hébergement d’urgence disposera d’une capacité d’accueil identique au dispositif pérenne, institutionnalisant ainsi l’inégalité de traitement entre demandeurs d’asile.

S’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière, nous prenons acte avec satisfaction de la volonté exprimée par le Gouvernement de mettre un terme à la politique du chiffre. Monsieur le ministre, vous avez annoncé en juillet l’élaboration d’une circulaire adressée aux préfets et destinée à préciser les critères à prendre en compte pour régulariser les étrangers en situation irrégulière. Pouvez-vous confirmer qu’elle sera élaborée avec les associations concernées, en particulier celles qui sont regroupées au sein de la Plateforme 12 ? Dans quel délai sera-t-elle publiée ?

Malgré la diminution du nombre de personnes placées en rétention administrative, les conditions de rétention demeurent intolérables à nos yeux. Votre circulaire du 6 juillet constitue certes une avancée, mais elle n’est pas pleinement satisfaisante, car elle n’interdit pas la rétention des enfants accompagnés de leurs parents – elle se contente de préciser que cette pratique doit devenir exceptionnelle. Par ailleurs, elle ne dit rien de la rétention administrative des enfants étrangers isolés.

Concernant le programme « Intégration et accès à la nationalité française », la diminution des crédits qui lui sont consacrés nous paraît contre-productive et inquiétante, alors que les besoins ne cessent de croître. Cela étant, nous sommes satisfaits de la volonté du Gouvernement de revenir sur la très forte réduction du nombre de naturalisations mises en œuvre depuis 2010. En particulier, la circulaire que vous avez publiée la semaine dernière pour modifier les conditions de naturalisation va dans le bon sens.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. M. Richard a raison : ces questions sont difficiles, compliquées, non seulement parce qu’elles ont été utilisées sur le plan politique depuis des années – notre pays n’est d’ailleurs pas le seul à connaître un tel phénomène –, mais aussi parce que le rapport à l’autre, à l’étranger, est un problème très ancien dans notre société. Il faut essayer d’appréhender ce problème avec justesse, dans le respect des personnes, sans stigmatiser, avec la volonté de respecter les droits, mais sans faire preuve de naïveté. Nous savons en effet ce que peut coûter à une société le fait qu’une crise économique se conjugue avec une crise identitaire et culturelle. Cela peut conduire à des incompréhensions, des rejets, des mouvements de fond qui emporteraient tous les républicains. J’appelle donc à tenir un discours de responsabilité, qui doit se traduire par des actes.

Certes, nous sommes ici pour discuter d’un budget, mais derrière les chiffres, il y a des politiques, et aussi des mots. Or les mots, dans une société en crise, peuvent compter : ils peuvent aviver les tensions ou, au contraire, les apaiser en faisant appel à l’intelligence de nos concitoyens. Il est donc de notre responsabilité d’informer et de faire œuvre de pédagogie. En disant cela, je ne cherche à donner aucune leçon.

M. Grandguillaume a, avec raison, placé son discours sous l’égide de Jean Jaurès et des notions de responsabilité, de vérité, de fermeté et de justice. C’est bien la démarche que nous essayons d’adopter.

La difficulté de ce budget, c’est qu’il touche à des questions très différentes, même si elles ne sont pas sans lien entre elles. Le choix a été fait par le Président de la République et le Premier ministre de conserver une cohérence à la politique migratoire, sous la responsabilité du ministre de l’intérieur. Je l’ai dit hier à propos de la mission « Sécurité » : il n’est pas nécessaire de défaire à tout prix ce qui a été fait, ou d’opérer systématiquement des ruptures pour être efficace, pour améliorer une politique ou faire en sorte qu’elle corresponde aux valeurs que nous jugeons essentielles. Défaire, c’est prendre le risque de perdre du temps et de faire passer des messages contradictoires, à l’intérieur comme à l’extérieur de notre pays. Nous ne voulions pas prendre cette responsabilité. C’est aussi une question de cohérence.

Monsieur Dolez, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire aux associations, je n’admets pas que le ministère de l’intérieur soit perçu uniquement comme celui de la police et de la répression. La police et la gendarmerie assument, certes, l’ordre républicain, car sans cet ordre il n’y a ni progrès social, ni droits, ni possibilité de vie commune. Qui, sinon les policiers et les gendarmes, pourrait assurer la régulation des flux migratoires ? Voulez-vous que ce soient les élus, les associations, les gardes champêtres, les curés ? Soyons sérieux ! C’est aux forces de l’ordre d’assumer pleinement ces responsabilités. Mais le ministère de l’intérieur c’est aussi le ministère des droits, et c’est sous le régime de la loi et de la Constitution qu’agissent ses fonctionnaires. Je le dis avec fermeté, car j’en ai assez de cette vision répressive du ministère de l’intérieur. Cette position fait l’objet d’un débat au sein de la gauche, mais pour ma part, je l’assume.

M. Marc Dolez. Vous avez un héritage aussi !

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. C’est un autre héritage que je revendique. Vous le savez bien, monsieur Dolez, ceux qui ont gouverné à gauche depuis 1981 n’ont jamais failli quand il s’est agi de maintenir l’ordre. Mais l’héritage ne fait pas non plus des policiers et des gendarmes des sarkozystes en puissance. Il y a une continuité – et je l’assume – dans le choix de garder la politique migratoire et d’asile, et celle d’intégration et de naturalisation sous la responsabilité des préfets. Ces derniers sont des hauts fonctionnaires qui ont souvent été maltraités ; et s’ils assument une ligne politique, c’est au nom de l’intérêt général et de l’État de droit.

Il s’agit de débats compliqués, et beaucoup de questions techniques ont été soulevées.

Monsieur Larrivé, vous dites que la France a le droit de choisir qui elle doit accueillir sur son territoire. Ayant d’autres références, je préférerais, pour ma part, citer – en entier – la fameuse phrase de Michel Rocard, mais d’une certaine manière, je pourrais faire écho à votre remarque : oui, la France en a le droit, dans le respect de la loi républicaine et des conventions européennes et internationales qui régissent l’immigration et le droit d’asile. La loi républicaine doit être claire, et s’appliquer de manière égale pour tous, dans la dignité et le respect des personnes.

Je constate que vous êtes d’accord avec moi quand je suis moi-même d’accord avec mes prédécesseurs, mais en désaccord quand j’introduis un changement. Vous m’accusez de ne pas assumer les reconduites à la frontière, mais je vous mets en garde contre ce qui n’est qu’un procès d’intention. Le Président de la République a promis de lutter avec fermeté et rigueur contre l’immigration clandestine, s’attaquant avant tout à ceux qui l’organisent. Dans le cadre de cette politique de lutte contre l’immigration irrégulière, j’effectue des reconduites à la frontière ; je procède et je procéderai à des éloignements dans le respect du droit. Je ne fais pas de course au chiffre, mais le nombre de reconduites à la frontière réalisées en 2012 sera supérieur à celui de 2011. Le débat serait plutôt de savoir qui on reconduit ; en l’occurrence, il s’agit souvent de populations européennes, ce qui a également permis d’augmenter ce chiffre.

C’est non pas depuis le 15 mai, comme vous l’affirmez, mais depuis le mois de mars que les éloignements sont en diminution. Étant au pouvoir, vous aviez en effet refusé d’appliquer les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne sur la suppression des gardes à vue des étrangers en situation irrégulière. Les juges, eux, ont commencé à appliquer cette décision par anticipation, avant même notre arrivée au pouvoir, et encore plus quand un premier avis de la Cour de cassation l’a confirmée début juillet. Un texte de loi créant un mécanisme de retenue pour vérification du droit de séjour est en cours d’examen au Sénat ; mais ce mécanisme aurait dû être anticipé avant, son absence étant l’une des raisons de la baisse des reconduites à la frontière.

À l’aide de ce nouveau mécanisme – qui doit encore être débattu et voté par le Parlement – ce Gouvernement et le ministre de l’intérieur que je suis ont la volonté de mener une politique humaine, juste, respectueuse du droit, mais très ferme concernant les reconduites à la frontière. Il n’y aura pas non plus de régularisations massives des sans-papiers ; nous préparons actuellement une circulaire allant dans ce sens et aurons aussi l’occasion d’en débattre. Cette politique est celle du Président de la République et du Premier ministre, et je l’applique sans réserve. Ces sujets ont été tellement exploités depuis quelques années que la confusion pointe dès que le débat ne respecte pas la bonne foi, les chiffres. J’espère avoir clarifié ce qu’est le fond de notre politique dans ce domaine.

J’en viens aux questions des rapporteurs. La situation relative à l’hébergement des demandeurs d’asile, qu’ont évoquée M. Grandguillaume et Mme Dagoma, n’est pas satisfaisante. Des efforts ont été faits dans le passé, notamment en matière de création de places dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA. La politique d’asile n’est pas une variable d’ajustement de la politique d’immigration, même si cette dernière doit parfois s’occuper des déboutés du droit d’asile. Je n’ai pas pu me rendre au conseil « Justice et affaires intérieures », au Luxembourg, mais nous avions anticipé ses décisions avec mon homologue allemand à l’occasion de notre rencontre à Berlin il y a deux jours. Le droit d’asile est aujourd’hui détourné par certains ressortissants des pays qui ont récemment bénéficié d’une libéralisation du régime des visas, ce qui engendre des difficultés importantes. M. Grandguillaume connaît parfaitement le sujet puisque dans tout l’est de la France, les villes, les structures de l’État et les associations font face à un afflux de demandes d’asile.

Cependant, la sous-dotation structurelle des crédits d’hébergement d’urgence place les préfets dans une situation très difficile. L’absence de visibilité sur les crédits les empêche de passer des contrats avec les structures d’hébergement dans de bonnes conditions. Pour le budget 2013, j’ai obtenu deux arbitrages importants : d’une part, la création de 1 000 places supplémentaires en CADA, bon début lorsque l’on sait qu’aucune place nouvelle n’avait été ouverte depuis plus de deux ans, alors que le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de près de 25 % durant la même période ; d’autre part, un rebasage des crédits d’hébergement d’urgence de 35 millions d’euros qui permet enfin d’ajuster la dotation à la réalité de la dépense. Si la demande d’asile n’augmente pas de façon imprévue – l’hypothèse inverse n’est malheureusement pas à exclure –, nous pourrions sortir de l’insincérité budgétaire qui complique la gestion des dispositifs au plan local.

La diminution des délais d’examen des demandes d’asile est la priorité du Président de la République, que je mets en œuvre. Début 2013, des effectifs supplémentaires seront pour cela recrutés à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, la durée de séjour en CADA devrait être réduite, ce qui entraînera un turn-over plus important et donc une capacité d’accueil accrue en CADA, au-delà des 1 000 places créées. J’ai bien entendu les remarques formulées sur les coûts respectifs des deux systèmes et l’avantage économique de l’hébergement en CADA – au demeurant pas toujours vérifié car il dépend de la composition de la famille du demandeur d’asile hébergé, et notamment de la présence ou non de mineurs. Je suis prêt à examiner en cours d’année, en fonction de la situation en CADA et de l’hébergement d’urgence, avec ma collègue Cécile Duflot, une éventuelle substitution de crédits entre les deux dispositifs, à coût constant, au bénéfice de création de places supplémentaires en CADA. Cette évolution devra être validée au niveau interministériel, en association avec le Parlement.

Une autre question concerne l’utilité de conserver tous les centres de rétention administrative. Le taux d’occupation des CRA est de 52,5 % sur les neuf premiers mois de l’année 2012, en très légère augmentation par rapport à la même période de 2011 ; il était de 46 % pour le seul mois de septembre. Ces taux – liés aux décisions de la Cour de cassation sur la garde à vue – peuvent conduire à s’interroger sur le maintien du nombre de places qui s’élève aujourd’hui à 1 672. Je ne suis pas fermé à cette réflexion, mais il faut tenir compte des éléments plus qualitatifs : certains CRA peuvent être ponctuellement indisponibles, suite à des dégradations, comme actuellement à Bobigny, à des destructions, comme dans le passé à Vincennes, ou à des travaux. La capacité d’accueil en CRA doit donc toujours prévoir une marge pour faire face à des besoins imprévus. Au-delà de la simple capacité d’hébergement, il faut aussi prendre en considération le maillage territorial. Pour que les procédures d’éloignement se déroulent dans des conditions satisfaisantes et respectueuses des droits, les CRA ne doivent pas être trop éloignés des lieux d’interpellation. Il ne faudrait pas que, comme cela a pu se faire dans le passé, faute de CRA à proximité ou disponible, les retenus soient mélangés aux gardés à vue dans des commissariats de police. Enfin, et avant toute décision de fermeture de CRA, il importe d’avoir stabilisé la réflexion sur l’articulation entre rétention et assignation à résidence, tout en tenant compte de la décision de la Cour de cassation, de la nouvelle loi à venir, et des évolutions européennes en matière de rétention qu’il nous faudrait anticiper – je compte, mesdames, messieurs les députés, sur vos conseils et sur votre travail à cet égard.

S’agissant du marché de l’assistance juridique évoqué par M. Grandguillaume, en vigueur depuis 2010, décomposé en huit lots et confié à cinq associations, il arrive à son terme à la fin de cette année. Les modalités de poursuite de cette action sont en cours d’examen et, avant de lancer un nouveau marché pluriannuel, je souhaite que la réflexion menée par nos services sur l’articulation entre rétention et assignation à résidence soit stabilisée.

Lorsque je me suis rendu en Roumanie en septembre dernier, en compagnie de Bernard Cazeneuve et de Dominique Raimbourg, tous mes interlocuteurs – ministres comme associations et ONG proches des populations roms – m’ont dit que notre système d’aide au retour humanitaire, qui coûte chaque année environ 3 millions d’euros, était inadapté, voire idiot, et qu’il avait un effet incitatif au départ pour les populations qui viennent en France. Nous sommes en train d’évaluer cette question ; je souhaite qu’elle soit traitée dans le cadre du groupe de travail mis en place au niveau européen à notre demande et accepté par la commissaire Viviane Reding, qui réunit les pays d’accueil comme les pays d’origine. S’il nous faut décider rapidement des orientations à adopter, nous devons nous garder de toute rupture brutale, car cette aide permet aussi les reconduites à la frontière et en y mettant fin, même pour de bonnes raisons, nous risquons de mettre en péril leur déroulement. Dans ce domaine délicat, il nous faudra nous appuyer sur les expériences et les possibilités disponibles ; je ne fais pour ma part qu’indiquer la direction que nous devrons prendre.

M. Alain Christnacht est revenu il y a quelques semaines d’une longue mission à Mayotte et aux Comores que le ministre des affaires étrangères et moi-même lui avions confiée. Le contexte local est celui d’une grande misère ; votre collègue Bernard Lesterlin qui connaît parfaitement le sujet peut témoigner du nombre de morts par noyade entre les Comores et Mayotte. Le CRA de Mayotte ne répond pas, en l’état, aux exigences en termes de conditions d’accueil, et son relogement est pour moi une priorité. Des travaux d’aménagement et de rénovation des locaux actuels, pour un coût de 400 000 euros, permettront avant la fin de l’année de doter le centre de trois salles dédiées respectivement aux femmes, aux familles et aux hommes, et de réaménager le poste de garde. Un nouveau CRA de 136 places, conforme aux normes d’espace et d’équipement, pourvu d’une zone d’attente de douze places et de locaux dédiés à la police aux frontières, la PAF, sera livré en 2015. Le projet est évalué à 25 millions d’euros. Le marché a été notifié le 18 septembre dernier et le début du chantier est prévu pour le printemps 2013.

L’accélération des procédures de traitement des demandes d’asile à l’OPFRA est un engagement du président de la République. Comme l’ont rappelé M. Geoffroy et Mme Chapdelaine, j’ai obtenu un renforcement des effectifs de l’Office, 10 officiers de protection devant être recrutés dès le début de l’année prochaine – chiffre non négligeable dans un contexte financier difficile. Ces mesures doivent permettre de diminuer le délai d’examen des dossiers à l’OFPRA, qui se situe déjà légèrement en dessous de six mois, alors qu’il était passé de 100 jours en 2008 à plus de 180 jours en 2011. Mais l’obtention de résultats dépend aussi de l’évolution de la demande d’asile, difficile à prévoir.

Il est vrai, monsieur Geoffroy, que le Président de la République a souhaité faire diminuer de manière significative les délais de traitement des demandes d’asile, l’objectif étant de passer de dix-huit à six mois. Mais ces délais ne dépendent pas uniquement de l’OFPRA ; le travail de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, prend également beaucoup de temps. Le président Sauvé, avec lequel je me suis entretenu, est conscient de l’effort que chacun doit faire, mais l’objectif de réduire le délai à neuf ou huit mois me paraît plus raisonnable que celui de six mois. Ce serait déjà un progrès important, étant donné la complexité de certains dossiers.

Madame Dagoma, les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » diminueront en effet de 7,5 % en 2013, passant de 71,6 millions à 66,2 millions d’euros. Cette diminution est conforme à la norme d’évolution des crédits d’intervention décidée par le Premier ministre. Néanmoins, en tenant compte de la hausse des fonds de concours européens, la baisse des crédits est limitée à 3,5 %. Cette évolution ne traduit pas un désintérêt pour la politique d’intégration des étrangers sur notre territoire, mais rend nécessaire un recentrage sur les priorités. L’essentiel de la politique d’intégration est porté par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dont le budget atteint 188 millions d’euros en 2012, soit près du triple des crédits du programme 104. La baisse de ces derniers affecte la subvention de l’État à l’OFII, principalement financé par les taxes, et à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour laquelle le ministère n’est qu’un contributeur parmi d’autres. Le budget de l’OFII pour 2013 préserve cependant les actions relatives à l’apprentissage du français à leur niveau de 2012. Les actions d’intégration des étrangers en situation régulière diminuant pour leur part de 3,2 millions d’euros, je souhaite les réorienter vers les étrangers arrivés récemment, pour financer en priorité l’apprentissage de la langue et l’accompagnement des familles primo-arrivantes vers une meilleure connaissance de l’école. Enfin, j’ai tenu à ce que les actions d’intégration des réfugiés soient sanctuarisées.

Nous pourrons revenir dans un autre contexte sur les grands axes de la politique du Gouvernement en matière d’intégration ; je me contente de signaler que le Premier ministre a confié au conseiller d’État Thierry Tuot une mission de réflexion sur la notion d’intégration et sur le portage administratif de la politique qui y est attachée. Nous aurons également l’occasion de reparler du projet de loi qui devrait être déposé au premier semestre 2013, visant à créer un titre de séjour pluriannuel susceptible de donner davantage de stabilité et de visibilité à ses titulaires.

Dans son arrêt du 27 septembre, la CJUE a considéré que les conditions d’accueil devaient être ouvertes aux demandeurs d’asile dont le dossier a vocation à être traité par un autre État membre en vertu du règlement de Dublin. Cela implique un hébergement d’urgence jusqu’au transfert effectif des demandeurs, alors que cet hébergement leur est ouvert actuellement jusqu’au mois suivant la décision d’admission, et l’ouverture de droits à l’allocation temporaire d’attente. Comme vous l’avez noté, l’impact financier sur les dépenses d’ATA de cette décision, intervenue après les arbitrages budgétaires, n’a pas été intégré dans le projet de loi de finances pour 2013 ; la France devra néanmoins respecter ses obligations. Une mission d’inspection doit se pencher très prochainement sur les modalités de gestion de l’ATA pour en identifier les marges d’amélioration, dans le respect des obligations légales de versement.

Monsieur Mennucci, nous avons décidé de modifier le dispositif d’accès à la nationalité française. Comme vous l’avez rappelé, ces dernières années, l’accès à la nationalité française a été entravé, ce qui s’est traduit par une baisse significative des naturalisations. La volonté du Gouvernement est de changer la donne, pour refaire de l’accès à la nationalité un moteur puissant de l’intégration.

Il ne s’agit pas d’ouvrir un grand débat sur la nationalité. Au cours de la législature précédente, j’ai présidé une mission sur la nationalité dont M. Goasguen était le rapporteur, et notre première audition fut celle de Pierre Mazeau. Cet ancien président du Conseil constitutionnel avait également été un parlementaire éminent, président de la Commission des lois à l’époque de la Commission Marceau Long que vous avez évoquée. C’est fort de toute sa sagesse qu’il nous a alors conjurés de ne plus toucher au droit de la nationalité. Ce type de débat – comme celui sur l’identité nationale, il y a deux ans – déchire la société française, et nous n’en ouvrirons pas de nouveau. Un cadre juridique existe, auquel Mme Guigou a beaucoup contribué comme garde des sceaux ; son application est assurée par des circulaires, comme celle que j’ai récemment signée – et vous en conviendrez, monsieur Larrivé, il y a quand même une différence entre une circulaire signée d’un ministre et un mail non signé.

Tout cela implique un travail important qui ne peut pas s’accomplir en quelques semaines. Une mission d’inspection qui examine en ce moment l’ensemble du dispositif pour me faire des propositions d’évolution, y compris d’évaluation organisationnelle, me remettra son rapport à la mi-novembre ; vous-mêmes, parlementaires, effectuez également un travail de qualité sur ces questions. Mais nous avons souhaité parer à l’urgence en revenant sur les critères les plus discriminants – le temps de présence sur le territoire national, l’âge, la détention d’un CDI – à l’origine de près de 70 % des refus de naturalisation. Soyez rassurés, avec les nouveaux critères, les futurs naturalisés seront de bons Français, et non des « Français au rabais » comme certains l’ont prétendu. Qui peut douter un seul instant de la volonté de ces personnes de s’intégrer dans notre société et d’être des citoyens faisant vivre nos valeurs ? Il s’agit de respecter les droits et les devoirs de chacun : si le Premier ministre a décidé l’abandon du QCM, nous maintenons le niveau d’exigence de maîtrise de la langue française, à laquelle je suis très attentif, ainsi que le principe d’une attestation, qui devient gratuite. Au total, je souhaite mener un travail ambitieux en matière de naturalisation, sans engager de polémique, mais en essayant de corriger le dispositif pour le rendre juste, transparent et efficace.

Vous avez évoqué la création de plateformes interdépartementales pour l’examen des dossiers de naturalisation. Je n’exclus pas de proposer en effet la mise en place d’une nouvelle organisation qui contribuerait à rendre le dispositif plus juste et plus transparent, qui simplifierait le traitement des dossiers tout en restant réaliste et compatible avec les moyens dont disposent les préfectures. Le cas échéant, j’examinerai la proposition de création de ce type de plateformes fondé sur le principe de la professionnalisation et de la mutualisation des pratiques des agents des préfectures. Toutefois, une telle mutualisation peut parfois soulever des problèmes s’agissant notamment des demandeurs d’asile, comme M. Grandguillaume le sait fort bien. Quoi qu’il en soit, nous tirerons tous les leçons de l’examen que nous nous apprêtons à réaliser.

Les conditions d’accueil des étrangers en préfecture, monsieur Grandguillaume, madame Dagoma, doivent en effet être satisfaisantes tant sur le plan du confort que de la discrétion. Il faut prendre sans tarder des mesures concrètes en ce sens. Cela constitue d’autant plus une priorité que la situation demeure inacceptable dans nombre de départements. Les personnes concernées attendent trop longtemps, elles sont parfois refoulées, des trafics se développent même pour accéder à la préfecture. C’est inacceptable ! Lorsque j’habitais en face de la préfecture de l’Essonne, j’ai été témoin de pareilles situations dont sont victimes, je le rappelle, des étrangers en situation régulière.

Les contraintes auxquelles nous sommes confrontés sont connues. La demande d’accueil s’est stabilisée depuis quelques années à un point haut avec près de 800 000 titres délivrés par an et 4,5 millions de réceptions aux guichets. Le nombre des étrangers accueillis augmentera toutefois puisque la biométrisation des titres oblige ces derniers à se déplacer en personne au guichet pour prendre leurs empreintes. Autre conséquence : le transfert en préfecture et en sous-préfecture de l’accueil réalisé jusqu’ici par les mairies ou les universités. C’est dans ce contexte que j’ai demandé là aussi à l’Inspection générale de l’administration de remettre un rapport faisant un point objectif de la situation et proposant des pistes d’amélioration.

S’agissant de la communication au Parlement des taux de décisions défavorables et des motifs sur lesquels elles se fondent, comprenez-moi, monsieur Mennucci : en mettant immédiatement fin aux critères les plus discriminants, je ne souhaite pas entrer dans une politique du chiffre ; je veux redonner à la France, sous l’autorité du Président de la République, des raisons d’être fière de son histoire et de ses valeurs. La chute du nombre de naturalisations que nous connaissons et sur laquelle vous avez insisté résulte d’une politique de repli. C’est précisément cela que nous voulons changer. Je veillerai à l’application de la première circulaire que j’ai envoyée aux préfets comme à celle de la circulaire cadre qui sera élaborée au début de l’année prochaine.

L’indicateur du nombre de refus n’est à cet égard pas suffisant. Il convient d’en analyser les motifs, travail forcément lourd et compliqué. Je me suis prononcé en faveur de la transparence du dispositif et, là encore, j’examinerai avec beaucoup d’attention votre proposition.

Messieurs Geoffroy et Ciotti, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer les questions de l’intégration des politiques d’immigration dans le périmètre du ministère de l’intérieur, du délai d’examen des dossiers à l’OFPRA et à la Cour nationale du droit d’asile, ainsi que des moyens déployés.

S’agissant de la vacance du poste de directeur général de l’OFPRA, Laurent Fabius et moi-même proposerons dans quelques jours aux Commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat le nom d’un candidat que nous avons choisi pour que vous l’auditionniez. Il est en effet très important que l’OFPRA ait un directeur et il n’est pas question de réaliser des économies sur ce type de poste. Compte tenu des enjeux à venir, nous voulions choisir quelqu’un qui ait un profil d’organisateur et de diplomate. Je ne peux que vous assurer de ses grandes capacités.

Monsieur Dolez, le Président de la République, au cours de la campagne électorale, s’est engagé à fixer plus précisément les critères ouvrant droit à la délivrance d’un titre de séjour. En effet, d’aucuns peuvent avoir le sentiment que la politique menée est arbitraire en constatant les différences existant à ce propos d’un département à l’autre. J’ai donc demandé à mon cabinet et aux services du ministère d’engager la rédaction d’une circulaire en concertation avec les organisations syndicales et le milieu associatif - dont j’ai reçu personnellement les représentants - afin de clarifier les éléments d’appréciation à prendre en compte lors de l’examen par l’autorité administrative compétente.

Les catégories visées par la circulaire seront les parents d’enfants scolarisés, les jeunes majeurs et les étrangers pouvant faire valoir des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels, notamment en raison de leur insertion professionnelle. La circulaire précisera les modalités d’appréciation de la durée de séjour mais, à ce stade, nous ne sommes pas encore entrés dans le détail. Il conviendra, ensuite, que le demandeur prouve son insertion dans la société française ainsi qu’une maîtrise orale minimale de notre langue et manifeste son respect des valeurs de la République. Les parents d’enfants scolarisés devront quant à eux prouver qu’ils assurent effectivement la charge qui leur incombe dans le suivi de la scolarité de leurs enfants. Comme vous le savez, l’engagement des parents auprès des enfants dans le cadre de la vie scolaire pendant plusieurs années constitue une preuve satisfaisante d’intégration sociale.

Pour les étrangers qui feront état de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires, il sera tenu compte de leurs capacités à s’insérer professionnellement, en application de l’un des articles du CESEDA. Le champ de l’admission exceptionnelle au séjour par le travail sera quant à lui ouvert à tous les métiers, la procédure de régularisation par le travail n’étant plus limitée aux titulaires d’un contrat de travail dont le métier est listé par arrêté ministériel. Pour les jeunes mineurs devenus majeurs, la circulaire soulignera sans doute l’importance de prendre en considération non seulement les liens personnels et familiaux tissés en France, mais aussi le parcours de réussite scolaire et universitaire.

La circulaire sera publiée dans le courant du mois de novembre et consacrera l’engagement de François Hollande de formuler des règles claires et appliquées de façon égale pour tous et partout. En fixant des critères, elle permettra de régulariser beaucoup d’étrangers, comme c’est déjà le cas du reste – 30 000 sont régularisés tous les ans –, mais il y aura aussi des reconduites à la frontière. Cela signifie donc qu’il n’y aura pas de régularisation massive. Je l’ai déjà dit : cette politique ne se traduira pas par des évolutions sensibles en termes de chiffres, s’agissant tant des régularisations que des reconduites à la frontière. Telle est la volonté du Gouvernement. Personne ne peut en douter : nous serons extrêmement fermes. Nous sommes, en effet, dans une situation économique et sociale où il faut être très prudent. Nous ne pouvons pas nous permettre de promouvoir des politiques qui ne seraient ni acceptables ni acceptées par nos compatriotes.

M. Pierre-Alain Muet, président. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces réponses détaillées et complètes.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie également, monsieur le ministre, pour la clarté et la précision de vos réponses qui montrent que vous avez une ligne et tenez un cap, ce qui est évidemment essentiel. Je partage les orientations dont vous venez de faire état, lesquelles illustrent une certaine continuité non seulement avec la politique de gouvernements dont j’ai jadis fait partie, mais aussi avec certaines politiques menées, ce qui est une bonne chose.

Les politiques dont vous avez la charge ont une dimension européenne importante, que ce soit en matière d’immigration ou d’asile. De ce point de vue-là, la qualité des politiques européennes mises en œuvre s’est accrue, de même que les processus d’intégration, mais la pression à laquelle nous sommes confrontés s’est aussi accentuée.

La principale porte d’entrée de l’immigration clandestine se situe à la frontière gréco-turque. La Grèce, pour toutes sortes de raison, éprouve les plus grandes difficultés à contrôler cette frontière extérieure de l’Union européenne. Le système européen hérité de Schengen et d’autres traités repose sur la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace européen, ainsi que sur un contrôle vigilant des frontières extérieures. Comment évaluez-vous le mécanisme européen de responsabilité et de solidarité auquel chaque État membre est soumis, lequel se manifeste à travers les fonds de concours intégrés dans cette mission budgétaire ? Est-il équitablement partagé ?

L’Europe ayant l’intention de développer un partenariat avec les pays d’immigration, notamment suite au printemps arabe, quelles sont vos priorités en la matière ?

Les politiques européennes du droit d’asile devraient être communes. De nouvelles intentions ont été formulées en ce sens et un calendrier a semble-t-il été fixé pour qu’un « paquet » de directives et de règlements nouveaux créant un tel régime commun soit adopté avant la fin de cette année. Ce calendrier vous paraît-il raisonnable ? Là encore, quels axes prioritaires entendez-vous développer ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’intérêt des questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre, est un peu obéré par la précision et l’étendue de vos réponses. Je me contenterai donc de vous demander d’approfondir certaines de celles que vous avez apportées.

Vous avez en mémoire les polémiques et les difficultés qui se sont fait jour lorsque le gouvernement précédent a quasiment fermé l’accès aux CRA. Comment jugez-vous le travail des cinq associations qui interviennent en matière d’accompagnement social, d’aide à l’information et d’exercice des droits des personnes retenues ? Qu’en est-il des définitions des modalités de l’appel d’offres ? Dans quelles conditions envisagez-vous la mise en œuvre des dispositifs d’assignation à résidence actuellement à l’étude ?

Le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) de M. Arnaud Bernard et Mme Hoffman-Rispal qui avait été rédigé parallèlement à celui de la Cour des Comptes montre, s’agissant des problèmes de logement, d’hébergement d’urgence et de CADA, que nous sommes confrontés à un véritable goulot d’étranglement. La lente augmentation des places, y compris pour des raisons techniques, génère une véritable embolie. Entre les personnes qui peuvent bénéficier des logements d’urgence mais qui n’en trouvent pas et celles qui, faute d’avoir obtenu le statut de demandeur d’asile, ne sortent pas très rapidement des CADA, on mesure l’ampleur des difficultés. Conséquence encore plus grave d’une telle situation : les offres d’hébergement d’urgence sur les territoires, indépendamment du statut des réfugiés et des demandeurs d’asile, sont réduites à la portion congrue. Dans certains départements, après le mois de novembre, on n’en dénombre même plus aucune. Comment faire pour éviter d’avoir a gérer dans l’urgence de telles situations ? Alors que des familles vont de squat en squat, que l’on confond des personnes qui ont des papiers avec celles qui n’en ont pas et que l’offre de logement est totalement fermée, les difficultés rencontrées sont grandes. Une réflexion soutenue sur les enjeux du logement ne pourrait-elle pas être menée conjointement par les ministères du logement, de la cohésion sociale et de l’intérieur ? Je me permets de rappeler que la situation actuelle se traduit par un coût d’hébergement de 1 million d’euros par jour, soit 365 millions d’euros par an : c’est une somme supérieure à l’investissement en faveur de l’aide à la pierre réalisé par le précédent gouvernement !

Enfin, ne pourrait-on pas résoudre le problème des CADA en nouant des partenariats avec Adoma, dont je tiens à souligner les difficultés, en réformant la démarche de cette institution ? Une révision des stratégies d’abandon de patrimoine que nous avons connues ces dernières années pourrait sans doute être aussi engagée afin de proposer des offres nouvelles.

Je suis très satisfait du contenu de la circulaire que vous venez d’annoncer, monsieur le ministre. Les conditions dans lesquelles les décisions interviennent seront enfin mises à plat et leur légitimité, qu’il s’agisse de reconduites à la frontière ou d’informer les demandeurs de la nature des décisions appliquées, en sera confortée.

M. Philippe Goujon. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, monsieur le ministre. Comme vos prédécesseurs, vous essayez d’associer fermeté et humanité dans un domaine particulièrement difficile. Je crains, toutefois, que cet équilibre ne soit rompu.

En effet, j’ai du mal à croire que, comme vous le dites, vous parviendrez à maintenir un haut niveau de reconduites à la frontière d’étrangers clandestins – 33 000 en 2011 alors que l’objectif du précédent gouvernement était d’atteindre 40 000 en 2012. Aujourd’hui, à Paris, les interpellations d’étrangers sans papier ont chuté de 50 %. Le taux d’occupation des CRA, quant à lui, a baissé de 65 % au mois de mars 2012, de 57 % au mois d’avril, de 55 % au mois de mai, de 48 % au mois de juin, de 41 % au mois de juillet et d’environ 35 %, dit-on, au mois de septembre. La situation n’est donc pas tout à fait la même que sous la précédente majorité. Il y a quelques semaines, on nous a indiqué qu’au CRA du Mesnil-Amelot, le plus grand de France, seules 90 places sur 240 étaient occupées.

Nous sommes très inquiets, car vous ne fixez aucun objectif chiffré. Nous voulons bien vous croire et ne pas vous faire de procès d’intention quand vous dites que le taux de reconduites à la frontière sera supérieur cette année, mais vous ne fixez aucun objectif chiffré pour des raisons de fond.

Vous augmentez de 24 % les crédits de prise en charge de demandeurs d’asile, mais pas ceux consacrés aux reconduites à la frontière. Vous prônez la fermeté dans vos discours, je vous en donne acte de façon républicaine, mais vous assouplissez les critères de régularisation au risque de provoquer une vague massive d’immigration, comme nous l’avons connue sous le Gouvernement Jospin avec les 80 000 régularisations de 1998. Si votre circulaire rassure nos collègues de gauche, elle nous inquiète en revanche au plus haut point.

Favoriser l’intégration ne me semble pas compatible avec l’ouverture tous azimuts des naturalisations – même si la formule est un peu forte – auxquelles vous procédez en abaissant le niveau d’exigence de connaissances de notre langue, de notre culture, de notre histoire, en abandonnant la condition d’insertion professionnelle durable – suppression du critère de CDI –, en divisant par deux la durée de présence en France, etc. Peut-être ne s’agit-il d’ailleurs là, si je me reporte à des journaux du matin, que de compenser le report du droit de vote des étrangers aux calendes grecques…

Vous voulez inciter les ressortissants des pays d’Europe de l’Est, en particulier les Roms, à repartir dans leur pays en démantelant leurs campements – je constate ce soir encore que les choses vont dans le bon sens puisqu’un charter a été affrété à Lille pour organiser le retour, il est vrai volontaire, de 179 Roms roumains. À la fin du mois de septembre, le nombre d’expulsions sera de 7 000, mais il n’en reste pas moins que vous ouvrez le droit au logement et à l’emploi à cette population alors que nous battons des records de chômage. De plus, quels types de logements pourront-ils être mis à sa disposition ?

Vous savez également que la délinquance des ressortissants de l’Europe de l’est, concentrée sur des faits de vols et de mendicité agressive, n’a cessé de croître. Ǎ Paris, elle est en hausse de 78 % et était en 2011, pour 60 %, le fait de mineurs. Il y a bien trouble grave à l’ordre public. Le chiffre est terrible : un déferrement sur dix à la justice, à Paris, concerne désormais un migrant roumain. Certains d’entre eux sont interpellés vingt, trente, cinquante fois en flagrant délit et la justice peine à les dissuader de récidiver. Leur présence a même suscité récemment l’exaspération des Marseillais – je parle sous le contrôle de M. Mennucci. Quels moyens comptez-vous donc mettre en œuvre pour lutter contre cette délinquance de masse alors que le seul geste significatif auquel nous avons récemment assisté à Paris est la suppression des arrêtés anti-mendicité sans qu’ils aient été remplacés par un autre dispositif ?

Pouvez-vous donner de plus amples informations sur les résultats de votre déplacement en Roumanie dans le but – et nous sommes d’accord avec vous si tel est bien le cas – de développer efficacement l’aide au retour et de réintégrer cette population dans son pays d’origine en liaison avec l’Union européenne ?

Enfin, je note que l’aide au développement ne figure plus dans les crédits de votre ministère.

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la Commission des lois. Des collègues ont souligné que les questions relatives à la naturalisation relevaient désormais du seul ministère de l’intérieur. Je m’en suis également fait la remarque, mais je me suis forgé une conviction suite aux différentes auditions auxquelles j’ai assisté. Peu importe, en fait, le ministère qui a la main en la matière : le problème, ce sont les orientations politiques défendues. Il serait possible, par exemple, d’imaginer une Chancellerie extrêmement sévère et un ministère de l’intérieur qui agirait comme il le fait aujourd’hui. Poser la question de cette manière, c’est donner le sentiment que notre conception du ministère de l’intérieur s’inscrit non pas dans celle que nous avons de l’action gouvernementale, mais dans ce qui se dit ou dans l’image que l’on peut avoir de la police. Je crois, quant à moi, que la politique change les choses. Ce qui compte, c’est la façon dont on applique une politique et non le ministère auquel on appartient. Prétendre qu’il en est autrement peut même être blessant. Je le dis d’autant plus volontiers que, je le répète, j’ai pu partager le point de vue qui a été exprimé avant d’examiner la façon dont les choses se sont passées et de comprendre, grâce à Manuel Valls et aux directives qui ont été prises, que ce n’est pas tant la question du ministère qui importe que celle de l’orientation politique.

M. Marc Dolez. Je ne voulais ni irriter M. le ministre ni blesser M. Mennucci, mais nous aurions préféré revenir à la répartition des compétences d’avant 2007. De plus, comme je l’ai dit au ministre, le Gouvernement ne doit pas confirmer la conception sécuritaire de l’immigration qui était celle du précédent Gouvernement. Mais j’ai cru comprendre, en l’écoutant, qu’il ne la confirmerait pas.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. La situation à la frontière de la Grèce et de la Turquie est en effet préoccupante, même si la Grèce, avec le soutien de l’Union européenne, a commencé à assumer ses responsabilités dans une situation très difficile. Nous cherchons à obtenir de l’aide de la part de la Turquie. Ce pays a ainsi signé une convention de coopération technique avec la Grèce sous l’égide de l’agence Frontex, laquelle est évidemment soutenue par la France. La situation demeure néanmoins très fragile et la pression migratoire est très forte à la frontière gréco-turque, comme dans l’ensemble des Balkans. Nous travaillons aussi avec la Roumanie et la Bulgarie afin de les aider à renforcer leurs frontières. Des missions ont lieu ; la Commission européenne émet des avis ; les accords de Schengen soulèvent de nombreux débats qui se poursuivront dans les mois à venir. Nous sommes allés trop vite en intégrant la Roumanie et la Bulgarie, d’où les incontestables défis et problèmes auxquels nous sommes confrontés.

S’agissant des directives relatives à l’asile, le calendrier prévu pour la fin de l’année 2012 est réaliste pour une partie des textes en discussion. Il est plus incertain pour la directive procédure, qui nécessitera deux mois supplémentaires de travail à la Commission, au Parlement et au Conseil JAI, mais l’idée est de la boucler pour le début de l’année 2013.

Certes, les débats sur le nouveau système d’asile européen ont parfois été complexes, car les visions de la Commission et du Parlement, d’un côté, et du Conseil JAI, de l’autre, n’ont pas toujours été semblables. Mais il est clair qu’une adaptation des règles est nécessaire. Ce sera le cas pour l’OFPRA, avec l’entretien en présence d’une tierce personne, et pour l’agence européenne chargée de l’asile, mise en place depuis deux ans, qui aura un rôle d’appui.

La responsabilité et la solidarité seront au cœur de ces nouveaux dispositifs avec les deux pôles du système européen, le projet pilote de réinstallation des réfugiés présents à Malte et les fonds européens. Le plan d’action pour la Grèce en est l’illustration avec la réforme indispensable du système d’asile dans ce pays.

La responsabilité et la solidarité impliquent également d’assumer la reprise des demandeurs d’asile dans les pays d’entrée, conformément au règlement de Dublin. C’est aussi mettre en place un système d’alerte précoce pour éviter que ne se reproduise la situation de la Grèce : il s’agit de déclencher très tôt un programme d’appui lorsque la situation d’un État membre devient critique par rapport à ses obligations.

Monsieur Goujon, monsieur Larrivé, cette politique ne s’inscrit pas toujours dans la continuité de mes prédécesseurs, mais il était important de faire passer le message, au premier Conseil JAI, que la France ne sortirait pas et ne menaçait pas de sortir de Schengen. Il est inutile de créer des tensions avec les pays européens, même si les discussions avec eux sont franches : si nous voulons être efficaces nous avons besoin, dans cet espace défini par Schengen, de rapports de confiance consolidés.

Monsieur Le Bouillonnec, le marché de l’assistance juridique arrive à son terme. À la demande des associations titulaires du marché, j’ai donné mon accord pour que ne soit pas republié tout de suite un marché pluriannuel. L’articulation entre rétention et assignation à résidence doit être clarifiée, et pas seulement pour les familles. Je vais m’y employer. Le travail réalisé par la Cimade, l’Ordre de Malte, le Forum des réfugiés, l’ASSFAM et France Terre d’asile est de qualité. Je ne stigmatiserai pas le rôle de ces associations, qui est très important. Je tiens à maintenir avec elles un dialogue de grande qualité, même si nous pouvons diverger sur certains sujets, ne poursuivant pas les mêmes objectifs. Je n’ai pas d’a priori, car écarter telle ou telle serait contraire à l’idée de ce marché.

Vous avez raison de souligner le problème de rotation dans les CADA. Les réfugiés doivent pouvoir accéder au logement social, d’où l’effort du Gouvernement en la matière. Les déboutés, eux, doivent être reconduits quand ils doivent l’être.

Avec le ministère en charge du logement, nous menons un important travail de coordination sur l’hébergement d’urgence. Il sera long, et je ne vous cache pas mon inquiétude au regard des sommes engagées. Je mesure le défi à relever.

Nous aurons à faire face à de vrais problèmes avec l’arrivée de populations en provenance de Macédoine, d’Albanie ou de Serbie. Il nous faudra les traiter à un moment difficile pour le pays, mais je ne doute pas que le dialogue fructueux avec le Parlement nous y aidera.

Monsieur Goujon, s’agissant de la naturalisation, le niveau d’exigence de maîtrise de la langue française est maintenu. Nous ne bradons pas la nationalité française, mais nous voulons un dispositif transparent, juste et efficace. Accueillir de nouveaux Français dans de bonnes conditions est un défi pour notre pays. Sur ce sujet, nous devrions nous retrouver.

Je vous rappelle que, lors de la mission sur la nationalité, votre collègue Claude Goasguen, qui en était le rapporteur, avait mis en cause la double nationalité avant de revenir sur cette position, et avait même émis l’idée du droit de vote pour les résidents étrangers pour mettre en cause les procédures de naturalisation. Avec une certaine cohérence, François Fillon a demandé au Président de la République de renoncer au projet sur le droit de vote des étrangers et d’examiner la possibilité d’intégrer davantage par la nationalité, autrement dit par la naturalisation. L’idée de faire baisser le nombre de naturalisations me paraît totalement contraire au projet national : ne faisons pas de ce sujet un débat entre nous.

Le taux d’occupation des CRA remonte. En juin 2011, il était de 26 %, contre 48 % pour le même mois en 2012. Il est passé de 31 % en juillet 2011 à 41 % en juillet 2012. Certes, alors qu’il était de 48 % en août 2011 et de 57% en septembre 2011, il est retombé à 39 % en août 2012 et à 45,90 % en septembre de cette année, mais je vous ai expliqué pourquoi en évoquant les conséquences de la décision de la Cour de justice et de la Cour de cassation. Monsieur Goujon, je vous propose que nous nous retrouvions à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine pour évaluer les résultats du nouveau texte de loi sur la rétention.

La double politique du chiffre pour le travail des forces de l’ordre, d’un côté, et les reconduites à la frontière, de l’autre, crée des tensions et engendre l’inefficacité. J’ai donné des consignes claires aux préfets sur les reconduites à la frontière ; elles seront poursuivies. Mais je vous le dis franchement : nous enfermer dans un chiffre nous amènera à reconduire de plus en plus de Bulgares et de Roumains. Donc, pas de laxisme, pas de naïveté, mais fermeté et justice !

S’agissant de la Roumanie, monsieur Goujon, je connais les chiffres de la délinquance en Ile-de-France, notamment à Paris, et je partage votre analyse. Lors de la réunion interministérielle sur ces questions, le Premier ministre a réaffirmé que la lutte contre le crime et la délinquance était une priorité. D’ailleurs, le travail de notre police avec nos amis roumains, mis en œuvre par le précédent gouvernement, a donné d’excellents résultats. Je me suis rendu en Roumanie avec Bernard Cazeneuve, ministre chargé des affaires européennes, et le préfet de police qui a confirmé les accords avec le gouvernement roumain. Nous ne pouvons pas admettre la délinquance et l’exploitation des mineurs – mendicité, prostitution. Ces dernières heures encore, plusieurs réseaux ont été démantelés. Il y a quelques semaines, le journal Marianne a consacré un article édifiant à des réseaux dits étrangers – tchétchènes, géorgiens, roumains, bulgares – qui participent à l’organisation de la délinquance et de la criminalité. Il faut les combattre, en lien avec ces pays.

Ce que je retiens de ce déplacement en Roumanie, dans un contexte politique très particulier, c’est une volonté d’agir ensemble. Nous avons signé avec les autorités roumaines l’accord OFII, qui permet le financement de 80 microprojets pour les Roumains qui quittent la France pour retourner en Roumanie. J’ai évoqué le groupe de travail européen. Nous devons également mener un important travail avec les villes qui souhaitent appliquer la circulaire, signée par plusieurs ministres, sur les villages d’insertion et les parcours d’insertion à travers le logement, l’école, le travail. Je le dis de la manière la plus claire : ces populations ont vocation à retourner en Roumanie et à y rester. Il appartient au gouvernement roumain de faire des efforts très importants. Un grand nombre de villes se lancent dans des projets, et nous devons les aider. Si toutes les associations ne sont pas d’accord sur les villages et les parcours d’insertion, essayons néanmoins d’organiser ce débat de la manière la plus respectueuse qui soit.

Enfin, dans le cadre du projet de loi, un transfert a été opéré vers le budget du ministère des affaires étrangères, plus particulièrement du développement. Pascal Canfin m’a assuré que les obligations juridiques créées par ces accords, notamment pour le volet développement solidaire, seraient tenues. Pour l’avenir, en cas de besoin ponctuel, le ministère de l’intérieur pourra faire valoir ses priorités et proposer éventuellement la signature de nouveaux accords.

En conclusion, mesdames, messieurs, j’essaie de donner de la cohérence à une politique dans un domaine passionnant, difficile, mais que j’assume avec beaucoup d’engagement.

La réunion de la commission élargie s’achève à vingt-trois heures vingt.

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