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Deuxième séance du jeudi 13 juin 2013

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Déclaration du Gouvernement, en application
de l’article 50-1 de la Constitution,
sur l’immigration professionnelle et étudiante
et débat sur cette déclaration

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur l’immigration professionnelle et étudiante, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, mesdames et messieurs les députés, le 24 avril dernier, devant le Sénat, un premier débat relatif à l’immigration professionnelle et étudiante a eu lieu. Les échanges, il faut évidemment s’en féliciter, se sont déroulés dans un climat de sérénité qui devrait toujours prévaloir quand nous abordons cette question trop souvent instrumentalisée.

Le débat se poursuit aujourd’hui devant l’Assemblée. C’était l’engagement du Président de la République : que la représentation nationale dans son ensemble se saisisse pleinement de la question de l’immigration ; qu’elle l’aborde, la traite dans une volonté d’apaisement, mais que ce débat ait bien lieu. La raison en est simple : parler d’immigration, c’est aussi parler de la France.

Notre pays a été et demeure une terre d’accueil. Au fil des époques, venus de tous les continents, des étrangers sont arrivés sur notre sol avec le projet de s’y installer, d’y travailler, d’y étudier, d’y fonder une famille et, pour nombre d’entre eux, avec un projet ultime – beau mais nécessairement exigeant –, celui de devenir citoyen français. La France d’aujourd’hui est en partie le résultat de cette immigration – près d’un Français sur cinq est fils d’immigré –, tout comme la France de demain sera le résultat de l’immigration d’aujourd’hui.

Débattre des orientations de notre immigration, en particulier des mobilités professionnelles et étudiantes, c’est donc dessiner l’avenir de notre pays ; c’est valoriser cette immigration qui répond aux besoins de notre économie, qui contribue à composer notre richesse culturelle, qui participe au rayonnement de la France dans le monde.

Il ne s’agit pas ici de débattre de l’existence des phénomènes migratoires ni de la nécessité de les réguler, de les encadrer – ce sont deux évidences. Cependant, mieux connaître l’immigration, reconnaître ses apports – hier et aujourd’hui –, mieux en mesurer les risques et les limites, c’est s’accorder sur la nécessité d’une maîtrise intelligente et raisonnée de nos flux migratoires, c’est faire le choix de la responsabilité et de l’apaisement.

Cet apaisement est nécessaire parce que l’immigration est un sujet trop sensible pour être laissé à l’approximation, à la polémique ou, bien plus grave, à la stigmatisation, aux clichés, aux outrances. L’apaisement, c’est le souhait du Président de la République et du Premier ministre, est nécessaire dans les discours et j’y suis, en tant que ministre de l’intérieur, particulièrement attentif. L’apaisement est aussi nécessaire dans les actes, et le Gouvernement s’y est employé avec constance au cours des derniers mois : un terme a été mis à la rétention des familles avec enfants ; la circulaire du 31 mai 2011 qui, de manière illogique, privait des étudiants talentueux du droit de travailler en France a été abrogée – c’était notre volonté commune avec Geneviève Fioraso et Michel Sapin – ; des critères pérennes et clairs de régularisation ont été instaurés ; enfin, le « délit de solidarité » a été supprimé.

À l’apaisement doit s’ajouter l’esprit de responsabilité. Ma responsabilité, en tant ministre de l’intérieur, c’est faire preuve de fermeté. Ma responsabilité, c’est d’être intraitable vis-à-vis des filières d’immigration clandestine qui exploitent la misère humaine, qui se jouent de nos règles, qui contestent nos valeurs au profit d’organisations souvent mafieuses. J’ai insisté auprès des préfets – comme je le fais du reste régulièrement – pour qu’une action déterminée soit menée et que des résultats soient obtenus. Il est trop tôt pour donner des chiffres exhaustifs mais sachez que le nombre de démantèlements de filières d’immigration irrégulière a connu une progression de 13 % sur les quatre premiers mois de l’année 2013. Pour donner quelques exemples, au début de ce mois de juin ont été démantelées une filière sri-lankaise à Paris, une filière nigériane dans l’Est de la France et une filière mafieuse géorgienne à Bordeaux – la presse s’en est fait l’écho. Hier encore, une filière d’immigration clandestine a été démantelée dans l’Ariège. Ces actions, menées parmi d’autres avec succès par les forces de l’ordre – policiers et gendarmes –, méritent d’autant plus d’être saluées qu’elles sont le fruit d’un travail complexe et souvent méconnu, un travail qui devra être poursuivi et j’y serai particulièrement attentif.

Un même esprit de fermeté doit nous guider dans le traitement de l’immigration irrégulière. Bien sûr, nous ne pouvons pas être insensibles lorsque les déséquilibres économiques et démographiques du monde jettent parfois au péril de leur vie des migrants sur la route de l’exil, fuyant la faim, la guerre, la maladie ou tout simplement la misère. Des critères de régularisation ont été définis par la circulaire du 28 novembre dernier ; ils doivent être appliqués et les étrangers qui demeurent en situation irrégulière sur notre territoire seront donc éloignés. Dans ce domaine, les efforts seront poursuivis, renforcés, amplifiés.

À cet égard, la retenue de seize heures, que vous avez votée, constitue un dispositif très utile ; ce qui n’est en revanche pas toujours le cas de l’aide au retour, notamment pour les ressortissants communautaires. Bien au contraire : cette aide a pu se révéler comme un mécanisme contre-productif visant simplement à gonfler les statistiques. J’ai remédié à cette situation à la demande non seulement des autorités roumaines ou bulgares mais aussi de la plupart des associations de ces pays ou des ONG françaises, car je souhaite, dans ce domaine comme dans bien d’autres, la transparence et la vérité des chiffres.

Parce que je souhaite justement la vérité des chiffres, je veux dissiper un éventuel malentendu. Comme vous, lundi dernier, j’ai appris dans la presse que les interpellations d’étrangers en situation irrégulière auraient diminué de 90 % en 2013 – c’est du moins ce que l’on pouvait lire dans le journal Le Figaro. Permettez-moi de vous rassurer sur ce point pour peu que certains se soient inquiétés. Les interpellations, les éloignements contraints d’étrangers se maintiennent cette année – c’est un fait – au même rythme qu’en 2010, 2011 et 2012. Il n’y a ni laxisme ni relâchement en la matière parce qu’il s’agit d’appliquer la loi, des principes et des règles.

Si un journaliste, sans doute mal éclairé – je n’ose croire mal conseillé – a cru déceler une baisse massive des interpellations, c’est parce qu’il a eu accès aux statistiques des infractions pénales, ce que la police appelle dans son jargon l’état 4001. Or la législation sur les étrangers a, du fait de la directive « Retour », connu une inflexion majeure le 1er janvier 2013 : le seul séjour irrégulier ne constitue plus un délit. J’ai déjà eu l’occasion de le rappeler à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier. Les interpellations d’étrangers ne sont en effet plus renseignées sur ce fichier, qui est un fichier pénal. Cela ne signifie évidemment pas qu’elles n’ont plus lieu. La police procède toujours à des interpellations, à des placements en retenue, puis à des éloignements ; mais cela ne donne plus lieu à une procédure pénale. Cet article contenait donc des erreurs grossières, mais je n’y décèle, bien entendu, aucune intention malveillante sinon une mauvaise information. La responsabilité, c’est parler clairement des choses et ne pas tout confondre, dans ce domaine comme dans d’autres.

Les questions d’immigration ont occupé une place disproportionnée dans le débat public. L’objet de la présente discussion est donc de remettre l’immigration à la place qui doit être la sienne, celle d’une politique publique que nous devons mener les yeux ouverts, conscients des enjeux, de nos forces, de nos faiblesses, conscients de ce qui existe et de ce qui peut être amélioré ; mais sans céder à la facilité des amalgames ou à cette indignité qu’est la peur de l’étranger que l’on entretient en permanence. Nous ne devons rien concéder à ceux qui, non sans indécence, voudraient faire de l’étranger le responsable des difficultés de la société française, de la situation de l’emploi ou du niveau de délinquance – vieille antienne que, malheureusement, notre pays et, plus largement, nos sociétés modernes, ont connu par le passé. Nous devons opposer la même fermeté à ceux qui, par ignorance des réalités ou par des choix assumés, proclament que tout étranger doit, quelle que soit sa situation, avoir un droit de séjour et de circulation en France.

Gouverner, c’est appréhender ces questions avec lucidité en partant de la réalité du monde et de notre pays.

L’installation des étrangers en France est, c’est le moins que l’on puisse dire, inégale sur le territoire. Cette population est plus urbaine, très concentrée en Ile-de-France et dans certaines villes. À cet égard, il nous faut veiller à lutter toujours contre la constitution de ghettos urbains, de banlieues, vécus par leurs habitants comme des lieux de ségrégation. Les questions d’accès à l’emploi, au logement, les questions de ce qu’on appelle improprement la mixité sociale, doivent, même si elles dépassent le strict champ du ministère de l’intérieur, être au cœur de nos préoccupations.

La première mission d’un État souverain est de déterminer qui peut entrer et se maintenir sur son territoire. Cette mission doit être exercée avec calme, sérénité et sans esprit de polémique. Encore faut-il, pour cela, ne pas réitérer les erreurs du passé : des déclarations fracassantes, des décisions incohérentes et finalement des flux migratoires inchangés.

Le gouvernement précédent voulait, disait-il, des immigrés choisis, « triés sur le volet ».

M. Thierry Mariani. Je ne sais pas quand nous avons pu dire cela !

M. Manuel Valls, ministre. Quels ont été les résultats ? Une carte de séjour « compétence et talents » a été attribuée à moins de trois cents personnes par an depuis sa création, tandis qu’une carte de résident délivrée pour une contribution économique exceptionnelle a été délivrée, en tout et pour tout, à trois personnes – on comprend mieux ce que l’adjectif « exceptionnel » voulait dire…(Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Une circulaire, celle du 31 mai 2011, que j’évoquais précédemment…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. La circulaire Guéant !

M. Manuel Valls, ministre. …a privé de droit au séjour des étudiants étrangers talentueux qui voulaient, par leur travail, rendre un peu de ce que la France avait investi en eux. Avec cette circulaire, le taux de refus de changement de statut a été supérieur à 70 % certains mois !

M. Pouria Amirshahi. C’est honteux !

M. Manuel Valls, ministre. Depuis son abrogation le 31 mai 2012, ce taux est revenu à son niveau habituel, soit environ 20 %. Pour le reste, l’immigration familiale, pourtant présentée parfois comme subie, est restée inchangée.

Le gouvernement précédent voulait en finir avec l’immigration subie et promouvoir l’immigration choisie. Il a en fait choisi de subir : subir les contradictions entre un discours souvent outrancier et des flux migratoires inchangés ; subir des files d’attente qui se rallongeaient devant les préfectures, du fait d’une précarisation constante des titres de séjour ; subir, enfin, les conséquences regrettables du contingentement des titres remis aux talents étrangers. Cette vision de l’immigration – sujet évidemment complexe – n’est pas, vous l’avez compris, celle du Président de la République et du Gouvernement, et il convient en la matière de changer de logique.

Matthias Fekl a remis au Premier ministre un rapport qui établit un diagnostic très précis : nous contraignons les étrangers à des allers-retours incessants dans les préfectures, ce qui se traduit par 5 millions de passages annuels, alors qu’il y a 3,7 millions d’étrangers sur notre sol. On multiplie les passages en préfecture, alors que dans plus de 99 % des cas, le titre de séjour est renouvelé. Je m’en tiens aux chiffres, car c’est sur leur base que le débat doit s’organiser. À cet encombrement inutile des services, il faut trouver une réponse. Ce n’est pas chose facile – pas plus aujourd’hui qu’hier.

Notre réponse, c’est le titre de séjour pluriannuel, qui permettra de passer d’une logique de précarité à une logique d’intégration, et d’une logique de guichet à une logique de lutte contre la fraude, qu’il faudra bien sûr continuer à mener. Comme le préconise le rapport de votre collègue Matthias Fekl, je crois que, dans la plupart des cas, nous pouvons aller vers un titre de séjour pluriannuel de quatre ans, à condition de renforcer les pouvoirs des préfectures dans la lutte contre la fraude au séjour.

Mais il faut aller plus loin. Certains souhaitent que nous ayons un débat sur les flux migratoires : nous l’aurons, et nous l’ouvrons aujourd’hui même. J’entends aussi des déclarations invitant la France à s’inspirer de l’exemple canadien. Le Canada est passionnant et peut nous intéresser dans bien des domaines, et pas uniquement à cause des liens profonds qui nous unissent à ce pays et à une province. Mais sait-on que le Canada accueille chaque année, en proportion de sa population, quatre fois plus d’étrangers que la France ?

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Au risque de refroidir certaines ardeurs, je préfère que nous soyons plus modestes : nous devons simplement parvenir à mieux adapter notre immigration professionnelle et étudiante aux besoins de notre économie et de notre rayonnement international.

Afin de préparer ce débat, chacun d’entre vous a reçu un rapport réalisé par les services du ministère de l’intérieur dans le cadre d’un travail interministériel qui, je crois pouvoir le dire, est de très grande qualité. Il se fonde notamment sur des consultations menées auprès de l’ensemble des parties prenantes. Ce rapport – c’est une première – regroupe en particulier l’ensemble des informations disponibles sur l’immigration professionnelle et étudiante.

Pour amorcer le débat, il convient de regarder de plus près nos flux migratoires. Il y a d’abord des étrangers qui, par leur situation personnelle et familiale, notamment lorsqu’ils épousent un Français ou une Française, ont droit au séjour sur le territoire de la République. Ces étrangers présents sur notre sol sont la traduction de ce qu’est la France : un État de droit, respectueux du droit d’asile et de la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais bien appliquer le droit, c’est aussi lutter contre la fraude, les abus et les dysfonctionnements. Dans cette logique, des chantiers très importants vont être ouverts.

Un premier chantier sera celui de l’asile, que je ne confonds pas avec les politiques d’immigration, même si les deux sujets sont liés. Lorsqu’une demande d’asile est présentée, il peut s’écouler jusqu’à deux années avant qu’une décision définitive ne soit prise. Ce délai est trop long, à plusieurs titres. Il l’est pour le réfugié, car il le prive pendant trop longtemps des droits attachés à son statut ; il est trop long pour les pouvoirs publics, car après une telle durée de séjour, l’éloignement de la personne déboutée est rendu plus difficile ; il est trop long, enfin, pour nos finances publiques, car nous sommes dans cette situation paradoxale, d’un système coûteux qui n’assure pas une prise en charge de qualité.

En effet, seuls 30 % des demandeurs sont hébergés en centre d’accueil des demandeurs d’asile, ce qu’on ne peut que regretter. Ce sont deux mille places supplémentaires de CADA qui seront créées au 1er juillet, et deux mille autres qui suivront l’année prochaine. Il faut donc que nous sortions de la situation d’essoufflement – le mot est faible – dans laquelle se trouve notre système de l’asile, tout en étant attentifs, j’y insiste, au respect des droits des personnes. Je lancerai, pour cela, une grande concertation sur l’asile avec l’ensemble des parties prenantes, dont le pilotage sera confié à deux parlementaires, issus l’un de la majorité, l’autre de l’opposition.

Le deuxième chantier sera celui de l’accueil. Réussir cette étape qui concerne les immigrés entrés légalement en France, c’est donner à ces migrants toutes leurs chances pour une bonne insertion dans notre pays. Apprendre vraiment la langue française, qui est si belle, trouver un emploi, connaître les institutions, accompagner la scolarité des enfants, tout cela est déterminant pendant les cinq premières années d’installation. Le « contrat d’accueil et d’intégration », le seul outil auquel se résume notre politique d’accueil, est à l’évidence obsolète et doit être modifié en profondeur.

Cette immigration de droit représente 100 000 personnes par an. Ce chiffre est stable depuis une décennie, alors que ce n’est pas la gauche qui gouvernait ; malgré les discours, ce chiffre n’a pas bougé en dix ans ! Au regard de ce qui existe au sein des pays de l’OCDE, ce flux est modéré, et il n’a pas vocation à augmenter. Mettre un terme aux stigmatisations, intégrer et lutter sans relâche contre la fraude, tel est, en matière d’immigration légale, le chemin qui sera le mien. Il est celui du Gouvernement ; il doit être, tout simplement, celui de la République, et il ne faut pas en dévier.

L’économie de la France est fondée, pour une bonne part, sur l’innovation, la connaissance et l’excellence. C’est ce que rappelle le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi, et j’imagine que le président de la commission, Patrick Bloche, et le premier vice-président de l’OPECST, Jean-Yves Le Déaut, y reviendront dans un instant.

Il faut aller plus loin : c’est le sens de l’engagement de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il nous faut, en effet, repousser toujours plus loin la frontière technologique pour pouvoir rivaliser avec les pays industrialisés, mais aussi avec les pays émergents. Notre pays se trouve au cœur d’une compétition internationale qui a changé de forme. Cette compétition vise notamment à faire venir à soi les meilleurs talents étrangers. Pour tenir son rang, pour conserver sa place et son influence, pour exister en tant que puissance économique et culturelle, la France doit mettre ses atouts – et ils sont nombreux – au service de la croissance, de l’emploi, de la compétitivité et de l’innovation. Or la politique migratoire, si elle est bien employée, peut constituer un atout. Je veux rappeler, à ce titre, que 50 % des start-up de la Sillicon Valley, en Californie, ont été fondées par des migrants.

M. Patrick Bloche, président de la commission. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. La France ne doit pas rester à l’écart de cette tendance mondiale et de cette jeunesse, qu’elle vienne d’Afrique de l’Ouest, d’Asie ou d’Amérique latine.

Cette immigration de la compétitivité, quelle est-elle ?

Il y a d’abord l’immigration de travail, qui reste très réduite en France, puisqu’elle se limite à environ 20 000 titres par an – 20 000, et pas 100 000, 200 000 ou 300 000 ! Tout notre droit au séjour est organisé, pour les travailleurs étrangers, sur un droit de l’autorisation de travail complexe et dissuasif. En période de chômage de masse, ce système est légitime et doit être maintenu. Lorsque nous sommes confrontés, dans certains secteurs, à un besoin en mains-d'œuvre, il faut avoir pour priorité la formation des chômeurs. C’est le sens de l’action conduite par le ministre du travail, Michel Sapin.

Je pense toutefois – et c’était d’ailleurs l’avis exprimé par les sénateurs – que nous pouvons rechercher une triple simplification. Nous devons rendre notre droit de l’autorisation de travail plus réactif et plus adapté au marché du travail. Actuellement, la liste des métiers en tension qui sert de référence à l’administration date de 2008, sur la base d’une nomenclature qui remonte à 2003. Ce système n’est évidemment pas adapté à un marché du travail en mouvement ; il nous faut construire un système plus réactif et plus territorialisé, qui implique davantage les conseils régionaux et, évidemment, les partenaires sociaux.

Nous devons également opérer une simplification radicale du droit au séjour pour les talents étrangers. Près de dix titres de séjour coexistent pour ce public, dont certains ne sont quasi jamais délivrés. Tous les grands États développés – l’Allemagne, les États-Unis, les pays scandinaves, le Royaume-Uni – rivalisent de réformes pour attirer ce public. Si nous conservons notre droit pointilliste, complexe et, pour tout dire, souvent illisible, nous courons le risque de nous retrouver en marge de ce mouvement d’ensemble.

Nous devons, enfin, simplifier notre système d’autorisations de travail pour certains contrats courts. Dans le monde de la culture, par exemple, il est anormal que des procédures administratives, que rien ne justifie, compliquent la vie d’équipes de tournage ou d’artistes souhaitant se produire en France.

M. Patrick Bloche, président de la commission. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Les mobilités étudiantes constituent également un enjeu stratégique – Geneviève Fioraso y reviendra. Le nombre d’étudiants étrangers dans le monde a doublé depuis 2000, et il doublera à nouveau d’ici 2020 ; l’internationalisation de l’enseignement supérieur est bien une réalité en marche.

La France a longtemps été bien positionnée ; nous étions encore le premier pays non anglophone pour l’accueil des étudiants étrangers en 2011, avec 280 000 étudiants accueillis, et 41 % des doctorants en France sont de nationalité étrangère. Mais nous perdons du terrain, et aujourd’hui l’Allemagne nous a dépassés. Lors d’une visite à la Cité internationale de Paris, Geneviève Fioraso a déjà rappelé ces chiffres. Nous avons accueilli, en 2012, 10 % d’étudiants en moins. Quand on aime la France et qu’on souhaite qu’elle rayonne par son économie, son université, sa culture, sa langue et ses valeurs, il faut s’inquiéter de ces chiffres.

Soyons clairs : le message négatif adressé au monde par la circulaire du 31 mai 2011 n’est pas étranger à cette désaffection – même s’il serait caricatural de considérer que c’est l’unique cause de la situation où nous nous trouvons. Nous avons, du reste, constaté le retour positif des universités, des enseignants et des étudiants étrangers quand cette circulaire a été abrogée.

En ce domaine aussi, il nous faut changer de logique, et quatre axes me semblent essentiels.

Il faut, tout d’abord, un recrutement étudiant plus stratégique, plus simple et plus tourné vers l’excellence. À la suite du débat au Sénat, j’ai demandé au secrétaire général à l’immigration et à l’intégration, Luc Derepas, de faciliter, dans les consulats, les procédures d’admission des étudiants étrangers à haut potentiel et de cibler davantage certains pays émergents, qui sont sous-représentés dans nos universités, comme la Chine, la Corée du Sud ou le Brésil.

Il faut également améliorer l’accueil des étudiants étrangers. C’est un vrai défi, et la généralisation du titre de séjour pluriannuel ira dans ce sens. Sans attendre une indispensable évolution législative, une circulaire vient d’être adressée aux préfets, leur demandant de généraliser le titre de séjour pluriannuel pour les étudiants, chaque fois que la loi le permet. Vous voyez, madame la ministre, chère collègue : vous ordonnez, nous agissons. (Sourires) Au-delà, améliorer l’accueil des étudiants impliquera d’aller vers un guichet unique, partout où cela est possible, y compris sur les campus étudiants, afin de limiter les lourdeurs administratives.

Nous devons, par ailleurs, affirmer des vérités simples : venir en France pour étudier, c’est venir en France pour réussir. Un redoublement par cycle d’études doit, sauf cas particulier, être la limite. C’est en affirmant et en faisant respecter cette idée que nous lutterons efficacement contre les détournements de statut étudiant à des fins migratoires. C’est une réalité qui existe, et que personne ici ne peut nier.

Enfin, le changement de statut d’étudiant à celui de salarié doit être facilité pour les titulaires d’un master qui ont accès à un emploi de haut niveau. Les conditions inutiles, comme celles consistant à demander son changement de statut quatre mois avant la fin de ses études, ne doivent plus avoir cours.

Mesdames et messieurs les députés, si ces quelques pistes de simplification que je viens de présenter ont reçu un écho favorable au Sénat le 24 avril dernier, c’est parce qu’elles sont consensuelles.

En effet, dès lors que l’on regarde les choses sereinement, que l’on s’appuie sur des chiffres et non pas sur des a priori, l’immigration ne peut plus être un sujet de clivage. Je ne suis pas naïf. Comme vous, j’ai un peu d’expérience de ces questions, mais j’ai la volonté de sortir de ces clivages absurdes qui ne profitent à personne dans l’arc républicain.

Ce n’est certes pas un sujet anodin ; il touche à l’idée que nous nous faisons de notre nation et de sa place dans la mondialisation. Mais c’est un sujet qui ne peut que rassembler les républicains si l’on s’en tient à un axe clair : conjuguer la fermeté indispensable dans la gestion des flux migratoires à une nécessaire ouverture au monde et à l’adaptation de ces flux à nos besoins économiques. La fermeté, ce n’est pas la fermeture.

Cette approche, je la crois simplement consensuelle car elle est fidèle à l’histoire de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Paul Giacobbi et M. Michel Zumkeller. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mesdames et messieurs les députés, la mondialisation des connaissances, des universités et des laboratoires, est une réalité en marche. Le nombre d’étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. Il doublera à nouveau d’ici 2020. Nombre d’entreprises recrutent à l’international les compétences dont elles ont besoin et de plus en plus de jeunes qualifiés aspirent à donner une dimension internationale à leur carrière.

Comme cela vient d’être dit, les pays émergents fondent désormais leur développement sur l’élévation du niveau de qualification et sur la recherche. L’Inde veut doubler le nombre de ses étudiants d’ici à 2020. La Chine, qui ne comptait que 5 millions d’étudiants il y a une dizaine d’années, en a aujourd’hui 30 millions et en prévoit plus de 60 millions en 2020.

Nous devons nous montrer à la hauteur de cet enjeu. Chaque année, 290 000 jeunes étrangers font le choix d’étudier dans notre pays. Près de 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étudiants étrangers tandis que 60 000 titres de séjours bénéficient annuellement aux étudiants, contre 17 000 à des salariés et 90 000 au titre de la vie privée et familiale. Notre pays peut s’honorer de ce rayonnement international qui témoigne à lui seul de la qualité scientifique et pédagogique de nos universités et de nos établissements d’enseignement supérieur.

Mais cette position est fragile, et Manuel Valls vient de le rappeler. Notre pays a perdu du terrain ces dernières années, en passant en dix ans de la troisième à la cinquième place dans le classement des pays les plus attractifs en matière d’études supérieures. L’Australie nous dépasse désormais nettement, et l’Allemagne vient de nous doubler. Elle était pourtant très en retard il y a cinq ans encore.

L’impact n’a pas seulement été quantitatif, il a aussi été qualitatif. Les étudiants des pays émergents, surtout en sciences et en ingénierie, choisissent des destinations où l’offre de formation et de recherche ainsi que les conditions d’accueil sont davantage adaptées à leurs besoins.

Car la compétition est vive. Face à ces flux croissants d’étudiants et de chercheurs, les pays d’accueil s’organisent. L’accueil des étudiants internationaux fait désormais l’objet de politiques nationales ambitieuses. Le président Barack Obama vient de lancer une politique d’attractivité scientifique pour attirer les talents. Les grands pays anglophones prennent des positions offensives dans les échanges internationaux, notamment le Canada ou l’Australie. Plus près de nous, l’Allemagne et les pays scandinaves ont développé une stratégie d’accueil qui a déjà prouvé son efficacité.

Réussir à mieux capter ces mobilités étudiantes et scientifiques en croissance, ce n’est pas seulement faire preuve d’universalité et de générosité. C’est un levier stratégique pour assurer la place de la France dans le monde.

Il s’agit d’abord d’un enjeu pour notre recherche, notre enseignement supérieur et notre ouverture sur le monde. Nous constatons chaque jour le rôle primordial joué par les chercheurs étrangers dans nos écosystèmes : nombreux sont ceux que l’on retrouve coordonnant de remarquables projets de recherche fondamentale ou technologique. Pour faire reconnaître notre recherche et notre enseignement supérieur au niveau international, il nous faut d’abord en faire bénéficier les jeunes des pays émergents qui seront demain les décideurs dans leurs pays.

Mais c’est aussi un enjeu de rayonnement et de compétitivité, un enjeu pour notre politique d’influence reposant sur la diffusion de notre langue, de notre culture et de nos valeurs à travers le monde. Quel que soit leur parcours professionnel ultérieur, les étudiants étrangers que nous accueillons aujourd’hui connaîtront et aimeront notre pays demain. Ce seront nos meilleurs ambassadeurs.

Ces mobilités créent les conditions de partenariats professionnels ultérieurs, bien utiles aussi pour améliorer l’équilibre de notre balance commerciale extérieure dont nous voulons redresser le déficit abyssal, qui n’a cessé de se creuser depuis plus de dix ans.

C’est pourquoi refuser de s’engager dans la formation des futures élites économiques, politiques, administratives et culturelles du monde entier, alors que la France en a la capacité, susciterait l’incompréhension de tous. Ce serait surtout une faute au regard des intérêts de notre pays.

Cette évidence n’a pas toujours été comprise. La politique migratoire de la précédente majorité a fait des ravages en termes d’attractivité universitaire et scientifique. La complexité et la lenteur des démarches administratives, les propos stigmatisants, les mesures dissuasives : tout était en place pour décourager les candidats à la mobilité.

Je pense en particulier à la circulaire dite Guéant, du 31 mai 2011, ce texte de fermeture, de repli sur soi, de rupture avec la longue tradition d’accueil de notre pays, que nous avons fort heureusement abrogée le 31 mai 2012. En interdisant aux meilleurs chercheurs et étudiants étrangers un accès au marché du travail, cette circulaire les dissuadait de fait de choisir la France. Ce texte n’a pas seulement nuit à notre attractivité universitaire, il a également pénalisé notre économie. Un seul exemple : la première SSII française, CapGemini, s’est vue privée de l’embauche de 200 jeunes diplômés étrangers en 2012, soit 10 % de ses recrutements annuels, à cause des restrictions liées à cette circulaire.

À force de considérer les chercheurs et les étudiants comme une menace migratoire dont il convient de se protéger, notre réputation a été durablement entachée. Il était donc indispensable d’inverser la tendance.

Je veux répéter à l’occasion de ce débat que le Gouvernement considère les étudiants et les chercheurs étrangers comme une chance et non comme un problème. Le message que le Gouvernement leur adresse est donc tout à fait clair : bienvenue en France !

Mais, après avoir abrogé la circulaire Guéant, nous avons pris un engagement, celui de mettre en place une véritable politique d’attractivité universitaire et scientifique de la France. Cette politique repose sur trois priorités. La première est le renforcement des politiques d’internationalisation de nos établissements d’enseignement supérieur en direction des pays émergents et de l’Afrique. La deuxième est l’amélioration des conditions d’accueil des étudiants et chercheurs étrangers, et la troisième est la sécurisation des premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

Pour être à nouveau compétitive, la France doit non seulement continuer à attirer les meilleurs étudiants internationaux, mais aussi diversifier leur origine géographique. Nous devons nous tourner vers les pays émergents, les « BRICs », et nous devons consolider dans le même temps nos partenariats avec l’Afrique.

Les pays émergents investissent massivement dans la formation et la recherche et connaissent une dynamique nouvelle de leurs mobilités étudiantes. Face à l’attractivité qu’exercent sur leurs étudiants et leurs chercheurs les pays anglo-saxons, la France se devait de réagir.

Si nous accueillons 30 000 étudiants chinois, principalement dans les filières littéraires, commerciales et artistiques, nous n’avons en effet que 5 500 étudiants coréens, principalement dans ces filières également, 3 000 étudiants venus de l’Inde – qui compte 1 milliard d’habitants – et trop peu d’étudiants russes. Surtout, ils ne viennent pas dans nos filières scientifiques, technologiques ou d’ingénierie. Le programme brésilien « sciences sans frontière » prévoit quant à lui 10 000 étudiants supplémentaires de niveaux master et doctorat en mobilité vers la France d’ici 2017. Nous avons conclu un accord avec mon homologue brésilien à cet effet. Nous en avons également conclu un pour les faire bénéficier de cette bonne pratique que sont les conventions CIFRE, qui sont en quelque sorte des doctorats en alternance. Ce dispositif est extrêmement utile pour diffuser la recherche et l’innovation dans les PMI et les PME. Le Brésil a immédiatement adopté cette bonne pratique, qui avait été mise à mal lors du quinquennat précédent du fait d’une baisse des financements.

Nombreux sont les étudiants de ces pays attirés par la France, mais l’obstacle linguistique, principalement dans les disciplines scientifiques, économiques et commerciales, les empêche de venir. Au nom de quoi priverions-nous nos étudiants de contacts avec des étudiants indiens, brésiliens, coréens ou indonésiens, qui aujourd’hui ne viennent pas à cause de l’obstacle de la langue ?

L’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités que propose de faciliter la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, tout en les encadrant, a notamment pour objectif d’apporter une réponse à la demande exprimée par les étudiants des pays émergents.

Pour attirer davantage d’étudiants internationaux, nous ne devons pas faire de la maîtrise de notre langue un a priori pour la mobilité. Il faut en revanche en faire une condition pour l’obtention du diplôme, tandis que certains enseignements seront délivrés en anglais pendant la première partie des études de ces étudiants. Ce que nous voulons, c’est accueillir les jeunes qui ont une envie de France, des francophiles, pour qu’ils deviennent des francophones.

Il ne s’agit donc en aucun cas de remettre en cause la primauté de la langue française, comme on l’a trop souvent lu. Il s’agit, au contraire, d’élargir le socle de la francophonie auprès de jeunes qui aujourd’hui ne viennent pas dans notre pays. C’est ainsi que nous élargirons le rayonnement de notre culture car la francophonie ne se réduit pas à une langue, c’est aussi une culture, ce sont aussi des valeurs. C’est la définition qu’en donne Abdou Diouf, secrétaire général à la francophonie et ancien président du Sénégal.

Cette mesure a fait couler beaucoup d’encre – beaucoup trop d’ailleurs. Les débats à l’Assemblée ont permis de lever bon nombre des inquiétudes qui s’étaient exprimées, en conditionnant ces cours en langue étrangère à des conventions avec des universités étrangères, des programmes européens et à des nécessités pédagogiques, en offrant systématiquement un apprentissage du français et en prenant en compte le niveau en français pour l’obtention du diplôme. Je ne peux que m’en féliciter, car l’important, c’est d’avancer. Dans tous les pays émergents où nous nous sommes rendus, nous avons reçu un accueil favorable et nous avons été félicités pour cette initiative.

Le deuxième axe stratégique pour la France, qui est tout à fait complémentaire, c’est de développer une francophonie plus offensive, en particulier en direction de l’Afrique sub-saharienne et du Maghreb.

Nous devons être présents et accueillants vis-à-vis de l’Afrique, où la Chine est déjà présente depuis plusieurs années. Au-delà des proximités culturelles et historiques et des responsabilités qui nous incombent pour ces raisons, ce continent peut être aussi un levier de développement pour l’Europe. Avec une croissance annuelle supérieure à 5 %, avec une population jeune et pleine d’énergie, avec une culture de la solidarité extrêmement riche, ce continent jeune offre des perspectives de développement essentielles pour l’Europe. Qui l’aurait dit il y a quelques années ? Aucun économiste ne l’avait prédit.

Il faut donc absolument conforter l’accueil en France des étudiants en provenance d’Afrique, en particulier d’Afrique subsaharienne, dont je rappelle qu’ils représentent avec le Maghreb 55 % des étudiants étrangers dans notre pays.

Nous devons également être davantage présents dans ces pays, notamment en y soutenant l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur français. C’est le sens des accords de partenariat que j’ai eu l’occasion de signer avec le Maroc. Le ministre marocain de l’enseignement supérieur, M. Daoudi, qui a d’ailleurs été mon premier visiteur, à peine deux jours après ma nomination, m’a rappelé que son pays était particulièrement bien placé pour ouvrir la voie vers l’Afrique subsaharienne.

Notre coopération avec l’Afrique subsaharienne et le Maghreb doit d’ailleurs se développer dans des directions plus diversifiées : la poursuite de l’accueil d’étudiants en France, mais aussi l’installation de formations dans leurs pays, avec une mobilité réciproque et, ce faisant, des partenariats plus équilibrés.

Le développement de diplômes conjoints entre la France et l’étranger me paraît également être un levier intéressant pour intensifier ces coopérations internationales.

Enfin, pour atteindre notre objectif et attirer plus d’étudiants internationaux, nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur sur le plan national et à l’étranger. La simplification de l’offre de formation que j’ai engagée le permettra. Personne, en France, ne s’y retrouve plus parmi les plus de 10 000 spécialités et mentions de masters et les plus de 3 000 intitulés de licence. Imaginez le résultat, vu de Séoul ou de São Paulo ! Les étudiants qui doivent aujourd’hui s’inscrire dans le système admission post-bac se voient proposer 11 000 formations. Imaginez le maquis pour ceux qui ne disposent pas dans leur environnement ou leur réseau relationnel d’un décrypteur. Le regroupement des établissements sur chaque territoire permettra aussi de coordonner et de simplifier la carte des formations.

Il est également indispensable d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers dans notre pays.

Il est tout d’abord nécessaire de faciliter les démarches, chaque fois que cela est possible, en ouvrant de véritables guichets uniques regroupant les services de la préfecture, de la CAF, des œuvres universitaires, des collectivités, des services de transports en commun au plus près des lieux de formation et de recherche. Les étudiants et les chercheurs pourront y accomplir en un seul lieu toutes les démarches liées à une installation : dépôt de dossier concernant le titre de séjour, demande de bourse ou de logement, accès aux soins, accès à la culture, titres de transports.

Mais, au-delà, c’est toute la chaîne de l’accueil qui doit être simplifiée et rendue plus cohérente. Ne fermons pas les yeux sur le parcours du combattant qu’a représenté jusqu’ici l’obtention d’un visa ou le renouvellement chaque année – parfois plus fréquemment – d’un titre de séjour. Il n’est pas possible d’étudier ou de mener sereinement des activités de recherche sous la menace permanente d’une interruption de son droit au séjour d’une année sur l’autre ou d’une reconduite à la frontière.

En amont de l’arrivée en France, nous allons aussi encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d’inscription universitaire et de délivrance des visas. Je crois à la nécessité d’une clarification des rôles : les consulats et les préfectures doivent rendre un avis administratif, en s’appuyant sur l’avis pédagogique et scientifique des universités concernant les candidatures reçues.

Avec mon collègue Laurent Fabius, nous souhaitons améliorer le positionnement et le fonctionnement de Campus France. J’ai proposé à cette fin l’évaluation de la mission de promotion internationale des formations, qui est le premier enjeu pour l’établissement, mais aussi des modalités de gestion des bourses attribuées aux étudiants étrangers.

Nous devons ensuite simplifier le parcours du combattant administratif des étudiants et chercheurs étrangers une fois arrivés sur notre territoire. Nous devons notamment leur attribuer des titres de séjour étudiants valables pour tout un cycle d’étude. Le renouvellement annuel angoisse les étudiants et encombre les administrations. Je remercie de tout cœur le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, d’avoir répondu favorablement aux demandes non de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais des chercheurs et des étudiants en annonçant la généralisation du titre de séjour pluriannuel. Ce dernier est aujourd’hui l’exception : il doit devenir la règle. La circulaire permettant d’en systématiser la délivrance aux étudiants des niveaux master et doctorat a été signée. Mais nous devons aller plus loin : en cours de licence, aussi, je souhaite la mise en place d’un titre pluriannuel, comme l’a préconisé le rapport de Matthias Fekl, ce qui nécessite des évolutions législatives.

Quant à l’effort historique conduit par le Gouvernement en faveur du logement étudiant – 40 000 logements étudiants supplémentaires sont programmés d’ici à 2017 –, il contribuera à l’amélioration de l’accueil de tous les étudiants, notamment ceux en mobilité. Le déblocage des opérations campus, rendu possible par la diversification des procédures que j’ai mise en place, permet d’ores et déjà de programmer 13 000 logements dans les deux ans à venir, dont une partie sera disponible pour les étudiants et les jeunes chercheurs étrangers.

Alors qu’un tiers des nouveaux titres de séjour attribués aux salariés concernent des jeunes diplômés étrangers, je crois nécessaire de sécuriser les premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Avec Manuel Valls et Michel Sapin, notre orientation est claire : le renforcement de notre compétitivité passe par une ouverture plus large et plus simple non seulement aux meilleurs étudiants, mais aussi aux jeunes professionnels qualifiés.

Concrètement, il faut favoriser la transition du statut d’étudiant à celui de salarié. Je pense, comme la sénatrice Dominique Gillot qui a rédigé un rapport sur ce sujet, que dès lors qu’un étudiant étranger est titulaire d’un master ou d’un doctorat, nous devons lui donner un délai suffisant pour lui permettre d’accéder au marché du travail – ce pourrait être un an, car on sait qu’un délai de six mois n’offre pas de chances satisfaisantes aux jeunes diplômés étrangers pour mettre leurs compétences au service de notre économie.

Je souhaite également que nous puissions proposer aux étrangers ayant soutenu un doctorat en France une forme de visa permanent pour visiter à nouveau notre pays chaque fois que de besoin. Rappelons que ces étudiants étrangers représentent 41 % de nos docteurs.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les orientations du Gouvernement. Les mobilités étudiantes et scientifiques sont une chance formidable pour notre pays et supposent un effort permanent d’adaptation à une compétition universitaire mais aussi économique toujours plus vive, par des développements fondés sur l’innovation et donc sur la connaissance.

La France est un grand pays. Nous restons attractifs, mais nous devons adapter notre offre et améliorer les conditions d’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers. Je vous sais déterminés à œuvrer en faveur d’une France plus dynamique, ouverte à la jeunesse du monde entier, à son avenir et au progrès. Le beau visage de la France, c’est celui de la France ouverte au monde, la France des échanges et de l’universalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui nous permet d’aborder la question essentielle des mobilités professionnelle et étudiante. Vous le comprendrez : au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je me concentrerai essentiellement sur la question de la mobilité étudiante.

C’est un thème que nous avons déjà abordé dans cet hémicycle, il y a peu de temps, à l’occasion du débat sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui comportait notamment des dispositions visant à attirer dans nos universités et nos grandes écoles des étudiants étrangers. L’article 2 de ce texte voté en première lecture, qui donne la faculté de dispenser dans nos établissements d’enseignement supérieur, sous certaines conditions, des cours en langue étrangère, a alors été l’objet d’une étonnante controverse.

Aussi, je me bornerai à rappeler que nous considérons indispensable aujourd’hui de dispenser aux étudiants français des cours en langue leur permettant d’être au niveau des autres étudiants européens. Dans la même démarche, il est tout aussi fondamental d’accueillir de nombreux étudiants venant de pays étrangers et qui, dans un premier temps, ne maîtrisent pas suffisamment notre langue pour suivre un cursus uniquement en français.

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Très bien !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Tout au long de ce débat, nous avons montré qu’il était possible de porter de manière positive et offensive la légitime ambition de promouvoir la francophonie et la langue française, et de faire de cette dérogation un vecteur efficace de la francophonie en inscrivant dans la loi le principe selon lequel les étudiants étrangers concernés bénéficieront d’un apprentissage de la langue française et que leur niveau de maîtrise de notre langue sera pris en compte pour l’obtention de leur diplôme.

Le rapport à notre langue, à notre culture et à notre identité collective ne doit pas se vivre comme une citadelle assiégée. C’est la raison pour laquelle, d’une manière plus générale, la volonté affichée par le Gouvernement de réserver un meilleur accueil aux étudiants étrangers participe d’une action globale, cohérente et essentielle en faveur du rayonnement international et du développement économique de notre pays.

François Hollande l’avait d’ailleurs souligné dans son discours de Dakar, en annonçant : « J’entends mettre fin à ce paradoxe absurde qui fait que la France, dans un passé récent, a trop souvent fermé la porte à ceux-là mêmes qui voulaient y créer des emplois, y développer les échanges, participer à l’effort de recherche ou de création artistique. Je souhaite que les procédures administratives soient simplifiées pour les étudiants, dès lors qu’ils sont motivés, talentueux, capables de subvenir à leurs besoins, mais aussi pour les artistes et les créateurs. Votre ministre de la culture, Youssou N’Dour m’a alerté. J’ai entendu son appel. »

Les instructions conjointes données depuis lors par le ministre des affaires étrangères et par vous-même, monsieur le ministre, au réseau consulaire pour améliorer le taux de délivrance des visas de court séjour dits « de circulation » et leur durée sont autant de signes du changement d’approche de ces questions migratoires. Elles concrétisent l’engagement du Président de la République et permettent d’ores et déjà des avancées, notamment pour la délivrance des visas d’artistes, ou encore pour la prise en compte des besoins spécifiques des tournages de films. C’est une excellente chose. J’ai même cru comprendre, monsieur le ministre, que vous jugiez qu’il fallait être encore plus déterminés.

En ce qui concerne les étudiants étrangers, l’abrogation de la circulaire Guéant le 31 mai 2012 a constitué un signal fort visant à confirmer que la France demeurait un pays d’accueil des étudiants étrangers. C’était un préalable essentiel.

Il n’était que temps de prendre conscience que la place de la France dans le monde dans vingt ans est conditionnée par les choix que nous faisons aujourd’hui. Il reste – mais nous ne sommes qu’au début de l’an II – que les étudiants étrangers se heurtent encore à des obstacles administratifs qui pourraient être utilement levés, qu’il s’agisse de leur logement ou du suivi dont ils doivent faire l’objet.

L’annonce d’une généralisation du titre de séjour pluriannuel, comme notre collègue Matthias Fekl l’a proposé dans son rapport, et la prise en compte de la durée des études dans cette délivrance sont déterminantes.

Nous avons, collectivement, encore du chemin à parcourir pour diversifier l’origine des étudiants accueillis, améliorer leurs conditions de séjour et permettre à ceux qui le souhaitent d’effectuer leurs premières expériences professionnelles dans notre pays. Mais nous sommes désormais sur la bonne voie : celle de l’ouverture et de l’échange.

En cela, comme nous l’avons rappelé avec force dans cet hémicycle, pas plus tard d’hier, en votant à l’unanimité une résolution européenne sur le respect de l’exception culturelle, nous sommes fidèles au message universaliste que la France porte depuis le siècle des Lumières au-delà de nos frontières. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Madame et monsieur les ministres, permettez-moi de vous remercier d’avoir proposé à notre hémicycle d’échanger autour de l’attractivité de la France, qui passe par l’accueil et la mobilité des étudiants entre universités.

Dans la querelle qui vient d’être évoquée sur l’utilisation d’une langue étrangère dans nos universités, un député de l’UMP a déclaré que c’était un bien mauvais signal que nous donnions aux Africains de pouvoir enseigner en anglais. J’ai immédiatement répondu que le mauvais signal avait été lancé par ceux-là mêmes qui, comme Claude Guéant, restreignaient par des circulaires contraignantes la mobilité des talents.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ça, c’est sûr !

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous ne sommes pas en train de vouloir favoriser ou contraindre une migration à vocation permanente. Le monde change ; les distances ont été réduites par les nouveaux modes de transport. Ne restons pas bloqués sur des concepts d’un autre âge, même si nous utilisons par tradition administrative un vocabulaire cristallisé. Ce n’est plus d’immigration professionnelle et étudiante dont nous devons parler, mais d’échanges. Le monde vit désormais au rythme de la circulation des talents.

Lorsque nos universités inscrivent 95 000 étudiants étrangers au niveau licence, 92 000 au niveau master et 25 000 au niveau doctorat, on ne peut que conclure à ce désir d’échanges. Vous le rappeliez, madame la ministre : les efforts n’ont pas été vains, comme l’illustre la présence de 30 000 étudiants chinois en France.

L’attractivité, c’est la capacité de donner envie de venir en France. Notre pays n’est plus désormais que la cinquième terre d’accueil, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne, alors qu’elle était troisième il y a encore quelques années. Certains pays font des efforts conséquents pour accueillir les étudiants étrangers quand la France leur a adressé des signaux hostiles ces dernières années. Et pourtant, c’est bien la qualité des conditions de leur venue, de leur accueil, de leur séjour et de leur réussite en France qui sera le facteur déterminant de notre attractivité.

Concrètement, attirer les talents passe par une offre de formation de haut niveau, accessible et variée. La coordination des stratégies des acteurs à l’international s’avère nécessaire, non seulement pour mener des actions, mais aussi pour éviter des concurrences franco-françaises délétères. Les réseaux d’anciens étudiants restent à généraliser. L’effort de communication entrepris par Campus France peut être dynamisé en étant mis davantage au service des universités et des écoles et en renforçant ses liens avec le réseau des CROUS. Les établissements d’accueil universitaires et les équipes pédagogiques doivent être mieux associés dans le processus de sélection des étudiants.

Le premier contact et l’installation jouent un rôle crucial dans le souvenir que ces étudiants garderont de la France. Leur intégration passe nécessairement par l’accès à quelques services classiques mais indispensables qui virent souvent pour eux au cauchemar, comme le logement, l’électricité, la couverture santé, l’ouverture d’un compte bancaire ou la transférabilité des droits à la retraite.

La mobilisation des services de santé universitaire peut éviter la contrainte fastidieuse et sans valeur ajoutée de la visite à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Les relations s’organisent désormais dans une logique de partenariat. On propose aujourd’hui des bourses dont le montant est inférieur à un loyer de petit studio dans une ville universitaire. L’État ne montre pas l’exemple en accordant des bourses à des post-doctorants sans contrat de travail ; il faudra réfléchir à cette question. Des libéralités pour les doctorants étrangers persistent. Le principe de cofinancement doit être davantage promu, que ce soit avec des partenaires internationaux, des collectivités territoriales ou des entreprises.

L’attractivité des talents étrangers passe également par un changement d’approche des conditions de leur accueil administratif. Les longues queues inhumaines devant les préfectures sont inacceptables. Vous le dites vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur : vous connaissez la situation à Évry. Il ne faut pas se voiler la face : l’accueil administratif est le principal facteur de mécontentement des étudiants et des chercheurs en France.

Bien entendu, pour renforcer la qualité de l’accueil par les services préfectoraux, le plus simple est déjà de les désengorger. Monsieur le ministre, vous avez évoqué dans votre intervention les délais trop longs. Un grand nombre de démarches pourraient aisément être réalisées par voie électronique. Cela fonctionne bien dans certains secteurs : les déclarations fiscales par internet ne se sont-elles pas achevées dans de très bonnes conditions, il y a seulement deux jours ? Les partenariats entre administrations universitaires et préfectorales, dont les résultats sont probants, méritent d’être systématisés et intensifiés.

D’ailleurs, même si le fait que le visa vaut titre de séjour pour la première année constitue un progrès, la réduction du nombre de récépissés, l’adéquation de la durée du titre de séjour avec le cursus ou le contrat de travail et la révision des critères d’attribution des cartes de séjour simplifieront les démarches, sans bien sûr réduire les nécessaires contrôles en matière de sécurité nationale.

Tout cela va très exactement dans le sens du choc de simplification demandé par le Président de la République quand il dit avec force « nous ne devons jamais perdre l’occasion d’accueillir un chercheur ou un étudiant prometteur ».

Pour mieux les accueillir, il est important de leur ouvrir le champ des possibles ; il est souhaitable de modifier le type de carte de séjour. Certes, le frein de la circulaire Guéant a été levé, mais il n’en demeure pas moins que les dispositions actuelles sont encore inadaptées. Les titres de séjour doivent être calqués sur les cursus si l’étudiant ou le doctorant démontre qu’il poursuit son cursus. La carte de séjour est aujourd’hui d’un an. Le récépissé de première délivrance ne permet pas de voyager dans l’espace Schengen ; les services d’accueil sont fermés l’été pendant l’arrivée des étudiants ; les délais administratifs sont trop longs. Il ne faut pas dévaloriser un jeune diplômé qui a trouvé directement un emploi par rapport à un autre, qui a besoin de quelques mois de recherche d’emploi. Cela semble une évidence, mais elle est pourtant contredite par les procédures actuelles.

Ces questions sont majeures. Certaines décisions sont de nature législative, d’autres sont réglementaires. Le Sénat vient hier de voter deux amendements que nous avions d’ailleurs proposés à l’Assemblée nationale : l’un sur les conditions d’octroi de la carte de séjour étudiant et l’autre, sur l’accès, aux droits sociaux ouverts par leurs cotisations aux titulaires de la carte de séjour « scientifiques-chercheurs ».

Même si je partage votre avis, monsieur le ministre, de voter un texte général sur l’attractivité, maintenir ces deux amendements dans le texte sur l’enseignement supérieur et la recherche serait un signal important.

Sachez, madame la ministre, monsieur le ministre, que nous soutenons votre action en faveur de ces étudiants et chercheurs que Laurent Fabius a qualifiés, lors de notre entretien avec Mme Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine, et Vincent Berger, « d’ambassadeurs » de la France.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous indiquer à quel moment le texte relatif à l’attractivité sera examiné par le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Dans la discussion, la parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sandrine Mazetier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative d’un débat sur l’immigration professionnelle et étudiante. C’était certes un engagement du Président de la République, mais aussi un souhait du groupe socialiste sous la précédente législature : j’ai ainsi eu l’honneur de défendre des amendements visant à l’organisation d’un tel débat – le rapporteur de l’époque peut en témoigner.

M. Thierry Mariani. C’est vrai.

Mme Sandrine Mazetier. Malheureusement, ce débat a été refusé par l’ancienne majorité,…

M. Thierry Mariani. C’est vrai aussi.

Mme Sandrine Mazetier. …sans doute parce qu’il s’agissait d’une proposition qui figurait dans le programme socialiste pour les élections présidentielles.

L’immigration ne doit être ni un totem ni un tabou. Un changement de point de vue et d’approche est des plus salutaires sur un sujet qui, depuis quarante ans dans ce pays, est l’objet d’instrumentalisation, de caricatures, de polémiques stériles, de postures et d’impostures, alors qu’un Français sur quatre a un grand-parent étranger et que, d’un recensement à l’autre, on note une étonnante stabilité de la population immigrée.

On ne parlait, il y a peu, que de situations irrégulières, de contentieux de l’éloignement, de quotas d’expulsions. La nationalité de naissance faisait de quelqu’un un saint, la nationalité étrangère en faisait un suspect. L’actualité récente montre que l’on peut être Français depuis de nombreuses générations, ancien préfet, ancien directeur général de la police nationale, voire ancien ministre, et ne pas être un saint,…

M. Julien Aubert. Attention, ça dérape !

Mme Sandrine Mazetier. … et que l’on peut être étranger et respecter parfaitement les lois de la République – et vice-versa : on peut être étranger sans un être un saint et on peut être français et respecter scrupuleusement les lois de la République

M. Julien Aubert. Eh oui !

Mme Sandrine Mazetier. La volonté du groupe socialiste est de rappeler que le premier atout de notre pays, c’est sa population, dans sa diversité et dans son histoire : dans le temps long, trois quarts des Français ont une origine étrangère ; c’est une force conquérante pour notre pays.

Le sujet est aujourd’hui circonscrit à l’immigration professionnelle et étudiante, mais le débat est à la hauteur des enjeux et à la bonne échelle : qu’il s’agisse de la concurrence internationale pour attirer les talents, de la mondialisation des échanges, mais aussi de l’espace de libre circulation européen, il pose la question de l’immigration professionnelle dans des termes singuliers par rapport à d’autres pays compétiteurs.

En outre, un débat sans vote permet de pacifier les esprits et d’échanger sans hystérisation, en faisant abstraction des postures habituelles.

M. Julien Aubert. Ou d’impostures.

Mme Sandrine Mazetier. Le Gouvernement a choisi de ne pas légiférer toutes les cinq minutes, à coups de menton, mais d’agir concrètement.

Le débat a été organisé en amont en associant les partenaires concernés à la réflexion – partenaires sociaux, monde de la recherche et de l’université,… –, bien que l’on puisse regretter que le MEDEF n’ait pas consenti à y contribuer.

C’est l’occasion pour nous de regarder lucidement un sujet, sur la base d’un rapport bien plus intéressant que les rapports annuels et les tableaux de feu le comité interministériel de contrôle de l’immigration dont toutes les démonstrations se sont révélées fausses. Je me félicite à cet égard de l’existence de deux rapports, celui commandé par le Premier ministre à M. Tuot sur l’intégration et celui de notre collègue Matthias Fekl sur les titres de séjour et le contentieux de l’éloignement. À cet égard, monsieur le ministre, nous attendons la concrétisation des propositions de Matthias Fekl.

Votre méthode a été d’abroger la désastreuse circulaire Guéant, de lancer une réflexion, de faire voter une loi sur la vérification de la situation administrative et l’abrogation du délit de solidarité, et votre circulaire pose des critères clairs, transparents, homogènes sur tout le territoire en matière de régularisation.

Cela dit, monsieur le ministre, vous connaissez mes objections s’agissant du périmètre de notre réflexion d’aujourd’hui : certes, vous êtes présent ainsi que Mme Fioraso, mais la présence de MM. Sapin, Moscovici, Canfin serait également nécessaire. L’immigration tant étudiante que professionnelle concerne en effet tous ces ministères.

M. Julien Aubert. Y aurait-il un débat à gauche ?

M. Pouria Amirshahi. Elle a raison !

Mme Sandrine Mazetier. Gardons les yeux grands ouverts sur la grande nation, sur le grand avenir, mais aussi sur la permanence de comportements indignes ou délictueux de la part d’employeurs, particuliers ou entreprises, qui peuvent exploiter et sous-déclarer le travail de salariés étrangers. Soyons également attentifs à l’évolution du contexte. En quinze ans, l’Espagne pays d’émigration était devenu un pays d’immigration. Aujourd’hui, on assiste à un renversement de tendance. Au moment où nous entamons ce débat sur l’immigration professionnelle et étudiante, nous devons nous interroger. Les ressortissants européens n’ont pas les mêmes droits au travail et au séjour que les ressortissants extracommunautaires, et malheureusement se posent de façon aiguë des problèmes liés à cette nouvelle réalité.

Le rapport est en fait un terrible réquisitoire contre l’ineptie des politiques précédentes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il présente des comparaisons internationales, dresse le bilan des accords de gestion concertée des flux migratoires assortis de tableaux homériques sur les autorisations de travail, les métiers en tension. On peut lorsque l’on est mauricien être employé à domicile, mais pas intervenant à domicile. D’une profession à l’autre, d’un pays à l’autre, l’amplitude de métiers concernés par les accords s’échelonne entre dix pour le Cap Vert et soixante-dix-sept pour la Tunisie. Ce qui n’empêchait pas, sous l’ancienne législature, que l’on expulse un vitrier tunisien alors que ce métier figurait dans l’accord de gestion concerté avec la Tunisie. Le quota de vitriers tunisiens n’était évidemment jamais atteint, et tout cela était absurde, empreint de coups de menton, inefficace et d’une complexité infernale pour les employeurs et le tissu économique local. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Julien Aubert. Cela vaut le coup d’organiser un débat !

Mme Sandrine Mazetier. Les partenaires sociaux qui ont contribué au débat ont relevé un biais, à savoir que l’on n’évoquait jamais l’immigration familiale à propos d’immigration professionnelle, une certaine rhétorique conduisant à croire que cette immigration familiale n’est pas une immigration de travail. Or dans la plupart des cas, l’accès est alors direct au marché du travail. Cette réalité est largement occultée, y compris dans le rapport, ce qui pèse sur les termes du débat que nous devrions avoir.

Je déplore que vous excluiez ce qui est présenté comme une piste radicale, à savoir la suppression de l’autorisation de travail. Après avoir vous-même admis que le système était complexe et dissuasif, vous n’allez pas jusqu’à proposer un schéma déclaratif, éventuellement suivi de contrôles, qui simplifierait grandement la vie des employeurs et des salariés. Le CINDEX pointe des délais excessifs même pour des cadres de haut niveau allant jusqu’à cinq mois. Hélas, les propositions du rapport ne s’inscrivent pas dans la logique du choc de simplification annoncé par le Président de la République.

Pour sa part, la CGT considère que la liste des métiers en tension ne protège absolument pas le marché du travail et qu’il faut poser le problème en d’autres termes.

En outre, on sait peu de chose sur l’immigration intra-européenne. Certes, le rapport est une première et il y aura d’autres débats à ce sujet car se posent en effet des problèmes de prêt de main-d’œuvre. À tout le moins pourrait-on prendre en compte les embauches antérieures au moment des renouvellements d’autorisations de travail, ce qui n’est toujours pas le cas dans les préfectures.

Bravo pour les chantiers qui sont ouverts. Mais il est indispensable d’aller plus loin, notamment sur le changement de statut d’étudiant à celui de salarié. Il faut aussi prévoir des outils d’équité dans la compétition internationale. Avec les socialistes, je caresse le rêve que, demain, il y ait à l’échelle internationale une contribution acquittée par tous les pays qui veulent attirer des talents, une contribution au développement des pays de départ. En outre, le traitement des visas ne devrait pas être externalisé et confié à des entreprises étrangères. Avec Thierry Mariani, nous avons constaté que le traitement des visas en Russie était opéré par une entreprise indienne et que toutes les données se trouvaient en Grande-Bretagne.

M. Thierry Mariani. Tout à fait.

Mme Sandrine Mazetier. On peut faire mieux pour des informations concernant directement la souveraineté de notre pays !

Pour mettre un peu de sel dans notre débat, j’ajoute que je ne suis pas hostile à ce que les droits d’inscription universitaires soient modulés en fonction des catégories socioprofessionnelles des familles des étudiants étrangers. Après tout, nos établissements accueillent des étudiants très fortunés appartenant à la nomenklatura et à la jeunesse dorée de leur pays et il n’y a pas de raison qu’ils n’acquittent pas des droits plus élevés.

La grande nation que nous voulons construire n’est ni craintive ni naïve, elle est, elle doit être à l’offensive. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous pouvons enfin nous consacrer à ce débat qui a été reporté trois fois, ce qui laisse planer un doute sur l’intérêt que porte le Gouvernement à cette question. Mais ce débat est aujourd’hui à l’ordre de jour, alors ne le boudons pas.

Tout d’abord, je dirai que je suis surpris de voir qu’il n’y a personne à mon extrême gauche, qui a pour habitude d’appeler à une ouverture plus large des frontières, pas plus qu’à mon extrême droite, qui a fait de l’immigration un cheval de bataille.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mais nous sommes là !

M. Paul Giacobbi. Le RRDP aussi, c’est l’essentiel !

M. Thierry Mariani. Bref, les partis extrémistes qui instrumentalisent l’immigration soit dans un sens soit dans un autre, en demandant des papiers pour tous ou pour personne, sont totalement absents à ce stade de nos débats, ce qui est tout de même étonnant – peut-être leurs membres nous rejoindront-ils plus tard.

Je préciserai ensuite, me tournant vers Sandrine Mazetier qui m’a fait l’amitié de me citer, qu’il s’agit de mon seizième débat sur l’immigration depuis vingt et un ans que je suis député : j’ai assisté aux débats sur les lois Pasqua, Chevènement, Vaillant, Debré, Sarkozy, Villepin, Hortefeux et ai été rapporteur de quatre lois relatives à cette question lors de la précédente législature et je dois dire que c’est avec beaucoup d’humilité que j’envisage cet exercice. Avant de critiquer les uns ou les autres, je fais d’abord le constat que la législation sur l’immigration professionnelle et étudiante a été un échec à droite comme à gauche. J’espère sincèrement, monsieur le ministre, que vous réussirez, mais j’avoue que j’en doute. Depuis quinze à vingt ans, nous entendons le même discours : il faut privilégier l’immigration professionnelle et se donner les moyens d’une immigration utile. En réalité, l’immigration professionnelle n’a jamais pris d’ampleur et reste très minoritaire face à l’immigration familiale.

Dans un système globalisé, où les mouvements migratoires sont toujours plus nombreux, la France doit tenir une ligne politique claire en la matière.

De toute évidence, la situation économique de notre pays ne nous permet plus d'accueillir ceux qui ne trouveront ni emploi ni logement. Inversement, nous ne pouvons pas non plus laisser la question de la formation des élites étrangères de côté : il en va de notre compétitivité et de la promotion de la francophonie. Il faut donc avoir le courage d'afficher une politique migratoire ferme et exigeante.

L'immigration étudiante et professionnelle peut présenter d'immenses avantages à condition toutefois qu'elle ne soit pas subie.

Parmi les réussites de la majorité précédente, permettez-moi tout de même de rappeler la création de Campus France, qui a permis de mieux connaître le cursus des étudiants étrangers. Nous sommes tous d’accord pour dire que la France doit attirer des étudiants étrangers ; nous sommes tous d’accord pour dire aussi qu’il faut des étudiants sérieux. Rappelons qu’à une période, les autorités ne se souciaient pas de savoir si certains étudiants étrangers, après deux ans de mathématiques, trois ans d’archéologie, un an de médecine, ne s’inscrivaient pas en lettres pour continuer d’avoir une carte. Grâce à Campus France, qui ne fonctionne pas si mal que cela, il y a désormais des avancées.

Le document préparatoire au débat que vos services nous ont fourni, monsieur le ministre, fait référence à une « maîtrise éclairée des flux migratoires ». Somme toute, l'intention est bonne mais encore faut-il examiner les modalités de mise en œuvre que vous nous soumettrez.

En 2012, l'immigration étudiante stagne. Même si la situation de la France est honorable – notre pays se situe au cinquième rang pour l’accueil des étudiants internationaux –, elle reste perfectible. En effet, il convient d'améliorer notre système d'immigration estudiantine pour continuer d'attirer les meilleurs étudiants. C'est aussi l'occasion pour les pouvoirs publics français de lutter contre la désaffection des filières scientifiques.

Il faut reconnaître que l'immigration étudiante participe à la fois au dynamisme des universités, à notre compétitivité, et au rayonnement de la France. Les étudiants étrangers sont en effet autant d'ambassadeurs de notre pays à travers le monde qui contribuent à la promotion de notre système d'enseignement supérieur.

Eu égard à la concurrence accrue sur le marché des compétences, notre pays doit se donner les moyens d'accueillir ingénieurs et chercheurs des pays émergents. La France a besoin aujourd'hui d'étudiants qualifiés venus des puissances émergentes comme la Russie, la Chine, ou l'Inde. Or, aujourd'hui, sur les cinq premiers pays sources d’immigration étudiante, il y a quatre pays africains. Les étudiants russes ne représentent que 1,7 % des étudiants étrangers en France, comme vous l’avez souligné, madame la ministre. Dans ce domaine, beaucoup reste à faire. L'objectif doit être d'attirer les étudiants au-delà des pays avec lesquels la France entretient des relations de longue date.

Malheureusement, on constate que les contraintes administratives, loin de réduire le nombre d'entrées irrégulières, sont autant d'entraves à l'immigration étudiante qui dissuadent, trop souvent, les étudiants les plus brillants d'étudier en France. Comment peut-on refuser un visa à un étudiant chinois ou russe qui présente de véritables atouts pour notre économie ? C'est aberrant !

Dans votre intervention, monsieur le ministre, vous avez souligné avec raison que la carte « compétences et talents » avait été un échec. J’ai été le rapporteur de la loi qui a permis de la créer. Elle reposait sur un dispositif simple et logique : accorder une carte de séjour à toute personne dotée d’une compétence ou d’un talent présentant un intérêt pour la France. Mais quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai découvert que le texte du décret s’étalait sur je ne sais combien pages : c’était totalement incompréhensible !

Compte tenu de la nationalité de ma femme, je me suis occupé de certains dossiers de Russes et je peux vous dire qu’ils ont fui devant tant de complexité. J’espère que vous éviterez l’écueil tragique auquel viennent se heurter les lois que nous votons dans ce Parlement depuis des années : simples et logiques, elles font l’objet de circulaires telles qu’elles se transforment en échec. La carte « compétences et talents » a été un bide complet, il faut le dire. Ce n’est pas une attaque personnelle : les dispositifs que nous votons sont souvent paralysés en second rang.

M. Manuel Valls, ministre. Voilà la vérité !

M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, vous avez bien compris ce que je voulais dire quand j’ai précisé que ce n’était pas une attaque personnelle. La carte « compétences et talents » est une très bonne idée qui a été gâchée. Vous avez raison de dire que c’est un échec et j’espère que vous serez plus attentif à ce que les lourdeurs administratives ne viennent pas dénaturer la volonté du Parlement. Pour une fois que je vous donne raison sur un point, ne boudez pas votre plaisir !

Une simplification des démarches administratives ne doit pas conduire au laxisme. Bien au contraire, l'exigence doit être de rigueur.

En outre, dans un contexte de difficultés budgétaires, la question du coût des frais de scolarité est une question essentielle. En France, le système d'enseignement supérieur est caractérisé par une quasi-gratuité : il n'y a pas de différenciation entre nationaux et internationaux. Il ne sera pas possible d'accroître le nombre d'étudiants étrangers sans que les établissements reçoivent une aide financière, notamment de la part du pays d'origine et des étudiants.

J'appelle donc à aller dans le sens d'un traitement des dossiers au cas par cas. Si la France a une longue tradition d'accueil, le développement d'une politique d'immigration étudiante ne doit pas laisser la porte ouverte au tout-venant. Le courage consistera à opérer une sélection des étudiants en fonction du projet d'études et de veiller au sérieux des étudiants chaque année.

Votre projet de carte de quatre ans a un côté séduisant et un côté effrayant. Un côté séduisant parce que pour la majorité des étudiants étrangers qui font correctement leur parcours universitaire, il est insupportable de devoir renouveler chaque année les formalités auprès la préfecture, formalités par définition inutiles s’ils sont sérieux et qui ajoutent à la lourdeur administrative. Mais nous savons vous et moi qu’il y a des étudiants étrangers qui ne vont pas jusqu’au bout de leur première année ou qui ont des projets pour le moins variables.

Je serai le premier à vous suivre, monsieur le ministre, si cette carte de quatre ans permet d’instaurer un filtre efficace qui distingue les étudiants sérieux de ceux qui n’ont pas encore fait leurs preuves. Mais, en ce domaine, il y a souvent une frontière délicate entre les intentions et la pratique.

Le temps me manque pour évoquer l’immigration professionnelle. Depuis quinze ans, voire vingt ans, elle est un échec. Je vous souhaite sincèrement de réussir pour notre pays. Mais chaque fois, nous avons les mêmes débats : tout le monde appelle de ses vœux une immigration choisie mais elle reste subie. Les diplômés étrangers choisissent en priorité d’autres pays que la France et c’est une main-d’œuvre sous diplômée et sous-qualifiée qui vient dans notre pays.

En réalité, je me demande si nous n’avons pas déjà un combat de retard. Ma circonscription me donne la chance d’être chaque semaine en Asie dans des pays où l’économie est en pleine croissance, et je suis effaré par le nombre de Français diplômés de grandes écoles que j’y rencontre. Si vous allez un jour à Shanghai, monsieur le ministre, je vous invite à vous rendre dans un des trois cafés que l’on appelle les « cafés des stagiaires » : là-bas, la moyenne d’âge de la communauté française est de vingt-huit ans, elle est composée en majorité de jeunes diplômés partis avec la conviction que tout peut leur réussir.

Aussi, pour finir, je citerai ce SMS qui m’a été envoyé la semaine dernière alors j’organisais une rencontre avec les Français de Hongkong : « Je suis Maxime Lemaître, et j’ai vingt-neuf ans. J’ai fondé ma société à Hongkong. Je fais partie des finalistes des meilleures PME françaises de Hongkong, je n’ai pas de problème particulier, mis à part celui d’avoir dû quitter mon pays » – il ne précise pas si c’était sous la droite ou sous la gauche ! – « pour créer des richesses et des emplois ici plutôt qu’en France. Même si mon activité fait vivre indirectement des milliers de personnes, je trouve simplement dommage qu’à l’heure actuelle, on doive quitter son pays quand on a envie de réussir. »

Monsieur le ministre, se préoccuper de l’attractivité de nos universités n’implique-t-il pas de se préoccuper aussi du maintien de nos diplômés en France ? Je m’inquiète en effet de voir les amicales d’anciens de grandes écoles françaises exploser à l’étranger. Il ne faudrait pas que les quelques exilés fiscaux médiatiques cachent la forêt de tous les Français qui, après avoir bénéficié de la compétitivité de nos universités, vont à l’étranger profiter des chances qu’ils ont de réussir. Aujourd’hui, il n’y a plus de French dream comme disent les Américains, et il me semble qu’au-delà de nos rivalités politiques, c’est cela qu’il nous faut aujourd’hui raviver.

S’il s’agit de restaurer l’attractivité des universités, je serai à vos côtés à condition que vous arriviez, comme nous avions voulu le faire – avec succès ou pas, c’est à vous de juger –, à instaurer des dispositifs propres à faire la différence entre ceux qui veulent vraiment nous apporter quelque chose et ceux qui ne sont étudiants que par prétexte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, nous sommes réunis aujourd'hui afin de débattre devant la représentation nationale de la réalité peu connue de l'immigration professionnelle et étudiante et de déterminer les grandes lignes directrices de l'action publique dans ces domaines.

À première vue, ce débat peut sembler plus consensuel que la question de la politique migratoire dans son sens le plus général, qui a bien souvent du mal à échapper aux caricatures et aux anathèmes.

En effet, l'objet de nos débats de ce jour est empreint d'une certaine évidence : les talents étrangers et les visiteurs professionnels contribuent au dynamisme et au rayonnement de l'économie française. Et chacun ici en convient, les étudiants étrangers et les professionnels qualifiés représentent pour notre pays une réelle valeur ajoutée.

Reste encore à s’accorder sur les modalités du contrôle des flux de l'immigration. À cet égard, l'immigration professionnelle et étudiante est attachée à de problématiques inhérentes et communes à la question de la politique migratoire dans son ensemble.

À ce titre, reconnaissons l’intérêt d’une démarche qui nous permet d’engager un débat, aussi clivant soit-il, dans des conditions dépassionnées. Ce débat est utile, alors que nous aurons prochainement à examiner de nouveau la question, dans le cadre du projet de loi que nous soumettra le Gouvernement.

La question de l’immigration professionnelle et étudiante s’inscrit dans le cadre plus général de l’immigration sous toutes ses formes. Je veux rappeler à ce titre ce que le groupe UDI entend par une politique migratoire qui soit à la fois responsable, juste et efficace.

La politique migratoire de la France a une longue histoire et c’est en partie de cette histoire que découle la société française que nous connaissons aujourd’hui.

La France, pays des droits de l’Homme, héritière des Lumières, s’est toujours efforcée de conserver sa tradition humaniste et ses valeurs, dans le respect de la dignité et de la protection de la vie humaine. Premier pays d’accueil des demandeurs d’asile en Europe, elle est encore aujourd’hui, de par ses traditions et ses engagements internationaux, une terre d’accueil.

Pour autant, sans se limiter à une simple question quantitative des flux migratoires, notre politique d’immigration se doit d’être ferme et concentrée sur la lutte contre l’immigration irrégulière, car une immigration non maîtrisée, c’est autant d’exclusion, de précarité et de pauvreté.

C’est la raison pour laquelle l’UDI préconise une approche réaliste de la politique migratoire, une approche qui s’éloigne autant de l’objectif de l’immigration zéro que d’une idéologie angélique et exagérément altruiste.

M. Manuel Valls, ministre. Très bien !

M. Michel Zumkeller. Surtout, nous devons aborder la question de l’immigration professionnelle en lien avec les perspectives d’avenir de l’économie française.

Nous devons songer aux moyens de renforcer la compétitivité de la France, de répondre aux difficultés structurelles et conjoncturelles de notre marché du travail, mais aussi de rendre le territoire français plus attractif pour les investisseurs et pour les étudiants qualifiés.

Dans cette perspective, l’immigration professionnelle peut apporter des solutions pour certains secteurs actuellement en pénurie de main-d’œuvre. On peut penser particulièrement à certaines filières techniques ou scientifiques, qui ne forment malheureusement pas assez d’étudiants, pénalisant ainsi l’éventuel renouveau de l’industrie française.

Mes chers collègues, ainsi que je l’ai indiqué en préambule de mon intervention, des évidences s’imposent en matière d’immigration professionnelle et étudiante. Tout d’abord, la France doit encourager la venue d’étudiants étrangers sur son territoire. Par ailleurs, elle ne peut empêcher une entreprise française de recruter un salarié étranger qualifié et possédant des compétences recherchées par cette entreprise pour développer son activité.

L’accueil des étudiants étrangers est un instrument d’influence majeur dans le monde, qu’il serait dramatique de négliger. La France doit donc prendre sa place dans la concurrence entre les pays développés pour attirer les meilleurs étudiants du monde entier.

Chaque année, de nombreux jeunes étrangers font le choix d’étudier en France. Nous étions ainsi, en 2011, le premier pays non anglophone de destination des étudiants dans le monde. Nous devons toutefois rester vigilants car, après les augmentations du nombre d’étudiants admis au séjour en France que nous avons connues depuis 1990, ce nombre a connu une baisse de 10 % en 2012.

Indéniablement, la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit pas se faire au détriment de l’attractivité de l’enseignement supérieur ou des besoins de nos entreprises en compétences spécifiques de très haut niveau.

Pour autant, compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi et du niveau de chômage de notre pays, l’immigration professionnelle doit rester principalement et avant tout un moyen de répondre aux difficultés structurelles du marché du travail et, sous certaines conditions strictes, aux réalités conjoncturelles.

En ce sens, nous nous opposons à toute mesure qui tendrait à modifier l’équilibre général de la réglementation actuelle en matière d’autorisation du travail. Le régime d’autorisation du travail permet de réguler efficacement l’entrée de salariés étrangers pour occuper des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en tension. Il est donc essentiel de maintenir le régime existant et de conserver une procédure administrative claire et opposable car la protection du marché du travail impose le maintien de procédures administratives dissuasives.

En revanche, les procédures peuvent être simplifiées lorsqu’elles apparaissent aux acteurs économiques comme particulièrement complexes, afin de permettre aux employeurs de recruter des travailleurs étrangers qualifiés répondant aux profils des postes recherchés ou pour remplir des missions spécifiques et limitées dans leur durée.

Le rapport établi par Matthias Fekl évoque la possibilité de revoir la procédure d’élaboration de la liste des métiers ouverts aux étrangers sans que leur soit opposable la situation économique. En outre, il préconise de simplifier et de faciliter les procédures pour les secteurs d’activité et les emplois pour lesquels notre pays connaît une pénurie de main-d’œuvre.

Or, la question de l’assouplissement des règles existantes en matière d’immigration professionnelle doit être examinée avec précaution. Elle ne peut être envisagée sans avoir au préalable renforcé l’efficacité de la lutte contre le travail illégal et l’immigration irrégulière.

Mes chers collègues, les modalités de simplification et d’assouplissement des procédures ne seront acceptables que si elles sont étroitement liées à la maîtrise des flux migratoires et à la lutte contre l’immigration illégale.

Le respect de ces exigences est essentiel si nous voulons concilier le renforcement de l’attractivité de notre pays avec la nécessaire fermeté dont il faut faire preuve lorsqu’il est question de la gestion des flux migratoires.

Telles sont les lignes directrices qui doivent, à notre sens, guider l’action publique dans le domaine de l’immigration professionnelle et étudiante.

M. Julien Aubert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, je me réjouis, comme d’autres avant moi, que nous puissions débattre dans l’hémicycle d’un thème comme l’immigration professionnelle.

Les débats sans vote qui se tiennent au Parlement permettent en effet à la représentation nationale d’approfondir des sujets qui sont cruciaux pour l’avenir de la France. C’est en soi un signe que le climat a changé dans le pays ; mais cela ne signifie pas pour autant, vous le savez, monsieur le ministre, que la politique d’immigration ne fait plus débat.

La discussion d’aujourd’hui annonce la grande réforme promise de la politique migratoire, en rupture avec la politique passée. Lorsque les élus de l’actuelle majorité était dans l’opposition, ils n’avaient cessé de dénoncer une politique peu respectueuse des droits humains et qui plus est inefficace quant aux objectifs affichés.

Des changements ont eu lieu, concernant le délit de solidarité ou la retenue pour vérification du droit au séjour, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre ; mais il reste encore bien des situations à éclaircir et bien des mesures à simplifier.

À l’instar de ma collègue Mazetier, il me semble nécessaire de ne pas dissocier la question de l’immigration professionnelle, et notamment la question de l’immigration étudiante, de la politique migratoire dans son ensemble et plus largement de notre politique étrangère dans son volet développement et son volet culturel.

Concernant l’immigration étudiante, je m’étonne qu’il existe en France une forme d’incohérence entre des déclarations visant à attirer les meilleurs étudiants étrangers et la réalité rencontrée par les étudiants attirés par le système de formation français. La précarité administrative et sociale des étudiants étrangers demeure une question incontournable.

L’accueil dans les consulats et ensuite dans nos préfectures a parfois de quoi refroidir. Dans cet esprit, avancer sur la voie de la dématérialisation et de la simplification des procédures est nécessaire, avec une prise de rendez-vous par internet et des dossiers téléchargeables en ligne. Nous devons également établir, comme pour d’autres visas, une obligation de justification des motifs de refus.

L’accueil au sein de Campus France, dont les missions sont pourtant essentielles, demeure problématique. Cet organisme, qui a pour mission d’informer et d’attirer les étrangers désireux d’étudier en France, est sans cadre fixe et, selon les mots même de l’ancien président démissionnaire, relève parfois d’une « gestion boutiquière ».

À une gestion approximative et très largement perfectible dans le recrutement et l’accueil des étudiants étrangers, il faut aussi rappeler la politique dissuasive de l’ancien gouvernement – je fais ici référence à la circulaire Guéant – pour comprendre sans doute la baisse du nombre d’étudiants étrangers en France en 2012, dans un contexte d’augmentation exponentielle des échanges universitaires dans le monde.

Les jeunes chercheurs étrangers sont également confrontés à de trop nombreux obstacles administratifs, bien qu’ils constituent, vous l’avez rappelé, madame la ministre, plus de 40 % de nos doctorants. Cette proportion fait d’ailleurs notre fierté.

Nous devons ouvrir le chantier de l’accès des chercheurs étrangers au droit commun : ainsi, un sur cinq ne dispose pas de carte Vitale. Plutôt que de soumettre ces jeunes chercheurs aux arrangements et accords divers passés entre leurs établissements d’origine et les nôtres, il faut généraliser la carte de séjour « scientifique chercheur » et aligner la durée de ce titre de séjour sur celle des droits acquis par la cotisation.

L’abrogation de la circulaire Guéant, intervenue le 31 mai 2012, était essentielle et urgente, et son abrogation par le Gouvernement a envoyé un signal important à celles et à ceux qui souhaitent choisir la France pour leur formation.

Les annonces du ministre en charge de l’immigration concernant les titres de séjour pluriannuels pour les étudiants, indexés sur la durée de leurs études, sont aussi une bonne nouvelle. Ces dispositions devront également concerner les étudiants de premier cycle, notamment ceux qui ont bénéficié de notre réseau d’enseignement français à l’étranger. Les propositions en ce sens de ma collègue sénatrice Dominique Gillot méritent d’être étudiées et approfondies.

Les écologistes souhaitent également rappeler leur attachement à un système éducatif universel restant financièrement accessible.

Je voudrais également tirer la sonnette d’alarme à propos des pays en crise, notamment sur la Syrie et ses étudiants, dont certains n’ont plus accès à aucune ressource : devenus des réfugiés politiques, ils se voient privés de bourses étudiantes.

Nombre d’entre vous ont abordé la nécessité pour la France d’attirer des étudiants des pays émergents, les fameux « BRICS » – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Cette préoccupation est partagée ; elle est compréhensible dans un monde où la compétition internationale fait rage, où la mobilité étudiante est devenue une réalité.

Nous devons toutefois veiller à ce que l’accès aux universités françaises soit également possible pour les étudiants de la francophonie, notamment ceux du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne.

M. Pouria Amirshahi. Très bien !

M. Sergio Coronado. Les grandes universités s’y développent, mais le cœur de la formation et de la recherche se situe encore chez nous. Agir pour plus de coopération en matière universitaire et pour un accueil particulier de ces étudiants doit être au cœur de nos réflexions.

Enfin, si nous souhaitons être cohérents dans notre action, il nous faut absolument résoudre le problème de changement de statut pour ceux qui, d’étudiants, deviennent salariés. En rendant trop difficile l’établissement et l’activité sur le territoire français, nous finissons logiquement par tomber du podium des pays accueillant les meilleurs étudiants.

Quant à l’immigration professionnelle, elle ne concerne qu’une minorité de la population des migrants dans notre pays : 17 000 personnes tout au plus. Pourtant, l’objectif de 1’immigration choisie était bien d’attirer une immigration professionnelle, fortement qualifiée ou visant à pallier les manques de notre marché du travail.

Les dispositions régissant l’immigration professionnelle sont elles aussi marquées par une très profonde incohérence : liste nationale de trente emplois, listes régionales, neuf listes établies dans le cadre des accords de gestion des flux migratoires, accords bilatéraux, non-intégration des travailleurs bulgares et roumains, etc.

Les difficultés et complications sont telles que déchiffrer notre système relève de l’exploit. Les diverses listes mises en place depuis une dizaine d’années ne correspondent d’ailleurs, selon les dires mêmes des fonctionnaires du ministère, à aucune réalité de terrain, ni ici, ni dans les pays d’émigration.

Nous demandons un travail de clarification des différents types de titres de séjour et une réduction de leur nombre. Les titres « salarié », « commerçant », « travailleur indépendant », « compétences » et « talents » peuvent être rassemblés en un seul et même titre, d’une durée de dix ans renouvelable.

De la même manière, il ne doit plus exister qu’une seule liste des métiers en tension, avec d’éventuelles modulations sur le territoire, mais pas de modulation en fonction de l’origine des migrants.

La simplification, la dématérialisation, l’humanisation évoquées ci-dessus doivent se retrouver dans chaque aspect de la relation que la France entretient avec des citoyens étrangers. La régularisation des sans-papiers, notamment étudiants, doit être effectuée afin d’assurer au plus grand nombre le respect de leurs droits et libertés fondamentales. La circulaire dite de « régularisation » du 28 novembre 2012 est de ce point de vue encore insuffisante.

Quant au rayonnement de notre pays à l’étranger, notre relation avec les élites de demain ne dépend pas seulement de notre capacité à les accueillir sur notre sol, mais également de notre capacité à établir des relations durables avec elles hors de nos frontières.

Notre politique d’attractivité ne peut laisser de côté ni même s’opposer à notre politique de développement et de solidarité internationale. Des instituts de recherche, tels que l’Institut de recherche et de développement, jouent un très grand rôle pour véhiculer notre savoir et nos connaissances, tout en établissant des échanges fructueux avec les chercheurs d’autres pays.

Ainsi, l’Institut de recherche et de développement organise des recherches dirigées par un directeur du Nord et un directeur du Sud, participant ainsi aux échanges universitaires entre les continents.

M. Pouria Amirshahi. En français !

M. Sergio Coronado. Oui, je vous le confirme, cher collègue, en français aussi.

M. Julien Aubert. Ah !

M. Sergio Coronado. Les recherches sont effectuées dans le pays d’origine, avec déplacements en France pour discussions et conférences. En contact permanent avec le monde de la recherche de leur pays, ces étudiants sont ainsi plus facilement recrutés : plus de 90 % des étudiants ainsi formés restent ou retournent dans leur pays, et participent non seulement au renforcement du monde académique universitaire de leur pays d’origine, mais également au rayonnement de la France. Nous sommes loin de la politique de captation de cerveaux du Sud par les pays du Nord.

C’est ce type d’échanges, solides et de long terme, que nous devons chercher à instaurer.

Voilà, chers collègues, quelques pistes que nous devons approfondir pour que notre pays conserve et renforce son rayonnement culturel et scientifique dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, le débat sur l’immigration passionne la France, même si l’assistance cet après-midi, relativement maigre bien que de grande qualité, pourrait faire penser le contraire ; mais la qualité remplace la quantité, bien évidemment.

Souvent traité sur un mode passionnel, parfois hystérique, les uns mettant en avant l’humanisme, les autres le nationalisme, ce débat devait être posé en termes économiques et plus spécifiquement en termes de développement, au sens large.

C’est chose faite cet après-midi, et tant les propos des ministres que le rapport qui nous est présenté vont dans le sens d’une approche rationnelle de la question.

Je m’en tiendrai à quelques considérations sur l’importance des étudiants étrangers, en me fondant en particulier sur l’exemple des étudiants originaires de l’Inde, ce qui ne surprendra certainement ni mes collègues ni le Gouvernement.

En 2010, dans un rapport sur l’attrait de la France pour l’investissement étranger, je rappelais à quel point la présence d’un nombre significatif d’étudiants étrangers en France, notamment dans les secteurs stratégiques, était une condition à long terme pour le développement du commerce extérieur de notre pays comme pour le développement des investissements étrangers créateurs d’emplois chez nous.

Comme cela a été déjà dit, il se trouve que les deux plus grandes économies du monde, celles qui émergent le plus vite en tout cas, la Chine et l’Inde, ont un problème quantitatif et qualitatif important dans leurs formations supérieures sur place au point qu’elles envoient des dizaines de milliers d’étudiants à l’étranger. Ainsi, l’Inde envoie 100 000 étudiants aux États-Unis, ce qui représente un apport pour l’université américaine de l’ordre de 2 milliards de dollars par an. En France, et le ministre l’a regretté, nous recevons moins de 3 000 étudiants indiens, quatre fois moins qu’en Allemagne mais beaucoup plus qu’il y a une dizaine d’années où l’on en accueillait une cinquantaine.

Cette situation ne résulte pas d’un problème linguistique, même si l’on parle mieux anglais en Allemagne qu’en France, mais manifestement d’un problème d’un autre ordre.

Qui sont les étudiants indiens en France ? Contrairement aux étudiants chinois qui fréquentent surtout l’université dans notre pays, ces étudiants indiens sont majoritairement inscrits dans de grandes écoles. 70 % d’entre eux ont suivi un cursus dans leur pays dans des établissements de très haut niveau, comme les Instituts indiens de management, les IIM, ou les Instituts indiens de technologie, les IIT, des établissements qui ne sauraient se comparer chez nous qu’à Polytechnique ou HEC. Je signale au passage que l’élève indien recevra, à sa sortie de l’IIT de Bombay, un salaire en dollars supérieur à celui de l’élève français à la sortie de Polytechnique. Ces élèves indiens ne créeront donc pas de la concurrence pour les emplois de cadre ou d’ingénieur en France, même si un certain nombre d’entre eux y restent.

La société indienne d’informatique, Wipro, qui emploie 145 000 personnes dans le monde, n’en compte pratiquement aucune en France. Elle vient d’annoncer la création de 1 000 emplois en Allemagne où elle est déjà un peu implantée. Vous me direz qu’elle s’implante en Allemagne en raison du dynamisme de l’économie allemande. Je me suis entretenu, il y a deux ans, avec le dirigeant de cette entreprise, M. Azim Premji, qui m’a indiqué qu’il connaissait très bien la France sur le plan industriel dans son activité propre, qu’ayant un passé agricole il l’admire beaucoup, mais que la rigidité du marché du travail français dont il a fait une amère expérience à Sophia Antipolis et l’insuffisance d’ouverture de la France aux échanges académiques avec son pays ont été déterminants dans son choix industriel, pensé depuis longtemps, de ne pas s’implanter en France.

Je prends acte avec grand bonheur de la volonté affichée par le ministre de l’intérieur et la ministre de l’enseignement supérieur – c’est la première fois que se tient un débat rationnel, me semble-t-il, dans cette assemblée sur ce sujet – de nous présenter des mesures courageuses fondées sur l’intérêt bien compris du développement de notre pays et qui renvoient dos à dos ce que j’appellerai d’une part l’humanisme incantatoire et d’autre part un nationalisme anachronique dans un monde désormais ouvert.

L’apport académique des étudiants étrangers n’est pas à négliger. En dehors des considérations économiques qui ont souvent trait aux filières d’ingénierie, de management, etc., la présence d’étudiants étrangers est un vecteur de promotion de la langue et surtout de la culture française dans le monde. Les études françaises au sens large prospèrent bien dans d’autres pays que le nôtre. Nous ignorons trop souvent, pour citer un exemple qui m’est cher, que les études académiques, les thèses consacrées à l’un de nos plus grands écrivains, Marcel Proust, ont été longtemps remarquablement dynamiques aux États-Unis et qu’aujourd’hui c’est plutôt au Japon que des chercheurs japonais de très grande qualité soutiennent des thèses sérieuses sur cet écrivain fondamental. Le fait que des étudiants japonais traitent de ces sujets, à la Sorbonne, avec un niveau de maîtrise remarquable, n’est pas pour rien dans la promotion de la culture, j’allais dire de la civilisation française.

En définitive, nous ne risquons pas grand-chose à accueillir des étudiants étrangers en France et à en faire une politique d’accueil, comme Mme la ministre l’a souligné à juste titre tout à l’heure avec un grand volontarisme, à condition de cibler des étudiants de bon niveau, y compris dans les domaines littéraires. C’est, au contraire, évidemment un facteur de promotion de la langue, de la culture, et surtout un facteur de développement de notre économie.

J’ai entendu mon excellente collègue, Mme Mazetier, regretter que le système d’identification électronique en Russie soit d’origine indienne. Mais je lui signale, pour la rassurer, qu’en Inde le système d’identification qui concerne 1,3 milliard de personnes est mené notamment sur une identification de l’iris qui est organisée par une entreprise française. On voit donc que la mondialisation joue dans tous les sens, et pas toujours à notre détriment.

M. Julien Aubert. Nous voilà rassurés !

M. Paul Giacobbi. Oui, il y a plus d’Indiens – ils sont 1,3 milliard – que de Russes !

M. Julien Aubert. On n’y peut rien !

M. Paul Giacobbi. Par conséquent, il vaut mieux pour l’industrie française développer le système dans un pays que dans l’autre.

Un mot sur la fameuse querelle linguistique, la fameuse question de la langue qui a fait dire beaucoup de bêtises dans tous les sens.

Il y a une grande confusion dans les esprits, parfois chez les meilleurs esprits, entre deux usages complètement distincts des langues. Le français est une langue de culture fondamentale. Dans nombre de pays, de la Russie à la Turquie, le français a longtemps été la langue de prédilection de l’élite aristocratique ou intellectuelle. Aujourd’hui encore, la maîtrise du français est un signe de différentiation intellectuelle et sociale tout à fait considérable. Et, comme le dirait l’un de mes amis, excellent connaisseur de la vie académique sur les deux rives de l’Atlantique, parler français aux États-Unis aujourd’hui et pouvoir parler de nos écrivains c’est manifester que l’on se classe dans l’Upper crust et que l’on est Highbrow intellectuellement.

Pour autant, le Français n’est pas une langue véhiculaire planétaire, contrairement à une idée reçue selon laquelle les traités diplomatiques auraient été rédigés en Français. À ma connaissance, un seul, entre la Russie et la Turquie, a été rédigé en français, tout le reste appartenant très largement à la mythologie. Certes, le français a joué un rôle de langue véhiculaire dans une partie de l’Afrique francophone, mais pas au niveau planétaire.

Il n’est pas du tout incompatible de promouvoir et défendre le français comme langue de culture et d’admettre la langue véhiculaire de facto de notre monde, c’est-à-dire l’anglais, y compris dans nos universités. Évidemment cette démarche est exigeante. Elle suppose que l’on ne s’en tienne pas à cet « A

anglais d’aéroport » comme l’a dit l’un de mes amis…

M. Julien Aubert. Ce n’est pas de l’anglais, c’est du globish !

M. Paul Giacobbi. …ce globish comme vous dites, monsieur le député, une affreuse expression.

Cette démarche permettrait au Français tout à la fois d’être promu à travers les lettres françaises au sens le plus large, sans pour autant mener le combat perdu d’avance pour un Français langue véhiculaire des sciences, de la technologie et de la communication.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très bien !

M. Julien Aubert. Baissons pavillon !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour le groupe GDR.

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de tout le groupe GDR réuni de part et d’autre de l’Atlantique.

Le Gouvernement a fait le choix de mettre à l’ordre du jour ce débat sur l’immigration professionnelle et étudiante, conformément aux engagements pris par le chef de l’État.

Le thème de l’immigration est un sujet vaste et complexe, qui suscite parfois craintes et fantasmes de la part de nos concitoyens. Après des années de stigmatisation de l’immigré par la droite,…

M. Julien Aubert. Ça commence mal !

M. Jean-Philippe Nilor. …il était souhaitable d’avoir un débat serein et apaisé sur cette question.

Pour autant, je m’interroge sur les termes du débat proposé.

Doit-on limiter la discussion parlementaire à l’immigration professionnelle et étudiante, alors que celle-ci ne représente qu’une part très minoritaire de l’immigration ?

Pourquoi ce débat fait-il l’impasse sur les sujets qui fâchent, à savoir le traitement de l’immigration familiale ou la régularisation des personnes en situation irrégulière ?

Nous le voyons chaque semaine dans nos permanences parlementaires, la politique migratoire de la France n’a pas connu de rupture par rapport à celle menée par le gouvernement précédent.

Des immigrés, présents sur le territoire national depuis plusieurs années, très bien intégrés, éprouvent toujours d’énormes difficultés pour être régularisés, subissant chaque jour l’arbitraire de l’administration.

Cette politique migratoire ultra-restrictive est indigne de la République tant elle nie les valeurs de fraternité et d’hospitalité. Elle nie aussi son histoire, marquée par l’arrivée des Italiens et Polonais au XIXe siècle et l’immigration issue des anciennes colonies dont la contribution à la reconstruction et au rayonnement de la France fut décisive.

L’immigration ne doit pas être perçue comme un danger mais comme une source d’enrichissement et d’échanges, comme un processus inhérent à l’histoire de l’humanité. Tous les députés du groupe GDR prônent par conséquent une approche ouverte et humaine de l’immigration qui tienne compte aussi bien des intérêts des pays d’origine que de la situation économique et sociale de la France.

Fort de ce constat, nous attendons du Gouvernement une véritable rupture avec la politique menée par la droite qui a souvent joué d’une manière abjecte sur la peur de l’étranger.

M. Julien Aubert. Le débat continue de manière sereine !

M. Jean-Philippe Nilor. On se souvient évidemment du débat nauséabond sur l’identité nationale, de la hausse des expulsions ou de la diminution drastique du nombre de naturalisations.

Vous avez critiqué cette politique avec véhémence lorsque vous étiez dans l’opposition. Les députés du groupe GDR attendent désormais que vous joigniez les actes à la parole.

J’en viens à la question plus spécifique de l’immigration professionnelle et étudiante.

Un premier constat s’impose : la France est l’un des pays de l’OCDE où l’immigration professionnelle est la plus faible. Seulement 25 000 personnes sont admises au séjour chaque année en France pour motif professionnel. À titre d’exemple, l’Autriche a accueilli 55 000 travailleurs étrangers en 2010 et le Canada pas moins de 182 000 personnes. Comment expliquer cette faiblesse de l’immigration professionnelle ?

Le précédent gouvernement a voulu miser sur l’immigration de travailleurs hautement qualifiés avec la volonté de privilégier « une immigration choisie » à « une immigration subie », comme s’il y avait de bons et de mauvais immigrés.

M. Julien Aubert. Ça n’a rien à voir !

M. Jean-Philippe Nilor. Les admissions au séjour pour le travail ont donc été considérablement durcies, à travers notamment l’autorisation de travail qui est un obstacle majeur en période de crise. L’immigré professionnel doit non seulement obtenir une promesse d’embauche de la part d’un employeur, mais en plus satisfaire un certain nombre de conditions extrêmement restrictives.

Autant dire qu’on inflige un parcours du combattant aux immigrés, ce qui est particulièrement injuste quand on sait que des emplois restent vacants dans de nombreux secteurs d’activité, comme le bâtiment, la restauration ou le secteur médico-social.

Concernant l’immigration étudiante, la France est certes une destination plutôt recherchée par les étrangers, avec 260 000 étudiants accueillis en 2010, mais il est possible et souhaitable de faire plus et mieux pour favoriser l’accueil des étudiants étrangers.

Dans la Caraïbe, par exemple, on peut regretter l’absence de politique offensive de coopération : la France n’utilise pas assez la présence de l’université des Antilles et de la Guyane pour attirer des étudiants des pays caribéens en plus grand nombre. Ce serait pourtant une bonne politique et une stratégie constructive qui permettrait d’attirer les jeunes élites étrangères...

M. Julien Aubert. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Philippe Nilor. En effet, permettre aux autres d’apprendre, apprendre des autres sans jamais rien leur prendre : telle est notre philosophie, telle doit être le fondement de notre politique.

La capacité à attirer les étudiants étrangers qui formeront les élites économiques mondiales de demain fait l’objet d’une concurrence de plus en plus vive entre les États.

En effet, nous en sommes convaincus, les étudiants étrangers sont une richesse pour le pays d’accueil. Ils contribuent à renforcer son attractivité dans le monde, à véhiculer ses valeurs, à diffuser sa langue. Leur présence est aussi une source d’enrichissement pour les étudiants du pays d’accueil, qui vivent de plus en plus à l’heure de la mondialisation. Enfin, n’oublions pas que les étudiants étrangers disposent souvent de compétences utiles à l’économie du pays d’accueil.

En plus de leur apport professionnel, on peut légitimement espérer que l’expérience accumulée sur le territoire du pays d’accueil puisse ensuite bénéficier au pays d’origine. L’approche que nous préconisons s’inscrit donc dans une logique cohérente et intelligente, une logique « gagnant-gagnant ».

La France possède des atouts indéniables pour attirer les étudiants étrangers : une formation initiale de qualité, des frais d’inscription peu élevés, des diplômes reconnus en Europe et dans le monde...

Malheureusement, tout n’a pas été fait pour favoriser leur accueil dans de bonnes conditions. Les étudiants étrangers, souvent livrés à eux-mêmes, doivent faire face à des procédures administratives particulièrement complexes, voire hostiles. La mise en place de la circulaire Guéant, qui restreignait de manière drastique l’accès à un premier emploi en France, a constitué un message désastreux pour les jeunes étrangers et pour l’ensemble de nos partenaires internationaux.

M. Julien Aubert. Ah !

M. Jean-Philippe Nilor. Son abrogation par le nouveau Gouvernement dès sa prise de fonction était nécessaire et justifiée.

Mais les difficultés quotidiennes d’intégration ne concernent pas que les étudiants étrangers, il faut le dire. Elles affectent tout autant les étudiants de nationalité française – française à part entière et entièrement à part – qui sont originaires de Martinique, de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de Polynésie, de Kanaky. S’agissant des élèves infirmières, très nombreuses, en provenance des Antilles, je dois signaler que leur accueil est souvent difficile et sujet à caution dans les écoles spécialisées de Belgique, mais aussi, malheureusement, de France. Et je veux dénoncer ce fait qui va jusqu’au harcèlement moral et à des humiliations en tous genres. C’est extrêmement grave !

À la suite du débat que nous avons aujourd’hui, viendra en discussion à l’Assemblée nationale un projet de loi sur 1’immigration dont nous attendons beaucoup.

Certes, le Gouvernement a défait dès son arrivée quelques-unes des mesures les plus détestables mises en œuvre par la droite – la droite la plus réactionnaire.

M. Julien Aubert. Ah ! On parle de nous !

M. Jean-Philippe Nilor. Suppression de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers, abrogation du délit de solidarité, fin de la rétention de sûreté pour les familles avec enfants, disparition du ministère de l’immigration et de l’identité nationale.

Les quelques pistes de réformes évoquées dans le document de cadrage du ministère de l’intérieur, ainsi que dans le rapport du député Mathias Fekl, sont intéressantes. L’introduction de titres de séjours pluriannuels est ainsi une décision positive, tout comme la volonté affichée d’améliorer l’accueil des étrangers en préfecture et de clarifier les procédures administratives.

Mais, monsieur le ministre, madame la ministre, pouvons-nous nous contenter d’un simple toilettage administratif, alors même que le code sur l’entrée et le séjour des étrangers en France devrait être réformé en profondeur ?

Nous déplorons que la rupture avec l’héritage du gouvernement précédent ne soit pas plus prononcée, plus franche, plus claire, plus précise, plus chirurgicale...

Vous avez en effet indiqué que le seuil de trente mille cartes de séjour délivrées par an, qui était celui pratiqué par le ministère de l’intérieur sous la précédente législature, ne serait pas dépassé. Cette position n’est pas tenable dans un monde toujours plus ouvert sur l’extérieur. Regardez du côté des États-Unis, même si ce n’est pas toujours un exemple à suivre : le président Barack Obama vient d’annoncer la régularisation de onze millions d’immigrés en situation irrégulière.

Par ailleurs, un véritable débat doit être engagé avec les associations sur l’immigration familiale, dont les conditions ont été considérablement durcies. Comment peut-on accepter de voir des familles, à savoir des parents et leurs enfants, vivre séparées, au mépris de toute considération humaine ? La politique du regroupement familial doit impérativement être plus claire, plus lisible et plus juste.

La politique d’expulsion des immigrés en situation irrégulière n’a quant à elle pas été véritablement remise en cause. Le rapport Fekl n’évoque qu’une réforme a minima : selon toute vraisemblance, le nombre d’étrangers expulsés par an ne sera pas revu sérieusement à la baisse.

Concernant l’amélioration de l’accueil des immigrés en préfecture, il nous paraît primordial d’encourager les embauches dans les services consacrés aux étrangers. Les délais de traitement des dossiers et les files d’attentes interminables dans les préfectures sont d’abord la conséquence du manque de personnel dans ces services. Or, dans un contexte d’austérité, nous avons bien peur que le futur projet de loi sur l’immigration se fasse à moyens constants. La promesse d’améliorer l’accueil des étrangers en préfecture risque dès lors de n’être qu’un vœu pieux.

D’une manière générale, les députés du groupe GDR, tous les députés du groupe GDR, ont le sentiment que le Gouvernement manque d’un cap, d’une direction, sur ce que doit être la politique migratoire de la France.

Les quelques mesures relatives à l’immigration professionnelle et étudiante sont positives, oui, positives, mais trop limitées. Le Gouvernement doit maintenant avoir le courage d’ouvrir le débat pour enfin proposer une réforme ambitieuse de la politique migratoire menée par la France.

Les députés du groupe GDR, tous les députés du groupe GDR, entendent participer activement, en lien avec les associations et les syndicats, à ce débat capital.

M. Bruno Nestor Azerot. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Allons droit au fait : nous devons sortir d’une politique d’immigration paranoïaque qui était prégnante ces dernières années et à cause de laquelle une logique de suspicion permanente à l’encontre des étrangers a été le fil rouge d’une politique aussi vexatoire qu’inefficace. La circulaire Guéant, cela a été dit à plusieurs reprises, en était le symbole.

Quels sont les enjeux ? Doter la France d’une stratégie d’immigration qui la renforce économiquement et culturellement dans le monde, contribue pleinement aux enjeux de coopération et de développement, et fasse honneur à l’esprit d’hospitalité qui a souvent manqué ces dernières années.

Je ne vous étonnerai pas en vous proposant que la francophonie, en tant qu’espace géoculturel et en tant que langue, soit le fil rouge de cette nouvelle ambition politique.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Pouria Amirshahi. Des millions de personnes apprennent aujourd’hui le français dans le monde, y compris dans des pays traditionnellement non francophones. Au Brésil, en Chine, en Russie, en Turquie, en Europe aussi bien sûr, en Afrique évidemment, des talents sont formés, dans toutes les disciplines, à la pratique et à la maîtrise d’une langue au potentiel exceptionnel. Aujourd’hui, des chefs d’entreprises, des ingénieurs, des étudiants, des artistes et des chercheurs ont, partout dans le monde, la même envie de vivre ce que j’appellerai une expérience française. Si nous savons les attirer, si nous savons les accueillir et si nous ne leur adressons pas de signes négatifs, alors, en moins d’une génération, non seulement la France, mais l’espace francophone mondial auront fait œuvre utile dans une mondialisation – certains disent : dans une compétition internationale – qui se résume trop souvent à ses deux pires défauts que sont la concurrence entre les peuples et la standardisation du monde.

Chacun est bienvenu dans notre pays, mais reconnaissons que, pour ce qui est du travail, du commerce ou des études, la maîtrise de la langue française est un puissant facteur de facilité, dans tous les domaines : rapidité d’intégration, possibilités plus grandes de s’inscrire dans des réseaux humains.

Une fois n’est pas coutume dans ce genre de débats, avant de parler des conditions d’accueil et de séjour des étrangers, je veux aussi évoquer leur retour. Il conviendra bien entendu qu’ils repartent avec les meilleurs souvenirs possibles, mais aussi avec l’envie de prolonger la relation scientifique, artistique, professionnelle ou commerciale engagée ici en France, engagée avec la France.

M. Julien Aubert. Exactement !

M. Pouria Amirshahi. Mais il faut voir, au-delà, dans l’espace économique et culturel de la francophonie. Parlons clairement : l’Afrique de demain peut connaître, l’Afrique connaît déjà, un développement économique extraordinaire et durable. Chacun l’a compris, la Turquie, la Chine, le Brésil… On peut discuter des moyens parfois contestables employés par certaines nations à l’égard de l’Afrique, mais les États d’Afrique sont en droit de discuter avec qui bon leur semble. Alors, que voulons-nous ? Que ces échanges aient lieu en français ou en anglais ? Car si nous faisons venir des cadres chinois, des ingénieurs chinois, des chercheurs chinois, ou turcs, ou brésiliens, ou issus de tous ces pays émergents dont nous parlons, quelle sera notre plus grande force, demain, dans la coexistence des grandes aires linguistiques ? C’est notre langue.

M. Julien Aubert. Il faut l’encourager !

M. Pouria Amirshahi. En accueillant ces cadres en France, en favorisant pleinement l’apprentissage de la langue française, c’est aussi par des produits en français, des normes technologiques en français, des brevets en français que se feront une part des échanges avec ces milliers de talents que nous aurons accueillis.

J’ajoute une autre dimension, celle qu’introduit l’Histoire elle-même, à la faveur des profondes évolutions en cours au Maghreb. Le projet méditerranéen est une des réponses politiques aux démocratisations en cours. Aujourd’hui encore, quatre des grandes nations de la Méditerranée occidentale ont le français en partage. Quelle chance extraordinaire pour construire des filières industrielles communes, par exemple dans le domaine des énergies renouvelables, des formations professionnelles cohérentes, en lien avec les chambres de commerce et d’industrie ou des conseillers du commerce extérieur, des stratégies de « co-diplomation universitaire », à l’instar des projets engagés par l’Agence universitaire de la Francophonie.

Voilà, mes chers collègues, dans quelle perspective peut s’inscrire notre nouvelle ambition en matière d’immigration professionnelle et universitaire. C’est dans cette perspective que j’avais évoqué la création d’un passeport économique et culturel de la Francophonie, permettant aux étudiants, aux chefs d’entreprises, aux artistes, aux chercheurs, de s’inscrire dans des parcours aller et retour. D’une certaine manière, nous avons abordé ce point lorsque le ministre de l’intérieur a évoqué ces facilités. Elles vont dans le sens des nécessités qui ont été évoquées, mais aussi de notre intérêt propre et contribuent pleinement à l’apaisement indispensable. Il en va de même d’un éventuel Erasmus francophone.

Les simplifications qui ont été annoncées par le Gouvernement dans la délivrance des visas sont non seulement des facteurs d’apaisement et de respect, mais se révéleront aussi utiles au travail de nos administrations : je sais, pour être souvent sur le terrain, que dans nos consulats, la délivrance de titres de moyen séjour réduit les files d’attente. C’est un allègement du travail pour nos agents, ce sont des sentiments de vexation en moins pour de nombreuses personnes qui veulent venir chez nous, mais c’est aussi moins de files d’attente dans nos préfectures : car beaucoup, craignant de se voir refuser un nouveau visa en cas de retour au pays natal, tentent actuellement d’obtenir une carte de séjour.

Avec un titre pluriannuel, qu’avec notre collègue Matthias Fekl, Sandrine Mazetier l’a rappelé, nous demandons et soutenons pleinement, nous allons dans le sens d’un apaisement, mais aussi d’une plus grande efficacité dans notre politique d’immigration professionnelle, économique et étudiante.

On ne peut pas ne pas aborder la question du logement. Nous devons revoir notre politique du logement qui ne tient pas compte des immigrés extracommunautaires. Ces personnes vivent souvent dans un habitat indigne. Ce qui reste des foyers de travailleurs migrants témoigne des discriminations constantes, d’une politique du sous-logement et de mise à l’écart, aussi humiliante que dangereuse et, surtout, contraire à nos objectifs d’intégration.

Ce sujet est préoccupant, mon collègue Alexis Bachelay le sait, pour les immigrés âgés qui ont passé leur vie à travailler en France et qui sont ensuite largement abandonnés.

M. Alexis Bachelay. Tout à fait.

M. Pouria Amirshahi. Ne nous trompons pas, mes chers collègues : une politique immigration qui joue sur les peurs éloigne de plus en plus de personnes, qui noueront avec d’autres pays que le nôtre des relations d’amitié et qui nous manqueront dans le futur.

Il est temps de réaffirmer sans complexe que l’accueil et l’intégration des étrangers est une force. Sortir de l’hypocrisie, c’est assumer que l’immigration est une des sources continue de notre identité nationale et francophone.

Notre politique d’immigration doit contribuer à consolider l’espace économique francophone qui, peut-être, cela dépend aussi de nous, représentera près d’un milliard de personnes en 2050.

Cette francophonie culturelle et économique, ce sont aussi ces immigrants qui l’incarnent.

L’ambition francophone, parce qu’elle fait se rencontrer des cultures et des talents du monde entier, notamment chez nous, en France, constitue aussi une occasion exceptionnelle pour la France de reconquérir les cœurs et les esprits. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Madame la présidente, mesdames, messieurs, je tiens, d’abord, à vous remercier, monsieur le ministre de l’intérieur d’avoir bien voulu vous livrer, il est vrai pour la première fois, à un exercice qui n’est pas facile : parler des chiffres de l’immigration en France. En 2009, la France comptait 5,7 millions d’immigrés et trois immigrés sur cinq résidaient en Rhône-Alpes, PACA et Ile-de-France.

On le sait, l’immigration déchaîne les passions. J’ai entendu les adjectifs d’abjecte et de nauséabond. J’ai parfois l’impression qu’il y a des partis qui sentent bons et d’autres qui sentent mauvais !

Mme Julie Sommaruga. Et d’autres n’ont pas d’odeur !

M. Julien Aubert. L’immigration déchaîne également des votes. Immigration légale ou illégale, étudiants ou regroupement familial, réfugiés, les catégories sont complexes à appréhender pour le citoyen et pour les élus non spécialistes. L’UMP est, cependant, convaincue que, face à la montée des tensions sur le marché du travail, face à l’enjeu que représente le communautarisme ethnique ou religieux et, surtout, face à la paralysie de l’assimilation à la française, il faut se montrer prudent et ne pas prendre l’immigration comme une donnée, mais comme l’objectif d’une politique assumée.

M. Manuel Valls, ministre. Très bien !

M. Julien Aubert. Si, d’après le proverbe, trop d’impôt, tue l’impôt, trop d’immigration, tue l’immigration, car la venue de l’étranger est alors perçue comme une menace.

Aux termes du rapport du Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration : « l’immigration professionnelle est circonscrite en volume et bien encadrée ». La question qui se pose, quant à l’immigration professionnelle, n’est pas de savoir si elle est bien encadrée et circonscrite, mais bien d’analyser les pays d’origine et les causes de migration. Selon ce rapport, l’immigration étudiante et professionnelle ne constitue pas majoritairement une immigration définitive, mais bien une immigration de mobilité temporaire, contrairement à l’immigration familiale et humanitaire. Les chiffres sont, de ce point de vue, éloquents : l’immigration économique représente 9 % et l’immigration familiale 45 % des immigrés. Des millions de Français considèrent, aujourd’hui, que, s’il est tout à fait normal d’accueillir sur le territoire des étrangers dont les compétences ou le talent enrichissent notre économie, ce n’est pas un droit automatique et cela ne doit pas concurrencer des millions de chômeurs Français qui cherchent, eux aussi, à s’intégrer. J’espère qu’un jour nous aurons un débat sur la politique de regroupement familial, car cette politique a transformé des immigrants économiques et immigrés à demeure.

M. Alexis Bachelay. C’est la faute de Giscard !

M. Julien Aubert. Pour en revenir au sujet qui nous occupe, je voudrais relever quelques points qui me semblent centraux dans la réflexion. Tout d’abord, s’agissant de l’immigration étudiante, on constate qu’en trente ans, le nombre d’étudiants étrangers présents sur notre territoire a augmenté de 40 %. Se pose, alors, une question : était-il indispensable d’imposer des cours d’anglais à ces étudiants venus chez nous pour se former ? Je ne le pense pas, contrairement au Gouvernement qui a écouté cette préconisation de l’OCDE, organisation néolibérale, s’il en est !

J’ajouterai, enfin, que 80 % de ces étudiants sont extra-communautaires. Comment explique-t-on qu’à l’heure où l’Europe encadre chaque étape de notre vie quotidienne, moins de 20 % des étudiants étrangers inscrits en France soient d’origine communautaire ?

Concernant l’immigration professionnelle, je n’ai pas trouvé de statistiques sur le ratio Européens-extra-communautaires. J’ai peut-être mal cherché parce que le rapport est assez précis et, à mon avis, très bon. À mon sens, à partir du moment où l’on fait de l’Union européenne un grand marché des personnes et du travail, il est nécessaire d’amplifier au maximum la part des immigrés intracommunautaires, indicateur de rayonnement de la France dans son hinterland naturel qui est le vieux continent. Il y a sans doute un effet d’optique, car les règles ne sont pas les mêmes, donc la comptabilisation diffère. Mais poser cet objectif serait, à mon avis, un symbole et un signe.

Nous ne devons pas nous limiter à l’aspect quantitatif. Il nous appartient de déterminer les professions et les qualifications dont notre pays a besoin et non de constater, sans réelle réflexion, une immigration. Comme il l’est précisé dans le rapport, la Nouvelle-Zélande a soumis la délivrance de visas professionnels à des conditions très précises : avoir entre vingt et cinquante-six ans, parler l’Anglais, satisfaire aux normes de santé et faire état de compétences rares sur le marché du travail national en obtenant un certain nombre de points. Il me semble que la mise en place d’un dispositif similaire et adapté ne serait pas superflue pour cibler les besoins et métiers sous tension et, ainsi, mieux gérer nos flux migratoires. Nous pourrions également nous inspirer de critères retenus par d’autres pays, comme, par exemple, les besoins des employeurs. De toute évidence, en effet, le manque d’articulation entre l’éducation, les employeurs et l’immigration est un problème pour notre pays. Nous pouvons, de ce point de vue, nous inspirer de du projet auquel j’ai eu l’honneur de participer dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, projet consistant à développer des formations transméditerranéennes. Ainsi, après avoir fait sa première année au Maghreb et sa deuxième année en France, un étudiant reviendra dans son pays d’origine. On pourrait également associer les grandes entreprises françaises en leur demandant de cofinancer ces formations. Cela permettrait d’ajouter un dernier module permettant à l’étudiant qui l’aurait suivi d’être embauché par la grande entreprise qui l’a parrainé dans le pays dont il est originaire. Cela faciliterait ainsi le retour de ces étudiants.

Le temps me manque. En conséquence, je ne développerai pas, à mon grand regret, les autres points.

Tous ces arguments ne doivent pas se cantonner à un réflexe égoïste. Nous devons nous fixer comme objectif le codéveloppement en Afrique, notamment. Pourquoi ne pourrions-nous pas augmenter l’aide publique au développement et la porter à 1 % du budget en instaurant des quotas, selon les compétences dont nous avons besoin, pour les pays les plus défavorisés, lesquels pourraient, eux aussi, former leurs élites dans notre pays ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le ministre, votre déclaration a été extrêmement générale, ce qui m’a permis de constater qu’il n’y avait pas de rupture majeure avec la politique d’immigration menée par le gouvernement précédent. On dit souvent de vous que vous êtes l’homme de droite du Gouvernement. Or vous ne faites, en réalité, que poursuivre la politique de gauche de M. Sarkozy. Vous êtes donc en cela, je dois le dire, assez cohérent.

M. Alexis Bachelay. C’est tout en nuances !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Comment l’a souligné M. Aubert, nous n’avons pas échappé à l’émotion : on a pratiqué l’amalgame, la stigmatisation ! Certains feignent d’ignorer, ici, que l’immigration de masse ne trouve pas sa justification dans le respect des Droits de l’Homme et dans la charité.

Nous avons pu constater, dans le document préparatoire, que de grands syndicats – je pense à la CGT et à la CGPME – ont tout de même fait preuve d’une certaine lucidité. Ainsi, la CGPME considère que « s’il y a une priorité, elle devrait viser à mieux mettre en avant la main-d’œuvre disponible sur le territoire Français ». C’est d’autant plus intéressant que, comme on l’a souvent souligné, aujourd’hui, l’immigration professionnelle représente uniquement 10 % des 200 000 entrées légales par an, contre 60 % pour l’immigration familiale, ce qui est d’autant plus réducteur qu’elle ne concerne que les primo-arrivants légaux. Elle exclut, évidemment, les ressortissants de l’Union européenne, les travailleurs temporaires, les clandestins et tous les bénéficiaires du droit au séjour à un autre titre qui prennent un emploi par la suite. La CGPME avance le chiffre de 100 000 personnes par an pour cerner l’immigration professionnelle au sens large, alors que, je ne vous l’apprends pas, on compte 4,74 millions de demandeurs d’emplois soumis à une obligation de recherche. Permettez-moi de vous poser une question toute simple : comment justifiez-vous le recours à une main-d’œuvre étrangère dans ce contexte de chômage de masse ? Il nous est souvent répondu que c’est pour pourvoir des postes que les Français ne veulent pas parce qu’ils sont quelque peu fainéants.

M. Alexis Bachelay. Caricature !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Sachez tout de même que les postes dont vous parlez souvent sous-payés. En effet, l’objectif de cette immigration de masse est évidemment de faire baisser les salaires. C’est d’ailleurs pourquoi le patronat – du CNPF à Mme Parisot – réclame chaque fois plus de travailleurs immigrés.

M. Alexis Bachelay. Maintenant, cela s’appelle le MEDEF !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. L’Union européenne, fidèle à sa politique ultralibérale, incite les États comme le nôtre à ouvrir leur marché du travail. Pour compenser un euro trop fort et la concurrence intenable des pays émergents sans faire jouer le protectionnisme, il n’y a rien de mieux qu’une délocalisation à domicile, donc d’une importation de main-d’œuvre bon marché !

Le rapport souligne, ensuite, le peu d’effectivité de la règle de l’opposabilité du marché de l’emploi qui oblige les employeurs à pourvoir, en priorité, les postes ouverts avec des demandeurs déjà inscrits sur le territoire. C’est une mesure logique et de bon sens que des dérogations, malheureusement extrêmement nombreuses, rendent, dans les faits, assez peu effective. En effet, il existe une liste des métiers dits « sous tension », qui n’ont, en soi, pas grand sens, et des accords bilatéraux dérogatoires entre la France et des pays, essentiellement africains. De plus, de nombreuses associations de salariés nous ont rapporté qu’une fois les visas accordés, la rémunération des travailleurs étrangers en France était souvent inférieure à celle de leurs homologues français, et ce en dépit de l’obligation légale. Vous le savez, la loi imposant un recrutement avec un salaire équivalent au marché du travail français est rarement scrupuleusement respectée par les services préfectoraux de délivrance des autorisations de travail. Le plus souvent, ils connaissent mal les salaires réels du marché dans les différents secteurs d’activité et ils se contentent, dans le meilleur des cas, de vérifier simplement le respect des minima conventionnels.

Parmi les pistes de réflexion, je citerai la renégociation de la liste des marchés en tension, la remise à plat des accords bilatéraux et le maintien des professions interdites aux non-nationaux ou non-communautaires. Il faut également mettre en place un mécanisme afin de supprimer la concurrence déloyale des entreprises de service étrangères qui détachent sur le territoire national des salariés employés aux normes sociales et aux salaires de leurs pays d’origine. Il convient, enfin, de donner la priorité à la lutte contre le travail clandestin et l’immigration irrégulière, faute de quoi les leviers de la politique sur l’immigration professionnelle seront évidemment totalement biaisés.

L’immigration étudiante, dont nous nous accordons à reconnaître qu’elle est tout à fait souhaitable en soi, participe du rayonnement de la France et forme les jeunes des pays en développement. Néanmoins, il ne faut pas vider les pays source de leurs cerveaux et cette filière ne doit pas devenir une filière bis d’immigration pérenne. Vous regrettez que notre pays n’accueille que peu d’étudiants chinois. S’il est vrai que les lourdeurs administratives sont une réalité, il conviendrait que vous vous attardiez sur le classement et les qualités de nos universités, éléments déterminants.

Pour redonner toute sa dimension à une politique d’immigration étudiante, il est nécessaire d’instaurer un contrôle du niveau de français et un examen de la cohérence du projet d’étude en amont de la délivrance du visa ; de privilégier une politique d’accueil qualitative afin d’attirer les meilleurs dans les secteurs stratégiques plutôt que de faire du chiffre et de remplir des filières telles que la sociologie et l’histoire, qui n’apportent pas de réelle plus-value sur notre marché du travail ; de mettre en place une durée maximum d’études par cursus et de limiter les redoublements. Il conviendrait également de développer des bourses au mérite, par exemple sur le modèle de la fondation Odon Vallet avec les ingénieurs d’Asie du Sud-Est.

Je vois que j’ai largement dépassé mon temps de parole, je vais donc conclure. Je vous incite, car ce serait peut-être plus intéressant, à vous occuper de vos concitoyens au lieu de satisfaire aux exigences du MEDEF !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. La France accueille, aujourd’hui, 288 500 étudiants étrangers. La diversité de leurs pays d’origine et leur nombre font honneur à la réputation de l’enseignement supérieur français et à l’attractivité de notre pays. Certains de ces étudiants arrivent en France dans le cadre d’un cycle court, d’autres dans le cadre des programmes Erasmus, d’autres s’inscrivant dans la perspective de collaborer aux travaux de recherches et de développement des laboratoires. Il serait contre-productif que notre économie ne s’appuie ni sur la richesse qu’ils apportent ni sur les perspectives qu’offre leur présence.

J’ai eu, lors des auditions de la mission d’information relative à la compétitivité en France menée par Daniel Goldberg et Bernard Accoyer, l’occasion d’entendre de nombreux responsables économiques regretter les difficultés qu’ont les entreprises à valoriser leurs produits vers de nouveaux marchés. De même, leurs capacités d’innovation et de développement sont amoindries par la difficulté de recruter des professionnels hautement qualifiés. Il y a un paradoxe entre l’attractivité de notre système de formation au niveau international et ce qui apparaît comme une incapacité d’en retirer tous les bénéfices. À titre d’exemple, je citerai l’entreprise Astellia, située sur le territoire de ma circonscription. Sa problématique m’a confirmé la nécessité de mener une politique cohérente en termes d’immigration professionnelle. Cette entreprise, reconnue mondialement pour son expertise dans les nouvelles technologies et dans l’optimisation des réseaux mobiles, ne peut, en raison des limitations qui lui sont imposées, ni recruter comme elle le désire ni s’appuyer autant qu’elle le voudrait, sur la double compétence de jeunes étudiants étrangers dans sa stratégie de conquête de nouveaux marchés Elle souhaite, pour augmenter sa capacité d’innovation, choisir les meilleurs collaborateurs, indépendamment de leur origine. Elle tient, en cohérence, à s’appuyer à la fois sur leur expertise technique et sur leur connaissance naturelle des marchés.

Or, soumise à l’obtention d’une autorisation de travail, la procédure de recrutement d’un salarié étranger est longue, fastidieuse et, en dépit de la volonté réciproque des deux parties de s’engager, peut aboutir à un échec.

Deux problèmes se posent : nous devons prendre en compte la nécessité pour les entreprises d’être réactives, et ne pas nous priver de salariés formés dans nos universités, soutenus par nos institutions, qui choisiront de travailler pour des entreprises étrangères, soumises à des législations moins tatillonnes.

On peut légitimement considérer que nous investissons aujourd’hui à perte dans la qualification des étudiants étrangers. Ceux-ci sont en effet plus enclins à envisager leur avenir professionnel dans un pays reconnaissant leurs compétences sans préjudice de leur origine.

Nous voulons valoriser l’attractivité de nos entreprises auprès des pays émergents. Fort bien. Quel meilleur outil avons-nous que notre capacité d’accueil, de formation et d’enseignement ? Nous avons, avec certains de ces pays, des liens forts, fraternels, culturels ou linguistiques. Je ne pense pas que fermer nos frontières à leurs ressortissants soit le meilleur moyen de consolider ces liens et d’instaurer des coopérations économiques équilibrées.

Nous ne pouvons pas former des milliers de futurs salariés sans nous poser la question du sens que nous donnons à notre investissement. Il est nécessaire de clarifier la situation, notamment sur leur possibilité de bénéficier de leur première expérience professionnelle dans nos entreprises, dans la continuité de leurs études et de leurs stages. La suppression de la circulaire de M. Guéant était un pas dans cette direction. Ne convient-il pas d’aller plus loin ?

Il s’agit, non pas, bien sûr, de supprimer la demande d’autorisation de travail mais de réaliser que la procédure liée à son obtention est inadaptée. La cohérence voudrait que nous respections les capacités décisionnelles des chefs d’entreprises quant à leurs stratégies de développement et donc de recrutement. Force est de reconnaître que, dans la pratique, l’opposition de la situation de l’emploi pour les salariés hautement qualifiés est déjà limitée. Sans la supprimer, en clarifier les règles serait un signal fort, tant vers les entreprises que vers les étudiants. Leur manque de perspectives dans notre pays ne leur permet pas de se construire, tout comme leur précarité ne nous permet pas de nous projeter dans une politique responsable et cohérente de coopération et de développement économique.

Une politique d’immigration telle que nous l’ambitionnons doit être fondée sur des principes forts. Les nôtres ne consistent pas à piller les cerveaux ni à nourrir des espoirs que nous décevrions. Ils consistent à favoriser l’échange et la coopération en matière de développement, à affirmer les liens qui nous unissent et à tisser ceux qui n’existent pas encore. Favoriser ou, à tout le moins, rendre possible une première expérience professionnelle dans les entreprises françaises ne peut que contribuer à ces objectifs. Le développement économique et la coopération se renforceront par l’échange de savoirs et le transfert de savoir-faire. Nous sommes non pas dans une logique d’immigration choisie, qui priverait les pays émergents de leurs forces vives, mais dans la construction d’un pacte de codéveloppement économique et culturel.

Si nous considérons que notre politique d’immigration s’intègre dans une perspective de codéveloppement économique et culturel, quels peuvent être les outils permettant d’en assurer la cohésion et le pilotage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Grandguillaume.

M. Laurent Grandguillaume. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, chers collègues, je souhaite tout d’abord exprimer notre satisfaction d’avoir l’occasion de débattre au sein de l’Assemblée nationale de l’immigration professionnelle et étudiante, débat qui répond à un engagement du Président de la République.

Je commencerai mon intervention par une citation de Jean Jaurès, qui disait avec raison : « Quel que soit l’être de chair et de sang qui vient à la vie, s’il a figure d’homme, il porte en lui le droit humain. »

Notre politique marque un tournant avec les politiques des nouveaux réactionnaires, qui se servent du thème de l’immigration et de l’intégration pour cliver, jouant sur la définition nationale-sécuritaire de l’identité nationale ainsi que sur l’opposition entre immigration choisie et immigration subie.

D’ailleurs, où sont les agitateurs qui gesticulent à chaque symptôme de fièvre sans jamais proposer de solutions durables ? Ils nous ont laissé en la matière un seul bilan : la lourdeur, la lenteur et la torpeur. Ils fuient le débat car ils sont à court d’arguments.

Identité nationale, déchéance de la nationalité, les trois dernières années furent rythmées par une succession de polémiques autour de l’immigration, lancées le plus souvent par le gouvernement à partir de faits particulièrement médiatisés. Si l’intégration heureusement, n’a pas cessé, la politique qui la favorise, a, elle, quasiment disparu sous le dernier quinquennat.

Nous mettrons fin à une politique de l’obsession du risque migratoire, une politique qui a abîmé l’image de la France à l’étranger, détournant de nombreux étudiants brillants, notamment francophones, vers d’autres destinations ou précarisant des travailleurs migrants en les stigmatisant.

Rappelons-nous que l’immigration a été très bénéfique pour la France. Selon une étude récente menée par trois économistes sur la relation entre immigration et croissance économique en France, fondée sur les modèles économétriques en usage au FMI, la contribution des travailleurs étrangers à l’économie se révèle positive. Le bénéfice pour la société serait de l’ordre de 300 millions d’euros par an.

Nos populations immigrées constituent une part fondamentale de ce que nous sommes, qu’il s’agisse de grands savants, de médecins et praticiens, d’artistes, de musiciens et de champions sportifs, ou de grandes figures des milieux d’affaires, d’entrepreneurs ou de femmes et d’hommes à la tête de petites entreprises, qui sont tellement nombreux. C’est là notre histoire, celle d’un pays ouvert, divers et accueillant, et j’en éprouve une immense fierté.

David Cameron désire s’assurer que ceux qui viennent en Grande-Bretagne sont les meilleurs, les plus brillants, et ceux dont ils ont réellement besoin pour favoriser leur croissance et gagner dans la compétition mondiale. C’est très réducteur car c’est nier le travail, l’effort et le mérite. Si la délivrance des visas professionnels à destination des travailleurs qualifiés et répondant aux besoins de notre marché du travail est en augmentation, n’oublions pas que les étrangers migrants sont souvent contraints à des temps partiels, à des CDD précaires. La définition de l’immigration professionnelle inclut aussi, en effet, les personnes déjà présentes sur le territoire français et régularisées au titre du travail.

L’appréciation de l’opposabilité de la situation de l’emploi sur le marché du travail apparaît particulièrement complexe, et ses modalités sont très discutées. Cette inégalité de traitement engendre de grandes difficultés d’intégration professionnelle. Elle est en partie responsable du fort taux de chômage des populations étrangères : plus de 130 000 recrutements annuels au total sont, en effet, interdits aux étrangers non européens à la recherche d’un emploi. Elle est également la cause des statuts précaires auxquels sont cantonnés des étrangers recrutés en tant que vacataires ou par le biais de la sous-traitance.

Se pose aussi la question d’autoriser les demandeurs d’asile à travailler durant la procédure. C’est un débat qu’il faudra avoir, en prenant le temps. Cette possibilité, qui existe déjà dans plusieurs pays, permettrait aux demandeurs d’asile de sortir de la précarité dans laquelle ils sont placés durant l’examen de leur demande, qui peut parfois durer plusieurs années. J’ai entendu les engagements de M. le ministre pour réduire ce délai.

Certains ont trop longtemps considéré que l’immigration professionnelle était une immigration jetable.

Comme le suggère dans son rapport Mathias Fekl, il va nous falloir penser à un titre de séjour pluriannuel pour les étrangers ayant vocation à s’installer durablement sur le territoire. Le renouvellement annuel du titre de séjour est coûteux en temps et en énergie, pour l’étranger comme pour les préfectures. En outre, la précarité des titres de séjour, leur renouvellement annuel, ne sont pas adaptés à notre volonté de bâtir une vraie politique d’intégration. Un titre de séjour pluriannuel sécurisera les parcours et favorisera une société inclusive. Il faut un choc de simplification en la matière !

Il est urgent de revoir le code d’entrée et de séjour des étrangers et demandeurs d’asile, de faciliter et de rendre plus lisibles les procédures de délivrance des titres de séjours et, au-delà du domaine législatif, la majorité doit continuer à travailler sur les pratiques administratives, notamment l’accueil des étrangers en préfecture, et c’est aussi un engagement fort de M. le ministre.

Permettez-moi d’aborder également la situation des étudiants et des chercheurs. Près de 290 000 étudiants étrangers sont inscrits dans l’enseignement supérieur français, dont les trois quarts à l’université. La France est le cinquième pays d’accueil des étudiants en mobilité internationale. Le nombre d’étudiants étrangers en France a connu une croissance considérable, près de 80 % en vingt ans, même si la circulaire Guéant a fait des ravages, et il faut saluer le courage du Gouvernement d’avoir remis en cause cette injustice.

Comme le précise la conférence des présidents d’université, il faut changer de paradigme face aux nouveaux enjeux à travers cinq axes : la responsabilisation des universités, la simplification de l’accueil administratif, l’amélioration des conditions de vie et d’intégration, l’accès au marché de l’emploi et la circulation des talents tout au long de la vie.

Enfin, la politique et le budget consacré à l’intégration ne doivent plus être les grands oubliés d’une politique qui se doit d’être inclusive et pragmatique face aux réalités.

L’amélioration du traitement de la famille accompagnante facilite également l’accueil des talents étrangers.

Comme l’a dit récemment Thierry Tuot, « une société compartimentée, par des coupures de revenus inégalitaires, des territoires en déshérence, des modes de vie tenus à l’écart, est une société qui génère la violence, la rancœur et la revendication, l’amertume et la brutalité chez ceux qu’elle écarte, la peur et le repli chez ceux qui en sont. Cela coûte, mais surtout cela n’est pas durable. »

Dignité, justice, fermeté et responsabilité doivent guider notre action. Face aux temps difficiles, nous devons créer et innover pour renforcer la nation. En effet, si un peu d’internationalisme éloigne de la nation, beaucoup d’internationalisme la renforce, comme le disait si bien Jaurès. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. Lors de la tenue de ce débat au Sénat, le 24 avril dernier, vous avez dit, monsieur le ministre, que la fermeté, ce n’était pas la fermeture, affirmation très pertinente comme base pour revoir notre politique d’immigration, si malmenée sous la précédente législature.

Lors des débats relatifs au projet de loi portant création d’une retenue pour vérification du droit au séjour et mettant fin au délit de solidarité, tout en reconnaissant le changement de cap que vous avez très rapidement mis en œuvre pour les étudiants et les demandeurs d’asile et pour la régularisation des familles, j’avais pointé les évolutions nécessaires de notre droit en matière de traitement des étrangers.

Au-delà du rétablissement du délai de saisine du juge des libertés en matière de rétention, j’avais rappelé la nécessité d’adopter une loi portant création d’un titre de séjour pluriannuel. En effet, un grand nombre d’orateurs l’ont souligné, il faut en finir avec la précarité excessive dans laquelle sont maintenus les étrangers. Leur intégration ne saurait s’accommoder de récépissés successifs, pour lesquels des queues interminables et indignes se forment devant nos préfectures.

Mme Julie Sommaruga. Eh oui !

Mme Laurence Dumont. De plus, cette précarité n’est pas sans effet sur l’engorgement des structures d’hébergement d’urgence. Celles-ci, et de façon dramatique dans mon département, ne sont plus capables d’accueillir les familles qui se retrouvent à la rue.

Je suis bien consciente de m’écarter du cœur du sujet, mais il me semble néanmoins nécessaire et primordial de vous relayer le cri d’alarme des familles et des structures d’accueil face à cette situation préoccupante, préoccupante par les conditions de vie des familles et par le nombre de personnes concernées.

Une solution à très court terme et une réflexion sur la restructuration de l’hébergement d’urgence sont à mettre en œuvre sans délai.

Je reste convaincue que, comme pour les files d’attente à la préfecture, les demandes d’hébergement d’urgence diminueront si la situation des étrangers est sécurisée, notamment par l’octroi d’un titre de séjour pluriannuel.

Mme Sandrine Mazetier. Absolument !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est nécessaire !

Mme Laurence Dumont. Elle sera sécurisée dans la mesure où l’étranger ne sera plus obligé de quitter l’emploi qu’il occupe, faute de renouvellement dans les temps de son titre de séjour, dans la mesure où, pour les actes de la vie courante, il ne lui sera plus opposé le délai de validité de son récépissé ou de son titre d’un an.

S’agissant des étudiants, le premier impératif est de traiter les demandes de renouvellement de manière à ne pas notifier une OQTF, une obligation de quitter le territoire français, six mois après la demande et quelques jours ou semaines avant les derniers examens. Ma permanence parlementaire, et je ne suis pas la seule, reçoit, vous le savez, nombre d’étudiants dans cette situation.

Par ailleurs, un titre de séjour pluriannuel correspondant aux cycles universitaires me paraît pertinent, tout en envisageant un droit au redoublement. En effet, les jeunes étrangers arrivant en France ont besoin pour certains d’un temps d’adaptation. Celui-ci peut conduire à un échec passager, qui ne préjuge en rien leur réussite future.

Ce titre pluriannuel leur permettra d’accéder à certains services, notamment au niveau bancaire, qui leur sont refusés aujourd’hui.

Madame, monsieur les ministres, je suis convaincue de votre volonté de renouer avec l’image d’une France accueillant et intégrant ceux qui nous apportent leurs compétences et leur travail et contribuent au développement de notre pays.

C’est pourquoi, dans le cadre de la réforme que vous nous proposerez de mettre en place, il ne faudra pas oublier que ces travailleurs ont des familles et peuvent légitimement demander qu’elles puissent les rejoindre et vivre auprès d’eux.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Eh oui !

Mme Laurence Dumont. Actuellement, certains travailleurs attendent une, voire deux années avant d’obtenir le regroupement familial avec leurs épouses et leurs enfants, délai exorbitant, vous en conviendrez.

Pour conclure, je tiens à saluer l’organisation de ce débat, qui nous permet, dans un climat serein, d’échanger sur cette problématique complexe et sensible, sur la base du rapport de votre ministère. C’est avec cette méthode et de façon apaisée que nous pourrons utilement légiférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Le débat est clos.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, nous avons eu un débat d’une bonne tenue, presque sans excès, en particulier sur le sujet de l’article 2 de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui avait suscité des passions démesurées par rapport à son objet.

Le débat a d’ailleurs été de la même tonalité au Sénat. Il est intéressant d’aborder les sujets de l’immigration de cette façon, avec rationalité, humanité, en examinant tous les points de vue, culturel, économique, universel, afin de dégager l’apport permis par les échanges et la rencontre de cultures différentes. Je m’en réjouis et je vous remercie – en particulier le groupe SRC qui a été là de façon constante – de votre présence et de votre participation, dans sa diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Sandrine Mazetier. Nous aussi, nous vous remercions de votre présence.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Tout le monde ou presque a convergé sur la nécessité d’accueillir et de mieux accueillir les étudiants et chercheurs étrangers. Nous les accueillerons mieux, d’abord, en proposant, cela a été redit, des visas pluriannuels qui, pour les étudiants, tiendront compte d’une année d’adaptation, voire, comme pour les bourses, d’une possible année de redoublement. Nous ferons tout pour éviter ce redoublement, en facilitant, comme cela a été souligné par nombre d’entre vous, les conditions d’accueil mais aussi les conditions de vie, essentielles à la réussite des étudiants. Cela passe par le logement, par un point d’accueil centralisé sur les campus, par des informations délivrées dans ces points d’accueil par des personnes connaissant les sujets, sur l’accès à la santé, à la culture, aux transports en commun, aux titres de séjour, bref sur tout ce qui facilitera la vie d’un étudiant étranger et assurera de ce fait les conditions de réussite de son parcours d’études.

J’ai bien entendu les préconisations de Thierry Mariani, qui s’est exprimé de façon très objective, et je l’en remercie. Il a évoqué la vigilance dans l’application des mesures. Parfois, des mesures sont annoncées et prises, et les décrets les complexifient, voire même en modifient le sens, en rendant ainsi l’application très difficile. Nous ferons attention, et nos administrations le feront aussi, à ce que l’ensemble de ces mesures soient appliquées de façon très concrète. Je tiens donc à rassurer M. Mariani : nous serons vigilants. Il a lui-même reconnu que la vigilance n’a pas toujours été de mise par le passé ; peut-être cela cachait-il, pour certains, un manque de motivation réelle sur les mesures préconisées pour améliorer l’accueil.

Autre sujet abordé : Campus France. Le fait d’avoir un opérateur unique était une bonne idée. Il est vrai que nous nous interrogeons sur certains aspects du fonctionnement de cet opérateur encore récent. C’est dans cet esprit que nous avons demandé qu’une inspection conjointe avec le ministère des affaires étrangères soit lancée, afin d’améliorer certains aspects. Nous pensons qu’il y a des marges de progression et des points d’amélioration. Nous avons récemment nommé une femme extrêmement compétente, Sophie Béjean, à la tête de Campus France, et je pense que ce sera déjà de nature à améliorer les points qui nous paraissent susceptibles de l’être, en particulier en ce qui concerne l’articulation avec les universités.

Les universités ont un point de vue pédagogique à donner sur l’accueil des étudiants ; il est peut-être superflu que ce point de vue soit doublé par celui de Campus France, qui plus est selon des prismes différents. Cela fait clairement partie des points d’amélioration, de même qu’une meilleure coordination avec le réseau des œuvres améliorerait l’intégration et l’accueil des étudiants étrangers. Tout cela a été soumis à Mme Sophie Béjean, et je suis sûre qu’elle aura à cœur de mettre en œuvre ces préconisations, en attendant le rapport de l’inspection. Encore une fois, le fait d’avoir un opérateur unique, dédié à l’accueil des étudiants étrangers et à leur intégration, donc à leur réussite, me paraît quelque chose de tout à fait positif.

Jean-Yves Le Déaut a posé une question sur le recrutement par le ministère des affaires étrangères de doctorants étrangers, qui reçoivent une bourse et non un contrat doctoral comme les autres doctorants. C’est un point actuellement en discussion entre le ministère de l’enseignement supérieur et celui des affaires étrangères responsable de ces doctorants. Vous avez, monsieur le député, soulevé ce point à bon escient, comme souvent, et je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Un point également sur l’accueil des étudiants syriens. Avec Laurent Fabius et Manuel Valls, nous sommes très attentifs à la situation de ces étudiants qui fuient aujourd’hui un pays ensanglanté par une guerre civile très rude. La conférence des présidents d’université – je salue avec un peu de retard, car il nous a quittés, son vice-président en charge de l’action internationale, qui a assisté à la presque intégralité du débat de cet après-midi – m’a assurée de son engagement pour favoriser l’accueil du plus grand nombre possible de ces étudiants, en tout cas de tous ceux qui peuvent être habilités à suivre des études et surtout à les réussir, parce qu’il n’est pas question d’accueillir des étudiants qui n’auraient pas un parcours de réussite potentielle. C’est une préoccupation que nous partageons et un sujet dont nous nous sommes saisis, et sur lequel la CPU nous aide.

Ce débat a montré que les dispositions qui seront prises – certaines l’ont déjà été – sont un premier pas pour une ouverture internationale très volontariste et une action dans trois directions.

S’agissant de l’Europe, notre pays, aux dires de certains, n’accueillerait pas assez d’étudiants européens. Nous accueillons pourtant tous les étudiants qui bénéficient du dispositif Erasmus. Si une petite baisse a été enregistrée, c’est que ce dispositif était en discussion. Nous avons aujourd’hui l’assurance qu’il sera reconduit lors de la prochaine action européenne, pour la période 2014-2020, et même amplifié. Cela signifie que le quota d’étudiants européens en France augmentera certainement.

Ensuite, nous devons amplifier notre dispositif d’accueil en direction de nos amis disposés à la francophonie. Je dis « disposés à la francophonie » car il faut faire attention à ce que notre zone d’influence au Maghreb et en Afrique subsaharienne ne se réduise pas. Il faut être absolument offensif – je partage tout ce qui a été dit à ce sujet – en direction des étudiants et chercheurs de ces régions. J’ai émis à cet égard des propositions, qui ne consistent pas seulement à accueillir ces étudiants et chercheurs, mais aussi à ce que des étudiants et chercheurs français se rendent dans ces pays, et à ce que s’établissent des coopérations beaucoup plus égalitaires que par le passé. J’ai bien noté également qu’il convenait d’améliorer l’accueil en métropole des étudiants des DOM-TOM, qui connaissent souvent plus de difficultés que les autres étudiants.

Enfin, troisième volet, il convient d’accueillir les étudiants et chercheurs des pays émergents et des autres pays du monde, car ils connaissent encore aujourd’hui trop de difficultés en France. Je pense à ce post-doc ukrainien qui fait partie du laboratoire du Prix Nobel Serge Haroche et qui, chaque année, avec sa femme et ses trois enfants, doit passer une journée, une nuit en préfecture. Cela n’est pas digne de notre pays, et je remercie notre ministre de l’intérieur, Manuel Valls, d’avoir très rapidement pris des dispositions extrêmement volontaristes pour que ce type d’injustice ne se reproduise pas.

Je pense également à une étudiante coréenne, post-doc elle aussi, qui, parce qu’elle avait perdu son statut d’étudiante et n’avait pas le statut de salariée, devait se rendre tous les trois mois en préfecture, alors même qu’elle avait été accueillie à l’Institut des hautes études scientifiques, que c’est une mathématicienne d’un niveau prestigieux et qu’elle aura certainement la médaille Fields un jour ou l’autre. Nous l’accueillons de manière indigne, alors que les États-Unis lui proposaient une offre plus rémunératrice, mais avec moins de liberté, ce pourquoi nous avons pu la garder en France dans nos laboratoires d’excellence.

Ces étudiants et chercheurs contribuent à la richesse de notre pays, à sa compétitivité, à sa montée en gamme, pour ainsi dire, en termes de connaissances et de culture. Je remercie Marie-Anne Chapdelaine et Laurence Dumont d’avoir adossé les termes de culture, d’économie et de connaissances, car tout cela est lié. La première qualité d’une culture, c’est son universalité, sa multiculturalité ; autrement, c’est une culture qui s’étiole et se rabougrit, et qui n’est pas digne d’un pays comme le nôtre. Par la culture, on peut accueillir beaucoup de talents venus des quatre coins du monde. Je vous remercie de nous y aider. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Philippe Nilor. Très bien.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, beaucoup de choses ont été dites au cours de ce débat, que nous souhaitions depuis longtemps, comme Sandrine Mazetier l’a rappelé. Il a été apaisé, apaisant, peut-être trop, mais c’est ainsi que ce type de débats, sur des sujets sensibles, devraient avoir lieu, régulièrement, pour avancer et trouver des solutions, loin des incantations ou des caricatures qu’a dénoncées Paul Giacobbi.

Notre pays, tous l’ont souligné, est une terre d’accueil, mais regardons autour de nous, et beaucoup l’ont dit aussi : l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Chine – évoquée par Thierry Mariani – sont engagés dans une forme de course pour l’accueil des migrations de l’excellence et de la connaissance. Si nous ne faisons rien, nous courons le risque d’être marginalisés. C’est le sens de l’action que nous avons engagée avec Geneviève Fioraso.

En même temps, je le crois, venir en France, choisir la France, cela se mérite. Nous avons des exigences républicaines qui ne sont pas négociables. Nous avons, je le répète, le droit souverain de déterminer qui peut rester sur notre territoire, dans le respect de nos principes et du droit européen. Si nous parvenons à adapter nos flux migratoires aux besoins de notre économie, de notre innovation, de notre rayonnement, nous pourrons, je l’espère, faire œuvre utile en montrant que nous pouvons concilier un certain nombre de principes.

Je suis, par expérience, pour avoir beaucoup débattu de ces questions ici au cours de la précédente législature, pragmatique, et je me méfie des ruptures et des grands soirs dans ce domaine. J’entends bien qu’on me demande de tout changer, mais je suis attentif aussi à la situation de notre pays et à ce que pensent nos compatriotes. Ce qui me paraît essentiel, c’est la conciliation entre nos valeurs et l’efficacité. C’est cette voie, étroite sans doute, que nous devons emprunter.

Soyons clairs : la position de la France en Europe est singulière. Notre démographie est relativement favorable, et en même temps nous sommes confrontés à un chômage de masse. Il ne peut dès lors être question d’envisager une hausse sensible de nos flux migratoires réguliers. Il y a un débat mais c’est un choix que nous faisons.