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Hommage à l’Assemblée nationale

Eléments biographiques

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    26 juin 1913 : naissance d'Aimé Césaire à Basse-Pointe (Martinique) d'une famille de sept enfants.

    1918-1924 : études primaires à Basse-Pointe.

    1924 : études secondaires au lycée Schoelcher.

    1931 : élève au lycée Louis-le-Grand ; rencontre Léopold Sédar Senghor qui l'initie à l'Afrique.

    1935 : crée à la Cité universitaire, le journal L'Étudiant noir; reçu à l'École normale supérieure.

    1937 : épouse Suzanne Roussi. Ils auront six enfants.

    1939 : publication dans la revue Volontés, du Cahier d'un retour au pays natal.

    1940 : nommé professeur au lycée Schoelcher.

    1946 : élu maire de Fort-de-France et député de la Martinique sur la liste communiste. Les Armes miraculeuses, Paris.

    1947 : crée avec Alioune Diop la revue Présence africaine. Cahier d'un retour au pays natal, avec une préface d'André Breton.

    1948 : Soleil cou coupé, Paris.

    1949 : Corps perdu, Paris.

    1950 : Discours sur le colonialisme, Paris.

    1956 : Et les chiens se taisaient (version théâtrale), Paris. Rupture avec le parti communiste : Lettre à Maurice Thorez ; fonde le parti progressiste martiniquais.

    1960 : Ferrements, Paris.

    1961 : Cadastre (refonte de Soleil cou coupé et de Corps perdu), Paris.

    1962: Toussaint Louverture, Paris.

    1963 : La Tragédie du roi Christophe, Paris.

    1967 : Une saison au Congo, Paris.

    1969 : Une tempête, Paris.

    1982 : Moi, Laminaire (poèmes), Paris. Grand prix national de la Poésie.

    1989 : poète invité du Festival d'Avignon.

    1991 : La Tragédie du roi Christophe entre au répertoire de la Comédie Française.

    1993 : renonce à son mandat de député.

    1994 : Aimé Césaire. La Poésie ; réédition de son oeuvre poétique avec un recueil inédit : Comme un malentendu de salut, Paris.

    2001 : renonce à son mandat de maire de Fort-de-France.

    17 avril 2008 : décès à Fort-de-France.

  • « La justice écoute aux portes de la beauté. »

    Fils de Fernand Elphège Césaire, contrôleur des contributions, et d'Hermine Marie Félicité, sans profession, Aimé Césaire est né à Basse-Pointe (Martinique) le 26 juin 1913. Après ses études secondaires au lycée de Fort-de-France, il entre au lycée Louis-le-Grand à Paris. « Je revois le couloir où était le secrétariat. Je vois un petit homme noir, c'est un élève, il a une blouse grise ; au bout de la blouse grise, une ceinture qui tient une cordelette, un encrier vide. C'était la grande coquetterie des internes. Il arrive vers moi :"Mais d'où viens-tu, bizut ?" Je dis : "Je viens de la Martinique - Comment t'appelles-tu ? - Aimé Césaire, et toi ? - Léopold Sédar Senghor, je suis du Sénégal." Il ouvre ses bras et m'embrasse. Il me dit : "Eh bien, bizut, tu seras mon bizut." Et toute la vie, ça a été comme ça. ». Il obtient une licence ès lettres et un diplôme d'études supérieures et entre à l'École normale supérieure.

    Portrait d'Aimé Césaire

    © Assemblée nationale

    Aimé Césaire devient président de l'Association des Étudiants Martiniquais en 1934 et fonde le journal l'Étudiant noir. Avec Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas il jette les bases de la Négritude. « La Négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir, et l'acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture. »

    Léon-Gontran Damas
    Léon-Gontran Damas
    © Assemblée nationale - Ph. Billy Rose

    Léopold Sédar Senghor
    Léopold Sédar Senghor
    © Assemblée nationale

     

    Après avoir réussi en 1935 le concours d'entrée à l'École normale supérieure, Aimé Césaire passe l'été en Dalmatie chez son ami Petar Guberina et commence à y écrire le Cahier d'un retour au pays natal, publié une première fois en août 1939.

    Dans cette oeuvre Césaire se veut le représentant de tous les opprimés : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

    Le 10 juillet 1937, il épouse Suzanne Roussi qui lui donnera six enfants.

    Mesdames Mangée et Césaire, Antilles, 1958

    Mesdames Mangée et Césaire, Antilles, 1958

    © Ministère de la Culture / Médiathèque du Patrimoine / Denise Colomb / Dist. RMN

    À l'issue de ses études supérieures, Aimé Césaire, agrégé de lettres, est nommé professeur au lycée Schoelcher de Fort-de-France où il exerce de 1940 à 1945. Il y a pour élèves Frantz Fanon et Édouard Glissant. En 1941, avec Suzanne, qui enseigne aussi au lycée Schoelcher, et d'autres intellectuels martiniquais comme René Ménil, Georges Gratiant et Aristide Maugée, Aimé Césaire fonde la revue Tropiques. « C'est moi qui ai eu l'idée de mettre sur pied la revue ; c'est moi qui lui ai donné son nom, déclare-t-il à Jacqueline Leiner (Tropiques, Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1978). J'ai toujours été frappé par le fait que les Antilles souffrent d'un manque. Il y a aux Antilles un vide culturel. Non que nous nous désintéressions de la culture, mais les Antilles sont trop exclusivement une société de consommation culturelle. Aussi, ai-je toujours travaillé à ce qu'elles puissent s'exprimer elles-mêmes, parler, créer. Pour cela, il faut absolument un centre de réflexion, un bureau de pensée, donc une revue... »

    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale

    Aimé Césaire se consacre aussi à la rédaction de poèmes qui l'ont rendu célèbre comme l'un des représentants de l'école surréaliste.

    Pendant la guerre André Breton, qui embarque avec Wilfredo Lam et Claude Lévi-Strauss pour New York, fait escale à la Martinique. Il y découvre la poésie de Césaire qu'il rencontre en avril 1941 à travers le Cahier d'un retour au pays natal. C'est par hasard qu'André Breton découvrit le premier numéro de la revue Tropiques dans une mercerie de Fort-de-France, tenue par la soeur de René Ménil, l'un des animateurs de la revue, et c'est elle qui lui fera rencontrer Aimé Césaire. Césaire lui donna un « petit tirage à part d'une revue de Paris où le poème avait dû passer inaperçu en 1939, et ce poème n'était rien moins, écrira Breton, que le plus grand monument lyrique de ce temps. » Breton, en effet, qui publiera après guerre Martinique, charmeuse de serpents, rédige en 1944 la préface de l'édition bilingue du Cahier d'un retour au pays natal, publiée dans la revue Fontaine. Le Cahier d'un retour au pays natal « m'apportait la plus riche des certitudes, celle que l'on ne peut jamais attendre de soi seul : son auteur avait misé sur tout ce que j'avais cru juste et, incontestablement, il avait gagné. L'enjeu, tout compte tenu du génie propre de Césaire, était notre conception commune de la vie. »

    Man Ray - Portrait d'André Breton

    Man Ray

    Portrait d'André Breton, 1929 - BnF

    C'est à l'issue de la seconde guerre mondiale que commence la carrière politique proprement dite d'Aimé Césaire. Alors candidat du Parti communiste, il est élu conseiller municipal et maire de Fort-de-France, puis conseiller général de la Martinique. Aux élections pour la première Assemblée nationale constituante, Aimé Césaire, toujours sous l'étiquette communiste, est élu au second tour dans la première circonscription de la Martinique, le 4 novembre 1945, par 14 405 voix sur 20 264 votants pour 67 121 inscrits.

    Nommé membre de la commission des territoires d'outre-mer, il présente le 26 février 1946 un rapport sur la proposition de loi déposée le 17 janvier précédent par son collègue martiniquais Léopold Bissol et tendant à faire classer la Guadeloupe et la Martinique comme départements français. La loi d'assimilation sera votée à l'unanimité le 19 mars 1946 [Voir : la création des départements d'outre-mer].

    Rapporteur de la proposition de loi de MM. Bissol, Monnerville et Vergès tendant au classement de la Guyane comme département, Aimé Césaire vote les nationalisations et le projet de Constitution. Cependant, le rejet de ce dernier par le référendum du 5 mai entraîne l'élection d'une nouvelle Assemblée nationale constituante. Le 2 juin 1946, Aimé Césaire est réélu, toujours sous l'étiquette communiste, avec 19 704 voix sur 30 937 votants (62 915 inscrits). À l'Assemblée, il retrouve la Commission des territoires d'outre-mer et intervient à plusieurs reprises dans les débats constitutionnels. Le 18 septembre, il présente des observations sur l'Union française puis vote le projet de Constitution le 28 septembre.

    Aux élections pour la première législature de la IVe République, la Martinique ne forme plus qu'une circonscription mais le nombre des sièges à pourvoir passe de deux à trois. Aimé Césaire conduit la liste présentée par le Parti communiste et, avec 34 659 voix sur 55 007 suffrages exprimés (119 467 électeurs inscrits), est à nouveau réélu : la liste communiste emporte deux sièges sur trois, la SFIO avec Emmanuel Hermence Véry obtenant le troisième. L'élection d'Aimé Césaire sera validée le 22 mai 1947, par la majorité de l'Assemblée malgré le rapport du 5e Bureau tendant à son annulation. L'Assemblée conclura cependant à la nécessité de réviser les listes électorales de la Martinique.

    Aimé Césaire est nommé membre de plusieurs commissions parlementaires importantes : affaires étrangères (1946), territoires d'outre-mer (1946, 1948, 1949, 1950, 1951) et enfin, éducation nationale (1948, 1950, 1951). En outre, la commission des territoires d'outre-mer le désigne en vue de représenter l'Assemblée au sein du Comité de gestion du fonds d'investissement pour le développement économique et social des territoires d'outre-mer (le FIDES). [Voir : l'Assemblée nationale et la IVe République]

    Élu le 3 décembre 1946 secrétaire de l'Assemblée nationale, Aimé Césaire vote le 12 pour la candidature de Léon Blum comme président du Gouvernement provisoire de la République. Au cours de la première législature, il déposera un très grand nombre de textes. Réélu secrétaire de l'Assemblée nationale le 14 janvier 1947, il vote le 4 mai contre la confiance au gouvernement Paul Ramadier, scrutin à là suite duquel celui-ci se sépare de ses ministres communistes. Au cours de la séance du 22 mai 1947, Aimé Césaire intervient longuement à propos des opérations électorales en Martinique. Il conclut : « Il conviendra de ne procéder à de nouvelles élections à la Martinique que lorsque vous aurez obtenu que le pouvoir exécutif y place, conformément (...) à la loi qui a transformé cette vieille colonie en département, une administration démocratique et républicaine qui sera chargée de veiller scrupuleusement à l'application des dispositions législatives (...). À travers ce problème se pose un autre problème (...) plus vaste, plus général (...), le problème de la démocratie outre-mer dans sa dignité, dans son existence et dans son avenir. » Sa proposition de loi du 13 août suivant vise à nationaliser de grandes banques des départements d'outre-mer. Enfin, il s'abstient volontairement lors du scrutin du 27 août 1947 sur le projet de statut de l'Algérie.

    Les 12 et 23 février 1948, il dépose des demandes d'interpellation à propos des incidents survenus à Fort-de-France et sur la non application de la loi relative à la sécurité sociale dans les départements d'outre-mer. Puis, le 23 juin 1948, il revient sur ces problèmes en déposant une proposition de loi visant à assurer l'application effective de la sécurité sociale dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion. Il vote le 9 juillet 1949 contre la constitution du Conseil de l'Europe et le surlendemain, intervient longuement sur le projet de loi relatif au découpage électoral des départements d'outre-mer. Aimé Césaire vote le 7 mai 1951 contre le projet de réforme électorale instituant le scrutin de liste majoritaire départemental à un tour avec apparentements. [Tables d'archives]

    Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    © Ministère de la Culture / Médiathèque du Patrimoine / Denise Colomb / Dist. RMN

    Aimé Césaire conduit la liste présentée par le Parti communiste français en Martinique aux élections législatives du 17 juin 1951. Ses engagements électoraux reprennent un programme exposé le 31 mai précédent dans l'hebdomadaire Justice, que dirige alors son collègue Léopold Bissol. Ils insistent sur le mauvais bilan du gouvernement depuis le départ des ministres communistes : hausse des prix pour les consommations de première nécessité, quadruplement du budget militaire, chômage, etc. En Martinique, la liste communiste obtient 41 231 voix sur 65 626 suffrages exprimés et conserve ses deux sièges.

    À l'Assemblée, Aimé Césaire est à nouveau nommé membre de la commission de l'éducation nationale (1951) et de celle des territoires d'outre-mer (1951, 1953, 1954, 1955) et dépose six textes au cours de la législature. Il vote le 13 décembre 1951 contre la ratification du traité de Paris instituant la CECA (pool charbon-acier). Le 24 mars 1951, il dépose une proposition de résolution pour porter secours aux victimes du tremblement de terre que vient d'éprouver la Martinique et intervient longuement le 10 juin 1952 lors du débat sur l'investiture de Georges Bidault comme président du Conseil désigné : « Il est (...) une fâcheuse tradition qui veut que les présidents du Conseil désignés soient d'une singulière discrétion sur les problèmes de l'Union française. Je constate, Monsieur le président du Conseil désigné, que vous avez scrupuleusement respecté cette tradition... » Le 16 février 1954, Aimé Césaire dépose une demande d'interpellation sur la politique économique et sociale dans les départements d'outre-mer, interpellation qu'il développera longuement le 9 avril avec celle déposée le 26 mars sur les revendications des fonctionnaires des territoires d'outre-mer. Le 17 juin, il vote l'investiture de Pierre Mendès France.

    Le 30 août 1954, Aimé Césaire vote la question préalable opposée par Édouard Herriot et le général Aumeran à la ratification du traité sur la Communauté européenne de défense (vote équivalant au rejet du traité) [Le rejet de la Communauté Européenne de Défense (CED)] et le 10 décembre suivant, contre la confiance au gouvernement sur sa politique en Algérie. Il votera également contre la confiance à Pierre Mendès France lors du scrutin du 4 février 1955 sur la situation en Afrique du Nord, scrutin à la suite duquel le gouvernement est renversé. Puis le 31 mars, il vote contre l'état d'urgence en Algérie. Enfin le 6 octobre 1955, il dépose une proposition de résolution tendant à faire apporter une aide immédiate aux victimes du raz-de-marée qui vient de toucher la Martinique.

    Lors des élections anticipées du 2 janvier 1956, Aimé Césaire conduit la liste du Parti communiste français en Martinique et insiste dans ses engagements électoraux, sur la « situation (...) dramatique » de l'île, touchée par la réduction de son contingent de rhum. « Ce que nous proposons, c'est une politique, démocratique dans son inspiration, sociale dans ses buts, et martiniquaise dans ses moyens. » Avec 46 915 voix sur 75 868 suffrages exprimés (et 121 668 inscrits), la liste communiste conserve ses deux sièges. À nouveau nommé membre de la commission des territoires d'outre-mer (1956), Aimé Césaire vote la confiance à Guy Mollet (31 janvier 1956), puis les pouvoirs spéciaux en Algérie (12 mars). Le lendemain il intervient longuement à propos de la situation de l'agriculture dans les départements d'outre-mer, spécialement en Martinique.

    L'année 1956 est surtout marquée par la crise du mouvement communiste : le rapport Khrouchtchev, présenté secrètement au XXe Congrès du Parti communiste d'Union soviétique condamne le système stalinien. Les répercussions en Europe de l'Est sont très importantes, avec en particulier la révolte hongroise d'octobre 1956. Aimé Césaire, comme plusieurs autres intellectuels français, tire les leçons de la crise : il donne, par une lettre à Maurice Thorez datée du 25 octobre 1956, sa démission du Parti communiste français. Se plaçant d'abord du point de vue de la politique nationale, il stigmatise l'immobilisme du PCF par rapport à la situation politique française et face au développement du débat idéologique. Puis il en vient à la situation internationale, en relevant les problèmes soulevés par les conclusions du rapport Khrouchtchev. Enfin, Aimé Césaire ajoute : « Il faut que le marxisme et le système soviétique servent le peuple noir et non l'inverse, il faut plus généralement que les doctrines et les mouvements politiques soient au service de l'homme et non le contraire. »

    Aimé Césaire s'inscrit au Parti du regroupement africain et des fédéralistes. Le 6 juillet 1957, il prend la parole dans le débat relatif à la Communauté économique européenne (CEE) et à l'Euratom : « Je crois que l'avenir des Antilles est fonction d'une politique cohérente et résolue d'industrialisation (...). Non seulement il est illusoire de croire que les produits de l'Union française conquerront une part du marché allemand, mais encore il (...) y a grand danger que, par le biais du Marché commun, nos produits (...) ne perdent une partie du marché national français... » Le 9 juillet, Aimé Césaire vote contre la ratification des traités instituant la CEE et l'Euratom.

    En 1958, il ne prend pas part au vote du 1er juin sur l'investiture du général de Gaulle, ni à celui du 2 juin relatif à la révision constitutionnelle, mais le même jour il refuse les pleins pouvoirs au Gouvernement.

    Retour au pays

    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale

    Durant cette période, Aimé Césaire a notamment publié, outre Cahier d'un retour au pays natal, Les armes miraculeuses, précédemment cités, Soleil cou coupé, et le Discours sur le colonialisme. Il a soutenu, avec notamment Léopold Sédar Senghor, Richard Wright, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Georges Balandier, Théodore Monod, Michel Leiris, la revue Présence africaine créée en décembre 1947 par Alioune Diop.

    Présence africaine

    Présence africaine, n° 1, novembre-décembre 1947

    « Donc, à l'égard du peuple noir, trois périodes, trois attitudes ; et nous sommes à la dernière. D'abord, l'exploitation ; puis la condescendante pitié ; puis enfin cette compréhension qui fait qu'on ne cherche plus seulement à le secourir, à l'élever et, progressivement, à l'instruire ; mais aussi bien à se laisser instruire par lui. On découvrit soudain qu'il aurait, lui aussi, quelque chose à nous dire, mais que, pour qu'il nous parle, il importe d'abord de consentir à l'écouter. » (André Gide, Avant-propos au premier numéro de Présence africaine, p. 4)

    Aimé Césaire poursuit son activité politique sous le Ve République. Après sa rupture avec le Parti communiste, il avait fondé le Parti progressiste martiniquais en mars 1958. C'est sous ses couleurs qu'il retrouve son siège dans la deuxième circonscription de la Martinique (Fort-de-France) au premier tour des élections législatives de novembre 1958. Il sera député jusqu'en mars 1993, date à la quelle il ne sollicitera pas le renouvellement de son mandat, accomplissant ainsi une des plus longues carrière de l'histoire parlementaire : quarante-sept ans de mandat continu.

    Dans ses engagements électoraux, il plaide pour l'autonomie de la Martinique en précisant bien qu'il ne s'agit pas d'indépendance (1962), condamne « le colonialisme et le racisme impénitents » (1968) et « le pouvoir central colonialiste de nature et réactionnaire de sentiment » (1973). Il ne manque pas de s'adresser aux plus modestes en indiquant que son bulletin est de couleur rose.

    À l'échelon local, il sera conseiller général jusqu'en 1970, président du Conseil régional de 1983 à 1986 et surtout maire de Fort-de-France durant cinquante-six ans (1945-2001).

    Siégeant parmi les non-inscrits à partir de 1958, il s'apparente au Groupe socialiste et radical de gauche en juillet 1974. Membre de la commission de la production de 1975 à 1978, puis de celle des lois de 1978 à 1981, il participe aux travaux de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de 1981 à 1993.

    De 1958 à 1979, chaque année, il intervient sur le budget des DOM-TOM et de manière ponctuelle sur des textes intéressant l'outre-mer : loi programme, régime foncier, Ve Plan. À partir de 1981, il s'investit dans les lois de décentralisation, dites « lois Defferre » avant de combattre le projet de loi de programme relatif au développement des départements d'outre-mer présenté en 1986 par le gouvernement de Jacques Chirac. Ses interventions se font ensuite plus rares.

    Homme politique de premier plan, Aimé Césaire restera aussi comme un grand homme de lettres sans que, dans son esprit, ces deux aspects de son activité s'opposent : « Je ne sépare pas mon action politique de mon engagement littéraire ». Il poursuit son oeuvre poétique - Cadastre (1961), Moi, laminaire (1982), La Poésie (1994) -, consacre une biographie à Toussaint Louverture (1962), crée Une tempête d'après Shakespeare (pour un théâtre nègre,1969), et donne des entretiens : Aimé Césaire, rencontre avec un nègre (2004) et Nègre je suis, nègre je resterai (2005).

    Vidéo

    La Tragédie du roi Christophe d'Aimé Césaire

    représentée au Festival d'Avignon

  • « J'ai plié la langue française à mon vouloir-dire »

    Denise Colomb et Aimé Césaire à la librairie

    Denise Colomb et Aimé Césaire à la librairie Le Minotaure à Paris, 1949

    En 1948, Denise Colomb (1902-2004) avait été invitée à se joindre à une mission ethnographique à l'occasion du centième anniversaire de l'abolition de l'esclavage. L'année suivante, elle présente à la librairie Le Minotaure sa première exposition sur les Antilles.

    © Ministère de la Culture / Médiathèque du Patrimoine / Denise Colomb / Dist. RMN

    Cahier d'un retour au pays natal (poésie), in revue Volontés, Paris 1939 édité en 1947 par les éditions Bordas avec une préface d'André Breton écrite en 1943 (rééditions, depuis 1956, par les éditions Présence Africaine).

    Les Armes miraculeuses (poésie), Éditions Gallimard, Paris 1946, réédition en 1970 dans la collection de poche « Poésie ».

    Soleil cou coupé (poésie), Éditions K., Paris 1948.

    Corps perdu (poésie, illustrations de Picasso), Éditions Fragrance, Paris 1949.

    Discours sur le colonialisme (essai), Éditions Réclame, Paris 1950 (réédition par Présence Africaine en 1955).

    Et les chiens se taisaient (version théâtrale), Éditions Présence Africaine, Paris 1956 (réédition en 1962 ), parution en 1946 dans Les Armes miraculeuses, sous forme de poème.

    Lettre à Maurice Thorez (essai), Éditions Présence Africaine, Paris 1956.

    Ferrements (poèmes), Éditions du Seuil, Paris 1960.

    Toussaint Louverture (essai), Club Français du Livre, Paris 1960 (réédition par Présence Africaine en 1962).

    Cadastre (poésie), Éditions du Seuil, Paris 1961 version définitive des oeuvres précédentes Soleil cou coupé et Corps perdu.

    La Tragédie du Roi Christophe (théâtre). Créé à Paris au théâtre de l'Odéon, Éditions Présence Africaine, Paris 1963 édition de poche en 1970.

    Une saison au Congo (théâtre). Créé à Paris au T.E.P., Éditions du Seuil, Paris 1965 (édition remaniée en 1967, édition du texte définitif en 1973).

    Une tempête (théâtre), Éditions du Seuil, Paris 1969 avait paru en 1968, dans le n° 67 de la revue Présence Africaine.

    oeuvres complètes, poésie, théâtre, essais, Éditions Désormeaux, 1976.

    Moi, laminaire (poésie), Éditions du Seuil, Paris 1982.

    La Poésie. oeuvres poétiques complètes. Le Seuil, 1994.

    Anthologie poétique. Imprimerie nationale, 1996.

    Victor Schoelcher et l'abolition de l'esclavage, suivi de trois discours. Éditions le Capucin, Lectoure, 1994.

    Nègre je suis, nègre je resterai, entretiens avec Françoise Vergès. Albin Michel, 2005.

    Aimé Césaire : une parole pour le XXIe siècle, entretiens avec Euzhan Palcy. Max Milo, 2006.

    Recueil des poésies d'Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    Retorno al pais natal (Cahier d'un retour au pays natal)

    Illustrations de Wilfredo Lam, La Habana : Molina y Cia, s.d.

    Veau rouge et vert

    © Bibliothèque de l'Assemblée nationale

Césaire député

  • Portrait

    © Assemblée nationale

    Élections législatives de 1951 - Département de la Martinique

    Martiniquais, Martiniquaises,

    Depuis qu'en 1947, les Ministres communistes ont été chassés du Gouvernement, les conditions de travail et d'existence des travailleurs n'ont cessé d'empirer et le coût de la vie n'a fait que monter en flèche. Le pain a subi trois hausses successives et la viande vient d'augmenter de 100 %. Dans le même temps et du fait des dépenses militaires qui sont passées de 200 à 800 milliards en quatre ans, les impôts et les taxes ont pesé de plus en plus lourd au point qu'ils écrasent la masse des contribuables. Le chômage a pris des proportions effrayantes et la classe ouvrière végète misérablement. À l'exception des usiniers, des gros propriétaires fonciers et des gros négociants qui s'enrichissent de la misère des malheureux, toutes les couches sociales souffrent.

    Ouvriers à qui un gouvernement impose un salaire de famine ;

    Commerçants écrasés par des taxes et des impôts ;

    Fonctionnaires à qui on refuse la parité de solde et de situation avec leurs collègues de France ;

    Martiniquais d'une manière générale à qui on refuse les avantages de la Sécurité sociale ;

    Martiniquais, chaque jour humilié et insulté par un racisme qui ne connaît plus ni bornes ni pudeur ;

    Tous unanimement souhaitent, demandent, réclament un changement. Mais si on veut que ce changement s'opère, il faut résolument écarter de la scène politique ceux qui sont directement responsables de la situation actuelle.

    Socialiste avec les Moutet, les Jules Moch, les Daniel Mayer ; sur le plan local, les Very, les Symphor, les Trouillé (préfet socialiste) sont responsables de la non-application de la loi d'égalité des droits du 19 mars 1946.

    M.R.P. qui avec les Pflimlin et les Bacon portent la responsabilité des salaires de famine.

    Radicaux dont Queuille et René Mayer sont directement responsables de la vie chère.

    Tous, Schuman, Bidault, Queuille, Moch, partisans de la politique de guerre.

    Un parti se donne comme opposé à cette politique de ruine, de misère et de guerre : c'est le parti R.P.F. dont le lit a été depuis longtemps préparé par les autres partis de la majorité.

    Vous ne voterez pas pour les R.P.F. car de Gaulle, colonialiste et raciste, vise à établir une dictature en France. Voter pour lui serait aggraver encore votre situation et assurer le triomphe des usiniers, gros propriétaires fonciers et gros négociants.

    Pour qui voter ? Vous voterez pour la liste Aimé Césaire, Léopold Bissol et Georges Gratiant présentée par le parti communiste, le parti de la propreté et de la probité, le seul qui soit étranger à tous les scandales, celui qui a toujours défendu et défend la cause des travailleurs de toutes catégories et des malheureux.

    Faites confiance aux candidats communistes qui, pour barrer la route à la misère, au colonialisme et à la guerre, s'engagent à défendre un programme exposé dans « Justice » du 31 mai 1951 et dont voici les grandes lignes :

    Lutte pour égalité des droits avec les Français et pour la paix.

    Parité des salaires et des soldes avec les ouvriers et les fonctionnaires de France. Application intégrale du régime de la sécurité sociale et des prestations familiales.

    Pour combattre le chômage, extension à la Martinique de la législation française, mise en oeuvre du plan d'équipement, industrialisation du pays. -Rétablissement de l'usine du Vauclin.

    Protection des classes moyennes par la répartition des produits de la canne sur la base de trois quarts et un quart ; pour les artisans et les commerçants. -suppression de la patente, allocation de crédit à long terme.

    Pour l'égalité des droits et la paix.

    Unissez-vous fraternellement et agissez, travailleurs, socialistes et communistes laïques et chrétiens pour faire élire la liste :

    Aimé CÉSAIRE Léopold BISSOL Georges GRATIANT.

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« Cahier d’un retour au pays natal »

  • Cahier d’un retour au pays natal

    Un document exceptionnel conservé à la bibilothèque de l'Assemblée nationale

    Le Cahier d’un retour au pays natal est l’œuvre d’Aimé Césaire la plus lue et la plus traduite dans le monde. On a longtemps cru qu’il ne subsistait rien de la version originelle, celle qu’Aimé Césaire avait adressée en 1939 à son premier éditeur. Or, en 1992, l’Assemblée nationale acquiert le tapuscrit, découvert chez un libraire. Ce document exceptionnel, qui révèle la genèse de l’œuvre et qui s’accompagne d’une lettre inédite du jeune Césaire à l’éditeur, est conservé à la bibliothèque de l’Assemblée nationale sous la cote Ms 1825 bis.

    Parmi ses nombreuses richesses, l’Assemblée nationale possède aussi le manuscrit autographe de la préface d’Aimé Césaire à l’anthologie de textes de Victor Schœlcher, Esclavage et colonisation, publiée en janvier 1948 par les Presses universitaires de France (cote Ms 1825).

    Présentation

    C’est en 1935 qu’Aimé Césaire commence la rédaction du Cahier d’un retour au pays natal. Après une année épuisante à préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure, Césaire est invité par son ami Petar Guberina à passer ses vacances en Yougoslavie :

    « J’habitais à la Cité universitaire, boulevard Jourdan, à Paris. C’était l’été. Et l’été est dur à Paris. Quand on voit fondre l’asphalte sur le boulevard, on regrette la Martinique. Il faisait horriblement chaud et nous étions seuls. Il n’y avait plus de Français. Il y avait beaucoup d’étrangers. Il y en a un qui est venu vers moi avec qui j’ai très vite sympathisé. C’était Petar Guberina, un Croate. Il était venu à Paris passer sa thèse. On a lu ensemble, on a parlé ensemble. Je lui parlais de la Martinique. Il m’a parlé de la Yougoslavie. Il m’a parlé de la Croatie. On n’était pas très riches et on se dépouillait pour acheter des livres, chez Gibert en particulier. Et puis un beau jour, il dit : “Je vais rentrer chez moi. Tu es seul à Paris. Viens me voir. Ma mère possède une ferme en Dalmatie, à Sibenik.” Il a tellement insisté que j’ai fini par dire oui. J’ai passé deux bons mois en plein cœur de la Dalmatie. C’était un pays magnifique. Sous certains aspects il me rappelait la Martinique. En moins verdoyant. Et, chose très curieuse, j’ai eu un choc. Le matin, en me réveillant, je regarde le paysage et je vois juste en face de moi, une île.

    – Comment s’appelle cette île ?

    – Martinska.

    – Si on traduit en français, ça signifie Martinique ! C’est l’île de Saint-Martin !

    Et c’est ainsi que j’ai écrit, en Yougoslavie, avec Martinska dans ma perspective, plusieurs pages du Cahier d’un retour au pays natal. »

    L’été suivant, Aimé Césaire retourne passer ses vacances en Martinique et retrouve sa famille après cinq ans d’absence. Il est probable qu’à cette occasion, de nouveaux chapitres du Cahier aient été rédigés où retravaillés. En septembre, à son retour en métropole, Césaire fait la lecture de son poème à ses amis Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas – futurs députés du Sénégal et de la Guyane – au cours de leurs réunions littéraires, et y ajoute des éléments biographiques. En 1937 ou en 1938, Aimé Césaire envoie le manuscrit de son poème à un éditeur parisien qui le refuse. C’est finalement Petitbon, son professeur à l’École normale supérieure, qui va deviner la vocation poétique d’Aimé Césaire. Depuis quelque temps déjà, ce professeur avait remarqué l’originalité des dissertations de son élève. Césaire lui montre alors son poème et Petitbon lui conseille de l’envoyer à Georges Pellorson, le directeur de la revue Volontés. Le jeune Martiniquais rencontre le directeur de la revue au début de 1939, qui lui demande quelques modifications. Le 28 mai 1939, Aimé Césaire lui envoie le tapuscrit de son poème.

    Le Cahier d’un retour au pays natal est publié en août 1939, dans le n° 20 de la revue Volontés. Le contexte politique de ce mois d’août et le retour d’Aimé Césaire en Martinique à la même époque ne faciliteront pas sa diffusion. Le poème sombre dans l’indifférence générale à la veille du deuxième conflit mondial. C’est finalement le poète surréaliste André Breton, lors de son escale à Fort-de-France en 1941, qui « découvrira », presque par hasard, l’existence du Cahier d’un retour au pays natal, et en assurera la postérité. C’est sous son impulsion qu’une première édition bilingue du Cahier est publiée par Brentano’s, à New York en 1947, sensiblement différente de la version de 1939. Après la guerre, Aimé Césaire, devenu entre-temps député-maire de Fort-de-France, commence à éditer ses poèmes auprès d’éditeurs parisiens. En 1947 encore, le Cahier d’un retour au pays natal est publié pour la première fois en volume et en France par les éditions Pierre Bordas, dans une édition profondément remaniée et préfacée par André Breton. Mais il faudra attendre quelques années pour que ce poème s’impose dans le paysage littéraire. En 1956 est publiée par les éditions Présence Africaine une nouvelle édition du Cahier d’un retour au pays natal, qui subira quelques modifications jusqu’à l’édition dite « définitive » de 1983.

    Jusqu’à présent, la version la plus ancienne de ce poème restait celle de la revue Volontés, en 1939. Tout le monde pensait que les manuscrits ou les tapuscrits du Cahier avaient disparu dans les bouleversements du deuxième conflit mondial. Or, en juin 1992, la bibliothèque de l’Assemblée nationale retrouve le tapuscrit chez un libraire. Aimé Césaire a toujours été un homme de paradoxes. Tandis que son œuvre est étudiée de par le monde, le secret de son poème majeur réside au cœur de l’Assemblée nationale, cette institution où il siégea sans discontinuer de 1945 à 1993.

    Ce tapuscrit du Cahier d’un retour au pays natal est riche d’enseignements. On peut y découvrir des passages retranchés et inédits. On peut y lire des ajouts manuscrits et étudier les variantes. En comparant avec les éditions postérieures, on peut aussi découvrir la genèse de certains extraits célèbres du Cahier. Ainsi ce passage du tapuscrit :

    Et je lui dirais encore :

    « Ma bouche sera la bouche des misères qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui pourissent [sic] au cachot du désespoir. »

    deviendra dans l’édition imprimée :

    Et je lui dirais encore :

    « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »

    Enfin, les pages 41 à 43 du tapuscrit sont entièrement manuscrites, ce qui laisse penser qu’il s’agit de la conclusion réécrite par Aimé Césaire sur les conseils de Georges Pellorson. Les dernières pages du Cahier seront également remaniées dans l’édition Bordas de 1947. Grâce au tapuscrit, on peut suivre le fil de la pensée créatrice d’Aimé Césaire. On touche au mystère de la poésie. On le voit hésiter, raturer, rajouter, modifier son texte. Le lecteur peut vivre la genèse d’une œuvre. C’est un plaisir assez rare.

    Aujourd’hui, les poèmes d’Aimé Césaire sont universellement connus, et le Cahier d’un retour au pays natal est l’œuvre « nègre » la plus traduite et lue dans le monde. Les recherches littéraires concernant Aimé Césaire n’en sont qu’à leur début. Nul doute que cette publication contribuera à une meilleure compréhension de son œuvre. C’est un très bel hommage qui est fait à la mémoire d’Aimé Césaire de livrer à la curiosité du public cette version première du plus universel de ses poèmes. C’est également tout à l’honneur de l’Assemblée nationale d’assurer la publication du « terreau primordial » du plus fascinant de nos poètes contemporains.

    David Alliot

       
  • Dessin

    Portrait d'Aimé Césaire, exposé à l'ancienne mairie de Fort-de-France

    © Édition de Conti

    Le mouvement de la négritude

    « ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité

    ruée contre la clameur du jour

    ma négritude n'est pas une taie d'eau morte ruée contre la clameur du jour

    ma négritude n'est pas une taie d'eau morte

    sur l'oeil mort de la terre

    ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale

    elle plonge dans la chair rouge du sol

    elle plonge dans la chair ardente du ciel

    elle troue l'accablement opaque de sa droite patience. »

    Cahier d'un retour au pays natal

    Vidéo

    Le mouvement de la négritude se forme à Paris, dans l'entre-deux guerres, quand trois jeunes intellectuels déracinés s'associent pour fonder la revue l'Étudiant noir : le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Guyanais Léon Gontran Damas et le Martiniquais Aimé Césaire.

    Une de l'Étudiant noir

    La une de l'Étudiant noir, numéro de mars 1935 avec l'article d'Aimé Césaire jeunesse noire et assimilation

    © D.R.

    Ces trois poètes, influencés par le surréalisme, vont se retrouver au Palais Bourbon après guerre, mais ils incarnent des options politiques très différentes.

    Léopold Sédar Senghor, humaniste et chrétien, recherche les points de jonction entre la France et l'Afrique, au point d'accepter à deux reprises un poste ministériel.

    Léon Gontran Damas, proche des socialistes, tente de moderniser les structures politiques et économiques de la Guyane.

    Aimé Césaire, le communiste, demeure un révolté.

    Vidéo

    Le mot négritude fut créé par Aimé Césaire, vers 1936. Il est employé dans un des premiers poèmes de Léopold Sédar Senghor, Le Portrait :

    « Il ne sait pas encore

    L'entêtement de ma rancoeur aiguisé par l'Hiver

    Ni l'exigence de ma négritude impérieuse... »

    « Je suis d'autant plus libre de défendre le terme, reconnaît Senghor, qu'il a été inventé, non par moi, [...] mais par Aimé Césaire.

    Il y a tout d'abord, que Césaire a forgé le mot suivant les règles les plus orthodoxes du français. [...]

    Pour revenir donc à la Négritude, Césaire la définit ainsi : « La Négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir, et l'acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. » (Liberté 3, pp. 269-270.)

    Césaire emploie le mot avec des sens différents : le mot signifie l'ensemble des noirs comme « Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois » ; il signifie aussi conceptuellement « l'être-dans-le-monde du Nègre » selon l'expression de Jean-Paul Sartre dans Orphée noir.

     Sartre, café de Flore

    Brassaï (1899-1984)

    Sartre, café de Flore

    Paris, 1944. Photographie, épreuve contact aux sels d'argent (8,5 x 5,9 cm)

    BnF, Estampes et Photographie

    C'est logiquement que la remise en cause culturelle d'Aimé Césaire :

    « ma négritude n'est pas une taie d'eau morte ruée contre la clameur du jour »

    fait écho à celle de Senghor :

    « Ma Négritude point n'est sommeil de la race mais soleil de l'âme, ma négritude vue et vie

    Ma Négritude est truelle à la main, est lance au poing Réécade. »

    Le mouvement de la négritude est ainsi un combat culturel pour l'émancipation, comme l'écrit Césaire dans l'Étudiant noir :

    « C'est pourquoi la jeunesse noire tourne le dos à la tribu des Vieux. La tribu des Vieux dit : Assimilation. Nous répondons : Résurrection.

    « Que veut la jeunesse noire ?... Vivre. Mais pour vivre vraiment, il faut rester soi... Les jeunes Nègres d'aujourd'hui ne veulent ni asservissement ni "assimilation", ils veulent émancipation... »

Pour les plus jeunes

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