N° 3572
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 février 2002.
PROPOSITION DE LOI
relative à la protection pénale de l'enfant à naître
contre les atteintes involontaires à la vie.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Claude GAILLARD, René ANDRÉ, Jean-Marc CHAVANNE, Lucien DEGAUCHY, Xavier DENIAU, Thierry MARIANI, Jean MARSAUDON, Patrice MARTIN-LALANDE, Didier QUENTIN, Bernard SCHREINER,

Députés.

Droit pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le 29 juin 2001, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, conférant ainsi une portée particulière à sa décision, énonce que « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que l'incrimination prévue à l'article 221-6 du code pénal, réprimant l'homicide involontaire d'autrui, soit étendue au cas de l'enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l'embryon ou le f_tus. »
Le but de la présente proposition est de combler ce vide juridique et d'offrir un statut pénal à l'enfant à naître. Je précise donc bien que ce texte est à visée exclusivement pénale.
Les faits à l'origine de cette décision sont les suivants : en 1995, le véhicule d'une future maman, enceinte de six mois, est percuté par celui d'un conducteur sous l'emprise d'un état alcoolique. La jeune femme, blessée au cours de l'accident, accouche trois jours plus tard d'une petite fille décédée des suites d'absence d'air dans les poumons et l'estomac et qui n'a pas survécu en raison de lésions cérébrales. En 1997, le tribunal correctionnel condamne pénalement le conducteur pour homicide involontaire sur enfant, estimant que le f_tus est un sujet de droit. La cour d'appel, un an plus tard, infirme ce jugement en posant comme condition l'existence d'un enfant dont le c_ur bat et qui respire. Enfin, la Cour de cassation rejette le pourvoi interjeté contre cet arrêt en se fondant sur le principe de la légalité des délits et des peines.
L'arrêt de la Cour de cassation, par sa brièveté, vise clairement à placer le législateur devant une situation humainement choquante. La Cour elle-même, dans son rapport de 1999 (p. 443), mentionnait déjà « l'absence dans notre droit d'une protection pénale spécifique de l'être humain contre les atteintes involontaires à la vie avant la naissance ».
La question n'est pas nouvelle et a souvent été soulevée en relation avec l'IVG. Ainsi, aux termes de ses conclusions sur le pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu le 3 septembre 1988 par la cour d'appel de Metz, M. Sainte-Rose, avocat général, observait que «certes, le libre choix de la femme qui souhaite recourir à l'IVG doit être respecté. Mais tout aussi respectable est, naturellement, le choix de la femme qui entend mener sa grossesse à terme. Sa liberté de procréer serait paradoxalement moins bien protégée que celle d'avorter si, sous le couvert d'une interprétation étroite de la loi pénale, on tolère qu'en toute impunité le premier venu puisse, fut-ce accidentellement, causer la mort de son enfant. Le principe solennellement proclamé dans l'article 16 du code civil et repris dans l'article L. 2211-1 du code la santé publique (la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie) ne serait alors qu'une affirmation de façade, sans portée véritable. Nous sommes au c_ur du problème.
Un des mérites de l'arrêt du 29 juin 2001 est peut-être de mettre un terme à une jurisprudence riche mais complexe et hésitante. De façon générale, d'ailleurs, le droit (civil ou pénal) reste peu unifié au sujet des droits de l'enfant à naître.
Pourtant, nous touchons là un aspect sensible de notre humanité, qui nous confronte bien évidemment aux questions éthiques. C'est en tenant compte de ces multiples éléments que nous proposons une solution de principe : défendre pénalement la vie de l'enfant à naître in utero, la vie primant les questions de personnalité juridique ou de viabilité.
M. Sargos, conseiller rapporteur (BICC 540, 31 juillet 2001), s'interroge dans ce sens : «N'est-ce pas dès lors de la mission du seul législateur, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, d'ériger, s'il le souhaite, une incrimination spécifique à l'atteinte involontaire à la vie humaine en formation?» Dans le même sens, le professeur Jean Pradel, de la faculté de droit de Poitiers (Le Dalloz, 2001, n° 36, pp. 2907 à 2913), écarte les concepts de personnalité juridique et de viabilité biologique et prône la défense de la vie ab initio au moyen d'une incrimination autonome. Nous nous inspirons particulièrement de ses commentaires.
La présente proposition vise donc à créer une incrimination autonome protégeant la vie de l'enfant à naître in utero : il s'agit d'une incrimination parallèle à celle d'homicide involontaire, dotée de la même cause d'aggravation (mise en danger délibérée). Dans l'exemple cité au début de ce texte, cette notion permettrait de prendre en compte l'ivresse au volant, élément significativement aggravant de l'infraction.
Précision importante : il est exclusivement question ici d'interruption involontaire de grossesse, totalement distincte de « l'interruption volontaire de grossesse», même illégale, régie par le livre II du code de la santé publique (nouvelle partie législative). Cette précision permet d'éviter que cette réforme, si elle était adoptée, ne se retourne avec violence contre celles - les mettant à la merci d'un tiers requérant - qui auraient dépassé le délai légal de douze semaines de grossesse et se rendraient à l'étranger pour tenter une interruption hors délai. Notre propos n'est pas de juger la détresse.
Une autre précision est que ce texte ne comporte aucun procès d'intention à l'égard du corps médical et n'a pas pour objet d'interférer avec les questions de responsabilité médicale. Il crée une sanction de la société et n'aborde pas les questions d'indemnisation. De même, il laisse ouvert le débat sur les sujets essentiels abordés par les lois sur la bioéthique. Il est volontairement neutre de ce point de vue.
Son but est de mettre fin, de façon aussi précise que possible, à un vide juridique qui nie totalement une dimension affective et éthique dont est porteur le futur enfant. Il est incontestable qu'on se sent parent dès la conception. La science elle-même appréhende parfaitement cet être conçu qui est aussi un patient aux yeux de la médecine.
Ce texte ne porte donc pas de jugement et ne comporte aucune arrière-pensée «philosophique». Il veut simplement défendre l'essentiel sur lequel tout le monde s'accorde : la vie.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Sont insérés, après l'article 223-10 du code pénal, une section 5 bis et un article 223-11 ainsi rédigés :

«Section 5 bis
«De la protection pénale de l'enfant à naître
contre les atteintes involontaires à la vie

«Art. 223-11. - Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'un enfant à naître constitue une interruption involontaire de grossesse punie de trois ans d'emprisonnement et de 300000 F (45000 ¤) d'amende.
«En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500000 F (75 000 ¤) d'amende.»

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3572 - Proposition de loi de M. Claude Gaillard relative à la protection pénale de l'enfant à naître contre les atteintes involontaires à la vie (commission des lois)


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